Chapitre

Volume I

Compétence et activités

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Sessions du Comité

Participation aux sessions

Élection du bureau

Rapporteurs spéciaux

Groupes de travail

Question des émoluments des membres du Comité

Activités des autres organes de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme

Réunion avec les États parties

Dérogations au titre de l’article 4 du Pacte

Observation générale au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte

Ressources humaines

Publicité donnée aux travaux du Comité

Documents et publications relatifs aux travaux du Comité

Réunions futures du Comité

Adoption du rapport

Méthodes de travail du Comité au titre de l’article 40 du Pacte : faits nouveaux

Faits nouveaux et décisions récentes concernant les procédures

Observations finales

Liens avec d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et d’autres organes conventionnels

Coopération avec d’autres organismes des Nations Unies

Présentation de rapports par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Rapports soumis au Secrétaire général d’août 2001 à juillet 2002

Rapports en retard et inobservation par les États parties de leurs obligations au regard de l’article 40

Examen des rapports présentés par les États parties

Ukraine

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et territoires d’outre-mer

Suisse

Azerbaïdjan

Géorgie

Suède

Hongrie

Nouvelle-Zélande

Viet Nam

Yémen

République de Moldova

Examen des communications reçues conformément aux dispositions du Protocole facultatif

États des travaux

Augmentation du nembre d’affaires soumises au Comité en vertu du Protocole facultatif

Méthodes d’examen des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

Opinions individuelles

Questions examinées par le Comité

Réparations demandées par le Comité dans ses constatations

Activités de suivi des constatations au titre du Protocole facultatif

Annexes

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aux protocoles facultatifs et États qui ont fait la déclaration prévue à l’article 41 du Pacte à la date du 26 juillet 2002

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

États parties au premier Protocole facultatif

États parties au deuxième Protocole facultatif, visant à abolir la peine de mort

États qui ont fait la déclaration prévue à l’article 41 du Pacte

Membres et bureau du Comité des droits de l’homme, 2001-2002

Membres du Comité des droits de l’homme

Bureau

A.Suivi des observations finales: décisions adoptées par le Comité des droits de l’homme le 21 mars 2002

Décisions concernant les méthodes de travail adoptées par le Comité des droits de l’homme le 5 avril 2002

Rapports et renseignements supplémentaires soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte

Examen des rapports et, en l’absence de rapports, des mesures prises par les États pendant la période considérée et rapports restant à examiner par le Comité

Observation générale adoptée par le Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Observation générale No 30 [75]^relative à l’obligation de présenter des rapports qui incombe aux États parties en vertu de l’article 40 du Pacte

Liste des délégations des États parties qui ont participé à l’examen de leur rapport par le Comité des droits de l’homme à ses soixante-treizième, soixante-quatorzième et soixante-quinzième sessions

Liste des documents parus pendant la période couverte par le rapport

Volume II

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

1

Communication no 580/1994, Ashby c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 21 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

1

Communication no 641/1995, Gedumbe c. République démocratique du Congo (constatations adoptées le 9 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

14

Communication no 667/1995, Ricketts c. Jamaïque constatations adoptées le 4 avril 2002, soixante‑quatorzième session)

19

Appendice

24

Communication no 677/1996, Teesdale c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 1er avril 2002, soixante‑quatorzième session)

26

Appendice

33

Communication no 678/1996, Gutiérrez Vicanco c. Pérou(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

36

Appendice

43

Communication no 683/1996, Wanza c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

44

Communication no 684/1996, Sahadath c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 2 avril 2002, soixante‑quatorzième session)

50

Communication no 695/1996, Simpson c. Jamaïque(constatations adoptées le 31 octobre 2001, soixante‑treizième session)

56

Communication no 721/1997, Boodoo c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 2 août 2002, soixante‑quatorzième session)

66

Communication no 728/1996, Sahadeo c. Guyana(constatations adoptées le 1er novembre 2001, soixante‑treizième session)

71

Appendice

76

Communication no 747/1997, Des Fours Walderode c. République tchèque(constatations adoptées le 30 octobre 2001, soixante‑treizième session)

78

Communication no 763/1997, Lantsova c. Russie(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

86

Communication no 765/1997, Fábryová c. République tchèque(constatations adoptées le 30 octobre 2001, soixante‑treizième session)

93

Appendice

98

Communication no 774/1997, Brok c. République tchèque(constatations adoptées le 31 octobre 2001, soixante‑treizième session)

99

Communication no 779/1997, Äärelä et Näkkäläjärvi c. Finlande(constatations adoptées le 24 octobre 2001, soixante‑treizième session)

106

Appendice

118

Communication no 788/1997, Cagas et consorts c. Philippines(constatations adoptées le 23 octobre 2001, soixante‑treizième session)

120

Appendice

126

Communication no 792/1998, Higginson c. Jamaïque(constatations adoptées le 28 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

129

Communication no 794/1998, Jalloh c. Pays ‑Bas(constatations adoptées le 23 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

133

Communication no 802/1998, Rogerson c. Australie(constatations adoptées le 3 avril 2002, soixante‑quatorzième session)

139

Communication no 845/1998, Kennedy c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

150

Appendice

159

Communication no 848/1999, Rodríguez Orejuela c. Colombie(constatations adoptées le 23 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

161

Communication no 854/1999, Wackenheim c. France(constatations adoptées le 15 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

168

Communication no 859/1999, Jiménez Vaca c. Colombie(constatations adoptées le 25 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

176

Communication no 865/1999, Marín Gómez c. Espagne (constatations adoptées le 22 octobre 2001, soixante‑treizième session)

186

Appendice

193

Communication no 899/1999, Francis et consorts c. Trinité et Tobago (constatations adoptées le 25 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

194

Appendice

201

Communication no 902/1999, Joslin et consorts c. Nouvelle ‑Zélande(constatations adoptées le 17 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

202

Appendice

216

Communication no 906/2000, Chira Vargas ‑Machuca c. Pérou(constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

218

Communication no 916/2000, Jayawardena c. Sri Lanka(constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

224

Appendice

231

Communication no 919/2000, Müller et Engelhard c. Namibie(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

232

Communication no 921/2000, Dergachev c. Bélarus(constatations adoptées le 2 avril 2002, soixante‑quatorzième session)

241

Appendice

245

Communication no 923/2000, Mátyus c. Slovaquie(constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

246

Communication no 928/2000, Sooklal c. Trinité ‑et ‑Tobago(constatations adoptées le 25 octobre 2001, soixante‑treizième session)

252

Communication no 932/2000, Gillot et consorts c. France(constatations adoptées le 15 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

258

Communication no 946/2000, L. P. c. République tchèque(constatations adoptées le 25 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

281

Appendice

288

Communication no 965/2000, Karakurt c. Autriche(constatations adoptées le 4 avril 2002, soixante‑quatorzième session)

290

Appendice

298

D/cisions du Comit/ des droits de l’homme d/clarant irrecevables des communications pr/sent/es en vertu du Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques

300

Communication no 803/1998, Althammer et consorts c. Autriche(décision adoptée le 21 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

300

Appendice

305

Communication no 825/1999, Silva c. ZambieCommunication no 826/1999, Godwin c. ZambieCommunication no 827/1999, de Silva c. ZambieCommunication no 828/1999, Perera c. Zambie(décision adoptée le 25 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

306

Communication no 880/1999, Irving c. Australie(décision adoptée le 1er avril 2002, soixante‑treizième session)

311

Appendice

318

Communication no 925/2000, Koi c. Portugal(décision adoptée le 22 octobre 2001, soixante‑treizième session)

320

Appendice

327

Communication no 940/2000, Zébié Aka Bi c. Côte d’Ivoire(décision adoptée le 9 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

335

Communication no 1006/2001, Sánchez González c. Espagne(décision adoptée le 21 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

339

Communication no 1048/2002, Riley et consorts c. Canada(décision adoptée le 21 mars 2002, soixante‑quatorzième session)

342

Communication no 1055/2002, I.N. c. Suède(décision adoptée le 8 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

345

Communication no 1065/2002, Mankarious c. Australie(décision adoptée le 1er avril 2002, soixante‑quatorzième session)

347

Communication no 1087/2002, Hesse c. Australie(décision adoptée le 15 juillet 2002, soixante‑quinzième session)

351

Annexe IX

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

A. Communication n o 580/1994, Ashby c. Trinité ‑et ‑Tobago (constatations adoptées le 21 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

Interights (organisation représentée par M me  Emma Playfair, Directeur exécutif, et M me  Natalia Schiffrin, juriste, agissant en qualité de représentant et de conseil de l’auteur)

Au nom de :

M. Glenn Ashby

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

6 juillet 1994 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  580/1994 présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. La communication a été soumise le 6 juillet 1994 par Interights au nom de Glenn Ashby, citoyen de la Trinité ‑et ‑Tobago, alors en attente d’exécution à la prison d’État de Port of Spain (Trinité ‑et ‑Tobago). Le 14 juillet 1994, alors que la communication avait été transmise aux autorités de la Trinité ‑et ‑Tobago, M. Ashby a été exécuté à la prison d’État. Son conseil affirmait que M. Ashby était victime de violations des articles 6, 7, 10 (par. 1) et 14 [par. 1, 3 b), c), d), g) et 5] du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 1 .

Rappel des faits présentés par le conseil

2.1 M. Ashby a été arrêté le 17 juin 1988. Il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par la cour d’assises de Port of Spain le 20 juillet 1989. La cour d’appel a rejeté son recours le 20 janvier 1994. Il a ensuite adressé une demande d’autorisation spéciale de former recours à la section judiciaire du Conseil privé, qui l’a rejetée le 6 juillet 1994. Le conseil de M. Ashby a déclaré qu’ainsi tous les recours internes disponibles, au sens du Protocole facultatif, avaient été épuisés. Restait la possibilité de présenter une requête constitutionnelle à la Cour suprême (constitutionnelle) de la Trinité ‑et ‑Tobago, mais le conseil a fait valoir que, l’État partie ne pouvant pas ou ne voulant pas fournir l’aide judiciaire nécessaire pour permettre aux condamnés de présenter des requêtes constitutionnelles, ce recours aurait été illusoire.

2.2 La pièce maîtresse de l’accusation était le témoignage d’un certain Selwyn Williams, qui avait conduit M. Ashby et un certain R. Blackman jusque sur les lieux où le meurtre allait être commis. Le témoin a déclaré qu’avant d’entrer dans la maison de la victime, avec Blackman, M. Ashby avait un couteau à la main. D’après le même témoin, après avoir quitté la maison et être remonté dans la voiture, M. Ashby aurait dit qu’il avait «donné un coup de couteau» à l’occupant de la maison. Cet élément a été corroboré par le médecin légiste qui a conclu que la victime était morte d’un coup de couteau porté au cou. De plus, M. Ashby lui ‑même aurait fait des déclarations orales et écrites à la police reconnaissant qu’il avait tué la victime.

2.3 La défense a contesté la crédibilité du témoignage de S. Williams et affirmé que M. Ashby était innocent. Elle a fait valoir qu’il existait des éléments de preuve manifestes montrant que M. Williams était lui ‑même complice, que M. Ashby n’avait pas de couteau sur lui, que Blackman avait tout fait pour impliquer M. Ashby et que celui ‑ci avait été brutalisé par un policier après son arrestation et qu’il avait fait cette déclaration parce que la police lui avait promis qu’il pourrait rentrer chez lui s’il faisait des aveux.

Chronologie des faits relatifs à l’exécution de M. Ashby

3.1 Le secrétariat du Comité des droits de l’homme a reçu, le 7 juillet 1994, la communication présentée au nom de M. Ashby au titre du Protocole facultatif. Le 13 juillet 1994, le conseil a envoyé des précisions supplémentaires. Le même jour, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications a pris une décision en application des articles 86 et 91 du règlement intérieur, décision qu’il a adressée aux autorités de la Trinité ‑et ‑Tobago, demandant un sursis à exécution tant que le Comité n’aurait pas achevé d’examiner l’affaire, et sollicitant des renseignements et des observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication.

3.2 La demande formulée au titre des articles 86 et 91 du règlement intérieur a été transmise à la Mission permanente de la Trinité ‑et ‑Tobago à Genève, à 16 h 5, heure de Genève (10 h 5, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago), le 13 juillet 1994. D’après la Mission permanente, cette demande a été adressée par télécopie aux autorités de Port of Spain entre 16 h 30 et 16 h 45 le même jour (10 h 30 et 10 h 45, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago).

3.3 Toute la nuit du 13 au 14 juillet 1994, des efforts ont continué d’être déployés pour obtenir un sursis à l’exécution, devant la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago, ainsi que devant la section judiciaire du Conseil privé, à Londres. Quand cette dernière a délivré une ordonnance de sursis à exécution, le 14 juillet, peu après 11 h 30, heure de Londres (6 h 30, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago), on a appris que M. Ashby avait déjà été exécuté. Au moment de l’exécution, la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago siégeait pour délibérer de l’opportunité de délivrer une ordonnance de sursis à exécution.

