Présentée par:

Raymond Persaud et Rampersaud (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Guyana

Date de la communication:

26 février 1998 (date de la lettre initiale)

Objet: «Syndrome du quartier des condamnés à mort» − condamnation automatique à la peine de mort

Questions de procédure: Non-coopération de l’État partie

Questions de fond: Privation arbitraire de la vie

Articles du Pacte: 6 et 7

Articles du Protocole facultatif: 2 et 4 (par. 2)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 812/1998 présentée par Raymond Persaud et Rampersaud en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs sont Raymond Persaud et Rampersaud, ressortissants du Guyana. Raymond Persaud est actuellement incarcéré dans la prison de Georgetown dans l’attente de son exécution. Rampersaud est décédé le 21 août 1998 (de mort naturelle) et le Comité n’a reçu d’aucun de ses héritiers de notification indiquant que sa communication était maintenue. Bien que les auteurs n’invoquent aucune disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il semble que la communication soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 9 avril 1998, conformément à l’article 92 (ancien art. 86) de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie de ne pas exécuter la peine capitale prononcée contre les auteurs, afin de permettre au Comité d’examiner la communication.

Exposé des faits

2.1Le 21 janvier 1986, les auteurs ont été arrêtés pour le meurtre de Bibi Zorina Alli, dont on avait retrouvé le corps sommairement enterré derrière l’hôtel Hollywood à Rose Hall (Corentyne). Ils ont été convaincus de meurtre et condamnés à la peine capitale le 11 décembre 1990. Les auteurs ont interjeté appel et, le 25 mai 1994, la Cour d’appel a confirmé la condamnation à mort. Les auteurs ont demandé une commutation de la peine en réclusion à vie, mais la demande a été rejetée le 31 juillet 1997. Ils ont fait appel de cette décision mais ont été déboutés le 25 février 1998.

2.2Le 16 ou le 17 juillet 1998, des ordres d’exécution ont été émis par erreur et il en a été donné lecture aux auteurs parce que le Cabinet du Président n’avait pas été avisé que des mesures provisoires avaient été décidées par le Comité. Les ordres ont été rapportés et les auteurs ont reçu une lettre d’excuses pour l’erreur commise.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que la peine capitale prononcée contre eux doit être commuée en réclusion à vie compte tenu de leur long séjour dans le quartier des condamnés à mort. Dans une lettre envoyée par le frère et la sœur de l’auteur survivant, Raymond Persaud, et reçue le 14 janvier 2004, l’auteur, en son nom propre, fait valoir que son maintien dans le quartier des condamnés à mort est une pratique inhumaine et que la durée de ce maintien constitue une violation de ses droits fondamentaux. La communication soulève par conséquent des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.Par une lettre du 30 juin 1998, l’État partie a reconnu que la communication était recevable puisque les auteurs avaient épuisé tous les recours internes disponibles.

Défaut de coopération de l’État partie

5.Le 14 décembre 2000, le 24 juillet 2001, le 21 octobre 2003 et le 7 juillet 2004, le Comité a prié l’État partie de lui faire part de ses observations sur le fond de la communication. Le Comité constate qu’aucune réponse ne lui est parvenue à ce jour. Le Comité regrette que l’État partie ne lui ait pas fourni des éclaircissements sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner toutes les accusations formulées contre eux et communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs de l’auteur, pour autant que ceux-ci aient été suffisamment étayés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité a établi que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et que les auteurs avaient épuisé tous les recours internes qui leur étaient ouverts, conformément au paragraphe 2 b) dudit article. Dans la présente affaire, le Comité constate que, dans sa communication du 30 juin 1998, l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. En conséquence, le Comité passe directement à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne les questions soulevées au regard de l’article 6 du Pacte, le Comité, se fondant sur l’examen du droit applicable au Guyana, suppose que la juridiction de jugement a imposé automatiquement la peine capitale dès lors que le jury avait rendu son verdict par lequel il avait déclaré les auteurs coupables de meurtre, conformément à l’article 101 du Code pénal («Des infractions»). Cet article dispose que «quiconque commet un meurtre se rend coupable d’un crime et doit être puni de mort comme criminel» sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l’imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dès lors qu’elle est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’auteur ou les circonstances particulières du crime. Il s’ensuit que l’imposition automatique de la peine de mort aux auteurs constitue une violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 6.

7.3En ce qui concerne les questions soulevées au regard de l’article 7 du Pacte, le Comité serait d’avis que le séjour prolongé de l’auteur dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de l’article 7. Toutefois, ayant déjà conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 6, il n’estime pas nécessaire en l’espèce de réexaminer et de revoir sa jurisprudence, selon laquelle la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi une violation de l’article 7 s’il n’y a pas d’autres circonstances impérieuses.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à Raymond Persaud une réparation sous la forme d’une commutation de la peine capitale. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de MM. Hipólito Solari ‑Yrigoyen et Edwin Johnson

Nous ne partageons pas l’avis de la majorité pour qui, en l’espèce, il n’est pas nécessaire de revenir sur la jurisprudence du Comité, qui a jusqu’ici toujours considéré − à tort à notre sens − que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constituait pas en soi une violation de l’article 7 du Pacte.

Nous estimons que, même s’il a à juste titre conclu à l’existence d’une violation de l’article 6, le Comité, s’agissant d’une affaire dans laquelle la peine de mort a été prononcée, a l’obligation de ne pas laisser de côté la question concrète soulevée par l’auteur, qui fait valoir que sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de ses droits fondamentaux; il faut au contraire se prononcer sur cette question.

C’est pourquoi et compte tenu des circonstances de l’affaire − l’auteur de la communication a passé 15 années dans le quartier des condamnés à mort −, nous affirmons que cette durée constitue en soi un traitement cruel, inhumain et dégradant et qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte.

En conséquence, les faits dont le Comité est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte.

Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie serait tenu d’assurer à l’auteur une réparation sous la forme d’une commutation de la peine capitale, et pourrait éventuellement ordonner sa remise en liberté.

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

(Signé) Edwin Johnson

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

B. Communication n o 862/1999, Hussain et Hussain c. Guyana (Constatations adoptées le 25 octobre 2005, à la quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Hazerat Hussain et Sumintra Singh

Au nom de:

Hafeez Hussain, Hazerat Hussain, Vivakanand Singhet Tola Persaud

État partie:

Guyana

Date de la communication:

16 et 22 mars 1999 (dates des lettres initiales)

Objet: Imposition obligatoire de la peine de mort

Questions de fond: Privation arbitraire de la vie − privation de la vie compatible avec le Pacte − équité du procès

Questions de procédure: Non‑présentation d’observations par l’État partie − épuisement des recours internes − allégations suffisamment étayées aux fins de la recevabilité

Articles du Pacte: 6 (par. 1 et 2) et 14 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no862/1999 présentée au nom de Sumintra Singh et Hazerat Hussain en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont MM. Hazerat Hussain et Sumintra Singh, tous deux de nationalité guyanienne. M. Hazerat présente la communication en son nom et en celui de trois autres ressortissants guyaniens, Hafeez Hussain, Vivakanand Singh et Tola Persaud, tous également de nationalité guyanienne, emprisonnés à l’époque de la communication. M. Sumintra Singh présente la communication au nom exclusivement de son fils, M. Vivakanand Singh. À l’époque où la communication a été présentée, M. Hafeez Hussain et M. Vivakanand Singh étaient en attente d’exécution. Bien que les auteurs n’invoquent aucune disposition spécifique du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la communication semble soulever des questions qui renverraient aux articles 6 et 14 du Pacte. Les victimes présumées ne sont pas représentées par un conseil.

1.2Conformément à l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a prié l’État partie le 22 avril 1999 de ne pas exécuter la condamnation à mort visant M. Hussain et M. Singh tant que leurs cas seraient à l’examen.

Exposé des faits

2.Le 1er septembre 1993, Arnold Ramsammy a été cambriolé et tué par balles à son domicile. Les quatre responsables présumés ont été arrêtés entre le 3 et le 4 septembre 1993, en relation avec le crime. Le 26 mars 1996, Hafeez Hussain et Vivakanand Singh ont été inculpés de meurtre. Conformément à l’article 101 de la loi pénale (Infractions) du Guyana, qui prévoit que «quiconque commet un meurtre est reconnu coupable d’une infraction majeure et encourt la mort en tant que criminel», le tribunal de première instance (Magistrate’s Court) du district de Corentyne a imposé la peine de mort de façon automatique. Le même jour, Hazerat Hussain et Tola Persaud ont été inculpés d’homicide involontaire et condamnés, respectivement, à deux ans et trois ans d’emprisonnement. En mars 1996, les quatre accusés ont fait appel des déclarations de culpabilité devant la cour d’appel. L’appel était motivé, entre autres, par le fait que le juge du fond avait omis de donner au jury les instructions appropriées concernant la législation relative à l’identification, et qu’il n’avait pas dûment traité des effets de dépositions probantes qui auraient été contradictoires.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que le procès qui a eu lieu au tribunal de district de Corentyne et à la suite duquel ils ont été condamnés à mort de façon automatique n’était pas équitable. Ils font valoir, entre autres, que le registre mis à jour quotidiennement par la police, qui contenait des données sur les «véritables» auteurs du crime, a été égaré pendant le procès; que certaines dépositions de témoins n’ont pas été prises en considération, alors qu’une déposition contradictoire d’un agent de la police ainsi que d’autres témoignages amplement discordants ont été utilisés contre les accusés; que le juge du fond n’a pas informé le jury sur la façon d’aborder ces questions, en particulier la fiabilité des dépositions probantes; que le fonctionnaire chargé de l’enquête avait un conflit d’intérêts, du fait de ses liens avec le défunt, de sorte que, selon les auteurs, ses conclusions étaient partiales; et que le verdict de culpabilité a été rendu bien que les juges d’appel eussent, semble‑t‑il, fait observer que l’affaire était «montée de toutes pièces».

Absence de coopération de l’État partie

4.Les 22 avril 1999, 18 décembre 2000 et 24 juillet 2001, l’État partie a été prié de soumettre au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note que ces observations n’ont pas été reçues. Le Comité regrette que l’État partie n’ait soumis aucune observation concernant la recevabilité ou le fond des griefs des auteurs. Il rappelle que les dispositions du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif prévoient implicitement que les États parties examinent de bonne foi tous les griefs présentés contre eux, et qu’ils communiquent au Comité tous les renseignements dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs dans la mesure où elles ont été dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3S’agissant de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que les victimes présumées ont fait appel des déclarations de culpabilité devant la cour d’appel, qui est la Cour de cassation dans l’État partie, même si les éléments dont le Comité dispose ne permettent pas de déterminer quel a été le résultat du pourvoi. En l’absence d’arguments de l’État partie qui tendraient à montrer que les recours internes n’ont en fait pas été épuisés, il s’ensuit que le Comité n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.4En ce qui concerne les questions soulevées par les auteurs concernant le droit à un procès équitable, le Comité note que cette partie des griefs des auteurs porte sur l’appréciation des éléments de preuve et les instructions données au jury par le juge. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient en principe aux tribunaux des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. De même, il n’appartient pas au Comité d’examiner les instructions spécifiques données au jury par le juge du fond, sauf s’il peut être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. Le Comité ne peut pas établir à partir des éléments dont il dispose que les instructions qui ont été données par le juge du fond ou la conduite du procès étaient entachées d’irrégularités telles qu’elles pourraient soulever des questions au titre des dispositions du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et elle est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité considère toutefois que la question de l’imposition obligatoire de la peine de mort à MM. Hafeez Hussain et Vivakanand Singh soulève des questions suffisamment étayées au titre de l’article 6 du Pacte et il procède à l’examen de ces questions quant au fond.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité note que, en ce qui concerne MM. Hafeez Hussain et Vivakanand Singh, la condamnation à mort a été prononcée par le tribunal de première instance d’une façon automatique, une fois que le jury eut déclaré les accusés coupables de meurtre. Ce faisant, le tribunal a appliqué les dispositions de l’article 101 de la loi pénale (Infractions) du Guyana, qui prévoit que «quiconque commet un meurtre est reconnu coupable d’une infraction majeure et doit être puni de mort». L’article 101 de la loi pénale a été appliqué d’une façon automatique sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle du défendeur, les circonstances du délit commis ou les faits et éléments de preuve dans le cas d’espèce. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l’imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dès lors que la peine de mort est imposée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle du défendeur ou les circonstances du délit commis. Il s’ensuit que l’imposition automatique de la peine de mort dans le cas des auteurs violait leurs droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

6.3Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à MM. Hafeez Hussain et Vivakanand Singh un recours utile sous la forme de la commutation de leur condamnation à mort.

8.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à offrir un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

C. Communication n o 889/1999, Zheikovc.Fédération de Russie(Constatations adoptées le 17 mars 2006, à la quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Valentin Zheikov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

10 août 1998 (date de la lettre initiale)

Objet: Vaine tentative d’un citoyen russe d’obtenir l’ouverture d’une action pénale

Questions de fond: Torture, peines ou traitements dégradants, droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité humaine

Questions de procédure: Néant

Articles du Pacte: 2, 7 et 10 (par. 1)

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no889/1999 présentée par Valentin Zheikov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Valentin Zheikov, citoyen russe né en 1947. Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des articles 7 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 20 février 1996, aux alentours de 20 heures, l’auteur a été poussé dans les escaliers d’un établissement de bains publics de Toula par un homme en tenue kaki, a perdu l’équilibre et est tombé. À 21 h 30, il a voulu rentrer dans l’établissement, mais il en a été empêché par deux hommes en civil, qui l’ont prié de les suivre et l’ont conduit au poste de police local, en lui donnant, à l’en croire, des coups dans le dos. Au poste, il a été fouillé et, selon ses dires, on l’aurait frappé à la tête, à l’aine et dans la région de la rate jusqu’à lui faire perdre connaissance. Il a ensuite été transféré au Bureau des affaires intérieures de l’arrondissement Proletarskiy, où il a demandé qu’on appelle une ambulance, ce qui a été fait. L’auteur aurait refusé d’être emmené à l’hôpital parce qu’il voulait récupérer certaines pièces auprès d’un agent de permanence. Le lendemain, à 5 heures du matin, il est reparti chez lui. Il a demandé une deuxième fois une ambulance le 23 février 1996. Par suite des lésions qu’il avait subies, il a dû être hospitalisé à plusieurs reprises et les médecins ont constaté qu’il souffrait d’un traumatisme craniocérébral et d’hypertension liée à une hydrocéphalie.

2.2Le 22 février 1996, l’auteur a déposé une plainte auprès du Bureau des affaires intérieures de l’arrondissement Proletarskiy de Toula. Le 14 mars 1996, cet organe a décidé de ne pas engager d’action pénale, faute de preuves. Cette décision a ensuite été annulée par le procureur du parquet de l’arrondissement Proletarskiy de Toula comme étant non fondée. Le 7 avril 1996, le magistrat instructeur du parquet a décidé à son tour de ne pas engager d’action pénale, les éléments de nature à établir la réalité d’une infraction étant insuffisants. D’après ses constatations, le 20 février 1996, l’auteur était en état d’ivresse et avait troublé l’ordre dans l’établissement de bains. Il avait invectivé une employée de l’établissement, à la suite de quoi deux agents hors service du Bureau des affaires intérieures de l’arrondissement Proletarskiy qui se trouvaient sur place l’avaient éloigné des lieux. Un agent de permanence au poste de police a témoigné que le 20 février 1996, vers 22 h 30, l’auteur, qui était en état d’ivresse avancé, avait été amené au poste. Alors que l’agent établissait un dossier d’enregistrement, l’auteur avait refusé de fournir des renseignements personnels le concernant et avait adopté une attitude provocatrice qui avait obligé l’agent à recourir à la force contre lui. L’agent a déclaré qu’il avait dû en arriver là parce que M. Zheikov, du fait de son ébriété, ne tenait aucun compte de ses injonctions verbales. Le magistrat instructeur a considéré que l’agent de permanence avait agi conformément aux articles 12 et 13 de la loi régissant la police, qui autorisent les policiers à utiliser la force physique pour appréhender des personnes ayant commis des infractions administratives. Il a conclu que l’auteur avait été arrêté alors qu’il commettait une infraction de ce type et qu’il avait essayé de s’en prendre physiquement à l’agent en service.

2.3À de nombreuses reprises, l’auteur a demandé au parquet de la région de Toula d’ouvrir une procédure pénale, mais toutes les procédures ouvertes par ce parquet ont ultérieurement été déclarées closes par ce même parquet, au motif qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour établir qu’une infraction avait été commise. En outre, l’auteur s’est adressé au Bureau du Procureur général, qui a annulé à quatre reprises la décision du parquet de la région de Toula de classer l’affaire.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits garantis par les articles 7 et 10 du Pacte et n’a pris aucune mesure pour châtier les auteurs des coups et blessures qui lui ont été infligés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.Dans une note verbale datée du 12 juillet 2000, l’État partie a indiqué que le Bureau du Procureur général de la Fédération de Russie avait enquêté sur les faits à l’origine de la plainte soumise par l’auteur au Comité et que, considérant comme non fondée la décision de clore la procédure pénale engagée pour faire la lumière sur les allégations de l’auteur, il avait renvoyé le dossier au parquet de la région de Toula pour complément d’enquête. L’État partie ajoutait dans sa note qu’à ce moment-là le Bureau du Procureur général surveillait la conduite de l’enquête et en contrôlait les résultats.

5.Le 5 octobre 2000, l’auteur a transmis au Comité une lettre du parquet de la région de Toula en date du 29 septembre 2000 l’informant que la procédure pénale avait été suspendue au motif que les enquêteurs avaient épuisé toutes les possibilités d’identification des auteurs du traitement qui lui avait été infligé. L’auteur avait joint à cette lettre une note désobligeante à l’égard du Comité et de l’Organisation des Nations Unies en général, évoquant leur incapacité supposée à lui être d’un réel secours. Dans une autre lettre au ton pareillement offensant, reçue le 10 octobre 2000, l’auteur affirmait que, le 22 juin 1999, des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur l’avaient frappé à la tête, insulté et soumis à la torture. Le 22 février 2001, l’auteur a envoyé au Comité copie d’une lettre comportant des propos insultants qu’il avait adressée au Procureur général de la Fédération de Russie. Le 10 août 2001, il a fait parvenir au Comité un document attestant selon lui qu’il avait été reconnu comme personne handicapée, présentant des handicaps physiques de troisième catégorie. Le 26 novembre 2005, l’auteur a informé le Comité qu’il se «satisferait» d’une indemnité d’un montant de 18 milliards de dollars des États-Unis en réparation des lésions qui lui avaient été infligées, ainsi que du préjudice moral et des dommages matériels qu’il avait subis.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité a relevé que, selon les renseignements communiqués par l’auteur, tous les recours internes disponibles avaient été épuisés. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3Le Comité estime que rien ne s’oppose à la recevabilité des griefs formulés par l’auteur au titre des articles 7 et 10 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il prend note en outre des indications données par l’État partie précisant que le Bureau du Procureur général a enquêté sur les faits dénoncés par l’auteur dans sa plainte au Comité, qu’il a estimé non fondée la décision de clore la procédure pénale engagée pour faire la lumière sur les allégations de l’auteur, et qu’il a renvoyé le dossier à l’organe compétent pour complément d’enquête. L’État partie n’a toutefois pas contesté les faits tels qu’ils ont été présentés par l’auteur et n’a fourni aucune information pertinente quant à la substance des griefs formulés par ce dernier.

7.2Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur qui affirme que, le 20 février 1996, il a subi des mauvais traitements aux mains d’une ou de plusieurs personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions (voir par. 2.1 et 2.2 ci-dessus). Les services du parquet de l’État partie ont mené plusieurs enquêtes sur les allégations de l’auteur, qui ont à la fois confirmé que l’auteur avait été appréhendé et établi qu’il avait été fait usage de la force physique contre lui conformément à ce que prévoit la loi (par. 2.2). Le Comité rappelle que l’État partie est responsable de la sécurité de toute personne qu’il prive de liberté et que, dès lors qu’une personne privée de liberté est blessée en détention, il incombe à l’État partie de fournir une explication plausible des circonstances dans lesquelles les faits se sont produits et d’apporter des éléments pour réfuter les allégations avancées. Le Comité renvoie également à sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, en particulier si l’on considère que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours les mêmes possibilités d’accès aux preuves et que, fréquemment, l’État partie est seul à détenir l’information pertinente. Il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité l’information qu’il détient. Dans l’affaire à l’examen, l’État partie ne nie pas qu’il y a eu emploi de la force physique contre l’auteur, que les enquêtes n’ont jusque-là pas permis d’identifier les responsables de ce traitement (par. 5), bien que la résolution du 7 avril 1996 indique les noms des agents de permanence, et que l’auteur n’a pas pu exercer son droit à un recours utile dans la mesure où il n’y a pas eu d’enquêtes en bonne et due forme sur le traitement qui lui a été infligé. Le Comité conclut par conséquent que l’absence d’enquête en bonne et due forme sur les mauvais traitements que l’auteur affirme avoir subis équivaut à une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2. Compte tenu de cette conclusion, il est inutile d’examiner la plainte de l’auteur relative à une supposée violation du paragraphe 1 de l’article 10.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile, notamment à ce que l’enquête sur le traitement qui lui a été infligé soit menée à bien, si elle est encore en souffrance, ainsi qu’à une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

D. Communication n o  907/2000, Sirageva c. Ouzbékistan(Constatations adoptées le 1 er novembre 2005, à la quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Mme Nazira Sirageva (non représentée par un conseil)

Au nom de:

M. Danis Siragev, fils de l’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

12 décembre 1999 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec son conseil − Condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Articles du Pacte: 2 (par. 3 a)), 6, 7, 10 (par. 1), 14 (par. 3 b), d), e) et g)) et 15 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 907/2000 présentée au nom de M. Danis Siragev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Nazira Sirageva, citoyenne ouzbèke d’origine tatare, qui réside actuellement en France. Elle présente la communication au nom de son fils, Danis Siragev, également citoyen ouzbek d’origine tatare, né en 1975. Lors de la présentation de la communication, il était incarcéré à Tachkent après avoir été condamné à mort, et attendait son exécution. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan des articles 2 (par. 3 a)), 6, 7, 10 (par. 1), 14 (par. 3 b), d), e) et g)), et 15 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 19 janvier 2000, en application de l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas exécuter M. Siragev tant que la communication était à l’examen. Dans une lettre ultérieure (datée du 6 décembre 2000), l’auteur a fait savoir qu’à une date non précisée M. Siragev avait bénéficié d’une commutation de peine.

Exposé des faits

2.1Danis Siragev était membre du groupe de rock «Al‑Vakil». Le 26 mai 1999, il a été arrêté à Moscou, avec un autre membre du groupe − M. Arutyunyan −, en vertu d’un mandat décerné par les autorités ouzbèkes pour meurtre et vol sur la personne de Laylo Alieva (une vedette de variétés), survenus à Tachkent en avril 1998, et pour la tentative de meurtre commise contre le fils de la victime. Les deux hommes ont été transférés dans la capitale ouzbèke le 3 juin 1999.

2.2Par un jugement rendu le 3 novembre 1999, MM. Siragev et Arutyunyan ont été reconnus coupables du meurtre de Mme Alieva et du vol de ses bijoux, et condamnés à mort. La Cour suprême a confirmé le verdict le 20 décembre 1999.

Teneur de la plainte

3.1D’après l’auteur de la communication, les enquêteurs auraient infligé des mauvais traitements et des tortures à M. Siragev pour le contraindre à s’avouer coupable, au point qu’il aurait dû être hospitalisé. À l’appui de ses dires, l’auteur affirme que, le 15 juillet 1999, elle a été informée au téléphone par la femme de son ex‑mari que son fils se trouvait à l’infirmerie du centre de détention. Il avait apparemment été battu et avait plusieurs côtes cassées. L’enquête aurait conclu que M. Siragev avait été roué de coups par ses codétenus.

3.2L’auteur affirme que la peine prononcée contre son fils est excessive, dans la mesure où le tribunal de la ville de Tachkent a fondé son jugement sur les seuls aveux de son fils et de M. Arutyunyan, sans «le moindre témoin, la moindre preuve matérielle ni la moindre empreinte digitale», et sur les dépositions de personnes qui ont disparu peu après la fin de l’enquête policière et ne sont par conséquent pas venues confirmer leur déposition à la barre. Lors d’une audience qui aurait duré 35 minutes, la Cour suprême a validé ces irrégularités de procédure et les violations commises par les enquêteurs et le tribunal de première instance.

3.3M. Siragev aurait été défendu par un avocat commis d’office uniquement pour la forme. Sa mère n’avait pas les moyens financiers de prendre un autre avocat. Selon l’auteur, ce conseil n’aurait rencontré son fils «que deux ou trois fois», toujours en présence d’un enquêteur. En outre, il n’a été autorisé à prendre connaissance des pièces du procès de première instance que quelques minutes avant l’ouverture de l’audience devant la Cour suprême.

Observations de l’État partie

4.1Dans des notes verbales datées du 13 décembre 2000, du 27 février 2001 et du 17 décembre 2002, le Comité a demandé à l’État partie de lui communiquer des renseignements concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note que ces informations ne lui ont été transmises que le 21 octobre 2005, au moment où il examinait la communication. Il regrette l’important retard avec lequel l’État partie a fourni des renseignements concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l’auteur et rappelle qu’il ressort implicitement du Protocole facultatif que les États parties doivent lui transmettre toutes les informations dont ils disposent dans le délai prévu à l’article 97 de son règlement intérieur.

4.2Le 12 octobre 2005 (note verbale reçue par télécopie le 21 octobre 2005), l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication et déclaré, en particulier, que les allégations de violation des droits de M. Siragev lors de l’enquête préliminaire et au cours du procès sont «infondées».

4.3L’État partie rappelle que M. Siragev a été condamné à mort par le tribunal municipal de Tachkent le 3 novembre 1999 et que ce verdict a été confirmé le 20 décembre 1999 par la Cour suprême d’Ouzbékistan. M. Siragev et son coaccusé, M. Arutyunyan, ont été déclarés coupables de meurtre et de vol à main armée. Après qu’un recours eut été adressé au Président de la Cour suprême, celle‑ci a commué la peine de mort à laquelle ils avaient été condamnés en 20 ans de réclusion le 31 mars 2000. De plus, à la suite du décret présidentiel d’amnistie du 30 avril 1999, leur peine de prison a été réduite de 25 %, passant à 15 ans.

4.4Selon l’État partie, la culpabilité de MM. Arutyunyan et Siragev a été confirmée non seulement par leurs aveux, mais aussi par les dépositions d’autres témoins, les conclusions des experts médico‑légaux, les relevés effectués sur le lieu du crime et d’autres éléments de preuve à valeur probante. L’État partie affirme que les actes commis par MM. Arutyunyan et Siragev ont été correctement qualifiés (par les tribunaux).

4.5Dans une autre note verbale datée du 12 octobre 2005, l’État partie soumet à nouveau sa réponse du 31 décembre 2004 dans l’affaire Arutyunyan c. Ouzbékistan, communication no 917/2000 (rapport annuel A/60/40, vol. II, annexe VII), dans laquelle il affirmait notamment que a) rien ne permettait d’affirmer que des pressions physiques ou psychologiques aient étéexercées surArutyunyan et Siragev pendant l’enquête portant sur les crimes qu’ils avaient commis; b) pendant l’enquête, Arutyunyan et Siragev avaient été interrogés avec la participation des avocats de la défense, lesquels ne s’étaient plaints à aucun moment du procès du traitement illégal auquel auraient été soumis leurs clients pendant l’enquête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité note que conformément à l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif, la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité a pris note de l’allégation de violation des droits garantis par les articles 14 (par. 3 d), e) et g)) et 15 du Pacte. Aucune information n’a été donnée à l’appui de ces griefs et l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. Le Comité déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4En ce qui concerne le non‑respect du droit de M. Siragev à un procès équitable et sa condamnation à une peine excessive, le Comité, tout en regrettant que l’État partie n’ait pas donné de renseignements détaillés à ce sujet, note que les griefs de l’auteur concernent essentiellement l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux nationaux. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties, et non au Comité, d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce et d’interpréter les lois nationales, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était arbitraire ou constituait un déni de justice. L’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, qu’il en avait été ainsi dans l’affaire à l’examen. Dans ces conditions, le Comité conclut que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5L’auteur a également affirmé que M. Siragev avait été frappé et torturé en détention par les enquêteurs qui voulaient lui arracher des aveux, au point qu’il avait eu des côtes cassées et avait dû être hospitalisé. L’État partie se limite à déclarer que les allégations de pressions physiques et psychologiques exercées sur le fils de l’auteur sont infondées, sans toutefois contester que celui‑ci a été roué de coups et hospitalisé. Dans ces circonstances, le Comité estime que les allégations de violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Par conséquent, cette partie de la communication est recevable.

5.6Selon l’auteur, l’avocat commis d’office n’a pas été autorisé à rencontrer M. Siragev en privé pendant l’instruction et n’a pas eu la possibilité par la suite de consulter les procès‑verbaux d’audience du tribunal de la ville de Tachkent afin de préparer le pourvoi devant la Cour suprême. L’État partie n’a pas réfuté cette allégation, se contentant d’affirmer que M. Siragev avait été interrogé avec la participation de son avocat. Le Comité déclare donc cette partie de la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre du paragraphe 3 b) de l’article 14 et de l’article 6 du Pacte.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations portées à sa connaissance par les parties, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du Protocole facultatif.

6.2D’après l’auteur, son fils a été frappé et torturé en détention par les enquêteurs qui voulaient lui arracher des aveux, au point qu’il avait dû être hospitalisé. L’État partie s’est contenté de déclarer cette allégation infondée, sans toutefois contester que pendant sa détention le fils de l’auteur avait été maltraité puis hospitalisé, ni expliquer si une enquête avait été ou non menée sur ces faits ni contester que, comme l’avait dit l’auteur, les enquêteurs avaient affirmé que son fils avait en fait été roué de coups par ses codétenus. Dans ces conditions, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur relativement au traitement subi pendant sa détention par son fils, battu au point qu’il a dû être hospitalisé. Il estime que l’État partie est responsable de la sécurité de toute personne qu’il prive de liberté et que dès lors qu’une personne privée de liberté est blessée en détention, il incombe à l’État partie de fournir une explication plausible des circonstances dans lesquelles les faits se sont produits et d’apporter des éléments pour réfuter les allégations avancées. Compte tenu des informations détaillées et non contestées que l’auteur a données, le Comité conclut qu’en l’espèce le traitement subi par M. Siragev constitue une violation de l’article 7 du Pacte, du fait que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la protection de l’intéressé contre de graves mauvais traitements. Le Comité étant parvenu à cette conclusion au sujet de l’article 7, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs formulés au regard de l’article 10.

6.3L’auteur fait valoir que le droit de son fils à préparer convenablement sa défense a été violé à double titre: d’une part, pendant l’instruction l’avocat n’a pas pu rencontrer M. Siragev en privé, dans le respect des règles de la confidentialité et, d’autre part, il n’a été autorisé à examiner les procès‑verbaux d’audience du tribunal de la ville de Tachkent que peu de temps avant l’ouverture du procès devant la Cour suprême. À l’appui de cette affirmation, elle joint copie d’une requête adressée le 17 décembre 1999 par l’avocat à la Cour suprême pour demander un report d’audience, dans laquelle il affirme qu’il s’est vu sous divers prétextes refuser le droit de consulter les procès‑verbaux d’audience. La Cour suprême a rejeté cette requête, apparemment sans autre explication. En appel, le conseil a déclaré ne pas avoir eu la possibilité de rencontrer son client en privé afin de préparer sa défense, mais la Cour suprême n’a pas répondu à l’objection. L’État partie n’a pas contesté ce qui précède, se contentant d’affirmer que M. Siragev était représenté par un avocat lors de l’enquête préliminaire. En l’absence d’autres observations de l’État partie sur ce point, le Comité considère qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité rappelle que l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès dans lequel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 dudit Pacte s’il n’est plus possible de faire appel du verdict. Dans le cas de M. Siragev, la peine de mort a été prononcée à titre définitif alors que les dispositions de l’article 14 du Pacte concernant les conditions d’un procès équitable n’ont pas été respectées. Cette constatation amène le Comité à conclure que le droit protégé par l’article 6 a également été violé.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 b) de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6, du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Siragev un recours utile. Le Comité constate que la commutation de la peine capitale dont a bénéficié M. Siragev annule la violation de l’article 6. En l’espèce, la réparation pourrait consister à envisager de lui accorder une nouvelle réduction de peine et une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

E. Communication n o  913/2000, Chan c. Guyana(Constatations adoptées le 31 octobre 2005, à la quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Lawrence Chan (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Guyana

Date de la communication:

15 septembre 1998 (date de la lettre initiale)

Objet: Imposition automatique de la peine de mort à l’issue d’un procès inique

Questions de procédure: Privation arbitraire de la vie − Droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense − Droit d’être assisté gratuitement d’un avocat

Questions de fond: Défaut de coopération de l’État partie − Absence d’éléments de preuve à l’appui des griefs

Articles du Pacte: 6 et 14 (par. 3 b) et d))

Articles du Protocole facultatif: 2 et 4 (par. 2)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 913/2000 présentée par Lawrence Chan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur est Lawrence Chan, de nationalité guyanienne, actuellement incarcéré dans la prison de Georgetown dans l’attente de son exécution. Bien qu’il n’invoque aucune disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il semble que sa communication soulève des questions au regard des articles 6 et 14 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 7 février 2000, conformément à l’article 92 (ancien art. 86) de son règlement intérieur, le Comité, par le biais de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie de ne pas appliquer la peine capitale prononcée contre l’auteur tant que le Comité n’aurait pas achevé l’examen de la communication.

Exposé des faits

2.1Dans la nuit du 11 janvier 1993, un commerçant nommé Raphael Seecharran (R. S.) et son aide Ramong ont été tués dans un camp au bord du fleuve Kaituma, en présence d’un certain J. K. qui accompagnait les deux hommes. Étaient également présents l’auteur, qui était armé d’un pistolet, le frère de l’auteur (J. C.) et l’ami de ce dernier (G. R.). Le dénommé R. S. aurait eu 25 000 dollars du Guyana sur lui au moment de sa mort.

2.2J. K. a réussi à s’échapper et a dénoncé les faits à la police. L’auteur a ensuite été arrêté et reconnu par J. K. lors d’une séance d’identification, le 15 mars 1993. Il a été accusé de meurtre. Il a été mis en accusation en même temps que son frère J. C., qui s’était rendu à la police, et que le dénommé G. R. Il n’a pas été précisé si l’auteur avait été assisté d’un avocat pendant l’instruction.

2.3Pendant l’instruction, J. C. aurait fait une déclaration à charge contre l’auteur; elle a été produite comme preuve et versée au dossier de l’affaire. Une fois en possession des déclarations, après la mise en accusation, le ministère public a demandé l’abandon des poursuites engagées contre J. C., qui a été remis en liberté; par la suite, il a été cité à comparaître en qualité de témoin à charge. Le dénommé G. R. est mort en prison.

2.4Le 21 novembre 1993, le crâne et les os des victimes ont été découverts dans un ruisseau, avec leurs vêtements et une montre que R. S. portait au moment de sa mort.

2.5Lorsque le procès s’est ouvert, le 23 novembre 1995, l’auteur ayant déclaré qu’il n’était pas en mesure de se faire représenter en justice, un avocat lui a été commis d’office pour l’assister gratuitement. Cet avocat a cependant été représenté par un confrère parce qu’il devait plaider à la Cour d’appel ce jour‑là et le lendemain. Après que l’auteur eut plaidé non coupable et que les jurés eurent prêté serment, l’audience a été suspendue jusqu’au lundi 27 novembre 1995 à la demande de l’avocat remplaçant, en raison de l’absence de l’avocat désigné pour défendre l’auteur.

2.6Au cours du procès, J. C., qui avait affirmé que la police l’avait battu pour l’obliger à incriminer l’auteur, est revenu sur sa déclaration, affirmant que c’était l’auteur qui lui avait dit de dire cela. Il a également démenti avoir inventé avec son amant G. R. une version des faits mettant l’auteur en cause, ou s’être rendu à la police pour faire relâcher sa sœur qui avait été placée en garde à vue.

2.7Le 20 décembre 1995, un jury de la High Court (juridiction de jugement) de la Cour suprême du Guyana a déclaré l’auteur coupable de meurtre. Cette déclaration de culpabilité a été fondée, entre autres, sur les témoignages de J. K., de J. C., de J. Clementson (un cousin de R. S.), de L. M. (le médecin qui a effectué l’autopsie des victimes), de L. T. (un expert en balistique), d’O. S. (un ancien caporal de la police) et de plusieurs autres policiers.

2.8Conformément à l’article 101 du Code pénal («Des infractions»), qui dispose que «quiconque commet un meurtre se rend coupable d’un crime et doit donc être puni de mort», le tribunal a automatiquement condamné l’auteur à la peine capitale.

2.9Le 3 janvier 1996, l’auteur a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et de sa condamnation devant la Cour d’appel de la Cour suprême du Guyana, en faisant valoir qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable. Il a affirmé en particulier que: a) le juge avait fait preuve de partialité en interrogeant constamment les témoins pour combler les lacunes dans les moyens de l’accusation, ce qui avait eu pour effet de faire paraître plus faibles les moyens de la défense lors de l’exposé final du juge à l’intention du jury, et b) que le juge avait commis l’erreur d’accepter des témoignages à charge supplémentaires de J. Clementson, de J. C., de L. T. et d’O. S. alors qu’aucune raison valable ne justifiait que ces éléments de preuve n’aient pas été produits au stade de l’instruction.

2.10Le 13 juin 1997, la Cour d’appel de la Cour suprême a décidé, par deux voix contre une, de débouter l’auteur et de confirmer sa déclaration de culpabilité et sa condamnation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’on l’a roué de coups pour lui faire avouer le crime, de même que son frère et G. R., qui ont tous deux signé une déclaration à la suite de ce traitement. Les trois hommes n’ont reçu aucun soin alors qu’ils ne pouvaient manger ni marcher normalement. Les policiers ont simplement attendu qu’ils se sentent mieux pour les déférer devant un juge, lequel n’a pris aucune mesure lorsqu’ils se sont plaints des brutalités subies.

3.2L’auteur affirme également que l’accusation a conclu un accord avec J. C. et G. R., qui ont témoigné contre lui pour bénéficier en échange de l’abandon des charges retenues contre eux. Sa condamnation à mort a donc été fondée sur le faux témoignage de son frère.

3.3L’auteur souligne qu’étant issu d’une famille d’Amérindiens pauvres il n’avait pas les moyens de payer les services d’un avocat. Il a donc dû s’en remettre à l’assistance d’un avocat commis par l’État tout au long de son procès. En fin de compte, c’est à cause de sa pauvreté qu’il a été victime d’une injustice.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le 13 août puis le 11 octobre 2001, le Comité a prié l’État partie de lui faire part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate qu’aucune réponse ne lui est parvenue. Le Comité regrette que l’État partie ne lui ait pas fourni des éclaircissements sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les accusations formulées contre eux et communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs de l’auteur, pour autant que ceux‑ci aient été suffisamment étayés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’auteur avait épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3En ce qui concerne les mauvais traitements dénoncés par l’auteur, qui affirme que les policiers l’ont battu de même que son frère et G. R., obtenant ainsi de ces derniers des déclarations le mettant en cause, le Comité relève qu’il y a des contradictions dans ce qu’a dit J. C. sur ce point lors du procès avec jury. Il note également que l’auteur affirme qu’une partie des éléments de preuve retenus contre lui a été obtenue grâce à un accord conclu entre l’accusation et son frère. Cependant, en l’absence d’élément susceptible de confirmer ces affirmations, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité les griefs qu’il avance. Le Comité en conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4En ce qui concerne la représentation en justice de l’auteur, le Comité rappelle que, le premier jour du procès, le représentant de l’avocat commis d’office pour défendre l’auteur a demandé une suspension de l’audience pendant deux jours ouvrables seulement, l’avocat ayant à ce moment des engagements à la Cour d’appel. Le Comité estime que la brièveté du délai disponible pour la préparation de la défense de l’auteur soulève des questions au regard du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Il estime en outre que l’imposition automatique de la peine de mort à l’auteur soulève des questions au regard des articles 6 et 14 du Pacte. En l’absence d’observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication, le Comité déclare que celle‑ci est recevable, dans la mesure où elle soulève des questions au regard des articles 6 et 14 du Pacte.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2En ce qui concerne le délai imparti pour la préparation de la défense de l’auteur, le Comité rappelle qu’en vertu du droit d’être assisté d’un défenseur, tel qu’il est garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14, l’auteur avait le droit d’être efficacement représenté pendant son procès ainsi que de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, comme il est garanti à l’alinéa b du même paragraphe 3. Tout en relevant que l’audience a été suspendue pendant seulement deux jours ouvrables à la demande de l’avocat de l’auteur, le Comité note que l’auteur s’est vu attribuer un défenseur par l’État partie. Il rappelle néanmoins que ce dernier peut être tenu pour responsable de l’attitude d’un avocat de la défense s’il était manifeste pour le juge que cette attitude était contraire aux intérêts de la justice.

6.3Le Comité estime que dans une affaire où la peine capitale peut être prononcée, si l’avocat commis d’office pour défendre gratuitement l’accusé est absent le premier jour du procès et qu’il demande, par le biais d’un représentant, la suspension de l’audience, le tribunal doit s’assurer que cette suspension laisse à l’accusé suffisamment de temps pour préparer sa défense avec son avocat. En l’espèce, il aurait dû être manifeste pour le juge que la demande de l’avocat visant à suspendre l’audience pendant seulement deux jours ouvrables, au cours desquels l’avocat était occupé par un autre procès, n’était pas compatible avec les intérêts de la justice, puisque cela ne permettait pas à l’auteur de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. À la lumière de ce qui précède et en l’absence d’explications de l’État partie, le Comité conclut que l’auteur n’a pas été efficacement représenté en justice, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

6.4En ce qui concerne la condamnation de l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que l’imposition de la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6. Il rappelle également que l’auteur n’a pas été représenté efficacement pendant son procès, en violation des alinéas b et d du paragraphe 3 de l’article 14. Le Comité conclut que la peine de mort a été prononcée sans que les garanties prévues à l’article 14 soient respectées et qu’elle viole dès lors l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec l’article 14.

6.5En outre, le Comité constate que la juridiction de jugement a imposé automatiquement la peine capitale dès lors que le jury eut rendu son verdict par lequel il déclarait l’auteur coupable de meurtre, conformément à l’article 101 du Code pénal («Des infractions»). Cet article dispose que «quiconque commet un meurtre se rend coupable d’un crime et doit donc être puni de mort» sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances dans lesquelles le crime a été commis. Le Comité renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que l’imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dès lors qu’il n’est pas possible de prendre en considération la situation personnelle de l’auteur ou les circonstances du crime. Il s’ensuit que l’imposition automatique de la peine de mort à l’auteur constitue une violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 6.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 et de l’article 6, lu seul et conjointement avec l’article 14 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile ainsi qu’une réparation sous la forme, en l’espèce, d’une commutation de la peine capitale. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Ivan Shearer et Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

Nous souscrivons aux constatations du Comité qui conclut à une violation de l’article 6 dans cette affaire, confirmant sa jurisprudence constante selon laquelle l’imposition automatique et obligatoire de la peine de mort, sans prendre en considération la situation personnelle du condamné ou les circonstances du crime, est contraire au Pacte.

En revanche, nous ne pouvons pas nous associer à la constatation d’autres violations, c’est‑à‑dire des paragraphes 3 b) et 3 d) de l’article 14, portant sur l’équité du procès de M. Chan. Le procès s’est ouvert le jeudi 23 novembre 1995. Il a déclaré qu’il n’était pas en mesure de se faire représenter en justice. Le tribunal lui a alors commis un avocat d’office. L’audience a été suspendue jusqu’au lundi 27 novembre. L’avocat désigné devait en effet plaider une autre cause devant la Cour d’appel les 23 et 24 novembre. Toutefois, même si cette affaire a retenu toute l’attention de l’avocat pendant deux jours ouvrables, il restait néanmoins le week‑end pendant lequel l’avocat pouvait recevoir des instructions et préparer la défense de l’auteur.

Nous notons que l’auteur lui-même ne fait pas valoir dans sa plainte que son avocat n’avait pas eu assez de temps pour se préparer. Son grief porte sur le fait qu’il n’avait pas pu prendre le conseil de son choix parce qu’il était trop pauvre. De plus rien dans les éléments dont le Comité est saisi n’indique que l’avocat ait demandé au tribunal un délai supplémentaire pour préparer sa défense. Certes tout doit être fait pour garantir un procès équitable dans les affaires où la peine capitale peut être prononcée, mais dans les circonstances de l’espèce il nous semble que les éléments avancés sont insuffisants pour conclure à une violation de l’article 14.

(Signé) Ivan Shearer

(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood

Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme a estimé que la date déterminante pour juger de la recevabilité ratione temporis de la communication était la date de la lettre initiale de l’auteur et non pas la date de l’enregistrement officiel de la communication et de sa transmission à l’État partie. Le Guyana s’est retiré du Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 5 janvier 1999, avec effet au 5 avril 1999. Il est redevenu partie au Protocole facultatif à la même date, moyennant une réserve concernant les affaires de condamnation à mort. L’auteur a adressé sa lettre initiale au Comité le 15 septembre 1998 et l’État partie a été prié de faire parvenir une réponse le 7 février 2000.

Notre pratique a été jusqu’à ce jour diverse. Voir Thomas c. Jamaïque, communication no 800/1998 (par. 6.3), in Manfred Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights, CCPR Commentary, 2nd revised edition 2005, page 907. Mais voir Smartt c. Guyana, communication no 867/1999 (par. 1.2); Deolall c. Guyana, communication no 912/2000 (par. 4.5); Siewpersaud c. Trinité-et-Tobago, communication no 938/2000 (par. 9) (date de transmission à l’État partie 1er août 2000). Bien qu’il s’agisse d’une conclusion discutable, dans des limites raisonnables, je suis prête à accepter la constatation du Comité.

En ce qui concerne le fond de cette affaire, je rejoins mes collègues Ivan Shearer et Prafullachandra Natwarlal Bhagwati pour conclure qu’il ne peut pas être établi de violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, qui tiendrait à l’insuffisance du temps dont avait disposé le conseil commis d’office pour préparer la défense. Certes, dans une affaire où l’accusé risque la peine de mort, une période de quatre jours consentie pour préparer la défense est loin d’être idéale, mais l’avocat n’a pas sollicité de délai supplémentaire. Le Comité n’est pas en mesure de critiquer le jugement de l’avocat et du juge du fond qui ont considéré que quatre jours suffisaient pour préparer valablement la défense.

Sur la question de la condamnation à mort de l’auteur, le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte précise qu’une sentence de mort «ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves». La législation du Guyana prévoit la peine de mort obligatoire pour tous les cas de meurtre, que le crime s’accompagne ou non de circonstances aggravantes supplémentaires. Elle interdit au tribunal ou aux jurés de prendre en considération tout élément concernant le défendeur ou les circonstances du crime qui pourrait être atténuant. En outre, on ne sait même pas si l’imposition obligatoire de la peine de mort est au moins limitée aux cas d’homicide volontaire ou d’atteinte violente et injustifiée à la vie humaine et ne s’applique pas à l’homicide involontaire. Dans ces conditions, en l’absence de clarification de la part de l’État partie, l’application de la loi dans cette affaire ne semblerait pas compatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6.

Il se peut qu’à l’avenir, l’examen de la question de la peine de mort au Guyana soit influencée de façon importante par la jurisprudence de la Cour de Justice des Caraïbes nouvellement créée. Pour le moment toutefois, le Comité est tenu d’évaluer la pratique de l’État uniquement au regard des normes du Pacte et compte tenu des informations fournies par les parties au Protocole facultatif.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

F. Communication n o 915/2000, Ruzmetov c. Ouzbékistan(Constatations adoptées le 30 mars 2006, à la quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Mme Darmon Sultanova (représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur, les fils de l’auteur, Uigun et Oibek Ruzmetov, décédés, et le mari de l’auteur, M. Sobir Ruzmetov

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

7 février 2000 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable, torture, absence d’habeas corpus, traitement inhumain en détention, violation du droit à la vie privée

Questions de fond: Droit à la vie, torture, traitement ou peine dégradant, détention arbitraire, droit d’être déféré dans le plus court délai devant un juge ou une autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, droit de communiquer avec son conseil, droit de faire interroger les témoins, mesures provisoires visant à éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime présumée, violation d’obligations découlant du Protocole facultatif, immixtion illégale dans la vie privée

Questions de procédure: Néant

Articles du Pacte: 2 (par. 3), 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g)) et 17

Articles du Protocole facultatif: 1, 2 et 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 915/2000 présentée par Mme Darmon Sultanova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Darmon Sultanova, citoyenne ouzbèke née en 1945. Elle présente la communication en son propre nom et au nom de ses fils, Uigun et Oibek Ruzmetov, également citoyens ouzbeks, nés en 1970 et en 1965, respectivement. Ses fils ont été condamnés à mort par le tribunal régional de Tachkent le 24 juillet 1999 (Uigun) et le 29 juillet 1999 (Oibek). Les verdicts ont été confirmés en appel par la Cour suprême de la République d’Ouzbékistan le 20 septembre 1999. Le lieu où les fils de l’auteur se trouvaient n’était pas connu au moment où la communication a été présentée. Mme Sultanova agit également au nom de son mari, Sobir Ruzmetov, citoyen ouzbek né en 1935 qui, au moment où la communication a été présentée, purgeait une peine d’emprisonnement de cinq ans dans la colonie UYA 64/61 de Karshi, dans la région de Surkhandarya, en application d’un verdict rendu par le tribunal de district de Khazorasp le 28 mai 1999 et confirmé en appel le 2 novembre 1999 (le titre de la cour n’est pas indiqué). Mme Sultanova affirme être victime de violations par l’Ouzbékistan de l’article 9 et, compte tenu de l’exécution de ses fils, de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle affirme en outre que ses fils sont victimes de violations par l’Ouzbékistan des articles 7 et 9, et des paragraphes 1, 2 et 3 b), d), e) et g) de l’article 14 et, compte tenu de leur exécution, de l’article 6. Elle affirme en outre que son mari est victime de violations de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1, 2, 3 b), d), e) et g) de l’article 14. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2Le 22 février 2000, conformément à l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a prié l’État partie de ne pas exécuter la condamnation à mort prononcée contre Uigun et Oibek Ruzmetov tant que leur cas serait à l’examen. Cette demande de mesures provisoires de protection a été réitérée le 17 décembre 2002. Aucune réponse n’a été reçue de l’État partie.

1.3Dans une lettre datée du 14 octobre 2003, l’auteur a informé le Comité qu’après s’être adressée plusieurs fois aux autorités pour leur demander où se trouvaient ses fils, elle a été informée, par une lettre du tribunal régional de Tachkent en date du 13 juin 2000, qu’Uigun et Oibek Ruzmetov avaient été exécutés le 29 septembre 1999 (c’est‑à‑dire avant que le Comité ne reçoive la communication). Elle indique toutefois que les renseignements fournis par le tribunal régional de Tachkent contredisent ceux qu’elle a reçus à une date non spécifiée du bureau de district de l’état civil de Yunusabad (ZAGS), organisme chargé d’enregistrer les décès, qui confirmaient qu’aucun avis officiel de la mort d’Uigun et d’Oibek Ruzmetov n’avait été reçu en 1999‑2000.

Exposé des faits

2.1Le 28 décembre 1998 à minuit, cinq fonctionnaires du bureau du Procureur de Khazorasp et du Département de district des affaires intérieures, accompagnés de plusieurs miliciens, ont fait irruption au domicile de l’auteur à Khazorasp. Ils ont effectué une perquisition approfondie, sans aucun mandat, en présence de deux témoins. L’auteur leur ayant demandé de produire un mandat de perquisition, un fonctionnaire du Département des affaires intérieures a commencé à l’interroger sur ses convictions religieuses et sur l’endroit où se trouvaient ses fils, qui étaient alors à Pitnak, à environ 20 kilomètres de Khazorasp. Un certificat attestant que la perquisition n’avait rien donné a été établi en deux exemplaires, dont l’un a été remis à l’auteur. Six miliciens sont restés pour monter la garde. À 5 heures du matin, le 29 décembre 1998, un certain M. Bozbekov est entré dans une pièce de la maison et a placé trois balles dans un pot. Le 30 décembre 1998 à minuit, des miliciens armés de mitraillettes sont entrés dans la maison de l’auteur avec un procureur et un chef de la milice et ont procédé à une autre perquisition, cette fois avec un mandat. Les trois balles dans le pot vide, des écrits religieux interdits et un sachet de drogue ont alors été trouvés. Un certificat a été établi, mais aucun exemplaire n’a été remis à l’auteur bien qu’elle l’ait demandé à plusieurs reprises. D’après l’auteur, les accusations qui ont été portées ensuite contre ses fils et son mari étaient en partie fondées sur les objets trouvés lors de la deuxième perquisition. Plusieurs effets personnels ont été amenés lors des perquisitions. D’après l’auteur, sept miliciens ont vécu dans sa maison du 28 décembre 1998 au 6 février 1999. Tout au long de cette période, tous les membres de la famille étaient menacés de recevoir des coups de feu, et accompagnés constamment d’un milicien. Aucun d’entre eux n’a été autorisé à quitter la maison ni à téléphoner.

2.2Uigun et Oibek Ruzmetov ont été arrêtés le 1er janvier 1999, et leur père, Sobir Ruzmetov, le 2 janvier 1999, dans leur appartement de Pitnak, sur la base des mandats délivrés par le Procureur de Khazorasp. Les accusations portées contre Uigun et Oibek Ruzmetov étaient notamment les suivantes: a) tentative de renverser le Gouvernement, b) tentative de modifier le régime constitutionnel par la force, c) tentative d’établir un régime fondamentaliste islamique, d) tentative d’organisation d’un mouvement de «jihad», et e) meurtre avec circonstances aggravantes. Sobir Ruzmetov était accusé de possession illégale d’armes et de drogues sans intention de les vendre. D’après l’auteur, alors qu’ils étaient détenus dans le sous-sol du bureau d’Urgench du Département des affaires intérieures, ses fils ont été torturés par des miliciens qui cherchaient à leur extorquer des aveux. Ils auraient été frappés à coups de poing, de pied et de matraque, violés, suspendus avec les mains attachées dans le dos et jetés violemment sur le sol en ciment, et on aurait menacé de violer leurs épouses et d’arrêter leurs parents.

2.3Le 5 janvier 1999 à 19 heures, Mme Sultanova aurait reçu l’ordre de prendre tous ses vêtements et des vivres pour aller rendre visite à son mari, Sobir Ruzmetov, dans une prison d’Urgench. Elle a été emmenée auprès du chef du Service de sécurité nationale d’Urgench, qui l’a insultée. Ensuite, elle a été emmenée au sous-sol du bureau d’Urgench du Département des affaires intérieures, menottée et enfermée seule dans une pièce. On lui aurait enlevé ses vêtements et le chef du Service de sécurité nationale l’aurait ainsi exposée à la vue de deux ou trois jeunes hommes, parmi lesquels se trouvait l’un de ses fils. Elle aurait à peine reconnu Uigun, dont le corps était couvert d’hématomes et présentait des marques visibles de torture.

2.4Tôt le matin du 6 février 1999, sept miliciens sont entrés au domicile de l’auteur et ont considérablement endommagé ses biens. L’auteur a déposé près de 100 plaintes pour demander une enquête. Elles ont été adressées au Procureur de Khazorasp, au bureau du Procureur régional, au Président de l’Ouzbékistan, au Ministre des affaires intérieures et au Président de la Cour suprême. D’après l’auteur, aucune des personnes susmentionnées n’a ouvert d’enquête.

2.5L’auteur affirme qu’elle n’a pas été informée de la date du procès de ses fils. En conséquence, elle n’a pas pu engager un avocat indépendant pour les défendre lors du procès et ils ont été représentés par un avocat commis d’office. Ayant appris par accident, le 12 juin 1999, que le procès de ses fils et celui de six autres coaccusés étaient en cours devant le tribunal régional de Tachkent, elle a pu assister aux audiences les 12, 13 et 14 juin 1999. Par la suite, cela lui aurait été refusé. L’auteur affirme que le procès de ses fils s’est largement tenu à huis clos et qu’aucun des témoins, pas même ceux de l’accusation, n’était présent dans la salle d’audience, malgré de nombreuses requêtes à cet effet de la part de tous les codéfendeurs. Elle ajoute que le Président avait une attitude accusatoire.

2.6À l’audience du 13 juillet 1999, Uigun et Oibek Ruzmetov ont témoigné qu’ils avaient été contraints à faire des aveux et ont décrit les tortures auxquelles ils avaient été soumis. Uigun a déclaré qu’un pistolet, 12 balles et de la drogue avaient été mis dans sa poche et qu’il n’avait signé un formulaire confessant sa «culpabilité» qu’après qu’on lui eut montré sa mère nue et qu’on lui eut dit que sa femme serait violée s’il ne signait pas le formulaire. Tous deux ont également affirmé qu’ils avaient été interrogés dans le sous-sol du bureau de Tachkent du Service de sécurité nationale, en l’absence d’un avocat, et soumis à la torture. Oibek Ruzmetov aurait été incapable de marcher sans aide après cet interrogatoire. Uigun et Oibek ont également déclaré qu’ils n’avaient pas eu accès à un avocat de leur choix pendant l’enquête. Le tribunal aurait écarté tous les témoignages et admis les preuves obtenues sous la torture et en l’absence d’un conseil choisi par les fils de l’auteur.

2.7Le 24 juillet 1999, le tribunal régional de Tachkent a condamné à mort cinq des huit coïnculpés, dont Uigun et Oibek Ruzmetov. Le tribunal a conclu qu’Oibek Ruzmetov avait créé un groupe armé en 1995, dans l’intention de commettre des vols et de recueillir de l’argent pour acheter des armes et instaurer un régime islamique fondé sur l’idéologie «wahhabite». Il a conclu en outre qu’Oibek Ruzmetov et d’autres membres du groupe, dont Uigun Ruzmetov, avaient créé un centre à Burchmullo, dans la région de Tachkent, dans l’intention de faire sauter un réservoir d’eau. Le tribunal a déclaré Uigun Ruzmetov coupable de violation de nombreuses dispositions du Code pénal, et notamment d’organisation illégale de rassemblements publics, de création illégale d’organisations religieuses, de contrebande, de possession illégale d’armes, de cartouches et de matériaux ou engins explosifs, de meurtre avec préméditation, et de fabrication ou distribution de matériaux constituant une menace pour la sécurité et l’ordre publics. M. Oibek Ruzmetov a été déclaré coupable de violation de dispositions analogues du Code pénal ainsi que d’atteinte à l’ordre constitutionnel de la République d’Ouzbékistan et de sabotage. En appel, la Cour suprême a confirmé la condamnation à mort le 20 septembre 1999. Le conseil a sollicité une révision du procès auprès du Ministère de la justice, mais sa demande a été rejetée le 7 octobre 1999. L’auteur affirme que les recours en grâce ont été soumis au Cabinet présidentiel le 20 mars et le 5 septembre 2000, respectivement.

2.8Le 24 juillet 1999, en violation, selon l’auteur, de l’article 137 du Code de procédure pénale ouzbek, les proches d’Uigun et Oibek Ruzmetov, dont l’auteur, n’auraient pas été autorisés à les rencontrer ni à leur transmettre des lettres. L’auteur affirme que lorsque ses fils étaient en détention, elle n’a pu les rencontrer que deux fois, le 1er août et le 23 septembre 1999. Une fois les condamnations à mort prononcées, on aurait refusé deux fois à leur avocat, engagé par l’auteur, de les voir en détention.

2.9Le mari de l’auteur a été condamné à cinq ans d’emprisonnement par le tribunal régional de Khazorasp, le 28 mai 1999. L’auteur affirme que son mari a également été soumis à la torture quand il était en détention, à la suite de quoi il a fallu le transporter au tribunal sur une civière, le 28 mai 1999. Elle dit qu’elle n’a pas pu assister au procès de son mari, qui n’a duré que deux heures, que son mari n’était pas représenté par un avocat à l’audience et qu’il n’a pas eu la possibilité d’interroger les témoins ni d’examiner les éléments de preuve au procès. D’après l’auteur, les éléments de preuve à charge avaient été fabriqués. Une fois condamné, Sobir Ruzmetov ne pouvait pas bénéficier d’une grâce parce qu’il aurait enfreint le règlement de la prison.

2.10D’après l’auteur, les fonctionnaires du bureau de district de Khazorasp du Département des affaires intérieures ont continué à procéder à des perquisitions et des interrogatoires et à la harceler de même que sa famille tout au long de 2000 et 2001. Le 1er avril 2001, l’auteur, sa fille handicapée et trois de ses petits‑enfants se sont installés dans son autre appartement à Pitnak, où ils auraient été harcelés ensuite par des fonctionnaires du bureau de Pitnak du Département des affaires intérieures. Le 4 avril 2001, le chef du bureau a insulté l’auteur, lui a ordonné de retirer son foulard et l’a menacée d’emprisonnement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait qu’elle ait été privée de liberté du 28 décembre 1998 au 6 février 1999 par des personnes agissant à titre officiel et sans qu’aucune accusation ne soit portée contre elle ainsi que le fait que l’État partie n’ait pas enquêté par la suite sur ces actes constituent une violation de l’article 9 du Pacte. Il semble que les faits soulèvent des questions au titre des articles 7 et 17, même si ces dispositions ne sont pas invoquées.

3.2L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 parce qu’elle n’a été informée de l’exécution de ses fils qu’après que celle-ci a eu lieu.

3.3L’auteur fait valoir que les charges retenues contre ses fils étaient fabriquées et que leur arrestation sur la base de mandats délivrés par le Procureur, leur détention pendant sept mois sans aucun contrôle judiciaire ainsi que le traitement qu’ils ont reçu en détention et lors du procès constituent des violations des articles 6, 7 et 9, et des paragraphes 1, 2 et 3 b), d), e) et g) de l’article 14.

3.4L’auteur affirme que les accusations portées contre son mari étaient également fabriquées et que l’arrestation de celui-ci et le traitement auquel il a été soumis en détention et lors du procès constituent des violations de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1, 2 et 3 b), d), e) et g) de l’article 14.

3.5Enfin, l’auteur fait valoir que l’État partie a exécuté ses fils malgré la demande de mesures provisoires de protection qui lui avait été adressée au nom du Comité. Elle soutient que l’État partie a falsifié les registres officiels de décès de manière que la date de l’exécution de ses fils apparaisse comme antérieure à l’enregistrement de la communication et à la demande de mesures provisoires. À ce propos, elle fait remarquer la divergence entre les dates consignées dans les archives du tribunal régional de Tachkent et celles figurant dans les dossiers du bureau de district de l’état civil de Yunusabad (ZAGS) (voir par. 1.3 et 2.9 plus haut). Elle note qu’une lettre du tribunal régional de Tachkent lui a été envoyée près de 10 mois après la date prétendue de l’exécution, mais après que la demande de mesures provisoires de protection a été adressée à l’État partie. D’après elle, cela constitue une violation des obligations de l’État partie en vertu du Protocole facultatif.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.Par des notes verbales datées du 22 février 2000, du 20 février 2001, du 25 juillet 2001 et du 17 décembre 2002, l’État partie a été prié de communiquer au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le 19 décembre 2003, l’État partie a indiqué que le 29 juin 1999, Uigun et Oibek Ruzmetov avaient été jugés par le tribunal régional de Tachkent et déclarés coupables de plusieurs infractions au regard du Code pénal de l’Ouzbékistan. Tous deux ont été condamnés à mort, verdict qui a été confirmé par une décision de la Cour suprême en date du 20 septembre 1999. L’État partie fournit la liste de toutes les infractions pénales dont Uigun et Oibek Ruzmetov ont été déclarés coupables. Il affirme que le tribunal a correctement qualifié leurs actes et prononcé des condamnations appropriées compte tenu du «danger public» qu’ils représentaient.

Délibérations du Comité

Violation alléguée du Protocole facultatif

5.1Le Comité a pris note du grief de l’auteur, qui affirme que l’État partie a enfreint ses obligations en vertu du Protocole facultatif en exécutant ses fils alors qu’une communication avait été soumise au Comité et qu’une demande de mesures provisoires avait été adressée le 22 février 2000. L’État partie n’a pas répondu à la demande de mesures provisoires et n’a donné aucune explication concernant l’affirmation (voir par. 3.5) selon laquelle les fils de l’auteur auraient été exécutés après l’enregistrement de la communication par le Comité et après la demande de mesures provisoires adressée à l’État partie. L’auteur a affirmé que l’État partie avait falsifié les registres de décès de manière que la date de l’exécution de ses fils apparaisse comme étant antérieure à l’enregistrement de la communication et à la demande de mesures provisoires.

5.2Le Comité rappelle que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Le Comité rappelle en outre que demander des mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur constitue un élément essentiel de son rôle en vertu du Protocole. Ne faire aucun cas de cette demande, en particulier en prenant des mesures irréversibles telles que l’exécution des victimes présumées, affaiblit la protection des droits énoncés dans le Pacte que vise à assurer le Protocole facultatif.

5.3Dans d’autres affaires, le Comité avait déterminé si un État partie qui avait exécuté une personne au nom de laquelle une communication avait été soumise avait manqué à ses obligations en vertu du Protocole facultatif, en fondant son argumentation à la fois sur le fait que des mesures provisoires de protection avaient été explicitement demandées, mais aussi sur le caractère irréversible de la peine capitale. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré de bonne foi avec le Comité au sujet des mesures provisoires malgré une demande réitérée, et en l’absence d’explications concernant l’affirmation selon laquelle les fils de l’auteur auraient été exécutés après l’enregistrement de la communication par le Comité et après la demande de mesures provisoires adressée à l’État partie, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité fait observer tout d’abord que l’auteur n’a apporté aucune preuve de ce qu’elle a qualité pour agir au nom de son mari, alors qu’au moment de l’examen de la communication par le Comité il aurait dû avoir purgé sa peine. Elle n’a pas montré non plus pourquoi il était impossible pour la victime de présenter une communication en son propre nom. Dans les circonstances de l’affaire, et en l’absence d’une procuration ou de tout autre document probant attestant que l’auteur est habilitée à agir au nom de son mari, le Comité se voit obligé de conclure qu’en ce qui concerne celui-ci, l’auteur n’a aucune autorité en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité a noté que, selon les informations fournies par l’auteur, tous les recours internes disponibles avaient été épuisés. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies en ce qui concerne l’auteur et les fils de l’auteur.

6.4Le Comité considère qu’il n’y a aucun obstacle à la recevabilité des griefs de l’auteur au titre des articles 7, 9 et 17, en ce qui la concerne, et des articles 6, 7, 9 et 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g)), en ce qui concerne ses fils, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note que, si l’État partie a formulé des observations concernant le cas des fils de l’auteur et leur condamnation, il n’a donné aucune information à propos des allégations de l’auteur relatives à elle-même et à ses fils. En l’absence de toute information pertinente émanant de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant que celles‑ci aient été suffisamment étayées.

7.2Le Comité note la description que l’auteur a faite des tortures qui ont été infligées à ses fils en vue de leur extorquer des aveux (par. 2.2, 2.3 et 2.6). Elle a identifié les individus qui auraient participé à ces actes. Les documents qu’elle a fournis précisent également que les allégations de torture ont été portées à l’attention des autorités par les victimes elles-mêmes, et qu’elles ont été ignorées. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu à ses allégations, en particulier au fait que les autorités de l’État partie ne se sont pas acquittées de l’obligation qui leur incombe d’enquêter effectivement sur les plaintes pour torture. Le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 en ce qui concerne les fils de l’auteur.

7.3Pour ce qui est de l’allégation de violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14, en ce que les fils de l’auteur ont été contraints de signer des aveux, le Comité doit examiner les principes sous-jacents aux droits protégés par cette disposition. Il renvoie à ses décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14, en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable», doit s’entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d’instruction sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu. Le Comité considère qu’il est implicite dans ce principe que la charge de prouver que les aveux ont été faits sans contrainte incombe à l’accusation. Cependant, le Comité note qu’en l’espèce, la charge de prouver si les aveux étaient spontanés ou non incombe à l’accusé. Le Comité note que le tribunal régional de Tachkent et la Cour suprême ont ignoré les allégations de torture faites par les fils de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation des paragraphes 2 et 3 g) de l’article 14.

7.4En ce qui concerne le grief de l’auteur, qui affirme qu’on aurait refusé à ses fils d’avoir accès à un avocat de leur choix pendant l’enquête préliminaire et le procès, le Comité note également que l’auteur affirme qu’elle n’a pas été informée de la date du procès de ses fils, et qu’en conséquence elle n’a pas pu engager un avocat indépendant pour les défendre. Quant à l’avocat qu’elle aurait ensuite engagé, on lui aurait refusé deux fois de voir ses clients après leur condamnation à mort. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que, en particulier dans des affaires où l’inculpé risque la peine capitale, il va de soi que ce dernier doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure. En l’espèce, et en l’absence de toute explication pertinente de la part de l’État partie, le Comité considère que l’assistance judiciaire n’a pas atteint le niveau d’efficacité requis. En conséquence, les informations dont le Comité dispose font apparaître une violation des alinéas b et d du paragraphe 3 de l’article 14.

7.5Le Comité a noté l’allégation de l’auteur, qui affirme que le procès de ses fils a été inéquitable parce que le tribunal n’a pas agi de manière impartiale et indépendante (par. 2.5 et 2.6). Il note également l’affirmation de l’auteur selon laquelle le procès de ses fils s’est tenu en grande partie à huis clos et aucun des témoins n’était présent dans la salle d’audience malgré de nombreuses demandes à cet effet de la part des huit coaccusés, y compris Uigun et Oibek Ruzmetov. Le juge a rejeté ces demandes sans fournir de raison. En l’absence de toute information pertinente provenant de l’État partie, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

7.6Le Comité rappelle qu’une peine de mort prononcée à l’issue d’un procès dans lequel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Dans la présente affaire, la condamnation à mort de Uigun et Oibek Ruzmetov a été prononcée en violation du droit à un procès équitable énoncé à l’article 14 du Pacte, et a donc constitué également une violation de l’article 6.

7.7Le Comité note que la détention avant jugement des fils de l’auteur a été approuvée par le Procureur général et qu’il n’y a pas eu de contrôle judiciaire ultérieur de sa légalité jusqu’à ce que les intéressés soient traduits devant le tribunal et condamnés le 24 juillet 1999 (Uigun) et le 29 juillet 1999 (Oibek). Le Comité fait observer que l’objet du paragraphe 3 de l’article 9 est de garantir que la détention des personnes accusées d’une infraction pénale soit soumise au contrôle du juge, et rappelle qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire qu’il soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. Dans les circonstances de l’affaire, le Comité n’est pas convaincu que le Procureur général puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition du Pacte.

7.8Le Comité a examiné la plainte de l’auteur, formulée en détail, selon laquelle l’auteur a été privée de sa liberté du 28 décembre 1998 au 6 février 1999 par des personnes agissant à titre officiel, sans que des accusations ne soient portées contre elle, et l’État partie n’a pas enquêté sur ces actes. Il rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 s’applique à toutes les formes de privation de liberté et considère que, dans les circonstances susmentionnées et en l’absence d’explication de la part de l’État partie, les faits dont il est saisi représentent une privation de liberté illégale, en violation du paragraphe 1 de l’article 9.

7.9Le Comité considère qu’en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, la perquisition au domicile de l’auteur qui a été effectuée sans mandat le 28 décembre 1998 (par. 2.1) constitue une violation de l’article 17 du Pacte.

7.10Le Comité a noté l’allégation de l’auteur, qui affirme que les autorités de l’État partie ont ignoré ses demandes d’information et ont systématiquement refusé de révéler la situation de ses fils et l’endroit où ils se trouvaient. Le Comité comprend l’angoisse et la souffrance morale dans lesquelles l’auteur a vécu en permanence en tant que mère des prisonniers condamnés, étant laissée dans l’incertitude quant aux circonstances qui ont abouti à leur exécution et ignorant le lieu où ils ont été ensevelis. Le secret entourant la date de l’exécution et le refus de révéler le lieu de l’inhumation ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités n’aient pas informé l’auteur de l’exécution de ses fils constitue un traitement inhumain contraire à l’article 7.

7.11Le Comité considère qu’en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le fait que l’auteur ait été montrée menottée et nue à son fils Uigun, le 5 janvier 1999 (par. 2.3), constitue en lui‑même un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 7 ainsi qu’une violation de cet article.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations:

a)Des droits de Uigun et Oibek Ruzmetov, en vertu des articles 6, 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g));

b)Des droits de l’auteur en vertu des articles 7, 9 (par. 1) et 17.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris de l’informer de l’endroit où ses fils sont ensevelis, et une indemnisation pour l’angoisse qu’elle a endurée. L’État partie est en outre tenu d’empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe, dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

G. Communication n o  959 /2000, Bazarov c. Ouzbékistan(Constatations adoptées le 14 juillet 2006, à la quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

M. Saimijon et Mme Malokhat Bazarov (non représentéspar un conseil)

Au nom de:

Nayimizhon Bazarov, le fils des auteurs

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

16 novembre 2000 (date de la lettre initiale)

Objet: Torture, procès inéquitable, habeas corpus

Questions de fond: Exécution d’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de procédure: Éléments étayant les griefs

Articles du Pacte: 6, 7, 9, 10, 11, 14 et 15

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 959/2000 présentée au nom de Nayimizhon Bazarov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Saimijon Bazarov (né en 1950) et son épouse Malokhat, tous deux de nationalité ouzbèke. Ils présentent la communication au nom de leur fils, Nayimizhon Bazarov (exécuté en application de la condamnation à mort prononcée le 11 juin 1999 par le tribunal régional de Samarcande), et affirment qu’il est victime de violations par l’Ouzbékistan de ses droits au titre des articles 6, 7, 9, 10, 11, 14 et 15 du Pacte. Bien que les auteurs ne l’invoquent pas expressément, la communication semble aussi soulever des questions au titre de l’article 7 en ce qui les concerne. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 5 décembre 2000, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Bazarov de façon à lui permettre d’examiner la communication. Le 26 janvier 2004 cependant, l’État partie a informé le Comité que la victime présumée avait déjà été exécutée, le 20 juillet 2000, c’est‑à‑dire avant la soumission de la communication (16 novembre 2000) et son enregistrement le 5 décembre 2000, et avant que le Comité ne lui adresse sa demande de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 27 mai 1998, M. Nayimizhon Bazarov allait à Samarcande en voiture pour rendre visite à sa sœur hospitalisée lorsqu’il a été arrêté à Urgut par deux policiers (S. Dzh., Vice‑Président de la branche régionale d’Urgut du Ministère des affaires intérieures, et R. Kh., du Bureau des enquêtes criminelles), qui lui ont demandé de conduire un autre policier, E. S., dans la région de Dzhambay, puis de le ramener. Le fils des auteurs aurait refusé d’obtempérer, en déclarant qu’il était pressé; les policiers auraient manifesté leur déception. Pour finir, il a conduit le policier à destination, mais ne l’a pas ramené.

2.2Le 14 juin 1998, alors qu’il circulait de nouveau en voiture, le fils des auteurs a été arrêté à Urgut par un groupe de policiers (dont deux, S. Dzh. et R. Kh., avaient assisté à l’épisode du 27 mai). Il a été conduit au Département régional (Urgut) du Ministère des affaires intérieures, sans aucun mandat selon les auteurs. Là, alors qu’il était interrogé, on l’aurait battu et menacé de faire emprisonner sa famille. Plus tard, le même jour, il a été inculpé de trafic de drogue. Les enquêteurs ont perquisitionné à son domicile, en présence de témoins, et, après avoir caché une petite quantité de drogue sous un tapis, l’auraient «découverte», ce qui a été dûment consigné au procès‑verbal. Les auteurs affirment que leur fils ne pouvait pas demander l’examen de la légalité de son arrestation et de sa détention par un tribunal, car cette possibilité n’existe pas dans l’État partie.

2.3Le 21 juin, une confrontation a eu lieu entre le fils des auteurs et une personne dénommée G. H., en présence de S. Dzh., enquêteur, et de l’avocat de Bazarov. Cette dernière (G. H.) a affirmé que le fils des auteurs avait participé, avec d’autres personnes, au meurtre de deux personnes, qui aurait été commis chez elle, pendant la nuit du 1er au 2 mai 1998, afin de s’emparer de 100 grammes d’opium.

2.4La procédure engagée contre le fils des auteurs et huit autres coïnculpés a été renvoyée au tribunal régional de Samarcande, et le procès a commencé le 12 avril 1999. Le 11 juillet 1999, le tribunal a jugé le fils des auteurs et l’un de ses coïnculpés coupables de meurtre, ainsi que d’autres crimes, notamment de trafic de drogues, et les a condamnés à mort.

2.5Selon les auteurs, leur fils et ses coïnculpés ont affirmé au tribunal qu’ils avaient été battus et torturés pendant l’enquête préliminaire et contraints à faire de fausses déclarations, et se sont tous déclarés innocents de ce meurtre; leur fils s’est également déclaré innocent des chefs d’accusation de trafic de drogue. Ses coïnculpés auraient montré certaines parties de leur corps qui étaient «brûlées à la cigarette, couvertes d’ecchymoses, d’hématomes, ont montré des bosses à la tête, des dents cassées» et ont demandé au Président du tribunal d’ordonner un examen médical à ce sujet. Le tribunal n’en a rien fait, mais a cité à comparaître deux des enquêteurs, qui ont nié tout recours à des méthodes d’interrogatoire illicites pendant l’enquête préalable.

2.6Les auteurs affirment que le procès de leur fils n’a pas respecté les critères d’un procès équitable: les chefs d’accusation ont été «fabriqués» par les enquêteurs, et le tribunal a fondé ses conclusions essentiellement sur les dépositions de G. H. (lesquelles, selon les auteurs, n’auraient pas dû être prises en considération parce qu’elles ont été modifiées plusieurs fois pendant l’enquête préliminaire) et sur les déclarations arrachées aux inculpés sous la torture pendant l’enquête préliminaire. Les auteurs affirment que le tribunal n’a pas établi la culpabilité de leur fils au‑delà de tout doute raisonnable, et n’a pas résolu plusieurs contradictions. Ils affirment également que leur fils avait un alibi − il ne se trouvait pas à Urgut la nuit du crime, mais à Samarcande où il devait les retrouver à leur retour de vacances, leur train arrivant tôt le matin − mais cet élément n’aurait pas été pris en compte par le tribunal.

2.7À une date non précisée, M. N. Bazarov a formé un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par le tribunal régional de Samarcande le 11 juin 1999. Le 24 décembre 1999, la Cour suprême a confirmé le jugement, et donc la condamnation à mort. Les recours internes ont par conséquent été épuisés.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que les faits exposés plus haut constituent une violation des droits reconnus à leur fils au titre des articles 7, 9, 10, 11, et 14 lu conjointement avec l’article 6, ainsi qu’au titre de l’article 15 du Pacte. Bien qu’ils n’invoquent pas cette disposition expressément, la communication semble également soulever des questions au titre de l’article 7 à l’égard des auteurs.

Observations de l’État partie

4.1L’État partie a présenté ses observations le 10 octobre 2002 et le 15 décembre 2003. Il affirme que, selon le jugement du 11 juin 1999, confirmé ultérieurement par une décision de la Cour suprême le 24 décembre 1999, la victime présumée, agissant avec préméditation et dans le cadre d’une association de malfaiteurs avec deux autres coïnculpés (R. et M.), a pris part au meurtre de deux personnes afin de s’emparer de 190 grammes d’opium. En outre, la victime présumée et R. ont été reconnus coupables d’avoir vendu à un certain S., en mars 1998, 100 grammes d’opium (ce qui constitue une «quantité importante»).

4.2Au cours d’une perquisition effectuée au domicile de Nayimizhon le 14 juin 1998, les enquêteurs ont saisi 1 gramme d’opium et 0,5 gramme de marijuana, ainsi qu’un tube spécial utilisé pour consommer des stupéfiants.

4.3Le tribunal a reconnu la victime présumée coupable d’appropriation illicite de stupéfiants par vol, de vente illicite de stupéfiants, d’acquisition illicite et vente de stupéfiants par un particulier ayant auparavant participé au commerce illicite de la drogue, du meurtre de deux personnes avec préméditation et circonstances aggravantes commis avec une violence particulière, pour des motifs crapuleux, et en groupe.

4.4Selon l’État partie, la culpabilité du fils des auteurs a été démontrée par les pièces figurant au dossier du procès, et les actes qu’il a accomplis ont été correctement qualifiés. Pour définir la peine, le tribunal a évalué le caractère de l’acte accompli, le fait qu’il a été commis à des fins intéressées, par un groupe de personnes, d’une manière particulièrement violente, qu’il était lié à la vente illicite d’une importante quantité de stupéfiants, que l’auteur n’avait pas de profession «socialement utile». Le tribunal a conclu qu’il constituait un danger pour la société et qu’il était impossible de l’amender.

Commentaires des auteurs

5.1Le 19 novembre 2003, les auteurs ont présenté des commentaires sur la réponse de l’État partie. Selon eux, l’État partie n’a pas fourni de réponses détaillées sur le fond de la communication, pas plus qu’il n’a répondu à l’allégation de violation de l’article 9 (absence de contrôle juridictionnel de l’arrestation/détention avant jugement); cela était dû au fait que l’ordre juridique de l’État partie ne prévoyait pas ce type de supervision par un organe judiciaire.

5.2Au sujet de l’allégation de violation de l’article 7, les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas procédé à une enquête véritable sur l’allégation de torture/mauvais traitements infligés à leur fils et à ses coïnculpés au commissariat de police d’Urgut. Ils réaffirment que leur fils n’a pas avoué, mais que les autres coïnculpés ont été contraints de témoigner contre lui. Ils réaffirment que, pendant le procès, leur fils et ses coïnculpés ont déclaré avoir été torturés et passés à tabac, et aussi que les enquêteurs ont introduit des bouteilles vides dans l’anus de certains d’entre eux. M. Bazarov, son avocat et les autres coïnculpés ont demandé au Président du tribunal de faire enquêter sur les abus en question, et de faire procéder à des examens médicaux, mais leurs demandes ont été rejetées. Le Président du tribunal a certes cité à comparaître deux des agents de la force publique en question et leur a demandé s’ils avaient eu recours à la torture pendant l’enquête; après avoir répondu «non», ceux‑ci ont été autorisés à quitter l’audience. Selon les auteurs, l’État partie n’a pas non plus fait procéder à une enquête dans le contexte de la présente communication.

5.3Concernant l’allégation de violation de l’article 14, les auteurs réaffirment que le procès de leur fils n’a pas satisfait aux critères d’un procès équitable. Ils affirment que le Président du tribunal a conduit la procédure d’une manière partiale et tendancieuse, a lu le réquisitoire lui‑même et interrogé certains témoins; il n’a pas «insisté pour qu’un procureur soit présent» pendant toute la durée du procès, et seules 15 sur 20 audiences au total se sont déroulées en présence d’un procureur; le procureur était absent à l’ouverture du procès. Les auteurs affirment que le Président n’a résolu aucune des contradictions qui sont apparues au cours de l’examen des chefs d’accusation, et a finalement imposé la peine capitale alors que le procureur avait requis une peine de 20 ans de prison pour Bazarov.

5.4Les auteurs rappellent que le principal argument invoqué dans la présente communication est que la présomption d’innocence n’a pas été respectée dans le cas de leur fils et qu’il a été condamné à mort sur la base de témoignages «douteux» et d’aveux obtenus sous la torture, et sur la base d’«éléments de preuve hautement contestables». Ils affirment que le tribunal n’a pas fait une appréciation correcte des déclarations à décharge de son fils et a «sans hésitation» rejeté son alibi. Ils ajoutent que l’État partie n’a pas fourni de réponse détaillée sur ces points.

5.5En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 6 du Pacte, les auteurs réaffirment que le droit à la vie a été violé parce que leur fils a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable.

5.6Enfin, les auteurs déclarent ignorer où se trouve leur fils, et affirment que les autorités n’ont répondu à aucune des demandes qu’ils ont faites à ce sujet. Les seules informations qu’ils ont reçues leur seraient parvenues en septembre 2002 par des «voies officieuses», les assurant qu’il était en vie. Les auteurs affirment que le secret concernant l’endroit où se trouve leur fils cause une souffrance insupportable à toute la famille, et qu’ils vivent quotidiennement dans un climat d’incertitude et de souffrance morale.

Complément d’information émanant de l’État partie

6.1L’État partie a présenté de nouvelles observations le 26 janvier 2004. Il réitère ses observations précédentes et affirme que la communication peut être considérée comme dénuée de fondement. Il affirme que les allégations de violation de l’article 7 formulées par l’auteur ne sont pas étayées. Contrairement à ce qui est indiqué dans la communication, la Cour suprême d’Ouzbékistan déclare sans équivoque que, selon les minutes du procès, ni la victime présumée ni ses coïnculpés ou ses avocats n’ont demandé au Président de charger une commission médicale d’examiner les allégations de torture ou de mauvais traitements. D’ailleurs, selon l’État partie, les «procédures de garantie internes» des organismes chargés de l’application des lois n’avaient fait apparaître aucune faute commise pendant la détention avant jugement de M. Bazarov.

6.2Selon l’État partie, les allégations formulées au titre de l’article 14 sont également sans fondement. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs, les comptes rendus d’audience montrent que le procès a commencé le 12 avril 1999, en présence d’un procureur, des avocats de la défense, d’un interprète, de tous les inculpés et des victimes. Selon l’État partie, le procès s’est déroulé de manière continue, un procureur, les avocats et les inculpés étant présents à tout moment, et tous les interrogatoires se sont déroulés «en présence du procureur, des avocats et des inculpés».

6.3Enfin, l’État partie indique que, selon les autorités compétentes, la condamnation à mort de Bazarov a été exécutée le 20 juillet 2000, c’est‑à‑dire avant l’enregistrement de la communication par le Comité et avant la demande de mesures provisoires qu’il a formulée en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le 5 décembre 2000.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont par conséquent remplies.

7.3Le Comité a noté l’allégation formulée par les auteurs au titre des articles 7 et 10, à savoir que leur fils a subi des tortures pendant l’enquête préliminaire et que les plaintes qu’il a formulées à cet égard ont été écartées par le tribunal. L’État partie objecte que ni le fils des auteurs ni ses coïnculpés ou ses avocats n’ont à aucun moment demandé au tribunal de faire procéder à un examen médical à ce sujet, tandis que les «procédures de garantie internes» des organismes chargés de l’application de la loi n’avaient révélé aucune faute commise pendant la détention avant jugement. Le Comité note que les éléments d’information dont il est saisi, en particulier les recours formés par la victime présumée et son avocat contre le jugement du 11 juin 1999 du tribunal régional de Samarcande, ne contiennent aucune information sur les mauvais traitements ou les tortures qu’aurait subis M. Bazarov. En outre, aucune explication n’a été fournie par les auteurs sur le point de savoir si la victime présumée, ses proches ou son avocat se sont plaints des actes en question pendant l’enquête préliminaire. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ce grief particulier, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité a en outre noté que les auteurs se bornent à affirmer que les droits reconnus à leur fils en vertu des articles 11 et 15 du Pacte ont été violés. En l’absence de tout élément d’information à ce sujet, le Comité décide que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur allégation aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité considère que les autres plaintes formulées dans la communication à l’examen, qui soulèvent des questions au titre de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6 du Pacte, à l’égard de la victime présumée, et de l’article 7 du Pacte, à l’égard des auteurs, sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Les auteurs ont affirmé que leur fils n’avait pas pu obtenir que la décision de le placer en détention avant jugement soit examinée par un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, parce que le droit ouzbek ne prévoit pas cette possibilité. L’État partie n’a pas réfuté cette allégation. Le Comité observe que le droit de l’État partie relatif à la procédure pénale prévoit que les décisions d’arrêter et de mettre en détention avant jugement sont approuvées par un procureur, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant un procureur d’un rang supérieur seulement, et ne peuvent être attaquées en justice. Il note que le fils des auteurs a été arrêté le 14 juin 1998, mis en détention avant jugement le 18 juin 1998, et que la légalité de sa détention n’a fait l’objet d’aucun contrôle juridictionnel ultérieur jusqu’à ce qu’il soit traduit devant un tribunal, le 12 avril 1999. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 9 a pour objet de garantir que la mise en détention d’une personne inculpée d’une infraction pénale soit soumise à un contrôle juridictionnel et qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire qu’il soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le Procureur général puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour pouvoir être qualifié d’«autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut par conséquent qu’il y a eu violation de cette disposition.

8.3Le Comité a pris note des allégations des auteurs qui disent que les coïnculpés de leur fils ont été roués de coups et torturés pendant l’enquête au point qu’ils ont fait un faux témoignage contre lui et que ce témoignage a été le fondement de sa condamnation. Le Comité relève qu’il ressort des pièces portées à sa connaissance que le fils des auteurs et son avocat ont déclaré au tribunal que les coïnculpés présentaient des marques de torture et que leur témoignage avait été obtenu sous la torture et que le Président du tribunal avait cité à comparaître deux agents des enquêteurs en cause et leur avait demandé s’ils avaient employé des méthodes d’interrogatoire illicites, ce à quoi les intéressés avaient répondu par la négative et avaient donc été autorisés à quitter l’audience. L’État partie a simplement répondu que ni les coïnculpés du fils des auteurs ni ses avocats n’avaient demandé au tribunal de faire procéder à un examen médical à ce sujet et que les «procédures de garantie internes», de nature non précisée, des organismes chargés de faire appliquer la loi n’avaient révélé aucune faute commise pendant la détention avant jugement. À ce sujet le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune preuve documentaire relative à une enquête menée dans le contexte du procès ou dans le contexte de la présente communication. Il rappelle que la charge de la preuve (concernant le recours à la torture) ne peut pas incomber exclusivement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que les auteurs de communication et les États parties n’ont pas toujours accès sur un pied d’égalité aux éléments de preuve et que bien souvent seul l’État partie a accès a des éléments d’information utiles. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie a l’obligation d’enquêter de bonne foi sur toute allégation de violation du Pacte portée contre lui et contre ses autorités. Dans ces circonstances, le Comité estime qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, étant donné que l’État partie n’a pas réfuté l’allégation des auteurs qui affirment que les coïnculpés de leur fils ont subi des tortures visant à leur arracher une fausse déclaration l’incriminant. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.4Ayant conclu ce qui précède, et eu égard à sa jurisprudence constante à l’effet que l’exécution d’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les garanties d’une procédure équitable n’ont pas été respectées constitue aussi une violation de l’article 6 du Pacte, le Comité conclut que les droits de la victime présumée consacrés dans ces dispositions ont également été violés.

8.5Le Comité a pris note du grief des auteurs selon lequel les autorités, pendant longtemps, ne les ont pas informés de la situation de leur fils et selon lequel ils ont appris son exécution longtemps après sa mort. Il note que la législation de l’État partie ne permet pas à la famille d’un condamné à mort d’être informée ni de la date de l’exécution ni du lieu d’inhumation du prisonnier exécuté. Le Comité comprend l’angoisse et la souffrance morale dans lesquelles vivent en permanence les auteurs, en tant que mère et père d’un prisonnier condamné, qui sont laissés dans l’incertitude quant aux circonstances ayant abouti à son exécution et ignorent le lieu où il a été enseveli. Il rappelle que le secret qui entoure la date de l’exécution et le lieu de l’inhumation ainsi que le refus de restituer le corps pour qu’il soit enseveli ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de détresse morale. Le Comité considère que le fait que les autorités n’aient tout d’abord pas informé les auteurs de l’exécution de leur fils puis ne les aient pas informés du lieu de l’inhumation constitue un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Nayimizhon Bazarov au titre du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6, et des droits de ses parents, M. et Mme Bazarov, au titre de l’article 7.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs de la communication un recours utile, y compris de les informer du lieu où leur fils a été inhumé et de leur accorder une réparation effective pour l’angoisse subie. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte, et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

H. Communication n o  985/2001, Aliboev c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 18 octobre 2005, à la quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Mme Kholinisso Aliboeva (non représentée par un conseil)

Au nom de:

M. Valichon Aliboev (mari de l’auteur, décédé)

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

10 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable et utilisation de la torture pendant l’enquête préliminaire − Absence de représentant légal − Portée du réexamen d’une décision de la Cour suprême rendue en première instance

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à la vie, droit à un procès équitable − Interdiction de la torture − Droit de la personne condamnée de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi

Articles du Pacte: 6, 7 et 14 (par. 1 , 3 d) et g) et 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 985/2001 présentée au nom de M. Valichon Aliboev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Kholinisso Aliboeva, ressortissante ouzbèke résidant au Tadjikistan, qui présente la communication au nom de son mari, Valichon Aliboev, lui aussi ouzbek, né en 1955, et qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d’exécution à Douchanbé après avoir été condamné à mort par la Cour suprême du Tadjikistan le 24 novembre 2000. L’auteur déclare que son mari est victime de violations par le Tadjikistan des droits qu’il tient des articles 2, paragraphe 3 a); 6, paragraphes 1 et 2; 7 et 14, paragraphes 1, 3 g) et f) et 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble aussi soulever des questions au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 en ce qui concerne le mari de l’auteur, et de l’article 7 en ce qui la concerne (notification de l’exécution de son mari) bien que cette disposition ne soit pas invoquée expressément. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 11 juillet 2001, conformément à l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’exécution de M. Aliboev tant que sa communication serait à l’examen devant le Comité. Aucune réponse n’a été reçue de l’État partie. Dans une lettre du 30 octobre 2001, l’auteur a informé le Comité qu’en septembre 2001, elle avait reçu un certificat de décès attestant que son mari avait été exécuté le 7 juillet 2001 (soit avant que le Comité ne reçoive la communication).

Exposé des faits

2.1M. Aliboev est arrivé au Tadjikistan en 1999 afin de chercher du travail pour échapper aux mauvaises conditions de vie dans la vallée de Ferghana (Ouzbékistan). À Douchanbé, il a fait la connaissance d’un certain Mulloakhed qui l’a invité à rejoindre son gang, ce qu’il a accepté. L’auteur dit que son mari n’était pas présent au moment où le gang s’est constitué et qu’il n’était pas au courant de ses antécédents criminels.

2.2En mars 2000, M. Aliboev, avec d’autres membres du gang, a pris en otage un jeune garçon de 15 ans (U.) et a demandé à son père de verser une rançon. Pendant la prise d’otage, Aliboev aurait juste fait le guet à l’entrée, et U. aurait été emmené ensuite dans son appartement. Aliboev aurait surveillé l’otage et lui aurait donné à manger et à boire.

2.3Le père du jeune garçon aurait refusé de verser la rançon. Un membre du gang aurait alors donné à Aliboev l’ordre de faire une piqûre anesthésique à l’otage, après quoi on lui aurait coupé un doigt. Une photographie a été envoyée au père de l’otage, avec le doigt sectionné, et la rançon a été versée.

2.4Le 11 mai 2000, M. Aliboev a été arrêté par des membres du Département de la lutte contre le crime organisé du Ministère de l’intérieur. Selon l’auteur, il est resté «au secret» jusqu’au 18 mai 2000, jour où sa sœur Salima a été autorisée à lui rendre visite. Elle l’aurait trouvé dans un état lamentable − il avait des ecchymoses, le visage tuméfié à cause des coups qui lui avaient été assénés et portant des marques de torture. Aliboev aurait été frappé sans arrêt depuis son arrestation et soumis à la torture pour l’obliger à se reconnaître coupable; certains de ses organes vitaux étaient atteints de lésions graves. Une vingtaine de jours après son arrestation (aucune date n’est précisée) il a été transféré dans un centre de détention pour enquête (SIZO), souffrant de douleurs aux reins et à l’estomac. L’auteur ajoute que l’avocat de son mari n’a été désigné qu’après son inculpation (la date exacte n’est pas indiquée).

2.5Le 24 novembre 2000, le gang a été déclaré coupable de 15 actes criminels (11 vols à main armée, 1 meurtre et 1 tentative de meurtre et 3 prises d’otages) par la Cour suprême du Tadjikistan. L’auteur souligne que, bien qu’il n’ait participé qu’à l’un des crimes imputés au gang, son mari a été condamné à la peine maximale, alors que des membres «actifs» du gang qui avaient participé à plusieurs des crimes ont eu la même peine ou ont été condamnés à un emprisonnement.

2.6L’auteur dit que la sentence prononcée par la Cour suprême le 24 novembre 2000 était immédiatement exécutoire, et que la loi tadjike ne permet pas de faire appel de telles condamnations. Son mari a demandé au Procureur général et au Président de la Cour suprême de présenter une requête selon la procédure de contrôle mais sa demande a été rejetée.

2.7Selon l’auteur, son mari ne s’est vu proposer les services d’un interprète ni au cours de l’enquête ni au cours du procès, alors qu’il était ouzbek, qu’il avait fait sa scolarité en russe, et qu’il ne connaissait que des rudiments de tadjik. Il ne pouvait donc pas comprendre l’essence des chefs d’accusation qui pesaient sur lui ni les dépositions des témoins et des victimes. L’auteur affirme que son mari n’a pas sollicité les services d’un interprète pendant l’enquête en raison de la partialité de l’enquêteur et de la torture à laquelle il avait été soumis et qu’au procès personne ne lui a jamais demandé s’il avait besoin d’un interprète.

2.8Dans sa lettre au Comité datée du 30 octobre 2001, l’auteur explique que l’avocat de son mari a été informé en août 2001 par la Cour suprême du Tadjikistan de l’exécution de M. Aliboev. En septembre 2001 (la date précise n’est pas indiquée), l’auteur a reçu une notification officielle et un certificat de décès attestant que son mari avait été exécuté par le peloton d’exécution le 7 juillet 2001. Elle dit que, bien que les institutions de l’État aient été au courant de l’exécution, quand elle a fait des démarches auprès de ces institutions en faveur de son mari entre juillet et septembre 2001, personne ne l’en a informée et que tout le monde lui a «promis de l’aider». Elle invite le Comité à rester saisi de la communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la peine prononcée à l’encontre de son mari était inéquitable et disproportionnée par rapport aux actes pour lesquels il a été condamné, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2Elle fait valoir aussi que son mari a été victime de violations des droits consacrés aux articles 7 et 14, paragraphe 3 g) du Pacte, parce qu’il a été frappé et torturé après son arrestation pour l’obliger à avouer, et que le tribunal a retenu ses aveux contre lui.

3.3L’auteur dit que le paragraphe 3 f) de l’article 14 du Pacte a été violé, du fait que les services d’un interprète n’ont pas été proposés.

3.4Elle dit aussi qu’il y a eu violation du droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur n’invoque pas expressément le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte mais le grief tiré du fait que l’assistance d’un avocat n’a été assurée qu’après que son mari a eu connaissance des charges retenues contre lui peut soulever des questions au regard de cette disposition.

3.6L’auteur allègue que son mari a été arbitrairement exécuté à l’issue d’un procès inéquitable, contrairement aux dispositions des articles 6 et 14 du Pacte.

3.7Enfin, même si l’auteur n’a pas expressément évoqué la question, la communication semble aussi soulever des questions au titre de l’article 7 pour ce qui la concerne, du fait que les autorités ne l’ont pas informée à l’avance de la date de l’exécution de son mari ni, par la suite, de l’endroit où il avait été inhumé.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Par des notes verbales du 11 juillet 2001, du 5 novembre 2001, du 19 décembre 2002 et du 10 novembre 2004, l’État partie a été prié de présenter au Comité des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu ces informations. Il regrette que l’État partie ne lui ait adressé aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Au sujet du grief de violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, du fait de l’absence d’interprétation pendant l’enquête et pendant le procès, le Comité a noté que l’auteur n’avait pas indiqué les mesures éventuelles prises par son mari pour soumettre ce grief aux autorités compétentes et au tribunal, ni le résultat obtenu. Le Comité considère que, pour ce qui est de cette allégation particulière, les recours internes n’ont pas été épuisés. Il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité a également pris note de l’allégation de l’auteur qui fait valoir que la peine prononcée était inéquitable et disproportionnée, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Bien que l’État partie n’ait pas donné de réponse, le Comité note que cette allégation concerne l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que l’appréciation des éléments de preuve ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation à ce sujet. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité considère que les autres allégations de l’auteur ont été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité, dans la mesure où elles semblent soulever des questions au titre des articles 6, 7 et 14, paragraphes 3 d) et g) et 5, du Pacte, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations que lui ont fournies les parties, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur qui affirme qu’après son arrestation, le 11 mai 2000, son mari a été frappé et torturé par les enquêteurs. Pour étayer son allégation, elle dit que la sœur de M. Aliboev l’avait vu le 18 mai 2000, et que son corps portait des marques de coups et de torture. L’État partie n’ayant donné aucune information, il y a lieu d’accorder le crédit voulu à l’allégation dûment étayée de l’auteur. Le Comité considère en conséquence que les faits dont il est saisi l’autorisent à conclure que M. Aliboev a été soumis à des mauvais traitements, en violation de l’article 7 du Pacte.

6.3Sachant que les actes mentionnés ci‑dessus ont été infligés par les enquêteurs pour obliger M. Aliboev à s’avouer coupable de plusieurs crimes, le Comité considère que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son mari n’a pas bénéficié des services d’un avocat pendant la période qui a précédé son inculpation − période pendant laquelle il a été frappé et soumis à la torture − et relève que l’État partie n’a pas réfuté cette allégation. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que, en particulier dans des affaires où l’inculpé risque la peine capitale, il va de soi que ce dernier doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure. Dans la présente affaire, le mari de l’auteur a été accusé de plusieurs infractions passibles de la peine capitale sans disposer de moyens légaux de défense pendant l’enquête préliminaire. Les éléments dont dispose le Comité ne permettent pas de dire si l’auteur ou son mari a demandé ou non à bénéficier des services d’un avocat ou sollicité les services d’un avocat privé. Toutefois, l’État partie n’a pas donné d’explications sur la question. En conséquence, le Comité est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du droit garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

6.5L’auteur a allégué par ailleurs que le droit de faire examiner la condamnation à mort par une juridiction supérieure conformément à la loi a été violé. Il ressort des documents dont le Comité est saisi que, le 24 novembre 2000, M. Aliboev a été condamné à mort par la Cour suprême statuant en premier ressort. Le texte de l’arrêt précise qu’il s’agit d’un jugement définitif qui ne peut faire l’objet d’aucun autre recours. Le Comité rappelle que, si les États parties n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner quant au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Faute d’explication de l’État partie à cet égard, le Comité est d’avis que l’absence de possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure des jugements rendus par la Cour suprême en première instance ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 et qu’il y a donc eu violation de cette disposition.

6.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 6 du Pacte formulé par l’auteur, le Comité rappelle que la condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation dudit article. En l’espèce, la condamnation à mort du mari de l’auteur a été prononcée et exécutée en violation du droit à un procès équitable, consacré à l’article 14 du Pacte et, partant, également en violation du paragraphe 2 de l’article 6.

6.7Le Comité a pris note du grief de l’auteur qui se plaint de ce que les autorités ne l’ont pas informée de l’exécution de son mari, et qu’elles ont continué de prendre acte de ses démarches en sa faveur après l’exécution. Le Comité note que la loi en vigueur à l’époque ne permettait pas à la famille d’un condamné à mort d’être informée de la date de son exécution ni de l’emplacement de sa tombe. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont l’auteur, femme d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ne sait toujours pas dans quelles circonstances a été exécuté son mari ni où il est enterré. Il rappelle que le secret total entourant la date de l’exécution et le lieu de l’ensevelissement ainsi que le refus de remettre le corps pour qu’il soit inhumé ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités ne l’aient pas immédiatement avisé de l’exécution de son mari constitue à l’égard de l’auteur un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 6, de l’article 7 et des paragraphes 1, 3 d) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte, dans le cas de M. Aliboev, ainsi qu’une violation de l’article 7, dans le cas de l’auteur.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

I. Communication n o  992/2001, Bousroual c.Algérie(Constatations adoptées le 30 mars 2006, à la quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Louisa Bousroual (représentée par un conseil)

Au nom de:

Salah Saker

État partie:

Algérie

Date de la communication:

9 février 2000 (date de la lettre initiale, reçue par le secrétariat le 20 octobre 2000

Objet: Disparition, détention au secret, jugement par contumace

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit d’être traduit rapidement devant un juge; droit à un conseil; droit à la vie; interdiction des peines et traitements cruels, inhumains et dégradants; procès par contumace à l’issue duquel une condamnation à mort a été prononcée

Articles du Pacte: 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1, 3 et 4), 10 (par. 1) et 14 (par. 3)

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 992/2001 présentée au nom de Louisa Bousroual, conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 9 février 2000, est Mme Louisa Bousroual, ressortissante algérienne résidant à Constantine (Algérie). Elle présente la communication au nom de son mari, M. Salah Saker, de nationalité algérienne, né le 10 janvier 1957 à Constantine, qui est porté disparu depuis le 29 mai 1994. L’auteur affirme que son mari est victime de violations par l’Algérie des articles 2, paragraphe 3, 6, paragraphe 1, 9, paragraphes 1, 3 et 4, 10, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Elle est représentée par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1M. Saker, enseignant, a été arrêté sans mandat à son domicile le 29 mai 1994 à 18 h 45, dans le cadre d’une opération de police menée par des agents de la Wilaya de Constantine (division administrative de la ville de Constantine). Au moment de son arrestation, M. Saker était membre du Front islamiste de salut, parti politique interdit pour lequel il avait été élu lors des élections législatives annulées de 1991.

2.2En juillet 1994, l’auteur a écrit au Procureur de la République, et a demandé à être informée des raisons de l’arrestation et du maintien en détention de son mari. Au moment de l’arrestation de ce dernier, la durée de la détention avant jugement autorisée par la loi algérienne était de 12 jours au maximum pour les personnes suspectées des délits les plus graves prévus par le Code pénal algérien, en l’occurrence les actes terroristes et les actes de subversion. En outre, la loi prescrivait que le fonctionnaire de police chargé de l’interrogatoire du suspect devait autoriser celui-ci à communiquer avec sa famille.

2.3L’auteur n’a pas reçu de réponse satisfaisante du Procureur de la République. Le 29 octobre 1994, elle a écrit au Président de la République, au Ministre de la justice, au Ministre de l’intérieur, au délégué à la sécurité auprès du Président de la République et au chef de la circonscription militaire no 5.

2.4Comme aucune de ces personnes ne lui a répondu, l’auteur a déposé plainte au Procureur de la République du tribunal de Constantine, le 20 janvier 1996, contre les services de sécurité de Constantine, pour arrestation et détention arbitraires de M. Saker. Elle a demandé que les personnes responsables soient traduites en justice, conformément au paragraphe 2 de l’article 113 du Code de procédure pénale. Par lettre du 25 janvier 1996, l’auteur a alerté le Médiateur de la République. Elle a également demandé des informations sur le sort de son mari au Directeur général de la sécurité nationale, le 28 janvier 1996.

2.5Comme aucune de ces instances ne lui a répondu, l’auteur a écrit au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme le 27 septembre 1996 pour l’informer des difficultés qu’elle avait à obtenir des informations sur le sort de son mari. Dans cette lettre, elle demandait également une aide et une assistance juridiques.

2.6Le 27 février 1997, l’auteur a reçu une lettre du Service de la police judiciaire de la sûreté de la Wilaya de Constantine lui transmettant le texte de la décision no 16536/96 du Procureur de la République du tribunal de Constantine en date du 4 septembre 1996. Cette décision fait référence à la plainte déposée par l’auteur un an plus tôt; l’auteur était informée que son mari était recherché, qu’il avait été arrêté par la police judiciaire de la sûreté de la Wilaya de Constantine, puis transféré au Centre territorial de recherches et d’investigation de la cinquième région militaire (le Centre territorial), le 3 juillet 1994, conformément à l’ordre de transfert no 848 en date du 10 juillet 1994. L’auteur souligne que la décision n’indique pas les raisons de l’arrestation de son mari et ne précise pas les dispositions qui ont été prises, le cas échéant, suite à sa plainte du 20 janvier 1996, par exemple pour enquêter sur les agissements du Centre territorial.

2.7Le 10 décembre 1998, l’Observatoire national des droits de l’homme a informé l’auteur que, d’après les informations reçues des services de sécurité, M. Saker avait été enlevé par un groupe armé non identifié alors qu’il était en détention au Centre territorial, et que les autorités ne disposaient d’aucune autre information sur son sort. La lettre de l’Observatoire ne donne pas d’indications plus précises sur les motifs de l’arrestation et de la détention du mari de l’auteur, pour qui cette lettre signifie que son mari est mort.

2.8Finalement, l’auteur déclare, d’une part, ne pas avoir été informée ni du sort de son mari ni du lieu où il se trouvait et, d’autre part, que celui-ci a subi une détention prolongée au secret, allégations pouvant soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que M. Saker est victime d’une violation des articles 2, paragraphe 3, 6, paragraphe 1, 9, paragraphes 1, 3 et 4, 10, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3, du Pacte du fait que, selon elle, M. Saker a été arrêté et mis en détention arbitrairement et que les autorités algériennes n’ont pas mené d’enquête approfondie et diligente, ni engagé de poursuites, en dépit des demandes répétées de l’auteur. Le mari de l’auteur n’a pas été traduit rapidement devant un juge et n’a pas pu communiquer avec sa famille. Il n’a pas pu non plus exercer les droits reconnus en cas de détention (en particulier accès à un avocat, droit d’être informé rapidement des raisons de son arrestation et droit d’être jugé sans retard excessif). L’auteur se plaint également de ce que les autorités ont manqué à leur obligation de protéger le droit de M. Saker à la vie.

3.2L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes: devant les autorités judiciaires, devant les instances administratives indépendantes chargées des droits de l’homme (le Médiateur et l’Observatoire national des droits de l’homme) et devant les plus hautes autorités de l’État. Elle fait valoir qu’il n’a pas été accédé à sa demande pour qu’une enquête soit menée sur l’arrestation, la détention et la disparition de son mari. Elle estime que, manifestement, les recours judiciaires qu’elle a engagés ne peuvent pas être exercés ou sont inopérants car, à sa connaissance, aucune mesure n’a été prise à l’égard des services de sécurité (la police aussi bien que le Centre territorial) responsables, selon elle, de l’arrestation et de la disparition de son mari. L’auteur affirme que les réponses et informations incomplètes qu’elle a reçues des autorités visent à retarder encore davantage la procédure judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Par une note verbale du 31 janvier 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Parmi les diverses instances saisies par l’auteur, seul le Procureur de la République du tribunal de Constantine peut ouvrir une enquête préliminaire et renvoyer l’affaire à l’autorité judiciaire compétente, en l’occurrence le juge d’instruction. L’auteur n’a donc épuisé que l’un des trois recours prévus par la loi algérienne en pareil cas.

4.2L’auteur pouvait directement porter l’affaire devant le juge d’instruction du tribunal de Constantine si le Procureur de la République décidait de ne pas agir (ce dernier étant libre de décider de donner suite ou non à toute affaire dont il est saisi). Cette saisine directe, prévue dans les articles 72 et 73 du Code de procédure pénale, aurait déclenché l’ouverture d’une action publique. De plus, toute décision du juge d’instruction en application de ces articles est susceptible de recours devant la chambre d’accusation.

4.3En outre, l’auteur aurait pu engager une action de contentieux relatif à la responsabilité civile de l’État, qui autorise les victimes, indépendamment de toute décision prise dans le cadre de l’action pénale, à soumettre une affaire aux autorités administratives compétentes et à obtenir des dommages et intérêts. L’État partie en conclut que les recours internes les plus évidents n’ont pas été épuisés; ces recours, fréquemment utilisés, produisent des résultats satisfaisants.

4.4Accessoirement, l’État partie donne quelques éléments d’information sur le fond de l’affaire. M. Saker a été arrêté en juin 1994 par la police judiciaire de la Wilaya de Constantine, parce qu’il était suspecté d’appartenir à un groupe terroriste auteur de plusieurs attentats commis dans la région. Après l’avoir entendu, comme son appartenance à un groupe terroriste n’avait pas pu être confirmée, la police judiciaire a levé la garde à vue de l’intéressé et l’a transféré à la section militaire de la police judiciaire pour plus amples interrogatoires. M. Saker a été libéré par la section militaire de la police judiciaire au bout d’une journée. Il est recherché en relation avec un mandat d’arrestation décerné par le juge d’instruction de Constantine, dans le cadre d’une enquête visant 23 personnes, dont M. Saker, qui toutes appartiendraient à un groupe terroriste. Ce mandat d’arrestation demeure valable aussi longtemps que M. Saker est en fuite. Un jugement par contumace a été rendu contre lui et ses coaccusés le 29 juillet 1995 par la chambre criminelle du tribunal de Constantine.

5.1Par lettre du 22 avril 2002, le conseil fait valoir que l’obligation d’épuisement des recours internes a été satisfaite.

5.2Suite à la demande introduite par l’auteur le 20 janvier 1996, l’auteur a été convoquée le 20 mars 1999 par le juge d’instruction de la troisième chambre du tribunal de Constantine. Au cours de son audition avec le juge, elle a été informée que l’affaire de la disparition de son mari avait été enregistrée (dossier no 32/134) et qu’une enquête était en cours. Le juge lui a ensuite posé des questions sur les circonstances de l’arrestation de M. Saker. Depuis ce jour, l’action publique est toujours en instance. D’après l’auteur, l’ouverture de cette enquête l’empêche de recourir à la procédure qui a été mentionnée par l’État partie et qui est prévue aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale.

5.3De plus, l’auteur n’a pas la possibilité d’intenter une action de contentieux relatif à la responsabilité civile de l’État partie tant que le juge pénal ne se sera pas prononcé sur la plainte visant les services de sécurité de la Wilaya de Constantine, car, d’après le Code de procédure pénale, les actions civiles restent en suspens tant qu’une décision n’a pas été rendue dans le cadre de l’action publique. En tout état de cause, l’auteur estime que le renvoi à un organe administratif d’une affaire principalement de caractère pénal (impliquant en l’occurrence des agissements réprimés par l’article 113, par. 2, du Code de procédure pénale), est inapproprié.

5.4Certaines des autres instances auxquelles l’auteur a fait appel disposent de pouvoirs judiciaires, notamment le Ministre de la justice qui peut demander au Procureur de la République d’engager des poursuites ou de faire engager des poursuites par l’autorité compétente; d’autres instances ont pour mandat d’enquêter et d’établir la vérité. Tel est notamment le cas du Médiateur et de l’Observatoire national des droits de l’homme. Comme aucune de ces instances n’a répondu, l’auteur considère que les recours internes n’ont été ni suffisants ni utiles. L’auteur rappelle qu’elle a attendu 19 mois après son audition avec le juge d’instruction avant d’obtenir la moindre information suite à la demande déposée près de cinq ans auparavant.

5.5L’auteur estime que certains des éléments présentés par l’État partie confirment le caractère arbitraire de la détention de M. Saker et l’illégalité du mandat d’arrestation dont il a fait l’objet. Sa condamnation a été prononcée en secret (aucun membre de sa famille n’a été informé du procès ni du jugement du tribunal), le 29 juillet 1995, par le tribunal de Constantine. En outre, l’État partie n’a indiqué ni la date, ni l’heure, ni le lieu de la prétendue remise en liberté de M. Saker.

5.6L’auteur souligne que la question des disparitions et des détentions prolongées au secret en Algérie est un sujet qui préoccupe vivement les défenseurs des droits de l’homme. L’auteur se réfère également aux observations finales formulées par le Comité concernant l’Algérie à l’occasion de l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie. Le Comité avait exhorté l’État partie à faire en sorte que des mécanismes indépendants soient créés pour examiner toutes les violations du droit à la vie et à la sécurité des personnes, et que les contrevenants soient traduits en justice. L’auteur affirme qu’aucun mécanisme de cette nature n’a été créé et que les contrevenants jouissent d’une totale impunité.

Observations supplémentaires de l’État partie et commentaires de l’auteur

6.Le 17 novembre 2003, l’État partie a réaffirmé que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes et a fourni au Comité des renseignements supplémentaires sur le fond. M. Saker a été appréhendé le 12 juin 1994 par la police pour être interrogé. Après une garde à vue de trois jours, il a été transféré à la section militaire de la police judiciaire, pour plus amples interrogatoires, le 15 juin 1994. M. Saker a été libéré dès les interrogatoires terminés. Enfin, le jugement prononcé par contumace le 29 juillet 1995 a condamné M. Saker à la peine capitale.

7.Par lettre du 5 février 2004, l’auteur réfute la version des faits de l’État partie et maintient sa propre version. L’auteur souligne également que dans sa lettre datée du 26 février 1997, l’officier de police judiciaire, Salim Abdenour, a confirmé la date à laquelle M. Saker avait été transféré au Centre territorial pour plus amples interrogatoires. L’auteur explique que la lettre n’indique pas la date de l’arrestation, car cela aurait clairement démontré que la durée de la détention (33 jours) dépassait la durée légale maximum (12 jours).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Le Comité note également que l’État partie maintient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Sur ce point, le Comité relève que l’auteur affirme que sa plainte introduite le 20 janvier 1996 est toujours en instance et que cela l’exonère d’avoir épuisé les recours à la partie civile mentionnés par l’État partie. Le Comité estime que l’application des recours internes a été indûment prolongée s’agissant de la plainte déposée le 20 janvier 1996. Il n’a pas été démontré par l’État partie que les autres recours dont il fait mention sont ou seraient utiles, compte tenu du caractère particulièrement grave de l’allégation et du fait que l’auteur a tenté à maintes reprises de faire la lumière sur le sort de son mari. Le Comité estime par conséquent que l’auteur a épuisé tous les recours internes en conformité avec le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4S’agissant de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 14, le Comité estime que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment fondées aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne la question des plaintes invoquant le paragraphe 3 de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7, 9 et 10, le Comité estime que ces allégations sont suffisamment fondées. Le Comité conclut donc que la communication est recevable en vertu du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, et des articles 7, 9 et 10 du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité rappelle la définition de la notion de disparition forcée figurant à l’alinéa i du paragraphe 2 de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: par «disparitions forcées de personnes», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. 10). Il viole en outre le droit à la vie ou le met gravement en danger (art. 6).

9.3L’auteur soutient que son mari a disparu. En ce qui concerne cette allégation, le Comité note que l’auteur et l’État partie ont donné une version différente des faits, des dates et de l’issue des événements. Tandis que l’auteur soutient que son mari a été arrêté sans mandat le 29 mai 1994 et que, d’après une lettre de la police judiciaire (mentionnant la décision no 16536/96 du Procureur de la République du tribunal de Constantine), l’intéressé aurait été transféré au Centre territorial le 3 juillet 1994, l’État partie affirme que M. Saker a été arrêté le 12 juin 1994, transféré à la section militaire de la police judiciaire le 15 juin 1994 et relâché quelque temps plus tard. Le Comité rappelle également que, d’après l’Observatoire national des droits de l’homme, le mari de l’auteur a été «enlevé» par un groupe militaire non identifié, d’après les informations reçues des services de sécurité. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l’auteur et n’a pas fourni d’éléments probants tels que mandats d’arrestation, documents attestant la remise en liberté, pièces relatives à l’interrogatoire ou à la détention.

9.4Selon la jurisprudence constante du Comité, la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, en particulier si l’on considère que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours les mêmes possibilités d’accès aux éléments de preuve et que bien souvent l’État partie est seul à détenir l’information pertinente. Il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité l’information qu’il détient. Quand les allégations sont étayées par les éléments de preuve fournis par l’auteur et que plus ample élucidation de l’affaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en fournissant des preuves et des explications satisfaisantes.

9.5Concernant l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, les éléments de preuve dont dispose le Comité font apparaître que M. Saker a été enlevé à son domicile par des agents de l’État. L’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fait que son mari avait été arrêté sans mandat. Il n’a pas pu fournir les fondements juridiques justifiant le transfert de son mari sous garde militaire. Il n’a pas pu prouver son assertion selon laquelle il avait été ultérieurement libéré, et encore moins qu’il avait été libéré dans des conditions de sécurité. Compte tenu de toutes ces considérations, le Comité conclut que la détention était dans l’ensemble arbitraire, et que l’État partie n’a pas non plus fourni de preuve que la détention de M. Saker n’était ni arbitraire ni illégale. Le Comité conclut, au vu de ces éléments, qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9.

9.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité rappelle que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que le délai ne doit pas dépasser quelques jours, et qu’en elle-même la détention au secret peut constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel son mari a été détenu au secret pendant 33 jours par la police judiciaire avant d’être transféré au Centre territorial le 3 juillet 1994, sans possibilité de communiquer avec un avocat pendant cette période. Il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

9.7Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité rappelle que le mari de l’auteur n’a pas eu la possibilité de communiquer avec un conseil pendant sa détention au secret, ce qui l’a empêché de contester la légalité de sa détention pendant cette période. En l’absence de toute information pertinente sur ce point de la part de l’État partie, le Comité estime que le droit de M. Saker d’obtenir qu’un tribunal statue sur la légalité de sa détention (art. 9, par. 4) a également été violé.

9.8Le Comité note que, bien que cela ne soit pas expressément invoqué par l’auteur, la communication semble soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne l’auteur et son mari. Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’entraîne le fait d’être détenu indéfiniment, privé de tout contact avec le monde extérieur. Dans ce contexte, le Comité rappelle son Observation générale no 20 (44) sur l’article 7 du Pacte, dans laquelle il recommande aux États parties de prévoir des dispositions interdisant la détention au secret. Dans le cas d’espèce, le Comité conclut que la disparition du mari de l’auteur et le fait qu’il a été empêché de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse dans lesquelles se trouve l’auteur à cause de la disparition de son mari et de l’incertitude qui continue de peser sur le sort de celui-ci. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne le mari de l’auteur aussi bien que l’auteur elle-même.

9.9À la lumière des conclusions ci-dessus, le Comité n’a pas à examiner les allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 10 du Pacte.

9.10En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, le Comité note que, d’après la lettre de la police judiciaire (mentionnant à la décision no 16536/96 du Procureur de la République du tribunal de Constantine), le mari de l’auteur a été remis à des agents du Gouvernement le 3 juillet 1994, et l’auteur n’a pas eu de nouvelles de lui depuis. Le Comité note également que l’auteur a cru comprendre que la lettre de l’Observatoire national des droits de l’homme l’informait de sa mort.

9.11Le Comité renvoie à son Observation générale no 6 (16) concernant l’article 6 du Pacte, dans laquelle il est dit, notamment, que les États parties doivent prendre des mesures spécifiques et efficaces pour empêcher la disparition des individus et mettre en place des moyens et des procédures pour faire en sorte que des organismes impartiaux appropriés mènent des enquêtes approfondies sur les cas de personnes disparues dans des circonstances pouvant impliquer une violation du droit à la vie. Dans le cas d’espèce, le Comité note que l’État partie ne conteste pas le fait que l’on est sans nouvelles du mari de l’auteur depuis au moins le 29 juillet 1995, date à laquelle la chambre criminelle du tribunal de Constantine a rendu son jugement par contumace. Dans la mesure où l’État partie n’a pas communiqué d’éléments d’information ou de preuve indiquant que la victime serait sortie du Centre territorial, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6, en ce que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie de M. Saker.

9.12L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties non seulement d’assurer la protection effective des droits énoncés dans le Pacte, mais aussi de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner dans le cadre du droit interne les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son Observation générale no 31 (80) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n’a pas eu accès à des recours utiles et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7 et 9.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et des paragraphes 1, 3 et 4 de l’article 9 du Pacte en ce qui concerne le mari de l’auteur, et de l’article 7 en ce qui concerne l’auteur, conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, ce qui implique notamment de mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort du mari de l’auteur, de remettre celui-ci immédiatement en liberté s’il est toujours en vie, de rendre compte à l’auteur comme il convient des résultats de ses enquêtes et d’indemniser de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies par le mari de l’auteur, l’auteur et leur famille. L’État partie est également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

J. Communication n o  1009/2001, Shchetko c. Bélarus(Constatations adoptées le 11 juillet 2006, à la quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

Vladimir Viktorovich Shchetko et son fils,Vladimir Vladimirovich Shchetko (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

14 août 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Sanction administrative pour appel à boycotter les élections

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Restrictions admissibles du droit à la liberté d’expression

Articles du Pacte: 19 (par. 2 et 3) et 25

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no1009/2001 présentée au Comité des droits de l’homme par Vladimir Viktorovich Shchetko et Vladimir Vladimirovich Shchetko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Vladimir Viktorovich Shchetko et son fils, Vladimir Vladimirovich Shchetko, de nationalité bélarussienne, nés en 1952 et 1979, respectivement. Ils n’invoquent pas de disposition spécifique du Pacte, mais leur communication paraît soulever des questions au titre de l’article 19 du Pacte. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1Par une décision du 27 octobre 2000 du tribunal de l’arrondissement de Pervomay à Bobruisk, les auteurs se sont vu infliger une amende de 10 000 roubles bélarussiens chacun. Cette sanction administrative leur a été appliquée parce que, le 12 octobre 2000, ils avaient distribué des tracts appelant à boycotter les élections législatives prévues pour le 15 octobre. Le tribunal a fondé sa décision sur les dispositions de l’article 167‑3 du Code des infractions administratives (ci‑après appelé le Code).

2.2Les auteurs indiquent que l’article 167‑3 du Code (dans sa version de 1994, en vertu de laquelle l’amende leur a été infligée) interdit d’inciter publiquement au boycottage des élections, mais d’après eux, cette disposition ne peut pas être dissociée du paragraphe 45, partie 13, du Code électoral (version du 1er février 2000) qui interdit les campagnes électorales (y compris les appels au boycottage d’une élection ou d’un référendum) le jour des élections uniquement. Les auteurs relèvent que, le 9 octobre 2000, l’article 167‑3 du Code des infractions a été modifié par une loi, pour être aligné sur les prescriptions du paragraphe 45 du Code électoral.

2.3À une date non précisée, les auteurs ont fait appel de la décision judiciaire du 27 octobre 2000 auprès du tribunal régional de Mogilievsk. Le 29 décembre 2000, ils ont reçu une réponse signée du Président du tribunal, qui confirmait la décision du tribunal d’arrondissement. À une date ultérieure non précisée, ils ont déposé une requête aux fins d’une demande en révision (nadzornaya zhaloba) par la Cour suprême. (En vertu de cette procédure, les particuliers peuvent s’adresser au Président de la Cour suprême ou à ses assesseurs, ou au Procureur général ou à ses substituts, pour leur demander d’introduire une demande en révision de l’affaire par la Cour. Si la demande est agréée, la Cour n’examine que les questions de droit.) Le 16 mars 2001, le Vice‑Président de la Cour suprême a rejeté leur requête, confirmant ainsi les décisions des instances inférieures.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs n’invoquent aucune disposition spécifique du Pacte, mais leur communication paraît soulever des questions au titre de l’article 19 du Pacte.

Observations de l’État partie et commentaires des auteurs

4.L’État partie a présenté ses observations le 18 décembre 2001. Il rappelle que, le 12 octobre 2000, les auteurs ont distribué des tracts appelant notamment à boycotter les élections législatives. Or, l’article 167‑3 du Code des infractions administratives, dans sa version de 1994 qui était en vigueur à l’époque, interdit les appels à boycotter les élections en tout temps. L’amendement du 9 octobre 2000 invoqué par les auteurs n’est entré en vigueur qu’un mois après sa publication (le 18 octobre 2000) au Journal officiel. L’État partie conclut donc que l’amende appliquée aux auteurs était parfaitement légale et justifiée.

5.Les auteurs ont présenté leurs observations le 16 juin 2006. Ils répètent qu’ils ont reçu une amende pour avoir distribué «un texte» appelant au boycottage des futures élections. Ils affirment qu’en réalité ils avaient distribué un numéro du journal Le travailleur, qui était un périodique dûment enregistré. Pourtant, on leur avait infligé une amende et les exemplaires d’autres numéros du journal qui étaient en leur possession avaient été confisqués. Ces exemplaires leur avaient été restitués après les élections.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que la même question n’est actuellement examinée par aucune autre instance internationale d’enquête et de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Il considère donc que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3Le Comité considère que la présente communication peut soulever des questions au titre de l’article 19 du Pacte et que les auteurs ont suffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il procède à l’examen de la communication quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Les auteurs affirment que l’État partie a violé leurs droits en leur infligeant une amende, au seul motif qu’ils avaient distribué des tracts comprenant un appel à boycotter une élection générale. L’État partie a rétorqué que l’amende appliquée aux auteurs était légale et conforme à l’article 167‑3 du Code des infractions administratives.

7.3Le Comité rappelle tout d’abord que le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu et que son exercice peut faire l’objet de restrictions. Toutefois, en vertu de l’article 19, paragraphe 3, ne sont autorisées que les restrictions expressément prévues par la loi et qui sont nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui, b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle à cet égard que le droit à la liberté d’expression est d’une importance capitale dans toute société démocratique, et que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit doit être justifiée en fonction de critères très stricts.

7.4Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b de l’article 25, tout citoyen a le droit de voter et qu’afin de protéger ce droit, les États parties au Pacte doivent interdire en vertu de lois pénales tous actes d’intimidation ou de coercition à l’égard des électeurs et que ces lois doivent être strictement appliquées. Leur application constitue, en principe, une restriction légitime à la liberté d’expression, indispensable au respect des droits d’autrui. Toute situation dans laquelle les électeurs font l’objet d’intimidations ou de coercition doit être distinguée de l’encouragement à boycotter une élection sans aucune forme d’intimidation.

7.5Dans la présente affaire, l’État partie a simplement fait valoir que les restrictions à l’exercice des droits des auteurs étaient prévues par la loi, sans présenter aucune justification de ces restrictions. La loi en question a été modifiée peu de temps après que le tribunal se fut prononcé dans l’affaire des auteurs, ce qui tendrait à faire ressortir l’absence de justification raisonnable des restrictions énoncées dans la loi. Les documents dont le Comité est saisi ne font pas apparaître que les actes des auteurs aient affecté en quoi que ce soit la possibilité pour les électeurs de décider librement de participer ou non à l’élection générale en cause. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce, l’amende infligée aux auteurs n’était justifiée par aucun des critères établis à l’article 19, paragraphe 3. Il conclut donc à la violation des droits des auteurs au titre de l’article 19, paragraphe 2, du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à MM. Shchetko un recours utile, sous la forme d’une indemnisation d’un montant au moins égal à la valeur actuelle de l’amende et de tous les frais de justice acquittés par les auteurs. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

K. Communication n o  1010/2001, Lassâad c. Belgique(Constatations adoptées le 17 mars 2006, à la quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Lassâad Aouf (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Belgique

Date de la communication:

22 mai 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Mise en accusation de l’auteur pour escroquerie et détournement de fonds

Questions de procédure: Épuisement de recours internes

Questions de fond: Procédure équitable − garanties minimales de la défense

Article du Pacte: 14 (par. 1, 2, 3 b) c), d) et g))

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1010/2001 présentée par Lassâad Aouf en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur est M. Lassâad Aouf, né en Tunisie et résidant en Belgique. Il se déclare victime de violations par la Belgique des paragraphes 1, 2 et 3 b), c), e) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Belgique le 17 août 1984.

Exposé des faits

2.1Après avoir été employé de la SA Leisure Investments (plus tard SA Tiercé Franco-Belge), l’auteur a conclu avec elle, le 31 mars 1991, une convention d’agent indépendant pour l’exploitation d’une agence à Bruxelles. Cette convention prenait effet le 1er avril 1991 et prévoyait une période d’essai de six mois (effet 1er octobre 1991). La commission de l’auteur était fixée à 5 % du chiffre d’affaires imposable. L’auteur devait accepter et enregistrer des paris sur des courses transmises par écrans de télévision, en direct de l’Angleterre.

2.2En septembre 1991, SA Leisure Investments a constaté une augmentation du chiffre d’affaires du bureau de paris exploité par l’auteur et un net accroissement du nombre de paris gagnants enregistrés par cette agence. Le 26 septembre 1991, le contrôleur de caisse de l’entreprise s’est emparé du contenu de la caisse et a expulsé l’auteur. Le 3 octobre 1991, l’entreprise a adressé à M. Aouf une lettre de licenciement pour fautes graves, d’une part, pour organisation à son profit de paris illicites pour un montant de 2 867 000 FB et, d’autre part, pour refus de remise du solde de caisse d’un montant de 130 000 FB au contrôleur de caisse le 26 septembre 1991. L’auteur affirme qu’il s’agit, en fait, d’une cabale destinée à mettre fin à son contrat et pour éviter de lui payer une indemnité de licenciement.

2.3Le 15 octobre 1991, la société Tiercé Franco-Belge s’est constituée partie civile. Suite à uneplainte de l’auteur auprès du Tribunal de commerce de Liège, un expert a été désigné pour statuer sur la validité des bulletins de paris litigieux.

2.4Le 25 juin 1998, l’auteur a été condamné par le tribunal correctionnel de Bruxelles à un an de prison avec un sursis de cinq ans, à une amende et au versement de 250 000 FB au profit de la partie civile. La cour d’appel, par jugement du 10 novembre 1999, a réduit la peine de prison à six mois et porté le versement à la partie civile à 450 000 FB. Le 15 mars 2000, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se déclare innocent et estime que des violations ont été commises par les autorités belges au cours de l’instruction et du jugement de l’affaire.

3.2Concernant l’instruction des deux chefs d’inculpation (A: paris illicites, et B: détournement du solde de la caisse), l’auteur déclare que l’enquête est entachée de multiples manquements, à savoir principalement la non-audition de témoins clefs malgré des demandes du juge d’instruction; la réalisation de devoirs d’enquête non sollicités par le juge d’instruction ainsi que l’absence de preuves. Il estime que l’enquête par l’officier de police judiciaire était volontairement menée contre lui. Malgré ses requêtes, celle du juge d’instruction et celles du parquet, les magistrats ayant statué sur son affaire et le Ministre de la justice n’ont pas sanctionné ces manquements, démontrant ainsi leur manque d’impartialité.

3.3L’auteur déclare n’avoir pas pu bénéficier des garanties auxquelles toute personne accusée d’une infraction pénale a droit. Il précise, d’une part, qu’une demande de report d’examen par son conseil n’a pas été acceptée par la chambre du Conseil du tribunal de première instance et, d’autre part, qu’il n’a pu déposer ses conclusions devant le tribunal correctionnel de Bruxelles en raison du refus de ce dernier de satisfaire à ses demandes d’audition de témoins, ceci au mépris de l’article 14, paragraphe 3 b). Les juges s’étant prononcés sur son affaire, y compris les magistrats chargés de l’instruction et le tribunal correctionnel de Bruxelles, se sont opposés à ses demandes d’audition de témoins, refus confirmé par la cour d’appel et la Cour de cassation, contrairement à l’article 14, paragraphe 3 e). Il ajoute qu’en violation de l’article 14, paragraphe 3 g), le Président du tribunal correctionnel lui a fait des reproches afin qu’il témoigne contre lui-même. Il considère que les tribunaux n’étaient pas impartiaux, que son inculpation était préétablie et que les juges ont procédé à une interprétation des faits défavorable à sa personne, contrairement aux paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur estime qu’à compter de l’instruction jusqu’au jugement de l’affaire l’officier de police judiciaire, l’expert désigné par le tribunal de commerce et les magistrats ont «exclusivement agi en faveur de Tiercé Franco-Belge», en violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

3.5L’auteur se plaint du retard excessif dans le jugement de l’affaire, c’est-à-dire entre la constitution de partie civile (3 octobre 1991) et le jugement du tribunal correctionnel (25 juin 1998), en violation de l’article 14, paragraphe 3 c).

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 5 novembre 2001, l’État partie conteste la recevabilité de la communication et apporte les précisions et correctifs suivants.

4.2Dès le 4 avril 1991, la SA Leisure Investments a informé, à plusieurs reprises, l’auteur de l’existence de «manquants» dans sa caisse et attiré son attention sur divers manquements au règlement. En septembre 1991, Leisure Investments a constaté une augmentation du chiffre d’affaires de l’agence exploitée par l’auteur et un net accroissement du nombre de paris gagnants enregistrés par cette agence. Le 26 septembre 1991, elle a envoyé des représentants pour effectuer un contrôle dans cette agence, contrôle au cours duquel l’auteur a pris la fuite. Selon Leisure Investments, il est apparu, suite à une vérification des paris enregistrés, que du 8 juin au 26 septembre 1991, 167 bulletins relatifs à des paris sur des courses avaient été acceptés par l’auteur après l’heure limite d’acceptation et que nombre de ces bulletins avaient été rédigés par l’auteur lui-même, engendrant ainsi des gains frauduleux. Leisure Investments a déposé plainte et s’est constituée partie civile le 15 octobre 1991.

4.3Sur le prétendu non-respect du délai raisonnable et des droits de la défense devant les juridictions internes, l’État partie précise:

Chambre du Conseil: Par ordonnance du 8 avril 1997, la chambre a jugé qu’il existait des charges suffisantes autorisant le renvoi de l’auteur devant le tribunal correctionnel du chef d’escroquerie et de détournement de fonds.

Tribunal correctionnel: Le tribunal correctionnel a condamné l’auteur, le 25 juin 1998, à un an d’emprisonnement avec sursis estimant que, nonobstant les problèmes de fiabilité du système mis au point par SA Tiercé Franco-Belge, il résultait clairement des pièces du dossier que l’auteur avait utilisé des manœuvres frauduleuses pour abuser de la confiance de la partie civile.

Cour d’appel: La 12e chambre de la cour d’appel de Bruxelles a confirmé, le 10 novembre 1999, le jugement entrepris en ramenant la peine d’emprisonnement à six mois et en accordant à la partie civile 11 155,21 euros. La cour a estimé que les devoirs d’instruction complémentaires sollicités devant elle par l’auteur ne présentaient aucun intérêt pour la manifestation de la vérité, ceux qui avaient été réalisés au cours de l’instruction préparatoire étant suffisants pour éclairer la cour. Elle jugea, notamment, que les investigations menées tant par la partie civile que par l’expert et les enquêteurs avaient porté sur un échantillonnage d’agences similaires suffisamment significatif, et que ses allégations relatives à la tentative de la partie civile d’éviter de lui payer une indemnité de licenciement étaient non prouvées.

Cour de cassation: Par arrêt du 15 mars 2000, elle a rejeté le pourvoi de l’auteur au motif que les juges d’appel avaient constaté l’existence de présomptions graves, précises et concordantes que l’auteur avait sciemment accepté des paris sur des courses après le départ des épreuves. La cour a relevé à cet égard que le moyen soulevé était irrecevable en tant que, sans mettre en cause la compétence de la juridiction, il revenait à critiquer le déroulement de l’instruction préparatoire.

4.4Eu égard au grief de manque d’impartialité du juge d’instruction et du parquet de Bruxelles, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie, se fondant sur une approche objective, soutient que dans le cas d’espèce le juge d’instruction a posé les actes d’instruction qui lui paraissaient nécessaires dès lors qu’il se trouvait face à des déclarations inconsistantes de la part de l’auteur. En conséquence, l’impartialité objective du juge ne peut être mise en doute. Se fondant également sur une approche subjective, l’État partie estime qu’il est manifeste que les éléments avancés par l’auteur demeurent largement insuffisants pour renverser la présomption d’impartialité.

4.5En outre, l’État partie fait valoir que dans le pourvoi en cassation l’auteur n’a pas fait valoir de moyens pris de la violation de l’article 14 du Pacte qu’il avait invoqué devant la cour d’appel de Bruxelles, d’où l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des recours internes.

4.6La Cour de cassation a, par ailleurs, relevé que, pour apprécier si une cause a été entendue équitablement au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne, il convient de rechercher si la cause, prise dans son ensemble, a été l’objet d’un procès équitable, que, dès lors que l’auteur a eu le loisir devant les juridictions nationales de contredire librement les éléments apportés contre lui par le ministère public, il ne pourrait prétendre qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable.

4.7Enfin, l’État partie relève que la Cour européenne des droits de l’homme, qui a examiné une requête présentée sur base des mêmes moyens, a considéré la requête irrecevable le 12 janvier 2001, au motif qu’elle ne relevait aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

4.8En conclusion, l’auteur restant en défaut de démontrer que les prétendues imperfections qu’il relève dans l’instruction auraient porté gravement atteinte au caractère équitable de la procédure devant le juge du fond, considéré dans sa globalité, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Dans ses commentaires du 7 janvier 2002, l’auteur réitère les éléments de sa plainte. Il insiste sur le manque d’impartialité des magistrats belges nommés sur la base de leur appartenance politique. Il ajoute également ne jamais avoir eu accès aux bulletins de paris litigieux. Il insiste sur le fait que seule la version de la partie civile, voire même celle des autorités en faveur de Tiercé Franco-Belge ont été retenues afin de le condamner. Il confirme que la Cour européenne a rendu une décision d’irrecevabilité dans le cadre d’une plainte qu’il avait soumise, mais qui néanmoins ne reprenait pas tous les éléments de la présente affaire.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans ses observations du 11 avril 2002, l’État partie soutient l’irrecevabilité des griefs de violation de l’article 14, paragraphes 2 et 3 b) c) et g), et le caractère non fondé de la requête. Il estime que l’auteur se plaint essentiellement du fait qu’il a été déclaré coupable, alors que, à son avis, le dossier ne comporte pas de preuves suffisantes de sa culpabilité. Se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie rappelle qu’il n’appartient pas au Comité de juger sur la culpabilité ou l’innocence de l’auteur. Sa tâche est d’établir si les moyens de preuve produits pour ou contre l’accusé ont été présentés de manière à garantir un procès équitable et de s’assurer que ce dernier a été conduit de façon à obtenir ce même résultat. L’appréciation par le juge national des preuves ne peut être censurée qu’à titre exceptionnel, lorsque le juge national a déduit des faits rapportés des conclusions manifestement injustes et arbitraires. D’après l’État partie, ceci n’étant pas le cas dans la présente affaire, l’on ne peut conclure à une violation du droit à un procès équitable.

6.2Quant au grief que des témoins n’ont pas été entendus dans l’affaire alors que leur audition avait été sollicitée par le juge d’instruction, l’État partie rappelle que la question de savoir si un procès est conforme aux exigences de l’article 14 s’apprécie sur la base d’un examen de l’ensemble de la procédure et non d’un élément isolé. Il ressort des faits que des mesures d’instruction complémentaires ont été sollicitées par le juge d’instruction. Celui-ci a demandé l’audition de divers responsables des services de contrôle et du service technique de la SA Tiercé Franco-Belge.

6.3Dans sa communication, l’auteur fait valoir que les mesures d’instruction complémentaires concernaient le chef d’inculpation B. Toutefois, selon l’État partie, la lettre du juge d’instruction du 18 mars 1992 est très explicite. Il y demande l’audition de ces témoins afin de «recueillir toute explication technique sur la manière dont sont effectués les contrôles des machines d’enregistrement de paris sur les courses de lévriers, placés dans leurs diverses agences». La commission rogatoire concernait donc le chef d’inculpation A et non pas B. Le fait que certaines des auditions n’aient pas eu lieu n’a donc aucune incidence sur la procédure concernant la condamnation de l’auteur du chef d’inculpation B.

6.4Eu égard aux auditions concernant le chef d’inculpation A, l’État partie explique qu’il convient de déterminer si le fait que quelques-unes de ces auditions n’aient jamais eu lieu emporte une violation du droit à un procès équitable. Il constate que l’auteur a pu demander au juge du fond l’audition de ces témoins. Le juge du fond a estimé que ces auditions ne présentaient aucun intérêt, puisque les devoirs d’instruction réalisés au cours de l’instruction étaient suffisants pour éclairer le juge du fond, les investigations comparatives menées tant par la partie civile que par l’expert et les enquêteurs sur un échantillonnage d’agences similaires à celle du prévenu. En outre, la cour d’appel a procédé à des vérifications exhaustives qui selon elle font ressortir suffisamment la culpabilité de l’auteur.

6.5Il apparaît de ces constatations que la mesure d’instruction sollicitée par le juge d’instruction, et par après, par l’auteur, à savoir auditionner des témoins en vue de recueillir toute explication technique sur la manière dont sont effectués les contrôles des machines d’enregistrement de paris sur les courses, ne présentait pas d’intérêt. En effet, la condamnation de l’auteur repose sur des présomptions graves, précises et concordantes que l’auteur avait frauduleusement accepté des paris sur des courses après le départ des épreuves. Quant aux autres mesures d’instruction sollicitées par l’auteur, la cour d’appel affirme que ces mesures complémentaires ne présentent aucun intérêt et que le prévenu a pu librement contredire les éléments de preuve devant le premier juge et devant la cour.

6.6La juridiction nationale, en décidant ainsi de rejeter la demande d’audition des témoins, a exercé des pouvoirs qui étaient les siens. Or l’article 14, paragraphe 3 e), n’impose pas la convocation de tout témoin, mais vise l’égalité des armes. Dans ce contexte, l’État partie constate que l’auteur a eu l’opportunité de présenter aux juridictions de première instance, d’appel et de cassation, ses arguments quant à l’opportunité d’entendre des témoins. L’équité de la procédure n’ayant pas été enfreinte par la décision de ne pas procéder à ces auditions, l’État partie conclut à l’absence de violation des droits de la défense.

6.7L’État partie soutient que cette allégation n’a pas été invoquée devant la Cour de cassation, de sorte que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. D’après l’État partie, le grief n’est également pas fondé. L’auteur fait valoir que pour le chef d’inculpation B, il n’existe aucune preuve de sa culpabilité. Or, comme le souligne l’État partie, la cour d’appel a déclaré le chef d’inculpation B établi après un examen approfondi.

6.8L’auteur prétend que son inculpation est basée sur des lettres qui lui ont été adressées par le Directeur financier et de contrôle des paris. Selon l’auteur, ces lettres ne prouvent pas sa culpabilité. La cour d’appel n’ayant pas déduit des faits rapportés des conclusions manifestement injustes ou arbitraires, l’on ne peut conclure à une violation de la présomption d’innocence.

6.9Quant au grief que la culpabilité de l’auteur du chef d’inculpation A n’a pas été légalement établie, l’État partie souligne que la condamnation a reposé sur des motifs suffisamment étayés. La cour d’appel ayant décidé que ce chef d’inculpation est prouvé par des présomptions graves, précises et concordantes et l’article 14 du Pacte n’interdisant pas la preuve par présomptions, ce mode de preuve utilisé dans l’affaire n’enfreint pas le Pacte.

6.10Quant au grief tiré de l’article 14, paragraphe 3 b), l’État partie rappelle que l’auteur se plaint du fait que la chambre du conseil de Bruxelles a refusé de reporter l’affaire, alors que les parties auraient demandé la remise de l’affaire. Il rappelle que la chambre ne statue pas sur le bien-fondé du chef d’inculpation. Il appartenait au juge du fond de déterminer si les charges pouvaient se muer en preuves. Pour l’État partie, l’article 14, paragraphe 3 b), n’est pas applicable à la procédure devant la chambre du conseil, celle-ci statuant comme simple juridiction de renvoi. Subsidiairement, il rappelle qu’un refus de reporter l’affaire ne constitue pas en soi une violation de l’article 14, paragraphe 3 b). En l’espèce, la chambre du conseil a énoncé qu’il n’y avait pas lieu de remettre l’affaire tenant compte que les délais légaux avaient été respectés en matière de fixation pour le règlement de la procédure. En outre, l’auteur n’avait pas démontré en quoi son droit de disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense aurait été méconnu.

6.11L’auteur prétend, en outre, qu’il n’a pas pu déposer des conclusions devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Or, selon l’État partie, il apparaît de la requête de l’auteur qu’il a lui‑même refusé de conclure, bien qu’il ait eu la possibilité de le faire. Dans ces circonstances, une violation de l’article 14, paragraphe 3 b), ne saurait être établie.

6.12L’État partie soutient que le grief tiré de l’article 14, paragraphe 3 c), n’a pas été invoqué devant la Cour de cassation, de sorte que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, d’où l’irrecevabilité de ce grief. Il soutient que ce grief n’est pas fondé. Le délai raisonnable commence à courir à partir du moment où la personne se trouve accusée. En l’espèce, l’auteur a été mis en accusation dans un réquisitoire du 18 décembre 1996, la décision de renvoi de la chambre du conseil date du 8 avril 1997 et l’arrêt de la cour d’appel du 10 novembre 1999. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi le 15 mars 2000. La procédure s’étend donc sur trois ans et trois mois, un délai raisonnable selon l’État partie.

6.13L’État partie rappelle que l’auteur se plaint des observations faites par le tribunal correctionnel dans le jugement du 25 juin 1998, qui résulteraient en une violation de l’article 14, paragraphe 3 g), mais soutient que ce grief n’était pas soulevé devant la Cour de cassation, et que les voies de recours internes n’ont donc pas été épuisées. L’État partie estime également que ce grief est mal fondé. Il remarque que les observations en cause concernaient la prononciation de la peine par le premier juge. Cette décision a été réformée par la cour d’appel. Celle-ci a infligé une peine sur base des motifs propres. L’éventuelle violation de l’article 14, paragraphe 3 g), a donc été réparée à un stade ultérieur de la procédure.

Commentaires de l’auteur

7.Par lettre du 26 juin 2002, l’auteur conteste les observations de l’État partie. Il reconnaît néanmoins avoir, par erreur, fait part de mesures d’instruction complémentaires quant au chef d’inculpation B, alors qu’il s’agissait, comme l’a expliqué l’État partie, du chef d’inculpation A. Il estime, en outre, que le Comité doit «réexaminer les faits» et, en l’occurrence, l’absence de preuves dans le cadre de la présente affaire. Enfin relativement aux arguments de l’État partie de non-épuisement des voies de recours internes quant aux griefs de violations des articles 14, paragraphes 2 et 3 b) et c), l’auteur estime que la Cour de cassation n’avait pas à se limiter au contenu de son mémoire, mais avait la responsabilité de se prononcer sur toute l’affaire. Sur l’argument du non-épuisement des voies de recours internes pour le grief tiré d’une violation de l’article 14, paragraphe 3 g), l’auteur affirme avoir mentionné, dans son mémoire auprès de la Cour de cassation, que le Président de la chambre correctionnelle de Bruxelles lui avait demandé de «témoigner contre lui-même».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité a noté qu’une plainte analogue déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme le 12 janvier 2001. Toutefois, les dispositions prévues au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêchaient pas le Comité de déclarer recevable la communication à l’étude car la question n’était plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et l’État partie n’avait pas formulé de réserve au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Eu égard à l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie faisant valoir l’irrecevabilité des griefs de violations des articles 14, paragraphe 2 et paragraphe 3 c) et g), ceux-ci n’ayant pas été soulevés par l’auteur auprès de la Cour de cassation ainsi que du grief de violation de l’article 14, paragraphe 3 b), dont les juges de la Cour de cassation n’ont pas été saisis. Le Comité a noté la position de l’auteur faisant valoir, d’une part, que la Cour de cassation ne devait pas se limiter à son mémoire ampliatif et, d’autre part, que son mémoire contenait le grief de violation de l’article 14, paragraphe 3 g). Ayant examiné le mémoire ampliatif de l’auteur auprès de la Cour de cassation, le Comité constate que l’auteur n’a, à aucun moment, mentionné que le Président de la chambre correctionnelle de Bruxelles lui avait demandé de témoigner contre lui-même. De même, outre la Cour de cassation, il ressort des mémoires de l’auteur, que les juges de fond n’ont pas été saisis de griefs tirés d’une violation de l’article 14, paragraphe 3 b). Finalement, le Comité rappelle que si l’auteur d’une communication n’est pas tenu d’invoquer expressément les dispositions du Pacte qu’il estime avoir été violées, il doit cependant avoir fait valoir en substance devant les juridictions nationales le grief qu’il invoque par la suite devant le Comité. L’auteur n’ayant pas soulevé les griefs précités devant la Cour de cassation, ni même devant les juges de fond pour les allégations au titre de l’article 14, paragraphe 3 b), ces aspects de la communication sont irrecevables au regard de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

8.4Eu égard aux griefs de violations de l’article 14, paragraphes 1 et 3 e), le Comité constate que l’État partie ne conteste pas, dans ses observations du 11 avril 2002, la recevabilité de ces allégations. Le Comité déclare, dès lors, cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 5 du Protocole facultatif.

9.2Relativement aux griefs de violations de l’article 14, paragraphes 1 et 3 e), le Comité a pris note des arguments de l’auteur faisant valoir que divers témoins n’ont pas été entendus alors que leur audition avait été sollicitée par le juge d’instruction et/ou par lui-même. Les magistrats, en particulier le magistrat instructeur, ont, selon l’auteur, fait preuve de partialité dans la mesure où les devoirs ordonnés par le juge d’instruction ne se trouvent pas dans le dossier alors que d’autres, non sollicités par lui, s’y trouvent. Dans la mesure où ces manquements n’ont pas été sanctionnés et où les auditions sollicitées par l’auteur n’ont pas été accordées par les tribunaux, l’auteur estime que sa cause n’a pu être véritablement défendue devant un tribunal indépendant et qu’il a donc été condamné malgré l’absence de preuves suffisantes.

9.3Le Comité a également pris note de l’argumentation détaillée de l’État partie sur l’absence de violation des articles du Pacte. Conformément à sa jurisprudence, le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. Lorsqu’il examine des allégations de violation de l’article 14 à cet égard, le Comité est seulement habilité à vérifier si la condamnation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Dans ce contexte, et en premier lieu, relativement aux auditions de témoins participant de l’examen des faits et élément de preuve par les juridictions nationales, le Comité constate dans le cas d’espèce que la cour d’appel, ainsi qu’il ressort de son arrêt, a examiné de manière approfondie les griefs de l’auteur quant aux auditions de témoins et, sur la base de motifs étayés, les a estimés non fondés dans la mesure où de telles auditions ne présentaient pas d’intérêt pour la manifestation de la vérité. En outre, et tout en rappelant que le paragraphe 3 e) de l’article 14 ne reconnaît pas à l’accusé ou à son conseil le droit illimité de faire citer n’importe quel témoin, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré d’une manière suffisante que la décision de la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, ait été de nature à compromettre l’application du principe de l’égalité des moyens entre l’accusation et la défense. En second lieu, le Comité ne constate aucun comportement arbitraire ou déni de justice. Le Comité ne saurait retenir à cet égard les allégations de l’auteur quant au manque d’impartialité des magistrats; le refus d’audition de témoins et l’inculpation de l’auteur en fonction de l’évaluation des faits et des éléments de preuve n’abondant pas en ce sens. Le Comité note en outre le caractère non étayé de l’affirmation de l’auteur sur les conséquences négatives de son origine ethnique, élément n’ayant d’ailleurs, à aucun moment, été soulevé devant les juridictions nationales. Le Comité conclut donc qu’il n’y a pas violation de l’article 14, paragraphes 1 et 3 e).

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits tels qu’ils ont été présentés ne font apparaître aucune violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

L. Communication n o 1016/2001, Hinostroza Solís c. Pérou

(Constatations adoptées le 27 mars 2006, à la quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Rubén Santiago Hinostroza Solís (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pérou

Date de la communication:

19 juillet 1999 (date de la lettre initiale)

Objet: Licenciement d’un agent de la fonction publique pour cause de restructuration de l’organisme employeur

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Discrimination au motif de l’âge

Article du Pacte: 25 c)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications,

Réuni le 27 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1016/2001 présentée au nom de M. Rubén Santiago Hinostroza Solís en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 19 juillet 1999, est Rubén Santiago Hinostroza Solís, de nationalité péruvienne, qui se dit victime d’une violation par le Pérou de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Exposé des faits

2.1L’auteur était fonctionnaire de la Direction nationale des douanes (SUNAD). En vertu du décret suprême no 043-91-EF pris par le pouvoir exécutif, cet organisme a subi une restructuration impliquant, entre autres, une réorganisation du personnel. Dans ce contexte, la SUNAD a adopté la décision no 6338 en date du 5 septembre 1991, dans laquelle elle déclarait que certains agents étaient en surnombre et ordonnait le licenciement de ceux qui répondaient à l’un des deux critères suivants: avoir accompli un certain nombre d’années de service − 25 ans ou plus pour les femmes et 30 ans pour les hommes − ou avoir dépassé la limite d’âge, fixée à 55 ans pour les femmes et à 60 ans pour les hommes. Parmi les agents concernés figurait l’auteur, âgé de 61 ans et comptant 11 ans de service.

2.2Le 5 décembre 1991, l’auteur a fait appel de cette décision auprès du Tribunal national du service public, arguant qu’il avait été licencié sans notification préalable au motif qu’il avait 61 ans, alors que l’âge légal du départ à la retraite des agents de la SUNAD était fixé à 70 ans par la loi sur la fonction publique. Le 19 février 1992, le Tribunal a rejeté sa requête.

2.3Le 5 décembre 1991, l’auteur a déposé une plainte au sujet de la décision auprès du Tribunal national du service public et a demandé sa réintégration dans les fonctions qu’il occupait précédemment. Le 19 février 1992, le Tribunal a déclaré cette plainte non fondée.

2.4Le 26 mars 1992, l’auteur a introduit un recours administratif auprès de la Chambre prud’homale de la Cour supérieure de justice de Lima. Dans son jugement du 28 décembre 1994, la Chambre a fait droit au recours, estimant que le licenciement de l’auteur était illégal car il n’avait pas l’âge légal du départ à la retraite et qu’il devait donc être réintégré dans ses fonctions.

2.5Le 11 décembre 1995, le Procureur a fait appel devant la Cour suprême. Le 21 août 1996, la Cour a annulé le jugement rendu en première instance pour des questions de forme et a ordonné un nouveau jugement.

2.6Le 13 octobre 1997, la Cour supérieure de justice de Lima a de nouveau fait droit à la requête et ordonné la réintégration de l’auteur. L’État s’est de nouveau pourvu devant la Cour suprême qui, dans son arrêt du 7 octobre 1998, a jugé le recours recevable, estimant que la SUNAD avait un motif légitime de licencier l’auteur, à savoir la réduction des effectifs de l’administration publique, qui étaient excessifs.

2.7L’affaire n’a pas été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir qu’il a été victime d’une violation de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, parce qu’il a été licencié sans motif légitime en vertu de la décision de la SUNAD. Il fait valoir que cette décision est contraire au principe de la hiérarchie des normes, car elle va à l’encontre des dispositions de l’article 35 du décret loi no 276 (loi sur la fonction publique), qui fixe à 70 ans l’âge de la cessation d’activité des agents de la fonction publique. En outre, l’article 48 de la Constitution de 1979, en vigueur au moment des faits, reconnaît le droit à la stabilité de l’emploi. L’auteur fait état également de la durée excessive de la procédure et mentionne qu’une commission spéciale de réorganisation du gouvernement du Président Fujimori s’était ingérée dans l’exercice du pouvoir judiciaire, ce qui a forcément contribué à la paralysie de la Cour suprême de justice.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations en date du 22 avril 2002, l’État partie n’a soulevé aucune objection à la recevabilité de la communication. En ce qui concerne le fond, il signale que le décret suprême du 8 janvier 1991, par lequel le pouvoir exécutif a décidé la restructuration de tous les organismes publics relevant du gouvernement central, des autorités locales, des institutions publiques décentralisées, des organismes de développement et des projets spéciaux, trouve son fondement juridique dans l’article 211 de la Constitution de 1979 et a été adopté parce que les fonctionnaires étaient en surnombre et afin d’obtenir la stabilité économique et l’équilibre budgétaire du pays. Dans ce contexte, le décret suprême du 14 mars 1991 a porté réorganisation de la Direction nationale des douanes, afin d’améliorer la qualité des services douaniers dans le cadre du processus de libéralisation du commerce extérieur. La réorganisation prévoyait, entre autres mesures, la rationalisation des ressources humaines, établissant que les fonctionnaires qui n’étaient pas visés par le programme de départ volontaire seraient déclarés en surnombre et licenciés pour cause de restructuration. Dans la décision no 2412 qu’il a prise le 4 avril 1991, le service des douanes a fixé les critères à appliquer pour déclarer en surnombre les fonctionnaires qui n’étaient pas visés par le programme de départ volontaire, l’un des critères étant d’avoir atteint la limite d’âge fixée dans les décrets-lois no 20530 et no 19990, soit 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes.

4.2La décision no 6338, en vertu de laquelle l’auteur a été licencié à compter du 6 septembre 1991, s’inscrit dans le cadre normatif régissant le processus de restructuration des douanes et respecte la hiérarchie des normes, c’est-à-dire l’article 211 de la Constitution; le décret suprême no 043-91-EF du 14 mars 1991 relatif à la restructuration de la SUNAD; la décision no 002412 de la SUNAD en date du 4 avril 1991 fixant les critères à prendre en compte pour le licenciement des fonctionnaires en surnombre.

4.3L’article 48 de la Constitution, invoqué par l’auteur, garantit le droit à la stabilité de l’emploi, mais précise également que le travailleur peut être licencié pour un motif légitime prévu par la loi et dûment vérifié. Dans le cas d’espèce, le licenciement de l’auteur était bien justifié par un motif légitime, puisqu’il s’agissait d’une restructuration générale.

4.4L’État partie affirme n’avoir pas commis de violation de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, l’auteur ne s’étant pas vu refuser le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays, comme le prouvent les 11 années de service qu’il a accomplies dans la fonction publique. Son licenciement s’explique par des raisons objectives, fondées sur la restructuration des organismes publics.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité relève que l’État partie n’émet aucune objection à la recevabilité de la communication. En l’absence d’élément qui s’y opposerait, le Comité considère que la communication est recevable et que la question soulevée par l’auteur doit être examinée quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

6.2La question telle que l’auteur la pose dans sa communication est de savoir si son licenciement de la fonction publique, découlant de la réorganisation des organismes publics, constitue une violation de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte. Cette disposition reconnaît à tout citoyen le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays, ce qui exclut toute différence de traitement fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Pour assurer l’accès dans des conditions générales d’égalité, les critères et procédures régissant la nomination, l’avancement, la suspension et le licenciement doivent être objectifs et raisonnables.

6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant l’application de l’article 26 selon laquelle toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination mais que la différence doit être justifiée par des motifs raisonnables et objectifs. Bien que l’âge ne figure pas en tant que tel dans les motifs de discrimination interdits à l’article 26, le Comité est d’avis qu’une différence de traitement fondée sur l’âge qui ne reposerait pas sur des critères raisonnables et objectifs peut constituer une discrimination fondée sur «toute autre situation» au sens de l’article 26, ou une violation du droit à l’égalité devant la loi, énoncé dans la première phrase de cet article. Le même raisonnement s’applique à l’alinéa c de l’article 25, rapproché du premier paragraphe de l’article 2 du Pacte.

6.4Dans la présente affaire, le Comité relève que l’auteur n’a pas été le seul fonctionnaire à perdre son poste, mais que d’autres employés de la SUNAD ont subi le même sort du fait de la restructuration de l’organisme employeur. L’État partie signale que la restructuration est le résultat des mesures décidées par le décret suprême du 8 janvier 1991, déclarant la réorganisation de tous les organismes publics. Les critères à appliquer pour sélectionner les employés visés par la restructuration ont été arrêtés conformément à un plan d’application générale. Le Comité estime qu’une limite d’âge, telle que celle retenue en l’espèce, pour l’occupation d’un poste est un critère objectif de distinction, dont l’application dans le cadre d’un plan général de restructuration de l’administration publique n’est pas déraisonnable. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas été l’objet d’une discrimination au sens de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Walter Kälin, Edwin Johnson, Michael O’Flaherty et Hipólito Solari-Yrigoyen (dissidente)

1.En l’espèce, la majorité du Comité a conclu que l’âge en tant que tel «[était] un critère objectif de distinction» dont «l’application dans le cadre d’un plan général de restructuration de l’administration publique n’[était] pas déraisonnable» (par. 6.4). À notre avis, cela équivaut à dire que l’âge en tant que tel est un critère objectif et raisonnable pour désigner ceux qui devraient quitter la fonction publique. Ce raisonnement ne concorde pas avec le mode d’approche retenu par le Comité dans l’affaire Love c. Australie. Dans cette affaire, le Comité avait établi que, bien que l’âge ne soit pas mentionné en tant que tel comme l’un des motifs de discrimination énumérés dans la deuxième phrase de l’article 26, une distinction relative à l’âge qui ne reposait pas sur des critères raisonnables et objectifs pouvait constituer une discrimination fondée sur «une autre situation» au titre de la disposition en question. Il avait souligné que, même si l’obligation de partir à la retraite à un certain âge ne constituait généralement pas une discrimination par l’âge, il lui faudrait s’interroger, à la lumière de l’article 26 du Pacte, sur le caractère éventuellement discriminatoire de tel ou tel arrangement particulier prescrivant le départ obligatoire à la retraite à un âge donné différent de l’âge habituel dans un pays donné. Comme il l’a fait dans l’affaire Love c. Australie, le Comité aurait dû examiner en l’espèce s’il y avait des motifs raisonnables et objectifs justifiant l’utilisation de l’âge comme critère distinctif. Il ne l’a pas fait et s’est ainsi écarté du mode d’approche retenu dans l’affaire Love c. Australie, d’une manière qui, à notre avis, ne peut être justifiée.

2.En l’espèce, l’État partie n’a pas démontré que les buts du plan de restructuration de la Direction nationale des douanes étaient légitimes. Dans ce contexte, nous notons qu’en particulier le Comité n’a pas répondu aux griefs de l’auteur, qui affirmait que la Constitution comme les lois adoptées par le Parlement lui garantissaient la stabilité de l’emploi et que ces garanties n’avaient pas été levées à l’issue d’un processus démocratique de modification des dispositions pertinentes, mais par un décret promulgué par le Président de l’époque. En outre, l’utilisation du critère de l’âge tel qu’il a été appliqué à l’auteur n’est pas objective et raisonnable, ce pour plusieurs raisons. Premièrement, l’affaire porte sur une question de licenciement et non de retraite. Deuxièmement, si l’âge peut justifier un licenciement lorsqu’il amoindrit l’aptitude de l’intéressé à s’acquitter de ses fonctions ou lorsque celui‑ci a travaillé suffisamment longtemps pour percevoir une retraite à taux plein ou, du moins, à un taux élevé, l’État partie n’a démontré l’existence d’aucune de ces raisons dans le cas de l’auteur qui, en dépit de son âge, n’avait été employé que pendant 11 ans. En conséquence, nous estimons que l’auteur a été victime d’une violation de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

(Signé) Walter Kälin

(Signé) Edwin Johnson

(Signé) Michael O’Flaherty

(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et M me  Ruth Wedgwood

Le Comité a conclu que le Pérou n’avait pas violé les droits de l’auteur au sens de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, même si la Direction nationale des douanes l’avait licencié dans le cadre d’une réduction des effectifs pour des motifs liés en partie à son âge. Il va de soi qu’une telle décision était difficile pour le Comité étant donné que l’État n’avait fourni aucune raison expliquant l’utilisation discriminatoire du critère de l’âge dans les licenciements.

Cependant, une chose reste claire: la décision du Comité en l’espèce ne doit pas être comprise comme appuyant la discrimination fondée sur le sexe pratiquée par le Pérou dans les licenciements et les réductions d’effectifs. La Direction nationale des douanes demande en particulier aux femmes de quitter la fonction publique cinq années avant les hommes, compte tenu de l’âge et du nombre d’années de service.

Il n’existe pas de raison évidente pour laquelle les femmes devraient être obligées de prendre leur retraite plus tôt que les hommes, et il est difficile de voir comment, si cette question avait fait partie du litige entre les parties, une telle pratique aurait pu être considérée comme conforme aux articles 25 et 26 du Pacte.

(Signé) Nigel Rodley

(Signé) Ivan Shearer

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

M. Communication n o  1022/2001, Velichkin c. Bélarus(Constatations adoptées le 18 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Vladimir Velichkin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

9 mai 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Liberté d’expression

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Restrictions au droit à la liberté d’expression (liberté de communiquer des informations)

Article du Pacte: 19 (par. 2 et 3)

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1022/2001 présentée au nom de Vladimir Velichkin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Vladimir Velichkin, de nationalité bélarussienne, né en 1960. Il affirme être victime de violations par le Bélarus de ses droits garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur dit qu’il est un militant des droits de l’homme de la ville de Brest (Bélarus). Le 23 novembre 2000, il a demandé au Comité exécutif de cette ville l’autorisation d’organiser le 10 décembre 2000, à côté de la bibliothèque publique «Pouchkine» au centre de Brest, une réunion à laquelle devaient participer 10 personnes, en vue de célébrer le cinquante‑deuxième anniversaire de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

2.2Le 4 décembre 2000, le Directeur du Comité exécutif de la ville de Brest a rejeté la demande visant à organiser une réunion au centre de cette ville mais a autorisé sa tenue au stade de «Stroitel». Le Comité s’est fondé sur une décision qu’il avait prise le 12 octobre 1998, en vertu de laquelle toutes les réunions devaient se tenir dans le stade, qui avait été déclaré «site permanent» pour l’organisation de réunions et de rassemblements.

2.3Le 10 décembre 2000 (un dimanche) à 11 heures, l’auteur s’est rendu devant le CUM (les galeries générales) au centre de Brest et a commencé à distribuer des brochures contenant le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme pour «que les citoyens se rappellent l’anniversaire de la Déclaration et leurs droits». À ses côtés, il y avait quatre autres personnes, qui tenaient des affiches et qui, selon l’auteur, distribuaient aussi le texte de la Déclaration. L’auteur affirme avoir agi de manière conforme à l’article 34 de la Constitution bélarussienne.

2.4Vers 12 h 30, un agent de police se serait présenté à l’auteur en tant qu’inspecteur de district et lui aurait demandé de cesser de distribuer la brochure et de quitter les lieux. L’auteur a refusé, invoquant l’article 34 de la Constitution. Peu de temps après, un autre homme a abordé l’auteur et, s’étant présenté comme le chef du Département de police du district de Leninsky à Brest, l’a invité à cesser de distribuer les brochures. Il a fait remarquer à l’auteur qu’il tenait une réunion (un «piquet») non autorisée et lui a demandé de quitter les lieux.

2.5L’auteur refusant de nouveau d’obtempérer, une voiture de police est arrivée et les policiers lui ont dit de monter. Vers 12 h 50, l’auteur a été conduit au Département de police du district de Leninsky où il a été inculpé de deux délits administratifs en application des articles 166 et 167 du Code des infractions administratives (atteinte à l’ordre public par l’organisation et la tenue de rassemblements, de réunions, de défilés et de manifestations et désobéissance à une consigne ou une requête légitime émanant d’un fonctionnaire de police exerçant sa fonction de maintien de l’ordre). Il a été placé en garde à vue avant d’être conduit le lendemain 11 décembre 2000, à 11 heures, au tribunal du district de Leninsky à Brest. Selon l’auteur, l’examen de son cas a commencé à 14 heures; en raison de violations de règles de procédure (il n’aurait pas été informé de ses droits par la police au moment de son arrestation), le juge a ordonné sa libération et a renvoyé l’acte d’accusation au Département de police. L’auteur affirme qu’il a été ainsi illégalement privé de liberté pendant 25 heures.

2.6Le 15 janvier 2001, le tribunal du district de Leninsky à Brest a décidé d’infliger à l’auteur une amende représentant 20 fois le salaire minimum (72 000 roubles), pour la «tenue d’une réunion à un endroit non autorisé par le Conseil exécutif de la ville de Brest», en violation des dispositions de l’article 11, première partie, de la loi sur les rassemblements, les réunions, les défilés, les manifestations et les piquets (loi sur les rassemblements).

2.7L’auteur affirme que son acte ne constitue pas une infraction administrative. Il invoque l’article 2 de la loi sur les rassemblements qui donne une définition du piquet. Selon cette loi, un piquet est «l’expression en public, par un citoyen ou un groupe de citoyens, d’intérêts sociopolitiques, collectifs, individuels ou autres ou d’une contestation, y compris au moyen d’une grève de la faim, motivée par tous types de problèmes, avec ou sans le recours à des pancartes, à des affiches ou à d’autres moyens». Il fait observer que, le 10 décembre 2000, il n’a pas exprimé ses opinions personnelles sur une question, ne faisant que diffuser 53 exemplaires de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Selon lui, rien dans la législation bélarussienne n’impose l’obtention d’une autorisation des autorités pour diffuser des informations contenues dans des documents imprimés ayant un numéro de publication comme les brochures qui contiennent le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme qu’il distribuait.

2.8M. Velichkin explique en outre que, n’ayant pas violé la loi sur les rassemblements, il considère comme illégaux les ordres de la police lui demandant de cesser de distribuer les brochures et de quitter les lieux. De plus, selon lui, en vertu de l’article 166 du Code des infractions administratives, la responsabilité d’une personne n’est engagée qu’en cas de désobéissance à un ordre ou une requête légitime de la police.

2.9À une date non spécifiée, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal du district de Leninsky rendue le 15 janvier 2001 auprès de la cour régionale de la ville de Brest. Le 13 février 2001, la cour régionale a confirmé la décision du tribunal de district condamnant l’auteur à une amende. L’auteur a alors fait appel de cette décision devant la Cour suprême (à une date non précisée). Le 3 avril 2001, la Cour suprême a rejeté son recours.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme être victime d’une violation du droit de diffuser des informations garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte et à l’article 34 de la Constitution du Bélarus.

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1Dans une note verbale datée du 6 février 2002, l’État partie note que la Cour suprême a procédé à une vérification des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’en novembre 2000 l’auteur a demandé au Conseil exécutif de la ville de Brest d’organiser une réunion à côté d’une bibliothèque publique en vue de célébrer le cinquante‑deuxième anniversaire de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le 4 décembre 2000, le Conseil de la ville de Brest a autorisé l’auteur à organiser cette réunion au stade de Stroitel; cette décision était fondée sur une décision antérieure du Conseil (en date du 15 décembre 1998).

4.2Or, en violation de la décision de l’administration municipale, le 10 décembre 2000, M. Velichkin a organisé de manière illégale une réunion (un «piquet») dans une des rues principales de Brest (perspective Masherova). Il a refusé d’obéir aux nombreux ordres de mettre fin à la réunion que lui a donnés la police. Ces circonstances ont été confirmées devant les tribunaux par des témoignages et des photographies de la réunion.

4.3Compte tenu de ce qui précède, les tribunaux nationaux ont à juste titre jugé que les actes de l’auteur étaient constitutifs d’infractions aux articles 167‑1 (atteinte à l’ordre public par l’organisation et la tenue de rassemblements, de réunions, de défilés et de manifestations) et 166 (désobéissance à un ordre ou une requête légitime d’un fonctionnaire de police dans l’exercice de sa fonction de maintien de l’ordre) du Code des infractions administratives.

5.1Dans une lettre datée du 13 mars 2002, l’auteur conteste l’argument de l’État partie qui affirme qu’il a organisé une réunion illégale et a désobéi aux ordres de la police. Il réaffirme que ses actes ne correspondent pas à l’infraction administrative visée à l’article 167‑1 du Code et se réfère à la définition de la réunion (du «piquet») telle qu’elle figure à l’article 2 de la loi sur les rassemblements.

5.2L’auteur explique qu’il n’était pas l’organisateur d’une réunion tenue à proximité du CUM à Brest le 10 décembre 2000. Il fait valoir que, lorsqu’il s’était vu refuser le droit d’organiser la réunion à côté de la bibliothèque Pouchkine, il y avait renoncé, se conformant ainsi à la décision du Conseil exécutif de la ville; il explique qu’il a décidé de ne pas organiser une réunion au stade de Stroitel parce qu’il n’y aurait pas de visiteurs, et qu’il ne pourrait donc pas «atteindre l’objectif visé». Toutefois, le 10 décembre 2000, souhaitant rappeler à ses concitoyens l’anniversaire de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme et leurs droits, il a distribué à des passants, à 11 heures, une brochure contenant le texte de la Déclaration. Ce faisant, il n’a nullement porté atteinte à l’ordre public ni mis en péril la santé ou la vie d’autrui. Enfin, il réaffirme qu’il est victime de violations du droit de diffuser des informations garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que la même question n’est actuellement examinée par aucune autre instance internationale d’enquête et de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Il considère donc que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations au titre du paragraphe 2 de l’article 19. Il conclut que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2L’auteur a affirmé que son droit à la liberté de communiquer des informations, garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, avait été violé dans la mesure où il avait été arrêté alors qu’il distribuait le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme dans le centre de Brest, le 10 décembre 2000 et qu’il avait ensuite été condamné à une amende représentant 20 fois le salaire minimum. L’État partie a répondu que l’auteur avait violé les dispositions du Code des infractions administratives parce que, bien que le Conseil exécutif de la ville de Brest ait désigné un autre lieu pour la tenue de la réunion qu’il souhaitait organiser, il avait persisté à la tenir au centre de la ville et avait refusé d’obéir aux consignes de la police. Il ressort des documents dont est saisi le Comité que les activités de l’auteur ont été qualifiées par les tribunaux de «participation à une réunion non autorisée» et non pas de «diffusion d’informations». De l’avis du Comité, l’action des autorités, quelle que soit sa qualification juridique, constitue une limitation de fait des droits garantis au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que l’article 19 du Pacte autorise uniquement les restrictions expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il rappelle en outre que le droit à la liberté d’expression est d’une importance capitale dans toute société démocratique et que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit doit être justifiée en fonction de critères très stricts. Or en l’espèce l’État partie n’a invoqué aucun motif précis pour prouver que les restrictions imposées aux activités de l’auteur qui, qu’elles aient eu lieu ou non dans le cadre d’une réunion, ne mettaient nullement en danger l’ordre public, seraient nécessaires au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’offrir à M. Velichkin une réparation sous la forme d’une indemnisation d’un montant au moins égal à celui de l’amende infligée et des éventuels frais de justice encourus par l’auteur. L’État partie est aussi tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood

Les autorités de la ville de Brest (Bélarus) ont arrêté un jeune militant des droits de l’homme, M. Vladimir Velichkin, pour avoir organisé une «réunion» interdite devant un magasin. Cette «réunion» consistait à distribuer aux passants des exemplaires de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Quatre autres personnes distribuaient également ces documents et tenaient des affiches.

Le Comité a conclu que cette action du Bélarus constituait une atteinte indue au droit à la «liberté d’expression» de l’auteur et à son droit de «diffuser des informations», qui sont protégés par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cela est bien mais il y a eu en outre violation de l’article 21 du Pacte, c’est-à-dire du droit de réunion pacifique. Un État peut imposer des restrictions raisonnables à la tenue de réunions publiques dans l’intérêt de la sécurité et de l’ordre publics et pour protéger les droits et libertés d’autrui. Le Bélarus n’a pas essayé d’avancer une quelconque raison pour expliquer l’interdiction pure et simple par les autorités de la ville de Brest de tout mouvement de protestation et de toute réunion, même modestes, dans le centre de la ville.

Au départ l’auteur avait demandé l’autorisation d’organiser une réunion à côté de la bibliothèque publique Pouchkine. La ville de Brest a au contraire insisté sur le fait que tous les mouvements de protestation, manifestations et piquets de grève doivent se tenir exclusivement dans un stade éloigné du centre. Il va sans dire qu’un État n’a aucun intérêt légitime à interdire les réunions publiques dans le seul but de limiter leur influence.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

N. Communication n o  1036/2001, Faure c. Australie(Constatations adoptées le 31 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Bernadette Faure (représentée par son père, Leonard Faure)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

19 juin 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Perception des indemnités de chômage subordonnée à l’accomplissement d’un travail obligatoire

Questions de procédure: Épuisement des recours internes − allégations à étayer aux fins de la recevabilité − champ d’application du Pacte

Articles du Pacte: 2 et 8

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1036/2001 présentée par Bernadette Faure en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 19 juin 2001, est Bernadette Faure, de nationalités australienne et maltaise, née le 22 avril 1980. Elle se déclare victime d’une violation par l’Australie des droits qui lui sont reconnus aux paragraphes 2 et 3 a) à c) de l’article 2 et au paragraphe 3 de l’article 8. Elle est représentée par son père, Leonard Faure, qu’elle a expressément mandaté à cet effet.

Exposé des faits

2.1L’auteur a quitté l’école secondaire à l’âge de 16 ans, en 1996, et a depuis lors constamment perçu des allocations de chômage. Le 7 juillet 1997 est entrée en vigueur la loi de 1997 portant amendement de la législation sur la sécurité sociale (Travail contre allocation de chômage) («la loi de 1997»).

2.2Le 3 novembre 2000, après avoir été convoquée à un programme «d’assistance intensive» et l’avoir suivi chez IPA Personnel Ltd (une agence privée de placement agréée par le Gouvernement), l’auteur n’a pas respecté les conditions énoncées dans son «contrat de préparation au travail» (premier manquement au «contrôle de la recherche d’une activité» en deux ans). En conséquence, le 13 novembre 2000, elle s’est vu imposer une période de réduction du taux de son allocation de chômage.

2.3Après l’achèvement du programme «d’assistance intensive», l’auteur a été dirigée par trois fois vers un employeur, Mission Australie, pour suivre le programme Travail contre allocation de chômage, un entretien étant prévu dans chaque cas. Elle ne s’est présentée à aucun des entretiens. Dans l’intervalle, le 12 juin 2001, la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances a également refusé d’enquêter sur une plainte déposée en son nom selon laquelle le programme Travail contre allocation de chômage équivalait à un travail forcé ou obligatoire, refus motivé par le fait que la violation alléguée découlait de l’application directe de la législation et non d’une mesure discrétionnaire prise par l’auteur de la décision et ne relevait par conséquent pas du mandat de la Commission. En outre, cette dernière a fait observer que «… réduire ou supprimer les allocations de chômage parce qu’une personne ne veut pas participer au programme Travail contre allocation de chômage ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire, étant donné que la nature de la peine et le degré de contrainte n’atteignent pas le seuil requis pour constituer une violation du paragraphe 3 a) de l’article 8 du [Pacte]».

2.4Le 9 juillet 2001, l’auteur a commencé à suivre le programme Travail contre allocation de chômage, et son premier emploi a pris fin le 7 octobre 2001. Après avoir commencé à occuper un second emploi le 24 octobre 2001, elle ne s’est pas présentée au travail le 30 octobre, puis de nouveau les 5 et 6 novembre. Le 22 novembre 2001, une période de réduction du taux de son allocation de chômage lui a été imposée pour son absence inexpliquée du 30 octobre (deuxième manquement en deux ans au «contrôle de la recherche d’une activité»).

2.5Le 6 décembre 2001, le versement de l’allocation de chômage a été entièrement supprimé en raison de l’absence inexpliquée les 5 et 6 novembre 2001 (troisième manquement en deux ans au «contrôle de la recherche d’une activité») et l’auteur est sortie du programme Travail contre allocation de chômage. Avant cette suppression, contact a été pris avec elle et elle a déclaré avoir été trop malade pour se présenter au travail. Elle n’a pas pu produire de certificat médical pour motiver son absence, affirmant avoir perdu l’original fourni par le médecin, et n’a pas non plus présenté de copie délivrée par ce dernier. Le paiement de l’allocation de chômage a été supprimé pendant deux mois.

2.6Le 10 décembre 2001, le contrôleur chargé de la révision du dossier a confirmé la décision d’annuler le versement de l’allocation de chômage de l’auteur. Le 26 février 2002, les allocations de chômage ont été rétablies à la suite d’une nouvelle demande à cet effet.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur déclare avoir été tenue d’accomplir un travail forcé ou obligatoire en violation du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte, en particulier à cause de l’obligation de suivre le programme Travail contre allocation de chômage. Si elle refusait de suivre ce programme, elle allait perdre ses revenus à cause de la réduction ou de la suspension de ses allocations de chômage.

3.2L’auteur affirme en outre ne pas avoir de recours pour faire valoir ses griefs, en violation des paragraphes 2 et 3 a), b) et c) de l’article 2 du Pacte, étant donné que la plainte qu’elle a déposée devant la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances n’a pas été examinée. En particulier, elle fait valoir que la Commission était habilitée à présenter à l’Attorney-General des rapports ou des recommandations qui auraient pu être pris en considération dans la présente affaire.

Réponse de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans sa réponse du 17 juin 2002, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le bien‑fondé de la communication. L’État partie décrit en détail le fonctionnement de son programme Travail contre allocation de chômage, qui impose à des personnes comme l’auteur l’obligation d’accomplir certains travaux d’intérêt collectif sous peine de subir une réduction de leurs indemnités de chômage. On trouve une description plus détaillée du programme dans l’annexe de la communication.

4.2En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir que le principal grief formulé au titre de l’article 8 est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, étant donné que la participation de l’auteur au programme Travail contre allocation de chômage aurait pu être contestée grâce à un important système de révision et de recours en matière de sécurité sociale mis en place par la loi. Toute décision prise concernant une prestation de sécurité sociale peut faire l’objet d’une révision administrative − ainsi, une décision concernant la participation à un programme Travail contre allocation de chômage dans le cadre d’un contrat «préparation au travail» peut faire l’objet d’une révision, de même qu’une décision de faire participer une personne à un programme Travail contre allocation de chômage dans le cadre du contrôle général de recherche d’une activité. Cette révision objective est effectuée par un fonctionnaire spécialisé, qui n’est pas responsable de la décision initiale. Après quoi, une révision de la décision peut être demandée auprès du tribunal des recours en matière de sécurité sociale et appel peut être fait devant le tribunal des recours administratifs. Il est ensuite possible de faire appel devant les tribunaux fédéraux et devant la High Court (Cour suprême) d’Australie.

4.3Dans le cas à l’examen, l’auteur s’est bornée à solliciter une révision administrative interne le 10 décembre 2001, sans utiliser les autres recours à sa disposition. La communication a été présentée bien avant cette date, alors que l’auteur avait été informée à de nombreuses reprises des recours qui lui étaient ouverts. Elle peut par conséquent être considérée comme ayant été raisonnablement informée de ses droits en la matière, et les doutes qu’elle peut avoir concernant leur efficacité ne sauraient l’exonérer de l’obligation de les utiliser.

4.4L’auteur n’a pas non plus demandé de réexamen judiciaire de la décision dans laquelle la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances se déclarait incompétente pour examiner sa plainte au motif que cette plainte concernait le fonctionnement direct de la législation sur la sécurité sociale, et non l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par l’organe de décision. L’autre possibilité, selon l’État partie, était que l’auteur s’adresse directement au tribunal fédéral pour demander un réexamen judiciaire de la décision de la faire participer à un programme Travail contre allocation de chômage.

4.5Quant au grief subsidiaire formulé au titre de l’article 2, l’État partie fait valoir qu’il est incompatible avec le Pacte et, de surcroît, inapplicable aux faits invoqués. L’État partie mentionne la jurisprudence du Comité selon laquelle l’article 2 a un caractère accessoire par rapport aux articles de fond du Pacte et fait valoir, par conséquent, qu’en l’absence de violation de l’article 8 du Pacte la communication ne peut soulever de question au titre de l’article 2 pris isolément. En outre, la communication ne formule aucun grief pouvant constituer une violation de l’article 2, pas plus qu’elle ne précise la nature de la violation alléguée.

4.6L’État partie ajoute que cette allégation est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes sur la base des arguments exposés plus haut en la matière à propos de l’article 8. Enfin, il affirme que cette allégation n’est pas étayée aux fins de la recevabilité: il s’agit d’une simple affirmation formulée sans élément de preuve indiquant que l’auteur n’a pas eu de recours utile.

4.7En ce qui concerne le bien‑fondé de l’allégation de violation de l’article 8, l’État partie fait observer qu’en l’absence d’examen quant au fond de la question du travail forcé par le Comité, celui‑ci doit s’en remettre aux approches des autres organisations internationales. Si toute référence aux Conventions de l’OIT sur le travail forcé (no 29 de 1930) et sur l’abolition du travail forcé (no 105 de 1957) a été délibérément omise du Pacte en raison de difficultés soulevées par les définitions de l’OIT, on peut toutefois s’inspirer des conclusions de la Commission d’experts de l’OIT pour déterminer le travail forcé ou obligatoire «admissible» qui peut être imposé. Selon le commentaire d’un universitaire, les États doivent respecter certaines normes minimales du travail et de la protection sociale contenues dans les deux Conventions de l’OIT pour être couverts par les exceptions énoncées au paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte.

4.8L’État partie admet que la Commission d’experts de l’OIT chargée de surveiller la législation chilienne sur les indemnités de chômage a estimé que la perte de prestations imposée à une personne qui refusait d’accomplir un travail d’intérêt général serait «équivalente à une peine au sens de la Convention». Elle fait toutefois une distinction entre les différents programmes du fait que, au Chili, le paiement des allocations de chômage était subordonné au versement des cotisations durant 52 semaines au cours des deux années précédentes, alors qu’en Australie les allocations ne sont subordonnées à aucune cotisation antérieure. En outre, les allocations de chômage au Chili sont limitées dans le temps, alors qu’elles ne le sont pas en Australie. Pour l’État partie, par conséquent, les observations de la Commission d’experts sur le Chili ne s’appliquent pas au cas à l’examen.

4.9Citant la jurisprudence relativement rare se rapportant aux dispositions analogues de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État partie mentionne l’affaire Van der Mussele c. Belgique. La Cour européenne a estimé qu’un avocat stagiaire, qui choisissait volontairement d’embrasser la carrière, ne pouvait être considéré comme ayant été contraint à un travail forcé parce qu’il lui avait été demandé d’accomplir bénévolement une certaine quantité de travail pendant son stage d’avocat afin de pouvoir être admis au barreau. De l’avis de la Cour, ce service n’imposait pas une charge excessive ou disproportionnée aux avantages qui s’attachaient à l’exercice futur de la profession au point d’être considéré comme n’ayant pas été accepté de plein gré au préalable. Étant donné que les exceptions à l’article 4 étaient fondées sur les idées maîtresses d’intérêt général, de solidarité sociale et de normalité, le service requis n’était pas disproportionné ni déraisonnable.

4.10Dans l’affaire X. c. Pays ‑Bas , la Commission européenne des droits de l’homme a conclu que la suspension pendant 26 semaines de l’allocation de chômage d’un ouvrier du bâtiment qui avait refusé d’accepter une offre de travail en alléguant une surqualification n’équivalait pas à un travail forcé ou obligatoire. La Commission a estimé que nul n’était contraint, sous menace de peine, à accepter une offre de travail émanant des autorités publiques compétentes. En fait, l’acceptation de cette offre était simplement une condition à remplir pour percevoir des allocations de chômage, le refus étant sanctionné seulement par la perte temporaire desdites allocations.

4.11L’État partie observe que, dans le Pacte, l’exception concernant «tout travail ou tout service formant partie des obligations civiques et normales» n’est pas définie de façon spécifique, mais devrait être interprétée à la lumière des normes minimales énoncées dans la Convention no 29 de l’OIT. Au paragraphe 2 e) de son article 2, cette Convention exclut:

«… les menus travaux de village, c’est‑à‑dire les travaux exécutés dans l’intérêt direct de la collectivité par les membres de celle‑ci, travaux qui, de ce fait, peuvent être considérés comme des obligations civiques normales incombant aux membres de la collectivité, à condition que la population elle‑même ou ses représentants directs aient le droit de se prononcer sur le bien‑fondé de ces travaux.».

4.12Il est également pertinent de signaler que l’article 11 définit un âge minimum de 18 ans et exige des examens médicaux préalables pour les personnes appelées à accomplir un travail obligatoire, et que l’article 12 stipule que la période maximale de travail ne doit pas dépasser 60 jours par an. L’article 13 dispose que l’horaire de travail doit correspondre à celui du travail volontaire, et l’article 14 fixe une rémunération financière qui ne doit pas être inférieure à celle pratiquée pour des travaux similaires dans la même circonscription. L’article 15 stipule que la législation en matière d’indemnisation et d’incapacité des travailleurs s’applique aux deux formes de travaux. L’État partie fait valoir que le programme Travail contre allocation de chômage satisfait aux normes minimales de la Convention. Il est tout à fait normal, comme le reconnaissent les instruments de l’OIT mentionnés plus haut, de soumettre le versement de prestations de sécurité sociale à des conditions raisonnables. En participant au programme Travail contre allocation de chômage, les chômeurs de longue durée améliorent leurs compétences, leur employabilité et donc leur autonomie future. Les allocations de chômage en Australie ne dépendent pas des cotisations antérieures, pas plus qu’elles ne sont limitées dans le temps. Nul n’est contraint de les accepter, mais, si une personne décide de les accepter, il est raisonnable de lui demander de participer à un programme Travail contre allocation de chômage.

4.13L’État partie fait valoir que la présente communication soulève des questions touchant le travail obligatoire et non le travail forcé, vu l’absence de toute contrainte physique ou morale. Si l’on applique le critère élaboré par la Cour européenne dans l’affaire Van der Mussele, la participation de l’auteur au programme Travail contre allocation de chômage n’atteint même pas le seuil du travail obligatoire, on n’y trouve ni l’intensité nécessaire de la sanction ni le caractère forcé. L’État partie souligne qu’il a examiné avec soin la compatibilité du programme avec ses obligations internationales, comme en témoignent les déclarations faites au cours de l’examen du projet de loi en deuxième lecture par le Parlement:

«Le Gouvernement connaît ses obligations internationales. Il a pris l’avis du Ministère de la justice (Attorney ‑General’s Department), selon lequel une mesure prévoyant un travail contre une indemnité de chômage ne devrait pas être contraire aux obligations internationales de l’Australie, à condition que le travail proposé dans ce cadre soit “adapté” et “raisonnable” eu égard à la personne concernée. Le fait que le versement de l’indemnité de chômage ne soit pas fondé sur une cotisation obligatoire préalable, conjugué aux effets bénéfiques du programme Travail contre allocation de chômage pour les participants, signifie que cette initiative doit être considérée comme raisonnable pour ce qui est de la contribution à la collectivité requise des participants.».

4.14Analysant les deux éléments en cause, à savoir la peine et l’absence de choix, l’État partie souligne que la non‑participation au programme, sans excuse raisonnable, n’entraîne au départ qu’une réduction du taux de l’allocation de chômage versée, et qu’un deuxième manquement − toujours sans excuse raisonnable − entraîne une suspension des paiements pendant deux mois seulement. Il n’existe pas de droit absolu à la sécurité sociale, et les normes de l’OIT sur les allocations de chômage prévoient la possibilité de les retirer lorsqu’un individu refuse une offre d’emploi adaptée et raisonnable. À cet égard, le fait de ne pas suivre le programme Travail contre allocation de chômage ne comporte aucun élément de peine qui rende le programme assimilable au travail forcé.

4.15S’agissant de l’absence de choix, l’État partie fait valoir que les modalités du programme répondent aux critères du caractère raisonnable et de la proportionnalité. Les chômeurs ne sont pas tenus d’accepter les indemnités mais, s’ils le font, ils auront peut‑être une condition préalable à remplir, à savoir participer au programme Travail contre allocation de chômage. Le chômage de longue durée chez les jeunes est un problème sérieux en Australie, et le programme Travail contre allocation de chômage fait partie d’une série de réponses novatrices à ce problème. Le programme est fondé sur l’idée d’une réciprocité des obligations entre le chômeur et la collectivité qui le soutient. Les projets en question apportent des avantages tangibles réels aux collectivités sous forme de services collectifs, d’infrastructures, de soins et d’assistance. Le programme est spécialement conçu pour améliorer les compétences, l’employabilité, l’estime de soi et l’expérience des jeunes chômeurs. Pour la tranche d’âge des 18‑20 ans, 12 heures de travail par semaine seulement sont exigées, tandis que les personnes âgées de plus de 20 ans doivent travailler 15 heures par semaine, selon des horaires correspondant à ceux pratiqués en général sur le marché du travail.

4.16En outre, les participants ne peuvent travailler dans le cadre de ce programme que six mois d’affilée et six mois par an. Les conditions à remplir en matière de recherche d’emploi pour les participants au programme sont ramenées à deux contacts avec des employeurs par quinzaine. Des mécanismes d’équilibre, doublés de procédures d’examen, permettent de faire en sorte que le travail spécifique demandé soit adapté et raisonnable, le participant ayant la possibilité de soulever ces questions. L’État contracte une assurance en responsabilité et une assurance accidents pour les participants. Enfin, un supplément leur est versé chaque quinzaine pour couvrir les frais occasionnés. Compte tenu de ces éléments, la charge que le programme Travail contre allocation de chômage impose aux jeunes chômeurs comme condition pour percevoir les indemnités en question n’est pas déraisonnable, ni disproportionnée si on la met en balance avec les effets bénéfiques qui en résultent pour eux et la collectivité.

4.17L’auteur avait perçu des indemnités de chômage pendant quatre ans avant d’être dirigée vers le programme, à l’âge de 21 ans. Elle avait auparavant participé à plusieurs activités destinées à améliorer son employabilité, notamment un programme d’assistance intensive d’une année. Ses indemnités de chômage ont été supprimées car elle n’a pas apporté la preuve de la maladie alléguée et n’a donc pas pu produire une excuse raisonnable de son absence. Cette décision a été confirmée lors de sa révision, à l’occasion de laquelle l’auteur a également affirmé n’être pas en mesure d’accomplir le travail de fabrication de béton qui faisait partie du projet. Mais le Coordonnateur du travail d’utilité collective a fait savoir que cette fabrication représentait une part minime du travail, que d’autres jeunes femmes y participaient et que personne n’a été obligé de faire un travail dépassant ses capacités physiques. De l’avis de l’État partie, ces procédures montrent de quelle manière les mécanismes d’équilibre permettent de faire en sorte que les participants au programme Travail contre allocation de chômage se voient assigner des tâches raisonnables et convenables.

4.18En conclusion, l’État partie invite le Comité à constater que l’auteur n’était pas tenue d’accomplir un travail obligatoire au sens de l’article 8 du Pacte, ou que, si tel était le cas, ce travail se justifiait par l’exception concernant les «obligations civiques normales» énoncée au paragraphe 3 c) iv) de l’article 8, d’où l’absence de violation du Pacte.

4.19En ce qui concerne le bien‑fondé des allégations de violation de l’article 2, l’État partie fait valoir que la plainte principale présentée au titre de l’article 8 étant soit irrecevable soit dénuée de fondement, l’allégation d’une violation de l’article 2 doit également être considérée comme sans fondement. En tout état de cause, l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour permettre un examen convenable de son allégation. En admettant que l’on puisse dire que la communication contenait quelques éléments pour étayer la plainte, l’État partie affirme, à la lumière de ses observations concernant la recevabilité au titre de l’article 2, qu’il protège pleinement les droits énoncés par le Pacte par le biais de la common law et de la législation fédérale, de celle des États et des Territoires. Dans le cas à l’examen, de nombreux mécanismes de recours et de révision étaient disponibles, mais n’ont pas été utilisés. Le non‑épuisement des recours internes conduit également à conclure à l’absence de violation.

4.20Quant à l’allégation spécifique selon laquelle la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances n’a pas fait de rapport ni présenté de recommandations à l’Attorney général, l’État partie fait observer que cela est dû au fait que la Commission a rejeté la plainte de l’auteur et ne peut donc servir de fondement à une allégation de violation au titre de l’article 2.

Commentaires de l’auteur sur la réponse de l’État partie

5.1Dans une lettre du 1er septembre 2002, l’auteur a contesté la réponse de l’État partie; elle a rejeté l’applicabilité à son cas du raisonnement de la Cour européenne dans l’affaire Van der Mussele, au motif qu’elle n’était pas dans une relation apprentie‑enseignant, ni en situation de stagiaire en train de faire un travail obligatoire à titre de formation professionnelle. En tout état de cause, ce précédent est inapplicable à son cas car elle ne s’est jamais vu offrir, et n’a donc pu refuser, un emploi convenable, comme l’exigent les instruments de l’OIT. Elle a au contraire été inscrite d’office au programme Travail contre allocation de chômage, et ses allocations de chômage ont par la suite été suspendues, aucun emploi convenable ne lui ayant été offert. Elle souligne qu’elle a été inscrite d’office au programme Travail contre allocation de chômage afin de faire un travail d’intérêt collectif. Elle rejette le raisonnement de la Commission européenne dans l’affaire X, selon lequel la suspension du paiement des indemnités de chômage ne peut être considérée comme équivalant à une situation où des paiements sont ultérieurement suspendus sans qu’un emploi convenable ait été proposé.

5.2L’auteur fait valoir que la menace, réelle ou ressentie, d’une suspension totale des indemnités de chômage en cas de non‑participation au programme Travail contre allocation de chômage doit être considérée comme faisant peser une pression morale très forte, et affirme que «la perspective de ne plus pouvoir subsister ne saurait être interprétée autrement».

5.3L’auteur rejette l’affirmation selon laquelle les recours internes n’ont pas été épuisés, faisant valoir que la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances et certains courriers administratifs du programme Travail contre allocation de chômage n’indiquaient pas expressément qu’elle avait le droit de demander la révision de la décision. En tout état de cause, la menace d’annulation des indemnités de chômage formulée dans lesdits courriers donnait l’impression qu’il n’existait aucun droit de révision. L’auteur cite la décision du Comité dans l’affaire Landry c. Canada à l’appui de sa position selon laquelle, en pareilles circonstances, l’État ne peut plus invoquer le non‑épuisement des recours internes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Sur la question de l’épuisement des recours internes, le Comité observe que nul ne conteste que le cas de l’auteur entre bien dans le champ d’application de la législation attaquée, la violation alléguée découlant de l’application directe de la loi à son cas. Comme le Comité l’a fait observer dans un contexte similaire, il serait futile de penser qu’un auteur engagerait des poursuites judiciaires à seule fin de confirmer le fait incontesté que la législation en question, en l’occurrence la loi de 1997, et l’obligation de participer au programme Travail contre allocation de chômage imposé conformément à cette loi s’appliquent effectivement à son cas, alors que ce qui est attaqué devant le Comité est l’application concrète de cette loi, dont le contenu ne peut l’être devant les juridictions nationales. Comme l’État partie n’a pas montré de quelle manière le contenu du régime Travail contre allocation de chômage institué dans la loi de 1997 applicable à l’auteur peut être attaqué devant les tribunaux nationaux, le Comité considère que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner l’affaire.

6.3Quant à l’argument selon lequel les allégations formulées au titre des articles 2 et 8 sont exclues ratione materiae du champ d’application du Pacte et ne sont pas suffisamment étayées, le Comité considère que l’auteur a avancé des arguments d’un poids suffisant pour étayer, aux fins de la recevabilité, les allégations qu’elle formule au titre de ces articles du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Pour ce qui est tout d’abord de l’allégation de violation de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle qu’aux termes de cet article, les États parties s’engagent à garantir un recours utile en cas de violation des droits reconnus dans le Pacte. Dans la décision qu’il a rendue dans l’affaire Kazantzis c. Chypre, le Comité a déclaré: «Le paragraphe 3 de l’article 2 prévoit que les États parties, outre qu’ils doivent protéger efficacement les droits découlant du Pacte, doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles, utiles et assortis de garanties effectives pour faire valoir ses droits … Cette disposition semble littéralement exiger qu’une violation de l’une des garanties du Pacte soit formellement établie car cela constitue une condition préalable à l’obtention de recours tels que la réparation ou la réhabilitation. Toutefois, le paragraphe 3 b) de l’article 2 oblige l’État partie à faire en sorte qu’une autorité judiciaire, administrative ou législative compétente se prononce sur le droit à un tel recours, garantie qui serait caduque si elle n’était pas disponible avant que l’existence d’une violation n’ait été établie. Certes, il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie en application du paragraphe 3 b) de l’article 2 de la Convention de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées, mais le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte.». (Les notes de bas de page internes ont été supprimées.)

7.3En appliquant ce raisonnement à l’allégation selon laquelle l’État partie n’a pas fourni un recours utile pour la violation de l’article 8 du Pacte, le Comité observe, en ce qui concerne les considérations présentées plus haut sur la recevabilité dans le contexte de l’épuisement des recours internes que, dans le régime juridique de l’État partie, il était et il demeure impossible à une personne telle que l’auteur de contester les éléments de fond du programme Travail contre allocations de chômage, c’est‑à‑dire l’obligation imposée par la loi à des personnes comme elle, qui réunissent les conditions préalables pour participer au programme, d’accomplir un travail en échange de la perception d’allocations de chômage. Le Comité rappelle que les recours proposés par l’État partie portent sur la question de savoir si une personne répond ou non aux conditions requises pour participer au programme, mais il n’existe aucun recours permettant à ceux qui sont soumis à ce programme par la loi d’en contester la teneur.

7.4Comme l’a montré le Comité dans ses considérations sur le fond de la question soulevée au titre de l’article 8 (voir infra), cette question pose indéniablement un problème, à savoir, pour reprendre les termes de la décision du Comité dans l’affaire Kazantzis, celui des plaintes «suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte». Il s’ensuit, par conséquent, que l’absence de recours disponible pour vérifier la validité d’une plainte défendable en vertu de l’article 8 du Pacte comme celle qui est à l’examen constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 8.

7.5Concernant la principale allégation formulée au titre du paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte, le Comité observe que le Pacte ne donne pas d’autre précision sur la signification des termes «travail forcé ou obligatoire». Même si les définitions figurant dans les instruments pertinents de l’OIT peuvent aider à préciser le sens des termes en question, il incombe en dernière analyse au Comité de définir en quoi consistent les pratiques prohibées. De l’avis du Comité, l’expression «travail forcé ou obligatoire» désigne toute une gamme de pratiques allant du travail imposé à une personne au moyen d’une sanction pénale, en particulier dans des conditions ayant un caractère de coercition, d’exploitation ou particulièrement inacceptables à des formes plus légères de travail lorsque le refus d’exécuter le travail demandé expose la personne concernée à une sanction comparable. Le Comité note en outre qu’aux termes du paragraphe 3 c) iv) de l’article 8 du Pacte, n’est pas considéré comme «travail forcé ou obligatoire» tout travail ou tout service formant partie des obligations civiles normales. À son avis, pour que ce type de travail soit assimilé à une obligation civile normale, il faut, au minimum, que l’obligation ne constitue pas une mesure exceptionnelle; elle ne doit pas avoir de but ou d’effet punitif et elle doit être prévue par la loi afin de répondre à un objectif légitime au regard du Pacte. Compte tenu de ces considérations, le Comité estime que les faits dont il est saisi, notamment l’absence de caractère dégradant ou déshumanisant du travail spécifique exécuté, n’indiquent pas que le travail en question entre dans le cadre des interdictions énoncées à l’article 8. Il s’ensuit qu’il n’y a pas violation de l’article 8 pris séparément.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 8.

9.Bien que, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie soit tenu de fournir à l’auteur un recours utile, le Comité estime qu’en l’espèce ses constatations sur le bien‑fondé des plaintes constituent une réparation suffisante pour la violation constatée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

ANNEXE

Description par l’État partie du programme Travail contre allocation de chômage

Le programme Travail contre allocation de chômage a été introduit par la législation de 1997. Selon la loi, il a pour objet de «renforcer le principe de la réciprocité des obligations en matière de [prestations de chômage] en considérant qu’il est juste et raisonnable que des personnes percevant de telles prestations participent à des programmes de travail agréés en échange du versement de ces allocations et d’énoncer les moyens par lesquels ces personnes peuvent être mises en mesure, ou en demeure, d’accomplir ce type de travail».

«4.3L’État partie souligne qu’un programme Travail contre allocation de chômage ne peut comporter l’obligation de travailler plus de 24 heures (pour les personnes âgées de moins de 21 ans) ou 30 heures (pour les personnes âgées de plus de 21 ans) par quinzaine, et qu’une personne est désignée pour suivre un programme pendant au maximum six mois par an. Pour avoir droit à une allocation de chômage, il faut en règle générale:

a)Être chômeur;

b)Subir avec succès le «contrôle de recherche d’une activité» ou en être dispensé si, par exemple, on suit des études à plein temps, on réside dans une région éloignée, on a donné naissance à un enfant, et ainsi de suite. Pour satisfaire au «contrôle de la recherche d’une activité», une personne doit rechercher activement un travail rémunéré approprié et être disposée à l’accepter et suivre les programmes et la formation qui peuvent lui être assignés, comme par exemple le programme Travail contre allocation de chômage;

c)Être disposé à signer et respecter un contrat de «préparation au travail», qui peut comporter la participation à un programme Travail contre allocation de chômage;

d)Satisfaire à certaines autres conditions d’âge, de résidence et autres conditions analogues.

4.4Après avoir perçu une allocation de chômage pendant six mois, la personne au chômage doit, si elle est assujettie au «contrôle de la recherche d’une activité», commencer à suivre un programme ou une activité de son choix, dont fait partie le programme Travail contre indemnité de chômage, dont le but est d’améliorer ses perspectives d’emploi. Si la personne ne choisit ni programme ni activité, elle se voit affecter pendant six mois à un emploi au titre du Travail contre allocation de chômage, dans le cadre de la pratique administrative, si:

a)Elle perçoit une prestation de chômage à taux plein;

b)Elle a les compétences et l’expérience nécessaires pour accomplir les tâches requises;

c)Les tâches attachées à l’emploi en question sont médicalement appropriées et ne posent aucun problème touchant l’hygiène et la sécurité du travail; et

d)Certaines autres conditions sont réunies.

4.5Dès que commence l’emploi au titre du Travail contre allocation de chômage, l’indemnité de chômage est majorée de 21 dollars australiens par semaine pour tenir compte des frais supplémentaires qu’entraîne la participation au programme. Des coordonnateurs du travail d’utilité collective aident les personnes embauchées et présentent, dans le cadre de normes strictes, des rapports de participation afin de veiller au respect des conditions attachées à la participation au programme.

4.6Si l’intéressé ne commence ou n’achève pas le programme Travail contre allocation de chômage, notamment lorsqu’il fait partie d’un contrat de préparation au travail, ou s’il ne respecte pas les conditions du programme Travail contre allocation de chômage, sans excuse raisonnable, il y a manquement au «contrôle de la recherche d’une activité», qui s’accompagne de pénalités financières sous forme de réduction du versement des indemnités de chômage. Au troisième manquement observé dans une période de deux ans, le paiement des allocations de chômage est interrompu pendant deux mois.»

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood, membre du Comité

Dans un monde où sévissent toujours des problèmes de castes, des systèmes coutumiers de servage ou de travail sous contrat, le travail forcé dans des zones isolées dans des conditions qui s’apparentent souvent à l’esclavage, et le scandale du trafic sexuel de personnes, c’est faire peu de cas du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que de supposer qu’une obligation raisonnable de travail et de formation comme condition pour pouvoir bénéficier de prestations nationales de chômage dans un système moderne de protection sociale pourrait constituer un «travail forcé ou obligatoire» au sens de l’article 8 3) a).

L’Australie possède un programme d’allocations de chômage qui aide les demandeurs d’un premier emploi pendant six mois, dès lors qu’ils sont disposés à accepter un travail rémunéré. Après six mois, le maintien des prestations peut être subordonné à la volonté réelle de l’intéressé d’améliorer ses compétences professionnelles et de restituer quelque chose à la société, dans le cadre du programme «Travail contre allocation de chômage». Dans ce programme, le travail exigé est limité à 12 heures par semaine pour les personnes de moins de 21 ans et à 15 heures pour les personnes de 21 ans ou plus.

L’auteur de la communication, Mme Bernadette Faure, a touché une allocation de chômage dès sa sortie de l’enseignement secondaire, en 1996. En novembre 2000, après avoir suivi un programme «d’assistance intensive» dans une agence de placement agréée par le Gouvernement, elle n’a pas respecté les conditions énoncées dans son «contrat de préparation au travail» et son allocation publique a été réduite. Par la suite, elle ne s’est pas présentée à trois rendez‑vous fixés pour un entretien avec un employeur appelé «Mission Australie», dans le cadre du programme Travail contre allocation de chômage. Finalement, en juillet 2001, elle a participé avec succès audit programme et elle a occupé un emploi jusqu’au 7 octobre 2001. Elle a pris un autre emploi le 24 octobre 2001, mais ne s’est pas présentée au travail le 30 octobre, ni les 5 et 6 novembre 2001, invoquant des raisons de santé mais sans présenter un certificat médical à l’appui de ses dires. L’absence non justifiée du 30 octobre a entraîné une réduction de 24 % du taux de son allocation de chômage et la deuxième absence a entraîné la suppression de cette prestation. L’allocation a été rétablie le 26 février 2002.