3.4 Le 26 juillet 1994, le Comité a adopté une décision rendue publique exprimant son indignation devant l’inobservation par l’État partie de la demande du Comité au titre de l’article 86 du règlement intérieur; il a décidé de maintenir la communication à l’examen, au titre du Protocole facultatif, et fermement exhorté l’État partie à veiller, par tous les moyens à sa disposition, à ce que des situations analogues à celles qui avaient abouti à l’exécution de M. Ashby ne se reproduisent pas. La décision publique du Comité a été transmise à l’État partie le 27 juillet 1994.

Teneur de la plainte

4.1 Le conseil affirme qu’il y a eu violation des articles 7 et 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, au motif que M. Ashby a été brutalisé et maltraité au poste de police après son arrestation. Il aurait signé ses aveux sous la contrainte, car on lui aurait dit qu’il serait remis en liberté s’il signait.

4.2 Le conseil affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 de la part de l’État partie, M. Ashby n’ayant pas été convenablement représenté en justice avant le procès et pendant l’audience. Le conseil souligne que l’avocat commis d’office ne s’est guère entretenu avec son client pour préparer la défense. Le même avocat aurait plaidé l’appel sans aucune conviction.

4.3 D’après le conseil, le fait que, d’une part, la cour d’appel n’avait pas rectifié l’erreur commise par le juge n’appelant pas l’attention du jury sur les dangers qu’il y avait à se fonder sur la déposition d’un complice, non confirmée par un autre témoin, et que, d’autre part, le Conseil privé n’avait pas non plus relevé cette omission ni un certain nombre d’irrégularités matérielles dont le procès avait été entaché, représentait une violation du droit de M. Ashby à un procès équitable.

4.4 Dans sa communication initiale, le conseil affirmait que M. Ashby était victime d’une violation des articles 7 et 10, paragraphe 1, en raison de sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort (4 ans, 11 mois et 16 jours). D’après le conseil, cette détention prolongée dans des conditions difficiles, M. Ashby étant très à l’étroit, avec des installations sanitaires et des possibilités de distraction très insuffisantes voire inexistantes, équivalait à un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l’article 7. À l’appui de cet argument, le conseil joint des jugements rendus récemment par la section judiciaire du Conseil privé et par la Cour suprême du Zimbabwe 2 .

4.5 Le conseil affirme que cette exécution constitue une violation des droits consacrés dans le Pacte, parce que M. Ashby a été exécuté 1) alors que le Conseil privé avait reçu l’assurance qu’il ne le serait pas avant que toutes les voies de recours n’aient été épuisées, 2) alors que sa demande de sursis à exécution était toujours pendante auprès de la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago, et 3) quelques minutes seulement après que le Conseil privé eut rendu une ordonnance conservatoire prescrivant que la peine capitale ne devait pas être exécutée. De surcroît, M. Ashby a été exécuté en violation de la demande formulée par le Comité au titre de l’article 86 du règlement intérieur du Comité.

4.6 Le conseil affirme en outre que l’exécution de M. Ashby a représenté une violation des droits consacrés:

a) Par le paragraphe 1 de l’article 14, parce qu’elle a eu lieu avant que toutes les actions engagées aient été menées à bonne fin; et

b) Par le paragraphe 5 de l’article 14, parce qu’elle a eu lieu avant que la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago, le Conseil privé et le Comité des droits de l’homme aient pu examiner sa déclaration de culpabilité et la légalité de sa peine. Le conseil rappelle à ce propos la jurisprudence du Comité selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 s’applique pour toutes les voies de recours prévues par la loi 3 .

4.7 Le conseil reconnaît que l’on peut se demander si M. Ashby avait le droit, conformément au paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner sa sentence par une instance supérieure, où il avait la possibilité de soumettre la requête constitutionnelle, ce qu’il avait déjà entrepris de faire; il attendait le résultat. Elle fait valoir que, quand un individu a été autorisé à engager une action et que la procédure en est effectivement au stade où un tribunal est appelé à examiner l’affaire, l’intéressé a le droit, conformément au paragraphe 5 de l’article 14, de se prévaloir utilement de cette voie de recours. De plus, le conseil affirme que ce coup d’arrêt dans la procédure d’appel a été si grave qu’il a entraîné une violation non seulement du droit d’appel consacré au paragraphe 5 de l’article 14, mais aussi du droit à un procès équitable et à l’égalité devant les tribunaux consacré au paragraphe 1 de ce même article. Il est évident que les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 s’appliquent à la procédure constitutionnelle. Le conseil s’appuie à cet égard sur les constatations du Comité dans l’affaire Currie  c.  Jamaïque (communication n °  377/1989).

4.8 Il est affirmé qu’il y a eu violation de l’article 6 pour deux raisons: d’abord, c’est porter atteinte au paragraphe 1 de cet article que d’exécuter un condamné quand les autres garanties prescrites dans le Pacte n’ont pas été observées; ensuite, les prescriptions spécifiques des paragraphes 2 et 4 de l’article 6 n’ont pas été respectées non plus. Enfin, le conseil fait valoir qu’au sens du paragraphe 2 de l’article 6 l’expression «jugement définitif» doit être interprétée en l’espèce comme visant également toute décision concernant la requête constitutionnelle, parce qu’un jugement définitif, suite à l’action tendant à contester la constitutionnalité de l’exécution de M. Ashby, aurait en réalité constitué le jugement ultime, «définitif», dans cette affaire. De plus, le paragraphe 4 de l’article 6 a été violé parce que M. Ashby avait entrepris de faire valoir son droit de demander une commutation de peine au moment où il a été exécuté.

Observations de l’État partie et commentaires du conseil

5.1 Dans des observations datées du 18 janvier 1995, l’État partie a déclaré que les autorités compétentes de son gouvernement «n’avaient pas connaissance de la requête adressée par le Rapporteur spécial en application de l’article 86 du règlement intérieur au moment où M. Ashby avait été exécuté. Le Représentant permanent de la Trinité ‑et ‑Tobago à Genève avait transmis un mémorandum, par télécopie, à 16 h 34 (heure de Genève) (10 h 34, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago), le 13 juillet 1994. Dans ce mémorandum, il était fait référence à une note du Centre pour les droits de l’homme mais la note n’était pas annexée. La communication complète soumise au nom de M. Ashby ainsi que la demande formulée par le Rapporteur spécial en application de l’article 86, n’étaient parvenues au Ministère des affaires étrangères que le 18 juillet 1994, soit quatre jours après l’exécution de M. Ashby.».

5.2 L’État partie note que, «à moins que le Comité n’ait appelé son attention sur l’urgence de la requête et sur l’imminence de l’exécution de M. Ashby, le Représentant permanent ne pouvait en aucune manière savoir que la requête devait être transmise avec la plus extrême urgence aux autorités compétentes de la Trinité ‑et ‑Tobago. Nul ne sait si le Comité a réellement indiqué au Représentant permanent que la demande était urgente.». M. Ashby a été exécuté le 14 juillet 1994, à 6 h 40 (heure de la Trinité ‑et ‑Tobago).

5.3 Selon l’État partie, la chronologie des événements qui ont précédé l’exécution de M. Ashby est la suivante: «Le 13 juillet 1994, une requête constitutionnelle a été déposée au nom de M. Ashby pour contester la constitutionnalité de l’exécution de la sentence de mort qui avait été prononcée. Les avocats de M. Ashby demandaient une ordonnance de sursis à exécution jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur la requête. La  High Court a refusé le sursis à exécution, estimant que M. Ashby n’avait présenté aucun argument valable justifiant une ordonnance conservatoire (le sursis à exécution). Un appel a été interjeté au nom de M. Ashby, assorti d’une nouvelle demande de sursis à exécution en attendant que l’appel soit tranché. Les avocats ont aussi cherché à mettre en échec la procédure établie des tribunaux de la Trinité ‑et ‑Tobago en pressentant directement le Conseil privé pour obtenir un sursis à exécution, sans attendre les décisions de la High Court et de la cour d’appel. La situation était très confuse au sujet de garanties dont on ne savait pas si le représentant du Procureur général les avait ou non données au Conseil privé et au sujet de la compétence de ce dernier pour ordonner le sursis à exécution ou une ordonnance conservatoire avant que la cour d’appel locale n’ait rendu sa décision.».

5.4 L’État partie indique ensuite que, «cherchant à préserver le statu quo, le Conseil privé a rendu une ordonnance conservatoire au cas où la cour d’appel refuserait le sursis à exécution, à 11 h 45 (heure du Royaume ‑Uni) (6 h 45 heure de la Trinité ‑et ‑Tobago), le 14 juillet 1994, soit cinq minutes après l’exécution. L’avocat de M. Ashby a indiqué à la cour d’appel, à 6 h 52 (heure de la Trinité ‑et ‑Tobago), qu’il avait reçu par télécopie un document provenant du greffe du Conseil privé faisant savoir qu’une ordonnance conservatoire avait été rendue pour le cas où la cour d’appel refuserait le sursis à exécution. L’ordonnance semblait subordonnée à un refus de la cour d’appel d’accorder le sursis à exécution.».

5.5 D’après l’État partie, «M. Ashby a été exécuté conformément à un ordre d’exécution signé par le Président, alors qu’il n’existait aucun ordre, d’une autorité judiciaire ou du Président, de surseoir à l’exécution. La Commission consultative des grâces, ayant examiné l’affaire, n’a pas recommandé de gracier M. Ashby.».

5.6 L’État partie «doute que le Comité soit compétent pour examiner la communication, du fait qu’elle a été soumise à un moment où M. Ashby n’avait pas encore épuisé les recours internes, raison pour laquelle elle devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 90». Il récuse par ailleurs l’affirmation formulée par le Comité dans sa décision rendue publique le 26 juillet 1994, selon laquelle l’État partie ne se serait pas acquitté de ses obligations en vertu du Protocole facultatif et en vertu du Pacte: «Outre que les autorités compétentes n’avaient pas connaissance de la requête [du Rapporteur spécial], l’État partie est d’avis que l’article 86 n’habilite pas le Comité à faire la requête qu’il a formulée et qu’il n’impose pas à l’État partie l’obligation de s’y conformer.».

6.1 Dans des observations du 13 janvier 1995, l’avocate de M. Ashby précise les circonstances de la mort de son client et présente de nouvelles allégations se rapportant à l’article 6 du Pacte, ainsi que des informations supplémentaires sur les plaintes initialement déposées au titre des articles 7 et 14. Elle présente ces observations à la demande expresse de Desmond Ashby, le père de Glenn Ashby, qui a prié le Comité d’examiner plus avant le cas de son fils.

6.2 Selon le conseil, la chronologie des événements est la suivante: «Le 7 juillet 1994, par l’intermédiaire de ses avocats à la Trinité ‑et ‑Tobago, Glenn Ashby a adressé une lettre à la Commission des grâces. M. Ashby sollicitait le droit d’être entendu par cet organe, indiquant que le Comité des droits de l’homme était saisi de sa communication et demandant à la Commission des grâces d’attendre les recommandations du Comité. Le 12 juillet 1994, la Commission des grâces a rejeté la requête de Glenn Ashby.». Le même jour, l’ordre fixant l’exécution au 14 juillet 1994 à 6 heures du matin a été lu à M. Ashby.

6.3 Le 13 juillet 1994, les avocats de M. Ashby à la Trinité ‑et ‑Tobago ont déposé une requête constitutionnelle auprès de la High Court pour demander une ordonnance conservatoire de sursis à exécution au motif: 1) de la durée excessive de la détention avant l’exécution de la sentence (conformément à la jurisprudence du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan ); 2) du refus de la Commission des grâces de prendre en considération les recommandations du Comité des droits de l’homme; 3) de l’intervalle, d’une brièveté sans précédent, écoulé entre la lecture de l’ordre d’exécution et la date de l’exécution. Les défendeurs étaient le Procureur général, le Directeur de l’administration pénitentiaire et le Marshal (directeur de la prison). Le 13 juillet, vers 15 h 30, heure de Londres, au cours d’une audience extraordinaire du Conseil privé, les avocats londoniens de Glenn Ashby ont demandé en son nom un sursis à exécution. Le représentant du Procureur général de la Trinité ‑et ‑Tobago a alors annoncé au Conseil privé que le condamné ne serait pas exécuté tant que toutes les voies de droit ouvertes pour obtenir le sursis à exécution, y compris les requêtes auprès de la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago et auprès du Conseil privé, ne seraient pas épuisées. Cet engagement a été consigné par écrit et signé par l’avocat de M. Ashby et par le représentant du Procureur général. Fort de cette assurance, le Conseil privé n’a rendu aucune ordonnance formelle.

6.4 Le 13 juillet également, après une audience de la High Court de la Trinité ‑et ‑Tobago, le juge a refusé le sursis à exécution. Immédiatement après, un appel a été formé et la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago a ouvert l’audience sur le recours vers 0 h 30, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago, le 14 juillet. Devant la cour d’appel, l’avocat des défendeurs a déclaré que, quelque assurance qu’ait pu recevoir le Conseil privé, Glenn Ashby serait pendu à 7 heures du matin, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago (midi, heure de Londres), à moins que la cour d’appel n’ordonne une mesure conservatoire. La cour d’appel a alors proposé de s’ajourner à 11 heures, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago, afin de se renseigner sur ce qui s’était exactement passé au Conseil privé. Les avocats de M. Ashby ont demandé une ordonnance conservatoire valable jusqu’à 11 heures, en faisant remarquer que l’exécution avait été reportée à 7 heures du matin et que l’avocat des défendeurs avait indiqué sans ambiguïté que le condamné ne pouvait en aucune manière compter sur les garanties données au Conseil privé. La cour a considéré que, dans l’intervalle, M. Ashby pouvait compter sur les assurances données au Conseil privé, et a donc refusé de rendre une ordonnance conservatoire. La cour a donc décidé de s’ajourner à 6 heures du matin. Les avocats de M. Ashby ont demandé une ordonnance conservatoire provisoire valable jusqu’à 6 heures du matin mais la cour a refusé. À aucun moment les avocats de l’État partie n’ont indiqué que l’exécution devait avoir lieu plus tôt que 7 heures du matin.

6.5 Le 14 juillet, à Londres, à 10 h 30 (heure de Londres), lors d’une audience extraordinaire du Conseil privé, le représentant du Procureur général de la Trinité ‑et ‑Tobago à Londres a signé un document, contresigné par le conseil de Glenn Ashby, rendant compte de ce qui s’était passé et de ce qui avait été dit au Conseil privé le 13 juillet. Le greffier du Conseil privé a immédiatement adressé par télécopie ce document, comportant trois pages manuscrites, à la cour d’appel et aux avocats des deux parties à la Trinité ‑et ‑Tobago. Les avocats de M. Ashby à la Trinité ‑et ‑Tobago l’ont reçu avant 6 heures du matin. Le Conseil privé a alors demandé des précisions supplémentaires sur la position du Procureur général. Comme il n’en obtenait pas, il a ordonné le sursis à exécution, vers 11 h 30, heure de Londres, enjoignant que l’exécution n’ait pas lieu. À peu près à la même heure, vers 6 h 20 à la Trinité ‑et ‑Tobago, la cour d’appel reprenait l’audience. Les avocats de Glenn Ashby ont informé la cour qu’en ce même moment le Conseil siégeait à Londres. Le conseil de M. Ashby a remis à la cour le document de trois pages reçu par télécopie.

6.6 Vers 6 h 40, les avocats de M. Ashby ont à nouveau demandé à la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago une ordonnance conservatoire. L’ordonnance conservatoire a été refusée, la cour faisant à nouveau valoir que Glenn Ashby pouvait compter sur les assurances données au Conseil privé. L’un des avocats de M. Ashby a alors produit à l’audience une transcription manuscrite d’une ordonnance de sursis à exécution émanant du Conseil privé, qui lui avait été dictée au téléphone; elle avait été rendue à 6 h 30 environ, heure de la Trinité ‑et ‑Tobago (11 h 30, heure de Londres). Peu de temps après, on a annoncé que M. Ashby avait été pendu à 6 h 40.

Décision concernant la recevabilité

7.1 À sa cinquante ‑quatrième session, en juillet 1995, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

7.2 Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 14, concernant le fait que le juge n’a pas mis en garde le jury contre le risque d’erreur qu’il y avait à compter exclusivement sur le témoignage d’un complice éventuel, le Comité rappelle que c’est aux tribunaux des États parties au Pacte et non à lui ‑même qu’il appartient au premier chef d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. Il appartient aux juridictions d’appel des États parties au Pacte et non au Comité d’examiner la conduite du procès et les instructions données au jury par le juge, à moins qu’il ne puisse être établi que l’appréciation des preuves a été à l’évidence arbitraire ou a représenté un déni de justice ou encore que le juge a manifestement manqué à son devoir d’impartialité. Dans le cas de M. Ashby, les minutes du procès ne montrent pas que le procès conduit par la cour d’assises de Port of Spain ait été entaché de telles irrégularités. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif parce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

7.3 Pour ce qui est des allégations concernant les mauvais traitements qui auraient été infligés à M. Ashby après son arrestation, l’insuffisance de la préparation de sa défense et de sa représentation en justice, le caractère contraint de ses aveux, les retards excessifs mis pour rendre la décision concernant l’appel qu’il avait formé ainsi que les conditions de sa détention, le Comité estime qu’elles ont été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité. Ces allégations, qui peuvent soulever des questions au titre de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 3 b), c), d) et g) et 5 de l’article 14, doivent donc être examinées quant au fond.

7.4 Concernant les allégations de violation de l’article 6, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie, qui a avancé que, la communication ayant été soumise alors que M. Ashby n’avait pas épuisé les recours internes, la communication devait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le conseil a fait valoir que, M. Ashby ayant été illégalement exécuté alors qu’il avait engagé des recours en justice, l’État partie est forclos à affirmer qu’il reste des recours internes à former.

7.5 Le Comité fait observer que c’était en vue d’éviter «qu’un tort irréparable» ne soit fait à l’auteur que, en application de l’article 86 du règlement intérieur, le Rapporteur spécial du Comité a formulé, le 13 juillet 1994, une demande de sursis à exécution; cette demande avait pour objet de permettre à l’auteur d’aller jusqu’au bout des recours en instance et au Comité de statuer sur la recevabilité de la communication de l’auteur. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la plainte de l’auteur au titre de l’article 6 et que, en ce qui concerne la plainte du conseil selon laquelle M. Ashby a été arbitrairement privé de la vie, il n’est pas nécessaire que le conseil épuise les recours internes disponibles avant de pouvoir saisir le Comité.

8. En conséquence, le 14 juillet 1995, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre des articles 6 et 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 3 b), c), d) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

9.1 Dans une lettre du 3 juin 1996, l’État partie présente des explications et des déclarations concernant le fond de la communication.

9.2 En ce qui concerne les mauvais traitements qu’aurait subis M. Ashby après son arrestation, l’État partie renvoie aux minutes du procès. Il indique que les allégations en question ont été formulées à propos des aveux de M. Ashby et que ce dernier a eu la possibilité de faire une déposition et a subi un contre ‑interrogatoire à ce sujet. Cet aspect de la plainte a donc été examiné par les tribunaux de l’État partie de manière impartiale, et les conclusions du tribunal doivent l’emporter.

9.3 En ce qui concerne le fait que la défense de M. Ashby n’a pas été convenablement préparée, l’État partie répond que l’avocat commis d’office, qui a représenté l’auteur, est un conseil réputé et compétent, qui plaide des affaires pénales à la Trinité ‑et ‑Tobago. L’État partie joint en annexe à sa lettre des observations de ce dernier réfutant les allégations de M. Ashby.

9.4 L’État partie réaffirme qu’en ce qui concerne les aveux passés sous la contrainte le procès a été équitable. La cour d’appel et la State Court de la Trinité ‑et ‑Tobago avaient connaissance du grief concernant les aveux et ont examiné les faits et les pièces à conviction de manière impartiale.

9.5 Quant au fait que le recours de M. Ashby a été jugé avec un retard excessif, l’État partie insiste sur la situation qui régnait à l’époque à la Trinité ‑et ‑Tobago. Il fait valoir que ces lenteurs sont dues à la pratique suivie dans tous les procès pour meurtre d’utiliser des preuves manuscrites, lesquelles doivent ensuite être dactylographiées, puis vérifiées par le juge du fond concerné, dont l’emploi du temps est par ailleurs chargé. En outre, il s’est révélé difficile de recruter des juristes ayant les compétences voulues pour occuper les fonctions de juge, au point que la Constitution a dû être modifiée pour autoriser la nomination de juges à la retraite. Quoi qu’il en soit, les juges qui siègent à la High Court ne sont pas assez nombreux face à l’augmentation des appels formés dans des affaires pénales. L’État partie explique qu’entre janvier 1994 et avril 1995, après la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan , la High Court n’a pratiquement examiné que des recours portant sur des affaires de meurtre, au détriment des recours en matière civile.

9.6 L’État partie considère que les conditions de détention de M. Ashby sont analogues à celles de tous les prisonniers détenus dans le quartier des condamnés à mort. Il appelle l’attention sur une déclaration du Directeur général des prisons, jointe à sa lettre, qui décrit les conditions de vie des prisonniers dans le quartier des condamnés à mort. L’État partie affirme que les faits en cause dans l’affaire Pratt et Morgan et le jugement rendu au Zimbabwe sont si différents de l’affaire Ashby que ces références ne sont pas d’une grande utilité, à supposer qu’elles en aient une.

9.7 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 6 du Pacte, l’État partie considère que le Comité ne devrait pas examiner cette plainte, étant donné qu’une procédure est en instance devant la High Court de la Trinité ‑et ‑Tobago concernant l’exécution de M. Ashby. Sans préjuger la question, l’État partie fait valoir que M. Ashby n’avait pas le droit d’être entendu par la Commission des grâces, vu que la préséance allait à la décision de la section judiciaire du Conseil privé 4 .

9.8 L’État partie conteste l’exposé des faits présenté par le conseil. En particulier, il est inexact que la cour d’appel ait exprimé l’avis que le conseil pouvait compter sur l’assurance donnée au Conseil privé que M. Ashby ne serait pas exécuté. Ce que la cour d’appel a déclaré, c’est qu’elle ne ferait rien tant que la section judiciaire du Conseil privé n’aurait pas statué.

9.9 Le 26 juillet 1996, le conseil a demandé au Comité de suspendre l’examen de la communication quant au fond étant donné que l’on pouvait considérer qu’un recours interne utile était devenu disponible. Le conseil a annoncé que le père de M. Ashby engageait une procédure constitutionnelle et une procédure civile contre l’État partie concernant les circonstances de l’exécution. Le 16 juillet 2001, le conseil a demandé au Comité de reprendre l’examen de l’affaire et déclaré que les avocats de la famille à la Trinité ‑et ‑Tobago n’avaient pas pu résoudre les difficultés liées aux conditions requises par la procédure en matière constitutionnelle et civile.

Examen quant au fond

10.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties.

10.2 Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les avocats de M. Ashby à la Trinité ‑et ‑Tobago ont engagé, au nom de la succession et du père du défunt, des procédures judiciaires concernant les circonstances ayant entouré l’exécution de M. Ashby. Le Comité note que les procédures civiles et constitutionnelles en question n’entrent pas en ligne de compte pour l’examen des plaintes présentées dans le cas à l’examen. Toutefois, le Comité a respecté la demande formulée par le conseil l’invitant à suspendre l’examen de la communication quant au fond (voir par. 9.9).

10.3 En ce qui concerne les allégations de brutalités et les circonstances ayant abouti à la signature des aveux, le Comité note que M. Ashby n’a pas donné de détails précis sur les incidents ni indiqué les personnes qu’il considérait comme responsables. Toutefois, les minutes du procès qui ont été communiquées par l’État partie donnent des indications sur ses allégations. Le Comité relève que les allégations de M. Ashby ont été examinées par le tribunal trinidadien et qu’il a eu la possibilité de déposer et a subi un contre ‑interrogatoire. Ses allégations ont également été mentionnées dans l’arrêt de la cour d’appel. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties, et non à lui ‑même, d’apprécier les faits dans un cas d’espèce. Les éléments portés à la connaissance du Comité et les arguments invoqués par l’auteur ne montrent pas que l’appréciation des faits par les tribunaux ait été manifestement arbitraire ou ait représenté un déni de justice 5 . Le Comité estime qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.

10.4 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteur n’aurait pas été convenablement représenté en justice et sa défense n’aurait pas été convenablement préparée pour le procès et en appel, le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que l’État partie ne peut être tenu pour responsable du comportement de l’avocat de la défense, sauf si le juge avait constaté ou aurait dû constater que la conduite de l’avocat était incompatible avec l’intérêt de la justice 6 . Dans le cas à l’examen, le Comité n’a aucune raison de penser que l’avocat n’avait pas fait ce qui lui paraissait le mieux. Il ressort des minutes du procès que l’avocat a procédé à un contre ‑interrogatoire de tous les témoins. En outre, l’arrêt rendu en appel montrait que les moyens avancés par l’avocat avaient été examinés et pleinement pris en compte par la High Court dans l’exposé des motifs. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que l’avocat ou l’auteur se soit jamais plaint au juge de n’avoir pas eu assez de temps pour préparer la défense. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du Pacte à cet égard.