Mme Faure affirme que l’Australie lui a imposé un type de «travail forcé ou obligatoire» interdit par le Pacte, en exigeant qu’elle participe à un programme de travail et de formation pour pouvoir bénéficier d’une prestation publique de chômage. L’État partie fait valoir que le programme en question contribue à l’acquisition de compétences professionnelles et qu’il constitue une forme de «réciprocité des obligations» qui respecte les intérêts de la collectivité comme ceux du demandeur d’emploi. Mme Faure utilise à propos de l’obligation de travail des termes que l’on aurait pu croire réservés à des pratiques effroyables d’un autre âge telles que le travail forcé imposé par les puissances coloniales pour construire des canaux et des routes, plutôt qu’aux obligations mutuelles qui sont celles d’une société démocratique moderne.

Dans son ouvrage consacré au Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, CCPR Commentary (2e éd. 2005), le professeur Manfred Nowak conclut à la page 202 que «La simple expiration des prestations de chômage lorsqu’une personne refuse d’accepter un travail ne correspondant pas à ses qualifications ne constitue pas une violation [de l’article 8]; dans la présente affaire, ni le degré de contrainte ni celui de la sanction n’atteignent le niveau équivalant à un travail forcé ou obligatoire.». Les propos éminemment sensés du professeur Nowak sont tout à fait conformes aux objectifs de l’article 8. Sur la base des faits incontestés de la présente affaire, je rejetterais, comme irrecevable parce qu’infondée, la plainte présentée par l’auteur pour «travail forcé ou obligatoire».

Par ailleurs, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours administratifs et judiciaires possibles. Dans sa plainte, elle conteste le programme Travail contre allocation de chômage au motif que, entre autres choses, les tâches qui lui étaient demandées n’étaient pas «convenables» (par exemple, elle avait dû apprendre à manier «du béton» dans un projet d’intérêt collectif) et n’étaient pas assimilables à une «formation professionnelle». On se reportera aux constatations du Comité, paragraphes 4.17 et 5.1, supra. Par conséquent, d’après l’auteur, les emplois qu’elle a occupés ne peuvent pas être qualifiés de stages ou de formations professionnelles qui auraient pu échapper à la définition infamante du «travail forcé».

Or l’auteur n’a pas contesté le caractère «convenable» de ses emplois dans le cadre des recours administratifs et judiciaires ouverts en Australie aux bénéficiaires du programme Travail contre allocation de chômage. Apparemment, tout bénéficiaire est habilité à refuser un emploi donné, ou à en contester l’utilisation en tant que «contrôle général de recherche d’une activité» aux fins de maintien des prestations. Voir id., paragraphes 4.2 à 4,4, supra. Les recours prévus sont le réexamen par un fonctionnaire spécialisé, et la saisine du tribunal des recours en matière de sécurité sociale, du tribunal des recours administratifs, des tribunaux fédéraux et de la Cour suprême.

En outre, après la cessation des prestations consécutive à ses absences non justifiées, l’auteur n’a pas jugé utile de faire appel de la décision au‑delà du réexamen en première instance, bien qu’elle eût été «informée à de nombreuses reprises des recours qui lui étaient ouverts». Voir id., paragraphe 4.3.

Assurément, l’auteur a demandé l’intervention rapide de la Commission australienne des droits de l’homme et de l’égalité des chances, après avoir omis par trois fois de se présenter à un entretien auprès de Mission Australie, et avoir subi une réduction de 18 % de son allocation. Voir id., paragraphes 2.2 et 2.3. Dans une décision rendue le 12 juin 1991, la Commission australienne des droits de l’homme a conclu que sa compétence était limitée à l’examen de décisions discrétionnaires des agents de l’État, et non à l’examen d’un mandat statutaire. En outre, les membres de la Commission ont fait observer, sur le fond, que «réduire ou supprimer les allocations de chômage parce qu’une personne ne veut pas participer au programme Travail contre allocation de chômage ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire, étant donné que la nature de la peine et le degré de contrainte n’atteignent pas le seuil requis pour constituer une violation du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte». Or l’auteur n’a nullement demandé la révision judiciaire de la décision de la Commission.

Vu ce qui précède, il est difficile de conclure que l’auteur a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts. Par ailleurs, l’auteur n’a pas établi que l’État partie ne lui avait pas fourni un recours utile, ainsi qu’il est prévu à l’article 2, contre une violation «défendable» des droits prévus par le Pacte.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

O. Communication n o 1042/2001, Boimurodov c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 20 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Abdukarim Boimurodov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Mustafakul Boimurodov (fils de l’auteur)

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

24 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable, torture

Questions de fond: Bien‑fondé des allégations, adéquation de la réponse de l’État partie

Questions de procédure: Aucune

Articles du Pacte: 6, 7, 9 (par. 1 et 2) et 14 (par. 1 et 3 a), b), d) et g))

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1042/2001 présentée au nom de Mustafakul Boimurodov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Abdulkarim Boimurodov, citoyen tadjik né en 1955. Il présente la communication au nom de son fils, Mustafakul Boimurodov, lui aussi citoyen tadjik, né en 1976, emprisonné à Douchanbé, Tadjikistan. Il déclare que son fils est victime de violations par le Tadjikistan des articles 6, 7, 9, paragraphes 1 et 2, et 14, paragraphes 1, 3 a), b), d) et g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble aussi soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l’article 9. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Dans la soirée du 10 octobre 2000, des policiers se sont présentés à la porte de l’appartement que l’auteur partageait avec son fils, sans mandat de perquisition ni mandat d’arrêt, ont fouillé l’appartement et arrêté son fils. Entre le 10 octobre et le 1er novembre 2000, le fils de l’auteur a été maintenu en détention dans un centre de détention temporaire, avant d’être transféré dans un centre de détention et d’enquête. Il est resté au secret pendant 40 jours; pendant tout ce temps, aucun membre de sa famille ne savait où il se trouvait et il n’a pas eu accès aux services d’un avocat.

2.2Dès le jour de son arrestation, le fils de l’auteur aurait été torturé par des policiers appartenant à divers services pour le forcer à avouer des actes de terrorisme. Il aurait été frappé sur tout le corps à coups de matraque, de crosse de revolver et de tube de métal. Il a eu plusieurs ongles des orteils arrachés avec des tenailles. Le 1er et le 8 novembre 2000 et le 2 avril 2001, l’intéressé a demandé à recevoir des soins médicaux. Le dossier médical fait état d’un traumatisme crânien, mais d’autres lésions dues aux tortures n’y sont pas mentionnées, comme le fait qu’il n’avait plus d’ongles à plusieurs orteils. Plusieurs policiers ont été par la suite inculpés pour mauvais traitements infligés au fils de l’auteur, mais aucun n’a été poursuivi et tous ceux qui étaient impliqués sont toujours en exercice.

2.3Le fils de l’auteur, incapable de résister aux tortures, a reconnu tout ce dont il était accusé, à savoir sa participation alléguée à 10 incidents terroristes impliquant les délits suivants: participation à des actes de terrorisme, meurtre, tentative de meurtre et détention illicite d’explosifs et fabrication d’explosifs. Il apparaît qu’il n’a été poursuivi que pour les délits se rapportant à trois incidents seulement: l’explosion survenue dans un centre missionnaire coréen le 1er octobre 2000, qui a causé la mort de neuf personnes; l’explosion survenue au domicile de l’ex‑femme du fils de l’auteur le 10 octobre 2000, qui a blessé l’intéressée et entraîné la mort d’une autre personne; une explosion survenue dans un magasin. L’auteur estime que le fait que son fils a reconnu son implication dans les 10 incidents, y compris ceux pour lesquels il n’a pas été poursuivi, montre que ses aveux ont été obtenus sous la contrainte.

2.4Le juge qui présidait la Cour suprême pendant le procès de son fils, en mars 2001, se serait montré favorable à l’accusation, interrompant l’accusé et ses témoins quand ils ne disaient pas ce que les autorités voulaient leur faire dire. Au départ, le juge avait refusé que certains témoins à décharge interviennent, et ce n’est que sur l’insistance de l’avocat de son fils qu’ils avaient été entendus. À propos de l’attentat à la bombe contre le centre missionnaire coréen, ces témoins ont présenté des éléments de preuve confirmant l’alibi du fils de l’auteur au moment de l’explosion. Le juge qui présidait la Cour n’en a pas moins écarté les éléments de preuve de ces témoins au motif qu’il s’agissait de voisins et de parents de l’accusé; en revanche, il a retenu la déclaration des témoins à charge qui disaient avoir vu l’auteur sur les lieux du crime. L’un de ces témoins a été «menacé» par le juge après avoir dit qu’il n’était pas certain d’avoir vu l’auteur sur les lieux du crime; il est revenu sur sa déclaration par la suite et a confirmé qu’il avait bien vu le fils de l’auteur au centre missionnaire au moment de l’incident. En ce qui concerne l’attentat à la bombe contre l’appartement de l’ex‑belle‑fille de l’auteur, celui‑ci allègue que la Cour n’a pas dûment examiné les autres versions de l’incident.

2.5La Cour a retenu les éléments de preuve de l’accusation concernant l’explosif découvert dans l’appartement de l’auteur, dont les autorités ont établi qu’il s’agissait de 73,5 grammes d’ammonal. Or, comme l’auteur l’a expliqué au juge, c’est lui qui avait acheté ce produit, et il pensait qu’il s’agissait de sulfure. Il ajoute que, comme il n’y a pas d’experts des explosifs au Tadjikistan, il voit mal comment le produit aurait pu être analysé par les services officiels.

2.6Au cours du procès, son fils est revenu sur ses aveux, disant qu’ils lui avaient été extorqués sous la torture, et il a même donné le nom de ses tortionnaires. Il a fait valoir par ailleurs que l’appartement avait été perquisitionné illégalement et qu’on l’avait empêché d’entrer en contact avec ses proches ou avec un avocat pendant 40 jours. Le 13 juillet 2001, en dépit de ces arguments, le fils de l’auteur a été déclaré coupable de participation à trois actes de terrorisme et condamné à mort. Le 12 octobre 2001, son appel devant la chambre des appels de la Cour suprême a été confirmé en partie; sa condamnation pour l’attentat à la bombe contre un magasin a été cassée, faute de preuves. En revanche, la condamnation prononcée pour les deux autres attentats terroristes a été confirmée, de même que la peine de mort.

2.7L’auteur demandait au Comité d’intervenir pour empêcher que son fils soit exécuté. Le 26 décembre 2001, le Comité, par l’entremise de son Rapporteur spécial, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution du fils de l’auteur en attendant que le Comité ait examiné la communication. L’État partie n’a pas donné suite à cette demande mais l’auteur a indiqué plus tard (le 1er septembre 2002) que, sur décision du Présidium de la Cour suprême, la condamnation à mort avait été commuée en une peine d’emprisonnement de 25 ans.

Teneur de la plainte

3.L’auteur allègue que l’arrestation de son fils, son procès et les mauvais traitements qu’il a subis en garde à vue constituent des violations des articles 6, 7, 9, paragraphes 1 et 2, et 14, paragraphes 1, 3 a), b), d) et g), du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 5 mars 2002, l’État partie a indiqué que le fils de l’auteur, étudiant à l’Université islamique, avait été arrêté et condamné à la suite d’une série d’attentats à la bombe commis à Douchanbé. Il était plus précisément accusé de conspiration et de tentative d’assassinat de son ex‑femme au moyen d’un lecteur de cassettes piégé. L’explosion avait gravement blessé l’intéressée et tué une autre personne. Le 11 octobre 2000, des explosifs et des détonateurs ont été trouvés dans l’appartement où habitait le fils de l’auteur. Au cours de l’enquête, celui‑ci a reconnu avoir fabriqué l’engin explosif avec l’aide de deux complices. Il a été jugé devant la Cour suprême et déclaré coupable d’actes de terrorisme, de meurtre, tentative de meurtre et détention illicite d’explosifs et fabrication d’explosifs, et a été condamné à mort. Mais la sentence a été modifiée après qu’il eut fait recours.

4.2L’État partie fait observer que le Procureur général a ouvert une enquête en vue de réexaminer la participation de M. Boimurodov aux attentats à la bombe.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie datées du 1er septembre 2002, l’auteur précise que la condamnation de son fils a été modifiée en appel par la Cour suprême, le 12 octobre 2001, uniquement pour ce qui touche à sa participation alléguée à l’attentat à la bombe perpétré contre le magasin; sa condamnation sur ce point a été cassée. Mais sa condamnation pour ce qui touche aux deux autres attentats à la bombe ainsi que la condamnation à mort ont été confirmées.

5.2L’auteur déclare que le 20 juin 2002, le Présidium de la Cour suprême a décidé de casser la condamnation de son fils touchant l’attentat à la bombe perpétré contre le centre missionnaire coréen et de renvoyer l’affaire pour un complément d’information. Il apparaît que le Procureur général a fait opposition devant la Cour après qu’une autre personne a reconnu être impliquée dans l’incident. La condamnation relative à l’attentat commis contre l’appartement de son ex‑femme a été confirmée, mais la sentence de mort a été commuée en une peine d’emprisonnement de 25 ans.

5.3L’auteur considère que l’État partie n’a pas répondu aux allégations concernant les tortures infligées à son fils et l’iniquité du procès, et que son fils n’a toujours pas eu droit à un recours utile en ce qui concerne les violations du Pacte dont il a été victime.

5.4L’auteur précise que le 16 janvier 2004, la recherche d’un complément d’information ordonnée par le Présidium de la Cour suprême le 20 juin 2002 n’était pas encore achevée, ce qui, selon lui, constitue une violation du droit de son fils à un procès équitable, sans retard excessif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, compte tenu de la commutation de la peine de mort prononcée contre M. Boimurodov en 2002, la plainte de l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte ne repose plus sur aucune base factuelle. En conséquence, cette plainte n’a pas été étayée et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4S’agissant des plaintes de l’auteur en vertu des articles 9, paragraphes 1 et 2, et 14, paragraphe 3 a), le Comité note que l’auteur n’a pas allégué que son fils n’avait pas été informé des faits qui lui étaient reprochés au moment de son arrestation, mais qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été délivré. De plus, rien ne permet au Comité de dire comment, quand ou si l’arrestation de l’auteur a été sanctionnée par les autorités compétentes. En l’absence de tels renseignements, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces plaintes et les déclare donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Toutefois, le Comité estime que les faits dont il est saisi semblent aussi soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte; à cet égard, il considère que la communication est recevable.

6.5S’agissant des plaintes de l’auteur au titre de l’article 14, paragraphe 1, le Comité note que celui‑ci conteste l’évaluation par la Cour de la déposition des témoins à décharge et des témoins à charge, de même que l’analyse de la substance découverte dans son appartement. Il rappelle sa jurisprudence, à savoir qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Sur la base des renseignements dont il dispose, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle le procès de son fils en l’espèce a été entaché de telles irrégularités. En conséquence, cette allégation est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre de l’article 14, paragraphe 3 d), aucun renseignement n’a été présenté à l’appui de l’allégation selon laquelle le fils de l’auteur s’était vu en fait refuser le droit à une assistance juridique pour préparer sa défense. Cette allégation est donc elle aussi irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité estime que rien ne s’oppose à la recevabilité des autres allégations de l’auteur au titre de l’article 7, de l’article 9, paragraphe 3 et de l’article 14, paragraphes 3 b) et g), et procède à l’examen de ces allégations quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il constate que, si l’État partie a présenté des observations au sujet de la procédure pénale engagée contre le fils de l’auteur et de sa condamnation, y compris des informations sur la commutation de la peine de mort, il n’a communiqué aucune information sur le fond des griefs formulés par l’auteur. L’État partie se contente de dire que M. Boimurodov a été jugé et condamné pour certains délits, mais il ne répond pas aux allégations de fond de l’auteur relatives à des violations du Pacte.

7.2En ce qui concerne les griefs de l’auteur selon lesquels les droits de son fils au titre de l’article 7 et de l’article 14, paragraphe 3 g), ont été violés par l’État partie, le Comité note que l’auteur a présenté des observations détaillées auxquelles l’État partie n’a pas répondu. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner de bonne foi toutes les allégations faites contre lui et communiquer au Comité toutes les informations pertinentes dont il dispose. Le Comité ne considère pas qu’une déclaration générale sur la procédure pénale en cause satisfasse à cette obligation. Dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées. Au vu des informations détaillées fournies par l’auteur, d’où il ressort que son fils s’est vu infliger des violences et des souffrances graves par les policiers de l’État partie, dont certains ont d’ailleurs été inculpés par la suite pour ces mauvais traitements, et en l’absence d’explications de l’État partie, le Comité estime que l’affaire dont il est saisi fait apparaître une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.3Par ailleurs, le Comité doit accorder le crédit qui convient à l’allégation de l’auteur selon laquelle les droits de son fils au titre de l’article 14, paragraphe 3 b), de communiquer avec le conseil de son choix ont été violés. En l’absence d’explications de l’État partie, le Comité estime que les faits qui lui sont soumis concernant la mise au secret du fils de l’auteur pendant 40 jours font apparaître une violation de cette disposition du Pacte.

7.4Le Comité rappelle en outre que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que ce délai ne saurait dépasser quelques jours, et que la détention au secret en tant que telle pourrait constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9. Dans la présente affaire, le fils de l’auteur a été détenu au secret pendant 40 jours. En l’absence d’explications de l’État partie, le Comité estime que les circonstances font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, de l’article 9, paragraphe 3, et de l’article 14, paragraphes 3 b) et g), du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir au fils de l’auteur un recours utile, y compris une réparation adéquate.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

P. Communication n o  1044/2002, Nazriev c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 17 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Davlatbibi Shukurova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Le mari de l’auteur, Dovud, et le frère de ce dernier, Sherali Nazriev (décédés)

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

26 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Torture, procès inéquitable, détention illégale

Questions de procédure: Degré de fondement des griefs

Questions de fond: Condamnation à mort prononcée et exécutée à l’issue d’un procès inéquitable

Articles du Pacte: 2 (par. 3), 6, 7, 9 et 14 (par. 1, 3 b), d), e), f) et g) et 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1044/2002 présentée par Davlatbibi Shukurova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Davlatbibi Shukurova, de nationalité tadjike, née en 1973. Elle présente la communication au nom de son mari, Dovud Nazriev, et au nom du frère de ce dernier, Sherali Nazriev, tous deux décédés, qui, à l’époque où la communication a été présentée, étaient en attente d’exécution après avoir été condamnés à mort par la Cour suprême le 11 mai 2000. Elle affirme que les deux frères sont victimes d’une violation par le Tadjikistan des droits qui leur sont reconnus en vertu de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9 et des paragraphes 1, 3 b), d), e), f) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte. La communication semble également soulever des questions au titre de l’article 7 s’agissant de l’auteur même. Celle‑ci n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 9 janvier 2002, en application de l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution des deux frères tant que leur affaire serait en instance devant le Comité. Cette demande a été réitérée les 1er, 9 et 10 juillet 2002. Le 23 juillet 2002, l’auteur a été informée que son mari et le frère de ce dernier avaient été exécutés le 11 juillet 2002.

Exposé des faits

2.1Le 16 février 2000, à 17 heures environ, une bombe télécommandée a explosé au centre de Douchanbé. La personne visée par l’attentat était le maire de Douchanbé. Celui‑ci a été blessé, et le Vice‑Ministre de la sécurité, qui se tenait près de lui, a été tué.

2.2Sherali Nazriev a été interrogé au sujet de cet attentat à la bombe le 19 février 2000 en tant que suspect. Il a été arrêté immédiatement après l’interrogatoire et, le 25 février 2000, a été inculpé en tant qu’auteur de l’attentat. Le 25 avril 2000, le mari de l’auteur, Dovud, a été convoqué au Ministère de la sécurité pour être interrogé; il a été arrêté le jour même. Il aurait été détenu dans le sous‑sol du Ministère de la sécurité jusqu’au 28 mai 2000, date à laquelle il a été transféré dans un centre de détention provisoire (SIZO). Son arrestation aurait été autorisée par un procureur le 29 mai 2000 seulement, et il a été inculpé le jour même.

2.3Pendant le mois qui a suivi leur arrestation, les deux frères auraient été torturés et contraints d’avouer leur culpabilité. L’auteur affirme que les actes de torture consistaient en des passages à tabac et des coups de matraque. Les deux frères ont été suspendus et ont été frappés dans les reins. Sous la torture, ils ont signé des aveux et reconnu être les auteurs de l’attentat à la bombe. Sherali, qui était garde de sécurité au bureau du maire, a été accusé d’avoir placé les explosifs dans la voiture du maire, et Dovud, qui se serait tenu à proximité, aurait déclenché le détonateur au moment où le maire et le Vice‑Ministre montaient dans la voiture. Peu de temps après les aveux des inculpés, des enquêteurs auraient commencé à déposer des cordes, du savon et des lames de rasoir dans leur cellule afin de les pousser au suicide.

2.4L’auteur affirme que la famille des deux frères n’a pas été informée de l’endroit où ceux‑ci se trouvaient, pendant plusieurs mois, et n’a pas été autorisée à leur rendre visite ni à leur envoyer des colis. L’auteur n’aurait vu son époux qu’en juillet 2000, lors d’une confrontation dans le bureau de l’enquêteur; elle n’a été autorisée à le rencontrer «officiellement» qu’en septembre 2000.

2.5Durant tout le temps où il a été détenu dans les locaux du Ministère de la sécurité, Dovud n’aurait pas été autorisé à se faire représenter par un avocat. Comme Sherali n’avait pas d’avocat commis d’office, sa famille a fait appel aux services d’un avocat privé en mars 2000, mais la rencontre entre l’avocat et son client n’a été autorisée qu’en août 2000; même à cette date, on aurait empêché l’avocat de rencontrer son client en privé.

2.6L’affaire a été jugée par la chambre militaire de la Cour suprême (siégeant en première instance), du 26 mars au 11 mai 2001. Le 11 mai 2001, la chambre militaire de la Cour suprême a condamné les deux frères à la peine capitale. Selon l’auteur, le procès n’était ni impartial ni objectif. Elle affirme, en particulier, que:

a)L’un des juges n’était pas tadjik de souche et ne parlait pas bien le tadjik; on ne lui a néanmoins pas fourni d’interprète;

b)Lors de l’audience, les deux frères se sont rétractés, déclarant qu’ils avaient signé leurs aveux sous la contrainte. L’auteur ajoute que Sherali n’avait aucune possibilité de placer une bombe dans la voiture car celle‑ci était garée devant l’entrée du bureau du maire, lieu très fréquenté, tandis que Dovud était resté chez lui le jour du crime parce qu’il était malade;

c)La plupart des demandes de citation de témoins à décharge présentées par les frères, notamment d’un témoin pouvant confirmer l’alibi de Dovud, ont été rejetées par la Cour suprême;

d)La déclaration de culpabilité de Sherali était fondée en partie sur les conclusions d’un expert qui avait examiné ses vêtements. Or l’arrestation a eu lieu le 19 février 2000, mais les vêtements n’auraient été examinés qu’en août 2000.

2.7Le 13 novembre 2001, la chambre correctionnelle de la Cour suprême, siégeant en juridiction d’appel, a confirmé le jugement de la chambre militaire du 11 mai 2000.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que les faits exposés ci‑dessus constituent une violation des droits que les articles 6, 7 et 9 et les paragraphes 1, 3 b), d), e), f) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte reconnaissent à Sherali et Dovud Nazriev. Bien que l’auteur n’invoque pas spécifiquement l’article 7 en ce qui la concerne, la communication semble également soulever des questions au titre de cette disposition.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie a présenté des observations le 9 juillet 2002, sans évoquer toutefois la demande de mesures provisoires de protection qu’avait présentée le Comité. L’État partie déclare que les frères ont été condamnés à mort pour un acte terroriste grave. Pour mener à bien leur plan et atteindre leurs objectifs, ils s’étaient entendus au préalable avec une personne qui n’a pas été identifiée. Sherali était entré dans la police et était devenu agent de sécurité à la municipalité de Douchanbé. Le 16 février 2000, pendant la pause déjeuner, il avait placé une bombe dans la voiture du maire et en avait informé son frère Dovud. Celui‑ci avait surveillé la voiture et, lorsque le maire y était monté, accompagné du Vice‑Ministre de la sécurité, il avait déclenché le détonateur.

4.2La chambre militaire de la Cour suprême a reconnu les deux frères coupables d’autres crimes également, notamment d’une escroquerie commise en 1999 (transfert illicite de propriété d’une voiture). Sherali avait été condamné pour avoir franchi illégalement la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan en 1995 et Dovud pour avoir mis en circulation 4 000 dollars des États‑Unis en fausse monnaie et pour avoir participé à un vol qualifié en 1999.

4.3Selon l’État partie, les aveux de Sherali et de Dovud, les dépositions faites par les témoins à l’audience ainsi qu’au cours de l’enquête préliminaire, les résultats de l’examen effectué sur les lieux du crime, les éléments de preuve recueillis, les conclusions des médecins légistes et d’autres éléments de preuve examinés par la chambre ont permis d’établir pleinement la culpabilité des deux frères.

4.4L’État partie rappelle qu’un mandat d’arrêt a été délivré contre Dovud le 24 mai 2000. Ce mandat lui a été notifié le 29 mai 2000; le même jour, il a refusé, par écrit, les services d’un avocat. Par la suite, avant d’être inculpé de crimes particulièrement graves, un avocat lui a été commis d’office. Sherali a été arrêté le 17 février 2000. Pendant son interrogatoire, il a été informé de son droit à se faire représenter par un avocat mais n’a pas demandé à exercer ce droit. Malgré cela, un avocat lui a été commis le 19 mars 2000. Selon l’État partie, rien n’indique dans le dossier que l’un des avocats susmentionnés se soit jamais plaint de ne pas avoir été autorisé à rencontrer ses clients.

4.5L’État partie rejette comme infondées les allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été fait usage de la torture durant l’enquête préliminaire et fait valoir que le dossier de la procédure pénale ne contient aucune plainte faisant étant de passages à tabac.

4.6Les allégations de l’auteur concernant le manque d’objectivité et d’impartialité du procès sont rejetées par l’État partie comme étant sans fondement, le procès ayant été public et s’étant déroulé en présence des avocats, de la famille des accusés et d’autres personnes.

4.7L’allégation selon laquelle l’un des juges de la Cour n’aurait pas eu une connaissance suffisante du tadjik est également rejetée, la personne incriminée maîtrisant bien la langue tadjike. En outre, les avocats des frères Nazriev n’ont soulevé aucune objection à ce sujet à l’audience.

4.8L’État partie note que l’alibi que Dovud a présenté pour sa défense a été vérifié et rejeté durant l’enquête préliminaire. À l’audience, ni Dovud ni son avocat n’ont produit de documents qui auraient pu étayer cet alibi.

4.9L’État partie affirme que la chambre militaire de la Cour suprême a initialement renvoyé l’affaire pour «complément d’enquête» et que, par la suite, elle a décidé de rouvrir la procédure et a interrogé des témoins supplémentaires, puis entendu les plaidoiries de l’accusation et des avocats de la défense. Le jugement a été prononcé conformément aux dispositions du Code de procédure pénale alors en vigueur.

4.10L’État partie affirme que les allégations de l’auteur ont toutes été examinées et rejetées en cassation.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 1er septembre 2002, l’auteur a expliqué que, une fois la communication enregistrée par le Comité, les autorités de l’État partie (le Cabinet présidentiel) ont demandé au Ministère de l’intérieur, au parquet et à la Cour suprême de différer l’exécution des deux frères pendant six mois, jusqu’au 10 juillet 2002. Le 24 juin 2002, les autorités pénitentiaires ont refusé d’accepter les colis que l’auteur avait envoyés au centre de détention provisoire (SIZO) no 1, à Douchanbé, déclarant que Sherali et Dovud avaient été transférés dans la ville de Kurgan‑Tyube. L’auteur a tenté de localiser les deux frères mais les autorités ont refusé de répondre à ses questions, prétendant qu’elles n’avaient pas de renseignements à ce sujet. Le 23 juillet 2002, un parent de son époux est parvenu à se procurer, à la municipalité de Douchanbé, deux certificats de décès attestant que les deux frères avaient été fusillés par un peloton d’exécution le 11 juillet 2002.

5.2L’auteur rappelle que l’arrestation en février 2000 de Sherali, accusé d’avoir franchi illégalement la frontière, était en fait un stratagème destiné à lui extorquer des renseignements sur l’attentat à la bombe en l’absence d’un avocat. L’auteur cite l’article 51 du Code de procédure pénale, qui dispose que si un suspect encourt la peine de mort, il doit être obligatoirement représenté par un avocat, dès son inculpation.

5.3L’auteur fait observer que l’État partie n’a fourni aucune explication quant au motif de la détention de son époux entre le 25 avril et le 24 mai 2000, et que cette détention pouvait être confirmée par des membres de la famille, des amis et des proches, qui ont vu Dovud partir au Ministère de la sécurité pour y être interrogé et ne l’ont jamais vu revenir.

5.4Selon l’auteur, les avocats des deux frères ont demandé à plusieurs reprises à voir leurs clients, mais leurs demandes ont, le plus souvent, été rejetées sous différents prétextes. Au Tadjikistan, la pratique veut qu’un avocat demande oralement à l’enquêteur de l’autoriser à rencontrer son client; lorsque cette demande est rejetée, aucun motif n’est donné. Ces refus seraient pratique courante. L’auteur affirme que, pendant le procès, les avocats de son époux et du frère de ce dernier s’étaient tous les deux plaints d’avoir peu vu leurs clients. Le Président de la chambre n’a, apparemment, tenu aucun compte de ces plaintes.

5.5L’auteur réaffirme que son époux et le frère de ce dernier ont subi de très nombreux actes de torture et qu’on a interdit pendant longtemps à leurs proches de leur rendre visite afin, suppose‑t‑elle, de les empêcher de voir les marques de torture; à l’audience, les frères ont affirmé qu’ils avaient été torturés, mais il n’a pas été donné suite à ces plaintes.

5.6Enfin, l’auteur affirme que la cour a conclu que les frères avaient passé un «accord antérieur avec une personne non identifiée» qui leur aurait versé 30 000 dollars É.‑U. avant l’attentat, et leur aurait promis 100 000 dollars supplémentaires une fois l’opération menée à bien. L’auteur fait valoir que la famille a toujours vécu avec des moyens financiers limités et que les enquêteurs et la Cour n’ont retrouvé aucune trace d’argent. Elle affirme que le fait que le «cerveau» de l’attentat n’ait pas pu être identifié durant l’enquête ni au procès montre que, dans cette affaire, des points essentiels n’ont pas été établis et des éléments de preuve déterminants n’ont pas été apportés. D’après l’auteur, ceci témoigne de l’absence d’objectivité et d’impartialité de l’enquête préliminaire et de la Cour.

Délibérations du Comité

Violation du Protocole facultatif

6.1L’auteur affirme que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en exécutant son mari et le frère de ce dernier, en dépit du fait que sa communication avait été enregistrée au titre du Protocole facultatif et qu’une demande de mesure provisoire de protection avait été adressée à l’État partie à leur sujet. Le Comité rappelle que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité afin de lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations.

6.2Indépendamment d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, l’auteur déclare que son mari a été l’objet de violations de ses droits en vertu des articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Cette communication lui ayant été notifiée, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution des victimes présumées avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations et les lui communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l’État partie d’avoir agi de la sorte après que le Comité lui a présenté une demande en application de l’article 92 du Règlement intérieur, et malgré plusieurs rappels adressés à l’État partie à cet effet.

6.3Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 du Règlement intérieur conformément à l’article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de Dovud et de Sherali Nazriev, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte, assurée par le Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale, conformément aux conditions énoncées au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3Le Comité a pris acte du grief que l’auteur a formulé au titre du paragraphe 3 e) de l’article 14, à savoir que plusieurs témoins à décharge cités par Dovud Nazriev n’avaient pas été interrogés à l’audience. L’État partie a affirmé que cette allégation a été dûment examinée pendant l’enquête préliminaire et a été jugée infondée, et que si la Cour a rejeté l’alibi présenté par Dovud, c’était parce que ni ce dernier ni son avocat n’avaient pu produire de documents propres à étayer cet alibi. Le Comité note que le grief ci‑dessus concerne l’évaluation des faits et des éléments de preuve. Il rappelle la jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Au vu des éléments portés à sa connaissance, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment établi que le procès de son mari et du frère de ce dernier avait été entaché d’irrégularités de cette nature. En conséquence, ce grief est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend acte de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y aurait eu violation du paragraphe 3 f) de l’article 14, dans la mesure où l’un des juges ne maîtrisait pas suffisamment la langue tadjike. L’État partie a expliqué que le juge en question maîtrisait suffisamment le tadjik, et que les victimes présumées et leurs avocats n’avaient jamais soulevé cette question à l’audience; cette affirmation n’est pas contestée par l’auteur. Dans ces conditions, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, et que cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité a également pris acte de l’allégation non réfutée selon laquelle les droits reconnus à Dovud et à Sherali Nazriev en vertu du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte auraient été violés. Il rappelle qu’un pourvoi en cassation a été examiné le 13 novembre 2001 par la chambre criminelle de la Cour suprême, siégeant en juridiction d’appel de la chambre militaire, et que la composition de cette chambre était différente de la composition de la chambre militaire. En l’absence d’autres éléments d’information à ce sujet, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2L’auteur affirme que son époux et le frère de ce dernier ont été battus et torturés par les enquêteurs au tout début de leur détention et ont ainsi été contraints d’avouer leur culpabilité dans l’affaire de l’attentat à la bombe. L’auteur fournit des détails sur les méthodes de torture utilisées (par. 2.3 et 2.4 ci‑dessus). Elle affirme que ces griefs ont été soulevés à l’audience, mais qu’il n’en a pas été tenu compte. L’État partie se borne à faire valoir que le dossier ne contient pas de plainte pour mauvais traitements. Le Comité observe que la décision de la chambre d’appel de la Cour suprême ne traite pas non plus cette question. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, il convient d’accorder tout le poids voulu au grief de l’auteur. Le Comité rappelle qu’il est essentiel que les autorités compétentes enquêtent rapidement et de manière impartiale sur les plaintes qui font état de tortures. Dans le cas d’espèce, aucun argument visant à réfuter cette allégation n’a été invoqué par l’État partie à ce sujet, et le Comité conclut que le traitement infligé à Dovud et à Sherali Nazriev constitue une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 et le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte.

8.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut qu’il y a également eu violation du droit que le paragraphe 3 g) de l’article 14 reconnaît à Dovud et à Sherali Nazriev dans la mesure où ces derniers ont été contraints de s’avouer coupables d’un crime.

8.4L’auteur affirme que son époux a été arrêté le 25 avril 2000 et gardé dans les locaux du Ministère de la sécurité jusqu’au 28 mai sans aucun contact avec le monde extérieur; son arrestation n’a été confirmée par un procureur que le 29 mai 2000, soit 34 jours après l’arrestation proprement dite. L’État partie note qu’un mandat d’arrêt contre Dovud a été délivré le 25 mai 2000 et que ce dernier a été inculpé le 29 mai 2000. Dans sa réponse, l’État partie n’a de fait pas réfuté l’allégation selon laquelle Dovud Nazriev aurait été placé en détention illégale pendant 34 jours. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit reconnu à Dovud Nazriev, en vertu du paragraphe 1 de l’article 9.

8.5En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Dovud et Sherali Nazriev n’auraient pas été représentés par un avocat pendant une longue période, et qu’une fois qu’ils l’ont été, leurs avocats auraient été empêchés de les rencontrer, l’État partie affirme que, lorsque Dovud a été inculpé le 29 mai 2000, il a renoncé à son droit d’être représenté; lorsqu’il a été inculpé de crimes graves, un avocat lui a été commis d’office; Sherali Nazriev n’a pas demandé à être représenté au moment de son arrestation, mais il s’est vu commettre un avocat le 19 mars 2000 lorsqu’il a été inculpé de crimes graves. Le Comité rappelle que, en particulier dans les affaires de condamnation à la peine capitale, il va de soi que l’inculpé bénéficie de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure. Le Comité conclut que, dans les circonstances de l’espèce, il ressort des éléments dont il est saisi qu’il y a eu violation des droits que les alinéas b et d du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte reconnaissent à l’époux de l’auteur et au frère de ce dernier, dans la mesure où ceux‑ci n’ont pas eu la possibilité de préparer convenablement leur défense et n’ont pas été représentés par un avocat au stade initial de l’enquête.

8.6Le Comité rappelle qu’une condamnation à la peine capitale prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, les deux condamnations à mort ont été prononcées et exécutées en violation du droit à un procès équitable consacré à l’article 14 du Pacte et, partant, également en violation de l’article 6 du Pacte.

8.7Enfin, le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités ne l’ont pas informée de l’exécution de son époux et du frère de ce dernier avant le 23 juillet 2002. La loi en vigueur dans l’État partie ne permet toujours pas à la famille d’un condamné à mort d’être informée de la date de son exécution ni de l’emplacement de sa tombe. Le Comité comprend l’angoisse et la tension psychologique dont l’auteur, épouse d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ignore toujours dans quelles circonstances son époux a été exécuté et où il est enterré. Le Comité rappelle que le secret qui entoure la date de l’exécution et l’endroit où les dépouilles ont été ensevelies, de même que le refus de remettre les corps pour qu’ils soient inhumés ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les maintenant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités n’aient pas immédiatement avisé l’auteur de l’exécution de son époux et du frère de ce dernier et ne l’aient pas informée du lieu de leur ensevelissement constitue un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation:

a)Des articles 6 et 7, du paragraphe 1 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g), de l’article 14 du Pacte, en ce qui concerne Dovud et Sherali Nazriev; et

b)De l’article 7 en ce qui concerne l’auteur.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à Mme Shukurova une réparation sous la forme d’une indemnisation appropriée et de lui indiquer où son époux et le frère de ce dernier sont ensevelis. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

Q. Communication n o  1050/2002, D. et E. c. Australie(Constatations adoptées le 11 juillet 2006, quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

D. et E., et leurs deux enfants (représentés par un conseil, Nicholas Poynder)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

1er février 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Détention aux fins du contrôle de l’immigration, droits de l’enfant

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Détention arbitraire

Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1 et 4) et 24 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1050/2002 présentée par D. et E., et leurs deux enfants en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont D., née le 15 décembre 1970, E., né le 1er juillet 1968, et leurs deux enfants nés respectivement le 25 avril 1995 et le 5 mai 1999, tous de nationalité iranienne et vivant actuellement en Australie. Ils affirment être victimes de violations de l’article 7, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, Nicholas Poynder. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991.

1.2Le 12 février 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, «de fournir d’urgence au Comité des renseignements sur la question de savoir si les auteurs risquaient réellement d’être expulsés alors que leur communication était à l’examen au Comité». Il a ajouté qu’il comptait sur l’État partie pour qu’il «n’expulse pas les auteurs avant que le Comité n’ait reçu lesdits renseignements et qu’il ait eu la possibilité de déterminer s’il doit être fait droit à la demande de mesures provisoires». Sous couvert d’une note verbale datée du 12 avril 2002, l’État partie a répondu qu’il examinait la demande de renseignements du Rapporteur sur la question de savoir s’il y avait un risque réel que les auteurs soient expulsés d’Australie pendant que leur communication était à l’examen au Comité et a annoncé qu’il ne procéderait pas à leur expulsion tant que la demande n’aura pas été examinée.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont venus d’Iran par bateau via le Pakistan, la Malaisie et l’Indonésie en novembre 2000. Ils sont arrivés en Australie sans document de voyage et ont donc été immédiatement placés en détention conformément à l’article 189 de la loi sur les migrations de 1958 qui requiert que tous «les non‑citoyens en situation irrégulière» soient détenus. Les auteurs ont été placés au centre de rétention pour immigrants de Curtin (près de Derby, en Australie occidentale), la grande ville australienne la plus proche, Perth, étant située à quelque 1 800 km au sud.

2.2Le 12 novembre 2000, les auteurs ont demandé l’asile. La principale requérante était D. Elle affirme qu’elle avait eu des activités illégales à Ispahan en Iran de 1992 à 2000. Elle travaillait pour un homme qui produisait des films pornographiques, s’occupant du maquillage des femmes qui jouaient dans ces films. En 1993, elle a été arrêtée parce qu’il y avait dans son salon de coiffure des femmes dont le maquillage et la tenue n’étaient pas autorisés. Elle a été interrogée et battue puis emprisonnée pendant un mois. Par la suite, elle s’est rendue dans un village situé dans les environs d’Ispahan, où elle a continué à travailler pour le même homme pendant plusieurs années. Au cours de cette période, E. a été maintes fois arrêté et interrogé au sujet de sa femme, qu’il ne pouvait voir que de temps en temps et secrètement. Un jour, en juillet 2000, un gardien de prison est venu au salon de coiffure et a reconnu D.; cette dernière a alors décidé de quitter l’Iran.

2.3Le 11 décembre 2000, un représentant du Ministre de l’immigration a rejeté la demande d’asile des auteurs. Le 19 février 2001, leur demande de révision de cette décision a été rejetée par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le Tribunal n’a pas estimé que la crainte de D. d’être persécutée à son retour en Iran du fait de son rôle dans la production de films pornographiques faisait d’elle une réfugiée au sens de la Convention de 1951. Tout en concédant qu’en Iran, les personnes qui créaient, reproduisaient et distribuaient des films pornographiques ou des vidéos obscènes étaient passibles de la peine de mort, le Tribunal a estimé que la persécution de ces personnes ne relèverait pas de l’un des cinq motifs énumérés dans la définition du réfugié. Il a en particulier rejeté la possibilité que D. soit persécutée du fait qu’elle avait été membre d’un «groupe social particulier» constitué par «les personnes jouant un rôle dans la production de films pornographiques».

2.4En application de l’article 417 de la loi sur les migrations, le Ministre de l’immigration peut exercer son pouvoir discrétionnaire de remplacer une décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés par une décision plus favorable si «une telle mesure est commandée par l’intérêt public». Le 10 juillet et le 10 août 2001, des requêtes ont été adressées au Ministre pour qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire. Dans ces requêtes, D. affirmait qu’elle avait joué dans des films pornographiques. Les auteurs n’ont pas été interrogés à nouveau au sujet de leur requête et les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’ont pas été contestées par le Ministre. Le 24 septembre 2001, le Ministre de l’immigration a décidé de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 417.

2.5En 2003, le Ministre a renvoyé l’affaire à la source de la première décision pour qu’elle réexamine la demande d’asile. Le 2 octobre, la demande a été de nouveau rejetée. Le 22 janvier 2004, les auteurs ont été remis en liberté. Le 17 mai 2004, leur demande de révision de la deuxième décision de refus a été rejetée par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 13 mars 2006, les auteurs obtenaient des visas spéciaux pour des raisons humanitaires.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que leur détention prolongée constitue une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte, dans la mesure où ils ont été placés en détention à leur arrivée en application des dispositions du paragraphe 1 de l’article 189 de la loi sur les migrations. Ces dispositions ne prévoient aucun mécanisme de contestation de la détention par voie judiciaire ou administrative. Les auteurs font valoir que leurs circonstances ne sont pas fondamentalement différentes de celles de l’affaire A. c. Australie. Aucune justification ne leur a été donnée au sujet de leur détention. En outre, même si les dispositions en application desquelles ils ont été détenus sont différentes de celles appliquées dans l’affaire susmentionnée, l’effet produit par la législation en question dans la présente affaire est identique, dans la mesure où il n’existe aucune disposition leur permettant d’obtenir que leur détention soit examinée par un tribunal. Ils demandent à être dédommagés de leur détention en application du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que la détention prolongée de leurs deux enfants mineurs, dont le plus âgé est né en 1993 et le plus jeune en 1999, constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 24. Ils se réfèrent à l’Observation générale no 17 (trente-cinquième session) du Comité des droits de l’homme en date du 5 avril 1989, dans laquelle le Comité fait observer que le Pacte requiert «l’adoption de mesures spéciales pour protéger les enfants en plus des mesures que les États sont tenus de prendre en vertu de l’article 2 pour garantir que chacun jouisse des droits énoncés dans le Pacte». Les auteurs font valoir qu’aucune justification ne leur a été donnée à propos de la détention prolongée de leurs enfants et qu’il n’a été nullement tenu compte de la question de savoir si le fait qu’ils ont passé plus de trois ans dans un centre de rétention isolé n’était pas contraire à leur intérêt supérieur. Ils affirment que l’argument selon lequel cet intérêt commandait qu’ils soient gardés avec leurs parents n’est pas une réponse à la question.

3.3Le 11 avril 2006, le conseil a informé le Comité que les auteurs avaient obtenu un visa de protection temporaire et qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner le grief de violation de l’article 7 présenté dans la communication. Les auteurs souhaitaient néanmoins maintenir leur plainte devant le Comité concernant les articles 9 et 24 compte tenu de leur détention illégale antérieure.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires des auteurs

4.1Par une note verbale datée du 12 avril 2002, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que le conseil n’avait pas reçu des auteurs le pouvoir de présenter une communication en leur nom. Dans une lettre datée du 9 mai 2002, le conseil a fait parvenir au Comité l’autorisation écrite des auteurs l’habilitant à soumettre une communication en leur nom.

4.2Par une note verbale datée du 23 septembre 2002, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 9, il fait valoir que l’interdiction de la privation de liberté n’est pas absolue dans la mesure où les travaux préparatoires du Pacte montrent que ceux qui en ont rédigé le texte ont explicitement envisagé la détention de non‑citoyens à des fins de contrôle de l’immigration en tant que dérogation à la règle générale qui veut que personne ne soit privé de sa liberté. En outre, il affirme que le mot «loi» renvoie au système juridique interne et que la détention doit non seulement être légale mais aussi raisonnable dans toutes les circonstances. Il rappelle que rien dans la jurisprudence du Comité ne permet de conclure que la détention de personnes pendant une période donnée peut être considérée en soi comme arbitraire. Il rappelle aussi que la détention de personnes arrivées sans visa n’est pas arbitraire en soi et que le principal critère applicable en la matière est de savoir si cette détention est raisonnable, proportionnée, appropriée et justifiable dans toutes les circonstances. En l’espèce, la plainte est, selon l’État partie, infondée. Il explique que la détention de personnes arrivées sans visa permet de déterminer si elles ont le droit de rester dans le pays et de procéder aux contrôles nécessaires avant de les autoriser à s’intégrer dans la société. La détention est donc opérée à des fins non pas correctionnelles mais administratives. Les auteurs ont été placés dans un centre de rétention pour immigrants conformément au paragraphe 1 de l’article 189 de la loi sur les migrations. L’État partie fait valoir que leur détention n’était pas arbitraire étant donné que leur placement en détention était à la mesure de l’objectif visé, à savoir permettre aux autorités d’examiner leur demande d’asile et au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et au Ministre de contrôler la décision de ces dernières. Il affirme en outre que les circonstances qui ont conduit à la détention des auteurs ont fait l’objet d’un contrôle à la fois par le Tribunal et le Ministre et que, la décision de refuser de leur octroyer un visa ayant été confirmée, les auteurs sont restés en détention en attendant leur expulsion. En conséquence, leur détention était raisonnable et nécessaire quelles qu’aient été les circonstances.

4.3Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie fait valoir que rien dans le texte du Pacte n’indique que le mot «légal» signifie «légal en droit international» ou «non arbitraire». Il fait en outre valoir qu’il n’y a dans les observations générales du Comité ou les travaux préparatoires du Pacte aucun élément permettant de conclure que le critère de légalité figurant au paragraphe 4 de l’article 9 ne se limite pas au droit interne. Il note que chaque fois que le concept de «légalité» est utilisé dans d’autres dispositions du Pacte, par exemple au paragraphe 1 de l’article 9, au paragraphe 2 de l’article 17, au paragraphe 3 de l’article 18 et au paragraphe 2 de l’article 22, il renvoie clairement à la législation interne. Pour ce qui est du cas d’espèce, l’État partie affirme que la plainte n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Il rappelle qu’en vertu du droit interne les auteurs auraient pu contester la légalité de leur détention devant la Haute Cour ou la Cour fédérale soit par un recours en habeas corpus, soit en invoquant la compétence originelle de la Haute Cour au titre de l’article 75 de la Constitution pour obtenir un recours utile. Qui plus est, au moment de la décision par laquelle la demande de visa de protection de D. a été rejetée, l’article 476 de la loi sur les migrations habilitait cette dernière à demander que cette décision soit examinée par la Cour fédérale. Tout examen du statut des auteurs en tant que non‑citoyens en situation irrégulière aurait permis en effet de vérifier la légalité de leur détention et aurait pu donc entraîner leur libération. Pour l’État partie, la communication ne dit rien sur les raisons pour lesquelles les auteurs n’ont pas procédé de cette manière et n’explique pas en quoi une telle démarche ne constitue pas un recours efficace pour contester la légalité de leur détention. L’État partie affirme que la plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes. Il rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, si un recours en habeas corpus est disponible, une personne qui ne s’en prévaudrait pas ne pourrait être considérée comme ayant été privée de la possibilité de faire examiner sans délai la légalité de sa détention par les tribunaux. En l’espèce, les auteurs n’ont pas expliqué pourquoi ils n’ont pas déposé un recours en habeas corpus ou ne se sont pas prévalus des recours qui leur sont ouverts en vertu de l’article 75 de la Constitution.

4.4Au cas où la plainte au titre du paragraphe 4 de l’article 9 serait considérée recevable, l’État partie fait valoir qu’elle n’est pas fondée dans la mesure où les auteurs auraient pu contester la légalité de leur détention devant la Haute Cour ou la Cour fédérale par un recours en habeas corpus ou en se prévalant d’un autre moyen de recours utile. Il fait observer que, nonobstant le caractère obligatoire de la détention des auteurs, la Cour pouvait contrôler cette détention et ordonner leur libération si celle‑ci était jugée illégale. Il réaffirme que tout examen du statut des auteurs en tant que non‑citoyens en situation irrégulière aurait également permis de se prononcer sur la légalité de leur détention. Il rappelle qu’il aurait été possible de demander un contrôle judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés à la Cour fédérale et que D. ne l’a pas demandé parce qu’il n’y avait pas d’erreur de droit identifiable. L’État partie affirme que, dans la mesure où il y avait la possibilité de faire examiner la décision par les tribunaux, l’obligation découlant du paragraphe 4 de l’article 9 a été respectée dans le cas des auteurs.

4.5Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie fait valoir, en se référant à l’Observation générale no 17 [35] du 5 avril 1989, que les États parties ont un large pouvoir discrétionnaire quant à la manière précise dont ils doivent s’acquitter de leur obligation de protection à l’égard des enfants. Il rappelle que l’article 189 de la loi sur les migrations requiert la détention obligatoire de tous les non‑citoyens en situation irrégulière, y compris les enfants. En l’espèce, la plainte des auteurs est infondée dans la mesure où l’État partie s’est acquitté de son obligation de fournir aux deux enfants «les mesures de protection que requiert» leur statut de mineur. Il explique que les normes de détention aux fins du contrôle de l’immigration applicables aux enfants exigent que des programmes sociaux et éducatifs adaptés à leur âge et à leurs aptitudes soient disponibles dans les centres de rétention. D. avait fait savoir aux autorités qu’elle souhaitait que l’un de ses enfants soit inscrit à l’école locale et elle a donc été encouragée à aider l’enfant à remplir les critères minimaux d’admission fixés par l’école. Les enfants bénéficient dans les centres de rétention de tout un éventail de moyens récréatifs: télévision, vidéo et jeux vidéo, installations sportives et aires de jeu, jouets, etc. En outre, des excursions sont organisées pour eux à l’extérieur des centres, notamment des visites aux sites touristiques locaux. Il rappelle en outre que lorsqu’un enfant est admis dans un centre de rétention aux fins du contrôle de l’immigration avec un parent, une puéricultrice interroge le parent qui accompagne l’enfant et l’enfant lui‑même pour déterminer les besoins de ce dernier. Ce processus d’orientation peut aussi comprendre des entretiens avec un conseiller ou un psychologue. Les enfants bénéficient des soins médicaux et autres soins de santé nécessaires, notamment des soins psychiatriques et des soins de médecine spécialisée au besoin. Par exemple, le 4 avril 2002, la direction du centre a répondu aux préoccupations de D., qui pensait que l’un de ses enfants souffrait de troubles de la parole, en l’envoyant chez un orthophoniste qui lui a consacré plusieurs séances. La direction du centre a également répondu à la recommandation de l’orthophoniste tendant à ce que l’enfant bénéficie de séances avec un conseiller ou un psychologue.

4.6Pour ce qui est de l’argument des auteurs selon lequel l’article 24 devrait être appliqué de la même manière aux obligations figurant dans la Convention relative aux droits de l’enfant et que la détention des enfants n’est pas dans leur intérêt supérieur, l’État partie rappelle que les obligations relevant de la Convention relative aux droits de l’enfant ne peuvent être invoquées dans une communication adressée au Comité. Il fait valoir que, d’une manière générale, la détention des enfants est conforme à l’article 24. Ne pas placer en détention des non‑citoyens en situation irrégulière qui voyagent avec des enfants irait à l’encontre des objectifs légitimes du système australien de contrôle de l’immigration. Même si les enfants détenus dans ce contexte peuvent être placés dans la société sur la base d’un visa temporaire, il n’est généralement pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de le séparer de ses parents ou de sa famille.

Commentaires de l’auteur

5.Dans une lettre datée du 12 janvier 2004, les auteurs ont fait observer qu’ils ne souhaitaient pas faire de commentaires sur les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne les griefs des auteurs de violation de l’article 9, le Comité note que la plus haute juridiction de l’État partie a déclaré que les dispositions relatives à la détention obligatoire étaient constitutionnelles. En conséquence, le Comité constate, comme il l’avait déjà fait auparavant, que, dans la mesure où la législation de l’État partie prévoit la détention obligatoire des immigrants en situation irrégulière, un recours en habeas corpus ne servirait qu’à vérifier si les intéressés ont effectivement ce statut (qui n’est d’ailleurs pas contesté) et non à déterminer si leur détention est justifiée. Par conséquent, le recours évoqué par l’État partie n’apparaît pas utile aux fins du Protocole facultatif. Le Comité n’est donc pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner cet aspect de la communication.

6.4Concernant la plainte formulée au titre de l’article 24, le Comité note l’argument présenté par l’État partie selon lequel l’intérêt supérieur des enfants commandait de les laisser avec leurs parents. Le Comité considère − à la lumière de l’explication donnée par l’État partie quant aux efforts déployés pour offrir aux enfants des programmes éducatifs, récréatifs et autres appropriés, y compris en dehors du centre de rétention − que, en l’espèce, l’allégation des auteurs selon laquelle leurs droits consacrés par l’article 24 ont été violés n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Pour ce qui est de l’allégation de détention arbitraire en violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour ne pas être qualifiée d’arbitraire, la détention ne doit pas se prolonger au‑delà de la période pour laquelle l’État partie est en mesure d’apporter une justification valable. Il note que les auteurs ont été détenus à des fins de contrôle de l’immigration pendant trois ans et deux mois. Quel que soit le motif qui a pu justifier le placement en détention − vérification de l’identité, etc. −, l’État partie n’a pas démontré, de l’avis du Comité, qu’une détention pendant une aussi longue période était justifiée. Il n’a pas non plus démontré qu’il n’existait pas d’autres moyens moins contraignants d’obtenir le même résultat, c’est‑à‑dire le respect de sa politique d’immigration, en imposant par exemple aux intéressés l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une caution ou d’autres conditions qui auraient tenu compte des circonstances particulières de la famille. En conséquence, le maintien en détention des auteurs, notamment de deux enfants à des fins de contrôle de l’immigration, pendant la période susmentionnée, sans véritable justification, était arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.3Compte tenu de la constatation d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner d’autres arguments relatifs à une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’Australie, du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, notamment en leur accordant une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations similaires ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

R. Communication n o  1054/2002, Kříž c. République tchèque (Constatations adoptées le 1 er novembre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

M. Zdeněk Kříž (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

28 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Questions de fond: Discrimination fondée sur la nationalité

Questions de procédure: Néant

Article du Pacte: 26

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1054/2002 présentée par M. Zdeněk Kříž en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Zdeněk Kříž, de nationalité américaine et tchèque, né en 1916 à Vysoké Mýto (République tchèque) et vivant actuellement aux États‑Unis. Il affirme être victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Avant 1948, l’auteur vivait à Prague où il possédait 1/6e d’un immeuble d’habitation et une entreprise. En 1958, il a reçu l’ordre de fermer son entreprise et de rejoindre une coopérative qui s’est adjugé son matériel, sans qu’aucune indemnité ne lui soit versée. Au début des années 60, l’auteur, sous la pression, a «fait don» à l’État du 1/6e de l’immeuble d’habitation qu’il possédait. En 1968, accompagné de sa femme et de ses deux fils, il est parti pour l’Autriche, d’où il a émigré aux États‑Unis. En 1974, un tribunal tchécoslovaque a condamné l’auteur, sa femme et l’aîné de ses fils, par contumace, à 18 mois d’emprisonnement pour avoir quitté le pays. Le 16 avril 1974, l’auteur est devenu citoyen américain. En vertu du Traité de naturalisation conclu entre les États‑Unis d’Amérique et la Tchécoslovaquie en 1928, il a perdu sa nationalité tchécoslovaque.

2.2Le 1er février 1991, le Gouvernement tchèque a adopté la loi no 87/1991 relative à la réparation extrajudiciaire énonçant les conditions de restitution de leurs biens aux personnes auxquelles ils avaient été confisqués sous le régime communiste. En vertu de cette loi, pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens, il fallait notamment a) être de nationalité tchèque‑slovaque et b) résider à titre permanent en République tchèque. Ces conditions devaient être satisfaites pendant la période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir du 1er avril au 1er octobre 1991. Par son arrêt du 12 juillet 1994 (no 164/1994), la Cour constitutionnelle tchèque a toutefois annulé la condition de résidence permanente et fixé de nouveaux délais − du 1er novembre 1994 au 1er mai 1995 − pour la présentation des demandes de restitution par les personnes qui remplissaient les conditions ainsi modifiées. En 1995, l’auteur a demandé la nationalité tchèque, qu’il a obtenue le 28 juillet 1995, c’est‑à‑dire après l’expiration de la date limite de présentation des demandes de restitution.

2.3Le 14 avril 1995, l’auteur a présenté une demande de restitution de ses biens au propriétaire de l’immeuble d’habitation, la Société nationale du logement, située dans le 4e arrondissement de Prague, qui n’y a pas fait droit, au motif qu’il ne remplissait pas les conditions de nationalité dans le délai fixé pour la présentation des demandes. L’auteur a porté l’affaire devant le tribunal de district du 4e arrondissement de Prague qui a rejeté sa demande de restitution le 27 avril 1998, arguant qu’il ne remplissait pas la condition de nationalité pendant la période fixée pour le dépôt de nouvelles demandes de restitution (qui s’est achevée le 1er mai 1995). Le tribunal n’a pas examiné s’il remplissait les autres conditions pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens. Le 3 décembre 1998, le tribunal municipal de Prague a confirmé la décision du tribunal de district, statuant que l’auteur aurait dû remplir les conditions de nationalité au plus tard à la fin de la période initiale de dépôt des demandes, à savoir le 1er octobre 1991, pour être considéré comme étant «habilité» à le faire. Le 25 juillet 2000, la Cour constitutionnelle a confirmé cette décision pour les mêmes raisons. En conséquence, l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constituant une discrimination illégale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Le 9 janvier 2003, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il reconnaît que l’auteur a épuisé tous les recours internes possibles et ne remet pas en cause la recevabilité de la communication. Sur les faits, il indique que l’auteur n’a obtenu la nationalité tchèque que le 25 septembre 1997.

4.2En ce qui concerne le fond, l’État partie invoque ses observations précédentes sur des affaires analogues et indique que les lois de restitution, y compris la loi no 87/1991, étaient destinées à atténuer les conséquences des injustices commises pendant le régime communiste, tout en gardant à l’esprit qu’elles ne pourraient jamais être totalement réparées.

4.3L’État partie adopte la position prise dans l’arrêt no 185/1997 de la Cour constitutionnelle, selon laquelle:

«Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce le principe de l’égalité au paragraphe 1 de son article 2 et dans son article 26. Le droit à l’égalité énoncé à l’article 2 est de nature accessoire, c’est ‑à ‑dire qu’il ne s’applique qu’en corrélation avec un autre droit inscrit dans le Pacte. Le droit à la propriété ne figure pas dans le Pacte. L’article 26 consacre l’égalité devant la loi et l’interdiction de la discrimination. La nationalité ne fait pas partie de l’énumération des motifs au titre desquels la discrimination est interdite. Le Comité des droits de l’homme a régulièrement admis les différenciations fondées sur des critères raisonnables et objectifs. La Cour constitutionnelle estime que les conséquences du paragraphe 2 de l’article 11 de la Charte des droits et libertés fondamentaux , les objectifs des lois de restitution, de même que les lois sur la nationalité constituent des critères raisonnables et objectifs.».

L’État partie réaffirme qu’il n’entend pas changer de position sur la condition de nationalité figurant dans la loi: modifier les conditions fixées dans les lois de restitution à ce stade aurait des conséquences sur la stabilité économique et politique de la République tchèque et pourrait fragiliser son cadre juridique.

4.4Le 6 mai 2004, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réitère ses demandes initiales et déclare que son affaire ressemble à des affaires déjà traitées par le Comité, en particulier les affaires Simunek, Adam et Blazek, dans lesquelles le Comité a reconnu la violation de l’article 26 par l’État partie.

4.5L’auteur se réfère également à des lois ayant annulé tous les jugements de confiscation prononcés sous le régime communiste (loi no119/1990) et aux arrêts de la Cour constitutionnelle concernant d’autres affaires dans lesquelles elle avait statué que les jugements de confiscation étaient nuls et non avenus et que les droits de propriété initiaux n’avaient jamais cessé.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.Le Comité note que l’État partie admet la recevabilité de la plainte et considère que la communication est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 constitue une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination au titre de l’article 26. Une différenciation compatible avec les dispositions du Pacte et fondée sur des critères objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26. Même si le critère de nationalité est objectif, le Comité doit déterminer si son application à l’auteur était raisonnable dans le cas d’espèce.

7.3Le Comité rappelle ses constatations dans les affaires Adam, Blazek et Marik, dans lesquelles il a conclu qu’il y avait violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui‑même est responsable du départ de l’auteur accompagné de sa famille de Tchécoslovaquie en quête d’un refuge dans un autre pays où il avait fini par s’établir et obtenir la nationalité, le Comité est d’avis qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger de l’auteur de la présente communication de satisfaire à la condition de citoyenneté tchèque pour la restitution de ses biens ou pour une indemnisation.

7.4Le Comité considère que le précédent créé dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication et que l’application par les tribunaux nationaux des conditions de citoyenneté constitue une violation des droits de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, qui peut être le versement d’une indemnisation si le bien ne peut être restitué. Le Comité rappelle que l’État partie devrait revoir sa législation pour garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

S. Communication n o 1058/2002, Vargas c.Pérou(Constatations adoptées le 26 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Antonino Vargas Más (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pérou

Date de la communication:

14 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Procès et condamnation d’une personne en application de la législation de lutte contre le terrorisme

Questions de procédure: Absence de coopération de l’État partie dans l’examen de la communication

Questions de fond:Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et des garanties judiciaires

Articles du Pacte: 7, 9, 10 et 14

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1058/2002 présentée au nom de M. Antonino Vargas Más en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 14 janvier 2002, est M. Antonino Vargas Más, de nationalité péruvienne, actuellement incarcéré dans l’établissement pénitentiaire «Miguel Castro Castro» à Lima. Il se déclare victime de violation par le Pérou de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 1 de l’article 9, et des paragraphes 1 et 2 de l’article 14. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était le Directeur de l’Académie préuniversitaire «César Vallejo» et professeur de mathématiques. Le 20 juin 1992, il a été arrêté à son domicile de Lima par des policiers de la Direction nationale contre le terrorisme (DINCOTE) qui n’étaient pas munis d’un mandat judiciaire. Il avait été conduit dans les locaux de cette unité de police et torturé. En particulier, comme d’autres détenus, il avait été torturé à l’électricité et suspendu avec les bras liés derrière le dos. On l’avait emmené au bord de la mer où il avait subi des simulacres de noyade.

2.2Comme il ressort de l’arrêt de la Cour suprême en date du 5 septembre 1996, l’arrestation s’inscrivait dans le cadre d’une opération lancée en vue de démanteler l’appareil central de logistique ou d’économie du groupe terroriste du «Sentier lumineux». La police avait inspecté les locaux qui abritaient l’Académie dirigée par l’auteur parce qu’elle pensait que l’appareil central de logistique était lié à cet établissement qui, d’après la police, servait de centre de recrutement de membres pour le Sentier lumineux. Dans le cadre de cette opération, la police avait saisi en plusieurs endroits des documents à caractère subversif et des explosifs et avait arrêté plusieurs personnes au nombre desquelles se trouvait l’auteur, parce qu’elle considérait qu’elles collaboraient, en accomplissant leurs différentes charges et fonctions, avec l’appareil central de logistique. L’auteur quant à lui était concrètement soupçonné d’avoir donné de l’argent pour financer des activités terroristes. Dans le quartier général du Sentier lumineux, la police avait en outre saisi une machine à écrire sur le rouleau de laquelle était apposé le logo de l’Académie. L’auteur dément toutes ces charges.

2.3L’auteur a été reconnu coupable de «délit contre la tranquillité publique − terrorisme − au préjudice de l’État» et condamné à 20 ans d’emprisonnement par la chambre spécialisée dans les affaires de terrorisme de la Cour supérieure de Lima (composée de «juges sans visage») par un jugement rendu à l’issue d’un procès collectif le 30 novembre 1994. D’après l’auteur, dans le jugement, les faits constitutifs du délit ne sont pas énoncés un à un et il n’y figure que des mentions vagues et imprécises; le procès‑verbal de la police a été l’unique preuve apportée pour fonder les réquisitions et le verdict.

2.4L’auteur a formé un recours en nullité auprès de la chambre pénale spéciale de la Cour suprême de la République, composée de «juges sans visage», laquelle a confirmé en date du 5 septembre 1996 la décision attaquée.

2.5La Cour suprême de justice a rejeté en date du 16 août 2001 le recours en révision dont elle avait été saisie. L’auteur fait valoir que la Cour n’a pas motivé sa décision.

2.6Le 22 février 1999, l’auteur et d’autres coïnculpés ont formé un recours en habeas corpus auprès de la chambre de droit public de la Cour supérieure de justice de Lima. Ils faisaient valoir que les règles d’une procédure équitable consacrées dans la Constitution et dans le Code de procédure pénale n’avaient pas été respectées, notamment le droit à la présomption d’innocence et le droit de ne pas être jugé par des juridictions d’exception ou des commissions spéciales. Ils ajoutaient que les preuves à décharge n’avaient pas été prises en considération. En outre, le jugement du 30 novembre 1994 se limitait à reprendre à titre de considérants, en fait, l’interprétation de la police dans l’analyse et l’appréciation des faits consignés au procès‑verbal, et la loi applicable n’était pas indiquée. Le recours a été rejeté en date du 1er mars 1999 et l’auteur s’est pourvu devant le Tribunal des garanties constitutionnelles, qui a confirmé la décision en date du 22 juin 1999.

2.7En date du 27 septembre 2001, l’auteur a saisi la Commission des remises de peine, du droit de grâce et des commutations de peine pour les affaires de terrorisme et de trahison à la patrie. La réponse a été négative. En mai 2005, l’auteur a fait savoir au Comité que, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle législation proclamant la nullité des procès menés par des «juges sans visage», un nouveau procès avait été ouvert en novembre 2004, qui n’était pas encore terminé.

2.8L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours possibles ouverts par les juridictions internes et ne pas avoir soumis l’affaire à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dit qu’il a subi des tortures physiques et psychiques quand il était détenu dans les locaux de la DINCOTE. Il ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent de l’article 7.

3.2L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte parce qu’il a été arrêté sans mandat judiciaire et hors flagrant délit.

3.3L’auteur se plaint également du régime pénitentiaire auquel il était soumis: sortie dans la cour pendant trois heures par jour seulement, le reste de la journée se passant dans une cellule obscure et humide, sans avoir accès à des livres et des journaux. L’auteur ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent de l’article 10.

3.4L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce qu’il a été jugé par des «juges sans visage» et que le jugement du 30 novembre 1994 repose sur des affirmations générales et imprécises qui n’ont pas été individualisées pour établir la responsabilité directe ou indirecte dans les faits reprochés.

3.5L’auteur dit qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, consacrant le droit à la présomption d’innocence, parce que le tribunal composé de «juges sans visage» a considéré que le fait de nier sa participation dans les faits reprochés était une présomption de responsabilité délictueuse, ce qui l’a laissé sans possibilité de se défendre.

3.6L’auteur fait valoir qu’il a eu un procès dans lequel il n’a pas eu la possibilité d’exercer le droit à une critique de la preuve, les droits de la défense ont été violés et les avocats ont été menacés de rejoindre les coïnculpés. L’auteur ne cite pas expressément de dispositions du Pacte mais ses griefs relèvent du paragraphe 3 de l’article 14.

Absence de coopération de l’État partie

4.En date du 6 mars 2002, l’État partie a été prié de faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication dans un délai de six mois. Comme il ne répondait pas, des rappels lui ont été adressés le 15 septembre 2004 et le 18 novembre 2004. Le Comité relève que les observations demandées ne lui sont toujours pas parvenues. Il regrette l’absence de coopération de l’État partie et rappelle qu’il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner de bonne foi toutes les accusations qui sont portées contre lui et apporter au Comité tous les renseignements à sa disposition. Comme l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité au sujet des questions qui font grief, il faut accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur dans la mesure où elles ont été étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité relève que l’auteur a été arrêté en 1992, puis jugé et condamné en application de la législation en vigueur à l’époque au Pérou. Avant d’envoyer sa communication au Comité, l’auteur avait exercé contre sa condamnation les recours qui lui étaient ouverts par la loi. En l’absence d’information de la part de l’État partie sur ce point, le Comité considère que l’auteur a rempli la condition prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif relativement à ses griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9, et des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte. L’auteur n’indique pas expressément avoir introduit un recours relatif à ses griefs de violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Cependant, le Comité fait observer que ces allégations sont cohérentes avec la pratique qui, à sa connaissance, était la règle à l’égard des détenus soupçonnés d’être liés au Sentier lumineux, et contre laquelle il n’existait pas de recours effectif. Étant donné ce qui précède et l’absence de réponse de l’État partie, le Comité considère que cette partie de la communication est recevable.

5.4Le Comité déclare la communication recevable relativement aux griefs de violation de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 et procède à son examen quant au fond à la lumière des renseignements donnés par l’auteur, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

6.1L’auteur affirme que, immédiatement après avoir été arrêté, il a été conduit à la DINCOTE où il a été torturé, et il explique en quoi consistaient les tortures. L’État partie n’ayant pas contesté ces éléments puisqu’il n’a pas adressé de réponse, il faut accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur et considérer que les faits se sont déroulés comme l’auteur l’a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte.

6.2En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, du fait que l’auteur a été arrêté sans mandat judiciaire et hors flagrant délit, le Comité estime que, ces allégations n’ayant pas été contestées par l’État partie, il doit leur accorder le crédit voulu et considérer que les faits se sont déroulés comme l’auteur l’a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

6.3En ce qui concerne les griefs de l’auteur relatifs à la dureté du régime de détention qui lui a été appliqué, le Comité considère également que, l’État partie n’ayant pas contesté ces allégations, il doit leur accorder le crédit voulu et considérer que les faits se sont déroulés comme l’auteur l’a décrit. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.4En ce qui concerne les griefs au regard de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’auteur indique que son procès a été mené par un tribunal composé de «juges sans visage», qu’il n’a pas eu la possibilité d’interroger les témoins, et que son avocat avait reçu des menaces. Dans ces circonstances, le Comité, rappelant sa jurisprudence dans des affaires similaires, considère qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, qui consacre le droit d’être jugé dans le respect des garanties judiciaires.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et de l’article 14 du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur est emprisonné depuis de longues années, l’État partie devrait étudier sérieusement la possibilité de mettre fin à sa détention, dans l’attente de l’issue du nouveau procès qui est en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prévues dans le Pacte.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

T. Communication n o 1070/2002, Kouidis c. Grèce(Constatations adoptées le 28 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Alexandros Kouidis (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Grèce

Date de la communication:

26 novembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet:Allégations de recours à la torture pour obtenir des aveux, procès non équitable

Questions de procédure: Recevabilité ratione temporis, épuisement des recours internes

Questions de fond: Torture et traitement cruel, inhumain ou dégradant, humanité dans le traitement des détenus, aveux de culpabilité obtenus par la force, équité du procès

Articles du Pacte: 7, 10 (par. 1) et 14 (par. 3 g) et l))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1070/2002 présentée au nom d’Alexandros Kouidis en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Alexandros Kouidis, ressortissant grec né le 21 mai 1950, qui purge actuellement une peine perpétuelle à la prison de Kerkyra (Corfou). Il affirme être victime de violations par la Grèce de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 3 g) et l de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte»). L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 5 août 1997.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 17 mai 1991, l’auteur a été arrêté et interrogé et par la suite inculpé de possession, d’achat, d’importation en Grèce et de vente de stupéfiants, de possession d’armes à feu, de création de groupe criminel et de falsification de documents.

2.2Le 12 octobre 1992, il a été reconnu coupable des charges pesant contre lui et condamné à 18 ans d’emprisonnement par un collège de trois juges du tribunal pénal. En appel, les cinq membres de la Cour d’appel d’Athènes («la Cour d’appel»), par un jugement du 4 novembre 1996, ont condamné l’auteur à la peine perpétuelle, concurremment à une peine de quatre ans d’emprisonnement et à une amende. Le 3 avril 1998, la Cour suprême a confirmé le jugement de la Cour d’appel.

2.3D’après l’auteur, la Cour d’appel et la Cour suprême ont fondé leur jugement, entre autres éléments, sur le fait que, lors de son interrogatoire par la police après son arrestation, il aurait partiellement avoué les délits de trafic et de possession de stupéfiants. Or, selon l’auteur, ces aveux n’auraient pas été faits librement, mais sous l’effet des violences physiques et corporelles graves que les policiers lui auraient infligées au cours des interrogatoires. Du 17 mai au 27 juin 1991, alors qu’il était détenu à la Direction générale de la police d’Athènes (GADA), l’auteur aurait été battu violemment et frappé systématiquement à coups de poing au visage, et a été soumis au supplice de la falaqa. Ces mauvais traitements auraient conduit l’auteur à avouer que l’appartement de la rue Magnisias, à Athènes, dans lequel la police avait trouvé de la cocaïne, de l’héroïne et du cannabis, était sa résidence secondaire et était utilisé pour entreposer des produits stupéfiants qui, selon l’acte d’accusation, étaient ensuite livrés à des toxicomanes.

2.4Or l’auteur affirme qu’en réalité il vivait à une adresse différente à Athènes et que l’appartement susmentionné était loué par l’un de ses amis, qui y vivait et permettait occasionnellement à l’auteur d’y séjourner dans une pièce.

2.5Pour étayer ces allégations, le conseil communique une photographie de l’auteur parue dans un quotidien grec cinq jours après son arrestation. L’auteur signale également qu’après son arrestation il est resté à l’hôpital Aghios Pavlos d’Athènes pendant 14 mois pour se rétablir de la torture et des mauvais traitements graves qu’il avait subis. Il souligne enfin que les propriétaires de l’appartement de la rue Magnisias n’ont jamais été interrogés ni convoqués par la police, et que l’auteur n’a pas été identifié par eux comme étant le locataire.

2.6L’auteur renvoie aux comptes rendus d’audience et aux jugements de la Cour d’appel et de la Cour suprême, et affirme que, bien qu’il eût indiqué à la Cour d’appel qu’il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements qui l’avaient contraint à passer aux aveux, ses allégations n’ont pas fait l’objet d’enquêtes ou été prises en compte. Il cite le procès-verbal de son jugement par la Cour d’appel, à laquelle il aurait déclaré: «J’ai dit à la police que c’est de là que j’avais pris la cocaïne parce que j’ai été battu sans pitié.». Le jugement de la Cour suprême mentionne que «le prévenu Kouidis a en partie avoué le délit qui lui était imputé, pour ce qui est du trafic de stupéfiants. En particulier, il a limité ses aveux au fait qu’il était en possession des quantités qui ont été saisies.». La Cour suprême ne fait toutefois pas mention des déclarations de l’auteur sur le fait qu’il ait été soumis à la torture et à un traitement cruel, inhumain et dégradant.

2.7L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes et indique que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir une violation des droits consacrés dans le Pacte du fait qu’il a été soumis à la torture et à un traitement cruel, inhumain et dégradant par la police au cours de son interrogatoire, ce qui a abouti à ses aveux et à un procès inéquitable.

3.2L’auteur s’estime victime d’une violation de l’article 7 du Pacte pour avoir été soumis à la torture (falaqa) et à un traitement cruel, inhumain et dégradant (brutalités et coups violents et systématiques) pendant son interrogatoire par la police.

3.3L’auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 10 parce qu’il n’a pas été traité avec humanité ni avec le respect dû à la dignité de la personne humaine pendant sa détention par la police.

3.4L’auteur affirme que l’État partie a violé le paragraphe 3 g) de l’article 14, en ce qu’il a été forcé d’avouer sa culpabilité, à la suite des tortures et des mauvais traitements qui lui ont été infligés lors de son interrogatoire par la police et de sa détention avant jugement.

3.5Enfin, l’auteur fait valoir une violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la Cour d’appel et la Cour suprême, qui ont fondé leur jugement, entre autres éléments, sur son témoignage contre lui-même, obtenu de force.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par une note verbale datée du 27 janvier 2003, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il rejette les allégations de torture et de traitement cruel, inhumain et dégradant de l’auteur. Il objecte que les aveux de l’auteur n’ont pas été pris en compte lors du procès et que le procès a été équitable.

4.2Sur les points de fait, l’État partie indique que l’auteur a résisté lors de son arrestation le 17 mai 1991, et il y a eu une bagarre avec les policiers; l’auteur a ensuite été emmené à l’hôpital et soigné pour des lésions corporelles (contusions). Il n’a pas été hospitalisé, cela n’ayant pas été jugé nécessaire.

4.3L’État partie indique qu’en fouillant le véhicule de l’auteur la police a découvert 3 millions de drachmes et de la drogue placée dans plusieurs sacs, qui a été saisie. En outre, son domicile a été perquisitionné et d’importantes quantités d’héroïne, de cannabis et de cocaïne ont été trouvées. La perquisition a été étendue à sa deuxième résidence dans un autre quartier d’Athènes (Patissia), où d’autres quantités de drogue importantes ont été trouvées. De faux documents, fausses cartes d’identité et faux passeports ainsi que des armes à feu sans permis ont également été découverts. Après son premier interrogatoire par la police, l’auteur a été présenté le 18 mai au procureur, qui a engagé des poursuites pénales pour les chefs mentionnés plus haut (par. 2.1). Le lendemain, il a été présenté au juge d’instruction pour être interrogé.

4.4L’État partie fait valoir que l’auteur ne s’est pas plaint au procureur, le 18 mai 1991, de traitements inhumains et dégradants que les policiers qui l’avaient arrêté et interrogé auraient commis, et n’a pas demandé à être examiné par un médecin. De même, lorsqu’il a été présenté au juge d’instruction pour interrogatoire le 19 mai 1991, il ne s’est pas plaint de mauvais traitements de la part des policiers et n’a pas non plus demandé à être examiné par un médecin. L’auteur n’a pas dit que les policiers avaient fait usage de force physique ou psychologique pour lui faire avouer les crimes dont il était accusé.

4.5L’État partie affirme que, le 22 mai 1991, l’auteur a dit à un juge d’instruction que la déposition qu’il avait faite au siège de la police n’était pas valable parce qu’elle résultait de violences policières. Il a indiqué à ce juge qu’il avait été battu et ligoté, avait reçu des coups sur les yeux et dans les côtes et avait été contraint de passer aux aveux. À la fin de la déposition, il a demandé à être examiné par un médecin mais uniquement pour prouver qu’il était toxicomane et échapper ainsi à la peine plus sévère visant les trafiquants. Il n’a jamais demandé à être examiné pour des mauvais traitements ou des actes de torture. Le rapport de l’examen médical n’a indiqué aucun résultat significatif. S’il y avait eu des signes de mauvais traitements ou de torture, cela aurait figuré dans le rapport médical, même si l’examen avait pour objet de déterminer si l’auteur était toxicomane.

4.6Le 27 juin 1991, l’auteur a été admis à l’hôpital pénitentiaire Saint-Paul pour une hématurie (présence de sang dans les urines) et, le 30 août, il est retourné en prison de son propre gré. Le 11 octobre, il a été admis de nouveau à l’hôpital pour la même cause et, le 5 novembre, il a été transféré dans un hôpital public mieux équipé pour subir des examens portant sur l’hématurie et un cancer éventuel. L’État partie souligne qu’à aucun moment à l’hôpital pénitentiaire l’auteur n’a été traité comme une victime de traitements inhumains ou d’actes de torture. L’auteur a demandé à maintes reprises l’interruption de sa détention en raison de dommages irréversibles à sa santé, mais toutes les demandes ont été rejetées. Qui plus est, il n’est jamais resté à l’hôpital plus de 14 mois de suite, comme il l’affirme dans sa communication, pour des blessures graves aux pieds ou à la tête ou à d’autres parties du corps.

4.7Le 10 juillet 1992, l’auteur a été admis à l’hôpital général d’Athènes, d’où il a tenté de s’évader trois jours plus tard. D’après l’État partie, des médecins de l’hôpital pénitentiaire étaient également impliqués dans la tentative d’évasion et lui avaient délivré des certificats médicaux pour qu’il soit transféré dans un hôpital public. Or, ces certificats ne mentionnaient aucun symptôme de sévices ou de torture qu’aurait subis l’auteur.

4.8Sur la question de la recevabilité, l’État partie note que les faits présentés dans la communication se sont produits en 1991, avant l’entrée en vigueur pour la Grèce du Pacte et du Protocole facultatif, et fait valoir qu’il ne peut pas être tenu pour responsable de violations survenues avant son adhésion au Pacte.

4.9L’État partie objecte également que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes étant donné qu’il n’a pas intenté d’action en réparation devant les tribunaux nationaux au motif de brutalités policières illicites. D’après le droit administratif grec, en cas d’actes ou de négligences imputables à des agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions, l’État est tenu de verser des dommages‑intérêts, de même que le fonctionnaire auteur de l’acte ou de la négligence. En outre, l’auteur n’a pas déposé de plainte auprès du procureur ou des tribunaux nationaux contre l’État, ni contre aucun policier en particulier pour traitement inhumain et dégradant pendant l’interrogatoire préliminaire. L’État partie fait valoir que, s’il l’avait fait, une enquête aurait été ouverte et les policiers accusés d’avoir pris part à de tels actes auraient été poursuivis.

4.10En ce qui concerne le fond et le grief de procès inéquitable, l’État partie fait valoir que les aveux faits par l’auteur pendant l’interrogatoire préliminaire n’ont pas eu d’incidence sur l’issue du procès. Il souligne que le tribunal de première instance qui a prononcé la première condamnation, en 1992, n’a pas pris en considération les aveux de l’auteur datés du 20 mai 1991.

4.11Il en a été de même en appel. Dans son jugement du 4 novembre 1996, la Cour d’appel a indiqué que l’accusé avait plaidé coupable de détention de quantités importantes de stupéfiants. Elle a également considéré que l’auteur n’avait pas donné d’explications plausibles concernant la possession d’une balance de précision (du type utilisé pour peser de la drogue), sur les importantes sommes d’argent trouvées dans un autre lieu de résidence ni sur les grandes quantités de cocaïne et d’héroïne trouvées dans son véhicule, et elle a en conséquence déclaré l’auteur coupable de tous les chefs d’accusation. L’État partie fait valoir que la Cour d’appel n’a pas fondé ses conclusions sur les aveux de l’auteur – parce que les aveux n’ont jamais été présentés comme preuves. L’État partie note: «Comme il ressort du procès-verbal et du jugement en question, parmi les éléments utilisés comme preuves pour fonder la décision, il n’est pas fait mention d’aveux faits par l’accusé aux policiers chargés de l’enquête préliminaire.». Sa culpabilité et la peine d’emprisonnement à vie qui a été prononcée étaient fondées sur la somme d’éléments de preuve irréfutables, son incapacité à les réfuter et les incohérences dans ses déclarations.

4.12L’État partie fait observer que si les aveux avaient été pris en considération par la Cour d’appel l’auteur aurait pu demander que le jugement soit invalidé sur le fondement de l’article 171, paragraphe 1, section d), du Code de procédure civile grec qui dispose que l’ensemble du jugement doit être invalidé si la Cour admet à titre de preuve pour l’établissement de la culpabilité le contenu de documents ou de déclarations qui n’ont pas été lus à l’audience ou qui n’ont pas été étayés par d’autres preuves. Or, l’auteur n’a pas présenté une telle requête.

4.13En outre, l’État partie note que l’auteur n’a jamais affirmé devant les juridictions nationales − dont la Cour suprême – que la Cour d’appel avait fondé sa déclaration de culpabilité sur des documents qui n’avaient pas été présentés à l’audience. Quoi qu’il en soit, de telles preuves auraient été illégales et la Cour n’en aurait pas tenu compte pour délibérer et fonder sa décision.

4.14Selon l’État partie, la Cour suprême ne pouvait pas prendre en considération les violences que l’auteur aurait subies au cours de l’enquête préliminaire, ces allégations portant sur des questions de fait et non de droit, et ne relevant donc pas de sa compétence.

4.15De façon générale, l’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, d’après laquelle l’appréciation des éléments de preuve au cours des procès en matière criminelle est une question relevant essentiellement du droit national, le rôle de la Cour européenne consistant à apprécier l’équité de la procédure dans son ensemble. Elle déclare qu’en règle générale, le tribunal national est compétent pour statuer sur les éléments de preuve qui lui sont présentés.

4.16Concernant les allégations de violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie estime que cette affaire ne soulève pas de question de torture ou de traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants. Il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne, d’après laquelle il convient d’évaluer si le traitement a atteint un certain degré minimum de brutalité, et, de plus, si le traitement visait à être dégradant ou humiliant pour la victime.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 avril 2003, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Sur l’argument de la recevabilité ratione temporis, il fait valoir que les torture dont il a été victime ont eu des effets persistants après l’entrée en vigueur du Pacte. Selon l’auteur, en effet, ses aveux − obtenus sous la torture − ont bien été pris en considération: ils sont expressément mentionnés dans les arrêts de la Cour d’appel (1996) et de la Cour suprême (1998), et ont entraîné sa condamnation. En outre, les mauvais traitements subis continuent d’avoir un effet traumatisant sur son psychisme et sa personnalité.

5.2Sur l’argument du non-épuisement des recours internes pour les griefs relatifs aux paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14, l’auteur souligne que sa cause a été examinée par la Cour suprême et qu’il n’y a plus de recours possible. Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, l’auteur affirme qu’il n’a pas engagé d’action en réparation parce que ce qu’il veut obtenir c’est un procès équitable et non un dédommagement financier. À cet égard, il affirme n’avoir cessé de se plaindre du fait qu’il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements graves devant le juge d’instruction et la Cour d’appel; cette plainte a du reste été consignée dans le procès-verbal du jugement de la Cour d’appel de 1996. Or il n’a été fait aucun cas de ces déclarations et le Procureur général n’a pas ouvert d’office une enquête et une procédure, comme il aurait dû le faire en vertu des articles 137A et 137B du Code pénal, qui répriment les crimes de torture et de mauvais traitements commis par des organes de l’État. Au demeurant, selon l’auteur, il n’était guère plausible qu’une telle plainte aboutisse étant donné que les mauvais traitements et les actes de torture commis par des policiers sont fréquents en Grèce, et les plaintes des victimes n’ont jamais abouti à une condamnation par les tribunaux.

5.3Sur le fond, l’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle le seul mal dont il souffrait après son arrestation par la police le 17 mai 1991 consistait en des «lésions corporelles légères (contusions)». Il réaffirme qu’il a été violemment battu et torturé par la police (coups systématiques au visage et dans les côtes et torture de la falaqa) pendant sa détention avant jugement et son interrogatoire. Ces mauvais traitements se sont poursuivis pendant sa détention avant jugement dans les locaux de la Direction générale de la police à Athènes (GADA), du 17 mai au 27 juin 1991, cela même après qu’il eut été présenté au Procureur, le 18 mai, et au juge d’instruction le 19 mai.

5.4L’auteur affirme que l’hématurie dont il souffre est un symptôme courant de la torture et de mauvais traitements graves, et a été la conséquence directe et incontestable des actes de torture et des mauvais traitements sévères auxquels il a été soumis.

5.5Il affirme qu’il a été hospitalité du 27 juin au 30 août 1991 pour traitement de l’hématurie, puis du 11 octobre 1991 au 4 août 1992, en raison d’un diagnostic d’arthropathie (douleur) aux genoux, au dos et à la colonne vertébrale, parce qu’il avait été torturé et soumis à des mauvais traitements pendant sa détention avant jugement. Il rejette l’argument de l’État partie qui dit qu’il aurait été hospitalisé et examiné pour un dépistage du cancer, n’ayant jamais présenté de symptôme d’un cancer.

5.6Sur le fait que l’auteur ne se serait jamais plaint de mauvais traitements aux autorités judiciaires avant son procès, comme l’affirme l’État partie, l’auteur réaffirme qu’en réalité il s’en est plaint à toutes les autorités judiciaires auxquelles il a eu affaire, avant et pendant son procès. Il se souvient également qu’il avait déposé une plainte pour mauvais traitements auprès de la Cour d’appel, comme il est confirmé dans le compte rendu d’audience, où il est indiqué que l’auteur a déclaré qu’il était passé aux aveux devant les policiers parce qu’ils l’avaient battu «sans pitié». Mais que les autorités grecques n’ont fait aucun cas de ces plaintes.

5.7L’auteur affirme que les autorités grecques poursuivent rarement les policiers accusés de mauvais traitements, et renvoie à un rapport d’Amnesty International et de la Fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme faisant état de nombreux cas présumés de mauvais traitements, assimilables pour certains d’entre eux à de la torture, sur des détenus, généralement pendant l’arrestation ou dans les postes de police, où il est aussi question de la réticence du ministère public et des autorités judiciaires à engager des poursuites contre des policiers. Il invoque des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), publiés après des visites en Grèce en 1993, 1997 et 2001. D’après ces rapports, «le mauvais traitement de détenus par des policiers reste assez répandu, au moins pour les personnes suspectées de certaines infractions pénales».

5.8Enfin, l’auteur réaffirme que ses aveux, obtenus sous la torture, ont constitué un élément déterminant de la décision rendue dans les jugements de la Cour d’appel et de la Cour suprême. Dans son jugement, la Cour d’appel note que l’auteur «a fait des aveux partiels, en limitant exclusivement ses aveux à la possession des quantités saisies». Or il n’a pas été donné lecture d’aveux à l’audience. La déposition de l’auteur (par. 2.6), dans laquelle il a évoqué des mauvais traitements, est le seul moment où des aveux ont été mentionnés lors de l’audience. Dans son arrêt, la Cour suprême indique que l’auteur «a partiellement reconnu les faits dont il était accusé pour ce qui est du trafic de stupéfiants. Plus précisément, il a limité ses aveux au seul fait qu’il était en possession des quantités saisies de stupéfiants». L’auteur en conclut que ses aveux ont bien été pris en considération par l’une et l’autre cour au moment de statuer et de le condamner.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable ratione temporis, pace qu’elle porte sur des faits qui se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Grèce, le 5 août 1997. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il ne peut pas examiner des violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, à moins que ces violations se poursuivent après cette date ou continuent de produire des effets qui en eux‑mêmes constituent une violation du Pacte. Le Comité a conclu qu’il y avait des violations persistantes lorsque les États, par des actes ou de manière implicite, ont prolongé des violations commises antérieurement, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité relève que la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 10 concerne son arrestation et sa détention avant jugement en 1991, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, et estime que cette partie de la communication est irrecevable ratione temporis, conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

6.4Dans ses griefs de violation de l’article 7, l’auteur se réfère également à la période de détention précitée et aux effets persistants du mauvais traitement qu’il a subi et des aveux qu’il a faits. L’auteur n’a pas montré que les effets persistants du traitement subi constituaient en eux‑mêmes une violation du Pacte et répondaient aux critères énoncés au paragraphe 6.3. Le Comité conclut que la plainte au titre de l’article 7 pris isolément est irrecevable ratione temporis en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.5Néanmoins, le Comité note que, bien que l’auteur ait été condamné en appel le 4 novembre 1996, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le jugement de la Cour suprême confirmant le jugement de la Cour d’appel a été rendu le 3 avril 1998, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’un jugement en deuxième ou dernier ressort confirmant une condamnation constitue une validation de la conduite du procès. Les griefs au titre des paragraphes 3 g) et 1 de l’article 14 portent également sur la conduite du procès, qui a continué après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité conclut qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication ratione temporis dans la mesure où elle soulève des questions qui concernent le procès de l’auteur.

6.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes pour dénoncer les tortures dont il se plaint, et considérant que ces plaintes découlent de l’interprétation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14, le Comité note que le jugement de la Cour d’appel mentionne expressément les propos de l’auteur indiquant qu’il a été «battu sans pitié» par la police. Il en conclut que l’État partie n’ignorait pas les plaintes de mauvais traitements au moment de son procès, et estime que l’auteur a épuisé les recours internes à cet égard.

6.7Le Comité conclut que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 et du seul paragraphe 1 de l’article 14, et procède donc à l’examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que l’État partie et l’auteur ont présenté des versions foncièrement divergentes des faits concernant l’existence de mauvais traitements pendant la détention de l’auteur avant son jugement, les raisons de son hospitalisation et l’utilisation de ses aveux par les tribunaux au procès.

7.3Le Comité relève que les éléments de preuve fournis par l’auteur à l’appui de ses allégations de mauvais traitements sont une photographie de mauvaise qualité tirée d’un quotidien, le fait qu’il aurait passé 14 mois à l’hôpital pour traitement médical en rapport avec les sévices, le fait que l’accusation n’ait pas interrogé les propriétaires de l’appartement cités dans ses aveux, et des rapports d’ONG et du CPT. De son côté, l’État partie indique que l’auteur n’a pas demandé à être examiné par un médecin afin d’établir l’existence de mauvais traitements, ce qui n’a pas été contesté par l’auteur. Le Comité note aussi que, bien que l’auteur soit resté pendant aussi longtemps à l’hôpital si peu de temps après les mauvais traitements allégués, et qu’il soit en possession de certificats médicaux concernant les traitements reçus à l’hôpital pour une hématurie et une arthropathie aux genoux, au dos et à la colonne vertébrale, ces certificats n’indiquent pas que des mauvais traitements soient effectivement à l’origine de ses problèmes. Aucun des certificats ne mentionne non plus d’éventuelles marques ou séquelles de coups sur la tête ou le corps de l’auteur. Le Comité considère que l’auteur, qui a eu accès à des soins médicaux, avait la possibilité de demander un examen médical, ce qu’il a fait d’ailleurs pour établir qu’il était toxicomane. Il n’a pas en revanche demandé d’examen médical afin d’établir la preuve de mauvais traitements.

7.4En outre, comme le note l’État partie, c’est aux autorités nationales chargées de l’enquête qu’il appartient de décider de la manière d’enquêter sur une affaire, dans la mesure où la conduite de l’enquête n’est pas manifestement arbitraire. Le Comité considère que l’auteur n’a pas apporté la preuve que les fonctionnaires chargés de l’enquête avaient agi arbitrairement en négligeant d’interroger les propriétaires de l’appartement de la rue Magnisias. Enfin, les rapports d’ONG soumis par l’auteur ont un caractère général et ne peuvent pas établir que des mauvais traitements ont été infligés à l’auteur. Dans ces circonstances, le Comité ne peut pas conclure que les aveux de l’auteur sont le résultat d’un traitement contraire à l’article 7, et estime que les faits ne font pas apparaître de violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14.

7.5Pour ce qui est du grief au regard du paragraphe 3 g) de l’article 14 considéré isolément, le Comité note que la Cour suprême avait connaissance des allégations de mauvais traitements. Le Comité estime que les obligations énoncées au paragraphe 3 g) de l’article 14 entraînent pour l’État partie celle de prendre en considération toute plainte selon laquelle des déclarations faites par des personnes accusées dans une affaire pénale ont été formulées sous la contrainte. À cet égard, que l’on se fonde ou non sur des aveux est sans importance, car cette obligation s’applique à tous les aspects de la procédure judiciaire visant à établir les faits. En l’espèce, le fait que l’État partie au niveau de la Cour suprême n’ait pas tenu compte des plaintes de l’auteur, qui affirmait avoir avoué sous la contrainte, constitue une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14.

7.6Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, du fait que le procès et la condamnation ont été fondés, entre autres éléments, sur les aveux de l’auteur, le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que les tribunaux n’ont pas fondé leur jugement sur les aveux de l’auteur. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient au premier chef d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. C’est aux juridictions d’appel des États parties et non au Comité qu’il appartient d’examiner la conduite du procès, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que le juge a manifestement violé l’obligation d’impartialité à laquelle il est tenu. Il apparaît que le procès de l’auteur n’est pas entaché de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication ne fait pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 14.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et approprié, et notamment d’enquêter sur ses allégations de mauvais traitements, ainsi qu’une réparation.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

U. Communication n o  1085/2002, Taright c. Algérie (Constatations adoptées le 15 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Algérie

Date de la communication:

5 janvier 1999 (date de la lettre initiale − enregistrée le 23 mai 2002, d’autres lettres ayant été reçues des auteurs par la suite)

Objet: Détention provisoire, non‑respect du délai raisonnable de jugement

Questions de procédure: Épuisement des recours internes, allégations insuffisamment étayées aux fins de la recevabilité, recevabilité ratione materiae

Questions de fond: Détention provisoire, non‑respect du délai raisonnable de jugement

Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1 et 3), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 c)), 16 et 17

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1085/2002 présentée par Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi au nom des auteurs, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, datée du 5 janvier 1999, sont Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi, citoyens algériens et résidant en Algérie. Ils se déclarent victimes de violations de la part de l’Algérie de l’article 7, des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1, 2, et 3 c) de l’article 14, et des articles 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Algérie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 9 mars 1996, Abdelhamid Taright, Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi, respectivement Président du conseil d’administration, Directeur général, Directeur financier et Directeur des approvisionnements de la société d’État COSIDER, ont été inculpés pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux, et placés en détention provisoire. Le 30 mars 1996, le juge d’instruction a désigné un expert pour étudier la gestion de COSIDER dans un délai d’un mois. Par ordonnance du juge d’instruction du 12 mai 1996, les comptes bancaires de tous les auteurs ont été bloqués. Par nouvelle ordonnance du juge d’instruction du 8 juin 1996, le patrimoine immobilier de Abdelhamid Taright a été saisi.

2.2Plusieurs demandes de mise en liberté provisoire ont été formulées. La demande du 29 juin 1996 de mise en liberté provisoire de Abdelhamid Taright a été rejetée par le magistrat instructeur par ordonnance du 30 juin 1996, confirmée par arrêt de la chambre d’accusation du 16 juillet 1996. Une seconde demande datant du 19 novembre 1996 a été rejetée par arrêt de la chambre d’accusation du 17 novembre 1996. Une troisième demande en date du 28 mars 1998 a été ignorée. Une quatrième demande a été à nouveau rejetée par arrêt de la chambre d’accusation du 2 août 1998. Une nouvelle demande de mise en liberté provisoire de tous les auteurs a été rejetée par arrêt de la chambre d’accusation du 30 décembre 1998. Les auteurs ajoutent que plusieurs autres demandes de mise en liberté ont été introduites par Ahmed Touadi, Mohamed Remli et Amar Yousfi sans préciser les dates. Les auteurs ont été remis en liberté provisoire sous contrôle judiciaire par arrêt de la chambre d’accusation du 7 septembre 1999. Ce contrôle judiciaire a été levé pour Abdelhamid Taright par arrêt du 27 décembre 1999.

2.3En ce qui concerne les expertises, le 17 novembre 1996, la chambre d’accusation a écarté, pour imprécision et confusion, le rapport du premier expert remis le 5 août 1996 et désigné un collège de trois experts. Par arrêt du 10 février 1998, la chambre d’accusation a décidé de décharger les experts de leur mission au motif que leurs honoraires étaient abusifs et de confier cette mission à l’Inspection générale des finances (IGF). Par arrêt du 2 août 1998, elle a ordonné un complément d’expertise à l’IGF. Le 6 janvier 1999, les auteurs ont déposé une plainte pour faux contre les experts de l’IGF, laquelle a fait l’objet d’un non‑lieu le 24 mars 1999.

2.4En ce qui concerne la saisie des biens des auteurs, la requête du 16 septembre 1996 de levée de la saisie frappant Abdelhamid Taright a été rejetée par le juge d’instruction par ordonnance du 28 septembre 1996. L’appel formé contre cette ordonnance a été rejeté par la chambre d’accusation par arrêt du 17 novembre 1996.

2.5Par arrêt du 30 décembre 1998, la chambre d’accusation a décidé le renvoi des prévenus devant le tribunal criminel (pour dilapidation de biens publics et passation de contrats contraires à l’intérêt de l’entreprise). Le 31 janvier 1999, les auteurs se sont pourvus en cassation. Le 8 juin 1999, la Cour suprême a cassé l’arrêt en cause, pour non‑respect des droits de la défense et renvoyé l’affaire à la chambre d’accusation. Le 27 février 2001, la chambre d’accusation a rendu, à nouveau, un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel. Les auteurs se sont alors, à nouveau, pourvus en cassation le 7 avril 2001. Le 29 avril 2002, la Cour suprême a cette fois confirmé l’arrêt de renvoi. Les auteurs ont comparu devant le tribunal criminel d’Alger en octobre 2002; ils ont été acquittés le 16 juillet 2003.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs estiment que leur cas résulte d’une instrumentalisation de la justice dans le cadre d’une campagne politicienne dite de moralisation et de lutte contre la corruption. Ils font valoir que leurs griefs ont trait respectivement à leur détention arbitraire, au non‑respect du délai raisonnable de jugement, ainsi qu’à leur «mort civile».

3.2Relativement au premier grief, les auteurs expliquent que leur détention préventive du 9 mars 1996 au 7 septembre 1999, soit trois ans et six mois, constitue une violation flagrante de l’article 125 du Code de procédure pénale algérien qui limite ladite détention à une période maximale de 16 mois. Plusieurs demandes de mise en liberté provisoire avaient été rejetées alors même que des retards excessifs dans la procédure d’instruction relevaient de la seule responsabilité des magistrats. Les auteurs font valoir une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.3Concernant le second grief, les auteurs n’ont été jugés et acquittés que le 16 juillet 2003, alors qu’ils avaient été inculpés le 9 mars 1996, et ceci sans qu’aucune responsabilité dans les retards accumulés en cours de procédure ne puisse leur être attribuée, puisque c’est la chambre d’accusation qui a changé d’experts à plusieurs reprises. Les auteurs considèrent que les différents rapports d’expertise ne constatent aucun détournement ou malversation, mais font état de préjudices dus à une prétendue mauvaise gestion. Finalement, ils estiment qu’ainsi la présomption d’innocence a été violée et que, plus généralement, les conditions du droit à un procès équitable ont été compromises. Les auteurs font valoir des violations des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphes 1, 2 et 3 c).

3.4Au sujet du troisième grief, les auteurs estiment que la saisie du patrimoine immobilier d’Abdelhamid Taright et le blocage des comptes bancaires de tous les auteurs sont contraires à l’article 84 du Code de procédure pénale algérien et à la jurisprudence ne permettant que la saisie des biens en rapport direct avec l’infraction, à l’exclusion des biens personnels. Ils précisent que les demandes du conseil de levée de la saisie n’ont pas abouti. Les auteurs concluent être ainsi privés de leur personnalité juridique (art. 16 du Pacte) et frappés de «mort civile», ce qui constitue également, selon eux, un traitement cruel et inhumain (art. 7 du Pacte), une atteinte à la dignité de la personne humaine (art. 10, par. 1) ainsi qu’à l’honneur et à la réputation (art. 17).

3.5Concernant les recours devant les juridictions internes, au sujet du premier grief, les auteurs, après avoir fait état des recours auprès du juge d’instruction et de la chambre d’accusation, précisent que, conformément à l’article 495 a) du Code de procédure pénale algérien, les arrêts de la chambre d’accusation en matière de détention préventive n’étaient pas susceptibles de pourvoi en cassation. Au sujet du second grief, les auteurs font valoir que le retard excessif quant à l’absence de jugement était imputable aux autorités judiciaires d’Alger. Concernant le troisième grief, outre les recours ci‑dessus mentionnés, les auteurs déclarent ne pas s’être pourvus en cassation contre l’arrêt de la chambre d’accusation du 17 novembre 1996 car, d’une part, la saisie étant une mesure provisoire sur laquelle la juridiction de jugement doit statuer, le pourvoi n’avait aucune chance d’aboutir et, d’autre part, un tel pourvoi aurait eu pour effet de suspendre toute la procédure durant une année environ, jusqu’à ce que la Cour suprême statue.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans sa note verbale du 11 juillet 2002, l’État partie conteste, en premier lieu, la recevabilité de la communication. D’après lui, les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes prévues par la législation nationale et reconnaissent eux‑mêmes que l’affaire était encore au stade de l’instruction et qu’elle était encore pendante devant la chambre d’accusation lorsqu’ils ont saisi le Comité le 5 janvier 1999. L’État partie ajoute que les auteurs ont continué à exercer les voies de recours internes non encore épuisées après avoir saisi le Comité. Ils se sont, en effet, pourvus en cassation contre l’arrêt de la chambre d’accusation du 30 décembre 1998 qui les a renvoyés devant le tribunal criminel.

4.2L’État partie rappelle la chronologie des faits et souligne qu’ayant estimé les faits suffisamment graves et après avoir notifié aux auteurs les motifs de leur accusation et recueilli leurs déclarations, le juge d’instruction a ordonné leur placement en détention provisoire, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale algérien. Il note que la complexité de l’affaire demandait une série d’expertises judiciaires et rappelle qu’alors que le tribunal criminel s’apprêtait à juger l’affaire les auteurs ont choisi de se pourvoir en cassation à deux reprises, prolongeant ainsi la procédure.

4.3L’État partie estime que non seulement les voies de recours internes ne sont pas épuisées, la justice étant encore saisie de l’affaire, mais également que ces recours fonctionnent puisqu’ils ont abouti à la cassation du premier arrêt de renvoi, à la modification des chefs d’accusation et à la révision à la baisse du montant estimé des préjudices. Ces recours ont également permis aux auteurs d’être libérés avant leur jugement alors que la loi autorise la chambre d’accusation à les maintenir en détention jusqu’à leur comparution devant le tribunal criminel. En conséquence, les auteurs n’ayant pas épuisé toutes les voies de recours internes, leur communication est irrecevable.

4.4En ce qui concerne le bien‑fondé de la communication, l’État partie insiste sur le fait que les mesures provisoires, conservatoires ou d’investigation ont été ordonnées par un juge d’instruction saisi conformément à la loi, dans le cadre d’une information judiciaire. Il estime que les auteurs ont bénéficié de toutes les garanties énoncées dans le Pacte, pour ce qui est de leur arrestation, de leur mise en détention et des accusations portées contre eux.

4.5S’agissant de la détention provisoire, l’État partie rappelle qu’elle a été ordonnée le 9 mars 1996 dans le cadre d’une information judiciaire en matière criminelle qui permet au juge d’instruction de maintenir en détention les accusés pour une durée n’excédant pas 16 mois selon l’article 125 du Code de procédure pénale. Il note que le juge d’instruction a clôturé son dossier par ordonnance de transmission des pièces au Procureur général dans les délais fixés par le Code de procédure pénale. Il explique que le maintien en détention des auteurs au‑delà de la durée de 16 mois s’est fait en application de l’article 166 du Code de procédure pénale qui dispose que:

Si le juge d’instruction estime que les faits constituent une infraction qualifiée de crime par la loi, il ordonne que le dossier de la procédure et un état des pièces servant à conviction soient transmis sans délai par le Procureur de la République au Procureur général près la Cour, pour être procédé ainsi qu’il est dit au chapitre relatif à la chambre d’accusation. Le mandat d’arrêt ou de dépôt conserve sa force exécutoire jusqu’à ce qu’il ait été statué par la chambre d’accusation.

L’État partie note que la chambre d’accusation avait estimé que l’instruction était incomplète, avait ordonné un supplément d’information et avait maintenu les auteurs en détention en attendant de se prononcer sur le fond, ce qu’elle a fait le 30 décembre 1998. Une fois renvoyés devant le tribunal criminel, les auteurs ont été maintenus en détention jusqu’à leur comparution devant la juridiction de jugement en application de l’article 198 du Code de procédure pénale qui prévoit que:

La chambre d’accusation décerne, en outre, une ordonnance de prise de corps contre l’accusé poursuivi pour crime dont elle précise l’identité. Cette ordonnance est immédiatement exécutoire. […] Elle conserve sa force exécutoire contre l’accusé détenu, jusqu’au prononcé du jugement par le tribunal criminel.

4.6L’État partie souligne que les auteurs auraient été jugés dès le début de l’année 1999 s’ils n’avaient pas multiplié les recours en cassation. Il note que la chambre d’accusation a quand même usé des prérogatives que lui confère la loi pour ordonner la libération des auteurs avant leur comparution devant le tribunal criminel et a autorisé l’un d’eux à quitter le territoire national pour raisons de santé. L’État partie estime donc que les allégations de violation des articles 9 et 14 sont infondées.

4.7En tout état de cause et dans le cas où la juridiction de jugement déciderait d’acquitter les auteurs, l’État partie précise que ces derniers auront le droit de saisir la Commission d’indemnisation instituée au niveau de la Cour suprême, en réparation du préjudice subi du fait de leur détention provisoire, conformément à l’article 137 bis et suivants du Code de procédure pénale.

4.8En ce qui concerne la prétendue «mort civile» et la violation des articles 7, 10 et 16 du Pacte, du fait de la décision du juge d’instruction de saisir un terrain appartenant à Abdelhamid Taright et de bloquer les comptes bancaires de tous les auteurs, l’État partie précise que cette mesure, qui est bien une mesure provisoire et conservatoire, n’a pas porté sur l’ensemble des biens des auteurs, a été prise par le juge d’instruction pour la sauvegarde des droits des parties et du Trésor, et qu’en tout état de cause il appartient à la juridiction de jugement de se prononcer sur sa régularité et la suite à lui donner.

Commentaires de l’auteur et observations de l’État partie

5.Par lettre du 17 mars 2003, le conseil a indiqué qu’il ne souhaitait pas faire de commentaires sur les observations de l’État partie.

6.Par note verbale du 12 novembre 2003, l’État partie a informé le Comité qu’il n’avait pas d’observations supplémentaires à présenter.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie soutenant que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes lors de la saisine du Comité et qu’ils ont continué ensuite à exercer les voies de recours internes non encore épuisées. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la question de l’épuisement des voies de recours internes est décidée au moment de son examen par le Comité, sauf circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas pour la présente communication.

7.4Eu égard au grief de violation de l’article 9, paragraphes 1 et 3, le Comité a pris note des arguments des auteurs selon lesquels les arrêts de la chambre d’accusation en matière de détention préventive ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation, selon l’article 495 a) du Code de procédure pénale. L’État partie n’ayant pas contesté ces informations et tout en notant que les auteurs ont été libérés le 7 septembre 1999 par arrêt de la chambre d’accusation, le Comité estime que les voies de recours internes ont été épuisées.

7.5Eu égard au grief de violation de l’article 14, paragraphe 3 c), le Comité constate que le problème de non‑respect du délai raisonnable de jugement a été soulevé par les auteurs à maintes reprises devant les juridictions internes. Il note, en particulier, que les auteurs ont introduit le 26 janvier 1998 une requête pour protester contre le retard pris par les trois experts qui avaient été désignés le 17 novembre 1996, c’est‑à‑dire 14 mois plus tôt. En conséquence, le Comité conclut que la communication est recevable quant à une possible violation de l’article 14, paragraphe 3 c).

7.6Concernant les arguments des auteurs selon lesquels la saisie de leurs biens représente une violation des articles 7, 10, paragraphe 1, 16 et 17 du Pacte, le Comité estime que les auteurs ont insuffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité.

7.7Eu égard aux griefs de violation de l’article 14, paragraphes 1 et 2, le Comité estime que les auteurs ont insuffisamment étayé leurs allégations, aux fins de la recevabilité.

7.8Le Comité conclut que les griefs des auteurs de violations des articles 9, paragraphes 1 et 3, et 14, paragraphe 3 c), ont été suffisamment étayés, et sont recevables. Il procède donc à leur examen sur le fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Eu égard aux griefs de violations de l’article 9, paragraphes 1 et 3, le Comité note que les allégations des auteurs ont trait à la durée et au caractère arbitraire de leur détention. Le Comité constate que les auteurs ont fait l’objet d’une détention préventive entre le 9 mars 1996 et le 7 septembre 1999, soit trois ans et demi. Le Comité a pris note des renseignements de l’État partie sur les accusations portées contre les auteurs, les fondements juridiques de leur mise en détention, ainsi que les exigences en matière de procédure découlant du Code de procédure pénale. En outre, il a noté l’affirmation de l’État partie selon laquelle la complexité de l’affaire avait nécessité une série d’expertises judiciaires qui s’étaient conclues par l’arrêt du 30 décembre 1998 de la chambre d’accusation de renvoi des accusés devant la juridiction de jugement, et que cette procédure et en conséquence la détention des auteurs avaient également été prolongées du fait du pourvoi en cassation des auteurs le 31 janvier 1999.

8.3Le Comité réaffirme, conformément à sa jurisprudence, que la détention avant jugement doit être l’exception et que la libération sous caution doit être accordée sauf dans les cas où le suspect risque de se cacher ou de détruire des preuves, de faire pression sur les témoins ou de quitter le territoire de l’État partie. De même, l’historique de la rédaction du paragraphe 1 de l’article 9 confirme qu’il ne faut pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais plutôt l’interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste, imprévisible, et contraire à la légalité. En outre, le maintien en détention provisoire après une arrestation légale doit non seulement être légal, mais aussi être raisonnable à tous égards. Or le Comité constate que l’État partie n’a pas suffisamment justifié son argumentation, d’une part, sur les raisons du placement en détention provisoire des auteurs et, d’autre part, sur la complexité de l’affaire pouvant justifier le maintien en détention.

8.4Le Comité estime, en outre, que la responsabilité des auteurs dans le prolongement de la procédure en raison de leurs recours en cassation ne peut être établie. À cet égard, il constate que les expertises judiciaires se sont succédé uniquement sur décision des autorités et pour certaines sur la base de motifs qui ne peuvent être considérés comme raisonnables. En l’occurrence, il note la décision de la chambre d’accusation, par arrêt du 10 février 1998, de décharger le collège de trois experts de leur mission en raison de leurs honoraires abusifs, alors même que ces experts avaient été désignés par cette même chambre d’accusation par arrêt du 17 novembre 1996, et ceci après son rejet du rapport du premier expert qui avait été désigné le 30 mars 1996. Le Comité note également que le premier pourvoi en cassation des auteurs a conduit la Cour suprême à renvoyer l’affaire à la chambre d’accusation en raison de violations des droits de la défense liées aux rapports d’expertise. En l’absence d’autres informations ou de justifications suffisamment convaincantes sur la nécessité et le caractère raisonnable du maintien en détention des auteurs durant trois ans et six mois, le Comité conclut à une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9.

8.5Concernant le grief de violation de l’article 14, paragraphe 3 c), le Comité note que bien que les auteurs aient été inculpés de plusieurs infractions pénales le 9 mars 1996, l’instruction des chefs d’inculpation et leur examen n’ont abouti à un jugement en première instance que le 16 juillet 2003, soit sept ans et trois mois après leur inculpation. Aux termes du paragraphe 3 c) de l’article 14, toute personne a droit «à être jugée sans retard excessif». De l’avis du Comité, les arguments avancés par l’État partie ne peuvent servir à justifier des retards excessifs dans la procédure judiciaire. Le Comité estime également que l’État partie n’a pas démontré que la complexité de l’affaire et le pourvoi en cassation des auteurs étaient de nature à justifier ce retard dans la procédure judiciaire. Il conclut donc à une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs une réparation appropriée. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui‑ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

V. Communication n o 1100/2002, Bandajevsky c. Bélarus(Constatations adoptées le 28 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Yuri Bandajevsky (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

19 avril 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Détention en vertu de la législation antiterroriste; allégation de persécutions liées à l’expression publique d’opinions critiques à l’égard du Gouvernement de l’État partie

Questions de procédure: Degré de justification de la plainte; non-épuisement des recours internes

Questions de fond: Détention illégale; conditions de détention; procès inéquitable; liberté d’opinion/droit de répandre des informations

Articles du Pacte: 9, 10, 14 et 19

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1100/2002 présentée par Yuri Bandajevsky en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Yuri Bandajevsky, citoyen bélarussien, né en 1957, qui, au moment où il a présenté la communication, était emprisonné à Minsk (Bélarus). Il affirme être victime de violations, par le Bélarus, des droits garantis par les articles 9, 10, 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur était professeur et recteur de l’Institut de médecine de l’État à Gomel (Bélarus). En 1999, une action pénale a été engagée contre lui en vertu de l’article 169 du Code pénal bélarussien (dans sa version de 1960); il était accusé d’avoir accepté des pots-de-vin (corruption passive). Il a été arrêté le 13 juillet 1999, puis libéré, sans toutefois être autorisé à quitter le territoire national. Le 18 juin 2001, la Chambre militaire (collégiale) de la Cour suprême l’a reconnu coupable de corruption passive en vertu de l’article 430 du Code pénal (dans sa version de 1999) et l’a condamné à huit années d’emprisonnement. Selon l’auteur, la Cour a conclu qu’en 1997, alors qu’il était recteur de l’Institut de médecine, il avait proposé au Directeur des études de cet établissement de percevoir, à titre de pots-de-vin, des sommes d’argent des parents d’étudiants souhaitant s’inscrire à l’Institut.

2.2L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte: il fait observer qu’il a été arrêté le 13 juillet 1999, avec l’approbation du Procureur général, et détenu pendant 30 jours en vertu du décret présidentiel du 21 octobre 1997 relatif aux «mesures d’urgence destinées à lutter contre le terrorisme et d’autres crimes violents particulièrement dangereux». Il affirme qu’il a ensuite été accusé d’avoir accepté des pots-de-vin, en violation de l’article 169 3) du Code pénal bélarussien. Cette infraction, fait-il observer, n’a aucun rapport avec le terrorisme ou d’autres crimes violents ou particulièrement dangereux. Selon l’auteur, aucun motif ne justifiait son arrestation et sa détention.

3.2L’auteur prétend qu’il n’a pas été informé des accusations pesant contre lui lors de son arrestation, le 13 juillet 1999, et qu’il n’a été inculpé pour corruption passive que trois semaines plus tard, le 5 août 1999, ce qui constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte. Il aurait également été privé de la possibilité d’introduire un recours afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention, en violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

3.3Il prétend également qu’au cours de sa détention il n’a pas reçu les soins médicaux qu’exigeait son état de santé, en violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il affirme que ce n’est qu’après une brusque dégradation de son état de santé qu’il a été hospitalisé, le 8 août 1999, à l’hôpital régional de Mogilev; le 18 septembre 1999, à la demande des autorités, il a été de nouveau placé en détention. Il déclare également qu’il ne disposait d’aucun article d’hygiène personnelle, ni d’équipements personnels appropriés. Les conditions de sa détention n’ont pas permis à l’auteur de consulter des revues scientifiques ou culturelles, ou des publications de la presse indépendante, «en rapport avec sa formation et sa profession».

3.4L’auteur affirme que, pendant sa détention provisoire, il a été soumis à des conditions de détention identiques à celles des détenus condamnés, en violation du paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte.

3.5L’auteur répète que les accusations retenues contre lui ne lui ont été notifiées que le 5 août 1999 (soit 23 jours après son arrestation) et affirme que, jusqu’à cette date, il a été privé de la possibilité de se défendre, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte. Il déclare qu’entre le 6 août et le 18 septembre 1999, au cours de son séjour à l’hôpital, il n’a pas été autorisé à consulter son avocat, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. À ses dires, la Cour n’a pas autorisé son conseil − M. G. P., du Comité d’Helsinki pour le Bélarus − à le représenter en justice, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14.

3.6Au sujet de l’article 14, l’auteur affirme que sa culpabilité n’a pas été établie au procès. Les seuls éléments de preuve retenus contre lui étaient les déclarations, selon lui contradictoires, de deux témoins, M. Shaichek et M. Ravkov; le jugement n’aurait pas mentionné d’autres éléments de preuve. Il est dit que la Cour n’a examiné que les arguments à charge, sans tenir compte des vices de procédure qui ont entaché l’enquête et le procès. Cela tend à prouver, selon l’auteur, que la Cour a été partiale, et que l’enquête et le procès ont été entachés d’irrégularités et incomplets. L’auteur ajoute que M. Ravkov a fait une première déposition le 12 juillet 1999, dans laquelle il accusait l’auteur d’avoir reçu des pots-de-vin, mais qu’il s’est rétracté au procès, expliquant qu’il avait subi des pressions de la part des enquêteurs (interrogatoire dépassant la durée légale, privation de nourriture ou de sommeil et menaces contre sa femme et sa fille; il a également allégué qu’une substance psychotrope avait été ajoutée à sa nourriture). La Cour n’aurait fait aucun cas de ces déclarations, ne tenant compte que de la déposition initiale du témoin.

3.7L’auteur affirme que, contrairement aux dispositions de l’article 14 du Pacte, les tribunaux ne sont pas indépendants au Bélarus, car le Président de la République est seul habilité à nommer et à révoquer les juges; avant leur nomination officielle, ceux-ci effectuent une période probatoire sans aucune garantie de titularisation. De l’avis de l’auteur, le manque d’indépendance des juges est confirmé par un rapport du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats de la Commission des droits de l’homme (juin 2000).

3.8L’auteur affirme en outre que, conformément à l’article premier de la décision du Conseil suprême (Chambre suprême du Parlement bélarussien), relative à la «situation provisoire concernant la désignation des jurés (assesseurs) populaires» (datée du 7 juin 1996), tous les citoyens bélarussiens de plus de 25 ans peuvent devenir jurés, et les citoyens âgés de 25 ans et militaires d’active peuvent devenir jurés dans les tribunaux militaires. Toutefois, dans le cas de l’auteur, seul le Président de la Chambre militaire de la Cour suprême était militaire d’active, et aucun des jurés ne l’était. Cette situation poserait un problème au regard des dispositions de l’article 14 du Pacte.

3.9Enfin, l’auteur prétend que les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés. Il déclare qu’en avril 1999, au cours d’une session parlementaire sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, il a présenté un rapport critique sur les effets de cet accident pour le Bélarus, qui était très éloigné de la position officielle du Gouvernement. De l’avis de l’auteur, ses critiques sont la véritable raison des persécutions dont il fait l’objet et de son renvoi de l’Institut de médecine.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans ses observations datées du 17 septembre 2002, l’État partie a fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable, au motif que «la même question» avait déjà été soumise à une autre instance internationale de règlement, à savoir l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui était en train de l’examiner dans le cadre de la procédure de plaintes individuelles du Comité sur les conventions et recommandations du Conseil exécutif. L’auteur n’a pas fait de commentaire à ce sujet.

Décision du Comité concernant la recevabilité

5.Le 7 juillet 2003, à sa soixante-dix-huitième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que l’État partie la contestait et relevé que la procédure de plaintes devant le Comité sur les conventions et recommandations du Conseil exécutif de l’UNESCO est extraconventionnelle et que la coopération de l’État partie dans ce cadre n’a aucun caractère d’obligation, qu’au cours de l’examen des cas individuels aucune conclusion n’est formulée au sujet de la violation ou de la non‑violation de droits spécifiques par un État donné, et que cet examen n’aboutit pas à une conclusion qui ferait autorité quant au fond des affaires considérées. Le Comité a conclu que la procédure de plaintes de l’UNESCO ne constitue pas une procédure devant une «autre instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et, ayant aussi pris note de ce que l’auteur affirmait avoir épuisé les recours internes, il a déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 20 janvier 2004, l’État partie indique que l’auteur a été déclaré coupable d’avoir formé une entente avec d’autres, à titre personnel et officiel, en vue de percevoir des pots-de-vin représentant des sommes considérables. L’auteur a été arrêté le 13 juillet 1999 sur la foi d’une déclaration écrite de son collègue M. Ravkov, en date du 2 juillet 1999, adressée au Procureur régional de Gomel, dans laquelle il informait spontanément ce dernier qu’il avait reçu des pots-de-vin d’étudiants en échange de leur admission à l’Institut. M. Ravkov avait fourni des précisions quant aux dates et aux noms des personnes qui lui avaient remis des sommes qu’il avait transmises à l’auteur, aux montants exacts perçus et au fonctionnement du groupe. Il avait affirmé par écrit qu’il n’avait pas fait ses aveux sous la contrainte, et qu’il avait été informé qu’il engageait sa responsabilité pénale en cas de faux témoignage incriminant l’auteur.

6.2Selon l’État partie, l’auteur a été appréhendé avec l’accord («aval») d’un procureur et il a été informé sur-le-champ des motifs et du fondement de son arrestation. Aux dires de l’État partie, l’auteur a été arrêté sur la base du décret présidentiel du 21 octobre 1997 et conformément aux dispositions de ce texte. La raison pour laquelle les dispositions du décret lui ont été appliquées est que ce dernier vise non seulement les personnes soupçonnées «d’actes de terrorisme et d’autres crimes violents particulièrement dangereux», mais aussi quiconque «est à la tête ou fait partie d’une organisation criminelle ou d’une bande criminelle organisée». L’État partie ajoute qu’au vu de la déposition de M. Ravkov les enquêteurs ne pouvaient exclure l’existence d’un groupe criminel organisé.

6.3Le dossier pénal fait apparaître que l’auteur dirigeait un groupe qu’il avait formé avec M. Ravkov et un autre individu. Conformément aux dispositions du décret susmentionné et après vérification des faits dans le cadre de l’enquête préliminaire, et dans le délai légal de 30 jours, l’auteur a été inculpé pour corruption passive. Sa détention a été prolongée avec l’accord d’un procureur.

6.4L’État partie explique que la détention de l’auteur était légale étant donné qu’il était accusé d’avoir commis une infraction grave et que l’article 126 du Code de procédure pénale dispose qu’en pareil cas le placement en détention provisoire est justifié eu égard à la nature de l’acte. De plus, les enquêteurs disposaient d’informations selon lesquelles l’auteur avait exercé des pressions sur des témoins de l’affaire, des personnes relevant de son autorité à l’Institut, faisant ainsi obstruction à la conduite de l’enquête. L’auteur a été remis en liberté compte tenu de son état de santé, après s’être engagé par écrit à ne pas quitter le pays, et a aussi été autorisé à poursuivre ses travaux. Le 10 juin 2001 pourtant, il a été appréhendé alors qu’il tentait de franchir illégalement la frontière entre le Bélarus et l’Ukraine, muni d’un faux passeport.

6.5L’État partie affirme que, pendant l’enquête, l’auteur a reçu les soins médicaux nécessaires. Le 13 août 1999, la maladie chronique dont il souffrait s’étant aggravée, il avait été transféré à l’hôpital de la Commission de l’exécution des peines pour y être traité. Le 13 décembre 1999, il avait été admis à l’Institut national de recherches cardiologiques pour y subir des examens, après quoi il avait continué de recevoir les soins médicaux voulus dans la colonie pénitentiaire où il avait été transféré. Selon des renseignements communiqués par la Commission de l’exécution des peines le 28 février 2003, l’auteur n’avait pas réclamé d’assistance médicale depuis septembre 2002 et ne se rendait au service médical de l’établissement que sur convocation des médecins. Il est dit que son état de santé mentale et  physique est satisfaisant. Ni lui ni son avocat ou ses proches n’avaient fait de demandes d’examen approfondi de son état de santé.

6.6Selon l’État partie, l’auteur a été assisté d’un avocat tout au long de l’enquête et du procès. Les actes liés à l’enquête, la mise en accusation et la consultation du dossier pénal ont tous eu lieu en présence d’un avocat, lequel a cosigné les pièces s’y rapportant. De façon exceptionnelle, aucun défenseur n’a pris part à certains actes (notamment un contre-interrogatoire de M. Ravkov), mais c’est l’auteur lui‑même qui avait demandé qu’il en soit ainsi, et le fait a été dûment consigné. L’auteur a été informé de ses droits dans le cadre de l’enquête et au procès; le texte de ces droits était également imprimé sur les pièces de procédure qu’il a examinées et sur lesquelles il a apposé sa signature.

6.7D’après l’État partie, M. G. P. n’était pas habilité à agir en qualité de représentant de l’auteur, pour la double raison que le droit interne ne prévoit pas de représentation de cette sorte et que l’intéressé n’était pas titulaire d’une licence l’autorisant à exercer la profession d’avocat au Bélarus.

6.8Selon l’État partie, l’enquête préliminaire a permis d’établir que l’auteur avait reçu des pots-de-vin de la part de parents d’étudiants candidats à l’admission à l’Institut et qu’il agissait par l’intermédiaire de M. Ravkov et des membres des commissions d’examen. Tous les cas recensés ont été dûment examinés pendant l’enquête et au cours du procès (sommes d’argent versées, monnaie de paiement, lieu et moment exacts du versement, etc.). En outre, les enquêteurs ont saisi dans le bureau de l’auteur divers formulaires d’examen et des intitulés de questions portant sur différents sujets, ainsi que des dossiers contenant les noms de personnes en faveur desquelles des pots-de-vin avaient été versés.

6.9Aux dires de l’État partie, la justice a conclu que la modification par M. Ravkov de sa déposition constituait une stratégie de défense. Les juges ont dûment examiné l’allégation du témoin selon laquelle il avait fait ses aveux sous l’influence de psychotropes, et ont même fait procéder à des examens psychiatriques/psychologiques, sans que cette allégation soit confirmée. La culpabilité de l’auteur a été établie sur la base du témoignage d’autres accusés, de contre‑interrogatoires et d’autres preuves matérielles. L’auteur a été accusé de corruption passive répétée, dans le cadre d’une entente au sein d’un groupe organisé; de préparatifs et de tentatives de corruption passive avec entente préalable au sein d’un groupe; et d’abus d’autorité. L’affaire a été portée en justice le 12 décembre 2000; étant donné l’intérêt public qu’elle suscitait et la notoriété de l’auteur, c’est la Cour suprême qui a engagé la procédure. Les débats se sont déroulés en public et en présence de représentants d’organisations non gouvernementales internationales.

6.10Conformément à l’article 270 du Code de procédure pénale, c’est la Chambre militaire de la Cour suprême qui a été saisie de l’affaire, car M. Ravkov était colonel de réserve dans les services de santé de l’armée et il était impossible de le juger séparément. L’abandon par la Cour de plusieurs des charges retenues au cours de l’instruction est un exemple qui illustre l’objectivité et l’impartialité du procès. Conformément à l’article 15 du Pacte, l’auteur a bénéficié des dispositions d’une loi nouvelle, grâce à laquelle il a été condamné à une peine plus légère que celle qui était en vigueur au moment de la commission des infractions. L’État partie affirme que le jugement rendu était conforme, sur la forme comme sur le fond, à la procédure pénale applicable à l’époque. La Cour a tenu compte des répercussions sociales importantes de l’infraction (qualifiée de «grave» par le Code pénal), ainsi que de ce qu’elle savait de la personnalité de l’accusé et de l’existence de circonstances atténuantes (notamment les références positives fournies par l’employeur de l’auteur, les qualités de ce dernier en tant que chercheur internationalement reconnu dans le domaine des sciences médicales, son état de santé, et le fait qu’il avait des enfants à charge). M. Bandajevsky a été condamné pour corruption passive répétée à une peine d’emprisonnement de huit ans, assortie de l’interdiction d’exercer des fonctions administratives quelconques pendant cinq ans.

6.11Le dossier pénal a été réexaminé par la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel, et le jugement a été considéré comme étant légal et équitable. Selon l’État partie, si la Cour suprême avait relevé des manquements graves à la loi, elle aurait annulé le jugement.

6.12L’État partie rejette l’allégation de l’auteur qui dit avoir été poursuivi en raison de sa critique de la réaction des autorités à la crise de Tchernobyl et affirme que, pendant son incarcération, l’auteur a poursuivi ses recherches et rédigé plusieurs articles scientifiques.

6.13D’après l’État partie, l’auteur n’a présenté aucune demande de grâce depuis octobre 2002. En application de la loi sur l’amnistie de 2002, sa peine a été réduite d’un an. En vertu des articles 90 et 91 du Code pénal, il pourrait bénéficier d’un allégement de peine lorsqu’il aura accompli au moins la moitié de sa sentence initiale, soit après le 6 septembre 2004. La question de sa libération anticipée conditionnelle pourrait donc être examinée après le 6 septembre 2005.

6.14Dans une note verbale datée du 10 mars 2004, l’État partie informe le Comité que, le 8 janvier 2004, la peine de l’auteur a encore été réduite d’un an. Il est dit que l’auteur a été placé en observation médicale pour un «ulcère duodénal» et qu’il suit un traitement. Son état de santé serait stable. L’État partie transmet également le texte d’un rapport établi par le représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Minsk, après la visite qu’il a rendue à M. Bandajevsky le 3 décembre 2003 .

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1Dans des lettres datées du 12 mars 2004, du 26 avril 2004 et du 17 mai 2005, l’auteur réaffirme que son arrestation était illégale et rappelle que la détention provisoire pour une durée de 30 jours au maximum n’est prévue que pour les actes de terrorisme et d’autres infractions particulièrement graves. Il répète que les conditions existant au centre de détention où il a passé 23 jours laissaient à désirer et que cette allégation n’a pas été réfutée. Il déclare qu’il n’a pas eu la possibilité de s’entretenir avec son avocat dans les 24 heures suivant son arrestation, qu’il n’a pas été informé promptement des charges qui pesaient contre lui et qu’«il n’a pas pu bénéficier d’autres garanties procédurales en tant que suspect».

7.2Pendant sa détention, l’auteur aurait été victime d’une péritonite aiguë et aurait dû être opéré «à la fin de septembre 2003», faute d’avoir reçu des soins médicaux appropriés. Il explique qu’il souffre de longue date d’ulcères et affirme qu’il n’a droit qu’à 30 kilos de colis par trimestre, alors que le régime alimentaire carcéral n’est pas adapté à sa maladie.

7.3Il répète qu’il avait demandé à M. G. P. de le représenter au procès mais que la Cour suprême aurait rejeté à deux reprises les requêtes introduites par ce dernier à cet effet. M. G. P. est membre du barreau de Moscou et, en vertu de la Convention de la CEI, , du 23 janvier 1993, les avocats russes sont autorisés à exercer au Bélarus.

7.4L’auteur relève que l’État partie n’a pas réfuté ses allégations quant au caractère illégal de la composition de la Cour et à l’impossibilité où il était de se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la Cour suprême.

7.5S’agissant de la faculté qu’il a de mener des recherches scientifiques, l’auteur explique que, du fait de sa détention, ses contacts avec des chercheurs étrangers sont limités et qu’il ne peut utiliser du matériel spécialisé ni avoir accès aux découvertes scientifiques les plus récentes. Pour les articles qu’il a rédigés, il a surtout fait appel à sa mémoire. Son ordinateur n’est pas équipé d’une connexion à Internet; il l’utilise uniquement pour le traitement de texte. Par ailleurs, il n’a pas accès à un téléphone portable.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.1Le 16 décembre 2004, l’État partie a présenté des observations précisant qu’en vertu de l’article 22 de la loi sur les associations (1994), les organisations (telles que les ONG) sont autorisées à défendre en justice les droits et intérêts légaux de leurs propres membres. L’auteur n’était pas membre du Comité d’Helsinki pour le Bélarus et, de surcroît, il avait demandé à M. G. P. de participer au procès non en tant que son propre représentant, mais en tant que représentant de l’ONG à laquelle il appartenait.

8.2Du 5 juillet 2001 au 1er juin 2004, l’auteur a été détenu à la colonie pénitentiaire no 1 de Minsk. Pendant cette période, selon son dossier médical, il s’est rendu 12 fois au service médical et a notamment subi huit examens de routine au dispensaire, auxquels s’ajoutent plusieurs examens spécialisés, et il a également été hospitalisé. Il a bénéficié d’un traitement adapté à son état de santé et a en outre reçu des médicaments en provenance de l’étranger. L’État partie nie que l’auteur ait été opéré d’une «péritonite» le 1er octobre 2003, déclarant que l’intervention pratiquée était en réalité liée à une «appendicite» et que l’auteur avait quitté l’hôpital dès le 6 octobre 2003.

8.3Le 26 mai 2004, le tribunal central de district de Minsk a réaménagé le régime pénitentiaire de l’auteur, qui a été envoyé à la colonie de relégation de Gazgalyi. Depuis le 7 juin 2004 il travaille comme gardien dans une entreprise agricole privée et il vit hors de la colonie. Il a reçu des visites de diplomates étrangers, de journalistes et du Président du Groupe de travail de l’Organisation des Nations Unies sur la détention arbitraire. Il a été autorisé à deux reprises à passer une semaine à Minsk. Les membres de sa famille peuvent lui rendre visite aussi souvent qu’ils le souhaitent.

8.4Le 25 avril 2005, l’État partie a réaffirmé que, pendant son temps libre, l’auteur avait la possibilité de mener des recherches scientifiques. La décision de l’administration de ne pas demander sa libération anticipée était légale et avait été prise conformément aux dispositions du Code de l’exécution des peines. Le 21 septembre 2004, l’auteur avait bénéficié d’une autorisation de sortie de sept jours, mais il n’avait regagné la colonie que le 4 janvier 2005, sans avoir informé dûment les autorités pénitentiaires ou la police des raisons de son absence, en violation des prescriptions du Code de l’exécution des peines et du Règlement intérieur de la colonie. Durant cette période, il avait subi différents examens et avait été traité dans plusieurs établissements médicaux de Minsk mais, du 27 septembre au 27 octobre 2004 et du 23 novembre 2004 au 3 janvier 2005, il avait suivi un traitement dans un centre de soins ambulatoires et, du 12 au 16 novembre 2004, il était resté à son domicile.

8.5L’État partie affirme que, pendant la période de son traitement à Minsk, l’auteur a consulté différents spécialistes et subi plusieurs examens, à la suite de quoi il s’est vu prescrire des médicaments appropriés. L’auteur avait la possibilité de se rendre en consultation à l’établissement médical (ordinaire) local qui s’occupe des patients de la colonie pénitentiaire.

8.6Dans une note verbale datée du 18 août 2005, l’État partie a expliqué que, le 5 août 2005, le tribunal régional de Dyatlov avait décidé d’accorder à l’auteur une libération anticipée conditionnelle.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

9.1Le 20 février 2005, l’auteur a réaffirmé que le centre de détention où il avait séjourné du 13 juillet au 4 août 1999 n’était même pas équipé de lits, les détenus dormant à même le sol. Les visites de proches ou d’avocats n’étaient pas autorisées.

9.2En ce qui concerne les visites qu’il a reçues, l’auteur reconnaît que diverses personnes, notamment des journalistes et des chercheurs, ont été autorisées à le voir, mais uniquement sur autorisation expresse de la Direction de l’exécution des peines du Ministère des affaires intérieures. Il précise que plusieurs des demandes de visite qui ont été présentées ont été rejetées.

9.3L’auteur déclare que, le 31 janvier 2005, les autorités pénitentiaires ont refusé de demander sa libération anticipée sous prétexte qu’il ne pouvait démontrer qu’il s’était amendé, qu’il avait été absent de la colonie et qu’il refusait de payer l’amende de 35 millions de roubles bélarussiens qui lui avait été imposée. L’auteur affirme que son absence de trois mois était motivée par des «traitements cliniques de maladies qu’il avait contractées en prison».

9.4Le 1er juin 2005, l’auteur a réaffirmé que ses travaux scientifiques se limitaient à l’analyse de données provenant de ses recherches antérieures. En ce qui concerne le traitement qu’il avait suivi à Minsk au cours des derniers mois de 2004, le chef de la colonie pénitentiaire lui aurait accordé l’autorisation nécessaire. L’auteur aurait écrit à la direction de l’établissement, qui lui aurait donné son accord pour le traitement sans l’informer d’aucune obligation particulière de signaler sa présence ou de se présenter à la police. Il téléphonait aux responsables de la colonie deux fois par semaine et leur envoyait régulièrement par télécopie des attestations et des rapports médicaux. Les autorités pénitentiaires avaient vérifié à plusieurs reprises où il se trouvait en appelant les établissements médicaux concernés et en demandant à lui parler.

Examen au fond

10.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2Le Comité a noté que l’auteur affirmait que son arrestation en date du 13 juillet 1999 était «infondée», qu’il n’avait pas été informé des raisons qui la motivaient, qu’il n’avait pu s’entretenir avec son avocat dans les 24 heures suivant son arrestation, qu’il n’avait été inculpé pour corruption passive que 23 jours plus tard, et qu’on lui avait appliqué les dispositions du décret présidentiel relatif aux «mesures d’urgence destinées à lutter contre le terrorisme et d’autres crimes violents particulièrement dangereux» afin de limiter ses droits de défense. L’État partie affirme que l’arrestation de l’auteur et sa détention provisoire étaient légales étant donné qu’une procédure pénale pour corruption passive avait été engagée contre lui le 12 juillet 1999, qu’il y avait des raisons de croire que l’auteur dirigeait un groupe criminel, et que les enquêteurs disposaient d’informations indiquant qu’il avait exercé des pressions sur des témoins de l’affaire. Selon l’État partie, l’arrestation de l’auteur en application du décret susmentionné était pleinement justifiée dès lors que l’infraction qu’il était soupçonné d’avoir commise était grave; l’auteur avait été informé des raisons de son arrestation et inculpé dans un délai de 23 jours, et il avait été représenté par un avocat tout au long de l’enquête préliminaire. Sur la base des éléments d’information dont il est saisi, le Comité conclut qu’il n’y pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

10.3L’auteur a toutefois affirmé qu’il avait été arrêté et détenu pendant 23 jours au titre du décret no 21 (1997) sans avoir la moindre possibilité de contester la légalité de sa détention devant un tribunal, les personnes placées en détention en vertu de ce texte n’étant pas autorisées à le faire. Cette allégation n’a pas été réfutée par l’État partie, lequel a uniquement fait observer que l’arrestation de l’auteur et son placement en détention provisoire avaient été soumis à l’accord préalable d’un procureur. Le Comité rappelle, en premier lieu, qu’un élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. Il estime en outre que le Procureur général ne peut être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits garantis par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

10.4Compte tenu de la constatation qui précède, le Comité estime qu’il y a également eu violation du droit de l’auteur consacré au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

10.5Le Comité a pris note des allégations formulées par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 10 quant au manque de soins médicaux appropriés et à la manière dont il avait été traité, du point de vue médical, pendant sa détention. L’État partie a fourni des informations sur le type de traitement médical, les examens cliniques et les hospitalisations dont l’auteur avait fait l’objet durant sa détention. Il a par ailleurs affirmé que ni l’auteur ni ses proches ou son avocat n’avaient formulé de plainte en la matière auprès des autorités compétentes, pas plus qu’au cours du procès, ce que l’auteur ne nie pas. Le Comité considère donc qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 10.

10.6Le Comité a aussi noté que l’auteur se plaignait de ce que, contrairement aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, les conditions de détention au centre de détention de Gomel, où il a été incarcéré du 13 juillet au 6 août 1999, n’étaient pas adaptées à des séjours prolongés, que l’établissement n’était pas équipé de lits et que, de manière générale, il ne disposait pas d’articles d’hygiène personnelle ni d’équipements personnels appropriés. L’État partie n’ayant pas réfuté ces allégations, le Comité doit leur accorder le crédit voulu. Il conclut par conséquent que les conditions de détention de l’auteur font apparaître une violation des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

10.7L’auteur a déclaré que, pendant sa détention provisoire, il a été soumis à des conditions de détention «identiques à celles des détenus condamnés». Bien que l’État partie n’ait pas formulé d’observations à ce sujet, le Comité note que l’allégation de l’auteur reste vague et générale. Par conséquent, et en l’absence d’autres éléments d’information pertinents, il conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte.

10.8L’auteur a affirmé en outre que les tribunaux de l’État partie n’étaient pas indépendants au motif que les juges étaient nommés par le Président. L’État partie n’a pas formulé d’observations à ce sujet. Étant donné toutefois que l’auteur n’a pas apporté d’autres éléments tendant à établir qu’il a personnellement souffert du prétendu manque d’indépendance des juges qui l’ont jugé, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 14 à ce titre.

10.9L’auteur allègue, de nouveau en termes généraux, une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que sa culpabilité n’a pas été établie au cours du procès, que la procédure a été à la fois entachée de partialité et incomplète, que les juges n’ont pris en considération que les arguments de l’accusation, et que le jugement ne s’appuyait que sur la déposition de M. Ravkov, lequel s’était rétracté au procès. L’État partie répond à cela, de façon détaillée, que les juges ont considéré la rétractation de M. Ravkov comme une stratégie de défense et que la culpabilité de l’auteur a été établie sur la base de plusieurs autres témoignages et d’autres éléments de preuve. Le Comité note que les allégations susmentionnées concernent essentiellement l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité estime que les éléments portés à sa connaissance ne montrent pas que le procès de l’auteur a été entaché de telles irrégularités et il considère que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14.

10.10 S’agissant toujours de l’article 14, l’auteur a également fait valoir qu’il avait été condamné par la Chambre militaire de la Cour suprême siégeant dans une composition illégale, étant donné que, en application d’une décision du Conseil suprême du Bélarus en date du 7 juin 1996, les jurés (assesseurs) populaires des tribunaux militaires doivent être des militaires d’active, alors que, dans son cas, seul le Président de la Chambre était un militaire en service actif, mais qu’aucun des jurés ne l’était. L’État partie n’a pas réfuté cette allégation, se bornant à déclarer que le procès n’avait été entaché d’aucun vice de procédure. Le Comité estime que le fait non réfuté quant au caractère illégal de la composition de la cour ayant jugé l’auteur signifie que ce tribunal n’était pas établi par la loi au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et il estime donc qu’il y a eu violation de cette disposition à ce titre.

10.11 L’auteur a prétendu que, du fait qu’il n’avait été inculpé que le 5 août 1999 (23 jours après son arrestation), il avait été privé de la possibilité de se défendre correctement, en violation du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte. Il a aussi affirmé que, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 3 b) de l’article 14, il n’avait pas été autorisé à voir son avocat entre le 6 août et le 18 septembre 1999, pendant son séjour à l’hôpital. L’État partie réfute ces allégations et soutient que l’auteur a toujours été assisté d’un conseil et qu’il a été informé tant dans le cadre de l’enquête qu’au procès des garanties procédurales accordées à la défense. Sur la base des éléments d’information dont il est saisi, le Comité considère qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 14.

10.12 Pour ce qui est du grief présenté par l’auteur au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14, à savoir qu’à deux reprises la Cour suprême a rejeté sa requête visant à être représenté par M. G. P., membre du Comité d’Helsinki pour le Bélarus, le Comité note que l’État partie a objecté à cela que l’auteur était représenté par un autre avocat, que M. G. P. avait demandé à le représenter uniquement en sa qualité de représentant de l’ONG à laquelle il appartenait, et qu’il n’était pas titulaire d’une licence l’autorisant à exercer la profession d’avocat au Bélarus. L’auteur a indiqué, en réponse, que M. G. P. était membre du barreau de Moscou et qu’il aurait pu exercer au Bélarus en vertu d’une convention pertinente de la CEI. Toutefois, il n’a pas réfuté l’affirmation de l’État partie selon laquelle il avait demandé à cet avocat de participer au procès non pas pour le représenter personnellement mais en tant que représentant d’une organisation non gouvernementale. Dans ces circonstances, le Comité estime qu’il n’y a pas eu violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 sur ce point.

10.13 L’auteur a prétendu que sa condamnation n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation et était exécutoire sur-le-champ. L’État partie affirme que la Cour suprême a examiné l’affaire dans le cadre d’une procédure de contrôle du jugement rendu en première instance et que, si la Cour suprême avait relevé des manquements à la loi, le jugement aurait été annulé. Le Comité note toutefois que le texte de l’arrêt disposait que celui-ci ne pouvait pas être soumis à l’examen d’une juridiction supérieure. Le contrôle juridictionnel invoqué par l’État partie ne vise que les décisions déjà exécutoires et constitue donc un moyen de recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à la discrétion d’un juge ou procureur. Lorsqu’un tel contrôle est effectué, il ne porte que sur des points de droit et ne permet nullement d’apprécier les faits et les éléments de preuve. Le Comité rappelle que, si les États n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner quant au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables. Dans ces conditions, le Comité estime que le contrôle juridictionnel ne peut être considéré comme un examen par une juridiction supérieure au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et qu’il y a eu violation du droit garanti par cette disposition.

10.14 Enfin, en ce qui concerne le grief présenté par l’auteur au titre de l’article 19, à savoir qu’il aurait été persécuté pour avoir critiqué certaines positions du Gouvernement, notamment quant aux conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, le Comité note que l’État partie a maintes fois souligné que l’auteur n’avait été poursuivi et condamné que pour corruption. En l’absence d’autres éléments d’information pertinents sur ce point précis et eu égard au caractère général de l’allégation formulée par l’auteur, le Comité considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 19 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Bandajevsky découlant des paragraphes 3 et 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Bandajevsky un recours utile, notamment une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

W. Communication n o  1123/2002, Correia de Matos c. Portugal (Constatations adoptées le 28 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Carlos Correia de Matos (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Portugal

Date de la communication:

1er avril 2002

Objet: Droit d’assurer sa propre défense

Questions de procédure: Statut de «victime»; amnistie; décision finale d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme; épuisement des recours internes étroitement lié aux questions de fond

Questions de fond: Droit d’assurer sa propre défense; procès équitable; bonne administration de la justice

Article du Pacte: 14 (par. 3 d))

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1123/2002 présentée au nom de Carlos Correia de Matos en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur est M. Carlos Correia de Matos, citoyen portugais né le 25 février 1944 et résidant à Viana do Castelo (Portugal). Il se déclare victime de violation par le Portugal de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Portugal le 15 juin 1978 et le 3 mai 1983, respectivement.

Exposé des faits

2.1L’auteur est commissaire aux comptes et avocat au Portugal. Toutefois, son inscription au tableau de l’ordre des avocats a été suspendue par une décision de l’ordre des avocats du 24 septembre 1993, qui a considéré l’exercice de la profession d’avocat incompatible avec celle de commissaire aux comptes.

2.2Le 4 juillet 1996, l’auteur a été renvoyé en jugement devant le tribunal de Ponte de Lima. Il était accusé d’injures à magistrat. Le juge d’instruction lui a commis d’office un avocat, contrairement à ce qu’il souhaitait, dans la mesure où il estimait être habilité à assurer sa propre défense.

2.3L’auteur a interjeté appel de l’ordonnance de renvoi (despacho de pronúncia) devant la cour d’appel de Porto (Tribunal da Relação do Porto). Toutefois, le juge d’instruction a déclaré l’appel irrecevable car il n’était pas présenté par un avocat, et l’auteur ne pouvant pas assurer sa propre défense. Une réclamation de l’auteur devant le Président de la cour d’appel a été rejetée pour le même motif.

2.4L’auteur a interjeté alors un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel. Par une ordonnance du 16 mai 1997, le Président de la cour d’appel a considéré que la question soulevée par l’auteur, à savoir l’impossibilité d’assurer sa propre défense, devait être décidée par le Tribunal constitutionnel, et a ordonné ainsi la transmission du recours à ce dernier.

2.5Le 23 septembre 1997, le juge rapporteur au Tribunal constitutionnel, après avoir constaté que l’inscription de l’auteur au tableau de l’ordre des avocats était suspendue, l’a invité à constituer avocat, aux termes de la loi sur l’organisation du Tribunal. Le 6 octobre 1997, l’auteur a allégué que la disposition l’obligeant à constituer avocat était contraire à la Constitution et a demandé l’examen de son recours. Par ordonnance du 4 novembre 1997, le juge rapporteur a considéré que la disposition en question n’était pas contraire à la Constitution et a de nouveau invité l’auteur à constituer avocat, sous peine de refus d’examen du recours par le Tribunal. Le 19 novembre 1997, l’auteur a demandé qu’un comité de juges soit saisi de la question.

2.6Par arrêt du 13 octobre 1999, un comité de juges a confirmé l’ordonnance du 4 novembre 1997, soulignant que ni la disposition en cause sur l’organisation du Tribunal constitutionnel, ni les dispositions du Code de procédure civile n’étaient contraires à la Constitution. En conséquence, le Tribunal constitutionnel a invité l’auteur à constituer avocat.

2.7Entre-temps, le tribunal de Ponte de Lima a fixé l’audience au 15 décembre 1998. Lors de l’ouverture de celle-ci, l’auteur déclare avoir demandé à se défendre lui-même, ce qui a été refusé par le juge. Un avocat a alors été commis d’office.

2.8Par jugement du 21 décembre 1998, le Tribunal a jugé l’auteur coupable et l’a condamné à une peine de 170 jours-amende, c’est-à-dire à verser 600 000 escudos portugais au magistrat en cause, à titre de dommages et intérêts.

2.9L’auteur a interjeté appel de ce jugement. Le juge a décidé de ne pas renvoyer l’affaire devant la cour d’appel, considérant qu’il ne s’agissait que d’un simple exposé de l’auteur aux termes de l’article 98 du Code de procédure pénale. Une deuxième réclamation au même titre a été rejetée par ordonnance le 23 mars 1999. L’auteur a introduit une dernière réclamation le 18 janvier 2001 contre une ordonnance du 4 janvier 2001, et l’affaire a été transmise à la cour d’appel le 7 février 2001. Le juge-président de la cour d’appel a confirmé le 12 juin 2001 que l’affaire était toujours devant la troisième section de la cour (procès no 268/01).

2.10Le 12 mai 1999, la loi d’amnistie no 29/99 a été adoptée. Le 3 décembre 1999, le juge du tribunal de Ponte de Lima, considérant que cette loi devait être appliquée en l’espèce, a prononcé l’extinction de la peine contre l’auteur. Cependant, le 14 août 2000, l’auteur a pris connaissance d’une procédure d’exécution, introduite par le ministère public, concernant la somme à verser au magistrat en cause à titre de dommages et intérêts.

2.11Le 2 février 2000, suite à une demande de l’auteur en ce sens, le juge rapporteur au Tribunal constitutionnel a prononcé l’extinction du recours qui était toujours pendant devant ce tribunal.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se plaint de ce qu’on lui ait interdit d’assurer sa propre défense, en violation de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte, et estime qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

3.2Le 17 avril 1999, l’auteur a également élevé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a rendu une décision partielle d’irrecevabilité le 14 septembre 2000, et une décision finale d’irrecevabilité le 15 novembre 2001, au motif que la requête était infondée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale en date du 3 janvier 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. En premier lieu, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et l’article 96 e) (ex‑90 e)) du Règlement intérieur du Comité disposent que celui-ci ne peut se connaître d’une requête déjà examinée par une autre instance internationale. Dès lors, dans la mesure où la plainte de l’auteur a également été adressée à la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle s’est déjà prononcée sur la recevabilité et le fond, l’État partie estime que le Comité ne peut examiner la présente plainte, notamment parce qu’il risque d’y avoir contradiction entre des décisions internationales.

4.2En second lieu, l’auteur n’a pas respecté la règle qui l’obligeait à introduire sa plainte dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision interne définitive avait été rendue. En troisième lieu, l’auteur n’a pas la qualité de victime dans la mesure où il a bénéficié, dans le cadre de la procédure, d’une amnistie qui a effacé les conséquences de sa condamnation.

4.3Enfin, l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes dans la mesure où son refus de constitution d’avocat a empêché le Tribunal constitutionnel, qu’il avait saisi, d’examiner son recours. D’après l’État partie, le recours devant le Tribunal constitutionnel n’ayant pas été introduit correctement, l’auteur a empêché l’examen de la question et n’a de ce fait pas épuisé toutes les voies de recours internes.

4.4Dans ses observations du 1er avril 2003, l’État partie réitère les arguments qu’il a invoqués pour déclarer la communication irrecevable et formule des commentaires quant au fond. Il fait valoir que le droit d’assurer sa propre défense prévu à l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte impose qu’il n’y ait pas d’entraves à la possibilité de défense personnelle de l’accusé. Ceci signifie que l’accusé devrait être capable de présenter sa propre version des faits, qu’aucun avocat ne devrait lui être imposé et qu’il devrait être libre de choisir son défenseur.

4.5L’État partie précise que le droit d’assurer sa propre défense est garanti par la procédure pénale portugaise. Les articles 138 et 140 du Code de procédure pénale autorisent l’accusé à être entendu et à exposer directement et personnellement sa position concernant les faits, tandis que l’article 332 du même code requiert la présence de l’accusé au tribunal.

4.6D’après l’État partie, il convient de faire la distinction entre la défense personnelle, qui permet à l’accusé d’être entendu et d’exposer directement sa position, et la défense technique, qui doit être assurée par un avocat à certains stades de la procédure (audience, introduction d’un recours, etc.). Le droit d’assurer sa propre défense n’est pas absolu, les États pouvant imposer, dans certaines circonstances, l’obligation de représentation par un avocat. L’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte, s’il reconnaît à tout accusé le droit d’assurer sa propre défense ou de bénéficier de l’aide d’un défenseur, ne précise pas les conditions d’exercice de ce droit et laisse aux États parties le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir.

4.7L’État partie soutient que le fait que la présence d’un avocat soit exigée à certains stades de la procédure constitue un moyen adéquat et proportionné qui permet aux États d’offrir davantage de garanties et de défendre avec plus de rigueur l’accusé, compte tenu de la nature et du caractère spécifique des questions qui sont soulevées dans le cadre de la procédure pénale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires en date du 4 août 2003, l’auteur conteste l’argumentation de l’État partie. Tout d’abord, il estime que le Code de procédure pénale portugais déroge à l’article 14 du Pacte, en stipulant que, dans certains cas, notamment lors des audiences et au moment de l’introduction de recours, la présence d’un avocat est obligatoire et que, si l’accusé ne désigne aucun avocat, le juge doit en commettre un d’office. L’auteur se réfère également à la jurisprudence de la Cour suprême portugaise (Supremo Tribunal de Justiça) selon laquelle l’accusé ne peut pas intervenir personnellement dans une procédure pénale, même s’il est avocat ou magistrat. Enfin, l’auteur estime que le renvoi par l’État partie au jugement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Croissant c. Allemagne (25 septembre 1992) n’est pas pertinent, dans la mesure où, dans cette affaire, la Cour avait décidé que la commission d’office d’un troisième avocat à un requérant qui ne voulait pas assurer sa propre défense ne contrevenait pas à la Convention européenne.

5.2Sur la question de la recevabilité, l’auteur explique que la plainte qu’il a élevée auprès du Comité est différente de l’affaire qui a été jugée par la Cour européenne. Tout d’abord, la Cour n’a examiné que les événements qui se rapportaient au jugement du Tribunal de première instance du 15 décembre 1998. Or, par la suite, il a interjeté appel de ce jugement et il attend encore la décision. En outre, la question de droit soulevée a trait à l’article 14 du Pacte, et non pas à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme; or la teneur de ces dispositions est différente. Selon l’auteur, outre la violation de la garantie fondamentale consacrée aux alinéas d et e du paragraphe 3 de l’article 14, il y a eu également infraction des paragraphes 1 et 5 du même article, à savoir du droit à un procès équitable dans le cadre du jugement, par voie de recours, de la contestation des obligations civiles émergentes d’une condamnation pénale illicite.

5.3Enfin, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif relatif au Pacte interdit au Comité d’examiner une communication, quelle qu’elle soit, si la même question que celle qui est soulevée dans cette communication est «en cours d’examen» devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et non pas si cette question a déjà été examinée.

5.4L’auteur rappelle que la règle en vertu de laquelle une plainte doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date de la dernière décision définitive ne s’applique pas au Comité. S’agissant de sa qualité de victime, l’amnistie que lui a accordé le tribunal de Ponte de Lima le 3 décembre 1999 n’ayant pas effacé sa condamnation, il reste tenu de verser des dommages et intérêts au magistrat en question, et peut dès lors continuer de revendiquer le statut de victime.

5.5Quant à l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur reconnaît ne pas avoir épuisé les recours internes, vu la réclamation qu’il a introduite le 18 janvier 2001. Cependant, il maintient, sans toutefois élever de plainte pour violation de l’article 14, paragraphe 3 c) du Pacte, qu’il attend la décision de la cour d’appel depuis plus de quatre ans et que cette procédure de recours ne se déroule pas dans des délais raisonnables. Il explique également avoir invoqué devant le Tribunal constitutionnel le droit de se défendre lui-même et que, dans sa décision, ledit Tribunal n’a pas tenu compte du fait que la suspension de son inscription au tableau de l’ordre des avocats était illicite.

5.6Sur le fond, l’auteur fait valoir que, dans la législation portugaise, la violation de l’article 14, paragraphe 3 d), est manifeste, alors que la législation d’autres États permet à l’accusé de se défendre lui-même. Sur le plan judiciaire, la décision des tribunaux portugais de lui imposer un avocat contre sa volonté constitue également une violation de l’article 14, paragraphe 3 d). L’auteur note qu’il convient d’établir une distinction entre la défense personnelle et la défense technique qui doit obligatoirement être assurée par un avocat. Il estime toutefois que la défense personnelle telle que la garantit la législation portugaise donne un rôle passif à l’accusé, et affirme que les limitations du droit à assurer sa propre défense ne devraient pas s’appliquer lorsque l’accusé est lui-même avocat.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité ne peut retenir l’argument d’irrecevabilité avancé par l’État partie qui conclut à l’incompétence du Comité, en faisant valoir que la présente communication a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans la mesure où, d’une part, l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif ne s’applique que lorsqu’une question analogue à celle qui est soulevée dans la communication est «en cours d’examen» devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et, d’autre part, aucune réserve à l’article 5, paragraphe a), du Protocole facultatif n’a été exprimée par le Portugal.

6.3S’agissant de la qualité de victime, le Comité a pris acte de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur ne pouvait se prétendre «victime» au sens de l’article 1 du Protocole facultatif, dans la mesure où il avait bénéficié d’une amnistie ayant effacé les conséquences de sa condamnation. Le Comité relève que l’amnistie du tribunal de Ponte de Lima du 3 décembre 1999 n’a pas effacé la condamnation de l’auteur au versement de dommages-intérêts. Le Comité conclut dès lors que l’auteur peut prétendre à la qualité de victime d’une violation du Pacte.

6.4Quant à l’argument de l’État partie relatif au délai de six mois pour la présentation des communications, le Comité souligne que cette règle, n’étant pas prévue explicitement par le Protocole facultatif ni établie par le Comité, elle ne peut étre retenue en l’espèce.

6.5S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris acte de l’argumentation de l’État partie qui soutient que si le recours devant le Tribunal constitutionnel, sur la question de l’impossibilité d’assurer sa propre défense, n’a pas pu être examiné, c’est parce que l’auteur n’a pas constitué avocat, et n’a dès lors pas épuisé les voies de recours internes. Ayant également pris note des arguments de l’auteur, le Comité constate que le Tribunal constitutionnel a refusé d’examiner le recours au seul motif que l’auteur n’avait pas constitué avocat et avait demandé à assurer sa propre défense. Dans ces conditions, le Comité estime que la question de l’épuisement des voies de recours internes est étroitement liée à celle de savoir si l’auteur pouvait prétendre assurer sa propre défense dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui. Le Comité estime qu’il y a lieu de se pencher sur ces arguments au moment de l’examen quant au fond de la communication.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité a pris note de l’argumentation de l’État partie rappelant que les articles 138 à 140 du Code de procédure pénale portugais garantissent le droit d’assurer sa propre défense et les références à l´arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie fait valoir que le droit d’assurer sa propre défense n’est pas absolu et il distingue à cet égard la défense personnelle (permettant à l’accusé d’être entendu et d’exposer sa position sur les faits de la cause) de la défense technique (qui doit être assurée par un avocat à certains stades de la procédure). Il estime, en outre, que l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte ne précise pas les conditions d’exercice du droit d’assurer sa propre défense, et laisse aux États parties le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir ce droit. Enfin, le Comité prend acte de la position de l’auteur, lui-même avocat, et fait valoir qu’il a le droit absolu de se défendre lui-même à tous les stades de la procédure pénale, sous peine d’atteinte à l’équité du procès.

7.3Le Comité note que l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte prévoit que toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit «de se défendre» ou «de se faire défendre par un défenseur de son choix». Les deux types de défense ne s’excluent pas mutuellement. Les personnes qui sont conseillées par un avocat conservent le droit d’agir pour leur propre compte, d’être entendues et de présenter leurs opinions sur les faits. Dans le même temps, le Comité considère que la formulation du Pacte est claire dans toutes les langues officielles, en ce qu’elle prévoit que l’accusé peut assurer sa propre défense «ou se faire défendre par un défenseur de son choix», prenant comme point de départ le droit de se défendre. De fait, un accusé qui se verrait contraint d’accepter un avocat dont il ne veut pas et en qui il n’a pas confiance pourrait ne plus être capable de se défendre efficacement dans la mesure où cet avocat ne serait pas son assistant. Ainsi, le droit d’assurer sa propre défense, qui constitue une pierre angulaire de la justice, peut être enfreint lorsqu’un avocat est commis d’office à l’accusé, alors que ce dernier n’en veut pas.

7.4Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. Sans sous‑estimer l’importance de la relation de confiance entre l’accusé et l’avocat, l’intérêt de la justice peut demander l’imposition d’un avocat commis d’office, contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou, s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer en les interrogeant lui-même. Cependant, les restrictions apportées à la volonté qu’a l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice.

7.5Le Comité considère qu’il appartient aux tribunaux compétents de déterminer si, dans une affaire précise, la commission d’office d’un avocat est nécessaire dans l’intérêt de la justice, dans la mesure où l’accusé qui fait l’objet de poursuites pénales peut ne pas être capable d’évaluer correctement les intérêts en jeu, et donc d’assurer le plus efficacement possible sa défense. Toutefois, dans le cas présent, la législation de l’État partie et la jurisprudence de la Cour Suprême prévoient que l’accusé ne peut jamais être libéré de l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, même s’il est lui-même avocat, et que la loi ne prend pas en compte la gravité des accusations ou le comportement de l’accusé. De plus, l’État partie n’a pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes qui expliqueraient pourquoi, en l’espèce, dans une affaire relativement simple, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte aux intérêts de la justice, et pourquoi il faudrait restreindre le droit qu’a l’auteur d’assurer sa propre défense. Le Comité conclut que le droit de se défendre soi-même qui est garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, n’a pas été respecté.

8.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile. L’État partie devrait modifier sa législation afin de s’assurer de sa conformité avec l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte. Aussi, le Comité souhaite-t-il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M me Elizabeth Palm, M. Nisuke Ando et M. Michael O’Flaherty

Nous contestons la décision de la majorité pour les raisons suivantes.

Comme la majorité des membres du Comité l’a relevé, le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est pas absolu. Même si la relation de confiance entre le défendeur et l’avocat est importante, l’intérêt de la justice peut exiger la commission d’office d’un avocat malgré le souhait du défendeur. Nous soulignons qu’il n’appartient pas au Comité de se prononcer sur la législation de l’État partie dans l’abstrait mais qu’il lui incombe d’examiner si, dans l’affaire dont il est saisi, il y a une violation d’un droit consacré dans le Pacte. Nous considérons que les juridictions nationales sont mieux placées qu’un comité international pour apprécier si, dans une affaire précise, la désignation d’office d’un avocat est nécessaire dans l’intérêt de la justice. Nous estimons qu’il n’y a rien dans le dossier soumis au Comité qui indique que les décisions des tribunaux aient été arbitraires ou que l’auteur n’ait pas été en mesure de présenter aux tribunaux concernés sa propre version des faits. Nous concluons donc que l’État partie n’a pas porté atteinte au droit de l’auteur à la défense et qu’en conséquence il n’y a pas eu violation du Pacte. De surcroît, nous relevons que la Cour européenne des droits de l’homme a, dans son arrêt du 15 novembre 2001 (Correia de Matos c. Portugal), déclaré irrecevable une requête du même auteur portant sur les mêmes faits. Nous sommes très préoccupés par le fait que deux organes internationaux − au lieu d’essayer d’harmoniser leur jurisprudence − arrivent à des conclusions divergentes en appliquant exactement les mêmes dispositions aux mêmes faits.

(Signé) Mme Elizabeth Palm

(Signé) M. Nisuke Ando

(Signé) M. Michael O’Flaherty

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion dissidente de Sir Nigel Rodley

J’aurais tendance à m’associer au désaccord de M. Ando et de Mme Palm quant au fond, en raison notamment de la désinvolture avec laquelle le Comité prend le parti d’ignorer le raisonnement argumenté de la Cour européenne des droits de l’homme, en appliquant la même loi aux mêmes faits, mais j’estime que le Comité n’avait même pas à prendre de décision quant au fond.

Bien qu’il soit important de garantir la justice dans toute affaire individuelle, une requête constitutionnelle, sur le plan de la procédure, ne fait pas partie intégrante d’un procès pénal. Le Pacte ne garantit pas le droit d’engager une procédure juridique quelle qu’elle soit sans conseil juridique. Aussi, la décision de l’auteur de ne pas confier à un conseil juridique le soin de présenter une requête (le Comité n’est pas en mesure de se prononcer sur la question de savoir si l’inscription de l’auteur au tableau de l’ordre des avocats a été indûment suspendue et il ne le fait pas) signifie qu’un recours interne possible n’a pas été épuisé. En conséquence, le Comité aurait dû déclarer l’affaire irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

X. Communication n o  1125/2002, Quispe c. Pérou (Constatations adoptées le 21 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Jorge Luis Quispe Roque (non représenté par un avocat)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pérou

Date de la communication:

17 juillet 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Procès et condamnation d’une personne en application de la législation antiterroriste

Questions de procédure: Éventuel non‑épuisement des recours internes du fait que la condamnation a été annulée et qu’une nouvelle procédure a été engagée

Questions de fond: Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et non‑respect des garanties d’une procédure régulière

Articles du Pacte: 9 et 14

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1125/2002 présentée au nom de M. Jorge Luis Quispe Roque en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, en date du 17 juillet 2002, est M. Jorge Luis Quispe Roque, de nationalité péruvienne, né en 1962 et actuellement détenu dans le pénitencier de haute sécurité Miguel Castro Castro à Lima. Il dit être victime d’une violation des articles 9 et 14 du Pacte. Il n’est pas représenté par un avocat.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Exposé des faits

2.1L’auteur travaille comme agent de nettoyage à l’Académie préuniversitaire César Vallejo à Lima. Le 20 juin 1992, à 22 heures, l’auteur se trouvait dans sa voiture, avec son épouse et son plus jeune fils, devant la maison de ses beaux‑parents à Lima, lorsqu’il fut arrêté par un groupe d’agents armés qui l’ont obligé à monter dans un autre véhicule tout en tirant des coups de feu en l’air et en le brutalisant. Il a été emmené sur son lieu de travail. Là, on l’a obligé à entrer dans un des bureaux, où il a été assis et attaché sur une chaise, le visage recouvert de sa veste. Pendant que l’auteur était attaché, les agents ont perquisitionné les bureaux.

2.2La police a affirmé que «des brochures de caractère subversif et des explosifs» ont été trouvés au cours de la perquisition. L’auteur dément cette affirmation et soutient que le matériel prétendument trouvé n’existe pas.

2.3Le 21 juin 1992, l’épouse de l’auteur a porté plainte devant la 4e section du parquet provincial (Cuarta Fiscalía Provincial) de Lima contre les membres de la police nationale − Direction nationale de la lutte contre le terrorisme (DINCOTE) − pour séquestration de l’auteur, en fournissant les numéros d’immatriculation des deux véhicules utilisés par la police et du véhicule appartenant à l’auteur, dont les agents se sont emparés.

2.4Le 24 juin 1992, le domicile de l’auteur a été perquisitionné, sans qu’aucun matériel de caractère subversif n’ait été trouvé.

2.5L’auteur a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour «atteinte à l’ordre public − terrorisme, visant des organismes publics et privés et l’État» par la Chambre pénale spéciale pour les affaires de terrorisme de la Cour supérieure de Lima (tribunal sans visage) dans une décision collective en date du 30 novembre 1994.

2.6L’auteur a introduit un recours en nullité devant la Chambre spéciale de la Cour suprême. Le 5 septembre 1996, celle‑ci a rejeté le recours et confirmé la condamnation contestée, mais a toutefois admis une application erronée de l’article 285 du Code de procédure pénale en ce que le caractère de partie lésée a été étendu aux organismes publics et privés de manière générale alors que, dans le type de poursuites engagées, la partie lésée ne peut être que l’État.

2.7L’auteur a engagé une action invoquant la protection constitutionnelle de l’habeas corpus devant le Tribunal constitutionnel, faisant valoir que la procédure aurait été entachée d’irrégularité; cette action a été déclarée irrecevable par une décision du 22 juin 1999.

2.8L’auteur déclare ne pas avoir saisi d’autre instance internationale au sujet des faits qui font l’objet de la communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dit qu’il a été victime d’une violation de l’article 9 car il a fait l’objet d’une détention arbitraire, n’a pas été informé des raisons de sa détention et n’a pas reçu notification de l’accusation portée contre lui.

3.2L’auteur soutient en outre que le tribunal qui l’a condamné était composé de juges sans visage, qu’on lui a refusé le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, que le jugement s’est fondé exclusivement sur le rapport de la police, et que le principal motif de sa condamnation tient à ses prétendus liens avec l’accusé principal, liens dont la nature n’a jamais été précisée. En outre, le temps de consultation du dossier, comprenant plus de 2 000 pages, par son avocat, a été limité à seulement 30 minutes, et il n’a pas été possible d’interroger les témoins. Tous ces faits constituent une violation de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Dans ses observations datées du 7 mars 2005, l’État partie souligne qu’au mois de janvier 2003 le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles plusieurs dispositions pénales et règles de procédure en matière antiterroriste. À la suite de cette décision, le Gouvernement a pris au mois de février 2003 le décret législatif no 926, qui annule les procès des personnes poursuivies pour terrorisme dans lesquels l’identité des juges et des procureurs était gardée secrète ou ceux dans lesquels la récusation était interdite. Il a également pris le décret législatif no 922, qui prévoit que les poursuites pénales pour acte de terrorisme suivront la procédure ordinaire prévue dans le Code de procédure pénale.

4.2L’affaire de l’auteur est actuellement pendante, depuis le 2 septembre 2004, devant la Chambre spéciale chargée des affaires de terrorisme (Sala Nacional de Terrorismo), en attente d’un nouveau procès pénal conforme aux nouvelles dispositions antiterroristes. En conséquence, l’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

Commentaires de l’auteur

5.1L’auteur note que les commentaires de l’État partie n’ont pas été présentés dans le délai de six mois prévu par l’article 91.2 du Règlement du Comité, et que dès lors l’État partie n’a pas respecté le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

5.2L’auteur fait remarquer que, si le Tribunal constitutionnel a invité le Congrès de la République à modifier, dans un délai raisonnable, la législation antiterroriste, le Congrès a renoncé à ses prérogatives et, par la loi d’autorisation no 27913 du 8 janvier 2003, a délégué sa compétence législative en matière antiterroriste au pouvoir exécutif. L’auteur fait valoir que les décrets législatifs nos 921 à 927, adoptés dans le cadre de cette délégation, n’ont pas changé en profondeur les dispositions normatives puisqu’ils n’ont pas remplacé la législation existante déclarée inconstitutionnelle, mais l’ont complétée sur certains points et modifiée sur d’autres. Donc, la législation antiterroriste antérieure n’a pas été entièrement abrogée. Concrètement, le décret‑loi no 25475, dont l’article 2 établit la base de l’incrimination pénale du crime de terrorisme, est toujours en vigueur. En outre, ce décret‑loi prévoit la création d’une commission composée de représentants des trois pouvoirs de l’État, du ministère public et des forces armées et de la police, chargée de veiller à son application, commission qui est inconstitutionnelle car elle viole le principe de la séparation des pouvoirs. À ce propos, l’auteur dit qu’un recours en inconstitutionnalité a été déposé devant le Tribunal constitutionnel contre la décision du mois de janvier 2003 citée par l’État partie, recours qui émanait de 5 186 citoyens et qui est enregistré sous le numéro 003‑2005‑PI/TC, auquel il s’associe.

5.3L’auteur affirme que le nouveau décret législatif no 926 est inconstitutionnel et contraire au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, car il annule la procédure de poursuite devant les tribunaux sans visage mais ne modifie pas la situation juridique des prévenus, c’est‑à‑dire que ceux‑ci restent privés de liberté, dans le cas de l’auteur depuis 13 ans après avoir été condamné. L’auteur se réfère à l’affaire Cruz Flores vs. Perú , dans laquelle la Commission interaméricaine des droits de l’homme a considéré que le fait que la nouvelle législation ne tienne pas compte de la durée de la privation de liberté subie en exécution de la précédente sentence constitue une détention arbitraire.

5.4L’auteur fait valoir que le décret‑loi no 922 est de même inconstitutionnel et contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, par le fait qu’il crée une juridiction d’exception, la Chambre spéciale pour les questions de terrorisme (Sala Nacional de Terrorismo), et ne soumet pas les affaires de terrorisme aux juridictions ordinaires.

5.5L’auteur affirme de nouveau qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles, et a même intenté un recours extraordinaire devant le Tribunal constitutionnel.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’exigence liée à l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’affaire se trouve devant la Chambre spéciale pour les affaires de terrorisme dans le cadre d’un nouveau procès pénal engagé conformément aux nouvelles règles en matière de lutte contre le terrorisme, ce qui signifie que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Toutefois, le Comité relève que l’auteur a été mis en détention le 20 juin 1992, puis poursuivi et condamné conformément au décret‑loi no 25475 du 5 mai 1992, et qu’il a formé tous les recours ouverts par la législation contre sa condamnation. Tout cela est antérieur à la date à laquelle il a adressé sa communication au Comité. Le fait que la législation qui a été appliquée à l’auteur et sur laquelle était basée sa communication ait été déclarée nulle ultérieurement ne peut pas jouer à son détriment. Dans ces conditions, on ne peut pas prétendre que l’auteur doive attendre que les tribunaux péruviens se prononcent à nouveau avant que l’affaire puisse être examinée par le Comité conformément au Protocole facultatif − particulièrement alors que la période de privation de liberté a duré 13 ans.

6.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable pour ce qui est des griefs de violation des articles 9 et 14 du Pacte, et procède à son examen quant au fond, en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les Parties conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

7.1Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fait parvenir d’observations sur le fond de la question à l’examen. À ce propos, il rappelle qu’il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner de bonne foi toutes les accusations portées contre lui et donner au Comité tous les renseignements dont il dispose. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré en répondant aux questions posées par le Comité, il y a lieu d’accorder aux affirmations de l’auteur l’importance qu’elles méritent dans la mesure où elles sont justifiées.

7.2En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à une violation de l’article 9, liées au fait qu’il a été placé en détention sans être informé des motifs de celle‑ci, le Comité considère que, l’État partie n’ayant pas contesté ces allégations, il convient d’apporter à celles‑ci le crédit voulu et de considérer que les faits se sont déroulés comme l’auteur l’a décrit. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de l’article 9 du Pacte.

7.3Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 14, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lequel son procès s’est déroulé devant un tribunal composé de juges sans visage, il n’a pas été permis d’interroger les témoins, et son avocat n’a pas pu consulter le dossier pendant plus de 30 minutes. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité, rappelant sa jurisprudence dans des affaires similaires, conclut qu’il y a eu une violation de l’article 14 du Pacte, pris dans son ensemble.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 9 et 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur a passé de longues années en détention et vu la nature des faits dont il est accusé, l’État devrait envisager la possibilité de mettre fin à sa privation de liberté, en attendant l’issue du procès actuellement en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prescrites par le Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Y. Communication n o  1126/2002, Carranza c. Pérou (Constatations adoptées le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Marlem Alegre (représentée par un conseil,Me Carolina Loayza Tamayo)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pérou

Date de la communication:

12 mars 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Procès et condamnation d’une personne en application de la législation antiterroriste

Questions de procédure: Possibilité de non-épuisement des recours internes du fait que la condamnation a été annulée et qu’une nouvelle procédure a été engagée

Questions de fond: Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et non‑respect des garanties d’une procédure régulière

Articles du Pacte: 2, 7, 9, 10, 14 et 15

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1126/2002 présentée au nom de Mme Marlem Carranza Alegre en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Marlem Carranza Alegre, de nationalité péruvienne, qui se trouve actuellement en détention dans le pénitencier de haute sécurité pour femmes de Chorrillos, à Lima. Elle dit être victime de violations par le Pérou des articles 2, 7, 9, 10, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, Me Carolina Loayza Tamayo.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 janvier 1981.

Exposé des faits

2.1L’auteur était médecin et exerçait à l’hôpital des urgences Casimiro Ulloa de Lima. Le 16 février 1993, elle a été arrêtée dans la rue par des individus en civil qui l’ont obligée à monter dans un véhicule pour une destination inconnue. Une fois dans le véhicule, les individus ont dit qu’ils étaient des policiers et qu’elle était arrêtée dans le cadre d’une enquête sur des actes de terrorisme. Ils lui ont mis les menottes et lui ont recouvert la tête avec sa veste. Elle a été conduite dans un lieu dont elle a appris par la suite qu’il s’agissait des locaux de la Direction nationale de lutte contre le terrorisme (DINCOTE).

2.2L’auteur a été interrogée et, pendant tout le temps qu’a duré l’interrogatoire, elle avait les yeux bandés. On l’a menacée d’arrêter ses proches et de saisir ses biens et son matériel médical, on l’a accusée de soigner des terroristes; elle a fini par perdre connaissance après avoir reçu des coups sur la tête. Quand elle a repris connaissance, l’interrogatoire a recommencé, et les coups, les insultes et les menaces, y compris des menaces de viol, ont continué. Pendant ses premiers jours de détention, elle était forcée de rester debout toute la journée.

2.3La police a fouillé son domicile et a affirmé avoir découvert un document qui attestait ses liens avec l’organisation terroriste Sentier lumineux. L’auteur affirme que ce document ne lui appartenait pas. Elle a été accusée d’avoir soigné des «éléments subversifs» et d’avoir usé de menaces envers des confrères pour les obliger à en faire autant. En outre, elle a été contrainte d’accuser d’autres personnes qui «l’auraient forcée» à pratiquer ces actes médicaux.

2.4L’auteur est restée au secret pendant sept jours, après quoi la police a rédigé son rapport, concluant que l’auteur était responsable du délit de terrorisme. Le 24 février 1993, sur réquisition du procureur du parquet pénal provincial no 14 de Lima, l’accusant de faire partie de «l’organisation subversive du parti communiste péruvien Sentier lumineux, membre du groupe du secours populaire − section santé − en tant que militante, chargée de la formation, du soutien organisé et de la communication», elle a été mise à la disposition de la justice sans avoir été libérée. Le même jour, le juge a ouvert une information et a ordonné son placement en détention.

2.5L’auteur a été jugée pour atteinte à l’ordre public − terrorisme − par la Chambre pénale spéciale pour les affaires de terrorisme composée de «juges sans visage» de la Cour supérieure de Lima en application du décret-loi no 25475 du 5 mai 1992 qui définit ce délit. Le 2 mars 1994, la Chambre a rendu un arrêt condamnant l’auteur à 20 ans d’emprisonnement. L’auteur a fait un recours devant la Cour suprême qui a annulé cette décision en date du 8 juin 1995, considérant que la procédure était entachée d’irrégularités contraires au Code de procédure pénale.

2.6Le 16 octobre 1995, une nouvelle procédure orale a été ouverte devant la Chambre pénale spéciale («tribunal sans visage») de la Cour supérieure de Lima, qui a accusé l’auteur d’«être membre de la section santé du Département de soutien du Secours populaire péruvien, l’un des appareils centraux du groupe terroriste qui s’intitule Parti communiste du Pérou, Sentier lumineux». Plus précisément, l’auteur était accusée d’«être membre de la cellule de direction de la section santé, responsable de cette cellule, et chargée d’élaborer les plans permettant de dispenser des soins et de faire le bilan de l’état de santé des personnes blessées au cours d’actions terroristes dans l’agglomération de Lima». Elle a été condamnée à 25 ans de prison et à une amende pour terrorisme, selon les modalités définies aux articles 4 (terrorisme − actes de collaboration), 5 (appartenance à une organisation terroriste) et 6 (incitation à la perpétration d’actes de terrorisme) du décret-loi no 25475, qualifications pénales qui, d’après l’auteur, sont exclusives les unes des autres.

2.7Le 3 septembre 1997, l’auteur a introduit un recours en nullité devant la Cour suprême, alléguant que sa condamnation s’appuyait sur un texte, le décret-loi no 25475 du 5 mai 1992, qui n’était pas en vigueur au moment où se seraient produits les faits qui lui étaient imputés, c’est‑à‑dire entre 1987 et les premiers mois de 1992. Les textes applicables à cette époque étaient le Code pénal et la loi no 24953, en vertu desquels l’atteinte à l’ordre public − terrorisme − était punie de peines maximales de 15 ans et de 25 ans d’emprisonnement pour le délit d’appartenance à une organisation terroriste. De plus, une instruction avait été ouverte contre elle pour collaboration à des actes de terrorisme, et elle avait été condamnée sous une qualification différente, celle consistant à être un «cadre moyen» du Sentier lumineux. La Cour a rejeté le recours en date du 29 septembre 1997. Le jugement n’a été notifié ni à l’auteur ni à son conseil.

2.8En octobre 1997, le père de l’auteur a présenté au Président de la République une demande de grâce en application de la loi no 26655, laquelle portait création d’une commission ad hoc chargée de proposer au Président d’accorder la grâce aux personnes qui avaient été condamnées pour actes de terrorisme en violation de règles fondamentales.

2.9Pendant les premières années de sa détention dans le pénitencier de haute sécurité de Chorrillos, y compris avant d’être condamnée, l’auteur était enfermée dans une cellule de 2,5 m2 d’où elle ne sortait qu’une demi‑heure pour aller dans la cour, et qu’elle partageait avec cinq ou six personnes. Pendant la promenade, elle avait l’interdiction de parler avec les autres détenues. Elle n’avait rien pour lire ni écrire. Les visites étaient limitées à deux parents directs par mois, pendant 30 minutes en tout dans des parloirs communs, et sans contact physique. La nourriture était insuffisante en quantité et en qualité. Elle a fini par avoir des problèmes de santé, souffrir de bruxisme, de paralysie faciale, de dermatoses, d’une aggravation de sa myopie, de troubles bronchiques, etc.

2.10L’auteur affirme qu’on lui a appliqué le régime prévu dans le décret‑loi no 25475 en vertu duquel:

La qualification de l’acte illicite était déterminée par des policiers de la DINCOTE, et servait à déterminer la juridiction compétente;

La désignation du défenseur avait régulièrement lieu après l’enquête préliminaire;

Le défenseur librement choisi par l’inculpé ne pouvait pas s’entretenir avec celui‑ci avant qu’il ne fasse sa déclaration;

Les inculpés et leurs avocats ne pouvaient pas prendre connaissance des preuves à charge. La défense n’était pas non plus autorisée à interroger les témoins qui avaient déposé pendant l’enquête préliminaire;

Les inculpés n’avaient pas la possibilité d’être libérés avant la fin de la procédure;

Une procédure spéciale confiée à un juge au stade de l’instruction et à des «juges sans visage» au stade de la procédure orale avait été mise en place contre laquelle il n’existait aucun recours;

L’acte d’accusation, les comptes rendus d’audience et les jugements ne portaient pas la signature des procureurs et des magistrats, qui étaient des juges «sans visage»;

Pendant la première année de réclusion, les inculpés étaient placés en isolement cellulaire continu, en plus de subir d’autres restrictions.

2.11L’auteur déclare ne pas avoir saisi d’autre instance internationale au sujet des faits qui font l’objet de la communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur estime que les faits décrits constituent une violation de plusieurs dispositions du Pacte.

3.2Comme elle l’a affirmé dans sa déclaration le 10 mars 1993 devant le tribunal pénal, pendant la période où elle était en détention à la DINCOTE, elle a subi des tortures physiques et psychologiques et a été privée de nourriture et mise au secret pendant sept jours. Pendant tous les interrogatoires, elle recevait des coups sur la tête, des insultes, des menaces et des pressions psychologiques. La mise au secret, autorisée par le décret‑loi no 25475, article 12 d), était absolue et excluait même l’avocat. Il y a là une forme de traitement cruel et inhumain, qui porte atteinte à l’intégrité physique, psychique et morale de la personne. Selon l’auteur, ces faits constituent une violation de l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteur invoque aussi une violation du paragraphe 1 de l’article 9, parce qu’elle a été arrêtée arbitrairement, sans mandat judiciaire et sans avoir été prise en flagrant délit, conditions requises par l’article 2.24 f) de la Constitution. De plus, la législation qui lui a été appliquée excluait la possibilité que le juge ordonne la comparution de l’inculpé. La détention était la règle générale, qui ne souffrait aucune exception, contrairement aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. En outre, l’article 6 du décret-loi no 25659 qui restreint la possibilité pour les personnes poursuivies pour terrorisme d’introduire un recours en habeas corpus lui a été appliqué, ce qui constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

3.4Selon l’auteur, le régime d’incarcération qui lui a été appliqué, fondé sur le décret-loi no 25475, constitue, de par son caractère inhumain, une violation de l’article 10 du Pacte. Ce régime excluait entre autres choses de bénéficier des possibilités prévues dans le Code pénal et le Code de l’exécution des peines. Il prévoyait en outre l’exécution obligatoire de la peine dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité, avec isolement cellulaire continu pendant la première année de détention, et des restrictions sévères au régime de visites.

3.5L’auteur dit également avoir été victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14, parce qu’elle a été jugée par des «tribunaux sans visage», composés de juges dont l’identité était gardée secrète et qui ne pouvaient pas être récusés. De plus, le décret‑loi en question prévoit que, dans les affaires de terrorisme, l’instruction et la procédure orale se déroulent dans des locaux des prisons spécialement aménagés à cet effet. Selon l’auteur, le secret dénature la procédure orale, dont la publicité est une caractéristique essentielle et la garantie de l’équité.

3.6Il y a également eu violation du paragraphe 2 de l’article 14, étant donné que le décret‑loi no 25475 enlève toute autonomie au juge et au ministère public. Le juge n’a pas la possibilité de décider, au vu des preuves produites, s’il y a lieu ou non d’ouvrir l’instruction, mais le décret «ordonne» au juge d’ouvrir une instruction et de délivrer un mandat de détention. Le placement en détention est obligatoire et la possibilité pour le juge de laisser l’inculpé enliberté conditionnelle disparaît. Quant au ministère public, le décret oblige le Procureur supérieur à rendre l’acte d’accusation à l’issue de l’instruction, ce qui supprime la liberté du jugement. Tout cela constitue une violation du droit à la présomption d’innocence.

3.7L’auteur déclare qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 14 parce que, comme en témoigne le rapport de police, elle n’a pas été informée de manière claire et détaillée du motif de sa mise en détention. Elle n’a pas pu non plus communiquer avec son avocat pendant le temps où elle est restée au secret, puisque l’article 12 f) du décret‑loi disposait que le défenseur ne pouvait intervenir qu’à partir du moment où le détenu faisait sa déclaration en présence du ministère public. De plus, l’article 13 du décret‑loi a supprimé un élément fondamental de la défense en empêchant que les personnes chargées de l’enquête puissent être invitées à faire une déposition devant le juge ou le tribunal en qualité de témoins. La condamnation de l’auteur est exclusivement fondée sur le rapport de police, si bien que le ministère public n’a pas vérifié les chefs d’accusation et que la charge de la preuve a été inversée au détriment de l’auteur.

3.8Les faits qui ont donné lieu à la mise en détention, au procès et à la condamnation de l’auteur se seraient produits entre 1987 et les premiers mois de 1992. Or, la plainte du ministère public, l’ouverture du procès et la condamnation étaient fondées sur le décret‑loi no 25475, promulgué le 5 mai 1992, qui imposait des peines plus sévères. Il y a donc violation de l’article 15 du Pacte.

3.9Il y a eu violation de l’article 15 également du fait que l’auteur a été condamnée pour des faits et délits différents de ceux qui avaient donné lieu à l’ouverture de l’instruction. Le tribunal pénal spécialisé no 14 de Lima a ouvert une instruction pour atteinte présumée à l’ordre public − terrorisme, à titre de «collaboration» en vertu de l’article 4 b) du décret‑loi. Comme il est dit dans l’ordonnance d’ouverture de l’instruction, les actes de collaboration présumés étaient des interventions chirurgicales, la fourniture de matériel chirurgical, de matériel médical, la mise à disposition d’équipes médicales, la fourniture de médicaments, des radiographies et des analyses cliniques, à l’intention du mouvement «terroriste». Or l’auteur a été condamnée «en sa qualité de cadre moyen» au Sentier lumineux. De même, les actes médicaux ci‑dessus ont été qualifiés d’actes de collaboration bien qu’aucun d’eux ne soit défini en tant que tel à l’article 321 du Code pénal, qui est l’une des dispositions en vigueur qui lui étaient applicables.

3.10Enfin, l’auteur considère que toute violation de l’un quelconque des droits consacrés par le Pacte entraîne la violation par l’État de l’obligation qui lui incombe de respecter ces droits, consacrée au paragraphe 1 de l’article 2.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 22 décembre 2004, l’État partie fait savoir que, par une décision de janvier 2003, le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles diverses règles de procédure et règles pénales en matière de lutte contre le terrorisme. En conséquence, en février 2003, le Gouvernement a promulgué le décret‑loi no 926 qui régit l’annulation des procès pour terrorisme instruits par des juges et des procureurs dont l’identité était gardée secrète, et dans lesquels l’interdiction relative à la récusation des magistrats avait été appliquée. Le Gouvernement a également promulgué le décret‑loi no 922 qui prévoit que les procès au pénal pour terrorisme suivent la procédure ordinaire prévue dans le Code de procédure pénale.

4.2En date du 15 janvier 2003, la Cour suprême de Lima a rendu un arrêt concernant le recours en habeas corpus formé par l’auteur contre la Chambre pénale spéciale de la Cour supérieure de Lima et la Cour suprême pour atteinte à la liberté des personnes et non‑respect des garanties d’une procédure régulière. Le recours a été déclaré fondé et la procédure pénale engagée contre l’auteur a été annulée pour violation des principes relatifs à l’équité de la procédure, au juge compétent et au droit de savoir si celui qui rend la justice est compétent, et parce que la condamnation avait été prononcée par des juges «sans visage». Le 3 février 2003, la Chambre nationale pour les affaires de terrorisme a rendu un arrêt ordonnant l’exécution de cette décision.

4.3Le 27 mars 2003, le tribunal spécialisé dans les affaires de terrorisme no 1 a ouvert une instruction contre l’auteur pour terrorisme générique, en vertu de l’article 288 et de l’alinéa a de l’article 288 B du Code pénal de 1924 incorporé au Code pénal par la loi no 24651 de l’article 319 et du paragraphe 1 de l’article 320 du Code pénal de 1991 et des articles 2 et 5 du décret‑loi no 25475, et ordonné la mise en détention. La Chambre nationale pour les affaires de terrorisme a été chargée de l’affaire, qui a été confiée au bureau du Procureur supérieur no 2 spécialisé dans les affaires de terrorisme. Dans une décision du 6 septembre 2004, le parquet a établi un acte d’accusation pour terrorisme. L’auteur était accusée d’être membre de l’organisation subversive Parti communiste du Pérou «Sentier lumineux» et du comité de direction de la cellule de la section santé du Département de soutien du Secours populaire, et responsable à ce titre de groupes qui faisaient partie de cette organisation. En sa qualité de chirurgien, elle était chargée à cet effet de recruter des médecins et d’organiser leur tâche pour qu’ils puissent apporter un soutien médical. Le procureur requérait une peine de prison de 30 ans, une amende, et une peine accessoire d’incapacité.

4.4L’affaire est en instance devant la Chambre nationale pour les affaires de terrorisme dans le cadre d’un nouveau procès pénal engagé conformément aux nouvelles règles en matière de lutte contre le terrorisme. L’État partie estime en conséquence que tous les recours internes n’ont pas été épuisés et que la communication doit être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur

5.1L’auteur fait valoir qu’elle est poursuivie une deuxième fois pour les mêmes faits, pour avoir elle‑même cherché à obtenir justice. Mais un nouveau procès ne constitue pas une réparation suffisante en cas de non‑respect des garanties d’une procédure régulière, à plus forte raison lorsque cette violation est imputable à un acte de l’État mis en cause.

5.2La présente communication a été soumise au Comité alors que l’auteur exécutait une peine prononcée à l’issue d’un procès pénal, au cours duquel les garanties d’une procédure régulière ont été entièrement bafouées, ce que le pouvoir judiciaire péruvien a reconnu en déclarant fondé le recours en habeas corpus qu’elle avait introduit en première instance le 2 décembre 2002, et en deuxième instance le 15 janvier 2003. De plus, le décret‑loi no 926, qui prévoit l’annulation des procès pour terrorisme instruits par les tribunaux ordinaires, suppose la reconnaissance expresse par l’État de l’inobservation des garanties d’une procédure régulière et des garanties judiciaires, et, partant, de la violation du droit à la liberté des personnes qui ont été arrêtées, poursuivies et condamnées pour terrorisme.

5.3L’imprécision avec laquelle le délit de terrorisme est défini à l’article 2 du décret‑loi no25475 est incompatible avec le principe de légalité consacré par le Pacte, puisque les faits constitutifs du délit sont décrits d’une manière abstraite et vague qui empêche de savoir exactement en quoi consiste l’infraction pénale en question.

5.4L’auteur affirme qu’elle a été accusée d’avoir soigné et fourni des médicaments à des «terroristes» et à leurs proches. Non seulement ces actes ne sont pas contraires au droit, mais ils sont licites et conformes à l’éthique. Faire une intervention chirurgicale, soigner et administrer des médicaments sont des actes qui ne concordent pas avec le délit de terrorisme. Les actes médicaux ne provoquent pas, ne créent pas ou n’entretiennent pas, volontairement ou involontairement, l’angoisse ou la terreur. Ils ne sont pas non plus assimilables à des actes contre la vie, l’intégrité physique, la santé, la liberté et la sécurité des personnes, ou contre le patrimoine de l’État ou des particuliers, et n’attentent pas non plus à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.

5.5Selon le principe de l’estoppel consacré par le droit international, l’État n’est pas habilité à invoquer ses propres actes. Il ne peut donc pas faire valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Dans la décision qu’elle a rendue le 18 novembre 2004 dans l’affaire De la Cruz Flores, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a considéré qu’un nouveau procès n’était pas une réparation suffisante en cas de non‑respect des garanties d’une procédure régulière.

5.6L’auteur souligne qu’elle est en détention depuis environ 12 ans, qu’elle a été inculpée mais n’a pas été condamnée, en violation de l’article 9 du Pacte. En juillet 2002, elle a demandé à bénéficier de la semi‑liberté, demande qui a été déclarée irrecevable, d’abord par le vingt‑huitième tribunal pénal provincial de Lima, puis par la Cour supérieure, au motif que le délai de détention prévu dans le Code de procédure pénale n’avait pas été atteint, délai qui courait à partir de la date de la décision d’ouvrir l’instruction, à savoir le 21 mars 2003. L’État partie ne tient donc pas compte du temps que l’auteur a passé en prison du fait que l’État ne lui a pas garanti un procès équitable. Autrement dit, l’État invoque ses propres actes pour dénier à l’auteur le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée, comme il est dit au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’affaire se trouve devant la Chambre nationale pour les affaires de terrorisme dans le cadre d’un nouveau procès au pénal engagé conformément aux nouvelles règles en matière de lutte contre le terrorisme, ce qui signifie que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Le Comité accueille avec satisfaction la modification de diverses règles de procédure et de règles pénales en matière de lutte contre le terrorisme, notamment la possibilité d’annuler les procès pour terrorisme instruits par des juges et des magistrats dont l’identité est gardée secrète, et les dispositions qui prévoient que les poursuites pénales pour terrorisme doivent suivre la procédure ordinaire prévue dans le Code de procédure pénale. Cependant, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité relève que l’auteur a été mise en détention le 16 février 1993, puis poursuivie et condamnée conformément au décret‑loi no 25475 du 5 mai 1992 et qu’elle a formé tous les recours ouverts par la législation à l’encontre de sa condamnation, y compris le recours en nullité devant la Cour suprême. Tout cela est antérieur à la date à laquelle elle a adressé sa communication au Comité. Le fait que la législation qui a été appliquée à l’auteur, et sur laquelle était fondée sa communication, ait été déclarée nulle plusieurs années après ne peut pas jouer à son détriment. Dans ces conditions, on ne peut pas prétendre que l’auteur doive attendre que les tribunaux péruviens se prononcent à nouveau avant que l’affaire puisse être examinée par le Comité conformément au Protocole facultatif. Par ailleurs, le Comité observe que l’affaire a été portée devant les tribunaux péruviens en 1993 et qu’elle n’est pas encore close.

6.4L’auteur fait valoir que la peine qui lui a été imposée était plus sévère que celle qui aurait dû être prononcée en vertu de la législation applicable au moment des faits, ce qui constitue une violation de l’article 15 du Pacte. Le Comité estime toutefois que l’auteur n’a pas présenté d’éléments d’information suffisants pour lui permettre de se prononcer sur cette allégation. Le Comité conclut que cette partie de la communication doit être considérée comme irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayée.

6.5Le Comité déclare la communication recevable pour ce qui est des griefs de violation des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte et procède à son examen quant au fond en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

7.1Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fait parvenir d’observations sur le fond de la communication à l’examen. Il rappelle qu’il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner de bonne foi toutes les accusations portées contre lui et donner au Comité tous les renseignements dont il dispose. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré en répondant aux questions posées par le Comité, il y a lieu d’accorder aux affirmations de l’auteur l’importance qu’elles méritent dans la mesure où elles sont étayées.

7.2L’auteur affirme que pendant les jours qu’elle a passés dans les locaux de la DINCOTE elle a été soumise à des tortures qu’elle décrit en détail. Étant donné que l’État partie n’a pas contesté les allégations puisqu’il n’a pas fait parvenir de réponse, il convient d’accorder le crédit voulu à ces griefs et considérer que les faits se sont déroulés comme l’auteur l’a décrit. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte.

7.3En ce qui concerne le grief de violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le Comité considère que l’arrestation, la détention au secret pendant sept jours et les restrictions à l’exercice du droit de recours en habeas corpus constituent des violations de l’article 9 du Pacte dans son ensemble.

7.4L’auteur allègue que le régime de privation de liberté qui lui a été appliqué sur la base du décret-loi no 25475 constitue une violation de l’article 10 du Pacte. Le Comité considère que les conditions de détention auxquelles elle a été soumise dans le pénitencier de haute sécurité de Chorrillos décrites par l’auteur, en particulier pendant la première année de détention, constituent une violation du droit d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et contreviennent donc aux dispositions de l’article 10 dans son ensemble.

7.5Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteur qui explique que son procès s’est déroulé à huis clos et que le tribunal était composé de «juges sans visage» qu’il était impossible de récuser, qu’elle n’a pas pu communiquer avec son avocat pendant les sept jours où elle est restée au secret, que les policiers chargés de l’enquête n’ont pas été appelés à déposer en qualité de témoins vu que le décret‑loi no 25475 ne le permettait pas, et que son avocat n’a pas eu la possibilité d’interroger les témoins qui avaient fait une déclaration à la police au stade de l’enquête. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, qui consacre le droit d’être jugé avec toutes les garanties d’une procédure régulière, pris dans son ensemble.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7, 9, 10 et 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur a passé de longues années en détention et vu la nature des faits dont elle est accusée, l’État partie devrait envisager la possibilité de mettre fin à sa détention, en attendant l’issue du procès actuellement en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prescrites par le Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

Z. Communication n o  1132/2002, Chisanga c. Zambie (Constatations adoptées le 18 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

M. Webby Chisanga (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Zambie

Date de la communication:

15 octobre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Syndrome du quartier des condamnés à mort, notion de «crimes les plus graves», caractère obligatoire de la peine capitale

Questions de procédure: Demande de mesures provisoires de protection

Questions de fond: Traitement cruel et inhumain, droit à la vie, droit de faire appel et droit à un recours utile, droit de demander la grâce ou la commutation de la peine

Articles du Pacte: 14 (par. 5) lu conjointement avec l’article 2, 7, 6 (par. 2) et 6 (par. 4) lu conjointement avec l’article 2

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1132/2002 présentée par M. Webby Chisanga au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication datée du 15 octobre 2002 est M. Webby Chisanga, de nationalité zambienne, qui est condamné à mort. Bien qu’il n’invoque aucune disposition du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte), ses allégations de violation des droits de l’homme commises par la Zambie semblent soulever des questions au regard des paragraphes 1, 2, 3 b) et 5 de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 4 de l’article 6 lu conjointement avec l’article 2. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 28 octobre 2002, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, de ne pas exécuter la sentence de mort prononcée contre l’auteur tant que sa communication serait à l’examen au Comité. Par une lettre datée du 22 mars 2004, l’État partie a informé le Comité qu’il ferait droit à sa demande.

Exposé des faits

2.1Dans la nuit du 15 novembre 1993 trois hommes, dont un était armé, ont commis un vol dans une épicerie. Le propriétaire de l’épicerie a reçu une balle à la cuisse et a été conduit à l’hôpital. Il connaissait l’auteur qu’il a identifié comme étant l’homme armé. En effet, après avoir été arrêté le 17 novembre 1993, l’auteur a été reconnu par le propriétaire de l’épicerie au cours d’une séance d’identification. L’auteur a nié être l’un des voleurs et clame son innocence.

2.2Le 12 mai 1995, l’auteur a été condamné par la Haute Cour de Ndola pour tentative de meurtre (art. 215 du Code pénal) et de vol qualifié (art. 294, par. 2, du Code pénal). Il a été condamné à mort du chef de vol qualifié mais n’a pas été condamné du chef de tentative de meurtre, le juge ayant estimé que les faits de la cause correspondaient au deuxième chef d’accusation. L’auteur a fait appel de sa condamnation à mort devant la Cour suprême en arguant d’une erreur sur la personne.

2.3Dans une lettre datée du 5 décembre 2002, l’auteur a transmis au Comité une «notification du résultat de l’appel en dernier ressort» émanant du greffier de la Cour suprême, datée du 4 décembre 1997, l’informant que son recours avait été examiné le même jour par la Cour suprême, qui avait décidé «d’annuler la condamnation à mort et de remplacer la peine par 18 ans d’emprisonnement à compter de la date de l’arrestation».

2.4Dans une autre lettre datée du 3 novembre 2003, l’auteur a informé le Comité qu’il avait reçu une autre notification du greffier de la Cour suprême, sous couvert d’une lettre datée du 1er octobre 2003, l’informant que son appel avait été rejeté le 20 décembre 1999, que la peine de mort avait été confirmée et qu’il était condamné à une peine additionnelle de 18 ans d’emprisonnement. L’auteur affirme que la Cour suprême a prononcé son jugement, en sa présence, non pas le 20 décembre 1999 mais le 4 décembre 1997.

2.5Selon l’auteur, après que la peine de mort a été commuée en 1997, il a été transféré du quartier des condamnés à mort à celui des prisonniers exécutant une peine de longue durée, où on lui a confié des travaux de menuiserie. Il affirme que ce fait peut être vérifié dans les registres de la prison. Il rappelle que les prisonniers détenus dans le quartier des condamnés à mort n’accomplissent aucun travail. Après deux ans de détention dans ce quartier de la prison, il a été de nouveau transféré au quartier des condamnés à mort, le 1er novembre 1999.

2.6Dans une lettre datée du 28 mars 2004, l’auteur a informé le Comité que des prisonniers du quartier des condamnés à mort étaient en train d’être transférés dans le quartier de la prison réservé aux prisonniers condamnés à des peines de longue durée. Il indique que seuls les prisonniers qui avaient passé plus de 10 ans dans le quartier des condamnés à mort bénéficiaient de l’amnistie présidentielle en faveur des condamnés à mort. L’auteur, qui est emprisonné depuis 11 ans, a été maintenu dans le quartier des condamnés à mort parce qu’il avait passé deux ans dans celui des condamnés à des peines de longue durée, de sorte qu’il n’est resté dans le quartier des condamnés à mort que neuf ans.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son procès n’a pas été équitable, étant donné qu’il a été condamné sur la simple déposition d’un témoin, que l’original du rapport médical sur les blessures de la victime n’a jamais été présenté au tribunal et qu’il n’y a pas eu de vérification des empreintes digitales sur l’arme du crime. Il fait valoir qu’il n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence, que son alibi a été «refusé» et qu’il n’a pas eu la possibilité de préparer convenablement sa défense dans la mesure où son conseil a été empêché de le voir.

3.2L’auteur affirme qu’il a été victime d’un traitement inhumain en prison en raison des notifications contradictoires qu’il avait reçues en ce qui concerne le résultat de son appel et donc de l’incertitude sur la sentence.

3.3Il affirme que le crime pour lequel il a été condamné à mort (vol qualifié avec utilisation d’une arme à feu) ne fait pas partie des crimes «les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

3.4L’auteur ajoute que la méthode d’exécution utilisée en Zambie, la pendaison, constitue un traitement inhumain, cruel et dégradant car elle inflige une douleur aiguë.

3.5Bien que l’auteur n’invoque aucune disposition du Pacte, il ressort de ses allégations et des faits qu’il a exposés qu’il se dit victime d’une violation par la Zambie des paragraphes 1, 2, 3 b) de l’article 14 et du paragraphe 5 de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, du paragraphe 2 de l’article 6, du paragraphe 4 de l’article 6 lu conjointement avec l’article 2 et de l’article 7.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans une lettre datée du 31 mars 2004 et une note verbale datée du 12 mai 2004, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère qu’«il y a une certaine confusion au sujet de la peine à laquelle [l’auteur] a été condamné». Il se réfère au jugement de la Cour suprême daté du 5 juin 1996, d’où il ressort que la condamnation à mort a été confirmée pour le deuxième chef d’accusation (vol qualifié) et qu’il y a eu une deuxième condamnation à 18 ans d’emprisonnement pour le premier chef (tentative de meurtre) pour lequel la Haute Cour ne l’avait pas condamné. L’État partie joint une copie de ce jugement.

4.2L’État partie fait valoir en outre que l’auteur n’a pas «entièrement» épuisé les recours internes parce qu’il a le droit de présenter une demande de grâce présidentielle au titre de l’article 59 de la Constitution.

4.3L’État partie souligne que, bien que la peine de mort existe encore en droit, son application a été limitée aux crimes «les plus graves»: le meurtre, la trahison et le vol qualifié avec usage d’une arme à feu. Une commission de révision de la Constitution a été mise en place pour préparer la réforme de la Constitution et elle recueille l’opinion du public sur diverses questions, y compris celles de la peine de mort. L’État partie considère qu’il existe «une possibilité d’abolir la peine de mort». En conséquence, le Président a récemment gracié de nombreux prisonniers condamnés à mort ou commué leur condamnation en une peine d’emprisonnement de longue durée.