10.5 Le conseil fait également valoir que le recours de M. Ashby a été jugé avec un retard excessif. Le Comité note que la cour d’assises de Port of Spain a reconnu M. Ashby coupable de meurtre et l’a condamné à mort le 20 juillet 1989 et que la cour d’appel a confirmé la condamnation le 20 janvier 1994. M. Ashby est resté en détention pendant ce temps. Le Comité prend note des explications fournies par l’État partie concernant la lenteur de la procédure d’examen du recours de M. Ashby. Le Comité constate que l’État partie n’a pas déclaré que cette lenteur de la procédure était due au fait de l’accusé et estime que le manquement à cette règle n’est pas justifié par la complexité de l’affaire. L’insuffisance des effectifs et l’arriéré des dossiers en souffrance ne sont pas des justifications suffisantes à cet égard 7 . En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que l’intervalle de quatre ans et demi environ entre le jugement et l’arrêt de la cour d’appel n’était pas compatible avec les dispositions des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

10.6 En ce qui concerne les conditions de détention de M. Ashby (voir par. 4.4), le Comité réaffirme sa jurisprudence constante en la matière, à savoir que le fait d’être détenu dans le quartier des condamnés à mort pendant une période déterminée, en l’absence d’autres circonstances impérieuses, n’est pas en soi une violation de l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 en l’espèce.

10.7 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les conditions de détention de M. Ashby constituent une violation de l’article 10 du Pacte, le Comité note qu’après sa décision concernant la recevabilité, aucun élément nouveau n’a été soumis pour étayer cette allégation de M. Ashby. Par conséquent, le Comité n’est pas en mesure de conclure à une violation de l’article 10 du Pacte.

10.8 Enfin, le conseil affirme que M. Ashby a été arbitrairement privé de la vie lorsque l’État partie l’a fait exécuter alors qu’il était parfaitement informé du fait que M. Ashby avait engagé des procédures de recours devant la cour d’appel de l’État partie, la section judiciaire du Conseil privé et le Comité des droits de l’homme. Le Comité estime que, dans ces circonstances (voir plus haut les paragraphes 6.3 à 6.6), l’État partie n’a pas respecté les obligations contractées en vertu du Pacte. En outre, compte tenu du fait que le représentant du Procureur général a annoncé au Conseil privé que M. Ashby ne serait pas exécuté tant que toutes les voies de droit ouvertes pour obtenir le sursis à exécution ne seraient pas épuisées, l’exécution de M. Ashby en dépit de l’assurance qui avait été donnée constituait une violation du principe de bonne foi qui gouverne la conduite de tous les États dans l’accomplissement de leurs obligations découlant des traités internationaux, notamment du Pacte. Exécuter M. Ashby alors qu’il n’avait pas été statué sur les recours formés contre l’exécution de la peine constituait une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte.

10.9 Touchant l’exécution de M. Ashby, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, toute violation éventuelle des droits énoncés par le Pacte mise à part, l’État partie commet un manquement grave à ses obligations au titre du Protocole facultatif si ses actes ont pour effet d’empêcher ou de rendre inopérant l’examen par le Comité d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou de faire en sorte que son examen par le Comité soit controversé et que l’expression des constatations soit inutile et futile 8 . Par son attitude, l’État partie a manqué de manière choquante à l’obligation de faire preuve de la plus élémentaire bonne foi à l’égard du Pacte et du Protocole facultatif.

10.10 Le Comité estime que l’État partie a agi en violation des obligations contractées en vertu du Protocole en procédant à l’exécution de M. Ashby avant que le Comité puisse achever l’examen de la communication et formuler ses constatations. L’État est particulièrement inexcusable d’avoir agi ainsi alors que le Comité lui avait demandé, en vertu de l’article 86 du règlement intérieur, de ne pas procéder à l’exécution. Agir au mépris du règlement intérieur, en prenant des mesures irréversibles, notamment en procédant à l’exécution de la victime présumée, porte atteinte à la protection conférée par le Protocole facultatif aux droits énoncés dans le Pacte.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14.

12. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, M. Ashby aurait eu droit à un recours utile, afin, en premier lieu, d’avoir la vie sauve. Une indemnisation adéquate devrait être accordée aux membres survivants de sa famille.

13. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Trinité ‑et ‑Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet, le 27 juin 2000 9 ; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui ‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

B. Communication n o 641/1995, Gedumbe c. République démocratique du Congo (constatations adoptées le 9 juillet 2002, soixante ‑quinzième session) *

Présentée par :

Nyekuma Kopita Toro Gedumbe

Au nom de :

Le requérant

État partie :

République démocratique du Congo

Date de la décision concernant la recevabilité :

1 er  août 1997

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  641/1995 présentée par M.  Nyekuma Kopita Toro Gedumbe en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du protocole facultatif

1. Le requérant est M. Nyekuma Kopita Toro Gedumbe, citoyen de la République démocratique du Congo (ex ‑Zaïre), résidant à Bujumbura (Burundi). Il se déclare victime de la violation par la République démocratique du Congo (ex ‑Zaïre) des paragraphes 1 et 3 de l’article 2; des articles 7, 14 et 17; du paragraphe 1 de l’article 23; des alinéas  a et c de l’article 25; et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le requérant était depuis 1985 Directeur du groupe scolaire consulaire zaïrois de Bujumbura (Burundi). En 1988, il a été révoqué par Mboloko Ikolo, alors Ambassadeur du Zaïre au Burundi. Les motifs de la révocation seraient une plainte adressée par le requérant et par d’autres membres du personnel de l’école 1 à plusieurs hauts dignitaires zaïrois, dont le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères, pour dénoncer le détournement par M. Ikolo des traitements du personnel du groupe scolaire consulaire. Dans le cas particulier du requérant, l’ambassadeur se serait emparé de son salaire pour le contraindre à lui céder son épouse.

2.2 En mars 1988, le Zaïre a dépêché à Bujumbura une commission d’enquête qui aurait fait un rapport accablant sur l’ambassadeur et confirmé toutes les accusations portées contre lui. En août 1988, le Ministre zaïrois des affaires étrangères a enjoint M. Ikolo de payer l’intégralité des traitements au requérant, lequel avait été entre-temps muté à l’école consulaire de Kigali (Rwanda) pour en prendre la direction. L’ambassadeur, qui aurait refusé d’obtempérer, aurait été suspendu de ses fonctions et rappelé au Zaïre le 20 juin 1989.

2.3 En septembre 1989, le Ministère de l’enseignement primaire et secondaire a pris un arrêté ordonnant la réintégration du requérant dans ses fonctions à Bujumbura. Le requérant est donc retourné au Burundi pour y prendre ses fonctions. Ultérieurement, M. Ikolo qui, bien que suspendu, était resté à Bujumbura jusqu’au 20 décembre 1989, a informé les autorités zaïroises que le requérant était membre d’un réseau d’opposants politiques au Gouvernement zaïrois. M. Ikolo avait donc prié les autorités burundaises d’expulser le requérant. C’est pourquoi, selon le requérant, M. Ikolo et son successeur à l’ambassade, M. Vizi Topi, ont refusé de le réintégrer dans ses fonctions même après avoir reçu confirmation du Ministre de l’enseignement primaire et secondaire, et se sont également opposés à verser l’arriéré de ses traitements.

2.4 Le requérant s’est adressé au Procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Uvira qui a renvoyé le dossier au Procureur général près la cour d’appel de Bukavu le 25 juillet 1990. Les deux parquets ont constaté que les faits constituaient un abus de pouvoir et ont réprouvé la conduite de l’ancien ambassadeur. Le 14 septembre 1990, l’affaire a été, à nouveau, renvoyée pour avis au parquet de Kinshasa où la plainte a été enregistrée en février 1991. Depuis lors, malgré de nombreux rappels, aucune suite n’a été donnée. Le requérant s’est donc adressé au Ministre de la Justice et au Président de l’Assemblée nationale. Ce dernier a intercédé auprès du Ministre des affaires étrangères et du Ministre de l’éducation nationale qui seraient intervenus en faveur du requérant auprès de M. Vizi Topi, mais en vain.

2.5 Le 7 octobre 1990, le requérant a porté plainte contre M. Ikolo pour adultère, dénonciation calomnieuse et accusation préjudiciable, abus de pouvoir et détournement de fonds privés. Par lettre du 24 octobre 1990, le Président de la cour d’appel de Kinshasa a informé le requérant que M. Ikolo, en tant qu’ambassadeur, bénéficie d’une immunité de fonction et ne peut être traduit en justice que sur plainte du Procureur général. Le requérant a adressé de nombreuses plaintes au Procureur lui demandant d’engager des poursuites contre M. Ikolo, mais à ce jour rien n’a été fait. Selon le requérant, cette inertie tient au fait qu’il faut une autorisation spéciale du Président de la République pour engager des poursuites contre des membres des services de sécurité et que le Procureur ne peut donc pas prendre le risque de poursuivre M. Ikolo, lequel est également un haut cadre du Service national d’intelligence et de la protection. Par conséquent, cette affaire ne peut être tranchée par la voie judiciaire. Le requérant fait valoir que, dans ces conditions, tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1 Le requérant fait valoir que la privation arbitraire de son emploi, le détournement de son traitement et la déstabilisation de sa famille qui ont résulté de la situation équivalent à une torture et à un traitement cruel et inhumain. Il ajoute que le Gouvernement, représenté par le parquet, lui dénie le droit à un procès équitable et public par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi.

3.2 Le requérant indique en outre que sa famille a été déstabilisée par la conduite immorale de l’ambassadeur qui aurait eu des relations adultères avec son épouse, en violation de l’article 17 du Pacte. Il ajoute que, en raison des difficultés qu’il traverse depuis sa révocation, sa famille ne bénéficie pas de la protection à laquelle le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte lui donne droit.

3.3 Le requérant fait valoir que, parce qu’il est directeur d’une école publique empêché d’exercer ses fonctions, les droits qui lui sont reconnus aux alinéas  a et c de l’article 25 ont été violés. Il affirme, par ailleurs, être victime d’une violation de l’article 26 du Pacte dans la mesure où il a été suspendu de la fonction publique sans que des sanctions disciplinaires lui aient été infligées, par conséquent en violation de la loi. À cet égard, il affirme que le fait que le Gouvernement n’ait pas obligé l’ambassadeur à l’autoriser à reprendre ses fonctions, même après une réintégration officielle dans son poste, constitue une violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte.

3.4 Le requérant précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 À sa soixantième session en juillet ‑août 1997, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

4.3 Le Comité a estimé que la plainte du requérant selon laquelle les faits tels qu’il les a décrits constituent une violation des articles 7, 17 et 23, ainsi que de l’alinéa  a de l’article 25 du Pacte, n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication a donc été déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4 Le Comité a également considéré que, en l’absence de toute information soumise par l’État partie, la plainte du requérant selon laquelle il s’est vu refuser l’accès à la fonction publique et l’égalité devant la loi et les tribunaux parce que l’État partie n’a pas fait appliquer ses décisions de remboursement au requérant de l’arriéré de ses traitements et de réintégration dans son poste et puisqu’il est empêché de saisir les tribunaux de sa plainte, peut soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14, de l’alinéa  c de l’article 25, et de l’article 26 du Pacte, qui méritent d’être examinées quant au fond. Le 1 er  août 1997, le Comité a donc déclaré recevable cette partie de la communication.

Examen quant au fond

5.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il constate que, s’il a reçu suffisamment d’informations de la part du requérant, l’État partie, en dépit de rappels qui lui ont été adressés, ne lui a fourni aucune réponse tant sur la recevabilité que sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif un État partie est tenu de coopérer en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Comme l’État partie ne s’est pas montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux allégations du requérant dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2 Eu égard au grief de violation de l’alinéa  c de l’article 25 du Pacte, le Comité note que le requérant a formulé des allégations précises relatives, d’une part, à sa révocation en dehors de toute procédure légale et en particulier en violation du statut zaïrois régissant les agents de l’État, et d’autre part à sa non-réintégration dans ses fonctions contrairement aux décisions du Ministère de l’enseignement primaire et secondaire. À cet égard, le Comité relève également que le non ‑paiement des arriérés de traitements du requérant, malgré les instructions du Ministre des affaires étrangères, est la conséquence directe de l’absence de mise en application des décisions des autorités ci ‑dessus mentionnées. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, le Comité estime que les faits, dans le cas d’espèce, montrent que les décisions des autorités en faveur du requérant n’ont pas été suivies d’effet et ne peuvent être considérées comme un remède satisfaisant au regard des articles 2 et 25 c) combinés du Pacte.

5.3 Dans la mesure où le Comité a constaté que le requérant ne disposait pas d’un recours utile pour faire valoir ses droits devant un tribunal (art. 2 et 25 c) combinés du Pacte), la question relative à la conformité d’un tel tribunal au regard de l’article 14 du Pacte n’a pas lieu de se poser. Quant à l’article 26 du Pacte, le Comité a répondu à l’argumentation du requérant en retenant une violation de l’article 25 c).

6.1 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font appara î tre des violations par la République démocratique du Congo des articles 2 et 25 c) combinés du Pacte.

6.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que le requérant a droit à un recours utile qui doit prendre la forme: a) d’une réintégration effective dans la fonction publique, à son poste avec toutes les conséquences que cela implique, ou le cas échéant à un poste similaire 2 ; et b) d’une indemnisation calculée sur la base d’une somme équivalant au paiement des arriérés de traitements et de la rémunération qu’il aurait perçue depuis la période où il n’a pas été réintégré dans ses fonctions considérée à partir de septembre 1989 3 .