5.Dans des lettres datées du 14 novembre 2004 et des 18 janvier et 3 avril 2005, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. En réponse à l’argument selon lequel il n’a pas épuisé les recours internes, il fait valoir qu’il a adressé trois demandes de clémence au Président en 2001, 2003 et 2004 mais n’a jamais reçu de réponse. Il reconnaît que son cas a été examiné le 6 juin 1996 mais réaffirme que le jugement prononcé date du 4 décembre 1997 et que sa condamnation à mort a été commuée en une peine d’emprisonnement de 18 ans.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes dès lors qu’il n’a pas demandé la grâce présidentielle, le Comité note que l’auteur affirme avoir présenté trois demandes de grâce qui sont restées sans réponse, affirmation qui n’est pas contestée, et réitère sa jurisprudence selon laquelle les grâces présidentielles constituent un recours extraordinaire et de ce fait ne sont pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 au motif que le procès n’a pas été équitable, le Comité note que cette plainte se rapporte à l’appréciation des faits et des preuves par les tribunaux internes. Renvoyant à sa jurisprudence, il réaffirme que c’est généralement aux juridictions d’appel des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans un cas d’espèce et qu’il ne lui appartient pas d’examiner ces questions à moins que l’appréciation faite par les tribunaux nationaux ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que cette appréciation ait été entachée de tels vices; cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Pour ce qui est du grief de non‑respect de la présomption d’innocence, en violation du paragraphe 2 de l’article 14, et de violation du droit de préparer sa défense et de communiquer avec son conseil, garanti au paragraphe 3 b) de l’article 14, le Comité note que l’auteur n’a donné aucune explication et n’a apporté aucune preuve à l’appui de ces affirmations et conclut donc que, faute d’avoir été étayée, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 4 de l’article 6 lu conjointement avec l’article 2 du Pacte sont recevables, et procède donc à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Pour ce qui est des notifications contradictoires du résultat de l’appel interjeté par l’auteur devant la Cour suprême, le Comité note que l’auteur et l’État partie ont donné des versions divergentes des faits. Selon l’auteur, il y a eu deux jugements en appel: le premier a commué la condamnation à la peine de mort en une peine d’emprisonnement de 18 ans et le second a confirmé la condamnation à la peine de mort et l’a condamné à une peine additionnelle d’emprisonnement de 18 ans. Selon l’État partie, ces affirmations sont fausses et il n’y a eu qu’un seul jugement qui a confirmé la condamnation à la peine de mort et condamné l’auteur à une peine additionnelle de 18 ans d’emprisonnement. Il ressort du dossier que l’auteur a été informé, au moyen d’une notification officielle en date du 4 décembre 1997 portant le cachet du greffe de la Cour suprême à Ndola, que sa condamnation à la peine capitale avait été commuée. Le fait que l’auteur a été ensuite transféré du quartier des condamnés à mort à celui des prisonniers exécutant une peine de longue durée et qu’il s’est vu assigner un travail n’est pas contesté par l’État partie. Cela a conforté l’auteur dans l’idée que la peine de mort avait effectivement été commuée. L’État partie n’ayant pas fourni d’explications ou de commentaires pour clarifier la question, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur à ce propos. L’État partie n’a pas expliqué comment l’auteur avait été notifié que la condamnation à mort avait été annulée. Mettre la situation sur le compte d’une confusion dans l’esprit de l’auteur n’est pas suffisant. Le fait de l’avoir transféré dans un quartier réservé aux prisonniers exécutant une peine de longue durée montre bien que la confusion n’est pas imputable à l’auteur. Aucune autre explication n’ayant été donnée quant à la contradiction entre les mesures prises et le document de notification transmis à l’auteur, il y a lieu de s’interroger sur la manière dont il a été donné effet au droit d’appel garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ce qui conduit à s’interroger aussi sur la nature du recours. Le Comité estime qu’en agissant ainsi l’État partie a violé le droit à un recours utile, en ce qui concerne le droit d’appel garanti par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte lu conjointement avec l’article 2.

7.3Le Comité considère en outre que le fait de laisser l’auteur dans l’incertitude quant au résultat de son appel − en particulier en lui faisant croire que sa peine a été commuée avant de l’informer qu’elle ne l’a pas été et en le renvoyant, sans explication de la part de l’État, dans le quartier des condamnés à mort après deux années passées dans le quartier des prisonniers condamnés à une peine de longue durée − a eu sur lui un tel effet psychologique et l’a fait vivre dans une telle incertitude, angoisse et détresse morale que cela constitue un traitement cruel et inhumain. Le Comité conclut que l’État partie a violé dans ce contexte les droits consacrés par l’article 7 du Pacte.

7.4Pour ce qui est du grief de l’auteur qui fait valoir que le crime pour lequel il a été condamné à mort − le vol qualifié avec utilisation d’une arme à feu − ne fait pas partie des «crimes les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, le Comité rappelle que l’expression «crimes les plus graves» doit être interprétée d’une manière restrictive comme signifiant que la peine capitale doit être une mesure exceptionnelle. Il se réfère à une décision dans une autre affaire concernant l’État partie dans laquelle il a conclu que l’imposition de la peine capitale en tant que peine obligatoire pour un vol qualifié avec usage d’une arme à feu constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Le Comité note que l’imposition obligatoire de la peine de mort prévue par la loi de l’État partie repose exclusivement sur le type de crime dont le défendeur est reconnu coupable sans que le juge ait la moindre marge pour apprécier les circonstances particulières de l’infraction. La peine de mort est obligatoirement prononcée pour tous les types de vol qualifié avec usage d’arme à feu. Le Comité considère qu’un tel système d’imposition obligatoire de la peine de mort compromettrait l’exercice du plus fondamental des droits, le droit à la vie, sans qu’il soit déterminé si cette forme exceptionnelle de châtiment pouvait être appropriée dans les circonstances particulières de la cause. En l’espèce, le Comité note que la victime de l’infraction a reçu une balle dans la cuisse mais n’a pas perdu la vie et il conclut que l’imposition de la peine de mort dans ces circonstances a constitué une violation du droit à la vie garanti par l’article 6 du Pacte.

7.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur qui indique qu’il a été transféré du quartier des condamnés à mort à celui réservé aux prisonniers exécutant une peine de longue durée, où il est resté pendant deux ans. Après que l’auteur a été renvoyé dans le quartier des condamnés à mort, le Président a proclamé une amnistie ou commutation de peine applicable aux prisonniers qui avaient passé plus de 10 ans dans le quartier des condamnés à mort. La peine infligée à l’auteur, qui était incarcéré depuis 11 ans, dont deux passés dans le quartier des prisonniers de longue durée, n’a pas été commuée. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. Le Comité considère qu’en transférant l’auteur du quartier des condamnés à mort et en lui refusant ensuite le bénéfice de l’amnistie applicable à ceux qui y ont passé 10 ans l’État partie l’a privé d’un recours utile en ce qui concerne le droit de demander la grâce ou une commutation de peine, garanti par le paragraphe 4 de l’article 6 lu conjointement avec l’article 2 du Pacte.

7.6Ayant conclu que la condamnation à la peine capitale constituait une violation du droit à la vie garanti à l’article 6 du Pacte, le Comité estime qu’il n’a pas à examiner la question de la méthode d’exécution utilisée dans l’État partie, au regard de l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14, paragraphe 5, lu conjointement avec l’article 2, de l’article 7 et de l’article 6, paragraphe 2 seul, et paragraphe 4 lu conjointement avec l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours à l’auteur, la commutation de la peine capitale à laquelle il a été condamné constituant en l’espèce une mesure préalable qui doit impérativement être prise.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

AA. Communications n os  1152/2003 et 1190/2003, Ndong et consorts et Micó Abogo c. Guinée équatoriale (Constatations adoptées le 31 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentées par:

Patricio Ndong Bee (en son nom propre et au nom de quatre autres personnes) et María Jesús Bikene Obiang(au nom de son mari, Plácido Micó Abogo) (représentéspar un conseil, Fernando-Micó Nsue Andema)

Au nom de:

Patricio Ndong Bee, Felipe Ondó Obiang Alogo, Guillermo Nguema Elá, Donato Ondó Ondó, Emilo Ndong Biyongo et Plácido Micó Abogo

État partie:

Guinée équatoriale

Date des communications:

20 août 2002 et 25 avril 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Détention, torture, procès et condamnation d’opposants au Gouvernement équato‑guinéen

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Détentions arbitraires, tortures, droit à un recours utile, droit à un procès tenu dans le respect des garanties minimales

Articles du Pacte: 2 (par. 3 a) et b)), 7, 9 (par. 1 à 5) et 14 (par. 3 a) à d))

Articles du Protocole facultatif: 1, 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen des communications nos 1152/2003 et 1190/2003 présentées au nom de MM. Patricio Ndong Bee, Felipe Ondó Obiang, Guillermo Nguema Elá, Donato Ondó Ondó et Emilio Ndong Biyongo, d’une part, et M. Plácido Micó Abogo, d’autre part, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les deux communications soumises au Comité portent sur les mêmes faits. L’auteur de la communication no 1152/2003 (première communication), datée du 20 août 2002, est Patricio Ndong Bee, de nationalité équato‑guinéenne, actuellement incarcéré au centre pénitentiaire de Black Beach à Malabo. Il affirme qu’il soumet la communication en son nom propre et au nom de quatre autres détenus de la même prison, Felipe Ondó Obiang, Guillermo Nguema Elá, Donato Ondó Ondó et Emilio Ndong Biyongo, qui sont tous placés au secret. L’auteur de la communication no 1190/2003 (deuxième communication), datée du 25 avril 2003, est María Jesús Bikene Obiang, de nationalité équato‑guinéenne. Elle présente la communication au nom de son mari, Plácido Micó Abogo, actuellement incarcéré dans le centre pénitentiaire mentionné plus haut et placé au secret.

1.2Les auteurs se disent victimes de violations par la Guinée équatoriale des articles 2, paragraphe 3 a) et b), 7, 9, paragraphes 1 à 5, et 14, paragraphe 3 a) à d), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les communications soulèvent également des questions au regard des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour la Guinée équatoriale le 25 décembre 1987. Les auteurs sont représentés par un conseil, Fernando‑Micó Nsue Andema.

1.3En application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner les deux communications conjointement.

Rappel des faits

2.1Les cinq personnes au nom desquelles la première communication est soumise étaient soupçonnées d’être liées à un parti politique d’opposition illégal, la «Force démocrate républicaine» (FDR), et ont été arrêtées à Malabo avec 150 autres personnes en mars 2002. Elles ont été incarcérées au centre pénitentiaire de Black Beach à Malabo et n’ont été informées des charges qui pesaient contre elles que le 20 mai 2002, soit deux jours avant l’ouverture du procès, «quand on leur a donné lecture de l’acte d’inculpation».

2.2Plácido Micó Abogo, au nom duquel la deuxième communication est soumise, était secrétaire général d’un parti politique légal d’opposition, «Convergence pour la démocratie sociale» (CPDS). Après plusieurs interrogatoires en avril et en mai 2002, il a été placé en résidence surveillée jusqu’à l’ouverture du procès.

2.3Entre le 23 mai et le 6 juin 2002 s’est déroulé à Malabo le procès de 144 opposants au régime, dont les personnes au nom desquelles les deux communications sont soumises. Les auteurs affirment que parmi les cinq juges du tribunal de première instance se trouvaient deux militaires de haut rang et que les accusés n’avaient pas pu préparer leur défense ni désigner leurs défenseurs, les avocats qui les ont représentés au procès ayant été désignés d’office sur ordre du Gouvernement par l’intermédiaire du Premier Ministre; les avocats commis d’office n’ont eu qu’une seule journée pour étudier le dossier d’inculpation. Les auteurs ajoutent que les intéressés ont été interrogés dans la prison de Black Beach, où le juge d’instruction militaire a pris note de leurs déclarations en présence des agents qui les avaient interrogés et les auraient torturés, que plusieurs accusés ont été condamnés sans avoir pu assister au procès et que la durée de celui-ci a été excessive.

2.4Les auteurs affirment que les personnes au nom desquelles ils adressent les communications, ainsi que tous les autres détenus, ont été soumises à des tortures et des mauvais traitements pendant la détention et pendant le procès, la plupart d’entre elles étant incapables de tenir debout ou de tenir un stylo‑bille pour écrire leur nom pendant l’audience, du fait des mauvais traitements subis. Sur le total des inculpés, 65 ont été condamnés, d’après les communications, sur la seule foi d’aveux faits sous la torture. Les auteurs des communications affirment aussi que, après leur condamnation, les détenus ont continué à être soumis à des tortures, consistant par exemple à les laisser cinq jours de suite sans manger ni boire, pratique qui a causé la mort de l’un des condamnés. Ils ajoutent que deux autres condamnés cités dans la première communication, Guillermo Nguema Elá et Donato Ondó Ondó, sont sur le point de devenir paralysés à la suite des tortures subies et du fait de l’absence de soins médicaux.

2.5L’auteur de la première communication dit qu’il a formé à la fois un recours en nullité et un pourvoi en cassation contre la condamnation. De son côté, l’auteur de la deuxième communication dit qu’elle a formé un recours en nullité. Les deux auteurs soulignent que, au moment où ils ont soumis les communications, les recours n’avaient pas encore été examinés, ce qui signifiait qu’ils n’auraient aucune chance de l’être puisque le délai de trois mois fixé à cette fin par la loi de procédure de la Guinée équatoriale était écoulé. L’auteur de la première communication joint une copie de recours en nullité qu’il a formé devant le tribunal suprême en date du 17 juin 2002, dans lequel il invoque comme motif les actes de torture et les irrégularités dont le procès a été entaché.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs invoquent une violation de l’article 7 du Pacte, étant donné que les personnes au nom desquelles ils écrivent ont été soumises sans cesse à des tortures et à des mauvais traitements pendant leur détention avant jugement, pendant le procès, ainsi que depuis leur condamnation.

3.2Les auteurs affirment que les intéressés ont été placés arbitrairement en détention à la fin du mois de février 2002, sans connaître le motif de leur arrestation jusqu’à deux jours avant le procès qui s’est ouvert plus de deux mois après le placement en détention, ce qui représenterait une violation des paragraphes 1 à 5 de l’article 9 du Pacte.

3.3Les auteurs considèrent également qu’il y a violation du paragraphe 3 a), b), c) et d) de l’article 14 du Pacte parce que le procès s’est déroulé sans que les inculpés bénéficient des garanties minimales, étant donné que les accusations portées contre eux ne leur ont été notifiées que deux jours avant l’ouverture du procès, qu’ils n’ont pas pu préparer leur défense ni désigner eux-mêmes leurs défenseurs. En outre, le tribunal était composé en partie de militaires, ils ont été contraints par la torture à signer des aveux, leur déclaration a été recueillie dans le centre de détention, et il y a eu des retards excessifs pendant la procédure.

3.4Les auteurs font valoir que l’État partie a commis une violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte en ne respectant pas l’engagement qu’il a pris de garantir le droit des détenus à un recours utile pour dénoncer les tortures, la détention illégale et les mauvais traitements dont ils ont été et continuent d’être l’objet.

3.5Les griefs exposés au paragraphe 3.3 soulèvent également des questions au regard du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

Absence de coopération de la part de l’État partie

4.Par des lettres datées du 8 janvier et du 26 juin 2003, l’État partie a été prié de faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond des communications dans un délai de six mois. Vu l’absence de réponse à l’une et l’autre lettre, des rappels ont été adressés à l’État partie en date du 20 septembre et du 18 novembre 2004. Le Comité constate que les observations demandées n’ont pas été reçues. Il regrette l’absence de coopération de l’État partie et rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les accusations portées contre eux et à communiquer par écrit au Comité toutes les informations à leur disposition. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité sur les questions soulevées dans les communications, il faut accorder le crédit voulu aux affirmations des auteurs dans la mesure où elles paraissent justifiées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité considère que les auteurs ont prouvé qu’ils avaient qualité pour agir au nom des détenus étant donné que ceux-ci se trouveraient au secret. En conséquence, le Comité estime que les auteurs ont qualité pour présenter les communications en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

5.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.4En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et considère que seules doivent être épuisées les voies de recours qui ont des chances d’aboutir. Le Comité relève que les auteurs ont formé contre la condamnation les recours ouverts par la loi, qui n’ont même pas été enregistrés dans le délai prévu par la loi de procédure. En l’absence d’information de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité estime que les auteurs ont épuisé les recours internes et qu’il n’est pas empêché, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, d’examiner la communication.

5.5En ce qui concerne le grief tiré de la longueur excessive de la procédure, le Comité note que le procès s’est ouvert le 23 mai 2002 et que la condamnation a été prononcée le 6 juin 2002. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ce grief et déclare donc cette partie des communications irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6En conséquence, le Comité déclare la communication recevable relativement aux griefs de violation des articles 7, 9, 14, paragraphe 3 a), b), d) et g), du Pacte et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Le Comité prend note des allégations des auteurs qui affirment que les détenus ont été soumis à des traitements incompatibles avec l’article 7 du Pacte. Les auteurs ont décrit plusieurs mauvais traitements subis, comme le fait de n’avoir rien à boire ni à manger pendant cinq jours de suite. En l’absence de réponse de l’État partie contestant ces allégations, le Comité estime qu’il doit leur accorder le crédit voulu et conclut qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte.

6.2Le Comité relève que les auteurs affirment que les victimes sont restées détenues pendant deux mois sans connaître le motif de leur détention et sans avoir été présentées à un juge. En l’absence de réponse de l’État partie contestant ces allégations, le Comité estime qu’il doit leur accorder le crédit voulu, et que les faits relatés constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et, concrètement, de l’interdiction de l’arrestation et de la détention arbitraires. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 9 du Pacte.

6.3Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que les détenus n’ont été informés des accusations portées contre eux que deux jours avant l’ouverture du procès, ce qui les a empêchés de disposer du temps nécessaire à la préparation de leur défense et de la possibilité de choisir leurs défenseurs, que le tribunal était composé de militaires et qu’ils ont signé des aveux sous la contrainte. En l’absence de réponse de l’État partie contestant ces allégations, le Comité considère que les faits décrits constituent une violation des paragraphes 1 et 3 a), b), d) et g) de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7, 9, 14, paragraphes 3 a), b), d) et g), et 2, paragraphe 3 a) et b), du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux victimes un recours utile consistant en leur libération immédiate et en une indemnisation adéquate, et d’offrir aussi la même solution aux autres détenus et condamnés qui se trouvent dans la même situation que les auteurs. L’État partie est tenu d’adopter des mesures pour faire en sorte que les violations ne continuent pas et que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je ne suis pas opposé à l’adoption par le Comité des constatations formulées dans le cas considéré. Cela étant, je tiens à exprimer à ce sujet les préoccupations suivantes:

Les deux communications examinées ont été présentées par deux auteurs différents. L’auteur de la deuxième communication agit au nom de son mari qui est actuellement détenu au secret à la prison de Black Beach à Malabo. Comme il l’a déjà fait dans d’autres cas, le Comité a accepté que quelqu’un agisse au nom d’un proche et cela ne me pose aucun problème. En revanche, l’auteur de la première communication agit non seulement en son nom propre mais aussi au nom de quatre autres détenus incarcérés dans le même établissement pénitentiaire.

Ces cinq personnes affirment que les droits qui leur sont reconnus en vertu de l’article 7 du Pacte ont été violés et le Comité l’admet lorsqu’il évoque «plusieurs mauvais traitements subis, comme le fait de n’avoir rien à boire ni à manger pendant cinq jours de suite» (par. 6.1). À mon avis, la nature et la gravité de ces mauvais traitements ne sont peut-être pas les mêmes dans tous les cas et il faudrait décrire les mauvais traitements infligés à chacune des victimes présumées pour déterminer s’il y a eu violation de leurs droits en vertu de l’article 7.

À cet égard, le Comité considère que les deux auteurs «ont prouvé qu’ils avaient qualité pour agir au nom des (autres) détenus étant donné que ceux-ci se trouveraient au secret» et que tous «les auteurs ont qualité pour présenter les communications en vertu … du Protocole facultatif» (par. 5.2). Je ne pourrais approuver les constatations que s’il est précisé que l’auteur de la première communication et les quatre autres détenus se sont communiqué les informations sur les mauvais traitements concrets infligés à chacun d’eux.

(Signé) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

BB. Communication n o 1153/2003, K. N. L. H. c. Pérou (Constatations adoptées le 24 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

K. N. L. H. (représentée par les organisations DEMUS, CLADEM et Center for Reproductive Law and Policy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pérou

Date de la communication:

13 novembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Refus de prestations médicales à l’auteur dans le cas d’un avortement thérapeutique non punissable et explicitement prévu par la loi

Questions de procédure: Justification suffisante des griefs − absence de recour interne utile

Questions de fond: Droit à un recours utile; droit à l’égalité de traitement entre hommes et femmes; droit à la vie; droit de n’être pas soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée; droit aux mesures de protection qu’exige la condition de mineur et droit à l’égalité devant la loi

Articles du Pacte: 2, 3, 6, 7, 17, 24 et 26

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1153/2003 présentée au nom de K. N. L. H. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est K. N. L. H., née en 1984. Elle se déclare victime de violations par le Pérou des articles 2, 3, 6, 7, 17, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par les organisations DEMUS, CLADEM et Center for Reproductive Law and Policy. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Pérou le 3 octobre 1980.

Rappel des faits

2.1L’auteur est tombée enceinte en mars 2001, alors qu’elle était âgée de 17 ans. Le 27 juin 2001, on lui a pratiqué une échographie à l’hôpital public Arzobispo Loayza de Lima, qui dépend du Ministère de la santé. L’examen a montré que le fœtus était anencéphale.

2.2Le 3 juillet 2001, le docteur Ygor Pérez Solf, gynécologue-obstétricien à l’hôpital public Arzobispo Loayza de Lima, a informé l’auteur de l’anomalie du fœtus, en lui précisant qu’elle risquait de mettre sa propre vie en danger si elle poursuivait la grossesse. Le docteur Pérez a indiqué à l’auteur qu’elle pouvait soit poursuivre sa grossesse soit l’interrompre; il lui a recommandé la deuxième solution, en préconisant un curetage utérin. L’auteur a décidé d’interrompre sa grossesse et a donc subi tous les examens nécessaires, lesquels ont confirmé l’anomalie du fœtus.

2.3Le 19 juillet 2001, lorsque l’auteur s’est rendue à l’hôpital accompagnée de sa mère pour subir l’intervention prévue, le docteur Pérez lui a annoncé qu’une autorisation écrite du Directeur de l’établissement était nécessaire. L’auteur étant mineure, c’est sa mère, E. H. L., qui a fait la demande. Le 24 juillet 2001, le docteur Maximiliano Cárdenas Díaz, Directeur de l’hôpital, a répondu par écrit qu’il ne pouvait pas autoriser l’interruption de grossesse car celle-ci serait contraire à la loi, l’avortement étant puni, selon l’article 120 du Code pénal, «d’une peine privative de liberté de trois mois au maximum lorsqu’il est probable que l’être en formation naîtra avec des tares physiques ou psychiques graves», et l’avortement thérapeutique étant seulement autorisé, conformément à l’article 119 du même Code pénal, lorsque «l’interruption de la grossesse est le seul moyen de sauver la vie de la mère ou d’éviter un dommage grave et permanent à sa santé».

2.4Le 16 août 2001, une assistante sociale, membre de l’Association professionnelle des assistants sociaux du Pérou, Mme Amanda Gayoso, a examiné le dossier et a conclu qu’il était souhaitable de procéder à une intervention médicale pour interrompre la grossesse «car la mener à terme ne ferait que prolonger l’angoisse et l’instabilité émotionnelle de K. N. L. H. et de sa famille». L’intervention n’a toutefois pas été pratiquée en raison du refus des médecins du Ministère de la santé.

2.5Le 20 août 2001, le docteur Marta B. Rendón, psychiatre inscrite à l’ordre des médecins du Pérou, a établi un rapport sur l’état médico-psychologique de l’auteur, dans lequel elle conclut que «le prétendu principe du bénéfice pour le fœtus s’est traduit par un préjudice grave pour la mère, contrainte, sans nécessité, à mener à terme une grossesse dont l’issue fatale était connue d’avance, ce qui a considérablement contribué à provoquer un état de dépression, maladie qui peut avoir des conséquences graves pour le développement d’une adolescente et sa santé mentale future».

2.6Le 13 janvier 2002, l’auteur a accouché d’une petite fille anencéphale, trois semaines après la date normalement prévue pour l’accouchement; l’enfant a vécu quatre jours, au cours desquels sa mère a dû l’allaiter. Après la mort de sa fille, l’auteur a sombré dans une profonde dépression. Son état a été diagnostiqué par la psychiatre, le docteur Marta B. Rendón. L’auteur affirme également avoir souffert d’une inflammation de la vulve qui a nécessité un traitement médical.

2.7L’auteur soumet au Comité la déclaration de deux médecins de l’association Center for Reproductive Rights, les docteurs Annibal Faúdes et Luis Tavara, qui ont étudié le dossier de l’auteur le 17 janvier 2003. Ces spécialistes soulignent que l’anencéphalie est toujours fatale pour le fœtus, qui meurt immédiatement après la naissance dans la plupart des cas, et qu’elle met en outre la vie de la mère en danger. Selon eux, en refusant d’interrompre la grossesse, le personnel médical a pris une décision préjudiciable pour l’auteur.

2.8Concernant l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que cette condition n’est pas requise lorsque les recours judiciaires disponibles au niveau national sont inutiles en l’espèce, et elle rappelle que le Comité a confirmé à maintes reprises qu’un plaignant n’était pas tenu d’épuiser un recours qui ne serait pas utile. L’auteur ajoute qu’il n’existe au Pérou aucun recours administratif permettant d’interrompre une grossesse pour raisons thérapeutiques, ni aucun recours judiciaire suffisamment rapide et efficace pour qu’une femme puisse exiger des autorités qu’elles lui garantissent l’exercice du droit à un avortement légal dans le délai autorisé, au titre des circonstances particulières justifiant cette mesure. L’auteur indique également qu’elle n’a pas pu se faire assister d’un avocat en raison des moyens limités de sa famille et d’elle‑même.

2.9L’auteur affirme que la plainte n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte, du fait que l’État partie n’a pas rempli son obligation de garantir l’exercice d’un droit. L’État aurait dû prendre des mesures au vu du refus systématique des médecins d’appliquer la disposition législative qui autorise l’avortement thérapeutique, ainsi qu’au vu de l’interprétation restrictive qu’ils en donnaient. Cette interprétation a été manifestement restrictive dans le cas de l’auteur, puisqu’elle a conduit à considérer qu’une grossesse d’un fœtus anencéphale ne présentait aucun danger pour la vie et la santé de la mère. L’État aurait dû prendre des mesures pour rendre la règle d’exception qui dépénalise l’avortement applicable dans les cas où l’intégrité physique et psychologique de la mère est en danger, de façon que cette dernière puisse bénéficier d’un avortement sans risques.

3.2L’auteur affirme qu’elle a fait l’objet de discrimination, en violation de l’article 3 du Pacte, aux motifs suivants:

a)Discrimination dans l’accès aux services de santé, du fait qu’il n’a pas été tenu compte des besoins propres à son sexe. L’auteur affirme que l’absence de mesures officielles permettant d’éviter une violation du droit à un avortement légal pour raisons thérapeutiques, qui n’est exercé que par les femmes, conjuguée à l’arbitraire du personnel médical, a donné lieu à une pratique discriminatoire portant atteinte à ses droits, violation d’autant plus grave qu’il s’agissait d’une mineure;

b)Discrimination dans l’exercice de ses droits, du fait que l’auteur n’a pu bénéficier d’un avortement thérapeutique alors qu’elle y avait droit, en raison des attitudes et préjugés sociaux, ce qui a compromis l’exercice, sur un pied d’égalité avec les hommes, de ses droits à la vie, à la santé et au respect de sa vie privée ainsi que du droit de ne pas être soumise à des traitements cruels, inhumains et dégradants;

c)Discrimination dans l’accès à la justice, du fait que les fonctionnaires de la santé publique et du secteur judiciaire ont des préjugés à l’égard des femmes et qu’il n’existe aucun recours judiciaire utile pour faire respecter le droit de bénéficier d’un avortement légal lorsqu’il s’agit d’un cas prévu par la loi, dans le délai requis et dans des conditions appropriées.

3.3L’auteur invoque une violation de l’article 6 du Pacte, indiquant que ce qu’elle a été obligée de vivre a entraîné de graves séquelles psychologiques dont elle ne s’est pas encore remise. Elle rappelle que le Comité a confirmé que le droit à la vie ne devait pas être compris dans un sens restrictif et que les États devaient au contraire le protéger par des mesures concrètes, y compris par des mesures visant à éviter que les femmes, en particulier celles sans ressources, n’aient recours à des avortements clandestins, dangereux pour leur vie et leur santé. L’auteur ajoute que le Comité a estimé que l’impossibilité pour une femme d’avoir accès à des services de santé génésique, tels que l’avortement, constituait une violation du droit de la femme à la vie, position qui a été confirmée par d’autres organes conventionnels comme le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. D’après l’auteur, en l’espèce la violation du droit à la vie réside dans le fait que l’État péruvien n’a pas pris de mesures pour lui permettre d’interrompre sa grossesse en toute sécurité alors qu’elle portait un fœtus non viable. L’auteur affirme qu’en refusant de pratiquer un avortement légal, le personnel médical ne lui a laissé que deux possibilités pareillement dangereuses pour sa vie et son intégrité: recourir à l’avortement clandestin, solution extrêmement risquée, ou poursuivre une grossesse dangereuse et traumatisante, qui a mis sa vie en danger.

3.4L’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte, considérant que l’obligation qui lui a été faite de poursuivre sa grossesse contre son gré constitue un traitement cruel et inhumain, en ce qu’elle a dû endurer la douleur de voir sa fille atteinte de malformations manifestes et de savoir que ses heures étaient comptées. L’auteur affirme que ce fut là une expérience épouvantable qui n’a fait qu’aggraver la douleur et l’angoisse déjà accumulées pendant la période où elle a été contrainte de mener sa grossesse à terme. Elle ajoute qu’on lui a ainsi imposé l’«enterrement prolongé» de sa fille et qu’après la mort de cette dernière, elle a sombré dans une profonde dépression.

3.5L’auteur rappelle que le Comité a relevé que le droit protégé à l’article 7 du Pacte ne visait pas seulement les souffrances physiques mais également les souffrances mentales, et que cette protection était particulièrement importante dans le cas des mineurs. Elle rappelle aussi que lorsqu’il a examiné le rapport du Pérou, en 1996, le Comité a estimé que les règles restreignant la pratique de l’avortement avaient pour effet de soumettre les femmes à un traitement inhumain, en violation de l’article 7 du Pacte; en 2000, le Comité a signalé une fois encore à l’État partie que la répression pénale de l’avortement était incompatible avec les articles 3, 6 et 7 du Pacte.

3.6L’auteur invoque une violation de l’article 17, faisant valoir que le droit visé dans cet article protège les femmes de toute immixtion dans les décisions concernant leur propre corps et leur vie, et leur permet d’exercer leur droit de prendre des décisions en toute autonomie lorsqu’il s’agit de leur procréation. L’auteur soutient qu’en l’espèce l’État partie s’est immiscé de manière arbitraire dans sa vie privée, en prenant à sa place une décision relative à sa vie et à sa santé génésique qui a eu pour effet de la contraindre à mener sa grossesse à terme, ce qui constitue une violation de son droit à l’intimité. Elle ajoute que la prestation médicale dont elle avait besoin existait et que sans l’immixtion des agents de l’État dans sa décision, laquelle était légale, elle aurait pu interrompre sa grossesse. L’auteur rappelle que les fillettes et les adolescentes doivent bénéficier d’une protection spéciale en raison de leur condition de mineures, conformément à l’article 24 du Pacte et aux dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant.

3.7L’auteur invoque une violation de l’article 24, pour n’avoir pas reçu de la part des services de santé l’attention particulière qu’exigeait sa condition de jeune adolescente. Les autorités qui ont refusé de pratiquer l’avortement ne se sont pas souciées de son bien-être ni de sa santé. L’auteur rappelle que, dans son Observation générale no 17 sur l’article 24, le Comité a indiqué que les États devaient également prendre des mesures d’ordre économique, social et culturel pour garantir le droit des mineurs à une protection spéciale. Par exemple, ils devraient prendre toutes les mesures possibles dans les domaines économique et social pour réduire la mortalité infantile et éviter que les enfants ne soient victimes de violations telles que, entre autres, des actes de violence ou des traitements cruels et inhumains.

3.8L’auteur invoque une violation de l’article 26, parce que les autorités péruviennes, en considérant que son cas ne relevait pas de la disposition du Code pénal qui dépénalise l’avortement thérapeutique, l’ont placée dans une situation de vulnérabilité incompatible avec la garantie de protection de la loi prévue à l’article 26. Garantir à tous la protection égale de la loi exige d’accorder une protection spéciale à certaines catégories de personnes qui ont besoin, de par leur situation, d’un traitement particulier. En l’espèce, les autorités médicales, en donnant des dispositions pénales une interprétation extrêmement restrictive, ont placé l’auteur dans une situation vulnérable, négligeant de lui assurer la protection spéciale dont elle avait besoin.

3.9L’auteur avance que la direction de l’hôpital, en interprétant de manière restrictive l’article 119 du Code pénal, l’a laissée sans défense. Elle ajoute que rien dans la lettre de la loi n’indique que la règle d’exception légale concernant l’avortement thérapeutique s’applique uniquement en cas de danger pour la santé physique. Or, les responsables de l’hôpital ont établi une distinction en divisant la notion de santé, au mépris de la règle juridique qui veut que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Relevant que la santé est «un état de complet bien‑être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité», l’auteur affirme que le terme «santé» dans le Code pénal péruvien s’entend donc dans un sens large et entier, et que la protection prévue s’applique tant à la santé physique qu’à la santé mentale de la mère.

Absence de coopération de l’État partie au titre de l’article 4 du Protocole facultatif

4.Le 23 juillet 2003, le 15 mars et le 25 octobre 2004, des rappels ont été envoyés à l’État partie pour l’inviter à apporter au Comité des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note que ces informations ne lui sont pas encore parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou le fond des affirmations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité relève que, selon l’auteur, la même affaire n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête. Il prend note de l’argument de l’auteur qui affirme qu’il n’existe au Pérou aucun recours administratif permettant d’interrompre une grossesse pour raisons thérapeutiques, ni aucun recours judiciaire suffisamment rapide et efficace pour qu’une femme puisse exiger des autorités qu’elles lui garantissent l’exercice de son droit à un avortement légal dans le délai autorisé, au titre des circonstances particulières justifiant cette mesure. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle qu’un recours qui n’a aucune chance d’aboutir ne peut pas être considéré comme utile et n’a pas à être épuisé aux fins du Protocole facultatif. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur. Il considère par conséquent que les conditions énoncées aux alinéas a et b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

5.3En ce qui concerne les griefs de violation des articles 3 et 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses affirmations, en ce qu’elle ne lui a soumis aucun élément d’appréciation relatif aux faits permettant d’établir qu’elle a fait l’objet de l’une des formes de discrimination visées à l’article invoqué. Le Comité considère par conséquent que la partie de la communication relative aux articles 3 et 26 du Pacte est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité note que l’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence constante et affirme que l’article 2 énonce des obligations générales à l’intention des États parties et ne peut pas, en raison de son caractère accessoire, être invoqué isolément dans une communication soumise par un particulier en vertu du Protocole facultatif. Par conséquent, le grief de violation de l’article 2 sera analysé conjointement avec les autres affirmations de l’auteur.

5.5En ce qui concerne les affirmations relatives aux articles 6, 7, 17 et 24 du Pacte, le Comité estime qu’elles sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et qu’elles semblent soulever des questions au regard de ces dispositions. Il y a donc lieu d’examiner sur le fond cette partie de la communication.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

6.2Le Comité note que l’auteur a fourni une déclaration de médecins attestant que sa vie a été mise en danger par sa grossesse. En outre, l’auteur a gardé des séquelles psychologiques importantes qui sont d’autant plus graves qu’elle est mineure, ainsi qu’il ressort du rapport établi par un psychiatre daté du 20 août 2001. Le Comité relève que l’État partie n’a produit aucun élément contestant ce qui précède. Il note en outre que les autorités médicales savaient que la vie de l’auteur était en danger, puisqu’un gynécologue-obstétricien de l’hôpital avait recommandé l’interruption de grossesse, laquelle devait être pratiquée dans ce même hôpital. Par leur refus postérieur d’assurer l’intervention requise, ces autorités auraient pu mettre en danger la vie de l’auteur. Celle-ci affirme qu’aucun recours utile ne lui permettait de s’opposer à cette décision. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte.

6.3L’auteur avance qu’en raison du refus des autorités médicales de pratiquer l’avortement thérapeutique, elle a dû endurer la douleur de voir sa fille atteinte de malformations manifestes et de savoir que l’enfant mourrait très rapidement. Cette expérience n’a fait qu’aggraver la douleur et l’angoisse déjà accumulées pendant la période où elle a été contrainte de mener sa grossesse à terme. L’auteur a produit un certificat établi le 20 août 2001 par un psychiatre, lequel atteste qu’elle a sombré dans une profonde dépression, état qui a eu de graves conséquences compte tenu de son âge. Le Comité note que cette situation était prévisible, puisqu’un médecin de l’hôpital avait diagnostiqué l’anencéphalie du fœtus, mais que le Directeur de l’hôpital public a néanmoins refusé d’autoriser l’interruption de grossesse. Le Comité est d’avis que l’omission de l’État, qui n’a pas permis à l’auteur de bénéficier d’un avortement thérapeutique, est la cause des souffrances endurées par cette dernière. Dans son Observation générale no 20, le Comité a indiqué que le droit protégé à l’article 7 du Pacte ne vise pas seulement les souffrances physiques mais également les souffrances mentales, et que cette protection est particulièrement importante dans le cas des mineurs. En l’absence d’informations de la part de l’État partie à ce propos, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la violation présumée de l’article 6 en l’espèce.

6.4L’auteur fait valoir qu’en lui refusant la possibilité de bénéficier d’une intervention médicale visant à interrompre sa grossesse, l’État partie s’est immiscé de manière arbitraire dans sa vie privée. Le Comité relève qu’un médecin du secteur public a informé l’auteur qu’elle avait le choix entre poursuivre sa grossesse ou l’interrompre. L’auteur a décidé d’avorter, conformément à la législation interne qui autorise l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, dans la mesure où, au moment des faits, les conditions pour un avortement légal, tel que prévu par la loi, étaient réunies. Dans les circonstances du cas, le refus d’agir conformément à la décision de l’auteur de mettre fin à sa grossesse n’a pas été justifié et fait apparaître une violation de l’article 17 du Pacte.

6.5L’auteur invoque une violation de l’article 24 du Pacte, pour n’avoir pas reçu de l’État partie l’attention particulière qu’exigeait sa condition de mineure. Le Comité note la vulnérabilité spécifique de l’auteur en tant que mineure. Il révèle en outre qu’en l’absence d’informations de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, dans la mesure où, pendant et après sa grossesse, elle n’a pas reçu l’appui médical et psychologique nécessaire pour les circonstances spécifiques de son cas. Le Comité estime par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 24 du Pacte.

6.6L’auteur invoque une violation de l’article 2 du Pacte étant donné qu’aucun recours utile ne lui a été ouvert. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, le Comité estime qu’il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, à savoir qu’elle n’a bénéficié d’aucun recours utile et conclut, par conséquent, que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation de l’article 2, en rapport avec tous ceux invoqués aux paragraphes précédents. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 2, 7, 17 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

7.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur une réparation, sous forme d’indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

8.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Solari-Yrigoyen

Je n’approuve pas l’opinion de la majorité des membres du Comité qui n’a pas conclu à une violation de l’article 6 du Pacte dans la communication. Mon opinion dissidente se fonde sur les éléments suivants:

Examen au fond

Le Comité note que l’auteur, alors mineure, et sa mère ont été informées par le gynécologue-obstétricien de l’hôpital public de Lima, qu’elles avaient consulté pour la grossesse de la jeune fille, que le fœtus était anencéphale et qu’il mourrait fatalement à la naissance. Il lui a indiqué qu’elle avait deux options: 1) mener sa grossesse à terme, ce qui mettrait en danger sa propre vie; ou 2) interrompre la grossesse en subissant un avortement thérapeutique, et il lui a recommandé la deuxième solution. Ayant entendu le conseil du spécialiste qui l’avait mise au courant du risque vital qu’elle courait en menant la grossesse à son terme, l’auteur a décidé de suivre ce conseil et accepté la deuxième solution; elle a donc subi tous les examens cliniques nécessaires qui ont confirmé l’avis du médecin concernant le risque vital pour la mère et la mort certaine du fœtus.

Les certificats médicaux et psychologiques que l’auteur a joints à sa communication apportent la preuve de toutes ses affirmations concernant le risque vital qu’elle encourait en poursuivant sa grossesse. Malgré ce risque, le Directeur de l’hôpital public n’a pas autorisé l’avortement thérapeutique qui est pourtant prévu par la loi de l’État partie, considérant qu’il ne s’agirait pas d’un avortement thérapeutique mais d’un avortement volontaire et injustifié réprimé par le Code pénal. Il n’a produit aucune décision légale qui puisse étayer sa position, laquelle n’entrait pas dans le cadre de son domaine de compétences professionnel, ou qui puisse infirmer les avis médicaux mettant en garde contre les risques graves pour la vie de la mère. Le Comité relève de plus que l’État partie n’a apporté aucun élément de preuve pour contrer les affirmations de l’auteur et les preuves qu’elle avait elle-même produites. Le refus de pratiquer l’avortement a non seulement mis en danger la vie de l’auteur mais a eu pour elle des conséquences graves, ce qui a également été démontré au Comité par des certificats valables.

Il n’y a pas que les actes qui ôtent la vie à autrui qui constituent une violation de l’article 6 du Pacte; la violation se produit aussi quand la vie est mise gravement en danger, comme cela a été le cas dans la présente affaire. En conséquence, je considère que les faits dont le Comité était saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte.

(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

CC. Communication n o  1156/2003, Pérez Escolar c . Espagne (Constatations adoptées le 28 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Rafael Pérez Escolar (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

13 décembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Étendue de la révision dans un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême espagnol, aggravation de la condamnation par le tribunal de deuxième instance

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à ce que la déclaration de culpabilité et la condamnation soient soumises à une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1156/2003 présentée au nom de M. Rafael Pérez Escolar en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, en date du 13 décembre 2002, est Rafael Pérez Escolar, de nationalité espagnole, né en 1927, qui se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par des conseils, MM. Iván Hernández Urraburu et José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1L’auteur était actionnaire et membre du Conseil d’administration de la banque Banco Español de Crédito (BANESTO). Le 28 décembre 1993, il a été destitué de ses fonctions conjointement avec les autres membres du Conseil d’administration.

2.2Le 14 novembre 1994, la Fiscalía (ministère public) de l’Audiencia Nacional a engagé une action pénale contre 10 personnes, dont l’auteur, pour faux en écritures de commerce et détournement de fonds. Le procès oral a duré deux années, au cours desquelles 470 personnes ont comparu en qualité de témoins ou d’experts. Le dossier contenait 53 volumes d’actes d’instruction préliminaire et 121 volumes de pièces autres. L’auteur était accusé d’avoir participé à 3 des 11 opérations présumées irrégulières qui avaient été approuvées par la direction de BANESTO. Dans une décision datée du 31 mars 2000, l’Audiencia Nacional a condamné l’auteur à une peine de cinq ans et huit mois d’emprisonnement assortie d’une amende de 18 millions de pesetas pour escroquerie, et à quatre mois d’emprisonnement pour détournement de fonds. Il a été acquitté du chef de faux en écritures. En ce qui concerne le premier chef d’accusation, l’auteur dit qu’on l’a accusé d’avoir obtenu gratuitement des prises de participation dans des entreprises. L’Audiencia Nacional n’aurait pas accordé de valeur probante à la déclaration de sept experts à décharge ni aux documents présentés par l’auteur, éléments de preuve qui, selon lui, ne peuvent pas être réexaminés en deuxième instance. Pour ce qui est du deuxième chef d’accusation, l’auteur affirme que la condamnation a été fondée sur des témoignages contradictoires et, en particulier, sur les déclarations de trois témoins à charge dont la crédibilité n’a pas pu être réexaminée en deuxième instance.

2.3L’auteur s’est pourvu en cassation devant la Chambre pénale du Tribunal suprême, en demandant, sur la base de 16 motifs, le réexamen de plusieurs éléments de fait qui avaient fondé la décision le concernant. Le réexamen de faits prouvés étant impossible en cassation, l’auteur a invoqué le droit à la présomption d’innocence pour tenter d’obtenir le réexamen des preuves à charge sur lesquelles s’appuyait la condamnation, mais sans succès. Pendant la procédure de cassation, les constatations du Comité relatives à l’affaire Gómez Vázquez ont été rendues publiques, ce qui a amené l’auteur à demander à trois reprises au Tribunal suprême d’appliquer le critère du Comité relatif au principe de la double juridiction énoncé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; ces demandes ont cependant été rejetées.

2.4Le syndicat UGT (Unión General de Trabajadores), qui s’était constitué partie civile en cassation, a affirmé devant le Tribunal suprême, à propos du chef de détournement de fonds dont l’auteur avait été reconnu coupable en tant que complice, que les actes incriminés devaient être considérés comme ceux d’un auteur et non d’un simple complice. L’auteur a démenti ces allégations dans un mémoire au Tribunal suprême daté du 4 décembre 2000, dont une copie a été adressée au Comité. Dans une décision en date du 29 juillet 2002, le Tribunal suprême a statué sur le recours en cassation et aggravé la peine prononcée pour détournement de fonds, la portant de quatre mois à quatre ans d’emprisonnement, au motif que l’auteur avait eu une part plus grande au délit, en tant qu’auteur et non simplement en tant que complice. Selon l’auteur, le Tribunal suprême n’a pas examiné les questions de fait en raison du caractère limité du recours en cassation, ce qui l’a privé du droit à une révision complète.

2.5Le jour même de la notification de cette décision, c’est-à-dire le 29 juillet 2002, l’auteur a été écroué et il est resté en détention jusqu’en septembre de la même année, date à laquelle il a bénéficié d’une libération conditionnelle en raison de son âge et de son mauvais état de santé.

2.6L’auteur considère que la décision du Tribunal suprême marque l’épuisement des recours internes. Il reconnaît qu’il n’a pas formé de recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. À son avis, ce recours était inutile étant donné la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel pour lequel le recours en cassation satisfait au droit de révision visé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, car il estime n’avoir pas obtenu la révision complète des condamnations prononcées à son encontre par l’Audiencia Nacional. Il fait valoir que, bien qu’il ait tenté d’obtenir un réexamen des faits pour lesquels il a été condamné en alléguant une violation du droit à la présomption d’innocence, le Tribunal suprême, en raison du caractère limité du recours en cassation, ne s’est attaché qu’aux points de droit et en a exclu les faits ainsi que tout nouvel examen des éléments de preuve non pris en considération par l’Audiencia Nacional. L’auteur affirme que l’argument selon lequel le Tribunal suprême ne peut pas réexaminer les éléments de preuve parce qu’il n’a pas assisté au procès n’est pas applicable à son cas, étant donné que le procès a été intégralement enregistré par vidéo.

3.2D’après l’auteur, le Tribunal suprême a établi une jurisprudence selon laquelle l’examen des éléments de preuve produits au procès ne fait pas partie de la procédure de cassation, sauf dans les cas exceptionnels d’arbitraire extrême ou d’irrationalité manifeste. En outre, l’auteur fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel postérieure aux constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez que ce tribunal a considéré que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne prévoyait pas, à proprement parler, un double degré de juridiction, mais simplement l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure, et que le recours en cassation, malgré sa portée limitée, satisfaisait aux prescriptions du Pacte en matière de révision et de garanties.

3.3À l’appui de sa plainte, l’auteur cite les observations finales du Comité sur le quatrième rapport périodique de l’Espagne, dans lesquelles il est recommandé à l’État partie d’instituer un droit d’appel des décisions de l’Audiencia Nacional pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il cite également les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez, dans lesquelles le Comité a estimé que l’impossibilité d’obtenir une révision complète de la déclaration de culpabilité et de la condamnation, du fait que le réexamen portait uniquement sur les aspects formels ou juridiques de la décision, allait à l’encontre des garanties exigées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur invoque une deuxième violation du paragraphe 5 de l’article 14, du fait qu’il n’a aucune possibilité d’obtenir la révision de l’aggravation de la peine prononcée par le Tribunal suprême. L’auteur fait valoir que l’Espagne, à la différence d’autres États parties, n’a pas émis de réserves au paragraphe 5 de l’article 14 tendant à ce que ses dispositions ne soient pas applicables à une condamnation prononcée en premier ressort par une juridiction de deuxième degré. Il ajoute que le Tribunal constitutionnel a jugé à plusieurs reprises qu’il n’existait aucun droit de recours si la condamnation était prononcée en cassation, ce qui rendait inutile tout recours en amparo.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Dans sa note du 17 avril 2003, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’État partie estime que l’auteur de la communication aurait dû former un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel contre la décision du Tribunal suprême portant rejet du pourvoi en cassation, et qu’il n’y a pas lieu de considérer le recours en amparo comme inefficace dans le cas précis de l’auteur.

4.2Selon l’État partie, le Tribunal constitutionnel aurait dû avoir la possibilité de se prononcer, par la voie de l’amparo, sur l’étendue du réexamen effectué en cassation. En renonçant à former un recours en amparo, l’auteur a privé le Tribunal constitutionnel de cette possibilité. L’État partie affirme qu’il convient de considérer l’épuisement des recours relativement au cas d’espèce. En ce qui concerne l’auteur, il fait valoir que la révision de la décision rendue en cassation ne s’est pas limitée aux points de forme ou de droit et qu’elle a consisté au contraire en un vaste réexamen des faits et des éléments de preuve sur lesquels était fondée la condamnation, ainsi que le précise la décision du Tribunal suprême dans cette affaire. S’agissant de l’étendue de la révision par voie de cassation, l’État partie dit qu’il ressort de la jurisprudence que le champ d’application de la révision a été élargi, en particulier en ce qui concerne l’erreur de fait et l’appréciation des éléments de preuve. Pour l’État partie, cela ressort également de la décision rendue en cassation. En conséquence, l’auteur aurait dû former un recours en amparo de manière que le Tribunal constitutionnel puisse évaluer l’étendue de la révision dans son cas.

4.3L’État partie se réfère à la décision rendue en l’espèce par le Tribunal suprême, qui a relevé ce qui suit: «Comme on peut le constater à la lecture de la présente décision, les nombreuses parties ont eu la possibilité d’invoquer plus de 170 motifs de cassation, parmi lesquels figurent fréquemment l’erreur de fait dans l’appréciation des éléments de preuve et la nécessité qui en découle de réexaminer les faits prouvés. Le principe de la présomption d’innocence est également invoqué pour contester l’appréciation des éléments de preuve, du point de vue rationnel et du point de vue de l’argumentation logique. Il s’ensuit que nous nous trouvons en présence d’un recours qui dépasse les limites rigides et formalistes de la cassation classique et qui satisfait au principe du double degré de juridiction.».

4.4En ce qui concerne l’aggravation de la peine, l’État partie fait valoir que celle‑ci a été prononcée dans le respect total du principe accusatoire et que l’auteur a eu connaissance des demandes des parties adverses, le fait qu’il ait été condamné pour la première fois n’étant pas vrai. Pour l’État partie, le fait que plusieurs États parties aient formulé des déclarations relatives au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui excluent son application au cas d’aggravation de la peine ne signifie pas que la disposition en question fasse obstacle à une telle aggravation.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans sa note datée du 25 juillet 2003, l’auteur insiste sur l’inutilité d’un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Il explique qu’en ce qui concerne le recours en cassation, la jurisprudence du Tribunal suprême et celle du Tribunal constitutionnel sont restées les mêmes avant et après les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez et continuent d’être que cette procédure n’a pas pour objet de réexaminer les aspects factuels d’une affaire. L’auteur affirme que le prétendu élargissement observé dans la jurisprudence est en réalité un principe qui a toujours existé, c’est‑à‑dire que le Tribunal suprême peut examiner les faits dans un recours en cassation en cas d’arbitraire extrême ou d’irrationalité manifeste.

5.2L’auteur souligne qu’il n’est pas vrai que, dans le cadre du recours en cassation, le Tribunal suprême ait procédé à un vaste réexamen des erreurs de fait qui ont donné lieu à la condamnation. Il rappelle que, dans sa décision, l’Audiencia Nacional n’a pas pris en considération des éléments de preuve à décharge, et que cet aspect n’a pas fait l’objet d’une révision en cassation. Il affirme que sa communication est identique à celle qui a été examinée par le Comité dans l’affaire Gómez Vázquez et qu’elle doit être traitée de la même manière. L’auteur fait également valoir que, tout en affirmant qu’un recours en amparo lui est ouvert devant le Tribunal constitutionnel, l’État partie admet que ce recours n’aboutirait pas s’il était formé par l’auteur, ce qui peut être considéré comme la preuve de son inutilité.

Décision du Comité concernant la recevabilité de la communication

6.À sa quatre‑vingtième session, le 8 mars 2004, le Comité a estimé que les recours internes avaient été épuisés, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle soulevait des questions au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

a) Modification législative qui généralise le recours en cassation en Espagne

7.1L’État partie indique que la loi organique 19/2003 du 23 décembre 2003 a généralisé le deuxième degré de juridiction en Espagne, donnant aux chambres pénales des tribunaux supérieurs de justice compétence pour connaître des recours formés contre les décisions des Audiencias Provinciales, et prévoyant la création de la Chambre d’appel à l’Audiencia Nacional. Selon l’exposé des motifs de la loi, outre l’allégement de la charge de travail de la deuxième chambre du Tribunal suprême, la loi vise à résoudre la controverse née de la décision adoptée le 20 juillet 2000 par le Comité des droits de l’homme, dans laquelle celui‑ci affirmait que le système actuel de cassation en Espagne était contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’État partie ajoute que l’extraordinaire élargissement du champ d’application de la cassation avait rendu nécessaire une réforme législative visant à alléger le travail du Tribunal suprême pour lui permettre de se concentrer sur l’application uniforme des lois. L’État partie souligne que la réforme législative a été faite non pas parce que l’étendue de la cassation ne suffisait pas à répondre aux prescriptions du Pacte mais, au contraire, parce que l’ampleur extraordinaire conférée au recours en cassation exigeait de faire face à la surcharge de travail du Tribunal suprême.

b) Extraordinaire élargissement de la révision en cassation à l’heure actuelle

7.2L’État partie affirme que la portée du recours en cassation a connu un élargissement extraordinaire. Il cite la décision du Tribunal suprême en date du 16 février 2004 selon laquelle le recours en cassation, dans sa conception initiale comme dans son évolution jusqu’à l’entrée en vigueur de la Constitution de l’Espagne, se fondait sur un formalisme rigide qui rejetait toute possibilité de révision des éléments de preuve, à moins que celle‑ci ne soit justifiée, à titre exceptionnel, par la teneur d’un document prouvant de façon formelle que le tribunal de première instance a commis une erreur. L’État partie affirme que cette situation a cependant changé à partir de l’adoption de la Constitution de l’Espagne et de la modification de l’article 5, paragraphe 4, de la loi organique relative au pouvoir judiciaire, qui ont suscité d’importantes attentes en matière de révision des éléments de preuve. La possibilité d’invoquer une violation des droits fondamentaux de toute personne accusée d’un fait délictueux et, principalement, la prééminence du droit à la protection de la loi, la présomption d’innocence, la nécessité de motiver suffisamment les décisions ainsi que les critères et le raisonnement logique qui ont conduit le tribunal à rendre une décision donnée, sont autant d’éléments qui permettent d’affirmer que le recours peut être utile.

7.3L’État partie ajoute que, dans l’ordre juridique espagnol comme dans celui des pays voisins, l’appel ne comprend pas la réadministration de la preuve. Dans le cas de l’auteur, le Tribunal suprême a souligné qu’il n’existait aucune procédure d’appel permettant de répéter intégralement le procès tenu en première instance. L’article 795 de la loi de procédure criminelle espagnole qui régit les recours formés contre des décisions rendues au pénal par les Audiencias Provinciales ou l’Audiencia Nacional, limite la possibilité de former ces recours aux cas de violation de normes ou de garanties procédurales, d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve, et de non‑respect de principes constitutionnels ou juridiques. Il est uniquement permis de demander l’examen d’éléments de preuve qui n’ont pas pu être produits en première instance, qui ont été indûment rejetés ou qui ont été admis mais n’ont pas été examinés pour un motif non imputable à la partie requérante, et à condition qu’il y ait eu violation du droit à la défense. L’État partie se réfère ensuite aux législations de différents pays européens qui, à son avis, ne permettent pas non plus que la procédure d’appel conduise à une répétition du procès avec reproduction complète de la preuve.

7.4L’État partie indique qu’en l’espèce le Tribunal suprême a examiné avec attention si le recours en cassation satisfaisait au droit à une révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. Pour l’État partie, l’ampleur extraordinaire de la révision des faits prouvés est soulignée dans la décision, dans les termes suivants: «Il est vrai que la décision du 9 novembre 1993 (dans l’affaire Gómez Vázquez) affirmait que c’était au tribunal a quo, et à lui seul, qu’il appartenait d’apprécier les éléments de preuve, conformément à l’article 741 de la loi de procédure criminelle. Il y était également affirmé que l’éventuel réexamen des preuves enlèverait toute substance au pourvoi en cassation, le convertissant en une seconde instance, mais il n’est pas moins vrai qu’à l’heure actuelle le recours en cassation a perdu ses structures rigides et formalistes et a ouvert de vastes possibilités de révision, y compris de l’appréciation des preuves par les Audiencias Provinciales.».

7.5La décision invoquée par l’État partie indique également que les anciens critères selon lesquels l’appréciation des éléments de preuve était intangible sont dépassés. L’analyse rationnelle de la preuve, le principe de la présomption d’innocence, l’obligation de motiver les décisions judiciaires, le rejet constitutionnel de toute trace d’arbitraire dans le comportement des pouvoirs publics sont autant de règles qui font qu’il est possible de faire étudier et évaluer, par la voie de la cassation, la manière dont la preuve a été traitée. Dans sa jurisprudence, le Tribunal a établi que la fonction de la cassation ne se limitait pas à l’appréciation de la légalité ou de l’illégalité de la preuve produite, et que le réexamen de la preuve allait jusqu’à l’analyse du contenu de la preuve en vue d’établir si celle‑ci peut être considérée comme incriminante ou à charge ou si, au contraire, elle n’est pas suffisamment consistante pour affaiblir la présomption d’innocence. Le principe in dubio pro reo, longtemps considéré comme un critère d’interprétation qui n’avait pas sa place en cassation, fait désormais partie des critères d’appréciation de la preuve et peut être réexaminé en cassation. L’État partie souligne qu’on ne saurait ignorer l’évolution indéniable du recours en cassation en Espagne, qui peut désormais permettre une révision très large et approfondie de faits considérés comme prouvés en première instance. À l’appui de ses arguments, l’État partie cite en outre l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 19 février 2002, dans laquelle la Cour, statuant sur le grief d’un ressortissant espagnol concernant l’inexistence du double degré de juridiction, a considéré que le système de cassation espagnol était compatible avec l’article 6, paragraphe 1 et l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

c) Ampleur de la révision dans le cas précis de l’auteur

7.6L’État partie affirme qu’en l’espèce il est nécessaire d’analyser les circonstances de la révision effectuée en cassation. Selon lui, à la différence de ce qui s’est passé dans l’affaire Gómez Vázquez, le Tribunal suprême a révisé des questions relatives aux faits et à l’appréciation de la preuve, dans les huit cas où l’auteur a invoqué une erreur de fait dans l’appréciation de la preuve ou une violation du principe de la présomption d’innocence. L’État partie cite à cet effet la décision rendue par le Tribunal suprême dans le cas de l’auteur, dans laquelle le Tribunal indique que le fait que les parties aient avancé plus de 170 motifs de cassation et invoqué à plusieurs reprises l’erreur dans l’appréciation de la preuve et le principe de la présomption d’innocence l’a amené à conclure qu’en l’espèce le droit au double degré de juridiction avait été respecté. L’État partie conclut qu’indépendamment de tout jugement qui peut être porté sur le système de recours espagnol, il est évident qu’en l’espèce il y a eu une révision très étendue d’éléments factuels et que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur ont été intégralement soumises à une juridiction supérieure, comme l’exige le Pacte.

d) Absence de violation du Pacte découlant de l’aggravation de la peine

7.7L’État partie fait valoir que la possibilité de former un recours et de demander la révision de la déclaration de culpabilité n’est pas offerte uniquement au condamné mais aussi aux parties adverses, notamment aux personnes qui ont été lésées par suite des infractions commises, et que cela n’enfreint en aucune manière le droit à la défense du condamné, étant donné que celui‑ci connaît les prétentions de l’accusation et peut formuler les allégations qu’il juge opportunes. L’État partie ajoute qu’en cas d’aggravation de la peine, la condamnation est prononcée dans le respect total du principe accusatoire; la qualification des délits et les peines ne sont pas plus importantes que celles demandées par l’accusation, et l’accusé les connaît depuis l’ouverture de la procédure orale, donc a fortiori au moment du recours. Le droit à l’information et le droit à la défense qui protègent l’accusé en première instance sont pareillement respectés lors du recours. Concrètement, la situation de l’accusé ne change pas, la demande de condamnation formulée par la partie adverse étant maintenue. En ce sens, selon l’État partie, les recours constituent la suite du procès. Il n’est pas exact que l’auteur ait été condamné pour la première fois en cassation. La possibilité d’une aggravation de la peine à l’issue du recours, dans les limites des accusations portées et des recours formés, est commune à tous les ordres juridiques avancés des pays voisins de l’Espagne. S’il en était autrement, cela reviendrait à nier le droit de recours des parties demanderesses, ce que l’on ne peut pas inférer du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le fait que certains États parties aient émis des réserves à cette disposition ne signifie aucunement que celle‑ci interdise d’aggraver la peine à la suite du recours formé par la partie adverse; ces réserves semblent plutôt viser à exclure la possibilité d’interpréter le paragraphe 5 de l’article 14 dans le sens proposé par l’auteur, c’est‑à‑dire à préserver, et non à exclure, l’application de ladite disposition.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond de la communication

a) À propos de la modification législative introduite par la loi n o  19/2003

8.1Dans sa note datée du 15 novembre 2004, l’auteur indique que la loi en question n’est pas d’application immédiate et qu’elle n’est pas encore en vigueur étant donné que les règlements d’application nécessaires n’ont pas été adoptés. Il ajoute que la réforme législative n’a pas d’effet rétroactif et qu’il demeure privé du droit à un double degré de juridiction puisque la loi ne prévoit aucune mesure correctrice pour les affaires déjà jugées. Il affirme que la ratio legis de la réforme n’était pas d’élargir la portée de la cassation, comme le prétend l’État partie, mais plutôt de résoudre la controverse née de l’adoption des constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez.

b) À propos de la prétendue ampleur de la cassation à l’heure actuelle

8.2L’auteur affirme que l’État partie n’a pas tenu compte des constatations du Comité dans les affaires Gómez Vázquez, Sineiro et Semey, dans lesquelles l’État partie a été condamné pour l’insuffisance du réexamen de la condamnation pénale. Le rôle du Comité est d’examiner un cas précis et, contrairement à ce que prétend l’État partie, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la situation générale des droits de l’homme dans le pays mis en cause dans une communication, ce qui relève davantage de l’examen des rapports périodiques. La décision du Tribunal suprême en date du 16 février 2004 se réfère au cas de Manuel Sineiro Fernández et rejette un recours en ignorant les constatations du Comité concernant la communication présentée par M. Sineiro. Le Tribunal constitutionnel a avancé des motifs qui, pour l’auteur, ne sont pas convaincants: «[…] il est absolument impossible, pour des raisons métaphysiques et chronologiques, de reproduire exactement tout ce qui s’est passé lors du procès en première instance. Le système respecte les dispositions du Pacte si […] il réinterprète la signification donnée aux éléments de preuve par le tribunal d’instance, en vérifiant la rationalité des méthodes de déduction logique qui sous‑tendent toute activité judiciaire relative à l’appréciation des preuves […] On ne peut pas arrêter le temps. Même l’enregistrement vidéo du procès mené par la juridiction de jugement serait insuffisant, car ces images du passé ne permettent de connaître que le scénario, et non le vécu direct et intangible des protagonistes.». L’auteur fait valoir que, dans cette décision, le Tribunal constitutionnel déclare que le Tribunal suprême «n’a pas compétence pour procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve sur lesquels s’est fondé le tribunal de première instance pour rendre un verdict de condamnation». L’auteur ajoute que le non‑respect des faits déjà déclarés prouvés constitue un motif d’irrecevabilité du recours, conformément à l’article 884 de la loi de procédure criminelle, et que selon l’article 849 du même texte un pourvoi en cassation ne peut être fondé sur une erreur dans l’appréciation de la preuve que si cette erreur est démontrée par des documents, versés au dossier, qui prouvent que le tribunal s’est trompé et qui ne sont pas contredits par d’autres éléments de preuve.

c) À propos de l’ampleur de la révision dans le cas précis de l’auteur

8.3L’auteur soutient que le recours en cassation ne permet pas de remettre en question la crédibilité des déclarations de témoins ou d’experts sur lesquelles la condamnation s’est fondée, sauf en cas d’arbitraire manifeste ou d’absence de toute preuve à charge. Pour ce qui est du chef d’escroquerie, la décision de l’Audiencia Nacional imputait à l’auteur des prises de participation gratuites dans des entreprises, ce que l’auteur a nié, affirmant que les sommes en question correspondaient à des honoraires professionnels perçus au titre de son intervention en qualité d’avocat. Plusieurs experts ont appuyé la version de l’auteur, mais le juge ne l’a pas acceptée et n’a accordé aucune valeur aux documents à décharge fournis par l’auteur. Selon l’auteur, ces aspects ne peuvent pas être révisés en cassation. En ce qui concerne le chef de détournement de fonds, la décision de l’Audiencia Nacional reposait sur des témoignages contradictoires que le tribunal n’a acceptés que lorsqu’ils étaient défavorables à l’auteur, notamment ceux de trois témoins à charge dont la crédibilité ne peut pas être réexaminée en cassation. Le Tribunal ne nie pas qu’il n’a pas réexaminé la preuve concernant ce point, mais il soutient que la vérification de la rationalité de l’examen effectué par le juge satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En revanche, le procureur auprès du Tribunal suprême a reconnu qu’il n’appartenait pas au Tribunal d’apprécier les éléments de preuve. L’auteur fait observer que lorsque l’État partie cite une décision de la Cour européenne des droits de l’homme il oublie que le droit au double degré de juridiction n’est pas reconnu dans la Convention européenne des droits de l’homme, mais dans le Protocole additionnel no 7 à la Convention, auquel l’Espagne n’est pas partie. Par contre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, par sa décision du 2 juillet 2004 dans l’affaire Herrera Ulloa c. Costa Rica, a tenu compte de la jurisprudence du Comité dans les affaires susmentionnées et a déclaré que le système de cassation du Costa Rica ne satisfaisait pas aux prescriptions de l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, étant donné que le tribunal supérieur ne pouvait pas «procéder à un examen global et intégral de toutes les questions débattues et analysées par le tribunal inférieur».

d) À propos de l’absence d’un double degré de juridiction en raison de l’aggravation de la condamnation lors du recours

8.4L’auteur fait valoir que les États parties qui souhaitaient exclure l’application du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte au cas d’aggravation de la condamnation en deuxième instance ont formulé une réserve expresse en ce sens. Il cite la réserve de l’Autriche à cet égard. Il ajoute que l’État partie pourrait adopter des modifications législatives simples pour garantir qu’une chambre du Tribunal suprême puisse procéder à une révision intégrale de la nouvelle condamnation ou de l’aggravation prononcée à l’issue du recours. Il affirme que la loi organique relative au pouvoir judiciaire espagnol prévoit un mécanisme de révision des jugements dans des cas semblables, notamment en ce qui concerne les décisions rendues par la section administrative du Tribunal suprême.

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Dans une affaire précédente (communication no 1095/2002, Gomariz c. Espagne, constatations du 22 juillet 2005, par. 7.1), le Comité a conclu que l’absence du droit de faire réviser par une juridiction supérieure la peine infligée par une juridiction du second degréaprèsun acquittement par le tribunal de première instance constituait une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le cas d’espèce diffère du précédent en ce que la peine prononcée par la juridiction inférieure a été confirmée par le Tribunal suprême. Celui‑ci a cependant aggravé la peine infligée par le tribunal inférieur pour le même délit. Le Comité fait observer que, dans les systèmes juridiques de nombreux pays, les juridictions du second degré peuvent réduire, confirmer ou aggraver les peines prononcées par la juridiction inférieure. Bien que dans le cas d’espèce le Tribunal suprême ait adopté un avis différent en ce qui concerne les faits considérés comme prouvés par la juridiction inférieure, en ce sens qu’il a conclu que M. Pérez Escolar était l’auteur et non pas simplement le complice du délit de détournement de fonds, le Comité considère que la décision du Tribunal suprême ne modifie pas substantiellement la qualification du délit; elle reflète simplement le fait que l’appréciation par le Tribunal de la gravité des circonstances du délit justifiait d’infliger une peine plus lourde. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’affirmer qu’il y a eu, dans le cas d’espèce, une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9.3En ce qui concerne les autres griefs de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que plusieurs des moyens de cassation invoqués par l’auteur devant le Tribunal suprême étaient tirés d’erreurs de fait dans l’appréciation des éléments de preuve ainsi que de la violation du principe de la présomption d’innocence. Il ressort de la décision du Tribunal suprême que celui‑ci a examiné avec attention les allégations de l’auteur, qu’il a analysé les éléments de preuve déjà produits et ceux auxquels l’auteur s’est référé dans son recours et qu’il a considéré qu’il y avait suffisamment de preuves à charge pour écarter toute possibilité d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve et pour réfuter la présomption d’innocence de l’auteur. Le Comité conclut que cette partie de la communication relative à la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayée par l’auteur.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

DD. Communication n o  1157/2003, Coleman c. Australie (Constatations adoptées le 17 juillet 2006, quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

Patrick Coleman (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

14 janvier 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Déclarationde culpabilité et condamnation pour avoir prononcé un discours politique dans une galerie piétonne sans l’autorisation requise en vertu d’un arrêté municipal

Questions de procédure: Recevabilité ratione personae − conditions suffisantes ou non pour reconnaître à l’auteur la qualité de victime − justification des griefs aux fins de la recevabilité − recevabilité ratione materiae

Questions de fond: Liberté d’expression − restrictions autorisées

Articles du Protocole facultatif: 1 et 2

Articles du Pacte: 9 (par. 1 et 5), 15 (par. 1), 19 et 21

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1157/2003 présentée par Patrick Coleman en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 14 janvier 2003, est Patrick John Coleman, de nationalité australienne, né le 22 novembre 1972. Il affirme être victime de violations par l’Australie des paragraphes 1 et 5 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 15 et des articles 19 et 21 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 20 décembre 1998, l’auteur a prononcé un discours en public dans la galerie piétonne Flinders de Townsville (Queensland) sans avoir obtenu d’autorisation. Debout sur le bord d’une fontaine, avec à l’épaule un grand drapeau fixé à une hampe, il s’est déplacé jusqu’à une table en béton située non loin de là et a discouru à haute voix pendant 15 à 20 minutes sur divers sujets, dont les chartes des droits, la liberté d’expression, et les droits miniers et fonciers. Le 23 décembre 1998, il a été inculpé en vertu du paragraphe 2 e) de l’article 8 de l’arrêté no 39 du conseil municipal de Townsville («l’arrêté») pour avoir prononcé un discours en public dans une galerie piétonne sans l’autorisation écrite du conseil municipal. Le 3 mars 1999, l’auteur a été déclaré coupable par la Magistrates Court de Townsville d’avoir prononcé un discours de manière illégale et condamné à une amende de 300 dollars, assortie de 10 jours d’emprisonnement en cas de non‑paiement, ainsi qu’aux dépens.

2.2Le 7 juin 1999, la District Court du Queensland a débouté l’auteur de l’appel qu’il avait formé contre sa condamnation, rejetant son argument selon lequel, bien qu’ayant agi seul il était couvert par le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992 (Queensland). Le 29 août 1999, l’auteur a prononcé un nouveau discours dans la même galerie. Il a été appréhendé en vertu d’un mandat décerné contre lui pour non‑paiement, dans le délai de trois mois imparti, de l’amende qui lui avait été infligée, et placé en garde à vue dans les locaux de la police, où il a passé cinq jours. Inculpé d’obstruction au travail de la police en vertu du paragraphe 1 de l’article 120 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et attributions de la police (Queensland) pour s’être assis par terre et avoir refusé d’accompagner les policiers de son plein gré, l’auteur a été transféré le 2 septembre 1999 au centre de détention de Townsville. Le Directeur général de cet établissement, usant des pouvoirs que lui confère l’article 81 de la loi sur les services pénitentiaires de 1988, a autorisé sa remise en liberté cinq jours avant la date prévue, si bien qu’il a été élargi le jour même.

2.3Le 6 décembre 1999, l’auteur a été condamné à une amende de 400 dollars, assortie d’une peine d’emprisonnement de 14 jours en cas de non‑paiement, pour obstruction au travail de la police. Le 21 novembre 2000, la cour d’appel du Queensland a rejeté à la majorité de ses membres l’appel interjeté par l’auteur de sa première condamnation en vertu de l’arrêté, en annulant la condamnation aux dépens. Assisté par un avocat commis d’office, l’auteur avait fait valoir que l’interdiction prescrite par l’arrêté équivalait à une restriction inconstitutionnelle de l’exercice de la liberté d’expression sur des questions politiques. Les juges ont estimé à la majorité que l’arrêté avait pour objet légitime d’éviter aux usagers de la petite galerie piétonne de subir des discours publics et qu’il était raisonnablement approprié et adapté à cette fin étant donné qu’il s’appliquait à «un périmètre très restreint, ce qui laissait suffisamment d’autres espaces où tenir de tels discours». Le 26 juin 2002, la High Court a à son tour opposé un refus à la nouvelle demande d’autorisation spéciale de recours formulée par l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la déclaration de culpabilité et la condamnation dont il a fait l’objet pour infraction à l’arrêté constituent des violations des paragraphes 1 et 5 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 15, et des articles 19 et 21 du Pacte. À propos du paragraphe 1 de l’article 9, il évoque le caractère arbitraire des formalités d’obtention des autorisations, qui sont laissées à l’entière discrétion des autorités. Il n’existe pas de procédure établie et les décisions qui sont prises n’ont pas à être motivées. L’autorisation peut être refusée pour des motifs autres que ceux qui sont énoncés au paragraphe 3 de l’article 19. Une autorisation peut aussi être annulée à tout moment. Par ailleurs, l’absence de critères de décision implique que la procédure ne saurait être considérée comme étant prévue par la loi au sens du paragraphe 1 de l’article 9. L’auteur demande aussi réparation en vertu du paragraphe 5 de l’article 9 au motif qu’il aurait été détenu de façon illégale. S’agissant de la violation alléguée de l’article 15, il soutient qu’il a été déclaré coupable, alors que s’il avait eu un comportement identique en étant accompagné d’une autre personne il aurait été couvert par le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992.

3.2En ce qui concerne l’article 19, l’auteur affirme que dans le cadre de l’action pénale, le conseil municipal n’a fourni aucun élément démontrant que cette action était nécessaire pour l’une quelconque des raisons énoncées au paragraphe 3 de l’article 19. Il déclare qu’il avait le droit de répandre des informations oralement, qu’il s’est comporté de manière pacifique et convenable et qu’il n’a pas été interrompu par les policiers présents sur place, lesquels l’ont simplement filmé avec une caméra vidéo. Aucun des motifs cités au paragraphe 3 de l’article 19 comme autorisant certaines restrictions n’était donc applicable. L’obtention d’une autorisation ne saurait constituer une condition préalable à l’exercice du droit garanti par cet article. Pour ce qui est de l’article 21, l’auteur invoque le droit qu’il avait de se réunir dans un lieu public avec d’autres citoyens, auxquels il s’est adressé dans son discours. Il cite à l’appui de son argumentation les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Kivenmaa c. Finlande, dans laquelle le Comité a donné gain de cause à un groupe de personnes qui avaient arboré un calicot critiquant un chef d’État étranger en visite.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans une note datée du 21 mai 2004, l’État partie a contesté à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Premièrement, il déclare que la communication est irrecevable ratione personae dans la mesure où elle est dirigée contre le sergent Nicolas Selleres, membre de la police du Queensland, le conseil municipal de Townsville et l’État du Queensland, soit des parties dont aucune n’a la qualité d’État partie au Pacte. Deuxièmement, pour ce qui est des griefs tirés du paragraphe 5 de l’article 9 et de l’article 15, l’État partie fait valoir que l’auteur n’est pas suffisamment touché à titre personnel pour prétendre à la qualité de victime aux fins de la recevabilité. S’agissant du paragraphe 5 de l’article 9, l’auteur ne fait état d’aucune action ou omission de la part de l’État partie et n’invoque pas l’absence d’un droit ou d’un recours exécutoire, se contentant de réclamer une indemnisation à titre de réparation. À propos de l’article 15, on ne peut retenir l’argument de l’auteur selon lequel il aurait été couvert par la loi sur les rassemblements pacifiques de 1992 s’il avait prononcé son discours avec une autre personne. L’infraction pénale dont l’auteur a été inculpé constituait bien une infraction au moment des faits et la question de la rétroactivité ne se pose pas.

4.2Troisièmement, l’État partie affirme que les griefs formulés sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité et/ou sont irrecevables ratione materiae car ce sont de simples assertions. Outre les arguments qu’il a déjà exposés, l’État partie fait valoir, à propos du paragraphe 1 de l’article 9, que l’auteur argumente uniquement au sujet de la procédure d’autorisation, sans rien dire quant à son arrestation et à son placement en détention. S’agissant du grief au titre de l’article 19, l’affirmation de l’auteur selon laquelle le conseil municipal n’a avancé au cours de l’action pénale aucune raison démontrant que celle‑ci était nécessaire, au regard de l’article 19, ne concerne que la conduite du procès. Cette absence de raison ne suffit pas par elle-même à établir que l’arrêté ne satisfaisait pas aux prescriptions de cet article. Pour ce qui est du grief relatif à l’article 21, l’État partie fait valoir qu’il n’y a eu en l’espèce aucun rassemblement, la Magistrates Court ayant constaté dans ses conclusions, confirmées en appel, que personne n’était à l’arrêt en train d’écouter l’auteur, ce qui eût pu être considéré comme un rassemblement. La simple présence d’autres personnes circulant dans la galerie ne suffit pas à constituer un rassemblement.

4.3Sur le fond, l’État partie fait observer que les éléments de preuve sur lesquels repose le grief formulé au titre de l’article 9 sont insuffisants pour qu’il soit possible d’examiner dûment la question au fond et qu’en tout état de cause cet article n’a pas été violé. L’assertion selon laquelle la procédure d’autorisation était arbitraire n’a rien à voir avec l’arrestation d’une personne en application de la peine qui lui a été infligée pour infraction à un arrêté. L’auteur n’a pas démontré que sa détention avait un caractère arbitraire, abusif et disproportionné, et qu’elle relevait dès lors du champ d’application de l’article 9. L’arrestation a été effectuée en vertu d’un mandat judiciaire, conformément à la procédure de police normalement applicable aux personnes qui refusent d’acquitter une amende. La peine d’amende ou d’emprisonnement en cas de défaut de paiement a été prononcée par la Magistrates Court après le refus exprès de l’auteur d’accomplir un travail d’intérêt général ou de signer un engagement de bonne conduite. La District Court, statuant en appel, a jugé que la peine était raisonnable. Par ailleurs, l’auteur a été remis en liberté après en avoir purgé la moitié.

4.4En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 9, l’auteur n’allègue pas de violation du droit de demander réparation auprès d’une autorité interne pour arrestation illégale. Pour ce qui est du grief de violation de l’article 15, l’État partie affirme de même que les éléments de preuve sur lesquels il se fonde sont insuffisants pour qu’il soit possible de l’examiner dûment au fond et qu’en tout état de cause il n’y a pas eu d’infraction à cet article. L’auteur prétend que si les circonstances avaient été différentes, il n’aurait pas été condamné en vertu de l’arrêté. Cette affirmation ne renvoie à aucune action ou omission de la part de l’État, pas plus qu’elle n’autorise à penser que le fait de prononcer un discours de manière illégale ne constituait pas une infraction au moment des faits.

4.5Au sujet de l’article 19, l’État partie affirme également que l’allégation formulée n’est pas fondée sur des éléments de preuve suffisants pour qu’il soit possible de l’examiner dûment au fond et qu’en tout état de cause cet article n’a pas été violé. L’État partie fait valoir que la restriction imposée à la liberté d’expression est à l’évidence prévue par la loi sous la forme de l’arrêté. Le conseil municipal a adopté en avril 1983 une politique concernant la galerie en question, qui autorise à y tenir des rassemblements publics et vise à permettre une utilisation maximale de cet espace dans l’intérêt du public sans nuire à la jouissance publique de l’endroit. Le régime d’autorisation permet au conseil d’étudier si les projets qui lui sont soumis risquent de perturber le bien-être du petit nombre d’usagers de cet espace public (excès de bruit, encombrement, incidence sur l’activité commerciale ou risques pour la sécurité, par exemple). Les restrictions qui étaient en place visaient à garantir le bon usage de la galerie par le public dans son ensemble. En tout état de cause, l’État partie relève que le régime d’autorisation ne s’applique pas à la tenue de stands ou de réunions, selon l’exemption prévue au paragraphe 1 de l’article 8 de l’arrêté (voir la note de bas de page 1). On n’est donc pas ici en présence d’une restriction générale du droit à la liberté d’expression.

4.6À propos de l’article 21, l’État partie fait valoir que le terme «réunion» implique nécessairement la présence de plus d’une personne. Il renvoie au commentaire d’un universitaire selon lequel «la protection du droit de réunion concerne uniquement les rassemblements temporaires et intentionnels de plusieurs personnes qui se rencontrent dans un but précis». De l’avis de l’État partie, le discours de l’auteur ne satisfaisait pas à cette condition. La Magistrates Court a considéré qu’il n’y avait pas eu de «groupe de personnes rassemblées dans un même but» et a constaté que «de toute évidence», «il n’y avait nullement eu, à aucun moment, réunion ou rassemblement de personnes». La District Court, statuant en appel, a estimé elle aussi que l’auteur avait «agi seul». La cour d’appel a à son tour confirmé que les personnes écoutant passivement un discours ne pouvaient être considérées comme y prenant part.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 18 juin 2004, l’auteur a contesté les observations de l’État partie. En ce qui concerne la recevabilité ratione personae, il confirme qu’il considère l’Australie comme l’État partie responsable des actes des fonctionnaires et administrations relevant de son autorité, et renvoie également à l’article 50 du Pacte. Il note qu’à la suite des faits pour lesquels il a été condamné et après des interventions publiques, le conseil municipal a décidé d’installer dans la galerie une «tribune pour les orateurs» et que c’est chose faite. Il relève aussi que le conseil municipal et la police ont cherché à obtenir le remboursement des frais substantiels occasionnés par la procédure et qu’en cas de défaut de paiement une procédure en insolvabilité serait engagée contre lui. Il fait observer qu’une déclaration d’insolvabilité lui ferait aussi perdre le droit politique de se porter candidat à une charge élective, droit dont il jouit actuellement.

5.2En ce qui concerne ses propres réclamations, l’auteur déclare, au sujet du paragraphe 5 de l’article 9, qu’il a vainement utilisé toutes les voies qui s’offraient à l’échelon interne pour former un recours contre sa condamnation et qu’il ne peut donc espérer obtenir une indemnisation en Australie, où on aurait plutôt tendance à le considérer comme un plaideur abusif. Il demande donc au Comité d’intervenir afin qu’il obtienne réparation des violations subies. À propos des articles 15 et 19, il déclare que le droit international l’autorisait à agir de manière pacifique comme il l’a fait et que sa condamnation n’est donc pas dûment fondée en droit, ainsi que le prescrit l’article 15.

5.3Dans une lettre datée du 27 juillet 2004, l’auteur a transmis copie d’une ordonnance de saisie de ses biens rendue par le Tribunal fédéral comme suite à la déclaration d’insolvabilité dont il a fait l’objet.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l’objection formulée par l’État partie quant à la recevabilité de la communication ratione personae, le Comité relève que tant les règles ordinaires relatives à la responsabilité de l’État que l’article 50 du Pacte disposent que les actes et omissions des organes politiques constitutifs et de leurs agents sont imputables à l’État. C’est donc à bon droit que les actes dénoncés sont imputés ratione personae à l’État partie, l’Australie.

6.3En ce qui concerne le grief formulé au titre du paragraphe 5 de l’article 9, le Comité relève que l’auteur demande réparation pour les violations alléguées des articles 15, 19 et 21 du Pacte plutôt que parce qu’il n’a pas obtenu réparation des autorités nationales à raison de son arrestation pour défaut de paiement de l’amende initiale qu’un tribunal lui avait infligée. Ce grief distinct formulé au titre du paragraphe 5 de l’article 9 est par conséquent insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité et donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4S’agissant du grief de l’auteur au titre de l’article 15, le Comité note que l’acte pour lequel l’auteur a été condamné constituait bien une infraction pénale au moment où il a été commis, de sorte que ce grief est lui aussi irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif au motif qu’il est insuffisamment étayé. Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 21, le Comité observe que, selon les constatations des juridictions internes, l’auteur a agi seul. De l’avis du Comité, l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour démontrer qu’il y a effectivement eu une «réunion» au sens de l’article 21 du Pacte. En conséquence, cette plainte est également irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif car insuffisamment étayée.

6.5Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief formulé au titre du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 19 et procède donc à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité constate que l’arrestation, la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur constituent indéniablement une restriction à la liberté d’expression, telle que garantie au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Cette restriction, énoncée dans l’arrêté, était prescrite par la loi, ce qui amène à se demander si elle était nécessaire à l’une des fins citées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, notamment le respect des droits ou de la réputation d’autrui, ou la sauvegarde de l’ordre public.

7.3Le Comité observe qu’il appartient à l’État partie de démontrer que la restriction apportée à la liberté d’expression de l’auteur était nécessaire en l’espèce. Un État partie peut adopter un régime d’autorisation destiné à instaurer un équilibre entre la liberté d’expression de chacun et le maintien de l’ordre public dans un espace donné dans l’intérêt de la collectivité, mais un tel régime ne doit pas être incompatible avec l’article 19 du Pacte. En l’espèce, l’auteur a fait une déclaration publique sur des questions d’intérêt public. D’après les éléments de preuve dont le Comité est saisi, rien n’indique que les propos tenus par l’auteur aient eu un caractère menaçant ou indûment perturbateur ou qu’ils aient été susceptibles de porter atteinte à l’ordre public dans la galerie de toute autre manière. De fait, les policiers qui étaient sur place n’ont pas tenté d’interrompre l’auteur mais l’ont filmé avec une caméra vidéo. Pour avoir prononcé son discours sans autorisation, l’auteur a été condamné à une amende et, lorsqu’il a refusé de la payer, il a été placé en détention pendant cinq jours. De l’avis du Comité, la réaction de l’État partie face au comportement de l’auteur a été disproportionnée et a constitué une restriction à la liberté d’expression de celui-ci qui est incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il s’ensuit que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte a été violé.

7.4Compte tenu de cette constatation au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, il est inutile que le Comité examine le grief au titre du paragraphe 1 de l’article 9.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Australie du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant en l’annulation de sa déclaration de culpabilité, le remboursement de toute amende acquittée par l’auteur par suite de sa condamnation, ainsi que le remboursement des frais de justice qu’il a acquittés, et en une indemnisation pour la détention dont il a fait l’objet en violation de droits qui lui sont reconnus dans le Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion concordante de MM. Nisuke Ando, Michael O’Flaherty et Walter Kälin, membres du Comité

Bien que nous soyons d’accord avec la conclusion du Comité en l’espèce, nous sommes parvenus à cette conclusion pour des raisons différentes de celles avancées par la majorité. Selon nous, il importe d’observer que, dans le cas d’espèce, il existe un régime d’autorisation qui permet aux autorités de l’État partie d’établir un équilibre, compatible avec le Pacte, entre la liberté d’expression et des intérêts distincts. Toutefois, en s’abstenant de solliciter une autorisation, l’auteur n’a pas donné aux autorités de l’État partie la possibilité d’harmoniser les intérêts en jeu dans le cas d’espèce. Nous regrettons que le Comité n’ait pas pris en considération cet aspect de la communication dans son argumentation. Nous souhaitons en outre ajouter que la décision ne doit pas être interprétée comme un rejet des régimes d’autorisation en vigueur dans de nombreux États parties, régimes qui visent à instaurer un équilibre approprié non seulement en matière de liberté d’expression, mais aussi dans d’autres domaines tels que la liberté d’association et de réunion. Au contraire, la mise en place de tels régimes est, en principe, pleinement conforme au Pacte; ils offrent en outre l’avantage de renforcer la clarté, la sécurité et la cohérence, ainsi que de faciliter le contrôle, par les tribunaux locaux, puis par le Comité, d’une décision des pouvoirs publics de refuser l’exercice particulier d’un droit, ce qui lui évite ainsi d’être confronté, comme dans le cas d’espèce, à la seule évaluation brute des faits essentiels. Il est toutefois évident qu’un tel régime d’autorisation doit permettre la jouissance intégrale du droit en question, et être administré de manière cohérente, impartiale et suffisamment rapide.

Toutefois, compte tenu des éléments de l’affaire dont est saisi le Comité, nous souhaitons souligner les points suivants. L’arrestation de l’auteur, l’amende qui lui a été infligée et la peine d’emprisonnement à laquelle il a été condamné pour avoir refusé de la payer constituent, conjointement, la réponse de l’État partie au comportement de l’auteur − en somme, ces actions représentent une violation majeure du droit de l’auteur à la liberté d’expression, et elles doivent être justifiées au regard des dispositions de l’article 19 du Pacte. Par ailleurs, la disproportion qui existe entre l’action globale de l’État partie et le comportement initial de l’auteur qui en est la cause est telle que nous ne sommes pas convaincus que l’État partie ait démontré la nécessité de ces restrictions à la liberté d’expression de l’auteur. Les raisons avancées par l’État partie pour justifier ces restrictions, tout en étant parfaitement légitimes, ne sont pas suffisantes en elles‑mêmes pour démontrer leur nécessité dans chaque cas. En définitive, c’est le fait que l’État partie n’ait pas démontré la nécessité, dans les circonstances de l’espèce, de sa réaction fondamentalement punitive face au comportement de l’auteur qui nous amène à partager la conclusion finale du Comité.

(Signé) Nisuke Ando

(Signé) Michael O’Flaherty

(Signé) Walter Kälin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

EE. Communication n o 1158/2003, Blaga c. Roumanie (Constatations adoptées le 30 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Aurel Blaga et Mme Lucia Blaga (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Roumanie

Date de la communication:

16 juillet 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Égalité devant la loi

Questions de procédure: Épuisement des recours internes, recevabilité ratione temporis

Questions de fond: Appel extraordinaire d’une décision de justice définitive

Articles du Pacte: 12, 14 (par. 1) et 26

Articles du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1158/2003 présentée au nom de M. Aurel Blaga et de Mme Lucia Blaga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, datée du 16 juillet 2002, sont Aurel et Lucia Blaga, nationaux roumains, nés le 3 novembre 1930 et le 2 décembre 1932, respectivement. Ils se déclarent victimes de violations par la Roumanie des articles 12, 14 et 26 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la Roumanie le 23 mars 1976 et le 20 octobre 1993, respectivement.

Exposé des faits

2.1En 1979, les auteurs acquièrent un appartement à Bucarest. En juillet 1988, ils quittent la Roumanie pour s’installer à l’étranger. Les auteurs n’étant pas retournés en Roumanie avant l’expiration de leur visa de sortie, la municipalité de Bucarest les a expropriés en vertu de son arrêté 1434/1989. Cet arrêté a été pris sur la base du décret 223/1974, qui prévoyait que l’État deviendrait propriétaire des immeubles appartenant à des personnes ayant quitté le pays ou demeurées à l’étranger sans autorisation. Après la chute du régime communiste, le décret‑loi 9/1989 a abrogé le décret 223/1974, sans toutefois affecter le régime des biens qui avaient déjà été transférés à l’État.

2.2Le 27 mai 1992, les auteurs ont saisi le tribunal de première instance de Bucarest en vue de faire annuler l’arrêté no 1434 et d’obtenir une ordonnance de restitution de leur appartement. Le 8 juillet 1992, le tribunal a rejeté leur demande et, le 17 novembre 1992, le tribunal municipal de Bucarest a rejeté leur recours. Toutefois, le 24 janvier 1994, la cour d’appel de Bucarest a ordonné la restitution de l’appartement aux auteurs, au motif que l’expropriation était contraire à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme relatif à la liberté de circulation, et constituait «une réglementation abusive» plutôt qu’une mesure «d’utilité publique». Il n’était pas possible de se pourvoir contre cet arrêt. En conséquence, la municipalité de Bucarest a adopté une ordonnance de restitution au profit des auteurs. Ces derniers indiquent que, par contrat du 22 mai 1995, ils ont vendu l’appartement à un tiers.

2.3La Cour suprême ayant statué en 1995 que les tribunaux n’étaient pas compétents en matière de restitution d’immeubles expropriés, le Procureur général s’est pourvu, dans l’intérêt de la loi, contre plusieurs jugements rendus auparavant, notamment dans l’affaire des auteurs. Le 8 mai 1996, la Cour suprême a annulé la décision de la cour d’appel, au motif que celle-ci avait outrepassé sa compétence judiciaire et violé le principe de séparation des pouvoirs.

2.4Suite à cette décision, l’État a vendu l’appartement aux locataires qui l’occupaient, conformément à la loi no 112/95. En vertu de ce texte, les anciens propriétaires d’un immeuble avaient la possibilité de demander sa restitution et, en cas de refus, celui-ci pouvait être vendu aux locataires. Les auteurs indiquent qu’ils ont sollicité, conformément à ladite loi, la restitution de leur bien, mais qu’ils n’ont jamais reçu de réponse à leur demande.

2.5Les auteurs indiquent que la même affaire n’a pas été présentée pour examen au titre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international. Ils font valoir que la décision de la Cour suprême n’est susceptible ni d’appel ni de révision. Ils ajoutent que les arrêts de la cour d’appel et de la Cour suprême ont été rendus après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. En particulier, la décision de la Cour suprême «a reconfirmé» l’expropriation prononcée en vertu du décret de 1974, à laquelle elle a redonné un nouvel effet légal en 1996; tous les griefs invoqués par les auteurs relèvent donc de la compétence du Comité.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que la décision de la Cour suprême, en rétablissant l’effet juridique de l’arrêté d’expropriation pris à leur encontre, a violé les articles 12 et 26 du Pacte. Leur expropriation, sans indemnisation ni justification, était destinée à les punir d’avoir quitté le pays, et constituait donc une mesure arbitraire et discriminatoire, violant également l’article 26. Les auteurs soulignent que le caractère abusif de la mesure d’expropriation est expressément reconnu dans le préambule de la loi de 1989 portant abrogation du décret de 1974.

3.2Ils soutiennent que le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé. Ils soulignent qu’à l’époque des faits, le Procureur général pouvait décider à tout moment de prendre une mesure exceptionnelle contre ce qui était en principe une décision judiciaire irrévocable, créant ainsi une grande insécurité juridique et privant les auteurs du résultat de leur procès. En outre, la capacité du Procureur général, qui n’était pas partie à l’instance initiale, de formuler une telle demande constitue une intrusion injustifiée dans un procès qui rompt l’égalité des armes entre les parties et viole ainsi l’article 14. Les auteurs renvoient à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans laquelle ce mécanisme a été jugé contraire au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne.

3.3Les auteurs font valoir que, lorsqu’ils ont présenté leur cause devant les tribunaux internes, ceux-ci étaient les seuls organes judiciairement compétents pour statuer sur ces questions, lesquelles étaient et demeurent des droits et obligations de caractère civil. La décision de la Cour suprême selon laquelle les tribunaux n’étaient pas compétents pour connaître de ces différends a donc violé le droit des auteurs à l’accès aux tribunaux, consacré au paragraphe 1 de l’article 14. Les auteurs soulignent qu’en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l’homme la Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à des conclusions similaires dans l’affaire susmentionnée.

3.4À la lumière de ce qui précède, les auteurs prient le Comité de dire que les articles 12, 14 et 26 du Pacte ont été violés et de recommander à l’État partie d’annuler la décision de la Cour suprême et de permettre la restitution effective de leur bien en autorisant soit l’entrée en possession, soit une indemnisation «réelle et juste».

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par lettre du 7 avril 2003, l’État partie dit que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes ainsi que, s’agissant des plaintes au titre des articles 12 et 26, ratione temporis. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie fait observer que, par ses décisions du 28 septembre 1998 et du 20 novembre 2000, la Cour suprême a opéré un revirement de jurisprudence. Elle a jugé, de façon contraignante pour toutes les juridictions inférieures, que celles‑ci étaient en effet compétentes pour statuer sur des actions en restitution de propriété expropriée par l’État en vertu du décret de 1974. Il est donc loisible aux auteurs d’engager une action en restitution en vertu de l’article 480 du Code civil contre les nouveaux propriétaires du bien (ceux‑ci étant les anciens locataires de l’appartement). La Cour a expressément reconnu que, pour engager une telle action, il était possible d’invoquer la violation d’un traité international en vigueur comme motif d’annulation de la décision de l’État d’exproprier.

4.2L’État partie souligne que la décision de la Cour suprême n’était pas un jugement sur le fond de la cause, mais établissait plutôt, à titre préliminaire, que les juridictions n’étaient pas compétentes pour statuer sur de telles questions. On ne saurait par conséquent prétendre que les griefs présentés par les auteurs ont fait l’objet d’une décision ayant l’autorité de la chose jugée, dès lors que la Cour suprême n’a pas rendu de jugement contraignant au fond. Pour appuyer son argumentation, l’État partie renvoie à un jugement du Tribunal suprême (comme on l’appelait à l’époque) rendu en 1954, en vertu duquel une décision procédurale défavorable ne saurait faire obstacle à une nouvelle action portant sur le fond de la cause. L’État partie cite des décisions de justice récentes dans des affaires identiques à celles des auteurs, qui confirment cette approche.

4.3Dans une action en restitution, le tribunal analyse les titres de propriété concurrents pour déterminer quelle partie est «la plus qualifiée». Toute personne invoquant un titre peut engager une telle action. Il s’agit donc d’un recours effectif, suffisant et disponible, et son non‑épuisement rend la communication irrecevable.

4.4L’État partie signale également une autre mesure, à savoir la loi no 10/2001, qui prévoit un mécanisme administratif par lequel la confiscation abusive d’un bien sous l’ancien régime peut donner lieu soit à une réparation en nature, soit à une indemnisation par équivalence. Les contrats par lesquels l’État a disposé du bien sont nuls et non avenus, à moins que l’acheteur n’ait agi de bonne foi. L’État partie soutient donc que, même si une action en restitution n’aboutissait pas, la procédure administrative susmentionnée prévoit la possibilité d’une indemnisation par équivalence. L’État partie ajoute que les auteurs ont saisi la municipalité de Bucarest en vertu de ce mécanisme le 12 avril 2001.

4.5L’État partie demande au Comité de prendre acte du fait qu’il s’est efforcé de trouver différentes solutions visant à réparer les dommages causés par les confiscations ordonnées par le régime communiste.

4.6Concernant les arguments ratione temporis, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle celui‑ci n’est pas compétent pour examiner des allégations de violations survenues avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État concerné, à moins que celles‑ci ne persistent. Le Comité a indiqué qu’une violation persistante s’entend de la «perpétuation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie». Appliquant ces principes, l’État partie fait observer que le décret de 1974 a été abrogé ex nunc (pour l’avenir) par décret en 1989. Ex tunc (pour les effets passés), les tribunaux sont compétents pour statuer sur la légalité des actes en question au moment où ils ont été pris. Ces actes ont donc été frappés de nullité. S’agissant des questions relatives à l’article 12, la Constitution de l’État partie a toujours prévu, depuis l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, une totale liberté de circulation. De même, s’agissant de l’article 26, l’État partie souligne que, contrairement à la situation dans d’autres États, l’accès à ces recours n’est ni discriminatoire ni conditionné par l’obligation de résidence dans l’État partie ou de nationalité de l’État partie. Par conséquent, l’État partie soutient que les violations ne sont pas persistantes, et que les plaintes se rapportant aux articles 12 et 26 sont irrecevables ratione temporis.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Par lettre du 6 mai 2003, les auteurs rejettent l’argumentation de l’État partie quant à la recevabilité de la communication, en faisant valoir que la question fondamentale n’est pas de savoir s’ils pouvaient engager une nouvelle action en restitution, mais plutôt s’il existe un recours contre la décision de la Cour suprême de 1996 pour laquelle aucune autre action n’est ouverte. En tout état de cause, il serait «excessif» et contraire à l’esprit de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif d’exiger des auteurs qu’ils engagent une nouvelle action. À supposer même que celle‑ci soit concluante, les violations de leurs droits par la Cour suprême n’en seraient pas pour autant corrigées. En outre, alors que l’État partie propose des recours pour la restitution du bien, les auteurs font valoir que ce n’est pas cette question qui est en jeu (elle n’est pas directement protégée par le Pacte), mais plutôt différents points en rapport avec les droits protégés par les articles 12, 14 et 26. Or, l’État partie n’a pas montré en quoi les recours proposés seraient adaptés pour réparer les violations de ces droits.

5.2S’agissant des questions ratione temporis, les auteurs soulignent que, pour le moins, les griefs en rapport avec l’article 14 ne sont pas remis en cause par ces arguments. Toutefois, de l’avis des auteurs, la décision de 1996 de la Cour suprême a clairement confirmé l’expropriation antérieure, constituant ainsi elle‑même une violation des articles 12 et 26, violation suffisante pour que le Comité puisse connaître de l’affaire. Les auteurs soulignent que les décisions récentes des plus hautes juridictions de l’État partie continuent d’être irrégulières eu égard aux effets juridiques des expropriations ordonnées sous l’ancien régime, et que, de surcroît, le mécanisme d’indemnisation administrative établi par la loi no 10/2001 a été abrogé par l’ordonnance spéciale no 184/2002.

Décision concernant la recevabilité

6.1À sa soixante‑dix‑huitième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité a observé que, à supposer même que les réparations proposées aient pu constituer une satisfaction totale et effective pour les violations alléguées, les auteurs avaient saisi les juridictions de l’État partie pour la première fois en 1992 en vue du règlement de leur affaire. Étant donné que l’État partie avait, semble‑t‑il, abrogé la voie du recours administratif que les auteurs avaient empruntée en avril 2001, le Comité aurait estimé déraisonnable d’exiger d’eux qu’ils engagent d’autres recours judiciaires près de 11 années après leur premier recours et après avoir poursuivi la procédure jusqu’à la plus haute instance judiciaire. Le Comité ne se trouvait donc pas, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans l’impossibilité d’examiner la communication.

6.4En ce qui concerne les arguments ratione temporis, relatifs aux articles 12 et 26, le Comité a observé que la décision de 1996 de la Cour suprême avait pour effet que l’expropriation des auteurs demeurait juridiquement valable. De l’avis du Comité, il était donc possible de soutenir que ladite décision avait confirmé et réaffirmé la validité des mesures antérieures, ramenant ainsi les griefs dans le champ de compétence ratione temporis du Comité.

7.Le 7 juillet 2003, le Comité des droits de l’homme a donc décidé que la communication était recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Le 5 janvier 2004, l’État partie réaffirme que la plainte des auteurs a trait à la non‑restitution de biens confisqués et sort donc du champ d’application du Pacte. Il réaffirme en outre que les auteurs disposent de recours utiles. Il conteste par ailleurs que les auteurs puissent renvoyer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

8.2L’État partie précise ensuite que l’appel extraordinaire du Procureur général a été annulé en 2003, parce qu’il produisait de l’insécurité juridique. De surcroît, il renouvelle son objection ratione temporis aux allégations des auteurs selon lesquelles les articles 12 et 26 du Pacte auraient été violés par le régime communiste et affirme que l’expropriation a eu lieu en juillet 1989, avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la Roumanie. Il xplique que la procédure administrative autorisant l’indemnisation des expropriations n’a pas été abrogée mais qu’elle sera appliquée au moyen d’une loi spéciale qui établira des critères pour évaluer le montant des indemnisations.

8.3Pour ce qui concerne la législation interne, l’État partie affirme que les auteurs jouissent du droit à la liberté de circulation. Il affirme en outre que les auteurs n’ont pas montré qu’ils avaient été victimes de discrimination au cours du procès, et que tous les jugements ont été rendus sur la base des preuves existantes. Selon lui, les auteurs ont eu à tout moment accès à la justice, conformément aux règles de procédure.

8.4Pour les motifs susvisés, l’État partie conclut qu’il n’y a eu de la part de la Roumanie aucune violation des articles 12, 14 et 26 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

9.1Dans leurs commentaires datés du 3 février 2004 sur les observations de l’État partie, les auteurs font observer que celui‑ci répète les arguments qu’il avait formulés contre la recevabilité de la communication, sans y ajouter aucun élément nouveau. Ils affirment que les actes d’expropriation ont des effets persistants au travers des décisions de justice prises dans leur affaire, lesquelles confirment la validité de l’expropriation. Pour ce qui concerne la situation actuelle de l’appartement des auteurs, il est dit que l’État l’a vendu à un tiers à très bas prix en décembre 1996 et que cette cession n’a été possible qu’en raison de la décision prise en 1996 par la Cour suprême.

9.2Quant au fond, les auteurs affirment que l’expropriation de leur bien avait clairement pour objet de les punir de ne pas être retournés dans le pays et constituait donc une violation de la liberté de circulation protégée par l’article 12 du Pacte, la Roumanie étant déjà liée à l’époque par le Pacte, auquel elle est devenue partie en 1976.

9.3Les auteurs affirment en outre que, puisque cette mesure d’expropriation a été prise dans le seul but de punir ceux qui avaient choisi de quitter le pays, elle était aussi arbitraire et discriminatoire, en violation de l’article 26, qui interdit la discrimination en vertu de «toute autre situation».

9.4Pour ce qui concerne l’article 14 du Pacte, les auteurs font valoir que le pouvoir qu’avait le Procureur général à l’époque de former appel extraordinaire de l’arrêt qui leur restituait leur bien violait le droit à l’égalité devant les tribunaux. En cassant une décision irrévocable, la Cour suprême violait le principe de la sécurité juridique et, en décidant que les tribunaux ne pouvaient connaître de plaintes pour expropriation, elle violait aussi leur droit d’accès aux tribunaux. Répondant à l’objection formulée par l’État partie contre le fait de mentionner la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les auteurs déclarent qu’ils se sont référés à cette jurisprudence parce qu’elle se rapporte à une affaire similaire et parce que l’article 6 de la Convention européenne et l’article 14 du Pacte sont de nature analogue.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

10.2La principale allégation des auteurs se rapporte au renversement de jurisprudence de la Cour suprême dans leur affaire, intervenu le 8 mai 1996. À cet égard, le Comité note qu’il n’est pas contesté que le Procureur général s’est pourvu contre l’arrêt rendu par la cour d’appel dans l’affaire des auteurs après que celui‑ci fut devenu définitif et eut été exécuté. À la suite de la décision de la Cour suprême, la propriété du bien immobilier a de nouveau été transférée à l’État, lequel l’a ultérieurement vendue. Le Comité considère que le principe de l’égalité devant la loi implique que les jugements, une fois définitifs, soient insusceptibles d’appel ou de révision, sauf dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’intérêt de la justice l’exige, et sur une base non discriminatoire. En l’espèce, aucun argument légitime n’a été invoqué qui pouvait justifier l’annulation de la décision définitive prise dans l’affaire des auteurs. L’État partie a lui‑même reconnu que la pratique des appels extraordinaires à l’initiative du Procureur général avait provoqué une insécurité juridique, ce qui l’avait conduit à abolir la possibilité de tels appels en 2003. Le Comité conclut que l’appel du Procureur général dans l’affaire des auteurs et la décision subséquente de 1996 de la Cour suprême annulant l’arrêt définitif de la cour d’appel, lequel avait infirmé la décision du tribunal de première instance qui rendait les auteurs victimes d’une discrimination du fait de leur résidence à l’étranger, constituent une violation des droits des auteurs consacrés par l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

10.3Eu égard à cette conclusion, le Comité juge qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs des auteurs au titre des articles 12 et 14 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y inclus la prompte restitution de leur propriété ou une indemnisation conséquente.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

FF. Communication n o  1159/2003, Sankara c. Burkina Faso (Constatations adoptées le 28 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Mariam Sankara et al. (représentés par un conseil)

Au nom de:

Mariam, Philippe, Auguste et Thomas Sankara

État partie:

Burkina Faso

Date de la communication:

15 octobre 2002 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité:

9 mars 2004

Objet: Absence d’enquête publique et poursuites judiciaires suite à assassinat;déni de justice en raison de l’opinion politique

Questions de procédure: Demande de réexamination de décision de recevabilitédu 9 mars 2004

Questions de fond: Absence d’enquête publique et poursuites judiciaires suite à assassinat; traitement inhumain; non-rectification du certificat de décès; déni de justice; principe d’égalité des armes; droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial dans un délai raisonnable; droit à la sécurité de la personne; discrimination sur l’opinion politique

Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1), 14 (par. 1) et 26

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 1)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1159/2003 présentée au nom de Mariam, Philippe, Auguste et Thomas Sankara, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs, Mme Mariam Sankara (née le 26 mars 1953 et résidant en France) et ses fils, Philippe (né le 10 août 1980 et résidant en France) et Auguste Sankara (né le 21 septembre 1982 et résidant en France) sont respectivement l’épouse et les enfants de M. Thomas Sankara, ancien Président du Burkina Faso décédé le 15 octobre 1987. Les auteurs déclarent agir au nom de M. Thomas Sankara et en tant que victimes elles-mêmes. Elles font état de violations par le Burkina Faso, d’une part, de l’article 6, paragraphe 1, relativement à Thomas Sankara et, d’autre part, des articles 2, paragraphes 1 et 3 a) et b), 14, paragraphe 1, 17, 23, paragraphe 1, et 26 du Pacte pour Mme Sankara et ses enfants, et également de l’article 16 du Pacte dans le cas d’Auguste Sankara. Les auteurs sont représentés par les conseils du Collectif juridique international Justice pour Sankara, Mes Vincent Valai et M. Milton James Fernandes.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Burkina Faso le 4 avril 1999.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, Président du Burkina Faso, est assassiné lors d’un coup d’État à Ouagadougou.

2.2De 1987 à 1997, d’après les auteurs, les autorités n’ont entrepris aucune enquête sur cet assassinat. En outre, le 17 janvier 1988, a été établi un certificat de décès précisant, à tort, que Thomas Sankara était décédé de mort naturelle.

2.3Le 29 septembre 1997, avant échéance de la prescription décennale, Mme Mariam Sankara a déposé, en tant qu’épouse et au nom de ses deux enfants mineurs, une plainte contre X pour assassinat de M. Thomas Sankara ainsi que pour faux en écriture administrative auprès du doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Ouagadougou. Le 9 octobre 1997, les auteurs ont déposé une consignation de 1 million de francs CFA, conformément au Code de procédure pénale.

2.4Le 29 janvier 1998, le Procureur général du Faso a présenté des réquisitions de non‑informer aux fins de contester la compétence de la juridiction de droit commun au motif que les faits allégués se sont passés dans l’enceinte d’un établissement militaire entre militaires et assimilés; et que le certificat de décès émane des services de santé des Forces armées nationales et a été signé par un médecin commandant, donc un militaire.

2.5Le 23 mars 1998, par ordonnance no 06/98, le juge d’instruction a décidé, au contraire, que le tribunal de grande instance de Ouagadougou représentait la juridiction d’instruction de droit commun compétente.

2.6Le 2 avril 1998, le Procureur du Faso a relevé appel de cette décision.

2.7Le 10 décembre 1999, en raison de l’absence de décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel, les conseils des auteurs ont mis en demeure le Ministre de la justice et le Conseil supérieur de la magistrature de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer l’impartialité de la justice.

2.8Le 26 janvier 2000, par arrêt no 14, la cour d’appel de Ouagadougou a infirmé l’ordonnance no 06/98 du 23 mars 1998 et déclaré les juridictions de droit commun incompétentes.

2.9D’après les auteurs, malgré l’arrêt no 14 de la cour d’appel et une requête de leur part du 27 janvier 2000, le Procureur du Faso a refusé ou omis de dénoncer l’affaire auprès du Ministre de la défense afin que ce dernier donne l’ordre de poursuite.

2.10Le 27 janvier 2000, les conseils ont contesté l’arrêt no 14 précité en présentant un pourvoi auprès de la chambre judiciaire de la Cour suprême.

2.11Le 19 juin 2001, par arrêt no 46, la Cour suprême a déclaré ce pourvoi irrecevable pour défaut de versement de consignation.

2.12Ce même jour, une demande des conseils a été adressée au Procureur général près la Cour suprême afin qu’il dénonce l’affaire auprès du Ministre de la défense de sorte que ce dernier donne l’ordre de poursuite. À cette même date, les conseils ont demandé au Ministre de la défense de délivrer l’ordre de poursuite, escomptant une dénonciation à venir du parquet général.

2.13Le 19 juin 2001, lors d’une entrevue ayant porté notamment sur l’affaire Sankara, le Président du Burkina Faso a déclaré sur Radio France Internationale que le Ministre de la défense n’avait pas à s’occuper des affaires de justice.

2.14Le 25 juin 2001, une nouvelle requête a été adressée au Procureur du Faso.

2.15Le 23 juillet 2001, le Procureur du Faso a répondu aux conseils que, d’une part, leur requête portait sur des faits qualifiés de crimes commis le 15 octobre 1987, soit depuis plus de 13 ans et huit mois, et, d’autre part, l’arrêt du 26 janvier 2000 de la cour d’appel avait déclaré sa juridiction incompétente et avait renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

2.16Le 25 juillet 2001, contestant la réponse du Procureur, les conseils l’ont, à nouveau, sollicité afin que, conformément à l’article 71 3) du Code de justice militaire, les tribunaux militaires soient saisis, recours ne pouvant être exercé par la partie civile. À ce jour, aucune réponse du Procureur et donc saisine du Ministre de la défense n’ont été rapportées.

Teneur de la plainte

Les auteurs estiment que l’absence d’enquête publique et de poursuites judiciaires afin de déterminer l’identité et les responsabilités civiles et pénales des auteurs de l’assassinat de Thomas Sankara ainsi que la non-rectification de son acte de décès constituent un déni grave de justice quant à leur protection comme membres de la famille Sankara, ceci en violation des articles 17 et 23, paragraphe 1, du Pacte. Ils considèrent, en outre, que ce défaut d’enquête et donc des garanties liées à l’égalité devant la loi, ainsi que le refus du Procureur de saisir le Ministre de la défense empêchant ainsi leur plainte d’aboutir sont dus à leur opinion politique, ceci en violation des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte.

Les auteurs soutiennent que l’État partie a manqué à ses obligations, d’une part, de mettre à leur disposition, en vertu de l’article 2, paragraphes 3 a) et b) du Pacte, un recours utile pour les violations subies et, d’autre part, de garantir l’impartialité de la justice telle que requise par l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. À ce sujet, les auteurs expliquent que la décision, en première instance, de consacrer la compétence des juridictions militaires, et d’imposer une consignation d’un montant anormalement élevé (1 million de francs CFA) visait à créer des obstacles quant à l’examen de leur plainte et, en conséquence, a constitué une violation du principe d’égalité des armes. De même, le fait que leurs conseils aient dû mettre en demeure la cour d’appel afin que celle-ci rende une décision s’inscrit dans le cadre des violations précitées. Les auteurs estiment qu’il en était de même pour la procédure devant la Cour suprême, en particulier pour les raisons suivantes: le Président de la Cour est un partisan du parti et du Président au pouvoir; et la décision d’irrecevabilité pour défaut de consignation constitue, en réalité, un prétexte afin de ne pas statuer sur le fond de l’affaire.

Les auteurs considèrent qu’Auguste Sankara aurait dû être dispensé, en tant que mineur, du dépôt de consignation en vertu de la législation en vigueur. Or, par sa décision du 19 juin 2001, la Cour suprême a refusé de reconnaître l’auteur comme mineur, ceci en violation de l’article 16 du Pacte.

Enfin, les auteurs font valoir que le refus des autorités de procéder à une rectification de l’acte de décès de Thomas Sankara constitue une violation continue de l’article 6, paragraphe 1, du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

Dans ses observations du 1er avril 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

L’État partie procède à un rappel qu’il qualifie d’historique portant principalement sur les conditions d’accession au pouvoir du capitaine Thomas Sankara, le 4 août 1983, et sur ses conséquences en termes de violations des droits de l’homme. Enfin, l’État partie décrit ce qu’il désigne comme étant un processus démocratique et de réconciliation nationale engagé depuis 1991. L’État partie décrit également les voies de recours en vigueur au Burkina Faso.

L’État partie estime que les auteurs ont abusé de la procédure offerte par le Protocole facultatif. À ce sujet, il précise que le 30 septembre 2002, les auteurs ont déposé auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Ouagadougou une plainte contre X, avec constitution de partie civile, pour défaut de produire le corps du défunt. Le 16 octobre 2002, sans attendre les suites de cette requête, les auteurs ont soumis une plainte auprès du Comité. Le 16 janvier 2003, le Procureur du Faso a adressé un réquisitoire de non-informer, invoquant la plainte précédente de la partie civile faisant état de la mort de Thomas Sankara. Le 3 février 2003, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Ouagadougou a rendu une ordonnance jugeant la plainte sans objet, étant donné que la même partie civile avait déposé, en septembre 1997, une plainte pour assassinat de la même personne et que les faits confirment la mort de ce dernier. D’après l’État partie, les auteurs ont donc saisi le Comité alors même qu’une procédure était pendante devant les juridictions nationales.

L’État partie estime, ensuite, irrecevable la plainte des auteurs en raison de l’antériorité des faits soulevés à l’adhésion du Burkina Faso au Pacte et au Protocole facultatif, en l’occurrence 15 ans. En outre, selon l’État partie, les auteurs ne peuvent, non plus, invoquer un déni de justice pour ces faits, ce déni n’ayant pas été constitué.

D’après l’État partie, la condition d’épuisement des voies de recours internes n’a pas été satisfaite.

L’État partie explique que, suite à la décision d’irrecevabilité du 19 juin 2001 de la Cour suprême, ceci pour défaut de consignation, les auteurs se sont abstenus d’utiliser les recours non contentieux, et ne peuvent, par conséquent, invoquer l’insuffisance du système burkinabè de protection des droits de l’homme, et la violation de leur droit d’accès à la justice garanti par la Constitution. L’État partie cite, à ce sujet, l’absence de recours auprès:

−Du Médiateur du Faso (les faits allégués étant liés au fonctionnement de l’appareil de l’État, la plaignante aurait pu, sur le fondement des articles 11 et 14 combinés de la loi no 22/94/ADP du 17 mai 1994 portant institution d’un médiateur du Faso, saisir celui-ci, aux fins de médiation auprès de l’État);

−Du Collège des sages (à l’instar de victimes des événements du 15 octobre 1987, la plaignante aurait pu saisir ce collège créé le 1er juin 1999);

−De la Commission de réconciliation nationale (ayant pris le relais du Collège des sages, la Commission avait compétence pour recenser les cas de crimes économiques et de sang perpétrés au Burkina Faso depuis son accession à l’indépendance en 1960, en vue de proposer des recommandations propres à favoriser la réconciliation nationale);

−Du Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique (malgré l’assimilation de la mort de Thomas Sankara à une situation de violence en politique, la plaignante n’a pas saisi un tel fonds, ceci contrairement à des victimes des événements du 15 octobre 1987).

De même, selon l’État partie, tous les recours contentieux n’ont pas été épuisés. Eu égard aux griefs de déni de justice, un recours est prévu pour toute personne qui s’estime victime d’une telle violation, au titre de l’article 4 du Code civil, de l’article 166 du Code pénal et de l’article 281 de l’ordonnance no 91-51 du 26 août 1991 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême. Or Mme Sankara n’a pas utilisé de tels recours. Relativement au grief à l’encontre du Président de la Cour suprême, conformément aux articles 648 à 658 du Code de procédure pénale et aux articles 291 et 292 de l’ordonnance no 91-51, toute personne partie à un procès ayant une suspicion légitime sur un magistrat appelé à statuer sur ses intérêts, peut exercer un recours en récusation. Or l’auteur n’a pas utilisé un tel recours. De même, elle n’a pas non plus fait usage des articles 283 et 284 de l’ordonnance no 91‑51 permettant de sanctionner un déni de justice.

D’après l’État partie, l’auteur a également commis, par négligence ou par ignorance, des erreurs de procédure n’ayant pas permis l’examen au fond de sa requête. L’État partie se réfère à l’introduction tardive de la plainte, à savoir le 29 septembre 1997, la prescription courant à compter du 15 octobre 1997, soit 10 ans après les faits allégués. L’auteur prenait ainsi le risque que sa plainte soit forclose en cas de saisine d’une juridiction incompétente. La saisine du tribunal de grande instance, en lieu et place du tribunal militaire, constitue, selon l’État partie, une erreur de procédure imputable à l’auteur. La qualité de la victime (Thomas Sankara était capitaine de l’armée régulière du Burkina Faso) et le lieu où les événements se sont produits (les locaux du Conseil de l’entente, érigés en zone militaire sous la période révolutionnaire) auraient dû, tout naturellement, conduire l’auteur à saisir, conformément à la loi, les juridictions militaires. D’après l’État partie, la prescription de l’action en justice, liée à la saisine tardive de la justice, et l’erreur de procédure ont rendu caduque toute action devant le juge militaire. Dès lors, l’auteur ne peut reprocher au Procureur d’avoir refusé de dénoncer l’affaire auprès du Ministre de la défense, conformément aux dispositions du Code de justice militaire. Par ailleurs, selon l’État partie, le rejet du pourvoi auprès de la Cour suprême pour défaut de consignation ne peut être invoqué par l’auteur comme un motif de déni de justice, car il lui appartenait de se conformer aux actes de procédure prévus par la loi.

Enfin, l’État partie soulève une irrecevabilité de fond liée au caractère politique de la plainte. D’après l’État partie, la saisine tardive des juridictions nationales au sujet de la mort de son mari dénote du désintérêt manifeste de l’auteur quant à la manifestation de la vérité sur le plan du droit. L’État partie estime que les faits de la cause sont fondamentalement politiques puisqu’ils se sont déroulés dans un contexte national particulièrement troublé lié, d’une part, aux errements du régime révolutionnaire et aux risques d’instabilité du pays et, d’autre part, au coup de force militaire imposé par les circonstances. Enfin, la justice recherchée par l’auteur est fondamentalement politique et constitue un abus de droit. D’après l’État partie, l’auteur s’est fixé pour objectif de venger son mari décédé. Depuis sa décision de s’exiler dès le lendemain des événements, l’auteur n’a cessé de multiplier les initiatives tendant à nuire à l’image du pays. Or, selon l’État partie, en dépit des démarches tendant à faciliter son retour au pays, l’auteur s’est obstinée à demeurer à l’étranger où elle bénéficie du statut de réfugié politique. La plainte de l’auteur ne relève donc pas de la compétence du Comité.

Commentaires des auteurs concernant la recevabilité

Dans leurs commentaires du 30 août 2003, les auteurs contestent les arguments d’irrecevabilité de l’État partie.

À titre préliminaire, les auteurs soulignent que leur plainte doit être appréhendée également sous l’angle de l’article 7 du Pacte dans la mesure où le refus des autorités de procéder à une enquête sérieuse et d’établir les faits entourant la mort de Thomas Sankara peut être considéré comme un traitement cruel, inhumain et dégradant à leur encontre. En effet, de la sorte, les autorités ne leur ont pas permis de connaître les circonstances de la mort de la victime, ni le lieu précis où sa dépouille a été officiellement enterrée. Enfin, la conduite illicite de l’État a eu pour effet d’intimider et de punir la famille Sankara, injustement laissée dans un état d’incertitude et de souffrance psychologique.

Les auteurs estiment que les arguments de l’État partie quant à l’irrecevabilité ratione materiae de la plainte, et du fait de son caractère prétendument politique, sont sans fondement juridique. D’après les auteurs, le Comité est, en outre, compétent pour examiner les faits de la présente communication, qui certes précèdent l’adhésion du Burkina Faso au Protocole facultatif, mais représentent une violation continue du Pacte et produisent des effets constituant eux-mêmes des violations du Pacte jusqu’à ce jour, ceci compte tenu des actes de gouvernement et des décisions des tribunaux après l’entrée en vigueur du Pacte.

Les auteurs font valoir que la communication, dans son ensemble, est recevable dans la mesure où le Burkina Faso a manqué à ses obligations en vertu du Pacte. Citant la communication no 612/1995 (Vicente c. Colombie, constatations adoptées le 29 juillet 1997), les auteurs se réfèrent, en premier lieu, au fait que l’État partie ne s’est pas conformé à son obligation de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara. En second lieu, l’État partie n’a jamais nié son manquement à cette obligation en vertu du Pacte, cette violation ayant eu lieu avant et après l’adhésion au Protocole facultatif. Il est également noté que le certificat de décès de Thomas Sankara a établi faussement le décès pour causes naturelles, et que l’État partie a refusé ou volontairement omis de le rectifier avant et après l’adhésion au Protocole facultatif. En troisième lieu, les auteurs estiment que, dans ses observations, l’État partie a fait une admission judiciaire à savoir que les autorités étatiques savaient sciemment que Thomas Sankara n’était pas mort de causes naturelles, mais n’ont rien entrepris à ce sujet.

Les auteurs insistent sur le fait que les actes et les omissions volontaires de l’État partie ont persisté, après son adhésion au Protocole facultatif, et constitué des violations continues du Pacte. Ils rappellent, d’une part, avoir initié une procédure judiciaire, le 29 septembre 1997, dans les limites de la prescription décennale, en raison du refus des autorités de respecter leurs obligations et, d’autre part, l’attitude de ces dernières ayant visé à arrêter ou ralentir leur recours.

Les auteurs estiment que la cour d’appel a rendu, avec retard, après la mise en demeure de leurs conseils, sa décision du 26 janvier 2000. Or, les auteurs rappellent que suite à cette décision ayant déclaré les juridictions de droit commun incompétentes, les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au Ministre de la défense afin que des poursuites judiciaires soient engagées devant les tribunaux militaires, tel que prévu à l’article 71 1) et 3) du Code de justice militaire. Le 27 janvier 2000, les auteurs ont donc déposé un recours devant la Cour suprême afin de contester la validité de la décision de la cour d’appel.

D’après les auteurs, le 27 janvier 2000, lors du dépôt du recours auprès de la Cour suprême, le greffier a refusé ou omis volontairement de donner aux conseils un avis formel relativement aux exigences prévues par l’article 110 de l’ordonnance no 91-0051/PRES du 26 août 1991. Il a également omis de vérifier si l’article 111 de cette ordonnance s’appliquait, en l’occurrence de vérifier l’âge d’Auguste Sankara afin de déterminer s’il était mineur. Par sa décision du 19 juin 2001, la Cour suprême a refusé ou omis volontairement de remédier aux violations du greffier, et proprio motu de vérifier l’âge d’Auguste Sankara alors que celui-ci, né le 21 septembre 1982, était mineur lors du dépôt du recours, ceci représentant deux violations distinctes des droits d’Auguste Sankara au titre de l’article 16 du Pacte. Les auteurs font état, subsidiairement, du refus de permettre aux conseils de régler 5 000 francs CFA lors du dépôt des procédures, et du refus de la Cour suprême de procéder sur le fond de la cause au seul prétexte qu’une somme de 5 000 francs CFA était requise, et donc de permettre la continuation des procédures.

Les auteurs font, à nouveau, état des manquements et omissions délibérés des autorités, à différents stades de la procédure, à savoir de dénoncer l’affaire auprès du Ministre de la défense afin que la cause procède devant un tribunal militaire, alors même que cette procédure est requise par l’article 71 3) précité.

Concernant l’épuisement des voies de recours internes, se référant à la jurisprudence du Comité, les auteurs font valoir que le Pacte requiert l’engagement de procédures criminelles, au niveau national, lors de violations graves, en particulier de morts illicites. L’État partie ayant sciemment omis ou refusé d’engager la moindre enquête ou procédure civile, criminelle ou militaire, les auteurs expliquent avoir alors déposé une plainte contre X relativement à la mort de Thomas Sankara et aux droits de sa famille dans la mesure où il s’agissait du seul recours domestique disponible afin de remédier aux violations alléguées. Il est rappelé que les auteurs ne pouvaient engager une telle procédure devant les tribunaux militaires en vertu de l’article 71 3) du Code de justice militaire. S’appuyant sur la jurisprudence du Comité, les auteurs soutiennent qu’aucun des recours mentionnés par l’État partie ne peut être considéré comme utile, étant donné leur nature purement disciplinaire ou administrative, ne liant pas légalement les autorités publiques (recours non contentieux), et ne pouvant apporter aucun remède efficace pour les violations graves alléguées (recours contentieux). Concernant les recours internes pour déni de justice, citant la jurisprudence du Comité, les auteurs estiment qu’il revient au Comité de déterminer si la Cour suprême a violé ses obligations d’indépendance et d’impartialité, et qu’ils ne pouvaient présumer, lors de leur recours, de la conduite de la Cour. Enfin, selon les auteurs, l’action en récusation du Président de la Cour suprême ne peut constituer un recours utile dans la mesure où elle ne peut remédier aux effets irréversibles de la décision de la Cour, non susceptible d’appel. Eu égard au recours du 20 septembre 2002 pour défaut de produire le corps de Thomas Sankara, les auteurs font valoir qu’un tel recours visait l’obtention de preuves directes sur les circonstances du décès de la victime, et ne pouvait remédier aux allégations de violations à l’endroit des membres de la famille. Les auteurs ajoutent que le seul recours efficace et adéquat pour les membres de la famille fut épuisé par la décision du 19 juin 2001 de la Cour suprême. Enfin, conformément à la jurisprudence du Comité, les auteurs considèrent qu’on ne pouvait exiger d’eux de soumettre un recours en séquestration.

Les auteurs ont, par ailleurs, exposé des éléments de preuve supplémentaires sur le fond de la communication. Ils font valoir que, dans ses observations, l’État partie a admis officiellement que les autorités avaient connaissance de la mort non naturelle de Thomas Sankara le 15 octobre 1987. Ils en déduisent que le recours du 30 septembre 2002 n’est désormais plus requis. Ils notent, en outre, que le Ministre de la justice de l’époque, actuel Président du Burkina Faso, n’a pas engagé de recours judiciaire malgré sa connaissance du décès non naturel de la victime. De même, le Procureur du Faso et le Ministre de la défense n’ont pas fait en sorte que les tribunaux militaires soient saisis suite à la décision de la Cour suprême. Enfin, les auteurs se réfèrent, à nouveau, à la déclaration du Président du Burkina Faso, le 19 juin 2001, sur Radio France Internationale, et la considère contraire à l’article 71 1) et 3) du Code de justice militaire édictant, parmi les devoirs du Ministre de la défense, la compétence exclusive d’ordonner des poursuites auprès des tribunaux militaires. Les auteurs soulignent que toutes les fois qu’une infraction a été dénoncée par un juge d’instruction civil, un procureur du Faso ou un Procureur général, le Ministre de la défense a donné l’ordre de poursuite. D’après les auteurs, et se référant à une déclaration dans Le Pays, le Ministre de la défense a personnellement refusé d’exercer les pouvoirs conférés par l’article 71 3) du Code de justice militaire. Les auteurs soulignent, à nouveau, que toutes les autorités judiciaires, tels le Procureur du Faso et le Procureur général, ont soit refusé soit volontairement omis ou empêché que des poursuites soient engagées devant les tribunaux militaires.

Décision concernant la recevabilité

6.1À sa quatre-vingtième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité a noté l’argumentation de l’État partie sur l’irrecevabilité ratione temporis de la communication. Ayant également pris note des arguments des auteurs, le Comité a estimé qu’il convenait de distinguer, d’un côté, la plainte ayant trait à M. Thomas Sankara et, de l’autre, celle concernant Mme Sankara et ses enfants. Le Comité a estimé que le décès de Thomas Sankara, qui aurait pu constituer des violations de plusieurs articles du Pacte, était survenu le 15 octobre 1987, et donc avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour le Burkina Faso. Cette partie de la communication était donc irrecevable ratione temporis. L’acte de décès de Thomas Sankara, du 17 janvier 1988, établissant une mort naturelle contrairement aux faits, de notoriété publique, et tel qu’attesté par l’État partie (par. 4.2 et 4.7) et sa non-rectification par les autorités depuis lors, devait être appréhendé au regard de ses effets continus à l’endroit de Mme Sankara et de ses enfants.

6.3Conformément à sa jurisprudence, le Comité a estimé qu’il ne pouvait connaître de violations qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole. Une violation persistante s’entend de la perpétuation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. Le Comité a pris note des arguments des auteurs, en premier lieu, quant à l’absence d’enquête des autorités sur le décès, de notoriété publique, de Thomas Sankara et de poursuites des coupables − allégations d’ailleurs non contestées par l’État partie − constituant des violations de leurs droits et des obligations des États au regard du Pacte. En second lieu, il ressortait qu’afin d’y remédier, les auteurs avaient initié une procédure judiciaire, le 29 septembre 1997, ceci dans les limites de la prescription décennale, et qu’une telle procédure s’était poursuivie après l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour le Burkina Faso. Or, et contrairement aux arguments de l’État partie, le Comité a estimé que la procédure s’était prolongée, non pas en raison d’une erreur de procédure imputable aux auteurs, mais d’un conflit de compétence entre autorités. Dès lors, dans la mesure où d’après les informations fournies par les auteurs, les violations alléguées qui résulteraient du défaut d’enquête et de poursuite des coupables les avaient affectés après l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif en raison du non-aboutissement, à ce jour, de la procédure engagée, le Comité a estimé que cette partie de la communication était recevable ratione temporis.

6.4Concernant l’épuisement des voies de recours internes, eu égard à l’argument d’irrecevabilité de l’État partie tiré du défaut d’utilisation des recours non contentieux, le Comité a rappelé que les recours internes devaient être non seulement disponibles mais également utiles et que l’expression «recours internes» devait être entendue comme visant au premier chef les recours judiciaires. L’utilité d’un recours dépendait également, dans une certaine mesure, de la nature de la violation dénoncée. Dans le cas d’espèce, la violation alléguée concernait le droit à la vie, et était liée principalement à l’allégation du défaut d’enquête et de poursuite des coupables, et accessoirement à l’allégation de la non-rectification de l’acte de décès de la victime et du non-aboutissement des recours engagés par les auteurs afin d’y remédier. Dans cette situation, le Comité a estimé que les recours non contentieux invoqués par l’État partie dans sa soumission ne pouvaient être considérés comme «utiles» aux fins de l’article 5 2) b) du Protocole facultatif.

6.5Eu égard aux griefs de l’État partie de non-utilisation de certains recours contentieux quant au déni de justice, le Comité a constaté que l’État partie s’était limité à une simple citation de recours disponibles en droit burkinabè, sans pour autant fournir une quelconque information sur la pertinence de ces recours dans les circonstances propres au cas d’espèce, ni démontré qu’ils auraient constitué des recours utiles et disponibles. Concernant en particulier le recours en récusation à l’encontre du Président de la Cour suprême, le Comité a estimé que les auteurs ne pouvaient présumer de la décision de la Cour, et qu’il reviendrait au Comité de déterminer, lors de l’examen sur le fond, si la décision du Président avait été arbitraire ou avait constitué un déni de justice.

6.6Concernant l’argument d’irrecevabilité au motif que les auteurs avaient saisi le Comité alors qu’une procédure était pendante devant les juridictions nationales, le Comité n’a pu retenir ce grief dans la mesure où le recours additionnel introduit par les auteurs dans le cadre de la plainte contre X du 30 septembre 2002 était épuisé lors de l’examen de la communication.

6.7Relativement au grief de l’État partie de prescription liée à la saisine tardive et procéduralement incorrecte de la justice, le Comité l’a estimé non fondé tel que ci-dessus exposé (cf. par. 6.3). Le Comité ne saurait, en outre, retenir cet argument à l’appui de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne pouvait être reproché au Procureur d’avoir refusé de dénoncer l’affaire auprès du Ministre de la défense. À cet égard, le Comité a constaté que les motifs du refus avancés par le Procureur, le 23 juillet 2001, étaient manifestement non fondés puisque, d’une part, tel que ci-dessus exposé, la prescription ne pouvait être retenue (et d’ailleurs n’avait pas été retenue par les différentes autorités tout au long de la procédure) et, d’autre part, les auteurs ne pouvaient saisir eux-mêmes les tribunaux militaires (seule juridiction compétente, l’arrêt no 14 de la Cour d’appel étant devenu définitif suite à l’arrêt no 46 de la Cour suprême), l’ordre de poursuite ne pouvant avoir lieu, sous peine de nullité que par le Ministre de la défense après dénonciation en particulier du Procureur. Ce dernier a donc, à tort, arrêté la procédure engagée par les auteurs et n’a, en outre, pas répondu à leur recours du 25 juillet 2001, élément au demeurant non commenté par l’État partie.

6.8Finalement, le Comité a estimé que les auteurs avaient épuisé les voies de recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.9Relativement à l’argument de l’État partie sur le caractère prétendument politique de la plainte, le Comité a considéré que ce grief ne s’opposait en rien à la recevabilité de la communication et relevait, en fait, de l’examen quant au fond de la communication.

6.10Eu égard aux griefs de violations des articles 17 et 23 du Pacte, le Comité a estimé que les allégations des auteurs faisant état des conséquences du défaut d’enquête sur le décès de Thomas Sankara et d’identification des responsables en particulier pour leur protection ne relevaient pas des articles invoqués, mais posaient problème au regard des articles 7 et 9, paragraphe 1, du Pacte.

6.11Concernant le grief de violation de l’article 16 du Pacte, le Comité a estimé que les allégations des auteurs ne relevaient pas de l’article invoqué, mais pouvaient soulever des questions au regard de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

6.12Relativement aux griefs au titre des articles 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte (cf. par. 3.1), le Comité a considéré que ces allégations étaient suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable au titre des articles 7, 9, paragraphe 1, 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 27 septembre 2004, l’État partie a transmis ses observations sur le fond. Il estime que, dans sa décision de recevabilité, le Comité a anticipé sur le fond en requalifiant certaines allégations des auteurs, ce qui préjuge de la décision et constitue une méconnaissance du principe de présomption d’innocence. Il réitère que l’usage des voies de recours internes par l’auteur relève d’omissions et d’abstentions volontaires destinées à abuser de la procédure au titre du Protocole facultatif.

7.2Relativement à l’allégation au titre des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte, l’État partie estime que les auteurs n’ont pas démontré l’existence d’une discrimination à l’égard de la famille Sankara sur la base de son opinion politique. Les auteurs ne peuvent se fonder sur leur échec dans la procédure judiciaire afin d’invoquer une telle discrimination dans la mesure où ils ne militent dans aucun parti politique au Burkina Faso, n’y vivent pas, et ne prennent pas directement part à la vie politique nationale. En tout état de cause, selon l’État partie, les auteurs ne peuvent utilement invoquer une violation de l’article 2, paragraphe 1, du Pacte car, au moment de l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif à l’égard du Burkina Faso en avril 1999, l’État partie ne pouvait plus légalement engager une enquête sur la mort de Thomas Sankara. L’État partie soutient que toute action judiciaire au sujet de cette affaire étant prescrite depuis le 15 octobre 1997, l’on ne saurait invoquer une violation continue du Pacte, sauf à considérer que la loi nationale serait devenue caduque du fait de l’entrée en vigueur du Pacte à l’égard du Burkina Faso, ce qui n’est pas le cas.

7.3Eu égard à l’allégation de violation de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, l’État partie estime que le Comité a marqué sa préférence pour les recours contentieux (par. 6.4) alors que l’on ne saurait valablement exclure toute possibilité de recours non contentieux. L’État partie explique que ces procédures peuvent souvent s’avérer, en pratique, plus efficaces que les procédures contentieuses. Il rappelle les recours non contentieux du Burkina Faso, lesquels constituent des recours utiles, et qui se sont révélés, le plus souvent, plus importants et plus efficaces que les recours contentieux, mais que les auteurs ont refusés (cf. par. 4.6). Concernant les recours contentieux, l’État partie soutient qu’ils constituent également des recours utiles, mais que la famille Sankara attendait plutôt une «justice particulière» eu égard à son passé, ceci contrairement au principe d’égalité devant la loi et la justice.

7.4Concernant l’allégation de violation de l’article 6, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie explique que l’acte de décès de Thomas Sankara est un acte administratif au sens de la loi, et qu’il appartenait à la famille Sankara, conformément à la législation en vigueur, de saisir le juge administratif compétent afin d’obtenir son annulation ou sa rectification. En outre, l’État partie considère que la non-rectification de l’acte de décès ne constitue pas, en soi, une violation du droit à la vie.

7.5Relativement à l’allégation de violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie expose sa législation garantissant l’indépendance de la justice. Il soutient, en outre, que, dans le cas d’espèce, les auteurs n’ont pas démontré le caractère partisan des magistrats. Ainsi, le montant de la consignation, en première instance, est laissé à la discrétion du juge qui le fixe en fonction des circonstances de l’espèce. Or la fixation d’un montant de 1 million de francs CFA ne saurait traduire, à elle seule, le caractère partisan de la décision du juge, car ce montant varie en fonction de l’importance de l’affaire et des parties en cause. L’État partie affirme que ce montant n’a rien d’exceptionnel au regard de la pratique habituelle des tribunaux burkinabès. Quant au paiement de la consignation en cassation, qui est de 5 000 francs CFA, il est, selon la loi, d’ordre public et tout plaignant formant un pourvoi en cassation doit s’en acquitter, sous peine d’irrecevabilité. D’après l’État partie, ayant négligé de s’acquitter de cette formalité, les auteurs ne peuvent invoquer le caractère partisan des magistrats, ni préjuger la partialité des magistrats. En outre, l’État partie estime que l’invocation des affinités politiques du Président de la Cour de cassation ne saurait résister à la critique, dans la mesure où les décisions de la Cour de cassation demeurent, en toute hypothèse, collégiales et où la partie plaignante avait le loisir de récuser, conformément à la loi en vigueur, le Président de la Cour de cassation, mais ne l’a pas fait. En tout état de cause, selon l’État partie, un échec en justice ne suffit pas pour qualifier les juges de partisans et les tribunaux de partiaux.

7.6Eu égard à l’allégation de violation de l’article 16 du Pacte, que le Comité a préféré requalifier au titre de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie soutient que, contrairement aux affirmations des auteurs, l’exonération de dépôt de consignation prévue à l’article 111 de l’ordonnance no 91-0051/PRES du 26 août 1991 au profit des mineurs ne peut être regardée comme étant d’ordre public, et que dès lors il ne revenait pas à la Cour suprême de relever d’office la qualité de mineur d’Auguste Sankara. De plus, la requête d’Auguste Sankara n’est pas isolée de celles des autres membres de la famille et ne peut être appréciée en conséquence de façon séparée.

7.7Concernant l’allégation de violation de l’article 17 du Pacte, que le Comité a préféré requalifier au titre des articles 7 et 9, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie explique que le défaut d’enquête sur le décès de Thomas Sankara et le défaut d’identification des responsables ne sont pas recevables, compte tenu de l’antériorité des faits à l’entrée en vigueur du Pacte pour le Burkina Faso. L’État partie soutient que l’article 7 du Pacte ne saurait être invoqué dans la mesure où les auteurs n’ont jamais été inquiétés, et n’ont jamais souffert des traitements couverts par cette disposition. En outre, une telle allégation relèverait de l’impossibilité matérielle, dans la mesure où les auteurs ne vivent plus au Burkina Faso depuis les événements de 1987. De même, selon l’État partie, l’article 9, paragraphe 1, du Pacte ne peut être retenu puisque les auteurs ne vivent plus au Burkina Faso.

7.8Relativement à l’allégation de violation de l’article 23 du Pacte, déclarée irrecevable par le Comité, après avoir mentionné sa législation reconnaissant et garantissant les droits de la famille, l’État partie soutient que les auteurs ne peuvent reprocher à l’État burkinabè de ne pas les avoir protégés, puisqu’ils ne vivent plus sur son territoire et se sont volontairement soustraits au contrôle de ses autorités en recherchant le statut de réfugié à l’étranger, alors même qu’ils n’étaient nullement menacés, ni inquiétés.

7.9L’État partie réitère sa position que la plainte des auteurs constitue un abus de droit dans la mesure où elle ne vise que des fins purement politiques. D’après l’État partie, les faits allégués par la requérante peuvent difficilement faire l’objet d’une appréciation juridique au regard des engagements internationaux du Burkina Faso dans le domaine des droits de l’homme, en raison de leur caractère politique. Il s’agit, en effet, de faits intimement liés à la vie politique du pays, et s’étant déroulés dans un contexte national troublé lié aux errements du régime révolutionnaire et aux risques d’instabilité qu’encourait le pays, et au coup de force militaire né des circonstances. Ces faits ne peuvent donc être dissociés des événements du 15 octobre 1987 et le Comité ne peut les apprécier hors de leur contexte. L’État partie affirme que le Comité outrepasserait ses compétences si néanmoins il examinait l’ensemble de ces événements. Il explique que Mme Sankara s’est fixé comme objectif de venger son mari décédé, et de nuire à l’image du pays et du Gouvernement.

7.10Finalement, l’État partie prie le Comité de rejeter la communication et de constater l’absence de violation depuis l’entrée en vigueur du Pacte. Il ajoute que, néanmoins, le Gouvernement, à la demande expresse des intéressés, est disposé à faire vérifier et procéder, s’il y a lieu, à la rectification de l’acte de décès de Thomas, conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur au Burkina Faso. En tout état de cause, d’après l’État partie, rien ne s’oppose à ce que les auteurs reviennent au Burkina Faso ou y résident. L’État partie précise assurer la sécurité et la protection à toutes les personnes vivant sur son territoire ou relevant de sa juridiction. En outre, si les auteurs s’estiment menacés ou en insécurité, il leur appartient de demander aux autorités compétentes une protection particulière. Toutefois, d’après l’État partie, le Burkina Faso ne peut assurer efficacement la protection de ses ressortissants vivant dans un État étranger. En outre, l’État partie soutient qu’il reste constant que les auteurs n’ont jamais été inquiétés pour leur sécurité du fait du Burkina Faso dans les différents pays où ils ont élu domicile (Gabon, France, Canada).

Commentaires des auteurs

8.1Dans leurs commentaires du 15 novembre 2004, les auteurs déclarent soumettre de nouveaux éléments devant permettre de réviser en partie la décision de recevabilité du Comité. Ils estiment que l’État partie, dans ses observations sur le fond, a reconnu que Thomas Sankara n’était pas décédé de mort naturelle et que certaines personnalités avaient eu connaissance des circonstances des événements du 15 octobre 1987.

8.2Les auteurs demandent, dès lors, en premier lieu, que le Comité déclare recevable l’article 6 du Pacte, cette disposition obligeant l’État partie à enquêter et à poursuivre les responsables des violations du droit à la vie de Thomas Sankara, et à respecter et garantir le droit à la vie de Thomas Sankara. Selon les auteurs, l’obligation pour l’État partie de protéger la dignité humaine de Thomas Sankara se poursuit également après sa mort. Le manquement à l’obligation d’établir les circonstances de la mort extrajudiciaire reconnue d’un individu est une atteinte à la dignité humaine. À la lumière des faits attestant que M. Sankara n’est pas décédé d’une mort naturelle, malgré l’attestation de son certificat de décès, et qu’il a plutôt été assassiné dans le cadre d’un coup d’État, les auteurs estiment essentiel pour l’État partie de protéger sa dignité en procédant à une enquête judiciaire et en déterminant les circonstances de sa mort avant de rectifier ledit certificat de décès.

8.3Les auteurs souhaitent, en second lieu, que le Comité déclare recevable l’allégation au titre de l’article 16, au motif que l’État partie n’a pas fourni copie de l’arrêt no 46 de la Cour suprême du 19 juin 2001 ou n’a pas reconnu l’authenticité de la copie soumise par eux-mêmes. Or les auteurs réitèrent que la Cour suprême a arbitrairement dénié le droit d’Auguste Sankara à la reconnaissance en tant que personne devant la loi. Selon les auteurs, l’article 111 de l’ordonnance no 91‑0051/PRES du 26 août 1991 au profit des mineurs étant d’ordre public, il revenait à la Cour suprême de relever d’office la qualité de mineur d’Auguste Sankara, de lui accorder l’exemption de consignation et donc de permettre son droit d’accès aux tribunaux. De plus, les auteurs font valoir que lors de la violation du droit d’une personne d’être reconnue par la loi, l’article 14 du Pacte est nécessairement violé.

8.4Par ailleurs, les auteurs réitèrent leurs commentaires faisant état de violations par l’État partie des articles 7 et 9, paragraphe 1. Ils soulignent que la manière par laquelle l’État partie répondra aux nouveaux éléments précités sur le rôle joué par le Président Blaise Compaoré dans la mort de Thomas Sankara est essentielle pour éclairer les événements du 15 octobre 1987.

8.5Les auteurs font valoir que l’État partie a violé l’article 26 du Pacte qui protège le droit à l’égalité devant la loi en l’absence de discrimination fondée sur l’opinion politique. Contrairement aux observations de l’État partie, les auteurs expliquent qu’une personne peut avoir une opinion politique, même si elle ne vit plus au Burkina Faso, et n’est pas impliquée en politique. Les auteurs estiment que l’État partie n’a pas soumis d’arguments juridiques suffisants permettant de réfuter leurs allégations détaillées. En outre, l’État partie a noté que les membres survivants de la famille Sankara se sont vu reconnaître le statut de réfugié politique à l’étranger. L’attribution de ce statut implique, selon les auteurs, une preuve prima facie de l’existence d’une discrimination fondée sur l’opinion politique dans le pays d’origine. Selon les auteurs, les allégations de l’État partie que la famille Sankara a voulu bénéficier d’un traitement spécial devant les tribunaux burkinabè illustrent une incompréhension de la nature de la discrimination subie, à savoir le traitement inéquitable et ciblé enduré par les auteurs aux prises avec différentes instances du Burkina Faso.

8.6Relativement à l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, les auteurs font valoir que la Cour Suprême a commis un déni de justice avec son arrêt no 46 du 19 juin 2001, que l’État partie n’a toujours pas fourni. La jurisprudence du Comité confirme qu’une décision de la plus haute instance judiciaire d’un État peut en elle-même être source d’une allégation de déni de justice. Les auteurs reconnaissent que le Comité n’a pas d’organe indépendant permettant d’enquêter, et n’est généralement pas en mesure de revoir la preuve et les faits tels qu’évalués par les tribunaux internes. Cependant, les auteurs se réfèrent à l’exception à cette règle énoncée dans l’affaire Griffin c. Espagne. Pour les auteurs, la Cour Suprême a fait preuve d’illogisme en utilisant l’absence de fournir une somme modique de 5 000 francs CFA afin de refuser un dossier au fond.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant les commentaires des auteurs

9.1Dans ses observations supplémentaires du 15 octobre 2005, l’État partie réitère ses observations au titre de l’irrecevabilité des faits. Selon l’État partie, ni l’absence d’enquête, ni la prétendue omission de rectification du certificat de décès, ni l’invocation de l’atteinte à la dignité de Thomas Sankara ne sauraient justifier la rétroactivité des dispositions du Pacte à son égard, car il n’y a aucune continuité des faits dans le temps et ce serait totalement contraire aux principes du droit international public. L’État partie maintient l’argument de la prescription pour justifier l’absence d’enquête depuis l’entrée en vigueur du Pacte. De plus, s’étant adressés à une juridiction notoirement incompétente en l’affaire, les auteurs ont de leur propre initiative provoqué leur forclusion, la saisine d’une juridiction incompétente n’interrompant pas la prescription. Ainsi, l’État partie n’avait pas à engager de poursuites après l’entrée en vigueur du Pacte. Dans le cas d’espèce, l’auteur de la communication n’ayant démontré aucun acte imputable à l’État partie qui aurait été commis postérieurement ou qui aurait perduré après la date d’entrée en vigueur du Pacte, le Comité ne saurait valablement statuer sur les faits sans méconnaître sa propre jurisprudence et une règle internationale solidement établie. S’agissant des allégations des auteurs selon lesquelles le dernier acte d’instruction est daté du 29 septembre 1997, leur offrant une interruption du délai de prescription, l’État partie estime qu’il s’agit d’une «interprétation pernicieuse» de l’article 7 du Code de procédure pénale: l’acte de poursuite n’est pas un acte d’instruction, car non porté devant une juridiction compétente.

9.2S’agissant des allégations selon lesquelles l’État partie a omis ou refusé de rectifier, avant et après son adhésion au Protocole facultatif, le certificat de décès de Thomas Sankara, l’État partie explique que le certificat de décès n’est qu’un acte de constatation d’expert et non un acte d’état civil. Un acte d’expert ne peut être rectifié ou corrigé que par un expert, qui ne saurait être l’État partie, et le principe de la responsabilité des experts est et demeure une responsabilité individuelle et personnelle. De ce fait, la non-rectification du certificat de décès ne saurait engager la responsabilité de l’État partie.

9.3L’État partie maintient que les affirmations des auteurs quant à l’atteinte à la dignité de Thomas Sankara, qui constituerait un facteur de violation continue, ne sont pas étayées et ne constituent pas des violations des dispositions du Pacte. La tombe de Thomas Sankara est régulièrement honorée par des sympathisants, il a lui‑même été officiellement réhabilité et élevé à la dignité de héros national, une série de partis politiques toujours représentés à l’Assemblée nationale portent son nom, et un monument aux héros est en construction à Ouagadougou, destiné en partie à Thomas Sankara. En outre, d’après l’État partie la protection de la dignité dans le Pacte ne garantit de droits que pour les personnes vivantes et non pour les personnes décédées. L’allégation de la violation du droit à la dignité de Thomas Sankara est donc manifestement mal fondée.

9.4S’agissant des prétendus aveux judiciaires de l’État partie sur la qualité de victime de Thomas Sankara, l’État partie note le caractère léger de ces observations et estime que le Comité devrait confirmer sa position initiale relative à l’irrecevabilité de cette partie de la requête.

9.5L’État partie indique que les observations des auteurs montrent que les conditions de recevabilité devant le Comité ne sont pas toutes réunies en l’espèce, s’agissant de la décision partielle de recevabilité du Comité. L’État partie demande au Comité de reconsidérer sa décision de recevabilité. Non seulement toutes les voies de recours ne sont pas épuisées au regard de l’ensemble de leurs allégations, mais en outre les allégations traduisent un abus de droit et de procédure et sont manifestement incompatibles avec les dispositions du Pacte.

9.6L’État partie réaffirme qu’il a démontré l’utilité des recours non contentieux dans le cas particulier du Burkina Faso, au regard de son contexte politique et social. Les auteurs n’ont pas nié l’utilité de ces recours et n’expliquent pas leur refus constant d’utiliser les voies de recours non contentieux. L’État partie réitère aussi la non-utilisation de certains recours contentieux par les auteurs et renvoie à ses observations sur la recevabilité, et en particulier à l’article 123 du Code des personnes et de la famille qui leur permettrait d’obtenir la rectification du certificat de décès. Enfin, l’État partie maintient que Mme Sankara a commis, par négligence ou par ignorance, des erreurs de procédure qui n’ont pas permis l’examen au fond de sa requête, et renvoie à ses observations sur la recevabilité.

9.7S’agissant de l’abus de droit, l’État partie maintient que les griefs soulevés par les auteurs sont de nature plus politique que juridique et visent en réalité le Président du pays.

9.8L’État partie apporte les arguments suivants sur le fond: s’agissant de l’allégation de violation de l’article 2, il considère qu’il s’agit de violations impossibles en l’espèce, mais si le Comité venait à reconnaître une telle obligation, l’État partie est disposé à présenter des arguments à cet effet. S’agissant de la prétendue violation de l’article 7, l’État partie soutient que toute accusation de traitement cruel, inhumain et dégradant ne peut être valablement soutenue en fait, ni en droit, en raison des efforts de l’État partie qui se sont heurtés à un refus catégorique de la part de Mme Sankara. Il rappelle ses efforts de réconciliation envers Thomas Sankara, et en particulier le fait que l’emplacement de sa tombe est de notoriété publique. La famille Sankara ne peut invoquer une quelconque intimidation, dans la mesure où elle ne vit plus au Burkina Faso. Pour l’État partie, les auteurs n’ont démontré aucun acte lui étant imputable ayant causé ni une souffrance physique, ni une souffrance mentale pour étayer une violation de l’article 7.

9.9S’agissant de la prétendue violation de l’article 9, paragraphe 1, l’État partie indique que les mêmes arguments sont invoqués par les auteurs que pour l’article 7, et de même ils n’ont pas fourni d’arguments spécifiques pour étayer les allégations de violation. Les auteurs n’ont fait l’objet d’aucune arrestation ou d’une quelconque détention arbitraire, pas plus qu’ils n’ont jamais été inquiétés pour leur sécurité. L’État partie prie donc le Comité de rejeter cette allégation.

9.10S’agissant de l’article 14, paragraphe 1, l’État partie renvoie à ses observations au fond quant au montant des consignations, qui ne sauraient traduire, à elles seules, le caractère partisan de la décision du juge. De plus, et se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie maintient que les auteurs n’ont soulevé aucune irrégularité devant la Chambre judiciaire de la Cour suprême. De plus, quant aux arguments des auteurs fondés sur l’affaire Griffin c. Espagne, l’État partie note qu’ils n’ont pas fait preuve du caractère arbitraire et inéquitable du procès de la Cour suprême, qu’ils n’ont démontré un quelconque vice de procédure, et que les seuls obstacles de procédure invocables dans le cas d’espèce sont liés au défaut de consignation, que les auteurs ne peuvent reprocher qu’à eux-mêmes.

9.11S’agissant de l’article 26, l’État partie renvoie à ses observations, et ajoute que les articles 1 et 8 de la Constitution du Burkina Faso préservent les citoyens contre toute forme de discrimination et garantissent la liberté d’expression. Les discriminations sont interdites par le nouveau Code pénal de 1996 qui les punit sévèrement. Pour l’État partie, les auteurs n’ont pas démontré qu’ils ont une opinion politique qui aurait été la base de mesures discriminatoires de la part des autorités. Par ailleurs, le fait de bénéficier du statut de réfugié politique dans un pays étranger ne constitue pas en soi la preuve de discrimination sur la base de l’opinion politique de son bénéficiaire. D’après l’État partie, en pratique les critères utilisés par chaque État pour donner le statut de réfugié sont parfois subjectifs, et la famille Sankara qui vit toujours au Burkina Faso n’est nullement inquiétée pour son opinion politique. L’État partie demande au Comité de rejeter l’allégation d’une violation de l’article 26.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

10.Dans leurs commentaires du 15 janvier 2006, les auteurs réaffirment leurs observations antérieures. S’agissant de la prescription, ils expliquent qu’aucune juridiction n’a remis en cause cette question et que, au regard de l’article 7 du Code de procédure pénale et de la jurisprudence applicable, il n’y a jamais eu prescription.

Demande de réexamen de la décision de recevabilité

11.Le Comité a pris note de la demande de réexamen de sa décision de recevabilité formulée aussi bien par l’État partie que par les auteurs. Il remarque que la plupart des éléments de l’argumentation avancée à l’appui de la demande de réexamen de recevabilité portent sur des parties de la communication qui ont déjà été l’objet d’une étude approfondie au moment de l’examen de la recevabilité et que les autres arguments doivent être analysés dans le cadre de l’examen quant au fond. En conséquence, le Comité décide de procéder à l’examen du fond de la communication.

Examen au fond

12.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

12.2En ce qui concerne une violation de l’article 7, le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont Mme Sankara et ses fils, famille d’un homme tué dans des circonstances contestées, ont souffert et souffrent encore parce qu’ils ne connaissent toujours pas les circonstances ayant entouré le décès de Thomas Sankara, ni le lieu précis où sa dépouille a été officiellement enterrée. La famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort, et le Comité rappelle que toute plainte contre des actes prohibés par l’article 7 du Pacte doit faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes. De plus, le Comité note, comme il l’a fait lors de ses délibérations sur la recevabilité, la non-rectification de l’acte de décès de Thomas Sankara du 17 janvier 1988, établissant une mort naturelle contrairement aux faits, de notoriété publique, et tels qu’attestés par l’État partie. Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte.

12.3En ce qui concerne une violation de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à la sécurité de la personne garanti au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte s’applique même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté. L’interprétation de l’article 9 ne permet pas à un État partie de ne pas tenir compte des menaces à la sécurité individuelle de personnes non détenues relevant de sa juridiction. En l’espèce, des personnes ont tiré et tué Thomas Sankara le 15 octobre 1987, et par crainte pour leur sécurité, sa femme et ses enfants ont quitté le Burkina Faso peu après. Cependant, les arguments avancés par les auteurs sont insuffisants pour faire apparaître une violation de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte.

12.4En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, s’il n’appartient pas nécessairement à un tribunal de se prononcer sur la demande d’enquête publique ou de poursuite, le Comité considère cependant que, comme dans le cas d’espèce, chaque fois qu’un organe a été chargé de décider du début de l’enquête et des poursuites, il doit respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, comme le prévoit l’article 14, paragraphe 1, et les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.

12.5Le Comité note les arguments des auteurs quant au non-respect de la garantie d’égalité par la Cour suprême lors de son rejet du pourvoi sur la base du défaut de consignation de 5 000 francs CFA, et de son refus de considérer la qualité de mineur d’Auguste Sankara. Or il ressort, en premier lieu, que l’Etat partie n’a pas contesté le fait que contrairement à l’article 110 de l’ordonnance no 91-51 du 26 août 1991 du Burkina Faso, le greffier n’a pas informé les conseils de l’obligation de consigner une somme de 5 000 francs CFA à titre de consignation d’amende. En second lieu, il apparaît que l’arrêt de la Cour suprême soutenant que les auteurs n’ont justifié d’aucune dispense de consignation pour le mineur Auguste Sankara était inopportun puisque les auteurs n’avaient pas connaissance des consignations requises, en raison du défaut même d’information du greffier, élément essentiel sur lequel la Cour était pleinement informée. Le Comité estime dès lors que la Cour suprême n’a pas respecté l’obligation de respect de la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.

12.6Le Comité note que, suite à l’arrêt no 46 de la Cour suprême du 19 juin 2001, rendant définitif l’arrêt no 14 de la Cour d’appel déclarant les juridictions de droit commun incompétentes, les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au Ministre de la défense, afin que des poursuites judiciaires soient engagées devant les tribunaux militaires, tel que prévu à l’article 71 1) et 3) du Code de la justice militaire. Le Comité renvoie également à ses délibérations sur la recevabilité et ses conclusions que le Procureur a arrêté, à tort, la procédure engagée par les auteurs et n’a, en outre, pas répondu à leur recours du 25 juillet 2001. Enfin, le Comité note que depuis que les juridictions de droit commun ont été déclarées incompétentes, près de cinq ans ont passé, sans que des poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la défense. L’État partie n’a pu expliquer les retards en question et sur ce point, le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’État partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire. Le Comité considère que cette inaction depuis 2001, et ce, en dépit des divers recours introduits depuis par les auteurs, constitue une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.

12.7En ce qui concerne une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité estime que les arguments avancés par les auteurs de discrimination à leur encontre de la part des autorités en raison de l’opinion politique sont insuffisants pour faire apparaître une violation.

13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7 et 14, paragraphe 1, du Pacte.

14.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et effectif lorsqu’une violation a été établie. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, un État partie reconnaît la compétence du Comité pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’engage à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

GG. Communication n o  1164/2003, Castell ‑Ruiz et consorts c. Espagne (Constatations adoptées le 17 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Daniel Abad Castell‑Ruiz, Fernando Elcarte Revestido, Jesús Alfaro Baztan, Higinio Ayala Palacios, Javier Casanova Aldave, Juan Bautista Castro Muñoz, Enrique de los Arcos Lage, Gabriel Delgado Bona, Leónides Del Prado Boillos, Manuel García del Moral Payueta, José Iglesias Marchite, José A. Janin Mendia, Jesús López Lasa, Mariano Martínez Vergara, Mirentxu Oyarzabal Irigoyen, Tomás Tinture Eguren (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

21 octobre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Différence de rémunération sous la forme d’une prime spécifique entre les médecins travaillant exclusivement pour le Service public de santé de la province de Navarre (Servicio Navarro de Salud) et ceux qui, en plus d’exercer pour l’administration publique, ont une pratique privée

Questions de fond: Égalité devant la loi, protection égale de la loi, interdiction de la discrimination

Questions de procédure: Abus du droit de présenter des communications, incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 3

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1164/2003 présentée au nom de Daniel Abad Castell‑Ruiz, Fernando Elcarte Revestido, Jesús Alfaro Baztan, Higinio Ayala Palacios, Javier Casanova Aldave, Juan Bautista Castro Muñoz, Enrique de los Arcos Lage, Gabriel Delgado Bona, Leónides Del Prado Boillos, Manuel García del Moral Payueta, José Iglesias Marchite, José A. Janin Mendia, Jesús López Lasa, Mariano Martínez Vergara, Mirentxu Oyarzabal Irigoyen et Tomás Tinture Eguren, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, datée du 21 octobre 2002, sont Daniel Abad Castell‑Ruiz, Fernando Elcarte Revestido, Jesús Alfaro Baztan, Higinio Ayala Palacios, Javier Casanova Aldave, Juan Bautista Castro Muñoz, Enrique de los Arcos Lage, Gabriel Delgado Bona, Leónides Del Prado Boillos, Manuel García del Moral Payueta, José Iglesias Marchite, José A. Janin Mendia, Jesús López Lasa, Mariano Martínez Vergara, Mirentxu Oyarzabal Irigoyen et Tomás Tinture Eguren, de nationalité espagnole; ce sont tous des médecins qui travaillent pour le Service de santé de Navarre (Servicio Navarro de Salud) tout en exerçant en même temps en pratique privée. Ils affirment être victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte par l’Espagne. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1Les auteurs de la communication travaillent comme médecins pour le Service de santé de Navarre (Servicio Navarro de Salud − Osasunbidea) et avec le statut de personnel statutaire, fonctionnaire ou contractuel. Parallèlement à leur emploi dans cette administration publique, ils exercent en pratique privée.

2.2Les auteurs indiquent que la loi régissant les conditions d’emploi du personnel du Service de santé de Navarre (ci‑après dénommé le Service) fixe les rémunérations des médecins travaillant pour le compte du Service. Outre le salaire de base, le personnel employé par le Service a droit à des rémunérations complémentaires, dont une est la prime spécifique («complemento específico»). La loi prévoit que le personnel au bénéfice d’une prime spécifique égale ou supérieure à 45 % de son salaire de base s’engage à travailler à titre exclusif, c’est‑à‑dire à être totalement disponible et à se consacrer entièrement à son emploi et que, hormis certaines exceptions, il ne peut exercer aucune autre activité lucrative que ce soit dans le secteur public ou privé. Le personnel qui, comme les auteurs, perçoit une prime spécifique inférieure à 45 % du salaire de base n’est pas soumis à la règle de l’exclusivité professionnelle et peut exercer en pratique privée.

2.3Les auteurs affirment qu’ils sont victimes d’une discrimination parce qu’ils reçoivent en tant que rémunération complémentaire une prime spécifique moins élevée que celle que reçoit le personnel soumis à la règle de l’exclusivité professionnelle alors que, selon eux, ils font le même travail que ces derniers, et travaillent le même nombre d’heures − de 8 à 15 heures − et ont les mêmes responsabilités et obligations.

2.4Pour prouver qu’ils travaillent dans les mêmes conditions que les médecins soumis au régime de l’exclusivité professionnelle, les auteurs ont joint deux certificats établis par les chefs du personnel de deux hôpitaux dépendant du Service de santé de Navarre. D’après les certificats, les auteurs ont le même temps de travail et les mêmes horaires ainsi que les mêmes responsabilités que les médecins sous le régime de l’exclusivité professionnelle. Les auteurs ont également joint le texte de la décision du tribunal des affaires sociales no 3 de Pampelune, datée du 2 janvier 1999, qui, dans l’affaire concernant les auteurs, a considéré établi le fait que «la durée annuelle du travail et les horaires sont les mêmes pour les médecins demandeurs que pour les autres médecins … employés sous le régime de l’exclusivité professionnelle … et que, dans l’exercice de leurs fonctions, les demandeurs assument les mêmes responsabilités que les médecins de la même catégorie professionnelle, occupant le même poste et travaillant dans le même établissement, sous le régime de l’exclusivité professionnelle».

2.5Deux des auteurs ont déposé une plainte auprès du Directeur du Service de santé de Navarre, qui a été rejetée par une décision (565/98) du 13 mai 1998. Ils ont formé un recours contre cette décision devant le tribunal des affaires sociales no 3 de Pampelune, recours qui a été rejeté par un jugement du 2 janvier 1999. Le juge a considéré que le fait d’accepter la thèse soutenue par les auteurs reviendrait à traiter de manière comparable des situations qui ne l’étaient pas, étant donné qu’ils n’avaient pas opté pour le régime de l’exclusivité professionnelle en faveur d’un service de santé publique.

2.6Les auteurs ont formé un recours contre ce jugement devant le Tribunal supérieur de justice de Navarre. Celui‑ci a rejeté le recours par une décision en date du 14 mai 1999 considérant, comme le juge de première instance, que les auteurs s’étaient volontairement placés dans une situation différente de celle des médecins en situation d’exclusivité professionnelle. Ils se sont alors pourvus en cassation devant le Tribunal suprême, aux fins de l’unification de la jurisprudence, et ont été déboutés par la chambre sociale du Tribunal suprême, en date du 25 octobre 2000. Ils ont déposé contre cet arrêt devant le Tribunal constitutionnel un recours en amparo rejeté le 8 avril 2002. Les autres personnes du groupe des auteurs ont déposé une plainte auprès du Directeur de l’administration et des ressources humaines du Service de santé de Navarre, laquelle a été rejetée par une décision (949/97) du 29 décembre 1997. Ils ont attaqué cette décision par un recours ordinaire, qui a été rejeté par une décision du Gouvernement de Navarre en date du 15 juin 1998. Ils se sont pourvus devant le Tribunal supérieur de justice de Navarre, dont la chambre du contentieux administratif les a déboutés, en date du 22 mars 2001. Ils ont alors formé devant le Tribunal constitutionnel un recours qui a été rejeté par la première chambre en date du 8 avril 2002.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs dénoncent une violation de l’article 26 du Pacte. Ils invoquent l’Observation générale no 18 du Comité, faisant valoir que la législation des États parties doit être conforme à l’article 26 du Pacte et ne doit donc pas avoir un caractère discriminatoire. Ils ajoutent que le principe de non‑discrimination ne s’applique pas seulement aux droits reconnus dans le Pacte. Ils affirment que si toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination, une différence de traitement qui n’est pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs est discriminatoire; ils déclarent qu’ils ont montré dans leur communication que le Service de santé de Navarre a institué deux catégories distinctes de médecins percevant des salaires distincts sans qu’il existe de différence entre le travail effectué par les uns et par les autres.

3.2Les auteurs affirment que la différence de traitement entre les deux catégories de médecins n’est pas justifiée par des critères objectifs et raisonnables. Ils analysent comme suit les arguments invoqués par les juridictions nationales pour justifier la différence de traitement:

a)Origine du régime de travail exclusif: Les auteurs expliquent que le régime légal relatif au droit à une rémunération complémentaire sous la forme d’une prime spécifique («complemento específico») a vu le jour à la suite de la grève des médecins de 1987. L’administration a proposé aux syndicats une augmentation de salaire pour les médecins qui travaillent uniquement pour elle et non pas dans des cliniques ou des cabinets privés. Cette offre a été acceptée; elle est reflétée dans la décision de l’Institut national de la santé en date du 25 avril 1988, qui contient l’Accord du Conseil des ministres établissant que la prime spécifique est versée aux médecins qui n’ont pas de pratique privée et fournissent des services pour un seul poste de travail dans l’administration publique. Les auteurs indiquent que ce règlement a créé une discrimination à l’encontre des médecins qui travaillent dans certains domaines du secteur privé et que, afin d’éviter que le grief d’inconstitutionnalité pour violation du principe de non‑discrimination puisse être invoqué contre ce règlement, le décret royal 3/87 du 12 septembre 1987 a également été adopté; celui‑ci fixait les conditions d’octroi de la prime spécifique de manière plus générale et établissait que cette prime était destinée à compenser financièrement les conditions d’exercice particulières de certains emplois telles que les difficultés techniques, le temps consacré, les responsabilités assumées, la dangerosité ou la pénibilité. Ils affirment toutefois que cette prime spécifique est, depuis son origine, attribuée aux médecins travaillant uniquement pour l’administration;

b)Possibilité de choisir le régime du travail exclusif: Les juridictions nationales saisies par les auteurs ont noté que la situation des deux catégories de médecins était différente puisque les auteurs n’avaient pas choisi de pratiquer la médecine exclusivement pour le compte de l’administration publique. Pour les auteurs, cet argument ne constitue pas une justification objective et raisonnable parce que, si la prime spécifique est liée à l’exclusivité du travail, il n’y a aucune raison que la loi établisse que des activités comme l’enseignement universitaire sont compatibles avec le régime de l’exclusivité et qu’une activité professionnelle comme l’exercice en cabinet privé ne l’est pas. Selon les auteurs, les juridictions nationales ont justifié la différence de traitement moins par l’argument de l’exclusivité que par la présomption qu’en pratique privée les médecins gagnent plus d’argent qu’en exerçant exclusivement pour l’administration;

c)Caractère volontaire du régime applicable: Un autre argument avancé par les juridictions nationales pour justifier la différence de traitement est que les auteurs se sont eux‑mêmes placés dans une situation d’inégalité, plus avantageuse pour eux, par rapport aux médecins travaillant exclusivement pour l’administration, puisqu’ils peuvent exercer en pratique privée. Les auteurs affirment que le fait qu’ils aient choisi l’exercice libre de la médecine ne fait pas disparaître la discrimination. Ils estiment que la possibilité de choix est relative dans la mesure où, si un médecin choisit de travailler aussi dans le secteur privé, il percevra un salaire moins élevé que ses confrères qui travaillent exclusivement pour l’administration, du seul fait d’avoir choisi d’exercer, pendant son temps libre, une activité que l’administration considère comme incompatible avec le régime d’exclusivité; en revanche, le médecin qui choisit de donner des cours à l’université perçoit le même salaire qu’un médecin travaillant sous le régime de l’exclusivité;

d)Disponibilité: Selon le Tribunal constitutionnel, la différence de traitement n’est pas discriminatoire dans la mesure où les médecins soumis au régime de l’exclusivité doivent effectivement se rendre disponibles à la demande du Service et où ce type d’engagement est le plus approprié pour une institution de santé. Les auteurs estiment que cette justification n’est pas non plus objective et raisonnable parce qu’ils ont démontré devant les juridictions nationales − ce que celles‑ci ont reconnu − que les deux catégories de médecins font le même travail. Les médecins sous le régime de l’exclusivité ne sont pas obligés de travailler au‑delà de leur temps de travail normal. Si les besoins l’exigent, le Service peut demander à tout médecin employé, qu’il travaille ou non exclusivement pour l’administration, d’assurer une garde, c’est‑à‑dire de prolonger sa journée de travail. Les auteurs citent le jugement du tribunal des affaires sociales no 3 de Pampelune qui reconnaît que les médecins sous le régime de l’exclusivité ne sont pas tenus de faire des heures supplémentaires autres que des heures de garde. Dès lors, selon les auteurs, le fait que l’administration puisse hypothétiquement charger les médecins sous le régime de l’exclusivité d’effectuer certaines tâches ne saurait constituer une justification raisonnable de la différence de traitement;

e)Le régime du travail exclusif est le plus approprié pour les institutions publiques de santé: Les auteurs contestent cet argument, invoqué par le Tribunal constitutionnel pour justifier la différence de traitement en faveur des médecins liés par une clause de travail exclusif. Selon eux, l’argument serait valable si ces médecins n’exerçaient jamais d’activités à l’extérieur du Service. Or ils peuvent exercer d’autres fonctions, par exemple enseigner. De plus, les auteurs affirment que si l’administration considère que le régime de l’exclusivité est le plus approprié pour les institutions de santé, elle ne doit pas mettre en place un système dans lequel certaines catégories de médecins reçoivent, à travail égal, un salaire inférieur.

3.3Les auteurs affirment que, en déclarant certaines activités compatibles avec le régime du travail exclusif, l’administration reconnaît que ce régime est fonction de la nature des activités exercées en plus des heures de travail normales et non de la disponibilité du médecin à l’égard de l’administration.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 22 avril 2003, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, car faire droit à la prétention des auteurs entraînerait une discrimination au détriment des médecins engagés sous le régime de l’exclusivité; en effet, alors qu’ils ont des conditions de travail et un statut différents, plus contraignants, ils percevraient une rémunération égale à celle des auteurs, ce qui créerait une situation contraire au principe de l’égalité et, partant, abusive et contraire aux dispositions du Pacte.

4.2Selon l’État partie, la différence de traitement découle de la loi forale de Navarre no 11/92 du 20 octobre 1992, qui réserve l’octroi de la prime spécifique aux médecins soumis au régime du travail exclusif, régime volontaire que la loi vise à encourager car pouvoir compter sur l’entière disponibilité et l’engagement total des médecins est dans l’intérêt du système public de santé de Navarre. Les auteurs de la communication n’ont pas voulu opter pour ce régime et ont préféré conserver une pratique privée. La règle de l’incompatibilité entre l’exercice d’une fonction publique et l’exercice d’une activité privée n’est pas propre au Service de santé de Navarre, mais s’applique en Espagne dans toutes les administrations publiques, sauf en ce qui concerne l’enseignement à temps partiel, qui fait l’objet d’une exception. Cette règle est en vigueur depuis longtemps et, en particulier, depuis la loi de 1984 sur les incompatibilités, dont le but est inattaquable puisqu’elle vise à assurer la plus grande implication possible dans l’accomplissement du service public. Pour l’État partie, il est parfaitement légitime que la loi cherche à garantir que les fonctions publiques soient exercées dans les meilleures conditions, et prévoie des différences de rémunération en fonction de l’exclusivité réservée à l’emploi.

4.3Pour l’État partie, il est normal, et cela est reconnu par les auteurs de la communication, que les médecins qui perçoivent une prime spécifique plus élevée soient soumis à un régime professionnel différent de celui des auteurs, requérant un engagement et une disponibilité non exigés de ces derniers. Tandis que les médecins soumis au régime de l’engagement exclusif ne peuvent pas avoir des revenus provenant d’une activité privée et qu’ils peuvent être appelés à travailler au‑delà du temps de travail normal pour les besoins du service, les auteurs, eux, ne sont pas obligés de se soumettre à la règle de l’exclusivité ni de faire des heures supplémentaires, même si les besoins du service l’exigent. Ces deux situations étant inégales, il serait contraire au principe de l’égalité que la rémunération soit identique dans les deux cas.

4.4Pour l’État partie, le principe de l’égalité ne s’applique pas à des situations d’inégalité lorsque la différence de traitement se justifie par une raison suffisante. L’État partie invoque la décision du Tribunal constitutionnel selon lequel, en l’espèce, on ne peut pas admettre que le principe de l’égalité de rémunération a été violé pour les motifs suivants: i) la situation des deux catégories de médecins est différente, dans la mesure où les revenus des auteurs sont à la fois d’origine publique et privée et ceux des médecins sous le régime du travail exclusif d’origine publique seulement; ii) la prime spécifique majorée compense non seulement le travail effectivement réalisé, mais aussi d’autres éléments revêtant une valeur économique évidente comme l’entière disponibilité et l’engagement à travailler exclusivement pour l’employeur, qui permettent au Service de santé de Navarre d’exiger si nécessaire des médecins soumis à la clause d’exclusivité de faire des heures supplémentaires; iii) l’existence d’une rémunération complémentaire destinée à compenser l’exclusivité du travail a un caractère raisonnable dans la mesure où le régime de l’exclusivité est le plus adapté pour accroître l’intérêt, l’identification et l’investissement des professionnels à l’égard des institutions de santé; iv) les auteurs étaient libres de choisir de travailler ou non à titre exclusif, en connaissant les conséquences de ce choix; v) les auteurs peuvent librement revenir sur leur choix; et vi) le fait que les médecins non soumis à la clause d’exclusivité prétendent bénéficier des mêmes avantages que leurs confrères soumis à cette clause mais sans en avoir les inconvénients est contraire au principe de l’égalité.

4.5L’État partie a présenté ses arguments sur le fond dans une note verbale du 2 août 2004. Il indique que, pour qu’une discrimination soit constituée, il est nécessaire que les personnes concernées se trouvent dans la même situation et ne soient pas traitées de la même manière. En ce qui concerne les auteurs, l’État partie souligne que leur situation est différente de celle des médecins travaillant à titre exclusif. Il rappelle que cette situation inégale est le résultat d’une décision volontaire et personnelle de chaque médecin, décision que le médecin peut prendre au moment où il est recruté par le Service de santé de Navarre ou en cours d’emploi. Pour l’État partie, le fait que la situation d’inégalité découle d’un acte libre et volontaire rend impossible l’existence d’une discrimination. Il cite à ce propos le jugement du Tribunal supérieur de justice de Navarre qui a constaté que «les auteurs eux‑mêmes se sont volontairement placés en situation d’inégalité par rapport aux autres médecins avec lesquels ils se comparent et, de l’avis de la chambre, dans une situation plus avantageuse, puisqu’en plus d’exercer une fonction publique, ils peuvent exercer la médecine en pratique privée».

4.6L’État partie conteste que la situation des auteurs soit identique à celle des médecins travaillant exclusivement pour le Service. Il affirme que les auteurs confondent le statut juridique différent des deux catégories de médecins avec les effets qu’il produit. La durée normale de travail des uns et des autres est une chose et l’existence d’un groupe de médecins qui ont choisi d’exercer la médecine selon un régime d’exclusivité et d’être entièrement disponibles et de consacrer tout leur temps au Service de santé de Navarre en est une autre. Ces médecins peuvent être astreints à des heures supplémentaires lorsque les besoins du service l’exigent, ce qui ne signifie pas qu’ils font effectivement un travail supplémentaire. C’est leur disponibilité de jure et de facto qui détermine la différence de salaire.

4.7Selon l’État partie, le régime juridique applicable aux médecins travaillant exclusivement pour le Service de santé de Navarre n’est pas différent du régime juridique général applicable aux fonctionnaires en Espagne. La législation espagnole prévoit que les fonctionnaires liés par une clause d’exclusivité ne peuvent pas avoir une autre activité rémunérée, à la seule exception d’une activité limitée dans l’enseignement ou la recherche, dont on considère qu’elle ne porte pas atteinte à la disponibilité ni à l’exclusivité dans l’exercice d’un emploi public. L’État partie estime par conséquent que la prétention des auteurs à considérer que leur activité équivaut à l’activité d’enseignement ou de recherche admise pour les médecins engagés à titre exclusif n’est pas fondée.

4.8En conclusion, l’État partie considère que la législation nationale, loin d’avoir créé une discrimination, a sauvegardé le principe de l’égalité et que la thèse des auteurs, si elle était admise, entraînerait une situation discriminatoire pour les médecins du Service de santé de Navarre engagés sous le régime de l’exclusivité qui, en ayant des conditions de travail et un statut plus contraignants que les auteurs, recevraient la même rémunération que ces derniers, ce qui serait contraire au principe de l’égalité reconnu à l’article 26 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 8 novembre 2004, les auteurs soulignent que les deux catégories de médecins font le même travail pendant la même durée et ont les mêmes responsabilités. Pour eux, le fait que le régime de travail en exclusivité soit volontaire ne fait pas disparaître le caractère discriminatoire de la différence de traitement. Ils font valoir que si les médecins peuvent choisir leur régime de travail, ce choix repose sur une base discriminatoire étant donné que les médecins libéraux ne peuvent jamais accéder au régime de l’exclusivité, à la différence des médecins qui donnent des cours à l’université, même si celle‑ci est privée. En ce qui concerne la question de la disponibilité, les auteurs soulignent que cet élément est vide de sens aussi bien dans la loi que dans la pratique. Les médecins liés par une obligation d’exclusivité ne sont pas tenus d’effectuer des heures supplémentaires autres que des gardes. S’il est vrai que le Service de santé de Navarre pourrait exiger des médecins qu’ils travaillent au‑delà du temps de travail normal, dans la pratique ce travail supplémentaire est proposé à tous les médecins, il a un caractère volontaire et il est rémunéré sous la forme d’une indemnité complémentaire de productivité pour l’une ou l’autre catégorie.

5.2Les auteurs indiquent que leur plainte ne met pas en cause le principe de la prime spécifique, mais son application concrète, qui est discriminatoire et injuste. Ils indiquent que certaines communautés autonomes de l’État partie ont commencé à dénoncer le caractère discriminatoire de la prime spécifique et ont décidé de généraliser l’octroi de la prime à tous les médecins, indépendamment de leur régime professionnel. Vingt ans après avoir été créée, la prime spécifique, issue des revendications de plusieurs syndicats de médecins et de la volonté des autorités de soutenir la médecine publique face à la médecine privée, ne signifie plus rien si ce n’est un manque à gagner pour certains médecins qui exercent également en pratique privée. Concrètement, tous les médecins, liés ou non par une clause d’exclusivité, font le même travail, assurent les mêmes gardes, assument les mêmes responsabilités et offrent la même disponibilité dans leur emploi. La discrimination réside dans le fait que les médecins qui exercent aussi en pratique privée sont moins payés, la prime spécifique étant devenue un moyen de les pénaliser. Il est démontré qu’il n’existe pas de différence entre les deux catégories de médecins en ce qui concerne la disponibilité. De plus, les auteurs soulignent que le versement de la prime spécifique n’exclut pas que les médecins liés par une clause d’exclusivité exercent d’autres activités lucratives puisqu’il autorise l’enseignement universitaire, la recherche et la gestion des affaires familiales. Ces activités, qui ont lieu pendant le temps de travail du médecin, diminuent son engagement et sa disponibilité. La prime spécifique revient seulement à interdire la pratique libérale de la médecine, elle restreint injustement la liberté des personnes de faire de leur temps libre ce que bon leur semble et elle crée une situation discriminatoire pour les médecins qui décident d’exercer en pratique privée pendant leur temps libre. En outre, les auteurs notent que la possibilité d’exiger des médecins liés par une clause d’exclusivité qu’ils travaillent au‑delà de leur temps de travail normal n’a jamais été concrétisée dans la pratique et que si elle l’était ce serait contraire aux normes de la législation du travail en vigueur dans l’État partie selon lesquelles la durée hebdomadaire du travail, y compris les heures supplémentaires, ne doit pas dépasser 48 heures.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. De même, le Comité a noté que l’État partie n’a pas fait valoir que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés et considère dès lors que rien ne l’empêche d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif étant donné que faire droit à la demande des auteurs créerait une discrimination pour les médecins liés par une clause d’exclusivité, lesquels, bien qu’ayant des conditions de travail et un statut différents et plus contraignants, percevraient la même rémunération que les auteurs, ce qui serait contraire au principe de l’égalité et partant serait abusif et contraire aux dispositions du Pacte. Toutefois, le Comité estime que les griefs des auteurs soulèvent des questions qui doivent être examinées quant au fond.

6.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1En ce qui concerne le fond de la communication, le Comité renvoie à sa jurisprudence, à savoir qu’une différence de traitement prévue par la loi qui ne repose pas sur des motifs raisonnables et objectifs et qui est appliquée au détriment d’une personne peut constituer une violation de l’article 26. Le Comité prend note de l’allégation des auteurs qui font valoir que la législation relative à la prime spécifique leur a été appliquée arbitrairement alors même qu’ils se trouvent dans une situation identique à celle des médecins liés par une clause d’exclusivité, vu que les médecins des deux catégories font le même nombre d’heures de travail et ont les mêmes responsabilités. Le Comité relève en outre que l’État partie a contesté cette affirmation.

7.2Le Comité considère que la question de savoir si les médecins des deux catégories se trouvent dans une situation de fait identique ou différente relève fondamentalement de l’appréciation des faits, qui est du ressort des juridictions des États parties. En ce sens, il ressort des documents apportés par les auteurs que tant le tribunal des affaires sociales no 3 de Navarre‑Pampelune que le Tribunal supérieur de justice de Navarre et le Tribunal constitutionnel ont considéré que la situation des deux catégories de médecins n’était pas exactement comparable. Dès lors, le Comité estime que les auteurs n’ont pas apporté d’éléments suffisants pour montrer qu’ils se trouvent dans une situation de fait semblable à celle des médecins liés par une clause d’exclusivité et qu’ils doivent donc bénéficier du même traitement que ces médecins.

7.3Le Comité observe en outre que le choix entre le régime du travail exclusif et le régime choisi par les auteurs dépend entièrement de chaque médecin et qu’il peut être fait au moment de l’entrée en service dans l’administration publique ou à tout autre moment par la suite. Le Comité considère dès lors que les auteurs n’ont pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire fondé sur un des éléments énumérés à l’article 26.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits tels qu’ils ont été exposés par les auteurs ne font pas apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

HH. Communication n o  1177/2003, Wenga et Shandwe c. RDC (Constatations adoptées le 17 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Willy Wenga Ilombe et Nsii Luanda Shandwe (représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République démocratique du Congo

Date de la communication:

10 avril 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Détention arbitraire − droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge − réparation de la détention arbitraire

Questions de procédure: Non‑coopération de l’État partie

Questions de fond: Arrestation et détention de deux défenseurs des droits de l’homme

Articles du Pacte: 9 (par. 1 à 5) et 14

Articles du Protocole facultatif: 2 et 4 (par. 2)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1177/2003 présentée au Comité des droits de l’homme par Willy Wenga Ilombe et Nsii Luanda Shandwe en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Willy Wenga Ilombe et Nsii Luanda Shandwe, citoyens de la République démocratique du Congo. Ils affirment être victimes de violations par la République démocratique du Congo des paragraphes 2 à 5 de l’article 9, et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’affaire semble soulever également des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République démocratique du Congo le 1er novembre 1976.

Exposé des faits

2.1Le 20 février 2002, Willy Wenga Ilombe, avocat et membre du Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme, organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, a été arrêté. Il a été conduit au parquet général près la Cour d’ordre militaire. Après 48 heures de détention, il a été informé qu’on l’avait arrêté pour atteinte à la sûreté de l’État. D’après le parquet général, il avait été en contact permanent avec le commandant Bora Uzima Kamwanya en janvier 2001. Le commandant Bora est soupçonné d’avoir participé à l’assassinat de l’ancien Président de la République démocratique du Congo, Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001. Le numéro de téléphone du commandant Bora aurait figuré à deux reprises sur la facture de téléphone de Willy Wenga Ilombe.

2.2Le 19 avril 2002, Nsii Luanda Shandwe, Président du Comité des observateurs des droits de l’homme (CODHO), organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, a également été arrêté. Après sept jours de détention au parquet général près la Cour d’ordre militaire, il a été transféré au centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa. Il était accusé d’avoir hébergé Michel Bisimwa, un étudiant soupçonné d’espionnage pour le compte du Rwanda et, de ce fait, d’atteinte à la sûreté de l’État et d’espionnage au profit d’une puissance étrangère.

2.3Le 27 janvier 2003, les auteurs ont été libérés après neuf et 11 mois de détention, respectivement, sans jamais avoir été jugés par un tribunal.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 9, dans la mesure où, au moment de leur arrestation pour atteinte à la sûreté de l’État, ils n’ont pas été informés des charges portées contre eux et n’en ont pas reçu notification. Ils font valoir que, d’après la jurisprudence du Comité, il ne suffit pas d’informer la personne détenue qu’elle a été arrêtée par mesure de sécurité sans lui donner la moindre indication quant à la teneur de ce qui lui est reproché. Ils estiment de plus que la notion de «sécurité nationale» devrait être clairement définie par la loi, que les policiers et les agents des forces de sécurité devraient être tenus de consigner par écrit les raisons pour lesquelles il est procédé à l’arrestation de telle ou telle personne, et que ces informations devraient être mises à la disposition du public et pouvoir être contestées en justice.

3.2Les auteurs estiment qu’il y a eu également violation du paragraphe 3 de l’article 9 parce qu’ils n’ont pas été traduits devant un juge compétent ni jugés pendant la durée de leur détention, et qu’ils sont restés en détention pendant neuf et 11 mois, respectivement. Ils invoquent une décision du Comité dans laquelle celui‑ci a considéré qu’un retard d’une semaine constituait une violation du paragraphe 3 de l’article 9, ainsi qu’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans lequel la Cour a statué qu’un retard de quatre jours et six heures était excessif. Dans le cas d’espèce, les auteurs sont restés en détention jusqu’au 27 janvier 2003, sans avoir été traduits devant un juge ou libérés sous caution. Leur libération n’a pas été décidée conformément aux règles applicables de la procédure pénale, étant donné qu’il n’y a pas eu de décision d’acquittement ni de décision de leur accorder la liberté sous caution. Leur libération semble avoir résulté de la pression de l’opinion publique internationale et nationale. On a seulement fait sortir les auteurs de leur cellule et on leur a dit de rentrer chez eux. Cette forme de libération laisse les auteurs avec un sentiment d’insécurité, car ils peuvent être arrêtés de nouveau à tout moment. Au moment de leur libération, le Procureur a indiqué aux auteurs que l’enquête se poursuivait, qu’ils pouvaient donc être rappelés à tout moment et qu’ils ne devaient pas quitter la région.

3.3Les auteurs dénoncent une violation du paragraphe 4 de l’article 9 parce qu’ils n’ont pas pu exercer le droit de saisir un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de leur détention. Ils se réfèrent au décret-loi du 23 août 1997 portant création d’un tribunal militaire en République démocratique du Congo (Cour d’ordre militaire), notamment à l’article 5 de ce texte, qui prévoit que les décisions de ce tribunal ne peuvent pas être contestées et sont sans appel, le seul moyen de les annuler étant la procédure extraordinaire du recours en grâce devant le Président de la République.

3.4Enfin, les auteurs estiment qu’il y a eu violation de l’article 14, du fait qu’ils ont été arrêtés et détenus par le parquet général d’une juridiction militaire d’exception créée pour connaître exclusivement des infractions commises par l’armée.

3.5Les auteurs estiment qu’ils ont été victimes de détention arbitraire et illégale, et demandent par conséquent au Comité d’ordonner une réparation pour le préjudice subi.

3.6En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs font valoir qu’il n’y a pas de recours possible pour les violations dont ils font état. Ils renvoient à l’article 200 du Code de justice militaire selon lequel le Procureur militaire peut «décider de prolonger la détention pour une durée d’un mois, et d’un mois chaque fois par la suite, aussi longtemps que l’exige l’intérêt public». Comme ils l’ont signalé, il n’est pas possible de faire appel des décisions du tribunal militaire, excepté par la voie d’une procédure extraordinaire devant le Président de la République. Les auteurs ont demandé plusieurs fois à être libérés sous caution ou à être traduits devant un juge compétent.

3.7Le Comité considère que les allégations des auteurs soulèvent également des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Non ‑coopération de l’État partie

4.Le 23 mai 2003, le 14 janvier et le 23 septembre 2004, et le 16 juin 2005, le Comité a prié l’État partie de lui transmettre des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que cette information ne lui est pas parvenue; il regrette que l’État partie n’ait fourni aucun éclaircissement sur la recevabilité ou le fond des griefs des auteurs. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif, l’État partie concerné doit soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs de l’auteur, pour autant que ceux-ci aient été suffisamment étayés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Ayant pris note des arguments des auteurs concernant l’épuisement des voies de recours internes et compte tenu de la non‑coopération de la part de l’État partie, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

5.4En ce qui concerne l’article 14, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, au sujet de quels chefs d’inculpation ils auraient pu, le cas échéant, invoquer une violation du paragraphe 1. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité considère qu’en l’absence d’information de la part de l’État partie les griefs de violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 9 sont recevables, de même que les questions soulevées au titre du paragraphe 1 de cet article.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

6.2En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 9, le Comité note que les auteurs se plaignent de ne pas avoir été informés des raisons exactes de leur arrestation au moment de celle‑ci. Le Comité fait observer qu’il ne suffisait pas d’informer simplement les auteurs qu’ils avaient été arrêtés pour atteinte à la sûreté de l’État, sans aucune indication de ce qui leur était concrètement reproché. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie qui pourrait contredire les allégations des auteurs, le Comité estime que les faits portés à sa connaissance font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte.

6.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité note que les auteurs se plaignent d’être restés en détention pendant neuf et 11 mois, respectivement, sans avoir jamais été traduits devant un juge. Il rappelle que le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, qui dispose que toute personne arrêtée ou détenue du fait d’une infraction pénale sera traduite «dans le plus court délai» devant le juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer les fonctions judiciaires, et que, conformément à son Observation générale no 8 (seizième session), ces délais ne doivent pas dépasser quelques jours. En l’absence de toute réponse de l’État partie venant contredire les allégations des auteurs, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

6.4Concernant le grief de violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que les auteurs se plaignent de ne pas avoir pu exercer le droit de contester la légalité de leur détention, étant donné que les décisions de la Cour d’ordre militaire ne peuvent pas être contestées et sont sans appel. En l’absence de toute information émanant de l’État partie sur ce point, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

6.5En général, la détention de civils sur ordre d’un tribunal militaire pendant plusieurs mois d’affilée sans possibilité de contestation peut être considérée comme une détention arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

II. Communication n o  1180/2003, Bodrožić c. Serbie ‑et ‑Monténégro (Constatations adoptées le 31 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

M. Zeljko Bodrožić (représenté par un conseil, M. Biljana Kovacevic‑Vuco)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Serbie‑et‑Monténégro

Date de la communication:

11 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation pénale d’un journaliste pour outrage, à propos d’un article concernant une personnalité politique

Questions de fond: Liberté d’expression − Limites nécessaires pour protéger les droits et la réputation d’autrui

Questions de procédure: Néant

Article du Pacte: 19

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 1180/2003 présentée au nom de M. Zeljko Bodrožić en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 11 mai 2003, est Zeljko Bodrožić, de nationalité yougoslave, né le 16 mars 1970. Il affirme être victime d’une violation par la Serbie‑et‑Monténégro des droits reconnus à l’article 19 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 6 décembre 2001.

Exposé des faits

2.1L’auteur est un journaliste réputé, rédacteur en chef d’un magazine. Dans un article publié le 11 janvier 2002 sous le titre «Nés pour réformer», l’auteur a formulé des critiques à caractère politique contre plusieurs personnes, dont un certain M. Segrt. Au moment de la parution de cet article, M. Segrt dirigeait la fabrique Toza Mrakovic à Kikinda; auparavant, il avait occupé d’importantes fonctions au sein du Parti socialiste de Serbie, notamment comme chef du groupe de ce parti au Parlement fédéral yougoslave en 2001. L’article incriminé disait, entre autres, ce qui suit:

«Après avoir dilapidé les millions de Toza au profit du [Parti socialiste de Serbie] et de la campagne [de la gauche yougoslave] et d’autres passe‑temps du Parti; après s’être fait donner du “mon ami Dmitar” par Sloba [Milosevic] avant que celui‑ci ne soit envoyé en prison à La Haye; après avoir organisé avec Seselj des manifestations pour protester contre la “mise en cage” du camarade Sloba; après avoir connu une gloire tapageuse au sein du Parti pendant le premier semestre 2001 (il est devenu le chef du groupe du Parti socialiste au Parlement fédéral et l’un des plus hauts responsables du Parti…); après avoir compris que le temps des amusements était fini, il a décidé d’“envoyer son parti au diable” et de devenir le “grand défenseur” des réformes entreprises par le Gouvernement du camarade − pardon, du Chancelier − Djindjic.»

L’article qualifiait également M. Segrt d’«autre ancien soutien de Sloba [Milosevic]» et de «dirigeant de Plava Banja, également connu sous le nom de Dmitar Segrt.».

2.2Le 21 janvier 2002, M. Segrt a déposé contre l’auteur une plainte pénale à titre privé, pour diffamation et outrage, sur la base des passages susmentionnés, auprès du tribunal municipal de Kikinda. Le 14 mai 2002, le tribunal a reconnu l’auteur coupable d’outrage, mais l’a acquitté du chef de diffamation au motif que les informations contenues dans les passages incriminés étaient, du point de vue factuel, véridiques et exactes. Concernant le chef d’outrage, le tribunal a conclu que les passages étaient «réellement insultants» et «port[ai]ent atteinte à l’honneur et à la réputation du plaignant». Il a estimé que, contrairement à ce qu’affirmait l’auteur, ils ne constituaient pas «un commentaire journalistique sérieux dans lequel il a[vait] eu recours au sarcasme», et que leurs termes «n’[étaient] pas ceux qui seraient employés dans une critique sérieuse; au contraire, ils [étaient] communément considérés comme des mots provoquant la dérision et le mépris de l’entourage social». De l’avis du tribunal, le fait d’avoir utilisé des expressions argotiques et des citations plutôt qu’un «langage littéraire approprié pour une critique de ce genre» témoignait de «l’intention de dénigrer le plaignant et de le tourner en ridicule et par conséquent un tel acte, même commis dans l’exercice de la profession de journaliste, constitu[ait] assurément une infraction pénale [d’outrage]».

Pour l’infraction d’outrage dont il a été reconnu coupable, l’auteur a été condamné à une amende de 10 000 dinars yougoslaves ainsi qu’aux dépens.

2.3Le 20 novembre 2002, le tribunal de district de Zrenjanin a rejeté l’appel interjeté par l’auteur contre sa condamnation. Le tribunal a estimé que l’article pris dans son ensemble avait un caractère insultant; il a accordé une importance particulière à l’emploi des expressions «dilapidé», «envoyé son parti au diable» et «s’être fait donner du mon ami». À l’appui de son recours en appel, l’auteur avait évoqué des discours politiques antérieurs de M. Segrt considérés comme des appels à la haine, dans lesquels l’homme politique avait qualifié les membres de l’opposition démocratique de «traîtres», de «fascistes» et de «main occulte de l’OTAN», entre autres. Le tribunal a fait observer que les discours antérieurs de M. Segrt pouvaient «être critiqués et analysés» mais ne pouvaient «servir pour [le] dénigrer et [l’]insulter car nul ne peut être privé de sa dignité et de son honneur». En revanche, l’auteur aurait pu demander une protection judiciaire s’il s’était senti insulté par ces discours.

2.4L’auteur affirme que la décision rendue en appel a mis fin à la procédure pénale ordinaire. Le 30 décembre 2002, il a demandé au Procureur de la République d’introduire auprès de la Cour suprême un recours extraordinaire appelé «requête aux fins de protéger la légalité», mais le Procureur a rejeté cette demande le 24 février 2003. Avec cette décision il n’y a plus aucun recours interne ouvert à l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la condamnation pénale dont il a fait l’objet en raison de l’article politique publié constitue une violation du droit à la liberté d’expression reconnu à l’article 19. L’auteur invoque l’Observation générale no 10 du Comité sur cet article ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (affaires Handyside c. Royaume ‑Uni, Lingens c. Autriche, Oberschlik c. Autriche et Schwabe c. Autriche), de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (rapport 22/94 concernant l’infraction de «desacato» sanctionnée par la législation argentine) et de la Cour suprême des États‑Unis (affaires New York Times Co v . Sullivan et United States vDennis). De ces précédents, l’auteur infère que l’article 19 du Pacte protège l’expression sous un grand nombre de formes, en particulier dans le débat politique, et que la possibilité de limiter cette liberté doit être interprétée strictement afin d’éviter d’empêcher toute forme d’expression légitime.

3.2L’auteur dit en outre que l’idée de la juridiction d’appel, qui estime qu’il aurait dû demander une protection judiciaire face aux discours antérieurs de M. Segrt alors que ce dernier occupait une position élevée, à l’époque de Milosevic, est totalement irréaliste (voir par. 2.3 plus haut). L’auteur affirme donc que sa déclaration de culpabilité et sa condamnation, ainsi que l’existence des infractions de diffamation et d’outrage dans la législation pénale de l’État partie, violent les droits garantis à l’article 19 du Pacte.

3.3Par conséquent, l’auteur demande que cette violation de l’article 19 soit constatée et qu’il soit recommandé à l’État partie de dépénaliser la «diffamation» et l’«outrage», d’annuler la condamnation pénale prononcée contre lui, de l’effacer de son casier judiciaire, de l’indemniser pour cette condamnation injustifiée, de lui rembourser l’amende et les dépens qu’il a été condamné à payer, et de le dédommager également des frais qu’il a engagés pour saisir les tribunaux nationaux et le Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.Par une note verbale du 23 mai 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il relève que la condamnation pour outrage prononcée en application du paragraphe 2 de l’article 93 du Code pénal de la République de Serbie, confirmée en appel, procède de décisions juridiquement valables. Il rappelle également qu’après avoir examiné l’affaire le bureau du Procureur de la République de Serbie a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’introduire une «requête aux fins de protéger la légalité» contre ces décisions.

5.Par une lettre du 25 juillet 2005, l’auteur a réitéré ses griefs, affirmant en outre que les observations de l’État partie confirmaient implicitement l’épuisement des recours internes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne les griefs particuliers liés à la déclaration de culpabilité et à la condamnation de l’auteur, le Comité n’infère pas des observations de l’État partie, en date du 23 mai 2005, que ce dernier conteste l’argument selon lequel les recours internes ont été épuisés ou tout autre aspect de la recevabilité de la communication, mais constate qu’il se limite à considérer ces griefs comme insuffisamment fondés aux fins de la recevabilité. De l’avis du Comité cependant, les griefs particuliers formulés par l’auteur ont été suffisamment étayés, en fait et en droit, aux fins de la recevabilité. Il déclare par conséquent que la communication est recevable, dans la mesure où elle soulève des questions au regard de l’article 19 du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si l’auteur, en étant condamné au pénal pour outrage en raison de l’article qu’il avait publié en janvier 2002, a été victime d’une violation du droit à la liberté d’expression, notamment du droit de répandre des informations, tel qu’il est garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 autorise des restrictions à la liberté d’expression, pour autant qu’elles soient fixées par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que le procès pénal et la condamnation de l’auteur pour outrage aient été nécessaires pour protéger les droits et la réputation de M. Segrt. Dans la mesure où les éléments factuels constatés par le tribunal concernant l’article sur M. Segrt, qui était alors une personnalité politique publique de premier plan, le Comité voit mal comment l’expression par l’auteur, dans la forme qu’il a utilisée, d’une opinion sur l’importance de ces faits pourrait équivaloir à une atteinte injustifiée aux droits et à la réputation de M. Segrt, qui plus est une atteinte exigeant l’application d’une sanction pénale. Le Comité fait observer en outre que, dans le cadre des débats publics concernant des personnalités du domaine politique qui sont tenus dans une société démocratique, spécialement dans les médias, le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entrave. Il s’ensuit que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur en l’espèce constituent une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 relativement à l’auteur.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective consistant notamment en l’annulation de sa déclaration de culpabilité, le remboursement de l’amende imposée et acquittée ainsi que le remboursement des frais de justice qu’il a acquittés et une indemnisation pour la violation des droits reconnus dans le Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

JJ. Communication n o 1184/2003, Brough c. Australie (Constatations adoptées le 17 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Corey Brough (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

4 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Allégations de mauvais traitements et conditions inhumaines de détention d’un mineur aborigène

Questions de procédure: Justification des allégations − Recevabilité ratione materiae − Épuisement des recours internes

Questions de fond: Protection contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité – Droit à un recours utile

Articles du Pacte: 2 (par. 3), 7, 10 et 24 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no1184/2003 présentée au nom de Corey Brough en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Corey Brough, de nationalité australienne, né le 22 avril 1982, qui réside actuellement en Australie. Il affirme être victime d’une violation par l’Australie des articles 7 et 10 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Mme Michelle Hannon.

Exposé des faits

2.1L’auteur est aborigène. Il souffre d’un léger handicap mental, avec d’importantes déficiences du comportement adaptatif, des compétences de communication et du fonctionnement cognitif.

2.2Le 12 février 1999, l’auteur a été placé en détention au centre de détention pour mineurs de Kariong, en raison de l’annulation de sa libération conditionnelle. Le 5 mars 1999, le tribunal pour enfants de Bidura l’a reconnu coupable de vol avec effraction, d’agression et d’atteinte à l’intégrité physique, et l’a condamné à huit mois d’emprisonnement. Le 21 mars 1999, l’auteur a participé à une émeute qui a éclaté à Kariong afin d’appeler l’attention sur «les mauvais traitements et les brutalités infligés par le personnel de Kariong». L’un des gardiens de la prison a été pris en otage pendant l’émeute.

2.3Le 22 mars 1999, le Directeur général du Département de la justice pour mineurs a demandé au tribunal pour enfants de Gosford de transférer l’auteur dans un établissement pénitentiaire pour adultes, conformément à l’article 28 A de la loi sur les centres de détention pour enfants (Children Detention Centres Act) de 1987. Cette demande a été acceptée par le tribunal, et l’auteur a été transféré au centre de détention de Parklea, à l’hôpital carcéral. Il a protesté contre son transfert dans une prison pour adultes et a demandé à retourner dans un centre de détention pour mineurs.

2.4À son arrivée à Parklea, l’auteur a été séparé des autres détenus, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la loi de 1952 sur les centres de détention de Nouvelle-Galles du Sud, au motif que, s’il était avec les autres détenus, il représenterait une menace pour leur sécurité personnelle et pour la sécurité de l’établissement.

2.5Lors d’une évaluation psychomédicale, l’auteur a déclaré qu’il ne voyait aucun inconvénient à être transféré dans un centre de détention pour adultes. Bien que ne présentant aucun risque pour lui-même, selon les dossiers médicaux, il a été placé dans une «cellule de protection» (local destiné aux détenus qui présentent un risque d’automutilation) dans une zone séparée, pour le protéger des autres détenus.

2.6L’auteur a rapidement éprouvé des difficultés à supporter l’enfermement dans la cellule de protection pendant de longues périodes. Le 30 mars 1999, il a commis un premier acte d’automutilation. L’auteur a déclaré à un gardien: «si je ne sors pas d’ici, il y aura un Noir en moins» (c’est-à-dire un suicide d’aborigène).

2.7Le 1er avril 1999, après avoir cassé une assiette et lacéré son matelas avec un des morceaux cassés, l’auteur a été transféré de sa cellule de protection dans une «cellule sèche» («dry cell»), où il a été maintenu à l’isolement pendant 48 heures.

2.8Le 7 avril 1999, on a observé que l’auteur masquait une caméra de surveillance. Les gardiens sont venus dans sa cellule pour ôter tout ce qui pourrait servir à masquer les objectifs des caméras, et comme il avait refusé de se déshabiller, ils lui auraient donné des coups sous les côtes et l’auraient déshabillé en lui laissant ses sous-vêtements. Selon le compte rendu de l’incident établi par les gardiens, quatre agents ont fait un usage raisonnable de la force pour maîtriser l’auteur, qui a donné un coup de pied à un gardien pendant la bagarre. Il aurait été enfermé dans sa cellule pendant 72 heures, avec la lumière allumée jour et nuit. Le 9 avril, son oreiller et sa couverture lui ont été rendus.

2.9Le 13 avril 1999, l’auteur a tenté de briser les lampes de sa cellule afin de rayer l’objectif d’une caméra de surveillance. Il y a eu une bagarre entre l’auteur et six ou huit gardiens, qui s’est soldée par quelques blessures mineures pour l’auteur et les gardiens.

2.10Le 15 avril 1999, l’auteur a été placé dans une «cellule sèche» le temps que les lampes et la caméra de sa cellule de protection soient réparées. Selon le registre de la prison, il est retourné dans sa cellule de protection le jour même. Dans l’après-midi, il a été autorisé à sortir pour une demi-heure d’exercice. On lui a demandé de rentrer dans sa cellule de protection mais il a refusé et il a fallu utiliser un minimum de force pour le maîtriser. On lui a enlevé ses vêtements en lui laissant ses sous-vêtements. Plus tard il a été observé en train d’essayer de se pendre à un nœud coulant fabriqué avec ses sous-vêtements. Les gardiens sont entrés dans la cellule et ont enlevé le nœud coulant de force tandis que l’auteur résistait. D’après le formulaire de demande de mesure disciplinaire du 17 avril 1999, l’auteur a avoué avoir refusé d’obtempérer à un ordre raisonnable et a été condamné à une mesure d’isolement en cellule pendant 48 heures.

2.11L’auteur a reçu un médicament antipsychotique («Largactil»), sans que l’on sache exactement si son état avait été évalué avant que le médicament soit prescrit. Le 16 avril 1999, le médecin généraliste de Parklea a prescrit 50 mg de «Largactil» par jour jusqu’à ce que l’auteur puisse être examiné par un psychiatre. Le traitement s’est poursuivi après l’examen médical.

2.12L. P., un assistant social du Comité de surveillance des décès d’aborigènes en détention (Aboriginal Deaths in Custody Watch Committee), qui s’est rendu auprès de l’auteur plusieurs fois en mars et en avril 1999, aurait observé que ce dernier était anxieux et nerveux et qu’il n’avait pas assez de vêtements et de couvertures pour être protégé du froid.

2.13De nouvelles mesures de séparation ont été prises les 15 et 28 avril 1999 au motif que, laissé en présence d’autres détenus, l’auteur constituait une menace pour la sécurité personnelle des gardiens et pour l’ordre et la discipline dans le centre pénitentiaire.

2.14On peut lire dans une évaluation psychiatrique datée du 16 avril 2002 que: «Malheureusement, M. Brough n’a pas pu faire un récit qui révélerait à mes yeux une […] réaction mentale pouvant être décrite comme post-traumatique après une période d’environ un mois passé en régime d’isolement dans une cellule fortement éclairée 24 heures sur 24.».

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime de violations du paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des articles 7 et 10 du Pacte et, implicitement du paragraphe 1 de l’article 24, du fait qu’il a été transféré dans un centre de détention pour adultes malgré son âge, que les conditions de sa détention dans le centre pénitentiaire de Parklea constituaient un traitement cruel, inhumain et dégradant et qu’il n’a pas eu accès à un recours utile. Il affirme que son transfert dans un établissement pour adultes était contraire aux paragraphes 2 b) et 3 de l’article 10 du Pacte puisque, eu égard à son âge, à son handicap et à son statut d’aborigène, il se trouvait dans une situation particulièrement vulnérable nécessitant une attention et des soins particuliers.

3.2En ce qui concerne ses conditions de détention, l’auteur fait valoir que le Comité a conclu à des violations de l’article 7 ou de l’article 10 du Pacte dans ce qu’il considère être des affaires semblables.

3.3L’auteur affirme que son maintien dans une cellule séparée et à l’isolement pendant 72 et 48 heures, respectivement, pour le punir, l’absence de sanitaires dans sa cellule, le manque de chauffage, la confiscation de sa couverture et de ses vêtements, sa mise sous vidéosurveillance et son exposition 24 heures sur 24 à la lumière artificielle, l’emploi de la force ayant entraîné des lésions corporelles et la prescription de médicaments sans son consentement n’étaient pas nécessaires pour assurer sa sécurité ni maintenir l’ordre dans le centre de détention. L’effet cumulé de ces mesures constituait une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 10.

3.4En se référant à un rapport de la Commission royale d’enquête sur les décès d’aborigènes en détention (Aboriginal Deaths in Custody) de 1991, l’auteur déclare que les aborigènes sont surreprésentés dans les prisons de Nouvelle-Galles du Sud et que la séparation, l’isolement et l’entrave à la liberté de mouvement dans les prisons ont des effets plus délétères sur les aborigènes que sur les autres détenus, en raison de l’importance qu’ils attachent au fait d’être très mobiles et de voir leur famille et les membres de leur communauté.

3.5L’auteur affirme qu’il souffre encore des effets de son enfermement dans la cellule de protection. Il lui arrive de se réveiller en sueur, le cœur battant très vite, et d’avoir des crises de panique lorsqu’il est seul dans sa cellule.

3.6L’auteur estime que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte crée un droit substantiel qui peut être invoqué indépendamment des autres droits énoncés dans le Pacte. Le fait que l’État partie ne lui ait pas assuré de recours utile pour faire valoir les droits garantis aux articles 7 et 10 du Pacte constitue donc une violation du paragraphe 3 de l’article 2. À l’appui de cette affirmation, l’auteur cite les observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de l’Australie, dans lesquelles le Comité a noté avec préoccupation que «[d]es cas continuent de se présenter où la législation interne n’offre pas de recours utile aux personnes dont les droits que le Pacte leur reconnaît ont été violés».

3.7L’auteur fait valoir que, en l’absence de recours internes utiles, on ne peut pas lui demander d’exercer des recours qui n’ont aucune chance d’aboutir. Selon la jurisprudence du Comité, les victimes tributaires de l’aide juridictionnelle ne sont pas tenues de faire appel devant les juridictions supérieures pour satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 si elles ont été informées que ces recours ont peu de chances d’aboutir. L’auteur indique qu’il n’a plus droit à l’aide juridictionnelle.

3.8L’auteur note que les recours contre les décisions disciplinaires de l’administration pénitentiaire sont limités en droit australien. Les recours de common law, tels que l’obligation de vigilance de la part des autorités pénitentiaires, le recours en séquestration ou en habeas corpus, sont d’un secours très limité pour les détenus qui veulent contester leurs conditions de détention. Le contrôle juridictionnel est un recours qui n’est pas disponible dans les cas où le comportement contesté relève de l’administration ou de la gestion, et non de la punition ou de la loi.

3.9Si les prisonniers disposent de garanties spécifiques en Nouvelle-Galles du Sud en vertu de la loi sur l’application des peines de 1999 et du Règlement des centres de détention de 1995, les plaintes déposées au titre de ces dispositions ne peuvent, toutefois, être adressées qu’au Ministre ou au Commissaire (administration pénitentiaire) et non à un tribunal. Une plainte auprès du Ministre ne donnerait pas à l’auteur un droit à indemnisation ou à quelque réparation que ce soit et ne peut donc pas être considérée comme un recours utile.

3.10Quant à la procédure de plainte au titre de la loi sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances de 1986 (Cth), l’auteur déclare qu’elle s’applique seulement aux actes ou pratiques de l’administration du Commonwealth (d’Australie) et non aux actes des agents de l’administration pénitentiaire de Nouvelle-Galles du Sud. L’auteur joint également un rapport daté du 7 mai 2002, établi par un spécialiste du droit relatif au préjudice corporel, selon lequel une plainte pour négligence au motif du traitement subi à Parklea n’aurait aucune chance d’aboutir.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1En date du 3 mai 2004, l’État partie a contesté la recevabilité et, subsidiairement, le fond de la communication, en faisant valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, que sa communication est un abus du droit de présenter des communications, que ses allégations ne sont pas étayées, sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et sont dénuées de fondement.

4.2En ce qui concerne les faits, l’État partie déclare qu’il n’a aucune trace de l’incident qui se serait produit le 1er avril 1999. Toutefois, un incident très semblable s’est produit le 13 avril 1999, lorsque l’auteur, qui était observé, a déchiré son matelas et fracassé sa tasse et l’ampoule de sa cellule. Il a agressé un gardien qui entrait pour retirer les objets en question et a été ensuite accusé de coups et blessures et condamné à deux mois d’emprisonnement. À la date du 14 avril 1999, il est mentionné que l’auteur a laissé entendre qu’il s’infligerait des blessures si ces conditions de détention ne changeaient pas.

4.3L’État partie décrit ensuite les incidents postérieurs au 28 avril 1999. Le 11 mai 1999, l’auteur a agressé des agents de l’administration pénitentiaire qui procédaient à une fouille au corps avant de le présenter au tribunal. Le 17 mai 1999, le tribunal pour enfants (Children’s Court) de Bidura l’a condamné à deux peines de deux mois de prison pour violences et défaut de comparution. Le 8 juin 1999, l’auteur a quitté Parklea pour être transféré au centre judiciaire pour mineurs (Juvenile Justice Centre) de Minda. Il a tenté d’échapper à la surveillance des agents alors qu’il comparaissait devant le tribunal pour enfants de Bidura, le 17 octobre 1999. Le 26 février 2000, il a été transféré dans le quartier de haute sécurité de Kariong après avoir refusé d’assister à son procès pour vol à main armée. Le 28 février 2000, le Directeur général du Département de la justice des mineurs (Director-General of the Department of Juvenile Justice) a demandé au tribunal pour enfants de Bidura de prendre, en vertu de l’article 28 A de la loi de 1987 sur les centres de détention pour mineurs, une ordonnance de maintien en prison jusqu’à la fin du procès. Cette demande a tout d’abord été rejetée, puis une nouvelle demande a été acceptée par le tribunal pour enfants de Wyong, le 10 mars 2000. L’auteur a fait d’autres tentatives de suicide. Quand l’État partie a soumis ses observations, il exécutait une peine de prison pour vol à main armée.

4.4Concernant la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré que les autorités australiennes ne l’avaient pas traité avec humanité et dans le respect de sa dignité. Les allégations de violation des articles 7 et 10 qu’il présente ne sont par conséquent pas étayées au regard de l’article 2 et sont dès lors irrecevables ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Pour l’État partie, l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, la plainte qu’il formule au titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car il aurait pu adresser une plainte aux autorités pénitentiaires de Parklea, au Ministre ou au Commissaire à l’administration pénitentiaire et au Médiateur de Nouvelle-Galles du Sud, ou encore aux tribunaux, concernant le traitement subi en prison. Citant la jurisprudence du Comité et le libellé du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie fait valoir qu’en raison de son caractère subsidiaire l’invocation de cet article de manière autonome par l’auteur est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Même si l’auteur fondait sa plainte sur le paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 7 et 10, cette allégation devrait être rejetée en raison de l’irrecevabilité des plaintes formulées au titre des articles 7 et 10 du Pacte.

4.6Tout en admettant que l’auteur n’était pas en mesure de présenter une plainte à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, l’État partie réaffirme que d’autres recours utiles lui étaient ouverts, à savoir adresser une plainte au Ministre ou au Commissaire à l’administration pénitentiaire, aux inspecteurs officiels (Official Visitors) nommés par le Ministre de l’administration pénitentiaire, qui sont investis de pouvoirs étendus pour connaître des différents problèmes, et à l’Inspecteur général de l’administration pénitentiaire, ou encore une demande en révision de la mesure de séparation ou de détention en cellule de protection pendant plus de 14 jours par le Conseil de contrôle des grands délinquants (Serious Offenders Review Council). Ce dernier peut ordonner la suspension de la mesure de séparation ou de détention en cellule de protection ou encore le transfert du détenu dans un centre de détention différent. Ces recours sont conformes aux normes internationales, telles que l’article 36 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et les paragraphes 1 et 4 du principe 33 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. À ce titre, ils doivent être épuisés avant qu’une plainte puisse être déposée devant une autorité judiciaire.

4.7En ce qui concerne les recours judiciaires, l’État partie cite la jurisprudence récente selon laquelle les tribunaux peuvent examiner des décisions purement administratives prises par les autorités pénitentiaires, mais s’abstiendront d’entraver l’application des décisions reconnues comme étant légitimes, si elles n’ont aucun caractère punitif et si elles représentent un usage raisonnable de l’autorité directoriale. Les détenus soumis à un traitement illicite peuvent demander réparation comme toute autre personne lésée par l’acte d’un agent de l’État. La question de savoir si l’auteur aurait pu produire suffisamment d’éléments pour prouver qu’un acte était contraire aux obligations de vigilance incombant à un agent de l’administration pénitentiaire ou au gouverneur, lequel ne peut être poursuivi en dommages-intérêts que si l’acte incriminé était à la fois malveillant et dénué de tout motif raisonnable et suffisant, est discutable étant donné l’abondance de témoignages émanant de plusieurs agents de l’administration pénitentiaire, assistants sociaux, médecins et infirmiers. Néanmoins, l’absence d’éléments de preuve fournis par l’auteur est une question qui n’a aucun lien avec celle de savoir si des recours utiles étaient disponibles.

4.8Pour l’État partie, l’auteur aurait pu déposer une plainte devant le Médiateur de Nouvelle‑Galles du Sud, qui peut enquêter à ce sujet et adresser un rapport et des recommandations à l’administrateur général de l’organe compétent.

4.9L’État partie conteste que le traitement infligé à l’auteur constitue une torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, et fait valoir que ce dernier n’a fait l’objet d’aucun traitement particulièrement pénible dépassant ce qui est strictement inévitable dans un environnement fermé. L’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il avait subi un préjudice corporel ou psychologique, vu l’absence de signes de lésions ou de lien direct entre son état mental et son isolement dans une cellule sécurisée. Les mesures qui lui ont été imposées ne l’ont pas été à titre de sanction, mais pour le protéger contre une éventuelle automutilation, le protéger des autres détenus et maintenir la sécurité dans le centre de détention. Ces mesures étaient proportionnées aux circonstances et compatibles avec les articles 7 et 10 du Pacte, avec la législation interne applicable ainsi qu’avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ainsi qu’avec l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement:

a)La séparation de l’auteur des autres détenus et son isolement dans une cellule sécurisée étaient une mesure de précaution inévitable, étant donné qu’il avait participé à une émeute à Kariong, et n’étaient pas l’équivalent du placement au secret au sens de la disposition 171 du Règlement des centres pénitentiaires (Crimes Correctional Centres Routine Regulation) de 1995; cette mesure était conforme au Manuel de procédures opérationnelles du Département de l’administration pénitentiaire de Nouvelle-Galles du Sud, étant donné que l’auteur faisait de l’exercice quotidiennement, avait de la nourriture et de l’eau et qu’il pouvait rencontrer un délégué aborigène;

b)Le fait que l’on ait ôté temporairement à l’auteur ses vêtements, sa couverture et son oreiller et la mesure de vidéosurveillance dans sa cellule étaient nécessaires afin de l’observer et de le protéger des lésions qu’il risquait de s’infliger. Il n’était pas exposé au froid; sa cellule était suffisamment chauffée;

c)Il n’existe aucune mention de l’utilisation de lumière artificielle pendant des périodes supérieures à 24 heures. Les gardiens de Parklea ont peut-être estimé qu’il était nécessaire d’utiliser la lumière artificielle pour surveiller l’auteur, qui avait essayé d’obturer les objectifs des caméras dans sa cellule;

d)Les gardiens ont eu recours à la force physique les 7 et 15 avril 1999, mais seulement après que l’auteur eut refusé d’obtempérer à leurs ordres, et l’usage de la force a été réduit au minimum nécessaire, comme le montre la mention faisant état de l’absence de lésion;

e)La prescription de «Largactil» visait à maîtriser le comportement autodestructeur de l’auteur; il a par la suite accepté de prendre ce médicament;

f)Il n’existe aucune mention du placement en régime cellulaire de l’auteur pendant 72 heures à partir du 7 avril 1999. En revanche, les dossiers médicaux de Parklea montrent qu’il a assisté à une réunion du bilan de son traitement le 9 avril 1999. Il n’existe pas non plus de mention d’une mesure de placement en régime cellulaire dans une «cellule sèche» pendant 48 heures, le 1er avril 1999, ou le 13 avril 1999, date à laquelle s’est produit un autre incident.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 30 juillet 2004, l’auteur a envoyé des commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que les mesures prises à son égard étaient disproportionnées à l’objectif visé, c’est‑à‑dire le protéger, compte tenu de son âge, de son handicap et de son statut d’aborigène:

a)Lui retirer ses vêtements était humiliant et dégradant et l’a exposé à un froid excessif, car sa cellule n’était pas convenablement chauffée. Le fait que ses vêtements lui aient été retirés, le 15 avril 1999, et qu’il ait ensuite essayé de se pendre avec un nœud coulant fabriqué au moyen de ses sous-vêtements, montrait que cette mesure ne visait pas à le protéger contre lui-même, mais plutôt à le punir pour avoir refusé de retourner dans sa cellule. Les évaluations psychologiques effectuées à Parklea indiquaient qu’il n’était pas suicidaire mais qu’il avait des difficultés à supporter le régime d’isolement;

b)Pour l’auteur, l’absence de preuves attestant l’utilisation continuelle de lumière électrique dans sa cellule ne disqualifie pas son allégation. Le fait que l’État partie n’ait pu exclure que des lampes aient été utilisées pour l’observer montrait qu’il n’avait pas procédé à une enquête approfondie sur cette allégation. L’utilisation de ces lampes n’était pas nécessaire, étant donné que l’auteur était constamment sous vidéosurveillance; c’était une mesure punitive destinée à l’humilier et à le priver de sommeil;

c)L’auteur conteste l’absence de mention dans les dossiers concernant les préjudices corporels qu’il a subis. Le rapport sur l’incident/agression du Ministère de la santé de Nouvelle‑Galles du Sud confirmait la présence de petites balafres au milieu du dos et d’une coupure à l’auriculaire de la main droite à la suite de l’incident du 13 avril 1999. Étaient également mentionnées des contusions à la tête, qui seraient dues à l’incident du 11 mai 1999, lorsqu’il avait agressé deux agents pénitentiaires qui étaient en train de le fouiller au corps;

d)L’auteur affirme avoir accepté la poursuite du traitement au «Largactil» parce qu’on lui avait dit qu’il sortirait de la cellule de protection seulement s’il acceptait de prendre ce médicament;

e)En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’existe aucune mention officielle de l’incident allégué du 1er avril 1999, ni du placement à l’isolement pendant 48 heures puis pendant 72 heures le 7 avril 1999, respectivement, l’auteur signale que le gardien a mentionné à la date du 1er avril 1999 que l’auteur avait cassé une assiette et utilisé un éclat pour déchirer le matelas, et mentionné également les notices de mesures disciplinaires de la prison datées du 4 et du 11 avril 1999, indiquant qu’il avait plaidé coupable du refus d’obéir au règlement de la prison le 1er avril 1999 et qu’il avait été placé en régime d’isolement dans sa cellule pendant 48 heures, et qu’il avait plaidé coupable d’agression sur un gardien le 7 avril 1999 et avait été placé à l’isolement dans sa cellule pendant 72 heures à titre de sanction.

5.2Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur réaffirme que les recours administratifs et judiciaires qui lui étaient ouverts seraient inefficaces. Les plaintes déposées à l’intérieur de la prison parviennent au gouverneur de la prison, celui-là même qui a autorisé les conditions de détention subies par l’auteur, et les plaintes adressées au Médiateur ne peuvent déboucher que sur l’adoption d’un rapport ou d’une recommandation adressés au Gouvernement, sans conférer de droit à réparation ni constituer un recours effectif. Les travaux préparatoires relatifs au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte montrent que l’intention des rédacteurs était que les États parties développent progressivement des recours juridictionnels. Plus de 20 ans après la ratification du Pacte, en 1980, l’Australie aurait dû s’acquitter de cette obligation.

5.3L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas présenté de preuve contraire à l’avis d’expert que lui-même a produit sur les possibilités limitées de recours civil dans son cas. Pour engager une action en justice fondée sur une violation de l’obligation de vigilance, en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 263 de la loi sur l’exécution des peines (Crimes Administration of Sentences Act) de 1999 (Nouvelle-Galles du Sud), il faudrait montrer que: 1) le traitement infligé à l’auteur l’a été par malveillance, ce qui est difficile à établir, la plupart des mesures imposées étant autorisées en droit interne; 2) ce traitement n’était pas justifié par des motifs raisonnables et suffisants; et 3) l’existence de lésion ou d’un préjudice est établie. Toute procédure pour laquelle l’existence d’un préjudice doit être établie serait vaine, étant donné que le psychiatre n’a pas été en mesure de déterminer la nature exacte de l’éventuel préjudice causé à l’auteur par son traitement.

5.4Il serait certes possible d’obtenir des dommages-intérêts pour faute seulement en cas de troubles psychiatriques reconnus (et non pour des souffrances mentales), mais l’auteur considère que le fait d’avoir été privé de tout contact humain pendant des périodes considérables, d’avoir été humilié lorsqu’on l’a déshabillé, exposé au froid et à une lumière artificielle constante, et d’avoir été agressé physiquement, a suscité chez lui angoisse, souffrance, cauchemars récurrents et crises de panique ayant trait à la période passée dans la cellule de protection. Dans ces circonstances, aucune expertise médicale attestant de troubles psychologiques ou mentaux spécifiques provoqués par son traitement n’est requise pour établir une violation des articles 7 et 10 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 29 juillet 2005, répondant au Comité qui avait demandé des informations détaillées sur les délais à respecter pour les recours administratifs et juridictionnels existants que l’auteur n’aurait pas épuisés, et sur les possibilités d’accès à ces recours, l’État partie a envoyé des observations complémentaires sur la recevabilité. Il fait valoir que l’auteur aurait pu se prévaloir de plusieurs recours administratifs pendant la période où il était en cellule séparée. Ces recours auraient été faciles à exercer et auraient pu lui apporter une réparation effective dans des délais raisonnables, compte tenu des lenteurs inévitables d’une procédure judiciaire. En outre, l’auteur aurait pu engager une procédure de common law, en responsabilité civile (dommages-intérêts) dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle se seraient produites les violations des articles 7 et 10 du Pacte.

6.2L’État partie affirme que toutes les personnes détenues dans les centres de détention pour adultes de Nouvelle-Galles du Sud ont la possibilité de rencontrer les inspecteurs officiels, qui sont nommés par le Ministre de l’administration pénitentiaire avec mission de se rendre dans les centres de détention au moins une fois par mois pour y recevoir les plaintes des détenus. Le gouverneur du centre de détention doit notifier la date et l’heure de ces visites à tous les détenus et les informer de la possibilité de présenter des plaintes aux inspecteurs officiels. En vertu du Règlement des centres de détention de 1995 sur l’application des peines, l’inspecteur officiel doit élucider les circonstances d’une plainte particulière et présenter une fiche d’enregistrement au Commissaire à l’administration pénitentiaire. Il doit également transmettre la plainte au gouverneur de la prison. Le Règlement ne spécifie aucun délai pour présenter une plainte aux inspecteurs officiels.

6.3En outre, l’auteur aurait pu demander l’autorisation de s’entretenir avec le gouverneur du centre de détention ou avec le Ministre ou le Commissaire à l’administration pénitentiaire. Ces demandes doivent être transmises au gouverneur sans retard excessif; le gouverneur a l’obligation d’offrir au détenu la possibilité d’avoir un entretien sur cette question ou celle de transmettre la demande à la personne à laquelle le détenu souhaite parler durant la visite suivante que fera le fonctionnaire en question au centre de détention.

6.4L’État partie ajoute qu’un détenu peut également se plaindre directement, par écrit, du traitement qu’il reçoit dans le centre de détention au Ministre ou au Commissaire à l’administration pénitentiaire. Cette plainte doit être placée dans une enveloppe cachetée adressée au Ministre ou au Commissaire; elle ne doit pas être ouverte, son contenu ne doit pas être lu ni contrôlé. Le Ministre ne peut intervenir personnellement, mais toutes les plaintes qu’il reçoit sont dirigées vers l’autorité appropriée, par exemple le Commissaire, qui a le pouvoir d’annuler ou de réformer toute décision antérieure.

6.5L’auteur avait également la possibilité de se plaindre auprès de l’Inspecteur général de l’administration pénitentiaire, dont le mandat a pris fin le 30 septembre 2003. Nommé par le Gouverneur de Nouvelle-Galles du Sud, l’Inspecteur général était indépendant du Département de l’administration pénitentiaire. Il pouvait voir librement les délinquants détenus, pénétrer dans les locaux et consulter les registres et archives du Département, afin d’instruire les plaintes dirigées contre le Département et de les régler. Il pouvait exercer cette fonction de sa propre initiative, à la demande du Ministre de l’administration pénitentiaire ou en réponse à une plainte. Il n’y avait pas de délai pour déposer une plainte, mais l’Inspecteur général pouvait à son gré décider de ne pas enquêter sur des plaintes portant sur des incidents trop anciens ou pour lesquels il existait d’autres moyens de recours satisfaisants. Il pouvait recommander l’adoption de mesures disciplinaires ou l’ouverture d’une procédure pénale contre des fonctionnaires du Département.

6.6Pour ce qui est de la période de séparation imposée à l’auteur, l’État partie fait savoir qu’en vertu de la loi de 1999 sur l’application des peines, tout prisonnier ou détenu qui fait l’objet d’une mesure de séparation pendant plus de 14 jours a le droit d’adresser un recours au Conseil de contrôle des grands délinquants (Serious Offenders Review Council). Les détenus doivent être informés de leur droit de recours et doivent signer un formulaire déclarant qu’ils ont bien reçu cette information. Lorsqu’il examine le recours, le Conseil peut confirmer, modifier ou révoquer l’ordre de séparation. En attendant qu’il soit statué sur une affaire, il peut également ordonner la suspension de la mesure de séparation ou le transfèrement du prisonnier dans un autre centre de détention.

6.7Enfin, en ce qui concerne les recours judiciaires, l’État partie réaffirme que les tribunaux australiens se considèrent compétents pour examiner les recours des prisonniers contestant la légalité de leur internement, y compris les procédures engagées contre les actes commis en violation d’une obligation de vigilance ayant entraîné des lésions ou un préjudice pour les prisonniers. L’action en justice dans ce cas était fondée sur le délit d’imprudence ou de négligence en common law, objet de la loi de 2002 sur la responsabilité civile (Nouvelle-Galles du Sud), qui prévoyait l’exclusion de la responsabilité personnelle pour certaines personnes dans certaines circonstances. Conformément à la loi de 1988 sur les privilèges de la Couronne (Crown Proceedings Act) (Nouvelle-Galles du Sud), le défendeur dans la procédure engagée au titre d’une action en responsabilité civile de common law contre un organisme public ne constituant pas une entité juridique distincte était en fait l’État de Nouvelle-Galles du Sud. Mais, l’auteur n’a pas engagé d’action en responsabilité civile pour négligence.

Commentaires de l’auteur

7.1En date du 14 septembre 2005, l’auteur a adressé ses commentaires sur les observations supplémentaires de l’État partie, et nié que l’un quelconque des recours administratifs ou judiciaires susmentionnés lui ait été en fait ouvert ou ait pu constituer pour lui un recours utile à l’époque. L’auteur n’avait jamais été informé de l’existence de mécanismes de plainte lorsqu’il avait été admis au centre de détention de Parklea. En outre, le traitement dont il s’est plaint était dans une large mesure compatible avec les lois et les règlements australiens pertinents.

7.2L’auteur affirme qu’il n’a jamais été informé du fait qu’un inspecteur officiel allait se rendre à Parklea, ni à quelle date, pendant son incarcération. Il a donc été empêché de se plaindre auprès de l’inspecteur officiel qui était tenu, en tout état de cause, de ne pas «entraver la gestion ou la discipline dans le centre de détention ni donner d’instructions au personnel ou aux détenus du centre».

7.3L’auteur affirme que le gouverneur du centre de détention de Parklea a rejeté ses plaintes répétées concernant les conditions de sa détention en lui répondant: «Tu n’es plus dans un foyer pour garçons. Ici, voilà comment ça se passe.», ou encore: «On ne fera rien au sujet de ta plainte; c’est comme cela que nous faisons ici et c’est comme cela que tu seras traité.». Étant donné que la décision de donner suite ou non à une plainte était laissée à l’entière discrétion du gouverneur, ce type de plainte ne constituait pas un recours utile. En témoignait le dossier de l’auteur d’où il ressortait que le gouverneur avait approuvé la mesure de séparation et d’isolement dont il avait fait l’objet à six reprises pendant la période considérée.

7.4L’auteur affirme qu’il n’a pas été informé de la possibilité de déposer plainte auprès du Ministre ou du Commissaire de l’administration pénitentiaire, soit par l’intermédiaire du gouverneur, soit directement par écrit. Le fait que le gouverneur ne soit pas tenu de transmettre une plainte au Ministre ou au Commissaire, mais pouvait régler l’affaire personnellement, le fait que les pouvoirs du Commissaire se limitaient à de simples recommandations, ainsi que les difficultés de lecture et d’écriture de l’auteur et l’absence de stylos, crayons et papier dans sa «cellule sèche», montraient que ce type de plainte ne constituait pas un recours utile.

7.5Un avocat appartenant au service juridique de la Société régionale aborigène de Sydney (Sydney Regional Aboriginal Corporation Legal Service) a déposé une plainte auprès du Ministre de la justice pour mineurs au nom de l’auteur, après la levée de la mesure de séparation, mais aucune réparation n’a été accordée à la suite de cette plainte.

7.6L’auteur fait également valoir qu’il n’a jamais été informé de la possibilité de se plaindre à l’Inspecteur général. Comme ce dernier avait toute latitude pour ne pas donner suite aux plaintes pour lesquelles il existait d’autres moyens de recours, il aurait pu refuser la demande de l’auteur au motif que celui-ci s’était déjà plaint de son traitement au gouverneur.

7.7De même, il n’avait jamais été informé qu’il pouvait recourir contre la mesure de séparation auprès du Conseil de contrôle des grands délinquants (Serious Offenders Review Council), pas plus qu’il n’avait signé de formulaire déclarant qu’il avait reçu cette information. S’adresser au Conseil n’aurait pas constitué un recours utile, étant donné que l’auteur n’était pas un grand délinquant à l’époque où il a été séparé des autres détenus et que le Conseil n’avait pas compétence pour les questions autres que les mesures de séparation, comme par exemple, le traitement physique et médical dont l’auteur avait fait l’objet.

7.8L’auteur fait valoir que, tout en sachant que le gouverneur avait autorisé son traitement, comme en atteste son dossier au Département de l’administration pénitentiaire, il a toutefois pris toutes les mesures raisonnables dont était capable un jeune aborigène de 16 ans souffrant d’un handicap intellectuel afin d’obtenir une modification de son traitement, c’est-à-dire qu’il s’est plaint à l’assistant social du Comité de surveillance des décès d’aborigènes en détention (Aboriginal Deaths in Custody) et au gouverneur du centre de détention.

7.9Se référant au rapport d’expert du 7 mai 2002, l’auteur réaffirme que toute procédure engagée en justice pour violation des obligations de vigilance aurait été inutile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que les gardiens de prison qui l’ont maîtrisé en avril et en mai 1999 avaient fait un usage excessif de la force en violation des articles 7 et 10 et que la vidéosurveillance permanente était incompatible avec ces dispositions.

8.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que son transfert au centre pénitentiaire de Parklea le 22 mars 1999 était une violation des droits garantis par le paragraphe 3 de l’article 10, le Comité note que l’État partie n’a pas invoqué la réserve qu’il a formulée, tendant à ce que l’obligation de procéder à une séparation qui est énoncée aux paragraphes 2 b) et 3 de l’article 10 «n’est acceptée que dans la mesure où les autorités compétentes considèrent une telle séparation avantageuse pour les jeunes délinquants et les adultes en cause». Toutefois, le Comité n’a pas à examiner si la réserve de l’État partie aux paragraphes 2 b) et 3 de l’article 10 est applicable étant donné que les griefs formulés par l’auteur au titre de ces dispositions sont irrecevables pour d’autres motifs:

a)Au sujet de son allégation selon laquelle son transfert au centre pénitentiaire de Parklea, le 22 mars 1999, était une violation du paragraphe 2 b) de l’article 10, le Comité rappelle que cette disposition protège le droit des jeunes prévenus à être séparés des adultes et à voir leur cas décidé aussi rapidement que possible. Toutefois, l’auteur avait le statut d’un jeune condamné et non d’un jeune prévenu à l’époque de son transfert à Parklea, puisqu’il avait été reconnu coupable de vol avec effraction, d’agression et d’atteinte à l’intégrité physique le 5 mars 1999. L’allégation de violation du paragraphe 2 b) de l’article 10 est par conséquent irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 de l’article 10, le Comité note que l’auteur a été en fait séparé des autres détenus à son arrivée à Parklea, où il a été placé dans une cellule de protection. Par conséquent, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que son transfert au centre pénitentiaire de Parklea avait violé son droit d’être séparé des détenus adultes; cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4En ce qui concerne les griefs de l’auteur relatifs aux périodes d’isolement, à la confiscation de ses vêtements et de sa couverture, à l’exposition permanente à la lumière artificielle ainsi qu’à la prescription du «Largactil», le Comité estime qu’ils sont suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité. En particulier il considère que, avec la référence du formulaire de mesure disciplinaire, l’auteur a réfuté l’affirmation de l’État partie qui avait nié qu’il ait été placé à l’isolement dans une «cellule sèche» pendant 48 heures le 1er avril 1999 et 72 heures le 7 avril, les formulaires d’action disciplinaire à l’égard d’un détenu de la prison de Parklea en date des 4 et 11 avril 1999, confirmant ces deux périodes d’isolement.

8.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours administratifs, juridictionnels ou autres qui lui sont ouverts. Il note également que l’auteur conteste l’utilité des plaintes adressées aux autorités pénitentiaires ou au Médiateur et exprime des doutes quant à la possibilité d’engager une action en justice pour négligence et les chances de la voir aboutir.

8.6Le Comité rappelle que l’obligation faite au paragraphe 2 b) de l’article 5 d’épuiser «tous les recours interne disponibles» vise non seulement les recours juridictionnels mais aussi les recours administratifs, à moins que ces recours n’aient manifestement aucune chance d’aboutir ou qu’il ne soit pas raisonnablement possible d’attendre que l’auteur les exerce.

8.7En ce qui concerne la possibilité d’adresser une plainte au Médiateur, le Comité rappelle que les conclusions auxquelles parviendrait cet organe auraient une simple valeur de recommandation et non un effet contraignant à l’égard des autorités concernées. Il en conclut qu’une plainte de ce type ne peut pas être considérée comme un recours utile que l’auteur est tenu d’épuiser aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.8Quant à la possibilité d’adresser une plainte au Ministre de l’administration pénitentiaire ou au Conseil de contrôle des grands délinquants, le Comité note que l’auteur a fait valoir qu’il n’avait pas été informé de l’existence de ces recours ou d’autres recours administratifs et qu’il savait à peine lire et écrire à l’époque où il a été placé à l’isolement à Parklea, ce que l’État partie n’a pas contesté.

8.9Le Comité rappelle également que l’auteur a fait plusieurs tentatives pour obtenir un changement des conditions de son incarcération en se plaignant au représentant du Comité de surveillance des décès d’aborigènes en détention et au gouverneur du centre de détention. Il relève aussi les déclarations de l’auteur concernant les réponses du gouverneur à ses réclamations et observe que ces réponses ont eu pour effet de décourager l’auteur d’adresser d’autres plaintes aux autorités pénitentiaires. Vu l’âge de l’auteur, son handicap intellectuel et sa position particulièrement vulnérable d’aborigène, le Comité conclut qu’il a fait des efforts raisonnables pour se prévaloir des recours administratifs existants, dans la mesure où il en avait connaissance et où ces derniers peuvent être considérés comme utiles.

8.10La question décisive est par conséquent celle de savoir si l’auteur disposait ou non de recours juridictionnels utiles et s’il ne les a pas épuisés. Le Comité rappelle que l’État partie a affirmé que les tribunaux australiens ne vont pas à l’encontre des décisions administratives prises par les autorités pénitentiaires s’il est établi que ces décisions sont prises de bonne foi et si elles constituent un usage raisonnable du pouvoir directorial. Il rappelle aussi que l’État partie a fait valoir que la plupart des mesures imposées à l’auteur étaient conformes à la législation applicable, ce que l’auteur a reconnu. On ne peut donc guère imaginer que l’auteur aurait pu contester en justice les décisions des autorités de Parklea.

8.11En ce qui concerne la possibilité, dans la common law, d’engager une action en responsabilité délictuelle pour négligence, le Comité prend acte de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’absence de preuves de la part de l’auteur n’a pas d’incidence directe sur la question de savoir si des recours juridictionnels utiles lui étaient ouverts. En revanche, l’absence de preuves établissant une atteindre psychiatrique reconnaissable a bien une incidence sur la question de savoir s’il aurait été utile d’exercer ces recours. À ce sujet, il considère que l’auteur a montré, et que l’État partie n’a pas réfuté, que les chocs émotionnels et l’anxiété dont l’auteur dit avoir souffert auraient constitué des bases insuffisantes pour engager une procédure judiciaire fondée sur la violation de l’obligation de vigilance.

8.12Dans ce contexte, le Comité considère que, même si en principe des recours juridictionnels étaient disponibles, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, il aurait était vain pour l’auteur, dans les circonstances de l’affaire, d’engager une action en justice. Il conclut donc que l’auteur n’était pas tenu, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, d’épuiser ces recours.

8.13Le Comité conclut que la communication est recevable dans la mesure où les griefs de l’auteur soulèvent des questions au regard des articles 7 et 10 du Pacte et où ils portent sur les périodes d’isolement, sur la suppression de ses vêtements et de sa couverture et sur l’exposition permanente à la lumière artificielle.

Examen au fond

9.1Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son placement dans une cellule de protection et, à deux reprises au moins, dans une «cellule sèche», était incompatible avec son âge, son handicap et sa qualité d’aborigène, pour qui la séparation, l’isolement et l’entrave à la liberté de mouvement en prison ont un effet particulièrement délétère. Il note l’argument invoqué par l’État partie qui objecte que ces mesures étaient nécessaires pour protéger l’auteur contre un nouvel acte d’automutilation, pour protéger les autres détenus, et pour assurer la sécurité de l’établissement pénitentiaire.

9.2Le Comité rappelle que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté; le respect de leur dignité doit être garanti à ces personnes de la même manière qu’aux personnes libres. Pour entrer dans le champ d’application de l’article 10 du Pacte le traitement inhumain doit avoir un degré minimum de sévérité. L’appréciation de ce minimum dépend de toutes les circonstances, comme la nature et le contexte du traitement, sa durée, ses effets psychiques ou physiques et, dans certains cas, le sexe, l’âge, l’état de santé ou une autre circonstance particulière de la victime.

9.3L’État partie n’a pas indiqué que l’auteur avait suivi un traitement médical ou psychologique, hormis la prescription d’un médicament antipsychotique, malgré les actes d’automutilation, notamment une tentative de suicide le 15 décembre 1999. Le but même de l’utilisation d’une cellule de protection, consistant à «offrir un environnement sécurisé, moins générateur de stress et mieux surveillé où le détenu peut être aidé, observé et évalué en vue d’un placement ou d’un traitement approprié», a été contredit par l’évolution négative de l’état psychologique de l’auteur. De plus, on ne sait pas au juste si les consignes de ne pas utiliser la cellule de protection pour punir une infraction à la discipline du centre pénitentiaire ou pour isoler le détenu, ou de ne pas maintenir un détenu dans une cellule de protection pendant plus de 48 heures sans autorisation expresse, ont été respectées dans le cas de l’auteur. Le Comité observe en outre que l’État partie n’a pas démontré que s’il avait laissé l’auteur avec les autres détenus de son âge la sécurité de ces derniers et celle du centre pénitentiaire auraient été mises en péril. Ce contact aurait pu être surveillé de manière appropriée par le personnel pénitentiaire.

9.4Même à supposer que le placement dans une cellule de protection ou dans une «cellule sèche» ait été décidé pour maintenir l’ordre dans la prison ou pour protéger l’auteur contre un nouvel acte d’automutilation, ainsi que pour protéger les autres détenus, le Comité considère que cette mesure était incompatible avec les prescriptions de l’article 10 du Pacte. Aux termes du paragraphe 3 de l’article 10 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, l’État partie était tenu de veiller à ce que l’auteur ait un régime approprié à son âge et à sa situation légale. Dans ces circonstances, le placement prolongé de l’auteur en cellule d’isolement sans possibilité de communication aucune, conjugué à son exposition à la lumière artificielle pendant de longues périodes et à la confiscation de ses vêtements et de sa couverture, était sans rapport avec sa qualité de jeune détenu dans une situation particulièrement vulnérable en raison de son handicap et de son statut d’aborigène. La dureté de ces conditions de détention était manifestement incompatible avec son état de santé, ainsi que l’ont montré sa tendance à l’automutilation et sa tentative de suicide. Le Comité conclut donc que le régime imposé à l’auteur a constitué une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 10 du Pacte.

9.5En ce qui concerne la prescription du médicament antipsychotique («Largactil»), le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que le médicament lui a été administré sans son consentement. Toutefois, il relève aussi l’argument de l’État partie, non contesté par l’auteur, selon lequel le «Largactil» avait été prescrit pour réguler le comportement autodestructeur de l’auteur. Il rappelle que le traitement a été ordonné par le médecin généraliste du centre de détention Parklea et a seulement été poursuivi après que l’auteur a été examiné par un psychiatre. En l’absence d’éléments qui indiqueraient que le médicament a été administré à des fins contraires à l’article 7 du Pacte, le Comité conclut que cette prescription ne constitue pas une violation de l’article 7.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

11.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à une réparation, sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

KK. Communication n o 1196/2003, Boucherf c. Algérie (Constatations adoptées le 30 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

Fatma Zohra Boucherf (représentée par un conseil)

Au nom de:

Riad Boucherf et l’auteur

État partie:

Algérie

Date de la communication:

30 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Disparitions, détention au secret, procès par contumace

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit à un conseil; interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; procès par contumace; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte: 2 (par. 3), 7, 9, 14 et 16

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1196/2003 présentée au nom de Fatma Zohra Boucherf et Riad Boucherf en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 30 juin 2003, est Mme Fatma Zohra Boucherf, Algérienne habitant en Algérie. Elle présente la communication au nom de son fils, M. Riad Boucherf, de nationalité algérienne, né le 12 janvier 1974 à Kouba (Algérie) qui est porté disparu depuis le 25 juillet 1995. L’auteur dit que son fils est victime de violations par l’Algérie du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte) et des articles 7, 9, 14 et 16 et qu’elle-même est victime d’une violation par l’Algérie de l’article 7 du Pacte. Elle est représentée par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

1.2Le 11 juillet et le 23 août 2005, le conseil a demandé des mesures provisoires de protection dans le contexte de l’élaboration par l’État partie du projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui a été soumis à référendum le 29 septembre 2005. De l’avis du conseil, en effet, le projet de loi risquait de causer un préjudice irréparable pour les victimes de disparition, mettant en danger les personnes qui sont toujours disparues; il risquait aussi de compromettre l’application pour les victimes d’un recours utile et de rendre sans effet les constatations du Comité des droits de l’homme. Le conseil a donc demandé que le Comité invite l’État partie à suspendre le référendum jusqu’à ce que le Comité ait rendu ses constatations dans trois affaires (dont l’affaire Boucherf). La demande de mesures provisoires de protection a été transmise à l’État partie en date du 27 juillet 2005 pour observations. Aucune réponse n’a été reçue. Le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a prié l’État partie, en date du 23 septembre 2005, de ne pas invoquer contre des personnes qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité les dispositions de la loi affirmant «que nul, en Algérie ou à l’étranger, n’est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux Institutions de la République Algérienne Démocratique et Populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de tous ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international» et rejetant «toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d’agents de l’État qui ont été sanctionnés par la Justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie.».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1M. Boucherf a été arrêté dans son quartier en même temps que deux autres hommes, Bourdib Farid et Benani Kamel, le 25 juillet 1995 à 11 heures du matin, par cinq policiers en civil du 17e arrondissement d’Alger. Ils ont été menottés, jetés dans le coffre des véhicules (l’auteur mentionne une voiture blanche et une Daewoo) et emmenés au poste de police du 17e arrondissement. L’auteur a été alertée par des voisins qui avaient assisté à l’arrestation. Elle a commencé dès le lendemain à s’enquérir de ce que son fils était devenu. D’après elle, l’arrestation a un rapport avec la mort, le 13 juillet 1995, d’un policier du nom de Yadel Halim. Le fiancé de la sœur de Yadel Halim (surnommé «Sâad») se trouverait parmi les policiers en civil qui avaient procédé à l’arrestation le 25 juillet 1995.

2.2Le 30 juillet 1995, la même voiture blanche est revenue et le deuxième fils de l’auteur, Amine Boucherf a été arrêté par un policier surnommé «Rambo». L’auteur dit que Amine, Bourdib Farid et Benani Kamel, détenus au commissariat central, ont été remis en liberté le 5 août 1995. Amine Boucherf a raconté que quand il était au commissariat du 17e arrondissement le 30 juillet 1995 il avait parlé à un autre détenu, Tabelout [Tablot] Mohamed, qui avait confirmé que Riad Boucherf était lui aussi détenu au même endroit. En décembre 1996, la police d’Aïn‑Wâadja a demandé à l’auteur de retrouver Tabelout Mohamed pour que son témoignage puisse être recueilli. Elle a accompagné le témoin au commissariat le 21 décembre 1996 et il a expliqué que lui-même et Riad Boucherf avaient été torturés, qu’ils avaient été conduits au cimetière de Garidi par le policier du 17e arrondissement qui leur avait dit que c’était là qu’on allait les enterrer. Tabelout Mohamed a assuré qu’il serait capable d’identifier les tortionnaires.

2.3L’auteur joint un témoignage écrit de Bourdib Farid qui corrobore sa propre version des faits. Pour ce qui est de l’arrestation, Bourdib Farid identifie un policier appelé «Boukraa» et un chauffeur appelé Kamel (connu sous le surnom de «Tigre») qui sont l’un et l’autre de Birkhadem. Il confirme aussi que Riad Boucherf et lui-même sont restés ensemble au commissariat central pendant deux jours avant d’être séparés. Il témoigne qu’il a été torturé avec Riad Boucherf par des policiers ivres cagoulés. Le 27 juillet 1995, ils ont été conduits au poste de police de Bourouba, les mains liées derrière le dos avec du fil de fer. On les a attachés à un arbre dans la cour du commissariat et ils y sont restés jusqu’au lendemain. Ensuite ils ont été renvoyés au commissariat central, séparés et torturés à la chignole sur la poitrine. Bourdib Farid dit que le sixième jour Riad Boucherf et quatre autres hommes ont été conduits, les mains liées, dans un bois près du parc zoologique de Ben Aknoun. On les a obligés à se mettre à genoux tête baissée et des policiers ont braqué leur fusil pointé sur leur tête. Riad a dit aux policiers qu’il n’avait rien fait et qu’il ne savait pas ce qu’ils voulaient. Bourdib Farid affirme que Riad et lui ont été reconduits au commissariat central et séparés. Il ne sait pas ce que sont devenus les quatre autres hommes. Bourdib Farid dit que tout cela s’est produit deux jours avant qu’il soit remis en liberté et que les policiers ont voulu lui faire croire que Riad avait réussi à s’échapper du coffre de la voiture, mais il sait que c’est faux puisque Riad est retourné au commissariat central avec lui.

2.4En octobre 1995, l’auteur a été informée par les mères d’autres détenus que son fils avait été transféré du commissariat central à la prison de Serkadji, à Alger. Elle s’y est rendue le lendemain et on lui a dit que son fils était dans la cellule 15. Un policier lui a demandé l’âge de son fils et lui a dit que l’occupant de la cellule 15 était un vieil homme et ne pouvait pas être son fils. Elle est retournée à la prison parce qu’en novembre 1995 un parent d’un détenu lui a affirmé que Riad Boucherf était bien à la prison de Serkadji. L’auteur a accompagné la mère de ce détenu qui allait voir son propre fils à Serkadji et qui a dit en sortant qu’en fait le prisonnier du nom de Riad n’était pas Riad Boucherf.

2.5En janvier 1996, le parent d’un voisin, infirmier au centre de Châteauneuf, a fait savoir à l’auteur que son fils se trouvait à cet endroit puisqu’il avait été transféré à l’hôpital Mustapha Bacha avec quatre côtes cassées et devait y rester trois semaines. Un autre témoin a affirmé avoir vu Riad Bourchef dans un centre de détention de Boughar où il était resté trois jours. Enfin, en mai 1996, trois hommes du quartier ont été arrêtés, gardés au poste de police du 17e arrondissement et condamnés à trois ans d’emprisonnement. Quand ils ont quitté la prison ils ont dit à l’auteur qu’ils avaient été torturés par les mêmes policiers que ceux qui avaient torturé son fils, étant donné que l’un deux l’avait menacé de le tuer «comme Riad…».

2.6L’auteur dit aussi que trois hommes ont été jugés par le tribunal de la rue Abane Ramdane à Alger et acquittés le 31 décembre 1996. Leurs coïnculpés absents, au nombre desquels Riad Boucherf, ont été condamnés par contumace et à huis clos à la réclusion à perpétuité. Un défenseur, un certain Me Tahri, était bien présent au procès mais l’auteur n’a jamais obtenu de copie du jugement.

2.7L’auteur dit qu’elle a subi de multiples visites domiciliaires (le 11 août 1995, le 6 juin, le 16 novembre et le 25 novembre 1996) et des actes d’intimidation de la part des forces de sécurité qui voulaient savoir où se trouvait son fils. Elle se souvient que le 6 juin 1995, des policiers d’Aïn-Wâadja ont obtenu les noms des hommes qui avaient été arrêtés en même temps que son fils et qu’une semaine plus tard, ils avaient recueilli leur déposition.

2.8À partir de 1995, tous les deux ou trois mois l’auteur a écrit au Procureur général du tribunal de Hussein Dey et de la Cour d’Alger, au Président de la République, au chef du Gouvernement, au Médiateur de la République, au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, aux Ministères de la défense, de la justice et de l’intérieur pour demander une enquête afin de déterminer ce qu’il était advenu de son fils. Elle a adressé en tout 14 plaintes entre le 13 novembre 1995 et le 17 février 1998.

2.9Elle a été convoquée par plusieurs autorités (dont le Ministère de la défense, les services de police d’Aïn-Wâadja, du 17e arrondissement d’Alger, de Kouba et de Hussein Dey, le juge d’instruction du tribunal de Hussein Dey et le Procureur général de la Cour d’Alger). Pendant ces réunions, elle s’est maintes fois entendu dire que les autorités n’avaient aucun renseignement sur le sort de son fils et qu’il était en fait recherché par la police. Cette version lui avait été confirmée par le Procureur du tribunal de Hussein Dey dans des lettres datées du 13 juillet, du 12 octobre et du 23 octobre 1996, et du 29 mars, du 25 septembre et du 15 octobre 1997, ainsi que par le Procureur général de la Cour d’Alger le 4 mars 1997.

2.10 Le 23 février 1997, l’auteur a reçu une lettre du Médiateur de la République accusant réception de sa plainte et affirmant que des investigations étaient en cours. Le 9 septembre 1997, la police a fait paraître une déclaration niant que son fils ait jamais été arrêté ou placé sous sa garde. Par une lettre datée du 6 septembre 1999, le Président de l’Observatoire national des droits de l’homme a informé l’auteur que son fils n’était pas recherché et n’avait pas été arrêté. Il signalait aussi que la police avait ouvert une enquête sous le numéro de dossier 1990 en date du 6 septembre 1998.

2.11Enfin, l’auteur a été convoquée par le juge d’instruction du tribunal de Hussein Dey le 30 avril 2000 et en février 2002 (on lui a dit que son fils était un «terroriste») et a été informée le 29 avril 2003 que le juge avait prononcé un non-lieu en date du 26 avril 2003. Le 6 mai 2003 le Procureur général de la Cour d’Alger l’a informée que l’ordonnance de non-lieu avait été renvoyée à la chambre d’accusation du tribunal d’Alger pour infirmation ou confirmation.

2.12L’auteur joint à sa communication des rapports du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie et de Human Rights Watch qui s’inquiètent vivement des disparitions en Algérie et dénoncent les intimidations subies par les familles et l’absence de réponses et d’enquêtes réelles de la part des autorités.

2.13L’auteur affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes: devant les autorités judiciaires, devant les organes administratifs indépendants responsables des droits de l’homme (le Médiateur de la République et l’Observatoire national des droits de l’homme) ainsi qu’auprès des plus hautes autorités de l’État. Elle fait valoir que s’il y a non-épuisement des recours, il tient au refus des autorités d’ouvrir une enquête sur l’arrestation, la détention et la disparition de son fils, se limitant à nier qu’il ait été arrêté. Elle ajoute que tous les recours internes qu’elle a engagés ont été inutiles et se sont soldés par un échec. Elle dit qu’elle aurait pu essayer d’attaquer le non-lieu prononcé par le juge d’instruction en date du 26 avril 2003, mais que le délai d’appel fixé par la loi est de trois jours et comme elle n’avait été notifiée de la décision que le 29 avril 2003 elle n’avait pas pu le faire.

2.14L’auteur signale que l’affaire a été soumise au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, mais le Comité a déclaré que le Groupe de travail ne «représente pas une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif».

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que Riad Boucherf est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et des articles 7, 9, 14 et 16 du fait de son arrestation et de sa détention et sa disparition arbitraires, des tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants que, selon des informations crédibles, il a subis, du fait que les autorités algériennes n’ont pas mené de véritable enquête et n’ont engagé aucune procédure malgré les nombreuses demandes de l’auteur. Le fils de l’auteur a été jugé à huis clos et par contumace, n’a pas bénéficié de l’assistance d’un défenseur et n’a pas eu accès à un recours utile. L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique du fait de la détention au secret de Riad Boucherf qui a ainsi été soustrait à la protection de la loi.

3.2L’auteur affirme en outre qu’elle-même est victime d’une violation de l’article 7 du Pacte à cause de l’incertitude sur le sort de son fils dans laquelle les autorités la laissent et à cause des actes d’intimidation constants qu’elle a subis de la part de la police.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Dans une note verbale datée du 26 janvier 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il précise que suite à l’une des plaintes de l’auteur le Procureur général du tribunal de Hussein Dey a ouvert une enquête préliminaire et a saisi le juge d’instruction de la première chambre du tribunal. Après avoir entendu plusieurs témoins, le juge d’instruction a décidé le 26 avril 2003 qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre. Le Procureur général n’approuvant pas la décision, il a fait appel le 27 avril 2003. L’affaire a donc été renvoyée à la chambre d’accusation de la Cour d’Alger qui a annulé la décision attaquée, en date du 13 mai 2003, et a ordonné un complément d’enquête et de nouvelles auditions des témoins. Cette procédure étant toujours en cours, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’État partie conclut que l’annulation de l’ordonnance de non-lieu prouve l’utilité du recours.

4.2L’État partie ajoute que l’auteur aurait très bien pu faire elle‑même appel de la décision du juge d’instruction puisque l’article 173 du Code de procédure pénale dispose que le délai d’appel est de trois jours à compter de la notification du jugement. De plus, il est expliqué dans l’article 726 du Code que le délai d’appel de trois jours ne comprend pas le jour initial ni l’échéance. Donc l’auteur pouvait déposer un recours jusqu’au 3 mai 2003.

4.3À titre subsidiaire, l’État partie nie que le fils de l’auteur ait été arrêté le 25 juillet 1995, qu’il ait été condamné le 31 décembre 1995 ou qu’il ait été incarcéré à la prison de Serkadji.

5.1Par une lettre en date du 23 mars 2004, le conseil de l’auteur relève tout d’abord que l’État partie conteste sa version des faits malgré les nombreux témoignages qui viennent la confirmer et rappelle que dans ces circonstances le Comité peut considérer que les allégations sont étayées. Le conseil fait valoir en outre que les recours dont l’État partie a parlé sont inutiles étant donné que les plaintes que l’auteur avait portées ont toutes abouti à la même «version officielle» des faits, c’est-à-dire à un démenti de l’arrestation et de la disparition de son fils.

5.2Pour ce qui est de la possibilité de faire appel du non-lieu prononcé le 26 avril 2003, l’auteur ignorait comment le délai se calculait et un employé du tribunal lui avait dit qu’elle avait «trois jours pour faire appel». En vertu du paragraphe 1 de l’article 168 du Code de procédure pénale, l’auteur aurait dû recevoir par lettre recommandée la signification de la décision dans les 24 heures alors que la notification a mis deux jours pour arriver. Pour ce qui est de la décision de la chambre d’accusation, le conseil souligne que l’auteur n’a pas pu assister à l’audience étant donné qu’elle n’a été avisée que le jour où elle a eu lieu (13 mai 2003) et n’avait pas non plus été notifiée de la décision du 13 mai 2003.

5.3Quoi qu’il en soit, étant donné la lenteur des enquêtes et la dénégation totale des autorités, l’auteur n’a pas à continuer d’attendre une décision qui selon toute probabilité se limitera à constater que son fils a rejoint un «groupe terroriste clandestin». Le conseil souligne que les autorités continuent de considérer les victimes comme des criminels, puisque Bourdib Farid a une fois encore été convoqué pour faire la même déposition et que le domicile de l’auteur a été perquisitionné de nouveau le 28 novembre 2003. Enfin, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que pour qu’un recours soit utile il doit être judiciaire et donner lieu à une enquête diligente, au jugement et à la sanction des responsables et aboutir à une réparation. Le conseil évoque également la durée excessive des procédures en Algérie: en l’espèce, il s’est écoulé neuf ans depuis la disparition du fils de l’auteur, sans qu’il y ait eu de véritable enquête, d’identification des responsables, de jugement et de réparation.

Observations supplémentaires de l’État partie et commentaires de l’auteur

6.Dans une lettre datée du 18 juin 2004, l’État partie nie de nouveau que Riad Boucherf ait jamais été incarcéré à la prison de Serkadji ou à la prison d’El-Harrach, ni d’ailleurs dans aucun centre de détention sur son territoire. Il fait valoir aussi que la communication contient de nombreuses incohérences qui le conduisent à penser que l’auteur a été malheureusement induite en erreur dans sa quête légitime de la vérité. L’État partie relève en particulier que l’auteur affirme qu’un avocat a assisté au procès de son fils en 1996, mais ne donne pas d’autre détail sur l’identité de ce défenseur.

7.Par une lettre datée du 15 novembre 2004, le conseil relève que l’État partie dit que la communication contient de nombreuses incohérences mais sans préciser lesquelles, hormis le point relatif à l’avocat. Le conseil précise qu’aucun avocat n’a assisté au procès de Riad Boucherf. Me Mohammed Tahri a vu le nom de Riad sur la liste des personnes en attente de jugement, il a voulu assister à l’audience mais on ne l’a pas laissé entrer. Enfin, le conseil note que l’auteur a été notifiée le 19 septembre 2004 que le tribunal de Hussein Dey avait rendu son jugement le 8 septembre 2004 sur l’appel, confirmant le non-lieu. Donc tous les recours internes ont été épuisés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou d’un règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note également que l’État partie maintient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Sur ce point, le Comité relève que l’auteur affirme que le tribunal d’Hussein Dey a rendu le 8 septembre 2004 un jugement confirmant le non-lieu et note que l’État partie n’a rien objecté. Il considère également que l’application des recours internes a été excessivement longue pour les autres plaintes que l’auteur a introduites depuis 1995. Il estime donc que l’auteur a satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Pour ce qui est du grief de violation de l’article 14, le Comité estime que les allégations de l’auteur sont insuffisamment fondées aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre du paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des articles 7, 9 et 16, le Comité considère que ces allégations sont suffisamment fondées. Il conclut donc que la communication est recevable au titre du paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des articles 7, 9 et 16, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2Le Comité rappelle la définition des «disparitions forcées» figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: par «disparitions forcées», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne (art. 10). Il viole également le droit à la vie ou représente une grave menace pour ce droit (art. 6). Dans le cas présent, l’auteur a invoqué les articles 7 et 9.

9.3En ce qui concerne le grief de disparition avancé par l’auteur, le Comité relève que l’auteur et l’État partie ont donné des versions différentes des faits. L’auteur affirme que son fils a été arrêté le 25 juillet 1995 et condamné par contumace le 31 décembre 1996 par le tribunal de la rue Abane Ramdane, à Alger, mais l’État partie nie catégoriquement que Riad Boucherf ait été arrêté, détenu ou condamné. Le Comité rappelle aussi que d’après l’Observatoire national des droits de l’homme, le fils de l’auteur n’a jamais été recherché ni arrêté par les services de sécurité. Il note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l’auteur.

9.4Le Comité a toujours affirmé que la charge de la preuve ne pouvait pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Dans la présente affaire, le Comité a reçu des déclarations de témoins oculaires qui avaient été en détention avec Riad Boucherf puis avaient été remis en liberté au sujet de sa détention et du traitement qu’il avait subi en prison ainsi que, plus tard, de sa «disparition».

9.5Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les informations dont le Comité est saisi montrent que Riad Boucherf a été emmené par des agents de l’État venus le chercher chez lui. L’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur qui affirme que l’arrestation et la détention de son fils ont été arbitraires ou illégales et qu’il n’a pas réapparu depuis le 25 juillet 1995, si ce n’est en niant d’une façon générale ces allégations. Dans ces circonstances, il convient d’accorder toute l’attention qu’elles méritent aux informations fournies par l’auteur. Le Comité rappelle que la détention au secret en soi peut constituer une violation de l’article 9 et prend note de nouveau de l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a été détenu au secret à partir du 25 juillet 1995, sans avoir la possibilité de voir un avocat ni de contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur ce point, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

9.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité sait quelle souffrance représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son Observation générale no 20 (44) relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la disparition du fils de l’auteur, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte. De plus, les circonstances entourant la disparition de Riad Boucherf et les différents témoignages concordants attestant qu’il a été à plusieurs reprises torturé donnent fortement à penser qu’il a été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de lever cette présomption ou de la contredire. Le Comité conclut que le traitement auquel a été soumis Riad Boucherf constitue une violation de l’article 7.

9.7Le Comité relève aussi l’angoisse et la détresse que la disparition de son fils a causées à l’auteur ainsi que l’incertitude dans laquelle elle continue d’être au sujet de son sort. Il est donc d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur elle-même.

9.8À la lumière des conclusions ci-dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 16 du Pacte.

9.9L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son Observation générale no 31 (80) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourraient en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, conjointement aux articles 7 et 9.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 7 et 9 du Pacte à l’égard du fils de l’auteur, et de l’article 7 à l’égard de l’auteur elle-même, conjointement à la violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de son fils, à remettre celui-ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de ses enquêtes et à indemniser de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies par le fils de l’auteur. L’État partie est également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. Le Comité s’associe à la demande du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, en date du 23 septembre 2005 (voir par. 1.2) et réitère que l’État partie ne devrait pas invoquer les dispositions de la loi de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

LL. Communication n o  1208/2003, Kourbonov c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 16 mars 2006, quatre-vingt-sixième session)*

Présentée par:

M. Bakhridin Kourbonov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

Dzhaloliddin Kourbonov, fils de l’auteur

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

17 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Torture, procès inique

Questions de fond: Mesure dans laquelle la plainte a été étayée

Questions de procédure: Absence de coopération de l’État partie

Articles du Pacte: 7, 9, 10 et 14 (par. 1 et 3 e) et g))

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1208/2003 présentée par Bakhridin Kourbonov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 5 de l’article 4 du Protocole facultatif

1.L’auteur est M. Bakhridin Kourbonov, né en 1941, de nationalité tadjike. Il soumet la présente communication au nom de son fils, Dzhaloliddin Kourbonov, de nationalité tadjike lui aussi, né en 1975, et actuellement incarcéré à Douchanbé. Il affirme que son fils est victime d’une violation par le Tadjikistan des droits qui lui sont reconnus à l’article 7, aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9, à l’article 10, et aux paragraphes 1 et 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 15 janvier 2001, le fils de l’auteur a été arrêté et emmené au Service opérationnel de recherche du Département des enquêtes pénales du Ministère de l’intérieur. Les policiers qui l’ont arrêté auraient tenté de le contraindre à avouer le meurtre de deux autres policiers. N’ayant pas pu l’impliquer dans ce meurtre, ils l’ont accusé d’avoir commis trois vols. Dzhaloliddin Kourbonov a été détenu jusqu’au 6 février 2001 et aurait passé 15 jours attaché à l’aide de menottes à des radiateurs. Au cours de cette période, il aurait subi des tortures systématiques (sous la forme de coups et de décharges électriques). On lui a fait comprendre que s’il refusait d’avouer, ses proches auraient de «graves problèmes» et seraient «torturés»; effectivement, il a appris à un moment donné qu’un de ses frères avait été arrêté puis libéré. Il n’a cependant pas fait d’aveux et il a été libéré le 6 février 2001.

2.2L’auteur s’est plaint des mauvais traitements subis par son fils au Bureau du Procureur et au Ministère des affaires étrangères; à la suite de ces plaintes une enquête a été ouverte, et les policiers responsables ont fait l’objet de mesures disciplinaires et de poursuites. L’auteur soumet une copie d’une ordonnance signée par le Vice-Ministre de l’intérieur, le 10 mai 2001, concernant les mesures disciplinaires prises contre cinq policiers (pour «arrestation et transfert arbitraires au Département des enquêtes pénales», «détention illégale», «fouille illégale»). Il ressort de ce document que le fils de l’auteur a été arrêté le 15 janvier et a été obligé «sous la contrainte» d’avouer sa participation à trois vols commis entre 1996 et 1998. Il a été inculpé le 31 janvier 2001; l’affaire a été classée sans suite faute de preuves le 28 février 2001. Selon l’ordonnance, il n’existe aucun registre permettant de garder trace du passage de personnes au Département des enquêtes pénales, et aucune pièce sur la détention du fils de l’auteur n’a été présentée, en violation du Code pénal de l’État partie.

2.3Cependant, les policiers qui avaient torturé le fils de l’auteur se sont mis par la suite, de concert avec des collègues, à intimider l’auteur, son fils et leurs proches. Le 15 août 2001, un des neveux de l’auteur a été passé à tabac. Le 31 août, le frère et le père de l’auteur ont été battus par 12 policiers dont certains étaient masqués. Le 16 septembre, l’auteur et un autre de ses fils ont été battus par des policiers au cours d’une perquisition illégale à leur domicile. Le 15 octobre 2001, les fils de l’auteur ont été tous deux roués de coups par des policiers, qui leur ont causé des blessures à la tête (une copie du rapport d’un expert médical datant du 18 octobre 2001 est fournie; l’expert conclut que leurs blessures pourraient avoir été causées par des coups donnés au moyen d’un objet contondant). Ces actes auraient eu pour but d’obliger l’auteur à retirer ses plaintes contre les policiers concernés. Toutefois, l’auteur s’y est refusé.

2.4Le 28 novembre 2002, le fils de l’auteur a été encore une fois arrêté à propos des trois vols. Il aurait été de nouveau torturé et, s’étant montré cette fois-ci incapable de supporter le traitement subi, il a avoué avoir commis les vols comme le lui demandait la police. On lui a fait comprendre que s’il revenait sur ses aveux on lui tirerait dessus sous le prétexte qu’il aurait tenté de s’évader. L’auteur note que son fils n’a bénéficié des services d’un avocat qu’à la mi‑décembre 2002.

2.5Le 7 avril 2003, la Chambre pénale de la Cour suprême, agissant en tant que juridiction de première instance, a déclaré le fils de l’auteur coupable des vols dont il était accusé et l’a condamné à neuf ans d’emprisonnement. L’auteur affirme que son procès a été inéquitable et partial. Les témoins de la défense n’ont pas été interrogés à l’audience. Le fils de l’auteur ayant rétracté ses aveux arrachés sous la torture pendant l’enquête préliminaire, le tribunal a estimé qu’il s’agissait d’une stratégie de défense et a rejeté ses allégations de torture aux motifs que a) le policier accusé de l’avoir torturé s’était défendu de l’avoir fait devant le tribunal et que b) le fils de l’auteur «n’a pas présenté au cours du procès des preuves irréfutables des coups qu’il aurait reçus»; le tribunal a également refusé de tenir compte du fait que les policiers mis en cause avaient fait l’objet de sanctions disciplinaires pour avoir arrêté le fils de l’auteur de manière illégale et arbitraire et utilisé sur sa personne des méthodes illicites, au motif que la signature sur la copie de l’ordonnance du Ministre de l’intérieur était illisible. Un recours déposé devant la chambre d’appel de la Cour suprême a été rejeté le 3 juin 2003, sans que les allégations de torture aient été examinées et que soit renversée la charge de la preuve par rapport au jugement de première instance du 7 avril 2003.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils a été torturé et contraint à faire des aveux en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

3.2Selon lui, son fils a été atteint dans ses droits consacrés par les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte, dans la mesure où il a été détenu illégalement et qu’une longue période s’est écoulée avant qu’il ne soit officiellement inculpé.

3.3L’auteur fait valoir que, ayant reçu la menace que ses proches auraient «de graves problèmes» et seraient «torturés», son fils a été victime d’un traitement incompatible avec les obligations qui incombent à l’État partie en vertu de l’article 10 du Pacte.

3.4Enfin, il est affirmé que le tribunal qui a jugé le fils de l’auteur n’a pas été impartial, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et que son refus d’autoriser le fils de l’auteur à faire interroger certains témoins a constitué une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Absence de coopération de l’État partie

4.Sous couvert de notes verbales datées du 22 octobre 2003, du 22 novembre 2005 et du 12 décembre 2005, l’État partie a été prié de communiquer au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que l’État partie soumette par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, formulé par l’auteur au motif que son fils aurait été privé du droit de faire comparaître certains témoins en sa faveur, le Comité note que l’auteur n’a fourni aucun renseignement sur l’identité de ces témoins potentiels et n’a pas non plus précisé la pertinence de leurs éventuelles dépositions, et qu’il n’a en outre donné aucune explication sur la raison pour laquelle le tribunal a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’entendre ces témoins. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable, en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur, formulés au titre des articles 7, 9 et 10 et des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité; il procède donc à leur examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

6.2L’auteur a fait valoir qu’en janvier, puis en novembre/décembre 2001, son fils a été battu et torturé, pendant qu’il était détenu, par des policiers qui voulaient le forcer à avouer différentes infractions. Après que l’auteur s’est plaint de la détention illégale, du passage à tabac et des actes de torture dont avait été victime son fils en janvier 2001, le Vice-Ministre de l’intérieur a sanctionné les responsables. En représailles, l’auteur et sa famille ont subi des pressions de la part des policiers pour qu’ils rétractent leurs déclarations à ce propos et ont été frappés et intimidés à plusieurs reprises; le fils de l’auteur a également été battu lors d’un mariage en octobre 2001, ce qui a été confirmé par une expertise médicale.

6.3Devant le tribunal, le fils de l’auteur s’est rétracté de ses aveux obtenus sous la torture. Le 7 avril 2003, la chambre pénale de la Cour suprême a rejeté sa plainte au motif qu’à l’audience les policiers suspectés avaient nié de l’avoir torturé, et que le fils de l’auteur n’avait «pas présenté au tribunal de preuves incontestables qu’il avait été battu par [les] policiers». Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que par la suite ces policiers ont été sanctionnés pour leurs actes criminels (par. 2.2 ci-dessus), au motif que la signature sur la copie de l’ordre confirmant leurs sanctions était illisible. En appel, le tribunal n’a pas examiné ces plaintes. Le Comité note que les allégations de l’auteur portent sur l’évaluation de faits et éléments de preuve. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice. Dans le cas présent, les allégations de l’auteur tendent clairement à démontrer que la Cour suprême a agi de manière partiale et arbitraire au sujet des plaintes relatives aux actes de torture subis par le fils de l’auteur pendant sa détention, puisqu’elle a rejeté sommairement, sans motiver cette décision, les éléments de preuve produits par l’auteur, en bonne et due forme, pour démontrer clairement qu’il avait été torturé. L’action des tribunaux a eu pour effet de placer la charge de la preuve sur l’auteur, alors que le principe général veut que ce soit à l’accusation qu’il incombe de démontrer que les aveux ont été obtenus sans recours à la contrainte. Le Comité conclut que le traitement subi par M. Kourbonov pendant sa détention, ainsi que la manière dont les tribunaux ont traité ses plaintes ultérieures à ce sujet, constituent une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À la lumière de cette constatation, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief formulé au titre de l’article 10.

6.4À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que les droits du fils de l’auteur reconnus au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte ont aussi été violés, dans la mesure où il a été contraint à faire des aveux.

6.5L’auteur a en outre fait valoir que son fils avait été illégalement arrêté le 15 janvier 2001 puis libéré le 6 février 2001, après 21 jours de détention sans que son arrestation ni sa détention aient été enregistrées et sans qu’il ait été rapidement informé des accusations pesant sur lui. Une inculpation «officielle» pour vol n’a été prononcée contre lui que le 31 janvier 2001 et a été classée sans suite le 28 février 2001, faute de preuves. Le Comité rappelle également que les policiers mis en cause ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir emmené illégalement le fils de l’auteur au Département des enquêtes pénales du Ministère de l’intérieur, pour l’avoir détenu arbitrairement pendant 21 jours sans que sa détention soit officiellement enregistrée, et pour avoir engagé une procédure pénale arbitraire contre lui. Dans ces circonstances, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus à l’auteur aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, et des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation sous la forme d’un nouveau procès selon les garanties consacrées par le Pacte ou d’une libération immédiate, ainsi que d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

MM. Communication n o  1211/2003, Oliveró c. Espagne (Constatations adoptées le 11 juillet 2006, quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

Luis Oliveró Capellades (représenté par deux conseils, José Luis Mazón Costa et Javier Ramos Chillón)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

18 avril 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation en premier et dernier ressort, sans possibilité de recours, par la juridiction la plus élevée; condamnation pour un délit qui n’était pas mentionné dans l’acte d’accusation

Questions de procédure: Défaut de fondement suffisant des allégations, abus du droit de présenter des communications

Questions de fond: Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi; droit à un procès équitable

Article du Pacte: 14 (par. 1 et 5)

Article du Protocole facultatif: 3

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no1211/2003 présentée par M. Luis Oliveró Capellades en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 18 avril 2002, est Luis Oliveró Capellades, de nationalité espagnole, né en 1935. Il dit être victime de violations par l’Espagne des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par José Luis Mazón Costa et Javier Ramos Chillón.

Rappel des faits

2.1Le procès contre l’auteur a été engagé en juin 1991 suite à la publication dans la presse d’informations concernant le financement illégal du Parti socialiste ouvrier espagnol, qui ont entraîné le dépôt de plaintes contre plusieurs personnes. Un sénateur et un député étant impliqués dans l’affaire, l’enquête et le jugement ressortaient, conformément à la Constitution espagnole, au Tribunal suprême, juridiction interne la plus élevée en matière pénale. Cette circonstance a eu des conséquences pour l’auteur, qui soutient qu’il a été privé de la possibilité de former un recours contre sa condamnation. L’auteur était administrateur de Filesa, l’une des sociétés mises en cause dans cette affaire.

2.2Selon l’auteur, le 19 juillet 1997, le Tribunal suprême a décidé de ne pas retenir parmi les chefs d’inculpation le délit d’association illicite qui n’a donc pas été pris en compte dans la procédure. Pourtant, l’auteur dit avoir été condamné pour ce délit.

2.3Le 28 octobre 1997, l’auteur a été condamné par le Tribunal suprême à une peine de six ans de prison pour faux et usage de faux, deux ans pour association illicite et deux ans pour fraude fiscale. Il ressort des documents présentés par l’auteur que le 20 novembre 1997 il a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, en alléguant la violation de divers droits. D’après les documents en question, le Tribunal constitutionnel a adopté trois décisions à des dates différentes au sujet du recours en amparo formé par l’auteur. Le 22 décembre 1997, il a déclaré irrecevables les allégations de l’auteur en liaison avec la plainte déposée devant le Comité; le 25 janvier 1998, il a déclaré irrecevables le reste des allégations de l’auteur touchant la violation présumée des garanties constitutionnelles, hormis celle qui portait sur la légalité de la condamnation pour faux et usage de faux qu’il a décidé d’examiner quant au fond. Le 4 juin 2001, il a rejeté cette dernière allégation.

2.4En décembre 2000, après avoir purgé une partie des peines, l’auteur a été gracié à l’occasion d’une amnistie générale.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 puisqu’il a été jugé et condamné en premier et dernier ressort par le Tribunal suprême, sans pouvoir faire appel de sa condamnation. Il ajoute qu’à la différence d’autres États parties qui ont formulé des réserves au sujet du paragraphe 5 de l’article 14 l’Espagne n’a pas formulé de réserve à propos du jugement en première instance par la juridiction interne la plus élevée. Il estime que la reconnaissance de ce droit a des incidences minimes pour l’État partie car il suffirait de nommer plusieurs juges du Tribunal suprême chargés de réexaminer les arrêts de la Chambre pénale du Tribunal. Il précise que les arrêts de la Chambre du contentieux administratif du Tribunal sont susceptibles d’appel devant un collège de juges de ce même tribunal. Il conclut que rien ne justifie l’absence de réexamen de l’arrêt en cas de condamnation en première instance par le Tribunal suprême.

3.2L’auteur allègue que le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé car il a été condamné à deux ans de prison pour un délit d’association illicite qui aurait été expressément exclu de la procédure par le Tribunal suprême. Il précise que, même si l’on admettait, comme le Tribunal constitutionnel l’a soutenu, que cette omission était due à une erreur, cette erreur ne peut pas être imputée à l’auteur. Ce vice de la procédure constitue à son sens une violation du droit à un procès indépendant et impartial et du principe de l’égalité des armes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Dans sa note du 7 janvier 2004, l’État partie indique que l’auteur a omis de présenter au Comité l’arrêt du Tribunal suprême du 22 décembre 1997, qui a réglé de manière définitive les problèmes dont l’auteur se plaint devant le Comité, et dans lequel le Tribunal suprême rejetait une demande de l’auteur contenant les mêmes allégations que celles qui sont actuellement présentées au Comité. Selon cet arrêt, le fait que le jugement d’une affaire est de la compétence du Tribunal suprême, qui est la juridiction la plus élevée, remplace la garantie relative à la possibilité de saisir la justice en deuxième instance et compense l’impossibilité d’accès à une juridiction du deuxième degré; cette mesure est fondée sur la nécessité de préserver l’indépendance de la justice quand l’accusé est au privilège d’une immunité et, au demeurant, les arrêts du Tribunal suprême peuvent être portés devant le Tribunal constitutionnel, qui agit en l’espèce en qualité de juridiction de deuxième instance. Quant à la prétendue exclusion du délit d’association illicite pour lequel l’auteur a été condamné par la suite, le Tribunal constitutionnel a indiqué que cela n’avait pas entraîné pour l’auteur la privation de son droit à la défense puisque le délit figurait dans l’acte d’accusation initial dans la décision relative à l’ouverture de la procédure et dans les réquisitions définitives, et qu’il avait fait l’objet d’un débat contradictoire.

4.2L’État partie soutient que l’auteur a abusé du droit de présenter des communications et que la communication est manifestement dénuée de fondement. L’auteur a présenté sa plainte avec un retard excessif, soit en 2002, près de cinq ans après la date de décembre 1997 à laquelle le Tribunal suprême avait statué sur les plaintes qui ont été présentées au Comité, et il a omis de présenter des documents pertinents, comme l’arrêt du Tribunal suprême en question. Pour l’État partie, dans ces circonstances et étant donné que l’auteur a bénéficié d’une amnistie, l’examen par le Comité de la communication quant au fond serait manifestement une «atteinte à la sécurité juridique» et une «invitation» à rouvrir un procès pénal qui est définitivement clos, qui n’a pas été entaché d’arbitraire et dans lequel toutes les garanties ont été respectées.

4.3Dans une note du 4 mai 2004, l’État partie réitère sa position au sujet de la recevabilité et affirme ce qui suit en ce qui concerne le fond de la plainte concernant le paragraphe 5 de l’article 14: i) l’affaire concernant l’auteur a été jugée par le Tribunal suprême en vertu de l’article 123 de la Constitution espagnole, qui établit la compétence de cette juridiction pour les litiges mettant en cause les députés et les sénateurs; ii) l’attribution de compétence au Tribunal suprême est une garantie additionnelle conférée aux députés et aux sénateurs, dont l’auteur a bénéficié de par sa qualité de coïnculpé dans une affaire impliquant deux parlementaires; iii) la garantie d’être jugé par la juridiction la plus élevée remplace la garantie de la deuxième instance et compense l’absence d’un deuxième degré de juridiction; iv) la décision du Tribunal suprême peut être réexaminée par le Tribunal constitutionnel, qui agit alors en tant que deuxième instance; v) la compétence du Tribunal suprême repose sur la nécessité de sauvegarder l’indépendance des institutions; vi) le procès des personnes qui ne jouissent pas de l’immunité parlementaire ne peut pas être séparé de celui des personnes qui en jouissent.

4.4L’État partie précise ce qui suit: i) en cas d’infraction pénale mineure, le réexamen par une instance supérieure n’a pas d’intérêt car il ne sert qu’à prolonger le procès et en renchérir le coût; ii) le double degré de juridiction n’est pas illimité, il a une limite logique puisqu’il ne peut y avoir de recours au‑delà du double degré de juridiction, en d’autres termes si une personne acquittée en première instance est condamnée en deuxième instance, la condamnation ne peut pas faire l’objet d’un réexamen; iii) le double degré de juridiction se justifie pour éviter les erreurs judiciaires; mais dans le cas où une personne est jugée par la juridiction la plus élevée dans l’ordre judiciaire, il ne peut pas y avoir double degré de juridiction puisqu’il n’existe pas de juridiction au-dessus de la juridiction supérieure; iv) le jugement en première instance par le tribunal le plus élevé est justifié et découle de la circonstance objective qui fait qu’une personne occupe une charge officielle qui la place dans une situation d’inégalité, ce pourquoi elle doit être traitée de manière inégale afin de respecter le principe de l’égalité devant la loi; v) ce genre de juridiction existe dans divers États parties; vi) il devrait exister une interprétation du Pacte en accord avec les instruments régionaux de protection des droits de l’homme à l’effet que le jugement devant la juridiction la plus élevée n’est pas contraire au Pacte; vii) en Espagne, les éléments de la condamnation prononcée par la juridiction la plus élevée qui touchent à des droits fondamentaux peuvent être réexaminés par le Tribunal constitutionnel dans le cadre du recours en amparo.

4.5En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie réaffirme, à propos de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, que l’auteur n’a pas été privé de ses droits à la défense, puisque le délit d’association illicite était mentionné dans l’acte d’accusation, qu’il figurait dans la décision d’ouverture de la procédure, qu’il faisait partie des réquisitions définitives et qu’il a été amplement débattu dans la procédure orale. L’État partie cite par ailleurs l’arrêt du Tribunal suprême dans lequel il est dit que l’auteur a fait librement des déclarations au sujet des faits qualifiés d’association illicite.

5.1Dans sa lettre du 3 août 2004, l’auteur fait valoir qu’il n’y a pas abus du droit de présenter des communications. Le Protocole facultatif ne prévoit pas de délai pour la présentation d’une communication. L’auteur affirme que la dernière décision rendue par les juridictions internes est l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 28 janvier 1998, qui ne lui a été transmis qu’en juin 2001, et qu’il a présenté la communication en avril 2002. Il ajoute que, même s’il a été informé de la décision concernant sa plainte au sujet du droit au double degré de juridiction et le délit d’association illicite en décembre 1997, cet argument n’était pas pertinent puisque, si le recours en amparo qu’il avait formé devant le Tribunal constitutionnel avait été confirmé, il aurait obtenu réparation. Par ailleurs, l’État partie aurait contribué à laisser les citoyens dans l’ignorance de la possibilité qu’ils ont de s’adresser au Comité, en refusant de rendre publiques les décisions du Comité.

5.2L’auteur soutient que l’État partie n’a pas respecté le droit au réexamen intégral de la déclaration de culpabilité et de la condamnation devant un tribunal supérieur qui est reconnu dans le Pacte. Il souligne que l’Espagne n’a pas émis de réserve au paragraphe 5 de l’article 14 lorsqu’elle a ratifié le Pacte. Il ajoute que la référence au Protocole no7 à la Convention européenne des droits de l’homme faite par l’État partie est sans objet puisque ce protocole, qui n’a pas été ratifié par l’Espagne, n’a rien à voir avec la compétence du Comité. Il conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne peut y avoir de juridiction au‑dessus de la juridiction la plus élevée, puisque la possibilité existe en droit interne espagnol pour les arrêts de la Chambre du contentieux administratif du Tribunal suprême. Quant au grief relatif au paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur souligne que le 19 juillet 1997 le Tribunal suprême a décidé d’exclure du procès le délit d’association illicite et soutient que l’arrêt du Tribunal constitutionnel ne reconnaît aucune valeur juridique à cette décision du Tribunal suprême.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité observe en outre que l’État partie n’a avancé aucun argument à l’effet que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés, et décide en conséquence que rien n’empêche d’examiner la communication conformément à l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication constituerait un abus du droit de présenter des communications en raison du retard excessif mis à la présenter et du fait que les plaintes déposées devant le Comité avaient fait l’objet de décisions motivées des juridictions internes. En ce qui concerne l’allégation de retard excessif de présentation de la communication, le Comité rappelle que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications, que le laps de temps écoulé avant de la présenter ne peut pas en lui‑même constituer un abus du droit de plainte, et que, dans des circonstances exceptionnelles, le Comité peut demander une explication raisonnable pour justifier le retard. Le Comité observe en l’espèce que les problèmes dont l’auteur se plaint devant le Comité ont été tranchés en dernier ressort par le Tribunal constitutionnel en décembre 1997, et qu’un second groupe d’allégations présentées par l’auteur, qui, si elles avaient été retenues, auraient pu annuler sa condamnation, a été rejeté par le Tribunal constitutionnel en janvier 1998. L’auteur dit avoir eu accès à cette décision de 1998 en juin 2001 seulement, après le rejet quant au fond par le Tribunal constitutionnel d’une allégation de l’auteur qui n’a rien à voir avec la plainte présentée au Comité. Étant donné les circonstances, le Comité estime que la communication ne peut pas être considérée comme constitutive d’un abus du droit de présenter des communications.

6.4En ce qui concerne l’allégation concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note de l’observation de l’auteur selon laquelle le délit d’association illicite n’a pas été pris en compte dans l’acte d’accusation, ainsi que des observations de l’État partie selon lesquelles ce délit a bien fait l’objet du procès. Le Comité observe que la question de savoir si le délit considéré avait été retenu ou non parmi les chefs d’inculpation est une question de fait dont l’appréciation appartient en principe aux juridictions internes, sauf si elle est manifestement entachée d’arbitraire ou qu’elle constitue un déni de justice. Il ressort des documents présentés par l’auteur que, selon la procédure pénale en vigueur en Espagne en plus du Procureur, les particuliers peuvent aussi porter des accusations et que l’arrêt du Tribunal suprême du 19 juillet 1997 invoqué par l’auteur, même s’il ne prenait pas en compte divers délits figurant dans une des accusations portées par des particuliers, parmi lesquels le délit d’association illicite imputé à l’auteur, prenait en compte en revanche le délit d’association illicite à lui imputer dans les accusations portées par le Procureur et dans une autre accusation portée par des particuliers. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief relatif au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que le reste de la plainte de l’auteur soulève des questions pertinentes eu égard au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et déclare cette partie recevable.

Examen de la communication au fond

7.En ce qui concerne le grief relatif au paragraphe 5 de l’article 14, le Comité relève que, si l’auteur a été traduit devant la juridiction la plus élevée dans la hiérarchie judiciaire, c’est parce que parmi les coaccusés il y avait un sénateur et un député, et que, conformément au droit interne, l’instance compétente pour statuer sur des faits dans lesquels étaient impliqués deux parlementaires était le Tribunal suprême. Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels la condamnation par la juridiction la plus élevée est compatible avec le Pacte et il s’agit d’une situation courante dans de nombreux États parties au Pacte. Toutefois, le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dispose que toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Le Comité rappelle que l’expression «conformément à la loi» ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit de révision à la discrétion des États parties. Même si la législation de l’État partie dispose, en certaines circonstances, qu’en raison de sa charge une personne sera jugée par un tribunal de rang supérieur à celui qui serait normalement compétent, cette circonstance ne peut à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par un tribunal supérieur. En conséquence, le Comité conclut que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé en ce qui concerne les faits exposés dans la communication.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit offrir à l’auteur un recours utile et prendre les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

NN. Communication n o  1218/2003, Platonov c. Fédération de Russie (Constatations adoptées le 1 er novembre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Andrei Platonov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

27 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Détention illégale, torture, procès inéquitable, interrogatoire des témoins

Questions de fond: Épuisement des recours internes, justification des griefs

Questions de procédure: Épuisement des recours internes

Articles du Pacte: 2, 7, 9 (par. 2, 3 et 4), 10 et 14 (par. 3 e) et g))

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1218/2003 présentée au nom d’Andrei Platonov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Andrei Platonov, de nationalité russe, né en 1955, et actuellement emprisonné à Chelyabinsk (Fédération de Russie). Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des articles 2 et 7, des paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 9, de l’article 10, et du paragraphe 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 22 février 1999, l’auteur a été arrêté parce qu’il était soupçonné de meurtre et a été placé en détention. Son arrestation et sa détention ont été approuvées par le procureur le 24 février 1999. Entre les 22 et 24 février 1999, l’auteur aurait été battu par des policiers qui voulaient le contraindre à faire des aveux. Incapable de résister aux coups, il a avoué. L’auteur a demandé et reçu des soins médicaux; il ajoute que son dossier médical indique qu’il a reçu des blessures. Il déclare aussi que, lorsqu’il a écrit ses aveux, il saignait encore d’une blessure à la tête provoquée par les coups qu’il avait reçus et que le document contenant ses aveux porte des traces de son sang. Il affirme que, bien qu’il ait déposé une plainte pour avoir été battu en détention, le parquet a refusé d’ouvrir une instruction pénale sur les allégations de torture par les policiers.

2.2L’auteur affirme qu’après son arrestation il n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat et n’a pas été présenté à un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires afin de pouvoir contester la légalité de sa détention.

2.3Le 31 janvier 2000, le tribunal de la ville de Moscou a reconnu l’auteur coupable de deux chefs de meurtre et d’un chef de vol, et l’a condamné à 20 ans d’emprisonnement.

2.4L’auteur affirme que, pendant son procès, il est revenu sur ses aveux, mais que la juge n’a pas tenu compte de sa rétractation et qu’elle a fondé ses conclusions en grande partie sur ces aveux. Son avocat a demandé une analyse des taches de sang qui se trouvaient sur le document contenant les aveux, mais sa demande a été refusée par le tribunal. La décision du tribunal de la ville de Moscou montre que la juge a considéré la rétractation par Platonov de ses aveux comme une «stratégie de défense» par laquelle il cherchait à se soustraire à sa responsabilité pour les crimes commis. Elle a relevé que la plainte de Platonov concernant des «méthodes illégales d’enquête» avait été examinée au cours de l’enquête préliminaire et avait été jugée non fondée. Compte tenu de ces circonstances, la juge a considéré que les aveux de Platonov étaient recevables.

2.5L’auteur affirme qu’il n’a pas eu un procès équitable. Il fait valoir que le tribunal s’est appuyé sur des preuves indirectes et sur les témoignages en grande partie contradictoires de divers témoins à charge. Bien qu’un important témoin à décharge, Gashin, ne se soit pas présenté devant le tribunal pour déposer, la juge n’a pas pris de mesures pour le rechercher et le faire comparaître.

2.6L’auteur fait valoir que ses aveux forcés et les témoignages indirects et contradictoires de divers témoins n’étaient pas corroborés par d’autres éléments de preuve. L’arme du crime n’avait pas été retrouvée et le tribunal n’avait pas dûment examiné d’autres hypothèses sur la manière dont le crime avait été commis. Dans sa décision, le tribunal s’est appuyé sur des analyses du sang trouvé sur les vêtements de l’auteur, qui montraient que le groupe sanguin correspondait à celui des deux victimes. La cour n’a pas tenu compte du fait que l’auteur a aussi le même groupe sanguin.

2.7L’auteur s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême du jugement le déclarant coupable. Le 19 juillet 2000, la Cour suprême a rejeté son pourvoi et confirmé le jugement du tribunal de la ville de Moscou. Elle a jugé qu’il n’y avait pas de base permettant de contester les constatations de fait du tribunal de la ville de Moscou, ni de base pour conclure que l’auteur avait été soumis à des «méthodes d’enquête illégales par la police».

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que son arrestation, les mauvais traitements qu’il a subis en détention et la manière dont son procès a été mené constituent des violations de l’article 7, des paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 9, de l’article 10, et du paragraphe 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte. Il ajoute qu’il n’a pas eu la possibilité d’exercer un recours contre la violation des droits que lui reconnaît le Pacte, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale datée du 23 mars 2004, l’État partie fait valoir que la communication doit être déclarée irrecevable pour ce qui concerne la violation alléguée de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 et que, de toute façon, elle ne fait pas apparaître de violation des dispositions pertinentes du Pacte.

4.2Au sujet des griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 7, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, car il n’a pas fait appel du refus du parquet d’ouvrir une instruction pénale sur les allégations de torture de l’auteur.

4.3Au sujet de la violation présumée du paragraphe 3 e) de l’article 14, l’État partie soutient qu’elle n’a pas été étayée. L’auteur n’a pas eu la possibilité d’interroger le témoin Gashin, parce que l’on ne savait pas où celui‑ci se trouvait, mais l’accusation n’a pas davantage eu la possibilité de le faire. Les moyens procéduraux offerts à la défense et à l’accusation étaient donc égaux. La défense n’a jamais demandé que Gashin soit convoqué à l’audience; le tribunal ne s’est pas fondé sur la déposition que Gashin avait faite au cours de l’instruction et ne s’y est pas référé dans son jugement. Il s’ensuit que l’allégation concernant la violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 n’a pas été étayée et qu’elle est irrecevable.

4.4L’État partie affirme aussi que la communication ne fait apparaître aucune violation des paragraphes 2 à 4 de l’article 9. Il note que l’auteur a été arrêté conformément à la procédure prescrite par la loi en vigueur au moment de l’arrestation. L’arrestation a eu lieu avec l’approbation du procureur et dans les délais autorisés. L’auteur avait le droit de faire appel de la décision de détention devant le tribunal, puis de former un recours en cassation; il a choisi de ne pas le faire. En conséquence, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes qui lui étaient ouverts pour contester la légalité de sa détention, et que sa plainte, pour ce qui concerne l’article 9, est donc également irrecevable.

4.5L’État partie ne fait pas d’observation sur les violations alléguées de l’article 10 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie datés du 31 mai 2004, l’auteur admet, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14, qu’il n’a pas directement fait appel du refus du parquet d’ouvrir une instruction pénale sur les allégations de torture; il soutient néanmoins qu’il a bien, devant la Cour suprême, «soulevé la question» des coups qu’il avait reçus et des aveux qu’on l’avait forcé à faire. La Cour a rejeté cet argument sans indiquer ses raisons.

5.2L’auteur prétend que, bien que ni l’accusation ni la défense n’aient été en mesure d’interroger M. Gashin à l’audience, ses droits découlant du paragraphe 3 e) de l’article 14 n’en ont pas moins été violés. Il prétend que le procureur général n’a pas insisté pour faire rechercher et comparaître M. Gashin parce que le témoignage de celui‑ci aurait affaibli la thèse de l’accusation.

5.3Finalement, il fait valoir que la Constitution de la Fédération de Russie dispose que les obligations internationales font partie des normes juridiques internes en vigueur et priment le cas échéant celles‑ci. Ainsi, même s’il a été arrêté et détenu en conformité avec les dispositions du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque, cela ne constitue pas un moyen de défense opposable à l’argument selon lequel ses droits découlant de l’article 9 ont été violés.

5.4Le 24 novembre 2004, l’État partie a réitéré que les allégations de l’auteur soit sont irrecevables soit ne font pas apparaître de violation du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 7, le Comité note qu’après le refus du parquet d’ouvrir une instruction pénale et d’enquêter sur les allégations de torture faites contre les policiers qui auraient participé à son arrestation l’auteur n’a pas fait appel de ce refus. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief qu’il articule au titre de l’article 7. Il apparaît en outre que les faits sur lesquels l’auteur fait reposer son grief tiré de l’article 10 sont en grande partie les mêmes que ceux sur lesquels repose son grief tiré de l’article 7. Le Comité considère donc inutile de l’examiner, eu égard à ce qu’il vient de conclure sur le grief au titre de l’article 7.

6.4Le Comité prend note du fait que l’auteur a été informé lorsqu’il a été appréhendé, le 22 février 1999, des raisons de son arrestation et des charges qui pesaient contre lui. Son allégation au titre du paragraphe 2 de l’article 9 n’est donc pas étayée, et elle est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les allégations faites par l’auteur au titre du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que l’auteur n’a pas fait appel de l’ordonnance de mise en détention et que, à aucun moment de son procès, il n’a soulevé la question de l’illégalité de la détention. En conséquence, ce grief est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6À propos de l’argument de l’auteur selon lequel il aurait été victime d’une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14, dans la mesure où le tribunal n’a pas fait rechercher M. Gashin et n’a pas cité celui‑ci à comparaître, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’avait pas demandé que ce témoin soit appelé à comparaître. Le compte rendu d’audience indique que le tribunal a poursuivi la procédure après le défaut de comparution de M. Gashin, avec l’accord et du procureur et de l’accusé. En conséquence, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ces griefs, et ceux‑ci sont donc irrecevables au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel, en violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, il a été contraint à témoigner contre lui‑même puis condamné en grande partie sur la base de ses aveux, le Comité note que le tribunal de la ville de Moscou et la Cour suprême ont conclu que ses allégations concernant l’utilisation de méthodes d’enquête illégales par la police n’étaient pas fondées. Le Comité constate que, en substance, cette partie de la communication concerne l’appréciation d’éléments de fait et de preuve. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions d’appel des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que l’examen par les tribunaux des allégations ci‑dessus ait été entaché de tels vices. En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible avec les dispositions du Pacte, est irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité décide que l’allégation restante de l’auteur est suffisamment étayée du point de vue des questions qu’elle soulève au titre du paragraphe 3 de l’article 9, et décide de passer à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité note qu’après l’arrestation de l’auteur le 22 février 1999 le procureur a approuvé sa détention provisoire jusqu’à ce qu’il comparaisse devant le tribunal et soit reconnu coupable le 31 janvier 2000. Le Comité fait observer que l’objet du paragraphe 3 de l’article 9 est de garantir que la détention des personnes accusées d’une infraction pénale soit soumise au contrôle du juge, et rappelle qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire qu’il soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. Dans les circonstances de la présente affaire, le Comité n’est pas convaincu que le procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à une réparation, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie a aussi l’obligation de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

OO. Communication n o  1238/2004, Jongenburger ‑Veerman c. Pays-Bas (Constatations adoptées le 1 er novembre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

G. J. Jongenburger‑Veerman (représentée par un conseil, M. F. A. J. Kalberg)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays-Bas

Date de la communication:

7 août 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Droit à une pension spéciale de veuve

Questions de procédure: Épuisement des recours internes

Questions de fond: Discrimination en violation de l’article 26 du Pacte

Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1238/2004 présentée au nom de G. J. Jongenburger‑Veerman en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 7 août et du 17 octobre 2003, est Mme G. J. Jongenburger‑Veerman, de nationalité néerlandaise, née le 18 juillet 1911. Elle affirme être victime d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays‑Bas le 11 mars 1979.

Exposé des faits

2.1En janvier 1976, après 40 années d’existence, le mariage de l’auteur a été dissous par le tribunal sur la demande de son mari dont elle était séparée depuis 1952. Son mari avait été employé par le Corps d’assistance des Pays‑Bas Nouvelle‑Guinée (Bijstandskorps van burgerlijke rijksambtenaren), qui a été dissous le 5 juillet 1967. En vertu de la loi sur le Corps d’assistance (Wet op het Bijstandskorps) du 25 mai 1962, tous les employés du Corps avaient le statut de fonctionnaire de l’État néerlandais. L’ancien époux de l’auteur est mort le 25 mars 1991.

2.2La question des pensions de retraite des parents survivants des anciens employés du Corps d’assistance des Pays‑Bas Nouvelle‑Guinée n’est pas régie par la loi sur les retraites des fonctionnaires (Algemene Burgerlijke Pensioenwet) mais par une loi spéciale, à savoir le Règlement du régime de retraite des Pays‑Bas Nouvelle‑Guinée (le Règlement) (Pensioensreglement Nederlands Nieuw ‑Guinea) (PRNG), en date du 29 décembre 1958. Ce règlement ne prévoit pas le paiement de pensions de retraite aux veuves divorcées d’anciens agents de la fonction publique. Toutefois, en vertu d’une clause de sauvegarde énoncée à l’article 31 du Règlement, une pension de retraite peut être accordée dans des cas particuliers non prévus dans le Règlement.

2.3Le 1er janvier 1966, sur la base d’une modification de la législation relative au divorce, un nouvel article G4 a été incorporé à la loi sur les retraites des fonctionnaires en vue d’instituer une pension spéciale de retraite pour les veuves divorcées de fonctionnaires. Le 6 février 1973 a été adopté l’article 8 a) de la loi sur le Fonds de pensions et d’épargne (Pensioen en Spaarfondsenwet), disposant que tous les règlements relatifs aux pensions de retraite doivent prévoir la possibilité de payer une pension de retraite spéciale aux veuves divorcées. Le Règlement n’a pas été modifié en conséquence.

2.4Après le décès de son ex‑mari, l’auteur a demandé au Ministre de l’intérieur de lui accorder une pension spéciale de veuve prenant effet à compter du 26 mars 1991. Le 12 juillet 1991, le Ministère de l’intérieur a rejeté la demande de l’auteur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu dans la clause de sauvegarde énoncée à l’article 31 du Règlement. L’objection de l’auteur à cette décision a été rejetée le 16 octobre 1991. L’auteur a été déboutée de l’appel qu’elle avait adressé à la division judiciaire du Conseil d’État (Afdeling Rechtspraak van de Raad van State), le 18 mai 1993.

2.5Le 1er mars 1999, l’auteur a de nouveau demandé à l’administration du Fonds de pensions indonésien (l’Administration du Fonds) (Stichting Administratie Indonesische Pensioenen)(SAIP) chargée depuis 1995 d’administrer les pensions Nouvelle‑Guinée, de lui accorder une pension spéciale de veuve prenant effet au 26 mars 1991, en invoquant l’application de l’article G4 de la loi sur les retraites des fonctionnaires à un cas analogue, ainsi que l’article 8 a) de la loi sur le Fonds de pensions et d’épargne. Le 29 novembre 1999, en application de directives émanant du Ministère de l’intérieur qui estimait que la privation d’un droit à une pension spéciale de veuve n’était plus conforme à l’état d’esprit de la société actuelle, l’Administration du Fonds lui a accordé une pension spéciale de veuve prenant effet le 1er janvier 1999, en vertu de l’article 31 du Règlement. L’auteur a contesté cette décision en ce qu’elle la privait d’une pension pour la période comprise entre le 26 mars 1991 et le 31 décembre 1998. Le 2 mars 2000, l’Administration du Fonds a rejeté cette objection.

2.6L’appel adressé par l’auteur à la chambre administrative du tribunal d’arrondissement de La Haye (Arrondissementsrechtbank’s ‑Gravenhage, afdeling bestuursrecht) dans lequel elle affirmait être en outre victime de violations de l’article premier de la Constitution des Pays-Bas (principe d’égalité) et de l’article 26 du Pacte a été rejeté le 14 août 2000. Le 9 août 2001, le Tribunal central des appels (Centrale Raad van Beroep) d’Utrecht a rejeté son nouveau recours, estimant que la plainte de l’auteur était essentiellement la même que celle de 1991 et que, étant devenue finale et définitive, la décision prise dans l’affaire en cause devait être respectée sauf si elle avait été manifestement arbitraire ou si, au vu des faits nouveaux, il serait déraisonnable de la maintenir. Le Tribunal n’a pas estimé qu’il en fut ainsi et a considéré que la différence d’un traitement résultait d’une décision générale du législateur tendant à établir une distinction entre les territoires d’outre-mer et européens de l’État, qui était fondée sur des critères raisonnables et objectifs. De même, le Tribunal a estimé que la décision d’accorder à l’auteur une pension spéciale de veuve à compter du 1er janvier 1999 entrait dans le pouvoir d’appréciation exercé par le Ministre en vertu de l’article 31 du Règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme avoir subi une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte, faisant valoir que la décision concernant sa demande de pension spéciale de veuve aurait dû être fondée sur la même base juridique que les pensions spéciales de veuve prévues pour les survivants de tous les autres fonctionnaires aux Pays‑Bas. À ce sujet, elle invoque des déclarations faites par le Secrétaire d’État à l’intérieur pendant la lecture publique au Parlement, le 9 mai 1962, de la loi sur le Corps d’assistance, qui avait affirmé que les fonctionnaires du Corps d’assistance seraient traités de la même manière que leurs homologues néerlandais. Elle fait valoir que, à la suite de l’adoption de l’article G4 de la loi sur les retraites des fonctionnaires, en 1966, le Règlement aurait dû être modifié car cet acte traduisait la reconnaissance du droit d’une survivante divorcée à une pension (partielle) de veuve.

3.2Se référant à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui considère qu’il ne lui appartient pas d’examiner les faits et les preuves qui ont été soumis aux tribunaux d’un État partie, l’auteur estime que cette règle ne devrait pas constituer un obstacle dans son cas étant donné que la division judiciaire du Conseil d’État, qui s’était prononcée sur son appel en 1993, n’est pas un tribunal indépendant et impartial puisqu’il a conseillé au Ministre de l’intérieur d’adopter la législation établissant une distinction entre les veuves des anciens employés du Corps d’assistance d’un côté, et celles des autres fonctionnaires, d’un autre côté. L’auteur en conclut que l’absence d’impartialité objective de la part du Conseil judiciaire constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En outre, elle affirme que le Conseil judiciaire n’était pas compétent pour examiner l’appel de la décision du Ministre en date du 16 octobre 1991 car le Conseil d’appel (Raad van Beroep) était l’organe compétent pour examiner des appels concernant les fonctionnaires, y compris les anciens employés du Corps d’assistance. Au lieu de la renvoyer devant les tribunaux compétents, les conseils relatifs aux recours ouverts qui étaient consignés dans la décision du Ministre indiquaient à tort que le Conseil judiciaire était le tribunal d’appel compétent. La décision du Conseil judiciaire devrait donc être considérée comme nulle et non avenue.

3.3L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes disponibles car elle ne peut pas former un nouvel appel devant le Tribunal central des appels, et que l’affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie

4.1Dans une lettre datée du 23 mars 2004, l’État partie affirme que le grief de violation de l’article 14 du Pacte est irrecevable parce que l’auteur ne l’a pas soumis à une procédure interne et qu’elle n’a donc pas épuisé les recours internes qui lui étaient ouverts.

4.2Dans une lettre datée du 24 juillet 2004, l’État partie explique que l’auteur aurait pu contester le manque d’impartialité du Conseil d’État dans sa déclaration ou son mémoire d’appel, au lieu de quoi elle avait soulevé la question 11 ans après la décision. L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas étayé son grief tiré du manque d’indépendance et de l’impartialité. L’État partie explique que les fonctions consultatives et judiciaires sont exercées par différents départements du Conseil et que tous les membres dudit Conseil sont inamovibles et que leur indépendance est garantie de la même manière que celle des membres d’autres organes judiciaires. De même, l’argument de l’auteur selon lequel le Conseil d’État n’était pas compétent pour juger ses griefs aurait pu être formulé à ce moment. L’État partie estime que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable ou mal fondée.

4.3Concernant le grief de l’auteur qui affirme qu’elle aurait dû être traitée de la même manière que les veuves des anciens fonctionnaires des Pays‑Bas, l’État partie explique que, après la révision de la loi néerlandaise sur le divorce, en 1971, le législateur s’était intentionnellement abstenu d’incorporer dans le Règlement de 1971 des dispositions visant le groupe spécifique de veuves auquel elle appartient. Cette position a été expliquée dans une lettre adressée par le Ministre au Parlement le 19 août 1971. L’État partie déclare qu’après le transfert des responsabilités administratives concernant les anciens territoires d’outre‑mer des Indes orientales néerlandaises et de la Nouvelle‑Guinée, les Pays‑Bas se sont engagés à accorder et à payer des pensions aux veuves d’anciens fonctionnaires de ces territoires. Aux termes de l’accord régissant le transfert, les Pays‑Bas ont garanti les droits existants au moment du transfert. Avait droit à une pension de veuve la femme avec laquelle le défunt était marié avant l’âge de 65 ans et l’était encore au moment de son décès. L’État partie affirme en conséquence que ses obligations relativement aux pensions de veuve au titre de ces régimes étaient donc limitées à des droits nés peu de temps auparavant. Tout amendement au Règlement, conformément à la loi révisée sur le divorce, aurait dérogé à la règle appliquée jusqu’alors et, en outre, porté atteinte aux droits de la dernière épouse/veuve qui n’aurait plus eu droit à une pension complète. D’après l’État partie, le problème du partage des droits entre les anciennes épouses ne s’est pas posé au moment de l’incorporation de la loi sur le divorce dans les régimes néerlandais de pensions de retraite. L’État partie affirme donc que, à cet égard, les veuves/épouses des anciens fonctionnaires des territoires d’outre‑mer n’étaient pas dans la même situation que les veuves/épouses des fonctionnaires couverts par un régime de retraite néerlandais. L’État partie ajoute qu’il était admis que le tribunal qui fixe les dispositions financières dans une procédure de divorce pouvait prendre cette situation en considération.

4.4En examinant l’affaire soumise par l’auteur, la division judiciaire du Conseil d’État a accepté les arguments du Ministre selon lesquels la différence de traitement n’avait pas été une atteinte au droit à l’égalité étant donné que les affaires en question n’étaient pas similaires car elles se rapportaient à des catégories différentes de fonctionnaires. En outre, il a été tenu compte de ce que, lorsque le mariage a été dissous, la perte du droit à une pension de veuve en vertu du Règlement avait été prise en compte puisque son mari avait pris en sa faveur des dispositions que le tribunal avait jugées raisonnables.

4.5L’État partie explique que la décision prise par le Ministre en 1999 d’accorder à l’auteur une pension spéciale de veuve n’avait pas été fondée sur une quelconque perte de validité des arguments susmentionnés mais plutôt sur le fait que l’attitude sociale à l’égard des droits à pension des femmes mariées avait évolué au point d’être devenue incompatible avec l’absence de droit à une pension spéciale de veuve. La décision n’avait pas été fondée sur le principe de l’égalité de traitement mais sur la clause d’équité énoncée dans le Règlement.

4.6L’État partie estime en conséquence que le principe d’égalité énoncé à l’article 26 du Pacte n’a pas été violé.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans une lettre datée du 14 septembre 2004, l’auteur commente les observations de l’État partie et soutient que l’article 14 du Pacte a été violé parce que la division judiciaire du Conseil d’État n’était pas compétente pour statuer sur son appel, en 1993. Elle soutient en outre que la division était dépourvue d’impartialité objective.

5.2En réponse aux arguments de l’État partie sur la raison pour laquelle la différence de traitement ne constitue pas une violation du droit à l’égalité, l’auteur conteste les observations de l’État partie concernant la situation des anciens fonctionnaires des Indes orientales néerlandaises. Elle explique qu’il existe une différence entre le statut juridique des anciens fonctionnaires des Indes orientales et celui des membres du Corps d’assistance de Nouvelle‑Guinée. Les premiers sont régis par un accord avec l’Indonésie tandis que le statut des derniers était défini dans la loi sur le Corps d’assistance du 25 mai 1962 et régi par la loi néerlandaise. Elle fait donc valoir que le Règlement est un régime de pension des Pays‑Bas et non, comme le dit l’État partie, un régime de pension d’outre‑mer.

5.3L’auteur rappelle que le Règlement a été élaboré en 1957/58 à un moment où la notion de pension spéciale de veuve n’avait pas encore été incorporée dans la législation néerlandaise. Elle affirme que le Règlement reflète la législation néerlandaise, en particulier la loi sur les retraites des fonctionnaires, telle qu’elle existait à l’époque. Selon l’auteur, il n’y avait par conséquent aucune raison de la modifier lorsque la pension spéciale de retraite de veuve a été prévue dans la loi sur les retraites des fonctionnaires, en 1966, ou au plus tard, en 1973, lorsque la pension spéciale de veuve a été rendue obligatoire pour tous les régimes de retraite. Elle affirme à ce propos qu’un certain nombre d’amendements ont été apportés au Règlement afin de l’adapter à l’évolution de la législation néerlandaise, par exemple pour élargir la notion des orphelins ayant droit à une pension.

5.4L’auteur rappelle qu’elle était mariée pendant toute la période où son époux travaillait en Nouvelle‑Guinée, que toutes les cotisations ont été dûment versées au régime de pension de veuve et que personne sauf elle ne pouvait y avoir droit. La révision du Règlement n’aurait pas eu de conséquences internationales, contrairement à la révision des pensions des anciens fonctionnaires des Indes orientales néerlandaises. Elle affirme par conséquent que le fait qu’une pension spéciale de veuve ne lui a pas été octroyée dans des conditions d’égalité avec toutes les autres veuves divorcées en vertu de la législation néerlandaise constitue une violation de l’article 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note de l’objection de l’État partie concernant la recevabilité du grief de violation de l’article 14 du Pacte, au motif du non‑épuisement des recours internes disponibles. Le Comité note en outre que l’auteur n’a fait valoir dans ses commentaires aucun argument tendant à montrer que ces recours internes n’étaient pas disponibles ou utiles. Les informations à la disposition du Comité indiquent que l’auteur n’a pas soulevé la question du manque d’impartialité ou de l’incompétence du Conseil d’État lorsque son appel a été examiné. En conséquence, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication le Comité la déclare recevable en ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2L’auteur a affirmé que le fait qu’une pension spéciale de veuve ne lui ait pas été accordée pendant la période 1991‑1998 constitue une violation de l’article 26 du Pacte par l’État partie. L’État partie a fait valoir que la distinction établie dans les dispositions légales applicables se rapporte à des catégories différentes de fonctionnaires. Il a fait valoir en outre que le fait que l’auteur perdrait ses droits à une pension de veuve avait été pris en considération au moment de son divorce et que des dispositions avaient été prises en vue de compenser cette perte, dispositions que le tribunal avait jugées raisonnables, et l’auteur n’a pas contesté cette partie des observations de l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute différence de traitement fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas une discrimination, pour autant qu’elle soit fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. En l’espèce, le Comité estime que la distinction établie entre les épouses néerlandaises des anciens employés du Corps d’assistance des Pays‑Bas Nouvelle‑Guinée et les veuves des autres fonctionnaires néerlandais n’est pas fondée sur l’un quelconque des motifs énumérés à l’article 26 et ne peut pas non plus être considérée comme «toute autre situation», au sens de cet article. De plus, les éléments dont le Comité est saisi, en particulier les renvois aux motifs avancés par le législateur en 1971 pour ne pas modifier le Règlement (par. 4.3) ne révèlent pas une absence d’objectivité ni un caractère déraisonnable. Par conséquent, le fait de ne pas avoir accordé à l’auteur une pension pendant la période allant de 1991 à 1998, ne constitue pas une violation de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

PP. Communication n o  1249/2004, Immaculate Joseph et consorts c. Sri Lanka (Constatations adoptées le 21 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Sœur Immaculate Joseph et 80 sœurs enseignantes de la Sainte‑Croix du Troisième Ordre de Saint‑François d’Assise de Menzingen à Sri Lanka (non représentées par un conseil)

Au nom de:

Sœur Immaculate Joseph et 80 sœurs enseignantes de la Sainte‑Croix du Troisième Ordre de Saint‑François d’Assise de Menzingen à Sri Lanka

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

14 février 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Décision de la Cour suprême déclarant que la constitution en société d’un ordre religieux est incompatible avec la Constitution

Questions de procédure: Épuisement des recours internes − Éléments de preuve à l’appui de la recevabilité

Questions de fond: Liberté de conviction religieuse − Liberté de manifester sa conviction religieuse − Liberté d’expression − Restrictions admissibles − Égalité devant la loi − Discrimination sur la base de la conviction religieuse

Articles du Pacte: 2 (par. 1), 18 (par. 1), 19 (par. 2), 26 et 27

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 octobre 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1249/2004 présentée au nom de sœur Immaculate Joseph et de 80 sœurs enseignantes de la Sainte‑Croix du Troisième Ordre de Saint‑François d’Assise de Menzingen à Sri Lanka en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication (lettre initiale en date du 14 février 2004) est sœur Immaculate Joseph, de nationalité sri‑lankaise, sœur catholique romaine assumant actuellement la charge de supérieure provinciale des sœurs enseignantes de la Sainte‑Croix du Troisième Ordre de Saint‑François d’Assise de Menzingen à Sri Lanka («l’Ordre»). Elle présente la communication en son nom propre et en celui de 80 autres sœurs de l’Ordre, qui l’autorisent expressément à agir en leur nom. Elles affirment être victimes de violations par Sri Lanka des articles 2, paragraphe 1, 18, paragraphe 1, 19, paragraphe 2, et 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour Sri Lanka le 3 janvier 1998. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1Les auteurs déclarent que l’Ordre, fondé en 1900, se voue entre autres choses à l’enseignement et à d’autres tâches caritatives et communautaires qu’il assure pour tous les membres de la communauté, indépendamment de la race ou de la religion. En juillet 2003, l’Ordre a présenté une demande de constitution en société, ce qui à Sri Lanka implique l’adoption d’une loi. L’Attorney général qui, affirment les auteurs, est tenu, conformément à l’article 77 de la Constitution, d’examiner tout projet de loi pour vérifier qu’il est compatible avec la Constitution, n’a pas fait rapport au Président. Après publication du projet de loi au Journal officiel, une contestation de la constitutionnalité de deux clauses du projet, lues conjointement avec le préambule, a été déposée apparemment par un particulier («l’opposant»), le 14 juillet 2003, auprès de la Cour suprême en tant qu’instance originellement compétente.

2.2La Cour suprême a entendu l’opposant et l’Attorney général, mais sans que l’Ordre soit informé de l’objection ni de l’audience en question. Selon les auteurs, l’Attorney général, qui techniquement était le défendeur dans la procédure, a retenu les arguments de l’opposant. Le 1er août 2003, la Cour suprême a rendu sa décision spéciale confirmant la contestation du projet pour incompatibilité avec les articles 9 et 10 de la Constitution. Selon la Cour, les dispositions contestées du projet de loi «créent une situation qui combine l’observation et la pratique d’une religion ou d’une conviction avec des activités qui procureraient des avantages matériels et autres à des personnes sans expérience, sans défense et vulnérables dans le but de propager une religion. Les activités [sociales et économiques] prévues dans le projet aboutiraient nécessairement à faire peser des pressions inappropriées et excessives sur des personnes dans la détresse et le besoin qui ont droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi qu’à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de leur choix, conformément à l’article 10 de la Constitution». La Cour a donc considéré que «la Constitution ne reconnaît pas un droit fondamental de propager une religion». En arrivant à ses conclusions, la Cour s’est référée aux articles 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte, ainsi qu’à deux affaires sur lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a statué.

2.3La Cour a examiné ensuite la requête à la lumière de l’article 9 de la Constitution, qui dispose ce qui suit: «La République de Sri Lanka donne la prééminence au bouddhisme et l’État a donc le devoir de protéger et d’encourager le Buddha Sasana, tout en assurant à toutes les religions les droits garantis par les articles 10 et 14 1) e).». Selon la Cour, «la propagation et la diffusion du christianisme comme postulées dans les termes de la clause 3 [du projet] ne seraient pas admissibles car elles compromettraient l’existence même du bouddhisme ou du Buddha Sasana». En outre, les dispositions des alinéas a et b du paragraphe 1 de la clause 3 faisaient référence à la propagation de la connaissance d’une religion et étaient donc incompatibles avec l’article 9 de la Constitution.

2.4Les auteurs font observer qu’en arrivant à ces conclusions la Cour s’est référée aux décisions rendues dans deux affaires précédentes, où des propositions similaires prévoyant la constitution en société d’associations chrétiennes avaient été jugées inconstitutionnelles. Le résultat de la décision, qui ne pouvait faire l’objet d’aucun appel ou réexamen, était que le Parlement ne pouvait adopter le projet de loi qu’à une majorité spéciale des deux tiers et sous réserve d’approbation par référendum populaire.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs prétendent que les faits cités font apparaître des violations de l’article 2, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 26, de l’article 27, de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 19, paragraphe 2. En ce qui concerne l’article 2, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 26, les auteurs font valoir que l’opposition de l’Attorney général au projet et la décision rendue par la Cour suprême violaient les droits correspondants. L’Attorney général, qui n’avait établi l’existence d’aucune incompatibilité avec la Constitution au sens de l’article 77, aurait dû au nom du principe de l’égalité de la loi prendre la même position devant la Cour suprême, d’autant que l’Ordre n’avait été ni notifié ni entendu bien qu’étant la partie affectée. La décision déclarant la clause 3 du projet incompatible avec l’article 9 de la Constitution était en outre si irrationnelle et si arbitraire qu’elle violait les normes fondamentales de l’égalité consacrées à l’article 26. Se référant à la décision du Comité dans l’affaire Waldman c. Canada, les auteurs font valoir que le refus de constituer l’Ordre en société alors que de nombreuses organisations religieuses non chrétiennes avec des clauses d’objet similaires ont été constituées en société est une violation de l’article 26. À l’appui, les auteurs fournissent une liste (non exhaustive) de 28 organisations religieuses qui ont été constituées en société, avec leur objet statutaire, et qui sont pour la plupart d’orientation bouddhiste ou, pour certaines, islamique, mais aucune chrétienne.

3.2S’agissant de l’article 27, les auteurs invoquent l’Observation générale no 22 du Comité, dans laquelle il est dit que le fait qu’une religion est reconnue en tant que religion d’État ne doit pas porter atteinte à la jouissance des autres droits garantis par le Pacte. La référence faite par la Cour à la clause de l’article 9 prévoyant la primauté du bouddhisme pour contester la constitutionnalité du projet constitue donc une violation de l’article 27. Les auteurs soulignent que, comme les nombreuses autres organisations religieuses qui sont constituées en société, l’Ordre combinait des activités charitables et humanitaires (qualifiées d’activités sociales et économiques par la Cour) avec des activités religieuses, ce qui est une pratique commune à toutes les religions. Exiger des membres d’une organisation religieuse qu’ils se limitent aux bonnes œuvres serait discriminatoire et aussi contraire à l’objet des autres organisations religieuses qui, elles, ont obtenu leur constitution en société. De plus, la propagation de la foi fait partie intégrante de la profession et de la pratique de la religion, et à Sri Lanka les principales religions (bouddhisme, hindouisme, islam et christianisme) ont d’ailleurs été introduites par ce moyen. En tout état de cause, selon les auteurs, tout au long des 70 années de présence de l’Ordre à Sri Lanka, il n’a été ni allégué ni démontré qu’il y aurait eu des incitations ou des sollicitations à la conversion. Cet aspect de la pratique religieuse est donc protégé par les droits reconnus aux membres de l’Ordre au titre de l’article 27 du Pacte.

3.3En ce qui concerne les articles 18, paragraphe 2, et 19, paragraphe 2, selon les auteurs, en restreignant les activités sociales et économiques de l’Ordre, la Cour suprême porte atteinte aux droits qui sont reconnus à ses membres en vertu de ces dispositions. Le droit de propager et de faire connaître une religion est couvert de même par ces articles, et il n’est pas limité à la religion «principale» d’un État. Comme aucune des activités de l’Ordre n’est contraignante, le paragraphe 2 de l’article 18 ne s’applique pas aux activités légitimes de ce dernier. Invoquant l’article 6 de la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction comme guide pour l’interprétation du Pacte, les auteurs ajoutent que l’impossibilité pour l’Ordre de posséder des biens en son nom restreint beaucoup sa capacité effective de fonder des lieux de culte et des institutions charitables et humanitaires. Les observations de l’Attorney général et l’attribution à l’Ordre par la Cour suprême d’activités potentiellement contraignantes s’il était constitué en société n’étaient nullement étayées ni fondées dans les faits.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses déclarations du 15 avril 2004 et du 21 mars 2005, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. D’abord, l’État partie a déclaré que, selon son interprétation, les allégations étaient triples: a) les auteurs n’avaient pas eu la possibilité d’être entendus par la Cour suprême avant que celle‑ci rende sa décision; b) l’Attorney général avait défendu la position de l’opposant devant la Cour suprême; et c) la décision de la Cour suprême violait en elle‑même les droits des auteurs en vertu du Pacte.

4.2En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les auteurs n’ont pas eu la possibilité d’être entendus par la Cour suprême avant que celle‑ci rende sa décision, l’État partie explique que, conformément à l’article 78 de la Constitution, tout projet de loi doit être publié au Journal officiel sept jours au moins avant de pouvoir être inscrit à l’ordre du jour du Parlement. La Constitution arrête ensuite la procédure à suivre dès lors qu’un projet de loi est inscrit à l’ordre du jour du Parlement. L’article 121 de la Constitution confère à la Cour suprême la compétence unique et exclusive de déterminer si un projet de loi ou l’une de ses dispositions est incompatible avec la Constitution. L’exercice de cette compétence peut être requise par le Président sur demande écrite adressée au Ministre de la justice, ou par tout citoyen sur demande écrite adressée à la Cour suprême. Dans l’un et l’autre cas, la requête doit être présentée dans un délai d’une semaine après l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour du Parlement.

4.3Lorsqu’il est demandé à la Cour suprême d’intervenir dans l’exercice de cette compétence, le projet de loi ne peut pas être examiné par le Parlement avant qu’un délai de trois semaines se soit écoulé ou avant que la Cour ait statué sur la question, selon l’échéance la plus rapprochée. La procédure de la Cour suprême se déroule en audience publique, et toute personne se disant concernée par la décision attendue peut demander à la Cour le statut d’intervenant. La Cour communique sa décision au Président ou au Président de la Chambre des représentants dans un délai de trois semaines après la présentation de la requête. Si la Cour suprême conclut à une incompatibilité, le projet de loi ne peut être adopté qu’à une majorité spéciale des deux tiers de l’ensemble des membres du Parlement et, si le projet de loi se réfère aux articles 1 à 3 ou 6 à 11 de la Constitution, il doit aussi être approuvé par référendum populaire. Les membres du Parlement sont informés de l’inscription à l’ordre du jour de tout projet de loi.

4.4L’État partie explique que le projet de loi en question était en réalité une initiative parlementaire. À ce titre, il n’a pas été examiné par l’Attorney général, conformément à l’article 77 de la Constitution, et l’Attorney général n’a pas exprimé d’avis à ce sujet. Si les auteurs avaient voulu intervenir dans la procédure, ils auraient dû être vigilants et vérifier auprès du greffe de la Cour suprême si celui‑ci avait enregistré une requête au cours de la semaine suivant l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour du Parlement. Si cette diligence suffisante avait été exercée et qu’une demande de statut d’intervenant avait été présentée, il n’y aurait pas eu de raison apparente pour la Cour suprême de rejeter la requête, sauf à créer un précédent. On était donc clairement dans un cas où loin d’avoir été privés de la possibilité de se faire entendre, les auteurs n’avaient pas fait le nécessaire pour profiter de cette possibilité; les auteurs sont donc privés maintenant du droit de prétendre autre chose.

4.5En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’Attorney général avait défendu la position de l’opposant devant la Cour suprême, l’État partie fait observer que lorsque l’article 121 de la Constitution est invoqué la Constitution prévoit que l’Attorney général doit être notifié et entendu. Il doit donc examiner les objections soulevées quant à la constitutionnalité du texte en question et aider la Cour à arriver à sa décision. Dès lors que l’Attorney général n’avait pas exprimé préalablement d’avis sur la constitutionnalité du projet de loi, puisqu’il s’agissait d’une initiative parlementaire, il serait manifestement fallacieux et indéfendable de laisser entendre que s’il l’avait fait il aurait été tenu par cette décision antérieure au moment d’examiner la question conformément à la procédure de l’article 121.

4.6Quant à l’affirmation selon laquelle la décision de la Cour suprême violait en elle‑même les droits des auteurs en vertu du Pacte, l’État partie fait valoir que la Cour suprême n’est pas habilitée à modifier la Constitution, mais seulement à l’interpréter dans le cadre de ses dispositions. La Cour a examiné les observations faites, a pris en considération les décisions antérieures et a motivé ses conclusions. En tout état de cause, comme les auteurs n’ont pas exercé la diligence raisonnable requise pour exercer leur droit d’être entendus, ils sont privés du droit de contester la décision de la Cour devant une autre instance. L’État partie fait donc valoir, pour les trois allégations, que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes.

4.7L’État partie ajoute que la décision de la Cour suprême n’empêche pas les auteurs de poursuivre les activités qu’ils mènent déjà à Sri Lanka. Selon l’État partie, les décisions de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de l’article 121 ne sont pas contraignantes pour les juridictions inférieures, de sorte que celles‑ci ne seront pas tenues de restreindre le droit des auteurs de mener des activités religieuses légitimes. La décision rendue par la Cour suprême ne les en empêche d’ailleurs pas non plus.

4.8Enfin, la décision de la Cour suprême n’empêche pas le Parlement d’adopter le projet de loi qui, même incompatible avec les articles 9 et 10 de la Constitution, pouvait encore être adopté par une majorité spéciale et par référendum. À défaut, les dispositions du texte proposé qui sont incompatibles avec la Constitution pouvaient être amendées, et le projet de loi présenté de nouveau.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre en date du 30 mai 2005, les auteurs font valoir que l’État partie n’a répondu qu’à trois allégations subsidiaires qui ne sont pas au centre de l’action des auteurs. Selon les auteurs, il s’agit non pas de savoir si la décision de la Cour les empêche de poursuivre leurs activités, mais en fait de savoir s’il y a eu violation de droits reconnus dans le Pacte, pour les motifs exposés en détail dans la plainte. Il n’y a pas de recours en droit interne contre la décision de la Cour suprême, qui est définitive et dont le Comité est donc saisi à bon droit sur le fond.

5.2En ce qui concerne la réponse de l’État partie sur la possibilité d’être entendus, les auteurs soulignent que seuls le Président de la Chambre des représentants et l’Attorney général reçoivent obligatoirement notification des requêtes présentées au titre de l’article 121, puisqu’il n’est pas exigé de notifier les parties affectées comme, en l’espèce, celles qui sont concernées par un projet de loi visant à constituer en société une entité. Pour certaines propositions de loi d’origine parlementaire, la Cour suprême a parfois ajourné l’audience et notifié le parlementaire concerné au cas où celui‑ci souhaiterait être entendu. En l’espèce, ni le parlementaire concerné ni les auteurs n’ont été notifiés, ce qui équivaut à une violation de l’article 2, paragraphe 1, du Pacte, lu conjointement avec l’article 26.

5.3Les auteurs font valoir que si l’Attorney général pouvait revenir, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 121, sur un avis constitutionnel émis antérieurement, tout l’objet de l’avis émis antérieurement serait privé d’effet juridique. La possibilité de modifier de tels avis à volonté autoriserait des abus flagrants et affecterait sans nul doute des droits individuels, contrairement à l’article 21, en relation avec l’article 26 du Pacte. Les auteurs ajoutent que l’argument de l’État partie face à l’incompatibilité invoquée entre le Pacte et la décision de la Cour suprême, à savoir que la Cour a rendu sa décision dans le cadre juridique applicable, est une réponse insuffisante à leur plainte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas exercé la diligence suffisante pour confirmer, en consultant l’ordre du jour du Parlement puis le greffe de la Cour suprême, si une requête en vertu de l’article 121 de la Constitution avait été présentée et pour déposer en conséquence une motion demandant à être entendus. Le Comité considère que, sauf circonstances ex parte exceptionnelles, quand une cour est saisie d’une requête affectant directement les droits d’une personne, les principes élémentaires d’équité et de régularité de la procédure consacrés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte exigent que la partie affectée soit notifiée de la procédure, en particulier quand il est statué de façon définitive sur ses droits. En l’espèce, ni les membres de l’Ordre ni le parlementaire à l’origine de la proposition de loi n’ont été notifiés de la procédure en instance. Autre point important, d’après les informations dont dispose le Comité, il est arrivé dans le passé que la Cour suprême notifie de telles procédures aux parlementaires. Il ne peut donc pas être reproché aux auteurs de ne pas avoir introduit une motion d’intervenant devant la Cour. Le Comité fait observer qu’en tout état de cause on peut s’interroger sur l’effectivité de ce recours, compte tenu de l’obligation de régler des questions constitutionnelles complexes, avec l’argumentation orale pertinente, dans un délai de trois semaines au maximum après le dépôt de la requête, qui doit elle‑même être présentée dans un délai d’une semaine au maximum après l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour du Parlement. La communication n’est donc pas irrecevable pour cause de non‑épuisement des recours internes.

6.3En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les droits des auteurs au titre des articles 2 et 26 du Pacte ont été violés du fait que l’Attorney général a contesté la constitutionnalité du projet de loi devant la Cour alors qu’il n’avait pas exprimé auparavant d’avis quant à une incompatibilité quelconque par rapport à la Constitution, l’État partie a expliqué, sans réfuter l’allégation, que l’obligation faite à l’Attorney général de se prononcer sur la constitutionnalité des projets de loi au stade initial ne s’appliquait pas aux propositions de loi d’origine parlementaire comme celle en cause. L’avis exprimé par l’Attorney général dans le cadre de la procédure de l’article 121 était donc son premier avis formel sur la question et n’était pas en contradiction avec un précédent avis. Le Comité considère donc que cette allégation n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En l’absence de toute autre objection quant à la recevabilité de la communication, et rappelant en particulier que le Pacte garantit aux articles 18 et 27 la liberté de religion exercée en commun avec d’autres, le Comité considère que les allégations restantes sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et décide de passer à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2En ce qui concerne l’allégation au titre de l’article 18, le Comité fait observer que de nombreuses religions, y compris selon les auteurs la leur, ont pour dogme central de diffuser la connaissance, de propager leurs convictions à autrui et d’apporter une aide à autrui. Ces aspects font partie de la manifestation par un individu de sa religion et de sa liberté d’expression, et sont donc protégés par l’article 18, paragraphe 1, dans la mesure où ils ne sont pas restreints selon qu’il convient par des mesures prises conformément au paragraphe 3 dudit article. Les auteurs ont avancé, ce qui n’a pas été réfuté par l’État partie, que la constitution en société de l’Ordre leur permettrait de mieux réaliser les objectifs tant religieux que séculiers de celui‑ci, y compris l’édification de lieux de culte. C’était l’objectif réel du projet de loi, tel que reflété dans sa clause d’objet. Il en découle que la décision de la Cour suprême concluant à l’inconstitutionnalité du projet de loi restreignait les droits des auteurs à la liberté de la pratique religieuse et à la liberté d’expression, droits qui aux termes du paragraphe 3 dudit article ne pouvaient faire l’objet que des seules restrictions prévues par loi et qui sont nécessaires à la protection des droits et libertés d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Si la décision de la Cour était incontestablement une restriction imposée par la loi, il reste à déterminer si ladite restriction était nécessaire à l’une des fins énumérées. Le Comité rappelle que les restrictions admises aux droits consacrés dans le Pacte, qui sont des exceptions à l’exercice des droits en question, doivent être interprétées étroitement et en examinant attentivement les raisons avancées pour les justifier.

7.3En l’espèce, l’État partie n’a pas tenté de justifier la restriction des droits, sinon en invoquant les motifs exposés dans la décision de la Cour suprême elle‑même. Dans sa décision, la Cour a considéré que les activités de l’Ordre, en procurant des avantages matériels et autres à des personnes vulnérables, propageraient la religion de manière contraignante ou d’une autre manière inappropriée. La Cour n’a pas justifié par des éléments probants ou factuels cette évaluation et elle n’a pas examiné comment cette évaluation était compatible avec les avantages et les services analogues procurés par d’autres organisations religieuses qui avaient été constituées en société. De même, la Cour n’a pas justifié la conclusion selon laquelle le projet de loi, notamment à travers l’idée de la propagation de la connaissance d’une religion, «compromettrait l’existence même du bouddhisme ou du Buddha Sasana». Le Comité note en outre que la jurisprudence internationale citée par la Cour n’étaye pas ses conclusions. Dans une affaire, il avait été considéré que l’action pénale engagée contre un particulier pour prosélytisme constituait une violation des libertés religieuses. Dans l’autre affaire, il avait été jugé admissible d’engager une action pénale contre des officiers des forces armées si, en tant que représentants de l’État, ils avaient fait du prosélytisme auprès de certains de leurs subordonnés, mais pas s’ils avaient fait du prosélytisme auprès de particuliers n’appartenant pas aux forces armées. Selon le Comité, les motifs invoqués dans la présente affaire étaient donc insuffisants pour démontrer, par rapport au Pacte, que les restrictions en question étaient nécessaires à l’une ou plusieurs des fins énumérées. Il en découle qu’il y a eu violation de l’article 18, paragraphe 1, du Pacte.

7.4En ce qui concerne l’allégation au titre de l’article 26, le Comité se réfère à sa jurisprudence de longue date établissant que lorsqu’il est créé une distinction celle‑ci doit être raisonnable et objective pour éviter la constatation de l’existence d’une discrimination, en particulier pour les motifs énumérés à l’article 26 qui incluent la conviction religieuse. En l’espèce, les auteurs ont fourni une longue liste d’autres organisations religieuses qui ont obtenu le statut de société, avec des objectifs de même nature que ceux de l’Ordre des auteurs. L’État partie n’a pas fourni de raisons expliquant pourquoi l’Ordre des auteurs était dans une situation différente, ni pourquoi il existait des motifs raisonnables et objectifs de distinguer sa demande. Comme le Comité l’a estimé dans l’affaire Waldman c. Canada, par conséquent, ce traitement différent pour l’octroi d’un avantage par l’État doit être accordé sans faire de discrimination sur la base de la conviction religieuse. Le manquement à cette obligation, en l’espèce, constitue donc une violation du droit à la non‑discrimination sur la base de la conviction religieuse qui est consacré dans l’article 26.

7.5En ce qui concerne la dernière allégation, à savoir que la Cour suprême a statué sur la requête au détriment de l’Ordre des auteurs sans leur avoir notifié la procédure ni leur avoir donné une possibilité d’être entendus, le Comité renvoie à ses considérations dans le contexte de la recevabilité exposées au paragraphe 6.2. Comme le Comité l’a fait observer dans l’affaire Kavanagh c. Irlande, la notion d’égalité devant la loi exige que des personnes dans une situation similaire fassent l’objet de la même procédure devant les tribunaux, sauf s’il est fourni des motifs raisonnables et objectifs justifiant un traitement différent. En l’espèce, l’État partie n’a pas justifié pourquoi dans d’autres cas la procédure avait été notifiée aux parties affectées, alors que dans l’affaire en cause elle ne l’avait pas été. Le Comité constate donc qu’il y a eu une violation de la première phrase de l’article 26, qui garantit l’égalité devant la loi.

7.6Selon le Comité, les allégations au titre des articles 19 et 27 n’ajoutent rien aux questions considérées ci‑dessus et n’ont pas besoin d’être examinées séparément.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits tels qu’établis par le Comité font apparaître des violations par Sri Lanka des articles 18, paragraphe 1, et 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile reconnaissant pleinement leurs droits en vertu du Pacte. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à assurer à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

QQ. Communication n o  1250/2004, Lalith Rajapakse c. Sri Lanka (Constatations adoptées le 14 juillet 2006, quatre-vingt-septième session)*

Présentée par:

Sundara Arachchige Lalith Rajapakse (représenté par un conseil, l’Asian Human Rights Commission et l’Organisation mondiale contre la torture)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

28 janvier 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Arrestation illégale; mauvais traitements et torture en détention; menaces émanant d’agents publics; défaut d’instruction

Questions de fond: Détention illégale et arbitraire; torture en détention; liberté et sécurité de la personne

Questions de procédure: Néant

Articles du Pacte: 7, 9, et 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1250/2004 présentée au Comité par Sundara Arachchige Lalith Rajapakse en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur est M. Sundara Arachchige Lalith Rajapakse, de nationalité sri‑lankaise, âgé de 19 ans au moment de son arrestation le 18 avril 2002. Il affirme être victime de violations par Sri Lanka du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7 et de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil: l’Asian Human Rights Commission et l’Organisation mondiale contre la torture. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour Sri Lanka le 3 janvier 1998.

Exposé des faits

2.1Le 18 avril 2002, l’auteur a été arrêté par plusieurs policiers chez un ami. Lors de son arrestation, il a été frappé et traîné dans une jeep garée près de la maison. Il a ensuite été emmené au poste de police de Kandana, où il a été placé en détention. Il a été inculpé de deux chefs d’accusation de vol qualifié. Pendant sa détention, il a été soumis à des actes de torture destinés à lui soustraire des aveux; ces actes, qui lui ont causé de graves blessures, peuvent être décrits comme suit: il a été contraint de s’allonger sur un banc et frappé avec un bâton; il a été maintenu sous l’eau pendant de longues périodes; il a été frappé à la plante des pieds avec des objets contondants; des livres ont été posés sur sa tête, et on a ensuite frappé dessus avec des objets contondants.

2.2Le 20 avril 2002, le grandpère de l’auteur a trouvé celuici gisant inconscient, dans une cellule du poste de police. Il a sollicité l’aide d’un membre du Parlement, qui a cherché à obtenir des renseignements. Lorsqu’il est retourné au poste de police, il a été informé que l’auteur avait été transféré à l’hôpital de Ragama. Quelques heures après que l’auteur eut été hospitalisé, l’un des policiers qui aurait pris part à l’attaque a obtenu une ordonnance aux fins de placement de l’auteur en détention provisoire. Par la suite, lorsqu’ils sont retournés à l’hôpital de Ragama, la mère et le grandpère de l’auteur ont appris que celuici avait été transféré à l’hôpital national de Colombo. Après son transfert, l’auteur est demeuré inconscient pendant 15 jours, et il n’a été capable de s’exprimer clairement qu’après le 13 mai 2002. Le 15 mai 2002, il a été transféré à l’hôpital de Weilikade où il a été placé en détention provisoire.

2.3Le 16 mai 2002, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a adressé un appel urgent à l’État partie, au nom de l’auteur. Le même jour, une demande de mise en liberté a été adressée au tribunal de Wattala. Le 17 mai 2002, l’auteur a été présenté à un juge, qui a pris connaissance du rapport médical établi par l’hôpital national. Le rapport, non daté, fait état «d’encéphalite traumatique due à des violences comme diagnostic le plus probable». Il a été libéré sous caution puis conduit de nouveau à l’hôpital national par sa mère et son grand-père, où il est resté pour se faire soigner jusqu’en juin 2002.

2.4Le 20 mai 2002, l’auteur a engagé une procédure devant la Cour suprême de Sri Lanka pour violation de ses droits fondamentaux. Le 13 juin 2002, la Cour suprême l’a autorisé à poursuivre son action; une audience a été prévue pour le 23 octobre 2003. L’audience, qui a été depuis reportée à deux reprises, devait se tenir le 26 avril 2004 (des renseignements plus récents sont donnés ci‑après).

2.5L’auteur a fait l’objet de pressions constantes pour retirer sa plainte, et il a vécu dans un état d’extrême tension psychologique, ce qui l’a empêché de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille, dont les membres sont maintenant contraints de demander la charité. Sa famille craint pour sa vie. L’auteur a été convoqué à maintes reprises pour déposer seul au poste de police, alors qu’il avait déjà fait une déclaration. Son grand‑père a également reçu des menaces pour l’obliger à retirer la plainte qu’il avait déposée auprès de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka. Tant l’auteur que sa famille se sont plusieurs fois adressés à la Commission et à sa permanence téléphonique pour se plaindre des menaces formulées contre lui‑même et son grand‑père. L’auteur ne précise pas quel a été le résultat de ces plaintes.

2.6Le 24 juillet 2002, le procureur a ouvert une enquête au sujet des actes de torture dont l’auteur aurait été victime, sur le fondement de laquelle il a engagé des poursuites pénales au titre de la loi sur la torture contre certains policiers devant le tribunal de Negombo. Cette affaire est toujours en instance et les auteurs présumés n’ont été ni arrêtés ni suspendus de leurs fonctions. Dans une déclaration enregistrée le 11 octobre 2002, un médecin légiste a confirmé, sur la base d’un rapport du 12 juin 2002, que l’auteur avait été inconscient, a décrit ses blessures et a indiqué que «le diagnostic le plus probable est une contusion cérébrale consécutive à des coups, mais il est difficile de la distinguer d’une encéphalite. Le diagnostic le plus probable conclurait à des coups ayant provoqué une encéphalite traumatique». Cette dernière est décrite comme une blessure «susceptible de mettre la vie en péril».

2.7Le 29 septembre 2003, l’auteur a été acquitté des deux chefs d’accusation de vol qualifié, les victimes alléguées n’ayant pas déposé plainte contre lui.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le traitement qui lui a été délibérément infligé dans le but d’obtenir des aveux était assimilable à des actes de torture, interdits par l’article 7 du Pacte.

3.2Il soutient que les procédures prévues par la loi sri‑lankaise n’ont pas été respectées lors de son arrestation, puisque aucun motif ne lui a été donné, aucune plainte n’a été déposée contre lui, aucune déposition n’a été faite et sa détention a dépassé le délai légal de 24 heures. Selon lui, tous ces faits constituent également une violation de l’article 9.

3.3L’auteur fait valoir que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte dans la mesure où il n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour assurer sa protection compte tenu des menaces formulées à son encontre par des policiers.

3.4Il soutient que l’État partie a violé le droit à un recours utile prévu au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte étant donné qu’il n’a pas ordonné aux autorités compétentes d’ouvrir rapidement une enquête impartiale concernant ses allégations de torture.

3.5Au sujet de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait observer qu’il a cherché à obtenir réparation en engageant à la fois une procédure pénale et une action en violation des droits fondamentaux aux fins d’indemnisation. Du fait de ces actions, lui‑même et sa famille ont fait l’objet de menaces et d’intimidations. Pour évaluer l’efficacité et le caractère raisonnable de la durée de la procédure, il faudrait tenir compte des circonstances de l’espèce et de l’efficacité générale du recours proposé à Sri Lanka. Dans ce contexte, l’auteur fait observer que plus de trois mois après les actes de torture aucune enquête pénale n’avait été engagée, et ce, en dépit de la gravité de ses blessures et du fait qu’il avait dû être hospitalisé pendant plus d’un mois, que les auteurs présumés n’ont été ni suspendus de leurs fonctions ni détenus, ce qui leur a permis d’exercer des pressions sur l’auteur et de le menacer, et que l’enquête est actuellement au point mort. En outre, la procédure pénale applicable à Sri Lanka en cas d’allégations de torture étant généralement inefficace, et les autorités ayant manqué de diligence dans le cas d’espèce, les procédures pénales ou civiles en cours ne sauraient être considérées comme un recours utile eu égard aux violations alléguées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Le 15 avril 2004, l’État partie a communiqué ses observations concernant la recevabilité. Il a indiqué que le Département d’instruction pénale (CID) de la police avait commencé son enquête le 24 juillet 2002, sur instruction du procureur. À l’issue de l’enquête, le Département d’instruction pénale a transmis son rapport au procureur qui lui a conseillé de recueillir d’autres dépositions de témoins et d’organiser une séance d’identification. Le procureur a ensuite inculpé le sous‑inspecteur de police en vertu de la loi relative à la Convention contre la torture le 14 juillet 2004. S’il est reconnu coupable, l’officier de police sera condamné à une peine d’emprisonnement obligatoire de sept années au moins et à une amende. L’État partie a indiqué que le procureur allait prendre des mesures pour enjoindre à l’agent de l’État dirigeant l’accusation d’informer le juge du fond de la nécessité d’accélérer la procédure dans cette affaire.

4.2S’agissant de l’action en violation des droits fondamentaux intentée contre des policiers de Kandana concernant l’arrestation, la détention et les actes de torture illégaux pour lesquels l’auteur demande réparation, l’État partie confirme que cette affaire est toujours en instance. Il affirme que l’auteur n’a pas invoqué de retard excessif à cet égard et qu’il n’a pas demandé à la Cour suprême d’accélérer la procédure. Lorsque des requêtes semblables fondées sur des motifs légitimes ont été présentées à la Cour suprême, celle‑ci leur a fait droit en leur accordant la priorité. En somme, l’État partie fait valoir que la communication dans son ensemble est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.3Le 25 avril 2004, en se fondant sur les observations de l’État partie et au nom du Comité, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a estimé que les questions de la recevabilité et du fond de la communication devaient être examinées séparément.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 juillet 2004, l’auteur a transmis ses commentaires au sujet des observations de l’État partie. Il réaffirme ses arguments initiaux concernant la recevabilité et informe le Comité que les poursuites pénales n’ont pas avancé depuis que la communication a été enregistrée. Bien que l’État partie ait précisé dans ses observations qu’il veillerait à ce que l’action pénale soit examinée rapidement, il n’a pas précisé de date concernant l’audience et il n’explique pas pourquoi l’examen de l’affaire a été retardé pendant deux ans, ce qui constitue, selon l’auteur, un délai excessif. Celui‑ci ajoute que l’affaire ne sera probablement pas jugée avant un certain temps, qu’il n’y a eu qu’une condamnation dans une affaire de torture à Sri Lanka, laquelle n’a été jugée que huit ans après les faits.

5.2En ce qui concerne l’action en violation des droits fondamentaux, en instance devant la Cour suprême, l’auteur fait observer que l’examen de l’affaire a été ajourné pour la troisième fois le 26 avril 2004, et que l’audience a été reportée au 12 juillet 2004. Ce délai serait excessif et non conforme à la législation sri‑lankaise, en vertu de laquelle la Cour suprême devrait examiner toute requête relative aux droits fondamentaux et statuer sur elle dans les deux mois suivant son dépôt. Eu égard à l’observation de l’État partie selon laquelle il est loisible à l’auteur de demander à la Cour suprême d’accélérer l’examen de son affaire, l’auteur déclare n’avoir connaissance d’aucune procédure spéciale à cet égard et que l’examen des affaires est entièrement à la discrétion des tribunaux. L’auteur fait observer que l’État partie ne se prononce pas sur l’efficacité des procédures pénales à Sri Lanka dans les affaires de torture en général. Il indique qu’en raison de la situation d’extrême pauvreté dans laquelle il se trouve, un délai indéfini avant qu’une indemnisation ne lui soit versée aura de graves conséquences tant pour lui que pour sa famille, puisqu’il n’a pas les moyens de payer un traitement médical et psychologique efficace.

5.3L’auteur affirme que la procédure elle‑même laisse à désirer, comme le démontre le fait qu’une seule personne ait été inculpée alors que plusieurs étaient visées par les allégations. L’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a identifié qu’une seule personne lors de la séance d’identification n’est guère convaincant si l’on considère que l’auteur a passé plus de deux semaines dans le coma après les actes de torture allégués et que, de ce fait, ses capacités étaient évidemment amoindries. En outre, des éléments de preuve complémentaires auraient permis d’inculper d’autres policiers, notamment des preuves documentaires fournies par les policiers eux‑mêmes au tribunal et à la Cour suprême. Selon l’auteur, le fait de s’appuyer uniquement sur la séance d’identification, eu égard en particulier aux circonstances de l’affaire, a conduit à innocenter complètement les coauteurs des faits. Il souligne également que la seule charge retenue contre l’officier de police dans le cadre des poursuites pénales est celle de torture, mais qu’aucune charge n’a été retenue en ce qui concerne l’arrestation et/ou la détention illégales.

5.4L’auteur fait observer que l’État partie n’a donné aucun renseignement sur les mesures éventuelles qui ont été prises pour mettre un terme aux menaces et aux autres formes d’intimidation dont il a fait l’objet, et ajoute qu’il n’existe pas de programme de protection des témoins à Sri Lanka.

5.5Le 10 décembre 2004, l’auteur à fourni des informations actualisées concernant l’état de la procédure à cette date. Il affirme que l’examen de son affaire par la Cour suprême a été encore reporté et qu’une nouvelle date a été fixée, à savoir le 11 mars 2005. C’est la quatrième fois que l’examen de l’affaire est reporté. Selon l’auteur, l’affaire sera peut‑être examinée ce jour‑là si la Cour n’est pas surchargée, mais il se peut fort qu’elle soit de nouveau reportée. L’audience devant la Haute Cour est prévue pour le 2 février 2005, et il faudra, selon l’auteur, attendre plusieurs années avant que le procès ait effectivement lieu. Il fait valoir que ces délais prolongés l’ont rendu plus vulnérable aux menaces et ont aggravé les dangers que font peser sur lui les personnes qui ne souhaitent pas qu’il poursuive son action en justice. Il fait référence au meurtre récent d’une victime de la torture, M. Gerald Perera, survenu dans des circonstances mystérieuses, quelques jours seulement avant une audience à la Haute Cour de Negombo au cours de laquelle l’intéressé devait déposer contre sept policiers accusés de l’avoir torturé; l’auteur craint de subir le même sort. D’après l’auteur, M. Perera a été assassiné le 24 novembre 2005 et, au cours de l’enquête pénale qui a suivi, plusieurs policiers ont reconnu qu’on l’avait assassiné de crainte d’aller en prison s’il avait témoigné contre eux devant la Haute Cour de Negombo. Pour sa part, l’auteur a continué à recevoir des menaces et a été contraint de se cacher pour se protéger.

5.6Le 10 mars 2005, l’auteur a indiqué que l’audience pénale prévue pour le 2 février 2005 a été de nouveau reportée au 26 mai 2005. Le conseil local qui assiste l’auteur a déposé une requête au tribunal le 2 février 2005 afin de faire accélérer l’examen de l’affaire. La requête a été rejetée au motif qu’un nouveau juge a été désigné, auquel il appartiendra de fixer une nouvelle date en fonction de ses priorités. Le 14 mars 2005, l’auteur a précisé que l’audition sur le fond prévue pour le 11 mars devant la Cour suprême n’a pas eu lieu, et qu’elle a été repoussée au 26 juin 2005.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1À sa quatre‑vingt‑troisième session, le 8 mars 2005, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a observé que les questions soulevées par l’auteur faisaient toujours l’objet d’affaires en instance devant la Haute Cour et la Cour suprême, malgré l’écoulement de près de trois ans après la saisine des tribunaux, et que l’officier de police présumé avoir participé aux actes de torture infligés à l’auteur demeurait inculpé dans le cadre des poursuites pénales. Il lui semblait significatif que l’État partie n’ait pas expliqué pour quelles raisons ni l’affaire portant sur la violation des droits fondamentaux, ni l’inculpation contre l’officier de police n’avaient pu être examinées plus rapidement, et qu’il n’ait pas non plus invoqué l’existence de certains éléments susceptibles d’avoir compliqué l’instruction et l’examen judiciaire de l’affaire, qui auraient empêché qu’elle ne fût tranchée pendant près de trois ans.

6.2Le Comité a estimé que le retard enregistré dans le règlement de l’affaire portée devant la Cour suprême et de l’affaire pénale avait excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le 8 mars 2005, le Comité a déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

7.1Le 27 septembre 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond. Il reprend en grande partie ses arguments selon lesquels la plainte est irrecevable parce que les recours internes ne sont pas épuisés et qu’il est en train de donner à l’auteur un recours utile. Concernant les faits, il informe le Comité que le procureur est partie à toutes les affaires concernant les droits de l’homme, au cours desquelles il est représenté par un conseil. Le procureurne comparaît pas en faveur des défendeurs dans des affaires touchant les droits de l’homme, lorsque des allégations de torture sont formulées, alors que dans toutes les autres affaires il défend les officiers publics dans les actions intentées contre eux.

7.2L’État partie informe le Comité que l’issue de l’instance touchant les droits de l’homme introduite devant la Cour suprême par l’auteur affecterait le jugement de la Haute Cour, raison pour laquelle l’instance introduite devant la Cour suprême a été différée en attendant l’achèvement de la procédure devant la Haute Cour. La Cour suprême avait rendu une ordonnance stipulant que l’auteur devrait déposer une requête devant elle lorsque le procès devant la Haute Cour serait terminé. La Cour suprême avait demandé à la Haute Cour d’accélérer le procès de l’officier de police.

7.3Concernant la chronologie des audiences devant la Haute Cour, l’État partie indique que l’officier de police en cause a été inculpé le 14 juillet 2004 et que la date du procès a été fixée au 13 octobre 2004. Étant donné que les témoins à charge, dont l’auteur, n’étaient pas présents, l’audience a été ajournée. Les convocations ont été envoyées à nouveau et la date de l’audience a été fixée au 2 février 2005. À la suite d’une demande du conseil de l’officier de police, l’affaire a été renvoyée au 26 mai 2005. Le procès s’est ouvert à cette date et l’auteur a été entendu. Toutefois, l’interrogatoire principal n’a pas pu être achevé à cette date, l’auteur ayant informé la Cour qu’il était malade. L’affaire a été renvoyée au 12 juillet 2005, date à laquelle l’interrogatoire principal a été clos. Le contre‑interrogatoire a été fixé au 28 novembre 2005. L’État partie indique que l’accusation n’avait demandé d’autre ajournement de l’affaire que celui du 13 octobre 2004, date à laquelle l’auteur et les autres témoins à charge ne s’étaient pas présentés. Le conseil de la partie civile avait demandé au juge d’accélérer la procédure et l’avait informé de la communication au Comité.

7.4L’État partie demande instamment au Comité de ne pas se prononcer sur le fond avant la conclusion du procès en Haute Cour, car ses constatations pourraient porter préjudice à l’accusation ou à la défense. Si l’officier de police est reconnu coupable, la requête concernant la violation des droits fondamentaux sera examinée par la Cour suprême et une décision concernant l’indemnisation de l’auteur pourrait être rendues. La Cour pourrait ordonner que l’indemnité soit versée par l’État partie et/ou par l’officier de police condamné.

7.5L’État partie communique une information générale concernant les hautes cours de Colombo, notamment leur volume de travail chargé, et fait valoir que donner la préférence à une affaire donnée serait au détriment d’autres affaires. La Haute Cour exerce la juridiction de première instance en matière pénale et agit comme juridiction d’appel à l’échelon provincial. À la date de rédaction de la réponse, 365 affaires étaient inscrites au rôle de la Haute Cour de Negombo et 167 affaires étaient en attente. Il y a eu deux condamnations pour torture par la Haute Cour et un nombre égal d’acquittements. Quant à la Cour suprême, elle est saisie chaque année de près de 1 000 requêtes. Par conséquent, bien que la Constitution prévoie le traitement des requêtes dans un délai de deux mois, il est impossible de respecter ce délai. L’État partie donne d’autres renseignements de caractère général sur les recours administratifs à Sri Lanka, notamment auprès de la Commission des droits de l’homme et de la Commission nationale de la police, qu’il considère comme des organes indépendants.

7.6Concernant la plainte pour violation des articles 2, 7 et 9, l’État partie fait valoir que l’auteur a invoqué la juridiction de la Cour suprême, et que l’instance a été ajournée pour prévenir un préjudice à l’égard de l’accusation dans l’affaire pénale. Un recours utile a donc été fourni et une instruction est en cours. L’État partie fait valoir aussi que «la police a fourni à l’auteur, à sa demande, une protection spéciale à la suite de son allégation selon laquelle il est menacé».

Commentaires de l’auteur

8.1Le 27 septembre 2005, l’auteur a fait les commentaires suivants sur la réponse de l’État partie. Il affirme que l’argument répété de l’État partie selon lequel la plainte est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes est injustifié eu égard à la décision du Comité sur la recevabilité et parce qu’il s’est écoulé depuis l’examen par le Comité une année de plus au cours de laquelle la procédure interne n’a pas avancé. L’État partie ne donne pas d’explication satisfaisante du fait que les tribunaux n’ont pas examiné cette affaire grave dans un délai raisonnable et il ne propose aucune date pour l’examen. Au contraire, si l’on s’en tient au droit et à la pratique judiciaire actuels, il n’y a guère de chances d’obtenir un jugement définitif dans le proche avenir. La décision de différer l’audience de la Cour suprême a été prise sur la base d’une communication de l’avocat de l’officier de police. À supposer que celui‑ci soit reconnu coupable, il aura un droit de recours devant la cour d’appel, procédure qui durera plusieurs années, puis devant la Cour suprême, ce qui pourrait provoquer de nouveaux retards. Étant donné que l’action en violation des droits fondamentaux a été différée jusqu’à l’issue du procès en Haute Cour, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas différée jusqu’à l’achèvement de la totalité du processus.

8.2L’auteur fait valoir que l’État partie ne nie pas les faits tels qu’ils ont été présentés par lui, mais s’appuie uniquement sur le motif que l’affaire est en instance devant les tribunaux nationaux; par conséquent, le Comité devrait accorder le poids qu’il mérite à son exposé des faits. En outre, l’auteur évoque la jurisprudence du Comité selon laquelle, lorsque des allégations étayées faites par les auteurs d’une communication ne sont pas réfutées, elles doivent être considérées comme avérées. L’auteur réitère ses arguments sur le fond, en particulier concernant sa plainte au titre de l’article 2, paragraphe 3. Il invoque l’inanité de la procédure, dans laquelle la durée totale de l’enregistrement des dépositions, depuis l’inculpation en juillet 2004, est inférieure à deux heures d’audience. Il y a dans l’affaire 10 témoins et la déposition du premier témoin (l’auteur) n’est toujours pas achevée. La déposition des autres témoins pourrait donc prendre encore de nombreuses années.

8.3D’après l’auteur, ni lui ni aucun de ses témoins ne se sont absentés depuis les citations à comparaître. Il n’accepte de responsabilité pour aucun des ajournements et fait valoir qu’il n’a pas la faculté d’introduire une requête en vue d’accélérer l’instruction de son affaire. Il a écrit au procureur, qui est en mesure de le faire, ainsi qu’à des organisations de défense des droits de l’homme, mais aucune mesure n’a été prise en réponse à sa demande. Le procureur est partie à la procédure de la Haute Cour et à celle de la Cour suprême et il est seul habilité à demander que l’affaire soit traitée plus rapidement. L’auteur fait valoir que la question des retards généralisés a été soulevée par le Comité contre la torture dans ses conclusions et recommandations de novembre 2005 sur Sri Lanka, où il recommande à l’État partie d’assurer des procès rapides, particulièrement pour les victimes de la torture.

8.4De l’avis de l’auteur, les retards internes excessivement longs réduisent les chances de jugement équitable. Des éléments de preuve importants pourraient disparaître dans l’attente du procès. En particulier, un de ses principaux témoins, son grand‑père, est âgé de 75 ans et l’auteur craint qu’il ne décède ou qu’il ne perde la mémoire avant la fin de la procédure. L’auteur se réfère à un rapport du Rapporteur spécial sur la torture pour montrer qu’il est très fréquent dans l’État partie que l’accusé soit acquitté faute de témoins.

8.5L’auteur déclare qu’en attendant le procès il a dû quitter son foyer et son travail par crainte de représailles de la part de la police et qu’il vit grâce à la charité d’une organisation de défense des droits de l’homme. Il déclare aussi que le Comité contre la torture et le Rapporteur spécial sur la torture sont bien conscients de la situation extrêmement précaire des victimes de torture qui décident de demander justice devant les tribunaux de Sri Lanka. Ils ont invité l’État partie à accorder une protection aux victimes de torture car il n’existe pas de programme de protection des témoins dans cet État.

Délibérations du Comité

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les deux parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui réaffirme que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le Comité estime que le retard enregistré dans le règlement de l’affaire portée devant la Cour suprême et de l’affaire pénale a excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il est conforté dans cette opinion par le fait que les deux affaires, près d’un an et demi après le prononcé de la décision de recevabilité, demeurent en suspens.

9.3Concernant l’affaire quant au fond, le Comité relève que la procédure pénale contre l’un des coupables présumés est en instance à la Haute Cour depuis 2004, et que la suite à donner à la requête de l’auteur concernant la violation de ses droits fondamentaux devant la Cour suprême a été ajournée en attendant l’issue du procès en Haute Cour. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander à l’État partie d’engager des poursuites pénales contre un autre particulier. Il considère néanmoins que l’État partie a le devoir d’enquêter à fond sur les allégations de violation des droits de l’homme et celui de poursuivre et punir les personnes tenues responsables de ces violations.

9.4Le Comité relève que le retard apporté au traitement de la requête introduite par l’auteur devant la Cour suprême concernant la violation de ses droits fondamentaux est fonction de la conclusion du procès en Haute Cour; par conséquent, le retard apporté au traitement de l’affaire devant cette dernière est pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer si les droits de l’auteur en vertu du Pacte ont été violés. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur utilise actuellement les recours internes. Le Comité observe que l’enquête pénale a été ouverte par le procureur seulement plus de trois mois après l’incident, nonobstant le fait que l’auteur ait dû être hospitalisé, ait été inconscient pendant 15 jours et disposait d’un rapport médical décrivant ses blessures, rapport qui a été présenté au tribunal de première instance le 17 mai 2002. Les deux parties s’imputent mutuellement la responsabilité de certains retards dans le jugement de l’affaire, mais il semblerait qu’un délai insuffisant ait été prévu pour les audiences, étant donné les nombreuses comparutions intervenues sur une période de deux ans, depuis que les inculpations ont été notifiées (quatre ans après l’incident) et l’absence de progrès notable (déposition d’un seul témoin sur dix). L’argument concernant le volume de travail de la Haute Cour avancé par l’État partie ne le dispense pas d’honorer ses obligations découlant du Pacte. Le retard est encore aggravé par le fait que l’État partie n’a fixé aucun calendrier pour l’examen de l’affaire bien qu’il prétende que, sur instruction du procureur, l’avocat de l’accusation a demandé au juge d’accélérer la procédure.

9.5En vertu de l’article 2, paragraphe 3, l’État partie a l’obligation de garantir que les recours soient utiles. La rapidité et l’efficacité sont particulièrement importantes dans le jugement des affaires de torture. L’information générale fournie par l’État partie concernant le volume de travail des tribunaux internes semblerait indiquer qu’il ne sera pas statué avant un certain temps dans la procédure devant la Haute Cour et, partant, dans l’affaire devant la Cour suprême concernant la violation des droits fondamentaux de l’auteur. Le Comité estime que l’État partie ne saurait éluder ses responsabilités découlant du Pacte en faisant valoir que les tribunaux internes traitent l’affaire, alors que les recours invoqués par l’État partie ont été de toute évidence différés et sont, semble‑t‑il, inefficaces. Pour ces motifs, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte. Ayant constaté une violation de l’article 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 7, et étant donné que l’examen de l’affaire, pour ce qui touche à l’allégation de torture, est en instance devant la Haute Cour, le Comité n’estime pas nécessaire, dans la présente affaire, de trancher la question d’une éventuelle violation de l’article 7 du Pacte pris séparément.

9.6Quant à la plainte pour violation de l’article 9 (dans la mesure où elle se rapporte aux circonstances de son arrestation), le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté le fait que l’auteur a été arrêté illégalement, n’a pas été informé des motifs de son arrestation ni des chefs d’accusation retenus contre lui et n’a pas été déféré rapidement devant un juge, mais qu’il se contente de faire valoir que ces allégations ont été présentées par l’auteur dans l’action en violation de ses droits fondamentaux qui est toujours en instance devant la Cour suprême. Pour ces motifs, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 9, paragraphes 1, 2 et 3, pris séparément et en liaison avec l’article 2, paragraphe 3.

9.7Le Comité relève que l’État partie dément la plainte formulée au titre de l’article 9, paragraphe 1, selon laquelle il n’a pas pris de mesures suffisantes pour que l’auteur soit protégé et continue d’être protégé contre des menaces émanant de policiers, depuis l’introduction de sa requête en violation de ses droits fondamentaux. Le Comité observe que l’auteur affirme qu’il n’y a aucun programme de protection des témoins dans l’État partie et qu’il a dû se cacher par peur de représailles. Le Comité rappelle sa jurisprudence d’après laquelle l’article 9, paragraphe 1, du Pacte établit le droit de la personne à la sécurité même en dehors d’une privation formelle de liberté. L’interprétation de l’article 9 n’autorise pas un État partie à négliger des menaces contre la sécurité de personnes non détenues soumises à sa juridiction. En l’espèce, il semblerait que l’auteur ait été invité à plusieurs reprises à aller témoigner seul dans un commissariat de police et qu’il ait été victime de harcèlement et de pressions tendant à lui faire retirer sa plainte, dans une mesure telle qu’il est entré en clandestinité. L’État partie s’est contenté d’indiquer que l’auteur bénéficie d’une protection de police mais il n’a pas précisé si une enquête était en cours concernant la plainte de harcèlement et il ne donne aucune précision sur les modalités de la protection qu’il a assurée et qu’il continue d’assurer à l’auteur contre ce genre de menace. En outre, le responsable présumé n’a pas été arrêté. Dans ces conditions, le Comité conclut à la violation du droit de l’auteur à la sécurité de sa personne, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5, paragraphe 4, du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi révèlent des violations de l’article 2, paragraphe 3, en liaison avec l’article 7, de l’article 9, paragraphes 1, 2 et 3 (dans la mesure où ils se rapportent aux circonstances de son arrestation), seuls et en liaison avec l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte (dans la mesure où il se rapporte au droit à la sécurité de sa personne).

11.Le Comité estime que l’auteur a droit, en vertu de l’article 2, paragraphe 3 a), du Pacte, à un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures efficaces pour faire en sorte: a) que les procédures devant la Haute Cour et devant la Cour suprême soient rapidement menées à leur terme; b) que l’auteur soit protégé contre des menaces et/ou intimidations en rapport avec la procédure; c) que l’auteur reçoive une réparation concrète. L’État partie a l’obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe, dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

RR. Communication n o 1297/2004 , Medjoune c. Algérie (Constatations adoptées le 14 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Ali Medjnoune (représenté par un conseil, Rachid Mesli)

Au nom de:

Malik Medjnoune

État partie:

Algérie

Date de la communication:

11 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Appréhension et maintien en captivité, détention au secret, détention sans jugement

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à un procès équitable; droit à être informé sans délai de la nature de l’accusation; droit à être jugé sans retard excessif

Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1, 2, et 3), 10 (par. 1) et 14 (par. 3 a), c) et e))

Article du Protocole facultatif:

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1297/2004 présentée au nom de Malik Medjnoune en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 11 juin 2004, est M. Ali Medjnoune. Il présente la communication au nom de son fils Malik Medjnoune, né le 15 février 1974, de nationalité algérienne et actuellement détenu à la prison civile de Tizi‑Ouzou, Algérie. L’auteur indique que son fils est victime de violations par l’Algérie des articles 7, 9, paragraphes 1, 2, et 3, article 10, paragraphe 1, et article 14, paragraphes 3 a), c) et e), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil, Rachid Mesli. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que son fils a été enlevé le 28 septembre 1999, à 8 h 30 du matin, sur la voie publique, à environ 200 mètres de son domicile par trois personnes armées en civil (agents du Département du renseignement et de la sécurité (DRS)) à bord d’une Renault blanche. Ils l’ont menacé de leurs armes, tiré un coup de feu et l’ont embarqué de force devant des témoins. Il a d’abord été conduit dans une caserne militaire du centre ville de Tizi‑Ouzou, où il a subi des mauvais traitements, puis transporté dans le coffre arrière d’un véhicule jusqu’à une autre caserne militaire située à une centaine de kilomètres, le Centre «Antar» de Ben‑Aknoun (Alger), dépendant du DRS. Il a été confié au capitaine Z. et un collègue. Il y a été torturé pendant deux jours par les services de sécurité algériens: coups de manche de pioche sur toutes les parties du corps, supplice du «chiffon» qui consiste à introduire un chiffon dans la bouche de la victime puis à lui remplir l’estomac d’eau sale induisant ainsi une sensation d’étouffement et de noyade, torture à l’aide de décharges électriques sur toutes les parties du corps, etc.. Il y a aussi été questionné sur son séjour en prison (trois ans de 1993 à 1996), sur les personnes qu’il y a rencontrés et s’il a gardé des contacts avec eux, en particulier une personne qui s’était enfuie à l’étranger, et s’il avait l’intention lui‑même de partir à l’étranger.

2.2L’auteur indique qu’il a saisi le procureur général de Tizi‑Ouzou le 2 octobre 1999 d’une plainte concernant la disparition de son fils. Cette plainte a été enregistrée sous le numéro 99/PG/3906. L’auteur a été reçu par ce magistrat les 15 octobre et 8 novembre 1999, qui lui a affirmé tout ignorer de l’enlèvement. Il n’a cependant pas requis l’ouverture d’une information, comme la loi l’y obligeait vu la gravité du crime. Le fils de l’auteur indique qu’il a été présenté devant le procureur général le 4 mars 2000 en même temps qu’une autre personne (C. H.). Il a été présenté une deuxième fois devant le même procureur général le 6 mars 2000, toujours avec cette même personne. À l’issue de cette présentation, il a été reconduit dans les locaux du DRS à Ben‑Aknoun pour y être détenu pendant près de deux mois par le procureur général qui avait reçu la plainte de disparition le 2 octobre 1999. Ceci constitue au regard de la loi algérienne de crime et complicité de crime d’enlèvement et de séquestration, infraction prévue et punie par les articles 292, 293 et 293 bis du Code pénal. Pendant toute cette période, le fils de l’auteur a été détenu au secret dans des conditions particulièrement inhumaines, et ce, pendant 218 jours jusqu’au 2 mai 2000, date de sa présentation devant le juge d’instruction près le tribunal de Tizi‑Ouzou. L’auteur indique que la durée légale de la garde à vue, selon le Code de procédure pénale algérien, n’excède pas 12 jours. L’auteur indique que le 2 mai 2000, le juge d’instruction a inculpé son fils de complicité d’assassinat sur la personne du chanteur kabyle Matoub Lounès, d’appartenance à un groupe armé, et qu’il a été placé en détention provisoire.

2.3Sur la question des recours internes, l’auteur rappelle qu’il a déposé une plainte quant à la détention au secret de son fils, à laquelle le parquet général n’a pas donné suite, seul habilité à le faire. Quant à la détention sans jugement de son fils à la prison civile de Tizi‑Ouzou, depuis le 2 mai 2000, la législation interne dispose que la détention sans jugement ne saurait dépasser 16 mois répartis en quatre périodes de quatre mois chacune. Cette période de quatre mois renouvelée deux fois peut, exceptionnellement, être prolongée d’une période non renouvelable de quatre mois par la chambre d’accusation. À l’issue de cette période, l’inculpé doit être renvoyé devant la juridiction de jugement à sa plus proche session. En l’espèce, l’instruction de l’affaire ayant été close en avril 2001, l’affaire aurait dû être renvoyée à la session du mois de juin 2001, ce qui n’a pas été fait. Le fils de l’auteur a donc adressé une demande de mise en liberté provisoire à la chambre d’accusation conformément à l’article 128 du Code de procédure pénale, et qui a été rejetée le 6 août 2001 par la chambre d’accusation de la cour de Tizi‑Ouzou. Le fils de l’auteur a entrepris plusieurs autres demandes, en vain, la dernière étant rejetée le 28 décembre 2003. Dès lors, toutes les possibilités de recours internes ont été épuisées.

2.4L’auteur signale que l’affaire a été soumise à Amnesty International le 9 décembre 1999 et au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires en avril 2000.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que Malik Medjnoune est victime d’une violation de l’article 7 du Pacte, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 3 a), c) et e) de l’article 14 du Pacte. Ses droits les plus élémentaires ont été violés, notamment son droit à la liberté, à être informé au moment de son arrestation, à être traduit sans délai devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, de contester la légalité de sa détention, d’être jugé dans un délai raisonnable et enfin celui d’être soumis à des conditions humaines de détention et de ne pas être soumis à la torture.

3.2Quant aux allégations relatives à l’article 7, le conseil rappelle qu’il est incontestable que M. Medjnoune a été enlevé par les services de sécurité algériens le 28 septembre 1999, qu’il a été détenu au secret et torturé. Il indique que la détention au secret dans un lieu de détention non reconnu, sans le moindre contact avec le monde extérieur durant une période prolongée, est considérée en soi comme un acte de torture, et que le traitement cruel et inhumain dont le fils de l’auteur a fait l’objet constitue une violation des articles 7 et 10 du Pacte.

3.3Quant à l’article 9, il est rappelé que l’enlèvement et la détention de Malik Medjnoune pendant près de huit mois ne sont ni conformes aux règles internes de fond ni aux règles de procédure et constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 9. De plus, en violation du paragraphe 2 de l’article 9, le fils de l’auteur n’a pas été informé des faits ni des raisons de son enlèvement, ni des accusations portées contre lui, jusqu’à sa présentation au juge d’instruction huit mois plus tard. Quant aux allégations de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le fils de l’auteur n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge, et a été détenu arbitrairement. Le procureur général a refusé de déférer M. Medjnoune devant un juge d’instruction et l’a renvoyé aux services de sécurité. De plus, la détention actuelle du fils de l’auteur depuis plus de quatre ans après sa présentation au juge d’instruction le 2 mai 2000 constitue une violation du paragraphe 3, article 9, du Pacte. Enfin, le conseil rappelle que la détention au secret de M. Medjnoune a été faite dans des conditions totalement inhumaines pendant près de huit mois au cours desquels il a subi les pires tortures et sévices.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par note verbale du 28 décembre 2004, l’État partie précise que, dans le cadre de l’affaire relative à l’assassinat de Matoub Lounès, une information judiciaire avait été ouverte le 30 juin 1998 contre X devant le juge d’instruction de Tizi‑Ouzou. Après des investigations qui ont duré plusieurs mois et par suite notamment de renseignements fournis par un ancien terroriste repenti, l’affaire a abouti à l’arrestation et la présentation devant la justice de plusieurs personnes, dont Malik Medjnoune, qui a été inculpé d’appartenance à une organisation terroriste et assassinat. L’information judiciaire terminée, le juge d’instruction a ordonné le 2 décembre 2000 la transmission des pièces au procureur général qui a requis le renvoi de Malik Medjnoune et ses coauteurs devant la chambre d’accusation de la cour de Tizi‑Ouzou. Le 10 décembre 2000, cette dernière a rendu à l’encontre des inculpés un arrêt de mise en accusation et de renvoi devant le tribunal criminel près la même cour, des chefs d’appartenance à organisation terroriste et assassinat, faits prévus par les articles 87 bis et 255 et suivants du Code pénal. Cet arrêt a été frappé d’un pourvoi en cassation par les inculpés devant la Cour suprême, qui a rejeté leur pourvoi en date du 10 avril 2001. L’audition de l’affaire a alors été fixée pour le 5 mai 2001 devant le tribunal de Tizi‑Ouzou, qui l’a renvoyée à une date ultérieure, les incidents qu’a vécu la région ne permettant pas à la justice de juger cette affaire dans les conditions de sérénité requises dans une telle procédure. L’affaire devrait donc être soumise incessamment devant le tribunal criminel de Tizi‑Ouzou pour y être jugée, conformément à la loi.

4.2L’État partie précise que, s’agissant des allégations de détention arbitraire au cours de la garde à vue et de mauvais traitements subis au cours de celle‑ci, rien dans la requête ni dans les documents présentés ne permettent d’étayer ces allégations, et qu’elles doivent donc être rejetées. S’agissant de l’allégation de violation des dispositions relatives à la détention de Malik Medjnoune, les dispositions 125 et suivantes du Code de procédure pénale concernent la détention provisoire durant la phase d’information judiciaire et non durant la phase postérieure à cette dernière. Or, Malik Medjnoune n’est plus dans cette phase depuis l’arrêt du 10 décembre 2000 ordonnant sa mise en accusation devant le tribunal criminel. Le tribunal criminel a décidé de renvoyer l’affaire à une date ultérieure, sur la base de l’article 278 du Code de procédure pénale qui stipule «le Président du Tribunal criminel, peut soit d’office, soit sur les réquisitions du ministère public, ordonner le renvoi à une session ultérieure des affaires qui ne lui paraissent pas en état d’être jugées au cours de la session au rôle de laquelle elles sont inscrites». La requête doit donc être rejetée comme étant infondée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 janvier 2005, le conseil de l’auteur relève tout d’abord que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication, et qu’il convient donc de la déclarer recevable en la forme pour avoir épuisé toutes les voies de recours internes et en l’absence de constatations pertinentes de l’État partie. Sur les faits, il fait valoir que les arguments de l’État partie sur le non‑étayement de la détention arbitraire et des mauvais traitements subis ne sauraient être sérieusement pris en compte car l’État partie ne conteste ni l’enlèvement, ni la durée et le lieu de la détention au secret, ni la plainte déposée par l’auteur, ni la communication enregistrée au Groupe de travail sur les disparitions forcées. On ne saurait donc raisonnablement faire doute que Malik Medjnoune a subi des tortures et des mauvais traitements pendant sa détention au secret, pratique largement établie dans l’État partie et régulièrement rapportée par le Rapporteur spécial ainsi que par des ONG de défense des droits de l’homme. Enfin, le conseil fait valoir que la seule détention au secret pendant 218 jours, sans le moindre contact avec le monde extérieur, constitue un acte de torture.

5.2Quant à la détention actuelle de Malik Medjnoune, le conseil indique que l’État partie reconnaît que l’instruction de l’affaire est terminée depuis le 2 décembre 2000 et que l’audience de jugement a été fixée au 5 mai 2001, mais que l’État partie fait valoir que M. Medjnoune ne serait plus en détention provisoire depuis le 10 décembre 2000. Son maintien en détention serait conforme à l’article 278 du Code de procédure pénale, provision qui, ainsi interprétée, autoriserait à maintenir indéfiniment en détention toute personne dont l’instruction serait terminée mais dont l’audience de jugement n’aurait pas encore été fixée par le ministère public au motif qu’il lui plaira d’invoquer. Une telle interprétation conduirait, d’après le conseil, à une violation évidente du droit à la liberté de la personne, tel que protégé par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Bien que l’article 279 du même Code de procédure pénale dispose que «toute affaire en état d’être jugée doit être soumise au tribunal à sa plus prochaine session», la pratique judiciaire algérienne admet que c’est au seul ministère public que revient l’opportunité d’inscrire une affaire au rôle de la session du tribunal criminel. D’après le conseil, il convient d’enjoindre à l’État partie de mettre sa législation pénale en conformité avec le Pacte en fixant notamment un délai légal de détention maximum entre la date de l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation et la date de l’audience de jugement. Il apparaît évident que le délai de jugement du fils de l’auteur ne saurait être considéré comme un délai raisonnable.

5.3Les 1er et 3 février 2006, le conseil de l’auteur fournit copie du dernier arrêt de la chambre d’accusation de Tizi‑Ouzou du 19 septembre 2005, qui refuse une nouvelle fois d’accorder la liberté provisoire à Malik Medjnoune, après plus de six années de détention provisoire. Cette décision est motivée par l’article 123 du Code de procédure pénale. Selon la chambre d’accusation, la détention dans le cas d’espèce «serait encore nécessaire et sa libération risquerait d’entraver la manifestation de la vérité», alors même que l’instruction est terminée depuis plus de cinq ans et qu’elle a été clôturée d’un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi‑Ouzou rendu par cette même chambre d’accusation le 10 décembre 2000. Cette même juridiction se garde cependant de demander au parquet général de fixer une date pour l’audience du jugement. Le conseil indique enfin que le fils de l’auteur continu à faire l’objet de menaces de la part des autorités algériennes pour retirer sa communication, et qu’il est sommé de désister pour espérer être jugé.

Réponse de l’État partie aux commentaires de l’auteur

6.Par note verbale du 23 mai 2006, l’État partie réitère que la détention de M. Medjnoune n’est pas arbitraire, car les dispositions de l’article 125 et suivants du Code pénal concernent la détention provisoire durant la phase de l’information judiciaire et non durant la phase postérieure à cette dernière. Le dossier de M. Medjnoune se trouve actuellement au niveau du tribunal criminel qui a décidé de son renvoi à une date ultérieure, conformément à l’article 278 du Code de procédure pénale. Il précise que dans l’attente d’un procès l’accusé peut à tout moment présenter une demande de liberté provisoire devant la chambre d’accusation, ce que M. Medjnoune a fait. Quant au rejet de sa dernière demande, on ne saurait discuter de la pertinence de la décision, cette juridiction étant parfaitement souveraine dans son appréciation des faits de la cause et de l’opportunité de faire droit ou non à une demande présentée devant elle par un prévenu. Il précise que l’affaire doit revenir incessamment au rôle du tribunal criminel pour y être jugé. Par ailleurs, M. Medjnoune pourrait, s’il réunit les conditions légales, bénéficier de l’ordonnance no 06‑01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Dans ce cas, il pourrait bénéficier, soit de l’extinction de l’action publique avant d’avoir été jugé, soit de la grâce ou la commutation ou la remise de peine dans le cas où il serait jugé et condamné. La mise en œuvre de cette ordonnance est actuellement en cours. Enfin, l’État partie note que l’allégation de pressions subies par M. Medjnoune pour retirer sa communication ne peut être prise en considération tant elle est imprécise et vide de sens. Il se contente d’une simple affirmation, sans autre précision, ni sur la nature des pressions ni sur les «autorités algériennes» qui lui font subir ces pressions.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Sur la question de l’épuisement des recours internes, le Comité relève, quant à la détention au secret du fils de l’auteur par les services de sécurité algériens du 28 septembre 1999 au 2 mai 2000, qu’une plainte a été enregistrée le 2 octobre 1999, à laquelle le parquet général n’a donné aucune suite, alors qu’il était seul habilité à le faire. Quant à la détention sans jugement du fils de l’auteur depuis le 2 mai 2000, ce dernier a adressé plusieurs demandes de mise en liberté provisoire, qui ont toutes été rejetées, sans qu’il ne soit, jusqu’à ce jour, jugé. Dès lors, le Comité considère que l’application des recours internes a été excessivement longue. Il estime donc que l’auteur a satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3, de l’article 9, et du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité relève que l’auteur a présenté des allégations précises sur l’appréhension de son fils, son maintien en détention secrète, ses conditions d’incarcération, et sur les mauvais traitements qu’il aurait subis. Au lieu de répondre aux diverses allégations, l’État partie se borne à dire qu’elles ne sont pas étayées. Le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer les plaintes portées en vertu de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3, de l’article 9, et du paragraphe 1 de l’article 10, aux fins de la recevabilité. De même, le Comité considère que les plaintes portées au titre des paragraphes 3 a) et c) de l’article 14 ont été suffisamment étayées. En ce qui concerne la plainte portée au titre du paragraphe 3 e) de l’article 14, le Comité note que le fils de l’auteur n’a pas encore été porté devant un juge pour répondre des chefs d’accusation. Dès lors, il considère que cette plainte est incompatible ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Il conclut donc que la communication est recevable au titre de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphe 3 a) et c) de l’article 14, et procède à leur examen sur le fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2En ce qui concerne le grief de la détention au secret, le Comité relève que l’auteur affirme que son fils a été arrêté le 28 septembre 1999 et a disparu jusqu’au 2 mai 2000. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l’auteur.

8.3Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

8.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité sait quelle souffrance représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son Observation générale no 20 (44) relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’appréhension et le maintien en captivité du fils de l’auteur, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte. De plus, les circonstances entourant l’appréhension et le maintien en captivité de Malik Medjnoune et son témoignage de mai 2000 attestant qu’il a été à plusieurs reprises torturé, donnent fortement à penser qu’il a été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de contredire cette allégation. Le Comité conclut que le traitement auquel a été soumis Malik Medjnoune constitue une violation de l’article 7.

8.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, paragraphe 1, il ressort des informations devant le Comité que Malik Medjnoune a été emmené par des agents de l’État partie venus le chercher devant chez lui. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur les allégations de l’auteur qui affirme que l’arrestation et la détention de son fils ont été arbitraires ou illégales et qu’il a été détenu au secret jusqu’au 2 mai 2000, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

8.6En ce qui concerne l’allégation de violations du paragraphe 2 de l’article 9 et du paragraphe 3 a) de l’article 14, le Comité rappelle que ces dispositions garantissent à tout individu arrêté d’être informé au moment de son arrestation des raisons de son arrestation et de recevoir notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. Le Comité note que M. Medjnoune a été arrêté le 28 septembre 1999, fait non démenti par l’État partie, et qu’il a été détenu au secret pendant 218 jours, fait non démenti par l’État partie. Il note également que le conseil fait valoir que M. Medjnoune n’a pas été informé dans le plus court délai des motifs de son arrestation. L’État partie n’a pas réfuté cette allégation. En l’absence d’information de l’État partie établissant que l’auteur a été informé dans le plus court délai des motifs de son arrestation, force est au Comité de s’en remettre à la déclaration de l’auteur selon laquelle son fils n’a été informé des raisons de son arrestation que lorsqu’il a comparu le 2 mai 2000 devant le juge d’instruction. Ce délai est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 9 et le paragraphe 3 a) de l’article 14 et, en l’espèce, le Comité conclut à une violation de ces dispositions.

8.7Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité rappelle que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que le délai ne doit pas dépasser quelques jours, et que la détention au secret en elle‑même peut constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9. Il prend note du témoignage du fils de l’auteur qui indique qu’il a été présenté au procureur général les 4 et 6 mars 2000, ainsi que de l’argument de l’auteur selon lequel son fils a été détenu au secret pendant 218 jours jusqu’à sa présentation au juge d’instruction le 2 mai 2000, et qu’il attend depuis près de six ans d’être jugé. Le Comité estime qu’une détention avant jugement d’une durée supérieure à cinq ans constitue, dans le cas de l’auteur, et en l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie ou de tout autre fait justificatif ressortant du dossier, une violation du droit énoncé au paragraphe 3 de l’article 9.

8.8À la lumière des conclusions ci‑dessus, le Comité n’a pas à examiner les allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 10 du Pacte.

8.9Le Comité note que M. Medjnoune reste en détention et en attente de jugement. Il note que d’après l’État partie, l’information judiciaire dans l’affaire est terminée depuis le 10 décembre 2000, et que l’audience de l’affaire était fixée pour le 5 mai 2001, mais qu’elle a été depuis renvoyée à une date ultérieure. À ce jour, soit près de sept ans après le début des investigations et plus de cinq ans après le premier renvoi de l’affaire, le fils de l’auteur est toujours en prison, et attend d’être jugé. Pour ce qui est de la durée excessive avant le procès, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, «une personne inculpée d’un crime grave, homicide ou meurtre par exemple à qui la libération sous caution a été refusée par le tribunal, doit être jugée aussi rapidement que possible». Dans le cas d’espèce, vu que le fils de l’auteur a été arrêté le 28 septembre 1999 et inculpé le 2 mai 2000 de complicité d’assassinat, entre autres, le Comité considère qu’il aurait fallu avancer des motifs sérieux pour justifier une détention de près de six ans sans procès ni jugement. L’État partie a indiqué que les incidents qu’a vécus la région ne permettent pas à la justice de juger cette affaire dans les conditions de sérénité requises dans une telle procédure. Il a également informé le Comité le 28 décembre 2004 que l’affaire devait être soumise incessamment devant le tribunal criminel de Tizi‑Ouzou pour y être jugée. Cependant, près de 18 mois ont passé depuis, sans que M. Medjnoune ne soit jugé. Dans ces conditions, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 3 c) de l’article 14 ont été violés.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 et des paragraphes 3 a) et c) de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile, consistant notamment à amener Malik Medjnoune immédiatement devant un juge pour répondre des chefs d’accusation ou le remettre en liberté, de mener une enquête approfondie et diligente sur la détention au secret et les traitements subis par Malik Medjnoune depuis le 28 septembre 1999, et d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, en particulier des mauvais traitements infligés. L’État partie est également tenu d’indemniser de façon appropriée Malik Medjnoune pour les violations subies. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

SS. Communication n o  1298/2004 , Becerra c. Colombie (Constatations adoptées le 11 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Manuel Francisco Becerra Barney (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

11 avril 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Jugement et condamnation d’une personne impliquée dans le financement illégal d’une campagne présidentielle

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes, grief insuffisamment fondé

Questions de fond: Violation du droit aux garanties d’une procédure régulière

Articles du Pacte: 2 et 14

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1298/2004 présentée au nom de M. Manuel Becerra Barney en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, en date du 11 avril 2003, est Manuel Francisco Becerra Barney, de nationalité colombienne, né en 1951. Il se déclare victime d’une violation par la Colombie des paragraphes 1 et 3 a) et c) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 14. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 29 janvier 1970.

Exposé des faits

2.1L’auteur a été Ministre de l’éducation en Colombie et exerçait la fonction de Contrôleur général de la République à l’époque des faits. Après l’élection présidentielle de 1994, le ministère public colombien (Fiscalía General) a ouvert une série d’enquêtes sur le financement de la campagne électorale du candidat élu, Ernesto Samper Pizano, qui aurait été assuré par des fonds provenant du trafic de drogues, plus précisément par des dons présumés de membres du «cartel de Cali». Ces enquêtes, qui visaient pour la plupart des ministres et des députés, ont débouché sur ce que l’on a appelé le «procès 8000». Dans le cadre de ces enquêtes, une perquisition a été effectuée dans les bureaux d’un Chilien, Guillermo Alejandro Pallomari González, principal responsable des questions de financement du cartel de Cali, et des registres ont été saisis et les opérations comptables de l’organisation ont été mises au jour. Interrogé, Guillermo Pallomari a accusé l’auteur d’avoir été impliqué dans le financement illégal de la campagne présidentielle d’Ernesto Samper.

2.2Le 31 janvier 1996, l’auteur a été arrêté sur ordre de la Fiscalía General. Il raconte qu’il a été interrogé devant une glace sans tain, sans avoir jamais pu voir les personnes qui l’interrogeaient. Au terme de l’enquête, le dossier a été transmis au procureur compétent. Par une décision du 26 septembre 1996, le procureur a mis l’auteur en accusation pour «enrichissement illicite de particuliers au bénéfice de tiers», au motif qu’il avait reçu de l’argent provenant du trafic de drogues pour financer la campagne électorale du candidat à la présidence qui allait être élu et a ordonné la saisie de certains de ses biens immeubles.

2.3Le 22 août 1997, par une décision collective, le tribunal régional de Cali, formé de «juges sans visage», a déclaré l’auteur coupable d’enrichissement illicite de particuliers au bénéfice de tiers et l’a condamné à une peine de 5 ans et 10 mois d’emprisonnement, assortie d’une amende de 300 millions de pesos colombiens (environ 125 000 dollars des États‑Unis) − montant équivalant à la somme qu’il aurait reçue illégalement − et d’une mesure d’incapacité l’empêchant d’exercer des fonctions ou des responsabilités publiques jusqu’à l’extinction de la peine. L’auteur affirme que le procès, tenu à Cali, s’est déroulé à huis clos et qu’il n’a jamais été présent lui‑même ni représenté aux audiences, vu qu’il était détenu à 550 km de là, à Bogota. Il ajoute que si la déposition du témoin à charge, Guillermo Pallomari, a constitué le principal élément de preuve retenu pendant l’instruction, cette déposition n’a ensuite jamais été produite et son avocat n’a donc jamais pu interroger celui qui l’avait mis en cause. L’auteur affirme que l’identité du juge qui l’a condamné a toujours été maintenue secrète.

2.4L’auteur a fait appel de la condamnation devant le Tribunal national pour vices de forme, faisant valoir en particulier que la décision avait été fondée sur la déposition d’un témoin qui n’avait pas déclaré sous serment et que ni le principe de la contradiction ni les droits de la défense n’avaient été respectés. L’auteur affirme que le Tribunal national était lui aussi formé de «juges sans visage» et que le procès, auquel ni son avocat ni lui‑même n’ont assisté, n’était pas public. Le 24 juillet 1998, le Tribunal national a débouté l’auteur et a porté à sept ans d’emprisonnement la peine prononcée en première instance. Selon l’auteur, cette mesure est contraire au principe de l’interdiction de la reformatio in pejus consacré à l’article 31 de la Constitution de la Colombie, lequel interdit d’aggraver une peine prononcée en première instance lorsque le condamné est le seul appelant, comme c’était le cas en l’espèce.

2.5L’auteur s’est pourvu en cassation, invoquant de nouveau des vices de forme ainsi que la violation du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus. La chambre pénale de cassation de la Cour suprême l’a débouté le 2 octobre 2001.

2.6Le 19 novembre 2001, l’auteur a introduit un recours en protection constitutionnelle (tutela) devant la Cour constitutionnelle pour contester les décisions rendues en appel et en cassation, en invoquant la violation du droit à une procédure régulière, à l’égalité devant les tribunaux et à l’accès à la justice. Le 3 décembre 2001, la chambre disciplinaire du Conseil départemental de la magistrature de Cundinamarca a fait droit à ce recours et a infirmé la décision de la Cour suprême, estimant qu’il y avait eu violation de l’interdiction d’aggraver la peine lorsque le condamné est le seul appelant. Le tribunal de Cali a été sommé de renvoyer le dossier, dans un délai de 48 heures, à la chambre pénale de cassation de la Cour suprême, afin que celle‑ci statue de nouveau en respectant pleinement le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus.

2.7Par une décision du 19 mars 2002, la Cour suprême a refusé d’exécuter l’ordre donné, faisant valoir qu’étant la plus haute juridiction ordinaire, ses propres arrêts avaient force de chose jugée et ne pouvaient donc pas faire l’objet d’un recours en protection constitutionnelle. L’auteur souligne que c’était la première fois que la Cour suprême refusait d’exécuter une décision rendue dans le cadre d’un recours en protection, sa pratique ayant jusqu’alors consisté au contraire, dans des affaires analogues, à toujours respecter les décisions de la Cour constitutionnelle. Il fait observer que ce refus a déclenché un nouveau «combat des éléphants», nom donné à la lutte de pouvoirs − en particulier entre la Cour suprême et la Cour constitutionnelle − exacerbée depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution en juillet 1991.

2.8Le 17 mai 2002, le Conseil départemental de la magistrature s’est déclaré incompétent pour connaître du recours pour inexécution de la décision de tutela formé par l’auteur contre la chambre pénale de cassation de la Cour suprême, et a renvoyé la plainte disciplinaire à la Chambre des représentants du Parlement. La commission des accusations de la Chambre des représentants ne s’est pas encore prononcée sur les sanctions éventuelles à prendre contre les juges de la chambre pénale de cassation de la Cour suprême qui ont refusé d’exécuter la décision faisant droit au recours en protection constitutionnelle.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 14 du Pacte du fait qu’il a été condamné en première et en deuxième instance par des «juges sans visage», à l’issue de procès menés à huis clos, sans qu’il puisse faire entendre sa cause publiquement, ni se défendre et interroger le témoin à charge.

3.2Il invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte parce que la Cour suprême a fait preuve à son égard de discrimination en refusant d’exécuter la décision rendue en sa faveur à l’issue du recours en protection constitutionnelle, s’écartant ainsi de la pratique qu’elle avait suivie jusqu’alors dans des affaires analogues.

3.3Enfin, l’auteur invoque une violation des alinéas a et c du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte du fait que la Cour suprême n’a pas exécuté la décision rendue au sujet du recours en protection, ce qui a compromis l’exercice d’un recours utile face à la violation des droits garantis par le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations en date du 1er novembre 2005, l’État partie note que la Chambre des représentants du Parlement ne s’est pas encore prononcée sur la plainte pour inexécution de la décision d’appel que l’auteur a déposée contre la chambre pénale de cassation de la Cour suprême. L’État partie ajoute qu’un juge de cette cour a formé à son tour devant le Conseil départemental de la magistrature de Cundinamarca un recours contre la décision que celui‑ci avait rendue sur le recours en protection; le Conseil départemental de la magistrature n’ayant pas encore statué à ce sujet, la décision de la Cour constitutionnelle n’a pas encore pleinement produit ses effets. L’État partie affirme que les recours internes n’ont donc pas été épuisés et que la communication doit par conséquent être déclarée irrecevable.

4.2L’État partie affirme également que les griefs de l’auteur ne sont pas suffisamment fondés sur un préjudice susceptible d’être considéré comme une violation des droits de l’homme reconnus par le Pacte, de sorte que sa plainte est irrecevable.

4.3Pour ce qui est du fond, l’État partie relève que le Comité n’est pas compétent pour établir l’existence d’une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte étant donné que ces dispositions concernent un engagement général pris par l’État partie en signant le Pacte, qui ne crée aucun droit spécifique susceptible d’être invoqué isolément par les particuliers.

4.4En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 14, l’État partie affirme qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour établir l’existence d’une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux, puisque l’auteur n’a produit aucun élément donnant à penser que la Cour suprême ait traité le cas d’espèce différemment d’autres recours en protection de même nature. Il s’ensuit que les griefs de l’auteur sont dénués de fondement.

4.5En ce qui concerne le grief de violation du droit de faire entendre sa cause publiquement et avec toutes les garanties requises, l’État partie renvoie à l’arrêt C‑040 rendu par la Cour constitutionnelle en 1997 au sujet de la légalité des procès tenus devant les «juridictions régionales» en place à l’époque des faits, comme celui de l’auteur. L’État partie relève que la Cour constitutionnelle avait alors estimé qu’une audience publique n’était pas une condition exigée par la Constitution pour les procès, et qu’elle n’était ni nécessaire ni obligatoire. Le législateur était par conséquent autorisé à supprimer cette étape du procès, comme il l’a fait en adoptant à l’époque des règles relatives aux «juridictions d’ordre public», dont les juges bénéficiaient de l’anonymat. L’État partie indique que selon l’interprétation de la Cour constitutionnelle l’expression «être présent» signifie non pas que l’accusé doive nécessairement être physiquement présent aux audiences mais qu’il puisse intervenir dans le procès afin d’exercer les droits de la défense. L’État partie ajoute enfin que l’avocat de l’auteur a assisté à certains actes de procédure en première et en deuxième instance, de sorte que les droits de la défense ont été garantis.

5.1Dans ses commentaires en date du 4 janvier 2006, l’auteur indique qu’il a engagé 10 procédures depuis sa condamnation en 1996 (il y a 10 ans), dont tous les recours ordinaires et extraordinaires qui lui étaient ouverts, et que l’État partie ne peut pas prétendre que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait observer que la plainte pour inexécution de la décision n’est pas un recours interne mais une action disciplinaire contre les juges qui ne respectent pas le droit à la protection constitutionnelle, et qu’elle aboutirait uniquement à prendre des sanctions contre ces juges.

5.2L’auteur nie que son avocat ait été entendu, comme l’affirme l’État partie, lors des procès en première et en deuxième instance. Il réaffirme que les deux procès se sont déroulés à huis clos, sans aucune audience publique, et qu’à aucun moment l’auteur ou son avocat n’a été autorisé à s’exprimer oralement ni même à être présent; cela est d’autant plus vrai que, dans les deux cas, l’anonymat des juges qui ont rendu le verdict a été préservé. L’auteur souligne la contradiction dans les affirmations de l’État partie qui, d’une part, reconnaît et justifie la pratique des procès à huis clos et, d’autre part, finit par dire que l’avocat de l’auteur a bien été entendu. L’auteur maintient ses allégations à ce sujet et réaffirme que sa défense a toujours été présentée par écrit, qu’il a toujours ignoré l’identité des juges et que son avocat n’a jamais pu interroger le témoin à charge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie affirme que la Chambre des représentants est saisie d’une plainte d’outrage à magistrat contre les juges de la chambre pénale de cassation de la Cour suprême. Le Comité relève cependant que, d’après l’auteur, cette plainte est une action disciplinaire contre les juges concernés, et non un recours qui lui permettrait d’obtenir un réexamen de l’affaire. En conséquence, l’État partie ne saurait prétendre que l’auteur doit attendre la décision à ce sujet de la Chambre des représentants du Parlement avant de soumettre son cas au Comité au titre du Protocole facultatif, en particulier compte tenu du fait que la plainte en question a été déposée à la Chambre des représentants il y a quatre ans et qu’elle ne constitue pas un recours utile susceptible de permettre le réexamen du dossier de l’auteur.

6.4Le Comité note également que l’État partie affirme qu’un juge de la Cour suprême a fait appel contre la décision de tutela, ce qui signifierait que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le Comité relève que c’est précisément cette décision favorable à l’auteur qui n’a pas été exécutée par la Cour suprême. C’est pourquoi le recours interjeté contre cette décision n’aurait pas pour effet d’offrir à l’auteur un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme avoir été jugé et condamné en première et en deuxième instance par des tribunaux formés de «juges sans visage», sans bénéficier du droit, en particulier, à une audience publique et à un débat contradictoire, sans avoir le droit d’être présent et de se défendre à l’audience, directement ou par l’intermédiaire de son avocat, et sans avoir la possibilité d’interroger le témoin à charge. Le Comité rappelle que pour respecter les droits de la défense garantis au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, il faut que l’accusé dans tout procès pénal bénéficie d’une procédure orale où il puisse comparaître en personne ou être représenté par un avocat, produire les éléments de preuve qu’il juge pertinents et interroger les témoins. Étant donné que l’auteur n’a pas eu cette possibilité pendant les procédures qui ont abouti à sa condamnation et au prononcé de la peine, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable qui lui est reconnu par l’article 14 du Pacte.

7.3À la lumière des conclusions ci‑dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile ainsi qu’une réparation appropriée.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

TT. Communication n o  1314/2004 , O’Neill et Quinn c. Irlande (Constatations adoptées le 24 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Michael O’Neill et John Quinn (représenté par un conseil, M. Michael Farrell)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Irlande

Date de la communication:

14 septembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Discrimination exercée par l’Exécutif dans le cadre de la mise en œuvre d’un régime de libération anticipée de prisonniers

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Articles du Pacte: 9 (par. 1), 14 (par. 1), 26 et 2 (par. 1 et 3)

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1314/2004 présentée par Michael O’Neill et John Quinn en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Michael O’Neill et John Quinn, de nationalité irlandaise, nés le premier le 10 février 1951, le second le 8 novembre 1967. Ils affirment être victimes de violation par l’Irlande de leurs droits au titre de l’article 2, paragraphes 1 et 3, de l’article 9, paragraphe 1, de l’article 14, paragraphe 1 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Irlande le 8 mars 1990. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Michael Farrell, avocat.

Exposé des faits

2.1Le 3 février 1999, Michael O’Neill a été condamné par le Tribunal pénal spécial pour le meurtre d’un policier (Garda), le détective Garda Jerry McCabe (ci‑après dénommé le «Garda McCabe»), blessures volontaires sur la personne d’un autre policier, et possession d’armes à feu dans l’intention de commettre une infraction. Ces infractions se sont produites au cours du vol d’un fourgon postal survenu à Adare, comté de Limerick (Irlande) le 7 juin 1996. M. O’Neill a plaidé coupable et a été condamné à 11 ans de prison pour homicide et à deux peines de prison de cinq ans pour les autres chefs d’inculpation, avec confusion des peines. Les peines avaient été prononcées en février 1999, alors qu’il était en garde à vue depuis le 20 juin 1996, et sa libération avec remise de peine était prévue pour le 17 mai 2007.

2.2En février 1999, M. Quinn a plaidé coupable et a été condamné pour conspiration dans le vol qualifié ci‑dessus par le Tribunal pénal spécial à une peine de six ans de prison. Il a été libéré le 8 août 2003, après avoir purgé sa peine selon les procédures normales. Trois autres personnes ont été reconnues coupables de l’homicide du Garda McCabe, de blessures volontaires sur la personne de l’autre policier et de détention d’armes à feu avec intention de commettre un délit. Elles ont été condamnées à des peines de prison de 12 à 14 ans.

2.3La tentative de vol était commanditée par l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), organisation paramilitaire illégale impliquée dans le conflit armé d’Irlande du Nord, dont les activités s’étendaient souvent à la Grande‑Bretagne et à l’État partie. L’IRA provisoire a d’abord démenti le vol et l’assassinat, pour les reconnaître ensuite. Les cinq personnes déclarées coupables ont été reconnues par les autorités pénitentiaires irlandaises et par le Ministère de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique (ci‑après dénommé «le Ministère de la justice») comme appartenant à l’IRA provisoire et ont été détenues dans un quartier séparé de la prison réservé à cette catégorie de prisonniers.

L’Accord du vendredi saint et le régime de libération des prisonniers

2.4L’Irlande du Nord était déchirée depuis le début des années 70 par un conflit interne d’une extrême violence. En août 1994, l’IRA provisoire avait déclaré un cessez‑le‑feu, suivi de déclarations allant dans le même sens de la part de groupes paramilitaires loyalistes, c’est‑à‑dire les groupes qui étaient en faveur du maintien des liens entre l’Irlande du Nord et le Royaume‑Uni. L’IRA a repris son cycle de violences en février 1996; c’est à cette époque‑là que le délit en question a été commis. Un cessez‑le‑feu a été proclamé en septembre 1997, et il est toujours en vigueur.

2.5Le 10 avril 1998, un accord international formel a été conclu entre le Gouvernement du Royaume‑Uni et le Gouvernement irlandais (l’Accord irlando‑britannique) de même qu’un accord politique entre les deux gouvernements et les divers partis politiques (l’Accord multipartite). Aux termes du premier accord, les deux gouvernements s’engagent notamment en vertu du droit international «à adhérer à l’Accord multipartite et, le cas échéant, à le mettre en œuvre». Ce double accord, qui porte le nom officiel d’«Accord issu des négociations multipartites», est généralement connu sous le nom d’«Accord du vendredi saint».

2.6Dans une section de l’Accord du vendredi saint intitulée «Prisonniers» il était prévu que le Gouvernement du Royaume‑Uni et le Gouvernement irlandais mettraient en place des mécanismes en vue de la libération anticipée des prisonniers déclarés coupables de «délits définis par la loi» («scheduled offences») commis en Irlande du Nord ou de délits analogues commis ailleurs. Les «délits définis par la loi» étaient des délits commis par des groupes paramilitaires impliqués dans le conflit d’Irlande du Nord ou en leur nom. Les prisonniers appartenant à des groupes qui ne respectaient pas un cessez‑le‑feu complet et sans équivoque ne seraient pas admis au bénéfice des dispositions concernant la libération anticipée. Il était prévu dans l’Accord du vendredi saint que tous les prisonniers remplissant les conditions requises seraient libérés deux ans après le début du programme, voire avant.

2.7La mise en œuvre du régime de libération des prisonniers dans l’État partie relevait de la loi de 1998 sur la justice pénale (libération des prisonniers) (ci‑après dénommée «la loi de 1998»). La loi de 1998 ne conférait pas au Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique (ci‑après dénommé «le Ministre de la justice») de nouveaux pouvoirs en matière de libération. Les libérations devaient se faire dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires existants (art. 33 de la loi sur les infractions contre l’État de 1939, voir par. 4.3), mais la loi prévoyait la création d’une commission appelée à donner des avis au Ministre de la justice au sujet de la libération des prisonniers en vertu de l’Accord du vendredi saint. Toutefois, la loi prévoyait que la Commission ne pouvait donner d’avis au Ministre que pour les prisonniers qu’il avait déjà désignés en tant que «prisonniers remplissant les conditions requises au sens de l’Accord du vendredi saint». En conséquence, la libération d’un prisonnier au titre du régime considéré dépendait au premier chef de la décision visant à déterminer si l’intéressé était ou non un «prisonnier remplissant les conditions requises». Le régime de libération a débuté le 28 juillet 1998. Dans une déclaration conjointe publiée le 5 mai 2000, le Premier Ministre du Royaume‑Uni et le Premier Ministre irlandais ont déclaré: «Conformément à l’Accord du vendredi saint, il est entendu que tous les prisonniers remplissant les conditions requises en vue d’une libération anticipée qui n’ont pas encore été libérés le seront d’ici au 28 juillet 2000.». Les chiffres publiés par les deux gouvernements le 14 juillet 2001 confirmaient que 444 prisonniers remplissant les conditions requises avaient été libérés en Irlande du Nord en vertu de l’Accord du vendredi saint, et 57 dans l’État partie.

Les demandes de libération des auteurs

2.8Le 25 juillet 2000, les auteurs ont écrit au Ministre de la justice pour lui demander de confirmer qu’il les avait désignés en tant que «prisonniers remplissant les conditions requises» aux fins du régime de libération anticipée, et demander d’être libérés au titre de l’Accord du vendredi saint et de la loi de 1998. Ils ajoutaient que si le Ministre n’avait pas l’intention d’accéder à leur demande, il devrait leur indiquer les raisons de sa décision et leur donner la possibilité de présenter des observations à cet égard. Au 30 juillet 2001, après avoir adressé plusieurs autres lettres au Ministre, ils avaient seulement reçu des accusés de réception. Entre‑temps, le Ministre de la justice avait fait un certain nombre de déclarations, soit publiquement soit dans des lettres à des particuliers, indiquant que les prisonniers condamnés reconnus coupables du meurtre du Garda McCabe ne seraient pas libérés au titre de l’Accord du vendredi saint. Selon les auteurs, un certain nombre de prisonniers qui avaient été déclarés coupables de délits aussi graves sinon plus que ceux qu’ils avaient commis, y compris le délit de meurtre puni de la peine de mort sur la personne de membres des forces de police, avaient été libérés dans l’État partie. En Irlande du Nord, un grand nombre de prisonniers déclarés coupables du meurtre de policiers dans le pays avaient été libérés.

2.9En 2002 ou aux alentours de 2002, les auteurs ont obtenu quatre documents du Ministère de la justice en vertu de la législation sur la liberté d’information. Le premier, daté du 4 octobre 2000, énonçait «les critères à prendre en considération au titre des dispositions de l’Accord du vendredi saint», à savoir que «les délits [pour lesquels les prisonniers avaient été condamnés] devaient être antérieurs à la conclusion de l’Accord du vendredi saint et avoir été commis au nom d’une organisation à laquelle l’Accord du vendredi saint s’appliquait». Ce document contenait une liste de personnes qui avaient été condamnées à la prison à vie pour meurtre et dont il était recommandé de renvoyer le cas à la Commission des libérations. L’une de ces personnes avait été déclarée coupable du meurtre d’un membre des forces de police (Garda Siochana), et selon ce document certains de ses coaccusés avaient déjà été libérés en vertu de l’Accord du vendredi saint. Le deuxième document, non daté, précisait que les prisonniers condamnés par le Tribunal pénal spécial dans l’État partie pour des délits analogues aux délits définis par la loi en Irlande du Nord commis avant la signature de l’Accord du vendredi saint, qui étaient membres de l’IRA provisoire ou d’un autre groupe paramilitaire, l’«INLA», remplissaient les conditions requises pour être libérés au titre de l’Accord du vendredi saint. Les auteurs considéraient que les délits dont ils s’étaient rendus coupables répondaient manifestement aux critères énoncés dans ces deux documents.