6.3 Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif la République démocratique du Congo a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Aussi le Comité souhaite ‑t ‑il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

C. Communication n o  667/1995, Ricketts c. Jamaïque (constatations adoptées le 4 avril 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Hensley Ricketts (représenté par le cabinet d’avocats londonien Simons Muirhead & Burton)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Jamaïque

Date de la communication :

4 avril 1995 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :

30 avril 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  667/1995 présentée par M. Hensley Ricketts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Hensley Ricketts, citoyen jamaïcain détenu au Centre de redressement de South Camp à Kingston (Jamaïque). Il se dit victime de violations par

la Jamaïque 1 des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, et des paragraphes 1, 2 et 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été reconnu coupable du meurtre, commis le 9 mars 1983, d’un certain Clinton Campbell et condamné à la peine capitale le 31 octobre 1983 par la Circuit Court de Lucea (Hanover). Il a déposé une demande d’autorisation de faire appel de la condamnation. La cour d’appel de la Jamaïque l’a débouté le 20 décembre 1984. Bien qu’un projet de requête constitutionnelle ait été préparé en juin 1986 et que le conseil ait adressé plusieurs demandes à l’avocat jamaïcain M e Daly jusqu’en mars 1994, ladite requête n’a jamais été déposée. Toutefois, en 1994, l’auteur a déposé une demande d’autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé, demande qui a été rejetée le 15 janvier 1995. Tous les recours internes auraient ainsi été épuisés. Depuis janvier 1993, le crime pour lequel l’auteur a été reconnu coupable n’entraîne plus, en vertu de la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, la peine capitale et la peine de l’auteur a été commuée en une peine d’emprisonnement à vie.

2.2 Lors du procès, un certain McKenzie a déclaré avoir vu l’auteur, qu’il connaissait, se joindre à un groupe de trois personnes, M. Campbell et deux autres hommes, dans la nuit du 9 mars 1983. Une rixe avait éclaté entre l’auteur et M. Campbell, puis ce dernier était reparti chez lui en courant, suivi des trois autres hommes. M. McKenzie avait alors entendu «hurler» et était allé chez M. Campbell où il avait vu la mère de celui ‑ci demander une voiture pour l’emmener à l’hôpital. M. McKenzie avait fait une déclaration à l’agent de police Blake sur ce qu’il avait vu. M me  Campbell a témoigné que son fils était revenu blessé, qu’il s’était effondré par terre et qu’elle avait demandé une voiture. Le docteur Carlton Jones, qui a autopsié le cadavre de M. Campbell, a déclaré que la victime devait avoir succombé environ une demi ‑heure après avoir été blessée par un instrument tranchant. L’agent de police Blake, qui a procédé à l’arrestation, a déclaré que l’auteur, lorsqu’il a été arrêté, avait reconnu avoir agressé M. Campbell. L’auteur a déclaré, sans prêter serment, qu’il s’était disputé avec la victime à propos de drogue et que celui ‑ci avait commencé à lui donner des coups de machette. L’auteur s’était précipité au poste de police où on lui a dit de revenir le lendemain. Lorsqu’il est revenu au poste de police, il a été inculpé de meurtre par l’agent de police Blake. Il a nié avoir tué M. Campbell.

2.3 Le 31 octobre 1983, l’auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à la peine capitale par la Circuit Court de Lucea. L’unanimité du verdict du jury était exigée, mais l’auteur affirme que quatre des 12 jurés étaient en désaccord avec le Président du jury et que celui-ci a menti au tribunal et lui a fait croire que le jury était unanime. Le 1 er novembre 1983, quatre jurés ont présenté des déclarations écrites sous serment disant qu’ils n’étaient pas d’accord avec le verdict.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur déclare être victime d’une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. L’article 44 1) de la loi jamaïcaine sur la constitution des jurys dispose que l’unanimité du verdict du jury est nécessaire pour la condamnation pour meurtre ou l’acquittement de toute personne accusée de meurtre. L’auteur maintient que, contrairement à ce que cette loi exige, le jury de la Circuit Court de Lucea n’était pas unanime. Cependant, le Président du jury a déclaré que les jurés étaient parvenus à un verdict unanime et que le jury avait conclu à la culpabilité de l’auteur. Le 1 er  novembre 1983, lendemain de la condamnation, l’avocat plaidant, M e  Eric Frater, a reçu quatre déclarations écrites sous serment par quatre des jurés disant qu’ils n’avaient pas estimé l’auteur coupable et que deux d’entre eux avaient protesté au tribunal contre la déclaration du Président en secouant la tête et l’un d’entre eux en lançant des cris lorsque le Président a donné lecture du verdict. L’auteur avait donc été reconnu coupable par 8 seulement des 12 jurés. Le conseil déclare que le tribunal a négligé de rappeler au jury que son verdict devait être unanime et que le fait que le tribunal n’ait pas reconnu qu’il y avait visiblement désaccord parmi les jurés a constitué un déni de la présomption d’innocence à l’égard de l’auteur. Devant la cour d’appel, l’auteur a été représenté par un nouveau conseil, M me  J. Nosworthy, désignée par le tribunal, alors que jusque ‑là il avait été représenté par un avocat de son choix. La question de l’unanimité des jurés n’a pas été soulevée car M me  J. Nosworthy en ignorait l’existence.

3.2 L’auteur affirme en outre être victime d’une violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Le droit de l’auteur à la défense n’a pas été respecté car l’avocate désignée par la cour d’appel jamaïcaine pour le représenter devant cette juridiction ne l’avait jamais rencontré avant l’audience, n’avait jamais pris contact avec l’ancien avocat et, par conséquent, n’avait pas efficacement et valablement représenté l’auteur.

3.3 L’auteur affirme également être victime d’une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte. Il relève à ce propos avoir passé plus de neuf ans dans le quartier des condamnés à mort avant que sa peine soit commuée. Si la condamnation avait été exécutée, il y aurait eu privation arbitraire de la vie en raison des circonstances dans lesquelles le verdict de culpabilité avait été rendu. En outre, le droit de l’auteur à la vie n’avait pas été protégé par la loi durant toute cette période.

3.4 Le conseil de Londres explique que lorsqu’il a été saisi de l’affaire de l’auteur en janvier 1986, il a tenté de déposer une requête constitutionnelle au nom de l’auteur par l’intermédiaire du conseil jamaïcain M e Daly. Toutefois, en dépit de ses demandes répétées jusqu’en mars 1994, la requête constitutionnelle n’a jamais été déposée. Il affirme donc que ce recours constitutionnel, qui existe dans la théorie, n’est dans la pratique pas ouvert à l’auteur parce que celui ‑ci, sans ressources, ne peut bénéficier d’une assistance judiciaire. Il renvoie à ce sujet à la jurisprudence du Comité.

3.5 Il est précisé que la même affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie

4.1 Dans sa réponse du 11 janvier 1996, l’État partie rejette l’allégation selon laquelle il y aurait eu, dans le cas de l’auteur, violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 en raison des neuf années que l’auteur a passées dans le quartier des condamnés à mort avant que sa condamnation ne soit commuée en peine de prison à vie assortie de la recommandation que le condamné purge 15 années de sa peine avant de pouvoir prétendre à une libération conditionnelle.

4.2 S’agissant de l’allégation de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, parce que quatre jurés n’étaient pas d’accord avec le verdict, l’État partie a noté que les quatre jurés en question avaient fait des déclarations écrites sous serment disant qu’ils avaient exprimé leur désaccord au conseil de l’auteur le jour de la fin du procès, le 30 novembre 1983. Le Ministère considère que ces allégations sont extrêmement sérieuses et justifient une enquête approfondie. La question fera l’objet d’une enquête et le Comité sera informé des conclusions.

4.3 Quant à l’allégation de violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du fait qu’en appel l’avocate n’a pas invoqué l’absence d’unanimité du jury, l’État partie rejette toute responsabilité à cet égard. Il déclare qu’il est tenu de fournir un défenseur compétent, mais qu’il n’est pas responsable de la conduite de l’affaire par ce dernier.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires datés du 13 février 1996, le requérant affirme que l’application de la peine de mort à l’auteur aurait constitué une privation arbitraire de la vie du fait des circonstances entourant le verdict prononcé par le jury. L’auteur estime comme l’État partie que l’absence d’unanimité du jury est une affaire grave qui mérite une enquête approfondie.

5.2 En ce qui concerne la représentation de l’auteur en appel, le conseil déclare qu’une représentation efficace devrait être assurée dans toutes les affaires où l’accusé encourt la peine capitale. Étant donné que l’État partie est tenu de fournir un défenseur compétent, ce dernier doit nécessairement être considéré comme responsable de la manière dont ce défenseur conduit l’affaire afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’une représentation efficace.

Décision concernant la recevabilité

6. À sa soixante ‑cinquième session, en mars 1999, le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre des articles 6 et 14 du Pacte. Le Comité a également décidé que, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie serait prié de lui soumettre par écrit, dans les six mois suivant la date à laquelle la décision lui serait notifiée, des explications ou déclarations éclairant la question et indiquant les mesures qu’il pourrait avoir prises. L’État partie a été en particulier prié de communiquer au Comité les résultats de ses enquêtes et de fournir une copie des moyens d’appel invoqués par le premier avocat de l’auteur.

Délibérations du Comité

7.1 Le Comité a examiné cette communication compte tenu des informations écrites soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité déplore le manque de coopération de l’État partie, qui n’a pas fourni les résultats des enquêtes mentionnées dans ses observations de janvier 1996 (par. 4.2). Malgré deux rappels envoyés à l’État partie, aucune information complémentaire n’a été reçue par le Comité.

7.2 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il serait victime d’une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte parce qu’il a été reconnu coupable et condamné par un jury non unanime, le Comité note qu’après le procès, quatre membres du jury de la Circuit Court de Lucea ont présenté des déclarations écrites sous serment disant qu’ils n’avaient pas souscrit au verdict, bien qu’ils aient concédé qu’ils n’avaient pas fait savoir verbalement qu’ils étaient d’une opinion différente lorsque le Président du jury avait annoncé que le verdict avait été accepté par tous les jurés. Le Comité constate que la question présentée par les déclarations écrites sous serment par les jurés a été portée en appel devant la section judiciaire du Conseil privé, qui a rejeté la requête. Le Comité note en outre que l’allégation d’absence d’unanimité n’a pas été soulevée devant le juge de première instance ni devant la cour d’appel. En l’espèce, le Comité ne peut conclure à une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte.

7.3 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’aurait pas été convenablement représenté lors de l’audience en appel, le Comité note que l’avocate désignée pour représenter l’auteur devant la cour d’appel n’avait pas, avant l’audience en appel, pris contact avec l’auteur ou l’avocat que celui ‑ci avait choisi pour le représenter en première instance. Néanmoins, bien qu’il incombe à l’État partie de fournir une représentation judiciaire effective, il n’appartient pas au Comité de décider si tel a bien été le cas, à moins qu’il y ait eu une erreur judiciaire évidente. En l’espèce, le Comité ne peut conclure à une violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14.

7.4 En conséquence, le Comité considère qu’il n’y a pas eu non plus violation de l’article 6 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Cecilia Medina Quiroga et de M. Martin Scheinin (dissidente)

À notre avis, le Comité aurait dû dans cette affaire conclure à une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et, en conséquence, de l’article 6. Dans son unique réponse au Comité, l’État partie a décrit l’allégation de l’auteur selon laquelle il y avait eu en réalité visiblement désaccord parmi les jurés (voir le paragraphe 3.1) comme «étant extrêmement sérieuse» et a promis qu’elle ferait l’objet d’une «enquête approfondie». L’État partie n’a fourni aucune autre information.

Eu égard aux circonstances évoquées au paragraphe 3.2 et compte tenu du fait que la section judiciaire du Conseil privé n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles elle a décidé de rejeter le recours de l’auteur, le Comité ne dispose pas d’éléments qui montreraient que la question de savoir s’il y a eu «visiblement désaccord» parmi les jurés a été examinée par un organe judiciaire, pas plus que d’informations sur le point de savoir si le problème aurait pu être soulevé devant une autre instance.

En l’absence d’explications de la part de l’État partie, notamment après la promesse faite par celui ‑ci de mener une enquête sur la question et d’informer le Comité en conséquence, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

( Signé ) Cecilia Medina Quiroga ( Signé ) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (dissidente)

Mon opinion individuelle dissidente est fondée sur les points exposés ci ‑après.

En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il serait victime d’une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, étant donné que l’État partie ne lui a fourni aucune information, le Comité doit accorder tout le crédit voulu aux déclarations de l’auteur, corroborées par d’autres éléments. Ainsi il note avec préoccupation que le lendemain du jour où le Président du jury a présenté le verdict comme étant le résultat d’une décision unanime, quatre membres du jury ont démenti cette affirmation en certifiant dans des déclarations écrites sous serment qu’ils avaient exprimé leur désaccord et deux ont donné publiquement des preuves convaincantes de leur désaccord quand le verdict a été annoncé. De surcroît, le Comité n’a pas reçu les résultats de l’enquête que l’État partie lui ‑même avait annoncé qu’il mènerait compte tenu de la gravité des implications de ces déclarations, puisque la peine de mort ne peut être prononcée que si la décision est unanime. Par conséquent, le Comité estime qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte.

Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’aurait pas été convenablement représenté lors de l’audience en appel, le Comité note avec préoccupation que l’avocate désignée pour représenter l’auteur devant la cour d’appel n’avait pas pris contact avec l’auteur, pas plus que l’avocat que celui ‑ci avait choisi pour le représenter en première instance, avant l’audience en appel. L’auteur n’a donc pas pu donner à son avocate des informations fondamentales et des instructions nécessaires pour plaider en appel, notamment en ce qui concerne le désaccord de certains membres du jury. La possibilité de communiquer avec son défenseur constitue l’une des garanties auxquelles toute personne accusée a droit, conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

D. Communication n o  677/1996, Teesdale c. Trinité-et-Tobago (constatations adoptées le 1 er avril 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Kenneth Teesdale (représenté par le cabinet d’avocats londonien Nabarro Nathanson)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

16 mars 1995 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :

23 octobre 1998

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  677/1996 présentée par M. Kenneth Teesdale en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Kenneth Teesdale, citoyen trinidadien, actuellement incarcéré à la prison d’État de Port of Spain (Trinité ‑et ‑Tobago). Il se dit victime de violations par la Trinité ‑et ‑Tobago des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par le cabinet d’avocats Nabarro Nathanson à Londres.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 28 mai 1988, l’auteur a été arrêté par la police et conduit à l’hôpital. Il en est sorti le 31 mai 1988 et, le 2 juin 1988, il a été officiellement inculpé du meurtre de son cousin «Lucky» Teesdale, commis le 27 mai 1988. À l’issue d’un procès qui a débuté le 6 octobre 1989, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à mort, le 2 novembre 1989, par la cour d’assises de San Fernando. Il a demandé l’autorisation de faire appel de sa condamnation et de sa peine. La cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago l’a débouté le 22 mars 1994, exposant les motifs le 26 octobre 1994. Le 13 mars 1995, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa demande d’autorisation spéciale de recours. Le 8 mars 1996, notification lui a été donnée d’un ordre d’exécution pour le 13 mars. Le 11 mars, l’auteur a déposé une requête constitutionnelle contre son exécution devant la Haute Cour, qui lui a accordé un sursis. Le Procureur général a dessaisi la Haute Cour de l’affaire et l’a soumise au Comité consultatif sur l’octroi de la grâce. Le 26 juin, l’auteur a été informé que, sur décision du Président, la peine de mort prononcée contre lui avait été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés. D’après l’auteur, tous les recours internes ont ainsi été épuisés.

2.2 La thèse de l’accusation était que l’auteur, en présence d’un certain E. Stewart et d’un certain S. Floyd, avait attaqué son cousin avec un coutelas dont il lui avait donné plusieurs coups et que la victime avait succombé à une hémorragie massive. Au procès, les deux témoins à charge, M. Stewart et M. Floyd, ont déclaré que, le 27 mai 1988, l’auteur s’était approché de la victime qui travaillait dans une distillerie clandestine de rhum. Les témoins étaient assis sur un tronc d’arbre à côté de la distillerie et buvaient du rhum. Apparemment sans raison, l’auteur avait tiré un coutelas et s’était mis à frapper la victime à mort. Stewart et Floyd s’étaient enfuis mais n’avaient alerté personne ni prévenu la police. Le corps de la victime avait été retrouvé plus tard à environ 300 mètres de la distillerie.

2.3 Un des policiers chargés de l’enquête a déclaré à l’audience que, dans la soirée du 27 mai 1988, après avoir reçu un rapport concernant cet incident, il avait rencontré l’auteur dans la rue, et que celui ‑ci avait pris la fuite; à ce moment ‑là, il n’avait pas remarqué de plaies sur le corps de l’auteur. Il l’avait revu le lendemain matin devant le poste de police, assis dans un camion, les mains attachées avec un morceau de corde; il avait une blessure qui saignait à l’arrière de la tête ainsi qu’au bras droit. L’auteur avait expliqué au policier qu’il avait été blessé un peu plus tôt ce matin ‑là et que des gens du village l’avaient amené au poste de police.

2.4 L’auteur a fait une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment, reconnaissant qu’il se trouvait en compagnie de la victime et des témoins l’après ‑midi du 27 mai 1988. Selon sa version des faits, une querelle avait éclaté entre la victime et Stewart, et ce dernier avait alors menacé la victime en brandissant un coutelas. L’auteur avait essayé de s’interposer et avait été frappé au coude droit; il avait alors pris la fuite. Il était tombé et avait perdu connaissance et quand il avait repris conscience le lendemain matin il se trouvait en pleine campagne. Il avait alors arrêté une camionnette qui l’avait conduit au poste de police et dont le chauffeur avait pansé ses plaies avec des chiffons. Dès qu’il était arrivé, il avait été transporté à l’hôpital.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Entre son arrestation et la date du procès, c’est ‑à ‑dire pendant près d’un an et demi, l’auteur est resté en détention. Il était incarcéré dans une cellule d’environ 3,5 m x 2,5 m, dans des conditions d’insalubrité totale, étant donné qu’il n’y avait pas de lumière du jour, pas de ventilation, que les détenus devaient uriner et déféquer où ils pouvaient dans la cellule, qu’il n’y avait pas de literie et aucun point d’eau pour se laver. Après avoir été condamné à mort, l’auteur a été incarcéré dans des conditions analogues (cellule de 3 m x 2,5 m), avec pour tout éclairage une ampoule au plafond allumée de jour comme de nuit. Il ne reçoit pas de visites et vit dans une grande promiscuité. Pour consulter son avocat, il est placé dans un box d’environ 1 m de côtés, menottes aux poignets. Au moins deux gardiens, qui se tiennent immédiatement derrière l’avocat, assistent à la visite. En outre, l’auteur n’a eu d’examen ophtalmologique qu’en septembre 1996 alors que ses lunettes n’étaient plus adaptées depuis 1990. L’auteur affirme que les autorités pénitentiaires l’ont empêché d’aller chercher lui ‑même ses nouvelles lunettes et que celles qui lui ont été prescrites ne lui corrigeaient pas suffisamment la vue.

3.2 L’auteur fait également valoir que la durée prolongée de sa détention dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de l’article 7.

3.3 En outre, l’auteur affirme qu’il est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, puisqu’il a été maintenu en détention provisoire pendant près d’un an et demi avant d’être jugé le 6 octobre 1989.

3.4 Il est affirmé aussi que l’auteur a été privé des droits qui lui sont reconnus par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur fait valoir à cet égard qu’il n’aurait pas dû être poursuivi étant donné qu’il n’avait pas été enquêté sur des faits importants et que les preuves n’étaient pas suffisantes pour le condamner. Il signale en particulier qu’il n’y avait aucune trace de sang entre la distillerie et l’endroit où le cadavre avait été retrouvé. De plus, au moment de son arrestation, le 28 mai 1988, on lui avait dit qu’il était retenu pour aider la police dans son enquête.

3.5 En outre, le juge aurait donné des instructions erronées au jury au sujet du témoignage de Stewart, en s’abstenant de signaler qu’il fallait tenir compte du fait que le témoin avait de toute évidence intérêt à ce que l’auteur soit condamné. De plus, le juge n’avait pas soumis au jury la question de l’incidence de l’état d’ébriété de la victime et des témoins, alors qu’il existait des éléments suffisants permettant d’affirmer qu’ils étaient ivres au moment des faits. Par ailleurs, l’exposé final du juge aurait été nettement partial au détriment de l’auteur.

3.6 L’auteur n’aurait jamais vu d’avocat avant l’ouverture du procès. À l’audience, un avocat commis au titre de l’aide judiciaire avait été désigné et les avocats ont conseillé à l’auteur de faire une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment, menaçant de renoncer à l’aider s’il ne le faisait pas. Il y aurait là violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

3.7 Pour l’audience en appel, un avocat aurait été commis d’office en décembre 1993, mais aurait été récusé par l’auteur, lequel arguait que cet avocat venait de finir ses études de droit et ignorait tout de l’affaire. L’auteur aurait informé le bureau de l’aide judiciaire de son opposition, mais l’avocat commis d’office aurait continué de le représenter sans jamais le consulter. L’auteur n’a pas eu la possibilité de donner des instructions à son avocat et n’a pas assisté à l’audience en appel. L’auteur n’aurait donc pas bénéficié d’un recours utile, en violation du paragraphe 5 de l’article 14.

3.8 Il est précisé que la même question n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.9 En ce qui concerne la commutation, en juin 1996, de la peine capitale prononcée contre lui, l’auteur se plaint que la décision du Président de le condamner à une peine de 75 ans de travaux forcés était illégale et discriminatoire. Il renvoie à la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans les affaires Earl Pratt et Ivan Morgan et Lincoln Anthony Guerra et affirme que sa peine aurait dû être commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il fait valoir que 53 autres détenus, qui étaient incarcérés dans le quartier des condamnés à mort pour meurtre depuis plus de cinq ans, avaient vu leur peine commuée en emprisonnement à perpétuité, de sorte que, selon l’auteur, ils pourraient bénéficier d’une libération conditionnelle au bout de 12 à 15 ans, alors que lui ne le pouvait pas.

Délibérations du Comité

4. La communication a été transmise à l’État partie le 12 janvier 1996, et celui ‑ci a été prié de faire parvenir toutes observations concernant la recevabilité de la communication le 12 mars 1996 au plus tard. Le 4 octobre 1996, l’État partie a informé le Comité que la peine capitale avait été commuée, dans le cas de l’auteur et dans quatre autres affaires soumises au Comité, en une peine de 75 ans de travaux forcés. Le Comité n’a reçu aucune observation quant à la recevabilité de la communication, bien qu’un rappel ait été adressé à l’État partie le 20 novembre 1997.

Examen de la recevabilité

5.1 À sa soixante ‑quatrième session, en octobre 1998, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3 En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’auteur a fait appel de sa condamnation et que la section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa demande d’autorisation spéciale de recours; les recours internes ont été épuisés.

5.4 S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le juge avait mal orienté les membres du jury, le Comité a renvoyé à sa jurisprudence et réaffirmé qu’il n’appartient généralement pas au Comité mais aux juridictions d’appel des États parties d’examiner les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s’il peut être établi qu’elles ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité et les allégations de l’auteur ne montrent pas que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication, ne répondant pas aux prescriptions de l’article 2 du Protocole facultatif, était irrecevable.

6. Le 23 octobre 1998, le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, quant aux conditions de détention de l’auteur, avant et après sa condamnation; de l’article 7, concernant l’ordre d’exécution après que l’auteur eut passé plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort et après la décision rendue par le Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan ; du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, concernant la lenteur de la procédure de mise en jugement de l’auteur et de la procédure de recours; des paragraphes 3 b) et d) et 5 de l’article 14, s’agissant de sa représentation au procès et en appel; et de l’article 26, pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est victime de discrimination eu égard à la peine qui lui a été infligée après commutation.

7. Dans plusieurs lettres reçues après que la communication eut été déclarée recevable, l’auteur a réitéré ses allégations.

Examen quant au fond

8.1 Les 27 novembre 1998, 3 août 2000 et 11 octobre 2001, l’État partie a été prié de soumettre au Comité des informations concernant le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu d’informations.

8.2 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées.

9.1 En ce qui concerne les conditions de détention de l’auteur à la prison d’État de Port of Spain, avant et après sa condamnation, le Comité note que, dans ses différentes communications, l’auteur a formulé des allégations précises au sujet des conditions déplorables dans lesquelles il a été détenu (voir plus haut le paragraphe 3.1). Rappelant ses décisions antérieures dans lesquelles il a indiqué que certaines normes minimales en matière de conditions de détention doivent être respectées, le Comité note qu’il ressort des communications de l’auteur que ces règles n’ont pas été observées durant la détention de l’auteur à partir du 28 mai 1988. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que la situation décrite par l’auteur fait apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette constatation au titre de l’article 10, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur une clause du Pacte se rapportant spécifiquement à la situation de personnes privées de liberté et dont la portée s’étend, en ce qui concerne ces personnes, aux éléments généralement énoncés dans l’article 7 pour examiner de façon distincte les plaintes déposées au titre de l’article 7.

9.2 En ce qui concerne l’ordre d’exécution de l’auteur notifié après qu’il eut passé plus de six ans dans le quartier des condamnés à mort, le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle la détention prolongée d’un condamné à mort avant son exécution ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi, en l’absence d’autres circonstances impérieuses, ne font pas apparaître de violation de l’article 7 du Pacte.