2.10Dans le troisième document, qui se présentait sous forme de questions/réponses, il était dit que les prisonniers condamnés après le 10 avril 1998 (date de la conclusion de l’Accord du vendredi saint) pour des délits commis avant cette date seraient visés par le régime de libération anticipée, à l’exception de toute personne «déclarée coupable du meurtre» du Garda McCabe. Il était question du temps que les prisonniers condamnés après le 10 avril 1998 pour des délits commis avant la conclusion de l’Accord du vendredi saint passeraient en détention avant d’être libérés. Il était reconnu que le cas des personnes condamnées pour le meurtre du Garda McCabe faisait exception et qu’«il s’agissait d’une appréciation de caractère politique qui avait été faite à un moment où il était capital de rallier l’adhésion du public à l’Accord du vendredi saint». Il était dit: «les personnes condamnées pour le meurtre d’autres Gardai [policiers] − qui ont déjà purgé de longues peines − seront visées par les arrangements concernant la libération des prisonniers». Le quatrième document, daté du 17 août 2001, est une lettre de l’Administration pénitentiaire irlandaise (alors rattachée au Ministère de la justice) adressée au Gouverneur de la prison de Portlaoise et à un prisonnier dont le nom a été effacé qui avait demandé à bénéficier du régime de libération anticipée au titre de l’Accord du vendredi saint. La lettre indiquait que le Ministre n’était pas enclin à désigner le détenu en question en tant que prisonnier remplissant les conditions requises, et précisait les raisons qui motivaient sa position. Le détenu était néanmoins invité à présenter de plus amples observations s’il le souhaitait.

2.11Le 30 juillet 2001, sans réponse du Ministre la justice, les auteurs ont saisi la Haute Cour et ont été autorisés à engager une procédure de contrôle juridictionnel pour demander, notamment, une déclaration indiquant qu’ils étaient des «prisonniers qui remplissaient les conditions requises» au sens de l’Accord du vendredi saint et de la loi de 1998. Dans l’État partie, le contrôle juridictionnel s’appuie sur les déclarations sous serment. Les défendeurs n’ont pas présenté de déclaration sous serment à cet égard et n’ont réfuté aucun des éléments de preuve présentés au nom des auteurs. Dans une lettre datée du 5 juin 2002, le Ministre de la justice a répondu à la demande des auteurs qu’ils n’avaient pas été désignés en tant que prisonniers remplissant les conditions requises et qu’une décision de cet ordre touchait à des «privilèges ou concessions» et n’était pas soumise aux procédures que les auteurs avaient requises.

2.12La Haute Cour s’est réunie les 26 et 27 novembre 2002 pour examiner l’affaire concernant les auteurs et a rendu sa décision le 27 mars 2003. Il est dit dans la décision: «… il semble clair, et de fait les défendeurs ne le contestent pas, puisqu’ils n’ont pas présenté de déclaration sous serment, que les requérants, si le Ministre les considérait comme admis à bénéficier de la libération, entrent dans la catégorie des prisonniers qui pourraient être libérés conformément aux dispositions pertinentes». La Cour ajoutait néanmoins que l’article 3 2) de la loi de 1998 conférait au Ministre «un pouvoir discrétionnaire absolu» pour consulter la Commission des libérations sur le point de savoir s’il y avait lieu ou non de libérer tel ou tel prisonnier. En conséquence, le Ministre n’était nullement dans l’obligation d’envisager la libération de qui que ce soit. On ne pouvait donc pas l’accuser d’avoir agi de manière irréfléchie, arbitraire ou injuste en refusant de désigner les auteurs en tant que prisonniers remplissant les conditions requises. Le Ministre a rejeté la demande de contrôle juridictionnel des auteurs.

2.13Les auteurs ont formé un recours devant la Cour suprême, qui a rendu son arrêt le 29 janvier 2004. La Cour a noté que, s’il n’était pas contesté qu’au moment où les délits avaient été commis et où les auteurs avaient été condamnés les auteurs étaient membres de l’IRA provisoire, «il est reconnu qu’aucun des requérants n’est membre aujourd’hui d’une organisation qui n’applique pas un cessez‑le‑feu complet et sans équivoque». La Cour s’est référée au document présenté sous forme de questions/réponses (voir par. 2.10). Elle a considéré que l’Accord du vendredi saint n’avait pas été incorporé à la législation irlandaise, et ne conférait pas de droits spécifiques aux individus. Le pouvoir de libérer les prisonniers était «par essence une prérogative de l’Exécutif et avait un caractère discrétionnaire». La Cour a considéré néanmoins que le terme «absolu» utilisé par la Haute Cour pour qualifier le pouvoir discrétionnaire du Ministre était trop vaste, et que ce genre de pouvoir devait être exercé en toute bonne foi et non d’une manière arbitraire, irréfléchie ou irrationnelle.

2.14En conclusion, la Cour a fait une distinction entre l’affaire concernant les auteurs et les affaires concernant d’autres prisonniers qui avaient été libérés après avoir commis des crimes aussi graves, voire plus graves, au motif que tous ces derniers avaient été jugés et condamnés au moment de la conclusion de l’Accord du vendredi saint. À partir de cette distinction, la Cour a considéré que rendre une décision selon laquelle aucune des personnes déclarées coupables du meurtre en question ne devait être libérée était «un choix politique qui était laissé à l’entière discrétion de l’Exécutif, et qui ne pouvait être qualifié d’irréfléchi, d’arbitraire ou d’irrationnel». La Cour a rejeté l’allégation selon laquelle le refus de désigner les auteurs en tant que prisonniers remplissant les conditions requises établissait une discrimination injuste entre eux et les autres personnes qui avaient commis des crimes aussi graves, voire plus graves, et elle a réaffirmé qu’en raison de la distinction présumée les auteurs n’étaient pas dans la même position que les personnes déclarées coupables de délits analogues ou plus graves. La Cour suprême a rejeté le recours des auteurs.

2.15Selon les auteurs, la question de la distinction entre eux‑mêmes et leurs coaccusés et les autres personnes libérées en vertu de l’Accord du vendredi saint faite par la Cour suprême n’a pas été soumise à leur conseil au cours des débats. Il ne leur a pas été dit que la Cour jugeait cette question importante. Elle a été mentionnée comme une simple hypothèse dans une question posée par le Président de la Cour à l’occasion d’une série d’échanges entre les membres de la Cour et le conseil des défendeurs, question à laquelle le conseil n’a pas répondu. Il y avait également une erreur de fait. Le document sous forme de questions/réponses obtenu en vertu de la législation sur la liberté d’information (voir par. 2.10) et auquel il est fait référence à la fois dans la décision de la Haute Cour et dans l’arrêt de la Cour suprême montrait clairement que les dispositions relatives à la libération s’appliquaient aux personnes condamnées aussi bien après la conclusion de l’Accord du vendredi saint qu’avant. En fait, deux personnes condamnées après la conclusion de l’Accord du vendredi saint pour des délits commis avant avaient été libérées dans l’État partie, et 11 personnes au moins condamnées après la conclusion de l’Accord du vendredi saint pour des délits commis avant avaient été libérées en Irlande du Nord, ce qui confirmait que les autorités ne faisaient pas ce genre de distinction entre les condamnations prononcées avant et après le 10 avril 1998. Les affaires correspondantes n’avaient pas été expressément portées à l’attention de la Haute Cour car personne n’avait cherché à établir une telle distinction. Il n’avait pas été contesté devant la Haute Cour que les auteurs, si leur affaire avait été soumise au Ministre, auraient été classés dans la catégorie des personnes admises à être libérées en vertu des dispositions pertinentes. Ce point n’avait pas été contesté par les défendeurs. Ces éléments n’avaient pas n’ont plus été portés à l’attention de la Cour suprême puisque, en tant que juridiction supérieure, elle s’appuie sur les éléments de preuve qui ont été présentés à la juridiction inférieure. En l’espèce, aucune des parties n’avait cherché à contester la constatation de la Haute Cour selon laquelle les auteurs répondaient aux critères requis pour être admis à bénéficier du régime de libération anticipée.

2.16Le 12 février 2004, les auteurs ont présenté un recours en annulation ou en rectification de l’ordonnance et de l’arrêt de la Cour suprême et demandé que leur affaire soit rejugée. La déclaration sous serment à la base du recours contenait des précisions sur les deux personnes qui avaient été libérées dans l’État partie après avoir été condamnées postérieurement à la conclusion de l’Accord du vendredi saint, ainsi que sur un grand nombre de personnes se trouvant dans la même situation qui avaient été libérées en Irlande du Nord. Dans une déclaration sous serment du 4 mars 2004, les défendeurs ont confirmé la libération des deux personnes condamnées après la conclusion de l’Accord du vendredi saint, mais ils ont refusé d’admettre que ces affaires étaient comparables à celles des auteurs. Le 1er avril 2004, le recours des auteurs a été examiné par le même collège de juges de la Cour suprême qui a considéré que les faits en rapport avec la question soulevée «n’étaient pas contestés et n’avaient été en cause à aucun moment de la procédure». La Cour a considéré que le conseil des auteurs avait eu tout loisir de traiter l’affaire en détail et a rejeté le recours.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs disent avoir fait l’objet de discrimination au regard du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26, le Ministre de la justice ayant refusé de les désigner en tant que prisonniers remplissant les conditions requises en vertu de la loi de 1998. Ils affirment qu’ils répondaient à tous les critères requis pour être libérés au titre de ce régime qui sont énoncés dans les quatre documents susmentionnés émanant du Ministère de la justice, et que le Ministre de la justice a refusé de manière arbitraire de les admettre au bénéfice de ce régime. Ils affirment qu’ils sont les seules personnes répondant à ces critères qui n’aient pas été admises au bénéfice dudit régime et que d’autres personnes condamnées pour des délits comparables, voire plus graves, ont été désignées en tant que prisonniers remplissant les conditions requises.

3.2Les auteurs allèguent que le Ministre de la justice ne doit pas exercer ses pouvoirs discrétionnaires de manière arbitraire, irrationnelle ou discriminatoire, mais en fonction des critères prévus au titre du régime de libération anticipée. Aucune raison de nature à justifier l’exclusion des auteurs n’avait été avancée avant l’ouverture de la procédure de contrôle juridictionnel. Les raisons qui ont été données après ne portaient pas sur les objectifs du régime mais touchaient à des considérations politiques qui n’avaient rien à voir avec la question. En outre, les auteurs n’ont pas eu droit aux procédures auxquelles les autres prisonniers qui demandaient leur libération anticipée ont eu droit, c’est‑à‑dire été invités à présenter des observations avant que la décision concernant l’allégation du requérant soit rendue. Ils ont donc été victimes de discrimination de par la manière dont leurs demandes ont été traitées, et le refus de les désigner en tant que «prisonniers remplissant les conditions requises» et de leur accorder leur libération.

3.3Les auteurs affirment qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9, puisque alors qu’ils avaient initialement été mis en détention à la suite d’une décision judiciaire valable, leur maintien en détention s’est avéré arbitraire par suite du refus du Ministre de la justice de les admettre au bénéfice du régime de libération anticipée, pour des motifs discriminatoires. Ils affirment également que le droit à un procès équitable au titre du paragraphe 1 de l’article 14 leur a été refusé en ce que la Cour suprême a rejeté leur appel pour des motifs qui étaient manifestement erronés, puisque leurs représentants légaux n’ont pas eu la possibilité de présenter des communications ou des réfutations au sujet de l’hypothèse erronée sur laquelle la Cour a fondé sa décision. Au refus du droit à un procès équitable s’est ajouté le refus de la Cour suprême d’annuler ou de rectifier sa décision, en dépit des éléments de preuve qui lui avaient été présentés attestant que cette décision était fondée sur une hypothèse erronée.

3.4Les auteurs disent qu’ils se sont vu refuser un recours utile au regard du paragraphe 3 de l’article 2, puisque les tribunaux de l’État partie ne leur ont pas assuré une protection contre la discrimination dont ils ont fait l’objet de par la mise en œuvre du régime de libération anticipée, y compris le refus de procédures auxquelles les autres prisonniers avaient accès. Ils disent également s’être vu refuser un recours utile puisqu’il n’y avait pas d’autre voie de recours après que la Cour suprême ait rejeté leur recours pour des motifs manifestement erronés et qu’elle ne leur ait pas accordé des procédures équitables au cours des débats.

3.5Enfin, les auteurs affirment que la décision de la Cour suprême de les condamner aux dépens pour leur requête en annulation de son arrêt ou leur demande tendant à ce que l’affaire soit à nouveau entendue était une violation de leur droit à un recours utile. Ils allèguent que par cette décision la Cour les a pénalisés pour avoir tenté d’obtenir réparation pour une décision fondée sur des faits erronés. Les auteurs affirment qu’ils auraient dû avoir la possibilité de saisir une instance à même d’apprécier raisonnablement la décision et de la réformer si leurs prétentions étaient jugées fondées. Au lieu de cela, le même collège de juges de la Cour suprême a simplement refusé de reconsidérer la décision factuelle, estimant que les représentants des auteurs avaient eu toute possibilité de réfuter les constatations de fait.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une lettre datée du 22 décembre 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il confirme les faits énoncés par les auteurs concernant l’incident dont ils ont été reconnus coupables. Il fait valoir qu’avant que les délits soient commis, l’État partie s’était engagé dans des négociations difficiles et délicates, connues sous le nom de «processus de paix», avec le Royaume‑Uni et un certain nombre de partis politiques d’Irlande du Nord. Il indique que les délits commis ont soulevé l’indignation dans l’ensemble du pays et que, au cours du procès, des témoins à charge ont refusé de témoigner ou ont prétendu ne se souvenir de rien. L’État partie indique que l’Accord du vendredi saint a une importance politique, historique, constitutionnelle et juridique considérable en Irlande. Pour pouvoir être lié par l’Accord irlando‑britannique, et conformément aux obligations contractées en vertu de l’Accord multipartite, le Gouvernement de l’État partie a proposé des amendements à la Constitution, qui ont été approuvés par référendum le 22 mai 1998.

4.2L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont jamais été considérés comme pouvant bénéficier du régime de libération anticipée. Avant, pendant et après les négociations relatives à l’Accord du vendredi saint, l’adoption de l’amendement à la Constitution irlandaise et la présentation de la loi de 1998, le Gouvernement de l’État partie a fait clairement savoir à plusieurs reprises qu’aucune disposition relative à la libération de prisonniers ne s’appliquerait aux personnes impliquées dans l’incident au cours duquel le Garda McCabe avait été assassiné. À plusieurs occasions, les membres du Gouvernement de l’État partie ont fait des annonces publiques à cet effet. Les auteurs ont forcément appris qu’ils n’étaient pas concernés, que ce soit dans le cadre des négociations de l’Accord du vendredi saint, par les déclarations de membres du Gouvernement au Parlement, par la presse écrite et les autres médias ou dans le contexte du référendum concernant l’amendement de la Constitution. L’État partie indique que, au moment où il répond, les négociations relatives à l’Accord du vendredi saint sont dans une phase critique et que les représentants politiques de l’IRA demandent la libération, en vertu de cet accord, des personnes reconnues coupables d’avoir participé à l’incident en question. Tout en restant convaincu que ces prisonniers n’étaient pas couverts par l’Accord, le Gouvernement est disposé à envisager leur libération dans le cadre d’un accord global final, qui comprend le déclassement de toutes les armes, sous le contrôle d’une entité indépendante, la cessation complète de toute activité paramilitaire et la fin sans équivoque de toutes les formes de criminalité de la part de l’IRA. L’État partie indique que, compte tenu de la phase critique dans laquelle se trouve le processus de paix, il est inapproprié de la part des auteurs d’adresser une communication au Comité concernant une question qui est essentiellement une question politique intrinsèque aux négociations en cours.

4.3De l’avis de l’État partie, tous les griefs des auteurs doivent être déclarés irrecevables au motif qu’ils ne relèvent pas du champ d’application du Pacte. En vertu de la loi irlandaise, il n’existe aucun droit à la libération et le Gouvernement n’a aucunement l’obligation de libérer des prisonniers. Un tel droit n’est conféré ni par l’Accord du vendredi saint, ni par la loi de 1998, ce qu’a confirmé la Cour suprême dans l’affaire Doherty v. Governor of Portlaoise Prison. Les auteurs ont été reconnus coupables à l’issue d’un procès équitable. Ils ont eu la possibilité de contester devant la Haute Cour et la Cour suprême la décision de l’Exécutif de refuser de leur appliquer le régime de libération anticipée. L’État partie explique que le pouvoir de commuer ou de remettre des peines imposées par un tribunal pénal spécial est régi par l’article 33 de la loi sur les infractions contre l’État de 1939 dans les termes suivants:

«À l’exception des cas où la peine capitale a été prononcée, le Gouvernement dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu pour, à tout moment, décider de remettre tout ou partie d’une peine imposée par un tribunal pénal spécial, de la modifier (en l’atténuant uniquement) ou d’y surseoir.».

4.4D’après l’État partie, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière très large. Lorsque l’Exécutif exerce ce pouvoir ou lorsqu’une décision est laissée à son appréciation, on s’attend à ce que cette décision soit essentiellement politique, par opposition à une décision judiciaire ou juridictionnelle. En vertu de l’article 28.4 de la Constitution, le Gouvernement en est responsable au premier chef devant le Parlement (le Dáil). Tout exercice de son pouvoir discrétionnaire doit, toutefois, rester dans les limites de la Constitution, qu’elles soient expressément ou implicitement définies. L’État partie confirme que les dispositions habilitantes de la loi de 1998 autorisent un ministre à désigner une personne en tant que «prisonnier remplissant les conditions requises», mais que la loi ne prétend pas conférer de pouvoir supplémentaire de commutation ou de remise de peine. La Commission consultative peut, sur demande, rendre un avis non contraignant à l’intention du Ministre de la justice. Le mécanisme créé par la loi de 1998 instaure donc un degré supplémentaire de pouvoir discrétionnaire, que le Gouvernement peut exercer en vertu de dispositions telles que l’article 33 de la loi de 1939 sur les infractions contre l’État.

4.5D’après l’État partie, la Haute Cour et la Cour suprême ont rejeté l’allégation selon laquelle le Ministre de la justice avait usé de son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire ou irréfléchie. Les tribunaux ont accepté l’argument selon lequel, compte tenu de la politique clairement définie publiquement par le Gouvernement, les personnes reconnues coupables d’avoir participé à l’incident au cours duquel le Garda McCabe avait été assassiné ne bénéficieraient pas des dispositions de la loi de 1998 relatives à la libération anticipée. On ne pouvait donc dire d’une décision visant à appliquer la politique gouvernementale qu’elle était arbitraire ou irréfléchie. L’État partie ajoute que son gouvernement doit conserver le pouvoir d’adopter une position politique sur ce qui est par essence une question politique. Le Gouvernement a jugé que l’adhésion de l’opinion publique à l’Accord du vendredi saint serait compromise si le régime de libération anticipée était appliqué aux individus impliqués dans l’incident au cours duquel le Garda McCabe avait été assassiné. D’après l’État partie, les déclarations des auteurs reviennent à suggérer que le Comité des droits de l’homme devrait intervenir dans les arrangements et les accords politiques conclus entre les différentes parties concernées par les tentatives de règlement du conflit d’Irlande du Nord. À son avis, les parties concernées doivent disposer d’une certaine latitude pour mener les négociations et s’acquitter de leurs obligations mutuelles.

4.6Plus particulièrement, l’État partie fait valoir que les griefs avancés n’entrent pas dans le champ d’application des articles 26 et 2. Il a été démontré avec succès devant les tribunaux nationaux que le principe de l’égalité signifie par essence que des personnes semblables doivent être traitées de manière semblable. Toutes les personnes condamnées pour l’incident en question ont été traitées de la même manière en ce qui concerne le régime de libération anticipée. Les personnes impliquées dans le meurtre du Garda McCabe ont été considérées comme constituant un groupe différent de prisonniers auxquels aucun arrangement pris en vertu de l’Accord du vendredi saint ne s’appliquerait. Les auteurs en étaient conscients et ont plaidé coupable à un moment où la politique du Gouvernement avait été clairement annoncée. Ils diffèrent des bénéficiaires possibles du régime en ce que le Gouvernement a estimé que leur libération ne serait pas tolérée par le peuple irlandais. L’État partie rejette l’argument selon lequel le fait qu’un privilège discrétionnaire soit accordé par l’État à d’autres personnes dans des circonstances comparables crée un droit exécutoire. Il renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour Suprême des États‑Unis dans l’affaire Connecticut Board of Pardons v. Dumshcat. Il fait valoir que la discrimination est permise en vertu de l’article 26 si l’on applique des critères raisonnables et objectifs, comme dans le cas présent. En ce qui concerne la conduite tenue par l’État partie lors de la libération de prisonniers en vertu de la loi de 1998, l’État partie indique que «l’analyse des statistiques et autres documents n’est pas favorable aux auteurs».

4.7L’État partie fait valoir que les crimes et les questions qui les entourent ne sont pas comparables à d’autres délits. L’incident en question est survenu au cours d’une rupture du cessez‑le‑feu de l’IRA, à un moment où le Gouvernement de l’État partie participait à des négociations de haut niveau qui allaient aboutir à la conclusion de l’Accord du vendredi saint. C’était la première fois que quelqu’un était condamné pour le meurtre d’un policier depuis le cessez‑le‑feu. Les auteurs du crime avaient fait preuve d’une sauvagerie particulière, les victimes appartenaient à la police irlandaise et des hauts responsables de l’IRA provisoire étaient impliqués. En ce qui concerne le grief tiré de l’article 9, l’État partie indique qu’il n’entre pas dans le champ d’application du Pacte. Il conteste que la détention des auteurs ait été/soit arbitraire et invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle «il ne faut pas donner au mot “arbitraire” le sens de “contraire à la loi”, mais plutôt l’interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste et non prévisible». Les auteurs accomplissent une peine décidée par les autorités judiciaires compétentes en Irlande et rien, dans le droit interne, n’oblige à les libérer avant qu’ils n’aient purgé leur peine. Compte tenu de la politique du Gouvernement, il était prévisible qu’ils soient tenus d’accomplir la totalité de leur peine.

4.8L’État partie fait valoir que les allégations des auteurs n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 14, car cet article porte sur les garanties procédurales et non sur le fond des décisions rendues par les tribunaux. Lorsqu’une erreur judiciaire survient en relation avec l’appréciation des éléments de fait dont dispose le tribunal, cela n’entre pas dans le cadre des protections offertes par le Pacte. Le Comité ne devrait pas agir comme une quatrième instance qui aurait compétence pour revoir ou réévaluer les conclusions quant aux faits. Les critiques émises par les auteurs portent sur ce qu’ils perçoivent comme des conclusions erronées de la part de la Cour suprême dans son évaluation de leur requête. L’État partie note que la Cour a réexaminé sa décision et a estimé que chacune des parties avait eu l’occasion de présenter et de réfuter toutes les pièces. Les mêmes arguments s’appliquent aux allégations formulées au titre de l’article 2.

4.9L’État partie conclut que, pour ces raisons, la communication devrait être déclarée irrecevable et demande que la recevabilité et le fond soient examinés séparément. Le 28 décembre 2004, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a estimé que la recevabilité devait être examinée par le Comité en même temps que le fond.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans une lettre datée du 23 mars 2005, l’État partie formule des observations sur le fond de la communication et reprend en grande partie les arguments qu’il a déjà avancés concernant la recevabilité. En ce qui concerne les faits nouveaux, il indique que les négociations se sont poursuivies en vue d’un accord sur les derniers points de l’Accord du vendredi saint. S’agissant des informations fournies par l’État partie selon lesquelles il examinerait la possibilité de libérer les auteurs de manière anticipée dans le cadre d’un accord global, une annonce du Premier Ministre (Taoiseach) au Parlement (Dáil) à cet effet a provoqué de vives critiques et un grand débat au début du mois de décembre 2004. Le 20 décembre 2004, la Northern Bank, à Belfast, a été cambriolée, selon toute vraisemblance par l’IRA. Depuis cet incident, le Gouvernement de l’État partie a clairement fait savoir que la question de la libération anticipée des personnes impliquées dans l’incident au cours duquel le Garda McCabe a été assassiné ne se pose plus. Dans une déclaration datée du 13 mars 2005, les prisonniers eux‑mêmes ont indiqué qu’ils ne voulaient pas que leur libération fasse partie de nouvelles négociations avec le Gouvernement de l’État partie.

5.2L’État partie confirme que 57 prisonniers ont été libérés à ce jour en Irlande en vertu des dispositions de l’Accord du vendredi saint. Les cas des prisonniers, à l’exception des prisonniers mis en liberté provisoire, ont été transmis par le Ministre à la Commission des libérations pour qu’elle rende un avis concernant l’exercice du pouvoir de remise en liberté, conformément à l’article 3 2) de la loi de 1998. Trois des prisonniers libérés avaient été condamnés après l’Accord du vendredi saint; ils ont été libérés en juin, juillet et septembre 2000. Ces prisonniers avaient été reconnus coupables de possession d’explosifs, d’armes à feu et de munitions et avaient été condamnés à des peines allant de quatre à sept ans d’emprisonnement.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

6.1Dans une lettre datée du 3 juin 2005, les auteurs font des commentaires sur les observations de l’État partie. Ils estiment que les arguments politiques de l’État partie sont erronés et sans rapport avec la question. L’Accord du vendredi saint souligne que le respect des droits de l’homme doit faire partie intégrante du processus de paix. Ce respect ne se trouverait pas renforcé si le Comité s’abstenait d’examiner des allégations de violation des droits de l’homme à des moments délicats des négociations politiques. En tout état de cause, les auteurs confirment que ni eux‑mêmes ni le Gouvernement de l’État partie ne souhaitent que leur libération fasse partie de négociations futures. Par conséquent, l’objection soulevée par l’État partie à l’examen de l’affaire par le Comité, pour des raisons politiques, semble dénuée de fondement. En outre, les auteurs font valoir que le Gouvernement de l’État partie n’a pas laissé entendre aux tribunaux irlandais qu’il serait inopportun ou déplacé de leur part d’examiner leurs demandes de contrôle juridictionnel.

6.2Les auteurs font valoir qu’ils ne demandent pas à bénéficier d’un droit à une libération anticipée. Ils indiquent que, à partir du moment où un régime spécial a été mis en place pour accorder une libération anticipée à un groupe défini de prisonniers, auquel ils semblent de prime abord appartenir, ils ont le droit de ne pas subir de discrimination dans l’application de ce régime, à moins que des motifs raisonnables et objectifs ne soient donnés pour justifier une telle discrimination. À cet égard, les auteurs renvoient aux constatations du Comité dans l’affaire Kavanagh c. Irlande. S’agissant des déclarations de l’État partie laissant entendre que les décisions prises par le Ministre en relation avec ce régime ne peuvent généralement pas faire l’objet d’une révision, les auteurs notent que la Cour suprême a expressément déclaré que le Ministre devait user de son pouvoir discrétionnaire conformément à la Constitution irlandaise, d’une manière qui ne soit ni arbitraire, ni irréfléchie, ni irrationnelle. L’État partie ayant adhéré au Pacte, le Ministre doit user de son pouvoir discrétionnaire de manière non discriminatoire, sauf motifs raisonnables et objectifs. Les auteurs admettent que le pouvoir de libération anticipée figure dans la législation préexistante plutôt que dans la loi de 1998. Toutefois, cette question se distingue du régime général de libération en ce que l’État partie s’est lui‑même engagé, par un accord international, à libérer une catégorie spécifique de prisonniers puis, par voie législative et administrative, a défini des critères et une procédure précise pour ce faire. L’État partie lui‑même a confirmé que «les dispositions habilitantes de la loi de 1998 autorisent un Ministre à désigner une personne en tant que “prisonnier remplissant les conditions requises”».

6.3D’après les auteurs, une procédure spéciale a été mise en place pour traiter les demandes présentées au titre du régime de libération anticipée de l’Accord du vendredi saint, dont les auteurs n’ont pas été autorisés à bénéficier. L’existence de cette procédure est confirmée par au moins trois affaires examinées par les tribunaux de l’État partie. Dans ces affaires, les prisonniers demandant à bénéficier d’une libération anticipée ont eu la possibilité de présenter des observations avant qu’une décision négative soit rendue. Dans une de ces affaires, O’Shea v. Ireland, the Government and the Attorney General, M. Kenny, de la Division des prisons duDépartement du Ministre, a indiqué ce qui suit lors d’une déclaration sous serment: «Ilapparaît clairement qu’une procédure a été mise en place pour trancher les demandes de cette nature. Il apparaît aussi clairement que cette procédure a été mise en œuvre et que le requérant a été considéré comme ayant soumis sa demande en vertu de la loi de 1998.». D’après les auteurs, l’existence d’une procédure distingue le régime de libération anticipée de l’Accord du vendredi saint des questions soulevées par l’affaire Connecticut Board of Pardons v. Dumschat, qui portait sur des demandes générales de libération conditionnelle. En outre, les auteurs soulignent que l’approche adoptée par le tribunal américain dans l’affaire Dumschat est très différente de celle de la Cour européenne et de la Commission européenne des droits de l’homme, qui est très proche du Pacte.

6.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs et les autres personnes condamnées en même temps qu’eux avaient été expressément exclus du bénéfice du régime de libération anticipée par une série d’annonces de la part du Gouvernement à leur sujet, les auteurs rappellent que le deuxième auteur n’a pas été reconnu coupable du meurtre du Garda McCabe ni condamné «en relation avec ce meurtre». Il a été reconnu coupable d’entente en vue de commettre un vol et on n’a même pas prétendu qu’il était sur les lieux du meurtre au moment où il a été commis. La loi de 1998 a été rédigée en termes généraux et ne contenait pas de disposition excluant les auteurs ou d’autres personnes risquant d’être condamnées en relation avec lemeurtre du Garda McCabe ou les événements d’Adare. S’il était (comme il le prétend) dansl’intention du Gouvernement d’exclure spécifiquement ces personnes du bénéfice du régime de libération anticipée, pour lequel elles remplissaient de prime abord tous les critères, une exception expresse aurait pu être ajoutée à cet effet dans la législation, compte tenu en particulier du fait qu’en vertu de la loi irlandaise les propos tenus par les ministres du Gouvernement devant le Parlement ou dans d’autres instances ne sont pas recevables aux fins de l’interprétation de la législation. Dans ces circonstances, les déclarations du Ministre et les commentaires analogues du Premier Ministre (An Taoiseach) n’avaient que le statut d’opinion ou d’interprétation du régime de libération anticipée et de la loi de 1998. Une fois le régime entré en vigueur, il appartenait au Ministre de l’administrer conformément aux critères établis, et aux tribunaux de l’interpréter en cas de litige. Il ne serait pas inhabituel pour les tribunaux de donner une interprétation de la loi différente de celle du Gouvernement, voire une interprétation contradictoire. De l’avis des auteurs, il était tout à fait inopportun de la part du Ministre de préjuger de leur statut de manière répétée, sachant qu’il devrait, en temps voulu, examiner leurs demandes.

6.5Les auteurs précisent qu’il n’y a lieu de prendre en compte le grief tiré du paragraphe 1 del’article 9 du Pacte que si le Comité conclut que le fait que ce bénéfice du régime de libération anticipée leur a été refusé constitue une discrimination abusive et qu’ils n’ont pas bénéficié d’une procédure régulière pour déterminer s’ils pouvaient prétendre à bénéficier de ce régime. En outre, le Ministre a publiquement préjugé de l’issue de leur demande et ils se sont vu refuser l’accès à un autre décideur qui aurait employé des procédures équitables pour déterminer s’ils remplissaient les conditions requises ou pour réexaminer la décision du Ministre. De l’avis des auteurs, les constatations du Comité dans l’affaire Von Alphen c. Pays ‑Bas,affaire à laquelle l’État partie renvoie lui aussi (par. 4.7), tendent à confirmer qu’une détention initialement légale peut devenir arbitraire après une violation des droits des auteurs. D’après les auteurs, le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 ne porte pas essentiellement, comme le prétend l’État partie, sur l’issue de l’affaire et ne vise pas à demander au Comité d’agir comme une quatrième instance supérieure aux tribunaux irlandais. Il porte sur la procédure suivie par lestribunaux qui a abouti à des conclusions défavorables aux auteurs. Les auteurs font valoir que cela n’est pas en contradiction avec les constatations du Comité citées par l’État partie (par. 4.8).

6.6En ce qui concerne l’évocation par l’État partie, dans ses observations sur le fond, de faits nouveaux survenus sur le plan politique, les auteurs soulignent une nouvelle fois que ces informations sont hors de propos. Elles portent notamment sur des faits survenus de nombreuses années après l’incarcération du premier auteur, détenu depuis 1996, et du second auteur, qui a été détenu entre 1999 et 2003. Les auteurs n’ont rien à voir avec ces faits et la référence qui est faite à un cambriolage de banque de grande ampleur à Belfast en décembre 2004 est à la fois hors de propos et très préjudiciable. En ce qui concerne l’argument selon lequel cette affaire est un incident unique dans l’histoire du conflit d’Irlande du Nord, les auteurs font valoir qu’aucun des facteurs énumérés par l’État partie n’est unique et qu’ils ont invoqué devant les tribunaux les cas d’un certain nombre de personnes reconnues coupables de délits très similaires et aussi graves qui ont été libérées de manière anticipée. De surcroît, cet argument n’a pas été soulevé devant les tribunaux nationaux et ne résiste pas à l’analyse. Au cours des longues années qu’a duré le conflit d’Irlande duNord, de nombreuses personnes ont été tuées, et un certain nombre d’individus responsables de ces meurtres ont été libérés par le Ministre en vertu de l’Accord du vendredi saint. Les auteurs confirment l’argument de l’État partie selon lequel aucun autre individu n’a été reconnu coupable du meurtre d’un Garda dans le contexte du conflit d’Irlande du Nord depuis le cessez‑le‑feu de l’IRA en 1994, mais estiment que cet argument n’est pas pertinent. Les critères utilisés par le Ministre pour déterminer quels prisonniers peuvent bénéficier d’une libération anticipée ne prévoyaient pas de dates différentes pour les différents types d’infraction.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits del’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si lacommunication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument général de l’État partie selon lequel la décision d’exclure les auteurs (et les personnes impliquées dans l’incident au cours duquel le GardaMcCabe a été assassiné) du bénéfice du régime de libération anticipée se fondait sur despréoccupations politiques, à un moment critique du processus de paix en Irlande du Nord;pour cette raison, il serait inopportun de la part du Comité d’examiner la communication. Le Comité estime que sa compétence pour examiner des communications émanant de particuliers n’est pas affectée par les négociations politiques en cours dans un État partie ouentredes États parties. Il note également que les tribunaux de l’État partie ont examiné ladécision de l’Exécutif et que la nature politique de la décision contestée ne semble pas avoir posé de difficulté. De fait, la Cour suprême elle‑même a estimé que le pouvoir du Ministre de libérer des prisonniers, fût‑il discrétionnaire, devait être exercé de bonne foi et non de manière arbitraire, irréfléchie ou irrationnelle. Le Comité estime donc que cela ne l’empêche pas d’examiner la communication.

7.4Le Comité considère que les autres arguments avancés par l’État partie, à savoir que les griefs n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte, sont des arguments qui par essence portent sur le fond de la communication et qu’il conviendrait donc plutôt de traiter dans le cadre de l’examen au fond. Le Comité ne trouvant aucune autre raison de considérer que les griefs soulevés par les auteurs sont irrecevables, il passe à l’examen de la communication quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité s’appuie sur les faits suivants pour examiner les griefs des auteurs. Un régime statutaire de libération anticipée de prisonniers a été mis en place en vertu de l’Accord multipartite de l’Accord du vendredi saint et a été mis en œuvre par la loi de 1998 sur la justice pénale (libération des prisonniers). L’Accord multipartite est un accord politique. Il estadmis que ni l’Accord du vendredi saint ni la loi de 1998 sur la justice pénale (libération desprisonniers), qui porte application de l’Accord, ne confèrent un droit général de libération des prisonniers. Il est également admis que, bien que la loi de 1998 ne vise pas à conférer auMinistre un pouvoir supplémentaire de commutation ou de remise de peine, elle l’habilite à désigner une personne en tant que «prisonnier remplissant les conditions requises». Les critères sur lesquels le Ministre est habilité à se fonder pour considérer qu’un prisonnier remplit les conditions requises ne figurent pas dans la loi, mais il apparaît − ce que ne conteste pas l’État partie − que certains critères ont été fixés par le Ministre pour évaluer si un prisonnier devrait être considéré comme tel. Du point de vue de l’État partie, les critères établis et appliqués par le Ministre n’étaient pas pertinents en l’espèce, car il n’a jamais été prévu de faire bénéficier les auteurs de ce régime.

8.3Les auteurs font valoir que le refus du Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique de les désigner en tant que «prisonniers remplissant les conditions requises» en vertu du régime de libération anticipée, conformément à l’Accord du vendredi saint, est arbitraire et discriminatoire. Le Comité considère qu’en vertu de l’article 26 les États parties sont tenus, dansleurs actions législatives, judiciaires et exécutives, de veiller à ce que tous soient traités demanière égale et sans discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination, en violation de l’article 26, mais que des distinctions doivent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans lapoursuite d’un but légitime au regard du Pacte. En ce qui concerne l’interdiction de ladiscrimination, le Comité note que la distinction faite par l’État partie entre les auteurs et lesprisonniers bénéficiant du régime de libération anticipée ne se fonde sur aucun des motifs énumérés à l’article 26. En particulier, les auteurs n’ont pas été exclus en raison de leurs opinions politiques. Toutefois, non seulement l’article 26 interdit la discrimination mais il consacre aussi la garantie de l’égalité devant la loi et d’une égale protection de la loi.

8.4Le Comité observe que c’est en application de l’Accord multipartite − accord politique − que le régime de libération des prisonniers a été mis en place et considère qu’il ne peut examiner cette affaire en dehors de son contexte politique. Il note que le régime de libération anticipée ne créait pas de droit à une libération anticipée mais laissait à la discrétion des autorités compétentes la possibilité de décider, au cas par cas, si la personne concernée bénéficierait de ce régime. Le Comité considère que ce pouvoir discrétionnaire est très large et que, par conséquent, le simple fait que des prisonniers se trouvant dans des situations analogues aient été libérés ne constitue pas automatiquement une violation de l’article 26. Le Comité note que l’État partie justifie l’exclusion des auteurs (et d’autres personnes impliquées dans l’incident au cours duquel le Garda McCabe a été assassiné) du bénéfice du régime par la conjugaison des circonstances de l’incident en question, sa date (dans le contexte d’une rupture du cessez‑le‑feu), sa sauvagerie et la nécessité de rallier l’adhésion de l’opinion publique à l’Accord du vendredi saint. En 1996, lorsque l’incident a eu lieu, le Gouvernement a estimé que son impact était exceptionnel. Pour cette raison, il a décidé que toutes les personnes impliquées seraient exclues de tout accord ultérieur sur la libération des prisonniers. Cette décision a été prise après l’incident en question, mais avant la condamnation des responsables, et mettait donc l’accent sur l’impact de l’incident plutôt que sur les personnes impliquées. Toutes les personnes responsables ont été informées, dès le départ, que si elles étaient reconnues coupables d’implication, quelle qu’elle soit, dans l’incident, elles ne bénéficieraient pas du régime. Le Comité note également qu’il semble que d’autres personnes reconnues coupables du meurtre de Gardai, qui ont été admises à bénéficier du régime de libération anticipée, avaient déjà purgé de longues peines (voir par. 2.10). Le Comité considère qu’il n’est pas à même de substituer ses propres vues à l’évaluation des faits par l’État partie, en particulier en ce qui concerne une décision prise près de 10 ans plus tôt, dans un contexte politique, et qui a conduit à un accord de paix. Il estime que les informations dont il dispose ne font pas apparaître de caractère arbitraire et conclut que le droit des auteurs à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, consacré à l’article 26, n’a pas été violé.

8.5En ce qui concerne l’allégation avancée par les auteurs, selon laquelle leur maintien endétention constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité estime que, compte tenu de ce qui précède (par. 8.4), cette détention ne constitue pas une détention arbitraire.

8.6Enfin, les auteurs disent n’avoir pas pu bénéficier d’un recours utile, conformément au paragraphe 3 de l’article 2, et être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 duPacte car les tribunaux de l’État partie ne les ont pas protégés de la discrimination dans le cadre de la mise en œuvre du régime de libération anticipée, qu’ils n’ont eu aucune voie de recours après que la Cour suprême a rejeté leur appel pour des motifs manifestement erronés et leur a refusé des procédures équitables en appel et lors de l’examen de leur requête en annulation. Le Comité note que les auteurs ont eu pleinement accès aux tribunaux de leur pays et que la Cour suprême a examiné la question à deux reprises. Bien qu’il semble maintenant que la décision de la Cour suprême ait été fondée sur des données erronées, la Cour, en réexaminant sa décision le 1er avril 2004, a constaté que les parties s’étaient accordées sur les faits en cause, justifiant ainsi sa décision initiale. Le Comité conclut donc que ces décisions n’ont pas un caractère arbitraire et considère par conséquent qu’il n’y a pas eu violation des articles 2 et 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation d’aucun article du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen, M. Edwin Johnson et M. Rafael Rivas Posada, membres du Comité

Je ne partage pas l’opinion de la majorité des membres du Comité sur les points suivants:

1.En considérant que l’Accord du vendredi saint revêt un caractère «politique» et que le Comité «ne peut examiner cette affaire en dehors de son contexte politique», le Comité donne trop de poids à l’argument de l’État partie selon lequel le refus d’appliquer aux auteurs le régime de libération anticipée se justifie par «l’impact exceptionnel» et «l’impact de l’incident» sur l’opinion publique. L’État partie lui‑même a affirmé que les délits commis par les auteurs «ont soulevé l’indignation» et que le Gouvernement «a estimé que leur libération ne serait pas tolérée par le peuple irlandais», et que lorsque le Premier Ministre a annoncé au Parlement qu’il «examinerait la possibilité de libérer les auteurs de manière anticipée», ses paroles ont provoqué «de vives critiques» dans l’ensemble de la population.

2.Il est à mon avis contradictoire que l’opinion majoritaire, à la lumière du contexte politique de l’affaire, qualifie les opinions politiques des auteurs de réelles ou supposées alors que l’État partie a reconnu expressément que «des hauts responsables de l’IRA provisoire étaient impliqués» dans le crime, et qu’il ressort des indications transmises au Comité, et non contredites, que les faits pour lesquels les auteurs ont été condamnés ont été commis au nom de l’Armée républicaine irlandaise provisoire et que les autorités pénitentiaires ainsi que le Ministère de la justice ont reconnu que les auteurs étaient membres de cette organisation et qu’à ce titre ils ont été détenus dans un quartier séparé de la prison réservé à cette catégorie de prisonniers. La Cour suprême a également noté qu’il était incontestable que les auteurs étaient membres de l’IRA provisoire. Les opinions politiques des auteurs sont loin d’être une présomption.

3.Malgré le caractère politique de l’Accord du vendredi saint, il incombe avant tout au Comité d’établir si le fait d’exclure les auteurs du bénéfice du régime de libération anticipée respecte ou non la norme de l’article 26 du Pacte qui consacre l’égalité des personnes devant la loi et interdit toute discrimination pour les motifs énoncés. Dès lors, même si le régime de libération anticipée laissait à la discrétion des autorités la possibilité de décider, au cas par cas, quelles personnes bénéficieraient de ce régime, l’exclusion des auteurs devait reposer sur des critères raisonnables et objectifs, ce que l’État partie n’a même pas recherché.

4.Les auteurs ont souligné que l’État partie a admis au bénéfice du régime de libération anticipée des personnes condamnées pour des délits aussi graves ou plus graves que ceux qu’ils ont commis, comme le délit d’assassinat de membres des forces de police, puni de la peine de mort jusqu’en 1990, et après cette date d’une peine minimum obligatoire de 40 ans d’emprisonnement. Ils ont également noté qu’un document qui leur avait été remis par le Ministère de la justice concernait le temps que passeraient en détention les prisonniers condamnés après le 10 avril 1998 pour des délits commis avant la conclusion de l’Accord du vendredi saint, ce qui était le cas des auteurs, mais que ce document excluait expressément les auteurs des dispositions prévues. L’État partie a confirmé à plusieurs reprises que les auteurs ne pouvaient bénéficier du régime de libération anticipée et noté que, «à plusieurs occasions, les membres du Gouvernement de l’État partie ont fait des annonces publiques à cet effet» (par. 4.2). Il s’ensuit que l’État partie a délibérément réservé aux auteurs un traitement différent de celui qu’il a appliqué aux autres personnes condamnées pour des délits aussi graves ou plus graves que ceux commis par les auteurs.

5.Étant donné que l’un des auteurs a été condamné pour homicide involontaire (en l’occurrence du Garda McCabe) et que l’autre a été reconnu coupable d’entente en vue de commettre un vol sans être même présent sur le lieu du crime, on peut conclure que l’État partie n’a pas démontré que la décision d’exclure les auteurs du bénéfice du régime de libération anticipée était fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. Cette décision reposait sur des considérations politiques et sur d’autres motifs inacceptables au regard du Pacte, comme l’impact que la libération anticipée des auteurs aurait pu avoir sur l’opinion publique. Comme l’a noté le Comité dans son Observation générale no 18, l’article 26 du Pacte ne reprend pas simplement la garantie déjà énoncée à l’article 2, mais prévoit par lui‑même un droit autonome; il interdit toute discrimination en droit ou en fait dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics.

6.Par conséquent, je considère qu’il y a eu violation des droits des auteurs à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi sans discrimination au titre de l’article 26 du Pacte.

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

(Signé) Edwin Johnson

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood

Le Comité a conclu à juste titre que l’État partie n’avait pas agi de manière arbitraire en refusant de remettre en liberté les deux auteurs en vertu de l’Accord du vendredi saint. Les auteurs étaient impliqués dans un vol qualifié ayant entraîné la mort par balle d’un policier irlandais en juin 1996. Cet acte de violence a contribué à la rupture d’un cessez‑le‑feu qui avait été proclamé en août 1994 et durait depuis deux ans, et à la prolongation pendant plusieurs années des hostilités dans un âpre conflit civil. La question des appréciations supposément erronées des faits de la cause par la Cour suprême d’Irlande a été réglée dans une demande de réexamen et une déclaration sous serment du Gouvernement présentées à la Cour (voir les constatations du Comité, par. 2.16). En toute connaissance de cause, la Cour suprême a réaffirmé sa position antérieure.

Dans l’examen de l’affaire, il convient d’être vigilant sur un point. L’article 26 du Pacte prévoit que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi. L’article 26 interdit également «toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation». Mais l’article 26 n’autorise pas le Comité à agir comme une juridiction administrative qui réexaminerait chaque décision d’un gouvernement de la même façon que le ferait un tribunal administratif national. Ceci est un point particulièrement important pour la gestion de la faculté du Comité d’adopter des décisions au titre du premier Protocole facultatif.

Les auteurs allèguent que le Ministre irlandais de la justice ne leur a pas indiqué par écrit les raisons justifiant leur exclusion de la catégorie des prisonniers remplissant les conditions requises pour pouvoir être libérés. Ils demandent également au Comité de ne pas retenir les motifs sous‑tendant la décision du Ministre qu’ils considèrent être arbitraires et inappropriés, puisque d’autres prisonniers qui ont été libérés auraient commis des crimes aussi graves que ceux qu’ils ont commis. Mais la Cour suprême d’Irlande a noté que l’Accord du vendredi saint n’avait pas été incorporé dans le droit irlandais et ne visait pas à conférer des droits spécifiques aux particuliers. Dans un très grand nombre de pays, le pouvoir de grâce reste un exercice discrétionnaire que l’Exécutif n’est pas tenu de justifier. Il n’est pas allégué en l’espèce que l’une quelconque des considérations spécifiques énoncées à l’article 26 intervenait dans la décision du Gouvernement, ni aucune autre considération liée à l’identité. Ainsi, le grief des auteurs tiré de l’article 26 n’est apparemment pas fondé.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah et de M me  Christine Chanet

1.Je ne puis m’associer au point de vue majoritaire selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 26. À mon sens, il y a eu violation des dispositions de cet article qui fixe les principes fondamentaux de l’égalité devant la loi et d’une égale protection de la loi.

2.S’il est exact de dire que l’exercice effectif du pouvoir d’ordonner la libération anticipée de prisonniers était prévu dans la loi en vigueur qui s’appliquait d’une façon générale à tous les prisonniers, la loi de 1998 toutefois, destinée à mettre en œuvre les dispositions de l’Accord du vendredi saint s’appliquant spécifiquement aux prisonniers, a créé un régime spécial et un mécanisme spécial − une commission chargée de rendre des avis concernant la libération anticipée des prisonniers remplissant les conditions requises (voir les paragraphes 2.6 et 2.7 des constatations du Comité pour le contexte et le sens de ces derniers termes).

3.Ainsi, aux fins de la mise en œuvre des dispositions concernant la libération anticipée, la loi de 1998 a créé une catégorie particulière de prisonniers et le ministre compétent était statutairement habilité à renvoyer pour avis à la commission une liste de prisonniers appartenant à cette catégorie.

4.J’ouvre ici une parenthèse pour faire observer qu’il n’y a pas lieu de se demander si le ministre est ou non lié par l’avis de la commission, même si l’on peut raisonnablement penser que les commissions de ce type sont créées dans un but réel, qu’il ne s’agit pas de créations statutaires oiseuses et qu’elles ne sont pas différentes des commissions des grâces prévues dans un certain nombre de constitutions modernes et dont l’avis est contraignant pour l’Exécutif. À l’évidence, le but est précisément de faire obstacle à des décisions portant atteinte à la liberté de la personne sur la base de considérations politiques et d’assurer à cet égard le respect des principes de l’égalité et d’une égale protection de la loi.

5.Quoi qu’il en soit et à tout le moins, la loi de 1998 a créé une catégorie particulière − par opposition à la catégorie générale des prisonniers − de prisonniers remplissant les conditions requises pour pouvoir figurer sur la liste ministérielle et faire examiner leur cas par la commission statutaire. Si l’article 26 permet, en principe, une différence de traitement entre plusieurs demandeurs fondée sur des critères raisonnables et objectifs, les critères cessent d’être raisonnables et objectifs quand ils s’appuient sur des considérations essentiellement politiques, ce qui est expressément interdit par l’article 26, que ce soit dans l’adoption des lois, dans leur mise en œuvre ou dans leur application par les tribunaux. Les auteurs ont été ainsi privés de leur droit de figurer sur la liste en qualité de prisonniers remplissant les conditions requises, en violation de leur droit à l’égalité de traitement et à une égale protection de la loi visé à l’article 26.

(Signé) Rajsoomer Lallah

(Signé) Christine Chanet

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

UU. Communication n o 1421/2005 , Larrañaga c. Philippines (Constatations adoptées le 24 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

M. Francisco Juan Larrañaga (représenté par des conseils, Mme Sarah de Mas et M. Faisal Saifee)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Philippines

Date de la communication:

15 août 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inique

Questions de procédure: Mesures provisoires

Questions de fond: Application obligatoire de la peine de mort, rétablissement de la peine de mort, privation arbitraire de la vie, impartialité du tribunal, manquement à la présomption d’innocence, temps et facilités insuffisants pour préparer la défense, droit d’interroger les témoins, droit d’avoir un conseil de son choix, aggravation d’une peine en appel, droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, droit d’être jugé sans retard excessif

Articles du Pacte: 6, 7, 9 et 14

Article du Protocole facultatif: Néant

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1421/2005 présentée au nom de Francisco Juan Larrañaga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 15 août 2005, est Francisco Juan Larrañaga, de nationalité philippine et espagnole, né le 27 décembre 1977. Il a été condamné à mort et est actuellement incarcéré à la nouvelle prison de Bilibid, aux Philippines. Il affirme être victime de violations par les Philippines des articles 6, 7, 9 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 22 novembre 1989. L’auteur est représenté par deux conseils, Mme Sarah de Mas et M. Faisal Saifee.

1.2Le 19 août 2005, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par le biais de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de l’auteur pour permettre au Comité d’examiner sa plainte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 mai 1999, l’auteur, de même que six coaccusés, a été reconnu coupable de l’enlèvement et de la séquestration de Jacqueline Chiong par le Tribunal spécial chargé des crimes odieux de Cebu City, et condamné à la réclusion à perpétuité. Le 3 février 2004, la Cour suprême des Philippines a également reconnu l’auteur coupable d’enlèvement et de séquestration avec homicide et viol sur la personne de Marijoy Chiong, et l’a condamné à mort. Elle a aussi confirmé sa condamnation à la réclusion à perpétuité pour l’enlèvement simple et la séquestration de Jacqueline Chiong.

2.2Selon l’accusation, l’auteur, ainsi que sept autres hommes, ont enlevé Marijoy et Jacqueline Chiong à Cebu City le 16 juillet 1997. Le même jour, les deux femmes auraient été violées. Marijoy Chiong a ensuite été précipitée dans un ravin, tandis que Jacqueline Chiong a été battue. Le corps de cette dernière n’a toujours pas été retrouvé.

2.3L’auteur affirme avoir quitté Cebu City le 8 juin 1997 pour se rendre au Centre des arts culinaires de Quezon City afin d’y suivre une formation diplômante. Le 16 juillet 1997, il était en examen toute la journée et s’est rendu dans un restaurant dans la soirée. Il est resté avec des amis jusqu’au lendemain matin. Le 17 juillet 1997, il a passé un autre examen avant de prendre un vol à destination de Cebu City à 17 heures.

2.4Le 15 septembre 1997, la police a tenté d’arrêter l’auteur sans mandat. Le 17 septembre 1997, le conseil de l’auteur a présenté une demande au procureur visant à ce qu’une information préliminaire soit ouverte et à ce qu’un délai de 20 jours soit accordé à son client pour déposer la déclaration de défense. Le procureur a rejeté cette demande au motif que, dans le cas d’espèce, seule une enquête sur les causes du décès était justifiée. Le 19 septembre 1997, le conseil de l’auteur a saisi la Cour d’appel pour empêcher l’engagement de poursuites pénales contre l’auteur. Néanmoins, des poursuites pénales avaient déjà été engagées le 17 septembre 1997 auprès du tribunal régional de première instance de Cebu City. Le 22 septembre 1997, le conseil a déposé une requête auprès de la Cour d’appel en vue d’obtenir que le tribunal régional de première instance de Cebu City empêche l’arrestation de l’auteur. Toutefois, l’auteur a été arrêté le jour même en vertu d’un mandat émis par ledit tribunal. Il est incarcéré depuis lors. Un autre recours contre cette arrestation a été déposé auprès de la Cour d’appel, qui l’a rejeté le 25 septembre 1997. Cette décision a fait l’objet d’un recours auprès de la Cour suprême. Bien que cette procédure d’appel fût en cours, l’auteur a été présenté à un juge le 14 octobre 1997. Il n’a pas indiqué dans quel sens il souhaitait plaider et le juge a pris acte d’un plaidoyer de non‑culpabilité pour deux chefs d’inculpation d’enlèvement avec séquestration. Le 16 octobre 1997, la Cour suprême a provisoirement retiré ce juge de l’affaire pour éviter qu’il n’y ait plus matière à statuer sur l’affaire. Le 27 octobre 1997, la Cour suprême a annulé l’enquête sur les causes du décès et a estimé que l’auteur avait droit à une véritable information préliminaire.

2.5Le procès a commencé le 12 août 1998 au Tribunal spécial chargé des crimes odieux de Cebu City. L’accusation a cité son premier et principal témoin, l’accusé Davidson Valiente Rusia, auquel l’immunité avait été promise en échange de la vérité. Le témoin à charge a déposé contre l’auteur et ses coaccusés à l’instigation du juge. Le contre‑interrogatoire a eu lieu les 13 et 17 août 1998. Au cours des audiences, le témoin a pour la première fois reconnu avoir violé Marijoy Chiong. Toutefois, le deuxième jour, le contre‑interrogatoire a été interrompu lorsque le témoin s’est dit pris d’étourdissements après avoir reconnu qu’il avait menti au sujet de ses précédentes condamnations, lesquelles auraient dû le priver du bénéfice de l’immunité. Le témoin a comparu une nouvelle fois devant le tribunal le 20 août 1998, mais son contre‑interrogatoire a de nouveau tourné court en raison d’allégations selon lesquelles il avait été suborné. Ainsi, le même jour, le juge du fond a décidé que, vu les contraintes de temps et afin de prévenir tout risque que le témoin soit tué, enlevé, menacé ou suborné, le contre‑interrogatoire prendrait fin le jour même à 17 heures. Le conseil de l’auteur a alors refusé de participer au procès et a demandé au juge du fond de se récuser. Le 24 août 1998, il a sommairement été déclaré coupable d’outrage au tribunal, arrêté et emprisonné. Le procès a été suspendu.

2.6L’auteur a donné son accord écrit concernant la révocation de son conseil et a demandé qu’un délai de trois semaines lui soit accordé pour lui permettre de le remplacer. Le 31 août 1998, le tribunal a refusé de reporter le procès davantage et a offert aux accusés la possibilité de réengager leur conseil, qui était en prison, le procès devant reprendre le 3 septembre 1998. Le 2 septembre 1998, le tribunal a ordonné au ministère public de commettre au tribunal une équipe d’avocats pour assurer à titre provisoire la défense des accusés jusqu’à ce que ces derniers engagent un nouveau conseil. Le 3 septembre 1998, le procès a repris et le tribunal a désigné trois avocats du ministère public pour assurer la défense de tous les accusés qui n’avaient pas de conseil, parmi lesquels se trouvait l’auteur. Ce dernier a réaffirmé qu’il souhaitait choisir son propre conseil.

2.7Du 3 au 18 septembre 1998, période pendant laquelle l’auteur était représenté par un conseil du ministère public, 25 témoins à charge ont été entendus. En vertu d’une ordonnance du 8 septembre 1998, le tribunal a reporté le contre‑interrogatoire de plusieurs autres témoins à charge à la demande des accusés qui insistaient pour que le contre‑interrogatoire soit effectué par l’avocat de leur choix, qu’ils n’avaient pas encore désigné. À l’audience du 24 septembre 1998, le conseil de l’auteur qui venait d’être nommé a demandé que les témoins à charge soient de nouveau interrogés. Le tribunal a rejeté cette demande. Il a également refusé d’accorder au conseil de l’auteur le report de 20 ou 30 jours que celui‑ci demandait pour prendre connaissance du dossier et procéder efficacement au contre‑interrogatoire des témoins. Le tribunal a au contraire fixé au 30 septembre 1998 la date du contre‑interrogatoire au motif que le procès devait être terminé dans un délai de 60 jours. Du 1er au 12 octobre 1998, le conseil de l’auteur a de nouveau procédé au contre‑interrogatoire du principal témoin à charge, M. Rusia. Néanmoins, en date du 12 novembre 1998, à la demande de l’accusation, le témoin a bénéficié d’une immunité de poursuites en sa qualité de témoin. Dans son ordonnance rendue le 8 octobre 1998, le tribunal n’avait accordé au nouveau conseil que quatre jours pour décider de contre‑interroger ou non des témoins à charge qui avaient été entendus alors que l’auteur était représenté par un avocat du ministère public. Le 12 octobre 1998, le conseil a refusé, en signe de protestation, de procéder au contre‑interrogatoire de ces témoins. Par ordonnance du 14 octobre 1998, le tribunal a décidé que tous les accusés avaient renoncé à leur droit de contre‑interroger les témoins à charge.

2.8Le 23 novembre 1998, 14 témoins ont déposé en faveur de l’auteur et confirmé que ce dernier se trouvait à Quezon City juste avant, pendant et après la commission de l’infraction alléguée à Cebu City, située à plus de 500 kilomètres de là. Plusieurs éléments de preuve ont été produits devant le tribunal à l’appui de cette affirmation. Le 9 décembre 1998, le juge du fond a refusé d’entendre d’autres témoins au motif que leur déposition serait substantiellement la même que celle des autres témoins cités par l’auteur. Les 6, 12, 18, 20, et 25 janvier 1999, il a refusé d’entendre les dépositions d’autres témoins de la défense au motif qu’elles étaient «sans intérêt et insignifiantes», alors que, d’après l’auteur, elles étaient déterminantes pour établir son alibi. Il ressort, par exemple, des minutes du procès que le juge a refusé d’entendre un témoin de la défense, le 12 janvier 1999, parce que sa déposition n’aurait pas prouvé qu’il était «physiquement impossible» à l’auteur d’être à Cebu City au moment des crimes. Le 1er février 1999, l’auteur n’a pas non plus été autorisé à témoigner. Le 2 février 1999, le tribunal a rendu une ordonnance établissant que tout nouvel élément de preuve relatif à l’alibi de l’auteur ne pourrait être que répétitif ou superflu dans la mesure où celui‑ci avait déjà fait citer 14 témoins. Le 3 février 1999, la juridiction de jugement a confirmé sa décision de ne pas autoriser l’auteur à témoigner.

2.9Le 5 mai 1999, le Tribunal spécial chargé des crimes odieux a reconnu l’auteur coupable de l’enlèvement et de la séquestration de Jacqueline Chiong et l’a condamné à la réclusion à perpétuité («reclusion perpetua»). Le Tribunal a estimé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir la culpabilité de l’auteur concernant les chefs d’inculpation d’enlèvement et de séquestration accompagnés d’homicide et de viol sur la personne de Marijoy Chiong. Le 10 mai 2000, l’auteur a formé un recours auprès de la Cour suprême en invoquant quatre points: i) les garanties d’une procédure régulière n’avaient pas été respectées − violation du droit de choisir un conseil et du droit de bénéficier d’une défense valable, refus d’entendre la déposition de l’auteur, refus d’autoriser l’auteur à faire comparaître des témoins à décharge et déni d’un procès impartial en raison du comportement du président du tribunal; ii) la déposition du principal témoin à charge n’avait pas été correctement traitée; iii) les preuves de l’accusation n’étaient pas suffisantes pour établir la culpabilité; et iv) le niveau de preuve exigé pour établir l’alibi était inadéquat.

2.10Bien qu’elle soit habilitée, en vertu de son règlement, à procéder à des auditions, la Cour suprême a suivi sa pratique habituelle consistant à n’interroger aucun témoin pendant la procédure d’examen et à ne se fonder que sur l’évaluation des éléments de preuve par la juridiction inférieure. Le 3 février 2004, la Cour a reconnu l’auteur coupable non seulement de l’enlèvement et de la séquestration de Jacqueline Chiong, mais également du crime complexe d’enlèvement et de séquestration avec homicide et viol sur la personne de Marijoy Chiong. L’auteur a été condamné à la peine capitale par injection létale. Le 2 mars 2004, un recours en révision a été formé devant la Cour suprême, que cette dernière a rejeté le 21 juillet 2005.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 6 du Pacte dans la mesure où l’État partie a rétabli la peine de mort après l’avoir abolie. Il fait valoir que la peine de mort avait été abolie lorsque la nouvelle Constitution était entrée en vigueur le 2 février 1987 (art. 3 19) 1)). Le 13 décembre 1993, le Congrès a adopté la loi de la République no 7659 qui autorisait l’application de la peine de mort pour sanctionner certains crimes. L’auteur rappelle que si la majorité des juges de la Cour suprême a conclu que la nouvelle législation autorisant la peine capitale n’était pas inconstitutionnelle, une minorité d’entre eux a toutefois déclaré que «la Constitution n’avait pas simplement suspendu l’application de la peine de mort, elle l’avait en réalité complètement abolie en droit». Cette opinion minoritaire a été réitérée lors de l’examen du cas de l’auteur.

3.2L’auteur allègue une violation de l’article 6 au motif que la Cour suprême l’a condamné automatiquement à la peine capitale en application de l’article 267 du Code pénal révisé. Elle n’a par conséquent pris en considération aucune circonstance atténuante éventuelle, telle que l’âge relativement jeune de l’auteur. Ce dernier soutient que la peine de mort obligatoire constitue une violation de son droit de ne pas être privé arbitrairement de la vie.

3.3L’auteur allègue que le paragraphe 2 de l’article 14 a été violé et que l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le Tribunal spécial chargé des crimes odieux et la Cour suprême a été manifestement arbitraire et a constitué un déni de justice, en violation de son droit à être présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Premièrement, l’auteur soutient que les éléments de preuve concernant l’homicide ou le viol étaient insuffisants. Il rappelle que c’est la conclusion à laquelle était parvenue la juridiction de jugement dans le cas de Marijoy Chiong comme dans celui de Jacqueline Chiong, et que le principal témoin à charge n’avait même pas mis en cause l’auteur dans l’homicide de Marijoy Chiong. De sérieux doutes ont été exprimés par un médecin légiste au sujet des éléments de preuve soumis au tribunal. La Cour suprême a néanmoins reconnu l’auteur coupable de l’homicide et du viol de Marijoy Chiong en se fondant exclusivement sur les éléments de preuve soumis à la juridiction de jugement. Deuxièmement, l’accusation reposait sur la déposition d’un témoin qui avait été inculpé des mêmes infractions. Ce témoin a déposé contre l’auteur en échange de son propre acquittement. L’auteur rappelle que le juge du fond a reconnu que le témoin avait menti, mais a considéré que sa déposition n’était pas entièrement mensongère. La Cour suprême n’a pas examiné les raisons pour lesquelles le témoin avait déposé contre son coaccusé, pas plus qu’elle n’a évalué le crédit accordé à sa déposition. Enfin, l’auteur fait valoir que tant la juridiction de jugement que la Cour suprême ont à tort renversé la charge de la preuve en lui imposant de démontrer qu’il lui était «matériellement impossible» de se trouver sur les lieux où les infractions avaient été commises. Le seul élément de preuve incriminant l’auteur reposait sur la déposition des témoins à charge qui déclaraient l’avoir reconnu, alors que l’auteur devait apporter des «éléments de preuve précis et convaincants» démontrant qu’il ne se trouvait pas sur les lieux où les infractions avaient été commises. L’auteur affirme par conséquent qu’il n’a pas été présumé innocent en raison du renversement de la charge de la preuve.

3.4L’auteur allègue une violation du paragraphe 1 et du paragraphe 2 de l’article 14 dans la mesure où tant la juridiction de jugement que la Cour suprême ont fait l’objet de pressions extérieures émanant de puissants groupes sociaux, en particulier de la communauté sino‑philippine à laquelle les victimes appartenaient, qui demandaient l’exécution des accusés. La tante des victimes était la secrétaire du Président Estrada, lequel avait demandé l’exécution de l’auteur après le jugement rendu en premier ressort. Les accusés ont fait l’objet d’une couverture médiatique hostile avant le jugement, ce qui a donné aux juges des idées préconçues sur l’affaire. Enfin, l’auteur estime que l’existence de ces idées préconçues est manifeste dans les décisions rendues.

3.5L’auteur allègue des violations de l’article 14 au motif que les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées par le Tribunal spécial chargé des crimes odieux ont été fondées sur de graves irrégularités de procédure qui, séparément ou cumulativement, constituent des violations de cette disposition. Premièrement, l’auteur n’a pas pu témoigner à son propre procès en violation des paragraphes 1, 3 d) et 3 e) de l’article 14. Il fait valoir son droit à exposer sa cause de la meilleure manière possible, ce qui dans les faits signifie que l’accusé a le droit de répondre aux allégations de l’accusation et de fournir des éléments de preuve à l’appui de son innocence. Dans son arrêt, la Cour suprême a simplement pris note du refus de la juridiction de jugement d’autoriser l’auteur à témoigner.

3.6Deuxièmement, l’auteur affirme qu’il n’a pas pu faire citer et interroger des témoins dans des conditions d’égalité, en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14. Le juge du fond a refusé d’entendre plusieurs témoins de la défense et a effectivement omis de prendre en considération des éléments de preuve indiquant qu’une ou plusieurs autres personnes pouvaient avoir commis les infractions dont l’auteur était accusé. L’auteur rappelle en effet que, le 25 janvier 1999, la juridiction de jugement a refusé de convoquer le directeur du Bureau national d’enquête de Cebu City en qualité de témoin, au motif que l’accusation considérait qu’il n’était pas utile de l’entendre. En fait, le témoignage du directeur aurait établi qu’il y avait à l’origine 25 suspects pour l’enlèvement et que l’auteur n’était pas l’un d’entre eux. Ces éléments de preuve ont été soumis à la Cour suprême, qui a estimé, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2004, qu’ils étaient dénués d’intérêt.

3.7Troisièmement, l’auteur soutient que son droit de contre‑interroger les témoins à charge a été injustement restreint en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14. Il rappelle que le juge du fond a fait obstruction lorsque le conseil de l’auteur a voulu procéder au contre‑interrogatoire du principal témoin à charge (voir le paragraphe 2.5 ci‑dessus). L’auteur affirme que la décision de son nouveau conseil de ne pas contre‑interroger les témoins à charge n’était pas une manœuvre mais l’expression de son refus de se prêter à un procès inique, et qu’il ne devrait pas être pénalisé pour avoir revendiqué le droit de procéder à leur contre‑interrogatoire d’une manière équitable. Il ajoute que son nouveau conseil n’a pas été en mesure de les contre‑interroger parce qu’il n’avait pas entendu l’interrogatoire principal de ces mêmes témoins. S’il avait procédé au contre‑interrogatoire, il aurait été désavantagé par rapport à l’accusation qui, elle, aurait entendu à la fois l’interrogatoire principal et le contre‑interrogatoire des témoins. La Cour suprême n’a pas corrigé ces irrégularités.

3.8Quatrièmement, l’auteur soutient que, compte tenu du caractère irréversible de la peine de mort et de l’inefficacité de la défense assurée par les avocats commis par le tribunal, son conseil n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer la défense, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14. Il n’avait en outre pas pu choisir un conseil en mesure de le défendre valablement, en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14. La décision d’incarcérer le conseil de l’auteur pour outrage au tribunal constitue une violation du Pacte. L’auteur ajoute que le refus d’ajourner le procès pendant un délai raisonnable afin qu’il puisse s’assurer les services d’un nouveau conseil était également illégal; il rappelle par ailleurs qu’à l’audience du 2 septembre 1998 le juge du fond a désigné un avocat du ministère public pour le représenter alors qu’il avait à plusieurs reprises demandé que l’affaire soit renvoyée à une date ultérieure afin qu’il puisse choisir lui‑même son conseil et qu’il avait les moyens de le faire. En conséquence, entre le 3 et le 23 septembre 1998, l’auteur a été représenté par un avocat du ministère public qui avait eu moins d’une journée pour préparer sa défense et auquel avait été refusé tout délai de préparation supplémentaire en violation du Pacte. Pendant cette période, 25 témoins à charge ont été cités sans que le conseil de l’auteur n’oppose la moindre objection. Les avocats du ministère public se sont même plaints d’un conflit d’intérêt dans la mesure où ils avaient, à un moment donné, représenté le principal témoin à charge, qui était l’un des accusés, et qu’ils représentaient à présent les autres accusés. L’auteur fait valoir que son nouveau conseil aurait dû bénéficier d’un délai suffisant pour prendre connaissance du dossier. Bien que ces points aient été soulevés devant la Cour suprême, celle‑ci n’a pas corrigé les irrégularités qui se sont produites pendant le procès.

3.9Cinquièmement, l’auteur soutient qu’il n’a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14. Il rappelle que le juge du fond a poussé le principal témoin à charge à déposer contre lui, ce à quoi son conseil a opposé des objections à plusieurs reprises. Le juge du fond a fait obstruction lors du contre‑interrogatoire de ce témoin le 13 août 1998 et a tenu des propos irrespectueux à l’égard des témoins de la défense. De plus, le juge du fond se trouvait être le juge qui avait apprécié les charges préliminaires portées contre l’auteur le 14 octobre 1997; il n’aurait par conséquent pas dû participer au procès. La question a là encore été soulevée devant la Cour suprême, qui n’y a pas répondu de manière appropriée.

3.10L’auteur allègue des violations du paragraphe 2 de l’article 6 et de l’article 14 au motif que la Cour suprême n’a corrigé aucune des irrégularités constatées dans la procédure de la juridiction de premier degré. Premièrement, les juges de la Cour suprême avaient des idées préconçues au sujet de l’affaire, en violation du paragraphe 1 de l’article 14. L’auteur relève que deux juges de la Cour d’appel qui avaient apprécié les charges préliminaires portées contre lui en 1997 siégeaient à la Cour suprême lorsque celle‑ci a statué sur son cas le 3 février 2004 et lorsqu’elle a rejeté son recours en révision le 21 juillet 2005. L’auteur fait valoir que cela constitue une violation de la règle 137 du Règlement des tribunaux. Un autre juge, dont l’épouse était la grand‑tante des victimes, siégeait également à la Cour suprême lorsque celle‑ci a statué sur l’affaire de l’auteur le 3 février 2004 et a rejeté le recours en révision le 21 juillet 2005. Deuxièmement, la Cour suprême a violé le principe de l’interdiction de l’aggravation d’office des condamnations (ex officio reformatio in peius) consacré par le paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que le droit de recours énoncé au paragraphe 5 de l’article 14. L’auteur rappelle que la Cour suprême l’a reconnu coupable de l’homicide et du viol de Marijoy Chiong et l’a condamné à mort. Troisièmement, l’auteur affirme que la Cour suprême a violé son droit à une audience publique protégé par l’article 14, et en particulier les droits qui lui sont reconnus aux paragraphes 1, 2 et 5 de cet article et au paragraphe 2 de l’article 6, de même que son droit d’être présent à l’audience énoncé au paragraphe 3 d) de l’article 14. L’auteur rappelle que la Cour suprême n’a pas entendu de témoignage oral et qu’il n’a pas été autorisé à assister à la procédure d’appel. Rien ne justifiait qu’il ait été privé d’une procédure orale, en particulier dans la mesure où la décision d’appel a été rendue quatre ans et neuf mois plus tard et où la rapidité n’entrait par conséquent pas en ligne de compte. Enfin, l’auteur soutient que la Cour suprême a violé son droit de recourir à une juridiction supérieure conformément à la loi ainsi que le prescrit le paragraphe 5 de l’article 14. Il fait observer qu’il a été reconnu coupable d’homicide et de viol et condamné à mort pour la première fois en dernier ressort, ce qui l’a privé de la possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure. L’auteur relève également que son recours en révision a été examiné le 21 juillet 2005 par 12 des juges qui l’avaient condamné à mort. Il soutient par conséquent que la décision concernant son recours en révision ne peut pas être considérée comme impartiale.

3.11L’auteur allègue des violations du paragraphe 3 de l’article 9, et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, car la procédure a été excessivement longue. La procédure dans son ensemble s’est déroulée avec un retard excessif, de même que ses différentes étapes. L’auteur rappelle que les poursuites pour enlèvement et séquestration ont été engagées contre lui le 17 septembre 1997, que son procès a commencé 11 mois plus tard, le 12 août 1998, et que le jugement a été rendu 1 an et 8 mois après l’inculpation, le 5 mai 1999. L’auteur a formé un recours le 10 mai 2000 sur lequel la Cour suprême a statué environ 3 ans et 9 mois plus tard, le 3 février 2004. Ainsi, il s’est écoulé 6 ans et 5 mois entre l’inculpation et la décision de la Cour suprême. L’auteur a formé un recours en révision le 2 mars 2004 sur lequel la Cour a statué le 21 juillet 2005, soit 1 an et 4 mois plus tard. Sept ans et 10 mois se sont donc écoulés entre l’inculpation et la décision finale. De l’avis de l’auteur, un tel retard est inexcusable dans la mesure où le travail d’enquête requis était limité et où les preuves se résumaient essentiellement à la déposition de témoins oculaires directs et aux preuves médico‑légales.

3.12L’auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l’article 6 au motif que la condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès dans lequel les garanties d’une procédure régulière ont été bafouées constitue une privation arbitraire de la vie.

3.13L’auteur allègue une violation de l’article 7 en raison de sa période prolongée de détention dans le quartier des condamnés à mort. Il fait valoir que des circonstances impérieuses existent compte tenu du traumatisme constitué par d’autres violations du Pacte ainsi que du risque réel qu’il court d’être en fin de compte exécuté à l’issue d’un procès inique. En effet, la peur et l’incertitude suscitées par une condamnation à mort, exacerbées par le retard excessif de la procédure dans des circonstances où il existe un risque réel que la condamnation soit exécutée, sont source d’une grande angoisse. L’auteur rappelle qu’il n’a contribué en rien au retard, et fait valoir que le risque d’exécution est réel dans la mesure où des exécutions continuent d’être programmées. Bien qu’un moratoire sur l’exécution de la peine capitale ait été annoncé par le Président le 17 septembre 2002, les directives générales préconisant l’octroi de la grâce ont été modifiées le 26 juin 2003 de manière que les demandes de grâce ne soient pas favorablement considérées lorsque la personne condamnée était sous l’emprise de drogues au moment où elle a commis l’infraction. L’auteur rappelle que la Cour suprême a conclu que lui‑même et ses coaccusés avaient consommé de la marijuana avant de commettre les crimes qui leur étaient imputés.

3.14L’auteur fait valoir qu’à la lumière des violations exposées ci‑dessus, l’article 9 du Pacte a été violé dans la mesure où ni les motifs invoqués ni les procédures appliquées pour le priver de liberté ne sont prévus par la loi. Il affirme que sa culpabilité n’a pas été établie au‑delà de tout doute raisonnable et qu’il n’aurait donc pas dû être incarcéré.

3.15En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il a déposé plusieurs plaintes dénonçant toutes les violations exposées ci‑dessus. Toutes les irrégularités de procédure constatées pendant le procès ont été invoquées en appel devant la Cour suprême, et les irrégularités de procédure constatées devant la Cour suprême ont été signalées dans le recours en révision. L’auteur soutient qu’un second recours en révision ne peut pas être considéré comme un recours «utile».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 3 mars 2006, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne le rétablissement de la peine de mort, il affirme que la Constitution de 1987 ne l’a jamais abolie. Il rappelle que l’alinéa 1 du paragraphe 19 de l’article III de la Constitution dispose que la peine de mort ne sera pas imposée «à moins que le Congrès ne la prévoie pour des raisons impérieuses en lien avec des crimes odieux». Il se réfère à l’historique de la rédaction de la disposition pour montrer qu’elle n’a jamais visé à supprimer le droit de l’État d’imposer la peine capitale. Il renvoie en outre à une décision de la Cour suprême, confirmant que nulle part dans l’article III (al. 1 du paragraphe 19) la peine de mort n’est expressément abolie. Il rappelle que la condamnation à la peine de mort pour certains crimes est une question laissée entièrement à la discrétion des instances nationales sous réserve qu’elle ne soit imposée que pour les «crimes les plus graves». L’État partie rappelle aussi qu’il n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Tout en reconnaissant qu’il y a actuellement une tendance à l’abolition de la peine de mort, même pour les crimes les plus graves, il fait valoir que cette considération n’est pas suffisante pour interdire totalement le recours à cette peine. En conséquence, l’article 6 devrait être interprété comme signifiant que, pour les pays qui ont aboli la peine de mort, elle ne peut être rétablie et que, pour ceux qui continuent de l’appliquer, son abolition n’est pas obligatoire bien qu’étant hautement encouragée.

4.2Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la peine de mort a été imposée de façon obligatoire à l’auteur par l’application automatique de la loi sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles circonstances atténuantes, l’État partie rappelle que le Code pénal révisé dispose qu’une personne peut être condamnée pour un acte criminel commis par une autre personne, lorsqu’il y a eu, entre elles, entente délictueuse ou communauté d’objectifs et intention commune de commettre le crime. En conséquence, les parties à une entente délictueuse sont tenues responsables des actes commis par chacune d’entre elles et le degré de participation de chacune pris individuellement est sans importance. En l’espèce, la Cour suprême a conclu que l’auteur et ses coaccusés avaient un même objectif, à savoir enlever et séquestrer les sœurs Chiong. L’existence d’une entente délictueuse ayant été établie, l’auteur est donc responsable du crime complexe d’enlèvement et de séquestration avec homicide et viol, indépendamment de la question de savoir qui a poussé Marijoy Chiong dans le ravin. Pour ce qui est de la jeunesse relative de l’auteur, l’État partie note que si la peine de mort ne peut être imposée à des personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits, l’auteur avait déjà 20 ans lorsqu’il a commis les actes qui lui sont reprochés. Il rappelle que la «jeunesse relative» de l’accusé n’est pas une circonstance atténuante au regard du droit pénal philippin, pas plus qu’elle ne l’est selon la jurisprudence du Comité.

4.3L’État partie rappelle que la peine de mort a été imposée en application de l’article 267 du Code pénal révisé, mais que cela n’a pas empêché le tribunal de tenir compte à la fois des circonstances personnelles de l’auteur et des circonstances de l’infraction. Pour les crimes emportant la peine capitale, les seules circonstances atténuantes pouvant être invoquées sont le statut de mineur, des circonstances justificatives ou exonératoires incomplètes. L’État partie rappelle que l’un des coaccusés n’a pas été condamné à la peine de mort au motif qu’il était mineur au moment des faits. Il rappelle en outre que les garanties requises étaient en place avant l’imposition de la peine de mort et que ces garanties fonctionnent correctement depuis 1993. L’État partie affirme donc que le mot «obligatoire» n’est pas synonyme d’«arbitraire» et qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 6. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, il fait valoir qu’une condamnation à la peine de mort devient obligatoire (mot pris ici au sens d’arbitraire) lorsqu’elle est imposée sans qu’il ait été dûment tenu compte des circonstances de l’infraction et de la situation de l’auteur, c’est‑à‑dire en vertu d’une loi appliquée de manière indifférenciée ou sans tenir compte des circonstances de la participation de l’accusé à la commission de l’infraction. Il se réfère à l’Observation générale no14/23 du Comité en date du 2 novembre 1984 sur l’article 6 du Pacte, dans laquelle le Comité explicite la notion de privation arbitraire de liberté. Il renvoie aussi à deux opinions individuelles annexées aux constatations du Comité dans l’affaire Carpo.

4.4Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’appréciation des faits a été manifestement arbitraire et a constitué un déni de justice, l’État partie fait valoir que l’arrêt de la Cour suprême démontre qu’il y avait des preuves évidentes d’homicide et de viol. Il rappelle qu’un recours au pénal donne lieu à un réexamen de toute l’affaire, et que le fait d’être entendu ou non par la Cour suprême n’est pas une question de droit. Cette juridiction a soigneusement examiné les éléments de preuve dont elle était saisie et a décidé d’infirmer le jugement par lequel le tribunal de première instance avait condamné l’auteur et ses coaccusés à la réclusion à perpétuité.

4.5Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle en première instance l’accusation s’est fondée sur le témoignage d’un complice accusé du même crime, l’État partie rappelle que le tribunal a jugé bon d’accorder du poids à ce témoignage, qui a été confirmé par des témoins désintéressés et qui corroborait les preuves matérielles. Le tribunal de première instance et la Cour suprême ont tous deux été convaincus par ce témoignage.

4.6Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle il y a eu des irrégularités en ce qui concerne le niveau de la preuve exigée et le fardeau de la preuve, l’État partie affirme que, s’il est du devoir de l’accusation de prouver les charges figurant dans l’acte d’accusation, il incombe aussi à la défense de prouver l’existence d’un alibi ou de circonstances justificatives ou exonératoires. En ce qui concerne les motivations du principal témoin à charge, l’État partie rappelle que la Cour suprême n’a discerné chez les témoins aucune raison de faire une fausse déposition contre les accusés. Il conclut que l’auteur n’a pas été privé de son droit à la présomption d’innocence et que l’accusation s’est acquittée du fardeau de la preuve au‑delà de tout doute raisonnable pour chaque élément des infractions en cause.

4.7Pour ce qui est des pressions extérieures qu’auraient subies certains juges, l’État partie note que la décision de la Cour suprême a été rendue par tous les juges, et non par certains d’entre eux seulement. D’autre part, le Président Estrada a été renversé en janvier 2001 et l’auteur a été condamné à mort trois années plus tard. Il est donc impossible que la Cour suprême ait pu condamner l’auteur par suite de pressions exercées par un président qui n’était plus au pouvoir. Quant à l’allégation selon laquelle aussi bien le tribunal de première instance que la Cour suprême avaient des idées préconçues sur l’affaire, l’État partie affirme qu’il ne s’agit là que de spéculations et de conjectures et que la justice a agi en toute indépendance dans la présente affaire.

4.8S’agissant de l’allégation selon laquelle des violations du droit à une procédure équitable invalident la décision du Tribunal spécial chargé des crimes odieux, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas été empêché de témoigner, puisque la défense et l’accusation se sont mises d’accord pour se passer de son témoignage, comme l’a mentionné l’auteur lui‑même dans sa lettre au Comité. L’auteur ne peut donc imputer le fait qu’il n’a pas témoigné à la juridiction de jugement. L’État partie rappelle que les tribunaux locaux peuvent, si l’accusation et la défense sont d’accord, admettre la déposition d’un témoin même si celui‑ci ne figure pas sur la liste des témoins, surtout lorsque la déposition ne sert qu’à corroborer d’autres faits comme c’était le cas en l’espèce.

4.9Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté en ce qui concerne la convocation et l’interrogatoire des témoins, l’État partie rappelle qu’il incombe au juge du fond de faire en sorte que les témoins comparaissent de manière ordonnée et rapide de façon à éviter toute perte de temps. En conséquence, la juridiction de jugement peut se passer de témoignages redondants. Les circonstances qui ont entouré la décision de la juridiction de jugement de ne pas entendre certains témoins de la défense ont été amplement exposées. De tels témoins n’auraient fait que confirmer ce que le tribunal avait déjà entendu.

4.10En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le droit de procéder au contre‑interrogatoire des témoins de l’accusation a été injustement restreint, l’État partie se réfère à l’arrêt de la Cour suprême du 3 février 2004, dans lequel la Cour a rejeté l’allégation selon laquelle les accusés n’avaient pas eu tout le loisir d’interroger le principal témoin à charge au cours du procès. La Cour suprême a également déclaré que le tribunal avait le droit et le devoir de contrôler les contre‑interrogatoires des témoins à la fois pour éviter les pertes de temps et empêcher que les témoins ne soient soumis à un questionnement trop long et indu.

4.11S’agissant de l’allégation selon laquelle le conseil n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer la défense et le droit de l’auteur de choisir son conseil a été violé, l’État partie rappelle que le conseil de l’auteur a été déclaré coupable d’outrage direct au tribunal et emprisonné. Il explique que l’outrage au tribunal est direct lorsqu’il est commis en présence ou à proximité d’un juge, et qu’il peut être puni sommairement, c’est‑à‑dire sans que celui qui s’en rend coupable soit entendu. Il distingue les constatations du Comité dans l’affaire Fernando des circonstances de la présente cause parce que dans l’affaire Fernando la condamnation sommaire pour outrage au tribunal avait été prononcée sans qu’aucune raison soit donnée. En réponse à l’allégation selon laquelle le conseil commis d’office n’était pas suffisamment préparé, l’État partie rappelle que la Cour suprême a estimé que le tribunal pouvait désigner un conseil qu’il jugeait compétent pour que le procès puisse se poursuivre. L’État partie explique qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêt dans la mesure où l’avocat de Rusia, qui relevait aussi du ministère public, n’avait à aucun moment participé à la procédure engagée contre l’auteur et que son rôle s’était limité à obtenir l’immunité de poursuites pour son client. Il se réfère à nouveau à l’arrêt de la Cour suprême, dans lequel la Cour a estimé que c’était au juge du fond qu’il appartenait de prononcer ou non l’ajournement du procès et que son refus ne constituait pas d’ordinaire une atteinte au droit de l’accusé à un avocat.

4.12Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le droit de l’auteur d’être jugé par un tribunal impartial a été violé, l’État partie fait valoir que le juge du fond a le pouvoir de procéder à l’interrogatoire direct ou au contre‑interrogatoire des témoins. Rien ne justifie l’affirmation selon laquelle le juge du fond n’était pas impartial parce que c’était aussi lui qui avait informé l’auteur des chefs d’accusation retenus contre lui et qui lui avait demandé s’il entendait plaider coupable ou non coupable. En outre, ce sont les procureurs du Ministère de la justice et non le juge du fond qui ont mené l’enquête préliminaire dans cette affaire.

4.13Pour ce qui est de la violation présumée du Pacte par la Cour suprême, l’État partie explique que l’ex‑Président de la Cour Davide n’a pas siégé dans cette affaire, comme l’indiquait la note figurant en regard de son nom dans le texte de la décision. S’agissant des deux autres juges mentionnés par l’auteur, il explique qu’aucun d’eux n’a présidé le tribunal du fond qui l’avait condamné. Pour ce qui est du principe de l’ex officio reformatio in peius, l’État partie affirme que selon ce principe une juridiction d’appel ne peut alourdir une sentence prononcée en première instance sans entendre les parties. Or, la procédure devant la Cour suprême est de nature contradictoire, encore que le nombre de plaidoiries soit laissé à la discrétion de la Cour. Un appel dans une affaire pénale donne lieu à un réexamen complet de la cause et il incombe à la juridiction d’appel de corriger toute erreur dans le jugement contesté. L’auteur a eu tout le loisir de présenter ses arguments et observations à la Cour suprême. Pour ce qui est du droit à une audience publique, l’État partie affirme qu’il n’est pas absolu au stade de l’appel et qu’il ne s’applique qu’en première instance. En l’espèce, la Cour suprême n’a pas jugé nécessaire d’entendre les parties.

4.14Pour ce qui est de la violation alléguée du droit de faire appel devant une juridiction supérieure, conformément à la loi, l’État partie rappelle que l’auteur a contesté sa condamnation par le tribunal du fond devant la Cour suprême et que cette allégation est donc sans fondement.

4.15S’agissant de l’allégation de retard excessif dans la procédure, l’État partie affirme que le retard initial était dû au fait que l’auteur a voulu faire annuler les accusations portées contre lui. Au cours du procès, l’auteur a, à lui seul, présenté 14 témoins, et la défense a usé d’«expédients stratégiques» pour retarder la procédure. L’État partie explique que chaque accusé a déposé un appel distinct et que la Cour suprême a dû trancher toutes les questions collatérales, qui avaient été soulevées par l’auteur et ses coaccusés, avant de pouvoir se prononcer sur leur appel. Il affirme que, compte tenu de la complexité de l’affaire et du fait que l’auteur s’est prévalu de tous les recours disponibles, les tribunaux ont agi avec toute la diligence voulue. Pour ce qui est de la question de la libération sous caution, l’État partie explique qu’elle n’est pas accordée lorsqu’un accusé est passible de la peine de mort ou de la prison à vie et qu’il y a de fortes présomptions de culpabilité.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 10 mai 2006, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il prend note du fait que l’État partie a récemment pris la décision − annoncée le 16 avril 2006 − de commuer toutes les condamnations à mort en peine d’emprisonnement à vie. Il se trouve cependant encore dans le quartier des condamnés à mort et n’a reçu du Cabinet de la Présidente aucun document indiquant que sa condamnation à la peine capitale avait été commuée. Il affirme en outre que la Présidente elle‑même ou son successeur peut revenir sur cette décision et qu’en tout état de cause, la question de la violation du principe de l’ex officio reformatio in peius demeurerait dans la mesure où l’emprisonnement à vie constitue, au regard du droit interne, une peine plus lourde que la «réclusion à perpétuité».

5.2L’auteur réitère que la peine de mort a été abolie puis rétablie aux Philippines. Il affirme également qu’il n’a pas été déclaré coupable d’un des «crimes les plus graves», puisque la Cour suprême n’a pas estimé qu’il avait poussé Marijoy Chiong dans le ravin, ni qu’il avait été complice de ce crime, ni même qu’il avait anticipé sa commission. Il affirme que sur la base des faits acceptés par la Cour suprême, il aurait pu uniquement être condamné pour enlèvement, séquestration et viol, actes qui ne font pas partie des «crimes les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6.

5.3L’auteur rappelle que la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Il fait aussi valoir qu’elle est contraire à l’article 7 du Pacte qui interdit les peines cruelles et inusitées.

5.4À propos de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur avait le même objectif que ses coaccusés, à savoir enlever et séquestrer les sœurs Chiong, et qu’il est donc coupable d’entente délictueuse, l’auteur affirme qu’il n’y a pas de preuve directe d’une entente délictueuse et que ni le tribunal du fond ni la Cour suprême n’ont jugé qu’il avait une quelconque connaissance des éléments de l’infraction. Il réaffirme qu’il y a eu de graves vices de procédure au cours de son procès. Il rejette l’affirmation selon laquelle il a renoncé à témoigner et souligne que c’est le juge du fond qui a refusé de l’entendre. Pour ce qui est du refus d’entendre une partie des témoins de la défense, il rappelle que plus de 22 témoins de l’accusation ont été autorisés à témoigner par le tribunal pour corroborer la déposition du principal témoin à charge, alors que le droit de l’auteur d’appeler à la barre des témoins pouvant confirmer sa version des faits a été injustement restreint.

5.5Pour ce qui est du point de vue de l’État partie selon lequel la Cour suprême était habilitée à alourdir la peine imposée par le tribunal du fond et même à infirmer sa décision, l’auteur affirme qu’il est erroné parce qu’un appel devant la Cour suprême vise avant tout à protéger l’accusé. En droit interne, l’accusation n’est pas habilitée à interjeter appel d’un acquittement ou d’une condamnation prononcée par le tribunal du fond. L’auteur insiste par conséquent sur le fait que le principe de l’ex officio reformatio in peius, qui est appliqué par de nombreux pays, a été violé.

5.6Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les retards dont il a été fait état étaient imputables à l’auteur, celui‑ci affirme qu’ils étaient dus en fait à la mauvaise organisation de l’administration judiciaire et, notamment, à un congé annuel prolongé et injustifié pris par le Président du tribunal. À propos de l’argument selon lequel le retard dans la procédure d’appel était dû en partie au fait que chaque défendeur avait déposé un recours distinct, il signale que tous les recours ont été regroupés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie n’a élevé aucune objection à la recevabilité de la communication. Sur la base des informations dont il dispose, il conclut qu’il n’y aucun obstacle à la recevabilité de la communication et la déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité note qu’il ressort du jugement du tribunal du fond et de celui de la Cour suprême que l’auteur a été déclaré coupable d’enlèvement et de séquestration avec homicide et viol en vertu de l’article 267 du Code pénal révisé, qui dispose que «lorsqu’une victime est tuée ou meurt à la suite de sa détention ou est violée […], la peine maximale est imposée». En conséquence, la peine de mort a été imposée par l’application automatique de l’article 267 du Code pénal révisé. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la condamnation automatique et obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire du droit à la vie en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte lorsque cette peine est imposée sans qu’il y ait possibilité de tenir compte de la situation personnelle de l’accusé ou des circonstances particulières de l’infraction. Il s’ensuit que les droits qui sont garantis à l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte ont été violés. Dans le même temps, le Comité prend note de l’adoption par l’État partie, le 25 juin 2006, de la loi de la République no 9346 qui interdit l’imposition de la peine de mort aux Philippines.

7.3Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur selon lequel le rétablissement de la peine de mort pour les «crimes odieux» en vertu de la loi de la République no 7659 constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En raison de l’abolition récente de la peine de mort aux Philippines, le Comité estime que cette plainte est désormais sans objet et qu’il n’a plus besoin de l’examiner dans les circonstances de la cause.

7.4Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle il y a eu violation de la présomption d’innocence, l’auteur a appelé l’attention sur plusieurs faits qui, selon lui, montrent qu’il n’en a pas bénéficié. Le Comité est conscient que dans certains États l’accusé doit prouver son alibi et qu’un certain niveau de preuve est exigé à ce sujet. En l’espèce, cependant, le juge du fond n’a pas donné à l’accusé une latitude suffisante pour exposer sa défense, et a notamment exclu plusieurs témoins susceptibles de confirmer son alibi. Un tribunal pénal ne peut déclarer une personne coupable que s’il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à sa culpabilité, et il incombe à l’accusation de dissiper un tel doute. En l’espèce, le juge du fond a posé à l’accusation plusieurs questions orientées qui tendent à justifier la conclusion que l’auteur n’a pas été considéré innocent avant que sa culpabilité n’ait été établie. Qui plus est, le témoignage à charge d’un complice accusé du même crime devrait, de l’avis du Comité, être traité avec circonspection, d’autant plus qu’il est établi que ledit complice avait menti à propos de ses précédentes condamnations pénales, qu’il avait obtenu l’immunité de poursuites et qu’il avait en fin de compte reconnu avoir violé une des victimes. Le Comité considère que, dans le cas d’espèce, bien que l’auteur ait soulevé les questions susmentionnées, le tribunal du fond et la Cour suprême ne leur ont pas accordé l’attention voulue. Pour ce qui est des déclarations publiques faites par de hauts responsables, qui ont proclamé la culpabilité de l’auteur et auxquelles les médias ont fait une large place, le Comité renvoie à son Observation générale no 13 sur l’article 14 du Pacte dans laquelle on peut lire: «c’est donc un devoir pour toutes les autorités publiques de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès». En l’espèce, le Comité estime que les autorités n’ont pas agi avec la retenue requise par le paragraphe 2 de l’article 14, compte tenu en particulier du fait que le juge du fond a maintes fois suggéré pendant le procès que l’auteur devait être condamné à mort. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté, en violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

7.5Les informations dont le Comité est saisi indiquent que le conseil nommé d’office pour défendre l’auteur a demandé au tribunal l’ajournement du procès, parce qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour préparer la défense de son client, n’ayant été nommé que le 2 septembre 1998, soit la veille de la reprise du procès. De même, le conseil choisi par l’auteur a lui aussi demandé au tribunal d’ajourner le procès afin qu’il puisse préparer la défense de son client, étant donné que l’affaire lui avait été confiée le 24 septembre 1998 et que le procès avait repris le 30 septembre. Le juge n’a pas fait droit à cette demande parce que le procès ne devait pas durer plus de 60 jours. Le Comité considère que, dans une affaire où l’accusé risque la peine capitale, le tribunal doit ajourner le procès pour donner au conseil de l’accusé le temps de préparer sa défense. En l’espèce, aussi bien le conseil choisi par l’auteur que celui qui lui avait été attribué d’office auraient dû obtenir l’ajournement. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

7.6Pour ce qui est de la défense de l’auteur devant le tribunal du fond, le Comité réaffirme qu’il va de soi qu’une représentation en justice doit être assurée dans les affaires où l’accusé encourt la peine de mort. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’un nouveau conseil a été nommé lorsque le précédent a été jugé coupable d’outrage au tribunal et emprisonné. Il ressort clairement des documents dont est saisi le Comité que l’auteur ne souhaitait pas que le conseil nommé par le tribunal le représente, et qu’il a demandé l’ajournement du procès pour recruter un nouveau conseil, qu’il avait les moyens de rémunérer. Dans ces circonstances, et sachant qu’il s’agit d’une affaire où l’accusé encourt la peine capitale, le tribunal du fond aurait dû autoriser l’auteur à changer de conseil, même si cela devait nécessiter un ajournement du procès. Dans la mesure où l’auteur s’est vu privé d’une véritable représentation en justice par le conseil de son choix et que cette question a été soulevée devant la Cour suprême, qui n’a pas pris les mesures correctives requises, les dispositions du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte n’ont pas été appliquées.

7.7S’agissant de l’allégation de l’auteur selon laquelle le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté dans la mesure où son droit de contre‑interroger les témoins à charge a été restreint, le Comité note que le contre‑interrogatoire du principal témoin de l’accusation a été maintes fois interrompu puis clos prématurément par le juge du fond pour éviter qu’il ne soit porté préjudice au témoin (voir plus haut par. 2.5). Le Comité relève également que le juge du fond a refusé d’entendre d’autres témoins de la défense, au motif que leurs témoignages étaient «sans intérêt et insignifiants» et que le temps pressait. Le Comité réaffirme que c’est aux juridictions nationales qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. Cependant, compte tenu de la gravité des chefs d’accusation qui pesaient sur l’accusé dans le cas d’espèce, le Comité estime que le tribunal de première instance, en refusant d’entendre d’autres témoins à décharge pour la seule raison que leurs témoignages étaient «sans intérêt et insignifiants» et que le temps pressait, sans restreindre de la même façon le nombre des témoins à charge, n’a pas satisfait aux prescriptions de l’article 14. En conséquence, il conclut à une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

7.8Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle les droits qui lui sont reconnus à l’article 14, en particulier aux paragraphes 1 et 5, ont été violés, dans la mesure où la Cour suprême n’a pas entendu les témoins mais s’est fondée sur l’interprétation en première instance des éléments de preuve fournis, le Comité renvoie à sa jurisprudence, selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’exige pas un «nouveau procès sur les faits de la cause» ni une «nouvelle audience». Le Comité relève cependant que, dans le cas d’espèce, la Cour suprême, alors qu’elle avait été saisie au sujet de la décision par laquelle le tribunal de première instance avait déclaré l’auteur coupable de l’enlèvement et de la séquestration de Jacqueline Chiong, a déclaré l’auteur coupable également d’enlèvement et de séquestration avec homicide et viol sur la personne de Marijoy Chiong, crimes dont il avait été acquitté en première instance et pour lesquels le ministère public n’avait pas demandé une modification de la condamnation. La Cour suprême, qui n’a pas jugé nécessaire d’entendre les parties, a condamné l’auteur à la peine de mort. Le Comité estime que la Cour suprême, puisqu’elle devait en l’espèce réexaminer l’affaire en fait et en droit, conformément à la législation nationale, et en particulier revoir complètement la question de savoir si l’auteur était coupable ou innocent, aurait dû procéder à des auditions, comme elle y était habilitée en vertu de la loi, afin de garantir que la procédure remplisse les conditions d’un procès équitable qui sont énoncées au paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité note en outre que la Cour suprême a déclaré l’auteur coupable de viol et d’homicide après qu’il eut été acquitté de ces crimes en première instance. De ce fait, l’auteur n’a eu aucune possibilité de faire examiner sa condamnation à mort par une juridiction supérieure conformément à la loi, comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 14. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte.

7.9Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés parce que le tribunal du fond et la Cour suprême n’étaient pas des juridictions indépendantes et impartiales, le Comité constate que le juge du fond et deux juges de la Cour suprême avaient participé à l’examen des accusations préliminaires portées contre l’auteur en 1997. En l’espèce, le fait que ces juges aient participé à la procédure préliminaire leur a permis de se faire une opinion sur l’affaire avant le procès et la procédure d’appel. Leur connaissance de l’affaire ne peut être dissociée des accusations qui pesaient contre l’auteur et de l’appréciation de ces accusations. En conséquence, la participation de ces juges au procès et à la procédure d’appel est incompatible avec le principe d’impartialité prévu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.10Le Comité a noté les explications de l’État partie concernant le retard dans la procédure. Il estime néanmoins que ce retard est le fait des autorités et qu’aucun retard important ne peut être attribué à l’auteur. Quoi qu’il en soit, il ne peut être reproché à l’auteur d’avoir fait appel. Le paragraphe 3 c) de l’article 14 exige que tout accusé soit jugé sans retard excessif, et cette règle s’applique également au droit de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation, qui est garanti au paragraphe 5 de l’article 14. Le Comité considère que le fait qu’une période de sept ans et dix mois se soit écoulée entre l’arrestation de l’auteur en septembre 1997 et la décision par laquelle la Cour suprême a rejeté sa demande de réexamen en juillet 2005 est incompatible avec les dispositions du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

7.11Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 7, le Comité considère que condamner une personne à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable équivaut à la soumettre injustement à la peur d’être exécutée. Dans des circonstances où il existe une possibilité réelle que la peine soit exécutée, cette peur ne peut qu’être la source d’une profonde angoisse. Ce sentiment ne saurait être dissocié de l’iniquité de la procédure qui a débouché sur la condamnation. De fait, le Comité a précédemment souligné qu’une condamnation à la peine de mort qui ne peut être empêchée par l’article 6 entraîne automatiquement une violation de l’article 7. En conséquence, le Comité considère que la condamnation de l’auteur à la peine de mort à l’issue d’une procédure au cours de laquelle les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue un traitement inhumain en violation de l’article 7 du Pacte.

7.12Compte tenu de la conclusion figurant au paragraphe 7.11 ci‑dessus, le Comité n’a pas besoin d’examiner la question de savoir si, étant donné que l’auteur a été condamné à mort à l’issue d’une procédure non conforme aux exigences de l’article 14, sa condamnation à mort constitue aussi une violation des droits garantis à l’article 6 (voir plus haut par. 3.12). Il ne juge pas non plus nécessaire d’examiner le grief invoqué par l’auteur au titre de l’article 9 (voir plus haut par. 3.14).

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, et des paragraphes 1, 2, 3 b), c), d), e) et 5 de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective sous la forme de la commutation de sa condamnation à la peine de mort assortie de la possibilité de demander une libération conditionnelle anticipée. L’État partie est aussi tenu de prendre des mesures pour éviter des violations similaires à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Pacte l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie dans un délai de 90 jours des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également tenu de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

1.Je renvoie à mon opinion individuelle en l’affaire Carpo et consorts c. Philippines (communication no 1077/2002).

2.Il ne me paraît pas approprié que le Comité cite ici un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, à la note de bas de page 59.

(Signé) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

Un adage d’avocat chargé d’implications morales dit que «la peine de mort, c’est différent». Lorsqu’une personne accusée d’un crime encourt la peine capitale, chaque juridiction du premier et du second degré a une obligation essentielle de s’assurer que la justice est rendue équitablement. En l’espèce, les juges du Tribunal spécial chargé des crimes odieux qui ont conduit le procès et ceux de la Cour suprême des Philippines qui ont réexaminé l’affaire ont pris un certain nombre de décisions sans accorder la considération requise à la défense.

Cependant, le Comité des droits de l’homme, en constatant qu’il y a violation du Pacte par l’État partie, tire un certain nombre de conclusions catégoriques qui ne trouvent pas un appui suffisant dans son explication de l’affaire. Si nous étions les juges de première instance, nous pourrions décider d’administrer l’affaire différemment. Mais nous ne pouvons conclure à une violation du Pacte pour cette seule raison. Nous devons, au minimum, expliquer comment, dans le contexte d’un procès donné et de l’exposé des faits y relatifs, une norme du Pacte n’a pas été respectée.

Par exemple, au paragraphe 7.4, le Comité relève avec préoccupation que le témoignage d’un complice a été pris en considération et que des questions orientées ont été posées dans le cadre du réquisitoire du ministère public contre l’accusé pour «enlèvement et séquestration avec homicide et viol» (voir par. 7.2). Le Comité note que ces deux faits n’ont pas reçu «l’attention voulue» et laisse entendre qu’ils ont contribué au non‑respect du principe de la présomption d’innocence, en violation du paragraphe 2 de l’article 14. Les questions orientées sont toutefois permises dans nombre de systèmes judiciaires, et les juges ont souvent le droit d’interroger les témoins. Dans le système philippin, l’établissement des faits est confié au juge et le recours à un jury n’est pas prévu: il n’y a donc pas lieu de se demander si l’intervention du tribunal pourrait influencer le jury. Et si c’est la suffisance des preuves qui est mise en cause, force est de noter, comme l’affirme l’État partie sans soulever d’objection de la part de l’auteur, que 25 autres témoins de l’accusation ont déposé à la barre, dont certains qui étaient «désintéressés», et que des preuves matérielles ont été produites.

Le Comité a également conclu, au paragraphe 7.5, que l’accusé avait été privé des droits consacrés aux alinéas b et d du paragraphe 3 de l’article 14 parce que le juge du fond, au milieu du procès, avait refusé plusieurs demandes d’ajournement des audiences. Cependant, l’accusé était jugé en même temps que six coaccusés et tout délai accordé à l’un d’entre eux aurait porté atteinte au droit des autres d’être jugé promptement. Le premier conseil de l’accusé aurait pu réserver à la procédure d’appel son grief concernant les limites du contre‑interrogatoire du principal complice, au lieu de refuser de continuer à participer au procès. Le tribunal a donné une semaine à l’accusé pour engager un nouveau conseil ou pour réengager celui qu’il avait au départ, et après ce délai il a commis des avocats d’office pour procéder au contre‑interrogatoire des témoins de l’accusation. L’auteur n’a pas donné à entendre que le contre‑interrogatoire ait été conduit de manière inadéquate, et le Comité n’est pas parvenu à cette conclusion non plus. Lorsque l’accusé a engagé un nouveau conseil privé trois semaines plus tard, celui‑ci a demandé un délai de 20 à 30 jours pour étudier le dossier. Rares sont les juges qui autoriseraient une interruption aussi longue de la procédure orale, et l’auteur n’a pas expliqué pourquoi un délai de préparation aussi long était nécessaire, ni évoqué un quelconque moyen de défense que son conseil n’aurait pas fait valoir. Le juge a fixé une date limite au conseil pour décider de procéder ou non au contre‑interrogatoire des témoins de l’accusation, mais ce délai était de 18 jours pleins après sa nomination. Aucun motif susceptible de rendre ce délai insuffisant, par exemple l’absence de minutes ou d’autres obstacles, n’a été évoqué.

De même, le Comité affirme au paragraphe 7.9 que l’accusé a été privé du droit d’être jugé par «un tribunal compétent, indépendant et impartial», tel que consacré au paragraphe 1 de l’article 14, parce que «le juge du fond et deux juges de la Cour suprême avaient participé à l’examen des accusations préliminaires portées contre l’auteur en 1997». Cependant, de nombreux systèmes judiciaires prévoient une procédure préliminaire en matière pénale, au cours de laquelle l’inculpé peut contester des questions concernant son arrestation, les motifs suffisants pour engager des poursuites ou les charges retenues aux fins de jugement. Lorsque l’on parle de préjugés de la part d’un juge, on pense généralement à des éléments étrangers à l’affaire qui pourraient le prévenir contre l’une des parties. On ne fait pas référence à son intervention à un stade antérieur de la procédure. De fait, dans certains systèmes judiciaires, les affaires pénales ayant des points communs sont délibérément confiées à un même juge, afin de mettre à profit sa connaissance des problèmes en cause. Il serait assurément exagéré de considérer qu’un juge qui aurait statué sur une demande de mise en liberté sous caution, un placement en détention préventive ou l’opportunité d’une inculpation ne pourrait plus intervenir par la suite dans l’affaire concernée. Rien ne permet de penser que dans le cas d’espèce les juges aient eu des préjugés découlant d’opinions formées antérieurement lors de leur examen de l’affaire à titre professionnel.

Le Comité n’a pas davantage essayé d’expliquer pourquoi il a choisi, à propos de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14, de s’écarter de sa jurisprudence établie. Dans ses délibérations, le Comité s’est référé à une décision antérieure relative à l’affaire Collins c. Jamaïque (communication no240/1987, constatations adoptées le 1er novembre 1991), et en particulier à l’opinion individuelle signée de quatre membres du Comité. Il convient toutefois de rappeler que, dans cette affaire‑là, la majorité du Comité avait un avis contraire à celui qui est exprimé en l’espèce. Dans l’affaire Collins c. Jamaïque, un juge de première instance avait examiné et accueilli une requête visant à changer le lieu de l’audition préliminaire, et aurait déclaré «en aparté seulement, que s’il devait juger l’auteur il veillerait à ce qu’il soit condamné à la peine capitale» (voir Collins c. Jamaïque, supra, par. 2.3). Le jury n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur un verdict à l’issue du premier procès, un nouveau procès a été ordonné. Étonnamment, ce deuxième procès sur le fond a été confié au juge qui avait fait des remarques partiales à l’occasion de la requête concernant l’audition préliminaire.

En dépit de la gravité de ces faits, le Comité a estimé qu’«[a]près avoir examiné avec soin les informations dont il était saisi, [il] ne [pouvait] conclure que les observations attribuées au juge G. [le juge en question] au cours de la procédure de mise en accusation devant le tribunal de première instance de Portland [s’étaient] traduites par un déni de justice [pour l’accusé] pendant [son] second procès…», en ajoutant que l’avocat de la défense avait estimé «préférable de ne pas intervenir» (voir Collins c. Jamaïque, supra, par. 8.3). Les quatre membres du Comité qui ont joint une opinion individuelle ont également pris note des «remarques attribuées au juge G.» tout en relevant qu’«il appar[tenait] à l’État partie d’édicter et de faire appliquer les incompatibilités entre les différentes fonctions judiciaires».

Un autre précédent cité par le Comité est l’affaire Karttunen c. Finlande (communication no 387/1989, constatations adoptées le 23 octobre 1992) mais il n’est pas plus utile. Dans cette affaire pénale, deux juges non professionnels siégeaient au sein d’un collège de six juges, alors que des liens familiaux les unissaient à deux membres de la société qui était partie plaignante. L’État partie a immédiatement admis que leur nomination n’était pas appropriée car ils pouvaient avoir un intérêt personnel. Dans cette affaire, le Comité a conclu ce qui suit: «L’“impartialité” du tribunal exige que les juges n’aient pas d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis et qu’ils n’agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l’une des parties.» (Karttunen c. Finlande, par. 7.2). Il a également déclaré que les juges auraient dû être récusés en vertu de la législation nationale, et qu’un tribunal devrait de lui‑même appliquer les dispositions réglementant la récusation des juges. Mais le Comité n’a pas remis en cause la position adoptée par la majorité de ses membres en l’affaire Collins c. Jamaïque. On ne comprend guère pourquoi, maintenant, il ignore sa propre jurisprudence.

Enfin, le Comité saisit cette occasion pour énoncer une doctrine novatrice, à savoir que toute irrégularité de procédure contraire à l’article 14 dans un procès où l’accusé encourt la peine capitale a pour conséquence que la condamnation en soi constitue une violation de l’article 7. Le principe à la base de cette conclusion est qu’une personne condamnée à tort à l’issue d’un procès entaché de vices de procédure est davantage exposée à des souffrances morales qu’un accusé passible de la peine capitale dans un procès respectueux des normes. Certes, il est évident que la perspective d’être condamné à mort est source d’angoisse pour tout accusé. Mais le Pacte n’a pas aboli la peine capitale. Dans le Pacte lui‑même, l’engagement contre la «torture» ou les «peines [ou traitements] cruels, inhumains ou dégradants» qu’emporte l’article 7 a une grande portée et ne devrait pas servir inutilement à punir les États parties qui n’ont pas voulu abolir la peine de mort.

Le Comité déclare de manière sibylline qu’une condamnation à la peine de mort qui ne peut être empêchée par l’article 6 entraîne automatiquement une violation de l’article 7, mais cette conclusion n’est pas confirmée par l’affaire Errol Johnson c. Jamaïque citée à l’appui (communication no 588/1994, constatations adoptées le 22 mars 1996). La question qui se posait dans l’affaire Errol Johnson c. Jamaïque était plutôt celle de savoir si une incarcération prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue en soi une forme de traitement inhumain, la conclusion étant que ce n’est pas au bout d’un nombre déterminé d’années qu’elle est susceptible de le devenir.

Cette conclusion inattendue du Comité semble plutôt découler de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Öcalan c. Turquie (requête no 46221/99, 12 mai 2005, par. 167 à 175). Mais, comme l’a fait valoir la juridiction strasbourgeoise, il existait au sein de la Communauté européenne un vaste consensus sur l’abolition de la peine de mort, qui justifiait en soi le recours à une forme d’interprétation téléologique (voir Öcalan c. Turquie, par. 162 à 164). En revanche, le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, entré en vigueur le 11 juillet 1991, ne compte actuellement que 57 États parties et 7 États signataires, ce qui représente une minorité face aux 156 États parties et 6 États signataires du Pacte lui‑même. Les convictions intimes des membres du Comité concernant la peine de mort ne les autorisent pas à ignorer le texte conventionnel et à faire abstraction du consentement d’États souverains. En tout état de cause, ainsi qu’il ressort du dossier de l’affaire, les Philippines ont maintenant aboli la peine capitale.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

Annexe VI

DÉCISIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

A. Communications n os 993-995/2001, Crippa, Masson et Zimmermann c.  France (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentées par:

Gabriel Crippa, Jean-Louis Masson et Marie-Joe Zimmermann (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

France

Date des communications:

1er septembre 2000 (date de la lettre initiale), 13 mars 2001 (idem), 13 mars 2001 (idem)

Objet: Contentieux électoral devant le Conseil constitutionnel

Questions de procédure:Réserve de l’État partie; qualité de victime; irrecevabilité ratione materiae; étaiement de la plainte

Questions de fond:Nature du contentieux électoral au regard de l’article 14 du Pacte; droit à des élections libres; atteinte à l’honneur; droit à un recours

Articles du Pacte:2 (par. 3 a) et b)), 14 (par. 1, 3 a) et b), 5 et 7), 15 (par. 1), 17 (par. 1) et 25

Articles du Protocole facultatif:1er, 2, 3 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs des communications, Mme Marie-Joe Zimmermann, M. Jean-Louis Masson et M. Gabriel Crippa, de nationalité française, se déclarent victimes de violations par la France des articles 2, paragraphes 3 a) et b), 14, paragraphes 1, 3 a) et b), 5 et 7, 15, paragraphe 1, 17, paragraphe 1, et 25 du Pacte. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits

2.1À l’issue des élections législatives qui se sont déroulées les 25 mai et 1er juin 1997, M. Masson, Président du parti local «Metz pour tous» a été réélu député de la troisième circonscription de la Moselle, avec Mme Zimmermann pour suppléante.

2.2Il a battu les autres candidats dont M. Crippa, représentant de l’ADL, Association de défense des locataires constituée en vue de dénoncer des malversations dans le cadre de la gestion de l’office public d’habitations à loyers modérés de la ville de Metz.

2.3Les comptes de campagne respectifs de MM. Crippa et Masson ont été approuvés par la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques.

2.4Néanmoins, saisi de deux requêtes présentées par des électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription, le Conseil constitutionnel a annulé, par une décision du 16 décembre 1997, les opérations électorales. Le Conseil constitutionnel a jugé que la candidature de M. Crippa doit être regardée comme constituant une manœuvre ayant permis à M. Masson d’avoir recours, pour les besoins de sa campagne, à certains moyens de propagande électorale dont les dépenses ne sont pas retracées dans son propre compte de campagne, mais dans celui de M. Crippa; que M. Crippa et M. Masson ont méconnu les principes d’unicité et d’exhaustivité du compte de campagne énoncés à l’article L.52-12 du Code électoral. Il a, en outre, déclaré MM. Crippa et Masson inéligibles pour une durée d’un an à compter du jour même.

Le Conseil constitutionnel a estimé avoir réuni suffisamment d’indices sérieux et concordants pour établir que M. Masson, député sortant, avait suscité la candidature de M. Crippa dans le seul but de favoriser sa propre candidature en faisant appel à un troisième candidat et avait assuré le financement intégral de la campagne de M. Crippa par l’intermédiaire d’une association dont il était le fondateur et le Président.

2.5L’annulation des opérations électorales litigieuses a également mis fin à l’électionde Mme Zimmermann comme suppléante, conformément à la législation et à une jurisprudence constante de la France.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs contestent la procédure engagée dans le cadre du Conseil constitutionnel et la décision de ce dernier. Ils rappellent que lorsque la requête n’est pas déclarée irrecevable ou manifestement mal fondée par le Conseil, avis est donné au membre du Parlement dont l’élection est contestée, ainsi que, le cas échéant, à son remplaçant; ceux-ci peuvent désigner la personne de leur choix pour les représenter et les assister dans les différents actes de procédure. Après avoir pris connaissance de la requête, ils peuvent produire leurs observations écrites. De plus, les requérants et les parlementaires dont l’élection est en cause peuvent demander à être entendus en séance. Enfin, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Mme Zimmermann précise être la victime, d’une part, directe de la violation de ses droits protégés par le Pacte en raison de l’annulation de son élection en tant que suppléante et, d’autre part, indirecte en raison des violations des droits de MM. Masson et Crippa par le Conseil constitutionnel.

3.2Les auteurs font part de violations du droit à un procès équitable et des garanties en découlant au titre de l’article 14, paragraphes 1, 3 a) et b). Ils dénoncent le fait que M. Crippa n’ait pas été informé de l’engagement d’une procédure à son encontre, et estiment qu’il s’agit d’une irrégularité constituant un vice de procédure les affectant tous. Ils se plaignent également du fait que M. Masson n’ait pas été avisé qu’il lui était reproché d’avoir méconnu le principe «d’unicité du compte», et qu’ils n’aient pas eu accès aux dossiers (consultation des comptes de campagne de leurs adversaires aux élections). Ils contestent, en outre, le caractère secret et non contradictoire de la procédure devant le Conseil constitutionnel, et précisent que le rapport rédigé par le rapporteur du Conseil constitutionnel n’étant pas communiqué aux parties, celles‑ci sont dans l’incapacité de répondre aux éventuelles accusations.

3.3Les auteurs font valoir que la décision du Conseil constitutionnel constitue une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où les comptes des candidats avaient été approuvés par la Commission nationale des comptes de campagne, ce qui constituait alors un jugement définitif.

3.4Les auteurs soutiennent avoir été condamnés pour une action ou une omission ne constituant pas une infraction pénale selon le droit national, ceci en violation de l’article 15, paragraphe 1, du Pacte. Ils déclarent, à cet égard, que le principe d’unicité du compte de campagne retenu à leur encontre par le Conseil constitutionnel est, en fait, contraire à la loi laquelle prévoit que chaque candidat doit présenter un compte séparé. Dès lors, d’après les auteurs, le Conseil constitutionnel n’a pas entendu leur cause équitablement en violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

3.5Les auteurs déclarent que la décision du Conseil constitutionnel n’était pas impartiale, mais répondait à des motifs politiques, à savoir pour ledit conseil − composé de personnalités de gauche − nuire aux élus de droite et d’extrême droite lors des élections législatives, et dans le cas de J.-L. Masson réprimer ses interventions devant l’Assemblée nationale dénonçant l’implication de hauts membres de la franc-maçonnerie et anciens ministres de gouvernements de gauche, dont l’ex-Président du Conseil constitutionnel et le maire de Metz, dans des affaires politico‑financières. Les auteurs invoquent une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

3.6Ils estiment, par ailleurs, que la décision du Conseil constitutionnel constitue une violation du droit d’être élu et d’organiser une campagne électorale en toute liberté, tel que protégé par l’article 25 du Pacte, et porte atteinte à leur honneur, ceci en violation de l’article 17, paragraphe 1, du Pacte.

3.7Ils soulignent la gravité des conséquences «civiles» de l’inéligibilité prononcée à l’encontre de MM. Masson et Crippa. Ils expliquent qu’à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, les deux auteurs sanctionnés ont dû rembourser au Trésor public la somme que leur avait versé l’État conformément à la loi. Par ailleurs, la garantie de ressource payée aux anciens députés non réélus (30 000 FF pendant six mois) a été refusée à M. Masson au motif de son inéligibilité, de même que l’honorariat dont bénéficie tout député ayant plus de 18 ans de mandat. En outre, selon les auteurs, l’inéligibilité serait une mesure de nature pénale. Cela tiendrait au fait qu’elle a un caractère infamant, que l’article L.131‑26 du nouveau Code pénal en fait une peine accessoire ou complémentaire de certaines peines prononcées par les juridictions répressives, et que le candidat dont le compte de campagne est rejeté peut être poursuivi sur le fondement de l’article  L.113-1 du Code électoral et être condamné à une peine d’amende ou de prison.

3.8Enfin, d’après les auteurs, le fait que la décision du Conseil constitutionnel ne puisse faire l’objet d’aucun recours est contraire aux articles 2, paragraphes 3 a) et b), et 14, paragraphe 5, du Pacte. Les auteurs estiment, en outre, que la réserve de la France à l’article 14, paragraphe 5, ne peut s’appliquer dans le cas présent puisqu’elle vise les contraventions et les crimes, et non les délits.

3.9Les auteurs déclarent avoir épuisé les voies de recours internes. Mme Zimmermann et M. Crippa précisent que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. M. Masson indique que la présente affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, et a été déclarée irrecevable au motif que le contentieux a un caractère exclusivement électoral (aucun caractère civil ou pénal). Se référant à la communication no 441/1990 (Casanovas c. France), M. Masson estime que la Cour européenne n’a pas décidé sur le fond et que dès lors la réserve de la France ne s’applique pas.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 22 octobre 2001, l’État partie conteste la recevabilité des communications.

4.2En premier lieu, il soulève la réserve de la France à l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif pour la communication de M. Masson. Relativement à la référence faite par l’auteur à la communication no 441/1990 (Casanovas c. France), l’État partie estime qu’il convient d’observer que la Cour européenne a déclaré irrecevable la requête de M. Masson, non seulement parce que certains de ses griefs étaient incompatibles ratione materiae avec la Convention, mais aussi car elle était, pour le surplus, manifestement infondée. En effet, les griefs tirés de la violation des articles 3 du Protocole, 1er, 13 et 14 de la Convention ont été déclarés irrecevables car manifestement mal fondés. Dès lors, selon l’État partie, les griefs tirés de la violation des articles 2, paragraphe 3, et 25 du Pacte, portant sur les mêmes droits que ceux que la Cour européenne a estimé non violés, à savoir le droit au recours et le droit à des élections libres, sont à l’évidence irrecevables, compte tenu de la réserve de la France. S’agissant des griefs de la requête relatifs à une méconnaissance de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la Convention et jugés incompatibles ratione materiae, l’État partie estime que la même solution d’irrecevabilité doit être retenue. En effet, dans ses constatations sur la communication no 441/1990 (Casanovas c. France), le Comité avait considéré celle-ci recevable après avoir pris soin de relever que «les droits que proclame la Convention européenne différaient sur le fond comme au regard des procédures d’application des droits proclamés par le Pacte». Or, en l’espèce, l’État partie estime que les droits protégés par l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la Convention sont exactement de même nature que ceux garantis par les articles 14 et 15 du Pacte, d’où l’irrecevabilité de ces griefs. L’État partie rappelle que le Comité a adopté une telle solution dans ses constatations relatives à la communication no 168/1984 (M. V. c. Norvège). L’État partie précise que sa réserve est formulée dans des termes rigoureusement identiques à celle de la Norvège, et que le litige porté devant le Comité concerne les mêmes parties, les mêmes griefs et les mêmes faits que ceux en cause devant la Cour européenne.

4.3En second lieu, l’État partie estime que la communication de Mme Zimmermann est irrecevable, faute pour elle de justifier de sa qualité de victime d’une violation du Pacte. La décision par laquelle le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales et déclaré inéligibles pour un an MM. Crippa et Masson n’a lésé aucun des droits de la requérante. En effet, en vertu de l’article L.O. 176-1 du Code électoral, la qualité de suppléante de M. Masson ne lui donnait vocation à le remplacer que pour «cause de décès, d’acceptation de fonctions gouvernementales ou de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au-delà de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement». Au contraire, l’annulation des opérations électorales et l’inéligibilité de M. Masson lui ont permis de se présenter aux élections législatives consécutives à cette annulation et d’être élue députée le 1er février 1998.

4.4En troisième lieu, l’État partie soutient que les griefs invoqués sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, ceci à titre principal pour M. Crippa, et à titre subsidiaire pour M. Masson et Mme Zimmermann.

4.5D’après l’État partie, cette incompatibilité concerne, tout d’abord, les griefs soulevés au titre des articles 14 et 15 du Pacte. Il explique que ces deux articles ne concernent que les droits et obligations de caractère civil ainsi que les accusations en matière pénale, et ne sont pas applicables au présent litige qui est de caractère politique. Se référant à l’Observation générale no 13, l’État partie précise qu’en droit interne, le présent litige est étranger à la matière pénale et ne porte sur aucun droit de caractère civil. Il met en cause un droit politique, régi par un ensemble de règles totalement distinct, ce qui explique la compétence juridictionnelle non des tribunaux de droit commun, mais du Conseil constitutionnel, ainsi que le prévoit l’article 59 de la Constitution. Dès lors, les auteurs ne sauraient se prévaloir d’un quelconque droit de caractère civil au sens des stipulations de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. L’État partie ajoute que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà statué en ce sens à propos des dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, rédigées dans des termes analogues. Le droit de se porter candidat à une élection à l’Assemblée nationale et de conserver son mandat «est de caractère politique et non “civil” au sens de l’article 6, paragraphe 1, de sorte que les litiges relatifs à l’organisation de son exercice − tels ceux portant sur l’obligation des candidats de limiter les dépenses électorales − sortent du champ d’application de cette disposition», même si l’inéligibilité a pour corollaire l’impossibilité de se faire rembourser par le Trésor public les dépenses de campagne et revêt donc en partie un aspect patrimonial. Bien plus, la Cour a rappelé sa position en la matière lorsqu’elle a examiné, dans les circonstances ci‑dessus rappelées, la requête de M. Masson relative aux élections litigieuses: «La Cour constate que le contentieux dont il est question portait sur la régularité d’opérations électorales, nonobstant ses implications patrimoniales pour le requérant, il n’avait donc pas trait à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil de ce dernier (…)». D’après l’État partie, en l’espèce, la distinction entre les litiges de caractère civil et ceux de nature politique s’impose d’autant plus qu’elle est nécessairement induite par l’intitulé du Pacte. Si une assimilation de ces différents droits avait été envisagée par ses auteurs, aucune référence aux droits politiques n’aurait été prévue.

4.6L’État partie estime également que les auteurs ne sauraient davantage prétendre avoir été l’objet d’une quelconque accusation en matière pénale, toujours au sens des stipulations de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. À nouveau, force est de constater que les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte sont libellées de façon similaires à celles de la Convention européenne. Or, la Cour européenne refuse de considérer que l’inéligibilité puisse relever de la matière pénale. Pour déterminer si un requérant fait l’objet d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, la Cour a recours à trois critères, à savoir «la qualification juridique de l’infraction litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et le degré de sévérité de la sanction». Dans sa décision Masson précitée, la Cour a très exactement analysé le régime du financement des campagnes électorales en ces termes: «(La Cour) observe à cet égard que le Code électoral instaure le principe du plafonnement des dépenses électorales des candidats à la députation et un contrôle du respect de ce principe. Chaque candidat est ainsi notamment tenu d’établir et de déposer un compte de campagne selon les modalités prescrites à l’article L.52-12 du Code électoral. Celui qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et les délais prescrits par l’article L.52-12 − tel le requérant − dont le compte de campagne a été rejeté ou qui a dépassé le plafond des dépenses électorales peut ainsi se voir déclarer inéligible pendant une année (art. L.O.128 du Code électoral); s’il s’agit d’un candidat proclamé élu, le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d’office (art. L.O.136-1 du Code électoral).». Appliquant les trois critères ci‑dessus rappelés, la Cour en a conclu: «À l’évidence, ces dispositions ne relèvent pas du droit pénal français, mais du droit des élections. Un manquement à une norme juridique régissant une telle matière ne saurait davantage être qualifié de “pénal” par nature. Par ailleurs, l’inéligibilité durant une année ne constitue, ni par sa nature ni par son degré de sévérité, une sanction plaçant la question dans la sphère “pénale”. Enfin, les peines envisagées à l’article L.113-1 du Code électoral ne sauraient entrer en ligne de compte en l’espèce, dans la mesure où le requérant n’a fait l’objet d’aucune poursuite sur le fondement de cette disposition.». Dès lors, la Cour a considéré que les griefs, identiques à ceux exposés par M. Masson en l’espèce, et tirés de ce que sa cause n’aurait pas été entendue équitablement, par un tribunal indépendant et impartial, en audience publique, sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention. D’après l’État partie, la même solution devrait être adoptée dans la présente affaire.

4.7Relativement aux griefs des auteurs quant au fait de ne pas avoir été informé de ce qu’il leur était reproché par le Conseil constitutionnel d’avoir méconnu le principe de l’«unicité du compte», ceci en violation de l’article 14, paragraphe 3, du Pacte; d’avoir été condamné alors que la décision de la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne avait acquis un caractère définitif, ceci en violation de l’article 14, paragraphe 7, du Pacte; et de l’absence de recours contre la décision du Conseil constitutionnel, ceci au mépris de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte, l’État partie rappelle que la Cour européenne a, là encore, considéré que cette partie de la requête de M. Masson, évoquant une violation de l’article 6, paragraphe 3, et 7 de la Convention était incompatible ratione materiae avec ces dispositions. Elle a jugé que «le requérant n’ayant pas fait l’objet, devant le Conseil constitutionnel, d’une “accusation en matière pénale” au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, il ne peut se dire “accusé” au sens de l’article 6, paragraphe 3». La Cour a ajouté: «Il en va de même de l’article 7 de la Convention, le requérant n’ayant pas été “condamné” pour une “infraction pénale”.». D’après l’État partie, cette solution peut être reprise en l’espèce puisque l’article 14, paragraphe 3, du Pacte énumère les droits de «toute personne accusée», l’article 14, paragraphe 5, prévoit le droit à un double degré de juridiction pour «toute personne accusée» et l’article 14, paragraphe 7, vise le cas d’un individu «puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été (…) condamné».

4.8Relativement au grief de violation de l’article 15 du Pacte, l’État partie estime que cette partie des communications est incompatible avec les dispositions du Pacte dans la mesure où l’article 15 fait référence à un individu condamné pour un «acte délictueux» alors que le dépassement du plafond des dépenses électorales reproché à MM. Masson et Crippa ne constitue pas un acte délictueux, ni en droit français, ni au sens du Pacte.

4.9Eu égard au grief de violation de l’article 17 du Pacte, l’État partie fait valoir que la mesure d’inéligibilité ne porte pas atteinte à l’honneur des auteurs, mais a pour seul motif le dépassement du plafond des dépenses de campagne. Elle est prévue par l’article L.O.128, alinéa 2, du Code électoral selon lequel: «Est également inéligible pendant un an celui qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l’article 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. Peut également être déclaré inéligible, pour la même durée, celui qui a dépassé le plafond des dépenses électorales tel qu’il résulte de l’article L.52-11.». Il ressort donc des termes mêmes de ces dispositions que l’inéligibilité est la conséquence automatique du dépassement du plafond des dépenses de campagne. Au surplus, le Comité a précisé que l’adjectif «illégal» signifie qu’aucune immixtion ne peut avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi. Les immixtions autorisées par les États ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une loi, qui doit elle-même être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte. Or, l’inéligibilité étant prévue par l’article L.O.128 du Code électoral, celle-ci n’est donc pas «illégale». Par ailleurs, selon l’État partie, cette inéligibilité est conforme aux objectifs de l’article 25 du Pacte. La fixation de plafond aux dépenses électorales exposées par les candidats a, à l’évidence, pour objectif d’assurer la liberté de l’expression des électeurs, la sincérité et l’honnêteté du scrutin et l’accès égal aux fonctions publiques électives. L’inégalité susceptible d’être prononcée en cas de méconnaissance de ces règles poursuit le même objectif. Il s’agit donc d’une immixtion intervenant sur le fondement d’une loi conforme aux objectifs du Pacte. Enfin, il convient de souligner que la loi a confié à une juridiction le soin de prononcer cette inéligibilité, ce qui constitue, à l’évidence, une garantie supplémentaire pour les intéressés. L’État partie estime donc que la violation invoquée de l’article 17 du Pacte est incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.10Concernant le grief de violation de l’article 25 du Pacte, l’État partie explique que cet article est rédigé dans des termes proches de ceux de l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne. La Cour européenne, lors de l’examen de la recevabilité de la requête de M. Masson, a rappelé que «cet article garantit le droit de se porter candidat lors de l’élection du corps législatif et une fois élu d’exercer son mandat». La Cour a ensuite reconnu que «ce droit n’est cependant pas absolu: les États peuvent l’entourer de conditions et, en la matière, ils jouissent d’une large marge d’appréciation». La tâche de la Cour se résume alors à s’assurer que lesdites conditions ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés. Spécialement, elles ne doivent pas contrecarrer «la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif». La Cour a alors apprécié le régime français des dépenses de campagne dans les termes suivants: «Le plafonnement des dépenses de campagne des candidats à la députation et le mécanisme de contrôle du respect de ce principe que met en œuvre le Code électoral français tendent à assurer une certaine égalité entre les candidats et participent ainsi directement à la garantie de “la libre expression de l’opinion du peuple sur le corps législatif”; la menace de l’inéligibilité apparaît alors comme un moyen pertinent de contraindre lesdits candidats au respect de ces règles. Ainsi, si la mesure prise à l’encontre du requérant s’analyse en une ingérence dans son droit de se porter candidat à la députation et d’exercer son mandat, la légitimité du but poursuivi par celle‑ci n’est pas douteuse. Elle n’est d’ailleurs pas véritablement mise en cause par le requérant, dont la critique porte essentiellement sur le caractère prétendument arbitraire et injuste de la décision prise en sa cause par le Conseil constitutionnel.». Après avoir rappelé les motifs de la décision du Conseil constitutionnel, et estimé que la mesure litigieuse ne saurait passer pour disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi, la Cour a jugé que cette partie est manifestement mal fondée et, partant, irrecevable. L’État partie estime que le même raisonnement conduit à considérer que le grief tiré par les auteurs d’une violation de l’article 25 est irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.11Eu égard au grief de violation de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, en raison de l’absence d’appel contre la décision du Conseil constitutionnel, l’État partie estime que les auteurs n’invoquent pas, par ailleurs, un grief défendable sur le terrain du Pacte, tel que ci‑dessus exposé. Or, le Comité a rappelé que le droit général à un recours utile est un droit accessoire. D’après l’État partie, la Cour européenne, dans sa décision sur la recevabilité de la requête de M. Masson a adopté un tel raisonnement: «La Cour rappelle que si l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention, cette disposition ne vaut que pour les griefs “défendables” sur le terrain de ladite Convention. Eu égard à ses conclusions relatives aux autres griefs soulevés par le requérant, la Cour estime que cette condition n’est pas remplie en l’espèce.». La Cour a considéré que cette partie encore de la requête n’était manifestement pas fondée. L’État partie estime dès lors que la même solution d’irrecevabilité prévaudra en l’espèce.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires du 22 janvier et du 7 octobre 2002, les auteurs contestent les arguments d’irrecevabilité de l’État partie. Concernant la réserve soulevée par la France au titre de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif à l’endroit de la communication de M. Masson, ils contestent ce motif d’irrecevabilité dans la mesure où, selon eux, le Comité et la Cour européenne des droits de l’homme exercent des contrôles différents, et le Pacte est, en partie, différent de la Convention européenne, en l’occurrence l’article 25. Par ailleurs, les auteurs remettent en cause la décision d’irrecevabilité de la Cour européenne laquelle, d’après eux, tout en reconnaissant l’existence d’incidences civiles et pénales des décisions du Conseil constitutionnel, les juge à tort accessoires, et estime que la décision principale est politique.

5.2Eu égard aux arguments d’irrecevabilité de l’État partie au titre de l’article premier du Protocole facultatif à l’égard de Mme Zimmermann, les auteurs précisent que la requérante avait initialement été élue comme députée suppléante de M. Masson. Dès lors, l’annulation de l’élection par le Conseil constitutionnel a généré un triple préjudice à son encontre, à savoir politique du fait de l’annulation de son élection; civil de part la suppression du remboursement forfaitaire de l’État pour la campagne électorale; et pénale puisque la sanction d’inéligibilité de M. Masson a rejailli moralement sur sa suppléante. Les auteurs précisent que l’élection, par la suite, de Mme Zimmermann au poste de député n’a pas effacé l’injustice initiale commise par le Conseil constitutionnel.

5.3Enfin, les auteurs contestent les autres arguments d’irrecevabilité de l’État partie et réitèrent les éléments de leur plainte.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Considérant que les communications nos 993/2001, 994/2001 et 995/2001 ont trait au même objet et qu’elles peuvent donc à bon droit être traitées conjointement, le Comité décide de traiter conjointement de ces trois communications.

6.3Eu égard à M. Masson et à ses griefs au titre des articles 14, paragraphes 1, 3 a) et 5, 15, paragraphe 1, 25, et 2, paragraphes 3 a) et b), du Pacte, le Comité note que la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté, le 14 septembre 1999, le recours de l’auteur concernant les mêmes faits et points litigieux dont le Comité est à présent saisi. Le Comité rappelle, en outre, qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité «n’a pas compétence pour examiner une communication d’un particulier si la même question est examinée ou a déjà été examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement».

6.4Le Comité note que la Cour européenne a considéré que les allégations de l’auteur de violations du droit à un procès équitable et de certaines garanties s’y rattachant pour l’accusé ainsi que de condamnation pour une action qui ne constituait pas une infraction d’après le droit national étaient incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention européenne dans la mesure où, selon la Cour, le contentieux en cause n’avait pas trait à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil et l’auteur ne faisait pas l’objet d’une accusation en matière pénale. Conformément à sa jurisprudence, le Comité rappelle que des griefs ayant été déclaré irrecevables ratione materiae n’ont pas, au sens de la réserve, été examinés d’une façon qui exclut, dans le cas d’espèce, que le Comité les examine à son tour. Le Comité ne peut, à cet égard, retenir l’argument d’irrecevabilité de l’État partie se fondant sur la communication no 168/1984 (M. V. c. Norvège) dans la mesure où cette plainte soumise au Comité avait été déclarée manifestement mal fondée par la Commission européenne des droits de l’homme, et non pas incompatible ratione materiae.

6.5Le Comité note, en outre, que la Cour européenne a considéré que les dispositions de la Convention européenne qui avaient été violées selon l’auteur au regard de ses griefs de violation du droit à des élections libres, du droit à un recours effectif, et de discrimination fondée sur les opinions politiques étaient applicables et a examiné tous les points de fait et de droit qui se posaient dans le cas d’espèce. Ayant examiné de façon approfondie et exhaustive l’ensemble des aspects de la question, la Cour a déclaré ces griefs irrecevables car manifestement mal fondés.

6.6En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel les dispositions du Protocole no 1 à la Convention européenne relatives au droit à des élections libres sont différentes de celles du Pacte invoquées dans le cas d’espèce, le fait qu’il existe des différences de formulation entre les dispositions n’est pas suffisant à lui seul pour permettre de conclure qu’une question qui est soulevée au titre d’un point protégé par le Protocole n’a pas été examinée par la Cour européenne. La preuve d’une différence substantielle entre les dispositions applicables dans le cas d’espèce doit être apportée. Dans l’affaire en cause, les dispositions de l’article 3 du Protocole telles qu’elles ont été interprétées par la Cour sont suffisamment proches des dispositions de l’article 25 du Pacte invoquées dans la communication de M. Masson pour que l’on considère que les questions pertinentes ont été examinées.

6.7Il s’ensuit que la communication a été examinée par une autre instance internationale pour ce qui est des griefs ayant trait au droit à des élections libres et aux opinions politiques. Relativement au droit à un recours effectif, le Comité constate que la Cour européenne a déclaré ce grief manifestement mal fondé dans la mesure où les autres griefs avaient été déclarés irrecevables.

6.8Finalement, il ressort que la communication de M. Masson a été examinée par une autre instance internationale pour ce qui est des griefs de violations des articles 14, paragraphe 1 (grief relatif au caractère impartial et politique de la décision du Conseil constitutionnel), et 25 du Pacte. En conséquence, l’alinéa a de la réserve de l’État partie concernant le Protocole facultatif est applicable et le Comité ne peut pas examiner ces aspects de la communication de M. Masson.

6.9Eu égard aux autres griefs au titre des articles 14, paragraphes 1, 3 a) et b), 5 et 7, 15, paragraphe 1, 17, paragraphe 1, et 2, paragraphes 3 a)et b), du Pacte, le Comité estime que ces questions n’ayant pas été examinées − y compris pour certaines non soulevées par le requérant à savoir celles au titre des articles 14, 3 b) et 17 − par la Cour européenne ne peuvent donc être couvertes par la réserve de la France et doivent être considérées conjointement aux plaintes de Mme Zimmermann et M. Crippa.

6.10Eu égard à Mme Zimmermann, le Comité a pris note de l’argumentation de l’État partie faisant valoir l’irrecevabilité de sa communication au motif de l’absence de la qualité de victime d’une violation du Pacte. Le Comité a également noté les arguments de l’auteur affirmant avoir été affectée, en tant que députée suppléante, par l’annulation de l’élection de M. Masson. Le Comité estime que Mme Zimmermann, en dépit du fait qu’elle était concernée par la décision du Conseil constitutionnel, ne peut être considérée comme étant victime d’une violation du Pacte. La décision du Conseil constitutionnel n’a pas ignoré son droit à être élue, et de fait, Mme Zimmermann a été élue au poste de députée lors des nouvelles élections législatives organisées. En conséquence, la plainte de l’auteur doit être déclarée irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

6.11Concernant M. Crippa, relativement à la première partie de sa communication au titre des articles 14, paragraphes 1, 3 a) et b), 5 et 7, et 15, paragraphe 1, du Pacte, plainte couvrant également celle de M. Masson, le Comité estime que le litige en question ayant trait à la régularité du contentieux électoral ne constitue pas une contestation et ne peut être appréhendé dans le cadre d’une accusation en matière pénale. Le Comité déclare, dès lors, ces griefs incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.12Eu égard au grief de violation de l’article 17, paragraphe 1, du Pacte soulevé par M. Crippa et retenu à l’endroit de M. Masson, ayant examiné l’argumentation de l’État partie et l’affirmation des auteurs d’atteinte à leur honneur de par l’annulation de leur élection et, pour les deux candidats, M. Crippa et M. Masson, leur inéligibilité pour un an, le Comité estime que, compte tenu des circonstances de l’espèce, les éléments présentés par les requérants ne sont pas suffisamment étayés et ne permettent donc pas d’établir la recevabilité des griefs au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.13Concernant l’allégation de violation de l’article 25 du Pacte soulevé par M. Crippa, ayant pris note des arguments de l’État partie et de l’assertion des auteurs selon laquelle la décision du Conseil constitutionnel représente une violation du droit d’être élu et d’organiser une campagne électorale en toute liberté, le Comité rappelle sa jurisprudence sur ce point au titre de l’article 25 du Pacte, à savoir que le droit de voter et d’être élu n’est pas un droit absolu, et que des restrictions peuvent y être apportées à condition qu’elles ne soient pas discriminatoires ou déraisonnables. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas étayé les éléments de leur plainte au regard des limites portées à leur droit d’être élu et qui seraient contraire à l’article 25 du Pacte, et déclare dès lors leur grief irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que les communications sont irrecevables en vertu des articles 1er, 2 et 3 et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

B. Communication n o  1012/2001, Burgess c. Australie(Décision adoptée le 21 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

M. Brian John Lawrence Burgess(représenté par Mauro Gagliardi et Fred John Ambrosede la Fédération internationale des droits de l’homme)

Au nom de:

L’auteur et son épouse, Mme Jennefer Anne Burgess,et leurs enfants, Dustin, Luke et Malia Burgess

État partie:

Australie

Date de la communication:

13 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion; séparation des membres d’une famille

Questions de procédure: Recevabilité ratione personae, épuisement des recours internes

Questions de fond: Torture psychologique, immixtions illégales et arbitraires dans la cellule familiale, protection de la famille, égale protection de la loi

Articles du Pacte: 2, 3, 5, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 16, 17, 23, 24 et 26

Articles du Protocole facultatif: 1er et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Brian John Lawrence Burgess, de nationalité britannique, né en Angleterre en 1952, qui a résidé en Australie de 1969 au 10 juillet 2000, date à laquelle il a été expulsé vers le Royaume‑Uni. Il est représenté par Mauro Gagliardi et Fred John Ambrose de la Fédération internationale des droits de l’homme, lesquels ont présenté copie du mandat les autorisant à agir au nom de l’auteur.

1.2Dans une lettre du 17 juillet 2001, l’auteur a présenté une demande de mesures provisoires visant à lui permettre de revenir dans l’État partie afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne lui soit causé à lui et à sa famille. La demande a été rejetée par le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications le 18 juillet 2001.

1.3Le 17 août 2001, les conseils ont également présenté la communication au nom de l’épouse de l’auteur, Jennefer Anne Burgess, de nationalité australienne, née en 1949, et de leurs enfants, Dustin, né en Australie le 29 mars 1983, ainsi que Luke et Malia, des jumeaux nés en Australie le 27 avril 1985, qui résident encore tous en Australie. Les conseils n’ont toutefois pas présenté de mandat émanant de l’auteur ou de l’épouse de celui‑ci les autorisant à agir au nom de l’épouse et des enfants de l’auteur.

1.4Les conseils déclarent que les membres de la famille sont victimes de violations par l’Australie des articles 2, 3, 5, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 16, 17, 23, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte).

Exposé des faits

2.1Le 2 septembre 1969, à l’âge de 17 ans, l’auteur a émigré en Australie dans le cadre du British Boy’s Movement for Australia et a reçu un visa de résident permanent. Au début des années 70, il a épousé Jennefer Anne Burgess et ils ont eu trois enfants.

2.2Au début du mois de juillet 1996, l’auteur a été arrêté. Le 24 octobre 1996, il a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation pour «importation en quantité commercialisable de drogue interdite (cocaïne)», et condamné à une peine de prison de sept ans avec une durée incompressible de quatre ans, pour chacun des chefs d’accusation, les deux peines étant à purger concurremment. Pendant son séjour en prison, l’auteur a suivi un programme de travail préparatoire à sa libération.

2.3Le 27 mars 1998, M. Burgess a reçu un avis d’intention d’annuler son visa émanant du Département de l’immigration. Le 16 mars 2000, après un entretien relatif à cet avis, le visa de M. Burgess a été annulé par le ministre en vertu de l’article 501 2) de la loi de 1958 sur l’immigration (la loi), au motif qu’il avait des «antécédents judiciaires importants» au sens de l’article 501 6) a) de la loi, et ne satisfaisait donc pas au critère de personnalité. Si une personne est réputée ne pas satisfaire au critère de personnalité, le ministre doit prendre sa décision compte tenu de diverses considérations telles que la protection de la société australienne, l’intérêt supérieur de l’enfant, etc. La décision du ministre était fondée sur un rapport établi par le responsable du dossier conformément à la loi sur l’immigration. Le rapport énumérait les principaux facteurs que le ministre devrait prendre en compte pour statuer sur le cas de l’auteur, et concluait que le seul facteur militant en faveur de l’annulation du visa était la gravité du délit de l’auteur. Les facteurs qui militaient contre l’annulation étaient le risque de récidive, considéré comme faible, et la situation très difficile qu’allaient connaître les enfants, l’épouse et l’auteur si le visa de M. Burgess était annulé et s’il était expulsé vers le Royaume‑Uni.

2.4Le 14 avril 2000, l’auteur s’est vu notifier l’annulation de son visa par le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles. Cette notification était ainsi libellée: «le Ministre ayant statué personnellement sur votre cas, il ne vous est pas possible de faire appel de cette décision devant le Tribunal des recours administratifs. Toutefois, vous pouvez vous adresser à un avocat qui vous indiquera les autres voies de recours prévues par la loi qui pourraient vous être ouvertes».

2.5Le 27 avril 2000, le ministre a refusé de reconsidérer sa décision du 16 mars au motif que l’article 501 2) ne conférait pas le pouvoir de revenir sur les décisions prises en vertu de cet article. Le 5 juillet, l’auteur a présenté à la Cour fédérale une demande de réexamen de la «décision» du Ministre du 27 avril. La demande a été rejetée le 10 juillet au motif qu’il ne s’agissait pas d’une «décision», le Ministre n’étant pas habilité à réexaminer une décision prise en vertu de l’article 501 2) de la loi.

2.6Le 10 juillet 2000, M. Burgess a été placé en libération conditionnelle et, le même jour, expulsé vers le Royaume‑Uni, après avoir vécu plus de 30 ans dans l’État partie. Le 23 août 2001, il a présenté, par l’intermédiaire de sa femme, une demande de visa pour conjoint, qui a été rejetée.

2.7En ce qui concerne le critère de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il a épuisé les recours disponibles.

2.8L’auteur déclare qu’il a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, mais que cette requête est dirigée exclusivement contre le Royaume‑Uni.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers le Royaume‑Uni l’empêche de vivre dans le pays qui a été le sien pendant toute sa vie d’adulte. En outre, il prétend que la cellule familiale a éclaté parce que son expulsion se traduit par une séparation permanente d’avec sa femme et ses enfants, qui sont restés en Australie et ne peuvent lui rendre visite pour des raisons financières.

3.2L’auteur allègue en outre une violation des droits que lui reconnaît le Pacte parce qu’à son avis la décision du ministre a été arbitraire et a constitué un abus de son pouvoir discrétionnaire, du fait qu’elle a été prise au mépris des recommandations émanant du responsable du dossier qui a établi le rapport sur le cas de l’auteur.

3.3L’auteur affirme que son expulsion représente une torture psychologique, à la fois pour lui, son épouse et ses enfants. Il fait valoir que, pendant qu’il purgeait sa peine, il a bénéficié de permissions de sortie d’une journée et d’un week‑end, pendant lesquels il est resté exclusivement avec sa famille. Pendant ces moments‑là, ses enfants ont pensé qu’il s’agissait d’un processus de retrouvailles avec la famille, mais ce n’était pas le cas. Il souligne également qu’on ne l’a pas autorisé à faire ses adieux à sa famille avant son expulsion.

3.4L’auteur affirme être victime d’inégalité, car les arrêtés d’expulsion qui ne sont pas signés directement par le ministre peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal des recours administratifs, possibilité qui lui a été refusée, puisque la loi stipule que les arrêtés d’expulsion signés par le ministre sont «non susceptibles de recours». De plus, l’auteur affirme qu’en sa qualité de citoyen britannique arrivé en 1969 il entre dans une catégorie, définie par la High Court (Cour suprême) dans son arrêt Patterson, de personnes qui ne peuvent être expulsées car elles ne peuvent être considérées comme «étrangères» au sens de la Constitution australienne et ne sont par conséquent pas visées par la loi sur l’immigration. L’auteur considère qu’il a reçu un traitement inégal par rapport à d’autres personnes arrivées avant 1973, dont l’arrêté d’expulsion a été annulé par la Cour suprême pour ce motif.

3.5Enfin, l’auteur affirme qu’il a été puni deux fois pour le même délit.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Le 11 mars 2002, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère que l’intégralité de la communication est irrecevable ratione personae dans la mesure où elle est prétendument présentée au nom de Mme Burgess et des enfants Burgess alors que ceux‑ci n’ont pas donné mandat pour agir en leur nom. Il fait observer que rien n’indique que Mme Burgess ou l’un quelconque des enfants du couple aient donné aux conseils mandat pour agir en leur nom. S’agissant des enfants, rien n’indique que M. ou Mme Burgess ait autorisé les représentants à agir au nom des enfants Burgess qui n’ont pas la capacité de donner eux‑mêmes une telle autorisation (l’Australie note toutefois qu’étant donné leur âge les trois enfants peuvent donner leur consentement s’ils le souhaitent). Selon l’État partie, pour que la communication soit recevable à l’égard de Mme Burgess et des trois enfants, les conseils auraient dû fournir la preuve:

Que Mme Burgess et soit M. ou Mme Burgess au nom des enfants, soit l’un quelconque des enfants personnellement, ont autorisé les conseils à agir en leur nom; ou

Que les conseils ont avec Mme Burgess et les enfants des liens suffisamment étroits pour justifier qu’ils agissent en leur nom sans autorisation expresse et que les circonstances l’exigent.

L’État partie affirme que les conseils n’ont apporté aucune preuve à cet effet, alors qu’ils étaient pleinement conscients de cette exigence, puisqu’ils ont présenté le mandat donné par M. Burgess.

4.2L’État partie considère en outre que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en ce qui concerne la décision d’annuler le visa de l’auteur et son expulsion vers le Royaume‑Uni. Il fait valoir que l’auteur affirme à tort que la décision du ministre d’annuler son visa et de l’expulser était «non susceptible d’appel», et que, si la décision ne pouvait pas être réexaminée par le Tribunal des recours administratifs, sa légalité aurait pu être attaquée devant la Cour fédérale ou la Cour suprême (High Court) d’Australie. Ces recours étaient disponibles, connus de l’auteur et de ses conseils et auraient constitué une voie de recours utile pour corriger tout vice éventuel entachant la décision du ministre. Mais l’auteur n’a pas formé ces recours dans les délais légaux fixés par la loi sur l’immigration.

4.3De surcroît, l’auteur aurait pu se prévaloir des recours constitutionnels pour demander un réexamen juridictionnel de la décision du ministre par la Cour suprême (High Court) dans sa compétence originelle, pour demander l’autorisation d’engager une procédure devant la Cour suprême pour attaquer la décision d’annuler son visa et de l’expulser d’Australie, et pour former un recours en habeas corpus contre l’Australie devant la Cour suprême. Il n’a pas été démontré que ces recours n’étaient pas disponibles ou auraient été dépourvus d’effet.

4.4L’État partie estime que, hormis l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9 à l’égard de M. Burgess, toutes les allégations formulées dans la communication sont irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte. Plusieurs allégations sont irrecevables en vertu de l’article premier du Protocole facultatif à l’égard de certains membres de la famille du fait qu’ils ne peuvent être considérés comme victimes des violations alléguées. Enfin, l’État partie estime que l’intégralité de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’aucune des allégations n’est étayée.

4.5Sur le fond, l’État partie fait valoir que les allégations sont dénuées de fondement car les preuves fournies manquent de précision et de pertinence et ne sont pas suffisantes pour permettre d’examiner le bien‑fondé des allégations de violation. Pour ce qui est d’une possible violation de l’article 7 et des allégations de «torture psychologique», l’État partie indique que l’auteur a été informé qu’il serait expulsé d’Australie à sa libération de prison, environ trois mois avant cette libération, et qu’il avait un droit de visite pendant cette période. En outre, l’auteur savait qu’à l’aéroport, avant le départ, il ne serait pas dans la zone ouverte au public. Il avait donc la possibilité de faire ses adieux à sa famille en prison bien avant sa libération. Quant à l’allégation selon laquelle l’expulsion de l’auteur constitue une «torture psychologique», l’État partie fait valoir que la manière dont il a traité la famille Burgess ne comportait aucun des éléments définissant la torture, à savoir l’élément intentionnel, l’accomplissement de certaines fins et/ou une douleur ou des souffrances aiguës, et que ce traitement a été raisonnable et conforme aux lois sur l’immigration de l’État partie. Quant au fait d’avoir expulsé l’auteur d’Australie après lui avoir permis de sortir de prison pour rendre visite à sa famille pendant une journée ou un week‑end, l’État partie estime que tous les droits reconnus à l’auteur en tant que prisonnier ont été respectés; cela ne constitue pas une violation de l’article 7.

4.6Concernant l’allégation de violation de l’article 9, l’État partie déclare que l’auteur a été traité conformément aux procédures établies par la loi (loi sur l’immigration), et que son expulsion découle directement de son statut de non‑citoyen en situation irrégulière, conformément à l’article 189 de cette loi. La pratique consistant à mettre en rétention les non‑ressortissants en situation irrégulière en attente d’expulsion est raisonnable, nécessaire et proportionnée aux objectifs visés, et l’auteur n’a pas fait l’objet d’une détention arbitraire. La décision du ministre n’était pas contraire à la recommandation des fonctionnaires du Département, puisque le rapport remis au ministre dont a parlé l’auteur ne contenait aucune recommandation. Enfin, l’État partie déclare que sa législation sur l’immigration n’est pas arbitraire en soi, et qu’elle n’a pas été appliquée de manière arbitraire en l’espèce.

4.7Concernant l’article 10, l’État partie indique qu’il n’est pas affirmé dans la communication que l’auteur a été détenu. L’État partie souligne que l’auteur a été placé en rétention pendant environ une heure à l’aéroport avant d’embarquer, et qu’il a été traité avec humanité pendant cette période.

4.8Concernant le paragraphe 1 de l’article 12, l’État partie note que l’auteur ne séjournait pas légalement en Australie au moment de son expulsion, puisqu’il était devenu un non‑ressortissant en situation irrégulière à la suite de l’annulation de son visa décidée conformément à la loi. Si l’on se réfère au paragraphe 3 de l’article 12, qui énonce un certain nombre d’exceptions aux droits institués par le paragraphe 1 du même article, notamment des restrictions «prévues par la loi», la rétention de l’auteur et son expulsion entrent dans le cadre de cette disposition. Pour ce qui est du paragraphe 4 de l’article 12, l’État partie considère que les liens de l’auteur avec l’Australie n’ont pas les caractéristiques requises pour qu’il puisse affirmer qu’il s’agit de son pays aux fins de cette disposition. En particulier, sa situation ne donne pas naissance aux liens spéciaux et aux prétentions particulières décrits dans l’affaire Stewart c. Canada.

4.9Concernant l’article 13, l’État partie déclare que l’auteur ne séjournait pas légalement en Australie au moment de son expulsion vers le Royaume‑Uni, que la décision de l’expulser a été prise conformément à la loi australienne et que l’auteur avait la possibilité de demander le réexamen de cette décision.

4.10Concernant l’article 14, l’État partie relève que l’auteur n’affirme pas que son arrestation et son emprisonnement pour importation de drogues aient constitué une violation de l’un quelconque des droits garantis par le Pacte. L’État partie souligne en outre qu’une décision concernant le droit pour un étranger de demeurer sur le territoire d’un État partie ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14, car il s’agit d’une procédure qui ne concerne ni la détermination du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale ni la détermination des «droits et obligations de caractère civil». L’auteur a eu droit aux garanties de procédure en ce qui concerne la décision d’annuler son visa et l’État partie souligne que l’allégation selon laquelle la décision du ministre n’était pas susceptible d’appel est erronée, car l’auteur avait la possibilité de demander le réexamen de la légalité de cette décision soit devant la Cour fédérale soit devant la Cour suprême (High Court).

4.11Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 17, l’État partie affirme qu’exiger d’un membre d’une famille qu’il quitte l’Australie tout en permettant aux autres de rester ne constitue pas nécessairement une «immixtion» dans la vie de famille de la personne expulsée ou de ceux qui restent. Selon lui, l’article 17 vise à protéger la vie privée des individus et les relations personnelles au sein d’une famille. L’expulsion de l’auteur ne visait pas à porter atteinte aux relations entre les membres de la famille. Le fait que ceux‑ci ne puissent rester ensemble en Australie en ce moment précis ne constitue pas automatiquement une immixtion, et il appartient aux autres membres de la famille de décider s’ils veulent continuer à vivre en Australie ou se rendre ailleurs pour rejoindre l’auteur. L’État partie fait valoir que, si le Comité conclut que l’expulsion de l’auteur constitue une immixtion, cette dernière ne serait ni «illégale» ni «arbitraire». L’expulsion s’est effectuée conformément à la loi australienne. L’État partie renvoie à ses observations sur l’article 9 et donne des explications détaillées à l’appui de son affirmation selon laquelle la famille Burgess n’a pas fait l’objet d’immixtions arbitraires, mais d’un traitement qui est raisonnable, nécessaire, approprié, prévisible et proportionné aux buts recherchés, compte tenu des circonstances.

4.12L’État partie fait valoir que le paragraphe 1 de l’article 23 n’empêche pas la détention et l’expulsion d’un étranger en situation irrégulière conformément à la législation interne australienne. Les obligations contractées par l’Australie concernant la protection de la famille ne lui enlèvent pas la possibilité d’expulser un étranger en situation irrégulière seulement parce que cette personne a fondé une famille comportant des ressortissants australiens. L’article 23 doit être lu à la lumière du droit reconnu à l’État partie, en droit international, de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. L’État partie ajoute que l’expulsion de l’auteur est due à la gravité de son comportement délictueux en Australie, et que l’État partie quant à lui a pris des mesures raisonnables pour assurer l’intégrité de son programme d’immigration et protéger la société australienne des effets des drogues interdites. La situation actuelle est due au comportement de l’auteur lui‑même, et non au manquement par les autorités australiennes à l’obligation de protéger la cellule familiale.

4.13Pour ce qui est de l’article 26, l’État partie prend pour hypothèse que l’allégation de violation de cet article porte sur la garantie d’égalité devant la loi qui aurait été violée par la décision d’annuler le visa de l’auteur. L’État partie renvoie à ses observations sur l’article 9 et fait valoir que la décision d’annuler le visa de l’auteur n’était pas arbitraire, mais raisonnable et nécessaire, appropriée, prévisible et proportionnée aux buts recherchés, comme en attestent les facteurs suivants:

La manière dont l’auteur a été traité était conforme aux procédures établies par le droit interne;

L’auteur ne satisfaisant pas, à l’évidence, au critère de personnalité prescrit à l’article 501 de la loi sur l’immigration, en raison de ses antécédents judiciaires, cela signifiait qu’il était raisonnable et prévisible que son visa soit annulé malgré le fait qu’il ait fondé une famille en Australie;

La décision était fondée sur un examen attentif de tous les éléments pertinents, notamment les antécédents judiciaires de l’auteur, son comportement depuis son arrivée en Australie, la nécessité de protéger la société australienne des drogues interdites, les attentes de la société australienne, l’effet dissuasif d’une décision d’annuler le visa de l’auteur sur d’autres non‑ressortissants susceptibles de tomber dans la délinquance, les intérêts de Mme Burgess et des enfants Burgess ainsi que les obligations internationales de l’Australie.

4.14Pour ce qui est des violations des articles 2, 3, 5, 14 (par. 2 à 7), 16, 23 (par. 2 à 4) et 24, l’État partie présente des arguments détaillés pour réfuter ces allégations jugées soit irrecevables soit dénuées de fondement.

5.Le 8 juin 2004, les conseils ont informé le Comité qu’ils n’avaient aucun commentaire à faire sur les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae à l’égard de Mme Burgess et des trois enfants. Il ressort de la lecture du dossier qu’après avoir reçu la lettre initiale, le 19 juillet 2001, le secrétariat a demandé aux conseils, dans les termes suivants, «de fournir […] une autorisation écrite émanant de M. Burgess lui‑même ou des membres de sa famille si vous souhaitez qu’ils soient considérés comme auteurs». Le 26 juillet, les conseils ont présenté au Comité un mandat les autorisant à agir uniquement au nom de M. Burgess. Le Comité note que les représentants des auteurs ont présenté un mandat pour agir au nom de M. Burgess seulement, mais qu’en août 2001 ils ont inclus dans la communication Mme Burgess et les trois enfants, sans autorisation. Il constate également que les conseils n’ont pas souhaité formuler de commentaires concernant l’observation de l’État partie selon laquelle ils n’étaient pas habilités à représenter Mme Burgess et les enfants. Rien dans le dossier dont dispose le Comité en ce qui concerne les plaintes formulées au nom de Mme Burgess et des enfants ne montre que Mme Burgess ait donné mandat à un conseil pour la représenter, ni que M. ou Mme Burgess ou leurs enfants aient autorisé un conseil à représenter les enfants. Le Comité considère que les conseils n’avaient pas qualité pour représenter devant le Comité Mme Burgess et Dustin, Luke et Malia Burgess et déclare par conséquent que la partie de la communication contenant les allégations de violation des droits de ces derniers est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, parce qu’il n’a pas fait appel de la décision du ministre d’annuler son visa devant la Cour fédérale ou la Cour suprême (High Court) d’Australie dans les délais prescrits par la loi sur les migrations, et en l’absence de commentaire de la part de l’auteur sur l’existence et l’utilité de ces recours en l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes mentionnés par l’État partie et que, par conséquent, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

C. Communication n o  1030/2001, Dimitrov c. Bulgarie (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

M. Dimitar Atanasov Dimitrov(non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bulgarie

Date de la communication:

3 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Refus par un organe administratif d’approuver une désignation au titre de professeur

Questions de fond: Qualification d’une candidature à un titre universitaire et procédure d’examen relevant d’une «contestation sur des droits et obligations de caractère civil»

Questions de procédure: Recevabilité ratione materiae

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Dimitar Atanasov Dimitrov, de nationalité bulgare. Il n’invoque aucune disposition précise du Pacte, mais la communication semble soulever des questions au titre de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la Bulgarie le 23 mars 1976 et le 26 juin 1992, respectivement.

Exposé des faits

2.1L’auteur est professeur associé d’éducation physique à l’Institut de la foresterie à Sofia. Il est détenteur d’un doctorat et a enseigné de nombreuses années en Bulgarie et à l’étranger. En mai 1997, il a participé à un «concours» sur titres organisé par l’Université pour la nomination aux fonctions du titre de «professeur de théorie et de méthodes d’enseignement de l’éducation physique et de l’entraînement sportif».

2.2Le dossier de l’auteur a été examiné par le conseil scientifique spécialisé de la Commission supérieure de certification, qui l’a appuyé et a proposé au Comité scientifique de la Commission la candidature de l’auteur aux fonctions de professeur. À sa réunion du 18 mai 1998, la commission scientifique a appuyé la proposition et l’a transmise pour confirmation au Présidium de la Commission supérieure de certification. Le Présidium rend compte au Conseil des ministres de la Bulgarie et est officiellement habilité à décerner des grades universitaires et des titres de niveau universitaire conformément à la loi sur les grades et titres scientifiques (ci‑après dénommée «la loi»).

2.3Le 18 juin 1998, le Présidium a mis en place une «procédure de contrôle» au titre de l’article 27 de la loi, qui lui permet de rejeter une désignation ne correspondant pas suffisamment aux critères qu’il avait établis conformément à l’article 34 de la loi. Le Présidium a renvoyé le dossier à la commission scientifique, en lui demandant de fournir de plus amples renseignements sur la qualité du travail de l’auteur. Le 5 octobre 1998, la commission scientifique a réexaminé le dossier et confirmé sa décision antérieure de désignation de l’auteur, et elle a communiqué une nouvelle fois sa décision au Présidium aux fins de confirmation. Au terme d’une nouvelle procédure de contrôle, le Présidium a renvoyé le dossier à la commission scientifique, en lui demandant cette fois de plus amples renseignements sur l’auteur. La commission scientifique a examiné le dossier une troisième fois le 30 juin 1999, et a de nouveau confirmé sa décision antérieure et renvoyé le dossier au Présidium.

2.4Le 8 juillet 1999, le Présidium a rejeté la candidature de l’auteur aux fonctions de professeur, sans motiver son refus. L’article 27 de la loi prévoit qu’en cas de nouvelle procédure de contrôle le Présidium peut passer outre aux recommandations de la commission scientifique et décider librement de conférer ou non le titre de professeur.

2.5L’auteur affirme que l’examen de sa candidature par le Présidium n’était pas conforme à la loi susmentionnée, et que rien ne justifiait d’exiger de plus amples renseignements à l’appui de sa candidature. Selon l’auteur, le Présidium n’a relevé aucun vice de forme ou irrégularité administrative dans la désignation qui lui aurait permis de la rejeter. Il fait valoir que le Présidium, au lieu de motiver son rejet, a préféré utiliser le mécanisme prévu à l’article 27 de la loi, en vertu duquel il peut statuer à sa guise sans motiver ses décisions.

2.6L’auteur a contesté la décision du Présidium devant la Cour suprême administrative, mais cette dernière a rejeté sa requête le 9 novembre 2000 au motif que, conformément à l’article 27 de la loi, la décision du Présidium concernant une candidature prise au terme d’une deuxième procédure de contrôle n’est pas susceptible de révision juridictionnelle. L’auteur a fait appel devant un collège de la Cour suprême administrative composé de cinq membres, mais a été débouté le 29 décembre 2000.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le Présidium a été partial dans son refus de lui conférer le titre universitaire de professeur n’ayant pas présenté d’arguments à l’appui de son refus ni pris en considération le point de vue de commissions d’experts compétentes. L’auteur affirme que ses droits ont été violés, mais il n’invoque aucune disposition particulière du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 22 janvier 2002, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif. Il considère que le Présidium a pris des décisions qui étaient pleinement de sa compétence, comme le prévoit la loi.

4.2L’État partie souligne que l’auteur ne prétend pas être victime d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte, et que les seules dispositions susceptibles d’être en cause sont le paragraphe 3 a) de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 14. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie estime qu’il ne s’applique pas lorsque des pouvoirs publics ou des autorités judiciaires exercent un pouvoir discrétionnaire, comme c’est le cas du Présidium. Il fait observer que le Présidium étant un organe d’experts, ses décisions ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel. Le paragraphe 1 de l’article 14 s’applique à l’administration de la justice dans les procédures concernant des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil d’un requérant, ce qui est le cas dans l’affaire à l’examen. L’auteur n’avait aucun «droit» à un titre scientifique, pas plus que le Présidium n’avait l’obligation de lui conférer un tel titre. Dans le cas d’espèce, le Présidium a demandé de plus amples renseignements concernant le travail et la carrière de l’auteur, et sur les enseignements qu’il avait dispensés. Lors de sa réunion du 8 juillet 1999, le Présidium, ayant rouvert la procédure de contrôle, s’est prévalu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la législation pour se prononcer sur la candidature proprement dite, sur la foi des renseignements dont il disposait.

4.3En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie fait valoir que la communication ne renvoie à aucun droit énoncé dans le Pacte et que, en tout état de cause, le paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas au cas d’espèce. En conséquence, le paragraphe 3 a) de l’article 2, qui ne s’applique qu’en relation avec la violation d’une autre disposition de fond, ne peut être invoqué. Dans ces conditions, l’État partie estime que la plainte n’a pas été étayée et est incompatible avec les dispositions du Pacte, et que, par conséquent, elle est irrecevable. Il ajoute que la communication est manifestement infondée et devrait être considérée comme irrecevable en tant qu’abus du droit de présenter une communication, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie datés du 20 mars 2002, l’auteur fait valoir que l’article 34 de la loi impose des critères spécifiques pour décerner le titre de professeur alors que, de fait, aucun critère n’a été établi. Selon lui, le règlement qui a été adopté en application de la loi prévoit une simple exigence d’«activité pédagogique minimale, telle que définie par le gouvernement»; aucun cursus ou enseignement particulier n’est exigé. Le règlement précise que les personnes intéressées peuvent présenter leur candidature, qu’elles aient exercé ou non une activité éducative ou pédagogique. L’auteur affirme que la qualité de son travail a été attestée par trois examinateurs du corps professoral. Compte tenu de ce qui précède, l’auteur affirme que rien ne justifiait que le Présidium demande de plus amples renseignements concernant la qualité de son travail et son enseignement, ni qu’il rouvre la procédure de contrôle. L’auteur affirme que le refus non motivé du Présidium de confirmer sa désignation en tant que professeur jette le doute sur l’objectivité de cette instance.

5.2L’auteur reconnaît que, conformément à la loi, le Présidium peut rouvrir la procédure de contrôle dans le cas où la décision de la commission scientifique s’écarte sensiblement des critères établis. Il soutient cependant qu’aucun critère n’ayant été publié, le rôle du Présidium consiste seulement à réexaminer la procédure visant à conférer le titre de professeur. C’est au conseil scientifique spécialisé et à la commission scientifique qu’il appartenait de se prononcer sur sa candidature quant au fond, et l’un et l’autre l’avaient désigné pour le titre de professeur. Le Présidium n’ayant relevé aucun vice de forme, il n’y avait pas lieu qu’il entame ou rouvre la procédure de contrôle.

5.3L’auteur réaffirme que ses «droits civils» ont été violés du fait que, conformément à la loi, le Présidium jouissait du droit absolu de retenir ou non sa candidature, même si le conseil scientifique spécialisé et la commission scientifique l’avaient appuyée. Il affirme qu’aucun membre du Présidium n’est spécialisé en éducation physique et il doute qu’une décision valable ait pu être prise dans ces conditions.

5.4L’auteur fait valoir que les décisions du Présidium sont de nature administrative et devraient être soumises à un contrôle juridictionnel. Il affirme que le refus de confirmer sa nomination au poste de professeur n’a pas été motivé. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il n’avait aucun «droit» d’être nommé professeur, l’auteur fait observer que la commission scientifique a appuyé sa candidature à trois reprises.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 2 septembre 2002, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication. Il constate que l’auteur, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité, n’a une nouvelle fois pas précisé quel droit protégé par le Pacte avait été violé selon lui. L’État partie réitère son point de vue selon lequel la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

6.2L’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel il n’existe pas de critères précis à la lumière desquels le Présidium pouvait examiner la désignation au titre de professeur. L’article 14 de la loi prévoit expressément que le titre universitaire de professeur ne peut être conféré qu’à un candidat ayant une activité pédagogique minimale, dont la durée est déterminée de façon réglementaire. Selon l’État partie, cette durée était en l’occurrence précisée: il s’agissait de 45 heures d’enseignement permanent par année universitaire, dispensé à des spécialistes; toutefois, l’auteur donnait en réalité des cours à des non‑spécialistes. En conséquence, il ne répondait pas à l’un des critères fixés dans la législation pour obtenir le titre universitaire de professeur. L’État partie ajoute que la réglementation en vigueur prévoit que toute personne peut présenter sa candidature à un poste de professeur affiché, quelle que soit la période pendant laquelle elle a exercé des activités pédagogiques, mais non pas qu’elle ait ou non exercé de telles activités.

6.3L’État partie réfute l’argument de l’auteur selon lequel ni la loi ni le Présidium n’ont fixé de critères. La loi contient une série de critères, que le Présidium a appliqués. En outre, l’article 34 b) de la loi stipule que le Présidium doit «concrétiser les critères pour décerner des diplômes et titres universitaires dans les différentes disciplines». Le Présidium n’est pas tenu de développer et de publier les critères, il doit simplement préciser, dans chaque domaine concret, les paramètres d’application des critères généraux fixés dans la loi et dans sa propre réglementation.

6.4L’État partie conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle, du fait que les décisions du Présidium sont de nature administrative, elles devraient pouvoir être contestées devant la Cour suprême administrative. Conformément à l’article 120 de la Constitution bulgare, les particuliers peuvent contester tous les actes administratifs touchant leurs intérêts reconnus par la loi, sauf disposition contraire de la législation. L’article 27 de la loi prévoit une exception de ce type, qui est pleinement justifiée compte tenu de la compétence particulière que la législation confère au Présidium. Ce dernier est un organe administratif réunissant des scientifiques, qui est habilité à décerner ou refuser les diplômes et titres universitaires. Les juges n’ont pas les compétences requises pour superviser ce processus; en conséquence, il n’y a pas lieu que les décisions du Présidium soient soumises à un contrôle juridictionnel.

6.5Enfin, l’État partie note que la Cour suprême administrative a établi que le Présidium n’était pas tenu de motiver ses décisions. Même s’il avait l’obligation de le faire, la Cour ne serait pas en mesure d’apprécier les motifs.

Commentaires de l’auteur sur les observations présentées par l’État partie quant au fond

7.1Dans ses commentaires du 20 janvier 2003, l’auteur fait observer que la commission scientifique était en fait composée des meilleurs experts dans son domaine, ce qui n’est pas le cas du Présidium, et réaffirme que sa désignation aux fonctions de professeur n’était entachée d’aucun vice de forme susceptible de justifier son rejet par le Présidium. L’auteur dit qu’il continue d’ignorer les raisons pour lesquelles le Présidium a passé outre aux décisions de la commission scientifique et a rendu un avis défavorable le concernant alors que, selon lui, toutes les conditions requises étaient remplies.

7.2L’auteur affirme que les procédures devant le Présidium se déroulent à huis clos, sans droit de représentation. Il avait effectivement le droit de comparaître devant la Cour suprême administrative, mais celle‑ci a refusé d’examiner son affaire quant au fond. L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il existe des critères concernant le nombre minimum d’heures d’enseignement effectuées, faisant valoir que ces critères ne sont plus valables.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il considère en outre que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

8.3Pour ce qui est des questions que la communication soulève au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la notion de «droits et obligations de caractère civil» est fondée sur la nature du droit en cause. Le Comité a noté l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas précisé les droits de caractère civil dont il allègue la violation. Le Comité rappelle ses conclusions dans l’affaire Kolanowski c. Pologne, dans laquelle il a estimé que la tentative infructueuse de l’auteur pour être nommé à un grade de la fonction publique et ses efforts pour contester le rejet de sa demande de promotion ne constituaient pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil. Dans la communication à l’examen, l’auteur ne vise pas une promotion mais postule à un titre universitaire. Sa candidature a été appréciée conformément aux procédures pertinentes fixées dans la législation bulgare, la loi sur les grades et titres scientifiques par la plus haute instance administrative compétente en la matière qui jouissait du pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur la candidature quant au fond. Rien ne permet au Comité de penser que, dans les circonstances de la cause, l’auteur avait un droit au titre de professeur, ou que le Présidium était tenu de retenir sa candidature. Dans ces circonstances et en l’absence de toute autre information sur les effets de la décision du Présidium pour l’auteur, le Comité conclut que le refus du Présidium de conférer à ce dernier le titre de professeur ne constituait pas une décision portant sur des droits et obligations de caractère civil. En conséquence, la partie de la communication soulevant des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 est irrecevable ratione materiae, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité a noté que l’État partie, dans ses observations, a invoqué l’article 2 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cet article ne peut être invoqué qu’en relation avec d’autres dispositions de fond du Pacte. Compte tenu des conclusions qui précèdent touchant l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 14, un grief au seul titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ne peut pas être avancé et est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

D. Communications n os  1034-1035/2001, Dusan Soltes c. République tchèque et Slovaquie (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentées par:

M. Dušan Šoltés (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

États parties:

République tchèqueSlovaquie

Date des communications:

17 juillet 2000 (date de la lettre initiale)

Objet: Demande de restitution d’un salaire auprès des autorités nationales par un ancien fonctionnaire international

Questions de procédure: Épuisement des recours internes

Questions de fond: Recours utile; procès mené par un tribunal impartial et indépendant

Articles du Pacte: 2, 14 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 17 juillet 2000, est M. Dušan Šoltés, de nationalité slovaque, né en 1943. Il se déclare victime de violations par la République tchèque et par la République slovaque des articles 2, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 13 avril 2004, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément de la question du fond.

1.3En application de l’article 94 du Règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner conjointement les communications nos 1034/2001 et 1035/2001.

Exposé des faits

2.1De 1985 à 1989, l’auteur a travaillé en Birmanie en tant qu’expert des Nations Unies, au grade de P‑5, pour le Département de la coopération technique pour le développement (DCTD). Il dit avoir été contraint de verser pendant ces années un montant total de 42 000 dollars des États‑Unis prélevés sur son salaire de l’ONU à un organisme du Gouvernement tchécoslovaque appelé Polytechna Prague, spécialisé dans le recrutement pour les organisations internationales, qui prélevait secrètement des impôts sur les revenus non imposables perçus par ses ressortissants à l’ONU, en infraction à la législation nationale et à la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies («la Convention des Nations Unies»), à laquelle la Tchécoslovaquie était partie depuis 1955. Pour obtenir un visa de sortie et pouvoir occuper son poste à l’ONU, l’auteur aurait été contraint de signer un «précontrat» avec Polytechna, le 30 avril 1985; interdiction lui avait été faite d’en révéler la teneur à des tiers, et encore moins à ses employeurs. L’ambassade de Tchécoslovaquie en Birmanie vérifiait les versements qu’il effectuait.

2.2Suite aux changements politiques survenus en Tchécoslovaquie à partir de novembre 1989, Polytechna aurait reconnu dans une lettre adressée à l’auteur le 2 janvier 1990 que l’organisme avait agi illicitement et proposait un règlement à l’amiable à tous les anciens membres du personnel de l’ONU. L’auteur a fait savoir à plusieurs reprises qu’il demandait le règlement à l’amiable mais Polytechna n’a jamais répondu à ses lettres.

2.3Le 26 mai 1992, l’auteur a engagé contre Polytechna une action civile en dommages‑intérêts auprès du tribunal de district de Prague (Obvodny sud). À l’audience, qui a eu lieu le 12 mai 1993, le tribunal a dit qu’il avait des difficultés à comprendre l’auteur parce qu’il parlait slovaque (alors que le slovaque était l’une des deux langues officielles jusqu’au 31 décembre 1993) mais n’en a pas pour autant offert les services d’un interprète. Le tribunal aurait contesté que la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies s’applique à l’auteur. Il a rejeté sa demande, d’après l’auteur en se fondant exclusivement sur l’argumentation de Polytechna. Le tribunal a conclu que les sommes versées à Polytechna étaient une «rémunération volontaire» pour les services d’intermédiaire que l’organisme avait assurés pour le faire recruter par l’ONU, alors que l’auteur avait obtenu directement un emploi de l’ONU.

2.4Le 14 septembre 1993, l’auteur s’est pourvu devant le tribunal municipal de Prague (Mestsky sud). Sans convoquer l’auteur à l’audience ni lui demander d’éléments supplémentaires, ce tribunal a rendu sa décision le 10 décembre 1993 en confirmant le jugement du tribunal de district et en affirmant qu’il n’y avait plus d’autre recours ouvert.

2.5Néanmoins, l’auteur s’est pourvu le 1er mars 1994 devant la Cour suprême (Najvyssi sud), qui a rejeté sa demande le 7 mars 1996 et a confirmé que la décision du tribunal municipal était définitive. D’après l’auteur, comme pour le tribunal municipal, il n’a pas été convoqué à l’audience de la Cour suprême et n’a pas été invité à présenter de nouveaux moyens à l’appui de sa demande.

2.6L’auteur ne s’est pas pourvu devant la Cour constitutionnelle de la République tchèque parce qu’il n’était pas au courant de l’existence de cette juridiction pas plus que ne l’était son avocat slovaque (la Cour constitutionnelle venait à peine d’être créée à Brno, en République tchèque, et n’était pas encore tout à fait opérationnelle).

2.7L’auteur a adressé une requête à la Commission européenne des droits de l’homme en date du 17 octobre 1996 (affaire no 34194/96). Dans un premier temps, la Commission européenne des droits de l’homme a contesté la recevabilité au motif que l’auteur ne s’était pas pourvu devant la Cour constitutionnelle mais elle a ensuite accepté l’argument de l’auteur qui avait fait valoir que, étant étranger, il n’avait pas été informé de l’existence de cette juridiction. La Commission a malgré tout déclaré la requête irrecevable, dans un arrêt daté du 8 décembre 1997, au motif que le délai de dépôt des requêtes de six mois avait expiré.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la République tchèque a commis une violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte parce qu’elle ne lui a pas assuré un recours utile pour la violation des droits qu’il a subie en tant que fonctionnaire international protégé par la Convention des Nations Unies et qu’elle ne l’a pas informé de l’existence d’autres recours judiciaires. Il fait valoir que les tribunaux ont non seulement dissimulé la possibilité de recours devant la Cour constitutionnelle nouvellement créée en République tchèque mais l’ont aussi induit en erreur en décidant que le jugement du tribunal municipal ne pouvait pas être attaqué en appel.

3.2L’auteur dit qu’il y a eu de la part de la République tchèque une violation des droits garantis à l’article 14 du Pacte parce que les autorités judiciaires tchèques ne lui ont pas assuré le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial et indépendant. Exception faite de l’audience du tribunal de première instance, il aurait été «exclu» de toutes les autres procédures. D’après l’auteur, la partialité des tribunaux tchèques à l’égard d’une ancienne institution de l’État (Polytechna) l’a empêché de disposer d’une possibilité effective d’obtenir réparation judiciaire en vertu du Pacte, ainsi qu’en vertu de la législation nationale et de la Convention des Nations Unies. La procédure suivie par le tribunal de district et la décision rendue par celui‑ci auraient été fondées exclusivement sur l’argumentation de Polytechna. L’auteur ajoute que les tribunaux tchèques auraient fait traîner l’affaire en prétextant que du courrier s’était perdu, en retenant l’information au sujet des recours utiles et en ne lui assurant pas les services d’un interprète. Enfin, l’auteur dit qu’en décidant que les déductions obligatoires sur son salaire de l’ONU étaient une rétribution «volontaire» pour l’aide apportée par Polytechna à l’obtention du contrat auprès de l’ONU, le tribunal de district a commis une violation du principe d’impartialité.

3.3L’auteur fait valoir aussi que les faits exposés plus haut représentent une violation de l’article 26 du Pacte parce que les tribunaux tchèques auraient exercé une discrimination à son encontre en tant que national de la République slovaque «sécessionniste», ce qui reflétait une tendance plus générale à refuser de rembourser les citoyens slovaques.

3.4En ce qui concerne son grief contre la République slovaque, l’auteur dit que, comme les lois régissant la division de la Tchécoslovaquie imposaient que les affaires mettant en cause les anciennes institutions fédérales de la République fédérale tchèque et slovaque soient examinées par les tribunaux du district où les institutions étaient sises, il a porté son action contre l’ancienne institution fédérale Polytechna devant la justice de la République tchèque. Il ajoute qu’après la dissolution de la République fédérale tchèque et slovaque, tous les biens de l’ancienne fédération encore grevés d’obligations ont été divisés selon un rapport de trois pour un entre la République tchèque et la République slovaque. Par conséquent, sa plainte contre la Slovaquie devrait être considérée comme une partie de la responsabilité partagée avec la République tchèque et devrait être tranchée selon le même rapport entre les deux États.

Réponse de la Slovaquie concernant la recevabilité de la communication n o  1034/2001

4.Dans une réponse datée du 18 novembre 2002, la République slovaque a refusé de faire des observations sur la recevabilité aussi bien que sur le fond de la communication. Premièrement, elle estime que seuls les tribunaux tchèques sont compétents pour traiter de la plainte de l’auteur étant donné que Polytechna était un organisme sis à Prague. Deuxièmement, toute action civile engagée avant l’entrée en vigueur de l’accord sur l’entraide judiciaire entre les États successeurs de la République fédérale tchèque et slovaque (du 27 août 1993) devait être tranchée par la juridiction devant laquelle elle avait été initialement portée. Enfin, l’État partie affirme qu’il ne peut pas être tenu pour responsable de la violation alléguée de la Convention des Nations Unies, qui se serait produite sur le territoire d’un État tiers et aurait été causée par les actions d’un État tiers. La République slovaque demande donc que la communication la concernant soit rejetée ratione personae.

Réponse de la République tchèque concernant la recevabilité de la communication n o  1035/2001

5.1Par une note verbale datée du 8 avril 2004, l’État partie a contesté les faits ainsi que la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est des faits, il affirme que l’auteur avait de son plein gré conclu un contrat avec «l’organisme tchécoslovaque de recrutement pour les postes d’assistance technique à l’ONU» (Polytechna) le 30 avril 1985, contrat en vertu duquel il avait accepté de verser des contributions sur son salaire de l’ONU. D’après l’État partie, la Cour constitutionnelle a «le pouvoir de casser une décision définitive d’une autorité de la puissance publique si cette décision est contraire à l’ordre constitutionnel ou aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui s’imposent à la République tchèque, notamment au Pacte relatif aux droits civils et politiques». Avec l’effondrement de l’ancien régime en 1989, l’auteur a demandé à Polytechna de lui rembourser les déductions opérées au motif qu’elles étaient contraires à la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies. Le tribunal de district de Prague a établi, le 12 mai 1993, que l’auteur avait signé un «contrat innommé» avec Polytechna pour ses services d’intermédiaire avec un employeur étranger et avait de son plein gré accepté de verser des contributions qui ne pouvaient pas être considérées comme équivalant à l’impôt sur le revenu; le texte de la Convention des Nations Unies, publié dans le Recueil officiel des lois (no 52/1956) n’a pas été tenu secret; ainsi, le contrat avec Polytechna n’était pas incompatible avec la Convention des Nations Unies à ce sujet. D’après l’État partie, l’auteur et son conseil avaient demandé à être excusés de l’audience en appel tenue le 10 décembre 1993 par le tribunal municipal, qui avait confirmé le jugement du tribunal de district, en l’absence du plaignant. Le tribunal municipal avait conclu que la juridiction de première instance avait examiné prématurément le fond parce qu’elle n’avait pas établi qu’il était dans «l’intérêt juridique urgent» de l’auteur de déterminer l’inexistence d’une relation légale en vertu du Code de procédure civile. D’après le tribunal municipal, étant donné que la notion de l’«intérêt juridique urgent» impliquait nécessairement l’octroi d’une protection légale avant la violation des droits du plaignant, l’auteur ne pouvait pas avoir un quelconque intérêt juridique dans une affaire de cette nature mais «ce qu’il veut c’est faire disparaître les effets de la violation de son droit». L’auteur s’est alors pourvu devant la Haute Cour de Prague à titre de recours extraordinaire, en faisant valoir que les contributions qu’il avait versées à Polytechna devaient être considérées comme en violation de la Convention des Nations Unies. La Haute Cour n’ayant toujours pas examiné le recours au 31 décembre 1995, le dossier a été automatiquement transféré à la Cour suprême en application de la loi no 238/1995 portant création de deux juridictions supérieures dans la République tchèque. Le 7 mars 1996, la Cour suprême a rejeté le recours au motif que, en vertu de la loi tchèque, les recours sur des points de droit formés contre l’arrêt définitif d’une cour d’appel sont recevables uniquement si une erreur de procédure substantielle a été commise et uniquement si la juridiction d’appel a expressément autorisé le réexamen en raison de l’importance légale particulière de l’affaire. Aucune des deux conditions ne s’appliquait dans le cas de l’auteur, raison pour laquelle le tribunal municipal avait déclaré qu’il n’y avait pas d’autre possibilité d’appel.

5.2Étant donné ce qui précède, l’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. L’auteur aurait dû se pourvoir devant la Cour constitutionnelle de la République tchèque, qui avait été créée par la Constitution du 16 décembre 1992. Conformément aux dispositions de procédure régissant le dépôt de plaintes par des particuliers, en vigueur depuis le 1er juillet 1993, les particuliers peuvent déposer une plainte dans les 60 jours suivant la date à laquelle ils ont épuisé tous les autres moyens d’obtenir une protection légale. Comme ces plaintes ne sont «ni un recours ordinaire ni un recours extraordinaire» et que les règles applicables sont clairement énoncées dans la Constitution et dans la loi portant création de la Cour constitutionnelle, les juridictions inférieures ne sont pas tenues de donner ces renseignements. Donc, le droit de recours de l’auteur n’a pas été violé du fait qu’il n’a pas été informé de la possibilité de déposer une plainte constitutionnelle. Enfin, la Cour constitutionnelle de la République fédérale tchèque et slovaque existait toujours en 1992 et des cours analogues ont été créés dans les deux États successeurs. L’auteur, qui était représenté par un conseil à cette époque, n’a donc pas épuisé les recours internes comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3L’État partie demande en outre que le grief tiré de l’article 2 du Pacte soit déclaré irrecevable ratione materiae. Il relève que l’auteur invoque une violation par la République tchèque du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, parce qu’il ne lui a pas assuré de protection judiciaire contre une violation des droits garantis dans la Convention des Nations Unies et du paragraphe 3 b) de l’article 2, parce qu’il ne l’a pas informé de l’existence de la Cour constitutionnelle; or la procédure engagée devant les juridictions internes portait sur un grief de violation de la Convention des Nations Unies constituée par le contrat avec Polytechna. L’État partie fait valoir que le Pacte est un «instrument international à part entière» dont l’application ne s’étend pas à l’observation d’autres instruments internationaux; donc, l’article 2 s’applique exclusivement aux droits et libertés garantis dans le Pacte et non pas à ceux qui découlent de la Convention des Nations Unies. Par conséquent, l’argument de l’auteur, qui fait valoir que le rejet de son argument selon lequel il y a eu violation de la Convention des Nations Unies constituait également une violation des droits consacrés dans le Pacte, n’est pas recevable.

5.4Enfin, l’État partie objecte que les griefs de violation des articles 14 et 26 du Pacte ne sont pas étayés parce que l’auteur n’a pas montré en quoi une prétendue attitude antislovaque dans la République tchèque avait spécifiquement eu une incidence négative dans son cas, en quoi consistait la partialité des tribunaux et en quoi une discrimination avait été exercée contre lui en tant qu’étranger ou en tant que fonctionnaire de l’ONU. L’État partie affirme que le fait que l’auteur parle slovaque n’était pas un handicap devant les tribunaux tchèques et dit que sa nationalité slovaque n’a aucune pertinence vu que l’existence d’une discrimination contre les Slovaques n’a pas été démontrée. L’État partie objecte que l’auteur n’a jamais avancé l’argument du préjugé pour contester l’impartialité de l’un quelconque des juges et qu’il avait attendu un temps déraisonnable après la fin de la procédure devant les tribunaux tchèques et devant la Commission européenne des droits de l’homme pour s’adresser au Comité des droits de l’homme. Étant donné le long laps de temps écoulé et l’absence d’éléments indiquant un vice de procédure, l’État partie s’élève contre ce qu’il qualifie de contestation arbitraire d’une décision des tribunaux internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de la République tchèque

6.1Les observations adressées par la Slovaquie (voir plus haut par. 4) ont été transmises à l’auteur, qui n’a pas fait de commentaires.

6.2En ce qui concerne les observations de la République tchèque, l’auteur a adressé ses commentaires en date du 7 juin 2004. Il dit que l’État partie a déformé les faits. Les versements qu’il a effectués à Polytechna n’étaient en aucune manière «volontaires», pas plus que ne l’était l’engagement de ne pas divulguer le contrat secret; au demeurant, l’organisme Polytechna lui‑même avait reconnu en 1990 que ses actions, qui étaient contestables et illicites, étaient dictées par les directives de l’ancien régime.

6.3Pour ce qui est des recours internes qui n’auraient pas été épuisés, l’auteur objecte que les juridictions nationales «n’ont pas à statuer sur l’affaire parce qu’une violation du droit international est en jeu» et que les immunités protégées par la Convention des Nations Unies relèvent de la compétence d’un tribunal international. Il ajoute que les tribunaux tchèques ont fait preuve de sélectivité en ce qui concerne les demandes civiles en réparation, ordonnant une réparation pour les infractions commises par l’ancien régime et que les injustices commises dans le passé à l’égard du personnel des Nations Unies dont les droits et immunités ont été violés justifient tout autant une réparation.

6.4L’auteur fait valoir une fois encore que le tribunal de district de Prague ne voulait pas examiner une affaire portant sur une violation de la Convention des Nations Unies et n’était pas compétent pour le faire. Il affirme que le Recueil de lois de la République fédérale tchèque et slovaque, dans lequel le texte de la Convention des Nations Unies a été publié, mentionné par l’État partie, n’était rien d’autre qu’un document officiel, qui n’a jamais été matériellement distribué, pas même aux tribunaux. D’après lui, le juge du tribunal de district, qui n’avait jamais entendu parler de la Convention des Nations Unies ni vu un laissez‑passer de l’ONU, a mis en doute sa qualité de fonctionnaire international, s’est plaint de ce que le laissez‑passer et le document exposant les immunités n’étaient pas écrits en tchèque et n’a pas voulu accepter un exemplaire de la Convention. Si les tribunaux nationaux ont décidé que son contrat avec Polytechna avait été conclu «volontairement», c’était uniquement parce qu’ils ne comprenaient pas les dispositions de la Convention des Nations Unies.

6.5L’auteur dit qu’il ne voit pas comment il aurait pu demander à être excusé de l’audience du 10 décembre 1993 du tribunal municipal, étant donné qu’il n’a jamais reçu de notification à l’étranger, où il résidait; si c’est son conseil qui a signalé qu’il n’assisterait pas à l’audience, il l’a fait sans l’en informer et sans avoir son aval. D’après l’auteur, les procédures judiciaires ont constitué une violation des droits garantis dans le Pacte, parce que toutes les juridictions supérieures ont fondé leur décision sur les conclusions du tribunal de district, sans appréhender les obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention des Nations Unies et sans lui permettre d’assister aux audiences.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité a noté que l’auteur avait saisi l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme (affaire no 34194/96), qui a déclaré sa requête irrecevable en date du 8 décembre 1997, pour dépassement du délai de six mois. Conformément à sa jurisprudence, le Comité considère que l’ancienne Commission européenne n’a pas «examiné» l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et qu’il n’est donc pas empêché de l’examiner.

7.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du fait du préjugé et de l’attitude discriminatoire dont avaient fait preuve les tribunaux tchèques, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’allégation, aux fins de la recevabilité. En conséquence, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes en rapport avec le grief de violation de l’article 14, le Comité a pris note des arguments avancés par l’État partie et de l’explication donnée par l’auteur, qui affirme avoir porté ce grief devant toutes les juridictions du système tchèque à l’exception de la Cour constitutionnelle dont il ne connaissait pas l’existence, et qu’il a donc épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts dans la République tchèque. Le Comité relève que la Cour constitutionnelle existait à l’époque où la Cour suprême a rendu une décision défavorable à l’auteur et qu’elle acceptait effectivement des plaintes constitutionnelles. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le fait de ne pas connaître l’existence d’un tribunal constitutionnel, parce qu’on est étranger ou pour une autre raison, ne dispense pas de l’obligation d’épuiser les recours internes disponibles, sauf dans les cas où des circonstances spécifiques propres à la situation de l’auteur font qu’il aurait été impossible à celui‑ci d’obtenir l’information ou l’assistance nécessaire. Étant donné que l’auteur avait un conseil pour le représenter pendant toutes les procédures engagées en République tchèque et que la Cour constitutionnelle était compétente pour connaître des questions relatives à un procès équitable soulevées par l’affaire, le Comité considère qu’aucune exception ne s’applique en l’espèce. En conséquence, il estime que l’auteur n’a pas montré pourquoi il ne pouvait pas raisonnablement contester la décision de la Cour suprême devant la Cour constitutionnelle. Le Comité conclut que, dans la mesure où la communication pourrait contenir un grief de violation du Pacte, les recours internes n’ont pas été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité note que l’auteur invoque une violation par la République slovaque en faisant valoir que, comme tous les biens de l’ancienne République fédérale encore grevés d’obligations ont été répartis selon un rapport de trois pour un entre la République tchèque et la Slovaquie, celle‑ci devrait être tenue pour responsable relativement aux griefs de l’auteur devant le Comité selon le même rapport. Étant donné que le Comité a déclaré la communication irrecevable en ce qui concerne la République tchèque pour non‑épuisement des recours internes et que l’auteur n’a pas avancé de grief distinct concernant la République slovaque, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que les communications sont irrecevables en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et aux autorités de la République tchèque et de la République slovaque.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

E. Communication n o  1056/2002, Khatchatrian c. Arménie (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Svetlana Khachatrian (représentée par un conseil,M. Arthur Grigorian)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Arménie

Date de la communication:

24 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation pour agression; impossibilité d’interroger un jeune enfant pour corroborer la thèse de la légitime défense

Questions de fond: Égalité des armes; droit d’interroger un témoin capital

Questions de procédure: Sans objet

Articles du Pacte: 2 (par. 3) et 14 (par. 1 et 3 a), b) et c))

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Svetlana Khachatrian, de nationalité arménienne, née en 1958. Elle se dit victime de violation par l’Arménie du paragraphe 3 de l’article 2 et des paragraphes 1 et 3 a), b) et e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1Mme Khachatrian vivait avec sa fille, sa belle‑sœur, Mme Zakarian, ainsi que le fils de cette dernière, dans un appartement à Erevan. Ses relations avec Mme Zakarian étaient tendues et, le 7 avril 2000, une dispute d’ordre domestique a éclaté entre elles. Après la dispute, Mme Khachatrian se trouvait sur le balcon avec sa fille lorsque Mme Zakarian s’est approchée d’elles en brandissant un couteau et en criant qu’elle allait tuer Mme Khachatrian. Craignant que sa fille ou elle soit blessée, Mme Khachatrian s’est saisie d’un pot en verre et l’a lancé sur Mme Zakarian, qui a été atteinte au visage et a lâché son couteau; souffrant de blessures au visage, Mme Zakarian a été hospitalisée. Au moment de l’agression, le fils de Mme Zakarian était dans une pièce jouxtant le balcon, mais les rideaux étaient tirés ce qui fait qu’il n’avait pas pu voir la scène.

2.2Le 12 mai 2000, une enquête judiciaire a été ouverte sur cet incident, décrit par la police judiciaire dans l’ordonnance d’ouverture de l’enquête comme un incident au cours duquel Mme Khachatrian avait causé intentionnellement des lésions corporelles légères, commettant une infraction apparente à l’article 109 du Code pénal arménien. Au cours de l’enquête toutefois, l’auteur a été interrogée, mais comme témoin seulement, non en qualité d’inculpée. Le fils de Mme Zakarian a également été interrogé; il a déclaré qu’il avait vu ce qui s’était passé, et qu’au moment de l’incident sa mère n’avait pas de couteau. En revanche, la fille de Mme Khachatrian, qui a été témoin oculaire de cet incident, et qui aurait pu corroborer la version de sa mère, n’a pas été interrogée. Mme Khachatrian a demandé à maintes reprises oralement à l’enquêteur que les autorités interrogent sa fille, mais ses demandes ont été rejetées. Le 26 mai 2000, elle a déposé une plainte auprès du procureur local pour la manière tendancieuse dont l’enquête a été menée dans cette affaire. Elle n’a pas reçu de réponse motivée à sa plainte. Le 1er juin 2000, elle a déposé plainte auprès du procureur de la ville, au motif que le fils de Mme Zakarian avait été interrogé au sujet de l’incident, mais pas sa propre fille. Cette plainte est restée sans réponse également.

2.3Le 27 juillet 2000, l’enquêteur l’a informée, en présence de son avocat qui venait juste d’être autorisé à participer à l’enquête, qu’elle serait inculpée pour lésions corporelles graves. On lui a présenté le dossier de la police et les preuves relevées contre elle, et elle a appris que le 13 mai le procureur avait pris une ordonnance reconnaissant à Mme Zakarian le statut de victime de l’incident et le droit de se constituer partie civile. Le procureur avait également porté à la connaissance de Mme Zakarian le dossier pénal contre Mme Khachatrian, notamment les expertises médicales qualifiant ses blessures de «légères». Par la suite, l’enquêteur a pris rendez‑vous pour deux autres examens médicaux, à l’issue desquels Mme Zakarian a demandé et obtenu que ses blessures soient requalifiées de graves. Mme Khachatrian n’en a pas été informée jusqu’à la fin de l’enquête préliminaire. L’enquêteur avait conclu qu’il n’existait pas de preuves permettant d’inculper Mme Zakarian d’agression contre Mme Khachatrian avec un couteau, et il avait restitué à Mme Zakarian un couteau qui avait été saisi comme preuve.

2.4Lors du procès de Mme Khachatrian au tribunal régional d’Arabkir et Kanaker‑Zeitun, son avocat a demandé à interroger la fille de l’auteur, notant que l’enquêteur s’était fondé sur le témoignage du fils de Mme Zakarian pour décider de retenir des charges contre Mme Khachatrian au lieu de Mme Zakarian. L’avocat a fait valoir que refuser à sa cliente le droit d’interroger sa fille à l’audience serait une violation de l’article 14 du Pacte, mais le tribunal a rejeté la demande de l’avocat sans motiver sa décision.

2.5Le 21 août 2000, Mme Khachatrian a été déclarée coupable et condamnée à deux ans de prison avec sursis. Elle a fait appel de sa condamnation, en faisant valoir qu’elle aurait dû avoir la possibilité d’interroger sa fille, et en demandant également de pouvoir interroger son compagnon qui, au moment de l’agression, attendait un bus devant l’immeuble. Le 29 septembre 2000, la cour d’appel a rejeté son appel, en déclarant que les preuves recueillies étaient suffisantes pour parvenir à une décision définitive en l’espèce. Le pourvoi formé devant la cour de cassation a été rejeté le 26 octobre 2000, pour les mêmes motifs.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait que le tribunal ne l’ait pas autorisée à interroger sa fille et son compagnon au sujet des événements en question constituait une violation des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14, car elle n’a pas eu droit à un procès équitable et n’a pas pu interroger deux témoins essentiels pour sa défense, à savoir sa fille et son compagnon.

3.2Elle affirme que les droits qui lui sont reconnus au paragraphe 3 a) de l’article 14 ont été violés, car elle n’a jamais été formellement inculpée d’avoir infligé des lésions corporelles légères, alors qu’elle faisait l’objet d’une enquête ouverte sur cette base; elle n’a pas été informée des éléments à charge recueillis contre elle. Ce n’est que le 27 juin 2000 que lui a été notifié officiellement le chef d’accusation modifié, celui d’avoir infligé des lésions corporelles graves, le jour même où l’enquête a été officiellement close.

3.3L’auteur affirme que les droits que lui reconnaît le paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violés, parce que, n’ayant pas eu formellement le statut d’inculpée jusqu’à la fin de l’enquête, elle a été privée de certains droits touchant la préparation de sa défense, en particulier celui de demander des expertises. En outre, elle n’a eu aucune possibilité de choisir son propre avocat, ou même de le rencontrer pour préparer sa défense.

3.4Enfin, l’auteur affirme que son droit à un recours au titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte a été violé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans une lettre du 14 mai 2002, l’État partie a affirmé que la communication était irrecevable et dénuée de fondement. Selon lui, le 12 mai 2000 une procédure pénale a été ouverte concernant un incident au cours duquel l’auteur aurait causé une lésion corporelle légère à Mme Zakarian, commettant une infraction apparente au Code pénal arménien. Les 5 et 14 juin 2000, conformément au Code de procédure pénale arménien, de nouveaux examens médicaux ont été pratiqués sur la victime présumée, et ont permis de déterminer que Mme Zakarian était défigurée de manière permanente. Le 27 juin 2000, les termes employés dans le dossier de l’enquête ont été modifiés pour prendre en compte la nouvelle expertise médicale (c’est‑à‑dire présomption de lésions corporelles graves).

4.2Le 17 mai 2000, Mme Khachatrian a été interrogée en tant que témoin, car il n’existait pas encore suffisamment de preuves pour l’inculper officiellement et l’interroger en tant qu’accusée. Des interrogatoires ultérieurs de Mme Zakarian, de son fils et de plusieurs autres personnes ont permis de recueillir suffisamment de preuves pour pouvoir inculper Mme Khachatrian. Au cours de l’enquête, en se fondant sur les déclarations de Mme Zakarian et de son fils ainsi que sur les résultats de l’inspection des lieux, il a été constaté que la version des faits donnée par Mme Khachatrian était dénuée de fondement.

4.3Les demandes adressées par Mme Khachatrian et son avocat aux autorités pour que celles‑ci interrogent sa fille, qui avait seulement 5 ans à l’époque, ont été rejetées tant par les autorités chargées de l’enquête que par les tribunaux, parce que l’article 207 du Code de procédure pénale arménien dispose que les mineurs ne peuvent être interrogés que s’ils sont à même de fournir des informations significatives sur une affaire. En outre, selon les éléments recueillis ultérieurement par les autorités, il a été établi que la fille de l’auteur n’était pas sur les lieux au moment de l’incident.

4.4L’État partie affirme que toutes les étapes de la procédure se sont déroulées conformément à la loi. Tous les documents disponibles dans le dossier montrent que les autorités arméniennes ayant participé à la procédure ont agi conformément aux normes juridiques nationales et internationales.

5.1Dans des commentaires datés du 2 juillet 2002, l’auteur déclare qu’elle n’a pas été informée de la nature de l’enquête menée contre elle sur le point de savoir si elle avait causé des lésions corporelles légères, et qu’elle n’a pas été informée des charges retenues et des éléments de preuve recueillis contre elle avant la fin de l’enquête; en revanche, Mme Zakarian a été reconnue en qualité de victime bien auparavant et a eu accès aux pièces du dossier, en particulier au dossier médical.

5.2L’auteur déclare que l’enquêteur a dû avoir suffisamment d’éléments de preuve pour l’inculper officiellement d’avoir causé des lésions corporelles légères, puisque Mme Zakarian a été enregistrée comme victime et partie civile.

5.3L’auteur note qu’elle a été victime d’une atteinte à la vie, en violation de l’article 6 du Pacte, et que l’État partie a refusé de lui fournir un recours à ce sujet, comme le veut le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

5.4Enfin, l’auteur déclare que l’État partie n’a donné aucune explication quant au rejet de sa demande de faire interroger son compagnon.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité considère que les allégations de l’auteur concernant le fait que l’État partie ne lui aurait pas fourni de recours pour l’atteinte à la vie dont elle aurait été victime de la part de Mme Zakarian n’ont pas été étayées et, par conséquent, sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Quant à l’allégation formulée par l’auteur au titre du paragraphe 3 a) et b) de l’article 14, le Comité note que les autorités ont ouvert leur enquête sur cet incident le 12 mai 2000, et n’ont pas engagé de poursuites contre l’auteur avant le 27 juillet 2000. Or le paragraphe 3 a) de l’article 14 s’applique seulement aux chefs d’accusation et non aux enquêtes pénales; l’auteur n’a fait l’objet d’aucune inculpation jusqu’au 27 juillet 2000, date à laquelle elle a été dûment informée des faits qui lui étaient reprochés. En outre, il n’a pas été établi que les autorités aient utilisé des procédés déloyaux ou se soient délibérément abstenues d’énoncer officiellement les charges qu’elles avaient la ferme intention de notifier ultérieurement; au contraire, comme l’a expliqué l’État partie, les poursuites n’ont pas été engagées plus tôt parce que les éléments de preuve recueillis étaient insuffisants. L’auteur conteste cela, mais le Comité n’est pas en mesure de trancher cette question de fait. En outre, le fait que la police ait communiqué certaines informations à Mme Zakarian et qu’elle ait délivré une attestation lui reconnaissant le droit d’engager une procédure au civil contre l’auteur n’implique aucune violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, qui s’applique aux procédures pénales et non aux procédures civiles. Enfin, l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle, n’ayant pas été formellement inculpée avant la fin de l’enquête pénale, elle a été privée du droit de faire appel à des experts ou de choisir son propre avocat. En conséquence, le Comité considère ces allégations comme irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les autres griefs tirés des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14, le Comité a pris note des arguments de l’État partie selon lesquels les demandes de l’auteur que sa fille et ensuite son compagnon soient interrogés ont été rejetées au motif que les mineurs ne peuvent être interrogés que s’ils sont à même de fournir des informations significatives sur une affaire et que, selon les éléments recueillis ultérieurement par les autorités, il a été établi que ni la fille ni le compagnon de l’auteur n’étaient sur les lieux au moment de l’incident. L’auteur soutient que le témoignage de sa fille était essentiel à sa défense. Le Comité note que, en substance, cette partie de la communication porte sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions d’appel des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que l’examen des griefs ci‑dessus par les tribunaux ait été entaché de telles irrégularités. Le Comité n’est pas en mesure d’apprécier le jugement porté par l’État partie quant à la compétence de la fille et du compagnon de l’auteur pour témoigner, ou en quoi leur témoignage était susceptible d’éclairer l’affaire. En conséquence, le Comité déclare les griefs de l’auteur à ce titre irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

F. Communication n o  1059/2002, Carvallo c. Espagne (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre-vingt-cinquième session)*

Présentée par:

Hector Luciano Carvallo Villar(représenté par un conseil, Me Luis Sierra y Xauet)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

12 février 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation de l’auteur sur la base de preuves insuffisantes

Questions de procédure: Épuisement des recours internes; plainte non étayée

Questions de fond: Présomption d’innocence; droit de l’accusé à bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix

Articles du Pacte: 2 (par. 3 a) et b)), 14 (par. 1, 2, 3 d)) et 5

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 12 février 2001, est Hector Luciano Carvallo Villar, de nationalité chilienne. Il se déclare victime de violation par l’Espagne des paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 et des paragraphes 1, 2, 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Me Luis Sierra y Xauet.

Exposé des faits

2.1Le 25 juin 1997, l’auteur a été condamné par l’Audiencia Provincial de Barcelone à une peine de huit ans d’emprisonnement assortie d’une amende pour atteinte à la santé publique (trafic de stupéfiants). Il a formé un pourvoi en cassation auprès du Tribunal suprême, qui l’a rejeté dans un arrêt rendu le 14 juillet 1999.

2.2Pendant l’instruction du pourvoi, l’auteur a souhaité être assisté par un avocat de son choix. Ce dernier a demandé à l’avocat commis d’office l’autorisation de le remplacer, et l’auteur a versé une somme d’argent à l’avocat commis d’office à titre d’honoraires. Or celui‑ci a jugé la somme insuffisante et n’a pas accepté d’être remplacé par un confrère. Le Tribunal suprême n’a donc pas accepté l’avocat désigné par l’auteur, lequel n’a pas pu assurer sa défense. Le pourvoi a donc été introduit par un avocat que l’auteur n’avait pas choisi.

2.3L’arrêt rendu par le Tribunal suprême a été notifié au représentant légal commis d’office, l’avoué Me Fontanilla Fornielles, le 2 septembre 1999, mais l’auteur n’en a pas été informé. Lorsque l’avocat qu’il avait désigné a eu connaissance du jugement et le lui a communiqué, le délai légal pour former un recours en amparo était déjà écoulé; en effet, ce délai, qui est de 20 jours, commence à courir à partir de la date de notification du jugement au représentant légal. L’avocat désigné par l’auteur a malgré tout introduit un recours en amparo le 31 janvier 2000, qui a été déclaré irrecevable par le Tribunal constitutionnel le 5 mai 2000, au motif qu’il avait été présenté hors délai.

2.4Selon l’auteur, la déclaration de culpabilité repose sur le fait que sa voix a été reconnue dans les écoutes téléphoniques réalisées par les magistrats de l’Audiencia Provincial. L’auteur affirme que ces écoutes téléphoniques n’ont pas été effectuées dans le respect des garanties exigées par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où:

a)Le juge d’instruction n’a pas écouté la totalité des enregistrements, mais seulement une partie, sélectionnée par la police. En vertu du Code de procédure pénale, l’examen des communications téléphoniques doit se faire en présence du juge et du greffier qui rédige le procès-verbal, ainsi que de l’accusé. De plus, les transcriptions des extraits pertinents doivent être faites par le juge d’instruction. Or en l’espèce seuls des extraits de ces conversations, sélectionnés par la police puis simplement collationnés par le greffier, ont été transcrits et présentés au Tribunal;

b)Le juge a apprécié cet élément de preuve en l’absence des inculpés;

c)L’ordonnance de mise sur écoute ne comportait pas tous les éléments requis, même s’il est affirmé dans le jugement que ce document réunissait les conditions nécessaires pour procéder à ladite intervention, telles que la mention de l’infraction qui motivait l’interception ainsi que la durée de celle-ci. Il y a donc eu violation du droit à la confidentialité des communications, inscrit dans la Constitution, car la simple allusion à une infraction pénale, sans qu’il soit fait mention des indices ayant motivé la mesure d’interception, et le lien établi avec la personne faisant l’objet d’une enquête rendent cette mesure arbitraire;

d)La preuve n’a pas été administrée valablement puisque ce sont des écrits qui ont été produits à l’audience et qu’il n’a pas pu être établi que l’inculpé avait participé aux conversations interceptées. Ni l’auteur ni son coaccusé inculpé n’a reconnu la voix de l’auteur parmi les voix enregistrées. Par ailleurs, l’expertise par phonométrie n’a pas permis d’établir la correspondance entre la voix de l’auteur et celle entendue dans les enregistrements. Le fait que les deux voix se ressemblent, selon le tribunal, ne peut être qu’un indice parmi d’autres éléments probants, mais pas un élément à charge suffisant pour condamner l’auteur et violer la présomption d’innocence.

2.5L’auteur affirme que cette question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur déclare avoir été victime d’une violation du droit à un recours utile, prévu par les alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, dans la mesure où l’arrêt rendu le 14 juillet 1999 par le Tribunal suprême ne lui a pas été communiqué à temps pour qu’il puisse introduire un recours en amparo.

3.2Il y a eu également violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14, dans la mesure où la preuve sur laquelle repose la déclaration de culpabilité de l’auteur n’a pas été obtenue en respectant les garanties prévues par la loi. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, le contrôle juridictionnel a été insuffisant, les mesures d’interception ont été prises sans une ordonnance dûment motivée et la preuve n’a pas été administrée valablement. Tous ces manquements violent les droits de la défense et le droit à la présomption d’innocence.

3.3L’auteur affirme que son droit d’être assisté par un défenseur de son choix, tel qu’il est énoncé au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, a été bafoué parce que le Tribunal aurait dû accepter l’avocat désigné par l’auteur et ne pas exiger l’autorisation de l’avocat commis d’office, autorisation que ne prévoit aucune règle de droit interne ou international. Les accords entre avocats ne peuvent pas aboutir au déni du droit de choisir librement son défenseur.

3.4L’auteur affirme également avoir été victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce que le Tribunal n’a pas réexaminé la preuve administrée en première instance, ne l’a pas soumise à un examen critique et ne s’est pas prononcé sur son caractère légal ou suffisant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.Dans des observations en date du 6 mai 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, au motif que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes. En première instance, l’auteur avait été représenté par un défenseur commis d’office, Me Fontanilla Fornielles. Lors de l’instruction du pourvoi en cassation, ce dernier avait accepté d’être remplacé par une consœur, Me Echavarría. Par la suite, celle-ci avait renoncé à représenter l’auteur et avait demandé au Tribunal de nommer un avocat d’office. Le Tribunal avait décidé une nouvelle fois de désigner Me Fontanilla Fornielles. L’arrêt rendu par le Tribunal suprême a été notifié à ce dernier le 2 septembre 1999. Lorsque l’auteur a introduit un recours en amparo, le 31 janvier 2000, le délai de 20 jours prévu par la loi pour former un recours devant le Tribunal constitutionnel était depuis longtemps écoulé et l’auteur a été débouté pour ce motif.

5.1Dans une lettre du 5 juillet 2002 l’auteur répond aux arguments avancés par l’État partie. Il déclare que l’arrêt rendu par le Tribunal suprême a effectivement été notifié à l’avocat commis d’office le 2 septembre 1999. Quand l’avocat qu’il avait lui-même désigné a eu connaissance de l’existence dudit jugement, il s’est rendu à l’Audiencia Provincial de Barcelone, le 19 janvier 2000, où on lui a remis une copie du jugement. C’est donc à partir de cette date qu’il convient de calculer le délai d’appel pour un recours en amparo, car c’est le 19 janvier 2000 que le défenseur désigné par l’auteur a eu connaissance du jugement. Par conséquent, le recours en amparo introduit le 31 janvier 2000 a respecté le délai légal et aurait dû être jugé recevable.

5.2L’auteur signale également le caractère extraordinaire du recours en amparo et note que, pour pouvoir épuiser les voies de recours internes, il faudrait d’abord que ceux‑ci puissent aboutir.

6.Dans des observations formulées le 13 septembre 2002, l’État partie relève que, dans le système espagnol, on notifie les jugements à l’avoué, c’est-à-dire à celui qui représente l’inculpé lors du procès, et non pas à l’avocat, qui s’occupe de la direction technique de la procédure. Il ne faut pas confondre la délivrance d’une copie du jugement et la notification officielle de celui‑ci.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

7.1Dans des observations datées du 4 septembre 2002, l’État partie déclare qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte. En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 14 (par. 1 et 2), l’auteur conteste la validité de l’ordonnance judiciaire d’interception des communications téléphoniques. Le jugement de l’Audiencia Provincial cite néanmoins les éléments qui ont motivé cette mesure: il est fait mention des indices, du téléphone, de la personne objet de l’enquête, de la durée autorisée de l’interception, de l’obligation de fournir des bandes originales, des règles prescrites par la loi et du délit. Le Tribunal suprême a considéré que cette mesure était donc conforme à la loi. L’État partie évoque également les attendus du jugement dans lesquels les magistrats de l’Audiencia Provincial expliquent les raisons qui les ont convaincus que la voix entendue dans les conversations interceptées était celle de l’auteur, et conclut que la procédure de jugement a entièrement respecté le principe de la procédure contradictoire.

7.2En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 3 d) de l’article 14, l’État partie fait observer que l’auteur était assisté par un avocat commis d’office lorsqu’il a formé un pourvoi en cassation parce qu’il l’avait expressément demandé, alléguant qu’il était sans ressources. L’auteur a ensuite changé d’avis et voulu désigner un avocat de son choix montrant ainsi qu’il avait des ressources économiques. Étant donné qu’il en avait les moyens, il s’est vu dans l’obligation de verser des honoraires à l’avocat commis d’office pour les services rendus. L’auteur n’a pas voulu verser ces honoraires ni même porter l’affaire devant l’ordre des avocats. L’auteur n’a pas, dans le cadre de la procédure prévue par le droit interne, réclamé l’agrément de son avocat d’office (art. 33 du Statut général du barreau). Il n’a pas non plus contesté l’obligation de lui verser des honoraires ni discuté le montant de ces honoraires. Par conséquent, l’auteur ne peut pas tenir les autorités responsables de ses changements d’avis ou de ses propres actes ou omissions.

7.3En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie fait valoir que cette disposition ne prévoit pas le droit à un nouveau procès en deuxième instance, mais le droit à un réexamen par une juridiction supérieure de la conformité à la loi du jugement de première instance, c’est‑à‑dire en l’espèce l’application correcte des règles de droit ayant conduit à la déclaration de culpabilité et à la détermination de la peine. Ce réexamen peut être régi par le droit interne, qui en détermine la portée et les limites.

7.4Le Tribunal suprême a réexaminé l’affaire pour vérifier s’il existait des éléments à charge et a conclu que c’était le cas. Il a également vérifié que les preuves de la culpabilité avaient été obtenues conformément à la loi et a conclu par l’affirmative, en motivant sa conclusion. Par ailleurs, il s’est assuré que l’interprétation de la loi qui avait conduit à la déclaration de culpabilité et à la condamnation n’était ni arbitraire, ni irrationnelle, ni absurde, et il est parvenu à la conclusion, motivée, que cette interprétation était rationnelle et logique. En effet, l’arrêt en cassation fait observer, en ce qui concerne les enregistrements des conversations téléphoniques:

«Le tribunal qui a prononcé la condamnation a jugé qu’il s’agissait de [l’auteur] parce que, lorsque ce dernier passe une communication, il se présente sous ce nom, est désigné sous ce nom par son coaccusé et utilise le téléphone placé sur écoute. En outre, malgré les preuves non concluantes présentées par l’accusé lui-même en matière de reconnaissance des voix, le tribunal reconnaît la voix dudit Luciano comme étant celle de l’accusé comparaissant à l’audience et dont il entend la voix. Le juge de première instance s’est donc fondé non seulement sur les preuves de l’existence du trafic de cocaïne, mais aussi sur toute une série de preuves indirectes, obtenues à partir des déclarations d’un coaccusé, et sur la preuve directe produite devant le tribunal. Il a établi des corrélations entre les faits selon un raisonnement logique pour apprécier tous ces éléments et affirmer que l’appelant avait participé aux faits, éléments que la Cour, appelée à se prononcer sur le droit à la présomption d’innocence, a pu étudier et vérifier.».

7.5En ce qui concerne l’ordonnance de mise sur écoute téléphonique, le Tribunal suprême fait observer dans son arrêt:

«L’interception des communications téléphoniques de la coïnculpée Antonia Soler Soler a été décidée sur la base d’un rapport de police détaillé expliquant que la titulaire du téléphone et son concubin avaient des contacts fréquents avec des personnes qui avaient été appréhendées alors qu’elles étaient en possession de drogues. L’ordonnance, en date du 27 octobre 1993, présentait les motifs généraux de la mesure d’intervention en faisant référence aux normes applicables en la matière, ainsi que les motifs spécifiques liés à la titulaire du téléphone, en précisant son numéro, son adresse et la date à laquelle les résultats devaient être communiqués. Dix jours plus tard, la police a informé le juge du résultat des écoutes téléphoniques dans un rapport de sept pages contenant une description journalière des communications interceptées. Le 12 novembre suivant, on a découvert que les intéressés avaient l’intention d’échanger de la cocaïne contre de l’argent, délit qui constitue le fondement de l’affaire. Il a donc été décidé d’écouter les bandes originales des conversations à l’audience, qui ont été retenues à titre d’éléments à charge dans le jugement rendu en première instance. Dans ces conditions, on ne peut pas conclure que les écoutes téléphoniques n’ont pas respecté les conditions requises par la loi pour protéger le principe inscrit dans la Constitution.».

7.6Devant les juridictions internes, ni l’auteur ni l’avocat désigné par ce dernier n’a à aucun moment exprimé des doutes quant à la portée et à la légalité du pourvoi en cassation, pas plus qu’ils n’ont formulé de plainte contre le Tribunal suprême pour violation du droit au double degré de juridiction.

8.1Dans ses commentaires datés du 24 novembre 2002, l’auteur réitère ses allégations relatives au pourvoi en cassation. Selon lui, ce recours porte atteinte aux droits de la défense, dans la mesure où il ne permet pas d’apporter d’éléments nouveaux découverts a posteriori, ni d’apprécier la validité des éléments de preuve. Il fait observer également que, dans sa réponse, l’État partie ne fait pas mention de la violation du secret des communications que l’auteur a dénoncée devant le Comité, ce qui le conduit à penser que l’État partie reconnaît la violation du Pacte.

8.2L’auteur réitère ses arguments. Il fait observer en particulier que le Tribunal suprême ne l’a pas autorisé à changer de représentant légal, le privant ainsi de l’exercice du droit de choisir son défenseur et obligeant l’avocate qu’il avait choisie à renoncer à le représenter. Cette renonciation n’a donc pas été volontaire mais a été imposée par le Tribunal suprême.

8.3Dans le système espagnol, les condamnations doivent être notifiées à l’intéressé. En l’espèce, l’auteur a été arrêté puis emprisonné en vertu d’un jugement qui ne lui avait pas été notifié. Quand le jugement rendu par le Tribunal suprême est parvenu à l’Audiencia Provincial, l’avocat qu’il avait désigné n’avait pas cessé de le représenter puisque c’était lui qui l’avait défendu en première instance devant l’Audiencia Provincial.

Délibérations du Comité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2L’auteur affirme qu’il y a eu violation du Pacte dans la mesure où l’arrêt rendu par le Tribunal suprême ne lui a pas été communiqué à temps pour qu’il puisse introduire un recours en amparo. L’État partie affirme que ce jugement a été notifié à l’avoué qui le représentait. Le Comité considère que le fait que l’avoué n’a pas informé l’auteur de sa condamnation dans un délai suffisant pour lui permettre un recours utile ne peut être imputé à l’État partie. Le Comité estime par conséquent que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée et doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.3En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives au déni du droit d’être représenté par un avocat de son choix dans la procédure de cassation et au fait que l’arrêt du Tribunal suprême ne lui a pas été communiqué directement, le Comité fait observer que l’auteur n’a formé aucun recours à ce sujet devant les autorités espagnoles. Par conséquent, cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable car toutes les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.4En ce qui concerne les allégations relatives à l’absence de garanties liées à l’administration de la preuve ayant entraîné la déclaration de culpabilité, le Comité considère que, le recours en amparo n’ayant pas pu être formé pour des motifs non imputables à l’État partie, ces allégations doivent elles aussi être déclarées irrecevables car toutes les voies de recours internes n’ont pas été épuisées par l’auteur.

9.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14, il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que celui-ci a examiné avec soin l’appréciation des éléments de preuve par l’Audiencia Provincial. À cet égard, le Tribunal suprême a estimé que les éléments de preuve présentés contre l’auteur étaient suffisants pour l’emporter sur la présomption d’innocence. La plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’étant donc pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, le Comité conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

G. Communication n o  1062/2002, Šmídek c. République tchèque (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

M. Stanislav Šmídek (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

20 octobre 1996 (date de la lettre initiale)

Questions de fond: Discrimination, recours utile, accès à la fonction publique, protection de l’honneur

Questions de procédure: Néant

Articles du Pacte: 2 (par. 3 b)), 17, 25 c) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Stanislav Šmídek, de nationalité tchèque, né en avril 1937 à Šlapanice, en République tchèque. Il affirme être victime d’une violation par la République tchèque du paragraphe 3 b) de l’article 2, de l’article 17, et de l’article 25 c) lu conjointement avec l’article 26, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci‑après «le Pacte»). Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Union soviétique, en 1968, l’auteur, qui s’était publiquement opposé à cette occupation, a été contraint de quitter le service du ministère public où il était employé, pour aller travailler dans le secteur de la construction de routes. En 1989, il a été démis de ses fonctions de chef du Bureau du travail de Sokolov, parce qu’il avait appelé à la condamnation morale des dirigeants de l’ancien régime communiste. La communication de l’auteur porte sur deux points.

2.2La première série de faits qui fonde la communication de l’auteur concerne sa candidature à des fonctions dans le secteur judiciaire. Le 29 juin 1993, l’auteur s’est porté candidat à un poste au tribunal régional de Pilsen (ci‑après «le tribunal régional»). Contrairement aux autres candidats, qui ont été admis sous réserve de passer un examen similaire à celui que l’auteur avait déjà passé avec succès antérieurement, l’auteur a dû se soumettre en plus à un test de personnalité, qui devait permettre d’apprécier s’il était psychologiquement apte à exercer une fonction judiciaire. Selon l’auteur, ce test a été conduit par un expert «dont les liens avec l’ancien régime communiste ne pouvaient pas être exclus». Le 2 septembre 1993, au vu des résultats du test, la candidature de l’auteur a été rejetée. Lorsqu’il a mis en doute l’objectivité du test, l’auteur a été informé par le Ministère de la justice que les résultats du test ne constituaient pas le seul critère pris en considération pour le recrutement, et n’étaient pas déterminants mais constituaient seulement un facteur secondaire dans la procédure de sélection.

2.3Le 10 septembre 1993, l’auteur s’est porté candidat à un poste dans les services du Procureur régional de Pilsen. Sa candidature a été rejetée le 24 mars 1994, en raison des résultats insatisfaisants du test de personnalité. Le 7 avril 1994, l’auteur a introduit une requête en inconstitutionnalité, affirmant que le rejet de sa candidature par le Procureur régional constituait une violation du paragraphe 2 de l’article 26 de la Charte des libertés et des droits fondamentaux, lequel dispose que la loi peut définir des conditions et des restrictions applicables à l’exercice de certaines professions et activités. L’auteur faisait valoir que sa candidature avait été rejetée au motif qu’elle ne remplissait pas une condition définie non pas par la loi applicable (la loi no 283/1993 portant organisation du parquet) mais par un acte juridique individuel du Ministre de la justice.

2.4Le 6 septembre 1994, la requête en inconstitutionnalité a été rejetée pour vice de forme. La Cour constitutionnelle a relevé que, conformément au paragraphe 1 a) de l’article 72 de la loi no 182/1993 portant organisation de la Cour constitutionnelle, une requête en inconstitutionnalité ne pouvait être introduite que par une personne qui s’estimait atteinte dans ses libertés ou ses droits constitutionnels par suite de l’action d’une autorité publique. La Cour a toutefois estimé que le rejet d’une candidature n’était pas «une action d’une autorité publique», même si l’employeur potentiel était l’État. Elle a conclu que le rejet de la candidature de l’auteur ne constituait pas un acte susceptible d’être contesté au moyen d’une requête en inconstitutionnalité au titre de la loi no 182/1993.

2.5La deuxième série de faits concerne la diffamation dont l’auteur aurait fait l’objet quand il était chef du Bureau du travail de Sokolov. Le 31 août 1992, par une lettre qui contenait des informations qualifiées de diffamatoires et de fausses accusations, une personne (J. D.) s’est plainte au Ministre du travail et des affaires sociales, demandant que l’auteur soit démis de ses fonctions. Sur la base de cette lettre, le Ministère a conduit une enquête dans le service où travaillait l’auteur, sans toutefois découvrir de manquement grave qui pourrait justifier son licenciement. J. D. se serait fondé sur des informations obtenues d’une autre personne (T. K.), qui avait publié dans la presse régionale plusieurs articles sur la manière dont l’auteur s’acquittait de ses fonctions. T. K. avait omis d’indiquer dans ses articles que les inspecteurs du Ministère du travail n’avaient constaté aucune défaillance grave dans le travail de l’auteur. Quand, plus tard, l’auteur a été démis de ses fonctions, l’opinion publique a donc conclu, à tort, que c’était à cause des résultats de l’enquête.

2.6L’auteur a engagé deux séries de procédures: une action pour faire valoir ses droits, et une action pénale contre J. D. et T. K. Pour la première, il a saisi le tribunal régional, le 20 mai 1993, lui demandant d’ordonner à J. D. et à T. K. de s’abstenir d’agir en violation de son droit à la protection de son honneur et de sa réputation par la diffusion d’informations diffamatoires sur son travail. Le 6 juin 1994, le tribunal régional a rejeté sa demande au motif qu’aucun des deux défendeurs n’avait commis de violation des droits individuels de l’auteur puisque leurs déclarations ne contenaient pas d’information fausse, trompeuse ou diffamatoire. L’auteur n’avait donc pas été atteint dans son honneur.

2.7Le 29 février 1996, la Cour d’appel de Prague (ci‑après «la Cour d’appel») a confirmé les conclusions du tribunal régional. Elle a modifié la décision en ce qui concerne les dépens, obligeant l’auteur à rembourser les frais de justice aux défendeurs. Le 19 mai 1996, l’auteur a intenté une action pénale contre les membres du collège de la Cour d’appel, en vertu des alinéas a et c du paragraphe 1 de l’article 158 du Code pénal, pour abus d’autorité de la part de fonctionnaires. Il affirmait qu’ils avaient commis une infraction en refusant de qualifier les actes de J. D. et de T. K. d’atteinte illégale à ses droits individuels.

2.8Le 4 juillet 1996, le tribunal de district de Sokolov a ordonné l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel en date du 29 février 1996 et a fait saisir à cette fin le salaire de l’auteur. Le 13 août 1996, le tribunal régional a débouté l’auteur de l’appel interjeté contre cette décision. Le 23 février 1999, la Cour suprême a rejeté la demande de contrôle de la décision du tribunal régional faite par l’auteur. Elle a estimé qu’elle n’était fondée sur aucun des motifs prévus par la loi pour ce type de requête et que la décision du tribunal régional ne pouvait pas être contestée par ce moyen extraordinaire. La Cour a également rejeté l’argument de l’auteur qui faisait valoir que les critères de recevabilité des demandes de contrôle, tels que définis aux articles 238 a) et 239 du Code de procédure civile, étaient incompatibles avec les libertés et droits fondamentaux protégés par des instruments internationaux contraignants pour l’État partie.

2.9Le 23 septembre 1996, l’auteur a sollicité le réexamen de l’action qu’il avait engagée pour faire protéger ses droits individuels et a fait appel de la décision du 4 juillet 1996 autorisant l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel. Le tribunal régional l’a débouté le 13 novembre 1996 au motif que les tribunaux étaient tenus par les décisions définitives et ne pouvaient pas les réexaminer.

2.10Le 8 décembre 1996, l’auteur a introduit une nouvelle requête en inconstitutionnalité. Il a demandé à la Cour constitutionnelle d’infirmer les décisions de la Cour d’appel, du tribunal régional et du tribunal de district de Sokolov, affirmant que celles‑ci constituaient une violation du droit à un procès équitable. Il faisait valoir que ces juridictions avaient refusé de tenir compte de ses griefs et qu’elles n’avaient pas examiné l’affaire avec attention ni motivé suffisamment leurs décisions. L’auteur a été invité à choisir un conseil, ce qu’il a refusé, étant lui‑même membre du barreau. Le 6 janvier 1997, la Cour constitutionnelle lui a fait savoir que, conformément à son avis ÚS‑st‑1/96, toute partie à une procédure devant la Cour, quelles que soient ses qualifications professionnelles, devait être représentée par un conseil. Le 10 janvier 1997, l’auteur a envoyé une procuration au nom de son avocate. Celle‑ci a cependant indiqué à la Cour, le 14 janvier, qu’elle n’avait pas accepté de le représenter. Faute d’avoir reçu une procuration valable donnée à un conseil dans le délai prescrit, la Cour a rejeté la requête de l’auteur.

2.11 La deuxième série de procédures a consisté en une action pénale contre J. D. et T. K., le 26 juillet 1996, dans laquelle l’auteur affirmait que les actes des deux hommes constituaient une diffamation au sens de l’article 206 du Code pénal. Les poursuites pénales ont été abandonnées le 24 septembre 1996 au motif qu’il n’y avait pas lieu de penser qu’il y avait eu diffamation. Le recours formé contre cette décision a été rejeté le 31 décembre 1996 par le Procureur de district de Sokolov, qui a estimé que l’auteur n’avait pas suffisamment démontré que les informations diffusées par J. D. et T. K. étaient fausses, trompeuses et diffamatoires, comme il le prétendait, et que rien ne prouvait que les actes de ces deux personnes aient pu nuire gravement à sa réputation.

2.12L’auteur a saisi le Procureur de district de Sokolov pour demander que le Ministre de la justice dépose une plainte pour violation du droit, et pour demander également la reprise des poursuites pénales. La demande de l’auteur a été renvoyée pour examen au Procureur régional de Pilsen, lequel a confirmé, le 18 avril 1997, la décision du 31 décembre 1996. L’auteur a soumis au Ministre de la justice deux autres requêtes, qui ont été renvoyées au Procureur principal de Prague puis au Procureur régional de Pilsen; celui‑ci a décidé le 14 octobre 1997 de clore l’affaire, au motif que les demandes ne soulevaient aucun fait nouveau. L’auteur a alors demandé au Procureur principal de Prague d’examiner la légalité de la décision rendue le 18 avril 1997 par le Procureur régional de Pilsen. Le 5 janvier 1998, le Procureur principal de Prague a conclu que la décision contestée n’était entachée d’aucune erreur et qu’elle était donc valable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 25 c) du Pacte, lu conjointement avec l’article 26, parce que le tribunal régional et le Procureur régional de Pilsen ont rejeté sa candidature au vu de ses résultats au test de personnalité, violant de ce fait son droit d’accéder à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité. L’auteur fait valoir que la loi ne prévoit pas de critère psychologique à satisfaire pour exercer la fonction à laquelle il postulait, et que d’autres candidats avec les mêmes qualifications que lui n’ont pas eu à passer un test de ce genre.

3.2L’auteur affirme en outre que la Cour constitutionnelle, en décidant le 6 septembre 1994 de rejeter sa requête en inconstitutionnalité contre la décision par laquelle le Procureur régional de Pilsen avait refusé sa candidature, a violé le droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, parce qu’elle n’a pas qualifié cette décision d’«action d’une autorité publique», le privant ainsi de la possibilité de contester ladite décision au moyen d’une requête en inconstitutionnalité.

3.3L’auteur affirme que les juridictions ordinaires qui ont statué sur son action pour la protection de ses droits individuels ont agi en violation du droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, ainsi que du droit de protéger son honneur et sa réputation contre les atteintes illégales, garanti par l’article 17 du Pacte, parce qu’elles n’ont pas fait droit à sa demande visant à faire qualifier les actes de J. D. et T. K. de diffamation au sens de l’article 206 du Code pénal.

3.4L’auteur affirme que la Cour constitutionnelle, en le déboutant au motif qu’il n’était pas représenté par un conseil, a violé le droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, parce qu’il était lui ‑même un membre du barreau.

3.5Enfin, l’auteur affirme que la Cour suprême, en rejetant le 23 février 1999 sa demande de réexamen de la décision du tribunal régional en date du 13 août 1996, a violé le droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, parce que cette décision était illégale et que les critères de recevabilité de ce type de requête prévus par le Code de procédure civile étaient incompatibles avec des instruments internationaux contraignants pour l’État partie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par une note du 17 octobre 2002, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Sur les faits, en ce qui concerne la candidature de l’auteur, l’État partie souligne que l’auteur n’avait pas réussi l’examen de la magistrature et n’avait encore jamais exercé la fonction de juge. Le Président du tribunal régional a donc décidé de l’engager comme juge stagiaire. L’auteur a passé à cette fin un test de personnalité, conformément à une directive du Ministère de la justice (no 125/1992‑Inst.), dont les résultats ont conduit à conclure qu’il n’était pas apte à la fonction de juge.

4.2En ce qui concerne le premier grief, l’État partie objecte à la recevabilité de cette partie de la communication. Il relève que la requête en inconstitutionnalité du 7 avril 1994 ne répondait pas aux critères élémentaires exigés pour cette catégorie de recours, de sorte que la Cour constitutionnelle n’avait pas pu examiner effectivement la plainte de l’auteur. On ne peut donc pas considérer que cette voie de recours a été effectivement épuisée. En outre, le grief de discrimination n’a pas été soulevé dans la requête en inconstitutionnalité et aucun moyen de recours interne n’a été utilisé pour ce grief. Compte tenu des connaissances du droit qu’a l’auteur, l’État partie conclut que ce dernier n’a pas épuisé les recours internes pour cette partie de la communication, laquelle devrait donc être déclarée irrecevable.

4.3L’État partie affirme en outre que la communication est manifestement sans fondement. Renvoyant à l’Observation générale no 25 et à la jurisprudence du Comité, il rappelle qu’aux fins du Pacte une différence de traitement ne constitue pas nécessairement une discrimination si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte.

4.4L’État partie affirme que l’article 25 ne peut pas être compris comme établissant un droit d’accès illimité à n’importe quel poste de la fonction publique, mais vise simplement à garantir le droit de postuler aux fonctions publiques dans des conditions générales d’égalité. Si la loi subordonne le recrutement à des conditions, c’est pour garantir une qualité de travail équivalente de la part des personnes qui occupent les postes concernés, et non pour obliger l’employeur à recruter toute personne qui remplit ces conditions. L’article 25 du Pacte reconnaît aux employeurs, y compris les pouvoirs publics, la liberté d’accepter ou de refuser une candidature, même si celle‑ci satisfait aux conditions fixées. L’article 26 oblige toutefois à veiller à ce que toute distinction conduisant au refus d’un candidat à un poste de la fonction publique ait un but légitime et soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs.

4.5Concernant le fond du grief de violation de l’article 25, l’État partie fait valoir que le rejet de la candidature de l’auteur au vu de ses résultats au test de personnalité ne peut pas être considéré comme une restriction du droit d’accéder aux fonctions publiques de son pays, même si aucun critère d’aptitude psychologique n’est expressément prévu par les lois applicables. La fonction de juge ou de procureur est une mission sociale extrêmement importante, qui implique de prendre des décisions sur les droits et les devoirs, de préserver son intégrité personnelle contre toute influence et de protéger l’intérêt public. Il est essentiel de veiller à ce que de tels postes soient occupés par des personnes qui non seulement possèdent les qualifications nécessaires et jouissent d’une bonne considération morale, mais sont également suffisamment stables psychologiquement pour exercer convenablement leurs fonctions. L’aptitude psychologique est donc un critère objectif et raisonnable, exigé dans un but légitime. Son application à l’auteur n’a pas constitué une violation du droit d’accéder à la fonction publique, qui est reconnu à l’article 25 du Pacte.

4.6Concernant le fond du grief de violation de l’article 26, l’État partie relève que l’auteur affirme d’une manière très générale que d’autres candidats ont été dispensés du test de personnalité, sans préciser quels candidats l’ont été et dans quelles circonstances. L’État partie souligne que, conformément à l’article 4 de la directive du Ministre de la justice no 125/1992‑Inst. relative à la formation des juges stagiaires, tout candidat à un poste de juge stagiaire doit passer un test de personnalité et aucune dispense n’est admise. Puisque l’auteur n’avait encore jamais exercé la fonction de juge, son aptitude psychologique devait être vérifiée conformément à cette directive. Il a donc été traité de la même manière que n’importe quel autre candidat à un poste de juge stagiaire. Par conséquent, il n’a pas fait l’objet d’une discrimination.

4.7L’État partie indique que selon la pratique établie tous les candidats à un poste de procureur stagiaire doivent passer un test de personnalité. Une fois que le stagiaire a terminé son stage et réussi l’examen d’aptitude, il peut être nommé procureur. Bien que l’auteur ait déjà réussi l’examen d’aptitude, sa situation était particulière lorsqu’il a postulé en 1993, du fait qu’il n’avait plus travaillé dans un service du ministère public depuis 1968 et qu’il n’avait pas passé le test de personnalité requis par la pratique instaurée entre‑temps. C’est pour cette raison que le Procureur régional a décidé de le soumettre à la même procédure de sélection que les autres candidats, afin de vérifier s’il remplissait les conditions requises. Cette décision ne peut pas être interprétée comme une mesure discriminatoire contre l’auteur. L’État partie conclut qu’il n’y a pas eu violation des articles 25 et 26 du Pacte et que la communication est manifestement dénuée de fondement.

4.8Concernant le deuxième grief, relatif à l’arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 6 septembre 1994, l’État partie souligne que, selon le paragraphe 1 a) de l’article 72 de la loi no 182/1993 portant organisation de la Cour constitutionnelle, une requête en inconstitutionnalité peut être introduite par toute personne physique qui affirme que ses libertés ou droits fondamentaux garantis par la Constitution ont été violés par suite d’une décision définitive rendue dans une procédure à laquelle elle était partie, ou par suite d’une mesure ou autre action d’une autorité publique. La décision du Procureur régional de Pilsen n’entre pas dans l’une de ces catégories puisqu’il n’a pas exercé à cette occasion les pouvoirs qui sont définis au paragraphe 1 de l’article 80 de la Constitution et précisés dans la loi no 283/1993. Il s’est contenté d’examiner s’il devait accepter la candidature de l’auteur et établir une relation de travail avec lui. Du point de vue juridique, conformément au Code du travail, les deux parties à une relation de travail sont égales et le contrat qui les unit est privé. Par conséquent, la décision du Procureur régional n’était pas une décision affectant les droits et les devoirs de l’auteur, et le Procureur n’a pas agi en tant qu’autorité publique lorsqu’il a rejeté la candidature. Cette décision ne peut donc pas constituer une violation des droits constitutionnels de l’auteur, susceptible d’être dénoncée au moyen d’une requête en inconstitutionnalité en vertu du paragraphe 1 a) de l’article 72 de la loi no 182/1993. Pour l’État partie, ce grief est manifestement sans fondement.

4.9Concernant le troisième grief, relatif à la manière dont les tribunaux ont traité la question de la protection des droits de l’auteur, l’État partie affirme qu’en réalité ce que l’auteur demande c’est le réexamen de décisions rendues par des juridictions nationales ainsi que de l’interprétation que ces juridictions et les autorités ayant participé à l’enquête ont donnée du droit interne. L’État partie considère par conséquent que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable. Sur le fond, il indique que l’auteur a engagé une action civile devant le tribunal régional et la Cour d’appel. Sa demande a donc été examinée par les chambres civiles de ces juridictions, qui n’ont pas pu retenir une qualification pour les actes en cause. L’État partie fait valoir que le tribunal régional et la Cour d’appel ont conclu que l’auteur n’avait pas étayé l’allégation que J. D. diffusait des informations fausses, trompeuses ou diffamatoires à son sujet; il n’avait fait qu’exercer son droit de plainte. Pour ce qui est de T. K., les deux juridictions ont conclu que ses articles ne contenaient pas d’informations fausses ou trompeuses. En outre, il n’avait pas cherché à nuire à la réputation de l’auteur. L’État partie indique que les autorités compétentes ont examiné avec attention les demandes de l’auteur et ont conclu que ce dernier n’avait pas été atteint dans ses droits individuels par les actes de J. D. et de T. K. D’autre part, les poursuites pénales ont été abandonnées faute de preuves au stade de l’enquête. L’affaire n’a donc pas été portée devant un tribunal. L’État partie conclut que les pouvoirs publics n’ont pas violé le droit de l’auteur à un recours utile, tel que garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, et que ce grief est manifestement dénué de fondement.

4.10Concernant le quatrième grief, l’État partie affirme qu’en réalité l’auteur demande le réexamen de la manière dont une juridiction nationale a interprété le droit interne, et que cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable. Sur le fond, l’État partie indique que l’article 30 de la loi no 182/1993 portant organisation de la Cour constitutionnelle dispose que toute personne physique qui est partie à une procédure devant la Cour doit être représentée par un conseil. En outre, selon la jurisprudence établie de la Cour en matière de représentation en justice, cette obligation s’applique également aux membres du barreau. Cette condition n’était pas remplie lorsque l’auteur a introduit sa requête en inconstitutionnalité. L’auteur en a été dûment informé et s’est vu accorder une prolongation de délai pour y remédier, mais il ne l’a pas fait. Compte tenu de l’importance des procédures devant la Cour constitutionnelle, l’obligation d’être représenté par un conseil vise à garantir que les droits de toutes les parties soient dûment défendus par des avocats qualifiés, ainsi qu’à favoriser une vision plus objective de la situation des parties individuelles à la procédure. Rien n’empêchait l’auteur de choisir un conseil compétent dans le délai imparti par la Cour. L’État partie conclut que la Cour constitutionnelle n’a pas violé le droit de l’auteur à un recours utile qui est garanti au paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte.

4.11Concernant le cinquième grief, l’État partie réaffirme que l’auteur demande un réexamen de décisions rendues par des juridictions nationales ainsi que de l’interprétation que ces dernières ont donnée du droit interne. Cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable. Sur le fond, l’État partie fait valoir que l’opinion subjective de l’auteur n’a pas d’incidence sur la validité objective des motifs autorisés pour l’introduction d’un recours. La Cour suprême a examiné la recevabilité de la demande de réexamen de l’auteur et a conclu qu’il n’était fondé sur aucun des motifs prévus. La Cour a explicitement rejeté l’argument de l’auteur qui affirmait que les critères de recevabilité des demandes de réexamen étaient incompatibles avec les instruments internationaux contraignants pour l’État partie. Par conséquent, par sa décision du 23 février 1999, la Cour suprême n’a pas violé le droit de l’auteur à un recours utile. L’État partie relève qu’en outre l’auteur aurait pu introduire une requête en inconstitutionnalité contre cette décision et qu’il n’a donc pas épuisé les recours internes à cet égard.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 4 février 2003, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme qu’il a bien épuisé les recours internes puisqu’il avait soumis à la Cour constitutionnelle la question de la discrimination sur le lieu de travail et la question de la protection de son honneur et de sa réputation. Il renvoie à ce sujet aux décisions de cette juridiction (II ÚS 56/94 et I ÚS 341/96).

5.2L’auteur réaffirme qu’il a été victime de discrimination lorsqu’il a postulé à différents postes, parce qu’il a dû passer un test de personnalité alors que d’autres candidats, qui avaient comme lui passé l’examen de la magistrature sous l’ancien système, n’ont pas eu à le faire. L’auteur réaffirme que le droit à la protection de la loi et le droit à un procès équitable ont été violés du fait qu’il n’a pas été soutenu lorsqu’il a demandé que son honneur soit protégé.

Observations complémentaires de l’État partie et commentaires supplémentaires de l’auteur

6.1Le 22 mai 2003, l’État partie a communiqué des observations complémentaires sur la recevabilité. Concernant le grief de violation de l’article 26, il répète que l’auteur n’a pas démontré quels candidats avaient été dispensés de l’obligation de passer un test psychologique, ni à quels postes ils postulaient, ni quand et dans quelles circonstances ils avaient été dispensés. Il s’ensuit qu’il est impossible pour le Gouvernement de répondre au sujet de ce grief, indépendamment du fait que la réglementation applicable ne permet aucune exemption.

6.2Concernant l’argument de l’auteur qui affirme que les autorités nationales n’ont pas donné suite à sa contestation de l’objectivité des tests, l’État partie fait valoir que le Ministère de la justice a répondu à cette objection le 22 décembre 1993. L’auteur n’a pas soulevé d’autre objection quant à l’objectivité des tests, notamment dans sa requête en inconstitutionnalité. Ce grief devrait donc être déclaré irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

6.3Concernant l’épuisement des recours internes, l’État partie réaffirme que même si l’auteur a soumis ses griefs à la Cour constitutionnelle, celle‑ci les a rejetés pour cause d’irrecevabilité et ne les a donc pas examinés sur le fond.

7.1Le 17 janvier 2005, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Il indique qu’en 1993, après qu’on l’eut déclaré inapte à la fonction de procureur ou de juge au vu de ses résultats aux tests de personnalité, deux personnes, Š. et K., ont obtenu un poste dans le service juridique (section civile) du tribunal du comté sans avoir passé un tel test. L’auteur reconnaît qu’à cette date cela faisait 20 ans qu’il n’avait pas travaillé dans le domaine du droit pénal, qu’il n’avait pas étudié les nombreuses modifications adoptées après la révolution, et qu’il avait donc besoin d’une formation. Il affirme cependant que ces paramètres ont été interprétés à mauvais escient, de sorte qu’il a été considéré comme étant qualifié pour un poste d’assistant judiciaire, ce qui permettait de le soumettre à un test de personnalité. Il a accepté de s’y soumettre, parce qu’il avait récemment passé avec succès des tests pour métiers à risque.

7.2L’auteur fait valoir qu’après avoir reçu les résultats des tests il a soulevé la question de leur objectivité auprès des autorités, notamment au point 2 de sa requête en inconstitutionnalité du 7 avril 1994.

8.1Le 18 octobre 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur les commentaires supplémentaires de l’auteur. Concernant la discrimination dont l’auteur prétend avoir été victime dans la procédure de recrutement pour des postes de magistrat, et au vu des nouvelles informations qu’il a fournies au sujet des autres candidats (Š. et K.), l’État partie indique que le tribunal de district n’a pas trace d’une candidature écrite de l’auteur à un poste de juge auprès de ce tribunal et que par conséquent l’auteur ne se trouvait pas dans la même situation que Š. et K., lesquels avaient, eux, postulé par écrit puis avaient été engagés par le tribunal de district. L’État partie donne en outre une description détaillée des différences entre la situation de l’auteur et celles des autres candidats, qui avaient tous deux déjà exercé la fonction de juge (pendant 15 ans pour l’un d’eux), et il fait valoir qu’une différence de traitement est justifiée lorsque les situations sont différentes, et qu’en tout état de cause le traitement distinctif en l’espèce était fondé sur des critères objectifs et raisonnables. L’État partie conclut que l’auteur n’a fait l’objet d’aucune discrimination injustifiée au sens de l’article 26.

8.2Concernant la candidature de l’auteur à un poste de procureur, l’État partie reconnaît que l’auteur avait réussi les tests finals pour les stagiaires en 1966 et qu’il avait travaillé comme procureur du 1er septembre 1966 au 31 mars 1970, mais il considère néanmoins que la décision du procureur en chef de faire passer un test de personnalité à l’auteur était justifiée. L’auteur n’avait exercé la fonction de procureur que pendant trois ans et demi, et 23 années s’étaient écoulées entre son changement de poste et sa nouvelle candidature. Estimant que l’expérience professionnelle de l’auteur n’était pas suffisante pour garantir que celui‑ci s’acquitterait convenablement de ses fonctions, le procureur en chef a décidé de soumettre l’auteur à la même procédure de recrutement que tous les autres candidats. Cette procédure comprenait un test de personnalité. Dispenser l’auteur du test aurait équivalu à lui accorder un avantage injustifié, au détriment des autres candidats. Enfin, l’État partie répète que l’auteur n’a fourni aucune information sur les candidats qui auraient été acceptés sans passer le test de personnalité. L’État partie conclut que l’auteur n’a fait l’objet d’aucune discrimination.

9.1Le 28 décembre 2005 et le 16 janvier 2006, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il indique qu’en 1989 le Procureur général a voulu le nommer procureur principal à Sokolov sans le soumettre à un test de personnalité. Il n’avait pas été nommé parce qu’il avait dû subir un examen à l’œil. En 1993, après avoir été démis de ses fonctions de directeur du Bureau du travail de Sokolov, il avait déposé sa candidature au poste de juge. Un mois environ après la nomination de K. en tant que juge au tribunal de district de Sokolov, l’auteur a contacté le Président dudit tribunal, qui l’a informé que la chambre civile de cette juridiction avait déjà suffisamment de juges et qui lui a conseillé d’offrir plutôt ses services au tribunal régional de Pilsen.

9.2L’auteur réitère que les candidats aux fonctions de juge ou de procureur qui, comme lui, avaient déjà passé l’examen d’admission aux fonctions judiciaires ou au poste de procureur et occupaient un poste juridique étaient admis aux fonctions judiciaires sans avoir à passer un test de personnalité. L’auteur réaffirme qu’il est le seul candidat de sa catégorie à avoir dû passer un test de personnalité. Il explique que, ne pouvant pas consulter les dossiers personnels des juges nommés après le 1er janvier 1993, il ne peut déterminer s’ils ont effectivement subi un test de personnalité. Toutefois, il est de notoriété publique que de nombreux juges en ont été exemptés.

9.3L’auteur indique qu’il ne souhaitait pas travailler au tribunal régional de Pilsen et qu’il avait brigué un poste au tribunal de district, à l’instar de Š. et de K. L’argument de l’État partie selon lequel il avait travaillé dans une autre profession pendant 23 ans est trompeur, en ce sens que pendant toute cette période il avait occupé des fonctions d’avocat dans une société et avait acquis une vaste expérience dans les domaines du droit économique, financier, administratif et civil, ainsi que du droit du travail et du logement. L’expérience acquise et les examens passés dans l’une de ces professions en tant qu’avocat, magistrat ou procureur sont reconnus dans les autres. En conséquence, les candidats travaillant dans une branche n’ont pas besoin de subir un autre examen et un test de personnalité s’ils veulent aller travailler dans d’autres branches.

10.Le 19 juin 2006, l’État partie a commenté les observations de l’auteur, réaffirmant ses précédents arguments.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.3En ce qui concerne le premier grief de violation du droit d’accéder sans discrimination à la fonction publique, formulé au titre de l’article 25 c) lu conjointement avec l’article 26, le Comité note que, de l’avis de l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Cependant, il relève également que l’auteur affirme avoir soulevé cette question dans sa requête en inconstitutionnalité du 7 avril 1994. Le fait que la Cour constitutionnelle n’ait pas examiné ce grief sur le fond n’empêche pas en soi que le Comité examine la communication. L’État partie n’a pas apporté d’informations sur les autres recours que l’auteur aurait pu exercer. En outre, il n’a pas fourni de traduction de la requête ou de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, ce qui aurait permis au Comité d’apprécier si le grief avait effectivement été soulevé par l’auteur comme celui‑ci le prétend. Le Comité estime donc que l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne ce grief, et que rien ne fait obstacle à ce qu’il examine cette partie de la communication, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.4Le Comité rappelle que l’article 25 c) du Pacte confère un droit d’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité et que par conséquent, en principe, la plainte de l’auteur est couverte par cette disposition. Cependant, pour ce qui est de la candidature de l’auteur à un poste de juge auprès du tribunal régional, il ne semble pas, de l’avis du Comité, que la situation de l’auteur soit similaire à celle de Š. et de K. et que ces derniers aient dû être traités de la même manière que lui. Le Comité relève en particulier que les deux autres candidats avaient tous deux déjà exercé la fonction de juge lorsqu’ils ont postulé, ce qui n’était pas le cas de l’auteur. Le Comité en conclut que l’auteur n’a pas étayé aux fins de la recevabilité le grief tiré de sa candidature à un poste de juge.

11.5En ce qui concerne la candidature de l’auteur à un poste de procureur, le Comité relève que l’auteur avait réussi antérieurement les examens requis pour exercer cette fonction et qu’il avait déjà occupé un tel poste. Le Comité considère par conséquent que la situation de l’auteur était distincte de celle des autres candidats, qui n’avaient jamais exercé la fonction de procureur. Cependant, l’auteur n’a pas démontré qu’un candidat dans la même situation que lui ait été dispensé du test de personnalité. Le Comité constate que l’auteur n’a pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. Il en conclut que le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 25 c), lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.6En ce qui concerne les deuxième et quatrième griefs de l’auteur, qui affirme avoir été privé du droit à un recours utile parce que la Cour constitutionnelle a déclaré sa requête irrecevable, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 2 a un caractère accessoire et ne peut être invoqué que conjointement avec un grief de violation d’un autre droit précis protégé par le Pacte. Le Comité note que le grief formulé par l’auteur, qui se plaint de ne pas avoir pu bénéficier d’un recours utile pour n’avoir pas satisfait à l’obligation d’être représenté par un conseil, n’est pas lié à une violation présumée d’un autre droit du Pacte. En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 25 et 26, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 les États parties, outre qu’ils doivent protéger efficacement les droits reconnus par le Pacte, doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir lesdits droits. Le Comité rappelle également que l’article 2 n’assure une protection aux victimes présumées que si leur plainte est suffisamment fondée pour être défendable en vertu du Pacte. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs tirés des articles 25 et 26, le Comité conclut que son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.7En ce qui concerne les troisième et cinquième griefs de l’auteur, relatifs aux décisions rendues par des juridictions nationales au sujet de sa plainte pour diffamation, le Comité réaffirme sa jurisprudence, et rappelle qu’il n’est pas lui‑même une juridiction d’appel et que c’est aux tribunaux des États parties au Pacte qu’il appartient généralement d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que de telles circonstances exceptionnelles existaient dans son cas. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

H. Communication n o  1078/2002, Yurich c. Chili (Décision adoptée le 1 er novembre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Norma Yurich (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur et sa fille Jacqueline Drouilly Yurich

État partie:

Chili

Date de la communication:

10 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Disparition forcée de la fille de l’auteur

Questions de procédure: Irrecevabilité ratione temporis; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: En ce qui concerne l’auteur, violation du droit à l’intégrité physique et à la vie familiale. En ce qui concerne sa fille, violation, entre autres, du droit à la vie et déni de justice

Articles du Pacte: 5, 6 (par. 1 et 3), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1 et 2), 12 (par. 4), 13, 14 (par. 1 à 3 et 5), 16, 17 (par. 1 et 2), 18 (par. 1) et 26

Articles du Protocole facultatif: 1 et 5 (par. 2) b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 novembre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Mme Norma Yurich, de nationalité chilienne, qui a présenté la communication en son propre nom et en celui de sa fille disparue, Jacqueline Drouilly Yurich, étudiante, née en 1949. Elle affirme que toutes deux ont été victimes de violations par le Chili de l’article 5, des paragraphes 1 et 3 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 de l’article 10, du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 13, des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 14, de l’article 16, des paragraphes 1 et 2 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 18 et de l’article 26 du Pacte. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976, et le Protocole facultatif le 28 août 1992.

Exposé des faits

2.1Selon l’auteur, le 30 octobre 1974, huit individus habillés en civil et armés, qui se sont présentés verbalement comme des agents de la Direction des Services de renseignements nationaux (DINA), sont arrivés chez la sœur de Marcelo Salinas, mari de Jacqueline Drouilly, à Santiago, et lui ont demandé où il habitait. Les agents se sont ensuite rendus au domicile en question et, constatant que Marcelo Salinas ne s’y trouvait pas, ont arrêté Jacqueline Drouilly, qui était alors enceinte. Elle est depuis lors portée disparue. Jacqueline Drouilly et son époux, qui a également été arrêté le lendemain, étaient membres du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR).

2.2Deux jours plus tard, les mêmes individus sont retournés au domicile avec Marcelo Salinas, qui était menotté, et ont emporté plusieurs effets du couple. Quelques jours plus tard, deux hommes en civil qui se sont présentés comme des fonctionnaires des Services de renseignements militaires, se sont eux aussi rendus au domicile et ont emporté des vêtements, apparemment pour les remettre au couple.

2.3L’auteur joint une copie des témoignages de deux personnes qui affirment avoir été emprisonnées fin octobre et début novembre 1974 dans un centre de détention de la DINA situé rue José Domingo Cañas, à Ñuñoa (Santiago). Elles affirment également que Jacqueline Drouilly et son époux y étaient détenus, qu’ils ont été torturés et qu’ils ont tous été transférés vers le 10 novembre 1974 au centre de détention de Cuatro Alamos.

2.4L’auteur joint également le témoignage, daté du 16 août 1999, d’une personne qui a été arrêtée en novembre 1974 par des membres de la DINA et qui affirme avoir été détenue un certain temps au centre de détention de Cuatro Alamos (secteur Vicuña Mackenna et Departamental) de Santiago. Elle y a partagé une cellule avec Jacqueline Drouilly, entre novembre et décembre 1974. Elle affirme également avoir été présente lorsque la fille de l’auteur et son époux ont été sortis de leurs cellules respectives par des membres de la DINA une nuit de fin décembre 1974. Elle ne les a plus jamais revus. D’autres témoins affirment avoir vu Jacqueline Drouilly, après le 20 novembre 1974, dans le centre de détention nommé Villa Grimaldi. Elle serait ensuite revenue à Cuatro Alamos.

2.5Le 11 novembre 1974, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès de la cour d’appel de Santiago (no 1390 du rôle). Le 29 novembre 1974, la cour l’a rejeté et a ordonné que le dossier soit transféré à la onzième juridiction pénale aux fins d’instruction.

2.6Le 9 décembre 1974, une procédure de présomption d’accident a été engagée devant la onzième juridiction pénale de Santiago (no 796‑2 du rôle), mais les enquêtes réalisées n’ont pas permis de retrouver la trace de Jacqueline Drouilly. Le 31 janvier 1975, un non‑lieu a été prononcé. Cette décision a été contestée, mais la cour d’appel de Santiago l’a confirmée.

2.7Le 26 février 1975, l’auteur a introduit un nouveau recours en amparo auprès de la cour d’appel de Santiago (no 294 du rôle). Par un courrier daté du 17 mars 1975, le Ministère de l’intérieur a informé la cour que l’intéressée n’était pas détenue sur ses ordres. Cette information a été réitérée en juin 1975. Le 13 juin 1975, la cour a rejeté le recours et a ordonné que le dossier soit transféré à la juridiction pénale compétente aux fins d’instruction. Le 19 juin 1975, une procédure de présomption d’accident a été engagée devant la onzième juridiction pénale de Santiago (no2681 du rôle). Plusieurs mois plus tard, un non‑lieu a été prononcé. Parallèlement, l’auteur a porté plainte devant la même juridiction, le 16 juillet 1975, pour la séquestration de Jacqueline Drouilly et de Marcelo Salinas. Dans un premier temps, cette plainte a été enregistrée au no 2994 du rôle, mais elle a ensuite été jointe à la procédure pour présomption d’accident, sous le no 2681‑4. Un non‑lieu a été prononcé le 31 mars 1976, au motif que l’existence d’une infraction n’avait pas été établie. Cette décision a été contestée, mais la cour d’appel l’a confirmée le 18 juin 1976. Le 3 octobre 1975, l’auteur a introduit un nouveau recours en amparo auprès de la cour d’appel (no 1263 du rôle), dans lequel elle a fait valoir le fait que Jacqueline Drouilly était enceinte au moment de son arrestation. Elle a été déboutée le 20 octobre 1975. Cette décision a été contestée, mais la Cour suprême l’a confirmée le 27 octobre de la même année.

2.8Le nom de Jacqueline Drouilly a été inclus, le 28 mai 1975, dans une plainte pour séquestration massive déposée devant la cour d’appel de Santiago au sujet de 163 personnes disparues, et dans laquelle il était demandé qu’un magistrat enquêteur spécial soit désigné pour superviser les enquêtes. La demande a été rejetée. En juillet et août 1975, elle a été de nouveau déposée, cette fois devant la Cour suprême, qui l’a également rejetée.

2.9L’auteur mentionne également le dépôt d’une plainte pénale devant la cour d’appel de Santiago, datée du 29 mars 2001, pour la disparition de plus de 500 membres du MIR, parmi lesquels figurait Jacqueline Drouilly. Elle dénonce la durée excessive des procédures.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que sa fille a été victime de violations de l’article 5, des paragraphes 1 et 3 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 de l’article 10, du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 13, des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 14, de l’article 16, des paragraphes 1 et 2 de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 18 et de l’article 26 du Pacte.

3.2À son propre sujet, l’auteur indique que le fait d’avoir recherché sa fille disparue pendant tant d’années a affecté sa santé physique et psychologique et qu’elle souffre notamment d’états dépressifs et de problèmes de tachycardie qui ont nécessité la pose d’un stimulateur cardiaque. En outre, son foyer a subi des répercussions, son époux et ses deux autres fils ayant dû quitter le pays, poussés par la crainte. L’auteur déclare que tout cela représente une torture permanente (art. 7).

3.3En ce qui concerne l’enquête sur la disparition de sa fille, l’auteur affirme qu’il y a eu déni de justice. En outre, l’application du décret‑loi d’amnistie no2191 de 1978 a empêché que les responsables soient jugés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations, datées du 25 mai 2004, l’État partie soutient que, bien que l’auteur présente la communication en son propre nom et au nom de sa fille, les faits allégués en cause soulèvent la question de la violation des droits consacrés dans le Pacte uniquement en ce qui concerne cette dernière. En conséquence, pour l’État partie, la communication est en fait présentée au nom de Jacqueline Drouilly. Les éléments d’information rassemblés pendant des années par des organismes publics, des organisations de défense des droits de l’homme et les tribunaux ont permis d’établir que la dernière fois qu’elle a été vue en vie remonte au mois de janvier ou mars 1975, dans le centre de détention au secret «Cuatro Alamos», qui relevait de l’ancienne DINA. Par conséquent, la communication présentée par l’auteur doit être déclarée irrecevable ratione temporis, étant donné que les faits en cause sont survenus ou ont commencé à se produire avant l’entrée en vigueur pour le Chili du Protocole facultatif.

4.2La ratification du Protocole s’est accompagnée de la déclaration suivante: «Le Gouvernement chilien reconnaît la compétence du Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner les communications émanant de particuliers, étant entendu que cette compétence vaut pour des faits survenus après l’entrée en vigueur pour le Chili du Protocole facultatif ou en tout cas après le 11 mars 1990.». Cela vaut même s’il était argumenté que le déni de justice se serait poursuivi du fait de décisions judiciaires prises après le 11 mars 1990, étant donné que les faits en cause dans la communication, survenus à partir du 30 octobre 1974, se sont produits avant le 23 mars 1976, date de l’entrée en vigueur du Pacte sur le plan international.

4.3Quant à la plainte déposée par l’auteur en son propre nom, elle a un caractère général. L’auteur n’a pas démontré de quelle manière les droits consacrés dans le Pacte avaient été violés par l’État, ni le fait que les recours internes disponibles avaient été épuisés.

4.4L’État partie rappelle les décisions du Comité déclarant irrecevables, pour les motifs exposés, les communications mettant en cause le Chili et portant les numéros 717/1996 (Acuña Hinostroza), 718/1996 (Vargas), 740/1997 (Barzana Yutronic) et 746/1997 (Menanteau et Vásquez).

4.5Quant au fond, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu de violation du Pacte. Le 17 juillet 1996, la Commission nationale de l’indemnisation et de la réconciliation a demandé la réouverture du dossier. Un nouveau non‑lieu a été prononcé en décembre 1997. Au moment où l’État partie a envoyé sa réponse, la cour d’appel de Santiago examinait la plainte déposée par le père de Jacqueline Drouilly pour séquestration aggravée. Trois anciens agents de la DINA étaient inculpés. La cour examinait par ailleurs une plainte pénale déposée par l’Association des assistants sociaux pour la séquestration de plusieurs de ses membres, dont Jacqueline Drouilly.

4.6La Commission nationale de la vérité et de la réconciliation a considéré que Jacqueline Drouilly et son époux Marcelo Salinas avaient été victimes de violations graves des droits de l’homme de la part d’agents de l’État. L’État partie explique les politiques adoptées par les gouvernements démocratiques du Chili en ce qui concerne les violations des droits de l’homme, y compris les disparitions forcées, commises sous le régime précédent. Il indique notamment que le Programme des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur coopère aux enquêtes menées sur environ 300 affaires de violations des droits de l’homme, parmi lesquelles figure la disparition de Jacqueline Drouilly.

4.7Le décret‑loi d’amnistie de 1978 annule la responsabilité pénale des auteurs et des complices − par assistance ou dissimulation − d’infractions commises pendant la durée de l’état de siège au Chili, du 11 septembre 1973 au 10 mars 1978. De nombreuses années durant, la Cour suprême a confirmé les non‑lieux définitifs prononcés par les tribunaux de première instance en vertu de ce décret‑loi, appliquant le principe selon lequel le juge n’avait pas compétence pour enquêter sur les faits et identifier les auteurs des infractions. Cette jurisprudence a commencé à évoluer notablement à partir de 1998. En vertu des dispositions de l’article 413 du Code de procédure pénale, la Cour suprême a estimé à plusieurs reprises qu’un non‑lieu définitif ne pouvait être prononcé qu’une fois l’enquête achevée, l’infraction établie et l’auteur identifié.

4.8Dans le cas des détenus disparus ou exécutés dont les restes n’ont pas été retrouvés, la Cour suprême a retenu la thèse selon laquelle ces personnes étaient séquestrées au sens de l’article 141 du Code pénal. La séquestration étant, selon la doctrine, une infraction continue ou dont les effets se perpétuent dans le temps, jusqu’à ce que la victime soit retrouvée, morte ou vive, toute demande ou décision d’amnistie est considérée comme étant prématurée tant que l’une de ces hypothèses ne s’est pas réalisée. Tant que l’on n’a pas établi la date à laquelle la personne a recouvré la liberté ou est décédée, on ne peut établir juridiquement la date concrète jusqu’à laquelle elle a été privée de liberté. Si cette privation de liberté outrepasse la période visée par le décret‑loi, qui va du 11 septembre 1973 au 10 mars 1978, il est impossible d’appliquer l’amnistie dans l’affaire en question.

4.9La Cour suprême s’est fondée sur ces principes pour annuler les non‑lieux prononcés en application du décret‑loi d’amnistie, poursuivre l’enquête sur les faits constitutifs de violations des droits de l’homme et traduire en justice les personnes impliquées dans ces faits. Elle a décidé en outre qu’un non‑lieu définitif dans une affaire de détention illégale n’avait pas autorité de chose jugée.

4.10Parallèlement, le Programme des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur a estimé qu’il fallait interpréter le décret‑loi de telle sorte qu’il ne demeure pas un obstacle infranchissable pour l’établissement de la vérité et la détermination des responsabilités pénales découlant des infractions examinées. L’idée a évolué, jusqu’à ce qu’il soit spécifié que l’amnistie ne pouvait être appliquée aux infractions qui n’étaient pas amnistiables en vertu du droit international humanitaire, comme les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les disparitions forcées.

5.Dans ses observations datées du 22 septembre 2004, l’auteur indique que, lorsqu’elle s’est exprimée devant la Commission nationale de la vérité et de la réconciliation, elle a donné le nom du responsable de la séquestration de sa fille, mais qu’aucune poursuite n’a été engagée sous le gouvernement du Président Aylwin. Ce n’est que sous celui du Président Lagos que les affaires de violations des droits de l’homme ont de nouveau été examinées. L’infraction dont sa fille a été victime est continue, inamnistiable et imprescriptible. Selon les critères employés actuellement, le juge doit demander aux responsables eux‑mêmes de déclarer la date exacte et présumée de la mort de la victime. La séquestration se transforme alors en homicide, prescrit au bout de 15 ans. Cela revient à donner au juge le pouvoir de fixer lui‑même la date présumée de la mort de la victime, bien que le corps de celle‑ci n’ait pas été retrouvé. L’auteur critique cette situation, qui selon elle joue en faveur des responsables d’infractions et ne rend pas justice aux victimes.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’auteur affirme que l’arrestation de sa fille, en octobre 1974, et sa disparition ultérieure constituent une violation de plusieurs dispositions du Pacte. L’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable ratione temporis étant donné que les faits qui en sont à l’origine sont survenus ou ont commencé à se produire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Chili. L’État partie rappelle en outre que la ratification dudit instrument s’est accompagnée d’une déclaration selon laquelle le Comité serait compétent uniquement pour des faits survenus après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Chili ou en tout cas après le 11 mars 1990.

6.3Le Comité note que les faits dénoncés par l’auteur en relation avec la disparition de sa fille se sont produits avant l’entrée en vigueur non seulement du Protocole facultatif, mais aussi du Pacte. Le Comité rappelle la définition de la disparition forcée donnée à l’article 7, paragraphe 2, alinéa i, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: Par «disparitions forcées de personnes», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. En l’espèce, les actes originels d’arrestation, de détention ou de séquestration, ainsi que le refus de donner des informations sur la privation de liberté − deux éléments cruciaux de l’infraction ou de la violation − sont intervenus avant l’entrée en vigueur du Pacte pour l’État partie.

6.4En outre, quand la communication a été présentée, l’État partie, loin de refuser de reconnaître la détention, a admis celle‑ci et en a assumé la responsabilité. Et l’auteur ne se réfère à aucun acte de l’État partie postérieur au 28 août 1992 (date à laquelle le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie) constituant une confirmation de la disparition forcée. Dans ces circonstances, le Comité considère que, même si les tribunaux chiliens, tout comme le Comité, considèrent la disparition forcée comme une infraction continue, la déclaration de l’État partie ratione temporis est également pertinente en l’espèce. Pour cette raison, le Comité considère que la communication est irrecevable ratione temporis en vertu de l’article premier du Protocole facultatif. Le Comité ne juge donc pas nécessaire de se prononcer sur la question des recours internes.

6.5L’auteur considère que la recherche de sa fille disparue a eu un impact négatif sur sa santé physique et psychologique ainsi que sur sa vie familiale, ce qui équivaut à une violation de ses droits en vertu du Pacte, en particulier de l’article 7. L’État partie considère que ces allégations ont un caractère général et que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce. Le Comité constate que l’auteur n’a pas démontré que ces recours avaient été utilisés. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle (dissidente) de M me  Christine Chanet, M. Rajsoomer Lallah, M. Michael O’Flaherty, M me  Elisabeth Palm et M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Pour donner un nouvel éclairage de la question des disparitions forcées, le Comité des droits de l’homme se fonde (par. 6.3) sur la définition figurant dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, définition qui est différente de celle retenue dans le projet de convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Selon le Comité, cette définition contient deux éléments fondamentaux de la violation: l’acte initial d’arrestation, de détention ou de séquestration, et le refus d’admettre la privation de liberté.

En faisant siens ces critères, qui appartiennent à un autre instrument international, le Comité perd de vue qu’il doit appliquer le Pacte, tout le Pacte et rien que le Pacte.

Il est stipulé au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte que «tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi». Par ailleurs, l’article 16 du Pacte stipule que «chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique».

En l’espèce, les actes d’arrestation, de détention ou de séquestration ont été commis sans que l’État, qui ne les conteste pas, soit en mesure, conformément à l’article 16, de déterminer la situation actuelle de la personne disparue.

La disparition constitue, comme le Comité le fait lui‑même valoir au paragraphe 6.4 de sa décision, une violation continue. Le caractère continu de cette violation exclut l’application de l’exception ratione temporis et de la réserve formulée par le Chili, dans la mesure où celle‑ci ne saurait exclure la compétence du Comité pour des violations qui se poursuivent.

La solution retenue par le Comité conduit à décharger l’État de sa responsabilité pour l’unique raison que celui‑ci ne nie pas les faits pénaux, comme le démontre le fait qu’il n’a entrepris aucune action pour «confirmer» la disparition forcée. Cette analyse pourrait s’appliquer aux actes qui entrent dans le champ d’application du Statut de Rome, mais elle ne peut pas prévaloir dans le cadre des articles 9 et 16 du Pacte, puisque ce sont des violations continues de ces deux dispositions qui sont en cause.

En fait, pour être dégagé de sa responsabilité, l’État ne peut pas se contenter d’une attitude d’assentiment passif: il doit faire la preuve qu’il a utilisé tous les moyens dont il dispose pour déterminer le sort réservé à la personne disparue. Cela n’a pas été le cas en l’espèce, et les soussignés ne peuvent pas accepter qu’il n’y ait pas eu de violation du Pacte.

(Signé) Christine Chanet

(Signé) Rajsoomer Lallah

(Signé) Michael O’Flaherty

(Signé) Elisabeth Palm

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

I. Communication n o  1093/2002, Rodríguez José c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

José Manuel Rodríguez Alvarez (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 juillet 1999 (date de la lettre initiale)

Objet: Non‑maintien de l’auteur à son poste de conseiller référendaire au Tribunal suprême

Questions de procédure: Défaut de fondement; affaire soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial dans le cadre d’une procédure régulière; accès, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques

Articles du Pacte:14 (par. 1), 25 c) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme,institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 15 juillet 1999, est José Manuel Rodríguez Alvarez, de nationalité espagnole, qui affirme être victime d’une violation par l’Espagne des articles 14, paragraphe 1, 25 c) et 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur a été nommé conseiller référendaire au Tribunal suprême par décision du Conseil général de la magistrature en date du 24 juillet 1991, après avoir été reçu à un concours organisé à cet effet. Il a pris ses fonctions le 1er octobre 1991. Conformément à la loi, il était nommé pour une période de trois ans renouvelable une fois et jouissait du statut de fonctionnaire.

2.2Le 31 mai 1994, l’auteur a demandé le renouvellement de son contrat pour trois ans, conformément à une proposition écrite en ce sens de son supérieur, le magistrat‑chef du Service technique d’information et de documentation du Tribunal suprême. Ledit supérieur a établi le 26 juillet 1994 un certificat de travail attestant de «la compétence, l’efficacité et la conscience professionnelle remarquables de l’auteur». Le 5 octobre 1994, le Conseil général de la magistrature a décidé de renouveler le contrat de certains conseillers référendaires mais l’auteur ne figurait pas parmi ces derniers. Cette décision n’était pas motivée; elle était fondée sur une proposition du Bureau du Tribunal suprême datée du 21 juillet 1994 qui n’était pas non plus suffisamment motivée en ce qui concerne la différence de traitement et n’était précédée d’aucun rapport justifiant le non‑renouvellement du contrat de certains conseillers référendaires, concrètement tous ceux qui étaient alors affectés à la Chambre du contentieux administratif. Il n’était fait aucune mention dans la décision du Conseil général de la magistrature de la preuve principale apportée par l’auteur, c’est‑à‑dire l’attestation de son supérieur.

2.3L’auteur indique que le Conseil essaie de justifier le non‑renouvellement de son contrat par le fait que l’organe décideur a toute latitude pour agir ainsi compte tenu du caractère temporaire de ses fonctions. Or, ces postes, bien que temporaires, ne sont pas pourvus par désignation mais par concours entre les fonctionnaires publics. Même dans l’hypothèse où l’administration aurait le pouvoir discrétionnaire de renouveler ou non le contrat, sa décision doit de toute façon être motivée, comme le prévoit la loi.

2.4L’auteur a formé un recours contentieux administratif contre la décision du Conseil général de la magistrature, conformément à la loi no 62/1978 sur la protection juridictionnelle des droits fondamentaux, le 22 octobre 1994, devant la Chambre du contentieux administratif du Tribunal suprême. Ce recours a été déclaré irrecevable le 1er mars 1995, le Tribunal estimant qu’il n’y avait pas eu atteinte à un principe constitutionnel et que les questions soulevées devaient être résolues par la voie du contentieux administratif. L’auteur a formé un recours en révision devant la même Chambre, qui a lui aussi été rejeté, le 24 avril 1995. La Chambre a estimé que la question soulevée par l’auteur ne concernait pas des droits fondamentaux mais portait sur un problème de légalité ordinaire qu’il ne convenait pas de régler par la procédure établie dans la loi no 62/1978.

2.5Le 5 juillet 1995, l’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, arguant d’une violation du principe d’égalité, du droit d’accès, dans des conditions d’égalité, aux charges et fonctions publiques et du droit à la protection effective de la justice. Il invoquait une violation de ce dernier droit en raison des irrégularités de procédure qui avaient entaché la décision du Tribunal suprême étant donné que ce dernier avait tenu compte des conclusions de l’avocat de l’État et du ministère public bien qu’elles aient été présentées après les délais prescrits. Le recours a été déclaré irrecevable le 28 octobre 1996, le Tribunal ayant conclu à l’absence de violation de droits fondamentaux. Le Tribunal a indiqué qu’étant donné le caractère temporaire des fonctions qu’occupait l’auteur auprès du Tribunal suprême le Conseil général de la magistrature avait toute latitude pour accorder ou non le renouvellement de son contrat et que l’auteur ne disposait pas d’un droit absolu à ce renouvellement. L’auteur fait valoir que le Tribunal constitutionnel n’a tenu aucun compte de la principale preuve produite, à savoir le certificat d’évaluation de son travail établi par son supérieur. En outre, le Tribunal avait fondé sa décision sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration de renouveler le contrat de l’auteur. Or, l’auteur insiste sur le fait que le droit espagnol exige que les décisions discrétionnaires soient motivées.

2.6Le 16 mars 1997, l’auteur a adressé une requête à la Commission européenne des droits de l’homme. Par lettre en date du 24 mars 1997, le secrétariat de la Commission a communiqué à l’auteur ce qui suit:

«Conformément aux instructions générales données par la Commission, je me vois dans l’obligation de vous informer des obstacles auxquels votre requête pourrait se heurter. Ces observations n’ont pas pour objet de préjuger de la teneur d’une décision que seule la Commission est habilitée à adopter mais visent à vous faire part, à la lumière de la jurisprudence et de la pratique, des conditions de recevabilité de votre demande et des possibilités qu’elle a d’aboutir.

Conformément à la jurisprudence constante de la Commission, en principe, les litiges relatifs à l’accès à la fonction publique, aux promotions et aux licenciements n’impliquent pas la détermination de droits et obligations de caractère civil sauf dans les quelques cas où il peut en découler un dommage patrimonial évident.

C’est pourquoi la Commission se verrait probablement dans l’obligation de déclarer votre requête irrecevable. En conséquence, sauf nouvelles indications de votre part, votre requête ne sera ni enregistrée ni soumise à l’examen de la Commission.».

Teneur de la plainte

3.1Selon l’auteur, l’occultation systématique de la preuve essentielle qu’il a invoquée entraîne une violation de son droit à être entendu publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et ce, d’autant plus que la décision du Conseil n’était pas du tout motivée.

3.2L’auteur invoque également une violation des articles 25 c) et 26 du Pacte, jugeant discriminatoire le fait de renouveler le contrat de certains fonctionnaires seulement sans raison valable. C’est d’autant plus grave que l’auteur a été le seul à répondre à tous les critères de mérite et de compétence requis et à avoir une preuve écrite qu’il s’était acquitté de ses fonctions avec une compétence, une efficacité et une conscience professionnelle remarquables.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.1Dans des observations datées du 2 décembre 2002, l’État partie fait observer que l’auteur disposait de deux types de recours pour contester la décision du Conseil général de la magistrature: un recours spécial, prioritaire et sommaire, régi par la loi no 62/1978 pour obtenir la protection des droits fondamentaux, et un recours ordinaire ayant pour but d’obtenir la nullité de la décision en cause pour défaut de légalité. Ces deux recours peuvent être formés en même temps. On évite ainsi le risque que soit présenté d’abord un recours spécial qui serait rejeté parce qu’il n’y aurait pas violation de droits fondamentaux mais défaut de légalité et qu’il soit ensuite trop tard pour introduire un recours ordinaire.

4.2L’auteur a introduit uniquement le recours spécial lequel a été déclaré irrecevable, les organes compétents ayant estimé qu’il ne constituait pas le moyen approprié pour trancher le litige en question. L’État partie conclut que l’auteur n’a pas dûment épuisé les voies de recours internes et que la communication doit donc être considérée irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En outre, les décisions déclarant irrecevables les recours n’ont pas été arbitraires et n’ont pas constitué un déni de justice.

5.1Dans ses commentaires du 7 mars 2003, l’auteur affirme que sa plainte portait sans aucun doute possible sur une violation de droits fondamentaux, comme l’accès à une fonction publique dans des conditions d’égalité. Pourtant, le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel n’ont pas examiné l’affaire sous cet angle se bornant à indiquer qu’il s’agissait d’un simple problème de légalité ordinaire qu’il fallait examiner dans le cadre d’un recours également ordinaire. Cela ne signifie pas que la plainte ne porte pas sur un droit fondamental ni que ces tribunaux n’aient pas en outre violé le droit à une procédure régulière étant donné que lors de l’examen du recours ils n’ont pas abordé les questions soulevées.

5.2L’auteur fait observer que contrairement à ce qu’a dit l’État partie il a également épuisé les voies de recours ordinaires étant donné qu’il a formé trois recours contentieux administratifs, en date respectivement du 10 décembre 1994, du 11 février 1995 et du 4 mars 1995, qui ont été joints et sur lesquels le Tribunal suprême a statué le 27 octobre 1999. Sa décision a été communiquée à l’auteur le 29 novembre 1999, c’est‑à‑dire plusieurs mois après qu’il eut présenté sa communication au Comité et cinq ans après la décision du Conseil général de la magistrature. Ce retard était totalement injustifié étant donné qu’il s’agissait d’une seule audience devant le Tribunal suprême lui‑même. Ces recours n’ont pas non plus abouti. Dans son arrêt, le Tribunal suprême indiquait que le Conseil général de la magistrature disposait du pouvoir discrétionnaire de renouveler ou non le contrat de l’auteur et que le terme «renouvelable» figurant au paragraphe 5 de l’article 23 de la loi sur la délimitation des circonscriptions judiciaires et le personnel judiciaire impliquait précisément qu’il s’agissait d’une possibilité, que ce renouvellement n’était pas obligatoire mais pouvait être accordé ou pas en fonction des critères discrétionnaires d’opportunité, de commodité ou d’utilité. En ce qui concerne l’absence de motivation de la décision alléguée par l’auteur, le Tribunal suprême indique que cette allégation est dénuée de fondement compte tenu de l’existence d’un rapport dans lequel il était indiqué que l’auteur et d’autres conseillers référendaires avaient eu des difficultés à s’intégrer et que l’on pouvait considérer ce rapport comme faisant partie des éléments motivant la décision qui faisait l’objet du recours.

5.3L’auteur soutient que la procédure d’examen des recours a été entachée d’une série d’irrégularités qui ont porté atteinte à son droit d’être entendu publiquement et avec toutes les garanties requises par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il affirme que le 16 juillet 1996, la Chambre du contentieux administratif a décidé de joindre les recours et a désigné un juge rapporteur. Le 29 janvier 1997, plus de deux ans après l’introduction des recours et alors qu’elle n’avait encore fait l’objet d’aucun examen, l’affaire a été confiée à la septième section de la même Chambre. Un nouveau juge rapporteur n’a été désigné que le 7 avril 1997.

5.4La phase de soumission de la preuve a commencé le 16 juin 1997. L’auteur a fait valoir, entre autres, que l’on avait affecté à la Chambre du contentieux administratif après leur sélection cinq conseillers référendaires, dont l’épouse d’un magistrat qui coordonnait le travail des conseillers référendaires affectés à cette chambre. Cette magistrate a fait preuve, ainsi que son époux, d’une hostilité manifeste envers les autres conseillers, or elle a été la seule des cinq nouveaux conseillers à avoir son contrat renouvelé. L’auteur donne des indications détaillées sur un incident tendant à démontrer que cette hostilité était bien réelle et produit des copies du procès‑verbal des dépositions de témoins qui confirment l’existence de cette inimitié.

5.5Le 6 septembre 1999, un nouveau juge rapporteur a été nommé à la suite du départ à la retraite de son prédécesseur. L’auteur indique également que, durant la procédure de recours, le coordonnateur des conseillers référendaires précité avait été promu au poste de magistrat du Tribunal suprême et affecté, durant la phase finale de soumission de la preuve, à la section de la Chambre du contentieux administratif qui devait statuer sur le recours. L’auteur a déposé une demande de récusation devant cette chambre et une plainte auprès du Conseil général de la magistrature et du Bureau du Tribunal suprême. Le Bureau l’a informé que cette demande ne pouvait être prise en compte étant donné que le vote sur le recours avait déjà eu lieu et que le magistrat en question s’était abstenu à cette occasion. Le Conseil général de la magistrature a rejeté la plainte faisant valoir, entre autres, que le magistrat en question n’avait pas participé à la procédure d’examen du recours contentieux administratif.

5.6L’auteur fait observer que l’abstention est régie par les articles 221 et suivants de la loi organique du pouvoir judiciaire qui dispose que le fait doit être porté à la connaissance des parties, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce puisque la seule information qui leur a été donnée l’a été a posteriori une fois la décision rendue et lorsque le magistrat en question avait fait l’objet d’une demande de récusation.

5.7Selon l’auteur, il n’est pas fait mention dans l’arrêt du 27 octobre 1999 rejetant son recours contentieux administratif des preuves qu’il avait produites mais un rapport du magistrat‑chef du Service technique, celui‑là même qui avait établi un certificat attestant de la qualité de ses services, y est cité. Dans ce rapport, daté du 15 septembre 1994, après avoir salué les compétences professionnelles de tous les conseillers référendaires dont le contrat n’était pas renouvelé, le magistrat‑chef en question dit ce qui suit: «Néanmoins, ils ont tous eu des difficultés à s’intégrer au sein de ce service dont la fonction essentielle est d’aider les différentes chambres du Tribunal suprême à préparer et établir des projets de décision et ces difficultés d’adaptation ont pu influer, sans que la qualité de leur travail en pâtisse, sur leur productivité et leur rendement.». Ce rapport a été établi bien après le 21 juillet 1994, date à laquelle le Bureau du Tribunal suprême a proposé de ne pas renouveler leur contrat. Pour l’auteur, il est évident que l’on essaie ainsi de justifier a posteriori une décision non motivée. Il souligne en outre la contradiction qui existe entre ce rapport et le certificat établi par le même magistrat‑chef dans lequel celui‑ci faisait l’éloge de ses services.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

6.1Le 31 mai 2005, l’État partie a indiqué que l’auteur avait soumis sa communication au Comité avant d’avoir épuisé les recours internes puisque les recours contentieux administratifs étaient encore pendants. En outre, l’auteur n’avait pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel contre la décision de rejet de ces recours et n’avait donc pas rempli la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2L’État partie fait observer en outre que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif du fait que l’auteur a soumis la même affaire à la Commission européenne des droits de l’homme, laquelle lui a expliqué clairement pour quelles raisons il ne pouvait obtenir gain de cause. De plus, l’État partie réaffirme que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole.

7.1Le 12 août 2005, l’auteur a indiqué à propos de la première observation de l’État partie que lorsqu’il avait présenté sa communication au Comité il avait déjà formé les recours contentieux administratifs (1994 et 1995) mais que le Tribunal suprême avait mis près de cinq ans à statuer à leur sujet. En outre, l’arrêt du 27 octobre 1999 par lequel celui‑ci les avait rejetés avait bien fait l’objet d’un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, recours qui avait été déclaré irrecevable le 3 mai 2000.

7.2En ce qui concerne les observations de l’État partie relatives au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur fait valoir que sa requête n’a été ni enregistrée ni examinée par la Commission européenne des droits de l’homme car au vu de la lettre que lui avait adressée le secrétariat de la Commission, le 24 mars 1997, il avait décidé de ne pas la maintenir. Le motif d’irrecevabilité avancé par l’État partie n’est par conséquent pas applicable.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

8.1Dans sa note verbale du 31 mai 2005, l’État partie affirme qu’il n’y a eu aucune violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteur a fait l’objet de plusieurs décisions fondées et parfaitement cohérentes de sorte que la prétendue violation de cette disposition ne semble reposer que sur les affirmations très partiales et intéressées de celui‑ci.

8.2En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 25 c) et 26 du Pacte, l’État partie se réfère à la décision du Tribunal constitutionnel rejetant le recours en amparo introduit par l’auteur. Selon le Tribunal, la relation contractuelle de travail de l’auteur avait un caractère temporaire et était susceptible de s’éteindre avec le temps et l’auteur n’avait aucun droit subjectif à se voir accorder un renouvellement de son contrat. L’organe décideur avait toute latitude pour accorder ou non ce renouvellement.

8.3L’État partie ajoute que, dans son arrêt du 27 octobre 1999, le Tribunal suprême fait mention également du pouvoir discrétionnaire de l’organe décideur, lequel n’avait pas un caractère unipersonnel mais collégial. Selon certains rapports figurant au dossier, les conseillers référendaires dont le contrat n’avait pas été renouvelé avaient eu des difficultés à s’intégrer, ce qui avait pu influer sur leur productivité et leur rendement. On pouvait considérer que ces rapports faisaient partie des éléments motivant la décision attaquée. On peut également faire valoir que, compte tenu de sa composition, le Bureau du Tribunal suprême est le mieux à même d’apprécier si les conseillers possèdent les aptitudes et remplissent les conditions requises pour s’acquitter de leurs fonctions. Il faut savoir également que les magistrats ont formulé des observations orales pour parvenir à cette décision même si elles n’ont pas été expressément consignées. Dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, il peut arriver que l’on accorde un renouvellement de contrat à certains des conseillers référendaires exerçant des fonctions temporaires et qu’on le refuse à d’autres sans pour autant porter ainsi atteinte au principe de l’égalité. Ce principe n’oblige pas à accorder un traitement égal dans les cas de situations inégales.

8.4L’objectivité de la décision de ne pas renouveler le contrat de l’auteur est assurée par le fait que l’appréciation des faits incombe à un organe collégial dont les membres connaissent directement les personnes en cause, par les autres garanties légales établies en matière de sélection et de cessation de fonctions et par le dossier des conseillers référendaires concernés dans lequel figurait le rapport du chef du Service technique d’information et de documentation.

8.5L’auteur ne fournit aucun élément qui donne à penser qu’il y ait eu discrimination infondée pour des motifs notamment de race, de sexe, de religion, ou d’origine sociale.

9.1Dans sa réponse du 12 août 2005, l’auteur indique que la décision du Tribunal constitutionnel en date du 28 octobre 1996 rejetant le premier recours en amparo était pratiquement identique à celle qui avait été rendue précédemment au sujet du recours en amparo formé par un autre des conseillers référendaires dont le contrat n’avait pas été renouvelé. Or le Tribunal n’a pas tenu compte de la spécificité de son cas, en ce sens qu’il était le seul conseiller référendaire ayant une attestation de services rendus extrêmement élogieuse.

9.2L’auteur indique également qu’un magistrat du Tribunal constitutionnel, qui avait auparavant été membre du Conseil général de la magistrature, était intervenu dans la procédure de recours en amparo concernant l’autre conseiller référendaire et s’était déclaré opposé, dans une opinion dissidente, au renouvellement de son contrat. Le conseiller en question avait récusé ce magistrat, lequel compte tenu de son implication précédente dans l’affaire avait l’obligation absolue de s’abstenir dès le début. Le Tribunal avait réagi par un simple avis dans lequel il affirmait qu’une erreur informatique s’était produite au moment de la rédaction de la décision du Tribunal et que ledit magistrat s’était en réalité abstenu et n’avait pas participé aux débats. L’auteur critique le procédé utilisé par le Tribunal constitutionnel pour régler la question de la récusation et soutient que cette abstention n’a pas été conforme aux dispositions de la loi organique du pouvoir judiciaire. Selon lui, cet incident met en évidence le manque d’impartialité dont a fait preuve le Tribunal constitutionnel dans sa propre affaire.

9.3L’auteur affirme également qu’un magistrat du Tribunal suprême, qui avait été affecté à la chambre chargée de statuer sur ses recours contentieux administratifs, avait participé à la décision du Tribunal constitutionnel du 3 mai 2000. Pourtant, ce magistrat ne s’était pas abstenu de participer à la décision sur le recours en amparo.

9.4L’auteur réitère les arguments qu’il a déjà présentés concernant l’absence de motivation de la décision relative au non‑renouvellement de son contrat et au manque d’impartialité dont ont fait preuve le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel, ce qui constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.5En ce qui concerne la violation des articles 25 c) et 26 du Pacte, l’auteur insiste sur le fait que la décision discrétionnaire de ne pas renouveler son contrat devait être motivée, conformément à l’article 54 de la loi sur le régime juridique des administrations publiques et la procédure administrative ordinaire.

Délibérations du Comité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication doit être considérée irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné que l’auteur, avant de s’adresser au Comité, avait soumis une requête à la Commission européenne des droits de l’homme. Néanmoins, après avoir examiné les renseignements fournis par l’auteur, il aboutit à la conclusion que cette requête n’a jamais été enregistrée par la Commission ni examinée de quelque façon que ce soit par cette dernière. En conséquence, le Comité considère que la même affaire n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note également des arguments de l’État partie relatifs au non‑épuisement des recours internes. Toutefois, au vu des renseignements fournis par l’auteur, le Comité constate que les recours qui, d’après l’État partie, n’ont pas été épuisés ont été en réalité introduits et que des décisions judiciaires ont été prises à leur sujet. Le Comité conclut par conséquent que l’auteur a rempli les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité doit déterminer si la décision du Conseil général de la magistrature de ne pas maintenir l’auteur à son poste de conseiller référendaire au Tribunal suprême constitue une violation des articles 25 c) et 26 du Pacte. Le Comité considère que le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, à des fonctions publiques est intimement lié à l’interdiction de la discrimination pour les motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Dans le cas d’espèce, l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que les raisons pour lesquelles il a été décidé de ne pas renouveler son contrat de travail étaient liées aux motifs énoncés au paragraphe 1 de l’article 2. L’auteur n’a pas non plus avancé d’arguments qui permettent de démontrer un droit présumé au renouvellement de son contrat de travail ni l’existence de lois nationales qui prévoiraient l’obligation de renouveler le contrat de travail, dont l’application se serait traduite par une violation de l’article 26 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable pour défaut de fondement en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.5En ce qui concerne la violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte invoquée par l’auteur, le Comité constate qu’elle est liée à ses tentatives pour contester la décision du Conseil général de la magistrature de ne pas lui accorder le renouvellement de son contrat de travail qu’il espérait. Le Comité observe que les différentes décisions prises par les tribunaux sont cohérentes en ce sens qu’elles ont toutes rejeté une prétention qui n’était pas fondée sur le droit supposé de l’auteur à un renouvellement de son contrat de travail mais uniquement sur une expectative et que celui‑ci dépendait par conséquent du pouvoir discrétionnaire des autorités. Dans ces conditions, le Comité estime que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité, et considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

J. Communication n o  1094/2002, Herrera c. Espagne (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

M. Jesús Herrera Sousa (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 novembre 2000 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation de l’auteur sur la base de preuves insuffisantes

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Absence de réexamen des faits en deuxième instance

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 15 novembre 2000, est Jesús Herrera Sousa, de nationalité espagnole. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Me José Luis Fernández Pedreira.

Exposé des faits

2.1Le 27 juillet 1998, l’auteur a été condamné par l’Audiencia Provincial de Burgos à des peines de un et trois ans d’emprisonnement pour les délits respectifs de contrainte et d’agression sexuelle. L’auteur affirme que l’unique preuve à charge consistait en des déclarations de la victime, qui comportaient des contradictions flagrantes. Par exemple, la plainte initiale faisait mention d’une personne blonde, alors qu’au cours des séances d’identification ultérieures (série de photographies et confrontation), la victime a dit reconnaître l’auteur, qui est brun. La victime de plus a affirmé reconnaître l’auteur «sans aucun doute», alors qu’au cours de l’audience elle a déclaré que les faits s’étaient produits de nuit et qu’elle n’avait pas vu le visage de son agresseur. La victime avait initialement porté plainte pour tentative de vol, menaces à l’aide d’une arme blanche et palpation corporelle à la recherche d’argent, mais à l’audience elle a affirmé que le prévenu ne voulait pas la fouiller mais la toucher. Elle s’est également contredite à propos des chaussures portées par l’agresseur et de l’arme employée. L’auteur affirme que les contradictions mises en évidence se comprennent mieux si l’on sait que la victime a fait ses déclarations postérieures, différentes de la plainte initiale, après avoir été conseillée par son oncle, policier au commissariat de police chargé de l’enquête.

2.2L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, qui l’a rejeté dans un arrêt rendu le 31 mars 2000. Il allègue que ce tribunal n’a pas permis une nouvelle appréciation de la preuve, se refusant à réexaminer l’appréciation faite par le tribunal d’instance au motif que pareille appréciation était de la compétence exclusive de ce dernier. L’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, qui l’a rejeté dans un arrêt en date du 18 septembre 2000, dans lequel il est notamment indiqué: «Le Tribunal a indiqué à maintes reprises qu’il ne peut constituer une troisième instance, empiétant sur le domaine de compétence des juridictions de droit commun, ce qui serait certainement le cas s’il entreprenait de réexaminer un élément sans aucun rapport avec le droit à la présomption d’innocence, comme l’est le versant subjectif de l’appréciation de la preuve, c’est-à-dire les aspects de la constatation des faits par la juridiction inférieure qui relèvent de sa perception directe des éléments de preuve.».

2.3L’auteur déclare que cette question n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que les juridictions supérieures ont refusé d’examiner la preuve produite, à savoir les seules déclarations de la plaignante − lesquelles présentent des contradictions flagrantes. Ce refus constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte car il interdit le réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. L’auteur s’estime en outre victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, sans étayer cette allégation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations en date du 10 septembre 2002, l’État partie estime que la communication est irrecevable du fait que dans la procédure interne devant le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel l’auteur n’a pas allégué de violation du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte et a donc méconnu le principe de subsidiarité du Comité énoncé au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2L’État partie fait valoir que le paragraphe 5 de l’article 14 ne prévoit pas le droit à un nouveau procès en deuxième instance, mais le droit à un réexamen par une juridiction supérieure de la conformité à la loi du jugement rendu en première instance, portant sur l’application correcte des règles de droit ayant conduit à la déclaration de culpabilité et à la détermination de la peine. Il souligne à cet égard la divergence existant entre le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne la protection du droit à un double degré de juridiction consacré par des textes identiques dans le Pacte et la Convention européenne des droits de l’homme.

4.3Dans son pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, l’auteur n’a pas invoqué de contradiction dans la preuve, mais s’est borné principalement à:

a)Essayer de contester l’appréciation de la juridiction de jugement et d’y substituer sa propre appréciation. Le Tribunal suprême ne l’a pas admis et, après avoir réexaminé l’ensemble des éléments de preuve, a constaté: «La juridiction de jugement a disposé d’une preuve directe à charge, qui a été administrée légalement, soumise à une appréciation rationnelle et corroborée par une multiplicité d’indices confortant le témoignage qu’elle a directement recueilli.»;

b)Réfuter le caractère lubrique et l’intention sexuelle de ses actes. Sur ce point, le Tribunal suprême a indiqué: «Le caractère rationnel de la conclusion à laquelle a abouti la juridiction de jugement est incontestable car les faits constatés, considérés avec la plus grande objectivité possible, font clairement apparaître une intention sexuelle manifeste, que la victime avait expressément mentionnée.»;

c)Aborder la notion de «vis compulsiva» indépendante. À cet égard, le Tribunal suprême cite une partie de la décision et indique: «Comme la juridiction de jugement l’indique à juste titre, il y a lieu de distinguer deux moments distincts dans l’acte de l’accusé, qui ont été inspirés par des motivations différentes, l’esprit de lucre d’abord, puis l’esprit de luxure. L’acte initial, consommé, même si par la suite l’auteur a renoncé à s’emparer de la modique somme d’argent trouvée sur sa victime, a été qualifié par la juridiction de jugement de renonciation à un vol avec intimidation. Toutefois (…) l’exonération de la responsabilité pénale en cas de désistement après début d’exécution ne s’applique pas à la responsabilité encourue pour un acte accompli déjà constitutif d’un délit distinct et, en l’espèce, les menaces de violences ou d’utilisation d’une arme pour obliger la victime à se déplacer contre sa volonté représentent une atteinte à sa liberté et à sa sécurité, suffisante pour constituer l’infraction réprimée (…). Il n’y a pas non plus lieu d’estimer que la peine infligée pour l’agression sexuelle englobe celle pour le délit d’atteinte à la liberté et à la sécurité commis antérieurement et dont la finalité était différente.».

4.4Devant le Tribunal constitutionnel, l’auteur a fait valoir la présomption d’innocence face à l’absence de preuve à charge. À cet égard, le Tribunal a noté, entre autres, qu’en tant que garant de la présomption d’innocence, il lui appartenait de se prononcer sur l’existence et le caractère suffisant de la preuve à charge et sur l’appréciation rationnelle de celle-ci. Ce n’est toutefois pas ce dont il s’agit dans le cas du requérant, qui considère que sa condamnation pour contrainte et agression sexuelle − en l’espèce avec le facteur aggravant de la récidive − porte atteinte à son droit à la présomption d’innocence du fait de l’absence d’éléments à charge probants permettant d’établir son implication dans les faits jugés. «Concrètement, il affirme à ce sujet que la déclaration de la victime est entachée de contradictions flagrantes et que les éléments corroborant les déclarations de cette dernière sont insuffisants. Le Tribunal doit dès lors nécessairement en conclure que, sous le couvert de la présomption d’innocence, le demandeur cherche en réalité à remplacer le critère des juges du fond par le sien. En effet, comme il ressort parfaitement des décisions contestées, il existe en l’espèce une preuve à charge valable (constituée principalement par les déclarations de la victime) dûment examinée de manière contradictoire à l’audience, suffisante et appréciée de manière parfaitement rationnelle par les juridictions de jugement, lesquelles, après analyse, n’ont vu aucune raison de douter de la véracité du récit de la personne agressée, fait de manière constante et sans variations, désignant l’accusé comme auteur de la contrainte et de l’agression sexuelle. Les déclarations faites devant les tribunaux de droit commun sont corroborées, notamment, par les indices suivants: a) au moment de son arrestation l’accusé portait des vêtements identiques à ceux de l’agresseur; b) les infractions ont été commises sous la menace d’un petit couteau et les policiers ont précisément trouvé un petit couteau dans la voiture de l’accusé au moment de son interpellation; c) le domicile de l’accusé se trouve à proximité du lieu où les événements se sont déroulés et l’accusé s’est enfui dans cette direction après les faits. Après avoir constaté que la validité de la preuve a été appréciée selon des critères rationnels, il convient de rappeler que le présent Tribunal a indiqué à maintes reprises qu’il ne peut constituer une troisième instance empiétant sur le domaine de compétence des tribunaux de droit commun, ce qui serait sans conteste le cas s’il entreprenait de réexaminer un élément sans aucun rapport avec le droit à la présomption d’innocence, comme l’est le versant subjectif de l’appréciation de la preuve, c’est-à-dire les aspects de la constatation des faits par la juridiction inférieure qui relèvent de sa perception directe des éléments de preuve.»

4.5Dans sa requête au Comité, l’auteur allègue la violation de l’article 26 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte du fait que la déclaration de la victime présenterait, selon lui, des contradictions. Au stade des recours internes, le Tribunal constitutionnel a examiné avec attention et pleinement cette allégation et l’a réfutée d’une manière raisonnée et motivée, comme il ressort du paragraphe précédent.

4.6L’État partie conclut que rien dans la communication de l’auteur ne permet d’affirmer qu’il y a eu une violation du Pacte et qu’elle doit donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Par une lettre datée du 23 janvier 2003, l’État partie a fait part de son avis sur le fond; pour les raisons exposées précédemment, il estime que la présente affaire ne constitue pas une violation du Pacte.

5.1Dans une correspondance en date du 31 mars 2003 répondant aux observations de l’État partie, l’auteur a indiqué, à propos de l’argument selon lequel il n’aurait pas invoqué le droit à un double degré de juridiction devant les juridictions internes, avoir fait valoir ce droit en formant un recours en vue d’un réexamen des faits.

5.2L’auteur a rappelé que les faits pour lesquels il a été condamné mettaient initialement en cause une personne blonde, chaussée de chaussures blanches et munie d’un petit couteau à manche clair qu’elle a brandi pour intimider une femme en vue de lui voler de l’argent. Or l’auteur est brun et au moment de son interpellation il portait des chaussures noires et avait sur lui un grand couteau à manche foncé dont on l’a accusé de s’être servi aux fins d’abuser sexuellement de la victime − dont la déclaration constitue la seule preuve à charge. En dépit de ces contradictions flagrantes, les juridictions supérieures auraient expressément refusé de réexaminer les faits considérés comme démontrés en première instance, le système judiciaire espagnol étant tel qu’il n’autorise pas de réexamen des faits au stade de la cassation. La cassation n’est pas une deuxième instance, mais un recours extraordinaire pour certains motifs déterminés excluant expressément un réexamen des faits.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où les faits pour lesquels il a été condamné en première instance n’ont pas été réexaminés par une juridiction supérieure étant donné que la procédure espagnole de pourvoi en cassation n’est pas une procédure d’appel, n’est ouverte que pour des motifs déterminés et exclut expressément un réexamen des faits.

6.3Il ressort des arrêts du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel que ces juridictions ont examiné avec soin l’appréciation des preuves à laquelle a procédé le tribunal d’instance et ont conclu que les déclarations de la victime avaient fait l’objet d’une procédure contradictoire dans la phase de jugement et avaient été évaluées de manière raisonnable, et que malgré les incohérences évoquées par l’auteur la déclaration avait été corroborée par d’autres indices. La plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’étant pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, le Comité conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. En ce qui concerne l’article 26, l’auteur n’a pas exposé les raisons pour lesquelles il considère que cette disposition a été violée, en conséquence de quoi le Comité estime que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et qu’elle est donc également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

K. Communication n o  1102/2002, Semey c. Espagne (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

Semey Joe Johnson (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 août 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Détermination de la culpabilité au cours d’un procès pour homicide par imprudence, droit à un double degré de juridiction

Questions de procédure: Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond: Droit à un procès équitable, droit à un double degré de juridiction, égalité devant la loi

Articles du Pacte: 14 et 26

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 15 août 2001, est Semey Joe Johnson, de nationalité canadienne et camerounaise, né en 1969, actuellement détenu au centre pénitentiaire Torredondo de Madrid. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne des paragraphes 1, 2, 3 e) et 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985.

Exposé des faits

2.1L’auteur a été jugé en tant que responsable présumé d’un accident de la circulation survenu le 21 février 1998, qui a fait une victime. Le conducteur du véhicule à l’origine de l’accident roulait avec des plaques d’immatriculation falsifiées et détenait un faux permis de conduire au nom de l’auteur. Ce permis a été saisi par la police, qui a autorisé le conducteur à récupérer son véhicule. Tout au long du procès, l’auteur a nié tout lien avec les faits décrits, affirmant que son permis de conduire avait été perdu et que quelqu’un avait utilisé ses données personnelles pour falsifier le permis qui était entre les mains de la justice.

2.2Le 19 juin 2000, le tribunal pénal no 27 de Madrid a condamné l’auteur pour homicide par imprudence à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi, à la déchéance spéciale du droit de vote passif pendant la durée de la condamnation et à quatre ans de suspension du permis de conduire, et, pour chacune des deux infractions de faux, à une peine d’emprisonnement de deux ans, à la déchéance spéciale du droit de vote passif pendant la durée de la condamnation et à douze mois de jours-amende à 200 pesetas (1,20 euro) assortis d’un jour de privation de liberté pour deux jours-amende impayés.

2.3L’auteur a fait appel devant l’Audiencia Provincial de Madrid en faisant valoir une atteinte au droit à la présomption d’innocence, une erreur d’appréciation des éléments de preuve − censés être en contradiction avec le rapport établi à l’issue de la séance d’identification − et l’absence de motivation de la condamnation. Dans un jugement du 5 octobre 2000, l’Audiencia Provincial a rejeté l’appel et confirmé la décision du tribunal pénal, considérant que les témoignages et l’expertise graphologique présentés en première instance étaient valables et suffisaient à établir la culpabilité de l’intéressé en tant qu’auteur des faits qui lui étaient reprochés.

2.4L’auteur a introduit un recours extraordinaire en révision devant la Cour suprême, en alléguant l’existence d’un nouvel élément de preuve à décharge qu’il avait obtenu postérieurement à sa condamnation en première et en deuxième instance, grâce à un cabinet d’enquêtes privé dont il s’était assuré les services. L’élément en question était un témoin qui pouvait affirmer qu’à peu près au moment de l’accident, l’auteur devait participer à une émission de radio. Dans son arrêt du 17 mai 2001, la Cour suprême a rejeté le recours en révision au motif que l’argument invoqué, outre qu’il portait sur des éléments disponibles avant la tenue du procès et la condamnation faisant l’objet du recours, n’apportait pas de faits ou d’éléments nouveaux prouvant l’innocence de l’auteur.

2.5L’auteur a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, en alléguant une violation de son droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable. Le 4 juin 2001, la Cour constitutionnelle a rejeté ce recours après avoir considéré que les jugements contestés étaient suffisamment étayés pour établir l’irrecevabilité des plaintes de l’auteur et l’existence d’une preuve à charge suffisante pour fonder la condamnation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que la condamnation a été arbitraire, le tribunal s’étant fondé uniquement sur l’identification faite pendant l’audience, qui était en contradiction avec le rapport établi à l’issue de la séance d’identification.

3.2L’auteur affirme également que la condamnation est fondée sur de simples indices et qu’il n’existe aucune preuve à charge suffisante pour écarter la présomption d’innocence, ce qui constitue une violation du droit à la présomption d’innocence énoncé au paragraphe 2 de l’article 14.

3.3L’auteur affirme en outre que la Cour suprême n’a pas autorisé à comparaître le témoin qu’il avait cité dans son recours en révision, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14.

3.4L’auteur ajoute qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 parce que l’Audiencia Provincial n’a pas réexaminé les éléments sur la base desquels il a été condamné en première instance.

3.5Enfin, l’auteur considère que le droit à l’égalité devant la loi énoncé à l’article 26 n’a pas été respecté car il n’a pas bénéficié d’un procès équitable et que l’administration de la preuve au cours de l’audience ne s’est pas faite selon le principe du débat contradictoire.

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations datées du 10 septembre 2002, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la communication, faisant observer que tant l’Audiencia Provincial que la Cour constitutionnelle ont examiné les allégations de l’auteur et les ont rejetées de manière raisonnée et motivée. Il ajoute que l’auteur ne peut pas prétendre substituer à l’appréciation logique et raisonnée des organes judiciaires sa propre appréciation des éléments de preuve.

4.2De même, l’État partie note que la Cour suprême a clairement argumenté le rejet du recours extraordinaire en révision en faisant observer que le requérant n’avait pas présenté de faits ou éléments nouveaux prouvant son innocence, et qu’il aurait en outre pu obtenir ces éléments avant la tenue du procès.

5.Dans une lettre datée du 25 mars 2003, l’auteur conteste les arguments de l’État partie et répète ses allégations initiales. Il fait également observer que ses antécédents judiciaires ne suffisent pas à justifier l’irrecevabilité de sa communication, pas plus qu’ils ne prouvent qu’il est l’auteur des faits reprochés en l’espèce.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité s’est également assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que l’auteur avait épuisé tous les recours internes.

6.4En ce qui concerne la violation présumée des paragraphes 1 et 2 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient en principe aux juridictions des États parties d’apprécier les éléments de fait et les éléments de preuve, à moins que cette appréciation n’ait été manifestement arbitraire ou ne constitue un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux de l’État partie ont statué était entachée d’arbitraire ou représentait un déni de justice et déclare donc que les deux plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne la violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 que constitue selon l’auteur le rejet de l’élément de preuve spécifique qu’il avait invoqué lors du recours en révision, le Comité rappelle que le droit énoncé dans la disposition en question n’est pas absolu au sens où il permettrait la présentation d’éléments de preuve à tout moment et de toutes les manières, mais a pour objet de garantir l’égalité des armes entre les parties pendant le procès. Il prend note du raisonnement de la Cour suprême selon lequel l’auteur n’a usé de son droit de présenter l’élément de preuve en question ni en première ni en deuxième instance, alors qu’il aurait pu obtenir cet élément avant que le tribunal pénal se prononce sur sa cause. Le Comité estime donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14, il ressort de l’arrêt de l’Audiencia Provincial de Madrid que celle-ci a examiné avec soin l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal pénal. À cet égard, l’Audiencia Provincial a estimé que les éléments de preuve présentés contre l’auteur étaient suffisants pour l’emporter sur la présomption d’innocence. Cette partie de la communication n’étant donc pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, le Comité conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7En ce qui concerne la violation de l’article 26 que constitue selon l’auteur le fait qu’il n’a pas bénéficié de l’égalité de traitement devant la loi, le Comité considère que l’auteur n’a pas précisé quel traitement discriminatoire lui auraient réservé les juridictions nationales au regard de l’article cité. Il estime donc que ces allégations ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

L. Communication n o  1103/2002, Castro c. Colombie (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Jaime Castro Ortíz (représenté par un conseil, Me Germán Humberto Rincón Perfetti)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

13 décembre 1998 (date de la lettre initiale)

Objet: Licenciement d’un salarié séropositif

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Droit à la non‑discrimination, droit à l’égalité, droit au respect de la vie privée et droit à un jugement impartial

Articles du Pacte: 2, 3, 5, 14 (par. 1), 17 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication en date du 13 décembre 1998 est Jaime Castro Ortíz, de nationalité colombienne, né en 1961, qui se dit victime de violations de la part de la Colombie des articles 2, 3, 5, 14 (par. 1), 17 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil, Me Germán Humberto Rincón Perfetti.

Exposé des faits

2.1Le 1er décembre 1989, Jaime Castro Ortíz a commencé à travailler à la division informatique de Banco de Comercio, actuellement Banco de Bogotá. Le 24 juillet 1991, il a été diagnostiqué comme porteur du virus d’immunodéficience acquise (VIH) et a commencé à suivre le Programme pour le VIH/sida de l’Institut de la sécurité sociale (ISS).

2.2Le 11 novembre 1997, son médecin traitant, Luis Paulino Pineda, affilié à l’ISS, lui a donné une liste écrite de recommandations visant à ce que son traitement soit le plus efficace possible, comme se reposer, s’alimenter et prendre ses médicaments à heures régulières. L’auteur affirme qu’à l’époque ses horaires de travail étaient irréguliers et imprévisibles et qu’il pouvait travailler de jour ou de nuit, sans savoir ce qu’il en serait le mois suivant.

2.3Le 25 novembre 1997, l’auteur a rencontré Mme María del Carmen Centena, administratrice du secteur de la production de Banco de Bogotá, à qui il a remis la liste de recommandations du médecin de l’ISS. Mme Centena a indiqué que la lettre était destinée uniquement à l’auteur et que celui‑ci devait obtenir une lettre du Département de la médecine du travail de l’ISS adressée à la banque.

2.4Le 20 mars 1998, le Département de la médecine du travail a adressé à la banque un courrier par lequel il indiquait que la maladie dont souffrait l’auteur pouvait être aggravée par ses conditions actuelles de travail et formulait une série de recommandations. Sur la base de ce qui précède, par lettre datée du 8 avril 1998, l’auteur a demandé à la banque de lui donner des horaires fixes, de préférence pendant la journée. Le 14 avril 1998, M. Gonzalo Urbina Jiménez, chef du personnel de la banque, lui a répondu par écrit que l’organisme chargé de prendre les mesures nécessaires dans son cas était la compagnie d’assurance Aseguradora de Riesgos Profesionales Seguros de Vida Alfa S.A., à laquelle était affiliée la banque, et non l’ISS. Dans la même lettre, il indiquait que l’auteur avait rendez‑vous avec les médecins de la compagnie d’assurance le 20 avril 1998.

2.5L’auteur affirme qu’avant qu’il se rende au rendez‑vous, Mme María del Carmen Centena, administratrice du secteur de la production de Banco de Bogotá, lui a indiqué que la banque n’avait pas la possibilité de lui proposer une nouvelle affectation et a essayé de le convaincre d’abandonner, lui indiquant qu’elle était disposée à intercéder pour qu’il y ait une négociation. L’auteur a répondu qu’il n’acceptait pas car il était jeune et souhaitait continuer à travailler à la banque.

2.6L’auteur s’est rendu au rendez‑vous avec le médecin de la compagnie d’assurance, à qui il a indiqué être porteur du VIH, en précisant qu’il ne souhaitait pas que la banque soit mise au courant. Le médecin a dit qu’il était d’accord avec les recommandations de l’ISS mais qu’il devait révéler son diagnostic à la banque pour qu’elle le change d’équipe.

2.7Par une lettre datée du 25 avril 1998, le chef de la direction de la production de la banque a informé l’auteur que la banque avait décidé de manière unilatérale de mettre fin à son contrat de travail «sans raison valable», conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi no 50 de 1990, à compter de ce même jour.

2.8L’auteur a engagé une action devant le vingt‑troisième tribunal civil, demandant à être indemnisé et se disant victime d’une violation du droit au travail, au respect de la vie privée, à l’égalité et à la dignité. Le 14 mai 1992, le juge a rejeté sa demande, considérant qu’il n’y avait pas eu de violation.

2.9L’auteur a fait appel de cette décision devant la chambre civile du tribunal supérieur du district judiciaire de Santa Fe de Bogotá qui, le 2 juillet 1998, a confirmé le jugement en première instance.

2.10L’auteur affirme ne pas avoir soumis l’affaire à une autre instance internationale.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 2 du Pacte car il n’a pas garanti, comme il s’y était engagé, le respect des droits reconnus dans le Pacte sans distinction aucune. Il affirme que le Ministère de la santé a indiqué que le problème du VIH n’était pas prioritaire et que la Direction générale des banques n’a pas pris de mesures pour éviter la discrimination.

3.2L’auteur fait état d’une violation de l’article 3 du Pacte, indiquant que l’État partie a permis à une entité publique de licencier une personne au seul motif qu’elle était séropositive.

3.3L’auteur considère que l’article 5 du Pacte a également été violé, l’État partie ayant eu connaissance des faits et ayant tout de même permis des actes visant à violer les droits de l’auteur.

3.4L’auteur affirme que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que les juges n’ont pas condamné l’entité requise à rétablir la victime dans ses droits et que, dans une situation très semblable, la Cour constitutionnelle avait fait droit au recours, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

3.5L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 17, l’État partie ayant permis qu’une information à caractère confidentiel le concernant soit rendue publique, ce qui a eu pour conséquence d’entraîner son licenciement.

3.6L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 26 car il ne lui a pas apporté une protection égale et efficace contre la discrimination dont il a souffert en raison de son diagnostic.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par une lettre datée du 28 janvier 2005, l’État partie indique que la communication doit être déclarée irrecevable conformément à l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif car l’auteur n’a pas encore saisi la juridiction prud’homale, instance judiciaire dont il aurait pu obtenir une décision favorable à ses intérêts ainsi que la réparation du préjudice subi. L’État partie ajoute que le Gouvernement colombien comme la Cour constitutionnelle ont créé de multiples mécanismes pour la protection des droits des personnes séropositives, afin de préserver leur place dans la société. Il ajoute que des arrêts de la Cour constitutionnelle protègent les personnes atteintes du VIH contre toute discrimination, mais ne s’appliquent pas en l’espèce. Un salarié ne peut être licencié pour la seule raison qu’il est séropositif. Cependant, un malade peut être licencié pour des raisons complètement étrangères à son état de santé, comme c’est le cas pour l’auteur.

4.2L’État partie rappelle que le principe de l’épuisement des recours internes a pour fondement le caractère subsidiaire de la protection internationale des droits de l’homme, ce qui implique que tout État doit être à même d’offrir un système judiciaire capable de résoudre les problèmes portés à son attention. Il souligne que l’auteur peut saisir la juridiction prud’homale et qu’il lui appartient de prouver son inefficacité dans son cas. Le fait que le jugement relatif à l’action en protection ne réponde pas aux attentes de l’auteur est dû à différents facteurs propres à l’affaire qui sont liés à l’appréciation faite par le juge du fond des éléments du dossier et ne constitue pas un déni de justice. L’État partie signale qu’il ne faut pas présumer de l’inefficacité d’un système judiciaire, car son évaluation doit prendre en compte les faits et les circonstances propres à chaque affaire, et il n’est donc pas possible de dire que tel ou tel recours n’est jamais efficace, car cela aurait pour conséquence de faire du recours au droit interne une exception, ou de permettre aux particuliers de décider des juridictions compétentes pour connaître des violations présumées des normes internationales. D’après l’État partie, l’auteur prétend faire du Comité une juridiction de quatrième ressort.

4.3L’État partie fait valoir en outre que la plainte doit être déclarée non recevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif car elle n’est pas suffisamment étayée. Il indique que l’auteur n’a pas été licencié en raison de sa séropositivité, puisque à l’époque où il travaillait à la banque cette dernière n’a jamais été mise au courant de son état, état dont elle n’a eu connaissance que lorsqu’elle a été informée de l’action en protection engagée par l’auteur. L’État partie ajoute que, bien que l’auteur ait effectivement présenté plusieurs certificats médicaux, aucun ne mentionnait de diagnostic et, de plus, aucun document figurant dans le dossier examiné ne permettait de faire des déductions quant à son état de santé. Il affirme que, selon la banque, l’auteur travaillait effectivement selon différents horaires mais que ces derniers étaient tous conformes à la loi et que les changements lui étaient signalés à l’avance. Par conséquent, la véracité des propos de l’auteur est à remettre en cause.

4.4L’État partie indique que l’entité habilitée à recommander une nouvelle affectation était la société Aseguradora de Riesgos Profesionales Seguros de Vida Alfa S.A, à laquelle était affiliée la banque, comme en a été informé l’auteur. Il ajoute que le rapport remis par ladite compagnie d’assurance se bornait à signaler que l’auteur souffrait d’une maladie «d’origine commune», sans préciser laquelle, et qu’elle ne recommandait pas de changement d’affectation. Il précise enfin que ce rapport a été remis en mai 1998, quand l’auteur ne travaillait déjà plus à la banque.

4.5L’État partie signale que, comme l’a indiqué la banque, il est exact qu’il a été mis fin sans motif au contrat de travail de l’auteur le 25 avril 1998 mais que ce licenciement s’est fait conformément à l’article 6 de la loi no 50 de 1990 du Code du travail en vigueur à l’époque, et qu’il a donné lieu à une indemnisation, comme l’a établi la Cour constitutionnelle lorsqu’elle a examiné l’action en protection. L’État partie ajoute que, comme l’a indiqué la banque, le licenciement s’explique par le comportement professionnel de l’auteur, par ses multiples manquements dans l’exercice de ses fonctions, qui sont la véritable raison pour laquelle l’entreprise a souhaité se séparer de lui, ce qui est très différent de la discrimination à l’encontre d’une personne séropositive. L’État partie souligne que, si l’auteur n’a pas eu gain de cause, c’est parce que les juges ont considéré qu’il n’y avait aucune relation entre son licenciement et sa séropositivité. Rien ne permet de dire que la banque était au courant de l’état de santé de l’auteur au moment où elle a mis fin au contrat de travail. C’est pourquoi il a été conclu que le licenciement obéissait à des raisons complètement étrangères à son état de santé. Par conséquent, l’État partie considère qu’il n’y a pas eu de violation des articles 2, 3, 5, 14 (par. 1), 17 et 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 15 juin 2005, l’auteur indique qu’il n’est pas vrai que la banque ne s’est aperçue qu’il avait des problèmes de santé que lorsqu’il a engagé une action en protection, puisque le 8 avril 1998 il a présenté une demande d’affectation à une équipe de jour au motif que, depuis un an environ, il connaissait «des ennuis de santé qui nécessitaient un traitement médical permanent» et qu’il a fourni en annexe des certificats médicaux. En outre, dans la note de l’ISS en date du 9 mars 1998, il était précisé que l’auteur avait contracté le VIH et, dans les certificats d’incapacité de travail remis à la banque, et qu’elle reconnaît avoir reçus, apparaissait le code de la maladie, indispensable pour justifier l’arrêt de travail.

5.2L’auteur souligne qu’il a demandé un changement d’horaires parce que la banque ne respectait pas les horaires légaux de travail et que la Cour constitutionnelle a indiqué dans son arrêt 256/96 du 30 mai 1996 qu’on ne pouvait mettre un terme au contrat de travail de quiconque sans donner d’explications. Il ajoute que, dans son cas, les tribunaux ont considéré le contrat de travail comme résilié sans tenir compte de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

5.3L’auteur affirme qu’il n’est pas vrai que l’État partie a mis en place des programmes de lutte contre la discrimination à l’encontre des personnes séropositives et de sensibilisation du public aux idées fausses relatives à cette affection, puisqu’il n’existe même pas d’organe traitant de la question.

5.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que des cas similaires de licenciement de personnes séropositives ont été traités par la Cour constitutionnelle dans le cadre d’une action en protection, action qu’il a engagée, épuisant ainsi les recours internes.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des allégations de l’État partie visant à déclarer la communication non recevable au titre de l’article 2 et de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur n’ayant pas épuisé les recours ouverts devant la juridiction prud’homale d’une part, et la plainte n’étant pas suffisamment étayée d’autre part. Le Comité observe que l’auteur, pour sa part, s’est borné à signaler qu’il avait épuisé les recours internes disponibles puisqu’il avait engagé une action en protection devant la Cour constitutionnelle. Cependant, il ne remet pas en cause l’idée qu’il aurait pu engager une action auprès de la juridiction prud’homale et n’explique pas pourquoi cela n’aurait pas été efficace dans son cas. Les doutes de l’auteur à propos de l’efficacité des recours internes ne l’exemptent pas de l’épuisement de ces recours. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que la communication est irrecevable conformément à l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, en raison du non‑épuisement des recours internes. Par conséquent, il considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments de l’État partie.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, à l’auteur de la communication et à son avocat.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

M. Communication n o  1120/2002, Arboleda c. Colombie (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Marco Antonio Arboleda Saldarriaga (représenté par un conseil, Me Luis Manuel Ramos Perdomo)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Colombie

Date de la communication:

4 août 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Plainte relative à l’identité de la personne dont l’extradition est demandée

Questions de procédure: Allégations insuffisamment étayées

Questions de fond: Détention contraire aux dispositions du Code de procédure pénale

Articles du Pacte: 9 et 14 (par. 1, 2 et 3 a))

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication datée du 4 août 2002, est Marco Antonio Arboleda Sadarriaga, de nationalité colombienne, qui affirme être victime de violation par la Colombie des articles 9 et 14 du Pacte. Il est représenté par Me Luis Manuel Ramos Perdomo.

Exposé des faits

2.1En octobre 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé au Gouvernement colombien l’extradition de Luis Carlos Zuluaga Quiceno ressortissant colombien. Ils ont fourni à cette fin les nom, document d’identité, taille, âge, date et lieu de naissance et couleur de peau de la personne réclamée. Le dossier de demande comprenait en outre une photographie de l’intéressé.

2.2L’auteur affirme que les policiers et les fonctionnaires des services du Procureur général qui ont participé à la procédure d’arrestation le 13 octobre 1999 se sont apparemment trompés d’adresse et sont entrés à son domicile. Le mandat de perquisition indique une autre adresse que celle du domicile de l’auteur. Il présente également des contradictions concernant les données physiques et biographiques, raison pour laquelle les agents ont demandé à l’auteur de les accompagner volontairement au poste de commandement de la police appelé GRUCE (Groupe central provincial) afin de procéder aux vérifications dactyloscopiques nécessaires pour déterminer s’il s’agissait de la personne réclamée.

2.3Après l’arrestation de l’auteur, les services du Procureur général ont suggéré aux responsables de l’ambassade des États‑Unis en Colombie de demander l’extradition de l’auteur, insinuant que la personne réclamée avait pour nom Marco Antonio Arboleda Saldarriaga et non Luis Carlos Zuluaga Quiceno. Les responsables ont envoyé de nouvelles notes verbales dans lesquelles seul le nom de l’intéressé était modifié tandis que les autres données nécessaires à son identification, comme l’âge, la taille, les caractéristiques morphologiques et la photographie de la personne véritablement recherchée, demeuraient inchangées. En outre, les responsables de l’ambassade indiquaient dans lesdites notes verbales qu’ils informeraient les autorités judiciaires américaines pour que celles-ci modifient les chefs d’accusation existants. Cela signifie qu’à ce moment-là, aucune accusation formelle n’avait été portée aux États-Unis contre l’auteur, qui se trouvait pourtant privé de liberté depuis plusieurs jours de manière illégale et arbitraire.

2.4Alors que l’auteur était privé de liberté, il a été notifié d’un mandat d’arrêt aux fins d’extradition à l’encontre de Luis Carlos Zuluaga Quiceno, carte d’identité no 70.041.763 de Cocomá, puis d’un mandat d’arrêt rectificatif à l’encontre de Marcos Arboleda Saldarriaga, carte d’identité no 3.347.039 de Medellín, personne qui ne correspondait pas davantage à l’auteur.

2.5L’auteur a demandé une remise en liberté pour arrestation illégale, requête qui a été rejetée par le Procureur général dans une décision du 12 septembre 2001.

2.6Depuis l’âge de 10 ans, l’auteur est amputé des phalanges de l’index et du pouce de la main droite, caractéristique que n’indique ni ne présente la personne réclamée, qui existe bien, comme cela a pu être vérifié dans les archives du Registre national de l’état civil, et dont tous les doigts sont intacts, sans aucun signe particulier.

2.7 Le ministère public s’est prononcé contre l’extradition au motif que le critère de l’identification absolue n’était pas rempli puisque les preuves nécessaires n’avaient pas été produites. Néanmoins, la chambre pénale de la Cour suprême de justice a considéré que l’État requérant avait précisé que la personne réclamée s’appelait en fait Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, et que l’accusation portée par le Tribunal du district Sud de la Floride visait bien cette personne, même si elle mentionnait un faux nom utilisé par l’intéressé. Finalement, la Cour s’est prononcée en faveur de l’extradition.

2.8L’auteur fait valoir que tout le processus de détermination de l’identité s’est déroulé après qu’il a été arrêté illégalement, et que l’État requérant avait fourni d’emblée une photographie de la personne réclamée qui ne correspondait absolument pas à ses propres caractéristiques physiques et morphologiques. Il affirme qu’il n’était pas la personne réclamée et qu’à partir des erreurs qui ont abouti à son arrestation irrégulière, une véritable conspiration a été ourdie pour masquer les irrégularités en question et il a été systématiquement empêché d’exercer tout recours et de faire valoir les droits et garanties auxquels il pouvait prétendre.

2.9L’auteur affirme qu’il existait des preuves concluantes de son identité. Par exemple, le relevé décadactylaire déposé au Registre national de l’état civil sous le nom de Luis Carlos Zuluaga Quiceno, carte d’identité no 70.041.763, n’est pas identique à celui de Marco Antonio Arboleda Saldarriaga.

2.10Le Gouvernement colombien a accueilli les arguments avancés par la Cour suprême et, par son ordonnance no 70 du 27 mai 2002, a autorisé l’extradition de l’auteur, identifié par la carte d’identité no 3.347.939. Le 7 juin 2002, l’auteur a formé, auprès du Ministre de la justice, un recours en révision contre cette ordonnance qui n’a pas abouti.

2.11L’auteur affirme avoir épuisé les recours disponibles en ce qui concerne la procédure d’extradition. Il a en outre engagé un recours en protection (amparo constitutionnel) qui a été rejeté le 23 septembre 2002.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que les faits décrits constituent une violation de l’article 9 et des paragraphes 1, 2 et 3 a) de l’article 14 du Pacte. Il indique en particulier qu’il a été incarcéré sans mandat d’arrêt délivré par une autorité compétente. En outre, la note verbale sur laquelle s’est fondée cette arrestation n’était pas conforme aux dispositions du Code de procédure pénale étant donné qu’elle ne l’identifiait ni pleinement ni partiellement. L’auteur affirme également que, pendant la phase judiciaire de la procédure d’extradition devant la Cour suprême, il y a eu violation de son droit à la défense et des garanties prévues par la loi, en raison du refus d’ordonner l’administration des éléments de preuve demandés par la défense comme par le ministère public afin que soit respectée l’obligation de dûment vérifier l’identité de la personne réclamée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations du 27 novembre 2002, l’État partie indique que, par la note verbale 1066 datée du 7 octobre 1999, les États-Unis d’Amérique ont demandé le placement en détention provisoire aux fins d’extradition de Luis Carlos Zuluaga Quinceno, en vue de le traduire en justice pour des délits relevant de la législation fédérale en matière de stupéfiants et d’autres infractions connexes. Dans une décision du 11 octobre 1999, le Procureur général a initialement ordonné l’arrestation de Luis Carlos Zuluaga Quinceno. Ensuite, dans une décision du 13 octobre 1999, il a modifié l’ordre d’arrestation en indiquant que la véritable identité de la personne réclamée était Marcos Antonio Arboleda Saldarriaga, dont la carte d’identité portait le numéro 3347039. Le 13 octobre 1999, la police judiciaire a arrêté Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, dont la carte d’identité portait le numéro 337939 de Medellín.

4.2L’auteur a déposé une demande de libération immédiate en faisant valoir l’illégalité de son arrestation, mais le Procureur général l’a rejetée dans sa décision du 12 septembre 2001. Dans ladite décision, le Procureur général affirme que la personne dont les États‑Unis demandaient l’arrestation depuis le début est bien M. Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, bien que la décision du 13 octobre 1999 mentionne la carte d’identité 3347039 de Medellín. Il indique également que, dans son arrêt du 22 mai 2001, la Cour suprême n’a pas examiné la demande de preuves formulée par l’avocat de la défense au motif qu’elle avait été déposée tardivement, et qu’elle a rejeté la demande d’administration de preuves déposée par le ministère public parce qu’elle considérait que les éléments relatifs à l’identité de la personne réclamée étaient clairs.

4.3Dans une décision du 30 avril 2002, la Cour s’est prononcée en faveur de l’extradition de l’auteur. Elle a déclaré avoir estimé qu’il était pleinement démontré que l’auteur était bien la personne dont l’extradition avait été demandée. Elle a indiqué que l’État requérant n’avait pas seulement apporté des éclaircissements et demandé l’extradition en citant le nom de Marco Antonio Arboleda Saldarriaga et en fournissant son document d’identité, mais qu’il avait aussi souligné qu’il s’agissait du même individu qui utilisait une fausse identité. Selon la législation de l’État requérant, une accusation postérieure annule et remplace les précédentes. La Cour affirme ce qui suit: «l’accusation postérieure, seule valide, portait les deux noms en question, Zuluaga Quiceno et Arboleda Saldarriaga, dont il a été précisé qu’ils désignaient la même personne, et si les notes verbales de demande d’extradition mentionnaient le deuxième nom et précisaient que le document d’identité de l’intéressé portait le numéro 3.347.939, il ne fait aucun doute qu’il est demandé en bonne et due forme l’extradition de M. Arboleda Saldarriaga, dont l’identité correspond à celle de la personne détenue, comme l’indiquent tous les documents que celui‑ci a signés − le pouvoir donné à son défenseur, les mémoires adressés à la chambre – ainsi que la copie de la carte d’identité fournie».

4.4La Cour a également indiqué que la loi prévoyait, en cas de détention illégale, des mécanismes tels que le recours en habeas corpus et la demande d’attestation d’arrestation irrégulière, qui devaient être utilisés en temps voulu.

4.5Le Gouvernement a accueilli les arguments de la Cour et accordé l’extradition. Dans sa décision, il a indiqué ce qui suit: «De ce qui précède, on peut déduire que la question de l’identité du citoyen réclamé a été amplement débattue devant l’autorité qui a délivré le mandat d’arrêt et devant la Cour suprême de justice. (…) Si le citoyen réclamé et son avocat défenseur maintiennent leur désaccord, continuant d’affirmer qu’on a attribué à l’intéressé neuf identités différentes et que, si un doute persiste, il doit profiter à l’accusé, il est estimé que cette situation suppose un examen de la responsabilité pénale, ce qui dépasse le cadre de la procédure d’extradition et relève plutôt du procès qui aura lieu à l’étranger.».

4.6Par l’ordonnance no 96 du 1er août 2002, le Gouvernement national a tranché le recours en révision formé par l’auteur, confirmant la totalité de la décision et consacrant ainsi l’épuisement de la voie administrative. Le texte de l’ordonnance se lisait notamment comme suit:

«Lors de la décision administrative attaquée, il a été considéré que la question de l’identité du citoyen réclamé avait été amplement débattue devant l’autorité qui avait délivré le mandat d’arrêt et devant la Cour suprême de justice, laquelle avait compétence pour vérifier que cette exigence avait été respectée (…).

La demande du défenseur tendant à ce que le Gouvernement se prononce sur la légalité de l’acte en question qui, à son avis, constitue une violation des droits fondamentaux à une procédure régulière, à la défense et à l’égalité, n’est pas pertinente (…) car cette question ne relève pas de la compétence du Gouvernement national (…). Pour la même raison, les comparaisons que le défenseur fait avec d’autres avis formulés par cette autorité qui ont un lien avec la question de l’identité pleinement démontrée sont irrecevables.

Le Gouvernement colombien ne juge pas pertinent d’examiner la question des neuf identités qui, selon le défenseur, ont été attribuées à son client, puisque les pièces jointes au dossier permettent de constater que la personne arrêtée est bien celle dont l’extradition a été officiellement demandée. En revanche, si l’on souhaite démontrer que la personne arrêtée n’a rien à voir avec le procès qui aura lieu aux États‑Unis, cela suppose un examen de la responsabilité qui doit être demandé aux juges du pays requérant, comme cela a été indiqué dans la décision administrative attaquée, car la procédure d’extradition n’est pas une procédure pénale dans laquelle on pourrait évaluer la responsabilité de la personne réclamée.

Il n’est pas davantage exact que l’avis contraire émis par le ministère public ait été ignoré, premièrement parce que ce type d’avis est rendu devant la Chambre pénale de la Cour suprême de justice et que celle-ci s’est prononcée à ce sujet, et deuxièmement parce que l’avis en question n’a pas de caractère contraignant.».

4.7Le 23 septembre 2002, la chambre civile de cassation de la Cour suprême de justice a rejeté le recours en protection engagé par l’auteur, qui se plaignait de ne pas avoir été identifié comme étant la personne dont l’extradition avait été demandée. La chambre a affirmé que ce point avait été suffisamment éclairci par la chambre pénale de cassation, et que l’avis favorable à l’extradition ne semblait pas arbitraire ni fantaisiste et qu’il ne paraissait pas s’écarter de la loi ni porter atteinte aux droits invoqués, ce qui constituait un motif suffisant pour refuser l’amparo. La chambre rappelle que la décision autorisant l’extradition a fait l’objet d’un recours qui n’a pas abouti. S’agissant d’une décision de caractère administratif, il fallait former un recours auprès de la juridiction administrative de manière que celle-ci détermine s’il y avait eu ou non violation des droits fondamentaux ou restriction des garanties relatives à la procédure. Comme cela n’a pas été fait, le recours en protection est irrecevable.

4.8L’État partie affirme que la communication est irrecevable. Il ressort des décisions adoptées pendant la procédure d’extradition que l’auteur est bien la personne dont le Gouvernement des États‑Unis a officiellement demandé l’extradition. Par sa nature, la procédure d’extradition ne permet pas d’examiner des éléments en lien avec l’évaluation de la responsabilité pénale de la personne réclamée. S’il est avancé que l’intéressé n’est pas la personne qui a enfreint la législation du pays requérant, cette question devra être réglée dans le cadre du procès pénal qui aura lieu à l’étranger.

4.9La procédure d’extradition prévue dans la législation colombienne inclut des mécanismes judiciaires de défense qui permettent de garantir les droits fondamentaux du citoyen réclamé. L’auteur a été assisté dès le début de la procédure par son avocat, qui a exercé les droits de la défense en utilisant tous les recours prévus à cet effet par la loi.

4.10L’État partie a pleinement respecté les lois et règlements en vigueur, non seulement les normes nationales et internationales pertinentes, mais aussi la totalité des garanties de procédure, et l’allégation de violation du Pacte est donc dénuée de fondement. Il semblerait qu’en l’espèce on tente d’utiliser le Comité comme une quatrième instance de révision de décisions nationales qui ne satisfont pas aux prétentions de l’auteur.

4.11L’auteur a formé un recours contre la décision administrative qui autorisait son extradition. Celle-ci a été confirmée par l’ordonnance no 96 du 1er août 2002, ce qui signifiait que la voie administrative était ainsi épuisée. C’est pourquoi l’auteur peut utiliser la voie de la juridiction administrative contentieuse pour demander le rétablissement du droit, ce qui constitue une raison supplémentaire de considérer la communication irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

5.Dans sa réponse datée du 9 février 2003, l’auteur fait valoir qu’il était impossible d’émettre un avis favorable à son expulsion, étant donné le grand nombre d’identités − 11 au total (sic) − et de caractéristiques morphologiques et anthropométriques grâce auxquelles on prétend l’identifier et qui ne correspondent pas à celles de Marco Antonio Arboleda Saldarriaga. À l’appui de cette affirmation, l’auteur cite la totalité des prétendues identités qu’on a utilisées dans différents documents pour tenter d’extrader Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, à savoir: Luis Carlos Zuluaga Quiceno, Marcos Arboleda Saldarriaga, Marcos Antonio Arboleda Saldarriaga, Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, Mario Antonio Arboleda Saldarriaga, Raúl Vélez, et l’individu qui apparaît sur une photographie jointe au dossier fourni par l’État requérant.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 21 mars 2003, l’État partie a indiqué que l’arrestation de l’auteur avait eu lieu dans le cadre de l’opération «Milenio» mise en place par les autorités nationales, en collaboration avec le Gouvernement des États‑Unis, pour combattre les organisations criminelles se livrant au trafic de stupéfiants. Cette opération a été réalisée le 13 octobre 1999 à Bogota, Cali et Medellín ainsi que dans d’autres pays comme le Mexique et les États‑Unis.

6.2Le Gouvernement des États‑Unis a demandé, et le Procureur général a ordonné, l’arrestation aux fins d’extradition de 30 Colombiens qui participaient au trafic. Dès le début de la procédure d’extradition, l’avocat de l’auteur a joué un rôle actif. Il a ainsi formé les recours ci‑après: un recours en révision contre la décision de la chambre pénale de cassation de la Cour suprême en date du 22 mai 2001, par laquelle celle-ci avait rejeté la demande de preuves; un recours en révision contre la décision du 27 mai 2002 qui a autorisé l’extradition; trois recours en protection pour violation du droit à une procédure régulière devant, respectivement, le tribunal pénal municipal no 60 de Bogota et le tribunal pénal itinérant no 41, la chambre civile de cassation de la Cour suprême de justice et la section disciplinaire du Conseil local de la magistrature de Cundinamarca. En outre, l’auteur a demandé au bureau du Procureur général une libération qui lui a été refusée par une décision du 12 septembre 2001 au motif, entre autres, que l’identité de la personne réclamée était pleinement établie.

6.3L’État partie réaffirme ce que la Cour suprême a déclaré à propos de l’identité de l’auteur et des rectifications auxquelles l’État requérant a procédé, ainsi que sa conclusion selon laquelle l’identité du citoyen réclamé ne faisait aucun doute. On a pu constater que Marco Antonio Arboleda Saldarriaga, qui faisait l’objet de la demande officielle d’extradition, était bien la personne arrêtée puis remise aux autorités du pays requérant.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3L’auteur affirme que son arrestation était contraire aux dispositions de l’article 9 du Pacte, car les renseignements sur lesquels elle était fondée ne remplissaient pas les critères prévus par la loi en ce qui concerne l’identité de la personne arrêtée. Il affirme également que, contrairement aux dispositions de l’article 14 du Pacte, la Cour suprême n’a pas respecté son droit à une procédure régulière dans le processus qui a abouti à la formulation d’un avis favorable à l’extradition, étant donné qu’elle ne lui a pas permis de présenter des preuves en vue de la vérification de son identité. Le Comité constate que les plaintes de l’auteur ont été examinées par les autorités compétentes dans le cadre de plusieurs recours qu’il a formés. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient en principe aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve, à moins que cette appréciation n’ait été manifestement arbitraire ou n’ait constitué un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux de l’État partie ont statué était entachée d’arbitraire ou représentait un déni de justice et déclare donc que les allégations de l’auteur sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

N. Communication n o 1175/2003, Lim Soo Ja c. Australie (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Soo Ja Lim, sa fille, Seon Hui Lim, son fils, Hyung Joo Scott Lim (représentés par un conseil, Mme A. O’Donoghue)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

24 janvier 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion d’une mère et de sa fille, mais pas de son fils, d’Australie vers la République de Corée

Questions de procédure: Épuisement des recours internes − éléments invoqués aux fins de la recevabilité

Questions de fond: Immixtion dans la vie familiale − protection de la cellule familiale

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Articles du Pacte: 17 et 23

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, datée du 24 janvier 2003, sont trois nationaux de la République de Corée: Mme Soo Ja Lim, née le 15 janvier 1948, Seon Hui Lim, sa fille, née le 28 août 1971, Hyung Joo Scott Lim, son fils, né le 20 juillet 1977 et naturalisé australien au moment de la présentation de la communication. Les auteurs affirment être victimes de violations par l’Australie des droits que leur sont garantis par les articles 17 et 23 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, Mme A. O’Donoghue.

Exposé des faits

2.1Le 14 mars 1987, M. Ha Sung Lim a débarqué à Sydney (Australie) muni d’un visa de touriste. En 1988, on a diagnostiqué qu’il avait un cancer. Le 6 avril 1989, son épouse, Mme Soo Ja Lim, et son fils, Hyung Joo Scott Lim, sont arrivés à Sydney au bénéfice de permis d’entrée provisoires pour un séjour de six mois. Le 14 septembre 1989, sa fille, Seon Hui Lim, est également arrivée à Sydney pourvue du même type de permis. M. Lim est décédé le lendemain.

2.2Les permis des membres survivants de la famille sont arrivés à expiration le 6 octobre et le 14 novembre 1989, respectivement. En janvier 1990, le frère de Mme Lim, M. Woo Ki Park, est rentré en République de Corée. Le 19 mars 1991, Mme Lim a déposé, au nom de sa famille, une demande de permis de séjour permanent en Australie «en vertu des exceptions en faveur des personnes se trouvant illégalement en Australie» (formulaire 903). Le 13 janvier 1993, il a été notifié à la famille que sa demande avait été rejetée pour défaut de désignation d’un «parrain».

2.3Le 9 février 1993, Mme Lim a déposé une nouvelle demande sur formulaire 903 dans lequel était désigné un parrain. Le 16 août 1993, sa demande a été jugée irrecevable. Le 18 août 1993, le Département de l’immigration («le Département») a indiqué à la famille avoir l’intention de requérir une ordonnance d’expulsion à son encontre. Le 3 décembre 1993, la famille a reçu une nouvelle lettre confirmant l’intention du Département de requérir son expulsion.

2.4Le 17 décembre 1993, la fille de Mme Lim a déposé une demande de visa permanent de transition en désignant comme parrain son compagnon, M. Jung Hee (Anthony) Lee. Le 21 décembre 1993, le fils a écrit au Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles («le Ministre») pour solliciter un titre de résidence pour motifs compassionnels. Le 8 février 1994, le Ministre a répondu qu’il n’était habilité à intervenir que dans les affaires ayant été examinées par le Tribunal des recours en matière d’immigration. Il a fait observer que la famille Lim n’avait pas sollicité de réexamen par le Tribunal et qu’il était désormais trop tard pour le faire.

2.5Le 1er septembre 1994, la famille Lim a obtenu un «visa relai E». En 1995, les parents de Mme Lim sont soudainement décédés en République de Corée. Le 27 septembre 1995, il a été notifié à sa fille que sa demande de visa de transition permanent avait été rejetée en raison de l’absence de changement dans sa situation personnelle. Le 13 décembre 1996, elle a reçu du Département une lettre lui annonçant officiellement l’intention du Département d’annuler les «visas relais».

2.6Les 23 et 27 décembre 1996, respectivement, le fils et la fille ont écrit au Département en réponse à la lettre leur annonçant l’intention d’annuler les visas de transition dont ils étaient titulaires. Le 26 mai 1997, le Département a écrit aux intéressés pour leur signifier l’annulation de leurs «visas relais» du fait que leur demande de permis de séjour permanent avait été jugée irrecevable.

2.7Le 4 juin 1997, les membres de la famille Lim ont déposé des demandes de visa de protection. Un «visa relai» leur a été accordé le 5 juin 1997. Les demandes de visa de protection ont été rejetées le 13 juin 1997. Le 1er juillet 1997, le fils a déposé une demande d’autorisation de demeurer en Australie au motif qu’il était innocent de l’illégalité de sa situation. Le 2 juillet 1997, les membres de la famille Lim ont saisi le Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés d’une demande de réexamen de la décision leur refusant des visas de protection. Le 6 mars 1998, Mme Lim et sa fille se sont associées à une action collective, Macabenta c. Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles, dont était saisie la Cour fédérale. Le 31 mars 1998, elles ont toutes deux déposé une demande de visa en attente de détermination du statut. Le 1er avril 1998, le Département a répondu qu’elles ne remplissaient pas les conditions requises pour demander un visa de cette catégorie.

2.8Le 15 avril 1998, le fils a obtenu un permis de séjour permanent en tant que personne autonome ne vivant pas avec sa famille. Le 21 avril 1998, la Cour fédérale a rejeté l’action collective susmentionnée. Le Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés a examiné le recours contre le refus d’attribution de visas de protection le 22 octobre 1998 et l’a rejeté le 23 novembre 1998.

2.9Le 18 décembre 1998, la Cour fédérale siégeant en session plénière a rejeté l’appel contre la décision rendue en première instance dans l’action collective. Le 18 juin 1999, la Haute Cour d’Australie a rejeté une demande d’autorisation spéciale d’interjeter à nouveau appel dans cette même affaire. Le 25 juin 1999, il a été indiqué à Mme Lim et à sa fille qu’elles avaient la possibilité de s’associer à une autre action collective représentative portée devant la Haute Cour pour contester les décisions rendues par le Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés. Le 16 juillet 1999, le visa relai accordé aux requérants parties à la demande d’action collective initiale a expiré. Le 26 juillet 1999, il a été notifié à Mme Lim et à sa fille qu’elles ne pouvaient s’associer à l’action collective contestant les décisions du Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés du fait que le Tribunal disposait déjà de toutes les informations pertinentes pour rendre sa décision concernant la demande de la famille Lim.

2.10Le 31 août 1999, Mme Lim et sa fille ont demandé au Ministre de faire usage du pouvoir d’appréciation discrétionnaire que lui confère l’article 417 de la loi de 1958 sur l’immigration. Le 2 septembre 1999, Mme Lim et sa fille ont déposé une demande de visa relai (catégorie E) alors que leur requête auprès du Ministre était en cours d’examen. Le 15 mai 2000, le Ministre a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir discrétionnaire.

2.11Le 17 mai 2000, les conseils de la famille ont été informés de la décision du Ministre et ont noté qu’il ne semblait pas y avoir d’autre option à leur disposition. Le 24 mai 2000, Mme Lim a demandé une prolongation d’un mois au‑delà de la date fixée pour son départ, à savoir le 7 juin 2000. Le 24 mai 2000, Mme Lim a obtenu un visa relai courant jusqu’au 6 juin 2000. Le visa relai de Mme Lim a expiré le 6 juin 2000. Le 16 août 2000, le fils a obtenu la nationalité australienne; en 2001, il a achevé ses études universitaires.

Teneur de la plainte

3.1Se fondant sur les constatations du Comité dans l’affaire Winata c. Australie, les auteurs estiment que la présente communication fait apparaître des violations des articles 17 et 23 du Pacte. S’agissant de l’article 17, les auteurs font valoir que l’expulsion de Mme Lim et de sa fille d’Australie constituerait une immixtion dans la vie de la famille Lim. Ils affirment que le départ du fils avec sa mère et sa sœur d’Australie pour aller se réinstaller en République de Corée serait contraire aux dispositions, aux buts et à l’objet du Pacte, et ne saurait être considéré raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce. Les auteurs soulignent que leur famille a développé des liens très solides et une relation d’interdépendance après le décès de M. Lim, dont la tombe se trouve en Australie. La fille avait promis à son père de s’occuper de la famille en Australie et l’unité de la famille est donc inextricablement liée à sa résidence en Australie. Pour ces mêmes raisons, les auteurs font valoir que l’expulsion de Mme Lim et de sa fille d’Australie constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

3.2Au sujet de l’épuisement des recours internes, les auteurs indiquent que la communication ne porte que sur l’éventualité de l’éclatement de la famille et qu’ils ne seraient dès lors tenus d’épuiser les recours internes qu’en ce qui concerne ce seul élément de leurs différents griefs ou bien de démontrer que de tels recours seraient vains.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une lettre en date du 3 février 2004, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes disponibles, car elle constitue un abus du droit de requête et est insuffisamment étayée. En ce qui concerne le fond, l’État partie estime qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte.

4.2Au sujet de la recevabilité des griefs relevant des articles 17 et 23, l’État partie fait observer que les recours internes n’ont pas été épuisés et énumère une série de recours à la disposition de la famille Lim. En premier lieu, l’État partie indique que la famille n’a pas exercé dans les délais prescrits son droit de contester la décision leur refusant le statut de résident permanent devant le Tribunal des recours en matière d’immigration − comme le Ministre l’a souligné dans sa lettre en date du 8 février 1994. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité concernant la nécessité de respecter les délais de recours et estime donc que les auteurs n’ont pas déployé tous les efforts raisonnables pour épuiser l’ensemble des recours internes disponibles dans les délais prescrits.

4.3Si le Tribunal des recours en matière d’immigration n’avait pas accueilli favorablement la requête des membres de la famille Lim, ils auraient pu saisir la Cour fédérale d’Australie. S’ils avaient été déboutés, les membres de la famille auraient pu faire appel auprès de la formation plénière de la Cour fédérale et en cas de décision défavorable de cette dernière ils auraient pu solliciter l’autorisation spéciale de faire appel devant la Haute Cour d’Australie (la Haute Cour). Outre la possibilité de requérir un réexamen par la Cour fédérale qui s’offrait aux membres de la famille Lim, ils auraient pu, en vertu de la Constitution australienne, solliciter un réexamen judiciaire de la décision du Tribunal des recours en matière d’immigration par la Haute Cour d’Australie en tant que juridiction de premier ressort.

4.4En deuxième lieu, l’État partie note que les décisions du Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés sont également susceptibles de réexamen par la Cour fédérale et la Haute Cour. Les auteurs ont effectivement saisi la Cour fédérale, mais en tant que parties à une action collective relatives aux «visas en attente de détermination du statut (catégories 850 et 851)», au motif que ce type de visas serait discriminatoire. Ils ont préféré ne pas requérir de réexamen judiciaire de la décision du Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés concernant leur demande de visa de protection, alors qu’ils disposaient de cette possibilité.

4.5En troisième lieu, l’État partie constate que la plainte porte sur l’éventualité d’une séparation des membres de la famille, alors que les auteurs indiquent que cet argument a été mentionné dans leur demande de visa de protection − et que dès lors les deux sont liées. Aussi bien la demande présentée sur le formulaire 903 que la demande de visa de protection touchaient aux questions dont le Comité est à présent saisi. Les auteurs indiquent que le décideur a clairement pris en considération les problèmes soulevés par l’éventualité d’une séparation ultérieure des membres de la famille. Ces problèmes ont également été mentionnés dans la requête adressée au Ministre en vertu de l’article 417 de la loi de 1958 sur l’immigration. Une fois ces requêtes soumises, il était possible d’en contester le rejet devant les juridictions supérieures compétentes, ce qui constitue un recours interne, et les deux mécanismes offraient des perspectives raisonnables d’obtenir réparation.

4.6L’État partie estime de plus que les deux plaintes constituent un exercice abusif du droit de requête car le Pacte a pour objet de faire respecter et de protéger les droits de l’homme élémentaires de chacun et non pas d’aider des personnes dont les droits ne sont en rien bafoués à obtenir une décision à leur convenance en matière d’immigration. Les membres de la famille Lim ne sont actuellement victimes d’aucune atteinte à leurs droits fondamentaux en Australie, pays dans lequel ils continuent à vivre. Aucun élément n’indique que la famille (ou un de ses membres) verrait ses droits bafoués en cas de retour en République de Corée. Il est clair que la famille préférerait rester en Australie, mais le Pacte ne garantit pas le droit de bénéficier d’une décision à sa convenance en matière d’immigration.

4.7L’État partie convient que la famille Lim se trouve depuis de nombreuses années en Australie, mais souligne que c’est principalement parce que ses membres sont restés en Australie sans y être légalement habilités pendant près de 14 ans. Il serait à l’évidence injuste pour l’État partie que la famille Lim puisse fonder sa requête sur cet état de fait. L’État partie nie vouloir briser la famille. Aussi longtemps que la famille Lim se trouve en Australie en situation régulière, rien ne l’empêche de demeurer un groupe familial uni. Si Mme Lim et sa fille devaient être renvoyées en République de Corée, rien n’empêcherait le fils de Mme Lim de retourner en République de Corée avec sa famille. M. Lim en tant qu’adulte indépendant pourrait aussi choisir de demeurer en Australie et de maintenir des contacts avec sa famille par différents moyens. Ce serait alors son choix et non pas une conséquence d’une action, quelle qu’elle soit, de la part de l’État partie. La famille Lim reconnaît qu’elle ne risque pas d’être victime de persécutions ou exposée à toute autre forme de danger personnel en cas de retour en République de Corée.

4.8L’État partie estime que la communication des auteurs montre uniquement que la famille préférerait demeurer en Australie et que ses membres auraient à subir une légère perturbation de leur vie en cas de rapatriement en République de Corée. Le motif manifeste de leur communication n’a rien à voir avec une immixtion dans la vie familiale ou aucune autre atteinte à des droits consacrés par le Pacte − l’intention de la famille Lim est de parvenir à obtenir une décision à leur convenance dans une affaire d’immigration. L’État partie conclut qu’au vu de ces circonstances, la communication devrait être rejetée en tant que recours abusif au droit de requête.

4.9L’État partie estime en outre insuffisamment étayé aux fins de recevabilité le grief au titre de l’article 23. L’État partie note que, selon les auteurs, une atteinte à l’article 17 entraînerait nécessairement une atteinte au paragraphe 1 de l’article 23 parce qu’en violant l’article 17 l’Australie n’aurait pas honoré l’obligation lui incombant d’assurer la protection dont toutes les familles peuvent se prévaloir en vertu du paragraphe 1 de l’article 23. L’État partie souligne que dans leur communication les auteurs avancent des arguments qui semblent viser à établir l’existence d’une immixtion dans leur vie familiale au sens de l’article 17 sans toutefois apporter le moindre élément permettant de quelque manière que ce soit d’établir en quoi ou comment l’État partie se rendrait coupable d’un manquement au paragraphe 1 de l’article 23 en cas d’expulsion de Mme Lim et de sa fille d’Australie.

4.10L’État partie fait observer que, même si les deux articles sont liés, il en découle des obligations distinctes. Alors que l’article 17 consacre une protection, pour l’essentiel négative, tendant à interdire toute immixtion arbitraire ou illégale dans la famille, le paragraphe 1 de l’article 23 énonce des obligations positives à l’égard de l’institution de la famille. Des éléments d’information visant à établir l’existence d’un manquement à l’article 17 ne permettent pas nécessairement de fonder une plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 23. La famille, en tant qu’«élément naturel et fondamental de la société» et en tant qu’institution de droit privé, bénéficie d’une protection institutionnelle spécifique en vertu de l’article 23. En revanche, l’article 17 se borne à protéger la vie privée des membres de la famille, telle qu’elle se déroule dans le cadre familial, contre toute immixtion arbitraire ou illégale. Étant donné qu’aucune partie de la communication ne vient donner consistance à l’affirmation selon laquelle l’État partie se serait rendu coupable d’une violation du paragraphe 1 de l’article 23, cette communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’insuffisamment étayée.

4.11En ce qui concerne le fond du grief au titre de l’article 17, l’État partie conteste qu’il y ait eu la moindre «immixtion» arbitraire ou illégale dans la «famille». Les auteurs eux‑mêmes reconnaissent que l’expulsion de Mme Lim et de sa fille serait légale en droit australien, car fondée sur les dispositions de la loi de 1958 sur l’immigration. Même si l’expulsion de Mme Lim et de sa fille devait être considérée comme une «immixtion» au sens du paragraphe 1 de l’article 17, cette immixtion ne serait pas arbitraire. La législation et la politique en matière d’immigration de l’Australie visent à instaurer un équilibre raisonnable nouveau entre la nécessité d’autoriser des personnes à se rendre en Australie et à en sortir et certaines considérations d’intérêt national. Il ressort clairement des articles 12 et 13 du Pacte que le contrôle de l’immigration est un objectif légitime des États compatible avec les obligations leur incombant en vertu du Pacte. L’expulsion de Mme Lim et de sa fille en application de la loi sur l’immigration est un moyen raisonnable et proportionné de parvenir à cette fin.

4.12Concernant le fond du grief au titre de l’article 23, l’État partie indique que cette disposition porte sur la protection de la famille en tant qu’institution, comme l’a précisé le Comité des droits de l’homme dans son Observation générale no 19. Il souligne que l’article 23, tout comme l’article 17, doit se lire en tenant compte de la prérogative que le droit international reconnaît à l’État le droit de réglementer l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers. L’État assure une protection aux familles relevant de sa juridiction, mais cette protection doit être mise en balance avec la nécessité de prendre des mesures raisonnables pour contrôler les flux migratoires. L’Australie s’acquitte sans conteste des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 23. À l’échelon fédéral, il existe un régime global de droit de la famille couvrant des questions allant du mariage à la garde des enfants et au divorce. L’État et les territoires sont dotés de lois rigoureuses sur la protection de l’enfance, dont la mise en œuvre est soutenue par les administrations et les services spécialisés des autorités centrales et territoriales.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse en date du 6 avril 2004, les auteurs contestent les arguments de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. En complément de leur argumentation relative aux recours internes, les auteurs font observer que la demande initiale de visa − la plus susceptible d’aboutir en droit australien − avait été déposée par Mme Lim au nom de la famille sur le conseil, malavisé, d’un agent de l’immigration dont ils ne peuvent retrouver la trace. Vu que la famille ne répondait pas aux critères, le Tribunal des recours en matière d’immigration n’aurait pu rendre une décision en leur faveur. Les auteurs indiquent en outre qu’ils n’avaient pas les moyens de payer les frais afférents à la procédure de demande de réexamen. Ils soulignent que la demande d’intervention ministérielle a été déposée par le fils, alors âgé de 14 ans, et qu’elle était donc peu convaincante et mal fondée en droit.

5.2Faisant valoir que leur expulsion serait disproportionnée au regard de l’effet recherché, les auteurs soulignent qu’en l’espèce il existe un degré inhabituellement élevé d’interdépendance entre les membres de la famille, ce qui rendrait une expulsion particulièrement cruelle. Malgré les difficultés auxquelles ils ont été confrontés, les membres de la famille ont toujours subvenu par eux‑mêmes à leurs besoins et apporté leur contribution à la communauté australienne. La famille entretient de profonds liens affectifs avec l’Australie, puisque la tombe de M. Lim s’y trouve.

5.3En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils ont séjourné illégalement en Australie pendant 14 ans, les auteurs font observer qu’ils ont bénéficié d’un certain nombre de visas relais. L’irrégularité de leur situation découle de l’absence de recours internes adaptés propres à protéger l’unité de la cellule familiale. La famille a dû rester en Australie pour se conformer aux souhaits exprimés par le père sur son lit de mort.

5.4Au sujet de la possibilité pour le fils de retourner en République de Corée avec le reste de sa famille, les auteurs font observer que l’intéressé est arrivé en Australie à l’âge de 11 ans, qu’il y a achevé ses études secondaires, y a obtenu un diplôme universitaire et y est désormais établi en tant qu’avoué. Il lui faudrait solliciter du Ministère coréen de la justice l’autorisation de réacquérir la nationalité coréenne et renoncer à la nationalité australienne. Retourner en République de Corée pour préserver le groupe familial serait dès lors gênant et difficile pour lui.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, selon l’article 93 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que les auteurs n’ont pas sollicité le réexamen par le Tribunal des recours en matière d’immigration de leur demande de permis de séjour permanent, et que les délais pour le faire sont forclos. Les auteurs imputent en outre la responsabilité de l’échec de la procédure de demande de permis de séjour permanent au conseil malavisé d’un agent de l’immigration, dont il est impossible de retrouver la trace. Le Comité constate que, conformément à sa jurisprudence, l’auteur d’une communication est tenu de se conformer aux exigences raisonnables en matière de procédure, telles que le respect des délais prescrits, et que l’erreur du représentant d’un requérant ne saurait être retenue contre l’État partie concerné, à moins que cette erreur ne lui soit à un certain point imputable. Dans la communication ne figure aucun élément donnant à penser que la responsabilité de l’État partie en la matière soit engagée. Le Comité note en outre que les auteurs n’ont pas sollicité ultérieurement de réexamen judiciaire de l’avis défavorable rendu par le Tribunal des recours pour les affaires de réfugiés. Dans l’affaire Winata, le Comité n’avait pas jugé indispensable pareille démarche parce que les demandes d’admission au statut de réfugié déposées par les auteurs étaient totalement distinctes des griefs dont était saisi le Comité. Dans la présente affaire, à l’opposé, il est incontestable que les considérations familiales dont est saisi le Comité ont été mentionnées dans la demande de visa de protection et ont été soumises aux autorités et tribunaux de l’État partie. Eu égard à ces circonstances, la communication doit donc être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

O. Communication n o  1183/2003, Martínez Puertas c. Espagne (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

Salvador Martínez Puertas (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

13 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Décision du Tribunal suprême contraire à sa jurisprudence, non-communication au requérant de l’avis du ministère public relatif au pourvoi en cassation

Questions de procédure: Absence de fondement des allégations de violations

Questions de fond: Égalité de traitement devant les tribunaux – Égalité de moyens – Principe de contradiction

Article du Pacte: 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 13 septembre 2001, est Salvador Martínez Puertas, de nationalité espagnole, qui affirme être victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1L’auteur travaillait comme concierge à l’Institut municipal des sports de la mairie de Murcie (ci-après dénommé «l’Institut»). Il avait signé un contrat de travail le 2 avril 1996 et s’occupait de l’entretien des installations sportives des piscines municipales.

2.2Le 31 mars 1998, l’auteur a signé un reçu pour solde de tout compte ainsi libellé: «Entreprise: Institut municipal des sports. Détail du règlement: Salaire 73 310, prime d’été 36 654, prime d’affectation 42 909, prime spécifique 29 798, CM horaire 10 000, prime d’astreinte 15 315, total 207 987, moins CR T personnel 14 559, sécurité sociale 11 712, versé 181 716. Je soussigné, D. Salvador Martínez Puertas, déclare recevoir de l’entreprise susmentionnée la somme de 181 716 pesetas, solde en ma faveur en vertu de la législation en vigueur, compte tenu des sommes reçues jusqu’ici de l’entreprise susmentionnée, pour services rendus jusqu’à ce jour. Pour solde de tout compte et prétentions de quelque nature que ce soit […] En foi de quoi, j’atteste par ma signature accepter le présent règlement définitif et considérer comme résilié le contrat de travail souscrit avec l’entreprise susmentionnée à Molina de Segura.».

2.3Le même jour, le 31 mars 1998, l’Institut a mis fin au contrat de travail. Le 26 mai 1998, l’auteur a déposé une plainte pour licenciement abusif, faisant valoir que le reçu pour solde de tout compte ne contenait que le détail de certains comptes non réglés, qu’il ne prévoyait pas d’indemnité de licenciement et qu’il ne mettait pas fin à la relation de travail. Dans sa décision du 30 septembre 1998, le tribunal des affaires sociales no 3 de Murcie a fait partiellement droit à la demande, déclarant que le licenciement était irrégulier et ordonnant à l’Institut de réintégrer l’auteur avec effet immédiat. Le tribunal a considéré que le reçu pour solde de tout compte ne contenait pas «les éléments nécessaires pour établir avec certitude la volonté de résiliation» et qu’il n’avait pas d’effet libératoire car il ne constituait qu’un simple règlement détaillé.

2.4En novembre 1998, l’Institut a formé un recours en révision contre la décision du tribunal, affirmant que le reçu pour solde de tout compte avait bien un effet libératoire mettant fin à la relation de travail. En janvier 1999, l’auteur s’est opposé au recours, invoquant la jurisprudence du Tribunal suprême relative aux conditions que devait remplir un reçu pour solde de tout compte pour avoir un effet libératoire. Selon celle-ci, le fait de signer le reçu ne supposait pas automatiquement que l’on accepte de mettre fin à la relation de travail, encore fallait-il que l’employé manifeste clairement et sans ambiguïté sa volonté de résiliation. Le 23 février 1999, la Chambre sociale du Tribunal supérieur de justice de Murcie a accueilli le recours formé par l’Institut et annulé la décision du tribunal des affaires sociales no 3 de Murcie. La Chambre a considéré que les termes du reçu pour solde de tout compte étaient suffisamment clairs et qu’il y avait eu volonté de mettre fin à la relation de travail. L’auteur affirme que la Chambre s’est écartée de la jurisprudence du Tribunal suprême.

2.5L’auteur a formé un pourvoi en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence. Ce recours vise à éviter que des décisions judiciaires différentes ne soient prises à propos de situations de fait essentiellement identiques. L’auteur a invoqué la décision rendue le 24 juin 1998 par la Chambre sociale du Tribunal suprême, qui portait selon lui sur une situation identique à la sienne. Dans cette affaire, le Tribunal avait fait droit à la demande d’une personne qui avait travaillé à la tâche temporairement et qui, à la fin du contrat, avait signé un relevé détaillé dans lequel elle déclarait «avoir reçu une certaine somme à titre de liquidation définitive et de solde de tout compte, la relation de travail prenant fin pour cause d’expiration du contrat». Le document ajoutait: «par la présente liquidation, je déclare avoir perçu tous les émoluments qui me reviennent ou qui pourraient me revenir à l’avenir, sans que je puisse prétendre à une réclamation ou indemnisation ultérieure».

2.6Pendant l’examen du pourvoi, le 22 novembre 1999, la Chambre, estimant qu’il pouvait y avoir un motif d’irrecevabilité, a ordonné que l’auteur soit entendu et que le ministère public donne son avis. Le ministère public a émis un avis dans lequel il se prononçait en faveur du rejet du pourvoi, mais l’auteur affirme que cet avis n’a jamais été porté à sa connaissance et qu’il n’a pas eu la possibilité d’y répondre. L’article 224 de la loi espagnole sur la procédure de règlement des conflits du travail dispose que lorsqu’il n’est pas partie au pourvoi, le ministère public doit rendre un avis sur la recevabilité du pourvoi en cassation. Cet avis ne s’impose pas au tribunal. Dans une décision datée du 3 février 2000, la Chambre sociale du Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation, considérant qu’il était impossible d’établir l’existence d’une contradiction entre les deux décisions invoquées par l’auteur. La Chambre a considéré que les deux reçus pour solde de tout compte étaient rédigés différemment et que celui que l’auteur avait signé était beaucoup plus explicite.

2.7L’auteur a formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, alléguant qu’il y avait violation du droit à l’égalité de traitement devant les tribunaux et que l’argument du Tribunal suprême était illogique et irrationnel. Il a en outre affirmé qu’il y avait eu violation du droit à un débat contradictoire lors du pourvoi en cassation, parce qu’il n’avait pas pu contester l’avis du ministère public. À l’appui de cette dernière allégation, l’auteur a cité l’arrêt rendu le 20 février 1996 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Lobo Machado c. Portugal, qui dispose ce qui suit: «l’impossibilité pour l’intéressé d’obtenir communication [de l’avis du procureur général adjoint] avant le prononcé de l’arrêt et d’y répondre a méconnu son droit à une procédure contradictoire. Celui-ci implique en principe la faculté pour les parties à un procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter».

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, étant donné que la Chambre sociale a rejeté le pourvoi en cassation aux fins d’unification de la doctrine au motif qu’il n’y avait pas identité d’éléments entre l’arrêt rendu dans le cas de l’auteur et le précédent invoqué à titre de comparaison, alors que, selon l’auteur, il n’y avait pas de différence fondamentale entre les situations auxquelles renvoyaient les arrêts. L’auteur ajoute que la conclusion à laquelle la Chambre est parvenue est arbitraire, illogique et irrationnelle et fantaisiste. Il affirme que le caractère arbitraire de la décision est manifeste et qu’il constitue un déni de justice.

3.2L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce qu’il n’a pas pu prendre connaissance de l’avis du ministère public dans lequel celui‑ci contestait la recevabilité du pourvoi en cassation, et n’a donc pu y répondre.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Selon l’État partie, la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication et qu’elle est manifestement dénuée de fondement et incompatible avec les dispositions du Pacte. Pour l’État partie, l’auteur a eu plusieurs fois accès à la justice, ce qui a abouti à des décisions judiciaires pleinement motivées dans lesquelles des organes juridictionnels compétents ont répondu en détail à ses allégations. L’État partie indique que l’auteur est le seul à prétendre qu’il y a eu une inégalité, ce que nie expressément et en motivant sa conclusion la Chambre qui a rendu l’arrêt invoqué par l’auteur à titre de comparaison. Selon l’État partie, la communication est dénuée de fondement et l’auteur utilise le mécanisme du Protocole facultatif pour se plaindre d’une situation qui a fait l’objet d’un examen suffisant et nullement arbitraire, et dans lequel toutes les garanties de procédure ont été pleinement respectées.

4.2En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie note que l’auteur prétend se trouver dans une situation identique à celle d’une autre personne qui a obtenu une décision favorable du Tribunal suprême. Cependant, l’auteur a signé un reçu pour solde de tout compte rédigé en des termes différents de celui du cas qu’il invoque pour alléguer l’existence d’un préjudice. L’État partie ajoute que c’est ce que le Tribunal suprême a fait savoir à l’auteur lorsqu’il a indiqué qu’il était impossible d’établir l’existence de contradictions entre les deux décisions comparées, lesquelles portaient sur les conséquences de reçus pour solde de tout compte différents, compte tenu des différences existant entre les libellés de ces reçus, qui pouvaient justifier l’adoption des décisions différentes dans l’un et l’autre cas; «le document en question, dans lequel les sommes perçues sont indiquées en détail et le contrat de travail considéré comme résilié, est rédigé de manière beaucoup plus explicite que le document du précédent invoqué, qui se bornait à attester le versement d’une certaine somme à titre de liquidation définitive et de solde de tout compte, sans mention expresse de la volonté de mettre fin à la relation».

4.3L’État partie ajoute que le Tribunal constitutionnel a dûment répondu à l’allégation de l’auteur en ces termes: «Cette allégation précise ne peut servir de fondement à la demande d’amparo, car c’est uniquement à l’organe judiciaire compétent qu’il appartient de déterminer si les critères établis par la loi pour pouvoir exercer le recours envisagé sont réunis, de sorte que cette appréciation ne peut être corrigée par la voie de l’amparo que si la décision d’irrecevabilité était manifestement arbitraire ou non motivée. Il est évident qu’aucune de ces circonstances n’est présente en l’espèce, étant donné que la décision d’irrecevabilité était fondée sur les dispositions des articles 217 et 223 de la loi sur la procédure de règlement des conflits du travail, la Chambre sociale du Tribunal suprême ayant considéré, en motivant sa décision et conformément à sa propre jurisprudence constante et réitérée, que la décision prétendument incohérente citée dans le mémoire exposant les motifs du recours ne se prêtait pas à un débat contradictoire; par conséquent, la décision de la Chambre ne présente aucun défaut du point de vue constitutionnel.».

4.4En ce qui concerne le grief de violation du droit à un débat contradictoire, l’État partie reproduit une partie du texte de l’arrêt du Tribunal constitutionnel relatif au recours en amparo formé par l’auteur: «Une deuxième allégation a trait à une violation du droit fondamental à un débat contradictoire dans le cadre d’une procédure de cassation, le requérant n’ayant pu répondre en amparo à l’avis du ministère public et citant à l’appui de son allégation l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 20 février 1996 (affaire Lobo Machado c. Portugal) […] il convient d’ajouter que les situations sur lesquelles porte l’arrêt en question et celle qui fait l’objet de la controverse actuelle ne présentent pas les similitudes nécessaires pour qu’il en découle des solutions analogues. Ainsi, alors que dans l’affaire examinée par la Cour européenne des droits de l’homme un membre du ministère public a participé aux délibérations lors d’une séance à huis clos, au côté de trois juges et du greffier de l’organe collégial (le Tribunal suprême), ce qui a donné pleine valeur de décision à son intervention, dans la situation examinée par ce tribunal, l’intervention du procureur s’est limitée, conformément à l’article 224 de la loi sur la procédure de règlement des conflits du travail, à la formulation d’un avis sur la recevabilité du pourvoi en cassation. Il convient donc d’en conclure qu’en l’espèce il n’y a pas eu violation du droit à la défense du requérant, puisque dans l’avis en question le procureur se contentait de présenter des arguments en vue de la défense de la légalité et de la sauvegarde de l’intérêt général, dans le droit fil des fonctions que notre Constitution attribue au ministère public. Il est évident que ce type d’avis n’a pas de valeur contraignante pour le juge ni valeur de décision, et qu’on ne peut donc considérer qu’il enfreint d’une quelconque manière le droit fondamental à un débat contradictoire.».

5.1Dans ses commentaires datés du 5 novembre 2004, l’auteur affirme qu’il a perdu son emploi à l’Institut à cause du comportement arbitraire de la Chambre sociale du Tribunal suprême, qui lui a dénié le droit de recevoir le même traitement judiciaire que celui qui avait été accordé dans une affaire analogue. Dans l’affaire que le Tribunal suprême avait tranchée par sa décision du 24 juin 1998, l’employé concerné avait obtenu la reconnaissance de ses droits bien qu’il eût signé le texte ci après: «par la présente liquidation, je déclare avoir perçu tous les émoluments qui me reviennent ou qui pourraient me revenir à l’avenir, sans que je puisse prétendre à une réclamation ou indemnisation ultérieure». L’auteur fait valoir que, dans son cas, il n’a pas été procédé à un examen final alors que le document qu’il avait signé était identique au document susmentionné puisqu’il indiquait: «pour solde de tout compte et prétentions de quelque nature que ce soit […]». Dans les deux cas, les documents détaillaient les sommes versées aux plaignants à différents titres, sans inclure d’indemnité de licenciement. Selon l’auteur, le Tribunal suprême n’a pas procédé à une comparaison objective et raisonnable des deux documents d’annulation de la relation de travail. L’auteur ajoute que dans les deux cas, les documents mettent clairement fin à la relation de travail à l’expiration d’un contrat de travail temporaire, mais que dans l’affaire tranchée par la décision de 1998, le contrat de travail de l’ouvrier demandeur et le reçu pour solde de tout compte sont tous deux considérés comme nuls en raison d’une infraction de l’employeur à la loi sur les contrats temporaires et d’une renonciation invalide de l’employé à ses droits, alors que ses prétentions à lui ont été rejetées.

5.2L’auteur ajoute que ni le Tribunal suprême ni le Tribunal constitutionnel n’ont analysé «concrètement» le fond du problème ni les similitudes et les différences entre les reçus pour solde de tout compte mettant fin à la relation de travail, se contentant de formuler des affirmations d’ordre général. L’auteur cite l’Observation générale no 13 du Comité et ajoute que lorsqu’un tribunal règle deux affaires différemment sans motif suffisant, il passe pour un tribunal arbitraire et injuste qui se prononce au gré de sa fantaisie. Il soutient que l’administration de la justice espagnole en général enfreint les principes énoncés à l’article 14 du Pacte, ce qui résulte à son avis, entre autres raisons, de l’inadéquation des critères de sélection des juges, de l’inefficacité des mécanismes visant à rendre effective la responsabilité des juges et de l’existence d’un esprit corporatiste affirmé. Il ajoute que les tribunaux masquent leurs abus sous un langage trompeur, un manque de rationalité et d’objectivité, la tergiversation et la manipulation des arguments, et indique que selon les meilleurs experts, le Tribunal constitutionnel «ne sert à rien», vu que seul un pourcentage infime des recours en amparo pour violation de droits fondamentaux est examiné au fond.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’affaire Lobo Machado c. Portugal examinée par la Cour européenne des droits de l’homme est différente de son propre cas, l’auteur fait valoir que l’État partie déforme la teneur de l’arrêt. D’après l’auteur, la Cour européenne a établi que «cette circonstance» – c’est-à-dire la non-communication de l’avis du ministère public au requérant et l’impossibilité pour celui‑ci de répondre aux allégations du ministère public contestant la recevabilité de son recours – «constitue en soi une violation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme». L’auteur ajoute que l’État partie a «manipulé» la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui constitue à son sens une violation supplémentaire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité constate en outre que l’État partie n’a pas objecté que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés et décide, par conséquent, qu’il n’existe aucun obstacle à l’examen de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la décision du Tribunal suprême relative au pourvoi en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence était arbitraire étant donné que des situations de fait identiques ont abouti à des décisions très différentes. Le Comité considère que cette allégation porte essentiellement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux espagnols. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte pour pouvoir affirmer qu’il y a eu en l’espèce arbitraire ou déni de justice et estime par conséquent que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité fait observer que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’oblige pas les États parties à offrir des recours contre les décisions portant sur des droits et obligations de caractère civil. Cependant, il considère que si un État partie offre ce type de recours judiciaires, les procédures doivent respecter les garanties d’un procès équitable implicitement contenues dans ladite disposition. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le principe du procès équitable au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte comporte, entre autres éléments, le respect des principes de l’égalité des moyens et du débat contradictoire. Le Comité relève que l’auteur indique que lorsqu’il s’est pourvu en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence, l’avis que le ministère public a émis contre son recours n’a pas été porté à sa connaissance, ce qui l’a empêché d’y répondre. Il note également que, selon l’auteur, sa plainte est identique à celle à laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a fait droit dans l’affaire Lobo Machado c. Portugal. Le Comité constate toutefois que l’auteur n’a pas contesté devant le Tribunal suprême l’intervention du ministère public, qu’en l’espèce celui‑ci n’a pas agi en qualité de partie à la procédure mais pour la défense de la légalité et la sauvegarde de l’intérêt général, que l’avis du ministère public ne s’imposait pas au Tribunal suprême, que rien dans la décision de ce tribunal n’indique que l’avis du ministère public ait eu une influence et qu’à la différence du précédent invoqué par l’auteur, le ministère public n’a pas participé aux délibérations du Tribunal suprême. Le Comité constate en outre que la procédure à suivre pour obtenir l’avis du ministère public est définie à l’article 224 de la loi sur la procédure de règlement des conflits du travail. Rien dans les informations fournies au Comité n’indique que des obstacles juridiques empêchent la partie au pourvoi d’avoir accès à cet avis. En l’espèce, rien n’indique que l’auteur ait tenté de connaître le contenu de l’avis avant que le Tribunal suprême ne décide de l’irrecevabilité du pourvoi, ni qu’il ait saisi celui-ci d’une plainte concernant l’impossibilité d’avoir accès à cet avis. Le Comité estime que l’auteur a eu la possibilité de présenter ses allégations concernant la recevabilité du pourvoi en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence et que lors de la procédure, il a eu également toute latitude pour faire valoir ses arguments. En conséquence, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief, aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

P. Communication n o  1212/2003, Lanzarote c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

María Concepción Lanzarote Sánchez, María del Pilar Lanzarote Sánchez et Ángel Raúl Lanzarote Sánchez (représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

7 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet: Valeur probante accordée à des attestations et refus d’accepter des copies certifiées conformes d’un document; impartialité du tribunal

Questions de procédure: Griefs de violation insuffisamment étayés

Questions de fond: Égalité de traitement devant les tribunaux; égalité des moyens, impartialité du tribunal

Article du Pacte: 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, datée du 7 septembre 2001, sont María Concepción Lanzarote Sánchez, María del Pilar Lanzarote Sánchez et Ángel Raúl Lanzarote Sánchez, de nationalité espagnole. Ils se déclarent victimes de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1Le 25 janvier 1985, M. Lanzarote, père des auteurs, a déposé une demande d’inscription sur le Registre des demandes créé par la loi no 37/1984, relative à la reconnaissance de droits et de services aux membres des forces armées pendant la guerre civile d’Espagne. La demande, adressée au Directeur général des dépenses de personnel à Madrid, avait été signée par M. Lanzarote le 19 décembre 1984. Ne recevant pas de réponse, M. Lanzarote avait renouvelé sa demande par lettre recommandée datée du 21 avril 1985.

2.2Par une décision du 23 avril 1997, la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions publiques du Ministère de l’économie et des finances a reconnu à M. Lanzarote les droits découlant de la loi no 37/1984, en tant qu’ancien commandant de l’aviation, qui allait prendre sa retraite au 31 mai 1997, et lui a accordé une pension équivalant à 90 % de son salaire, à compter du 1er février 1997, premier jour du mois suivant le mois de la demande prise en considération, datée du 7 janvier 1997.

2.3M. Lanzarote a formé un recours auprès de la Direction générale des dépenses de personnel du Ministère de l’économie et des finances afin d’obtenir la pension à partir de la date à laquelle il avait fait la demande initiale, c’est‑à‑dire le 25 janvier 1985. Avant de se prononcer, la Direction générale a demandé à M. Lanzarote de lui faire parvenir une copie certifiée conforme de la demande de janvier 1985, ce qu’il a fait. Le 17 juillet 1997, la Direction générale des dépenses de personnel du Ministère de l’économie et des finances a rejeté le recours. D’après les auteurs, la Direction générale n’a pas reconnu la validité de la copie certifiée conforme de la demande de janvier 1985 alors qu’elle avait été authentifiée par le Ministère de l’économie et des finances lui‑même, en date du 4 septembre 1997 (sic). M. Lanzarote a formé un recours auprès du tribunal économique administratif central, qui l’a débouté en date du 9 février 1999. Le 15 avril 1999 il a attaqué cette décision en formant un recours devant la Chambre administrative de l’Audiencia Nacional.

2.4Avant que l’Audiencia Nacional ait rendu sa décision sur le recours, le père des auteurs est décédé et ses enfants ont trouvé dans ses dossiers une autre copie certifiée conforme (datée du 19 janvier 1994) de la demande de janvier 1985 et l’ont adressée à l’Audiencia Nacional, le 5 juillet 2000. Le 16 octobre 2000, l’Audiencia Nacional a rejeté le recours, estimant que le dépôt de la demande de janvier 1985 n’avait pas été prouvé parce qu’elle disposait d’attestations de la Délégation des finances de Murcie certifiant que les demandes de M. Lanzarote ne figuraient pas sur les registres, élément qui d’après le tribunal ôtait toute validité aux documents «confus» produits par les auteurs. Le tribunal a conclu qu’il fallait appliquer le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les pensionnés et retraités de l’État qui dispose qu’un acte produit ses effets économiques à partir du premier jour du mois suivant le dépôt de la demande et que, dans le cas de M. Lanzarote, la seule demande enregistrée était celle du 7 janvier 1997. Le tribunal a ajouté que c’était aux auteurs qu’il appartenait de prouver l’existence des demandes de janvier et d’avril 1985 et non pas à la partie défenderesse (l’administration) comme eux‑mêmes le faisaient valoir. D’après les auteurs, la décision de l’Audiencia Nacional confère la qualité de preuve irréfragable à une déclaration unilatérale de la partie défenderesse, c’est‑à‑dire aux attestations de la Délégation des finances de Murcie. De plus, d’après les auteurs, le jugement est muet sur la deuxième copie certifiée conforme. Le 21 novembre 2000, les auteurs ont formé un recours en nullité contre la décision de l’Audiencia Nacional, en faisant valoir que la copie certifiée conforme de 1994 n’avait pas été prise en considération. L’Audiencia Nacional a rejeté l’incident de nullité, le 23 janvier 2001, affirmant qu’au contraire elle avait examiné attentivement ce document mais qu’elle ne lui avait pas accordé de valeur probante face à l’attestation négative de la Délégation des finances de Murcie.

2.5En novembre 2000, les auteurs ont formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Ils faisaient valoir que: i) l’Audiencia Nacional avait arbitrairement omis de se prononcer sur la deuxième copie certifiée conforme; ii) le refus de l’Audiencia Nacional d’accorder valeur probante à la copie certifiée conforme était manifestement arbitraire et constituait une violation du droit à l’égalité des moyens en accordant un avantage excessif à l’attestation négative de la Délégation des finances de Murcie. Ils invoquaient la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère qu’il y a violation du droit à l’égalité des moyens quand un crédit exagéré est accordé aux preuves produites par une partie par rapport aux preuves produites par la partie adverse.

2.6En février 2001, les auteurs ont demandé l’extension du recours en amparo contre la décision de l’Audiencia Nacional de janvier 2001, qui avait rejeté l’incident de nullité. Les auteurs mettaient en avant l’arbitraire et le manque d’impartialité de l’Audiencia Nacional. Le 24 avril 2001, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo ainsi que l’extension du recours en amparo. D’après les auteurs, le tribunal n’a pas répondu au grief relatif à l’égalité des moyens et a accusé l’avocat des demandeurs d’avoir présenté leurs griefs de façon confuse. Deux des trois magistrats qui composaient la chambre du Tribunal constitutionnel saisie du recours en amparo avaient fait l’objet, dans une autre affaire, d’une action engagée par l’avocat des auteurs et, malgré cela, ils n’avaient pas été dessaisis du recours. En ce qui concerne l’incident de nullité, le tribunal a considéré qu’il ne pouvait pas examiner la demande de nullité étant donné que la loi qui régissait cette action, la loi organique du pouvoir judiciaire, n’était pas applicable au Tribunal constitutionnel.

2.7Il ressort du jugement du Tribunal constitutionnel que celui‑ci a considéré qu’il n’avait pas à examiner les raisons pour lesquelles un organe judiciaire accorde une plus grande crédibilité à une pièce du dossier plutôt qu’à une autre. Il a indiqué que l’Audiencia Nacional avait bien apprécié la valeur de la copie certifiée conforme de 1994 et ne pouvait pas accepter qu’il y ait eu une omission attentatoire au droit à la protection effective de la justice.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir plusieurs violations du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ils affirment que l’égalité de moyens a été violée car l’Audiencia, sans fondement légal, a conféré une valeur probante irréfragable à l’attestation négative de la Délégation des finances de Murcie et n’a accordé aucune valeur probante à deux autres preuves officielles: les copies certifiées conformes. Les auteurs citent un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

3.2Les auteurs indiquent que les arguments retenus par l’Audiencia Nacional dans son jugement et dans sa décision sur l’incident de nullité sont «entachés d’un arbitraire notoire» et constituent un «déni de justice». L’Audiencia Nacional méconnaît sans justification la valeur probante des copies certifiées conformes qui étaient des documents officiels.

3.3D’après les auteurs, l’Audiencia Nacional a manqué d’impartialité et n’a pas agi dans le cadre de sa compétence en donnant la primauté à la preuve apportée par l’administration, qui était la partie défenderesse, et non pas à la preuve des demandeurs, bien que celle‑ci consistât en documents officiels. D’après eux, l’attestation négative de la Délégation des finances qui affirme que la requête de 1985 n’a pas été inscrite au Registre des demandes prouve seulement qu’elle a été égarée ou perdue à cause de la mauvaise organisation du service administratif.

3.4Les auteurs font valoir que le Tribunal constitutionnel n’a pas tranché la question relative à l’égalité de moyens, a accusé sans fondement l’avocat des auteurs d’avoir présenté les griefs de façon confuse dans le recours en amparo et n’a pas affirmé à bon droit qu’il ne pouvait pas accepter l’incident de nullité du fait que la loi organique du pouvoir judiciaire n’était pas applicable au Tribunal constitutionnel; en effet, dans d’autres affaires antérieures, il avait bien appliqué cette loi. Les auteurs ajoutent que le Tribunal constitutionnel n’était pas impartial parce que deux magistrats qui avaient fait l’objet, dans une autre affaire, d’une action engagée par l’avocat des auteurs ne s’étaient pas récusés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires des auteurs

4.1Dans une note datée du 7 janvier 2004, l’État partie affirme que la communication représente un abus du droit de plainte et n’a pas le moindre fondement, car les auteurs cherchent à utiliser le mécanisme mis en place par le Pacte pour obtenir l’examen d’une situation qui a déjà été suffisamment examinée, sans le moindre arbitraire, et qui a été tranchée dans le respect de toutes les garanties. Les auteurs ont pu saisir la justice à plusieurs reprises, ils ont obtenu des décisions dûment motivées dans lesquelles les organes juridictionnels ont répondu point par point à leurs griefs. D’après l’État partie, la seule question que les auteurs soulèvent porte sur l’appréciation de la preuve produite pour déterminer la date à laquelle leur père pouvait avoir soumis à l’administration une requête déterminée et il n’appartient pas au Comité de se substituer aux organes juridictionnels internes. L’État partie rappelle que les auteurs n’ont pas apporté aux tribunaux ni au Comité l’original de la copie certifiée conforme de janvier 1994.

4.2Dans une note du 27 mai 2004, l’État partie affirme que les tribunaux espagnols ont respecté le principe de l’égalité des moyens pendant toute la procédure. En ce qui concerne les documents produits par les auteurs, il précise ce qui suit:

a)Les auteurs n’ont jamais fourni aux juridictions internes ni au Comité l’original du document supposé être daté du 25 janvier 1985;

b)Il ressort de la documentation produite par les auteurs que le document supposé est une photocopie quasiment illisible, portant un tampon sur lequel on ne distingue qu’une date (25 janvier 1985) qui est en surimpression par rapport à un autre impossible à identifier;

c)D’après les auteurs, il existe une copie certifiée conforme à l’original qui porte la date du 4 septembre 1997; or la pièce produite par les auteurs consiste seulement en une lettre d’accompagnement, datée du 4 septembre 1997, adressée par le père des auteurs à la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions de l’État, signalant qu’une copie certifiée conforme est jointe, mais dans la documentation il n’y a aucune trace de cette copie: il n’y a que la lettre d’accompagnement qui y fait référence;

d)Dans le document dont les auteurs disent qu’il s’agit de la copie certifiée conforme qu’ils ont trouvée dans les papiers de leur père figurent dans la marge inférieure droite les mots «copie au verso»; or cette copie n’a jamais été remise à l’État partie;

e)Le document qui d’après les auteurs est daté du 4 septembre 1997 est postérieur à la décision de la Direction générale des dépenses de personnel et des pensions de l’État du Ministère de l’économie et des finances, rendue le 23 avril 1997, qui reconnaît le droit à pension du père des auteurs, avec effet au 1er février 1997;

f)Quand le Tribunal économique administratif central a demandé à M. Lanzarote, le 22 octobre 1998, de lui faire parvenir l’original de la demande du 25 janvier 1985, M. Lanzarote a répondu qu’il ne pouvait pas «apporter l’original parce que la mallette en cuir noir dans laquelle il se trouvait, avec d’autres documents, avait été dérobée lors du vol avec menaces dont il avait été victime le 5 septembre 1997, aux alentours de 22 h 30, dans la localité de Villalba». La première fois que M. Lanzarote avait été prié de produire l’original de sa demande, il avait envoyé une prétendue copie délivrée par un organe administratif qui n’a rien à voir avec l’affaire en question (le Bureau du cadastre) et non pas l’original qu’il aurait dû produire; comme suite de la deuxième demande dans ce sens, il avait joint un certificat de la police accusant réception d’une plainte pour le vol d’une mallette, où il n’est pas fait mention du contenu de la mallette volée.

4.3L’État partie souligne que les questions soulevées par les auteurs portent sur la preuve, et qu’il faut donc appliquer la jurisprudence du Comité qui a toujours affirmé que c’était aux juridictions des États parties et non à lui‑même qu’il appartenait d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire déterminée sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. D’après l’État partie, la communication constitue un abus du droit de présenter des communications et est incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.4En ce qui concerne le grief d’atteinte au principe de l’égalité des moyens, l’État partie relève que les auteurs ont eu accès plusieurs fois à la justice, et que les organes juridictionnels internes ont pris de nombreuses décisions relativement à leurs prétentions. Les documents produits par M. Lanzarote et par les auteurs, notamment les copies authentifiées du document original, ont été examinés par les juridictions internes. Le fait que la preuve n’ait pas été appréciée dans un sens favorable aux prétentions des auteurs ne signifie pas qu’elle n’a pas été examinée du tout. L’apparence douteuse des documents mentionnés a conduit la Direction générale des dépenses de personnel comme le Tribunal économique administratif central, l’Audiencia Nacional et le Tribunal constitutionnel à ne pas leur accorder de valeur et à accorder plus de crédit aux attestations négatives indiquant que la demande de 1985 ne figurait pas sur les registres.

4.5D’après l’État partie, le grief des auteurs qui font valoir que la deuxième photocopie certifiée conforme qu’ils avaient trouvée dans les papiers de leur père n’a pas été prise en considération n’est pas exact. Dans les premières phases de la procédure, une copie certifiée conforme datée du 4 septembre 1997 a été produite; mais la Direction générale et le Tribunal économique administratif central ne l’ont pas considérée comme suffisante. Ensuite, les auteurs ont apporté une copie certifiée conforme du document original, datée cette fois du 19 janvier 1994 et l’Audiencia Nacional lui a conféré la même valeur probante qu’à la copie précédemment apportée. Cela ne veut pas dire, comme le souligne le Tribunal constitutionnel dans la décision sur le recours en amparo, que le document ultérieur n’a pas été examiné; cela signifie simplement qu’il n’a pas été considéré comme présentant une force probante suffisante pour invalider la valeur probante des autres preuves, qui tendaient à montrer que le dépôt d’une autre demande, distincte de celle du 7 janvier 1997, n’avait pas été prouvé. Le fait que l’Audiencia Nacional ne cite pas expressément dans son jugement le document produit par les auteurs (la copie de 1994) qui, d’après leurs propres arguments, est identique à la première copie (celle de 1997), ne peut pas être considéré comme une omission qui porte atteinte au principe de l’égalité des moyens.

4.6En ce qui concerne l’argument des auteurs qui affirment qu’il y a eu de toute évidence arbitraire de la part de l’Audiencia Nacional, l’État partie objecte que les auteurs confondent le droit d’avoir accès à la justice et le droit d’apporter des moyens de preuve légitimes pour leur défense d’une part, avec l’obtention d’un jugement favorable par les tribunaux internes d’autre part. Considérer que l’Audiencia Nacional agit arbitrairement quand elle procède à une appréciation des preuves produites parce que le résultat n’est pas celui qui était escompté est contraire à l’esprit du droit à la protection effective de la justice. L’État partie ajoute qu’utiliser le Pacte pour soumettre une question qui a été suffisamment examinée et réglée dans le respect de toutes les garanties constitue un abus du droit de présenter des communications.

4.7Pour ce qui est du droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent et impartial, l’État partie réaffirme qu’il n’est pas vrai que l’Audiencia Provincial ait agi arbitrairement. Les auteurs font valoir que le Tribunal constitutionnel n’a pas statué sur le grief relatif à l’égalité des moyens et l’État partie objecte que ce n’est pas vrai. Le Tribunal constitutionnel a clairement établi qu’il n’y avait eu aucune atteinte aux droits des auteurs ni déni de justice dans l’appréciation de la preuve faite par l’Audiencia, hormis le fait que cette appréciation ne leur avait pas été favorable. D’après l’État partie, il est donc évident que le Tribunal constitutionnel s’est prononcé sur le droit à l’égalité des moyens. En ce qui concerne le fait que le Tribunal constitutionnel a indiqué que les auteurs avaient présenté leurs prétentions de façon confuse dans le recours en amparo, l’État partie objecte que cette appréciation ne peut en aucune manière être considérée comme tendancieuse ou partiale. Pour ce qui est du rejet par le Tribunal constitutionnel de l’incident de nullité soulevé par les auteurs, l’État partie indique que, contrairement à ce que les auteurs affirment, ce type d’incident n’est pas prévu dans la législation procédurale applicable à l’action devant le Tribunal constitutionnel.

4.8En ce qui concerne la partialité alléguée du Tribunal constitutionnel du fait qu’il était composé de deux magistrats contre qui l’avocat des auteurs avait dans une autre affaire engagé une action, l’État partie fait les observations ci‑après: i) le représentant des auteurs relève une impartialité supposée à l’égard de lui‑même et non pas à l’égard des auteurs; ii) l’action contre les magistrats n’a aucun rapport avec l’affaire des auteurs; le représentant des auteurs l’avait déposée dans le cadre d’une affaire où le Tribunal avait rejeté une demande de révision d’une décision par laquelle il n’avait pas admis un recours en amparoformé par cet avocat parce que, bien qu’il eût été sommé de le faire, celui‑ci n’avait pas produit le mandat nécessaire pour agir en justice; iii) il n’avait pas été fait droit à cette demande; iv) la demande contre les magistrats et la décision de rejet sont antérieures à l’introduction du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel; le représentant des auteurs ne peut pas prétendre qu’il ne connaissait pas les magistrats qui allaient participer à l’examen du recours en amparo,à moins d’ignorer absolument tout du fonctionnement des juridictions nationales et de ne pas tenir compte des notifications qui lui ont été faites par la Chambre du Tribunal constitutionnel; v) c’est devant le Comité que le représentant des auteurs soulève cette question pour la première fois, puisqu’il ne l’a jamais soulevée devant les juridictions internes; vi) après le rejet du recours en amparo, le représentant des auteurs aurait pu faire valoir cet élément en montrant qu’il ignorait la composition du tribunal, mais il ne l’a fait à aucun moment. De l’avis de l’État partie, l’impartialité du tribunal doit être examinée dans un sens subjectif et dans un sens objectif. Sur le plan subjectif, rien n’indique que la composition du tribunal ait porté préjudice aux intérêts de l’auteur car s’il en était autrement ce serait admettre que, de l’avis du tribunal, la personne qui représentait les auteurs avait une importance déterminante, question qui n’a en aucune manière été démontrée. L’État partie fait observer que pour apprécier l’impartialité sur le plan objectif il faudrait démontrer certains faits qui autoriseraient à soupçonner le tribunal de partialité. L’État partie souligne à ce sujet que le fond de l’affaire, c’est‑à‑dire l’appréciation des éléments de preuve, a toujours abouti au même résultat dans les jugements de tous les organes qui se sont succédé et que le Tribunal constitutionnel a considéré qu’ils avaient tous agi dans le respect du droit. L’État partie conclut qu’il n’y a pas d’éléments donnant à penser que le Tribunal constitutionnel a agi avec partialité.

5.1Dans leur réponse datée du 31 décembre 2004, les auteurs maintiennent que l’État partie a commis une violation du droit à l’égalité des moyens parce que les tribunaux ont donné une préférence à la preuve soumise par la partie défenderesse, l’administration, en conférant une valeur probante aux attestations de celle‑ci et en refusant de conférer une valeur probante aux deux photocopies certifiées conformes qui, d’après la législation espagnole, ont la même valeur que l’original. Les auteurs citent des décisions de tribunaux espagnols qui ont reconnu à une copie certifiée conforme la même valeur probante que le document original et mentionnent le paragraphe 3 de l’article 8 du décret royal no 772/1999, en vigueur quand l’Audiencia Nacional a rendu son jugement, qui dispose que la photocopie certifiée conforme a la même validité que le document original. Ils ajoutent que la pratique administrative en Espagne reconnaît la validité d’une copie certifiée conforme. La falsification d’une copie certifiée conforme est un délit et, par conséquent, si l’Audencia Nacional avait eu des doutes sur l’authenticité des deux copies certifiées conformes produites, elle aurait dû suspendre l’examen de l’affaire et en référer à la juridiction pénale. L’Audiencia Nacional n’avait pas compétence pour invalider un document auquel la loi confère un caractère officiel. Dans sa décision, le Tribunal constitutionnel a également omis d’indiquer qu’il s’agissait de documents officiels et a «déformé» la nature des documents en considérant qu’il s’agissait de documents privés ou qu’il pouvait apprécier librement. Les auteurs ajoutent que le 23 juillet 1997 le Ministère de l’économie et des finances a demandé le document original ou une copie dûment certifiée conforme de la requête du 25 janvier 1985, ce qui signifie que l’organe administratif lui‑même reconnaissait qu’une copie authentifiée a la même valeur que l’original.

5.2Les auteurs contestent la véracité des observations de l’État partie au sujet des documents qu’ils ont produits (par. 4.2). Par exemple, l’État partie signale que le tampon apposé sur la photocopie certifiée conforme du document original est quasiment illisible, alors que, d’après eux, l’Audiencia Nacional a considéré qu’il était lisible. La copie de janvier 1994 a été certifiée conforme par la Direction générale du cadastre, organe qui fait partie du Ministère de l’économie et des finances et n’est pas, comme l’affirme l’État partie, «un organe administratif qui n’a rien à voir avec l’affaire».

5.3Les auteurs maintiennent que l’Audiencia Nacional a laissé de côté la copie certifiée conforme par la Direction générale du cadastre le 9 janvier 1994, qui a été produite par leur représentant pendant la phase des conclusions, qui venait d’être découverte et avait une importance décisive pour le dossier. D’après les auteurs, cette omission porte atteinte au droit à une procédure équitable.

5.4Les auteurs soulignent que le fait que l’Audiencia Nacional n’ait pas respecté le caractère de document officiel des deux copies certifiées conformes, en considérant qu’il s’agissait de simples documents privés, constitue un arbitraire flagrant, un déni de justice contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le pouvoir d’appréciation des documents par le juge a également des limites qui, dans la présente affaire, ont été dépassées.

5.5D’après les auteurs, en ne conférant pas de valeur probante aux deux copies certifiées conformes, l’Audiencia Nacional a violé le droit de chacun d’être jugé par un tribunal compétent et impartial car elle aurait dû savoir qu’elle n’était pas compétente pour connaître de la falsification supposée de documents officiels, affaire qui relève de la compétence des juridictions pénales.

5.6Les auteurs indiquent qu’ils n’ont appris l’identité de trois membres de la Chambre du Tribunal constitutionnel qui s’est prononcée sur le recours en amparo qu’une fois qu’ils ont été notifiés de la décision de ne pas faire droit au recours. Ces trois magistrats avaient fait l’objet d’une action pénale engagée par l’avocat des auteurs pour calomnie parce qu’ils avaient proféré des accusations qualifiées de diffamatoires contre lui dans une décision liée à un recours en amparo formé dans une affaire différente de celle des auteurs. La plainte pour calomnie avait été traitée selon la procédure applicable. Les parties avaient été invitées à une audience de conciliation, et les magistrats avaient comparu à cette audience, représentés par un avocat de l’État. Ces magistrats avaient adressé une plainte contre l’avocat des auteurs du barreau, mais celui‑ci avait refusé d’engager contre lui une action disciplinaire. Même s’il n’y avait pas eu de procès contre les magistrats, ceux‑ci avaient fait l’objet d’une action pénale et ils avaient malgré tout pris part à la décision du Tribunal constitutionnel qui avait rejeté le recours en amparo formé par les auteurs. Ces derniers soulignent que le Tribunal constitutionnel a statué, dans une affaire précédente, qu’en cas d’inimitié entre un avocat et le juge la solution ne réside pas dans le dessaisissement du juge, mais dans la décision de la partie représentée par l’avocat de conserver ou non cet avocat pour assurer sa défense. Les auteurs affirment que le Tribunal constitutionnel ne les a jamais avisés de l’identité des membres du Tribunal qui allaient se prononcer sur le recours en amparo. De plus, certaines expressions utilisées dans la décision sur l’amparo, par exemple la qualification de «confuses» appliquée aux prétentions, révéleraient que les magistrats avaient une prévention. Comme preuve supplémentaire de la partialité du Tribunal constitutionnel, les auteurs ajoutent que dans une certaine affaire le Tribunal suprême a fait droit à une action en responsabilité civile contre 11 des 12 magistrats du Tribunal constitutionnel pour avoir rendu une décision manifestement contraire au droit et que les magistrats concernés avaient formé contre cette décision un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, c’est‑à‑dire auprès d’eux‑mêmes. Ils affirment que le Tribunal constitutionnel rejette près de 97 % des recours en amparo sans examiner le fond des affaires et qu’il ne tient pas compte des décisions du Comité concernant les communications mettant en cause l’État partie relativement au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne le grief tiré du défaut d’accorder une valeur probante à deux photocopies certifiées conformes, le Comité considère que cette allégation porte principalement sur l’appréciation des faits et des preuves menée par les tribunaux espagnols. Il rappelle sa jurisprudence et affirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier ou de réexaminer les faits et les éléments de preuve dans une affaire déterminée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité relève que, quand l’Audiencia Nacional a rejeté l’incident de nullité présenté par les auteurs, elle a indiqué expressément qu’elle avait évalué la valeur probante de la photocopie certifiée conforme du 19 janvier 1994 et avait considéré qu’elle n’en avait pas, et que le Tribunal constitutionnel a rejeté la demande d’extension d’un recours en amparo relatif à la nullité. Il relève également que le Tribunal constitutionnel a estimé que l’Audiencia Nacional avait bien apprécié le document produit par les auteurs et n’avait pas considéré qu’il y avait eu une irrégularité dans l’appréciation de la preuve faite par l’Audiencia ni déni de justice. Le Comité estime donc que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs pour qu’il puisse être affirmé qu’en l’espèce la procédure a été entachée d’arbitraire ou a représenté un déni de justice et conclut que la partie de la communication concernant une violation du principe de l’égalité des moyens et l’arbitraire de la décision de l’Audiencia Nacional est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne le manque d’impartialité du Tribunal constitutionnel, le Comité relève que la deuxième Chambre du Tribunal constitutionnel a rejeté en avril 2000 un recours formé par l’avocat des auteurs concernant une autre affaire dans laquelle un recours en amparo introduit par le même avocat avait été rejeté parce que celui‑ci n’avait pas respecté l’obligation faite par la loi de désigner un avoué devant les tribunaux. La Chambre a relevé que par son comportement l’avocat avait consciemment compromis les droits de la personne qui lui avait confié sa défense et a ordonné qu’une copie des actes soit adressée au barreau de Murcie pour qu’il soit pris note du comportement professionnel de l’avocat des auteurs. Le Comité note aussi que les auteurs ont dit que, si leur avocat avait effectivement déposé une plainte pénale contre les magistrats de la deuxième Chambre pour leurs déclarations prétendument diffamatoires, cette plainte a été retirée. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité de la communication, en quoi la décision adoptée par les magistrats de la deuxième Chambre et les circonstances ultérieures qui ont donné lieu à une plainte pénale retirée ont pu compromettre l’impartialité du tribunal qui s’est prononcé sur le recours en amparo et la demande d’extension du recours introduits par les auteurs. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Q. Communication n o  1228/2003, Lemercier c. France (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

Michel Lemercier, décédé, et son fils Jérôme Lemercier (représentés par un conseil)

Au nom de:

Michel Lemercier

État partie:

France

Date de la communication:

15 avril 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Durée de la peine d’emprisonnement

Questions de procédure: Réserve de l’État partie

Questions de fond: Non‑rétroactivité de la loi pénale

Article du Pacte: 15 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 15 avril 2003, était à l’origine Michel Lemercier, de nationalité française. Il est décédé le 8 mai 2004, mais son fils, Jérôme Lemercier, a déclaré vouloir maintenir la communication. L’auteur se déclarait victime d’une violation par la France du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la France le 17 mai 1984.

Rappel des faits

2.1Le 23 février 1996, la cour d’assises du Rhône a déclaré l’auteur coupable de vols et tentatives de vols avec arme, commis en bande organisée, avec violences, d’arrestations et séquestrations de personnes et diverses infractions connexes, faits perpétrés de 1985 à 1990. Elle l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 18 ans.

2.2Le 26 février 1996, l’auteur s’est pourvu en cassation. Par arrêt du 5 février 1997, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé la peine de réclusion à perpétuité, reconnue «sans fondement légal». En effet, l’article 112‑1 du nouveau Code pénal (dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er mars 1994) prévoit que:

Les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes;

La Cour de cassation a estimé que l’auteur avait été condamné par la cour d’assises du Rhône à une peine de réclusion à perpétuité pour faits de vol précédé, accompagné ou suivi de violences ayant entraîné la mort sur la base de l’article 311‑10 du nouveau Code pénal. Cependant, cette peine était plus sévère que celle fixée par l’article 384 de l’ancien Code pénal prévoyant une réclusion criminelle de 10 à 20 ans. Par contre, la Cour de cassation a rappelé que l’auteur avait aussi été déclaré coupable de vols commis avec arme et a retenu les circonstances aggravantes de «commission de l’infraction en bande organisée», condamnant ainsi l’auteur à 30 ans de réclusion criminelle, tel que prévu par l’article 311‑9 du nouveau Code pénal.

2.3Le 28 mai 1999, l’auteur a saisi le Procureur général près la cour d’appel de Lyon d’une demande tendant à ce que la peine maximale applicable en vertu de l’ancien Code pénal en vigueur au moment des faits soit de 20 ans et non de 30 ans. Par arrêt du 14 décembre 1999, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon a déclaré la requête irrecevable, estimant qu’il s’agissait d’une simple remise en cause du fond de la décision de condamnation prononcée par la cour d’assises telle qu’elle résulte des deux arrêts précités des 23 février 1996 et 5 février 1997.

2.4L’auteur a formé deux pourvois contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon, datant respectivement des 17 et 31 décembre 1999. Le 26 septembre 2000, statuant sur les pourvois de l’auteur, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le premier pourvoi au motif que l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1997 ne comportait aucune erreur matérielle. Elle a déclaré le second pourvoi irrecevable car l’auteur avait épuisé le droit de se pourvoir contre l’arrêt attaqué du fait du premier pourvoi.

2.5L’auteur a présenté une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme laquelle l’a déclarée irrecevable, le 24 juin 2002, pour introduction tardive de la requête.

2.6Le 28 août 2003, l’auteur a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom d’une nouvelle demande de rectification de l’erreur matérielle contenue dans l’arrêt de la cour d’assises. Par arrêt du 17 février 2004, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom a dit n’y avoir lieu à la réduction de la peine de sûreté, et s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de rectification d’erreur matérielle.

Teneur de la plainte

3.L’auteur soutient que l’objectif de ses recours n’était pas de remettre en cause les faits et la sanction prononcée à son encontre, mais la durée de la peine légalement prévue au moment des faits, à savoir, 20 ans de réclusion criminelle selon l’ancien article 384 du Code pénal. Il constate que la peine de 30 ans de réclusion criminelle retenue par la Cour de cassation en application de l’article 311‑9 du nouveau Code pénal est sans fondement légal puisque les circonstances aggravantes n’ont jamais été invoquées dans l’arrêt de renvoi du 16 mai 1995 et ne pouvaient donc pas l’être lors de l’audience devant la cour d’assises. Il affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Par note verbale du 28 janvier 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il rappelle que s’agissant du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, une réserve a été formulée aux termes de laquelle le Comité n’est pas compétent pour examiner une communication émanant d’un particulier si la même question est en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il constate, en outre, que cette affaire a déjà été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme et conclut qu’elle n’est plus susceptible d’être soumise au Comité, conformément à la jurisprudence du Comité.