9.3 En ce qui concerne la lenteur de la procédure de mise en jugement de l’auteur, le Comité note que celui ‑ci a été arrêté le 28 mai 1988 et formellement inculpé de meurtre le 2 juin 1988. Son procès a débuté le 6 octobre 1989 et il a été condamné à mort le 2 novembre 1989. Selon le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale devrait être jugé dans un délai raisonnable. Il ressort des minutes du procès devant la Cour d’assises de San Fernando que toutes les preuves à charge avaient été recueillies le 1 er  juin 1988 et qu’il n’y a pas eu d’autre enquête. Le Comité est d’avis que, compte tenu des dispositions du paragraphe 3 de l’article 9, dans les circonstances particulières de l’affaire et en l’absence de toute explication de l’État partie à ce sujet, la durée de la détention provisoire n’est pas raisonnable et constitue par conséquent une violation de cette disposition.

9.4 Pour ce qui est de la lenteur de la procédure d’examen de l’appel de l’auteur, le Comité note que ce dernier a été condamné le 2 novembre 1989 et qu’il a été débouté de son appel le 22 mars 1994. Le Comité rappelle que toutes les étapes de la procédure doivent se dérouler «sans retard excessif» conformément au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte. De plus, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions du paragraphe 3 c) de l’article 14 doivent être strictement respectées dans toute procédure pénale. En l’absence d’explication de l’État partie, le Comité conclut par conséquent que le délai de quatre ans et cinq mois qui s’est écoulé entre la condamnation de l’auteur et le rejet de son appel est contraire à cet égard aux dispositions du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.5 S’agissant de la représentation de l’auteur au procès, le Comité note que l’auteur n’a bénéficié de l’assistance d’un avocat qu’à partir de l’ouverture du procès. Il rappelle qu’aux termes du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’accusé doit disposer de temps et des facilités adéquates à la préparation de sa défense. En conséquence, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violées.

9.6 L’auteur affirme en outre qu’à l’audience en appel un avocat a été commis d’office pour le représenter mais qu’il ne l’a pas accepté comme son représentant. Le paragraphe 3 d) de l’article 14 stipule que l’accusé a le droit de se défendre lui ‑même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un accusé ne peut pas choisir son défenseur, si un avocat est commis d’office pour l’assister et qu’il n’a pas les moyens d’engager un avocat à titre privé pour le représenter. En conséquence, le Comité estime que le paragraphe 3 d) de l’article 14 n’a pas été violé en l’espèce.

9.7 En outre, l’auteur affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile parce que l’avocat qui le représentait ne le consultait jamais et qu’il ne pouvait lui donner des instructions. Le Comité estime que les procédures d’appel se font sur pièces et qu’il appartient à l’avocat, faisant appel à sa compétence professionnelle, de présenter des motifs d’appel et de décider s’il y a lieu de consulter l’accusé. L’État partie ne saurait être tenu pour responsable du fait que l’avocat commis d’office n’a pas consulté l’auteur. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité n’est pas en mesure de conclure à une violation des paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14, pour ce qui est de l’examen de l’appel de l’auteur.

9.8 À propos de la plainte de l’auteur selon laquelle il est victime de discrimination du fait de la commutation de la peine capitale à laquelle il a été condamné en une peine de 75 ans de travaux forcés, le Comité note que, selon des informations fournies par l’auteur, en 1996 l’État partie a commué en peine d’emprisonnement à perpétuité les peines capitales qui avaient été prononcées contre 53 détenus incarcérés dans le quartier des condamnés à mort pour meurtre pendant plus de cinq ans, en vertu de dispositions constitutionnelles relatives à la commutation de la peine capitale. Le Comité rappelle que, conformément à sa jurisprudence établie, l’article 26 du Pacte interdit toute discrimination en droit ou en fait dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics. Il estime que la décision de commuer une peine capitale en peine d’emprisonnement et la détermination de la durée de celle ‑ci relèvent du pouvoir discrétionnaire du Président et que ce dernier exerce ce pouvoir compte tenu de nombreux facteurs. L’auteur a bien cité 53 cas de commutation de peines de mort en réclusion à perpétuité, mais il n’a donné aucune information sur le nombre ou la nature des cas de commutation de peines de mort en travaux forcés pour une durée déterminée. Le Comité n’est donc pas en mesure de conclure que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé dans le cas de l’auteur de manière manifestement arbitraire et en violation de l’article 26 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des articles 7, 9 (par. 3), 10 (par. 1) et 14 [par. 3 b) et c)] du Pacte.

11. En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, M. Teesdale a droit à un recours utile, notamment à une indemnisation et à ce que les autorités compétentes envisagent une remise de peine. L’État partie est tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas dans l’avenir.

12. En adhérant au Protocole facultatif, la Trinité ‑et ‑Tobago a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu violation du Pacte. La communication a été soumise à l’examen du Comité avant que la dénonciation du Protocole facultatif par la Trinité ‑et ‑Tobago ne prenne effet le 27 juin 2000. Conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions du Protocole facultatif continuent à être applicables à la communication. En application de l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah

Je souscris aux constatations du Comité, mais je voudrais ajouter quelques observations relatives à la durée (75 ans) de la peine d’emprisonnement résultant de la commutation de la peine initiale.

L’auteur n’a aucunement soulevé la question des incidences possibles de la peine issue de la commutation, du fait de sa longueur, au regard des droits de l’auteur et des obligations de l’État partie en vertu des paragraphes 1 et 3 de l’article 10 du Pacte. De ce fait, sur ce point particulier, l’État partie n’a pas eu l’occasion de répondre, et le Comité n’a pas eu à se prononcer.

Il s’agit pourtant d’une question importante puisque l’article 10, en son paragraphe 1, prescrit que toute personne privée de sa liberté soit traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Une peine d’emprisonnement d’une durée de 75 ans satisfait ‑elle à cette norme?

De plus, aux termes du paragraphe 3 du même article, le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. L’amendement et le reclassement social supposent que le prisonnier ait la possibilité d’être libéré avant le terme de son existence. La peine issue de la commutation répond ‑elle à cette exigence?

L’État partie voudra peut ‑être prendre en compte ces observations au moment d’envisager de réduire la peine de l’auteur.

( Signé ) Rajsoomer Lallah

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de MM. David Kretzmer et Ivan Shearer (partiellement dissidente)

Dans l’affaire considérée, l’auteur affirme être victime de discrimination dans la mesure où la peine de mort prononcée à son encontre a été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés, alors que, la même année, l’État partie a commué les peines de mort prononcées à l’encontre de 53 personnes en peines de réclusion à perpétuité. L’État partie n’a pas contesté ces faits et n’a donné aucune explication quant à la différence de traitement alléguée entre l’auteur et les autres condamnés à mort. Certes, le pouvoir de gracier ou de commuer une peine, par sa nature même, laisse une grande part à l’appréciation et s’exerce compte tenu de nombreux facteurs; toutefois, ce pouvoir, comme tout autre pouvoir de l’État, doit s’exercer de façon non discriminatoire afin que le droit de tous les individus à l’égalité devant la loi soit respecté. Dans la mesure où l’auteur avait fait valoir qu’il avait été traité différemment d’autres personnes placées dans une situation similaire, il appartenait à l’État partie de démontrer que la différence de traitement se fondait sur des critères raisonnables et objectifs. À notre avis, en l’absence d’une telle explication par l’État partie, le Comité aurait dû considérer que le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi en vertu de l’article 26 du Pacte avait été violé.

( Signé ) David Kretzmer ( Signé ) Ivan Shearer

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (partiellement dissidente)

Je ne souscris pas à la décision du Comité, pour les raison exposées ci ‑après.

L’auteur se déclare victime de discrimination parce que la peine capitale à laquelle il avait été condamné a été commuée en une peine de 75 ans de travaux forcés, alors que la même année le Président de l’État partie avait, en vertu des articles 87, 88 et 89 de la Constitution, commué la peine de mort en réclusion à perpétuité pour 53 autres détenus qui étaient comme lui incarcérés dans le quartier des condamnés à mort depuis plus de cinq ans pour assassinat. La différence entre les deux modalités de commutation tient dans le fait que les condamnés à une peine de réclusion à perpétuité peuvent obtenir la libération conditionnelle, alors que cette possibilité n’existe pas pour la peine de 75 ans. L’État partie n’a pas contesté le fond de la question, ne contestant que le nombre de commutations à la peine de réclusion à perpétuité, qui d’après lui n’était pas de 53 mais était légèrement inférieur.

Le Comité note que la décision de gracier un condamné ou de commuer la peine dans tout État partie relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République. La commutation de la peine ou la grâce (ou remise de peine) permettant de réduire la durée de la peine infligée pour un ou plusieurs délits ou de dispenser un condamné de l’exécuter est une institution qui a des origines très anciennes dans l’histoire du droit. Au Moyen Âge, les monarchies absolues reconnaissaient le droit de grâce, dont ont hérité les rois des monarchies constitutionnelles, les présidents ou quelques autres autorités suprêmes des organes exécutifs d’un État. Mais cette faculté a subi une évolution importante avec le temps. Si nul ne conteste qu’elle est exclusive et peut aussi être exercée de façon discrétionnaire par le détenteur du pouvoir − en l’occurrence le Président de la République − le caractère discrétionnaire vise l’opportunité de la décision mais n’est pas absolu et doit reposer sur des critères raisonnables, enracinés dans l’éthique et l’équité, pour ne pas être assimilé à l’arbitraire.

Le droit de solliciter dans tous les cas la grâce (ou remise de peine) ou la commutation de la peine, reconnu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques au paragraphe 4 de l’article 6, est un droit absolu pour qui en est titulaire − le condamné à mort − mais pour la personne qui a la faculté de l’octroyer, il ne s’agit pas d’un pouvoir absolu, puisqu’elle est tenue d’appliquer les critères mentionnés plus haut, conformément aux dispositions du Pacte. En l’espèce, le Président de la République a appliqué une différence de traitement à l’auteur par rapport aux autres condamnés qui se trouvaient dans une situation analogue, sans avoir donné la moindre explication montrant que la différence était justifiée par des critères raisonnables et objectifs. En conséquence, le Comité estime que l’auteur a été victime d’une discrimination qui représente une violation de l’article 26 du Pacte.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

E. Communication n o 678/1996, Gutiérrez Vivanco c. Pérou (constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. José Luis Gutiérrez Vivanco (représenté par l’organisation non gouvernementale APRODEH)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pérou

Date de la communication :

20 mars 1995 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen d e la communication n o 678/1996 présentée au Comité des droits de l’homme par M. José Luis Gutiérrez Vivanco conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication datée du 20 mars 1995 est M. José Luis Gutiérrez Vivanco, citoyen péruvien qui a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour terrorisme, puis gracié pour raisons humanitaires le 25 décembre 1998. Il se dit victime de violations par le Pérou de l’article 7 et des paragraphes 1, 2 et 3 b), c), d) et e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par l’organisation non gouvernementale APRODEH.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Au moment de son arrestation, l’auteur, étudiant à la faculté de biologie de l’Université de San Marcos, à Lima, vivait avec ses parents et ses sept frères et sœurs. Atteint d’une insuffisance cardiaque chronique, il devait éviter tout exercice physique violent.

2.2 Le 27 août 1992, l’auteur a été arrêté au domicile de sa fiancée, Luisa Mercedes Machaca Rojas. Il s’y trouvait quand des policiers sont arrivés avec elle. Ils les ont arrêtés tous les deux et conduits dans un fourgon aux bureaux de la Direction nationale contre le terrorisme (Dirección Nacional contra el Terrorismo – DINCOTE). Là, l’auteur a été frappé, puis ramené dans le fourgon où il a continué d’être maltraité. Par la suite, il a été reconduit dans les locaux de la DINCOTE. Du fait de ces mauvais traitements, l’auteur a dû être admis à l’hôpital de la police, puis transféré immédiatement à l’hôpital public Dos de Mayo en raison de l’insuffisance cardiaque chronique dont il souffrait. Il a été maintenu en détention dans cet hôpital pendant les 15 jours d’enquête policière prévus par le décret ‑loi n o 25475 du 6 mai 1992 1 , pour les affaires de terrorisme.

2.3 Durant l’enquête policière, l’auteur n’a pas été représenté par un avocat. Toutefois, comme il était hospitalisé, on ne lui a demandé de faire aucune déposition. L’auteur a été accusé par la police d’avoir participé à des attaques subversives contre le magasin de chaussures Bata et contre un restaurant, sur la base des déclarations des autres inculpés.

2.4 L’affaire a été instruite par le 10 e tribunal pénal de Lima, alors compétent à l’égard des infractions de terrorisme. Devant le tribunal, l’auteur a déclaré avoir été victime de mauvais traitements. Durant l’instruction, l’auteur a été représenté par un avocat de son choix.

2.5 La procédure orale s’est déroulée à huis clos dans une salle de la prison de haute sécurité Miguel Castro Castro 2 , à Lima, entre le 7 avril et le 17 juin 1994, en l’absence de témoins ou d’experts. Le tribunal était composé de magistrats anonymes qui se tenaient derrière une glace spéciale afin de ne pas être identifiés et s’exprimaient dans des haut ‑parleurs qui déformaient leur voix. En outre, ces magistrats n’étaient pas forcément spécialisés en droit pénal et pouvaient être choisis parmi tous les magistrats de la Cour supérieure et du tribunal du travail. Durant cette phase du procès, l’auteur était assisté par un avocat que la mère de l’auteur avait engagé le jour même de la première audience parce qu’il représentait un autre inculpé dans la même affaire. Lors de l’audience, le Procureur a déclaré que la responsabilité pénale de l’auteur n’était pas établie mais qu’il était obligé de l’accuser en vertu de la loi 3 .