4.2L’État partie avance que la réserve sus‑évoquée est parfaitement applicable en l’espèce et que rejeter l’application de la réserve au motif que l’affaire a fait l’objet d’une décision d’irrecevabilité devant la Cour européenne des droits de l’homme pour dépassement du délai de six mois reviendrait à appliquer la réserve aux seules affaires ayant fait l’objet d’un examen au fond. Il rappelle que la réserve mentionne «l’examen» de l’affaire et non l’examen «au fond». Il conclut que la seule lecture raisonnable que l’on peut avoir de la notion «d’examen» de l’affaire au sens de la réserve est un examen quel qu’il soit.

4.3Par note verbale du 27 mai 2004, l’État partie conteste de nouveau la recevabilité de la communication. Il avance, en premier lieu, que la requête est devenue sans objet puisque l’auteur est décédé. En second lieu, il continue à estimer que la requête est irrecevable car elle a déjà été examinée par une autre instance internationale. En dernier lieu, il considère que la requête est également irrecevable car elle a été introduite avant l’épuisement des voies de recours internes. En effet, il note que l’auteur a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom d’une demande de rectification d’erreur matérielle et de mise en liberté. Cette requête ayant été rejetée par l’arrêt du 17 février 2004, l’État partie estime que l’auteur pouvait former un pourvoi en cassation contre cet arrêt et donc que les recours internes n’étaient pas épuisés lors de la saisine du Comité.

4.4Sur le bien‑fondé de la communication, l’État partie conteste toute violation du paragraphe 1 de l’article 15. Il souhaite, en premier lieu, souligner que les principes d’application dans le temps de la loi pénale de fond, qui incrimine un acte et définit les pénalités encourues, en droit français, répondent aux objectifs de cette disposition. Il rappelle qu’en droit pénal français, le principe général est l’application de la loi nouvelle aux faits qui ont été commis postérieurement à son entrée en vigueur. Toutefois, il note que la non‑rétroactivité de la loi pénale ne s’impose que lorsque la loi nouvelle est plus sévère, et qu’en revanche, lorsque la loi nouvelle est plus favorable au délinquant (que la peine issue de la loi nouvelle soit plus douce ou que l’infraction ait été supprimée), elle s’applique même à des faits commis avant son entrée en vigueur. Ces principes sont consacrés dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision 80‑127 DC des 19 et 20 janvier 1981) et expressément confirmés dans l’article 112‑1 du nouveau Code pénal. L’État partie en conclut que les principes d’application dans le temps de la loi pénale de fond en droit français répondent donc aux exigences posées par le paragraphe 1 de l’article 15.

4.5En second lieu, l’État partie soutient qu’en l’espèce, aucune violation du paragraphe 1 de l’article 15 n’a été commise. Il estime que la peine prononcée à l’encontre que l’auteur l’a été dans le respect des textes applicables aux infractions retenues contre lui. Il rappelle que l’auteur a été déclaré coupable, le 23 février 1996, par la cour d’assises du Rhône, de vols et tentatives de vols avec arme, commis en bande organisée, avec violences − l’un d’eux ayant entraîné la mort de deux victimes − de recel qualifié, d’arrestation et séquestration illégales de personnes, de violences avec armes, faits perpétrés de 1985 à 1990. Il rappelle qu’en cas de concours d’infractions, la peine la plus haute peut être prononcée selon l’article 132‑3 du nouveau Code pénal. Il conclut ainsi que l’auteur encourait bien, sous l’empire du nouveau Code pénal, la peine la plus élevée de 30 ans de réclusion criminelle, puisque l’infraction de séquestration en vue de commettre un crime, puni antérieurement de la réclusion criminelle à perpétuité, était sanctionnée d’une peine de 30 ans de réclusion criminelle. Selon l’État partie, la Cour de cassation a fait une application correcte des règles de rétroactivité de la loi pénale plus douce et de cumul des peines retenant la peine de 30 ans de réclusion criminelle pour l’auteur. Il estime qu’en prétendant qu’il aurait fallu le condamner à la réclusion criminelle de 10 à 20 ans prévus, l’auteur omet de préciser que la cour d’assises l’a également reconnu coupable de séquestration pour faciliter la commission de vol en bande organisée avec armes. Ainsi, le grief formulé par l’auteur se résume à contester le fait que lui ait été imposée la peine la plus haute (30 ans) prévue pour l’une des infractions pour lesquelles il a été condamné, ce que l’article 132‑3 du nouveau Code pénal permettait à la juridiction compétente de faire. Par conséquent, l’État partie considère que la communication devrait, en tout état de cause, être déclarée mal fondée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 6 octobre 2004, le fils de l’auteur note que, par courrier en date du 15 juin 2004, il a expressément autorisé le conseil à poursuivre la procédure en cours. Concernant l’argument de l’État partie sur le non‑épuisement des voies de recours internes, le fils de l’auteur rappelle que son père fut condamné par arrêt définitif de la cour d’assises, et qu’il a ensuite saisi la Direction du Centre de détention de Riom, puis la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom qui rejeta sa demande le 17 février 2004. Il estime donc que son père a suffisamment attiré l’attention des autorités publiques sur la situation. Quant à l’argument de l’État partie que la communication a été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme et devrait donc être déclarée irrecevable par le Comité pour avoir déjà été examinée, le fils de l’auteur précise que la requête a précédemment été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme parce que l’auteur l’avait saisie tardivement, au‑delà du délai de six mois. Puisque la demande a été rejetée sans que les faits aient été abordés même sommairement par la Cour européenne des droits de l’homme, la déclaration d’irrecevabilité ne peut être assimilée à un examen au sens du Protocole et la communication est parfaitement recevable.

5.2Sur le fond, le fils de l’auteur réitère que la Cour de cassation ne pouvait retenir à l’encontre de son père la circonstance aggravante de commission des faits en bande organisée dans la mesure où l’ancien Code pénal ne prévoyait pas cette circonstance aggravante qui fut introduite avec le nouveau Code pénal (art. 224‑3), soit postérieurement aux faits. Il réaffirme également que les circonstances aggravantes ne pouvaient être légalement retenues contre l’auteur dans la mesure où ces circonstances n’ont jamais été évoquées par l’arrêt de renvoi et ne pouvaient donc pas l’être devant la cour d’assises. Par conséquent, la sanction encourue ne pouvait donc être qu’une peine de réclusion de 20 ans et non 30 ans comme fixé par la Cour de cassation et il y a donc eu manifestement une violation du paragraphe 1 de l’article 15.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Concernant le décès de l’auteur, le Comité rappelle que les descendants de l’auteur peuvent décider de continuer la communication lorsque l’auteur est décédé. Il note que le fils de l’auteur a expressément indiqué qu’il souhaitait poursuivre la procédure devant le Comité et a fourni la preuve de son lien de filiation avec l’auteur. Le Comité fait observer qu’il se peut qu’il revienne sur la question de savoir quelles sont les demandes d’un demandeur qui ne s’éteignent pas à son décès, rien en l’espèce ne l’empêche d’examiner la recevabilité de la demande.

6.3Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté qu’une plainte similaire déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable, parce que la requête avait été introduite tardivement par la Cour européenne des droits de l’homme le 24 juin 2002 (requête no 51051/99). Il rappelle, en outre, qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité «n’a pas compétence pour examiner une communication d’un particulier si la même question est examinée ou a déjà été examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement». Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la notion «d’examen» de l’affaire au sens de la réserve est un examen quel qu’il soit. Cependant, une telle interprétation de la notion «d’examen» de l’affaire ne peut être partagée par le Comité puisqu’elle reviendrait à appliquer la réserve de l’État partie à toute communication qui aurait été envoyée à la Cour européenne des droits de l’homme et aurait fait l’objet d’une réponse de sa part, quelle qu’elle soit. Le Comité constate que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas examiné l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5, dans la mesure où sa décision portait uniquement sur une question de procédure. En conséquence, il n’existe aucun obstacle au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, tel que modifié par la réserve de l’État partie.

6.4Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie soutenant que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes lors de la saisine du Comité et qu’il a continué ensuite à exercer les voies de recours internes non encore épuisées. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle la question de l’épuisement des voies de recours internes est décidée au moment de son examen par le Comité, sauf circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas pour la présente communication. Il note que l’auteur a entrepris tout ce qui était raisonnable pour contester la durée de sa peine d’emprisonnement, notamment devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Par conséquent, le Comité estime que les voies de recours internes ont été épuisées.

6.5Eu égard au grief de violation du paragraphe 1 de l’article 15, le Comité souscrit aux arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas reçu une peine plus sévère que celle qui était applicable, au moment des faits, aux actes constituant les infractions pour lesquelles il a été condamné. Dès lors, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé sa plainte aux fins de recevabilité et que celle‑ci est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au fils de l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

R. Communication n o  1229/2003, Dumont de Chassart c. Italie (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Noel Léopold Dumont de Chassart (représenté par un conseil, le Studio Legale Associato de Montis, lors de la lettre initiale)

Au nom de:

Noel Léopold Dumont de Chassart

État partie:

Italie

Date de la communication:

25 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Objet: Droit à la protection de la famille par l’État

Questions de procédure: Allégations non étayées; article 1 du Protocole facultatif; article 3 du Protocole facultatif

Questions de fond: Recours utile − Immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée, la famille et le domicile − Droit à la protection de la famille par l’État − Dispositions prises afin d’assurer la protection nécessaire aux enfants

Articles du Pacte: 2 (par. 1 et 3 a) et c)), 17, 23 (par. 1 et 4) et 24 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif: 1, 2 et 3

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur est M. Noel Léopold Dumont de Chassart, citoyen belge né le 20 juin 1942 à Uccle (Belgique), résidant actuellement en Italie. Il se déclare victime de violations par l’Italie des articles 2, paragraphes 1 et 3 a) et c), 17, 23, paragraphes 1 et 4, et de l’article 24, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur était représenté par le Studio Legale Associato de Montis, à Cagliari, Italie, lors de la communication initiale. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’Italie, le 30 avril 1976 et le 15 septembre 1978, respectivement.

Rappel des faits

2.1Le 27 octobre 1998, la femme de l’auteur, d’origine autrichienne, s’adresse aux tribunaux italiens où ils résident pour une séparation de corps d’avec son époux. Le 2 mars 1999, le Tribunal civil de Cagliari prononce la séparation, confie temporairement la garde des trois enfants du couple à la mère, et réglemente le droit de visite et de garde de l’auteur. La décision oblige également les deux parents à prendre toute décision d’intérêt majeur pour les enfants de manière consensuelle. D’après l’auteur et l’État partie, ceci équivaut à une interdiction de quitter le territoire italien pendant la procédure. Le 25 mars 1999 l’auteur dépose un recours devant le Tribunal précité se plaignant des difficultés considérables qu’il a pour maintenir une relation avec ses enfants, en raison du «comportement obstructionniste» de la mère. Le 9 juin 1999, la mère quitte l’Italie pour l’Autriche avec les trois enfants, alors âgés de 11, 8 et 5 ans, et ceci d’après l’auteur malgré son intervention auprès de la gendarmerie locale. Le 6 août 1999, le juge d’instruction modifie les mesures provisoires de garde des enfants, et les confie à l’auteur, tout en ordonnant le retour immédiat des enfants en Italie. Il retient que la mère a violé les dispositions du Tribunal du 2 mars 1999, en particulier en ce qui concerne l’obligation des parents d’adopter de manière consensuelle les décisions d’intérêt majeur pour les enfants, ce qui n’a pas été le cas pour l’intervention médicale sur un des enfants et le transfert des enfants vers l’étranger. D’après l’auteur, le Tribunal lui suggère d’attendre un délai raisonnable pour l’exécution de cette demande. Entre le 3 et 12 août 1999, la mère serait revenue au domicile de l’auteur et l’aurait saccagé. L’auteur indique que la gendarmerie n’a pris aucune disposition à ce sujet malgré sa demande d’intervention, et rejeta la plainte de cambriolage.

2.2Le 2 novembre 1999, considérant le délai raisonnable dépassé, le Tribunal civil de Cagliari confirme la garde des enfants à l’auteur, lui attribuant l’exercice effectif de l’autorité parentale. Le Tribunal intime une nouvelle fois le retour immédiat des enfants en Italie et retient que la mère des enfants a violé l’article 574 du Code pénal sur les enlèvements de mineurs. En vertu de cette mesure, l’auteur dépose près l’Autorité centrale italienne, d’après lui le 24 septembre 1999 et d’après l’État partie le 22 novembre 1999, une demande pour la restitution de la part de l’Autriche des trois enfants, au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980. Le 21 janvier 2000, le Tribunal de district de Langenlois (Autriche) rejette la demande de restitution sur la base des articles 3, 5 et 13 de la Convention de La Haye: a) la mère était la gardienne exclusive des enfants au moment de l’enlèvement présumé; b) les trois mineurs s’opposent à leur retour en Italie; et enfin c) l’aîné des trois enfants aurait pu subir des dommages physiques à son retour en Italie car il suivait une thérapie en Autriche dans un établissement spécialisé. Le rejet de la demande de restitution est confirmé par la cour d’appel de Krems/Donau (Autriche) le 4 avril 2000 et par la Cour de cassation autrichienne le 29 mai 2000. Par la suite, l’auteur dépose une nouvelle requête auprès de l’Autorité centrale italienne visant à la réglementation de la part des autorités judiciaires d’Autriche de son droit de visite, en invoquant la procédure prévue par la Convention de La Haye. Cette demande est acceptée et les tribunaux autrichiens reconnaissent le droit de visite de l’auteur le 11 octobre 2000.

2.3Entre‑temps, en février 2000, le Tribunal des mineurs de Cagliari passe le dossier des enfants aux archives sous prétexte que, les enfants n’étant plus sur le territoire italien, la question n’est plus de son ressort. En mai 2000, l’Autorité centrale italienne dépose la demande d’exequatur et restitution des mineurs, conformément à la Convention de Luxembourg du 20 mai 1980. La demande est rejetée par l’Autriche en juin 2000. Enfin, le 17 octobre 2000, le Tribunal italien prononce la séparation des époux et confirme ses décisions précédentes. Le Tribunal ouvre un dossier pénal contre la mère pour enlèvement le 5 décembre 2000. Le 30 mars 2001, la cour d’appel de Cagliari (section civile) rejette le recours de la mère contre la décision du 17 octobre 2000 du fait, entre autres, qu’il a été présenté au‑delà des délais prévus par la loi.

2.4L’auteur indique qu’il a adressé à partir du 3 septembre 2001 un courrier abondant au Président de la République italienne, au Président du Conseil des ministres, au Président du Sénat, à la Cour constitutionnelle et à tous les Ministres concernés: justice, intérieur, affaires étrangères, finances, etc., ainsi qu’à la Ligue italienne des droits de l’homme et au Président de la Commission extraordinaire des droits de l’homme. Le 20 avril 2001, le Président de la République italienne se déclare incompétent en la matière. En décembre 2002 et le 20 mars 2003, respectivement, les Ministères de la justice et des affaires étrangères classent le dossier, sous prétexte que les décisions des tribunaux autrichiens sont définitives. L’auteur indique qu’il a également adressé un recours au Médiateur européen au début de l’année 2002, lequel a déposé une question devant le Parlement européen au sujet de la reconnaissance et de l’exécution des dispositifs judiciaires en matière de garde d’enfants. Enfin, une demande d’enquête adressée à la Cour constitutionnelle italienne est restée sans réponse. L’auteur fait valoir qu’au bout de quatre années de requêtes et de parcours d’instances, toutes restées sans réponses ou sans réponses significatives, le seul recours possible est celui devant le Comité car les solutions nationales sont inefficaces et entraînent des délais abusifs au sens de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

2.5L’auteur indique que le refus des Autorités autrichiennes de restituer les enfants a fait l’objet d’une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, contre l’Autriche (no 63933/00 le 2 juin 2000). Cette requête a été déclarée irrecevable le 23 janvier 2004, au motif qu’aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et ses Protocoles n’a pu être relevée.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas garanti la bonne suite des décisions de la magistrature italienne, et a violé les articles 2, paragraphes 1 et 3 a) et c), 17, 23, paragraphes 1 et 4, et l’article 24, paragraphe 1, du Pacte.

3.2Pour l’auteur, l’allégation de violation de l’article 2, paragraphe 3 c), découle de la carence totale de protection des enfants de la part de l’autorité locale de police le jour de l’enlèvement. Cette violation est d’autant plus grave que les appels adressés aux ministres intéressés sont restés sans réponse et effet. De plus, le manque complet de collaboration de la part des autorités compétentes (Ministère de la justice des mineurs et Autorité centrale) pour garantir la bonne suite des décisions de la magistrature soulève une violation. D’après l’auteur, elle est d’autant plus grave que le recours au Ministre de la justice n’a pas eu d’effet car les informations qui lui ont été communiquées par ses services étaient incomplètes et tendancieuses. Le classement aux archives du dossier des enfants par différents organes du Ministère de la justice constituerait également une violation de cet article.

3.3Quant à la violation de l’article 2, paragraphe 1, du Pacte, l’auteur affirme que le fait qu’il ne soit pas de nationalité italienne incite à faire appel à la violation du respect de l’individu en raison de son origine nationale. Cependant, d’après l’auteur, aucun élément ne lui permet toutefois d’invoquer une quelconque violation de cet article, à part le refus de visites consulaires aux enfants enlevés, telles que prévues par le Ministère des affaires étrangères.

3.4Eu égard à la violation de l’article 2, paragraphe 3 a), du Pacte, l’auteur prétend que le refus d’intervention du Ministre de la défense (par le biais du Ministère de l’intérieur) à propos des infractions commises par la gendarmerie locale lors de l’enlèvement constitue une violation de cet article. L’absence de procès‑verbal d’intervention aggraverait cette violation.

3.5En ce qui concerne la violation de l’article 17, paragraphe 1, du Pacte, l’auteur soutient que le refus d’intervention de la gendarmerie lors du cambriolage de son domicile (qui d’après lui avait été interpelée et était présente sur les lieux) par la mère entre le 3 et 12 août 1999 constitue une immixtion arbitraire dans la vie privée et le domicile de l’auteur. De plus, le refus de la magistrature de reconnaître l’illégalité de cette immixtion constitue une violation de l’article 17, paragraphe 2, du Pacte.

3.6Au sujet de la violation de l’article 23 du Pacte, l’auteur relève que sa famille n’a pas été protégée par l’État partie (art. 23, par. 1) dans toutes les situations précitées et dans la dissolution du mariage. Les dispositions prises afin d’assurer aux enfants la protection nécessaire ont fait défaut tant pour éviter leur enlèvement qu’au cours des procédures internationales de restitution (art. 23, par. 2).

3.7Eu égard à la violation de l’article 24, paragraphe 1, du Pacte, l’auteur développe que l’État partie n’a pas fourni les mesures de protection requises par l’article, du fait de son refus de présenter une communication au Comité concernant les nombreuses violations de l’Autriche de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, et son refus d’intervenir dans la procédure ouverte à la Cour européenne des droits de l’homme.

Observations de l’État partie concernant la communication

4.1Par une note verbale du 24 mai 2004, et au sujet de l’allégation de violation de l’article 2, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie indique qu’elle est dépourvue de tout fondement juridique, car les nombreuses initiatives judiciaires et administratives que l’auteur a entreprises contre l’Autriche ont reçu le soutien administratif et juridique nécessaire, conformément aux dispositions des conventions internationales auxquelles l’Italie est partie. En particulier, l’État partie indique que suite à la requête introduite par l’auteur auprès de l’Autorité centrale italienne, les Autorités judiciaires autrichiennes ont reconnu le droit de visite de l’auteur, et ont établi un programme de visite. L’auteur a renoncé à ses visites suite à des engagements professionnels qui ne pouvaient pas être déplacés, et a estimé «ne pas pouvoir accepter un droit de visite sous une stricte surveillance et avec des horaires de fantaisie».

4.2L’État partie expose les faits et indique que le Tribunal a confié temporairement les mineurs à la mère avec interdiction de les emmener hors d’Italie et en réglementant le droit de visite et de garde de l’auteur. Toutefois l’auteur, par un recours déposé le 25 mars 1999, se plaignait des difficultés considérables qu’il avait pour maintenir une relation valable avec ses enfants en raison du prétendu comportement obstructionniste de son épouse et le 11 juin 1999 il signalait que son épouse s’était installée en Autriche en emmenant avec elle les enfants mineurs sans son consentement. De plus, l’État partie explique que l’Autorité centrale italienne a classé l’affaire le 23 novembre 2000, car la demande avait été réglée par les dispositions prises sur le droit de visite de l’auteur en Autriche. Toutefois, l’auteur avait décidé, le 23 mai 2000, de déposer une nouvelle demande, cette fois au sens de la Convention de Luxembourg du 20 mai 1980 en vue de la reconnaissance et de la mise en œuvre dans le système autrichien de la décision du Tribunal de Cagliari du 2 novembre 1999. Cette requête a été dûment transmise à l’Autorité centrale autrichienne, en dépit du dépassement du délai maximal de six mois à partir de l’enlèvement, comme prévu par l’article 8 de la Convention de Luxembourg. La requête a été rejetée le 27 juin 2000 sur la base des articles 8, 9 et 10 de la Convention, dans la mesure où: a) la requête avait été déposée hors délai; b) si la requête était acceptée, l’éventuel retour des enfants en Italie aurait été contre leur intérêt, en raison du temps qu’ils avaient passé en Autriche; et enfin c) accepter la requête aurait été inconciliable avec la décision de la cour d’appel de Krems/Donau du 4 avril 2000. Pour ces raisons, la procédure a été classée par les deux autorités centrales. L’État partie indique que, le 23 novembre 2000, l’auteur a transmis à l’Autorité centrale italienne la décision du Tribunal de Cagliari du 17 octobre 2000 pour qu’elle soit reconnue par l’Autriche. L’État partie explique que la décision du 17 octobre 2000 ne faisait que confirmer la décision du 2 novembre 1999, qui avait déjà fait l’objet d’une décision négative de la part des tribunaux autrichiens.

4.3L’État partie explique qu’il a, à plusieurs reprises, conseillé à l’auteur d’accepter les conditions de visite proposées par les Autorités autrichiennes, et qu’il a chargé le Service social international de fournir à l’auteur une assistance complète pour faciliter les visites. Toutefois, le Service social international a communiqué à l’État partie l’issue essentiellement négative d’une rencontre avec l’auteur, qui ne se préoccupait que du rejet de ses demandes de restitution. De même, une rencontre de l’auteur avec le fonctionnaire préposé de l’Autorité centrale italienne le 30 janvier 2001 a été sans résultat. Ce n’est que le 11 juin 2001, à la demande formelle des Autorités centrales impliquées, que l’auteur déposait auprès de l’Autorité centrale italienne une demande visant à reconnaître son droit de visite sur toute l’année scolaire. Toutefois, bien que la demande fût transmise au Tribunal du district de Langenlois (Autriche) par l’Autorité centrale autrichienne, le 19 juin 2001, aucune mesure n’a été prise par ce tribunal.

4.4Quant à l’allégation que les autorités de l’État partie n’ont pas protégé les mineurs du probable enlèvement par leur mère, l’État partie souligne que le Ministère de l’intérieur et la police des frontières ont adopté toutes les mesures consenties dans ce type de cas, vu que les déplacements entre l’Italie et l’Autriche sont désormais régis par le Traité de Schengen. Cette convention prévoit l’abolition des frontières et donc aucune activité concrète, outres celles normalement effectuées aurait pu être mise en œuvre à la frontière par rapport à une éventuelle interdiction d’expatriation. L’État partie souligne que la décision du Tribunal de Cagliari en établissant une interdiction d’expatriation des mineurs n’a pas chargé la police des frontières de contrôler les frontières, et donc l’activité de vérification restait assujettie au Traité de Schengen. En outre, la décision du Tribunal ne prévoyait aucun contrôle de police continu sur les déplacements de la mère et des enfants. Toute imputation de négligence à la charge de l’État partie est donc à exclure.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans ses commentaires du 20 novembre 2004, l’auteur réitère qu’il n’a pas reçu de soutien administratif et juridique de l’État partie au sujet de la restitution de ses enfants. Il fait valoir que l’État partie aurait dû se soumettre à ses obligations de coopération prévues par les Conventions de La Haye et de Luxembourg. Quant aux visites qui avaient été organisés en Autriche, il explique que pour la première visite, qui devait avoir lieu du 16 au 23 avril 2000, la décision du Tribunal avait été suspendue entre‑temps, la mère ayant fait appel de cette décision. Pour la seconde visite (du 28 juillet au 6 août 2000), l’auteur en a été informé le 14 août 2000 par fax de l’Autorité centrale italienne. Quant à la troisième visite, il en a été informé par fax le même jour alors qu’elle devait se faire du 12 au 19 août. Même s’il avait pu trouver un vol, il n’aurait pu voir ses enfants car la mère avait fait appel de la décision le 11 août. Enfin, l’auteur admet qu’il a refusé son droit de visite du 26 décembre au 1er janvier 2001 car les conditions imposées étaient «inhumaines» et qu’il n’y avait aucune garantie qu’il verrait ses enfants, le règlement des visites étant subordonné au jugement sans appel de la mère.

5.2L’auteur fait valoir que l’État partie aurait dû s’opposer aux décisions de l’Autriche quant à l’application de la Convention de Luxembourg (voir par. 4.2). Premièrement, il est faux que les délais étaient dépassés car selon l’auteur les délais avaient couru à partir du 21 décembre 1999, date à laquelle la mère avait indiqué qu’elle allait renvoyer les enfants à l’auteur. Deuxièmement, quant à l’intérêt des enfants, l’auteur se réfère aux décisions des tribunaux italiens qui indiquent que c’est l’enlèvement et le comportement de la mère qui présentent des risques majeurs. Enfin, ce sont en fait les décisions autrichiennes qui vont à l’encontre des décisions italiennes. L’auteur ajoute qu’il n’a pas reçu d’assistance du Service social international, qui s’est déclaré incompétent, mais admet qu’il avait déclaré ne pas vouloir accepter les droits de visite sous n’importe quelle condition. Il fait référence au rapport du service social autrichien, qui estime qu’un droit de visite de sept jours par an est conforme à l’article 9, paragraphe 3, de la Convention relative aux droits de l’enfant.

5.3Quant à l’argumentation de l’État partie relative au Traité de Schengen, l’auteur fait valoir que ce traité n’a pas aboli les devoirs imposés par la Convention sur les droits de l’enfant ni les principes fondamentaux de la Déclaration universelle relatifs aux devoirs de protéger les enfants. L’auteur souligne que l’État partie ne précise pas que le 9 juin 1999 il a contacté la gendarmerie pour empêcher le départ des enfants, en précisant que le Tribunal s’y opposait. Contrairement aux arguments de l’État partie, l’auteur affirme que toutes les autorités compétentes italiennes, y compris la gendarmerie, sont tenues de faire respecter les décrets des tribunaux, et que le départ des enfants violait l’exercice du droit de visite ainsi que l’obligation de la mère de paraître devant le Tribunal quelques jours plus tard. L’auteur fait valoir, enfin, que le Traité de Schengen prévoit le droit des Autorités d’un état de l’Union européenne de poursuivre les responsables d’enlèvements au‑delà des frontières nationales, et selon ses informations, il n’y avait pas eu de contacts entre les Autorités italiennes et autrichiennes.

5.4Quant à l’article 2, paragraphe 3 a), du Pacte, l’auteur indique que la négligence de la gendarmerie italienne qui a permis l’enlèvement de ses enfants n’a jamais été reconnue par les ministères concernés, lui enlevant toute possibilité d’action de recours. Quant à l’article 2, paragraphe 3 b), du Pacte, l’auteur indique que le Gouvernement n’a donné aucune suite aux décisions de la magistrature italienne. Quant à l’article 23, paragraphe 4, du Pacte, l’auteur s’étonne que le Traité de Schengen suffise à éliminer les dispositions internationales sur la protection des mineurs. Enfin, quant à l’article 24, paragraphe 1, l’auteur soutient que sa nationalité belge et celle des enfants est à l’origine de l’indifférence du Gouvernement italien. L’auteur rappelle que le 7 juin 2004 plusieurs centaines de personnes victimes d’enlèvements d’enfants ont manifesté devant le Ministère des affaires étrangères à Rome pour protester contre l’inertie du Gouvernement italien face à plus de 600 enlèvements d’enfants qui ridiculisent les décisions des tribunaux italiens sur la garde des enfants et violent l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant les commentaires de l’auteur

6.1Le 14 juillet 2005 l’État partie conteste intégralement les circonstances, en droit et en fait, dont l’auteur se plaint dans ses observations additionnelles. Quant à l’allégation que le Gouvernement italien n’aurait pas opposé d’objection au Gouvernement autrichien pour lui faire prendre acte des atteintes aux droits fondamentaux prévus aux termes des Conventions de Luxembourg et de La Haye, l’État partie indique que les griefs énoncés sont dépourvus de tout fondement juridique. Toute initiative judiciaire et administrative entreprise par l’auteur contre l’Autriche a bénéficié du soutien administratif et judiciaire prévu par les Conventions auxquelles l’État partie est partie. Pour ceci, l’État partie se réfère à ses commentaires précédents.

6.2Sur le fond, l’État partie indique que l’auteur admet que la conduite des Autorités italiennes n’a pas lésé directement les droits des mineurs, qui doit être inscrite exclusivement aux décisions du Gouvernement autrichien. Les omissions dont l’État partie est accusé ne constituent pas des situations juridiques faisant l’objet de protection dans le cadre du mécanisme établi par le Pacte et protégé par le Protocole facultatif. Le préambule du Protocole facultatif délimite la protection assurée par le Comité aux droits expressément reconnus par le Pacte.

6.3Quant aux arguments de l’auteur basés sur la Convention des Nations Unies pour la protection de l’enfant, il est clair que le Comité n’est pas compétent à se prononcer à ce propos, en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif.

Réponse de l’auteur

7.Dans sa réponse du 10 octobre 2005, l’auteur réaffirme que l’État partie s’est borné à transmettre ses requêtes à l’Autriche, et n’a pris aucune position quant à l’enlèvement des enfants ou à la protection accordée à la mère par l’Autriche. L’ambassade italienne en Autriche n’a jamais été chargée, tel que prévu par la législation italienne, de s’informer de la situation des enfants enlevés. L’État partie a causé un tort irréparable aux enfants en déclarant par écrit que le sort des enfants était du seul ressort des magistrats autrichiens. Enfin, l’auteur indique qu’il est tout à fait improbable que le Comité ne soit pas en droit de se prononcer sur la violation de droit des mineurs. Quoi qu’il en soit, ses droits de père ont été bafoués car aucune mesure n’a été prise par le Gouvernement italien pour l’exécution des multiples décisions des tribunaux italiens: reconnaissance et exécution des décisions en matière de garde des enfants, rétablissement de la garde des enfants, et retour immédiat des enfants au lieu légal de résidence.

Délibérations sur la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note que l’État partie a soulevé une objection quant à la recevabilité de la partie de la communication qui relève de la Convention des droits de l’enfant en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif. Tout en notant la formulation juridiquement imprécise des réponses de l’État partie, le Comité interprète son objection d’irrecevabilité comme se rapportant à l’ensemble de la communication. Il incombe donc au Comité de déterminer si les critères relatifs à la recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif sont réunis. Aux termes de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité n’est pas habilité à examiner une communication si la même question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité a vérifié que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 2, paragraphe 1, du Pacte, l’auteur affirme que le fait qu’il ne soit pas de nationalité italienne incite à faire appel à la violation du respect de l’individu en raison de son origine nationale. Le Comité note que l’auteur admet qu’il n’a aucune preuve quant à cette allégation de discrimination basée sur sa nationalité et qui concerne la jouissance des droits contenus dans le Pacte. Cette allégation n’a donc pas été étayée aux fins de la recevabilité et est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 24 du Pacte, le Comité note que cette violation aurait dû faire l’objet d’une plainte formulée pour le compte des enfants de l’auteur, mais que la communication n’a pas été présentée en leur nom. Le Comité en conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif.

8.5Quant à la demande de l’auteur que l’État partie initie une action contre l’Autriche devant le Comité, le Comité note que la procédure prévue à l’article 41 du Pacte est totalement distincte de la procédure mise en place par le Protocole facultatif, et que les griefs de l’auteur soulevés à ce sujet sont donc irrecevables comme étant incompatibles avec le Pacte, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6L’auteur se réfère aux obligations de l’État partie découlant de la Convention sur les droits de l’enfant, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Traité de Schengen, ainsi qu’aux Conventions de La Haye et de Luxembourg. En vertu de l’article 1 du Protocole facultatif, qui reconnaît au Comité la compétence de recevoir et déterminer des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, les griefs de l’auteur soulevés à ce sujet sont irrecevables.

8.7Quant à l’allégation de violation de l’article 17 du Pacte en raison du refus d’intervention de la gendarmerie lors du cambriolage du domicile de l’auteur et du refus de la magistrature de reconnaître l’illégalité de cette immixtion, le Comité considère qu’aucune de ces allégations n’a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. En conséquence, les griefs soulevés par l’auteur à ce sujet sont irrecevables, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Quant aux griefs en vertu de l’article 23, le Comité considère que l’auteur n’a pas avancé des informations ou arguments suffisants pour étayer, aux fins de la recevabilité, les allégations qu’il formule au titre de cette disposition. Le Comité décide donc que les griefs soulevés par l’auteur à ce sujet sont irrecevables, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte, et note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus [dans le Pacte] auront été violés disposera d’un recours utile». Le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé ses plaintes aux fins de la recevabilité au titre des articles 17 et 23, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er, 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Rafael Rivas Posada

Le Comité des droits de l’homme a décidé, le 25 juillet 2006, que la communication no 1229/2003 relative à l’affaire Dumont de Chassart c. Italie était irrecevable au motif que les allégations de l’auteur concernant des violations présumées de divers articles du Pacte (par. 1 et 3 a) et c) de l’article 2; art. 17; par. 1 et 4 de l’article 23; et par. 1 de l’article 24) n’étaient pas fondées.

Je me dissocie de la conclusion à laquelle le Comité est parvenu, sauf en ce qui concerne l’article 24 du Pacte car, en effet, la communication n’a pas été présentée au nom des enfants de l’auteur et est de ce fait irrecevable au regard de la teneur de l’article premier du Protocole facultatif.

Les critères de recevabilité à appliquer aux communications soumises au Comité présentent souvent des difficultés d’interprétation plus ou moins grandes. Les uns, comme le fait que les recours internes doivent avoir été épuisés, que la même question ne doit pas être déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que la communication ne doit pas être anonyme, sont assez clairs et explicites et ne soulèvent pas de sérieux problèmes d’interprétation. D’autres en revanche exigent que le Comité applique des règles d’interprétation qui sont généralement sujettes à controverses. Entrent dans cette catégorie le recours abusif au droit de présenter des communications, l’incompatibilité éventuelle avec les dispositions du Pacte et, surtout, l’absence de fondement des allégations, qui sont autant de motifs d’irrecevabilité.

En l’espèce, le Comité, à mon avis, est revenu au recours exagérément fréquent à l’absence de fondement des griefs pour conclure à l’irrecevabilité de la communication. Pour moi, il n’est pas acceptable, lorsqu’un grief ne semble pas, à première vue, constituer une violation des articles du Pacte, d’avancer comme argument qu’il n’est pas fondé aux fins de la recevabilité. Une chose est le fondement juridique au regard des faits, qui doit conduire à l’examen de l’affaire au fond en vue de se prononcer sur une violation, et une autre chose, très différente, est le sérieux et le fondement des demandes, qui sont la condition requise pour que le Comité examine la communication, sans préjuger le fond de l’affaire.

Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du Comité, telle qu’elle figure au paragraphe 8.2 de sa décision, selon laquelle, nonobstant la formulation juridiquement imprécise des réponses de l’État partie, l’objection d’irrecevabilité soulevée par l’État partie en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l’enfant se rapporte à l’ensemble de la communication. Nulle part dans les réponses de l’État partie je ne trouve une réfutation de la recevabilité de la communication. Ce que l’État partie affirme (par. 4.1 de la décision), c’est que l’allégation de l’auteur selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte aurait été violé est dépourvue de tout fondement juridique. Autrement dit, que les faits rapportés par l’auteur ne constituent pas une violation de l’article − ce qui n’est pas du tout affirmer que l’auteur n’a pas étayé ses allégations afin de pouvoir passer à l’examen de la question de savoir si celles‑ci constituent ou non une violation.

L’État partie lui‑même a estimé que les faits allégués par l’auteur étaient suffisamment fondés pour jouer en sa faveur. Loin de considérer que ses griefs étaient dénués de fondement, l’État partie, selon ses propres déclarations, a apporté à l’auteur le soutien administratif et juridique nécessaire «conformément aux dispositions des conventions internationales auxquelles l’Italie est partie» (par. 4.1). À plusieurs reprises, les autorités de l’État partie sont intervenues pour essayer de défendre les intérêts de l’auteur, ce qui montre qu’elles ont toujours pensé que les faits tels qu’ils avaient été présentés méritaient d’être dûment examinés et que seule l’attitude des autorités autrichiennes a empêché que l’auteur puisse bénéficier du traitement auquel il croyait avoir droit.

En résumé, je considère que l’auteur a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité de la communication à propos des articles 2, 17 et 23 du Pacte, sans préjuger l’éventuelle violation desdits articles.

Bogota, le 15 août 2006

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

S. Communication n o  1279/2004, Fa’aaliga c. Nouvelle ‑Zélande (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Moleni Fa’aaliga et Faatupu Fa’aaliga (représentés par un conseil, John Steven Petris)

Au nom de:

Les auteurs et leurs enfants Salom, Blessing et Christos

État partie:

Nouvelle‑Zélande

Date de la communication:

26 février 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion vers le Samoa des parents d’enfants nés en Nouvelle‑Zélande

Questions de procédure: Épuisement des recours internes − Allégations suffisamment étayées aux fins de la recevabilité

Questions de fond: Protection de la cellule familiale − Mesures de protection des mineurs

Articles du Pacte: 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, dont la lettre initiale est datée du 5 février 2004, sont Moleni et Faatupu Fa’aaliga, ressortissants du Samoa nés le 17 octobre 1969 et le 4 février 1972. Ils présentent la communication en leur nom et au nom de leurs enfants, Salom, Blessing et Christos, tous de nationalité néo‑zélandaise et nés respectivement le 4 mai 1996, le 12 juillet 1999 et le 29 septembre 2003. Ils se disent victimes de violations par la Nouvelle‑Zélande des droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 23 et au paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1M. Fa’aaliga est arrivé en Nouvelle‑Zélande le 5 avril 1996 et s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire de trois semaines, à l’expiration duquel il a quitté le pays. Mme Fa’aaliga est venue pour la première fois en Nouvelle‑Zélande plus tard cette même année et a donné naissance peu après à son premier enfant, Salom, qui est devenu de ce fait Néo‑Zélandais. En juillet 1996, à l’expiration de ses permis temporaires, elle est retournée au Samoa, où sa situation ne lui aurait pas permis de subvenir aux besoins de son enfant. À la fin de l’année 1997, Salom a été amené au Samoa. En mai 1999, Mme Fa’aaliga est repartie pour la Nouvelle‑Zélande et a obtenu un permis de séjour temporaire d’un mois. Le 12 juillet 1999, Blessing, son second enfant, naît. En octobre 1999, elle retourne au Samoa avec Blessing. De juillet à novembre 2000, Blessing était de nouveau en Nouvelle‑Zélande.

2.2Le 6 janvier 2002, les parents sont repartis en Nouvelle‑Zélande avec Blessing et ont reçu des permis de touriste d’un mois, délivrés sur la base d’une lettre de l’employeur de M. Fa’aaliga, une banque samoane, déclarant qu’il avait obtenu un congé pour vacances de trois semaines. Le 24 janvier 2002, les parents ont demandé une prolongation de leurs visas de touriste, demande qui a été rejetée au motif que les permis avaient été délivrés pour la durée correspondant au congé accordé par l’employeur de M. Fa’aaliga. Les parents ont alors déclaré qu’ils souhaitaient demander la résidence en Nouvelle‑Zélande et ont été informés qu’ils devaient le faire avant l’expiration de leurs permis, le 6 février 2002. Le 6 février 2002, leurs permis sont venus à expiration, ce qui rendait la présence des parents en Nouvelle‑Zélande illicite et les obligeait à quitter le pays en vertu de la loi.

2.3Le 18 février 2002, les parents ont introduit auprès de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion un recours, en vertu de l’article 47 de la loi sur l’immigration, contre l’obligation de quitter le pays, en invoquant le fait que la présence d’enfants nés en Nouvelle‑Zélande constituait des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier que leurs parents vivent en Nouvelle‑Zélande. Dans ce recours, les parents ont cité et invoqué la décision prise par le Comité dans l’affaire Winata c. Australie.

2.4Le 31 mars 2003, l’Autorité a rejeté le recours. Elle a exposé les motivations du Comité dans l’affaire Winata et reconnu que cette affaire «met[ait] en jeu d’importants principes généraux à prendre en considération, qui trouvent leur application dans les présents recours», mais a considéré que les faits de la cause citée étaient «sensiblement différents». L’Autorité a considéré que la présence d’enfants nés en Nouvelle‑Zélande ne constituait pas, en soi, une circonstance d’ordre humanitaire autorisant les parents à rester. Elle a noté que les parents avaient passé la plus grande partie de leur vie au Samoa, que les enfants étaient relativement jeunes, 3 et 6 ans respectivement, et que leur vie ne serait pas beaucoup bouleversée. Il importait au contraire que les enfants restent avec leurs parents et conservent des liens forts avec la famille proche. Rien n’indiquait que le niveau de vie des enfants au Samoa, même s’il était différent de celui de la Nouvelle‑Zélande, soit insuffisant au point de mettre en danger ou de compromettre leur développement, en contravention de l’article 27 de la Convention relative aux droits de l’enfant. L’aîné, Salom, avait auparavant été confié au frère de sa mère et à la famille de ce dernier, et on ne savait pas de manière certaine si l’enfant était resté dans cette famille. On ne pouvait pas non plus affirmer, étant donné que les parents s’étaient installés tout récemment en Nouvelle‑Zélande, depuis 14 mois seulement, qu’ils étaient très bien établis dans le pays. L’Autorité a indiqué que les parents avaient sept jours pour quitter le pays volontairement, après quoi ils s’exposaient à une notification d’ordonnance d’expulsion (ce qui les empêcherait de revenir dans le pays pendant cinq ans).

2.5Le 12 mai 2003, le conseil des parents a sollicité l’avis du Ministre adjoint de l’immigration sur le point de savoir si leur situation pouvait être considérée comme exceptionnelle et si des permis provisoires pouvaient leur être délivrés. Le 2 septembre 2003, le Ministre adjoint a répondu qu’aucun élément d’information spécifique n’avait été fourni et que les informations étaient insuffisantes pour prendre une décision en connaissance de cause. Il fallait présenter des demandes détaillées et pertinentes. Le 23 septembre 2003, le conseil des parents a présenté une demande plus détaillée de directive spéciale autorisant les parents à rester dans le pays. Le 29 septembre 2003 naît un troisième enfant, Christos, qui quitte la Nouvelle‑Zélande le 16 janvier 2004. Le 11 décembre 2003, ayant examiné les instruments internationaux applicables en l’espèce, le Ministre adjoint a rejeté la demande et observé que, étant en situation irrégulière, les requérants pouvaient se voir notifier une ordonnance d’expulsion.

2.6Le 20 janvier 2004, le conseil des parents a demandé à nouveau une directive spéciale, en joignant des projets de communication au Comité. Dans des lettres du 24 février et 14 juin 2004, le Ministre adjoint a confirmé la décision antérieure, en relevant notamment que le fait de présenter une communication au Comité n’avait pas en soi pour effet de suspendre l’expulsion. Le 21 septembre 2004, Christos est revenu en Nouvelle‑Zélande.

2.7En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs font valoir qu’une décision de l’Autorité n’est susceptible d’appel devant la Haute Cour et cour d’appel que sur un point de droit et non pour un réexamen général du bien‑fondé de la cause. Selon les auteurs, il n’y a pas eu d’erreur de droit commise par l’Autorité, par conséquent il n’existe pas de possibilité d’appel. Pour ce qui est de la décision du Ministre, elle est discrétionnaire et ne peut faire l’objet d’aucun appel devant les tribunaux.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs font valoir que les droits que reconnaissent à tous les membres de la famille le paragraphe 1 de l’article 23 et le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte ont été violés. Ils renvoient à la décision du Comité dans l’affaire Sahid c. Nouvelle ‑Zélande pour faire valoir que les articles en question ont été invoqués à juste titre. En ce qui concerne l’article 23, les auteurs renvoient à une décision de recevabilité rendue par la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire Uppal c. Royaume ‑Uni, dans laquelle la Commission, considérant l’affaire recevable, a estimé que les questions soulevées au titre de l’article 8 de la Convention européenne étaient complexes et ne pouvaient être tranchées que sur le fond. Les auteurs font également valoir que les circonstances exceptionnelles identifiées par le Comité dans l’affaire Winata c. Australie sont réunies en l’espèce, puisque les enfants affectés par la situation sont plus nombreux et que les parents sont pauvres. En ce qui concerne l’article 24, les auteurs font valoir que les enfants sont de nationalité néo‑zélandaise et ont droit aux mêmes mesures de protection que les autres enfants néo‑zélandais. Ils souffrent donc d’une discrimination en vertu du fait que leurs parents ne sont pas de nationalité néo‑zélandaise.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une lettre du 26 octobre 2004, l’État partie a contesté la recevabilité et le bien‑fondé de la communication. Au sujet de la recevabilité, l’État partie affirme que la communication est irrecevable faute pour les auteurs d’avoir épuisé les recours internes et d’avoir suffisamment étayé leurs allégations. L’État partie fait valoir, en citant la jurisprudence nationale, que des pouvoirs conférés par la loi tels que ceux exercés par l’Autorité chargée de l’examen des décisions d’expulsion doivent être exercés conformément aux normes nationales et internationales en matière de droits de l’homme. Le sens à donner à ces obligations, l’approche à adopter et leur mise en balance sont des questions de droit que doivent examiner les magistrats. La jurisprudence du Comité a été mentionnée à l’Autorité chargée de l’examen des décisions d’expulsion et appliquée. Si cet examen avait laissé à désirer ou avait été entaché d’erreur, il pouvait être corrigé au moyen d’un appel devant la Haute Cour et cour d’appel, mais les auteurs n’ont pas suivi cette voie.

4.2L’État partie fait également valoir que la communication est insuffisamment étayée car elle contient seulement des affirmations générales et imprécises concernant l’article 23 et très peu concernant l’article 24. Il relève que le Comité a rejeté des arguments comparables, sur cette base, dans l’affaire Rajan c. Nouvelle ‑Zélande. Outre une simple référence à l’affaire Winata, la communication contient des affirmations très générales qui ne se rapportent pas aux exigences du Pacte du tout, bien que les auteurs soient représentés par un conseil. Aucun élément de preuve n’est produit pour montrer les conséquences réelles qu’aurait, pour la famille, le retour au Samoa, ou l’existence d’une discrimination quelconque dont les enfants souffriraient. Enfin, l’affirmation selon laquelle la situation actuelle de la famille relève des «circonstances exceptionnelles» décrites dans l’affaire Winata ne résiste pas à l’analyse.

4.3L’État partie a ajouté d’autres observations détaillées, quant au fond, sur les raisons pour lesquelles aucune violation du Pacte n’a été découverte.

Commentaires sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre du 14 décembre 2004, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs réitèrent leurs affirmations précédentes. Pour ce qui est d’étayer leurs allégations aux fins de la recevabilité, les auteurs ajoutent que, si les parents doivent retourner au Samoa, ils seraient obligés de décider s’ils doivent laisser certains de leurs enfants ou tous en Nouvelle‑Zélande ou les emmener au Samoa. S’ils retournent au Samoa avec leurs enfants, ils seront dans l’incapacité de leur offrir les possibilités auxquelles les enfants ont droit en tant que citoyens néo‑zélandais. En revanche, si les enfants restent en Nouvelle‑Zélande pour profiter des avantages qu’offre la nationalité néo‑zélandaise sur le plan de l’éducation et sur d’autres plans, les parents seraient alors séparés de leurs enfants. Les auteurs ont également répondu aux observations de l’État partie sur le fond de la communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte présentée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité observe que les auteurs n’ont pas fait appel de la décision de l’Autorité chargée de l’examen des décisions d’expulsion devant la Haute Cour sur un point de droit, les auteurs affirmant que cette question n’a pas été soulevée en l’espèce. Le Comité note toutefois que l’Autorité a examiné sa jurisprudence, en exposant ses motivations dans la communication Winata et concluant que le champ de la décision rendue dans cette affaire n’englobait pas les faits à l’examen en l’espèce. Le Comité observe toutefois que les questions liées à l’interprétation d’une disposition particulière du Pacte ou à l’application d’une certaine interprétation à des faits particuliers soulèvent des questions de droit; en réalité, les auteurs invitent le Comité à déterminer que l’analyse faite par l’Autorité était contraire au Pacte. Le Comité observe que ces points de droit n’ont pas été portés devant la Haute Cour, d’où il résulte qu’il n’y a pas lieu de rechercher en s’adressant au Comité le même résultat qui aurait pu être obtenu devant les tribunaux nationaux. Le Comité note, de surcroît, qu’en ce qui concerne l’utilité de ce recours, dans deux communications précédentes visant l’État partie et touchant des questions soulevées au titre des mêmes articles du Pacte, les auteurs concernés ont fait appel des décisions du tribunal administratif en question devant les juridictions d’appel. Il s’ensuit que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes.

6.3Étant donné cette conclusion, le Comité n’est pas tenu d’examiner les autres arguments de l’État partie.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

T. Communication n o  1283/2004, Calle Savigny c. France (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Adela Calle Savigny (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

France

Date de la communication:

16 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Procédure de divorce et ses conséquences

Questions de procédure: Épuisement des voies de recours internes − Étaiement de la plainte

Questions de fond: Protection du domicile, égalité de droits et de responsabilités des époux lors d’un divorce, protection des enfants en cas de divorce, non‑discrimination

Articles du Pacte: 17, 23 (par. 4), 24 (par. 1) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur est Mme Adela Calle Savigny, de nationalité française et péruvienne, résidant en France. Elle se déclare victime de violations par la France des articles 17, 23, paragraphe 4, 24, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 1er septembre 2004, le Comité, agissant par l’entremise de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé de séparer l’examen de la recevabilité de la communication de celui du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur et Monsieur Jean‑Marc Savigny se sont mariés le 10 octobre 1998 à Feigères (Haute‑Savoie). Le 26 septembre 2000, M. J.‑M. Savigny a déposé une requête en divorce pour faute devant le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Thonon‑les‑Bains. Par ordonnance de non‑conciliation du 15 décembre 2000, le juge a attribué la jouissance gratuite du domicile conjugal à l’auteur jusqu’au prononcé du jugement de divorce et a condamné M. J.‑M. Savigny à payer une pension alimentaire.

2.2Le 5 décembre 2003, l’auteur et son fils (issu d’une autre union) ont été illégalement expulsés du domicile conjugal par M. J.‑M. Savigny. L’auteur est intervenue auprès des autorités, lesquelles ne lui ont accordé aucune protection et réparation.

2.3En octobre 2003, M. J.‑M. Savigny a suspendu le versement de la pension alimentaire, en l’absence de décision du juge. Les interventions de l’auteur auprès des autorités judiciaires sont restées sans effet.

2.4L’auteur déclare avoir subi, depuis le début de la procédure de divorce, une discrimination permanente de la part des autorités ne l’ayant pas soutenue.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son expulsion du domicile conjugal avec son fils sous la contrainte de son ex‑époux, en l’absence d’une décision judiciaire, ainsi que l’inaction des autorités sont contraires aux articles 17 et 24, paragraphe 1, du Pacte.

3.2L’auteur estime que la suspension de versement de la pension alimentaire par son ex‑époux et l’absence d’intervention des autorités judiciaires constituent une violation de l’article 23, paragraphe 4, du Pacte.

3.3L’auteur considère que les discriminations subies de la part des autorités, en particulier en raison de ses origines péruviennes, représentent une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1Dans ses observations du 4 août 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2Au vu des indications parfois approximatives de l’auteur, l’État partie fait un état des procédures concernant le divorce de Mme Calle Savigny et ses conséquences.

4.3Concernant la procédure civile devant le juge aux affaires familiales, selon l’État partie, le 26 septembre 2000, M. J.‑M. Savigny déposait une requête en divorce pour faute devant le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Thonon‑les‑Bains.

4.4Le 15 décembre 2000, le juge rendait une ordonnance de non‑conciliation autorisant notamment les deux époux à résider séparément, attribuant la jouissance gratuite du domicile conjugal à l’auteur jusqu’au prononcé du jugement de divorce et condamnait M. J.‑M. Savigny à payer une pension alimentaire de 6 000 francs par mois.

4.5Le 19 mars 2001, suite à cette ordonnance de non‑conciliation, M. J.‑M. Savigny poursuivant la procédure assignait en divorce son épouse.

4.6Le 22 novembre 2001, statuant contradictoirement et en premier ressort, le juge de la mise en état déboutait M. J.‑M. Savigny d’une demande de diminution de la pension alimentaire. En revanche, le juge considérait que l’auteur ne justifiait d’aucune recherche d’emploi depuis l’ordonnance de non‑conciliation et que «compte tenu de la brièveté de la vie commune, de l’absence d’enfant commun, il n’[était] pas concevable qu’Adela Calle Savigny reste durablement dans la situation actuelle où elle occupe un bien propre du mari et ne vit que de la pension alimentaire qu’il lui verse». En conséquence, ce magistrat jugeait que, passé quatre mois à compter de sa décision, l’auteur n’aurait plus la jouissance gratuite du domicile conjugal.

4.7Après plusieurs échanges de conclusions, le juge aux affaires familiales rouvrait les débats par jugement contradictoire avant dire droit du 24 mars 2003.

4.8Le 6 novembre 2003, le juge aux affaires familiales rendait une ordonnance réputée contradictoire, en premier ressort, dans laquelle il constatait que l’auteur n’avait ni conclu, malgré divers renvois de l’affaire, ni déposé les pièces qui lui avaient été demandées par le jugement avant dire droit du 24 mars 2003. Le juge relevait que l’auteur semblait «trouver profit dans la prolongation de la procédure, dont il y a lieu de souligner que la durée est d’ores et déjà supérieure à la durée de vie commune». Il précisait également que le domicile conjugal n’était plus attribué à l’auteur et ordonnait à celle‑ci de le libérer dans un délai d’un mois à compter de l’ordonnance. Il ordonnait enfin la suspension de la pension alimentaire due par M. J.‑M. Savigny. L’État partie note que l’auteur n’a pas comparu à cette audience, bien que les conclusions de M. J.‑M. Savigny lui aient été régulièrement notifiées.

4.9Par jugement du 12 février 2004, le juge aux affaires familiales, statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononçait le divorce aux torts partagés. Il confirmait l’ordonnance du 6 novembre 2003, en ce que l’auteur, ainsi que tout occupant de son chef, devait libérer de sa personne et de ses biens le domicile conjugal, bien personnel de J.‑M. Savigny. Le juge considérait en outre qu’il n’y avait pas lieu à prestation compensatoire compte tenu de la brièveté de la vie commune et de l’absence de demande de ce chef.

4.10L’auteur était assisté d’un avocat au cours de la procédure devant le juge aux affaires familiales. Elle n’a relevé appel d’aucune de ces décisions.

4.11Concernant les procédures pénales, l’État partie fait état, tout d’abord, de la plainte de l’auteur du 12 décembre 2003. D’après l’État partie, suite à une plainte de l’auteur (portant entre autres sur les conditions dans lesquelles elle avait dû quitter le logement qu’elle occupait avec son fils mineur, sous la contrainte de son mari et sans décision de justice) du 12 décembre 2003 adressée au Procureur de la République de Thonon‑les‑Bains, une enquête a été diligentée par les services de la gendarmerie sur instructions du parquet datées du 19 décembre 2004.

4.12Le 1er mars 2004, la procédure était classée sans suite par le parquet, au vu des circonstances particulières de cette affaire, et notamment au regard du comportement de la victime et des décisions du juge aux affaires familiales concernant l’attribution du domicile en question et relevant la brièveté de la vie commune. Entendu par les gendarmes, le maire de la commune précisa d’ailleurs que la mairie avait prêté un local à l’auteur pour qu’elle y entrepose ses affaires, de même qu’il lui avait proposé de l’aide pour chercher un logement, aide qu’elle avait refusée.

4.13Concernant la plainte pour non‑paiement de pension alimentaire (procédure pénale), d’après l’État partie, contrairement à ce que prétend l’auteur, sa plainte pour non‑paiement de pension alimentaire déposée le 11 septembre 2003, a donné lieu à une enquête des services de gendarmerie. M. J.‑M. Savigny a reconnu ne plus payer cette pension depuis avril 2003 dans la mesure où l’auteur faisait volontairement durer la procédure de divorce. M. J.‑M. Savigny a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour répondre du délit de non‑paiement de pension alimentaire pendant la période au cours de laquelle cette pension était due. L’audience était prévue à la date du 24 septembre 2004.

4.14L’État partie expose ensuite les motifs d’irrecevabilité de la communication.

4.15Eu égard au grief de violation de l’article 26 du Pacte, se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie estime cette partie de la plainte insuffisamment étayée et donc irrecevable. Selon l’État partie, la plainte de l’auteur repose sur de simples affirmations de discriminations par les autorités administratives, sociales et judiciaires, qu’aucun élément précis ne vient soutenir. L’auteur ne démontre nullement en quoi l’article 26 aurait été enfreint.

4.16Eu égard au grief de violation de l’article 17 du Pacte, l’État partie fait valoir que le logement où s’est maintenu l’auteur avec son fils est un bien propre de M. J.‑M. Savigny dont elle n’avait plus la jouissance gratuite, passé quatre mois à compter de l’ordonnance du 22 novembre 2001, ordonnance que l’auteur ne peut prétendre ignorer, puisqu’elle a été rendue contradictoirement. En outre, M. J.‑M. Savigny a précisé, au cours de l’enquête de gendarmerie susmentionnée, que son épouse ne résidait pas régulièrement dans ce logement et que les voisins s’occupaient depuis plusieurs mois du fils de celle‑ci pendant ses absences. Pour sa part, M. J.‑M. Savigny avait quitté le domicile en question dans le courant de l’année 2000, et ne l’a réintégré qu’à compter du 5 décembre 2003, période qui aura été plus longue que la durée de la vie commune. Au total, le domicile litigieux n’étant plus, à la date des faits prononcés (décembre 2003), attribué à l’auteur, cette partie de la communication est infondée et sort du champ d’application ratione materiae du Protocole facultatif.

4.17Au surplus, l’État partie explique que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes.

4.18Eu égard aux griefs de violations des articles 17 et 24, paragraphe 1, du Pacte ayant trait à l’expulsion du domicile conjugal et à ses conséquences, l’État partie rappelle qu’à supposer que le Comité estime l’article 17 applicable, contrairement à ce que prétend l’auteur, sa plainte du 12 décembre 2003 a non seulement fait l’objet d’une enquête, mais a aussi été traitée avec diligence. Le parquet a saisi les gendarmes quelques jours seulement après l’avoir reçue. Les gendarmes ont fait preuve de la même célérité puisqu’ils ont procédé à des investigations dès le mois de janvier 2004. La procédure a certes été classée sans suite. Cependant, l’auteur disposait de voies de recours internes, codifiés, accessibles et effectifs, contre cette décision de classement sans suite: soit en faisant procéder à la citation directe de J.‑M. Savigny devant le tribunal correctionnel, soit en déposant une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction pour les faits exposés dans sa plainte. Sur le versant civil, l’État partie constate que l’auteur n’a interjeté appel d’aucune des décisions rendues en matière de pension alimentaire ou d’attribution du domicile, à l’origine de la violation alléguée des articles 17 et 24, paragraphe 1, que ce soit dans le cadre des mesures provisoires ou dans le cadre du prononcé du divorce, étant précisé que ces procédures étaient contradictoires, et qu’elle était assistée d’un avocat. L’auteur n’a également jamais formulé de demande de protection de son fils mineur devant le juge aux affaires familiales ou un autre juge du siège. Au total, l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours s’agissant de l’article 17 du Pacte (fut‑il applicable) et n’a pas davantage mis les autorités nationales en mesure de remédier à la violation alléguée de l’article 24, paragraphe 1. Les griefs formés sur le domicile ou les mesures de protection de son fils sont donc irrecevables. Au reste, s’agissant de son fils pour lesquels les griefs tirés des articles 17 et 24, paragraphe 1, ne présentent pas de différences substantielles, l’auteur ne caractérise pas en quoi il y aurait réellement eu situation de danger puisqu’elle a été ensuite hébergée avec lui chez des amis.

4.19Eu égard au grief de violation de l’article 23, paragraphe 4, du Pacte, l’État partie rappelle que la loi française prévoit que le juge aux affaires familiales connaît du divorce, de la séparation de corps ainsi que de leurs conséquences tant pour les époux que pour les enfants issus du couple. C’est dans ces conditions qu’une pension alimentaire a, dans un premier temps, été accordée à l’auteur, étant précisé que l’auteur n’a par ailleurs pas sollicité auprès d’aucun juge, des mesures d’ordre financier pour son fils (lequel n’avait du reste pas de lien de parenté avec M. J.‑M. Savigny). L’État partie rappelle que la plainte de l’auteur pour non‑paiement de pension alimentaire déposée le 11 septembre 2003, a donné lieu à une enquête des services de gendarmerie. M. J.‑M. Savigny est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour non‑paiement de pension alimentaire. L’audience est prévue pour le 24 septembre 2004. La procédure est donc en cours. Il en découle que les voies de recours internes ne sont pas épuisées. Cependant, à titre de suivi de cette procédure, le 8 juillet 2005, l’État partie a transmis la décision rendue le 1er décembre 2004 par le Tribunal de grande instance de Thonon‑les‑Bains relativement au non‑paiement de la pension alimentaire. Le Tribunal a déclaré M. J.‑M. Savigny coupable de ne pas avoir volontairement acquitter la pension alimentaire durant deux mois. Dans la mesure où le dommage causé a été réparé et que donc le trouble résultant de l’infraction a cessé, le Tribunal a dispensé M. J.‑M. Savigny de peine en application de l’article 132‑59 du Code pénal.

4.20Eu égard au grief de violation de l’article 26 du Pacte, l’auteur n’a pas déposé plainte pour des faits de discrimination, notamment du fait de sa nationalité. Or les articles 225‑1 et suivants du Code pénal, applicables au moment des faits, répriment toute discrimination en raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’appartenance ou de la non‑appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. L’auteur n’a donc pas mis les autorités nationales en mesure de remédier à une éventuelle violation de l’article 26.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.Dans ses commentaires du 22 janvier et du 23 septembre 2005, l’auteur met en cause l’avocat assigné au titre de l’aide juridictionnelle lequel, selon elle, ne l’a pas tenue informé de la procédure et des possibilités de recours. Elle estime que tout le déroulement des procédures a été influencé de manière à la tenir à l’écart et sans possibilité d’intervenir. Elle accuse M. J.‑M. Savigny et sa famille d’un complot à son encontre afin de l’empêcher de se défendre devant les autorités françaises. Elle précise ne pas avoir fait appel de la décision du 1er décembre 2004 du Tribunal de grande instance de Thonon‑les‑Bains tout en réclamant la reconnaissance et l’application de ses droits.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a)de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Relativement aux griefs soulevés par l’auteur, le Comité constate que l’auteur n’a pas fait usage des voies de recours internes disponibles, d’une part, sur le plan pénal, contre la décision de classement sans suite de sa plainte du 12 décembre 2003 et la décision du 1er décembre 2004 du Tribunal de grande instance de Thonon‑les‑Bains et, d’autre part, sur le plan civil, contre les décisions rendues par le juge aux affaires familiales le 6 novembre 2003 et le 12 février 2004 en matière d’attribution du domicile ou de pension alimentaire, étant précisé que ces procédures étaient contradictoires et que l’auteur était assistée d’un avocat. De même, d’après les pièces du dossier et les soumissions des parties, il ressort que l’auteur n’a pas formulé de demande de protection de son fils auprès de la justice et n’a pas utilisé les voies de recours internes disponibles relativement à ses allégations de discrimination. Eu égard à l’argument de l’auteur faisant valoir que l’avocat assigné au titre de l’aide juridictionnelle ne l’a pas tenue informée, y compris des possibilités de recours, d’après les éléments du dossier, l’auteur n’a, à aucun moment, au cours de la procédure, remis en cause l’assistance apportée par son avocat et demandé son remplacement. Le Comité déclare, en conséquence, les griefs de l’auteur, irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

U. Communication n o  1289/2004, Farangis c. Pays ‑Bas (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

Farangis Osivand (représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur et ses deux filles, Soolmas Mahmoudi et Maral Mahmoudi

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

14 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion d’une famille des Pays‑Bas vers l’Iran qui exposerait cette dernière à la mort, à la torture ou à la prison

Questions de procédure: Examen de la même question devant une autre instance internationale − Épuisement des recours internes − Réexamen de la décision de recevabilité

Articles du Pacte: 6, 7 et 9

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, dont la lettre initiale porte la date du 14 avril 2004, est Mme Farangis Osivand, de nationalité iranienne, née le 18 février 1959. Elle présente la communication en son nom et au nom de ses deux filles, Soolmas Mahmoudi, de nationalité iranienne, née le 23 décembre 1983, et Maral Mahmoudi, de nationalité iranienne, née le 15 avril 1989. Elle affirme que l’expulsion des trois victimes présumées vers l’Iran constituerait une violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte. Elle est représentée par un conseil.

1.2Le 24 novembre 2004, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications a décidé de dissocier l’examen de la recevabilité de l’examen quant au fond.

Exposé des faits

2.1Mme Osivand a fréquenté l’Université de Téhéran de 1978 à 1979. Pendant cette période, elle a participé à des manifestations organisées contre le Shah et milité dans le groupe d’opposition Fedayan Khalq Aghaliat. Elle était un agent de liaison de cette organisation à la faculté et a assisté à des réunions sur les travaux de Bijan Djazani, qui était alors un chef influent en Iran. L’organisation a été impliquée dans des activités violentes, mais Mme Osivand n’a pas personnellement pris part à ces activités.

2.2En 1981, Mme Osivand a épousé M. Ahmad Mahmoudi. Peu de temps après, un membre de l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat lui a demandé de dissimuler des armes à son domicile. Avec le consentement de son mari, elle a dissimulé ces armes dans une cache souterraine faite de briques, de bois et de fer, située sous sa maison qui était alors en construction. Cette même année, Mme Osivand a été contrainte de quitter l’université. Vers 1988, elle aurait pu reprendre ses études à la condition de dénoncer les étudiants antirévolutionnaires, ce qu’elle a refusé.

2.3Depuis son renvoi de l’Université, Mme Osivand était tenue de se présenter régulièrement aux autorités de la Société islamique de l’université. Cette situation a persisté jusqu’à ce qu’elle émigre aux Pays‑Bas, à la fin d’août 1998. Après son départ de l’université, elle a continué de militer pour l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat, pour laquelle elle faisait office de courrier, se chargeant de prendre livraison de tracts et de publications, concernant notamment le programme de l’organisation qui avait pour objectif de renverser la République islamique d’Iran, et de les distribuer.

2.4Le 13 août 1998, Mme Osivand a reçu un appel d’un autre membre de l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat, l’informant que les autorités avaient trouvé les armes cachées à son domicile et l’enjoignant de quitter l’Iran sur‑le‑champ avec sa famille. Un voisin lui a révélé que des agents du «Komiteh» (sans autre précision) étaient entrés chez elle, en étaient ressortis avec des objets et avaient emmené son père. Elle pense que ces agents avaient découvert les armes, les publications et les tracts susmentionnés. À la fin d’août 1998, elle a quitté l’Iran avec ses deux filles. Faute de moyens financiers, son mari est resté en Iran, dans la clandestinité, et ne l’a rejointe aux Pays‑Bas que deux ans plus tard.

2.5Les 2 et le 18 septembre 1998, Mme Osivand a été interrogée par les autorités néerlandaises compétentes au sujet de sa demande d’asile. Cette dernière a été rejetée le 30 juin 1999 et le recours qu’elle a formé contre cette décision a lui aussi été rejeté le 11 décembre 2000. Le tribunal d’instance de ’s‑Hertogenbosch, saisi de son cas, a examiné l’affaire le 11 février 2003 et confirmé le rejet de la demande d’asile le 25 mars 2003, au motif que Mme Osivand n’avait pas fourni toutes les explications demandées à l’appui de sa demande d’asile lors du deuxième entretien. Le tribunal n’a pas cru que des armes aient pu être dissimulées dans une cache aussi élaborée que celle dont l’auteur avait fait état et n’a pas ajouté foi à sa version des faits.

2.6Le 10 juin 2003, le même tribunal a rejeté le recours formé par M. Mahmoudi. Le 25 novembre 2003, c’est‑à‑dire après le jugement du tribunal d’instance, l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat aurait fait une déclaration publique confirmant que Mme Osivand appartenait à l’opposition, qu’elle était sur la liste noire du régime iranien du fait de ses activités politiques et de ses sympathies pour l’organisation, et que sa vie serait en danger si elle était renvoyée en Iran, où elle risquait une peine d’emprisonnement de longue durée, voire la peine de mort.

2.7Le 15 décembre 2003, le conseil de Mme Osivand a reçu une lettre de la présidente de la Société des femmes iraniennes aux Pays‑Bas, dans laquelle cette dernière déclare avoir connu Mme Osivand en Iran après la révolution et confirme qu’elle était bien membre de l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat. L’auteur de la lettre précise qu’à ce jour Mme Osivand milite toujours activement pour l’organisation. Le 18 décembre 2003, le Ministère néerlandais de la justice a rejeté une demande de dérogation en faveur de la famille pour des raisons humanitaires.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les membres de la famille concernée sont victimes de violations des droits que leur confèrent les articles 6, 7 et 9 du Pacte par les Pays‑Bas, car ces derniers refusent de leur accorder le statut de réfugié politique et menacent de les renvoyer en Iran, où ils seraient exposés à des atteintes à leur vie et à leur liberté en raison des activités menées par Mme Osivand pour le compte de l’organisation Fedayan Khalq Aghaliat et de son appartenance à cette organisation, notamment le fait qu’elle avait dissimulé des armes à son domicile et qu’elle n’avait pas informé les autorités iraniennes de ses faits et gestes.

3.2Sans mentionner aucun article du Pacte, l’auteur déclare n’avoir jamais eu l’occasion, du début jusqu’à la fin de la procédure d’asile, de faire un récit chronologique complet de sa vie en Iran. Elle dénonce également l’absence de chronologie et de cohérence dans l’interrogatoire des demandeurs d’asile par les autorités néerlandaises et ajoute que le tribunal d’instance de ’s‑Hertogenbosch ne lui a posé aucune question au cours de l’audience qui s’est déroulée au début de 2003.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires du conseil

4.1Dans une lettre datée du 11 novembre 2004, l’État partie a fait valoir que la communication était irrecevable car la même affaire était déjà à l’examen devant une autre instance internationale et l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes.

4.2S’agissant du premier point, l’État partie a relevé que le mari de l’auteur, M. Ahmad Mahmoudi, avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme le 8 décembre 2003. Selon l’État partie, cette requête «porte aussi, semble‑t‑il, sur les problèmes auxquels la famille Osivand‑Mahmoudi serait en butte à son retour en Iran en raison de la situation délicate dans laquelle se trouvent le mari et sa femme, en tant que sympathisants ou membres du parti interdit Mojahedin‑e‑Khalq, dont ils affirment être des militants». Il «ressortait clairement» de l’examen des documents soumis dans les deux requêtes que le fond des deux affaires était identique. Toutes deux invoquaient des instruments relatifs aux droits de l’homme pour contester le bien‑fondé de l’expulsion d’une famille et on pouvait considérer que chacun des deux époux défendait l’autre en présentant sa requête. La requête devant la Cour européenne étant toujours en instance, la communication était irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3S’agissant de la deuxième objection, l’État partie a fait observer que l’auteur avait formulé plusieurs critiques d’ordre général concernant la procédure d’examen des demandes d’asile par les autorités néerlandaises. Pendant toute la durée de la procédure devant la juridiction interne, ni l’auteur ni son représentant n’avaient soulevé d’objection particulière au sujet des procédures suivies, privant ainsi les tribunaux internes de l’occasion de répondre à ces objections. Par conséquent, l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes à propos de cet aspect de la communication. L’État partie a ajouté que cette communication contenait des allégations indues car faites d’un point de vue purement théorique au sujet de sa législation et de sa pratique. L’auteur n’avait pas formulé d’allégation précise concernant la procédure suivie pour l’examen de sa demande d’asile au titre de l’article 7 du Pacte, et encore moins d’allégations étayées.

5.1Dans une lettre datée du 10 janvier 2005, le conseil a répondu aux observations de l’État partie. Il a souligné que, dans les requêtes présentées par chacun des deux conjoints devant une instance internationale, aucun des deux ne décrivait l’autre comme une covictime. Tous deux se déclaraient victimes d’une violation de leurs propres droits devant l’instance concernée et il était donc inexact de dire que chacun des époux parlait au nom de l’autre dans sa propre requête. Le conseil a indiqué qu’il avait soumis le cas de M. Mahmoudi à la Cour européenne pour des «raisons de subsidiarité», compte tenu du délai limite de six mois dont il disposait pour le dépôt d’une requête devant la Cour.

5.2Il a affirmé que les demandes d’asile au nom de la mère et de ses filles, d’une part, et celle qui concernait le père, d’autre part, ayant été traitées séparément par les autorités néerlandaises − en raison de l’arrivée plus tardive de ce dernier dans le pays −, il n’était pas possible d’objecter que deux instances distinctes avaient été saisies du cas de cette famille. Il a fait valoir que la référence par l’État partie au parti Mojahedin‑e‑Khalq était erronée et soutenu que l’allégation relative à l’article 7 était suffisamment étayée par la déclaration en date du 25 novembre 2003 et la lettre du 15 décembre 2003.

Décision concernant la recevabilité

6.1À sa quatre‑vingt‑quatrième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a rappelé qu’en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, il ne pouvait examiner une communication lorsque la même question était déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il a renvoyé à sa jurisprudence selon laquelle la «même question» indique que la même plainte a été formulée par la même personne. Si le champ d’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celui du Pacte se recouvraient dans une large mesure en ce qui concerne les faits allégués (voir Rogl c. Allemagne), l’application de ces normes à deux personnes différentes de la même famille pouvait fort bien soulever des questions différentes, en particulier si, comme dans le cas d’espèce, les faits se rapportant à des membres différents de la famille n’étaient pas identiques et avaient été traités dans le cadre de procédures internes différentes n’ayant aucun lien entre elles. Les recours dont étaient saisis la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité ayant été présentés par deux personnes distinctes contre des procédures judiciaires distinctes et reposant, par conséquent, sur des faits distincts, le Comité a estimé que la «même question» n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et que, de ce fait, l’examen de la communication ne lui était pas interdit par les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5.

6.2En ce qui concerne les griefs relatifs à la procédure qui soulevaient des questions au titre de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, du Pacte, le Comité a relevé que, selon les observations non contestées de l’État partie, ils n’avaient pas été soumis aux juridictions internes. Ces aspects de la communication étaient donc irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, du fait que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

6.3En conséquence, le 5 juillet 2005, le Comité a considéré que la communication était recevable dans la mesure où le renvoi en Iran de l’auteur et de ses deux filles soulevait des questions qu’il y avait lieu d’examiner ensemble au titre de l’article 7 du Pacte, sans qu’il soulève toutefois d’autres questions relevant spécifiquement des articles 6 et 9 du Pacte.

Demande de réexamen de la décision de recevabilité

7.1Dans une note datée du 15 novembre 2005, l’État partie a indiqué que l’auteur avait déposé le 25 mai 2005 une deuxième demande d’asile, qui était en instance. En conséquence, il a demandé au Comité de réexaminer sa décision concernant la recevabilité.7.2Dans une lettre datée du 2 décembre 2005, l’auteur a répondu en confirmant qu’une deuxième demande avait été déposée, tout en faisant état de «difficultés», sans autre précision.

Délibérations du Comité

8.Le Comité est prié de réexaminer la question de la recevabilité de la communication à la lumière des nouveaux éléments présentés par l’État partie. Le Comité note que l’auteur a admis qu’elle avait déposé une nouvelle demande d’asile auprès des autorités néerlandaises. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsque l’auteur engage auprès des autorités une nouvelle procédure qui touche au fond de la plainte déposée devant le Comité, il est réputé ne pas avoir épuisé les recours internes au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Comme dans le cas de l’affaire Benali c. Pays ‑Bas, l’auteur a déposé à nouveau auprès des autorités de l’État partie une demande qui concerne directement l’objet même de la communication dont le Comité est saisi. Il s’ensuit que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif; et

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

V. Communication n o  1293/2004, De Dios c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Maximino de Dios Prieto (représenté par un avocat, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

17 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation de l’auteur sur la base de preuves insuffisantes

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Défaut de réexamen des faits en deuxième instance

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 17 juin 2002, est Maximino de Dios Prieto, qui se dit victime d’une violation par l’Espagne des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par José Luis Mazón Costa, avocat. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985.

Exposé des faits

2.1L’auteur a été arrêté par des membres de la Garde civile en décembre 1999 pour délit présumé de trafic de drogues (haschisch). Cinq mois plus tard, il a été inculpé d’un délit présumé de corruption, car il aurait offert 10 millions de pesetas à l’un des gardes civils ayant procédé à l’arrestation.

2.2Par un jugement du 23 février 2001, l’Audiencia Provincial d’Oviedo a condamné l’auteur à deux peines: une de quatre ans et six mois, avec une amende de 400 millions de pesetas, pour le délit de trafic de drogues, et l’autre de trois ans de prison avec une amende de 10 millions de pesetas pour le délit de corruption. Pendant le procès, l’auteur a nié toute implication dans les deux délits. L’auteur signale qu’il n’existe pas de procès‑verbal in extenso du procès, étant donné que le Code de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal) autorise seulement un compte rendu analytique, dans lequel est consigné au maximum un septième de la teneur des déclarations faites.

2.3L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, pourvoi qui ne permet pas un nouvel examen des preuves testimoniales à charge qui ont été décisives pour la condamnation de l’auteur. À l’appui de ses affirmations, celui‑ci cite un paragraphe du jugement rendu par le Tribunal, qui se lit comme suit: «En ce qui concerne l’atteinte au droit à la présomption d’innocence, cette plainte équivaut à affirmer que l’auteur a été condamné en l’absence de preuves et oblige la présente Chambre de cassation à s’assurer qu’il y a eu “examen des preuves”, alors qu’il n’entre pas dans le champ de sa compétence d’examiner “l’appréciation de la preuve”, laquelle appartient à la juridiction de jugement en vertu du fait qu’elle recueille directement les éléments de preuve.».

2.4L’auteur signale enfin que le recours en amparo concernant les plaintes pour absence de double degré de juridiction en matière pénale est inutile, vu la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel selon laquelle cette absence n’est pas contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et se réfère aux constatations du Comité concernant la communication no 701/1996 (Gómez Vásquez c. Espagne), dans lesquelles cette violation a été mise en évidence. Selon l’auteur, la disposition du paragraphe 5 de l’article 14 implique le droit à obtenir un réexamen complet de la condamnation, dans tous ses aspects.

3.2L’auteur signale également que le compte rendu du procès n’a pas reflété tout ce qui s’est passé au cours de celui‑ci, et qu’il est inhérent à la notion de procès équitable donnant droit au double degré de juridiction que tout ce qui s’est passé à l’audience soit consigné dans un procès‑verbal in extenso. Il en déduit une violation des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale du 2 août 2004, l’État partie a fait savoir que les motifs invoqués par l’auteur en cassation ont été les suivants: atteinte au droit fondamental d’accès aux tribunaux défini par la loi; violation du droit à la présomption d’innocence et du principe in dubio pro reo, également en ce qui concerne le délit de corruption; application erronée du Code pénal pour le calcul des peines et l’application de la circonstance aggravante de récidive; violation du Code pénal concernant la peine d’amende; erreur sur les preuves écrites en ce qui concerne l’acte constitutif de corruption. Tous ces motifs ont été écartés, aucune violation n’ayant été constatée ni en ce qui concerne les droits fondamentaux, ni les règles de procédure, ni l’application des dispositions du Code pénal.

4.2Les violations présumées formulées dans la communication soumise au Comité n’ont jamais été invoquées devant les tribunaux internes, d’où il résulte que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’auteur a eu à plusieurs reprises accès à la justice, a obtenu des décisions entièrement motivées dans lesquelles les tribunaux internes ont dûment répondu à ses allégations et il présente une communication au Comité pour la prétendue violation de droits fondamentaux distincts de ceux qui ont été invoqués devant les tribunaux internes et sans avoir épuisé les recours internes. La communication est par conséquent dénuée de fondement, l’auteur cherchant à utiliser le mécanisme du Pacte de manière manifestement abusive. L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, et pour non‑épuisement des recours internes.

4.3Le 31 mai 2005, l’État partie a réaffirmé les arguments indiqués dans les paragraphes qui précèdent et a également répondu sur le fond de la communication.

4.4L’État partie fait référence à l’arrêt du Tribunal suprême et, plus concrètement, au paragraphe de cet arrêt cité par l’auteur. L’État partie précise que l’auteur passe sous silence intentionnellement les paragraphes suivants, qui concernent l’examen et l’appréciation des preuves par l’Audiencia Provincial concernant le délit de corruption. Le Tribunal suprême a procédé à un très large réexamen des éléments de fait sur lesquels était fondée la condamnation, ce qui fait que la condamnation elle‑même et la peine prononcée objet du recours ont été soumises, dans leur totalité, à une juridiction supérieure.

4.5Au sujet des griefs de l’auteur concernant l’absence de procès‑verbal in extenso du procès, l’article 14 du Pacte n’exige nullement que le compte rendu du procès soit in extenso, mais seulement qu’y soit consigné tout ce qui est essentiel pour la défense du justiciable. De plus, l’auteur n’a à aucun moment invoqué devant le Tribunal suprême ou le Tribunal constitutionnel une violation présumée de son droit à un procès équitable en alléguant l’absence d’un procès‑verbal in extenso de la procédure qui s’est déroulée devant l’Audiencia Provincial. Pour ce motif, et indépendamment du fait que cette plainte n’est pas étayée, elle devrait être déclarée irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur

5.Dans ses commentaires du 29 juillet 2005, l’auteur indique que le Tribunal constitutionnel rejette systématiquement, sans l’examiner au fond, toute plainte portant sur l’absence d’un double degré de juridiction qui s’appuie sur la jurisprudence du Comité. L’auteur indique en outre qu’il n’a pas eu accès à un réexamen authentique de sa condamnation pour aucun des deux délits, trafic de haschisch et corruption, délits pour lesquels il a été condamné et dans lesquels il a nié toute participation. Le jugement rendu par l’Audiencia de Oviedo est fondé sur l’appréciation de preuves testimoniales à charge que l’auteur de la communication rejette. L’arrêt rendu par le Tribunal suprême définit clairement les limites de la cassation en matière pénale: l’appréciation de la preuve ne peut être réexaminée en cassation. Le cadre légal de la cassation n’a pas permis à l’auteur de demander une nouvelle appréciation des preuves ayant servi à le condamner, limite imposée par la loi qui est contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il n’y a pas non plus droit véritable au double degré de juridiction en l’absence de procès‑verbal in extenso consignant en détail toutes les déclarations faites par les témoins, experts et intervenants.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des allégations de l’État partie, à savoir que les recours internes n’auraient pas été épuisés parce que les violations présumées soumises au Comité n’auraient jamais été formulées devant les juridictions internes. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance raisonnable d’aboutir. Le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir concernant la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; le Comité considère de ce fait que les recours internes ont été épuisés.

6.4L’auteur allègue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, parce que les preuves testimoniales à charge qui ont été décisives pour sa condamnation n’ont pas été réexaminées par une juridiction supérieure, étant donné que le pourvoi en cassation espagnol n’est pas une procédure d’appel et ne permet pas un tel réexamen. Le Comité observe que l’auteur n’explique pas les raisons pour lesquelles il considère que le tribunal d’instance n’a pas procédé à une appréciation correcte des preuves, et ne précise pas celui des délits qui lui étaient imputés auquel se rapportent les preuves qu’il conteste. Par ailleurs, il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que ce dernier a examiné minutieusement l’appréciation des preuves effectuée par le tribunal d’instance se rapportant au délit de corruption, et que le Tribunal suprême est parvenu à la conclusion que cette appréciation avait été correcte. Le Comité estime que la plainte relative au paragraphe 5 de l’article 14 n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et conclut qu’elle est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, fondées sur l’absence de procès‑verbal in extenso du procès, le Comité relève que l’auteur n’a pas exposé les raisons pour lesquelles il considère que le compte rendu du procès qui s’est déroulé devant l’Audiencia Provincial ne rendait pas compte correctement de ce qui s’était passé pendant cette procédure et portait atteinte à ses droits. L’auteur n’a pas non plus formé de recours au sujet de cette plainte. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication doit également être considérée comme irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

W. Communication n o 1302/2004, Khan c. Canada (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Dawood Khan (représenté par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

30 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion vers le pays d’origine avec risque de torture

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Risque de torture et de mort, réexamen d’une décision d’expulsion, procès inéquitable et recours inefficace

Articles du Pacte: 2, 6, 7, 14 et 18

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1302/2004 présentée au nom de M. Dawood Khan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Dawood Khan, né le 31 juillet 1950, de nationalité pakistanaise, qui réside actuellement au Canada et se trouve sous le coup d’une décision d’expulsion vers le Pakistan. Il affirme être victime de violations par le Canada des articles 2, 6, 7, 14 et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Stewart Istvanffy. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est chrétien. Il est né à Quetta, dans la province du Balouchistan, fief du groupe terroriste sunnite Sipah‑e‑Sahaba. Des minorités religieuses de Quetta ont été victimes de massacres. L’auteur participait à la plupart des grandes manifestations religieuses de sa paroisse. C’est un joueur de tabla − un instrument de musique traditionnel − réputé. En décembre 1998, il était membre du jury au concours de musique du Balouchistan. Après ce concours, des membres du groupe Sipah‑e‑Sahaba l’ont menacé parce qu’il avait sélectionné et élu la jeune fille chrétienne qui avait remporté le premier prix.

2.2En juillet 1999, l’auteur a déménagé de Quetta à Lahore, au Penjab, pour fuir les persécutions. Le 31 décembre 1999, il a été enlevé par cinq militants du groupe Sipah‑e‑Sahaba. Ses ravisseurs l’ont menacé de le tuer ou de le torturer s’il ne se convertissait pas à l’islam et lui auraient également infligé des violences sexuelles. À l’appui de ces affirmations, l’auteur joint un rapport médical en date du 10 août 2004 qui atteste qu’il souffre de troubles post‑traumatiques à cause des violences physiques, psychologiques et sexuelles qu’il aurait subies au Pakistan.

2.3Le 7 janvier 2000, un homme s’est présenté chez l’auteur pour lui dire qu’il serait converti de force à l’islam le 14 janvier suivant, à la mosquée de June‑e‑Masjed. Le 5 février 2000, l’auteur et sa famille se sont enfuis à Waziribad. Les «dirigeants de sa communauté» et ses proches lui ont conseillé de chercher refuge à l’étranger. Ayant obtenu du Canada une invitation à venir jouer de son instrument, l’auteur a reçu un visa puis a quitté le Pakistan le 22 avril 2000. Depuis son départ, sa famille continue de recevoir des menaces. Un de ses cousins aurait été agressé par le groupe, qui le recherche.

2.4Le 24 mai 2000, l’auteur a sollicité le statut de réfugié au Canada. Sa demande a été rejetée le 15 novembre 2000 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, au motif que ses déclarations étaient invraisemblables et incohérentes. L’auteur affirme qu’il n’était pas bien conseillé par son avocat et qu’en raison des troubles post‑traumatiques dont il souffre, il n’a pas présenté tous les éléments de preuve existants. Il n’a pas dit non plus aux autorités qu’il avait été torturé et qu’il avait toujours des séquelles de ce traitement. Il n’a pas davantage produit de certificats médicaux ou d’autres informations sur les tortures qu’il dit avoir subies. Le 21 décembre 2000, l’auteur a demandé l’autorisation d’engager une procédure de réexamen judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Cour fédérale l’a débouté le 30 avril 2001.

2.5Le 9 juillet 2001, l’auteur a sollicité le statut de résident permanent au Canada pour motifs humanitaires. Ce statut n’est accordé que si le candidat démontre qu’il serait dans une situation excessivement critique s’il devait rentrer dans son pays d’origine. Sa demande a été rejetée en date du 7 juillet 2003.

2.6Le 4 décembre 2000, l’auteur a demandé le réexamen de son cas dans le cadre de la procédure réservée aux demandeurs d’asile déboutés. Le 25 janvier 2003, il a été informé que cette procédure n’existait plus depuis l’adoption en 2001 de la nouvelle loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qu’elle avait été remplacée par la procédure d’examen des risques avant renvoi. Le 24 février 2003, l’auteur a présenté une demande au titre de cette procédure en faisant valoir qu’il risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Pakistan. Sa demande a été refusée, le 8 juillet 2003. Il affirme que cette décision ne lui a été communiquée qu’en mars 2004. Le 16 mars 2004, il a demandé l’autorisation d’engager une procédure de réexamen judiciaire de la décision rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi, ainsi qu’une demande de sursis à exécution de la décision d’expulsion. Le sursis a été accordé, le 23 mars 2004, mais en date du 7 juillet 2004, la Cour fédérale a refusé de l’autoriser à demander le réexamen judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation des articles 6 et 7 du Pacte parce que, comme il est de notoriété publique qu’il est chrétien, il risque d’être enlevé, détenu, brutalisé, torturé et exécuté par des groupes extrémistes sunnites s’il est renvoyé au Pakistan. Il affirme qu’il n’aurait droit à aucune protection de la police, qui a des sympathies pour le groupe Sipah‑e‑Sahaba. Selon lui, l’État partie ne cherche pas à éviter la violence motivée par des considérations religieuses et n’est pas capable d’assurer une réparation aux victimes de violences sectaires.

3.2L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation de l’article 18 parce que s’il était renvoyé au Pakistan il serait persécuté en raison de sa foi chrétienne et de son refus de se convertir à l’islam. Il donne des informations émanant de différentes sources sur la persécution qui vise les chrétiens en général et joint des documents provenant de paroisses chrétiennes au Pakistan qui confirment qu’il est en danger.

3.3L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation des articles 2 et 14 parce que la procédure actuelle d’examen des risques avant renvoi ne constitue pas dans son cas un recours utile. Il fait valoir que l’examen des risques est effectué par des fonctionnaires du service d’immigration qui n’ont aucune compétence en droit international relatif aux droits de l’homme ni dans le domaine juridique en général. Les décisions ne sont pas prises par un tribunal compétent, indépendant et impartial, et sont souvent contraires à la jurisprudence de la Cour fédérale ou de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il est rare que la situation réelle dans le pays concerné soit prise en considération et, dans la très grande majorité des cas, l’avis rendu est négatif. L’auteur fait également valoir que les décisions sont prises «dans une logique de maîtrise de l’immigration, avec une forte pression exercée d’en haut pour faire augmenter les statistiques d’expulsion». Il n’y a pas de véritable contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une réponse datée du 6 mai 2005, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme premièrement que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Certains points qu’il fait valoir dans sa communication n’ont pas été soulevés dans le cadre des procédures nationales. L’État partie affirme que si l’auteur, lors de la première audition, n’a pas exposé dans le détail les tortures qu’il avait subies, il aurait dû le faire dans le cadre des procédures ultérieures. L’État partie rappelle que lorsque l’auteur a demandé à la Cour fédérale l’autorisation d’engager une procédure de réexamen judiciaire, le 21 décembre 2000, il n’a pas soulevé la question de l’équité de la procédure et de la justice naturelle. Il ne l’a pas fait non plus lors des procédures subséquentes. Aux raisons avancées par l’auteur, qui affirme qu’il était mal conseillé, l’État partie répond que la négligence d’un conseil ne saurait être imputée à l’État partie. Il affirme en outre que l’auteur n’a pas exercé un recours interne qui lui était ouvert lorsqu’il a présenté de nouveaux éléments de preuve le jour prévu pour son expulsion. Il aurait pu exciper du rapport médical soumis au Comité le 10 août 2004 et, partant, demander sur la base de ce rapport un sursis à l’exécution de l’expulsion. Il aurait pu également, en invoquant ces nouvelles preuves, renouveler ses demandes d’examen des risques avant renvoi et de séjour permanent au Canada pour motifs humanitaires. L’État partie considère par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie affirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés des articles 2, 6 et 7 du Pacte. L’auteur dit que la procédure d’examen des risques avant renvoi ne constitue pas un recours utile au sens de l’article 2, mais l’État partie fait valoir que le paragraphe 2 de l’article 2 décrit la nature et la portée des obligations des États parties, et que le paragraphe 3 ne reconnaît pas un droit individuel à un recours. Le droit à un recours découle uniquement d’une violation du Pacte qui a été établie. La plainte n’est donc pas étayée et devrait être rejetée en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.3Pour ce qui est des griefs tirés des articles 6 et 7, l’État partie se réfère aux conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a estimé que l’auteur manquait de crédibilité, et rappelle qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier les conclusions d’une juridiction nationale sur la crédibilité de l’auteur. Quant au rapport médical du 10 août 2004, il ne prouve pas que l’auteur souffrait de troubles post‑traumatiques quand il a été entendu dans le cadre de sa demande d’asile, quatre ans auparavant, et n’explique donc pas pourquoi il n’a pas raconté directement ce qu’il avait enduré. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas étayé ses nouvelles allégations sur la nature des tortures subies et sur les séquelles qu’il continue d’avoir sur le plan médical. Concernant le danger auquel serait toujours exposée sa famille au Pakistan, l’État partie relève que l’auteur a produit un certain nombre de nouvelles lettres de ses proches et de ses amis au Pakistan et au Canada, mais ces lettres ne font que servir ses propres intérêts.

4.4L’État partie affirme que l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait «personnellement» un risque au Pakistan. Il relève que les rapports émanant des grandes organisations de défense des droits de l’homme que l’auteur a soumis font état principalement d’une résurgence de la violence sectaire à l’égard des musulmans chiites au Pakistan, d’attaques contre les Ahmadis et d’assassinats systématiques de personnes étrangères aux conflits sectaires, en particulier à Karachi. Ces rapports ne disent pas que les chrétiens sont particulièrement la cible des extrémistes. Depuis le départ de l’auteur, le Pakistan a connu nombre de changements qui témoignent de la volonté de l’État de protéger ses citoyens contre les actes des factions extrémistes comme le Sipah‑e‑Sahaba. Le Gouvernement pakistanais a interdit cette organisation en juin 2002, de même que celle qui lui a succédé, la Millat‑e‑Islamia, en novembre 2003. Au sujet de l’accusation de collusion entre la police et le Sipah‑e‑Sahaba (et son successeur), l’État partie constate qu’il existe très peu d’informations crédibles, de première main, sur cette collusion présumée. Il affirme que l’auteur n’a pas démontré qu’il serait tué, torturé ou soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’il était renvoyé au Pakistan.

4.5En ce qui concerne le grief tiré de l’article 7, l’État partie affirme que les allégations de l’auteur ne prouvent pas que celui‑ci court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il fait valoir que pour appliquer l’article 7 à une situation comme celle de l’auteur, où le persécuteur présumé n’est pas un agent de l’État, le niveau de preuve doit être plus élevé. Lorsque la crainte est inspirée par un agent non étatique, l’incapacité de l’État d’assurer une protection doit être prouvée «d’une façon claire et convaincante». En l’espèce, l’auteur n’a pas établi que le Pakistan ne voulait pas ou ne pouvait pas le protéger contre le Sipah‑e‑Sahaba, ni apporté d’arguments dans ce sens.

4.6L’État partie affirme que les griefs tirés des articles 14 et 18 sont incompatibles avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, ces griefs sont irrecevables faute d’être étayés. En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 14, l’État partie fait valoir que les procédures visant à déterminer le statut de réfugié ou le besoin de protection n’entrent pas dans le champ d’application de cette disposition. Elles relèvent du droit public, et leur caractère équitable est garanti à l’article 13. Si toutefois les procédures d’immigration étaient considérées comme relevant de l’article 14, l’État partie objecte qu’elles respectent les garanties qui y sont énoncées. Le cas de l’auteur a été examiné par un organe indépendant, et l’auteur lui‑même savait en quoi consistait cet examen, il était représenté par un conseil et il a eu toute latitude de participer à la procédure, y compris en témoignant oralement et en formulant des observations écrites. Il a pu former un recours et déposer une demande pour motifs humanitaires. L’État partie fait valoir par conséquent que le grief de violation de l’article 14 est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et devrait être rejeté au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.7En ce qui concerne le grief tiré de l’article 18, l’État partie constate que l’auteur n’invoque pas de violation de cette disposition. Il affirme en fait que sa religion chrétienne pourrait lui valoir d’être persécuté ou maltraité au Pakistan. Les autorités canadiennes n’ont toutefois pas cru qu’il était en danger à cause de sa religion. L’État partie rappelle que l’article 18 n’interdit pas à un État de renvoyer quelqu’un dans un autre État qui ne respecte pas cette disposition. Il invoque à ce sujet l’Observation générale no 31 [80] du 29 mars 2004, dans laquelle le Comité a précisé que les États parties avaient l’obligation de ne pas expulser quelqu’un de leur territoire «s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable […], tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte». L’État partie souligne que c’est seulement dans des cas exceptionnels que le Comité a conclu à l’applicabilité extraterritoriale de droits garantis par le Pacte, et qu’il a donc préservé le caractère fondamentalement territorial des droits énoncés dans cet instrument. En conséquence, l’État partie affirme que le grief tiré de l’article 18 devrait être déclaré irrecevable, étant donné qu’une violation de cette disposition échappe ratione materiae à la compétence du Comité.

4.8Au sujet des plaintes générales de l’auteur concernant la portée du contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale et de la procédure d’examen des risques avant renvoi, l’État partie relève qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner le système canadien en général mais seulement de vérifier si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. En tout état de cause, des organes internationaux, dont le Comité lui‑même, ont déjà conclu dans des décisions antérieures que les procédures mises en cause constituaient un recours utile.

Délibérations du Comité

5.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui affirme ne pas avoir eu accès à un recours utile pour contester son expulsion, le Comité relève que l’auteur n’a pas démontré en quoi les décisions des autorités canadiennes ne constituaient pas un examen approfondi et équitable de sa plainte, selon laquelle il risquait d’être victime de violations des articles 6 et 7 du Pacte s’il était renvoyé au Pakistan. Dans ces circonstances, le Comité n’a pas à déterminer si la procédure relative à l’expulsion de l’auteur relève du champ d’application de l’article 14 (en tant que décision portant sur des droits et obligations de caractère civil). Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée ou soumise à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Comité doit donc déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que, en tant que conséquence nécessaire et prévisible du renvoi de l’auteur au Pakistan, il existe un risque réel de l’exposer à un traitement interdit par les articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité relève que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à l’issue d’un examen approfondi, a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif que le témoignage de celui‑ci manquait de crédibilité et de vraisemblance (voir plus haut, par. 2.4); le Comité note aussi que le rejet, après un autre examen approfondi, de sa demande d’examen des risques avant renvoi était fondé sur des raisons similaires. Il constate en outre que dans les deux cas la Cour fédérale a refusé à l’auteur l’autorisation de faire appel (voir plus haut, par. 2.4 et 2.6). L’auteur n’a pas suffisamment montré en quoi ces décisions étaient incompatibles avec la norme susmentionnée, et il n’a pas non plus suffisamment prouvé qu’il serait exposé à un risque réel et imminent de violations des articles 6 et 7 du Pacte s’il était expulsé vers le Pakistan.

5.5Le Comité prend note du rapport médical sur l’état psychologique de l’auteur, produit le 10 août 2004, pour attester qu’il souffre de troubles post‑traumatiques. Il fait observer qu’un tel rapport aurait dû être soumis plus tôt aux autorités canadiennes et qu’il n’est pas trop tard pour présenter, sur la base de ce nouveau rapport, une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi ou de résidence permanente pour motifs humanitaires. Le Comité conclut par conséquent que la plainte est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif du fait que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

5.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 18 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui affirme qu’un homme l’a menacé, en janvier 2000, de l’obliger à se convertir à l’islam. Cependant, il prend note également de l’argument de l’État partie qui affirme que son obligation face aux violations des droits de l’homme susceptibles d’être commises par un autre État partie découle uniquement de l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable tel que celui qui est envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. En tout état de cause, le Comité constate que même si des agents non étatiques, au Pakistan, avaient l’intention de soumettre l’auteur à des contraintes de nature à l’empêcher de jouir de la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, l’auteur n’a pas démontré que les autorités de l’État ne pourraient ou ne voudraient pas le protéger. Il conclut donc que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayé.

6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

X. Communication n o  1313/2004, Castaño c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Amalia Castaño López (représentée par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

24 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Objet: Refus de l’autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie

Questions de procédure: Plainte insuffisamment étayée; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Droit à l’égalité devant la loi

Article du Pacte: 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 19 juin 2002, est Amalia Castaño López, qui se déclare victime d’une violation par l’Espagne de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 28 mai 1992, le Conseiller à la santé de la Communauté autonome de la Région de Murcie a autorisé l’ouverture d’une officine de pharmacie dans le quartier San Juan, à Jumilla, que l’auteur avait demandée. Les propriétaires de huit pharmacies ont déposé un recours en révision contre cette décision, considérant que la condition générale qui impose un seuil de 2 000 habitants pour pouvoir ouvrir une pharmacie n’était pas remplie. Ce recours a été rejeté en date du 28 juillet 1993. Les propriétaires ont ensuite déposé un recours contentieux auprès du Tribunal supérieur de Murcie, qui les a déboutés le 30 mars 1994. Ils ont ensuite formé un recours en cassation auprès du Tribunal suprême qui, par un arrêt du 16 mai 2000, a cassé la décision du Tribunal supérieur et annulé l’autorisation d’ouvrir la pharmacie qui avait été donnée à l’auteur.

2.2Le Tribunal suprême a fondé sa décision d’annulation sur l’article 3, paragraphe 1 b), du décret royal no 909/78, qui impose comme condition à l’ouverture d’une pharmacie l’existence d’au moins 2 000 habitants; vu que quand la demande avait été déposée, le 24 octobre 1990, il n’y avait que 1 511 habitants, l’autorisation ne devait pas être accordée. Le Tribunal suprême a indiqué qu’il n’était pas possible de prendre en considération pour le calcul du nombre d’habitants les logements qui avaient été construits après la date à laquelle la demande avait été déposée.

2.3L’auteur a déposé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, le 16 juin 2000. Elle faisait valoir que l’annulation de sa licence de pharmacie par le Tribunal suprême découlait d’une erreur flagrante et constituait une action arbitraire de la part de cette juridiction, qui avait outrepassé ses pouvoirs en tant que tribunal de cassation et avait ainsi violé le droit à un procès équitable. L’auteur reconnaît que dans son recours elle n’a pas avancé l’argument de la discrimination, parce que ce tribunal avait déclaré, dans un arrêt du 24 juillet 1984, que rien dans la Constitution n’excluait la possibilité de réglementer et de limiter l’ouverture d’officines de pharmacie. Concrètement, les limites à l’ouverture d’une pharmacie n’entraînaient pas de violation du droit à l’égalité devant la loi consacré par l’article 14 de la Constitution.

2.4Le recours en amparo a été rejeté en date du 13 novembre 2000. Le Tribunal constitutionnel a considéré que le Tribunal suprême n’avait nullement outrepassé ses compétences de tribunal de cassation. En effet, il n’avait pas procédé à une nouvelle appréciation de la preuve et avait simplement examiné le critère retenu dans la décision attaquée pour établir que le nombre d’habitants n’atteignait pas le seuil requis, conformément à sa jurisprudence.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que la décision du Tribunal suprême constitue une atteinte à l’article 26 du Pacte parce qu’il est fait application d’une législation discriminatoire qui n’a pas d’équivalent pour une autre activité commerciale. Une restriction consistant en la création d’un nouveau bassin de population ou en l’existence d’un nombre donné d’habitants dans ce bassin de population n’est imposée pour l’exercice d’aucune autre activité. Si cette législation existe, c’est à cause de l’influence du puissant lobby des pharmaciens en Espagne. D’après l’auteur, la distinction ne repose pas sur un motif objectif et raisonnable. L’auteur affirme qu’elle a droit à un recours utile conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte et que ce recours doit être la réouverture de son officine et une indemnisation de tous les préjudices consécutifs à sa fermeture.

3.2L’auteur dit que la loi‑cadre de santé publique de 1944 a autorisé le Gouvernement à limiter le nombre des officines de pharmacie et le décret royal no 909/78 a porté réglementation de ses dispositions. Ce texte impose l’existence d’un bassin de population déterminé pour pouvoir installer une pharmacie. D’après l’auteur, il s’agit d’une législation discriminatoire parce que: i) la seule activité commerciale dont le libre exercice est soumis à des restrictions est la pharmacie. Aucune autre activité commerciale n’est soumise à ce genre de limitation; ii) la restriction s’explique uniquement par des raisons historiques qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. L’auteur cite un arrêt de la Cour constitutionnelle allemande qui a déclaré en 1958 que la loi qui subordonnait la création d’une pharmacie à l’existence d’un nombre minimal d’habitants était arbitraire et disproportionnée et de ce fait contraire à la Constitution.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations datées du 25 novembre 2004, l’État partie fait valoir que la seule violation invoquée par l’auteur est une atteinte au droit à l’égalité devant la loi consacré à l’article 26 du Pacte. Or ce grief n’était pas avancé dans le recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel. Le recours soulevait le grief d’une atteinte à la protection effective de la justice qu’aurait commise le Tribunal suprême en rapport avec l’appréciation de la preuve. L’État partie conclut que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.2L’État partie signale également que dans sa décision le Tribunal suprême a fait application du principe d’égalité en déterminant que la décision attaquée était incompatible avec sa jurisprudence constante selon laquelle le nombre d’habitants pris en considération doit être celui des habitants recensés au moment de la demande d’ouverture d’une pharmacie et non pas le nombre d’habitants recensés quand l’affaire est examinée ou la décision est rendue. Si le Tribunal suprême avait rendu une autre décision, il aurait modifié sa jurisprudence et il aurait par conséquent appliqué à l’auteur un régime différent de celui qui est appliqué aux autres personnes sollicitant l’autorisation d’ouvrir une officine de pharmacie et le principe d’égalité aurait été violé. L’État partie est également en désaccord avec l’auteur qui affirme que le Tribunal suprême ne pouvait pas apprécier la preuve examinée par le tribunal de première instance parce qu’il aurait ainsi outrepassé ses fonctions; il rappelle la portée de la cassation, qui s’étend à l’appréciation de la légalité ou de l’illégalité de la preuve administrée devant la juridiction de première instance.

4.3L’État partie conclut que la communication doit être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, et également parce qu’elle utilise le Pacte dans un but clairement contraire à sa finalité, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4Pour ce qui est du fond, dans ses observations datées du 13 avril 2005, l’État partie conteste qu’il y ait eu violation du Pacte. En parcourant toutes les décisions des autorités administratives et judiciaires espagnoles on ne trouve pas la moindre invocation du principe d’égalité ou d’un traitement discriminatoire par rapport à d’autres activités professionnelles. L’objet des litiges a toujours et exclusivement porté sur le respect des dispositions réglementaires.

4.5La question de l’autorisation nécessaire pour ouvrir une officine de pharmacie a donné lieu à de nombreux litiges en Espagne. Certains ont été portés devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a invariablement rendu des décisions d’irrecevabilité.

4.6L’auteur de la communication n’avance pas une seule raison pour laquelle le régime d’exercice de professions différentes devrait être identique. L’ouverture d’une pharmacie présente des particularités notoires par rapport à toute autre activité professionnelle. L’affaire ne concerne pas seulement − ni même principalement − l’exercice d’une activité professionnelle, mais la création d’un établissement commercial dans un pays comme l’Espagne, où l’essentiel de l’activité d’une pharmacie consiste à vendre des médicaments prescrits et financés par le système public de santé. On ne peut pas prétendre qu’une telle activité, très voisine du service public et d’une activité commerciale de détail ordinaire, soit équivalente à l’exercice d’une autre activité professionnelle. De plus, la communication ne contient aucune mention ni preuve du fait que l’auteur aurait été l’objet d’une discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

5.1Dans des commentaires datés du 22 juin 2005, l’auteur réaffirme qu’il était inutile d’avancer l’argument d’une violation du principe d’égalité dans la réglementation applicable à l’ouverture de pharmacies étant donné que le Tribunal constitutionnel s’était déjà prononcé de façon négative sur la question dans un arrêt du 24 juillet 1984. Dans cet arrêt, il avait examiné la question de la constitutionnalité soulevée par l’Audiencia Territorial de Valence concernant la contradiction entre les restrictions à l’ouverture de pharmacies fondées sur des critères de nombre d’habitants et de distance et le droit à l’égalité devant la loi protégé par l’article 14 de la Constitution.

5.2Dans d’autres décisions postérieures, le Tribunal suprême a rejeté des griefs analogues et a reconnu la validité du régime d’ouverture des pharmacies établi par le décret royal no 909/78. Le grief de discrimination n’avait donc aucune chance d’aboutir et on ne peut pas exiger l’épuisement de recours internes de toute évidence inutiles.

5.3L’auteur affirme que les conditions imposées par la législation espagnole pour l’ouverture d’une pharmacie sont illogiques et que l’État partie n’en a pas expliqué le sens. Ces conditions n’existent que du fait du pouvoir du lobby constitué par les propriétaires des pharmacies autorisées, ce qui porte atteinte au principe de l’égalité devant la loi.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui considère que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes étant donné que l’auteur n’a pas avancé le grief d’atteinte au droit à l’égalité devant le Tribunal constitutionnel. Le Comité relève toutefois que le Tribunal s’était déjà prononcé sur cette question dans une affaire analogue et avait rendu une décision négative. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que quand la plus haute juridiction interne a statué sur la question objet du litige, rendant ainsi impossible qu’un recours devant les tribunaux internes aboutisse, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité conclut qu’en l’espèce les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Néanmoins, le Comité estime que, aux fins de la recevabilité, l’auteur n’a pas étayé sa plainte concernant la violation de l’article 26 du Pacte. Rien dans les allégations de l’auteur ne permet de soupçonner une discrimination pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Le Comité considère donc que l’allégation de l’auteur, selon laquelle elle aurait été victime de discrimination en violation de l’article 26, n’est pas fondée, conformément aux dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Y. Communication n o  1315/2004, Singh c. Canada (Décision adoptée le 30 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

M. Daljit Singh (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

21 septembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Expulsion vers le pays d’origine avec risque de torture

Questions de procédure: Mesures provisoires, demande de l’État partie de lever les mesures provisoires

Questions de fond: Risque de torture et de mort; réexamen d’une décision d’expulsion; procès inéquitable et recours inefficace

Articles du Pacte: 2, 6, 7, 13 et 14

Articles du Protocole facultatif: 1 et 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. Daljit Singh, de nationalité indienne en attente d’expulsion du Canada. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Canada de ses droits en vertu des articles 2, 6, 7, 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 5 novembre 2004, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a demandé à l’État partie, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, «de ne pas expulser l’auteur avant d’indiquer au Comité s’il comptait le renvoyer en Inde, et préalablement à la présentation au Comité de ses observations concernant la communication, conformément à l’article 97 (ancien art. 91) du Règlement intérieur». Le 9 novembre 2004, suite à une demande de clarification, le Comité a prié l’État partie «de ne pas renvoyer M. Daljit Singh en Inde avant d’avoir formulé ses observations concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l’auteur et que le Comité n’en ait accusé réception».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur vivait dans le village de Sonet du district de Ludhiana (Penjab). Propriétaire d’une société de transport routier, il possédait quatre camions. Il est marié et a deux enfants. Sa femme et ses enfants vivent toujours à Sonet. Sa mère, son frère, sa sœur et leurs familles respectives vivent tous en Colombie‑Britannique (Canada). Son père est décédé le 1er juin 1999 en Colombie‑Britannique.

2.2Le 15 septembre 1998, le beau‑frère de l’auteur et le chauffeur de l’un de ses camions ont été arrêtés par la police à Jammu et accusés d’aider un groupe militant. L’auteur a été arrêté chez lui le lendemain à 5 heures, et mis en détention par la police. Il affirme que pendant sa détention, il a été frappé et torturé. Le 17 septembre, il a été remis en liberté grâce à l’intervention du maire (Sarpanch) du village, du conseil du village et du Président du syndicat des camionneurs, à la condition qu’il parle à la police des activités des militants. Un pot‑de‑vin a été versé pour sa libération. L’auteur affirme que son beau‑frère et son chauffeur ont été incarcérés une semaine et torturés. Ils auraient été libérés aux mêmes conditions que lui. Il dit que tous trois ont reçu un traitement médical après leur libération.

2.3En avril 1999, l’auteur a été arrêté une nouvelle fois car il était suspecté d’aider les militants à transporter des armes, des munitions et des explosifs. Après deux jours de détention, pendant lesquels il affirme avoir été de nouveau torturé, il a pu être libéré grâce à l’intervention du maire du village (Sarpanch), à la condition de se présenter chaque mois au commissariat pour fournir des informations concernant son chauffeur et d’autres militants. Il affirme qu’il a reçu un traitement médical après sa libération et qu’il souffre de troubles post‑traumatiques. Craignant pour sa vie, il a décidé de fuir l’Inde. Il dit que sa femme et son fils ont été torturés en avril 2003, après son départ.

2.4Le 3 juin 1999, l’auteur a demandé et obtenu un visa de touriste pour entrer au Canada afin d’assister aux funérailles de son père. Le 6 juin 1999, il est arrivé au Canada et le 30 juin 1999, il a demandé l’asile. Le 15 décembre 2000, sa demande du statut de réfugié a été examinée par la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci‑après dénommée «la Commission»), qui a décidé, le 28 février 2001, que l’auteur n’était pas un réfugié au sens de la Convention parce que ses déclarations n’étaient pas plausibles. Son récit n’a pas été jugé crédible.

2.5Le 10 juillet 2001, la Cour fédérale a rejeté le recours introduit par l’auteur contre la décision de la Commission. Le 5 novembre 2003, la demande d’évaluation du risque préalable au renvoi déposée par l’auteur a reçu une réponse négative. Le 5 novembre 2003, sa demande de résidence permanente au Canada pour des motifs humanitaires a été rejetée. Le 18 décembre 2003, l’auteur a déposé une demande d’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire de la décision issue de l’évaluation du risque ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Le 19 janvier 2004, la Cour fédérale a ordonné de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion jusqu’à ce qu’une décision concernant la demande d’autorisation de contrôle judiciaire soit prise. Le 3 mai 2004, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son renvoi en Inde constituerait une violation par l’État partie des articles 6 et 7 du Pacte, étant donné qu’il serait soumis à la torture, qu’il n’aurait pas la possibilité de recevoir un traitement médical et qu’il pourrait perdre la vie. Pour étayer sa plainte, il se réfère aux tortures qu’il aurait subies en 1998 et en 1999 et à l’allégation selon laquelle les membres de sa famille auraient été frappés et harcelés par la police depuis son départ.

3.2L’auteur affirme que la procédure nationale qui a abouti à la décision d’expulsion était également contraire aux articles 13, 14 et 2 du Pacte. Selon lui, l’article 13 a été enfreint par les «procédures» employées en l’espèce et que la procédure d’examen du risque préalable au renvoi est contraire à la Charte canadienne des droits et des libertés. Il affirme qu’il y a eu violation de l’article 14 car les autorités nationales n’ont pas examiné attentivement les éléments de preuve fournis à l’appui de sa demande. Ni les rapports médicaux et les photographies établissant que lui‑même et certains des membres de sa famille avaient subi des tortures, ni les déclarations des maires des villages environnants attestant les problèmes qu’il avait eus avec la police, ni le rapport établi à l’issue d’une enquête réalisée par le Groupe des droits de l’homme des sikhs sur les incidents en question n’ont été examinés par les autorités nationales. Même les informations provenant d’autres sources sur la situation générale des droits de l’homme en Inde n’ont pas été examinées, notamment un rapport de Human Rights Watch daté du 10 juin 2003 et un bulletin universitaire. Il est affirmé que l’analyse que la Commission et le service chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi font de la situation des droits de l’homme en Inde est inexacte. L’auteur demande au Comité d’examiner les éléments de preuve qu’il a présentés à la Cour fédérale, qu’il juge suffisants pour établir son état psychologique actuel et le risque auquel il sera exposé s’il est expulsé.

3.3L’auteur affirme également qu’il y a eu violation des articles 14 et 2, car les recours juridiques disponibles sont inefficaces. Il affirme qu’il n’y a pas au Canada d’examen indépendant du risque de torture que les demandeurs d’asile encourent s’ils retournent dans leur pays d’origine, que les procédures sont administratives et aboutissent à des décisions sommaires d’expulsion. Les fonctionnaires chargés de l’évaluation du risque avant renvoi ne sont pas indépendants, puisqu’ils sont des employés du Ministère qui cherche à expulser le requérant, et il n’y a pas de véritable contrôle judiciaire de leurs décisions. Un requérant doit d’abord demander l’autorisation d’introduire un recours auprès de la Cour fédérale et si elle lui est accordée, la Cour ne peut revenir que sur des erreurs de droit. L’auteur se réfère à l’arrêt que la Cour fédérale a rendu dans une autre affaire, par lequel elle a annulé la décision du fonctionnaire de l’immigration qu’elle jugeait déraisonnable et renvoyé l’affaire pour réexamen, pour démontrer que la procédure est inefficace. Il affirme que l’inefficacité des recours juridiques au Canada a été sévèrement critiquée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans un rapport daté du 18 septembre 2001 concernant la situation des droits de l’homme des demandeurs d’asile dans le cadre du système canadien de détermination du statut de réfugié (2000).

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une lettre du 22 décembre 2004, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. Il déclare que bien qu’il considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, ce n’est pas sur ce motif qu’il s’appuie pour contester la recevabilité, étant donné que les allégations de l’auteur ne sont pas fondées et que l’État partie souhaite régler l’affaire le plus rapidement possible.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 6 et 7. L’auteur se contente d’allégations vagues selon lesquelles il serait exposé à un risque sérieux de torture, fondées sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux qu’il a présentés aux tribunaux canadiens. L’État partie se fie aux conclusions de la Commission et de l’agent chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi concernant le manque de crédibilité de l’auteur, et affirme qu’il n’appartient pas au Comité de revenir sur des conclusions concernant la crédibilité, d’apprécier des éléments de preuve ou de réévaluer les conclusions concernant les faits auxquelles sont parvenus des cours ou des tribunaux nationaux.

4.3Au cas où le Comité souhaiterait réévaluer les conclusions concernant la crédibilité de l’auteur, l’État partie fait observer que le témoignage de celui‑ci au sujet des événements pertinents contenait des contradictions, des incohérences et des invraisemblances. Il cite notamment les exemples suivants: par endroits, le récit écrit de l’auteur était étonnamment similaire, parfois identique, à celui d’autres requérants avec lesquels il n’avait aucun lien, également originaires d’Inde; son témoignage oral et écrit au sujet de son employé, que la police aurait accusé d’avoir partie liée avec les militants, était contradictoire; ses allégations concernant son beau‑frère étaient contradictoires et manquaient de crédibilité, en particulier lorsqu’il affirmait que, bien que celui‑ci ait été arrêté dans son camion avec des armes, des explosifs et de la fausse monnaie, il avait été relâché sans avoir été inculpé et vivait toujours en Inde; de même lorsqu’il déclarait que son fils, qui était officiellement propriétaire de l’un des camions, avait aussi pu rester en Inde.

4.4Quant à une photographie que l’auteur a fournie à l’appui de son allégation selon laquelle sa femme et son fils auraient été torturés en avril 2003, et qui a été présentée pour la première fois à l’agent chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi, l’État partie relève que l’agent ne lui a accordé aucun poids, considérant qu’il aurait pu s’agir de n’importe quelle femme et de n’importe quel jeune homme couverts de pansements sur un lit d’hôpital. À supposer que cette photographie représente les proches de l’auteur, elle ne prouvait pas qu’ils avaient été torturés. L’État partie fait valoir que si l’auteur a pu obtenir une photographie d’eux à l’hôpital, il aurait pu tout aussi bien obtenir un rapport médical décrivant leurs blessures, ce qu’il n’a pas fait. S’ils ont été torturés, l’État partie s’étonne qu’ils continuent à vivre dans leur ville natale et n’aient pas fui dans une autre région de l’Inde ou carrément quitté le pays.

4.5Quant au rapport médical fourni à la Commission, malgré la conclusion selon laquelle «l’état physique objectif de cet homme et ses allégations subjectives de torture ne sont pas incompatibles», la Commission ne lui a pas accordé de force probante parce qu’elle mettait en doute la crédibilité de l’auteur et que celui‑ci s’était contredit au sujet de l’origine des cicatrices qu’il présentait dans le dos. Pour ce qui est du rapport psychologique, bien que la psychologue ait conclu qu’il était tout à fait plausible que les troubles post‑traumatiques qu’elle avait diagnostiqués chez l’auteur soient la conséquence des événements traumatiques qu’il affirmait avoir vécus, la Commission a considéré qu’à part les allégations de l’auteur, il n’y avait aucune preuve directe attestant que ces événements avaient eu lieu. Puisque les allégations n’ont pas été jugées crédibles par la Commission, le rapport de la psychologue, qui était fondé sur ces allégations, n’a pas été considéré comme ayant valeur probante. L’État partie estime que les doutes qui pèsent sur les aspects les plus importants du récit de l’auteur entament si gravement la crédibilité de celui‑ci que ses allégations ne suffisent pas à étayer son affirmation selon laquelle il encourrait un risque de mort ou de traitement cruel ou inhabituel s’il était renvoyé en Inde.

4.6Pour ce qui est de la situation des droits de l’homme en Inde, l’auteur n’a pas établi qu’il courait personnellement un risque dans ce pays. Même si la situation des droits de l’homme en Inde constitue parfois un sujet de préoccupation, elle ne permet pas de considérer qu’il y aurait violation du Pacte si l’auteur y était renvoyé. Cependant, au cas où le Comité souhaiterait examiner la situation des droits de l’homme en Inde, l’État partie affirme que cette situation ne corrobore pas les allégations de l’auteur. La situation des droits de l’homme des sikhs en Inde s’est tellement améliorée que le risque qu’ils subissent des tortures ou tout autre mauvais traitement de la part de la police est désormais négligeable. L’État partie se réfère aux rapports de pays sur lesquels s’est appuyé l’agent chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi (rapport des services d’immigration danois de 2001 et rapport de pays établi par les États‑Unis en 2002), où il est affirmé que la situation des sikhs au Penjab est à présent stable et que seuls les militants très connus sont susceptibles de courir des risques. L’État partie affirme qu’il a pris en considération les autres rapports fournis par l’auteur, notamment un rapport de 1999 intitulé «Lives Under Threat» (Des vies menacées), qui décrit les persécutions dont les sikhs font actuellement l’objet en Inde, ainsi qu’un rapport de 2003 de SikhSpectrum.com Monthly qui traite de l’impunité judiciaire dont jouissent les responsables de disparitions au Penjab. Selon l’État partie, ce n’est pas parce qu’il y a eu dans le passé des atteintes aux droits de l’homme et que l’impunité persiste dans certains cas que le récit de l’auteur est crédible ou que ses allégations sont étayées. Quant à l’arrêt que la Cour fédérale a rendu dans l’affaire Singh Shahi, par lequel la Cour a annulé la décision de l’agent des services d’immigration et renvoyé l’affaire pour réexamen, l’État partie soutient qu’il démontre que la procédure est efficace, puisque les cas qui doivent être réexaminés le sont. À ce propos, l’État partie se réfère à la décision du Comité contre la torture, qui, après avoir examiné le cas de B.S.S., n’a pas constaté de violation de la Convention, et a même parlé de l’efficacité des recours judiciaires au Canada.

4.7L’État partie affirme que l’auteur n’a pas, même à première vue, étayé son allégation selon laquelle il serait tué s’il était renvoyé en Inde. Relativement à l’article 7, l’État partie estime que les allégations n’établissent pas de risque dépassant la simple «théorie ou suspicion» ni de risque réel et personnel d’être torturé ou de subir une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. À supposer que l’auteur ait été torturé dans le passé, ce que l’État partie nie, ce n’était pas dans un passé récent et cela ne prouve pas qu’il pourrait y avoir un risque de torture à l’avenir.

4.8L’État partie fait valoir en outre qu’à supposer que l’auteur coure réellement un risque de mort, de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant s’il retourne au Penjab, il n’a pas démontré qu’il n’avait pas la possibilité de fuir dans une autre région du pays. Le fait de ne pas pouvoir rentrer chez lui constituerait sans doute un préjudice, mais celui‑ci n’équivaudrait pas à un traitement constituant une violation du Pacte. Enfin, même si l’on ne tenait pas compte de toutes les contradictions que comporte le récit de l’auteur et si ce récit était jugé crédible, certains documents attestent que, bien qu’il craigne d’être maltraité par la police s’il était renvoyé en Inde, seuls les militants très connus courent actuellement un tel risque. Étant donné que l’auteur n’est pas un militant très connu, il est peu probable qu’il soit visé par la police.

4.9Quant aux allégations de violation des articles 2, 13 et 14, l’État partie affirme qu’elles sont irrecevables parce qu’elles sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. Il s’appuie sur la jurisprudence du Comité pour démontrer que l’article 2 ne reconnaît pas de droit indépendant à réparation et ne peut être invoqué que lorsqu’une violation d’un droit énoncé dans le Pacte a été établie. En tout état de cause, les droits garantis par le Pacte qui sont supposés avoir été violés sont des droits protégés par la Charte canadienne des droits et des libertés. Il est affirmé que l’article 13 ne s’applique pas à l’auteur, car il a été estimé que celui‑ci ne courait pas de risque en Inde, qu’il fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion conforme à la loi et qu’il ne se trouve donc pas «légalement sur le territoire» canadien. L’État partie cite l’Observation générale no 15 du Comité et ses constatations dans l’affaire Maroufidou c. Suède, dans lesquelles le Comité a estimé que l’article 13 ne portait directement que sur la procédure, et non sur les motifs de fond de l’expulsion, et que son objectif était d’éviter les expulsions arbitraires. L’auteur n’a pas établi que la procédure ayant abouti à une décision d’expulsion à son encontre n’était pas conforme à la loi ni que le Gouvernement canadien avait outrepassé ses pouvoirs.

4.10L’État partie fait valoir que les procédures d’examen des demandes de protection ou du statut de réfugié n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 14 du Pacte. Elles relèvent du droit public, dont l’équité est garantie par l’article 13. Si toutefois les procédures d’immigration étaient considérées comme relevant de l’article 14, l’État partie affirme qu’elles respectent les garanties qui y sont énoncées. Le cas de l’auteur a été examiné par la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, instance indépendante. L’auteur savait comment se défendre, était représenté par un conseil et a eu toute latitude de participer à la procédure, y compris en témoignant oralement et en formulant des observations écrites. Il a pu former un recours et a eu le droit de déposer une demande pour motifs humanitaires.

4.11Quant aux plaintes générales de l’auteur concernant la portée du réexamen effectué par la Cour fédérale et les procédures d’examen du risque préalable au renvoi, l’État partie note qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer le système canadien en général, mais seulement d’examiner si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte. Quoi qu’il en soit, divers organes internationaux, y compris le Comité, ont estimé que les procédures mises en cause constituaient des recours utiles. S’il est vrai que le Comité contre la torture a récemment mis en question l’efficacité de la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi dans le cas d’un requérant, parce qu’il supposait que dans l’affaire en question, l’examen des risques ne serait fondé que sur les nouveaux éléments de preuve, dans le cas d’espèce, l’agent chargé de cette procédure a examiné toutes les explications et tous les éléments de preuve fournis par l’auteur, tant les nouveaux éléments de preuve que ceux qui avaient été auparavant présentés à la Commission, lorsqu’elle avait évalué le risque auquel il pourrait être exposé à son retour.

4.12Au cas où le Comité déclarait la communication recevable, l’État partie demande qu’elle soit considérée comme étant dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur

5.1En date des 20 mars et 3 septembre 2005, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il expose la situation historique au Penjab depuis les années 1980, avec force détails, pour démontrer qu’il risquerait d’être torturé s’il y retournait. À propos des contradictions relevées dans son récit, l’auteur affirme qu’il n’est pas étonnant que son histoire ressemble à celle d’autres camionneurs sikhs, étant donné que les sikhs sont nombreux dans ce secteur d’activité et que beaucoup ont été arrêtés et torturés parce qu’ils avaient pris des militants à bord de leur camion ou étaient soupçonnés de transporter des munitions pour eux. Il dément avoir fait des déclarations contradictoires à propos de son employé et affirme que son beau‑frère a dû se cacher et que son fils est lourdement harcelé. Bien que l’État partie affirme le contraire, l’auteur insiste sur le fait que les photographies des marques qu’il a dans le dos ont été soumises à la Commission. Il nie qu’aucun élément nouveau n’ait été présenté à l’agent chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi et cite les déclarations des quatre maires locaux (Sarpanch) attestant le danger auquel il serait exposé à son retour ainsi que la détention de sa femme et de son fils.

5.2En ce qui concerne ses allégations de torture, l’auteur fait valoir que selon les témoignages déposés auprès de la Commission indienne des droits de l’homme, des tribunaux indiens et des organisations internationales de protection des droits de l’homme, la détention et les tortures qu’il a décrites correspondent bien aux méthodes employées par la police du Penjab. Il fait observer que les extraits du rapport des services d’immigration danois cités par les autorités nationales ne reflètent pas les véritables conclusions du rapport. Des arrestations arbitraires continuent d’avoir lieu, des personnes autres que celles qui sont très connues sont menacées, et il n’est pas évident qu’il soit possible de fuir dans une autre région du pays. D’autres rapports, y compris celui d’Amnesty International daté de 2003, l’attestent. L’auteur fournit des informations supplémentaires en vue de démontrer l’inadéquation du système d’examen des demandes d’asile par le service chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi et la Cour fédérale.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme qu’il ne disposait pas de recours efficace pour contester son renvoi, le Comité note que l’auteur n’a pas démontré en quoi les décisions des autorités canadiennes ont été contraires à l’obligation d’examiner de manière juste et approfondie le risque de violations des articles 6 et 7 qu’il disait courir s’il était renvoyé en Inde. Dans ces circonstances, le Comité n’a pas à déterminer si les procédures liées à l’expulsion de l’auteur entraient dans le champ d’application de l’article 13 (en tant que décision en vertu de laquelle est expulsé un étranger qui se trouve légalement sur le territoire) ou de l’article 14 (détermination des droits et des devoirs dans un procès). En conséquence, cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité rappelle que les États parties sont tenus de ne pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Le Comité doit donc déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire qu’en cas de renvoi en Inde, l’auteur ferait de manière prévisible et inévitable l’objet de traitements prohibés par les articles 6 et 7. Le Comité note que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de l’auteur à l’issue d’un examen approfondi, au motif que ses déclarations n’étaient pas vraisemblables ni étayées (par. 2.4) et que le rejet de sa demande d’évaluation du risque préalable au renvoi était fondé sur des motifs analogues. Il note en outre que dans les deux cas la demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour fédérale (par. 2.5). L’auteur n’a pas suffisamment montré en quoi ces décisions avaient été contraires à la norme énoncée plus haut, et n’avait pas apporté suffisamment d’éléments pour montrer qu’il courrait un risque réel et imminent de violations des articles 6 et 7 du Pacte s’il était expulsé en Inde. Le Comité considère donc que la plainte est irrecevable également en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

Z. Communication n o  1323/2004, Lozano c. Espagne (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Amando Lozano Aráez, Francisco Aguilar Martínez, José Lozano Rodríguez, Felicita Baño Franco et Juana Baño Franco (représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

4 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Aggravation de la condamnation en appel sans autre possibilité de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité

Questions de procédure: Irrecevabilité ratione materiae de la plainte

Questions de fond: Droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 3

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, datée du 4 novembre 2004, sont Amando Lozano Aráez, Francisco Aguilar Martínez, José Lozano Rodríguez, Felicita Baño Franco et Juana Baño Franco. Ils affirment être victimes de violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1Le 26 février 1991, les auteurs ont constitué une société à responsabilité limitée, «A.B.L. Alimentación, S.L.», domiciliée en Espagne, dont l’objet commercial était la fabrication et la réparation de machines pour la conserverie alimentaire. En novembre 1993, la société devait près de 8 millions de pesetas (environ 48 000 euros) à deux autres sociétés commerciales, «Comercial Stainless Steel, S.A.» et «Comercial Industrial García, S.A.» (sociétés créancières). En mars 1994, les auteurs ont fondé une nouvelle société commerciale avec le même objet commercial, les mêmes locaux, les mêmes équipements et le même personnel que la première société. Selon le jugement rendu par le tribunal de première instance de Murcia, par cette opération les auteurs «ont vidé l’ancienne société de tout contenu, actif et activité sans la liquider ni la dissoudre».

2.2Le 25 mai 2001, le tribunal pénal de première instance (Juzgado de lo Penal) de Murcia a condamné les auteurs à quatre mois d’emprisonnement pour dissimulation d’actifs (alzamiento de bienes) au détriment de créanciers. Il n’était pas fait référence dans le jugement à une responsabilité civile des auteurs.

2.3Les représentants des deux sociétés créancières ont fait appel du jugement, et demandé que les auteurs soient reconnus responsables au civil des sommes dues. Le ministère public a retenu l’appel. Le 20 octobre 2001, la cour d’appel (Audiencia Provincial) de Murcia a confirmé la condamnation des auteurs et a en outre estimé que leur responsabilité était engagée puisque, selon les éléments de preuve disponibles, la dette était exigible. Elle les a donc condamnés à payer 9 163 330 pesetas (environ 55 000 euros) aux sociétés créancières à titre de dédommagement.

2.4Les auteurs reconnaissent qu’ils n’ont pas présenté de recours en amparo à la Cour constitutionnelle. Ils considèrent que ce recours est inutile, puisque selon la Cour constitutionnelle la condamnation par un tribunal de deuxième instance, sans possibilité d’appel, d’un accusé acquitté en première instance n’est pas contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle repose sur l’idée que les juges de la cour d’appel ont davantage de discernement, d’expérience et de compétence que ceux de la juridiction inférieure.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs se déclarent victimes d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte du fait que la cour d’appel a aggravé leur condamnation, en les privant de la possibilité de faire réexaminer celle‑ci par une juridiction supérieure. Selon l’article 847 du Code de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Penal) espagnol, il n’est pas possible de contester les décisions de la cour d’appel (Audiencia Provincial). Les auteurs soutiennent qu’à la différence d’autres États parties, l’Espagne n’a pas formulé de réserve concernant le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.2Le Comité s’est assuré, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, le Comité rappelle que cette disposition consacre le droit de faire appel d’une condamnation devant une juridiction supérieure. Le Comité note que la cour d’appel a examiné et confirmé la condamnation des auteurs, qui n’a pas été prononcée en appel mais en première instance. La décision d’imposer un dédommagement n’est pas une aggravation de la condamnation au pénal, mais représente une condamnation au civil à laquelle ne s’applique pas le paragraphe 5 de l’article 14. En conséquence, le Comité conclut que la plainte est incompatible ratione materiae avec le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et il la déclare irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

AA. Communication n o  1331/2004, Dahanayake c. Sri Lanka (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Mme Susila Malani Dahanayake et 41 autres ressortissants sri‑lankais (représentés par l’ONG «International Public Interest Defenders»)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

21 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Expropriation, évaluation préliminaire de l’impact sur l’environnement

Questions de procédure: Épuisement des recours internes, même question déjà soumise à une autre instance internationale

Questions de fond: Égale protection de la loi, droit de recevoir des informations, immixtion illégale au domicile

Articles du Pacte: 19 (par. 2) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication sont les suivants: Susila Malani Dahanayake, A. A. Hema Mangalika, P. M. Koralage, A. K. Maginona, Arambawelage Weerapala, Jayawathie Abeygoonewardene, M. P. Gamage Premadasa, Tiranagamage Dayaratne, G. D. Dayawanse Devapriya, W. Don Leelawathie, Geeganage Nandawathie, Brahamanage Chandrasiri, Veditantirige Kusuma, T. L. Sarath Chandrasiri, D. Liyanage Dhanapala, Geeganage Gunadasa, Geeganage Karunadasa, A. Vithanage Wickramapala, Meepe Gamage Kulasena, T. Salamon Appuhamy (décédé), Meepe Gamage Paulis, M. V. Mahindaratne, A. A. Sunanda, S. A. Wanigaratne, C. Kumudini Liyanage, M. T. Isawathie (décédé), M. G. Sarath Wickramaratne, S. K. A. Ariyawathie, H. G. Kulawathie, M. V. Chandradasa, D. Dayawathie, Karunawathie Samarasekara, Podinona Samarasekara, G. Karunadasa, H. G. D. Asika Shyamali, Maliaspakoralage Ariyawathie, N. V. Samithra, M. Vithanage Dharmasena, Meepe Gamage Piyaratne, G. Sirisena Silva, Buddhadasa Ihalawaithana et M. V. Punyawathie (décédé après le dépôt de la communication), tous de nationalité sri‑lankaise et résidant actuellement à Sri Lanka. Ils affirment être victimes de violations, par Sri Lanka, des articles 6, 19, paragraphe 2, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par l’ONG «International Public Interest Defenders».

1.2Deux demandes de mesures provisoires visant à prier l’État partie de s’abstenir d’expulser les auteurs et leurs familles de leurs terres et maisons ou de leur imposer une réinstallation «non consentie» ont été refusées par le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires.

Exposé des faits

2.1Lorsqu’ils ont présenté leur communication, les auteurs résidaient et possédaient des terres depuis longtemps à Ihalagoda, Walahanduwa, Niyagama, Ambagahawila, Pinnaduwa, Godawatte, Narawala et Ankokkawala, villages de la région d’Akmeemana, dans le sud de Sri Lanka. Ils disent agir également au nom des autres villageois lésés. Les auteurs et ceux qu’ils représentent vivent dans cette région en toute tranquillité depuis plusieurs générations.

2.2Du début au milieu des années 90, la Road Development Authority (RDA), organisme public chargé de la construction et de l’entretien des routes, a proposé la construction d’une autoroute de 128 kilomètres entre Colombo, dans l’ouest du pays, et Matara, dans le sud, et soumis un projet de tracé. Conformément à la loi sur l’environnement no 47 de 1980, telle que modifiée par les lois no 56 de 1988 et no 53 de 2000, une évaluation de l’impact sur l’environnement a été réalisée pour évaluer et analyser les conséquences du projet autoroutier sur les plans écologique, social, financier et agricole. Cette évaluation comprenait les étapes suivantes: «détermination des incidences environnementales» du projet, recherche et examen de solutions de remplacement, publication d’un rapport, appel aux commentaires du public pendant une période déterminée, et contrôle technique et approbation par la Central Environmental Authority (CEA), l’organisme public chargé de la protection de l’environnement. C’est l’Université de Moratuwa, à Sri Lanka, qui a établi le rapport d’évaluation d’impact sur l’environnement. Deux tracés possibles y étaient envisagés, à savoir le «tracé combiné» et le «tracé initial». Aucun ne traversait les villages ou biens des auteurs. Le rapport d’évaluation concluait que le «tracé combiné» était la solution la plus satisfaisante sur les plans financier, social, agricole et environnemental.

2.3Le 23 juillet 1999, la CEA a informé la RDA qu’elle approuvait son projet d’autoroute sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies, notamment que le tracé de la route ne traverse pas les zones humides de Koggala et de Madu Ganga et que les réinstallations d’habitants soient limitées au strict nécessaire. Toute modification du projet devait faire l’objet d’une nouvelle approbation. Les conditions requises auraient pu être remplies en déviant le «tracé combiné» de 200 mètres sur une distance d’environ 1 kilomètre, ou en construisant la route sur des piliers en béton, comme il était recommandé dans le rapport d’évaluation de l’impact sur l’environnement.

2.4Au lieu de satisfaire aux conditions de la CEA, la RDA a conçu un tracé totalement nouveau, appelé le «tracé définitif». Ce tracé touche environ 10 fois plus de personnes que le «tracé combiné» dans le même secteur. Il traverse un grand nombre de propriétés, dont les terres et les maisons des auteurs, qui seront obligés de vendre et de se réinstaller ailleurs. Les auteurs n’ont pas été informés officiellement par écrit de la modification du tracé, et n’ont donc pas eu la possibilité de donner leur avis à ce sujet. Ils ne l’ont appris qu’en mars 2000 lorsque des fonctionnaires de l’Institut géographique national ont pénétré sur les propriétés de certains auteurs.

2.5Le «tracé définitif» en tant que solution de remplacement n’a jamais donné lieu à une évaluation de l’impact sur l’environnement. Toute modification de cette nature au projet aurait dû faire l’objet d’une nouvelle approbation, conformément à la loi sur l’environnement et aux conditions énoncées dans l’avis d’approbation de la CEA. Ni le «tracé définitif» ni les tronçons modifiés de l’autoroute n’ont été soumis à une nouvelle approbation contrairement à ce qu’exige la loi. Les auteurs sont donc dépouillés de leurs biens sans avoir pu s’exprimer ni bénéficier des dispositions légales qui leur reconnaissent le droit à une évaluation et le droit d’être consultés et de donner leur avis, conformément à la loi sur l’environnement et à ses règlements d’application. Autour du 15 août 2002, plusieurs géomètres, accompagnés de responsables de la RDA et de policiers armés, ont fait irruption sur les propriétés des auteurs et entrepris d’en faire le relevé topographique, illégalement et par la force, au mépris des protestations des propriétaires. Ils ont menacé, intimidé et harcelé les auteurs et occasionné des dommages à certains de leurs biens.

2.6Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé les recours internes. Le 29 juillet et le 19 août 2002, ils ont engagé deux actions devant la Cour d’appel, lui demandant de rendre un arrêt de certiorari en vue d’annuler la décision par laquelle la RDA avait modifié le tracé du projet d’autoroute en le faisant passer sur leurs terres. Le 8 octobre 2002, la Cour d’appel a institué une commission formée de trois juges de la Cour suprême à la retraite chargée d’examiner plusieurs questions relatives à cette affaire. Cette commission a conclu que les modifications en cause ne pouvaient être considérées faisables et opportunes que si elles étaient conformes à la procédure énoncée dans la loi sur l’environnement et aux dispositions du Règlement d’application no 17 relatif aux modifications. La commission a également estimé que les auteurs devraient avoir la possibilité de donner leur avis sur le «tracé définitif».

2.7Le 30 mai 2003, la Cour d’appel a débouté les auteurs au motif que l’obligation à l’égard de la société dans son ensemble l’emportait sur l’obligation à l’égard d’un groupe de personnes lésées par la construction de l’autoroute.

2.8Le 20 janvier 2004, la Cour suprême a reconnu qu’il y avait eu violation des droits fondamentaux des auteurs, tels que garantis au paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution, ainsi que de la justice naturelle. Elle s’est toutefois limitée à accorder aux auteurs une indemnité et le remboursement des dépens, au lieu de stopper la mise en œuvre du projet modifié illégalement. Les auteurs n’ont pas cherché à toucher l’indemnité accordée car ils considèrent qu’elle ne constitue pas une réparation appropriée pour la violation de leurs droits. Ils affirment que la seule action corrective appropriée en cas de violation imminente de droits fondamentaux est la cessation des actes causant cette violation.

2.9Le 15 janvier 2005, le Directeur du Projet de développement des transports dans la région méridionale a annoncé par voie de presse qu’à partir du 17 janvier les maisons encore situées sur le tracé de l’autoroute (dont celles des auteurs) seraient saisies et qu’une ordonnance judiciaire serait délivrée pour expulser les récalcitrants. Les 18 et 25 janvier 2005, des géomètres ont effectué un relevé topographique chez certains auteurs, sans que ces derniers en aient été avertis, ou alors tardivement, en vertu d’une prétendue ordonnance judiciaire qui ne leur a jamais été montrée. Des fonctionnaires sont entrés illégalement au domicile de certains auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs, qui sont tous lésés par le tracé définitif de l’autoroute, invoquent une violation de l’article 26 du fait qu’ils n’ont pas eu la possibilité de participer à la prise de décisions ni à la «détermination des incidences environnementales» du projet, et qu’ils n’ont pas été notifiés ni consultés, contrairement aux habitants concernés par les tracés dits «combiné» et «initial». Tous ceux qui résident sur le «tracé combiné» ont participé à une évaluation de l’impact social. Ceux qui résident sur le «tracé définitif», en particulier les auteurs, n’ont pas eu cette possibilité. Les auteurs estiment en outre que la Cour suprême, qui a conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution − garantissant un droit équivalent à celui consacré à l’article 26 −, a violé leur droit à l’égalité en leur accordant une indemnité au lieu de mettre un terme à cette violation.

3.2Les auteurs font valoir que le droit à la vie garanti par l’article 6 du Pacte a été interprété au sens large par plusieurs organes conventionnels, dont le Comité des droits de l’homme lui‑même, pour y inclure le droit à un environnement sain et s’affirment donc victimes d’une violation de ce droit. Pour déterminer l’impact sur l’environnement du projet en cause, il faudrait réaliser des études, dans le cadre desquelles les parties concernées pourraient faire entendre leur voix, comme elles en ont légalement le droit, avant que leurs maisons et leurs moyens d’existence ne soient radicalement modifiés. En l’espèce, aucune étude de cet ordre n’a été effectuée, pas plus que les évaluations de l’impact sur l’environnement et les consultations exigées par la loi.

3.3Les auteurs affirment être victimes d’une violation du paragraphe 2 de l’article 19 parce qu’on ne les a pas informés qu’ils risquaient d’être expulsés. La décision de la RDA de modifier le «tracé définitif» pour le faire passer sur les terres des auteurs signifie qu’ils perdront leurs biens sans avoir bénéficié d’une évaluation de l’impact sur l’environnement ou d’une consultation. Puisque que le «tracé définitif» n’a pas fait l’objet d’une évaluation de l’impact sur l’environnement, les auteurs ont été privés de leur droit légal à être informés des conséquences écologiques du projet.

3.4Les auteurs affirment que la même question n’a pas déjà été soumise pour examen à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Ils indiquent que d’autres personnes lésées ont saisi le mécanisme d’inspection de la Banque asiatique de développement, qui cofinance le projet, afin qu’il examine si les déviations inhérentes au «tracé définitif» sont compatibles avec la politique de la Banque en matière de réinstallation et d’environnement. Cette procédure ne vise pas à vérifier si les droits de l’homme garantis par le Pacte sont respectés. Les auteurs soulignent en outre qu’ils ne sont pas parties à cette procédure.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 8 avril 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. À titre de remarque générale, il indique que l’Autoroute du Sud est un grand projet de développement mis en œuvre dans l’intérêt du pays et de la population dans son ensemble, qui a déjà mobilisé du temps et des ressources considérables. L’État partie affirme que la communication n’est pas recevable du fait que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes. Il relève qu’ils n’ont pas saisi la Cour suprême au titre de l’article 126 de la Constitution en vue de demander réparation pour les violations présumées de leurs droits fondamentaux. La Constitution dispose que la Cour suprême est seule compétente pour connaître des plaintes pour violation de droits fondamentaux. Bien que la Cour suprême ait conclu que les auteurs avaient été victimes d’une violation de leurs droits fondamentaux, l’État partie n’a pas eu l’occasion de se défendre sur ce point car les auteurs n’ont pas invoqué cette violation devant la Cour. Ils ont cherché à obtenir réparation auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, qui n’a pas encore rendu de décision à leur sujet. L’État partie considère par conséquent que le seul recours exercé par les auteurs en relation avec leurs griefs de violation des droits fondamentaux est celui qu’ils ont soumis à la Commission nationale des droits de l’homme, devant laquelle leur affaire est encore pendante.

4.2En outre, l’État partie fait valoir que d’autres parties lésées ont soumis l’affaire au mécanisme d’inspection de la Banque asiatique de développement, en vue d’obtenir réparation en se fondant sur la politique de la Banque en matière de réinstallation et d’environnement, ce qui équivaut à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3Le 7 septembre 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il réaffirme que le Projet de développement des transports dans la région méridionale est vital pour le développement de Sri Lanka et indique que, conformément aux procédures établies, le financement des projets de cette nature n’est libéré que lorsque les donateurs ont acquis la conviction que la mise en œuvre du projet ne va pas entraîner de violations des droits de l’homme et des droits environnementaux.

4.4L’État partie se réfère aux procédures engagées devant la Cour d’appel et la Cour suprême, ainsi qu’à l’argumentation présentée dans ce contexte au nom de la RDA et de la CEA, qui définit clairement la position de l’État partie. L’un des arguments avancés était que la RDA n’avait pas «modifié», au sens des règlements applicables, le projet approuvé par la CEA. En l’absence de «modifications», il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation de l’impact sur l’environnement. En outre, même s’il y avait eu modification, une évaluation supplémentaire n’aurait pas été nécessaire dans ce cas précis, le projet ainsi modifié étant situé dans le même «couloir» (zone de projet) que celui examiné dans le rapport d’évaluation de l’impact sur l’environnement. L’État partie fait valoir que la Cour d’appel et la Cour suprême ont toutes deux reconnu l’immense valeur du projet de développement pour la population sri‑lankaise, et ont décidé qu’il pouvait se poursuivre selon le tracé définitif. Les deux juridictions sont parvenues à cette conclusion après avoir dûment examiné les intérêts et les griefs de toutes les parties prenantes, en particulier de celles qui affirmaient être lésées.

4.5L’État partie avance que, même si quelques personnes se sont opposées au projet, la majorité des habitants de la région y est favorable et a même insisté pour qu’il soit exécuté rapidement. Avec l’autoroute, les zones méridionales du pays, encore sous‑développées, seront enfin dotées de l’infrastructure routière dont elles ont tant besoin. Elles seront ainsi reliées à Colombo, la capitale, ce qui induira un développement socioéconomique accéléré dans la région. Au lendemain de la catastrophe du tsunami, qui a touché principalement la région côtière méridionale, des projets catalyseurs de cette sorte s’imposent d’urgence dans le cadre de l’effort de reconstruction.

4.6En ce qui concerne les griefs invoqués par les auteurs en vertu des articles 26, 6 et 19, paragraphe 2, du Pacte, à savoir que la RDA a décidé du tracé définitif de la route sans donner aux personnes concernées la possibilité de s’exprimer dans le cadre d’une procédure d’enquête réalisée par la CEA, l’État partie explique que la RDA a modifié le tracé en raison des préoccupations exprimées par la CEA. Les modifications ont été faites pour répondre à ces préoccupations, étant entendu que c’était la condition à remplir pour obtenir l’approbation de la CEA. Le «tracé définitif» a été conçu en fonction des paramètres établis par la CEA. Puisque les modifications étaient faites pour résoudre et minimaliser les problèmes d’ordre écologique, elles n’ont pas été soumises à une nouvelle approbation de la CEA.

4.7Au moment où les auteurs ont saisi la justice, il était beaucoup trop tard pour envisager d’autres tracés de remplacement, car cela aurait considérablement ralenti l’avancement du projet. Le Gouvernement avait déjà entrepris d’acheter les terres et d’indemniser les anciens propriétaires. Il n’avait pas l’intention de traiter les auteurs de manière inégale, de les priver de leur liberté d’expression ou de porter atteinte à leur droit de vivre dans un environnement sain. Le projet visait à favoriser le développement de la région et à améliorer la qualité de vie de ses habitants, dont les auteurs font partie.

4.8En ce qui concerne l’argument des auteurs selon lequel la Cour suprême, au lieu de leur accorder une indemnité, aurait dû ordonner à la RDA de faire approuver de nouveau son projet par la CEA et de leur permettre de donner leur avis, l’État partie fait valoir que la Cour suprême n’a pas interrompu le projet car elle a estimé que cela entraînerait un dommage irréparable. La Cour, après avoir examiné toutes les circonstances, a considéré qu’il était juste et équitable d’indemniser les auteurs, mais elle a autorisé la poursuite du projet. Le Gouvernement n’a pas le pouvoir de donner des ordres aux autorités judiciaires, qui forment un pilier indépendant de la structure de gouvernance. Il est tenu de respecter les décisions de toutes les juridictions compétentes de l’État partie.

4.9L’État partie conclut que le projet doit impérativement se poursuivre, dans l’intérêt général du pays et de sa population. La communication soulève des questions au sujet desquelles les tribunaux ont déjà émis des conclusions définitives après les avoir examinées avec attention. Ils ont estimé qu’une nouvelle évaluation de l’impact sur l’environnement n’était pas nécessaire, mais que les auteurs avaient droit à une indemnisation appropriée. Des dispositions spéciales ont été prises, conformément à la loi, pour déterminer les indemnités à verser, y compris aux auteurs.

Commentaires des auteurs sur la recevabilité et le fond

5.1Les 17 novembre et 21 décembre 2005, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie et ont réaffirmé leurs griefs. Ils indiquent que les conditions énoncées par la CEA dans son avis d’approbation du 23 juillet 1999 étaient notamment les suivantes:

Renoncer au «tracé combiné» pour revenir au «tracé initial» à proximité des zones humides du lac de Bolgoda/Weras Ganga (condition IX);

Faire en sorte que le tracé du projet d’autoroute ne traverse pas les zones humides de Koggala et Madu Ganga (condition X);

Faire en sorte que le tracé définitif limite au strict nécessaire les réinstallations d’habitants (condition F1);

Faire approuver toute modification du projet, conformément à l’article 1 a) du Règlement no 17 (condition III).

Les auteurs rappellent que leurs terres n’étaient pas situées dans le «couloir» qui a fait l’objet de l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Ils affirment que le coût, en logements, des trois options proposées pour l’autoroute est le suivant:

«Tracé combiné»:622 maisons;«Tracé initial»:938 maisons;«Tracé définitif»:1 315 maisons.

Le fait que le «tracé définitif» entraîne le plus d’expulsions va à l’encontre de la condition F1 de l’avis d’approbation de la CEA. Aucune information n’est disponible sur les autres coûts et conséquences des trois options.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que la même question a déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, les auteurs conviennent qu’ils ont porté l’affaire devant la Banque asiatique de développement car elle est une des principales institutions prêteuses pour le projet, qui doit donc être conforme à ses directives et conventions de prêt. Les auteurs ont demandé au Comité d’inspection de la Banque de vérifier si la modification du tracé était compatible avec sa politique. Le Comité d’inspection a rejeté leur demande. Les auteurs ont renouvelé leur plainte auprès de la Banque, qui a dépêché sur place une équipe de son Comité des garanties. Le rapport de cet organe n’a pas été communiqué aux auteurs. L’affaire a ensuite été transmise au service du Facilitateur spécial des projets de la Banque, qui a examiné des options de remplacement. La procédure a toutefois pris fin sans que les parties s’accordent sur une solution. Les auteurs ont alors saisi le Comité d’experts de la Banque chargé de veiller à la conformité des projets, qui a conclu que les zones concernées par les deux principales modifications devraient faire l’objet d’une évaluation d’impact sur l’environnement. Le Comité d’experts a en effet estimé qu’il y avait de bonnes raisons de considérer qu’avec l’adoption du «tracé définitif» le projet n’était plus conforme aux exigences de la Banque, puisqu’il incluait de nouvelles zones non prises en considération dans l’évaluation de 1999 et qu’il n’y avait pas eu de consultation publique, ce qui est l’objectif général des évaluations de l’impact sur l’environnement. Telle est la position actuelle de la Banque asiatique de développement, qui a demandé, début 2005, à l’Université de Moratuwa d’élaborer rapidement un nouveau rapport d’évaluation de l’impact sur l’environnement concernant le «tracé définitif». Les auteurs affirment que l’enquête conduite par le Comité d’experts de la Banque ne constitue pas un examen par une autre instance internationale d’enquête au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Ce Comité d’experts n’est pas une instance judiciaire ou quasi judiciaire mais un simple mécanisme consultatif de la Banque, qui veille au respect de sa propre politique. Il n’applique pas le droit international et n’octroie pas de réparation aux personnes qui le saisissent.

5.3En ce qui concerne le non‑épuisement des recours internes, les auteurs maintiennent qu’ils ont épuisé ces recours puisque leur affaire a été examinée par la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction de l’État partie. La Cour suprême a examiné la violation des droits fondamentaux des auteurs qui sont garantis au paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution. Plusieurs des auteurs ont également saisi la Commission nationale des droits de l’homme, mais elle n’a pas rendu de décision à ce sujet et les auteurs ont alors formé un recours devant la Cour d’appel. En réponse à l’argument selon lequel ils n’ont pas invoqué de violation de leurs droits fondamentaux dans le cadre des procédures nationales, les auteurs font observer qu’un requérant ne peut pas demander à la Cour d’appel de renvoyer cette question à la Cour suprême. La Cour d’appel peut le faire si elle estime que des éléments donnent à penser que l’une des parties à la procédure a bafoué des droits fondamentaux.

5.4Les auteurs indiquent que leur communication porte sur le fait que la Cour suprême n’a pas agi pour empêcher une violation imminente de leur droit à l’égalité devant la loi, tout en constatant que les auteurs avaient été victimes d’une violation des droits fondamentaux garantis au paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution.

5.5Les auteurs démentent que le projet soit largement plébiscité, comme le prétend l’État partie. Ils affirment que les méthodes de la RDA incluent le recours aux menaces et au harcèlement, et ils fournissent le témoignage de plusieurs des auteurs sur le comportement du personnel de cet organisme. Certains des auteurs ont été contraints de céder leurs biens avant d’avoir été indemnisés, ou ne sont pas satisfaits du montant fixé. D’autres n’ont pas encore reçu l’indemnité supplémentaire de 25 % qui leur avait été promise s’ils quittaient leur propriété avant une certaine date. Les auteurs accusent l’État partie de manipuler les droits qui leur sont garantis dans le cadre du plan de réinstallation de la RDA et de la Banque asiatique de développement. Le plan complet ne leur a pas été communiqué, même si des extraits en anglais sont disponibles. Par conséquent, les auteurs ne savent toujours pas quels sont leurs droits au titre de ce plan.

5.6Les auteurs indiquent que le délai de la procédure d’acquisition des terres a été prolongé, la date limite ayant finalement été fixée au 28 février 2005. Ils ont été contraints de céder leurs biens avant d’avoir touché la moindre indemnité. Certains auteurs ont été dépouillés de leur maison sans s’être vu attribuer à la place un autre logement ou une autre terre, alors que l’indemnité versée ne permet pas d’acheter une terre suffisante ou de construire une maison. La plupart des auteurs gagnaient leur vie en cultivant leurs terres et ont donc perdu leur source de revenus à cause de la réinstallation.

5.7En ce qui concerne l’allégation de l’État partie qui affirme que les auteurs ont présenté leurs demandes trop tard, ces derniers indiquent que le contrat de construction n’a été signé qu’en janvier 2003, près de deux ans après qu’ils eurent saisi la Commission nationale des droits de l’homme. À cette date, ils avaient déjà engagé des procédures judiciaires, et la commission formée de juges de la Cour suprême à la retraite avait clairement indiqué dans son rapport d’octobre 2002 qu’une nouvelle évaluation de l’impact sur l’environnement était nécessaire. En outre, très peu de terres avaient été rachetées à l’époque, et seulement sur le tracé initial. Le prêt de la Banque asiatique de développement n’a pris effet qu’en octobre 2002.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non‑épuisement des recours internes, au motif que les auteurs n’avaient pas invoqué une violation de leurs droits fondamentaux devant les tribunaux internes, et que leur recours devant la Commission nationale des droits de l’homme était encore pendant. Le Comité relève que les auteurs ont saisi la plus haute juridiction de l’État partie et que celle‑ci a examiné leur plainte dans une perspective de violations des droits de l’homme, concluant de fait à l’existence d’une violation du droit à l’égalité. Le Comité conclut que les auteurs ont bien épuisé les recours internes et que, par conséquent, rien ne fait obstacle à ce qu’il examine la communication sur ce point.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que les auteurs ont porté plainte devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité relève que la plainte déposée par les auteurs auprès de la Banque asiatique de développement n’était pas fondée sur une violation présumée des droits garantis par le Pacte. Le Comité considère donc que l’examen par la Banque asiatique de développement n’équivaut pas à un examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment être victimes d’une violation du droit à la vie, protégé par l’article 6, parce qu’ils ont été privés d’un environnement sain, le Comité estime que ce grief n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5À propos du grief des auteurs au regard de l’article 26 du Pacte, le Comité fait observer que le traitement dont ils ont fait l’objet, qui était incompatible avec celui dont ils auraient dû faire l’objet au titre de l’article 26, a été jugé incompatible avec l’article 12 (1) de la Constitution de Sri Lanka, qui est une disposition équivalente de l’article 26. De plus, une réparation leur a été accordée pour cette violation particulière, en sus de l’indemnisation normale qui leur était due pour la perte de leurs biens, et que le Comité n’est pas en mesure de considérer comme insatisfaisante. En conséquence, les auteurs ne peuvent plus être considérés comme des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.6Le Comité observe qu’aucune question distincte ne se pose au titre de l’article 19, paragraphe 2, qui ne soit déjà visée par le grief formulé au titre de l’article 26. Il conclut que cette partie du grief est irrecevable pour les mêmes raisons.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier et de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de MM.  Walter Kälin et Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Nous partageons l’avis du Comité selon lequel la violation de l’interdiction de la discrimination a été réparée par la Cour suprême, de sorte que les auteurs n’en sont plus victimes, mais nous regrettons que d’autres aspects pertinents de l’affaire n’aient pas été examinés. S’il est vrai que les auteurs ne se sont pas plaints explicitement d’être victimes d’une violation de leurs droits de choisir leur propre résidence et d’être protégés de toute immixtion arbitraire ou illégale dans leur vie privée et leur domicile, les faits dont nous sommes saisis (par. 2.3 à 2.5 et 2.9) ainsi que leur grief selon lequel leurs maisons et leurs moyens d’existence ont été affectés de manière radicale (par. 3.2) soulèvent manifestement des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 12 et au titre de l’article 17 du Pacte. Être forcé de quitter sa propre maison pour permettre la réalisation d’un projet de développement tel que la construction de l’autoroute dont il est question en l’espèce constitue certainement une restriction des droits susmentionnés, qui n’est compatible avec le Pacte que si elle est prévue par la loi et nécessaire pour atteindre l’un des objectifs énoncés au paragraphe 3 de l’article 12 et si elle n’est ni illégale ni arbitraire au sens de l’article 17. Si la construction d’une autoroute peut certainement être importante pour le développement d’un pays et servir de ce fait un but légitime, les dispositions du Pacte exigent que les déplacements ou réinstallations forcés soient légaux, c’est‑à‑dire ordonnés conformément au droit interne et nécessaires pour atteindre ce but.

Nous notons que la REA a commencé les travaux de construction de l’autoroute le long du «tracé définitif», sans avoir obtenu de nouvelle évaluation de l’impact sur l’environnement, comme le veut la loi. La Cour suprême a conclu à une violation du droit des auteurs à l’égalité pour ce motif. En outre, il apparaît que des relevés ont été faits dans certaines maisons appartenant aux auteurs, sans qu’ils aient reçu de notification à cet effet. Enfin, il semble qu’avec le «tracé définitif» le nombre des maisons touchées soit le double de ce qu’il aurait été avec le «tracé combiné», en violation de la condition posée par la Central Environmental Authority (CEA) qui demandait que le tracé définitif limite les réinstallations d’habitants. Tout cela indique que le déplacement forcé des auteurs n’a été ni légal ni nécessaire dans la mesure où un tracé moins intrusif aurait pu être possible.

Pour les raisons qui précèdent, le Comité aurait dû déclarer la communication recevable et examiner ces questions au fond. Le Comité aurait pu inviter l’État partie à présenter d’autres observations, s’il avait estimé que l’État partie n’avait pas eu suffisamment la possibilité de le faire sur les questions ayant trait aux articles 12 et 17 du Pacte.

(Signé) M. Walter Kälin

(Signé) M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en anglais (version originale), français et espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

BB. Communication n o  1374/2005, Kurbogaj c. Espagne (Décision adoptée le 14 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Azem Kurbogaj et Ghevdet Kurbogaj (représentés par un conseil, M. Sadije Mjekiqi)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

23 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Compétence de l’État partie à l’égard d’actes commis par l’unité de police espagnole de la MINUK

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Mauvais traitements infligés aux auteurs et aux membres de leur famille

Articles du Pacte: 2 (par. 3 a)), 7 et 17

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont Azem (premier auteur) et Ghevdet (second auteur) Kurbogaj, tous deux Albanais du Kosovo, nés le 22 avril 1949 et le 4 mai 1975, respectivement. Ils déclarent avoir été victimes de violation par l’Espagne du paragraphe 3 a) de l’article 2 et des articles 7 et 17 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, M. Sadije Mjekiqi. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’Espagne le 27 juillet 1977 et le 25 janvier 1985, respectivement.

Exposé des faits

2.1Le 1er février 2003, vers 4 heures du matin, des membres d’une unité de police spéciale espagnole de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) sont entrés de force dans les deux maisons, adjacentes, des auteurs situées à Peja/Pec (Kosovo), défonçant les portes et fouillant les lieux sans donner la moindre explication. Pendant les quatre heures qu’a duré la perquisition, des membres des deux familles ont dû rester couchés sur le sol face contre terre, les mains attachées dans le dos.

2.2Le premier auteur a reçu des coups de pied et a été frappé à l’épaule. Il faisait froid et la police avait brisé plusieurs fenêtres, mais il a été forcé à se coucher sur le sol glacé, vêtu seulement d’un short et d’un tee‑shirt. Il a attrapé une bronchite et a eu pour la première fois de sa vie une crise d’asthme qui lui a valu ensuite 10 jours d’hospitalisation.

2.3De même, pendant la perquisition au domicile du second auteur, l’épouse de celui‑ci, V. K., enceinte, a été forcée à rester trois heures face contre terre, les mains attachées dans le dos, une semaine avant la naissance du bébé. Un enfant de 1 an a également attrapé une bronchite à cause des méthodes employées et de la durée de la perquisition. Les policiers ont poussé une autre femme de la famille, N. K., qui tenait une hache parce qu’elle était en train de couper du bois; elle s’est blessée à la main et il a fallu lui faire des points de suture.

2.4La police a confisqué les économies des deux familles, soit 187 000 euros, qui se trouvaient au domicile du second auteur, ainsi qu’un pistolet de type TT‑1, deux fusils de chasse, trois téléphones portables et 40 euros appartenant à A. K., l’épouse du premier auteur. Plus tard, un fusil et deux téléphones portables ont été restitués aux auteurs. Le montant des dommages − meubles, portes et fenêtres fracassés − s’élevait à 4 700 euros. Le premier auteur a signé un procès‑verbal de perquisition mais il n’a pas été établi de procès‑verbal pour la deuxième maison, dans laquelle se trouvaient les fonds confisqués.

2.5Après les perquisitions, quatre membres de la famille, dont le second auteur, ont été arrêtés et conduits au siège de la police régionale, à Pec. Le second auteur a appris qu’il était soupçonné d’être un terroriste. On le soupçonnait en particulier d’avoir attaqué à la grenade le poste de police de la MINUK à Pec, en janvier 2003. Il a été relâché après environ 36 heures de garde à vue. Les trois autres personnes sont restées en détention pendant quatre heures environ.

2.6L’avocat des auteurs a signalé l’affaire au Commissaire de police de la MINUK, qui a répondu qu’il ne pouvait pas recevoir les plaintes. Le parquet du tribunal de district de Pec, auquel une demande de restitution des biens saisis et d’indemnisation avait été adressée, n’a jamais répondu. Le Médiateur au Kosovo a écrit au Commissaire de police de la MINUK puis au Représentant spécial du Secrétaire général pour les prier de lui donner accès aux dossiers et documents pertinents, comme ils en ont l’obligation conformément aux dispositions de l’article 4.7 du Règlement de la MINUK no2000/38 relatif à la création du bureau du Médiateur au Kosovo. Il n’a cependant reçu aucune réponse.

2.7Les auteurs ont joint à leur communication la copie d’une lettre envoyée par le parquet du tribunal de district au chef de la division pénale du Département de la justice pour l’informer des dommages subis pendant la perquisition. Dans la lettre, il est indiqué que le premier auteur demande une indemnisation.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir qu’il y a eu une violation des droits énoncés au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte parce qu’aucun recours utile ne leur était offert au Kosovo. L’ouverture d’une enquête par le procureur n’aurait aucune perspective raisonnable d’aboutir compte tenu de l’immunité dont jouissent les membres de la MINUK conformément à l’article 3.3 du Règlement de la MINUK no2000/47 sur le statut et les privilèges et immunités de la KFOR et de la MINUK et de leur personnel. Cet article dispose que les personnels de la MINUK, y compris le personnel recruté localement, jouissent de «l’immunité de juridiction en ce qui concerne les actes accomplis par eux − y compris leurs paroles et leurs écrits − dans l’exercice de leurs fonctions officielles».

3.2Les auteurs affirment que l’affaire relève de la juridiction de l’Espagne en raison du contrôle qui a été exercé sur eux par des membres de l’unité de police espagnole de la MINUK. Ils invoquent les constatations du Comité dans l’affaire Saldias de López c. Uruguay selon lesquelles les États parties sont responsables pour les actes constitutifs de violations du Pacte qui sont commis par leurs agents en territoire étranger. Ils invoquent également l’Observation générale no 31 (2004) du Comité et affirment que l’Espagne doit respecter et garantir à tout individu qui se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte, même s’il ne se trouve pas sur son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix.

3.3Les auteurs font valoir que, même s’ils peuvent disposer de recours en Espagne, ces recours sont théoriques et illusoires, et non pas disponibles et utiles, comme l’exige le Pacte. Il serait impossible, pour des raisons logistiques, de demander au conseil de quitter le Kosovo et de former un recours devant les tribunaux espagnols. En effet, il lui faudrait demander un visa pour l’Espagne, alors qu’il n’y a pas de bureau de représentation de l’Espagne au Kosovo, pas plus qu’à Skopje, la capitale étrangère la plus proche. Il en existe un à Sarajevo, mais pour entrer en Bosnie avec un passeport de la MINUK il faut détenir un visa bosniaque qui ne peut être demandé qu’à Skopje.

3.4Les auteurs rappellent que la Cour européenne des droits de l’homme a établi, dans de nombreuses affaires, que pour que les recours soient appropriés et effectifs le requérant devait pouvoir engager une action directement, sans être tributaire d’agents de l’État. Or, l’obtention des visas et autres documents de voyage dépend du bon vouloir de l’État défendeur. Les recours dont l’État partie pourrait affirmer qu’ils sont en théorie ouverts aux auteurs sont donc, dans la pratique, inutiles et inappropriés puisqu’ils relèvent de ses pouvoirs discrétionnaires.

3.5Les auteurs précisent qu’ils n’ont reçu aucune information de la part de l’unité de police espagnole ni du Commissaire de police de la MINUK ni du Médiateur au Kosovo sur les recours éventuels qui existent en Espagne et affirment qu’il est difficile d’obtenir des renseignements détaillés sur ces recours. L’article 23 de la loi organique du pouvoir judiciaire dispose que l’Audiencia Nacional de Madrid a compétence, du moins en théorie, pour les actes commis par des agents de l’État espagnols dans l’exercice de leurs fonctions à l’étranger. En outre, le coût d’une action devant un tribunal espagnol risque d’être prohibitif, puisqu’il faut nécessairement être assisté à la fois par un avoué et un avocat − s’y ajouteraient, dans le cas des auteurs, les services d’un traducteur/interprète et les frais de voyage.

3.6Les auteurs indiquent que la protection insuffisante des droits de l’homme au Kosovo et l’absence de mécanismes de révision ont été décrites dans un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulé «Protection des droits de l’homme au Kosovo», daté du 6 janvier 2005. D’après ce rapport, la MINUK n’est placée sous la juridiction d’aucun tribunal et ne relève que de la compétence du Médiateur au Kosovo, qui n’est pas contraignante; il y a là une lacune grave dans le système de protection des droits de l’homme. Il est recommandé dans le rapport de «créer une cour des droits de l’homme pour le Kosovo».

3.7Les auteurs affirment qu’ils ont été victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte, parce que la façon dont eux‑mêmes et leur famille ont été traités par les policiers pendant les perquisitions illégales constituait un traitement inhumain. En particulier, le fait que le premier auteur ait été agressé et que tous les membres des deux familles, y compris l’épouse enceinte du second auteur, aient été forcés à rester allongés par terre pendant des heures par un froid glacial constitue une violation de l’article 7 du Pacte. Les perquisitions ont été menées de manière inhumaine, plusieurs personnes ont été agressées, d’autres ont été victimes d’une atteinte à la santé, et des dommages importants ont été causés à des biens.

3.8Selon les auteurs, le droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans leur vie privée, leur famille et leur domicile, garanti à l’article 17, n’a pas été respecté. Ils renvoient à l’article 3.5 du Règlement de la MINUK no2000/47, selon lequel «le personnel de la MINUK respecte les lois applicables sur le territoire du Kosovo et les règlements pris par le Représentant spécial du Secrétaire général dans l’exercice du mandat qui a été confié à la MINUK par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. Il s’abstient de tout acte ou activité incompatible avec ces dispositions». En outre, les perquisitions n’ont pas été menées conformément à la loi de procédure pénale yougoslave, applicable à l’époque, qui prévoit qu’un mandat de perquisition doit être présenté avant le début d’une perquisition et un reçu remis pour tout bien confisqué. La perquisition et la saisie ont été effectuées sans autorisation ni garanties suffisantes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une lettre datée du 30 septembre 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication; il affirme que les auteurs ne se trouvaient pas sur son territoire et n’étaient pas placés sous sa juridiction. Les faits se seraient produits dans le cadre des activités de la MINUK. L’organe responsable en dernier ressort est donc la MINUK, qui n’est pas partie au Pacte. Un État partie au Pacte ne peut pas être tenu pour responsable au motif que les règlements de la MINUK sont inefficaces, à plus forte raison lorsque aucun recours n’a été formé devant les tribunaux de cet État.

4.2Il n’y a aucun point commun entre la présente affaire et l’affaire Saldias de López c. Uruguay que les auteurs ont invoquée. Dans l’affaire Saldias de López, les agents de l’État responsables ne faisaient pas partie d’une mission des Nations Unies mais exerçaient simplement des activités illicites en dehors du territoire placé sous la juridiction de l’État partie. En l’espèce, l’Espagne ne peut pas être tenue pour responsable des violations des articles 7 et 17 du Pacte, compte tenu du lieu où les faits allégués se sont déroulés, de la nature de la force de police dont des membres auraient commis ces faits et de la loi applicable, c’est‑à‑dire les règlements de la MINUK ou la législation yougoslave.

4.3L’État partie rejette les griefs des auteurs qui affirment que l’Espagne a commis une violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Il est paradoxal d’avancer d’une part que l’Espagne n’a pas offert de recours utile, et d’autre part que les recours internes au Kosovo sont inutiles. Étant donné la nature des recours dont les auteurs ont jugé approprié de se prévaloir au Kosovo (en déposant plainte auprès du Commissaire de police de la MINUK et du Procureur du district), il est évident que l’on ne peut pas demander à l’Espagne de mettre en place des «recours utiles» au Kosovo. En outre, les autorités espagnoles n’ont été saisies d’aucun élément prouvant la réalité des faits allégués, ceux‑ci n’ayant jamais été portés à leur attention.

4.4L’État partie ajoute que l’aide juridictionnelle existe en Espagne et que les personnes sans ressources peuvent être assistées d’un avocat commis par l’État. Or, les auteurs n’ont pas fait la moindre démarche pour bénéficier de cette possibilité. En outre, une plainte administrative relative à la responsabilité de l’État peut être formulée par écrit et envoyée par courrier, mais les auteurs n’ont rien fait dans ce sens.

4.5En Espagne, l’action pénale est engagée d’office. Si les tribunaux espagnols étaient compétents pour connaître de cette affaire, une simple plainte exposant les faits essentiels aurait été suffisante pour faire ouvrir une enquête. Cette possibilité n’a pas non plus été exploitée. L’État partie conclut donc qu’aucun des recours internes disponibles n’a été utilisé.

4.6Les auteurs auraient dû se prévaloir des possibilités prévues à l’article 6.1 du Règlement de la MINUK no2000/47, selon lequel le Secrétaire général a le droit et le devoir de lever l’immunité des membres du personnel «dans toute circonstance où, à son avis, cette immunité pourrait faire obstacle au cours normal de la justice et où elle peut être levée sans porter préjudice aux intérêts de la MINUK». Il s’agit d’une voie de recours effective qui a été utilisée souvent. En outre, selon l’article 7 du même règlement, «les plaintes émanant de tiers au sujet de pertes ou de dommages matériels et de blessure, maladie ou décès liés à l’action de la KFOR, à la MINUK ou à des membres de leur personnel directement imputés ou qui leur sont directement imputés et qui ne découlent pas de “l’impératif opérationnel” de l’une ou l’autre force internationale sont réglées par la Commission des réclamations établie par la KFOR et la MINUK, selon des conditions à déterminer». Rien dans la communication n’indique que les auteurs aient jamais formulé une réclamation auprès de cette commission. Il n’y figure non plus aucune information sur l’issue de la plainte qu’ils disent avoir déposée auprès du Médiateur. À ce sujet, l’État partie rappelle l’article 3.1 du Règlement no 2000/38 relatif à la création du bureau du Médiateur au Kosovo, selon lequel «le Médiateur est compétent pour recevoir et instruire les plaintes de toute personne physique ou morale au Kosovo faisant état de violations des droits de l’homme et d’actes constituant un abus de pouvoir de la part de l’administration civile provisoire ou de toute autre institution centrale ou locale récemment créée. Le Médiateur accorde une priorité particulière aux allégations de violation particulièrement graves ou systématiques et à celles qui sont fondées sur la discrimination». L’État partie conclut que des voies utiles de réparation existent au Kosovo et qu’aucune ne semble avoir été utilisée ni épuisée.

4.7L’État partie relève des incohérences qui font douter de la véracité des allégations des auteurs. Par exemple, il semble curieux que les membres de la famille aient été forcés de se coucher par terre et qu’en même temps l’un d’entre eux ait pu continuer à couper du bois. L’implication de la police dans les actes ayant provoqué la blessure de la personne qui avait la hache à la main n’est pas claire. Enfin, les auteurs semblent faire un rapport entre les actes de la police et l’accouchement de la femme enceinte quelques jours plus tard, mais ce n’est qu’une spéculation. Il existe également des erreurs dans la communication. Ainsi, les auteurs ignorent qu’un nouveau Code de procédure pénale a été adopté au Kosovo en juillet 2003, de sorte que les règles régissant les perquisitions policières qu’ils ont citées ne sont plus en vigueur.

4.8L’État partie conclut que le Comité n’est pas compétent en vertu du Protocole facultatif en ce qui concerne les activités de la MINUK et de son personnel et que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes dont ils disposent dans l’État partie et au Kosovo.

Commentaires des auteurs

5.Dans une lettre datée du 14 janvier 2006, les auteurs maintiennent que ce qu’ils ont relaté est vrai. Ils affirment que l’affaire a été signalée au Commissaire de police de la MINUK et à un certain nombre d’autorités à Pec, notamment au Procureur international, au Procureur de district, au tribunal de district, au maire et à l’Administrateur international, ainsi qu’au Gouvernement kosovar et au Médiateur à Pristina. Ils ont demandé à toutes ces autorités de prendre des mesures, notamment de poursuivre les responsables et d’obtenir la restitution de l’argent et des autres biens volés. Cependant, rien n’a été fait et il n’existe aucune autre voie de recours vers laquelle ils puissent se tourner au Kosovo. Ils rejettent l’argument de l’État partie qui déclare n’avoir pas de responsabilité et réaffirment que l’Espagne est au contraire responsable des actes commis par ses policiers.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Les auteurs affirment que l’État partie est responsable de la violation de leurs droits résultant d’actes illégaux commis par l’unité de police espagnole présente au Kosovo. Ils invoquent l’Observation générale no 31 (2004) du Comité qui établit que les États parties doivent respecter et garantir les droits reconnus dans le Pacte également à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif de leurs forces, même si celles‑ci agissent hors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix. Sans se prononcer sur la question de la compétence dans les circonstances de l’espèce, le Comité note que les auteurs ne se sont à aucun moment adressés aux autorités pénales ou administratives espagnoles. Le Comité note que les auteurs font valoir qu’ils pourraient se heurter à des difficultés pratiques pour engager une procédure en Espagne, mais il relève que l’État partie a précisé qu’une plainte écrite aurait suffi pour, au moins, faire ouvrir une enquête. Il rappelle que de simples doutes quant à l’efficacité des recours judiciaires ou la perspective de devoir engager des frais élevés pour faire usage de ces voies de recours ne dispensent pas un plaignant de l’obligation de faire des démarches visant à épuiser ces recours. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

CC. Communication n o  1387/2005, Oubiña c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Laureano Oubiña Piñeiro (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

7 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Portée de l’examen d’un pourvoi en cassation par les tribunaux espagnols

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 7 avril 2004, est Laureano Oubiña Piñeiro, de nationalité espagnole, né en 1946. Il déclare être victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1Le 19 juin 2002, la chambre correctionnelle de l’Audiencia nacional a condamné l’auteur à une peine de six ans et neuf mois d’emprisonnement, assortie d’une amende, pour trafic de hachisch. Selon le jugement, en juillet 1997, la police a découvert plusieurs paquets contenant du haschisch à Pontevedra, en Espagne. Le lendemain, des agents du Service de surveillance des douanes (Servicio de Vigilancia Aduanera), qui relève du Ministre de l’intérieur, ont appréhendé l’auteur à Vigo, à proximité d’un terrain de football. L’auteur soutient que sa condamnation ne repose que sur des preuves indirectes.

2.2L’auteur s’est pourvu en cassation devant la deuxième chambre du Tribunal suprême, alléguant que le principe de la présomption d’innocence avait été violé car il avait été reconnu coupable malgré l’insuffisance des preuves apportées contre lui. Il soutenait que le tribunal de première instance s’était trompé dans son appréciation des faits de la cause. Le 25 septembre 2003, le Tribunal suprême a rejeté son pourvoi. L’auteur affirme que le Tribunal suprême a expressément déclaré que le pourvoi en cassation ne «constituait pas un examen en deuxième instance».

2.3L’auteur a introduit un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, alléguant plusieurs violations de ses droits constitutionnels, notamment le droit au double degré de juridiction. L’auteur affirme, s’agissant de ce droit, que le recours en amparo n’avait aucune chance d’être déclaré recevable car la jurisprudence de la Cour constitutionnelle va à l’encontre des constatations du Comité. Il cite un jugement de la Cour constitutionnelle datant de novembre 2002 dans lequel cette dernière réaffirme que le pourvoi en cassation, bien qu’il soit de portée limitée, est conforme aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Ce même jugement rejetterait l’idée que les constatations du Comité puissent constituer une interprétation authentique du Pacte.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime d’une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation (par. 5 de l’article 14). Il met en avant la formule utilisée par le Tribunal pour rejeter l’un des motifs d’appel qu’il a fait valoir, à savoir que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance. Il affirme que le Tribunal n’a pas examiné les preuves, et cite les constatations du Comité dans trois affaires mettant en cause l’Espagne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.1Dans une lettre du 30 juin 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication aux motifs que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les allégations ne sont pas suffisamment étayées. Pour ce qui est de la première condition, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas prouvé qu’il avait épuisé tous les recours internes car il n’a pas fourni des copies du jugement rendu par la Cour constitutionnelle dans le cadre de son recours en amparo. Selon l’État partie, cette omission met le Comité dans l’impossibilité de déterminer si la Cour constitutionnelle s’est prononcée ou pas sur la portée de l’examen mené par le Tribunal suprême, en particulier compte tenu du fait que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fixe les conditions minimales que tout examen par les tribunaux doit remplir pour être conforme aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.2L’État partie soutient que la communication est manifestement infondée car:

a)L’auteur n’a pas fourni une copie de son pourvoi en cassation et il n’est donc pas possible de savoir quelles sont les questions qu’il a demandé au Tribunal suprême d’examiner;

b)Le Tribunal suprême a indiqué que l’auteur s’est borné à réitérer les arguments qu’il avait invoqués devant le tribunal de première instance, sans étayer ses allégations;

c)La simple lecture du jugement rendu par le Tribunal suprême permet de se rendre compte de l’importance de la portée de l’examen auquel s’est livrée cette juridiction, tant sur le plan des questions de fait que sur le plan des questions de droit. Le Tribunal a procédé à un examen approfondi de 21 motifs d’appel invoqués par l’auteur, et notamment des allégations ayant trait au droit d’être entendu par un tribunal impartial; au fait que le jugement ait été rendu dans un délai allant au‑delà de celui prescrit par le Code de procédure pénale; à la conduite de l’enquête préliminaire dans deux lieux distincts; au fait que des rapports d’experts portant sur des questions de droit n’ont pas été jugés admissibles comme éléments de preuve; au fait que le Service de surveillance des douanes n’est pas habilité à procéder à des arrestations; au principe du secret de la correspondance privée; au fait que des écoutes téléphoniques aient été autorisées et les transcriptions des conversations ainsi enregistrées admises comme élément de preuve; à l’absence des téléphones et des cassettes utilisés pour ces enregistrements au début des audiences; au droit à la défense; à la validité des preuves produites par l’auteur; à l’appréciation erronée des éléments de preuve et à la violation du principe de la présomption d’innocence;

d)Le Tribunal, dans plusieurs passages du jugement, a fait référence aux faits de la cause et aux éléments de preuve. L’État partie invoque un passage du jugement dans lequel le Tribunal traite des allégations de violation du principe de la présomption d’innocence et en fournit une transcription.

5.1Dans une lettre datée du 20 septembre 2005, l’auteur indique que, le 14 mars 2005, la Cour constitutionnelle a rejeté son recours en amparo. Il ajoute que la Cour constitutionnelle a eu tort de conclure que le système du pourvoi en cassation espagnol satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il insiste sur le fait que l’Audiencia nacional, dans sa décision, reconnaît que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance.

5.2L’auteur soutient que sa déclaration de culpabilité ne repose que sur des preuves indirectes et rappelle qu’il a toujours nié toute participation au délit considéré. Il ajoute que les défendeurs ne peuvent pas librement formuler des allégations dans le cadre du pourvoi en cassation mais doivent s’en tenir aux motifs limitativement prévus par la loi. La procédure de pourvoi en cassation ne permet pas de réexaminer les faits comme le permet le recours en appel. L’auteur affirme qu’il n’a pas pu bénéficier d’une révision complète de sa déclaration de culpabilité car il n’a pu formuler d’allégation concernant l’examen des faits ou les erreurs commises lors de l’appréciation des éléments de preuve.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14, le Comité note que, contrairement à ce que prétend l’auteur, le Tribunal suprême, lorsqu’il s’est prononcé sur la recevabilité de l’appel, n’a pas affirmé qu’il ne constituait pas une juridiction supérieure au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il a, plus exactement, utilisé la formule «oubliant que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance», sur laquelle l’auteur se fonde dans sa communication, pour expliquer pourquoi l’auteur ne pouvait pas, ainsi qu’il l’a fait, se borner, en appel, à réitérer les arguments qu’il avait invoqués devant la juridiction inférieure − à savoir que le Tribunal de première instance n’avait pas compétence pour le juger − plutôt que de les étayer en faisant référence au jugement rendu par cette dernière. En fait, ainsi que le montre le texte du jugement, le Tribunal suprême a bien procédé à un examen approfondi tant des questions de fait que de l’appréciation des éléments de preuve par l’Audiencia nacional et a exposé de manière très détaillée les raisons pour lesquelles il estimait que les preuves apportées contre l’auteur étaient suffisantes pour l’emporter sur la présomption d’innocence. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que la plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et que la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité étant parvenu à cette conclusion, il considère qu’il est inutile qu’il examine les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

DD. Communication n o  1396/2005, Rivera Fernández c. Espagne (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Jesús Rivera Fernández (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

29 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Rejet de candidature au Conseil supérieur de la magistrature

Questions de procédure: Même question examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond: Liberté d’association, procédure équitable, non‑discrimination

Articles du Pacte: 14 (par. 1), 22 et 26

Articles du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 29 juillet 2004, est Jesús Rivera Fernández, juge espagnol né en 1957. Il affirme être victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 22, lus conjointement avec l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 19 août 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a accédé à la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1Le 13 juin 2001, l’auteur a présenté sa candidature au Conseil général de la magistrature (ci‑après dénommé le Conseil). Le Conseil est l’organe directeur de la magistrature espagnole. Il est composé de 21 membres, dont 12 sont des magistrats du siège. Ces 12 membres sont désignés par le Congrès. Le 28 juin 2001, un amendement à la loi sur la magistrature a modifié le système de nomination de ces 12 membres du Conseil. Avant l’entrée en vigueur de l’amendement, les juges pouvaient élire librement les candidats qu’ils proposaient au Congrès pour les représenter au Conseil. Depuis l’amendement, 36 candidats au plus doivent être proposés, soit par l’une des associations de juges existantes, soit par des juges n’adhérant à aucune association appuyés par au moins 2 % des juges en fonctions. Les juges adhérant à une association ne peuvent voter que pour les candidats qui font également partie de leur association. Quant aux juges n’adhérant à aucune association qui présentent leur candidature au Conseil, bien qu’ils doivent être appuyés par au moins 2 % des juges en fonctions, ils ne peuvent solliciter cet appui qu’auprès de juges ne faisant pas partie d’une association. La loi dispose également que la composition de toutes les associations de juges ne peut pas être modifiée depuis le 1er juin 2001.

2.2Jusqu’au 12 juin 2001, l’auteur était membre de l’Association professionnelle des magistrats de Murcie, dont il a démissionné afin de présenter une candidature indépendante, appuyée par 40 juges dont aucun ne faisait partie à ce moment‑là d’une association de juges. Le 18 juillet 2001, le Président du Conseil a rejeté la candidature de l’auteur au motif qu’elle n’était pas appuyée par le nombre minimum de confrères requis par la loi sur la magistrature.

2.3Le 31 juillet 2001, l’auteur a introduit un recours administratifauprès de la septième section de la troisième chambre du Tribunal suprême. Le 27 septembre 2001, la troisième chambre a rejeté son recours. Elle a estimé que la prérogative du Conseil consistant à communiquer au Congrès une liste de 36 candidats au Conseil ne revêtait qu’un caractère préparatoire et que la décision définitive de nommer les 12 candidats auprès du Roi revenait au Congrès. Ne correspondant pas à une décision administrative type, cette prérogative du Congrès ne pouvait faire l’objet d’un appel. Le 9 octobre 2001, l’auteur a demandé au Tribunal de réexaminer sa décision. Il a déclaré qu’il y avait eu violation du droit à un procès équitable et qu’il avait été victime de discrimination. Le 15 novembre 2001, la chambre a rejeté la demande de réexamen. Le 27 novembre 2001, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Avant que ce recours ne soit tranché, l’auteur a retiré les allégations de violations du droit à un procès équitable et de discrimination. Le 14 novembre 2002, le Tribunal a rejeté le recours.

2.4Le 19 mars 2003, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant des violations de l’article 11.1 (liberté d’association), lu conjointement avec les articles 14 (interdiction de discrimination), 6.1 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le 11 mai 2004, la Cour a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits énoncés dans la Convention.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de son droit à la liberté d’association et de son droit à l’égalité devant la loi (par. 1 de l’article 22, lu conjointement avec l’article 26, du Pacte). Il prétend que l’amendement à la loi sur la magistrature a porté atteinte au caractère volontaire du droit à la liberté d’association. Bien qu’il se soit retiré de l’Association professionnelle des juges de Murcie le 12 juin 2001, la loi le considérait encore comme un juge adhérant à une association, le privant ainsi de la possibilité d’appuyer des candidats ne faisant partie d’aucune association comme il en avait l’intention car, selon la loi, ces candidats ne peuvent solliciter un appui qu’auprès de juges n’adhérant pas à une association. Il prétend en outre que les candidats ne faisant partie d’aucune association sont désavantagés par rapport aux autres: i) ils doivent rechercher l’appui de juges n’adhérant pas à une association, ce qui n’est pas exigé des autres candidats; ii) la loi les oblige à obtenir l’appui d’au moins 2 % de tous les juges en fonctions et ne les autorise pas à rechercher uniquement celui des juges ne faisant pas partie d’une association, durcissant ainsi le critère d’éligibilité à la candidature au Conseil; iii) le Président du Conseil leur a refusé l’accès préalable à la liste des juges n’adhérant à aucune association, de sorte qu’ils ne peuvent contacter rapidement des électeurs potentiels et doivent les rechercher eux‑mêmes.

3.2L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation de son droit à l’égalité devant les tribunaux (par. 1 de l’article 14 du Pacte): il n’a pas été informé à l’avance de la composition de la septième section de la troisième chambre, de sorte qu’il n’a pu exercer son droit de récuser les juges; le nombre de juges a été relevé arbitrairement de 5 à 7 pour cette affaire; le Président de la troisième chambre a décidé arbitrairement de présider la septième section; trois juges auraient dû se récuser eux‑mêmes parce qu’ils étaient membres d’une association de juges qui participait à la procédure. L’auteur prétend en outre que son droit à un accès égal aux tribunaux a été violé car la septième section de la troisième chambre a refusé d’examiner son recours sur le fond, contrairement à ce qu’elle avait fait dans une affaire qui présentait une grande similarité avec la sienne.

3.3L’auteur prétend enfin qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte car les cours ont estimé que la décision du Président du Conseil ne revêtait pas un caractère définitif et ne pouvait donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il affirme que cette façon de qualifier la décision du Président du Conseil est arbitraire et déraisonnable.

3.4L’auteur reconnaît que sa communication au Comité est identique à sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais il considère que la Cour européenne n’a pas examiné sa requête sur le fond et qu’on ne peut donc pas considérer qu’elle a examiné «la même question» que celle qu’il soumet au Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Le 11 août 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il fait valoir que les allégations de l’auteur ont déjà été examinées par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a conclu que sa requête «ne laissait apparaître aucune violation des droits énoncés dans la Convention». L’État partie considère que l’arrêt de la Cour européenne correspond à un examen de l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, et conclut que la communication est irrecevable en vertu de cette disposition et compte tenu de la réserve formulée par l’État partie à son égard. Il rappelle la décision adoptée par le Comité le 30 mars 2004 concernant la communication no 1074/2002 (Navarra Ferragut c. Espagne, par. 6.2).

4.2L’État partie fait valoir que la plainte de l’auteur porte sur un droit présumé − celui d’être proposé comme candidat au Conseil général de la magistrature − qui n’est pas protégé par le Pacte et qu’elle ne concerne pas des contestations sur des droits et obligations au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’État partie conclut que la communication est incompatible ratione materiae avec le Pacte et, par conséquent, irrecevable.

4.3L’État partie ajoute que la procédure de sélection des membres du Conseil n’impose pas aux candidats l’obligation d’adhérer à une association. Il rappelle que les questions concernant l’évaluation des faits et l’interprétation du droit interne relèvent des tribunaux nationaux, et que les règles relatives à la proposition de candidatures dans une institution nationale n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte. Il conclut que la communication est manifestement infondée, et donc irrecevable.

5.Dans une réponse datée du 6 septembre 2005, l’auteur maintient que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas examiné sa requête sur le fond car elle a adopté sa décision concernant la recevabilité sans l’avoir entendu et sans fournir d’argumentation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 22 (liberté d’association), le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle: le paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention européenne telle qu’elle est interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme est suffisamment proche du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte; dès lors que la Commission européenne a déclaré une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant sur un examen quant au fond, il est considéré que la même question a été examinée au sens des réserves sur le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif; la Cour européenne ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité portant purement sur la forme en estimant que la requête était irrecevable au motif qu’elle ne faisait «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles». Les mêmes critères s’appliquent en l’espèce. Le fait que l’article 26 du Pacte diffère de l’article 14 de la Convention européenne n’est pas pertinent en l’espèce, car l’auteur a invoqué ces dispositions devant les organes compétents respectifs s’agissant du droit à la liberté d’association, qui est régi de manière similaire par les deux instruments. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et de la réserve formulée par l’Espagne à l’égard de ladite disposition.

6.3En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’élection des membres du Conseil supérieur de la justice ne concerne pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et conclut que les allégations de l’auteur concernant l’article 14 sont incompatibles ratione materiae avec ladite disposition et, par conséquent, irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

EE. Communication n o  1400/2005, Beydon c. France (Décision adoptée le 31 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Nicole Beydon et 19 autres membres de l’association «DIH Mouvement de protestation civique»(représentés par un conseil, M. François Roux)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

France

Date de la communication:

16 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Allégation de préjudice aux membres d’une organisation non gouvernementale du fait de l’attitude de l’État partie en ce qui concerne la Cour pénale internationale

Questions de procédure: Épuisement des recours internes; caractère subsidiaire de l’article 2 du Pacte; incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte

Questions de fond: Droit d’accès aux tribunaux; droit de prendre part à la direction des affaires publiques

Articles du Pacte: 2 (par. 3 b) et c)), 14 (par. 1) et 25 a)

Articles du Protocole facultatif: 1 et 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont Mme Nicole Beydon et 19 autres personnes, toutes de nationalité française. Elles affirment être victimes de violations par la France du paragraphe 3 b) et c) de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. François Roux.

Exposé des faits

2.1Les auteurs sont membres d’une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme appelée «DIH Mouvement de protestation civique», constituée en 1991 à Chambon‑sur‑Lignon (France). L’un des buts de l’association est de faire campagne en faveur de la création d’une cour pénale internationale permanente ayant les moyens d’être autonome et efficace.

2.2Les auteurs ont engagé une action pour contester ce qu’ils appellent la position intransigeante du Gouvernement français à propos de l’article 124 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui permet à un État partie au Statut de déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l’entrée en vigueur du Statut à son égard, il n’accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre lorsqu’il est allégué qu’un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants, la déclaration pouvant être renouvelée à l’infini. Ils contestaient spécifiquement l’insistance mise par la France pour obtenir l’inclusion de l’article 124, qui est l’une des dispositions les plus restrictives et les plus controversées régissant la compétence de la Cour pour les crimes de guerre et qui a abouti à créer un vide juridique et une impunité institutionnalisée. Les auteurs critiquaient également le fait qu’en déposant l’instrument de ratification, le 9 juin 2000, la France ait fait une déclaration en se prévalant de l’article 124 et faisaient valoir que cette déclaration non seulement restreignait la compétence de la Cour à l’égard de la France mais aussi les touchait directement, eux‑mêmes et les Français en général, en les privant d’une possibilité de faire engager des poursuites et de faire prendre des sanctions à l’encontre des responsables de violations des droits de l’homme. Ils faisaient également valoir que la position de la France était exclusivement motivée par des considérations politiques et stratégiques internes, plus précisément que le Ministère de la défense faisait pression, afin d’empêcher que les forces armées n’aient à témoigner devant la Cour pénale internationale.

2.3Le 14 janvier 1997, l’association a adressé au Ministère français des affaires étrangères un mémoire préalable dénonçant des violations de l’article 2, paragraphe 3 b) et c), et de l’article 25 a) du Pacte, de l’article 2, paragraphe 2, de la Charte des droits de l’homme ainsi que de l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ne recevant pas de réponse, l’association a engagé, en date du 11 juillet 1997, une action civile contre le Gouvernement auprès du Tribunal administratif de Paris, en demandant des dommages d’un montant de 60 millions de francs français. Par un jugement du 24 juin 1999, le Tribunal a rejeté la demande au motif qu’il n’était pas compétent pour examiner une plainte portant directement sur l’exercice par l’État de ses prérogatives diplomatiques. Le Tribunal, considérant en outre que la demande de dommages‑intérêts constituait un abus de l’exercice du droit de plainte, a condamné l’association à une amende de 10 000 francs.

2.4En date du 18 août 1999, l’association a formé un recours auprès de la Cour administrative d’appel de Paris en faisant valoir que le Tribunal administratif n’avait pas exposé les motifs de sa décision, qu’il n’avait pas examiné les arguments des plaignants invoquant le principe des promesses non tenues et des attentes légitimes et qu’il avait mal compris sa demande symbolique de 60 millions de francs (1 franc par Français), y voyant un abus du droit de recours. Dans des mémoires ultérieurs, l’association ajoutait que la position de la France dans les négociations non seulement engageait la responsabilité, sans faute, de l’État mais était également «détachable» d’un acte de gouvernement, acte que les juridictions administratives n’avaient pas compétence pour examiner; elle ramenait aussi la réparation demandée au franc symbolique. Dans un arrêt du 29 octobre 2002, la Cour administrative d’appel a confirmé la décision du tribunal de première instance considérant que la position du Gouvernement dans les négociations relatives à la Cour pénale internationale, n’étant pas un acte détachable des relations internationales de la France, ne relevait pas de la compétence des juridictions internes. En revanche, elle a estimé injustifiée la décision du tribunal de condamner l’association à une amende pour abus du droit de recours et l’a annulée.

2.5Pour se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État, l’association a demandé l’aide juridictionnelle au Bureau de l’aide juridictionnelle du Conseil d’État le 26 décembre 2002. Sa demande a été rejetée en date du 3 mars 2003 au motif que le recours était «manifestement irrecevable». Les auteurs font valoir que cette décision les a empêchés d’exercer tous les recours internes utiles et que le motif du rejet montre de plus que le recours en cassation n’aurait aucune chance d’aboutir.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que le Gouvernement français a commis une violation de l’article 25 a) du Pacte en les privant de l’exercice du droit et de la possibilité de prendre part à la direction des affaires publiques en ce qui concerne la Cour pénale internationale. Ils affirment que, malgré de nombreux appels lancés par des groupes parlementaires, des sénateurs et des organisations non gouvernementales à l’époque où l’Assemblée nationale débattait de la ratification du Statut de Rome, en février 2000, demandant que la France n’invoque pas l’article 124, la France n’a pas tenu compte des objections des auteurs ni de l’opposition générale exprimée directement et par la voie des représentants élus et a malgré tout fait une déclaration au titre de l’article 124 du Statut de Rome.

3.2Les auteurs se déclarent en outre victimes d’une violation par la France de leurs droits consacrés au paragraphe 3 b) de l’article 2 qui fait aux États parties obligation de garantir l’accès à une autorité judiciaire compétente et développer les possibilités de recours juridictionnel. Les auteurs font valoir que le but même de la création d’un tribunal pénal international était de développer les possibilités de recours juridictionnel de façon à poursuivre les auteurs de crimes de guerre dans les États signataires du Statut de Rome et qu’en invoquant l’article 124 du Statut la France a privé ses citoyens d’un «recours judiciaire international utile».

3.3Les auteurs font valoir également qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 (accès aux tribunaux), parce que les juridictions internes ont à tort retenu la notion d’«acte de gouvernement» dans les relations internationales, invoquée par le Ministère des affaires étrangères, pour se déclarer incompétentes pour examiner l’affaire portée devant elles par l’association et estiment, compte tenu de la jurisprudence interne, que la déclaration de la France en application de l’article 124 du Statut aurait dû être considérée comme un «acte détachable», c’est‑à‑dire un acte qui pouvait être séparé de la conduite plus générale des relations extérieures. Les auteurs font valoir que l’État partie ne peut pas invoquer la théorie de l’acte de gouvernement parce que ce sont des considérations d’ordre interne et non pas d’ordre international qui ont déterminé la position de la France dans les négociations sur l’article 124. Ils affirment également que le paragraphe 3 c) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a été violé parce que le Bureau de l’aide juridictionnelle du Conseil d’État a rejeté leur demande d’aide juridictionnelle alors que le représentant de l’État − le Commissaire du Gouvernement − devant la cour d’appel avait dit que ce n’était pas «sans hésitation» qu’il concluait à l’incompétence des tribunaux administratifs pour examiner cette affaire.

3.4Les auteurs invoquent en outre le principe de la protection de la confiance légitime formulé par la Cour de justice des Communautés européennes, qui s’applique à tous les individus se trouvant dans une situation où un acte de l’administration peut les avoir conduits à nourrir des espoirs légitimes, principe qui oblige l’administration à honorer ses promesses. Les auteurs relèvent que la loi française reconnaît également la notion de promesses non tenues et que le Conseil d’État a appliqué dans le passé la notion de «responsabilité sans faute de l’État» dans des cas où le Gouvernement avait abandonné un processus qu’il avait engagé ou annoncé. Étant donné que la France était parmi les pays qui avaient soutenu les toutes premières propositions tendant à créer un tribunal pénal international, en revenant «radicalement» sur sa position en août 1996 le Gouvernement français aurait rompu ses promesses initiales et aurait agi de mauvaise foi quand il a invoqué les dispositions de l’article 124, ce qui représenterait des violations du paragraphe 3 b) et c) de l’article 2, lu conjointement avec l’article 25 a), du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

4.3Le Comité note que les auteurs de la communication affirment que, dans le contexte de la procédure interne, ils sont victimes d’une violation par l’État partie de leurs droits garantis au paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité rappelle que, pour qu’une personne puisse affirmer qu’elle est victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte, elle doit montrer qu’un acte ou une omission de l’État partie a déjà eu un effet néfaste sur l’exercice d’un tel droit ou qu’un tel effet est imminent, par exemple en se fondant sur un texte législatif en vigueur et/ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. Il note que ce ne sont pas les auteurs mais leur association (DIH), dotée de la personnalité juridique en droit français, qui était partie à la procédure interne. Le Comité conclut donc que les auteurs n’avaient pas, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, la qualité de victimes de la violation présumée du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14.

4.4Pour ce qui est de l’allégation des auteurs selon laquelle le droit qui leur est reconnu au paragraphe 3 b) de l’article 2 a été violé, dans la mesure où ils ont été privés d’un recours judiciaire utile en ce qui concerne les crimes de guerre, le Comité note que les auteurs n’ont pas montré que la position de la France au sujet de l’article 124 du Statut de la Cour pénale internationale a déjà eu sur eux un effet néfaste ou qu’un tel effet est imminent. En conséquence, les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

4.5Le Comité note aussi la plainte des auteurs au titre de l’article 25 a) du Pacte, selon laquelle l’État partie les a privés du droit et de la possibilité de participer à la direction des affaires publiques, s’agissant des négociations relatives au Statut de la Cour pénale internationale, et de l’adhésion consécutive de la France au Statut assortie d’une déclaration au titre de l’article 124 limitant la responsabilité de l’État. Le Comité rappelle que les citoyens prennent aussi part à la direction des affaires publiques en exerçant leur influence à travers le débat et le dialogue publics avec leurs représentants élus et par le biais de leur aptitude à s’organiser. En l’espèce, les auteurs ont participé au débat public en France sur la question de l’adhésion au Statut et au sujet de la déclaration au titre de l’article 124; ils l’ont fait par l’intermédiaire de leurs représentants élus et à travers l’action de leur association. Dans ces circonstances, le Comité estime que les auteurs n’ont pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle leur droit de prendre part à la conduite des affaires publiques a été violée. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 et 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

FF. Communication n o  1403/2005, Gilberg c. Allemagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

M. Erich Gilberg (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

11 février 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Refus d’engagement comme fonctionnaire en raison de l’âge

Questions de fond: Égalité devant la loi et protection égale de la loi − Longueur de la procédure judiciaire − Égalité d’accès à la fonction publique

Questions de procédure: Réserve ratione temporis formulée par l’État partie − Justification des allégations − Épuisement des recours internes

Articles du Pacte: 2 (par. 1), 14, 25 c) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Erich Gilberg, de nationalité allemande, né le 28 juin 1937. Il se déclare victime de violations par l’Allemagne des articles 2, 14, 25 c) et 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’Allemagne le 23 mars 1976 et le 25 novembre 1993 respectivement.

Exposé des faits

2.1Le 25 juillet 1963, l’auteur a obtenu un diplôme universitaire en physique. Du 1er octobre 1963 au 30 juin 1969, il a été employé comme assistant de recherche à l’Université de Munich en qualité d’employé public. Le 23 avril 1969, il a obtenu un doctorat en sciences naturelles. Du 1er juillet 1969 au 31 août 1981, il a occupé un poste d’assistant de recherche avec un statut temporaire de fonctionnaire (Beamter auf Zeit).

2.2Pendant ces périodes, l’auteur était uniquement affilié au régime de retraite obligatoire. En raison du caractère temporaire de son emploi, il n’était couvert ni par le régime complémentaire de retraite des employés publics, ni par le régime de retraite des fonctionnaires.

2.3Du 1er avril 1982 au 31 octobre 1985, l’auteur a travaillé au Laboratoire européen de biologie moléculaire de Heidelberg. Entre le 1er novembre 1985 et le 30 septembre 1990, il a travaillé pour un fabricant privé d’appareils d’optique. Le 8 juin 1988, il a reçu le titre de doctor habilitatus  de l’Université de Munich. Entre le 1er novembre 1990 et le 28 février 1991, il a travaillé dans une société d’optique à Cervino (Italie).

2.4Le 2 mai 1990, l’auteur a présenté sa candidature à un poste de professeur d’optique technique à l’Université des sciences appliquées (Fachhochschule) de Francfort‑sur‑le‑Main. Le 7 septembre 1990, le Ministère des sciences et des arts de Hesse (ci‑après «le Ministère») a offert de le nommer à ce poste en tant qu’employé public, affirmant qu’aucune nomination en tant que fonctionnaire n’était possible après son cinquantième anniversaire. L’auteur a accepté cette offre le 13 septembre 1990 et le 1er mars 1991, il a pris ses fonctions en tant que professeur. Son contrat prévoyait qu’il était couvert par le régime de retraite complémentaire, même si les employés publics engagés comme professeurs étaient normalement exclus de ce régime. Le 27 novembre 1991, il a demandé le statut de fonctionnaire, faisant valoir que son traitement net était très inférieur à celui d’un fonctionnaire et que la limite d’âge de 50 ans invoquée par le Ministère n’était pas prévue par la loi. Il a ensuite réitéré sa demande en invoquant un cas comparable, celui de M. L., appartenant au même groupe d’âge que l’auteur et ne détenant, à la différence de celui‑ci, qu’un diplôme universitaire, qui avait été nommé professeur à l’Université des sciences appliquées de Francfort avec le statut de fonctionnaire. Le Ministère a rejeté ces demandes par décision administrative le 11 mai 1993 et, après réexamen, le 6 septembre 1993.

2.5Le 11 octobre 1993, l’auteur a saisi le tribunal administratif de Francfort‑sur‑le‑Main, qui a déféré sa plainte au tribunal administratif de Wiesbaden. L’auteur a fait valoir que les décisions contestées manquaient de base légale et n’indiquaient pas si le Ministère avait dûment examiné son admissibilité à un poste de fonctionnaire. Dans l’offre d’emploi qu’il lui avait présentée le 7 septembre 1990, le Ministère l’avait induit en erreur en lui disant qu’il ne pouvait être nommé fonctionnaire après l’âge de 50 ans, ce qui l’avait privé de la possibilité de conditionner son acceptation à ce type d’engagement.

2.6Le 11 avril 1994, dans son mémoire en défense, le Ministère a plaidé que l’article 48 du règlement budgétaire de l’État de Hesse autorisait le Ministère des finances de Hesse à fixer des limites d’âge pour les nominations à des postes de fonctionnaire. En vertu de l’article 48, les conditions d’accès de différents groupes d’âge à de tels postes avaient été définies dans une circulaire administrative de la manière suivante: la nomination de candidats de 50 à 54 ans exigeait l’existence d’un besoin spécial du service public, alors que celle des candidats âgés de 55 à 59 ans et, dans des cas exceptionnels, de professeurs d’université de 60 ans et plus, exigeait l’existence d’un besoin urgent du service public. Les candidats de 60 ans et plus autres que les professeurs d’université n’étaient pas admissibles à des postes de fonctionnaire. Il existe un besoin spécial du service public si la nomination à un poste de fonctionnaire est «indiquée d’urgence»; il existe un besoin urgent du service public si aucun candidat de compétence égale n’est disponible et si le recrutement ou le maintien dans l’emploi du candidat ne peut être garanti que s’il est nommé à un poste de fonctionnaire. Dans le cas des candidats qui sont déjà employés par l’État de Hesse en tant qu’employés publics, il doit être établi qu’ils quitteraient la fonction publique s’ils n’étaient pas nommés fonctionnaires. Le Ministère a fait valoir qu’au moment de sa nomination, l’auteur avait déjà dépassé l’âge limite de 50 ans et qu’il n’existait pas de besoin spécial du service public qui justifiait de le nommer fonctionnaire, et encore moins de besoin urgent du service public après son cinquantième anniversaire, le 28 juin 1992. La situation de l’auteur devait être distinguée de celle de M. L., qui, après avoir accepté de façon générale une offre semblable de nomination en tant qu’employé public, et ce, bien avant la date de sa nomination effective, avait demandé que sa candidature au statut de fonctionnaire soit examinée. Le Ministère avait accédé à sa demande parce que M. L. était le seul candidat qui avait été recommandé par le Conseil de faculté et afin d’assurer la continuité de l’enseignement pendant l’hiver 1992/93.

2.7Le 20 mars 1995, le tribunal administratif de Wiesbaden a infirmé les décisions contestées, les jugeant insuffisamment motivées, et a renvoyé l’affaire au Ministère des sciences et des arts de Hesse, à qui il a enjoint de faire plein usage de son pouvoir discrétionnaire en appliquant les critères de la circulaire administrative concernant la nomination des candidats de 50 à 54 ans à des postes de fonctionnaire.

2.8Le 14 août 1995, le Ministère a fait appel du jugement devant le tribunal administratif supérieur de Kassel, arguant qu’il n’existait pas de besoin spécial du service public justifiant la nomination de l’auteur à un poste de fonctionnaire, et que ce critère devait être appliqué avec rigueur afin d’atténuer l’augmentation massive des dépenses de l’État de Hesse au titre des retraites.

2.9Le 13 juillet 1999, le tribunal administratif supérieur a annulé la décision du tribunal administratif. Invoquant la jurisprudence du tribunal administratif fédéral, le tribunal supérieur a jugé que même en l’absence de prescription législative, l’État avait compétence pour fixer des limites d’âge pour la nomination de fonctionnaires afin de veiller à ce qu’un équilibre adéquat soit établi entre le nombre d’années d’emploi et la charge financière du régime de retraite. Le Ministère des sciences et des arts avait suffisamment justifié sa décision du 6 septembre 1993 en précisant que le Ministère des finances avait refusé d’approuver la nomination de l’auteur à un poste de fonctionnaire. Le refus était conforme aux directives administratives, puisque l’auteur n’avait jamais déclaré, au cours de la procédure administrative ou judiciaire, son intention de quitter la fonction publique si sa demande de nomination à un poste de fonctionnaire était rejetée. Le fait qu’il ait accepté une nomination en tant qu’employé public rendait son cas distinct de celui des autres professeurs qui avaient été nommés fonctionnaires même s’ils avaient dépassé la limite d’âge. Le tribunal n’a pas autorisé d’appel. L’auteur n’a pas présenté de plainte constitutionnelle devant la Cour constitutionnelle fédérale.

2.10Le 24 août 2001, l’auteur a de nouveau demandé au Ministère d’être nommé fonctionnaire, de même qu’à être exempté de façon rétroactive de toute contribution à un régime obligatoire dont étaient exemptés les fonctionnaires ou, à titre subsidiaire, que son contrat soit modifié afin de lui accorder, pendant toutes ses années d’enseignement et de retraite, tous les privilèges accordés aux fonctionnaires, et de lui rembourser tous les impôts et contributions versés par lui au régime d’assurance obligatoire dont sont exemptés les fonctionnaires. Il a fait valoir que le traitement défavorable qui lui avait été accordé par comparaison avec d’autres professeurs de son groupe d’âge, nommés fonctionnaires au motif qu’il n’était pas certain qu’ils auraient accepté une nomination en tant qu’employés publics, violait la clause constitutionnelle de non‑discrimination (art. 3 de la Loi fondamentale), ainsi que la disposition de la Constitution relative à l’égalité d’accès à la fonction publique (art. 33, par. 2, de la Loi fondamentale). Alors qu’il était présumé que les candidats extérieurs à la fonction publique de l’État de Hesse, comme ses collègues MM. L. et E., n’accepteraient aucun autre statut que celui de fonctionnaire, les candidats déjà à l’emploi du service public de Hesse, comme l’auteur, devaient prouver qu’ils quitteraient leur emploi en cas de rejet de leur demande de statut de fonctionnaire. De plus, le tribunal administratif supérieur de Kassel n’avait pas tenu compte du fait que le Ministère l’avait intentionnellement mal informé en lui disant qu’il n’était pas possible d’être nommé fonctionnaire après l’âge de 50 ans.

2.11Le 4 octobre 2001 et, après réexamen, le 13 décembre 2001, le Ministère des sciences et des arts de Hesse a rejeté la demande de réouverture de la procédure présentée par l’auteur, au motif qu’elle avait été présentée hors délai.

2.12Le 9 janvier 2002, l’auteur a présenté un recours devant le tribunal administratif de Francfort, en faisant à nouveau valoir que le rejet de sa demande du 24 août 2004 violait la Loi constitutionnelle allemande, les traités internationaux, notamment l’article 26 du Pacte et les articles 7 a) i) et 9, lus conjointement avec l’article 2, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le droit européen. Le 28 mai 2002, le tribunal administratif de Francfort a rejeté ce recours, aucun changement de fait ni de droit n’étant intervenu qui aurait justifié la réouverture de l’affaire après la décision finale d’un tribunal et après l’expiration du délai de trois mois prévu pour une telle réouverture. L’auteur aurait dû alléguer les violations du droit international des droits de l’homme au cours de la procédure judiciaire entre 1993 et 1999, puisque tous les instruments invoqués par lui étaient en vigueur pour l’Allemagne pendant cette période.

2.13Les 1er et 24 juin 2002, l’auteur a «élargi sa demande», en invoquant l’article premier, paragraphe 2, et l’article 12, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne et en soulignant qu’il incombait aux tribunaux, et non au demandeur, de veiller à l’application des lois de mise en œuvre par l’Allemagne de ses obligations au titre des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le 15 juillet 2002, le tribunal administratif de Francfort a déclaré irrecevable la demande d’élargissement de sa demande présentée par l’auteur, au motif que l’affaire n’était pas en instance.

2.14Le 17 septembre 2002, l’auteur a demandé à être autorisé à engager une procédure de recours contre le jugement du tribunal administratif, qui n’avait pas tenu compte de l’incompatibilité du traitement qu’il avait subi avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, en particulier l’article 26 du Pacte. Cette raison était suffisante pour annuler les décisions du Ministère des sciences et des arts de Hesse, malgré leur caractère final, ou pour rouvrir son dossier. Par arrêt du 24 septembre 2002, le tribunal administratif supérieur de Kassel a refusé d’autoriser le recours, étant donné que l’auteur ne pouvait plus être nommé à un poste de fonctionnaire après avoir atteint l’âge limite de 65 ans en vertu de la loi sur la fonction publique de Hesse. Il serait dès lors vain d’annuler les décisions contestées du Ministère ou de rouvrir le dossier de l’auteur.

2.15Le 28 octobre 2002, l’auteur a fait valoir devant la Cour constitutionnelle fédérale des griefs de violation de la clause relative à l’égalité de traitement (art. 3 de la Loi fondamentale) et de ses droits à l’égalité d’accès à la fonction publique (art. 33, par. 2) et à un examen judiciaire (art. 101, par. 1) garantis par cette loi. Il invoquait les normes internationales des droits de l’homme, notamment les articles 25 c) et 26 du Pacte. Se référant à la jurisprudence du Comité, il affirmait qu’une distinction liée à l’âge ne reposant pas sur des critères raisonnables et objectifs pouvait équivaloir à une discrimination fondée sur une distinction liée à «toute autre situation» ou à une privation de la protection égale de la loi au sens de l’article 26, car la réduction des dépenses publiques ne constituait pas, dans le cas le concernant, un but légitime. Le 2 août 2004, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la plainte de l’auteur.

2.16Le 15 avril 2002, l’auteur a saisi le tribunal du travail de Francfort pour demander 1) une indemnisation d’un montant de 162 068,93 euros au titre de la différence entre son traitement et celui d’un professeur ayant le statut de fonctionnaire pendant la période comprise entre le 1er mars 1991 et la date de sa retraite, le 31 août 2002, majoré de 18 359,92 euros d’intérêts; 2) le versement, à compter du 1er septembre 2002, d’une pension de fonctionnaire égale à celle à laquelle il aurait eu droit s’il avait été nommé fonctionnaire à vie le 1er mars 1991; et 3) une indemnisation (majorée de 4 % d’intérêts) pour les contributions aux régimes d’assurance maladie et invalidité qu’il devait verser à compter du 1er septembre 2002 et dont les fonctionnaires étaient exemptés, jusqu’à ce que son droit aux prestations des fonctionnaires ait été confirmé par une décision finale. Le 19 février 2003, le tribunal du travail a déclaré les deuxième et troisième demandes de l’auteur inadmissibles pour manque de spécificité et a rejeté sa première demande sur le fond, au motif qu’il avait été rémunéré sur la base d’un contrat d’emploi valide et qu’aucune responsabilité civile délictuelle n’était opposable à l’État de Hesse, qui n’avait en rien manqué à la diligence voulue en refusant de nommer l’auteur à un poste de fonctionnaire, ainsi que l’avait confirmé le tribunal administratif supérieur de Kassel dans son arrêt final du 13 juillet 1999. L’auteur n’a pas contesté cette décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le refus de lui accorder le statut de fonctionnaire et le traitement moins favorable qui lui était réservé en matière de rémunération, de cotisations aux caisses d’assurance chômage, d’assurance maladie et de retraite, ainsi que de droit à pension, sont autant de mesures discriminatoires à son encontre, en violation des articles 25, alinéa c, et 26 du Pacte, au regard de la situation de fonctionnaires exerçant des tâches identiques, comme M. E. et M. L. La lenteur de la procédure de recours devant le tribunal administratif supérieur de Kassel a violé son droit à un procès équitable, qui lui est reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2L’auteur soutient avoir touché le même traitement brut et exercé les mêmes tâches que ses collègues fonctionnaires, comme en témoigne le fait que de nombreux avis de vacance de poste de la fonction publique ne précisent pas le statut professionnel dont bénéficiera la personne qui sera nommée. En qualité d’employé public, il devait verser des cotisations aux caisses d’assurance chômage et de pension ordinaires et à la caisse de retraite complémentaire, ce qui avait amputé son traitement net d’un montant non négligeable entre 1991 et 2002 par rapport au traitement net qu’il aurait touché en tant que fonctionnaire.

3.3L’auteur fait valoir que, alors qu’il toucherait 3 922,84 euros de retraite par mois (l’équivalent de 75 % de son dernier traitement de 2002, soit 5 230,46 euros) en tant que fonctionnaire, dont une somme de 103,09 euros seulement serait déduite au titre de sa cotisation à l’assurance maladie et invalidité, en 2002, sa retraite ne s’élevait qu’à 1 966,18 euros par mois (1 703,82 euros du régime de retraite obligatoire plus 262,36 euros du régime de retraite complémentaire), somme sur laquelle il devait prélever une cotisation mensuelle d’assurance maladie et invalidité de 305,61 euros. Selon lui, contrairement aux fonctionnaires qui avaient droit à des allocations de l’assurance maladie et invalidité, il ne pouvait prétendre qu’à une indemnité mensuelle de 133,75 euros au titre du régime de retraite obligatoire. Qui plus est, en tant que fonctionnaire à la retraite, il aurait droit à un treizième mois chaque année en décembre.

3.4Pour l’auteur, sur les 29 ans et cinq mois pendant lesquels il a travaillé dans la fonction publique, six mois seulement ont été pris en compte en tant que période de cotisation effective au régime de retraite complémentaire. En conséquence, la pension de 262,36 euros qui lui était servie chaque mois par la caisse était le fruit de ses années d’études, universitaires notamment, plutôt que d’années passées dans la fonction publique. Si toutes les années pendant lesquelles il avait travaillé dans la fonction publique avaient été prises en compte comme périodes de cotisation au régime de retraite complémentaire, sa pension atteindrait 3 066,75 euros par mois, montant malgré tout bien inférieur à la pension qu’il aurait touchée en tant que fonctionnaire. Cet écart s’expliquait par le fait que les cotisations d’assurance maladie, de chômage et de retraite avaient été régulièrement revues à la hausse depuis les années 50 en l’absence d’augmentations parallèles des traitements bruts des employés publics, sans parler des professeurs ayant le statut d’employés publics, lesquels touchaient exactement les mêmes traitements bruts que leurs collègues fonctionnaires, moins les 7 % supplémentaires normalement versés aux employés publics pour «aligner» leur traitement sur celui des fonctionnaires.

3.5Pour l’auteur, aucun critère raisonnable et objectif ne justifiait qu’il soit traité comme un «fonctionnaire de deuxième classe». Il qualifie de purement fictives et rejette les différences invoquées régulièrement par les tribunaux allemands pour justifier le traitement moins favorable réservé aux employés publics, à savoir le fait que la nomination des fonctionnaires relevait du droit public contrairement à celle des employés publics, régie par le droit privé, l’obligation des fonctionnaires de défendre activement l’ordre constitutionnel et le devoir passif des employés publics de ne pas violer l’ordre constitutionnel et l’interdiction du droit de grève des fonctionnaires, contrairement aux employés publics. Or, le fait que les fonctionnaires ne jouissaient pas du droit de grève était sans objet car toute augmentation des traitements bruts des employés publics négociée par leurs syndicats se répercutait sur les traitements bruts des premiers.

3.6De même, l’auteur considère que le refus de le nommer professeur avec le statut de fonctionnaire n’était pas motivé par des critères raisonnables et objectifs, comme le voulaient les articles 25, alinéa c, et 26 du Pacte. Il faisait valoir que le fait qu’un État ne respectait pas l’obligation qui lui était faite par le paragraphe 2 de l’article 2 de prendre immédiatement des mesures pour éliminer toute discrimination ne saurait être justifié par des arguments d’ordre économique, tels que la réduction des dépenses de la caisse des pensions. Le refus de lui accorder le statut de fonctionnaire ne saurait non plus s’expliquer par son âge, attendu que ses collègues, M. E et M. L., avaient été nommés fonctionnaires, alors qu’ils appartenaient au même groupe d’âge et étaient moins qualifiés. S’il était vrai que M. L. était le seul candidat recommandé par le Conseil de faculté, M. E. en revanche avait été recommandé au côté de deux autres candidats.

3.7L’auteur affirme que la lenteur de la procédure de recours devant le tribunal administratif supérieur de Kassel, qui s’est déroulée du 14 août 1995 au 13 juillet 1999, a violé son droit à un procès équitable (art. 14, par. 1), étant donné que le tribunal n’avait pas tenu d’audiences publiques et qu’en une semaine seulement, en septembre 2002, il s’était prononcé sur son recours, l’auteur ayant entre‑temps atteint l’âge de partir à la retraite.

3.8L’auteur précise que la même question n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il n’était pas tenu d’épuiser les voies de recours internes lors de la première série de procédures car il aurait été vain de contester la décision du tribunal administratif supérieur de ne pas lui permettre de faire appel de son arrêt du 13 juillet 1999 à la lumière de la jurisprudence du tribunal administratif fédéral. Dans deux cas comparables, celui‑ci avait en effet reconnu que l’exécutif était habilité à fixer un âge limite pour la nomination à des postes de fonctionnaires et à refuser de telles nominations pour motifs économiques. Quant à déposer une plainte constitutionnelle, son avocat le lui avait déconseillé car une telle plainte aurait très peu de chances d’aboutir, la Cour constitutionnelle fédérale laissant traditionnellement au législateur une large marge de manœuvre en matière de distinctions fondées sur l’âge. La portée des articles 3, paragraphe 1 (non‑discrimination), et 33, paragraphe 2 (égalité d’accès à la fonction publique), de la Loi fondamentale était plus étroite que celle des dispositions parallèles des articles 26 et 25, alinéa c, du Pacte. Le rejet de sa plainte constitutionnelle lors de la deuxième série de procédures illustrait aussi l’absence de perspective de succès de ce recours. Il aurait été vain de faire recours contre la décision rendue par le tribunal du travail de Francfort vu la jurisprudence du tribunal du travail fédéral selon laquelle les professeurs ayant le statut d’employé public n’avaient pas d’autres droits que ceux énoncés dans le contrat de l’auteur et que leur exclusion du régime de retraite complémentaire était légale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une lettre du 1er août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir que les griefs avaient leur origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Allemagne et que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie invoque sa réserve concernant la compétence ratione temporis du Comité qui, contrairement à des réserves similaires formulées par la France, Malte et la Slovénie, renvoie explicitement aux événements à l’origine de la violation présumée, plutôt qu’à la violation elle‑même. Il affirme que les violations dont l’auteur fait état ont leur origine dans la décision datée du 11 mai 1993 du Ministère des sciences et des arts de Hesse qui rejetait sa demande d’accéder au statut de fonctionnaire, plutôt que dans la décision du 13 juillet 1999 du tribunal administratif supérieur de Kassel. Comme la décision prise par le Ministère le 11 mai 1993 était antérieure à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Allemagne le 25 novembre 1993, l’État partie conclut que, eu égard à sa réserve, la communication est irrecevable ratione temporis.

4.3Pour l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas contesté le refus du tribunal administratif supérieur de Kassel de l’autoriser à contester sa décision du 13 juillet 1999 auprès du tribunal administratif fédéral ni déposé de plainte constitutionnelle auprès de la Cour constitutionnelle fédérale. De telles plaintes n’auraient pas été d’emblée inutiles; la jurisprudence du tribunal administratif fédéral citée par l’auteur concernait différentes affaires dans lesquelles il était question de la non‑nomination au statut de fonctionnaire d’un groupe plus nombreux d’employés et, dans le second cas, d’une personne beaucoup plus jeune. De même, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale invoquée par l’auteur concernait un domaine du droit tout à fait différent, en l’occurrence le droit social. Revenir sur des décisions ayant force de chose jugée ne peut pas compenser le fait que l’auteur ne s’était pas prévalu de tous les recours disponibles lors de la première série de procédures.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 30 octobre 2005, l’auteur a soumis ses commentaires faisant valoir que la réserve de l’État partie ratione temporis était inapplicable et qu’il avait épuisé les recours internes. Selon lui, la réserve de l’Allemagne ne s’applique pas en l’espèce car elle vise expressément le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Comme l’affaire qui le concerne n’a pas été et n’est pas examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, la réserve ne lui est pas applicable.

5.2L’auteur ajoute que le libellé de l’alinéa b de la réserve («qui a son origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur») n’était pas suffisamment «spécifique et transparent» comme le voulait l’Observation générale no 24. La réserve ne portait pas sur le fait que les violations des droits de l’homme pouvaient provenir d’une succession d’événements et avoir des causes directes et indirectes, dont certaines pouvaient avoir eu lieu antérieurement et d’autres postérieurement à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour un État partie. Dans son cas, la discrimination dont il était victime pouvait être liée à des événements postérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Allemagne le 25 novembre 1993, comme la décision du 13 juillet 1999 du tribunal administratif supérieur de Kassel, et à des événements antérieurs, comme l’adoption du règlement budgétaire ou de la circulaire administrative de l’État de Hesse ou encore des mesures administratives du 11 mai et du 6 septembre 1993 par le Ministère des sciences et des arts de Hesse, rejetant sa demande de nomination à un poste de fonctionnaire.

5.3De l’avis de l’auteur, l’interprétation faite par l’État partie de sa réserve, qui empêcherait le Comité de connaître d’une communication chaque fois que l’un des événements à l’origine d’une plainte s’est produit avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, est incompatible avec l’objet et le but du Protocole. La réserve de l’Allemagne était donc irrecevable car elle cherchait effectivement à empêcher que le Comité ne soit saisi de la violation de droits que l’État partie était tenu de respecter conformément au Pacte.

5.4L’auteur conclut que la compétence du Comité ratione temporis d’examiner une communication devait être déterminée en se demandant si la violation alléguée se poursuivait ou continuait de produire des effets après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Tel était le cas en ce qui concerne la discrimination salariale qu’il avait subie entre 1991 et 2002 et les maigres prestations qu’il touchait depuis son départ à la retraite.

5.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il aurait été vain de faire recours contre la décision du 13 juillet 1999 du tribunal administratif supérieur de Kassel auprès du tribunal administratif fédéral, attendu que la décision reposait sur la jurisprudence même du tribunal administratif fédéral dans des affaires similaires, confirmant le refus d’accorder le statut de fonctionnaire à des candidats individuels. L’État partie faisait certes valoir que l’une de ces affaires concernait un candidat beaucoup plus jeune que l’auteur, mais cela ne faisait que souligner que le tribunal administratif fédéral l’aurait débouté.

5.6L’auteur soutient que le rejet pour des raisons de fond de sa plainte constitutionnelle lors de la deuxième série de procédures montrait qu’il aurait été tout aussi vain pour lui de déposer une plainte constitutionnelle auprès de la Cour constitutionnelle fédérale lors de la première série de procédures. Qui plus est, le fait qu’il n’ait pas été au courant de la possibilité de soumettre une communication en vertu du Protocole facultatif suite à l’épuisement des recours internes ne saurait lui être reproché puisque aucun des avocats et des juges impliqués dans la première série de procédures entre 1993 et 1999 ne l’en avait jamais informé.

5.7L’auteur soutient qu’il cherchait, dans la deuxième série de procédures qu’il a engagées, non pas à revenir sur des décisions ayant force de chose jugée, mais à obtenir l’annulation de ce qu’il considérait comme une mesure administrative illégale quoique définitive, refusant de le nommer à un poste de fonctionnaire.

5.8Le 27 janvier 2006, l’auteur a fait des observations supplémentaires, réitérant que le Ministère des sciences et des arts de Hesse l’avait délibérément induit en erreur en violation de l’alinéa c de l’article 25, lu en parallèle avec l’article 2 du Pacte, en l’informant que sa nomination à un poste de fonctionnaire n’était pas envisageable puisqu’il avait plus de 50 ans.

5.9L’auteur affirme que le refus du Ministère de lui conférer le statut de fonctionnaire et les décisions judiciaires confirmant ce refus revenaient à violer les principes de non‑discrimination et d’égalité de traitement consacrés dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et la législation de l’UE qui interdisaient la discrimination fondée sur l’âge. Plutôt que de refuser sa demande d’autorisation de faire appel de l’arrêt du tribunal administratif de Francfort parce qu’il avait entre‑temps atteint l’âge de 65 ans, le tribunal administratif supérieur de Kassel, dans sa décision du 24 septembre 2002, aurait dû interpréter sa demande comme une requête aux fins d’obtenir un jugement déclaratif (Fortsetzungsfestellungsklage) reconnaissant l’illégalité du comportement du Ministère. Pour l’auteur, le fait que le tribunal n’ait pas fait droit à sa requête constituait un déni de justice.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité relève que l’État partie invoque sa réserve ratione temporis et prend note des arguments de l’auteur au sujet de l’applicabilité de cette réserve. Tout en reconnaissant la force de l’argument de l’auteur qui affirme que la référence faite dans la réserve à «une violation … qui a son origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif» puisse susciter des interprétations différentes quant aux causes et à la chronologie des faits qui ont donné lieu à la violation présumée, le Comité constate qu’il n’a pas, en l’espèce, à se prononcer sur la question de l’applicabilité de la réserve si la communication de l’auteur est irrecevable pour d’autres motifs.

6.3À ce sujet, le Comité a relevé l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a fait recours ni contre la décision du 13 juillet 1999 du tribunal administratif supérieur de Kassel auprès du tribunal administratif fédéral, ni déposé de plainte constitutionnelle auprès de la Cour constitutionnelle fédérale et n’a donc pas épuisé les voies de recours internes. Il a aussi relevé l’argument de l’auteur que ces recours auraient été vains eu égard à d’autres décisions prises par ces instances.

6.4En ce qui concerne l’utilité d’un recours contre la décision rendue par le tribunal administratif supérieur de Kassel dans la première série de procédures, le Comité rappelle que le tribunal, dans sa décision du 13 juillet 1999, a refusé à l’auteur l’autorisation de faire appel, l’informant que ce refus ne pouvait être contesté que s’il pouvait invoquer, à l’appui de ses prétentions, la jurisprudence d’instances supérieures ou des vices de procédure, ou apporter la preuve de l’intérêt général que revêtait son affaire. Le Comité rappelle par ailleurs que le tribunal a confirmé le refus du Ministère de nommer l’auteur à un poste de fonctionnaire, notamment en faisant référence à deux affaires sur lesquelles le tribunal administratif fédéral s’était prononcé. Il estime que l’auteur a suffisamment étayé la similarité entre ces affaires et la sienne. L’auteur avait donc toute raison de s’attendre, après avoir été débouté pour des motifs similaires, à ce qu’un recours contre la décision du tribunal administratif supérieur de Kassel n’aboutisse pas. Il n’était donc pas tenu de contester le refus du tribunal de lui accorder l’autorisation de faire appel aux fins de former un recours devant le tribunal administratif fédéral.

6.5Il reste à savoir si l’auteur était tenu de contester le refus par le tribunal administratif supérieur de Kassel de l’autoriser à faire recours en vue de former une plainte constitutionnelle auprès de la Cour constitutionnelle fédérale. Le Comité rappelle que, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent aussi faire usage de toutes les autres voies de recours judiciaires, y compris les plaintes constitutionnelles, pour satisfaire à la prescription de l’épuisement de tous les recours internes disponibles, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Le Comité estime que l’auteur n’a pas apporté la preuve que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale qu’il a invoquée aurait d’emblée voué toute plainte constitutionnelle à l’échec. De même, il ne peut pas invoquer le fait que la Cour constitutionnelle fédérale ait rejeté sa plainte constitutionnelle dans la deuxième série de procédures pour démontrer l’inutilité d’une telle plainte dans la première série de procédures. Aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, la perspective de succès d’un recours interne doit être appréciée a priori pour expliquer que les recours internes n’ont pas été épuisés. Enfin, ce n’est pas tant à l’État partie qu’à l’auteur lui‑même qu’il faut imputer le fait que l’avocat dont il s’est attaché les services ne l’ait pas informé de l’obligation prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 d’épuiser les recours internes. Le Comité conclut par conséquent que les prétentions de l’auteur liées à la première série de procédures sont irrecevables au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne les griefs de l’auteur touchant à la deuxième série de procédures, le Comité rappelle que le Ministère des sciences et des arts de Hesse a rejeté sa demande de réouverture du dossier, présentée hors délais, décision confirmée par le tribunal administratif de Francfort, en l’absence de changement de circonstances ou du droit qui aurait justifié une telle mesure. Il note également que, au moment où l’auteur a soumis sa nouvelle demande de nomination à un poste de fonctionnaire le 24 août 2001, il avait pratiquement atteint l’âge du départ à la retraite, fixé à 65 ans, au‑delà duquel l’accès au statut de fonctionnaire n’est plus possible (voir la décision du 24 septembre 2002 du tribunal administratif supérieur de Kassel, refusant l’autorisation de faire appel de l’arrêt rendu par le tribunal administratif de Francfort à ce sujet). Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne, dans un cas particulier, à moins que l’on puisse montrer qu’un tel examen ou qu’une telle demande était manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice, ou que le tribunal a, d’une manière ou d’une autre, manqué à l’indépendance et à l’impartialité auxquelles il est tenu. Le Comité estime que l’auteur n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, que la décision du tribunal administratif de Francfort de ne pas revenir sur une décision ayant force de chose jugée ou le refus du tribunal administratif supérieur de Kassel de l’autoriser à faire recours contre cette décision étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice. De l’avis du Comité, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que le fait que le tribunal administratif supérieur n’ait pas interprété sa demande d’autorisation de faire appel comme une requête aux fins d’obtenir un jugement déclaratif ne représente pas un déni de justice, en l’absence de toute procédure en instance en vertu de laquelle une telle requête aurait pu être présentée. Il s’ensuit que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

GG. Communication n o  1417/2005, Ounnane c. Belgique (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

M. J. O., Mme Z. S. et leur fille S. O.(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Belgique

Date de la communication:

24 septembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Représentation effective dans une action civile

Questions de procédure: Épuisement des voies de recours internes; allégations insuffisamment étayées aux fins de la recevabilité; irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond: Impossibilité d’obtenir réparation dans une action civile en raison de la manière dont l’avocat aurait mené la défense; retard excessif

Article du Pacte: Néant

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont M. J. O., un Belge né en 1951, et sa compagne, Mme S. Z., résidente belge, née en 1970. Ils présentent cette communication en leur nom et celui de leur fille S., de nationalité belge, née en 1999. Ils se déclarent victimes de violations de leurs droits fondamentaux par la Belgique, en particulier de tous leurs «droits judiciaires» reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs n’invoquent aucune disposition précise du Pacte, mais la communication semble soulever des questions au regard du paragraphe 3 b) de l’article 2 ainsi que des articles 14 et 26. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil. Le Pacte et son protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie les 21 juillet 1983 et 17 août 1994, respectivement.

Exposé des faits

2.1Il ressort des documents dont est saisi le Comité qu’en 1992, M. O., alors chauffeur de taxi, a été victime d’une agression de la part d’un autre chauffeur de taxi et déclaré de ce fait temporairement inapte au travail.

2.2Le 15 novembre 1999, à Bruxelles, une voiture a percuté l’autobus à bord duquel se trouvaient l’auteur et sa compagne, qui était enceinte. Ils auraient été projetés contre les sièges situés devant eux et auraient été blessés. La compagne de l’auteur a été hospitalisée et a accouché le 21 novembre 1999. Selon les auteurs, leur fille a, elle aussi, été lésée par l’accident, car elle souffre d’un retard de croissance.

2.3Il ressort des multiples documents soumis par les auteurs qu’ils se sont portés parties civiles dans différentes procédures liées à ces événements. En 1994, par exemple, l’auteur a porté plainte contre une compagnie d’assurances (Mutuelle), qui avait décidé de suspendre ses indemnités pour incapacité de travail à partir du 12 novembre 1993. Le 11 septembre 2001, la Cour du travail de Bruxelles se serait prononcée en faveur de l’auteur. Celui‑ci fait néanmoins valoir que la lenteur de la procédure − sept ans − constitue un retard excessif imputable aux omissions de son avocat.

2.4Dans le cadre d’une autre procédure, l’auteur réclamait à une compagnie d’assurances le versement d’une prime liée à son handicap. Selon ses dires, il avait contracté une assurance invalidité auprès de cette compagnie en 1992 et, après s’être vu attribuer le statut de personne handicapée en 1993, demandait le versement de sa prime d’assurance. La compagnie a refusé, en faisant valoir que le handicap de l’auteur existait, en fait, avant la signature du contrat, cas de figure couvert par une clause d’exemption prévue à cet effet. Selon les déclarations de l’auteur, le 17 janvier 1996, le Tribunal de première instance de Bruxelles a ordonné une expertise médicale, car la compagnie et l’auteur ne parvenaient pas à s’accorder sur le choix d’un expert. Dans son rapport, l’expert désigné, le docteur I., a confirmé la version de la compagnie. L’auteur conteste les conclusions de l’expert, qu’il accuse de partialité.

2.5Une troisième procédure a trait au litige qui a opposé l’auteur et la compagnie d’assurances de son employeur en 1992, lorsqu’il a demandé le paiement d’indemnités pour incapacité de travail. En fait, après son agression en 1992, l’auteur avait été déclaré apte à travailler à 100 % par un médecin expert et devait reprendre son activité le 1er janvier 1993. En 1996, cependant, un autre médecin expert a estimé qu’à la suite de l’accident de 1992 l’auteur avait une incapacité de travail de 66 %. Le 10 mars 1998, l’auteur a porté plainte contre l’assureur devant la Cour du travail de Bruxelles. Le 11 décembre 1998, la Cour a rejeté la plainte pour dépassement du délai prescrit. L’auteur a demandé le réexamen de la décision, en invoquant la force majeure. Dans un jugement rendu le 20 novembre 2000, la Cour l’a de nouveau débouté. L’auteur déclare à cet égard avoir été victime d’une violation de son droit à être défendu, puisque son avocat n’a, selon lui, pas respecté le délai prévu par la loi pour interjeter appel et est donc responsable de la prescription.

2.6Une dernière procédure opposait les auteurs à la compagnie d’assurances de l’automobiliste responsable de l’accident de 1999. Les auteurs affirmaient qu’ils avaient été grièvement blessés et demandaient réparation. La compagnie d’assurances contestait leurs arguments et avait demandé une expertise médicale pour évaluer les répercussions de l’accident sur la santé de l’auteur. L’expert a publié son rapport le 4 juillet 2005; il aurait conclu que les auteurs ne présentaient aucune trace de blessures imputables à l’accident. Ceux‑ci contestent les conclusions de l’expert et se prétendent victimes d’une violation de leur droit à la défense, du fait que le médecin expert désigné aurait défendu les intérêts de la compagnie. Ils se plaignent aussi de ce que cet expert ait été proposé par leur avocat.

2.7Les auteurs expliquent qu’ils se sont adressés à plusieurs institutions, à qui ils ont envoyé copie de leurs plaintes (entre autres au Ministère de la justice et au Premier Ministre), se déclarant victimes de diverses violations de leurs droits, sans préciser lesquelles. Dans un document daté du 24 février 2004, et dans trois autres lettres en date du 28 juillet 2005, ils énumèrent les irrégularités dont les procédures judiciaires qu’ils avaient intentées auraient été entachées et déclarent avoir porté plainte devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Ils affirment que leurs droits ont été bafoués et se plaignent de la conduite de plusieurs de leurs avocats ainsi que de différents représentants du barreau de Bruxelles, qui auraient «couvert» leurs confrères. Ils mettent également en doute l’impartialité du médecin expert qui a évalué les séquelles de l’accident de 1999. Le 10 mai 2005, un juge d’instruction au Tribunal de première instance les a informés que leur cas était entre les mains de la police fédérale, qui allait bientôt les convoquer.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs n’invoquent pas de dispositions particulières du Pacte. Ils affirment pour l’essentiel que, en raison de la conduite fautive de leurs avocats et d’un médecin expert, l’État partie se serait fourvoyé, comme indiqué dans les paragraphes 2.1 à 2.7 ci‑dessus. Ils expliquent qu’ils ne sont pas en mesure d’obtenir réparation dans la juridiction de l’État, en partie parce que leurs avocats n’assurent pas bien leur défense et aussi parce qu’ils n’ont plus les moyens (financiers) de s’offrir les services d’un défenseur. Ils se plaignent également du fait que la justice n’a toujours pas statué sur leur cas depuis 1992 (concernant l’agression contre M. O.) et 1999 (concernant l’accident d’autobus), ce qui constitue selon eux un retard excessif. Ces griefs pourraient soulever des questions au regard du paragraphe 3 b) de l’article 2 et de l’article 14 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment qu’en raison des actes ou omissions des autorités, leur fille ne reçoit aucune allocation.

3.3Enfin, les auteurs se déclarent aussi victimes de discrimination raciale par l’État partie, sans apporter d’éléments à l’appui de cette allégation, laquelle pourrait soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté qu’une plainte similaire déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable parce que, «manifestement mal fondée», par la Cour européenne des droits de l’homme le 7 novembre 2003 (requête no 16793/03). Le paragraphe 2 a) de l’article 5 ne lui interdit pas toutefois d’examiner la présente communication, puisque cette question n’est plus examinée par la Cour européenne et que l’État partie n’a pas formulé de réserve concernant le paragraphe 2a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3En premier lieu, le Comité note que, selon les allégations des auteurs, l’État partie a violé leurs droits fondamentaux dans la mesure où il aurait mal apprécié les conséquences des accidents survenus en 1992 et en 1999. Il fait observer que ces allégations concernent d’abord l’appréciation des faits et des éléments de preuve dans le cas d’espèce. Il rappelle que c’est généralement aux juridictions supérieures des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve propres à l’espèce, sauf si la conduite du procès a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Le Comité ne dispose d’aucun élément attestant que les diverses procédures engagées dans l’État partie ont été entachées de telles irrégularités. En conséquence, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4En deuxième lieu, le Comité fait observer que les services fournis par un avocat privé dans une procédure civile ne sont garantis par aucune disposition du Pacte. Il ressort du paragraphe 3 d) de l’article 14 que les États parties ne doivent fournir l’assistance d’un défenseur que dans le cadre d’un procès pénal. Le Comité en conclut que cette requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Quant à l’allégation de l’auteur relative à un retard excessif de la procédure, le Comité note que, d’après les éléments dont il dispose, ce retard ne peut en aucun cas être imputé à l’État partie. Il semble plutôt qu’il soit la conséquence des actions successives engagées par les auteurs contre les compagnies d’assurances, des objections répétées qu’ils ont opposées aux conclusions des experts et des plaintes qu’ils ont formulées contre leurs avocats. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte pour qu’elle soit jugée recevable. En conséquence, cette partie de la communication est déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.6Le Comité a en outre pris note de l’argument des auteurs qui affirment, sans en apporter la preuve, que leur fille ne peut prétendre à aucune allocation et se disent victimes de discrimination raciale. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité; cette partie de la communication est donc déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Note

HH . Communication n o  1420/2005, Linder c. Finlande (Décision adoptée le 28 octobre 2005, quatre ‑vingt ‑cinquième session)*

Présentée par:

Eugene Linder (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Finlande

Date de la communication:

1er avril 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Non‑remboursement de frais médicaux à un national résidant à l’étranger

Questions de procédure: Incompétence du Comité pour examiner des griefs de violation de droits qui ne sont pas visés par le Pacte

Questions de fond: Droit à la santé

Articles du Pacte: 2 (par. 3 b)), 7, 14 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 1er avril 2005) est Eugene Linder, de nationalité finlandaise. L’auteur n’invoque aucune disposition précise du Pacte, mais la communication paraît soulever des questions au regard du paragraphe 3 b) de l’article 2, ainsi que des articles 7, 14 et 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Finlande le 23 mars 1976.

Exposé des faits

2.1Le 11 novembre 2004, l’auteur, un Finlandais, a été admis au service d’urgence d’un hôpital en Allemagne (le nom de l’hôpital pas plus que celui de la ville ne sont donnés). À l’hôpital (la date exacte n’est pas précisée), il a reçu une télécopie de l’organisme finlandais de sécurité sociale (KELA) lui demandant de confirmer qu’il était bien résident en Finlande. Cette information était nécessaire parce que les résidents finlandais sont couverts par KELA pour les frais médicaux qu’ils encourent à l’étranger uniquement si le voyage est de courte durée. Les nationaux finlandais résidant à l’étranger pour de plus longues périodes doivent contracter une assurance médicale dans leur pays de résidence. L’auteur dit qu’il n’a pas pu communiquer les renseignements nécessaires depuis l’hôpital et qu’il a demandé à KELA de lui faire savoir quels renseignements exactement (et sous quelle forme) il devait envoyer; il n’aurait pas reçu de réponse. Il a été autorisé à sortir de l’hôpital le 20 novembre 2004. Il explique qu’il ne peut pas rentrer tout de suite en Finlande parce que son état de santé ne lui permet pas encore d’entreprendre un vol d’une longue durée.

2.2D’après l’auteur, KELA a examiné son dossier le 25 novembre 2004 et a conclu qu’il «ne remplissait pas les conditions pour être pris en charge par le système de sécurité sociale finlandais». D’après lui, cette décision était notamment fondée sur le fait que KELA n’avait pas reçu de documents attestant sa résidence en Finlande, alors qu’il n’avait pas été informé des pièces qu’il aurait dû produire et que même s’il l’avait été, il n’aurait pas pu les envoyer puisqu’il était hospitalisé.

2.3 L’auteur affirme que depuis qu’il a quitté l’hôpital il n’a reçu aucun soin médical. Bien qu’il se soit adressé par téléphone à plusieurs responsables finlandais, expliquant ses difficultés et soulignant qu’il était en situation d’urgence médicale, ses demandes sont restées ignorées et il n’a pas reçu de conseils avisés lui permettant de savoir quelles démarches il devait entreprendre. Il ressort des documents soumis au Comité que, en date du 23 décembre 2004, il s’est adressé à la Commission de recours de KELA qui n’a pas encore rendu sa décision.

2.4Le 27 décembre 2004, l’auteur a adressé une plainte au cabinet du Ministre de la justice pour dénoncer le «comportement inacceptable des responsables de plusieurs organes et organisations de Finlande». Le Ministre de la justice a rejeté sa plainte en date du 24 janvier 2005 au motif qu’il ne pouvait pas intervenir dans une affaire en cours d’examen par un organe de recours ou dans une affaire attaquée en appel, ce qui était le cas puisque la Commission de recours de KELA était toujours saisie de la plainte relative à la résidence en Finlande en tant que condition pour être pris en charge par l’assurance sociale.

2.5Le 26 février 2005, l’auteur a de nouveau écrit au Ministre de la justice. Il disait de nouveau qu’il était dans une situation d’urgence médicale et expliquait que toutes les tentatives qu’il avait faites pour prendre contact avec différents responsables de KELA à Tampere ou à Helsinki et le Ministère de la santé afin de se faire préciser leur position sur son cas n’avaient abouti à rien. Il faisait valoir que l’interprétation étroite du Ministre, qui considérait que la plainte de l’auteur ne concernait que KELA, n’était pas juste car en fait cette plainte comportait une longue liste de particuliers et d’institutions qui «avaient manqué à leurs devoirs». De l’avis de l’auteur, cette liste donnait au Ministre suffisamment matière pour ouvrir une enquête. Il disait «ne pas comprendre» pourquoi il avait fallu tant de temps (un mois, d’après l’auteur) au Ministre pour l’informer qu’il «ne souhaitait pas» s’occuper de son affaire, alors que de toute évidence il y avait urgence médicale et qu’une action rapide était nécessaire. L’auteur priait instamment le Ministre d’enquêter sur les actes de responsables finlandais, coupables d’après lui a) de discrimination fondée sur son origine ethnique, b) de «négligence criminelle» pour l’avoir laissé sans assistance médicale, c) de violation de ses droits fondamentaux et de ses droits en tant que patient. Il expliquait aussi qu’il n’était pas Finlandais de souche, qu’il parlait le finnois avec un accent étranger qui le désignait à tout Finlandais de souche «comme un étranger avec un passeport finlandais». Dans sa lettre au Ministre, l’auteur alléguait également une infraction aux règles de procédure que devait suivre la Commission de recours de KELA. Il expliquait que le 27 décembre 2004 il avait adressé une demande à cette commission à Helsinki mais n’avait pas reçu d’accusé de réception. Le 5 janvier 2005, il s’était entretenu par téléphone avec le Président de la Commission qui lui avait objecté − bien que l’auteur eût expliqué qu’il y avait «urgence médicale» − que la durée moyenne de traitement des plaintes individuelles par la Commission de recours était d’environ 10 mois. L’auteur a eu ensuite plusieurs entretiens avec le Président, qui lui a envoyé une lettre confirmant que la Commission de recours avait commencé à examiner son dossier le 17 janvier 2005. Comme il le faisait savoir dans sa lettre au Ministre, l’auteur estime que la négligence de la Commission de recours constituait une restriction excessive de son droit d’être entendu équitablement et de son droit de recours, et il qualifie la durée de la procédure d’«inacceptable» compte tenu de l’urgence. Il faisait valoir que la «négligence criminelle» de la part des autorités finlandaises, y compris des médecins, constituait une violation grave de ses droits fondamentaux et de ses droits en tant que patient ayant besoin d’une prise en charge médicale. Le Ministre a répondu à cette lettre le 23 mars 2005 en insistant de nouveau sur le fait qu’il ne pouvait pas intervenir dans une affaire tant que la Commission de recours n’avait pas statué.

2.6Par une lettre datée du 22 février 2005, le Président de la Commission de recours a expliqué à l’auteur que le système de sécurité sociale finlandais reposait sur le critère du lieu de résidence et que les ressortissants d’un pays de l’Union européenne qui travaillaient à l’étranger étaient couverts par la sécurité sociale du pays dans lequel ils travaillaient. Ainsi, les frais médicaux encourus en Allemagne ne pouvaient être remboursés que si l’auteur avait sa résidence habituelle en Finlande. Comme rien ne montrait qu’il en était ainsi, il était nécessaire que l’auteur précise la question et prouve qu’il était toujours résident en Finlande.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur n’invoque aucune disposition précise du Pacte. En substance, ses griefs semblent porter sur une violation par les autorités finlandaises du droit à la santé et sur l’absence d’un procès équitable et sans délai excessif (art. 14 du Pacte).

3.2L’auteur ajoute que, depuis le 20 novembre 2004, les autorités finlandaises ne lui ont apporté aucune assistance alors que son état constitue «une urgence médicale» et que sa santé est amoindrie. De l’avis de l’auteur, cette négligence des autorités constitue une violation du droit d’être entendu équitablement et du droit de recours, et la durée de la procédure est qualifiée d’«inacceptable» eu égard à l’urgence de sa situation (par. 3 b) de l’article 2 et art. 14 du Pacte).

3.3L’auteur fait valoir que le non‑respect par les autorités finlandaises de son droit à la santé constitue un traitement inhumain et dégradant (art. 7 du Pacte). Il demande au Comité de solliciter de la Finlande des mesures provisoires de protection afin d’empêcher un préjudice irréparable à sa santé.

3.4Enfin, et sans donner d’éléments permettant d’étayer ce grief, l’auteur affirme qu’il est victime d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique et la langue (art. 26 du Pacte).

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

4.3Le Comité relève que l’auteur se déclare victime de violation par la Finlande du droit à la santé parce que l’État partie ne lui a pas garanti une aide médicale d’urgence et n’a pas pris en charge les soins médicaux donnés en Allemagne du fait de son hospitalisation. Le Comité note que le droit à la santé en tant que tel n’est pas protégé par les dispositions du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae, étant incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4Pour ce qui est du grief de l’auteur, qui affirme que depuis novembre 2004 les autorités de l’État partie ne lui ont pas offert de recours permettant de rectifier la situation et que leur négligence constitue une violation du droit d’être entendu équitablement et du droit de recours, le Comité note que l’auteur s’est adressé à différents responsables et institutions de l’État partie et que le recours qu’il a déposé au sujet de sa prise en charge par le système de sécurité sociale finlandais est toujours pendant devant la Commission de recours de KELA. Il a également pris note de l’objection de l’auteur qui affirme que pour épuiser les recours internes il se passerait un temps «déraisonnablement long» étant donné que la Commission de recours met généralement environ 10 mois avant de rendre une décision et qu’il considère que cette durée est «inacceptable» eu égard à l’urgence de la situation. Le Comité relève également que l’auteur n’a pas saisi un des tribunaux ordinaires de l’État partie pour chercher à obtenir réparation. Il rappelle que l’obligation d’épuiser les recours internes, qui permet à l’État partie de réparer une violation alléguée avant que la question puisse être portée devant le Comité, oblige les auteurs de communication à obtenir d’abord des juridictions nationales une décision sur le fond des griefs qu’ils soumettent au Comité. L’auteur n’a pas saisi les juridictions finlandaises des faits qu’il estime constituer des violations de ses droits, et le Comité considère donc que la communication est également irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.5Le Comité note que l’auteur fait valoir que la négligence des autorités représente un traitement inhumain et dégradant et qu’il est victime de discrimination tenant à son origine ethnique. À l’appui de ce deuxième grief, il explique qu’il a un accent quand il parle finnois et qu’il serait facile pour un Finlandais de souche de conclure qu’il est «étranger avec un passeport finlandais». Le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces deux griefs aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2, 3 et 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

II . Communication n o  1434/2005, Fillacier c. France (Décision adoptée le 27 mars 2006, quatre ‑vingt ‑sixième session)*

Présentée par:

Claude Fillacier (représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

France

Date de la communication:

24 octobre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Réintégration dans la fonction publique française après un transfert de l’Algérie, demande de compensation

Questions de procédure: Abus du droit de présenter des communications, réserve de l’État partie

Questions de fond: Accès aux fonctions publiques dans des conditions d’égalité

Articles du Pacte: 2, 25 c) et 26

Articles du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 24 octobre 2005, est Claude Fillacier, né le 3 mars 1927, à Bône en Algérie, de nationalité française. Il se déclare victime de violations par la France des articles 2, 25 c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Alain Garay. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la France le 17 mai 1984.

Exposé des faits

2.1D’octobre 1953 à mars 1963, l’auteur a exercé différents emplois de haut cadre administratif dans plusieurs organismes sociaux en Algérie, à l’époque territoire national français. À partir de juin 1960, il occupait simultanément les fonctions de directeur adjoint de la Caisse régionale mutuelle d’assurances sociales agricoles dite «Bône Assurance Sociales» et de directeur adjoint de la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles dite «Bône − Assurance».

2.2L’auteur quitta l’Algérie pour la France en mars 1963, c’est‑à‑dire après la décolonisation. Le 5 mars 1963, il demanda à être réintégré dans des fonctions équivalentes en France auprès d’un organisme correspondant d’assurances sociales agricoles. Cette demande était fondée sur l’article 2 du décret no 62‑941 du 9 août 1962 relatif aux conditions de reclassement des agents permanents français des organismes définis à l’article 3 de l’ordonnance no 62‑401 du 11 avril 1962 relative aux conditions d’intégration dans les services publics métropolitains des fonctionnaires et agents des services publics algériens et sahariens.

2.3Par lettre du 11 mai 1963, le Ministère français de l’agriculture informa l’auteur qu’il ne pouvait bénéficier d’une mesure de reclassement, compte tenu de son activité professionnelle «partagée» entre la Caisse régionale mutuelle d’assurances sociales agricoles dite «Bône Assurance Sociales», gérant un régime légalement obligatoire, et la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles dite «Bône − Assurance», organisme non visé par l’ordonnance no 62‑401 du 11 avril 1962. L’auteur répondit par lettre du 11 juillet 1963. Le Ministre confirma sa décision par lettre du 29 juillet 1963.

2.4L’auteur essaya sans succès à plusieurs reprises et auprès de divers interlocuteurs d’obtenir une mesure de reclassement. Il saisit finalement le Tribunal administratif de Toulouse avec des demandes de reclassement et de réparation des préjudices résultant de sa non‑réintégration dans le cadre correspondant en France métropolitaine. Ses demandes furent rejetées par jugement du 27 juin 1986. L’auteur s’est ensuite pourvu en cassation et le Conseil d’État, par arrêt du 8 juin 1990, a confirmé la décision du Tribunal administratif de Toulouse. Le 7 janvier 2004, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme qui a déclaré, le 9 novembre 2004, sa requête irrecevable parce qu’elle avait été introduite tardivement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur déclare que sa plainte n’a pas été «examinée» par la Cour européenne des droits de l’homme puisque sa requête a été déclarée irrecevable pour une raison purement procédurale. Il estime que la réserve de l’État partie ne s’applique pas à son cas. En l’occurrence, l’auteur conteste même la légalité de la réserve qui porterait atteinte au principe de l’accès à la justice.

3.2Bien que sa communication porte sur des faits commis avant la date de ratification du Protocole facultatif par l’État partie, l’auteur considère que le Comité des droits de l’homme devient compétent si lesdits actes continuent de produire des effets après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif qui constituent eux‑mêmes des violations du Pacte. Il fait également valoir que son action est recevable dès lors que le Pacte et son protocole facultatif n’édictent aucun délai de présentation d’une communication.

3.3L’auteur estime qu’il n’a pas reçu de la part des autorités nationales la garantie et la protection des droits figurant à l’alinéa c de l’article 25, lu conjointement avec les articles 2 et 26 du Pacte. Il considère qu’il s’agit d’une atteinte de base au droit à l’emploi et de mesures discriminatoires tirées de sa situation et de sa nationalité. Il s’estime victime d’une discrimination par rapport aux autres agents exerçant simultanément à l’époque en France métropolitaine des activités professionnelles correspondantes, identiques, au sein de la Mutualité Agricole. Il invoque l’Observation générale no 25 (57) du Comité des droits de l’homme qui précise que «pour garantir l’accès à ces charges publiques dans des conditions générales d’égalité, les critères et les procédures de nomination, de promotion, de suspension et de révocation doivent être objectifs et raisonnables». Dès lors, l’auteur estime que les critères de distinction retenus dans son cas, à savoir la nature de l’exercice professionnel d’un emploi de direction au sein de la Caisse régionale mutuelle d’assurances sociales agricoles, tels qu’interprétés par l’État partie, sont de toute évidence la cause d’une différence de traitement qui n’est pas fondée sur un critère raisonnable et objectif.

3.4Concernant l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur précise que, suite à l’arrêt rendu le 8 juin 1990 par le Conseil d’État, il ne dispose plus d’autre recours en droit interne.

3.5L’auteur demande au Comité de statuer sur l’octroi d’une satisfaction équitable à son bénéfice du fait qu’il a subi un grave préjudice en raison des manquements de l’administration nationale. Il demande également que l’État partie soit condamné à lui verser les frais encourus à l’occasion des actions qu’il a engagées devant les instances judiciaires nationales.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté qu’une plainte similaire déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable, parce que la requête avait été introduite tardivement, par la Cour européenne des droits de l’homme le 18 novembre 2004 (requête no 2188/04). Le Comité rappelle, en outre, qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité «ne sera pas compétent pour examiner une communication émanant d’un particulier si la même question est en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement». Le Comité constate cependant que la Cour européenne n’a pas «examiné» l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où sa décision portait uniquement sur une question de procédure. En conséquence, il n’existe aucun obstacle au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, tel que modifié par la réserve de l’État partie.

4.3Le Comité note le délai de 15 ans dans la présente affaire et relève qu’il n’existe aucune échéance explicite pour la présentation des communications en vertu du Protocole facultatif. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité est en droit d’attendre une explication raisonnable pour justifier un tel retard. En l’espèce, l’arrêt du Conseil d’État remonte au 8 juin 1990, soit plus de 15 ans avant que la communication ne soit soumise au Comité, sans qu’aucune explication convaincante n’ait été présentée pour justifier un tel délai. En l’absence d’explication, le Comité considère que la présentation de la communication après un délai aussi long équivaut à un abus du droit de plainte, et il conclut à l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et du paragraphe 3 de l’article 93 de son règlement intérieur.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et du paragraphe 3 de l’article 93 de son règlement intérieur;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, pour information.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

JJ . Communication n o  1440/2005, Aalbersberg c. Pays ‑Bas (Décision adoptée le 12 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

Gerardus Aalbersberg et 2 084 autres citoyens néerlandais (représentés par un conseil, N. M. P. Steijnen)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

2 août 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Utilisation potentielle des armes nucléaires par l’Alliance de l’OTAN

Questions de procédure: Notion de «victime»

Questions de fond: Droit à la vie

Article du Pacte: 6

Articles du Protocole facultatif: 1 et 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 12 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication, datée du 2 août 2005, sont 2 085 Néerlandais. Ils se déclarent victimes d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 6 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays‑Bas le 11 mars 1979. Les auteurs sont représentés par un conseil, N. M. P. Steijnen.

1.2Le 3 février 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la question de la recevabilité devait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1L’Association des avocats pour la paix et les auteurs ont déposé une plainte auprès du Tribunal de district de La Haye, faisant valoir que l’utilisation potentielle d’armes nucléaires par l’Alliance de l’OTAN constituait des violations des principes du droit humanitaire, spécifiquement de l’interdiction de prendre des civils pour cibles d’une attaque militaire, de l’interdiction de diriger des attaques contre des cibles militaires qui pourraient causer des dommages collatéraux excessifs à des civils, et de la distinction entre combattants et non‑combattants. Leurs prétentions étaient d’obtenir une déclaration ayant force de droit à l’effet que le Gouvernement des Pays‑Bas a l’interdiction de coopérer au déploiement effectif d’armes nucléaires en général, de mettre des installations néerlandaises à disposition pour utiliser effectivement des armes nucléaires, de lancer des attaques nucléaires avec des avions de guerre néerlandais ou par d’autres moyens, d’aider à utiliser des armes nucléaires ou d’approuver l’emploi d’armes nucléaires contre des zones de résidence, d’employer des armes nucléaires contre des cibles militaires dans des zones peuplées et de donner à des militaires l’ordre d’utiliser les armes nucléaires.

2.2Par une décision interlocutoire datée du 28 avril 1993, le Tribunal de district, répondant à l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’État partie, a conclu que les griefs pourraient être déclarés recevables uniquement dans le cas où les principes du droit humanitaire créent des droits directs pour les civils. Il a alors ordonné la comparution des parties afin de déterminer s’il était nécessaire de solliciter un rapport d’expert. Par une décision du 13 décembre 1995, le Tribunal de district a désigné trois experts qui étaient chargés de déterminer, entre autres choses, si des civils peuvent invoquer directement les principes du droit humanitaire en jeu dans la présente affaire.

2.3L’Association des avocats pour la paix et les auteurs ont fait appel de la décision et ont demandé que l’État partie soit enjoint d’annuler les plans de l’OTAN sur l’emploi d’armes nucléaires et de notifier ses alliés de cette annulation. Le 20 mai 1999, la Cour d’appel de La Haye a débouté les auteurs. Elle a confirmé qu’il fallait que les principes du droit humanitaire créent des droits directs pour les civils pour que leurs griefs puissent être recevables. Il fallait également qu’il y ait un intérêt spécifique suffisant. En l’espèce, la Cour exigeait qu’il y ait une menace réaliste et précise d’emploi d’armes nucléaires par l’État partie. Les auteurs n’avaient pas démontré l’existence d’une telle menace. La Cour d’appel a donc conclu que les auteurs n’avaient pas un intérêt spécifique suffisant et que leurs griefs n’avaient pas été exposés de façon suffisamment spécifique.

2.4L’Association des avocats pour la paix et les auteurs se sont pourvus devant la Cour suprême des Pays‑Bas. Dans un arrêt du 21 décembre 2001, la Cour suprême a relevé que pour déterminer si l’affaire était recevable il fallait qu’elle examine jusqu’à un certain point l’illégalité alléguée des actes qui faisaient l’objet du grief. À cette fin, elle a invoqué l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice daté du 8 juillet 1996 qui n’a pas déclaré que l’emploi d’armes nucléaires était illicite dans toutes les circonstances. La Cour suprême a considéré que c’était aux autorités de l’État et non pas à une juridiction civile qu’il appartenait de prendre des décisions politiques dans le domaine de la politique étrangère et de la défense. Elle a également considéré qu’il n’y avait «pas d’intérêt spécifique et actuel en jeu» en ce qu’il n’existait pas de menace réaliste de l’emploi d’armes nucléaires et elle a rejeté l’appel.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs se déclarent victimes d’une violation de l’article 6 du Pacte parce que la position juridique adoptée par l’État partie, qui reconnaît la licéité de l’utilisation potentielle d’armes nucléaires, met la vie de nombreuses personnes en danger, y compris la leur.

3.2Les auteurs invoquent l’Observation générale no 14 (vingt‑troisième session) relative à l’article 6, du 2 novembre 1984, dans laquelle le Comité déclare que «la conception, la mise à l’essai, la fabrication, la possession et le déploiement d’armes nucléaires constituent l’une des plus graves menaces contre le droit à la vie qui pèsent aujourd’hui sur l’humanité» et que «la fabrication, la mise à l’essai, la possession, le déploiement et l’utilisation d’armes nucléaires devraient être interdits et qualifiés de crimes contre l’humanité». Ils font valoir que l’on ne peut pas laisser des déclarations aussi claires n’avoir aucune incidence juridique sur des plaintes soumises par des particuliers en vertu du Protocole facultatif. Ils rappellent que le Comité n’est pas un organe politique, mais un organe judiciaire dont les prises de position sont censées être des déclarations de droit, qui doivent nécessairement avoir un effet juridique.

3.3Les auteurs font valoir que leur communication doit être distinguée des deux autres communications relatives à l’utilisation potentielle d’armes nucléaires sur lesquelles le Comité s’est prononcé. Ils affirment que ces décisions portaient l’une sur le déploiement d’armes nucléaires au Pays‑Bas, et l’autre sur les essais nucléaires en Polynésie française. Leur communication ne concerne ni le déploiement ni la mise à l’essai d’armes nucléaires.

3.4Pour ce qui est de l’article 6 du Pacte, les auteurs font observer que l’État partie est officiellement prêt à employer les armes nucléaires et à apporter sa coopération à cet emploi. Ils font valoir que cette position est clairement incompatible avec l’article 6 du Pacte et avec l’Observation générale no 14 [23] du Comité. Ils affirment en outre que l’article 6 crée pour les États parties l’obligation positive de protéger contre les menaces imminentes que les armes nucléaires font peser sur le droit à la vie. Ils rappellent également l’Observation générale no 6 [16] du 27 juillet 1982 relative à l’article 6, dans laquelle le Comité déclare que «la protection [du] droit [à la vie] exige que les États adoptent des mesures positives». D’après eux, en l’espèce, l’État partie refuse entièrement et expressément aux auteurs le bénéfice de toute mesure active de protection contre l’utilisation réelle des armes nucléaires. Ils font valoir que l’État partie a délibérément mal interprété l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice le 8 juillet 1996.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 17 janvier 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. À titre préliminaire, il rappelle que l’Association des avocats pour la paix et les auteurs ont déjà obtenu une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a conclu que les faits ne faisaient pas apparaître de violation des droits et des libertés consacrés dans la Convention européenne des droits de l’homme ou ses Protocoles (requête no 23698/02).

4.2La communication ne présente pas une situation nouvelle: les auteurs demandent en fait au Comité de revenir sur deux de ses décisions antérieures. L’État partie rappelle que les auteurs affirment que l’arrêt de la Cour suprême des Pays‑Bas daté du 21 décembre 2001 a créé une situation nouvelle par rapport à celle qui prévalait en 1993 quand le Comité a rendu ses deux décisions. Ils affirment également que ces deux décisions portent exclusivement sur l’implantation d’armes nucléaires alors que leur communication porte sur le danger pour leur droit à la vie que pose l’emploi imminent d’armes nucléaires. L’État partie réfute ces allégations: la Cour suprême a simplement refusé de déclarer que l’utilisation d’armes nucléaires constituait une violation du droit humanitaire dans tous les cas. L’arrêt de la Cour suprême n’a pas conféré au Gouvernement une plus grande autorité relativement à l’emploi d’armes nucléaires et n’a pas eu pour effet de rendre le Gouvernement davantage enclin à utiliser les armes nucléaires. L’État partie conclut que l’arrêt de la Cour suprême n’a pas créé une situation nouvelle en ce qui concerne le droit à la vie des auteurs par rapport aux deux communications précédentes.

4.3L’État partie rejette l’argument des auteurs qui affirment que la communication doit être distinguée des précédentes dans la mesure où, pour la première fois, la question traitée est l’emploi (imminent) d’armes nucléaires et non pas l’implantation d’armes nucléaires. Rien ne permet d’affirmer que l’emploi imminent d’armes nucléaires a été envisagé ou est envisagé. L’État partie rappelle que tout au contraire il a activement contribué à la conclusion du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, qu’il a à maintes reprises engagé les puissances nucléaires à signer des accords de désarmement et a de façon réitérée exprimé l’espoir que le monde serait un jour débarrassé des armes nucléaires. Il ajoute que l’allégation des auteurs qui affirment que l’emploi d’armes nucléaires a été rendu imminent par l’arrêt de la Cour suprême est battue en brèche par le temps qui s’est écoulé entre l’arrêt de la Cour suprême, en 2001, et la date à laquelle ils ont envoyé leur communication, en 2004.

4.4Deuxièmement, l’État partie fait valoir que les auteurs de la communication ne peuvent pas se prétendre victimes d’une violation de l’article 6 du Pacte. Il mentionne des décisions précédentes dans lesquelles le Comité a établi que pour se prétendre victime, il faut être effectivement touché par la loi ou la pratique réputée contraire au Pacte. En l’espèce, il faut donc déterminer si les actes ou omissions qui sont imputés à l’État partie constituent pour les auteurs une violation existante ou imminente de leur droit à la vie, spécifiquement pour chacun d’eux. D’après l’État partie, les auteurs n’ont pas étayé leurs griefs étant donné qu’il n’y a pas de violation effective ou imminente de leur droit à la vie. Pour ce qui est de l’arrêt de la Cour suprême, cette décision n’a pas autorisé l’emploi d’armes nucléaires dans un cas précis où les droits de l’auteur seraient en jeu mais la Cour a simplement refusé de déclarer que l’emploi d’armes nucléaires était illicite en droit international dans toutes les circonstances. L’État partie ne voit pas le lien entre l’arrêt de la Cour suprême et le droit des auteurs consacré par l’article 6 du Pacte. En tout état de cause, rien ne permet de prétendre qu’il a actuellement, qu’il a eu ou qu’il aura un jour pour politique d’autoriser l’emploi d’armes nucléaires contre ses propres nationaux sur son propre territoire. Les auteurs ne peuvent donc pas prétendre qu’ils sont victimes, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, d’une violation ou d’une menace de violation imminente du droit à la vie.

4.5Enfin, l’État partie estime que la communication vise à utiliser la procédure mise en place par le Protocole facultatif pour mener un débat public sur des questions de politique publique, comme un appel en faveur du désarmement, ce qui est contraire à la jurisprudence du Comité concernant l’application de la procédure. Il signale que plusieurs des auteurs sont des opposants actifs et déclarés de l’arme nucléaire, des forces armées et des armes en général et qu’ils ont essayé d’utiliser les organes judiciaires nationaux pour obtenir un débat politique public. L’État partie ne cherche en aucune manière à restreindre le droit des auteurs d’exprimer leur opinion par des moyens compatibles avec les articles 18 et 19 du Pacte, mais estime comme le Comité que la procédure prévue par le Protocole facultatif n’est pas la voie appropriée pour mener un tel débat.

Commentaires des auteurs

5.1Dans une lettre datée du 17 avril 2006, les auteurs objectent que la communication soumise au Comité n’est pas la même que la requête qu’ils avaient adressée à la Cour européenne des droits de l’homme. Ils font valoir que l’État partie a mal présenté leur position dans la mesure où ils ne cherchaient pas à ce qu’il soit établi que l’emploi d’armes nucléaires constituait dans tous les cas une violation du droit humanitaire, mais voulaient contester la légalité d’un ensemble de modalités de l’utilisation effective des armes nucléaires. Ils insistent sur le fait que ce qui a été contesté en justice était la légalité uniquement de plans nucléaires concrets et réalistes. Ils rappellent que la Cour suprême a établi que l’emploi d’armes nucléaires dans certaines situations précises ne pouvait pas être toujours considéré comme illicite. Ils maintiennent que cet arrêt donne à l’État partie des coudées beaucoup plus franches pour recourir à l’arme nucléaire. Ils ajoutent que cet arrêt risque d’amener des juridictions d’autres États à rendre des décisions dans le même sens et que le Comité a le devoir de l’empêcher. De plus, cet arrêt met à mal l’intégrité de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires et les auteurs considèrent que «le Comité devrait essayer de défendre la décision de la Cour».

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’il n’existe pas de menace imminente d’emploi effectif d’armes nucléaires, les auteurs objectent que s’agissant de l’emploi effectif d’armes nucléaires la question de l’imminence est d’un ordre totalement différent que quand il s’agit de tout autre sujet. Ils rappellent aussi que la Cour internationale de Justice a déclaré qu’il existait une menace imminente d’emploi d’armes nucléaires. Ils exhortent le Comité à revoir sa position concernant la question de plaintes déposées par des particuliers pour dénoncer la perspective imminente de destruction nucléaire, d’autant plus que l’article 6 du Pacte fait aux États parties obligation d’adopter des mesures positives pour assurer la protection du droit à la vie.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la plainte analogue que les auteurs avaient soumise à la Cour européenne des droits de l’homme a été déclarée irrecevable, le 5 septembre 2002 (requête no 23698/02), parce qu’elle ne faisait pas apparaître de violations des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles. Toutefois, les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 n’empêchent pas le Comité d’examiner la communication actuelle étant donné que la Cour européenne n’est plus saisie de l’affaire et que l’État partie n’a émis aucune réserve en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité doit donc déterminer si les auteurs ont la qualité de «victimes» au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Toute personne qui se prétend victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer soit qu’un État partie a, par action ou par omission, déjà porté atteinte à l’exercice de son droit, soit qu’une telle atteinte est imminente, en se fondant par exemple sur le droit en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. En l’espèce, il s’agit de savoir si la position de l’État à l’égard de l’emploi d’armes nucléaires a représenté pour les auteurs une violation effective ou une menace imminente de violation du droit à la vie, pour chacun d’entre eux. Le Comité constate que les arguments présentés par les auteurs ne montrent pas qu’ils sont victimes d’une violation effective de leur droit à la vie ou d’une menace imminente de violation de ce droit. Le Comité conclut ainsi que les auteurs ne peuvent pas prétendre être des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, aux auteurs et à leur conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

KK . Communication n o  1441/2005, García c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

M. Apolonio García González (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

11 novembre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet: Appréciation des preuves et portée de l’examen d’un pourvoi en cassation par les tribunaux espagnols

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 11 novembre 2005, est Apolonio García González, citoyen espagnol d’origine vénézuélienne, né en 1954. Il se dit victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1En août 1997, l’auteur a participé, avec huit autres personnes, à une opération de trafic de drogues ayant consisté à transporter de la cocaïne du Venezuela en Espagne. Cette opération a été démantelée par la police espagnole au port de Fuerteventura (îles Canaries), où elle a saisi 60 kg de cocaïne qui devaient être livrés à Las Palmas de Gran Canaria.

2.2Le 25 juillet 2001, la Cour nationale espagnole (Audiencia nacional) a déclaré l’auteur coupable de délits aggravés d’atteinte à la santé publique et l’a condamné à 16 ans et 10 mois de prison et à une amende de 200 millions de pesetas (1 202 000 euros).

2.3L’auteur a introduit un pourvoi devant le Tribunal suprême espagnol, alléguant une violation du droit à un recours juridictionnel et du droit de la défense, sur la base d’irrégularités présumées dans la procédure concernant la non‑admission de certains éléments de preuve présentés par l’auteur, découlant du fait que le crime aurait été provoqué artificiellement et de l’appréciation prétendument discrétionnaire du caractère aggravé du crime faite par la Cour. Le 23 janvier 2003, le Tribunal suprême a rejeté les deux motifs d’appel.

2.4L’auteur reconnaît qu’il n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il affirme que ce recours n’aurait aucune chance d’aboutir, étant donné que le Tribunal constitutionnel espagnol a constamment rejeté les recours en amparo formés contre une déclaration de culpabilité et une condamnation.

2.5L’auteur reconnaît avoir envoyé une lettre à la Cour européenne des droits de l’homme en décembre 2003, déclarant son intention de présenter une requête, mais, cette requête n’ayant jamais été soumise en bonne et due forme, son affaire n’a pas été examinée par la Cour européenne.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas pu obtenir un véritable réexamen des éléments de preuve présentés lors de son procès en raison du caractère limité du pourvoi en cassation espagnol.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’affaire de l’auteur n’a jamais été soumise en bonne et due forme à la Cour européenne des droits de l’homme et que, par conséquent, cette dernière ne l’a jamais examinée.

4.3Le Comité note les allégations de l’auteur qui fait valoir qu’il n’a pas obtenu un réexamen convenable de son affaire en appel. Toutefois, le Comité note également qu’il ressort du texte de l’arrêt rendu par le Tribunal suprême que la Cour a examiné minutieusement l’analyse des éléments de preuve faite par le tribunal d’instance. En particulier, le Tribunal suprême a examiné la question de la recevabilité des preuves soulevée par l’auteur à la lumière des principes jurisprudentiels de pertinence et de valeur, et a conclu que le tribunal d’instance avait rejeté à juste titre les éléments de preuve au motif qu’ils ne se rapportaient pas à l’objet de l’affaire. La plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l’article 14, par conséquent, n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

LL . Communication n o  1444/2006, Zaragoza Rovira c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2006, quatre ‑vingt ‑septième session)*

Présentée par:

José Zaragoza Rovira(représenté par M. Marco Rodríguez‑Farge Ricetti)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

13 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Objet: Condamnation prétendument fondée sur des preuves obtenues illégalement

Questions de procédure: Plainte insuffisamment étayée

Questions de fond: Droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa correspondance; droit à un procès équitable, droit à la présomption d’innocence

Articles du Pacte: 14 (par. 1 et 2) et 17

Article du Protocole facultatif: 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 13 janvier 2006, est José Zaragoza Rovira, de nationalité espagnole, actuellement en train de purger sa peine. Il se dit victime de violations par l’Espagne des articles 14 (par. 1 et 2) et 17 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, Marco Rodríguez‑Farge Ricetti.

Exposé des faits

2.1L’auteur déclare avoir été condamné à une peine de neuf ans de prison pour trafic de drogues sur la base de preuves obtenues illégalement. Les agents de l’Administration des douanes à l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, ont ouvert un colis contenant des journaux imprégnés de cocaïne, sans avoir de mandat judiciaire, et ont ensuite pris contact avec la police espagnole pour la prévenir que ce colis arriverait en Espagne. À l’arrivée en Espagne, le colis a été ouvert en présence d’un juge et son contenu a été analysé: il s’agissait de 1 622 grammes de cocaïne. Le juge a donné pour instruction à la police de faire livrer le colis sous filature, et l’auteur a été arrêté au moment où le colis lui a été livré par la société de messagerie.

2.2Selon le jugement rendu le 16 novembre 2001 par le tribunal provincial de Barcelone (Audiencia Provincial de Barcelona), avant le mois de mars 2000, l’auteur a créé une société fictive, Ke‑Ko‑Kol S.L., afin de couvrir ses activités illégales. Se faisant passer pour un dénommé Jordi Grau, il a alors pris contact avec une société de messagerie qui allait se charger de lui livrer des colis. En mars 2000, la police de Barcelone a été informée par l’Administration des douanes de l’aéroport d’Amsterdam qu’un colis adressé à Ke‑Ko‑Kol S.L., expédié par un particulier en Équateur et contenant des journaux imprégnés de cocaïne, se trouvait en transit à destination de Barcelone. La police a demandé au juge d’instruction (Juzgado de Instrucción de Barcelona) d’autoriser la saisie des drogues et la livraison du colis sous filature à son destinataire, ce qui lui a été accordé. À l’arrivée à Barcelone, le colis a été ouvert et 18 enveloppes ont été saisies, qui contenaient des journaux imprégnés de cocaïne. Une enveloppe a été trouvée ouverte. Ensuite, le colis a été expédié à la société de messagerie. L’auteur a été arrêté alors qu’il cherchait à prendre réception du colis à l’adresse convenue préalablement avec la société de messagerie.

2.3L’auteur déclare que les autorités judiciaires espagnoles auraient dû vérifier si le colis avait été ouvert légalement ou non aux Pays‑Bas, et affirme que, du fait de ce défaut de vérification, la condamnation de l’auteur a été fondée sur des preuves obtenues illégalement, ce qui rendrait le procès nul et sans effet. L’auteur affirme que le colis a été ouvert aux Pays‑Bas. Toutefois, l’Audiencia Provincial de Barcelone, dans son jugement, a noté qu’il n’existait pas de preuves que le colis ait été effectivement ouvert; les autorités néerlandaises n’avaient donné aucune information précisant si elles l’avaient ouvert ou non. Elles s’étaient bornées à indiquer que le colis contenait entre 20 et 25 journaux imprégnés de cocaïne, alors qu’en réalité il y en avait 18 seulement. Si les autorités en question avaient ouvert le colis, elles auraient fourni des indications exactes sur le nombre de journaux. Le fait qu’une enveloppe était ouverte ne signifiait rien parce que les autorités espagnoles ont seulement confirmé que l’enveloppe a été trouvée déjà ouverte, et non pas qu’elle portait des signes d’avoir été ouverte. Les autorités néerlandaises n’ont pas demandé à leurs homologues de procéder à une livraison sous filature, mais se sont bornées à les informer des soupçons qu’elles avaient sur la base d’une preuve raisonnable. Cette information aurait pu être obtenue autrement.

2.4L’auteur fait valoir que tous les recours internes sont épuisés. Le 11 juin 2003, la Cour suprême (Tribunal Supremo) a rejeté le pourvoi en cassation qu’il avait formé contre le jugement de la juridiction inférieure. Le 4 juillet 2005, le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) a rejeté son recours en amparo en le déclarant irrecevable, étant donné qu’il s’était borné à reproduire les griefs déjà formulés devant les juridictions inférieures, et dûment examinés par ces dernières, au lieu d’attaquer le ratio decidenci (motif essentiel) de la Cour suprême lorsqu’elle a rejeté son pourvoi en cassation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 17 du Pacte parce qu’il a été condamné sur la base de preuves obtenues illégalement. Selon lui, le fait que les autorités néerlandaises aient informé leurs homologues espagnols que le colis contenait des journaux imprégnés de cocaïne et que l’une des enveloppes ait été trouvée ouverte prouve que le colis a bien été ouvert par les douaniers néerlandais. Si elle avait été correctement interprétée, cette circonstance aurait dû inciter les tribunaux espagnols à conclure qu’il y avait présomption en faveur de l’auteur, c’est‑à‑dire que le colis avait été ouvert illégalement aux Pays‑Bas. L’auteur reconnaît que le colis a été ouvert en Espagne conformément à la loi espagnole, avec un mandat judiciaire. Toutefois, il affirme que les tribunaux espagnols auraient dû vérifier l’irrégularité qu’il invoque plus haut, et par conséquent l’acquitter. Il cite l’article 11.1 de la loi organique sur le pouvoir judiciaire (Ley Orgánica del Poder Judicial), aux termes duquel un verdict de culpabilité ne peut être fondé sur des preuves obtenues illégalement, directement ou indirectement. L’auteur invoque aussi l’observation générale relative à l’article 17 ainsi que les constatations du Comité concernant la communication no 453/1991 (Coeriel et Aurik c. Pays ‑Bas) pour rappeler l’interprétation que fait le Comité de notions telles que le caractère «arbitraire» et «raisonnable». Il affirme que l’article 17 a été violé parce que les tribunaux espagnols ont fait des immixtions arbitraires et non raisonnables dans sa correspondance privée.

3.2L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14, parce que les tribunaux espagnols ont écarté ses prétentions visant à déclarer nulles et sans effet les preuves obtenues illégalement. Il prétend que le Tribunal constitutionnel a spécifiquement contribué à cette violation en rejetant son recours en amparo pour de simples motifs de recevabilité et en refusant d’examiner le fond. Il allègue également une violation du paragraphe 2 de l’article 14, parce que les tribunaux espagnols auraient dû déclarer nulles et sans effet les preuves retenues contre lui.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité a noté l’allégation de l’auteur selon laquelle le colis a été ouvert par les autorités néerlandaises, allégation contredite par les conclusions des tribunaux espagnols. Le Comité considère que la question de savoir si le colis a pu être ou non ouvert aux Pays‑Bas, avec ou sans mandat judiciaire, se rattache manifestement aux questions liées à l’appréciation des faits; il rappelle sa jurisprudence, à savoir qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire et représente un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la procédure, dans l’État partie, ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, et conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Notes

Annexe VII

SUIVI DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME CONCERNANT DES COMMUNICATIONS INDIVIDUELLES SOUMISES AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Le présent rapport contient tous les renseignements communiqués par les États parties et les auteurs ou leur conseil depuis la publication du dernier rapport annuel (A/60/40).

État partie

ANGOLA

Affaire

Carlos Diaz, 711/1996

Constatations adoptées le

20 mars 2000

Questions soulevées et violations constatées

Absence d’enquête sérieuse sur les délits commis par une personne occupant une charge importante, harcèlement de l’auteur et des témoins pour les empêcher de rentrer en Angola, perte de biens − article 9, paragraphe 1.

Réparation recommandée

Offrir un recours utile à l’auteur et prendre des mesures adéquates pour le protéger des menaces qui pèsent sur la sécurité de sa personne.

Réponse de l’État partie attendue le

17 juillet 2000

Date de la réponse

12 janvier 2006

Réponse de l’État partie

Le Comité se rappellera que l’État partie ne lui a fourni aucune information avant l’examen de l’affaire.

L’État partie fait valoir que le Protocole facultatif est entré en vigueur le 10 avril 1992 et non le 9 février 1992, comme il est indiqué dans la communication. Il présente des arguments détaillés ratione temporis concernant l’irrecevabilité de la partie de la plainte portant sur le meurtre de Mme Carolina de Fátima da Silva Francisco. Le Comité se rappellera que ce grief avait été jugé irrecevable.

Pour ce qui est du grief pour lequel le Comité a constaté une violation de l’article 9, l’État partie maintient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et que la communication aurait donc dû être déclarée irrecevable. L’État partie fait valoir qu’il n’apparaît pas clairement, dans la communication, qui est censé avoir menacé l’auteur (le Gouvernement angolais ou les meurtriers) ni si, face à ces menaces, l’auteur a sollicité des autorités gouvernementales compétentes la protection de sa sécurité personnelle, comme la loi le prévoit. En vertu des articles 20 et 22 de la Loi constitutionnelle angolaise, la loi protège l’intégrité personnelle et physique de tous, y compris des ressortissants étrangers. L’État partie est doté des structures voulues pour assurer cette protection, pour mettre à disposition des services policiers s’il y a lieu ou pour placer en garde à vue les personnes qui intimident ou menacent autrui.

Pour ce qui est de l’interdiction d’entrer en Angola faite à l’auteur, l’État partie affirme que M. Diaz peut, au même titre que tout autre ressortissant étranger, s’adresser à un représentant consulaire angolais, lui présenter les documents exigés par la loi et demander un visa d’entrée, demande qui sera examinée conformément à la loi. L’État partie prie le Comité de réexaminer cette affaire.

Réponse de l’auteur

La réponse de l’État partie a été transmise à l’auteur le 1er mars 2006, mais a été retournée sans avoir été ouverte.

Observations du Comité

Le Comité rappelle que pendant la quatre‑vingt‑deuxième et la quatre‑vingt‑quatrième session, le Rapporteur spécial s’était entretenu avec des représentants de l’État partie, qui avaient avancé les mêmes arguments pour contester les décisions du Comité que ceux que l’État partie a donnés.

Le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue doit continuer.

Affaire

Rafael Marques de Morais, 1128/2002

Constatations adoptées le

29 mars 2005

Questions soulevées et violations constatées

Arrestation et détention arbitraires; restriction des déplacements et de la liberté d’expression en raison de critiques formulées à l’encontre du Président − article 9, paragraphes 1, 2, 3 et 4, article 12 et article 19.

Réparation recommandée

En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile, pouvant donner lieu à une indemnisation pour son arrestation et sa détention arbitraires ainsi que pour les violations de ses droits garantis aux articles 12 et 19 du Pacte. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

1er juillet 2005

Date de la réponse

20 janvier 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie se réfère uniquement à l’argument de l’auteur exposé au paragraphe 2.14 des constatations concernant la question de la loi d’amnistie no 7/00, en date du 15 décembre 2000. L’auteur s’était plaint de ce qu’en dépit des dispositions de cette loi, il avait été cité à comparaître devant le tribunal provincial et condamné à verser au Président des indemnités d’un montant de 30 000 Nkz (qu’il a refusé de payer) et à couvrir les frais de justice, qu’il a effectivement remboursés. L’État partie fait valoir que la loi ne s’étend pas à la responsabilité civile découlant de crimes ayant bénéficié d’une amnistie et que l’auteur est donc tenu de verser des indemnités au Président, comme prévu dans l’appel interjeté devant la Cour suprême. Selon l’État partie, l’affaire présentée au Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme est donc dénuée de fondement.

L’État partie transcrit également le jugement de la Cour suprême dans cette affaire et demande au Comité de réviser sa décision.

Réponse de l’auteur

Dans une lettre datée du 1er mai 2006, le conseil de l’auteur a commenté la réponse de l’État partie. Il indique que l’État partie s’est contenté essentiellement de reproduire la décision de la Cour suprême (qui figurait dans le dossier examiné par le Comité) et demande sommairement au Comité de déclarer la communication irrecevable. Étant donné que l’État partie n’a répondu à aucune des demandes d’information que le Comité lui avait adressées avant l’examen de la communication, cette demande de réexamen est considérée comme un manque de respect. L’État partie ne traite pas des conclusions du Comité et il faudrait lui rappeler son obligation de coopérer avec le Comité. Le conseil prie le Comité de continuer à demander des informations à l’État partie et propose les formes de réparation suivantes: publication d’excuses; annulation de la condamnation pénale et de ses effets; indemnisation financière suffisante; adoption d’un ensemble de mesures d’ordre législatif et administratif pour rendre la législation et la pratique relatives à la liberté d’expression et aux garanties judiciaires conformes aux prescriptions du droit international.

Observations du Comité

L’État partie n’a pas remédié aux violations constatées ni même accusé réception des conclusions du Comité. Il renvoie simplement à l’obligation incombant à l’auteur en vertu des lois nationales sans reconnaître que le Comité a constaté notamment une violation de l’article 19 du fait de la restriction de la liberté d’expression de l’auteur en ce qui a trait à ses critiques du Président.

État partie

AUSTRALIE

Affaire

Winata, 930/2000

Constatations adoptées le

26 juillet 2001

Questions soulevées et violations constatées

Expulsion d’Australie des parents indonésiens d’un enfant né en Australie − article 17, article 23, paragraphe 1, et article 24, paragraphe 1.

Réparation recommandée

S’abstenir d’expulser les auteurs d’Australie tant que leur demande de visa parental n’aura pas été examinée compte dûment tenu de la nécessité d’offrir à leur enfant la protection qu’exige sa condition de mineur.

Réponse de l’État partie attendue le

12 novembre 2001

Date de la réponse

2 septembre 2004

Réponse de l’État partie

L’État partie a fait savoir que les auteurs se trouvaient toujours en Australie et qu’il examinait comment régler leur cas compte tenu de la législation australienne en vigueur en matière d’immigration. Il donnait au Comité l’assurance qu’une réponse détaillée serait fournie dès que possible.

Réponse de l’auteur

Le 5 septembre 2005, le conseil de l’auteur a informé le Comité qu’aucune mesure n’avait été prise par l’État partie pour donner suite à la recommandation du Comité. M. Winata et Mme Li n’ont pas été expulsés mais ils vivent dans l’incertitude. Ils sont toujours apatrides et ont appris que leur demande était toujours «dans la file d’attente».

Affaire

Madafferi, 1011/2001

Constatations adoptées le

28 juillet 2004

Questions soulevées et violations constatées

Expulsion vers l’Italie d’un Italien, marié à une Australienne et père d’enfants nés en Australie − articles 10, paragraphe 1, 17, paragraphe 1, conjointement avec les articles 23 et 24, paragraphe 1, du Pacte.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile et approprié, qui consisterait à ne pas expulser M. Madafferi tant que sa demande de visa pour conjoint n’aura pas été examinée en accordant l’attention nécessaire à la protection exigée par la condition de mineur des enfants. L’État partie est tenu d’éviter pareilles violations à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

26 octobre 2004

Date de la réponse

Juin 2006

Réponse de l’État partie

Pour ce qui est de la violation du paragraphe 1 de l’article 10, constituée par le transfert en juin 2003 de M. Madafferi dans un centre de détention dans le contexte de l’immigration mettant en danger sa santé mentale, l’État partie fait savoir que les personnes placées en détention dans le contexte de l’immigration sont traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain. Le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles («DIMA») travaille en collaboration étroite avec des professionnels de la santé expérimentés afin de garantir que les besoins des détenus en matière de santé soient dûment satisfaits. Les détenus ont accès à une gamme étendue de services de santé, dont les services de psychologues et de psychiatres. Les besoins en matière de santé de chaque détenu sont déterminés par un personnel médical qualifié le plus tôt possible après le placement en détention. La question des soins et du bien‑être des détenus ayant des besoins particuliers fait l’objet d’une attention et d’un contrôle particulièrement stricts de la part du personnel qui assure les services dans le centre de détention autant que du personnel du Département. En cas de nécessité les détenus sont adressés à un service extérieur pour obtenir des conseils ou suivre un traitement.

Dans la présente affaire, l’auteur a été transféré dans un centre de détention dans le cadre de l’immigration pour les raisons suivantes: le risque qu’il prenne la fuite s’était intensifié depuis qu’il avait épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient ouvertes en Australie et que son expulsion était imminente; il avait déjà échappé à la surveillance du Département de l’immigration et des affaires culturelles quand il vivait illégalement en Australie, pendant six ans; pour faciliter les aspects administratifs de l’expulsion.

L’état de santé mentale de M. Madafferi (tel qu’il est exposé dans les rapports médicaux) a été pris en compte au regard de ces éléments. Le Gouvernement australien a conclu que c’était la perspective de l’expulsion et non pas le placement pour une courte période dans un centre de détention dans le cadre de l’immigration qui avait le plus d’incidence sur sa santé mentale à ce moment‑là. Compte tenu de tous ces facteurs, le Gouvernement australien considère que la décision de placer M. Madafferi en détention a reposé sur une évaluation correcte des situations et est une mesure proportionnée par rapport au but recherché. La détention était conforme à la loi australienne et était la conséquence directe de son statut d’étranger en situation irrégulière.

Le Gouvernement australien fait savoir au Comité qu’un visa permanent de conjoint (migrant) a été accordé à M. Madafferi le 3 novembre 2005, ce qui permet à celui‑ci de demeurer en Australie, sous réserve des conditions attachées au visa. La décision d’octroyer ce visa a été prise en application de la législation australienne relative à l’immigration.

En ce qui concerne la conclusion du Comité qui a considéré que l’expulsion de M. Madafferi constituerait une immixtion arbitraire dans la famille, en violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec l’article 23, et du paragraphe 1 de l’article 24 (relativement aux quatre enfants mineurs), l’État partie réitère les arguments qu’il a soumis au Comité sur la recevabilité et le fond de la communication au sujet de ces dispositions. Il fait valoir notamment que l’article 17 ne confère pas à un étranger le droit de vivre et d’élever des enfants dans un pays dans lequel il réside illégalement. De plus, une personne qui réside illégalement dans un pays ne peut pas légitimement compter continuer à y vivre. Une décision d’éloigner M. Madafferi n’aurait pas représenté d’immixtions dans la vie privée de sa famille, individuellement ou dans leurs relations. L’Australie n’aurait pas agi à l’égard de M. Madafferi illégalement ni arbitrairement. Toute décision d’expulser M. Madafferi aurait été prise conformément à la loi et dans le seul but de garantir l’intégrité du système australien des migrations.

L’obligation de protéger la famille faite à l’article 23 du Pacte ne signifie pas que l’Australie ne peut pas expulser un étranger se trouvant illégalement sur son territoire simplement parce qu’il a fondé une famille avec un ressortissant australien. Si M. Madafferi avait été expulsé, cela aurait été la conséquence de sa propre conduite − par deux fois il est resté sur le territoire alors que son permis était expiré, il a fait preuve de malhonnêteté à l’égard des agents australiens de l’immigration et il a commis des infractions pénales.

Enfin, l’État partie n’accepte pas la conclusion que l’expulsion de M. Madafferi aurait constitué une violation de l’article 24 du Pacte parce qu’il y aurait eu manquement à l’obligation de mettre en place les mesures de protection exigées par l’état de minorité des enfants de M. Madafferi. Toute séparation à long terme du père et de ses enfants aurait été la conséquence des décisions prises par la famille Madafferi et non pas des actes de l’Australie.

L’État partie n’accepte pas la conclusion du Comité qui affirme qu’il est tenu d’assurer à M. Madafferi un recours utile et approprié.

Réponse de l’auteur

Par un courrier électronique daté du 16 juin 2006, l’auteur a confirmé qu’il avait obtenu un visa de séjour permanent.

Observations du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter ses constatations mais considère que l’octroi d’un visa de séjour permanent à l’auteur constitue une réparation satisfaisante.

Affaire

Faure, 1036/2001

Constatations adoptées le

31 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Compatibilité du programme de travail obligatoire (Work for the Dole) avec le paragraphe 3 lu conjointement avec le paragraphe 8 de l’article 2 du Pacte.

Réparation recommandée

Bien qu’en application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie soit tenu d’offrir à l’auteur un recours utile, le Comité estime qu’en l’espèce, ses constatations concluant au bien‑fondé de la requête constituent une réparation suffisante pour la violation constatée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

20 février 2006

Date de la réponse

7 février 2006

Réponse de l’État partie

L’Australie accueille favorablement la conclusion du Comité des droits de l’homme selon laquelle il n’y a pas eu violation du paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toutefois, pour ce qui est de la constatation du Comité qui a conclu à une violation de l’article 2 du Pacte, le Gouvernement australien ne souscrit pas à l’interprétation que le Comité fait de cet article. Le Gouvernement relève que c’est la première fois que le Comité conclut qu’il peut y avoir violation de l’article 2 en l’absence de violation d’un article garantissant des droits.

L’Australie renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme (Karen Noelia Llantoy Huamán c. Pérou, 1153/2003) et affirme que l’article 2 est un droit subsidiaire énonçant des obligations générales à l’intention des États et qu’il ne peut être invoqué isolément des autres droits consacrés dans le Pacte. L’Australie rappelle aussi le paragraphe 14 de l’Observation générale no 29 et déclare qu’elle l’interprète selon sa signification courante, de sorte qu’il doit y avoir violation d’un droit avant que l’article 2 puisse être invoqué pour exiger qu’un État fournisse un recours utile. L’Australie ajoute que des universitaires ont souscrit à son interprétation du paragraphe 3 de l’article 2 et cite à ce sujet Joseph, Schultz et Castan.

L’Australie affirme que son interprétation de l’article 2 est également conforme aux décisions du Comité des droits de l’homme dans les affaires GB c. France (348/1989) et SG c. France (347/1988). L’Australie cite par ailleurs le paragraphe 3 de l’opinion individuelle signée de trois membres du Comité des droits de l’homme au sujet de l’affaire Kall c. Pologne (552/1993), selon laquelle «le Comité a estimé jusqu’à présent qu’il ne pouvait conclure à une violation [du paragraphe 3 de l’article 2] par un État tant qu’il n’avait pas été établi de violation correspondante d’un autre droit reconnu dans le Pacte». L’Australie rappelle en outre qu’au paragraphe 7.9 de l’affaire Andrew Rogerson c. Australie (802/1998), le Comité a estimé «que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif».

De plus, l’Australie souligne que dans l’affaire Karen Noelia Llantoy Huamán c. Pérou (1153/2003), dont les constatations ont été adoptées la veille du jour où la décision a été rendue dans la présente affaire, le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 2 uniquement lu conjointement avec une violation d’autres articles garantissant des droits. Enfin, l’Australie rappelle que dans l’affaire Dimitrov c. Bulgarie (1030/2001), examinée à la même session, le Comité des droits de l’homme a conclu que, étant donné que le grief au titre de l’article 14 était irrecevable ratione materiae, la validité du grief au titre de l’article 2 ne pouvait être reconnue et donc que cette requête était elle aussi irrecevable. L’Australie estime qu’en l’espèce, la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation de l’article 2 en l’absence de violation d’un droit substantiel appelant un recours va à l’encontre de la jurisprudence du Comité.

Appliquant la jurisprudence de l’affaire CF et consorts c. Canada (113/1981) à la présente affaire, l’Australie fait valoir qu’elle ne devrait pas être tenue de proposer, à titre de mesure préventive, une manière de contester l’ensemble de la structure législative du programme de travail obligatoire, mais que s’il y a eu violation, il devrait y avoir un recours utile. L’Australie affirme que l’auteur de la plainte avait accès à de nombreux recours internes pour obtenir réparation. De plus, l’auteur de la plainte aurait pu demander une révision judiciaire de la décision de la Human Rights and Equal Opportunity Commission (Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances) auprès de la Federal Court ou de la Federal Magistrates Court.

L’Australie évoque ensuite les observations finales du Comité des droits de l’homme concernant ses troisième et quatrième rapports, dans lesquelles le Comité se dit préoccupé de l’absence de déclaration constitutionnelle de protection des droits. L’Australie fait observer qu’il n’existe aucune disposition obligeant les États parties à incorporer intégralement dans leur législation nationale le Pacte et les autres obligations internationales en matière de droits de l’homme. Le Gouvernement australien dit qu’il n’est pas favorable à l’idée d’une charte des droits étant donné que le pays est déjà doté de solides structures constitutionnelles, d’un cadre législatif complet protégeant les droits de l’homme et interdisant la discrimination, et de la Commission susmentionnée, qui est un mécanisme indépendant en matière de droits de l’homme. Cette dernière demande à la branche législative et au Gouvernement australien de rendre compte de l’application des normes en matière de droits de l’homme et parvient donc sensiblement aux mêmes résultats qu’une loi donnant directement effet au Pacte. L’Australie ajoute que les solides institutions démocratiques du pays assurent aussi la protection et la promotion des droits de l’homme.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement australien ne peut pas accepter la conclusion du Comité qui a constaté une violation de l’article 2.

Réponse de l’auteur

En mars 2006, l’auteur a adressé ses commentaires. Il relève que l’État partie déclare accepter les constatations du Comité dans un paragraphe de sa réponse et les rejette expressément dans un autre.

Observations du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter ses observations et considère que le dialogue doit continuer.

État partie

AUTRICHE

Affaire

Karakurt, 965/2000

Constatations adoptées le

4 avril 2002

Questions soulevées et violations constatées

Discrimination raciale dans le domaine de l’emploi.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile, qui consisterait à modifier la loi pertinente de manière qu’il ne soit pas fait de distinction indue entre les personnes dans la même situation que l’auteur et les ressortissants des États de l’Espace économique européen.

Réponse de l’État partie attendue le

19 septembre 2002

Date de la réponse

21 février 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 21 septembre 2002).

Réponse de l’État partie

Le Comité se rappellera que, comme il est indiqué dans le document A/58/40, l’État partie avait déjà répondu le 21 septembre 2002 et le 6 août 2003. Il avait alors informé le Comité que les constatations avaient été largement diffusées et qu’il attendait l’issue de deux affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour européenne de justice, qui soulevaient des questions analogues.

Le 21 février 2006, l’État partie a fait valoir que la législation autrichienne avait été modifiée pour tenir compte des constatations du Comité. La loi de 1992 sur le Conseil des prud’hommes (Arbeiterkammergesetz) et la loi sur les relations du travail (Arbeitsverfassungsgesetz) ont été modifiées par une loi fédérale (Journal officiel fédéral, vol. I, no 4/2006) pour faire en sorte que, quelle que soit leur nationalité, tous les travailleurs sont désormais éligibles à un conseil de prud’hommes ou à un comité d’entreprise en Autriche (voir aussi projet de loi individuel 607/A BlgNR XXII.GP).

Réponse de l’auteur

Aucune

Affaire

Weiss, 1086/2002

Constatations adoptées le

3 avril 2003

Questions soulevées et violations constatées

Extradition vers les États‑Unis − article 14, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3.

Réparation recommandée

Faire auprès des autorités des États‑Unis les démarches qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne soit pas victime de graves atteintes aux droits que lui garantit le Pacte s’il était extradé en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif. Prendre les dispositions voulues pour garantir que les demandes de mesures provisoires de protection formulées par le Comité soient respectées.

Réponse de l’État partie attendue le

8 août 2003

Date de la réponse

23 janvier 2006 (l’État partie avait précédemment répondu le 6 août 2003 et le 4 août 2004).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans le rapport intérimaire de sa quatre‑vingt‑quatrième session, l’État partie a communiqué le texte de la décision de la Cour suprême en date du 9 septembre 2003, selon laquelle ladite Cour ne voit pas de raisons de douter de la constitutionnalité de l’application du traité d’extradition entre le Gouvernement autrichien et le Gouvernement des États‑Unis. L’État partie a aussi affirmé que des procédures à ce sujet étaient en cours aux États‑Unis.

Le 23 janvier 2006, l’État partie a confirmé que les procédures à ce sujet devant les tribunaux américains étaient en cours. L’auteur a demandé l’habeas corpus devant un tribunal de Floride au motif de son extradition illégale depuis l’Autriche. Cette requête a été rejetée par le tribunal. Une procédure d’appel est en cours.

L’extradition de l’auteur vers les États‑Unis a été rejetée au titre d’un chef d’accusation. Il a donc droit à une réduction correspondante de sa peine. Toutefois, l’auteur ne demande pas cette réduction, mais sa libération immédiate et le lancement de la procédure. Le Ministère américain de la justice et le tribunal de Floride ont tous deux expressément reconnu que, compte tenu du caractère spécifique de l’extradition, la peine devrait forcément être réduite mais ils ne se sont pas encore prononcés définitivement sur la plainte de l’auteur. L’État partie continuera de suivre le déroulement de la procédure aux États‑Unis.

Affaire

Perterer, 1015/2001

Constatations adoptées le

20 juillet 2004

Questions soulevées et violations constatées

Égalité devant les tribunaux − article 14, paragraphe 1.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

Date de la réponse

8 mars 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie fait savoir que le texte des constatations a été publié par la Chancellerie fédérale en anglais et en allemand, dans une version non officielle. L’auteur a présenté des griefs spécifiques à l’égard du Département du Procureur général et, ses griefs ayant été rejetés, il a engagé devant le tribunal régional de Salzbourg une action en responsabilité civile et une «action en responsabilité de l’État» contre les autorités fédérales et l’État de Salzbourg, à l’été 2005. Les autorités fédérales et l’État de Salzbourg ont présenté leurs arguments contre ses prétentions. Sa demande d’aide juridictionnelle a été acceptée pour le procès en deuxième instance. De plus, l’auteur a déposé une «information» contre le tribunal administratif chargé de l’affaire, au sujet de laquelle autant que l’État partie sache, aucune décision n’a encore été rendue.

L’État partie ajoute que le bureau du Médiateur, auquel l’auteur s’est adressé au début de l’automne 2004, a recherché un consensus et a essayé d’obtenir un règlement entre l’État de Salzbourg (en tant qu’autorité autrichienne responsable des violations) et l’auteur, agissant ainsi conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Au vu des nouvelles plaintes de l’auteur, le bureau du Médiateur a décidé de ne plus rien entreprendre pour l’heure.

État partie

BÉLARUS

Affaire

Svetik, 927/2000

Constatations adoptées le

8 juillet 2004

Questions soulevées et violations constatées

La restriction de la liberté d’expression ne servait pas légitimement un des motifs énumérés au paragraphe 3 de l’article 19. Par conséquent, les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

Réparation recommandée

Un recours utile sous la forme d’une indemnisation d’un montant au moins égal à la valeur actuelle de l’amende et de tous les frais de justice acquittés par l’auteur.

Réponse de l’État partie attendue le

18 novembre 2004

Date de la réponse

12 juillet 2005

Réponse de l’État partie

Comme il était indiqué dans le rapport intérimaire de la quatre‑vingt‑quatrième session, l’État partie a répondu le 12 juillet 2005. Il a confirmé que la Cour suprême avait étudié les constatations du Comité et considéré qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir l’affaire. L’auteur avait été condamné non pas pour l’expression de ses opinions politiques mais pour avoir publiquement appelé au boycottage des élections locales. En conséquence l’État partie ne pouvait pas souscrire aux constatations du Comité qui avait conclu que l’auteur était victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Réponse de l’auteur

Le 19 février 2006, l’auteur a confirmé le conclusion de la Cour suprême le concernant. La Cour a conclu que sa requête ne contenait pas de nouveaux motifs justifiant l’annulation des décisions de justice précédentes, «nonobstant la réforme de la loi et l’examen de l’affaire par le Comité des droits de l’homme». L’auteur indique qu’il a également formé un recours devant la Cour constitutionnelle (sans préciser la date ) pour demander l’annulation du jugement de la Cour suprême. Par une lettre du 2 décembre 2004, la Cour constitutionnelle l’a informé qu’elle n’était pas habilitée à interférer dans les travaux des juridictions ordinaires. L’auteur ajoute que l’État partie n’a pas rendu publiques les constatations du Comité.

Mesures complémentaires prises

Au cours de la quatre-vingt-septième session, le 24 juillet 2006, des consultations de suivi ont été tenues avec M. Lazarev, Premier Secrétaire de la Mission du Bélarus, M. Ando, Rapporteur spécial sur le suivi des plaintes individuelles, et le secrétariat.

M. Ando a expliqué la procédure de suivi et son rôle en tant que rapporteur. Il a fait valoir auprès de M. Lazarev que l’État partie n’avait répondu aux constatations du Comité que dans deux des neuf communications dans lesquelles le Comité avait estimé que le Pacte avait été violé (Svetik,927/2000et Malkhovsky, 1207/2003). M. Lazarev a indiqué qu’il avait été répondu au Groupe de travail sur la détention arbitraire dans l’affaire Bandazhewsky, 1100/2002, et que celui‑ci avait été informé que l’auteur avait été libéré suite à une amnistie. Il a assuré M. Ando qu’il adresserait une copie au secrétariat.

Concernant la réponse de l’État partie au sujet de Malkhovsky, dans laquelle celui-ci conteste les constatations du Comité, M. Lazarev a indiqué qu’il s’agissait d’une affaire très célèbre au Bélarus et que la question de la liberté religieuse est extrêmement sensible. Il a précisé qu’une législation stricte concernant les groupes religieux avait été adoptée dans l’État partie suite à plusieurs suicides de membres de sectes. Ainsi, le Comité devrait tenir compte du contexte social et du contexte purement juridique, ainsi que des implications pratiques de ses constatations pour l’État partie. À cet égard, M. Lazarev a demandé au Comité d’apporter des précisions concernant les réparations attendues.

On a insisté auprès de M. Lazarev sur la nécessité d’apporter une réponse au sujet des sept autres communications dans lesquelles le Comité avait estimé que des violations avaient été commises, et en particulier sur la nécessité d’offrir des réparations aux victimes de ces violations. Un effort tendant à fournir une réparation aux auteurs dans ces affaires démontrerait une attitude positive à l’égard des travaux du Comité, au même titre qu’un réexamen de la réponse de l’État partie aux constatations du Comité concernant les communications Svetik, 927/2000 et Malakovsky, 1207/2003. M. Lazarev s’est dit satisfait de sa rencontre avec le Rapporteur spécial, et l’a assuré qu’il transmettrait ses préoccupations à son gouvernement.

Affaire

Velichkin, 1022/2002

Constatations adoptées le

20 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Droit de répandre des informations − article 19, paragraphe 2.

Réparation recommandée

Recours utile donnant lieu à une indemnisation consistant en une somme équivalant au moins au montant actuel de l’amende et de tous les frais de justice encourus par l’auteur.

Réponse de l’État partie attendue le

20 février 2006

Date de la réponse

Aucune

Réponse de l’État partie

Aucune

Réponse de l’auteur

Le 10 février 2006, l’auteur a fait savoir que l’État partie n’a pas donné suite à la décision du Comité. Il affirme que, le 9 janvier 2006, il a porté plainte auprès du Vice‑Président de la Cour suprême, lui demandant de lui envoyer le texte de la décision du Président de la Cour suprême infirmant la décision prise par le tribunal du district Lénine de Brest, le 15 janvier 2001, compte tenu des constatations du Comité. Le 13 janvier 2006, la Cour suprême a répondu à l’auteur qu’elle avait examiné sa demande mais qu’elle n’avait trouvé aucun motif justifiant l’annulation de la décision prise le 15 janvier 2001 par le tribunal de district, obligeant l’auteur à payer une amende.

Affaire

Bandajevsky, 1100/2002

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Arrestation arbitraire, détention illicite, conditions de détention inhumaines, juridiction non créée par la loi, pas de révision − article 9, paragraphes 3 et 4, article 10, paragraphe 1, et article 14, paragraphes 1 et 5.

Réparation recommandée

En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de fournir un recours effectif, notamment une indemnisation appropriée, ainsi que d’empêcher de semblables violations à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

6 juillet 2006

Date de la réponse

Le 29 août 2005, l’État parttie a répondu au Groupe de travail sur la détention arbitraire. Cette information n’a été communiquée au Comité des droits de l’homme que le 24 juillet 2006.

Réponse de l’État partie

L’État partie indique que, conformément à la décision du tribunal de la région de Diatlov, oblast de Grodno, en date du 5 août 2005, l’auteur a été libéré avant d’avoir purgé le reste de la peine qui lui a été infligée le 18 juin 2001.

Affaire

Malakhovsky et Pikul, 1207/2003

Constatations adoptées le

12 août 2003

Questions soulevées et violations constatées

Refus d’enregistrer une organisation religieuse − article 18, paragraphes 1 et 3.

Réparation recommandée

En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours utile, y compris le réexamen de la demande des auteurs conformément aux principes, aux règles et à la pratique en vigueur au moment du dépôt de cette demande, et compte dûment tenu des dispositions du Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

10 novembre 2005

Date de la réponse

13 janvier 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie conteste la conclusion du Comité et réitère ses arguments en ce qui concerne la recevabilité et le fond de l’affaire. Il fait valoir que le tribunal a rejeté la requête de l’auteur concernant le refus de la Commission des religions et des nationalités d’enregistrer les statuts de l’association des communautés Krishna au motif de l’absence d’adresse officielle agréée. L’obligation pour un organisme religieux d’avoir une telle adresse et les restrictions frappant l’utilisation de locaux à d’autres fins religieuses (invoquées par le Comité aux paragraphes 7.6 et 8 de ses constatations) est énoncée dans la législation bélarussienne.

Les tribunaux sont des organes judiciaires qui adoptent des décisions en se fondant sur la législation en vigueur. La décision du tribunal du district central de Minsk a été rendue compte tenu des lois en vigueur et des éléments de preuve pertinents; elle est légale et dûment fondée. Selon l’article 17 de la loi sur la liberté de religion et les organismes religieux, les statuts des organismes religieux doivent contenir une indication de leur emplacement. De plus, conformément au paragraphe 3 de l’article 50 du Code civil bélarussien, les noms et les adresses des personnes morales, dont les organismes religieux, doivent figurer dans leurs textes fondateurs.

L’utilisation de locaux résidentiels à des fins autres que résidentielles doit être approuvée par les autorités exécutives et administratives locales et être conforme aux normes de salubrité et de sécurité incendie (par. 4 de l’article 8 du Code d’habitation du Bélarus). Dans les documents fondateurs présentés aux fins de l’enregistrement de l’association, il était fait mention d’une habitation située au 11, rue Pavlov, à Minsk. Suite à une inspection de cette habitation, il y a eu constat d’infractions aux normes relatives aux équipements de sécurité incendie et aux installations sanitaires. Ce constat a été confirmé dans les documents présentés au tribunal par le service sanitaire et épidémiologique et le service des situations d’urgence du district central de Minsk. C’est pour cette raison que l’adresse de cette habitation ne pouvait pas être considérée comme l’adresse officielle de l’association. De l’avis de l’État partie, le tribunal avait donc eu raison de conclure à la légalité du refus d’enregistrer cette association religieuse.

Réponse de l’auteur

Aucune

Observations du Comité

Le Comité fait observer que la réponse de l’État partie ne fait que reprendre les informations apportées avant l’examen de l’affaire. L’État partie fait valoir que les décisions des tribunaux étaient conformes à la législation nationale mais ne répond pas aux constatations du Comité qui a établi que la législation elle‑même était contraire aux droits protégés par le Pacte. Le Comité relève que l’État partie ne répond pas à ses préoccupations.

État partie

BURKINA FASO

Affaire

1159/2003

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Traitement inhumain et égalité devant les tribunaux − article 7 et article 14, paragraphe 1.

Réparation recommandée

L’État partie est tenu de fournir à Mme Sankara et à ses enfants un recours utile et exécutoire pouvant prendre, par exemple, la forme d’une reconnaissance officielle du lieu où est enterré Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse subie par la famille. Il est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

4 juillet 2006

Date de la réponse

30 juin 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie se déclare disposé à indiquer officiellement à la famille que la sépulture de Thomas Sankara se trouve au secteur 29 du cimetière de Dagnoin, à Ouagadougou; il réitère également sa déclaration, antérieure à la décision, selon laquelle Thomas Sankara avait été élevé au rang de héros national, et annonce la construction d’un mausolée en son honneur.

Il précise que le 7 mars 2006, le tribunal de Baskuy, dans la commune de Ouagadougou, a ordonné que soit établi le certificat de décès de M. Sankara, décédé le 15 octobre 1987 (la cause du décès n’est pas mentionnée).

La pension militaire de M. Sankara a été liquidée au profit de sa famille.

Malgré les offres de l’État d’indemniser la famille Sankara, dans le cadre d’un fonds destiné aux victimes de la violence politique mis en place le 30 mars 2001 par le Gouvernement, la veuve de M. Sankara et ses enfants n’ont jamais souhaité recevoir d’indemnisation. Le 29 juin 2006, et conformément aux constatations du Comité en matière d’indemnisation, le Gouvernement a évalué et liquidé le montant de l’indemnisation due à Mme Sankara et à ses enfants, laquelle s’élève à 43 445 000 francs CFA (soit environ 843 326,95 dollars des États-Unis). La famille devrait contacter le fonds pour déterminer la méthode de paiement.

L’État partie fait valoir que les constatations du Comité peuvent être consultées sur différents sites Web du Gouvernement, et qu’elles ont été communiquées aux médias.

Enfin, l’État partie indique que les événements qui font l’objet de ces constatations se sont produits 15 ans plus tôt, à une époque d’instabilité politique chronique. Depuis cette époque, l’État partie a accompli de grands progrès en matière de protection des droits de l’homme, progrès reflétés, notamment, dans sa Constitution, grâce à la création d’un ministère chargé de la protection des droits de l’homme et l’activité d’un grand nombre d’ONG.

État partie

CANADA

Affaire

Judge, 829/1998

Constatations adoptées le

5 août 2002

Questions soulevées et violations constatées

Étant donné que l’État partie a aboli la peine de mort, la décision d’expulser l’auteur vers un État dans lequel il est sous le coup d’une condamnation à mort sans lui donner la possibilité de se prévaloir d’une voie de recours disponible a été prise arbitrairement et en violation du paragraphe 1 de l’article 6 pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

Réparation recommandée

Un recours utile qui consisterait à effectuer toutes les démarches possibles auprès de l’État dans lequel l’auteur a été renvoyé pour empêcher l’exécution de la peine de mort.

Réponse de l’État partie attendue le

12 novembre 2003

Date de la réponse

9 mai 2006 (des réponses avaient déjà été fournies le 17 novembre 2003 et le 8 août 2004).

Réponse de l’État partie

Le 9 mai 2006, suite à la demande adressée à l’État partie par le Rapporteur spécial pour obtenir des autorités des États‑Unis qu’elles fassent le point sur la situation de l’auteur, l’État partie a réitéré la réponse figurant dans le rapport de suivi (CCPR/C/80/FU/1) et dans le rapport annuel (CCPR/C/81/CRP.1/Add.6). Il a ajouté que, le 18 janvier 2006, il avait envoyé aux autorités des États‑Unis une note diplomatique dans laquelle il rappelait sa note précédente et demandait des informations à jour sur la situation de M. Judge. Les autorités des États-Unis ont accusé réception de cette note et l’ont transmise au Gouverneur de Pennsylvanie aux fins d’examen. À ce jour, le Gouvernement n’a pas reçu de réponse mais, à sa connaissance, il n’a pas été fixé de date pour l’exécution. L’État partie demande que cette affaire soit rayée de la liste des affaires devant faire l’objet d’un suivi.

Réponse de l’auteur

Dans une lettre reçue le 12 octobre 2005, l’auteur a informé le Comité qu’aucune mesure n’avait été prise par le Canada pour donner suite à la recommandation du Comité.

Affaire

Ominayak, 167/1984

Constatations adoptées le

26 mars 1990

Questions soulevées et violations constatées

Droits des minorités − article 27.

Réparation recommandée

Les inégalités historiques auxquelles l’État partie se réfère et certains faits plus récents menacent le mode de vie et la culture de la bande du lac Lubicon et constituent, tant qu’ils subsistent, une violation de l’article 27. L’État partie propose de remédier à la situation en offrant une réparation que le Comité juge appropriée au sens de l’article 2 du Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

Aucune trace de cette information.

Date de la réponse

25 novembre 1995

Réponse de l’État partie

Le Comité se rappellera que, dans sa réponse de suivi du 25 novembre 1995, l’État partie avait indiqué que la réparation devait consister en un ensemble complet d’indemnités et de programmes, d’une valeur de 45 millions de dollars, et d’une réserve de 95 miles carrés. À l’époque, les négociations se poursuivaient sur la question de savoir si la bande devait recevoir une indemnisation supplémentaire.

Réponse de l’auteur

En janvier et février 2006, de nombreuses pétitions ont été reçues de diverses personnes en France (dont on ignore la relation avec l’auteur), qui demandaient au Comité de donner suite à cette affaire et qualifiaient d’«intolérable» la situation actuelle de la bande du lac Lubicon.

Observations du Comité

Après avoir examiné le rapport de l’État partie, à la quatre‑vingt‑cinquième session, le Comité a adopté l’observation finale suivante au sujet de cette affaire:

«Le Comité est préoccupé par le fait que les négociations sur les revendications territoriales en cours entre le Gouvernement canadien et la bande du lac Lubicon sont actuellement dans l’impasse. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles le territoire de cette bande continue d’être menacé par l’exploitation forestière ainsi que par l’extraction de gaz et de pétrole à grande échelle, et il regrette que l’État partie n’ait pas donné de renseignements sur cette question précise.» (art. 1er et 27).

Le Comité a estimé que «[l’]État partie devrait n’épargner aucun effort pour reprendre les négociations avec la bande du lac Lubicon en vue de parvenir à une solution qui respecte les droits de la bande en vertu du Pacte, comme le Comité l’a déjà établi. Il devrait engager des consultations avec la bande avant d’accorder des concessions pour l’exploitation économique du territoire contesté, et faire en sorte qu’en aucun cas cette exploitation ne menace les droits reconnus dans le Pacte» (CCPR/C/CAN/CO/5).

Affaire

Waldman, 694/1996

Constatations adoptées le

3 novembre 1999

Questions soulevées et violations constatées

Discrimination en ce qui concerne le financement des écoles religieuses − article 26.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de fournir un recours utile qui éliminera cette discrimination.

Réponse de l’État partie attendue le

5 février 2000

Date de la réponse

L’État partie a répondu le 3 février 2000 (voir les informations fournies au titre du suivi dans les documents A/55/40, A/56/40, A/57/40 et A/59/40).

Réponse de l’État partie

Dans sa note du 3 février 2000, l’État partie informe le Comité que les questions d’éducation relèvent de la compétence exclusive des provinces. Le Gouvernement de l’Ontario a fait savoir qu’il n’envisageait pas d’accorder des moyens financiers aux écoles religieuses ou aux parents des enfants qui fréquentent ces écoles, et qu’il avait l’intention de respecter pleinement l’obligation constitutionnelle qui lui incombait d’assurer le financement des écoles catholiques.

Observations du Comité

Après avoir examiné le rapport de l’État partie, à la quatre‑vingt‑cinquième session, le Comité a adopté l’observation finale suivante au sujet de cette affaire:

«Le Comité est préoccupé par la réponse de l’État partie concernant les constatations du Comité dans l’affaire Waldman c. Canada (communication no 694/1996, constatations adoptées le 3 novembre 1999), demandant qu’un recours utile soit assuré à l’auteur de la communication, afin d’éliminer la discrimination fondée sur la religion dans l’allocation de subventions aux établissements scolaires (art. 2, 18 et 26).».

Le Comité a estimé que «[l’]État partie devrait adopter des mesures pour éliminer la discrimination fondée sur la religion dans le financement des écoles dans l’Ontario» (CCPR/C/CAN/CO/5).

Affaire

Mansour Ahani, 1051/2002

Constatations adoptées le

23 mars 2004

Questions soulevées et violations constatées

Expulsion vers un pays où l’auteur risque la torture, voire la mort: article 7, article 9, paragraphe 4, et article 13.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation. Dans les circonstances de l’espèce, l’État partie, qui n’a pas fait ce qu’il devait pour déterminer si l’auteur courait un risque de torture tel qu’il en interdisait son expulsion, est tenu a) d’assurer réparation à l’auteur s’il apparaît qu’il a effectivement subi des tortures après avoir été expulsé, et b) de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne sera pas, à l’avenir, soumis à la torture du fait de sa présence dans l’État partie et de son expulsion. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations analogues ne soient commises à l’avenir, notamment en prenant les mesures voulues pour garantir que les demandes de mesures provisoires de protection formulées par le Comité soient respectées.

Réponse de l’État partie attendue le

3 novembre 2004

Date de la réponse

7 février 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 3 septembre 2004).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans le rapport intérimaire de la quatre-vingt-quatrième session, l’État partie avait contesté les constatations du Comité et soutenu qu’il n’avait manqué à aucune des obligations qui lui incombaient en vertu du Pacte et que ni les mesures provisoires demandées ni les constatations du Comité n’avaient un caractère contraignant pour l’État partie. Ce dernier a opposé aux constatations du Comité des arguments détaillés et estimé qu’il ne devait aucune indemnisation à l’auteur et qu’il n’était tenu d’accomplir aucune autre démarche dans cette affaire. Néanmoins, en octobre 2002, le Canada a indiqué à la République islamique d’Iran qu’il s’attendait à ce que ce pays s’acquitte de ses obligations internationales dans le domaine des droits de l’homme, y compris en ce qui concerne l’auteur. De plus, le Canada a affirmé que pour simplifier la procédure concernant la possibilité d’expulsion du Canada d’une personne qui représente un danger pour la sécurité du pays, le Gouvernement canadien accorde désormais à toutes ces personnes les mêmes garanties procédurales renforcées. En particulier, tous les documents ayant servi à établir l’avis de danger sont à présent communiqués sous forme expurgée à l’intéressé, lequel peut formuler des observations.

Le 7 février 2006, comme suite à une demande du Secrétariat sollicitant des informations actualisées au sujet de M. Ahani, l’État partie a réitéré, notamment, qu’un représentant de l’ambassade du Canada à Téhéran avait rendu visite à M. Ahani en octobre 2002 et que celui-ci ne s’était plaint d’aucun mauvais traitement. Puis, en octobre 2003, un représentant canadien s’est entretenu avec la mère de M. Ahani, qui a affirmé que ce dernier se portait bien; depuis lors, l’État partie n’a eu aucun autre contact avec lui. L’État partie souligne que la République islamique d’Iran est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’à ce titre, elle est tenue de respecter les droits énoncés dans cet instrument. Le Canada estime que la République islamique d’Iran serait mieux placée pour répondre à toute autre question du Comité au sujet de la situation de l’auteur. De plus, il existe des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, tels que le Rapporteur spécial sur la question de la torture, qui pourraient, au besoin, venir en aide à M. Ahani.

Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande que la présente affaire soit rayée de la liste des affaires auxquelles le Comité doit donner suite.

Observations du Comité

Le Comité ne compte pas actuellement poursuivre l’examen de cette affaire dans le cadre de la procédure de suivi, mais il y reviendra ultérieurement si la situation vient à changer.

État partie

COLOMBIE

Affaire

Jiménez Vaca, 859/1999

Constatations adoptées le

25 mars 2002

Questions soulevées et violations constatées

Sécurité de la personne, même dans le cas où l’intéressé n’est pas privé de liberté − article 6, paragraphe 1, article 9, paragraphe 1, et article 12, paragraphes 1 et 4.

Réparation recommandée

Un recours utile, y compris une indemnisation; prendre des mesures efficaces pour protéger la sécurité de l’auteur et lui permettre de retourner dans le pays; mener une enquête indépendante sur l’attentat contre la personne de l’auteur et diligenter une procédure pénale contre les responsables.

Réponse de l’État partie

Des consultations de suivi ont eu lieu pendant la soixante‑dix‑neuvième session. Voir CCPR/C/80/FU/1.

Réponse de l’auteur

Dans une lettre du 26 septembre 2005, l’auteur réitère les informations déjà fournies le 4 mars 2004, à savoir qu’après l’adoption des constatations du Comité il a adressé une requête, en premier lieu au Tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Bogota et, ensuite, à la Cour suprême, alléguant l’inexécution des constatations. Les deux recours ont été rejetés. Le Tribunal supérieur a déclaré que: i) les constatations du Comité n’ont pas un caractère juridiquement contraignant; ii) le Comité des ministres a rendu un avis défavorable sur la question de la suite à donner aux constatations; et iii) le Gouvernement colombien a demandé au Comité de reconsidérer sa décision.

L’auteur ajoute qu’il a également formé un recours devant la Cour constitutionnelle, qui l’a rejeté le 12 avril 2005. Selon la Cour, il n’existait aucune preuve que l’auteur risquait d’être victime de violations des droits à la vie et à l’intégrité physique au cas où il rentrerait en Colombie. Il n’existait aucune preuve non plus que l’auteur n’ait pas pu se prévaloir des recours appropriés pour poursuivre les responsables des faits allégués et obtenir réparation. Parallèlement, la Cour a prié le Ministère des affaires étrangères d’informer l’auteur des mécanismes à sa disposition pour sa protection, au cas où il recevrait des menaces à l’avenir, et de lui faire savoir que les autorités prendraient les mesures nécessaires pour faciliter son retour en Colombie.

L’auteur demande au Comité d’intervenir auprès de l’État partie pour qu’il obtienne réparation pour les violations relevées par le Comité dans ses constatations et obtienne des garanties propres à lui permettre de rentrer dans son pays en toute sécurité.

État partie

CROATIE

Affaire

Paraga, 727/1996

Constatations adoptées le

4 avril 2001

Questions soulevées et violations constatées

«Effets continus»; retard pris dans l’ouverture du procès et liberté d’expression − article 14, paragraphe 3 c).

Réparation recommandée

Indemnisation

Réponse de l’État partie attendue le

27 août 2001

Date de la réponse

26 janvier 2006 (l’État partie avait déjà répondu les 29 octobre 2002 et 2 décembre 2004).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans son rapport sur les travaux de sa quatre-vingt-quatrième session, le 2 décembre 2004, l’État partie lui avait fait savoir que la demande en dommages-intérêts pour le temps passé en détention provisoire du 22 novembre au 18 décembre 1991, présentée par l’auteur le 14 janvier 2003, avait été rejetée du fait qu’elle n’avait pas été présentée dans les délais prescrits. L’auteur avait fait appel de cette décision; l’affaire est actuellement devant le tribunal de comté de Zagreb.

Le 26 janvier 2006, l’État partie a rappelé que l’affaire n’avait toujours pas été examinée.

Réponse de l’auteur

Le 30 janvier 2005, l’auteur avait confirmé que le tribunal municipal de Zagreb avait refusé de lui accorder une indemnisation et l’avait en fait condamné aux dépens. Il a fait appel de cette décision devant le tribunal de comté de Zagreb, mais au bout de près de deux ans, l’affaire n’a pas toujours été entendue.

État partie

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE − CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES AFFAIRES RELATIVES AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ

Affaires

Affaires relatives aux droits de propriété − Simunek et consorts (516/1992), Adam (586/1994), Blazek (857/1999), Des Fours Walderode (747/1997), Brok (774/1997), Fabryova (765/1997), Pezoldova (757/1997), Czernin (823/1998), Marik (945/2000), Patera (946/2000)

Mesures complémentaires prises

Le 18 octobre 2005, le Rapporteur spécial chargé du suivi des communications, M. N. Ando, s’est entretenu avec l’Ambassadeur de la République tchèque et M. Lukas Machon, membre de la Mission permanente, au sujet de la suite donnée aux constatations adoptées par le Comité dans des affaires intéressant la République tchèque.

L’Ambassadeur a informé M. Ando que certains services gouvernementaux étaient prêts à mettre en œuvre, au cas par cas, au moins certaines des recommandations portant sur les affaires relatives aux droits de propriété. La Mission avait demandé à la commission ministérielle chargée de traiter différentes affaires soumises à des instances internationales de communiquer au Comité des informations écrites concernant les faits nouveaux intervenus en la matière. L’Ambassadeur a également indiqué que, pour certaines des affaires, il n’existait pas d’autres voies de recours. Il faudrait, pour que les victimes présumées puissent déposer de nouvelles plaintes, que le Parlement modifie la législation sur la restitution des biens.

L’Ambassadeur a fourni les renseignements ci‑après au sujet des différentes affaires:

1)Simunek et consorts (516/1992): Les autorités considèrent que le mari de Mme Simunek aurait pu obtenir la restitution des biens immobiliers que le couple possédait en Tchécoslovaquie étant donné qu’il résidait à l’époque sur le territoire de la République fédérative tchèque et slovaque. L’Ambassadeur croyait savoir que Mme Simunek avait obtenu une forme de satisfaction et il a demandé au secrétariat de fournir à la Mission copie de la dernière lettre envoyée au Comité par Mme Simunek.

2)Adam (586/1994): Le Gouvernement n’a donné suite d’aucune façon aux constatations et aux recommandations du Comité. Les représentants de l’État ont indiqué que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Il est recommandé au Gouvernement d’opter dans cette affaire pour le versement d’une indemnité à titre gracieux.

3)Blazek (857/1999): Une réponse devrait normalement être fournie d’ici à fin octobre dans le cadre du suivi. Dans cette affaire également, il est recommandé au Gouvernement d’accorder une indemnisation à titre gracieux.

4)Des Fours Walderode (747/1997): La Cour constitutionnelle a annulé la décision de l’autorité foncière (date non précisée), laquelle a par la suite rendu une nouvelle décision défavorable. Ce nouveau refus de l’autorité foncière a donné lieu à une procédure qui est encore en instance devant le tribunal de district. L’épouse de l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, devant laquelle l’affaire est pendante. Une décision défavorable à l’État partie (violation probable de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme) devrait être rendue sous peu.

5)Brok (774/1997): La famille de l’auteur s’est vu offrir une indemnisation, dans le cadre d’un programme gouvernemental en faveur des victimes de l’Holocauste et l’a acceptée.

6)Fabryova (765/1997): Même démarche que dans l’affaire Brok, si ce n’est que la famille de Mme Fabryova n’a pas été satisfaite par l’offre d’indemnisation qui lui a été faite au titre du programme en faveur des victimes de l’Holocauste. Une nouvelle demande de restitution des biens a été déposée.

7)Pezoldova (757/1997): Par une lettre datée du 25 juillet 2005, l’État partie a fait savoir au Comité que le Gouvernement avait été informé que l’auteur devrait recevoir une indemnité à titre gracieux représentant grosso modo l’équivalent des frais de représentation en justice (FS 15‑18 000).

8)Czernin (823/1998): Des informations devraient être communiquées au Comité d’ici à fin octobre dans le cadre du suivi. Il est envisagé de verser à l’auteur une indemnité à titre gracieux, en raison principalement du retard mis à statuer sur sa demande.

9)Marik (945/2000): Il n’a pas encore été reçu de réponse au titre du suivi. Selon les informations obtenues, le Gouvernement sera invité à envisager le versement à l’auteur d’une indemnité à titre gracieux.

Indépendamment des affaires susmentionnées visant les droits de propriété, des informations sont également requises au titre du suivi de l’affaire no 946/2000 (Patera) concernant le refus de tout contact entre l’auteur et son fils. L’Ambassadeur a indiqué que la procédure se poursuivait. L’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Son ex‑femme a obtenu gain de cause devant la Cour européenne au sujet du retard pris par la procédure.

État partie

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO − CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT L’ENSEMBLE DES CONSTATATIONS

Affaires

Mbenge (16/1977), Mpandanjila et consorts (38/1983), Luyeye (90/1981), Mutebal (124/1982), Mpaka Nsusul (157/1983), Miango (94/1985), Birindwa (241/1987), Tshisekedi (242/1987), Kanana (366/1989), Tshishimbi (542/1993), Gedumbe (641/1995), Adrien Mundyo Busyo et consorts (933/2000), Marcel Mulezi (962/2001)

Réponse de l’État partie

À ce jour, l’État partie n’a fourni de réponse sur aucune des constatations du Comité.

Observations du Comité

À sa quatre‑vingt‑sixième session, en mars‑avril 2006, le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l’État partie. Dans les observations finales qu’il a formulées à l’issue de son examen, il a indiqué ceci: «Tout en se félicitant de l’information de la délégation selon laquelle les juges auteurs de la communication no 933/2000 (Busyo et consorts) peuvent de nouveau exercer librement leur profession et ont été indemnisés pour avoir été arbitrairement suspendus de leurs fonctions, le Comité demeure préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas donné suite aux recommandations qu’il a formulées dans de nombreuses constatations adoptées au titre du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, notamment les constatations dans les affaires nos 366/1989 (Kanana), 542/1993 (N’Goya), 641/1995 (Gedumbe) et 962/2001 (Mulezi).

L’État partie devrait donner suite aux recommandations du Comité dans les affaires précitées et en informer le Comité dans les meilleurs délais. L’État partie devrait également accepter une mission de suivi du Rapporteur spécial du Comité chargé du suivi des constatations pour discuter d’éventuelles modalités de mise en œuvre de recommandations du Comité, en vue d’une coopération plus effective avec le Comité.».

État partie

DANEMARK

Affaire

Byahuranga, 1222/2003

Constatations adoptées le

1er novembre 2004

Questions soulevées et violations constatées

Expulsion, torture, droit à la vie de famille − article 7.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris l’annulation et le réexamen intégral de l’arrêté d’expulsion pris à son encontre. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

8 mars 2005

Date de la réponse

24 mars 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie a joint à sa réponse le texte de la décision de la Commission danoise pour les réfugiés en date du 10 novembre 2005 décrétant que, bien que l’auteur puisse être expulsé du Danemark, il ne peut être refoulé vers l’Ouganda ou expulsé vers un autre pays où il ne serait pas protégé contre une expulsion vers l’Ouganda, conformément à l’article 31 de la loi sur les étrangers.

Observations du Comité

Le Comité considère que la réponse de l’État partie est satisfaisante et ne compte pas poursuivre l’examen de cette affaire dans le cadre de la procédure de suivi.

État partie

GUINÉE ÉQUATORIALE − INFORMATIONS GÉNÉRALES

Affaire

Primo Essono, 414/1990, Oló Bahamonde, 468/1991

Mesures complémentaires prises

Le 24 mars 2006, des consultations ont été tenues avec le Représentant permanent de la Guinée équatoriale, Ekua Avomo, le Conseiller Toribio, M. Ando et le secrétariat.

Au cours de cette réunion, les participants ont examiné le suivi des constatations du Comité au sujet des communications no 414 (Primo Essono), no 484 (Bahamonde) et no 1151 et no 1152 (Ndong et consorts).

Les représentants de l’État partie n’étaient pas au fait des fonctions du Comité (qu’ils semblaient confondre avec celles de la Commission), ni des communications susmentionnées. L’Ambassadeur a indiqué que pour les affaires plus récentes, c’était la Mission permanente à Genève qui était compétente et non pas New York. Il a également affirmé que la Mission à New York n’avait jamais reçu le dossier ni les constatations au sujet des communications no 1151 et no 1152.

S’agissant de la communication no 414, la Mission a indiqué que l’auteur avait élu domicile en Espagne au début des années 90 et qu’il y avait vécu pendant plus de 10 ans avant de décéder. Au sujet de la communication no 484, elle a précisé que M. Bahamonde avait été membre du Gouvernement dans les années 80, avant de quitter le pays et de demander (et obtenir) l’asile en Europe (Espagne). Alors même que celui-ci était en exil, il avait effectué des missions officielles pour le compte du Gouvernement.

M. Ando a regretté de n’avoir reçu aucune observation sur le suivi des communications susmentionnées, et il a rappelé à l’État partie la nécessité de faire des observations lorsque les communications étaient pendantes, ainsi que dans le cadre du suivi. Même les renseignements sommaires relatifs aux communications no 414 et no 484 que la délégation venait de donner seraient utiles sous forme écrite. Il a été rappelé à l’Ambassadeur que des observations concernant le suivi devaient être adressées au Comité d’ici à la fin de juin, de manière à ce qu’elles puissent figurer dans le rapport annuel du Comité pour 2006.

L’Ambassadeur a indiqué qu’il examinerait les constatations du Comité dans les affaires susmentionnées, et qu’il solliciterait une réponse de son gouvernement. En attendant, il a demandé que le dossier de la communication et les constatations du Comité (y compris la note verbale d’accompagnement) au sujet des communications no 1151 et no 1152 lui soient retransmis.

M. Ando a précisé qu’il ferait part des résultats de la réunion à la plénière; l’Ambassadeur a répondu que ses observations ne devaient pas être interprétées comme indiquant que la Guinée équatoriale admettait que les constatations du Comité dans les affaires susmentionnées étaient correctes, ou que le Gouvernement était d’accord avec le résultat.

État partie

GÉORGIE

Affaire

Ratiani, 975/2001

Constatations adoptées le

21 juillet 2005

Questions soulevées et violations constatées

Aucun droit de recours − article 14, paragraphe 5.

Réparations recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours approprié. L’État partie est tenu de l’indemniser comme il convient et de prendre des mesures effectives pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

27 octobre 2005

Date de la réponse

16 janvier 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie informe le Comité qu’il prend activement des mesures pour modifier sa législation de façon à prévenir tout manquement futur au Pacte quant au droit violé. Parallèlement, il a demandé qu’on lui communique des informations sur les cas où d’autres États parties avaient modifié leur législation en application des décisions du Comité.

Réponse de l’auteur

L’auteur informe le Comité que l’État partie ne lui a pas accordé réparation et que, dans une lettre datée du 2 mars 2006, le conseiller du Bureau du Président de la Cour suprême lui a signifié qu’il n’était pas juridiquement fondé à être réhabilité conformément au Code géorgien de procédure pénale pour des poursuites dont il a fait l’objet.

État partie

GRÈCE

Affaire

Alexandros Kouidis, 1070/2002

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Preuves obtenues sous la contrainte − article 14, paragraphe 3 g).

Réparations recommandées

L’État partie est tenu de fournir à l’auteur une réparation utile et appropriée, notamment en enquêtant sur ses plaintes concernant des mauvais traitements, et une indemnisation.

Réponse de l’État partie attendue le

4 juillet 2006

Date de la réponse

3 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie indique qu’elles ont été traduites et seront communiquées aux autorités judiciaires compétentes et publiées sur le site Web du Conseil d’État. S’agissant de la réparation, il fait valoir que l’auteur peut engager un recours au titre de l’article 105 de la loi introductive au Code civil en vue d’obtenir une indemnisation pour les préjudices subis.

État partie

JAMAÏQUE

Affaire

Howell, 798/1998

Constatations adoptées le

21 octobre 2003

Questions soulevées et violations constatées

Syndrome du quartier des condamnés à mort, sévices en représailles à une tentative d’évasion, traitements inhumains − article 7 et article 10, paragraphe 1.

Mesures recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

4 février 2004

Date de la réponse

21 novembre 2005

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que l’État partie n’a pas répondu au sujet de la recevabilité et du fond de la communication avant son examen. Il fait observer que, s’agissant de l’article 7, le Directeur (Superintendent) de la prison a consigné dans son registre, à la date du 5 mars 1997, aux environs de 5 h 10, que cinq détenus, dont M. Howell, avaient été surpris en train de scier les barreaux de leur cellule pour tenter de s’évader. La tentative a été déjouée par les agents pénitentiaires présents. Un rapport daté du 5 mars 1997, faisant état de blessures, indiquait que l’auteur avait été maîtrisé alors qu’il tentait de s’échapper et qu’il souffrait de blessures au menton, au bras gauche et dans le dos. À l’issue d’une enquête approfondie et impartiale, l’État partie est convaincu qu’il a été fait un usage raisonnable de la force pour maîtriser l’auteur ce jour-là. Il souligne que les gardiens qui travaillent dans le système pénitentiaire reçoivent la formation voulue sur les normes de traitement humain applicables aux détenus, y compris en cas de recours à la force. Cette formation est régulièrement actualisée et porte sur les traités des Nations Unies, les résolutions de l’ONU et la législation interne du pays.

Concernant le paragraphe 1 de l’article 10, l’État partie indique que, selon le registre de l’établissement où sont consignées les sorties pour soins médicaux pendant la période considérée, l’auteur s’est rendu dans les établissements suivants pour y recevoir des soins: Spanish Town Dental Surgery (29 septembre 1997), Spanish Town Hospital (4 octobre 1997), Dental Office, Burke Road, Spanish Town (5 novembre 1997). L’État partie estime donc que l’auteur a reçu les soins dentaires et médicaux appropriés.

Pour ce qui est des conditions de détention, il fait savoir qu’il existe toujours divers mécanismes en place pour enquêter et exercer un contrôle à cet égard. Ces mécanismes, tant internes qu’externes, font l’objet d’un examen périodique. Sur le plan interne, les enquêtes sont menées en tout premier lieu par le directeur du centre pénitentiaire où le détenu est incarcéré, puis par le Service d’inspection du Département des services pénitentiaires. Au niveau externe, il existe plusieurs mécanismes. Le Service d’inspection est chargé d’inspecter les cellules, l’intérieur et l’extérieur des bâtiments, les toilettes du personnel, les zones d’activités et tous les autres locaux, les registres et le matériel de chaque institution pénitentiaire. Il continue de veiller au respect des normes en matière d’ordre, d’hygiène, d’espace vital, de literie, d’éclairage et d’aération, ainsi que de surveiller les répercussions des conditions existantes sur le moral des détenus et le déroulement des programmes. Au besoin, les inspecteurs formulent aussi des recommandations sur les améliorations à apporter. Le Corrections Act dispose aussi que les conseils des juges de l’application des peines et les conseils des visiteurs doivent se rendre dans les différents centres pénitentiaires, s’y entretenir avec les prisonniers, observer les conditions de détention et faire au directeur de l’administration pénitentiaire ou au ministre en charge des prisons des recommandations sur les mesures à prendre.

L’État partie maintient sa position selon laquelle il n’y a pas eu violation des droits de l’auteur, et il reste d’avis que ce dernier aurait pu demander réparation devant les tribunaux jamaïcains. S’il n’était pas en mesure de couvrir les frais correspondants à sa représentation juridique, il aurait pu demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Réponse de l’auteur

Néant

Observations du Comité

Le Comité constate que la réponse de l’État partie consiste essentiellement en des observations ayant trait à la recevabilité et au fond, qui auraient dû être présentées avant l’examen des constatations, soulignant qu’il lui avait été rappelé à deux reprises qu’il devait présenter ses observations. Comme l’établit la jurisprudence du Comité, lorsqu’un État partie ne présente pas d’observations sur la question dont il est saisi, il convient alors d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

Le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue doit se poursuivre.

État partie

CORÉE

Affaire

M. Jeong‑Eun Lee, 1119/2002

Constatations adoptées le

20 juillet 2005

Questions soulevées et violations constatées

Poursuites pénales pour appartenance au Conseil général des étudiants − article 22, paragraphe 1.

Réparation recommandée

Recours utile, donnant lieu à une indemnisation appropriée. Le Comité recommande à l’État partie de modifier l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale afin de le mettre en conformité avec le Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que de semblables violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

10 novembre 2005

Date de la réponse

29 novembre 2005

Réponse de l’État partie

L’État partie fait valoir que les «droits civils et politiques» de l’auteur, dont l’exercice avait été suspendu à titre provisoire suite à sa condamnation, ont été rétablis. En outre, les constatations du Comité ont été publiées au Journal officiel puis transmises aux institutions judiciaires nationales pour information. Quant à la révision de la loi sur la sécurité nationale, plusieurs projets de loi visant à la modifier ou à l’annuler ont été soumis à l’Assemblée nationale et sont actuellement à l’étude.

Le Gouvernement regrette la décision du Comité d’examiner cette affaire en dépit de la réserve de l’État partie à l’article 22. Les membres du Comité se souviendront que, dans leurs constatations, ils avaient conclu ce qui suit: «En ce qui concerne le grief de violation de l’article 22 du Pacte, le Comité note que l’État partie s’est référé au fait que les dispositions de la loi sur la sécurité nationale en cause étaient conformes à sa Constitution. Toutefois, il n’a pas invoqué la réserve ratione materiae qu’il a faite à l’article 22, selon laquelle cette garantie ne s’applique que sous réserve des “dispositions de la législation interne, y compris de la Constitution de la République de Corée”. En conséquence, le Comité n’a pas à examiner la compatibilité de cette réserve avec l’objet et le but du Pacte et peut étudier la question de la violation de l’article 22 en l’espèce.».

État partie

JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE

Affaire

El Ghar, 1107/2002

Constatations adoptées le

29 mars 2004

Questions soulevées et violations constatées

Refus de l’État partie de délivrer un passeport à l’auteur − paragraphe 2 de l’article 12.

Réparation recommandée

L’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile donnant lieu à une indemnisation. Le Comité prie instamment l’État partie de délivrer sans plus tarder un passeport à l’auteur.

Réponse de l’État partie attendue le

4 février 2005

Date de la réponse

Aucune

Réponse de l’auteur

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans son rapport sur les travaux de sa quatre‑vingt‑quatrième session, l’auteur a fait savoir, dans une lettre datée du 23 juin 2005, que l’État partie n’avait pas donné effet aux constatations du Comité.

Le 21 février 2006, l’auteur a informé le Comité qu’après plusieurs rencontres avec le Consul de la Jamahiriya arabe libyenne au Maroc, au cours desquelles elle a été accusée, entre autres choses, de trahison envers l’État partie en portant l’affaire devant le Comité, elle estimait toujours aussi peu probable qu’on lui délivre un passeport.

En octobre 2005, l’auteur a informé le secrétariat que le Consulat de Libye à Casablanca refusait toujours de lui délivrer un passeport. En juin 2006, l’auteur a informé par téléphone le secrétariat qu’on lui avait bien promis un passeport. Le 7 juillet 2006, elle a informé le secrétariat qu’elle avait reçu un passeport mais qu’elle n’avait pas été indemnisée.

État partie

NORVÈGE

Affaire

Leirvag, 1155/2003

Constatations adoptées le

3 novembre 2004

Questions soulevées et violations constatées

Refus d’autoriser les élèves à être dispensés de la discipline scolaire appelée «philosophie de vie» dans les établissements scolaires, en violation de l’article 26 (non‑discrimination) et de l’article 18, paragraphe 4 (liberté des parents en ce qui concerne l’éducation de leurs enfants).

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et adéquat qui respecte leurs droits, en tant que parents, de s’assurer que leurs enfants reçoivent une éducation conforme à leurs propres convictions. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2005

Date de la réponse

Mars 2006, pendant l’examen du cinquième rapport périodique (première réponse en date du 4 février 2005).

Réponse de l’État partie

Pendant l’examen de son cinquième rapport périodique, l’État partie a confirmé que les modifications proposées à la loi sur l’éducation, qu’il avait annoncées dans sa réponse du 4 février 2005, avaient été adoptées et étaient entrées en vigueur le 17 juin 2005. Le système de dispense sera désormais organisé selon les règles suivantes: sur présentation d’une notification écrite des parents, les élèves peuvent être dispensés de suivre un enseignement qu’ils considèrent, en raison de leur propre religion ou philosophie de vie, comme constituant la pratique d’une autre religion ou l’expression de l’adhésion à une autre philosophie de vie ou qu’ils estiment offensant ou discutable. Il n’est pas nécessaire de motiver la notification de dispense. Les élèves âgés de 15 ans ou plus peuvent faire eux‑mêmes la notification de dispense. Le droit d’être dispensé de certaines parties de l’enseignement s’applique à toutes les matières et à tous les projets pluridisciplinaires.

L’établissement qui reçoit une notification de dispense doit veiller à ce que l’élève soit effectivement dispensé. L’établissement doit en outre mettre en place pour les élèves dispensés un enseignement individuel adapté, dans le cadre du programme.

Les élèves ne peuvent pas être dispensés de connaître les enseignements inscrits au programme. Si un établissement invoque ce motif pour refuser une notification de dispense, il doit régler l’affaire conformément aux règles relatives aux décisions individuelles, qui figurent dans la loi sur l’administration publique, et donner la possibilité de faire recours contre la décision. Un nouveau programme pour la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» a été adopté et est entré en vigueur en août 2005. Il donne effet aux modifications apportées à l’article 2, paragraphe 4, de la loi sur l’éducation, et garantit que les religions et les philosophies de vie sont traitées de la même façon qualitative quand il s’agit de fixer des objectifs pour évaluer les compétences des élèves. Le christianisme n’a reçu qu’une préférence quantitative, qui s’explique par son influence dans le contexte historique et culturel de la Norvège. Plusieurs mesures ont été introduites pour assurer l’observation du nouveau programme. Un nouveau manuel des maîtres pour la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» a été envoyé à tous les établissements scolaires en août 2005. En plus du programme il contient des directives sur la façon d’enseigner cette matière.

Dans sa «plate‑forme de politique», l’État partie dit qu’il réexaminera les dispositions relatives à «l’objectif chrétien de l’éducation» (art. 1er, par. 2, de la loi sur l’éducation).

Réponse des auteurs

Dans une lettre datée du 15 avril 2005, les auteurs ont relevé que la réponse de l’État partie ne contenait pas assez d’éléments concrets pour montrer comment les modifications de la législation et du programme seraient menées à bien. Ils mentionnent une version plus détaillée des mesures correctrices proposées, contenue dans un document du Ministère de l’éducation et de la recherche, daté du 8 février 2005, qui a été adressé à de nombreuses organisations et institutions invitées à faire part de leurs observations avant le 29 mars 2005. Les auteurs disent qu’il faudrait demander à l’État partie d’adresser au Comité une traduction de ce document. Les résultats de l’examen par le Gouvernement des observations reçues n’ont pas encore été rendus publics et une recommandation de modification à la loi sur l’éducation n’a pas encore été présentée au Parlement. Bien que les mesures proposées par l’État partie n’aient pas été clarifiées, les auteurs pensent pour l’heure que les modifications proposées ne sont pas de nature à satisfaire aux obligations contractées en vertu de l’article 2 du Pacte. Ils objectent notamment que la modification du paragraphe 4 de l’article 2 ne résoudra pas à elle seule le problème de l’objectif qui accorde la priorité à une religion particulière; qu’il n’y aura pas de traitement «qualitativement égal» étant donné que la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» repose sur la tradition du conte, qui est adaptée uniquement pour enseigner le christianisme et d’autres religions mais n’est pas adaptée pour d’autres philosophies de vie dont l’orientation est par exemple humaniste; que le Gouvernement n’a pas l’intention de modifier le caractère et le profil général de la matière en tant que pratique d’une religion. En ce qui concerne la dispense, les auteurs reconnaissent que l’État partie accepte la nécessité de prévoir ce droit afin d’éviter de nouvelles violations du Pacte mais estiment que la procédure de simplification proposée n’entraîne pas de changement réel pour les droits des parents étant donné que l’établissement scolaire reste l’autorité seule habilitée à déterminer si la conviction des parents sur la question est «raisonnable». De l’avis des auteurs, pour mettre correctement en œuvre la décision du Comité, il aurait fallu réviser intégralement la matière en cause, de telle façon qu’elle consacre la liberté de religion pour tous les élèves − indépendamment de la croyance ou de la conviction personnelle relative à une philosophie de vie.

Observations du Comité

À l’issue de l’examen du cinquième rapport périodique de l’État partie, à sa quatre‑vingt‑sixième session (mars‑avril 2006), le Comité a déclaré:

«4.Le Comité félicite l’État partie d’avoir rapidement pris des mesures pour corriger les atteintes à la liberté de religion qu’il avait identifiées dans ses constatations concernant la communication no 1155/2003, notamment par les modifications apportées à la loi sur l’éducation.» (CCPR/C/NOR/CO/5).

Le Comité considère que la réponse de l’État partie est satisfaisante et n’examinera plus cette affaire dans le cadre de la procédure de suivi.

État partie

PÉROU

Affaire

Vargas Mas, 1058/2002

Constatations adoptées le

26 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Détention arbitraire, torture et traitement inhumain et dégradant, juges sans visage − article 7, article 9, paragraphe 1, article 10, paragraphe 1, et article 14 du Pacte.

Réparation recommandée

En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur est emprisonné depuis de longues années, l’État partie devrait étudier sérieusement la possibilité de mettre fin à sa détention, dans l’attente de l’issue du nouveau procès qui est en cour. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prévues dans le Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2006

Date de la réponse

25 mai 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie informe le Comité qu’un nouveau procès est en cours (conformément à son obligation d’assurer un recours utile). Il relève toutefois qu’il appartient à la justice de décider si l’auteur de la communication peut être remis en liberté en attendant le nouveau jugement.

Réponse de l’auteur

Aucune

Mesures complémentaires prises ou requises

Le 3 mai 2006 (pendant la session du Comité contre la torture), un membre du secrétariat a eu un entretien informel avec M. José Burneo, Secrétaire exécutif du Conseil péruvien des droits de l’homme, et avec M. Patricio Rubio, Conseiller juridique de la Direction des droits de l’homme du Ministère des affaires étrangères. MM. Burneo et Rubio se trouvaient à Genève pour participer à l’examen du rapport périodique soumis par le Pérou au Comité contre la torture. L’objet de l’entretien était de faire part de la préoccupation du Comité des droits de l’homme devant l’absence de réponse de l’État partie à ses constatations.

M. Burneo a indiqué que son bureau était responsable de la coordination des réponses aux organes internationaux concernant des plaintes émanant de particuliers. Mais compte tenu du nombre considérable d’affaires pendantes devant la Commission intéraméricaine des droits de l’homme (environ 1 500) et des délais impératifs que cet organe impose, son bureau a tendance à leur donner la priorité. Cela étant, il examinera les constatations du Comité (dont un exemplaire lui a été remis) et s’efforcera de rédiger une réponse.

En ce qui concerne l’affaire K. N. L. H., il a dit que l’absence de réponse était délibérée parce que l’avortement était une question extrêmement sensible au Pérou. Son bureau envisageait toutefois de rédiger un projet de loi autorisant l’interruption de grossesse dans le cas où le fœtus est anencéphale.

M. Burneo a évoqué la question de la réparation due aux personnes dont l’innocence a été établie après qu’elles ont été condamnées en vertu des décrets antiterrorisme, et dont un grand nombre ont passé de longues années en prison. Certaines affaires examinées par le Comité entrent dans cette catégorie. M. Burneo a dit que la législation en vigueur n’était pas satisfaisante pour traiter d’une telle question et que, par conséquent, les victimes n’avaient pas reçu d’indemnisation ni de réparation sous une autre forme.

Affaire

Quispe Roque, 1125/2002

Constatations adoptées le

21 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Détention arbitraire, juges sans visage − article 9 et article 14.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur a passé de longues années en détention et vu la nature des faits dont il est accusé, l’État partie devrait envisager la possibilité de mettre fin à sa privation de liberté, en attendant l’issue du procès actuellement en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prescrites par le Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

1er février 2006

Date de la réponse

25 mai 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie informe le Comité qu’un nouveau procès est en cours (conformément à l’obligation d’assurer un recours utile). Il relève toutefois qu’il appartient à la justice de décider si l’auteur de la communication peut être remis en liberté en attendant le nouveau jugement.

Réponse de l’auteur

Aucune

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut le compte rendu des consultations avec l’État partie.

Affaire

Marlem Carranza Alegre, 1126/2002

Constatations adoptées le

28 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Détention arbitraire, torture et traitements inhumains et dégradants, juges sans visage − article 2, paragraphe 1, article 7, article 9, article 10 et article 14.

Réparation recommandée

Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à l’auteur un recours utile et l’octroi d’une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur a déjà passé beaucoup de temps en détention et vu la nature des faits dont elle est accusée, l’État partie devrait envisager sérieusement la possibilité de mettre fin à sa privation de liberté, en attendant l’issue du procès en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prescrites par le Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2006

Date de la réponse

25 mai 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie informe le Comité que l’auteur a été acquittée par la Cour suprême en date du 17 novembre 2005 et remise en liberté. Il ajoute que le Conseil péruvien des droits de l’homme étudie actuellement la question de l’octroi d’une indemnisation.

Réponse de l’auteur

Par des lettres datées du 13 février 2006 et du 8 mai 2006, l’auteur a informé le Comité qu’en date du 17 novembre 2005 la Cour suprême avait prononcé son acquittement et qu’elle avait été libérée. Elle a l’intention de faire une démarche auprès du Ministère de la justice pour solliciter l’indemnisation dont l’octroi a été recommandé par le Comité.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut le compte rendu des consultations avec l’État partie.

Affaire

K. N. L. H., 1153/2003

Constatations adoptées le

24 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Avortement, droit à réparation, traitement inhumain et dégradant et immixtion arbitraire dans la vie privée, protection d’un mineur − article 2, article 7, article 17 et article 24.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, sous forme de réparation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

9 février 2006

Date de la réponse

7 mars 2006

Réponse de l’État partie

Publication par le Conseil national des droits de l’homme d’un rapport établi à la suite de l’affaire K. N. L. H. Le rapport propose la modification des articles 119 et 120 du Code pénal péruvien ou l’adoption d’une loi spéciale régissant l’avortement thérapeutique. Le Conseil national des droits de l’homme a demandé au Ministère de la santé de lui faire savoir si l’auteur avait obtenu réparation et si un recours utile lui avait été fourni. Les lettres de réponse du Ministère de la santé au Conseil national des droits de l’homme sont muettes sur ces points.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut le compte rendu des consultations avec l’État partie.

État partie

PHILIPPINES

Affaire

Cagas, 788/1997

Constatations adoptées le

23 octobre 2001

Questions soulevées et violations constatées

Droit d’être jugé sans retard excessif, droit à la présomption d’innocence et durée excessive de la détention avant jugement − article 9, paragraphe 3, et article 14, paragraphes 2 et 3 c).

Mesures recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs de la communication un recours utile donnant lieu à une indemnisation adéquate pour le temps qu’ils ont passé illégalement en détention. L’État partie est également tenu de faire en sorte que les auteurs soient jugés sans délai en bénéficiant de toutes les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte ou, si cela n’est pas possible, qu’ils soient remis en liberté.

Réponse de l’État partie attendue le

9 mai 2002

Date de la réponse

10 février 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 19 août 2004).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans son quatre‑vingt‑quatrième rapport, l’État partie avait déclaré qu’il n’avait pas présenté d’observations sur le fond de la communication avant que le Comité n’examine la plainte parce qu’il pensait qu’elle était irrecevable. Il a ensuite entrepris de répondre sur le fond.

Le 3 juin 2005, suite à la réponse du conseil, l’État partie a fait savoir au Rapporteur spécial que, le 18 janvier 2005, le tribunal de première instance de Pili, dans la région de Camarines Sur, avait rendu son jugement. Les accusés Cagas, Butin et Astillero ont tous été déclarés coupables de plusieurs meurtres, commis avec perfidie, sur la personne de Mmes Dolores Arevalo, Encarnación Basco, Arriane Arevalo, Analyn Claro, Marilyn Oporto et Elin Paloma. Cagas et Astillero ont été condamnés à la réclusion perpétuelle pour chacun des meurtres. Butin est mort avant le jugement définitif.

Le 10 février 2006, l’État partie a indiqué que les accusés Cagas et Astillero avaient interjeté appel de la décision devant la cour d’appel, où l’affaire était en cours d’instance. Il soutient que le jugement a été rendu conformément à la recommandation du Comité. Cependant, il ne peut accorder une indemnisation aux auteurs tant que l’affaire est en instance devant la cour d’appel. Il rappelle qu’en vertu de la loi de la République no 7309, une indemnisation est versée aux personnes ayant été privées injustement de leur liberté, et qu’elle dépendrait donc de l’acquittement de l’accusé. L’indemnisation pour le temps passé en prison serait alors déterminée par le Bureau des requêtes qui relève du Ministère de la justice de l’État partie.

Réponse de l’auteur

Néant

Affaire

Carpo, 1077/2002

Constatations adoptées le

28 mars 2003

Questions soulevées et violations constatées

Condamnation à mort − article 6, paragraphe 1.

Réparation recommandée

En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et approprié, sous la forme d’une commutation de peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

12 août 2003

Date de la réponse

31 mai 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 5 octobre 2004).

Réponse de l’État partie

Le 5 octobre 2004, l’État partie avait fait observer ce qui suit. Au sujet de la constatation de violation du paragraphe 2 de l’article 6, la conclusion du Comité selon laquelle le délit de meurtre est défini de façon très large «puisqu’il est constitué par le seul fait de tuer quelqu’un» est incorrecte et le Code pénal de l’État partie fait une nette distinction entre différents types de meurtres. L’État partie ne peut donc être tenu pour responsable d’une privation arbitraire de la vie sur la base d’une conclusion aussi peu fondée.

L’État partie déclarait également qu’on ne saurait conclure que l’imposition de la peine de mort découle de l’application automatique de l’article 48 du Code pénal révisé. Cette conclusion repose sur une hypothèse erronée, à savoir que l’article 48 prévoit l’imposition obligatoire de la peine de mort dans les cas où un acte unique entraîne la mort de plusieurs personnes. L’État partie fait valoir que rien n’indique dans la formulation de cette disposition que l’expression «période maximum» est une allusion à la peine de mort. L’article 48 stipule simplement que, si un acte constitue deux ou plusieurs crimes, c’est la peine encourue pour le crime le plus grave qui doit être prononcée, c’est-à-dire une peine inférieure à l’ensemble des peines qui seraient prononcées séparément pour chaque crime.

L’État partie faisait encore observer qu’il n’y a rien dans cette disposition qui autorise les tribunaux locaux à ne pas prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question lorsqu’ils examinent des affaires portant sur des crimes complexes. Il estime qu’aucun argument convainquant n’a été avancé pour justifier la conclusion selon laquelle la condamnation à mort des auteurs a été prononcée sans qu’il ait été «possible de prendre en considération la situation personnelle des accusés ou les circonstances ayant entouré le crime en question».

Enfin, en ce qui concerne la conclusion selon laquelle les auteurs n’ont obtenu aucun réexamen véritable de leur cas devant la Cour suprême, qui aurait pratiquement exclu la présentation de toute nouvelle pièce à conviction, l’État partie faisait observer que la Cour suprême ne juge pas des faits et n’a pas pour obligation de répéter les délibérations des juridictions de jugement. La procédure de révision devant la Cour suprême vise à garantir que les conclusions de la juridiction de jugement sont conformes aux lois et procédures en vigueur. Il ajoute qu’aucun élément du dossier n’indique que les auteurs avaient l’intention de présenter de nouvelles pièces à conviction qui n’auraient pas été antérieurement examinées par la juridiction de jugement.

Le 31 mai 2006, l’État partie a indiqué que les quatre auteurs avaient bénéficié du droit de grâce. La peine de mort qui avait été prononcée à leur encontre a été commuée en réclusion à perpétuité, qui est une forme d’emprisonnement de très longue durée. Toutefois, le Code pénal révisé des Philippines prévoit que toute personne condamnée à la réclusion à perpétuité sera graciée au bout de 30 ans.

Mesures complémentaires prises

Le 21 juillet 2005, le Rapporteur spécial avait tenu des consultations de suivi avec un représentant de l’État partie. Il avait relevé que deux réponses qui devaient être apportées dans le cadre du suivi n’avaient pas encore été communiquées et que d’autres réponses pouvaient être considérées comme insuffisantes car il s’agissait en fait d’observations quant au fond présentées tardivement, plutôt que de renseignements fournis au titre du suivi. Le représentant de l’État partie s’était engagé à ce que les renseignements à ce titre soient communiqués concernant les affaires encore en suspens (communications no 1167/2003 − Ramil Rayos, et no 1110/2002 − Rolando), et à déterminer si des renseignements complémentaires seraient communiqués au titre du suivi dans les autres affaires, notamment celles de Wilson (communication no 868/1999) et de Piandiong (communication no 869/1999).

Observations du Comité

La peine prononcée contre l’auteur ayant été commuée, le Comité n’a pas l’intention d’examiner la question plus avant au titre de la procédure de suivi, à moins que la situation évolue.

Affaire

Pagdawayon, 1110/2002

Constatations adoptées le

3 novembre 2004

Questions soulevées et violations constatées

Peine de mort, procès inéquitable, arrestation arbitraire − article 6, paragraphe 1, article 9, paragraphes 1, 2 et 3, et article 14, paragraphe 3 d).

Mesures recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur a droit à un recours utile donnant lieu à la commutation de sa peine de mort. L’État partie est tenu d’éviter que de telles violations se reproduisent à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

7 mars 2005

Date de la réponse

31 mai 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 27 janvier 2006).

Réponse de l’État partie

Le 27 janvier 2006, l’État partie avait indiqué que la constatation du Comité selon laquelle l’auteur a droit à la commutation de sa peine avait été communiquée le 1er août 2005 au Ministère de la justice et le 19 janvier 2006 au Secrétaire exécutif et au Conseiller juridique principal de la Présidente. Il rappelait que la décision revient à la Présidente et que la Cour suprême transmet automatiquement toutes les condamnations à mort au bureau de la Présidente afin qu’elle puisse exercer son droit de grâce.

Le 31 mai 2006, l’État partie a indiqué que les quatre auteurs avaient bénéficié du droit de grâce. La peine de mort qui avait été prononcée à leur encontre a été commuée en réclusion à perpétuité, qui est une forme d’emprisonnement de très longue durée. Toutefois, le Code pénal révisé des Philippines prévoit que toute personne condamnée à la réclusion à perpétuité sera graciée au bout de 30 ans.

Réponse de l’auteur

Néant

Observations du Comité

La peine à laquelle l’auteur avait été condamné ayant été commuée, le Comité n’a pas l’intention d’examiner la question plus avant au titre de la procédure de suivi à moins que la situation évolue.

Affaire

Rayos, 1167/2003

Constatations adoptées le

27 juillet 2004

Questions soulevées et violations constatées

Peine capitale, procès inéquitable − article 6, paragraphe 1, et article 14, paragraphe 3 b).

Mesures recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile et approprié, donnant lieu à une commutation de sa peine de mort. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

5 décembre 2004

Date de la réponse

31 mai 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 27 janvier 2006).

Réponse de l’État partie

Le 27 janvier 2006, l’État partie avait indiqué que la constatation du Comité selon laquelle l’auteur a droit à la commutation de sa peine avait été communiquée le 1er août 2005 au Ministère de la justice et le 19 janvier 2006 au Secrétaire exécutif et au Conseiller juridique principal de la Présidente. Il avait rappelé que la décision revient à la Présidente et que la Cour suprême transmet automatiquement toutes les condamnations à mort au bureau de la Présidente afin qu’elle puisse exercer son droit de grâce.

Le 31 mai 2006, l’État partie a indiqué que les quatre auteurs avaient bénéficié du droit de grâce. La peine de mort qui avait été prononcée à leur encontre a été commuée en réclusion à perpétuité, qui est une forme d’emprisonnement de très longue durée. Toutefois, le Code pénal révisé des Philippines prévoit que toute personne condamnée à la réclusion à perpétuité sera graciée au bout de 30 ans.

Réponse de l’auteur

Néant

Observations du Comité

La peine à laquelle l’auteur avait été condamné ayant été commuée, le Comité n’a pas l’intention d’examiner la question plus avant au titre de la procédure de suivi à moins que la situation évolue.

Affaire

Wilson, 868/1999

Constatations adoptées le

30 octobre 2003

Questions soulevées et violations constatées

Peine de mort obligatoire pour viol prononcée à l’issue d’un procès inéquitable − crime «d’une gravité extrême». Indemnisation après acquittement − article 7, article 9, paragraphes 1 et 2 et 3, et article 10, paragraphes 1 et 2.

Mesures recommandées

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile. En ce qui concerne les violations de l’article 9, l’État partie devrait indemniser l’auteur. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 10 dont l’auteur a souffert en détention, y compris après sa condamnation à mort, le Comité fait observer que l’indemnisation prévue par l’État partie en vertu de son droit interne ne visait pas ces violations et que l’indemnisation due à l’auteur devrait tenir dûment compte à la fois de la gravité des violations et du préjudice qui lui a été causé. Le Comité rappelle à ce propos que l’État partie a le devoir de procéder à une enquête approfondie et impartiale sur les incidents survenus pendant la détention de l’auteur et de prendre les mesures pénales et disciplinaires qui s’imposent à l’encontre des personnes qui en seront jugées responsables. S’agissant de l’imposition de taxes d’immigration et de l’interdiction de visa, le Comité est d’avis que, pour remédier aux violations du Pacte, l’État partie devrait rembourser à l’auteur les sommes perçues. Toute indemnisation ainsi due à l’auteur par l’État partie devrait lui être versée au lieu de son choix, que ce soit sur le territoire de l’État partie ou à l’étranger.

Réponse de l’État partie attendue le

10 février 2004

Date de la réponse

27 janvier 2006 (l’État partie avait déjà répondu le 12 mai 2005).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans son quatre‑vingt‑quatrième rapport, l’État partie a déclaré qu’il était «peu enclin» à accepter les conclusions du Comité concernant les faits, et plus précisément son appréciation des preuves. Il a déclaré que les conclusions reposaient sur une appréciation incorrecte des faits et contesté la conclusion selon laquelle l’indemnisation accordée était insuffisante. Il a déclaré que l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve; les déclarations ex parte du plaignant ne sont pas considérées comme des éléments de preuve et ne constituent pas des preuves suffisantes des faits allégués. Une enquête menée par le directeur de la prison de Valenzuela, où l’auteur était détenu, a contesté toutes les allégations de l’auteur. L’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il aurait été soumis durant sa détention ni identifié les gardiens de prison qui lui auraient extorqué de l’argent. Comme il s’était déjà réfugié dans son pays au moment où la communication était en instance devant le Comité, il n’avait pas pu craindre pour sa sécurité en désignant ceux qui l’avaient prétendument maltraité. L’État partie a affirmé de nouveau que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes. Il a considéré enfin que l’indemnisation accordée était suffisante, précisé que l’auteur n’avait pas encore envoyé de mandataire pour retirer les chèques, et déclaré qu’en insistant pour que l’État partie verse à l’auteur de la plainte toute l’indemnisation qui lui était due, «le Comité avait peut-être outrepassé sa compétence et fait preuve d’une grande injustice à l’égard de l’État partie».

Le 27 janvier 2006, l’État partie a indiqué que les constatations du Comité avaient été transmises le 10 août 2005 au Ministère de la justice et au Ministère de l’intérieur et des administrations locales afin qu’ils y donnent la suite voulue. Le Ministère de la justice chapeaute le Bureau de l’immigration et le Ministère de l’intérieur, les prisons. Une enquête a été entreprise en mars 2005 par le directeur de la prison de Valenzuela où M. Wilson a été détenu. Cette enquête a révélé 1) que la prison de Valenzuela ne dispose pas de «cages» où l’auteur aurait pu être enfermé après son arrestation; et 2) qu’il n’a été enregistré durant la détention de l’auteur aucun incident grave au cours duquel des coups de feu auraient été tirés sur un détenu et qui aurait pu traumatiser l’auteur. L’enquête rapporte un seul incident, non mortel, survenu le 17 juin 1996 lorsqu’un gardien a tiré sur un détenu qui tentait de s’évader. Enfin, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il aurait été soumis durant sa détention, ni identifié les gardiens et responsables pénitentiaires qui l’auraient harcelé et lui auraient extorqué de l’argent.

Réponse de l’auteur

Le 9 février 2006, l’auteur a considéré que la procédure engagée actuellement était une procédure de suivi et qu’il n’y avait donc pas lieu de présenter à nouveau des arguments sur le fond. Il a demandé à être informé de la suite donnée à son dossier.

Le 3 mai 2006, le conseil de l’auteur a donné suite à la réponse de l’État partie du 27 janvier 2006. Il affirme que la réponse de l’État partie n’est pas appropriée du fait que i) elle se limite à l’ouverture d’une simple enquête, ii) l’enquête n’a pas été effectuée de manière rapide, complète et/ou impartiale. Ni le directeur de la prison, qui a mené l’enquête, ni le Ministère de l’intérieur sous l’égide duquel l’enquête a été menée, ne peuvent être considérés comme un mécanisme extérieur et donc impartial. En outre, il n’est pas possible d’apprécier la rapidité et l’efficacité de l’enquête puisque les autorités n’ont jamais rien signalé au plaignant à ce sujet, pas même le moment où l’enquête débuterait ni la raison pour laquelle il y avait été mis fin. Le Conseil rappelle la jurisprudence des organes conventionnels et celle de la Commission européenne des droits de l’homme, qui est que le requérant doit être invité à participer à ce genre d’enquête, et être tenu au courant de son évolution et de ses résultats. Quant à la conduite de l’enquête, le conseil estime qu’il est manifeste qu’il n’a pas été tenu compte des plaintes de l’auteur. L’allégation selon laquelle l’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il avait été soumis, ni identifié les auteurs de tels actes est une manière pour l’État partie d’éluder l’obligation qui lui incombe de procéder à une enquête approfondie − or, ces enquêtes ont précisément pour but d’établir de tels faits. Quoi qu’il en soit, ces allégations sont dénuées de fondement et le conseil renvoie à la communication, dans laquelle l’auteur énonce ses plaintes en détail.

Le conseil souligne le fait que l’État partie n’a pas fourni de renseignements sur la réparation accordée en ce qui concerne les violations des articles 7, 9 et 10, ni sur le remboursement des sommes réclamées à l’auteur au titre des taxes d’immigration et qu’il n’a pas donné de garanties de non‑répétition. Il souligne en outre que les auteurs s’inquiètent des mesures que l’État partie devrait prendre pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

État partie

FÉDÉRATION DE RUSSIE

Affaire

Platonov, 1218/2003

Constatations adoptées le

1er novembre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Détention avant jugement sur décision judiciaire − article 9, paragraphe 3.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

1er février 2006

Date de la réponse

10 mars 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie rappelle les faits de la cause. En ce qui concerne les conclusions du Comité, l’État partie fait observer d’abord que la Constitution de la Fédération de Russie de 1993 contient une disposition analogue au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Cette disposition stipule: «L’arrestation, la garde à vue et la détention préventive ne sont permises que sur décision judiciaire» (art. 22). Selon l’État partie, le Comité a donc noté avec raison dans ses constatations qu’en vertu du Code de procédure pénale de la République socialiste soviétique de Russie (toujours en vigueur en 1999) la garde à vue n’était pas ordonnée par un tribunal mais par un enquêteur, avec l’approbation du procureur. Or, en vertu de la loi du 23 mai 1993, deux nouveaux articles ont été ajoutés au Code de procédure pénale (art. 220‑1 et 220‑2). En vertu de ces dispositions, les décisions relatives à la garde à vue ou à la prolongation de la garde à vue pouvaient être portées devant les tribunaux. En sa qualité de détenu, M. Platonov avait donc le droit de contester sa détention devant les tribunaux. Or, ni lui ni son avocat n’ont évoqué la chose devant la justice, et le Comité a déclaré avec raison que cette allégation était dénuée de fondement.

L’État partie explique ensuite qu’un nouveau Code de procédure pénale a été adopté le 22 novembre 2001 et est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Selon l’article 108 de ce texte, la détention préventive (de par son caractère préventif) n’est possible que sur décision judiciaire. En outre, ces mesures préventives ne peuvent s’appliquer qu’à des suspects ou des prévenus pour des crimes punis de plus de deux ans d’emprisonnement. C’est pourquoi l’État partie a institué le contrôle par les tribunaux de la légalité et de la justification de la détention.

L’État partie ajoute que des dispositions concernant la durée de la détention préventive ont été ajoutées au nouveau Code de procédure pénale.

1)En règle générale, dans le cas d’une enquête en matière pénale, la détention préventive ne peut pas dépasser deux mois. Si l’enquête préliminaire doit être prolongée et s’il n’y a pas de motif de libérer le prévenu, elle peut être prolongée jusqu’à six mois. Elle peut être prolongée jusqu’à 12 mois pour certains crimes graves − meurtre, terrorisme, etc., par exemple. Toutes les décisions visant à prolonger la détention préventive sont prises exclusivement par un tribunal. Dans des cas exceptionnels uniquement, lorsqu’il s’agit de crimes particulièrement graves, l’enquêteur peut (avec l’autorisation du Procureur général) demander au tribunal de prolonger la détention préventive jusqu’à 18 mois.

2)L’article 225 du Code de procédure pénale prévoit le contrôle judiciaire de la détention avant jugement des prévenus dont l’affaire est à l’examen devant un tribunal.

L’État partie conclut que les recommandations du Comité sont donc pleinement mises en œuvre. Selon l’État partie, le Code de procédure pénale de la Fédération de Russie est entièrement conforme à cet égard aux prescriptions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Constitution de la Fédération de Russie.

La nouvelle législation en matière de procédure pénale établit un droit à la réhabilitation, y compris un droit à réparation (chap. 18 du Code de procédure pénale). L’article 133 du Code de procédure pénale prévoit que quiconque a été illégalement soumis à des mesures coercitives dans le cadre d’une affaire pénale a droit à réparation. Les chapitres 12 à 14 du Code de procédure pénale contiennent la liste des mesures en question, parmi lesquelles figurent aussi l’arrestation, la garde à vue en qualité de suspect et la détention préventive.

L’État partie conclut que les allégations de l’auteur ont été largement examinées au cours de l’enquête préliminaire et devant le tribunal, et qu’elles n’ont pas été confirmées.

État partie

ESPAGNE − INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES AFFAIRES AYANT TRAIT À DES VIOLATIONS DU PARAGRAPHE 5 DE L’ARTICLE 14 DU PACTE

Date de la réponse

28 février 2006 (réponse à une lettre du secrétariat sur l’application de la loi no 19/2003 du 7 décembre 2005).

Réponse

L’État partie déclare ce qui suit:

La loi no 19/2003 a été approuvée le 23 décembre 2003;

Cette loi généralise la juridiction du second degré en Espagne;

Elle a pour buts: 1) de réduire le volume de travail de la seconde chambre du Tribunal suprême et 2) de régler le conflit né des constatations adoptées par le Comité le 20 juillet 2000, dans lesquelles ce dernier affirmait que le système de cassation était contraire au Pacte;

Pour devenir opérationnels, la loi d’amendement no 19/2003 requiert l’adoption d’une législation d’application, c’est‑à‑dire l’approbation de la «loi organique devant mettre le Code de procédure en conformité avec la loi organique no 6/1985 du 1er juillet sur le pouvoir judiciaire; le recours en cassation fait l’objet d’une réforme et la juridiction du second degré est généralisée». Ce projet de loi est actuellement devant la Chambre des députés et sera examiné par la Commission de la justice en février prochain (sic);

Une fois que la nouvelle loi sera approuvée, la juridiction du second degré sera généralisée en Espagne. Le système d’appel sera structuré comme suit:

a)Jugements prononcés par les juges pénaux et les Audiencias Provinciales: appel devant les Audiencias Provinciales et les chambres pénale et civile du Tribunal supérieur dans chaque Communauté autonome;

b)Jugements prononcés par les juges pénaux et les Audiencias Provinciales dans le cadre de la procédure simplifiée (procedimiento abreviado): appel devant la chambre pénale de l’Audiencia Nacional et devant la chambre d’appel de l’Audiencia Nacional;

c)Jugements des Audiencias Provinciales dans le cadre de la procédure ordinaire: appel devant la chambre pénale et civile du Tribunal supérieur de chaque Communauté autonome;

d)Jugements de la seconde chambre de l’Audiencia Nacional: appel devant la chambre d’appel de l’Audiencia Nacional;

e)Jugements de la seconde chambre du Tribunal suprême: recours devant la chambre d’appel du Tribunal suprême;

f)Jugements des chambres pénale et civile du Tribunal suprême de chaque Communauté autonome: possibilité d’appel à l’avenir devant la chambre, inscrite à l’article 846 bis 3 de la nouvelle loi;

g)Jugements des présidents des Audiencias Provinciales, lorsque ces dernières agissent en tant que tribunaux de jurés (tribunal de jurado): appel devant les chambres pénale et civile du Tribunal supérieur de chaque Communauté autonome;

En résumé, les amendements envisagés dans la loi no 19/2003 entreront en vigueur après l’approbation de la «loi organique devant mettre le Code de procédure en conformité avec la loi organique no 6/1985 du 1er juillet sur le pouvoir judiciaire; le recours en cassation fait l’objet d’une réforme et le second degré de juridiction est généralisé».

Affaire

701/1996, Gómez Vásquez

Constatations adoptées le

20 juillet 2000

Questions soulevées et violations constatées

Déni du droit à un recours utile contre une déclaration de culpabilité et une condamnation pour les crimes les plus graves (examen judiciaire incomplet) − article 14, paragraphe 5.

Réparation recommandée

Recours utile; la déclaration de culpabilité de l’auteur doit être annulée, à moins qu’elle ne soit révisée selon les normes prévues au paragraphe 5 de l’article 14.

Réponse de l’État partie attendue le

14 novembre 2000. L’État partie a déjà répondu le 26 septembre 2001 et le 4 janvier 2002.

Réponse de l’État partie

Le 16 novembre 2004, l’État partie a indiqué que le 14 décembre 2001 le Tribunal suprême en formation plénière avait décidé de rejeter la demande d’annulation de la déclaration de culpabilité de l’auteur. Il s’agit d’une décision majeure relativement à la compatibilité du système de cassation espagnol avec les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Réponse de l’auteur

Sous couvert d’une lettre datée du 5 avril 2006, le conseil a informé le Comité qu’un projet de loi d’amendement en cours d’élaboration règlera «la question de la juridiction du second degré» pour les personnes condamnées par l’Audiencia Provincial ou l’Audiencia Nacional. Le conseil a fait toutefois observer que, dans la mesure où cet amendement ne s’appliquerait qu’aux décisions adoptées après son entrée en vigueur, des requérants comme Gómez Vásquez et Sineiro n’en bénéficieront pas.

Dans une lettre datée du 17 avril 2006, le conseil a insisté sur le fait que l’État partie ne s’était pas conformé aux constatations du Comité, signalant, en guise de preuve, que la victime s’était vu refuser la grâce et continuait d’exécuter la peine qui lui avait été infligée.

Affaire

Ruiz Agudo, 864/1999

Constatations adoptées le

31 octobre 2002

Questions soulevées et violations constatées

Une durée de 11 ans pour le procès en première instance et plus de 13 ans avant le rejet du recours constituent une violation du droit d’être jugé sans retard excessif reconnu à l’auteur par le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

Réparation recommandée

Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation pour la durée excessive du procès. L’État partie doit prendre des mesures efficaces pour éviter que les procès ne se prolongent de façon indue et que les individus ne soient obligés d’engager une nouvelle action en justice pour obtenir une indemnisation.

Réponse de l’État partie attendue le

9 février 2003

Date de la réponse

Réponse de l’État partie

Pas de réponse

Réponse de l’auteur

Le 1er août 2005, le conseil a transmis au Comité la copie du jugement, daté du 24 juin 2005, par lequel l’Audiencia Nacional a ordonné le versement de 600 euros à l’auteur à titre de réparation pour le dysfonctionnement du système judiciaire dont il avait été victime. Ce jugement a été rendu à la suite du recours administratif formé par l’auteur en vue d’obtenir la mise en œuvre des recommandations du Comité.

L’auteur affirme que le montant de la réparation prescrit par l’Audiencia est purement symbolique et ne saurait être considéré comme suffisant.

Affaire

Terón, 1073/2002

Constatations adoptées le

5 novembre 2004

Questions soulevées et violations constatées

Même si la législation de l’État partie dispose dans certaines circonstances qu’en raison de sa charge une personne sera jugée par un tribunal d’un rang supérieur à celui qui serait normalement compétent, cette circonstance ne peut à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par un tribunal − article 14, paragraphe 5.

Réparation recommandée

Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate.

Réponse de l’État partie attendue le

9 février 2005

Réponse de l’État partie

Pas de réponse

Réponse de l’auteur

Dans des lettres datées du 7 mars 2005 et du 11 juillet 2005, le conseil a informé le Comité qu’aucune mesure n’avait été prise pour donner suite aux recommandations du Comité.

Affaire

Hill, 526/1993

Constatations adoptées le

2 avril 1997

Questions soulevées et violations constatées

Les auteurs n’ont reçu aucune nourriture pendant les cinq premiers jours de leur garde à vue; la libération sous caution leur a été refusée; leur droit à se défendre eux‑mêmes n’a pas été respecté; leur droit au réexamen de la déclaration de culpabilité et la condamnation leur a été refusé − article 9, paragraphe 3, article 10 et article 14, paragraphes 3 c) et 5.

Réparation recommandée

Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation.

Réponse de l’État partie attendue le

Le 9 octobre 1997, l’État partie avait communiqué des renseignements sur la possibilité de demander une indemnisation.

Date de la réponse

2 novembre 2005 (informations les plus récentes).

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans son quatre‑vingt‑quatrième rapport, l’État partie avait déclaré le 16 novembre 2004 que l’auteur avait déposé une requête en annulation de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui. Le Tribunal constitutionnel avait rejeté la requête et indiqué que l’auteur devait former un pourvoi en révision. L’auteur a formé un pourvoi en révision auprès de la deuxième chambre du Tribunal suprême, laquelle a décidé le 25 juillet 2002 d’annuler la décision de l’instance saisie du pourvoi (le Tribunal suprême) et rejeté à nouveau le pourvoi en cassation initialement formé par l’auteur. Dans ce deuxième arrêt, contrairement à ce qu’il avait fait dans le premier, le Tribunal suprême a dûment examiné les éléments de preuve avant de rejeter le pourvoi en cassation. L’auteur a introduit auprès du Tribunal constitutionnel un recours en amparo qui est encore en instance. Il a également engagé une action pour vice d’administration de la justice contre le Ministère de la justice. Sa plainte a été rejetée et le recours formé devant l’Audiencia Nacional est toujours en instance.

Le 2 novembre 2005, l’État partie a indiqué que M. Hill avait été jugé à nouveau par le Tribunal suprême, lequel avait confirmé sa condamnation. Bien que le recours en amparo introduit devant le Tribunal constitutionnel soit toujours en instance, l’extradition pourrait avoir lieu à tout moment.

Réponse de l’auteur

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans son quatre‑vingt‑cinquième rapport, M. Michael Hill lui avait fait savoir le 10 octobre 2005 que son frère Brian avait été arrêté le 8 octobre 2005 à Lisbonne en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par le tribunal de Valencia qui avait jugé les deux frères au début des années 90. Le mandat d’arrêt aurait eu un lien avec les faits à la base de l’affaire jugée. Il en ressortait que les auteurs se seraient enfuis d’Espagne à la faveur de leur mise en liberté conditionnelle. Ces informations ont été transmises à l’État partie pour observations.

État partie

SRI LANKA

Affaire

Jayawardena, 916/2000

Constatations adoptées le

22 juillet 2002

Questions soulevées et violations constatées

Menaces de mort dirigées contre un membre du Parlement − article 9, paragraphe 1.

Réparation recommandée

«Un recours utile»

Réponse de l’État partie attendue le

22 octobre 2002

Date de la réponse

9 septembre 2004

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra, comme indiqué dans ses rapports sur les travaux de ses quatre‑vingt‑troisième et quatre‑vingt‑quatrième sessions, qu’en application des constatations du Comité l’État partie a mené des enquêtes complémentaires sur l’auteur. N’ayant pu identifier les personnes qui l’auraient menacé, aucune autre action judiciaire n’a été entreprise. Toutefois, le Gouvernement a décidé de lui assurer une protection supplémentaire si nécessaire le moment venu. L’auteur n’a présenté aucune demande en ce sens.

Comme suite à la réponse de l’auteur en date du 18 octobre 2004, l’État partie a présenté, le 24 mars 2005, des observations supplémentaires, indiquant que le déploiement de personnel de sécurité par la police pour les personnalités se faisait sur la base de circulaires émanant de l’Inspecteur général de la police. En vertu desdites circulaires, un député n’a droit qu’à deux agents de sécurité. Toutefois, pour faire droit à sa demande, deux agents de sécurité supplémentaires lui ont été attachés, portant à quatre le nombre des agents de sécurité assurant sa protection.

Réponse de l’auteur

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans son rapport sur les travaux de sa quatre‑vingt‑quatrième session, le 18 octobre 2004, l’auteur a répondu aux commentaires de l’État partie. Il affirmait que ce dernier n’avait pris aucune mesure pour enquêter sur ses plaintes faisant état de menaces de mort. Il avait demandé à l’État partie une protection supplémentaire mais il s’était heurté à une fin de non‑recevoir; en fait, la protection qui lui est fournie a été réduite. La Présidente n’avait pris aucune mesure pour retirer ou rectifier les allégations qu’elle avait formulées à son endroit. Il a indiqué avoir été de nouveau élu député lors des élections qui ont eu lieu en avril 2004. Occupant alors le poste de porte‑parole de l’opposition pour le relèvement, la réinstallation et les réfugiés, il a formulé, dans le cadre de ses activités, des protestations officielles au sujet des violations des droits de l’homme visant des députés de l’opposition, raison pour laquelle, selon lui, sa vie est davantage menacée. Il a demandé au Comité d’intervenir auprès de la Présidente de Sri Lanka pour qu’elle lui fournisse aussi rapidement que possible une protection supplémentaire comme il l’avait demandé, et que les enquêtes sur ses plaintes soient poursuivies.

Le 10 janvier 2006, l’auteur a informé le Comité que M. Pararajasingham, député appartenant à la Tamil National Alliance, avait été abattu le 24 décembre par un tireur non identifié. Il avait fait campagne avec l’auteur dans le but de parvenir à un règlement pacifique du conflit ethnique qui frappe le Sri Lanka. L’auteur affirme que, selon des informations fiables, M. Pararajasingham aurait été la cible du groupe Karuna (groupe d’opposition aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul, dans la province orientale). L’auteur est convaincu que ce même groupe l’a pris pour cible, et il demande au Comité de «prendre les mesures qui s’imposent pour le protéger».

Affaire

Fernando, 1189/2003

Constatations adoptées le

31 mars 2005

Questions soulevées et violations constatées

Procès inéquitable − article 9, paragraphe 1.

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours approprié donnant lieu à une indemnisation, et d’apporter à sa législation les modifications qui pourraient être nécessaires pour éviter de telles violations. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.

Réponse de l’État partie attendue le

28 juillet 2005

Date de la réponse

8 août 2005

Réponse de l’État partie

L’État partie affirme qu’au moment où il est devenue partie au Protocole facultatif il n’était pas envisagé que le Comité aurait qualité pour examiner, réviser ou commenter les jugements rendus par un tribunal compétent du Sri Lanka, et en particulier les constatations faites et les peines imposées par un tel tribunal après examen approfondi des éléments de preuve dont il dispose. Il fait valoir que, l’indépendance du pouvoir judiciaire étant garantie par la Constitution, le Gouvernement n’a aucun contrôle sur les décisions d’un tribunal compétent et ne peut lui donner des directives concernant ses décisions futures.

S’agissant des constatations du Comité, l’État partie ne peut envisager de verser une indemnisation à quiconque pour une déclaration de culpabilité et une condamnation prononcées par l’un de ses tribunaux. Une telle mesure reviendrait à saper l’autorité de la Cour suprême, qui a inculpé et condamné l’auteur, et serait interprétée comme une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. De même, l’État partie ne peut empêcher que des jugements de cette nature soient rendus à l’avenir, étant donné qu’il n’a aucun contrôle sur les décisions futures de la Cour suprême et ne peut lui donner des directives concernant les jugements qu’elle rendra. Par conséquent, l’État partie affirme qu’il n’est pas en mesure de donner effet aux constatations du Comité en prenant les mesures énoncées en leur paragraphe 11. S’agissant des modifications à apporter à sa législation, l’État partie fait savoir au Comité qu’il renverra la question à la Commission législative pour examen.

Réponse de l’auteur

L’auteur présente un commentaire détaillé de 20 pages sur la réponse de l’État partie. Il conteste l’argument de ce dernier selon lequel les constatations du Comité ne sont pas contraignantes. Il se réfère au principe de droit coutumier de pacta sunt servanda qui est consacré à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, aux termes duquel tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. En outre l’État partie a adhéré sans émettre de réserves au Protocole facultatif, qui habilite le Comité à examiner des plaintes individuelles.

Comme l’État partie n’a pas émis des réserves au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (notamment à l’article 2) ou au Protocole facultatif, il ne peut prétendre que les constatations ne sont pas applicables dans l’ordre juridique interne en l’absence de dispositions expresses dans la législation nationale. Il s’appuie sur un nombre considérable de travaux de recherche (fournis à la demande du Comité) sur la jurisprudence sri‑lankaise pour démontrer que les obligations internationales qui incombent à l’État partie sont confirmées par une jurisprudence de plus en plus importante, fruit d’un processus d’incorporation judiciaire des normes internationales relatives aux droits de l’homme qui remonte à la fin des années 80. D’un autre point de vue, l’applicabilité des normes juridiques internationales est également confirmée par les principes directeurs de la politique de l’État qui, bien que ne pouvant pas être invoquée dans le contexte constitutionnel sri‑lankais, a un impact direct sur la politique suivie par le pays en matière juridique. Le paragraphe 15 de l’article 27 de ces principes charge l’État d’«…œuvrer pour promouvoir le respect du droit international et des obligations conventionnelles dans les relations entre les nations». Pour ce qui est de l’argument de l’indépendance du judiciaire, l’auteur se réfère à l’Observation générale du Comité sur l’article 2 et à ses constatations. Il renvoie à la jurisprudence en la matière pour montrer qu’en vertu d’un principe de droit international établi de longue date, un État est considéré comme un tout et ne peut invoquer sa composition interne, qu’elle soit territoriale, administrative ou autre, pour se soustraire à sa responsabilité internationale. Il affirme en outre que le respect des obligations internationales ne saurait être assimilé à une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui se produirait lorsque le Gouvernement, de sa propre initiative, cherche à aller à l’encontre d’un jugement ou d’un acte judiciaire similaire. Le fait que les décisions du Comité doivent être appliquées par le pouvoir judiciaire ne signifie pas, eu égard au principe de l’indépendance de ce pouvoir, que ces décisions émanent de l’exécutif. Le paiement d’une indemnisation ne saurait être assimilé à une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire telle que définie au paragraphe 1 de l’article 161 de la Constitution de l’État partie. L’interprétation d’une disposition de la Constitution doit se faire en conformité de toutes ses autres dispositions.

Pour ce qui est de l’argument concernant l’impossibilité pour le Parlement sri‑lankais d’empêcher de telles décisions, l’auteur fait valoir qu’il est légitime que les autres pouvoirs de l’État, en particulier la législature, s’efforcent, en adoptant des lois, à établir des normes que le pouvoir judiciaire doit respecter. Il est tout aussi légitime que l’outrage au tribunal soit régi par de telles lois.

Pour ce qui est de l’information selon laquelle l’État partie a envoyé les constatations à la Commission juridique pour «examen», l’auteur note qu’il ne suffit pas à l’État partie d’entreprendre une telle démarche pour respecter ses obligations, dans la mesure où elle ne servira qu’à déclencher un processus qui s’est déjà révélé futile. Il est affirmé que cette partie de la réponse constitue en elle‑même une violation par l’État de ses obligations, lesquelles exigent de sa part une mesure concrète consistant en l’occurrence à adopter une loi sur l’outrage au tribunal. Il est affirmé qu’il est urgent d’adopter une telle loi étant donné que l’outrage est actuellement interprété et sanctionné par les tribunaux nationaux d’une manière très restrictive (l’auteur cite la jurisprudence en la matière).

Décision du Comité

Le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue doit par conséquent se poursuivre.

Affaire

Joseph, 1249/2004

Constatations adoptées le

21 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Discrimination pour motifs religieux − article 18, paragraphe 1, et article 26.

Réparation recommandée

L’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours effectif garantissant la pleine reconnaissance de leurs droits en vertu du Pacte. Il a également l’obligation d’empêcher des violations similaires à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

29 janvier 2006

Date de la réponse

22 juin 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie indique qu’il doit respecter et appliquer la Constitution de la République, et agir dans le cadre de son système juridique interne. Il ne peut aller à l’encontre d’une décision quelconque rendue par une juridiction sri-lankaise, quelle qu’elle soit. La Cour suprême est la juridiction la plus élevée du pays, et ses décisions sont définitives et contraignantes tant pour le Gouvernement sri‑lankais que pour le Parlement. Le Gouvernement ne peut donc pas offrir de recours aux auteurs. Toutefois, dans l’hypothèse où le même projet de loi, voire un projet de loi similaire, serait de nouveau présenté au Parlement, et où sa constitutionalité serait contestée, le Gouvernement communiquera les constatations du Comité à la Cour suprême.

État partie

SURINAME − CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT L’ENSEMBLE DES AFFAIRES

Affaire

Baboeram et consorts, 146/1983 et Kamperveen, Riedewald, Leckie, Demrawsingh, Sohansingh, Rahman, Hoost, 148-154/1983

Constatations adoptées le

4 avril 1984

Questions soulevées et violations constatées

Exécution arbitraire − article 6, paragraphe 1.

Réparation recommandée

En conséquence, le Comité demande instamment à l’État partie de prendre des mesures efficaces: i) pour enquêter sur les exécutions de décembre 1982; ii) pour traduire en justice toutes les personnes dont on aurait reconnu la responsabilité dans la mort des victimes; iii) de verser une indemnité aux familles survivantes; et iv) de faire en sorte que le droit à la vie soit protégé comme il convient au Suriname.

Réponse de l’État partie attendue le

5 juin 1991

Date de la réponse

L’État partie avait répondu le 27 août 1997.

Réponse de l’État partie

L’État partie reconnaît qu’il faut accorder une réparation appropriée aux victimes de violations des droits de l’homme, notamment aux familles des auteurs, et envisage d’ouvrir «à l’échelon national un débat sur tous les aspects des droits de l’homme, à la fois politiques et économiques». L’État partie fera part au Comité des résultats de ces consultations dès qu’ils seront disponibles.

Mesures complémentaires prises ou requises

Le 14 mars 2006, MM. Ando et Rivas Posada, Kristen Boon ainsi qu’un membre du secrétariat ont eu une réunion de suivi avec l’Ambassadeur du Suriname, Ewald Wensley Limon.

Il a été question de la suite donnée aux observations finales de 2004, notamment eu égard aux préoccupations prioritaires exprimées aux paragraphes 8, 11 et 14, et de la suite, ou l’absence de suite, donnée aux constatations concernant les communications no 146 et no 148 à no 154/1983 (Baboeram et consorts c. Suriname).

M. Rivas Posada et M. Ando ont l’un et l’autre souligné l’obligation véritable qui incombe au Gouvernement du Suriname de fournir des réponses sérieuses sur la suite donnée aux observations finales de 2004 et aux constatations concernant l’affaire susmentionnée. Cela fait de nombreuses années que des échanges ont lieu au sujet du suivi, en particulier la suite donnée aux constatations sur l’affaire Baboeram et consorts.

L’Ambassadeur Limon a indiqué qu’un groupe de «juristes» avait été chargé, dans la capitale, de travailler sur les questions relatives aux droits de l’homme soulevées devant les organismes internationaux, et que ce groupe travaillait sur les problèmes de suivi. En outre, l’affaire MAHUINA [mentionnée au cours de l’examen du deuxième rapport en 2004] était actuellement en instance devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, et cette affaire présentait un intérêt considérable pour les victimes de violations antérieures des droits de l’homme (par exemple, en ce qui concerne leur indemnisation).

L’Ambassadeur a fait savoir qu’il demanderait aux autorités de Paramaribo de fournir des réponses sur la suite donnée aux constatations pour la fin du mois de juin, mais a précisé toutefois qu’il ne pouvait garantir que la réponse arriverait en temps voulu pour figurer dans le prochain rapport annuel (A/61/40).

État partie

TADJIKISTAN

Affaire

Aliboev, 985/2002

Constatations adoptées le

18 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Peine de mort, procès inéquitable − article 6, paragraphe 2, article 7, article 14, paragraphes 1, 3 d) et g) et 5.

Réparation recommandée

Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation et de l’indemniser comme il convient. L’État partie est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

1er février 2006

Date de la réponse

2 février 2006

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra, comme indiqué dans son rapport sur les travaux de sa quatre-vingt-quatrième session, qu’en octobre 2004 le Secrétariat avait rencontré une délégation tadjike au sujet de communications individuelles, rencontre au cours de laquelle la question de la suite donnée aux constatations avait été examinée. La délégation a confirmé que jusqu’en 2002 les informations adressées à la Mission à New York n’étaient pas transmises aux autorités au Tadjikistan.

Par une note verbale datée du 2 février 2006, l’État partie a affirmé que les notes verbales du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme visées dans la décision du Comité (respectivement en date des 11 juillet 2001, 5 novembre 2001, 19 décembre 2002 et 10 novembre 2004) n’étaient jamais parvenues au Ministère des affaires étrangères de l’État partie.

Réponse de l’auteur

Aucune

Affaire

Boymurodov, 1042/2001

Constatations adoptées le

20 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Procès inéquitable ayant abouti à une condamnation à la peine capitale, déni d’accès à la justice, torture, irrégularités dans la procédure pénale − article 7, article 9, paragraphe 3, et article 14, paragraphe 3 a) et g).

Réparation recommandée

Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation et de l’indemniser comme il convient.

Réponse de l’État partie attendue le

1er février 2006

Date de la réponse

Aucune

Réponse de l’État partie

Aucune

Réponse de l’auteur

Dans une lettre datée du 1er février 2006, M. Abdulkarim Boymurodov, père de Mustafakul Boymurodov, rappelle les faits − son fils a, dans un premier temps, été condamné à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable, et il a été fait usage de la torture au cours de l’enquête préliminaire −, et soutient qu’aucune mesure n’a été prise depuis l’adoption des constatations du Comité.

Il affirme qu’il avait déposé auprès de la Cour suprême une plainte, toujours en instance. La Cour suprême l’a informé qu’elle avait eu communication des constatations du Comité.

État partie

OUZBÉKISTAN

Affaire

Siragev, 907/2000

Constatations adoptées le

1er novembre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable − article 7 et article 14, paragraphe 3 b).

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à M. Siragev un recours utile. Le Comité constate que la commutation de la peine capitale dont a bénéficié M. Siragev annule la violation de l’article 6. En l’espèce, la réparation pourrait consister à envisager de lui accorder une nouvelle réduction de peine et une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

7 février 2006

Date de la réponse

23 janvier 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie a fait savoir au Comité que la Cour suprême de l’Ouzbékistan a examiné ses constatations. Il estime que la condamnation de Siragev est juste, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve à charge. L’enquête et la procédure judiciaire au pénal se sont déroulées dans le respect des lois sur la procédure pénale. La Cour suprême précise qu’elle ne peut accepter les affirmations selon lesquelles l’auteur a subi des pressions physiques durant l’enquête préliminaire. Elle rejette «catégoriquement» l’affirmation selon laquelle la commutation de la peine capitale de M. Siragev avait pour but de masquer les irrégularités survenues au cours du procès. L’État partie ajoute que la peine a été commuée parce que l’auteur s’est repenti des crimes qu’il avait commis.

La peine de M. Siragev a été réduite à la suite de décrets présidentiels d’amnistie et il a été libéré en vertu des principes d’humanisme et de justice, compte tenu de son bon comportement en détention.

Réponse de l’auteur

Le 5 décembre 2005, la mère de l’auteur a fait savoir au Comité que la peine de mort de son fils avait été commuée et qu’il devait être libéré le 8 décembre 2005. Elle a remercié le Secrétariat et le Comité de leur intervention.

Observations du Comité

Compte tenu de la commutation de la peine de l’auteur, le Comité ne compte pas poursuivre l’examen de la question dans le cadre de la procédure de suivi, sauf si la situation venait à changer.

État partie

ZAMBIE

Affaire

821/1998, Chongwe

Constatations adoptées le

25 octobre 2000

Questions soulevées et violations constatées

Article 6, paragraphe 1, et article 9, paragraphe 1 − Tentative d’assassinat sur la personne du président de l’alliance des partis d’opposition.

Réparation recommandée

L’État partie est tenu de prendre les mesures qui s’imposent pour protéger l’auteur de toute forme de menace pesant sur la sécurité de sa personne et sur sa vie. Le Comité a prié instamment l’État partie de faire procéder à des enquêtes indépendantes sur la fusillade, et d’accélérer les poursuites pénales contre les auteurs présumés. S’il s’avérait, à l’issue de ces poursuites, que des personnes agissant ès qualités étaient responsables des coups de feu et des blessures infligées à l’auteur, des dommages-intérêts devraient aussi être versés à M. Chongwe.

Réponse de l’État partie attendue le

8 février 2001

Date de la réponse

28 décembre 2005

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans le rapport de suivi du 10 mars 2003, l’État partie avait répondu les 10 octobre et 14 novembre 2001. Dans la première de ces réponses, il objectait que le Comité n’avait pas indiqué le montant des dommages‑intérêts à payer. Dans la seconde, il fournissait des copies d’une correspondance entre le Procureur général et l’auteur, dans laquelle ce dernier avait reçu des assurances que l’État partie respecterait son droit à la vie et avait été invité à revenir en Zambie. En ce qui concerne l’indemnisation, le Procureur général a fait savoir à l’auteur que la question serait réglée après des investigations plus poussées sur l’incident, lesquelles avaient été entravées par le refus de coopérer que l’auteur avait opposé jusqu’alors. Dans une lettre datée du 28 février 2002, l’État partie a signalé que les tribunaux locaux n’auraient pas pu accorder l’indemnité réclamée, que l’auteur avait quitté le pays pour des raisons sans rapport avec l’incident en cause et que, même si le Gouvernement estimait que rien ne justifiait des poursuites, l’auteur était libre de le faire. Par une note verbale datée du 13 juin 2002, l’État partie a réaffirmé sa position, selon laquelle il n’était pas lié par la décision du Comité puisque les recours internes n’avaient pas été épuisés. L’auteur avait choisi de quitter le pays de son plein gré mais il lui était loisible d’engager une procédure même s’il n’était pas sur place. Quoi qu’il en soit, le nouveau Président avait confirmé à l’auteur qu’il pouvait rentrer quand il le souhaitait. L’État partie espérait qu’il le ferait et qu’il demanderait alors réparation devant les tribunaux. Il a ajouté que M. Kaunda, qui avait été attaqué en même temps que l’auteur, était un citoyen libre menant sa vie sans être soumis à aucune menace.

Le 28 décembre 2005, l’État partie a fait savoir qu’il avait proposé à l’auteur un montant de 60 000 dollars sans préjudice d’autres mesures et que l’auteur avait rejeté cette proposition pourtant généreuse au regard de la législation zambienne, surtout si l’on tient compte du fait que la Zambie est l’un des 49 pays les moins avancés selon la classification de l’ONU. Cette proposition n’empêche nullement l’auteur d’engager une action devant les tribunaux zambiens. Pour témoigner de sa bonne foi, le Gouvernement zambien lèvera la prescription applicable en l’espèce et permettra aux tribunaux de connaître de l’affaire.

Réponse de l’auteur

Le Comité se souviendra que, comme indiqué dans le rapport de suivi de mars 2003, l’auteur avait déclaré les 5 et 13 novembre 2001 que l’État partie ne lui avait pas offert de possibilité de recours.

En mars 2006 (lettre non datée), l’auteur a répondu à la communication de l’État partie. Il est, semble-t-il, rentré en Zambie en 2003 et déclare qu’il ne compte pas engager d’autres procédures devant les tribunaux zambiens. Tout en reconnaissant ce que le pouvoir judiciaire a fait pour améliorer la situation, l’auteur déclare que ses problèmes ne sont toujours pas réglés. Il ne pense donc pas que les tribunaux donneraient la suite appropriée à une demande de réparation. Engager une telle procédure presque 10 ans après les faits serait inutile. L’auteur ne pourrait mener pareille enquête seul et il craindrait pour sa sécurité. En tout état de cause, il ne veut pas savoir qui est le «favori du Gouvernement zambien» qui a tenté de le tuer.

Selon l’auteur, l’État partie n’a pas donné suite aux constatations et ne lui a pas apporté la sécurité. Le Gouvernement n’a rien fait pour l’aider, lui et sa famille, à se réinstaller en Zambie en rentrant d’Australie et, selon l’auteur, l’offre d’indemnisation qui lui a été faite n’est qu’une «petite avance» qu’il est obligé d’accepter parce qu’elle est «à prendre ou à laisser». L’auteur n’a nulle intention de négocier avec le Gouvernement zambien sur la base de la réponse de l’État partie du 28 décembre 2005.

Observations du Comité

À examiner pendant la quatre-vingt-huitième session.

Affaire

1132/2002, Chisanga

Constatations adoptées le

18 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Droit à la vie, recours ineffectif en appel et recours ineffectif concernant la commutation de la peine − article 14, paragraphe 5, lu conjointement avec l’article 2, article 7, article 6, paragraphe 2, et article 6, paragraphe 4, lu conjointement avec l’article 2.

Réparation recommandée

Assurer un recours à l’auteur, la commutation de la peine capitale à laquelle il a été condamné constituant en l’espèce une mesure préalable impérative.

Réponse de l’État partie attendue le

9 février 2006

Date de la réponse

17 janvier 2006

Réponse de l’État partie

S’agissant de la peine prononcée contre l’auteur, l’État partie indique qu’il a communiqué au Comité le jugement de la Cour suprême daté du 5 juin 1996, lequel confirmait la condamnation à mort pour vol qualifié et condamnait en outre l’accusé à 18 ans d’emprisonnement du chef de tentative de meurtre. La Zambie estime donc que, puisque le jugement mentionne deux chefs d’accusation distincts et prononce une peine distincte pour chacun d’eux, il ne peut y avoir de confusion. L’État partie cite l’article 294 de son Code pénal et affirme que la Cour suprême ne peut commuer la peine de mort si elle estime que l’infraction visée au paragraphe 2 de cet article − crime de vol qualifié avec utilisation d’une arme à feu ou avec coups et blessures − a été commise.

En outre, la Zambie reconnaît qu’il est «possible» que le plaignant ait été transféré du couloir de la mort au quartier des détenus de longue durée. Elle explique qu’il s’agit d’une «condamnation dissuasive» consistant à faire purger au condamné la peine la plus courte avant de lui imposer la peine la plus lourde lorsqu’il est condamné au titre de plusieurs chefs d’accusation. La Zambie affirme que la «condamnation dissuasive» est une forme de peine reconnue en common law et que les tribunaux zambiens sont habilités à la prononcer. Selon l’État partie, la confusion alléguée par le plaignant a été inventée de mauvaise foi dans le but de dénigrer l’appareil judiciaire bien établi et respecté de la Zambie.

L’État partie affirme que, dans son système judiciaire, le droit d’appel est non seulement garanti par la Constitution mais aussi effectivement appliqué: dans les cas de trahison, de meurtre et de vol qualifié (passibles de peine de mort), la Haute Cour accorde automatiquement et sans discrimination à l’accusé le droit d’interjeter appel devant la Cour suprême. Quant à la communication du greffier de la Cour suprême selon laquelle la peine du plaignant aurait été réduite, la Zambie dit qu’elle concernait peut-être la peine imposée par la Cour suprême pour le chef de tentative de meurtre.

L’État partie soutient que l’accusé a été emmené au quartier des peines lourdes pour y purger sa peine de 18 ans d’emprisonnement pour tentative de meurtre. Il ajoute que rien n’indique que l’auteur a été ramené au couloir de la mort au bout de deux ans et l’engage à prouver cette allégation.

L’État partie estime que la qualification de crime d’une gravité extrême est subjective et varie d’une société à l’autre. Il fait valoir qu’en Zambie, les crimes de meurtre et de vol qualifié sont monnaie courante et que le fait de ne pas les considérer comme des crimes graves porterait atteinte aux droits fondamentaux à la vie, à la sécurité et à la liberté de la personne. Il ajoute que l’opinion du Comité, selon laquelle le plaignant ne devrait pas être condamné à mort puisque la victime n’est pas décédée, est contraire à l’essence même des droits de l’homme.

L’État partie indique qu’un décret présidentiel amnistie tous les prisonniers condamnés à mort. Le Président aurait déclaré publiquement qu’il ne signerait aucun ordre d’exécution durant son mandat. La Zambie affirme en outre qu’en vertu de sa Constitution, les prisonniers peuvent toujours introduire un recours en grâce. Ces requêtes sont examinées par le «Comité de l’exercice du droit de grâce», présidé par le Vice-Président. Enfin, la Zambie déclare qu’aucun condamné n’a été exécuté depuis 1995 et qu’elle applique un moratoire sur la peine de mort.

Réponse de l’auteur

Aucune

Observations du Comité

Le Comité fait observer que l’État partie aurait dû inclure son argument concernant la recevabilité dans ses observations sur la communication avant que le Comité ne l’examine.

Le Comité considère que la réponse de l’État partie est insatisfaisante et que le dialogue se poursuit concernant la suite à donner.

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