2.6 Le 17 juin 1994, la chambre spéciale chargée des affaires de terrorisme de la Cour supérieure de Lima a condamné l’auteur à une peine privative de liberté de 20 ans, condamnation que la Cour suprême de justice a confirmée le 28 février 1995. Dans sa décision, la chambre spéciale de la Cour supérieure de Lima déclarait que la responsabilité pénale de l’auteur avait été confirmée par l’un des coaccusés, Lázaro Gago, qui avait affirmé non seulement qu’il connaissait l’auteur et sa fiancée mais aussi qu’il leur avait prêté sa maison pour y déposer les marchandises prises lors de l’attaque contre le magasin de chaussures Bata. Elle précisait en outre que la maladie congénitale de l’auteur ne pouvait servir de base légale pour le mettre hors de cause compte tenu des accusations portées contre lui par plusieurs inculpés qui affirmaient qu’il était membre du «Sentier lumineux».

2.7 Après le jugement, la mère de l’auteur a été informée qu’elle devait changer d’avocat car la nouvelle législation disposait que dans les procès pour terrorisme, les avocats de la défense, à l’exception des avocats commis d’office, ne pouvaient représenter en même temps plusieurs accusés au niveau national 4 .

2.8 En 1996, la mère de l’auteur a introduit en son nom un recours en révision devant la Cour suprême de justice, où la procédure était écrite et il n’y avait pas d’audiences en public ou à huis clos. Le recours a été jugé irrecevable le 21 avril 1999 5 .

2.9 Le 25 décembre 1998, en vertu de l’arrêt de la Cour suprême n o  403 ‑98 ‑JUS, l’auteur a été gracié pour raisons humanitaires au motif que, du fait de sa maladie, il était déjà très atteint dans sa santé et risquait de voir son état s’aggraver rapidement; sa remise en liberté ne constituerait donc pas une menace pour la paix sociale et la sécurité collective.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme avoir été l’objet de mauvais traitements lors de sa détention, ce qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte. Il fait en outre valoir qu’aucune enquête n’a été menée à ce sujet malgré les déclarations qu’il avait faites lors de l’instruction.

3.2 L’auteur allègue que les garanties d’une procédure régulière n’ont pas été respectées, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, puisque le procès s’est déroulé à huis clos et devant un tribunal composé de juges anonymes, que le Procureur était tenu par la loi d’accuser les prévenus même s’il les considérait innocents et que de faux aveux ont été retenus comme élément de preuve.

3.3 L’auteur fait état d’une violation du paragraphe 2 de l’article 14 étant donné que, lors du procès, il a été seulement tenu compte de sa présence au domicile de sa fiancée et de la déclaration de l’un des coaccusés mais d’aucun autre élément de preuve comme les déclarations des témoins lors de l’enquête policière, les fouilles corporelles et les perquisitions au domicile qui n’ont donné aucun résultat, et les examens médicaux certifiant qu’il ne pouvait faire 50 mètres en courant sans mettre sa vie en péril.

3.4 L’auteur soutient que l’examen du recours en révision a souffert d’un retard injustifié, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

3.5 L’auteur affirme qu’il n’a jamais pu exercer son droit à la défense lors de l’enquête policière étant donné qu’il n’était pas présent et que la loi ne lui a pas permis d’être défendu par un avocat de son choix pendant le procès, en violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14.

3.6 L’auteur affirme enfin que les personnes qui l’ont arrêté n’ont jamais été interrogées puisque la loi ne le permet pas et qu’aucun témoin n’a été appelé à comparaître à l’audience pour contredire les déclarations des coaccusés, ce qui pourrait soulever des questions au titre du paragraphe 3 e) de l’article 14.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses observations du 6 janvier 1998 sur la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie fait valoir que la communication doit être déclarée irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné que les doutes émis par l’auteur au sujet de la validité des preuves constituent une question qui doit être examinée au niveau national par un tribunal péruvien.

4.2 L’État partie considère que les faits réels et les principes juridiques qui conduisent l’auteur à conclure qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne sont pas clairement exposés dans la plainte. En outre, l’État partie estime qu’il n’a pas à démontrer que les garanties procédurales ont été observées dans la mesure où le respect des garanties minimales résulte du déroulement normal du procès pénal de l’auteur, conformément aux procédures préétablies. De même, si la régularité de la procédure avait fait l’objet d’une observation quelconque, tout recours à ce sujet serait enregistré dans le dossier, ce qui n’est pas le cas. En conséquence, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation des dispositions du paragraphe 3 b), d) ou e) de l’article 14.

4.3 L’État partie fait valoir que la présomption d’innocence dont bénéficiait l’auteur a été remise en cause par la déclaration à la police du coaccusé, Lázaro Gago, qui a reconnu l’auteur et sa fiancée comme étant les personnes qui avaient gardé les marchandises prises lors de l’attaque contre le magasin de chaussures Bata. En outre, Luisa Machaca Rojas, la fiancée de l’auteur, a déclaré à la police qu’ils appartenaient tous deux au Parti communiste du Pérou − Sentier lumineux − et a décrit toutes les actions auxquelles ils avaient pris part. Enfin, il a été tenu compte des déclarations à la police de deux des coaccusés, Daniel Prada Rojas et Jayne Taype Suárez.

4.4 En ce qui concerne l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, l’État partie affirme que même s’il y a eu un certain retard dans l’examen du recours en révision, le caractère «excessif» ou «injustifié» de ce retard aurait dû être déterminé par le tribunal péruvien compétent pour connaître d’une plainte pour retard supposé injustifié dans l’examen d’un recours. En d’autres termes, le système judiciaire péruvien prévoit des recours en cas de retard jugé excessif dans l’administration de la justice et il incombe à un tribunal péruvien d’examiner les questions de ce type. Dans le cas présent, les moyens pertinents n’ont pas été utilisés.

4.5 Dans une note verbale du 21 janvier 1999, l’État partie a fait savoir que l’auteur avait été gracié le 25 décembre 1998 et immédiatement remis en liberté.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires du 17 octobre 2000, l’auteur répond aux allégations de l’État partie et précise que lors de l’enquête policière, l’article 6 du décret ‑loi n o  25659, interdisant expressément les recours pour violation des garanties, l’ habeas corpus et l’ amparo , était encore en vigueur, ce qui signifie qu’il ne disposait d’aucun recours utile pour protéger ses droits à la liberté et à l’intégrité.

5.2 L’auteur soutient que la communication présentée n’a pas pour objet d’affirmer son innocence. Il y a donc lieu de rejeter les objections de l’État partie qui fait état de doutes qu’aurait exprimés l’auteur au sujet de la validité des preuves retenues pour établir sa responsabilité.

5.3 L’auteur se réfère aux observations de l’État partie selon lesquelles les éléments déterminants dont il a été tenu compte pour établir sa responsabilité étaient les déclarations faites à la police par les inculpés. Selon lui, ces dépositions ont été recueillies lors d’une phase qui n’offrait pas les garanties d’une procédure régulière, notamment le droit de connaître les preuves à charge, le droit d’interroger les témoins à charge ainsi que le droit de produire des preuves à décharge.

5.4 L’auteur rappelle qu’au moment de son arrestation, l’article 12 du décret ‑loi n o  25475, habilitant la police à mettre les détenus au secret sans autorisation judiciaire, était en vigueur. Dans l’affaire en cause, tous les détenus ont affirmé avoir été l’objet de mauvais traitements lors de l’enquête policière. La validité de leurs déclarations est donc discutable, d’autant plus qu’il n’y a eu aucune enquête sur ces actes de torture. Par conséquent, l’auteur affirme que son procès n’a été qu’une simple formalité visant à justifier les irrégularités commises par la police sans tenir compte des procédures judiciaires. C’est sur cette base qu’il a été condamné, en violation du principe d’innocence.

5.5 S’agissant de la possibilité de former un recours pour retard injustifié dans l’examen du recours en révision, l’auteur note que l’État partie a fait référence à l’existence d’un «tribunal péruvien compétent» sans fournir de précision. D’après l’auteur, il incombe à l’État partie d’indiquer expressément les recours disponibles et de vérifier leur conformité aux principes de droit internationalement reconnus. En outre, l’introduction d’un recours pour retard dans l’examen d’un recours en révision conduirait à une succession infinie de recours.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête et de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non ‑épuisement des recours internes, affirmant qu’il existe des possibilités de recours devant les tribunaux péruviens compétents. Toutefois, le Comité considère que l’État partie n’a pas précisé quel type d’action l’auteur pouvait intenter et devant quel tribunal. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce il n’a pas été démontré que les recours internes étaient disponibles.

6.4 En ce qui concerne les allégations relatives à la violation de l’article 7 du Pacte, le Comité note que l’État partie n’a pas abordé cette question. Toutefois, l’auteur n’a fourni aucun détail concernant les mauvais traitements subis après son arrestation et les examens médicaux effectués par l’hôpital n’ont révélé aucune trace de mauvais traitements. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce les allégations formulées n’ont pas été suffisamment étayées et que cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne les allégations de l’auteur touchant la violation du principe de la présomption d’innocence posé par le paragraphe 2 de l’article 14, le Comité estime qu’elles n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’enquête policière, le Comité estime que l’auteur n’a pas rapporté aux fins de la recevabilité la preuve de ce que le défaut pour lui d’être assisté d’un avocat lors de la phase policière constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, et déclare irrecevable cette partie de la communication en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 En conséquence, le Comité déclare le reste de la communication recevable et procède à l’examen quant au fond, à la lumière des informations portées à son attention par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce que le procès à l’issue duquel il a été condamné pour terrorisme n’offrait pas les garanties nécessaires dans la mesure où il s’est déroulé à huis clos devant un tribunal composé de juges anonymes, la loi ne lui permettant ni d’appeler comme témoins les membres de la police qui l’avaient arrêté et interrogé, ni d’interroger d’autres témoins lors de la procédure orale du procès, et de faux aveux ayant été retenus contre lui sans qu’il soit tenu compte d’autres éléments de preuve pertinents, en violation du principe de la présomption d’innocence. Le Comité note que l’État partie a affirmé que les garanties minimales avaient été respectées lors du procès puisqu’elles étaient prévues dans les procédures préétablies et que l’auteur avait été jugé conformément auxdites procédures. Toutefois, le Comité renvoie à sa jurisprudence dans l’affaire Polay Campos c. Pérou 6 concernant les procès devant les «tribunaux sans visage», qui se déroulent dans des prisons à huis clos et lors desquels les accusés ne peuvent identifier les juges ni préparer leur défense ou interroger les témoins. Dans un tel système, l’indépendance et l’impartialité des juges ne sont pas garanties, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.2 En ce qui concerne la violation présumée de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, le Comité considère que l’État partie s’est borné à expliquer que le retard invoqué par l’auteur aurait dû être signalé aux tribunaux nationaux compétents et qu’il n’a pas su expliquer pourquoi, en l’espèce, il n’a été donné suite qu’en 1999 au recours en révision introduit en 1996. Le Comité considère donc qu’il y a eu violation de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’allouer à M. José Luis Gutiérrez Vivanco une réparation effective, y compris une indemnisation. Il doit également veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas dans l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il est également demandé à l’État partie de publier les constatations du Comité.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Ivan Shearer (en partie concordante)

Je me suis joint aux constatations du Comité concernant la communication en cause. J’estime cependant nécessaire de préciser que le Comité n’a pas condamné la pratique des «tribunaux sans visage» en soi et en toutes circonstances. La pratique consistant à dissimuler à l’aide d’un masque ou par d’autres moyens l’identité des juges examinant des affaires spéciales, suivie dans certains pays en raison de graves menaces existant contre leur sécurité du fait d’activités terroristes ou d’autres formes de crime organisé peut être nécessaire pour assurer la protection des juges et l’administration de la justice. Quand des États parties au Pacte sont confrontés à une telle situation exceptionnelle, ils doivent prendre les mesures prévues à l’article 4 du Pacte pour déroger à leurs obligations au titre du Pacte, en particulier celles découlant de l’article 14, mais seulement dans la stricte mesure où la situation l’exige. Leurs déclarations de dérogation doivent être adressées au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article susmentionné. Lorsqu’ils font toute déclaration qu’ils jugent nécessaire les États parties doivent tenir compte de la recommandation générale n o  29 (États d’urgence) adoptée par le Comité le 24 juillet 2001. Dans l’affaire en cause, l’État partie n’a pas communiqué d’observations concernant les affirmations de l’auteur, invoquant l’existence d’une situation d’urgence. L’État partie n’a pas fait non plus de déclarations de dérogation en vertu de l’article 4 du Pacte. En conséquence, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur ces aspects de l’affaire en cause.

( Signé ) Ivan Shearer

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

F. Communication n o 683/1996, Wanza c. Trinité-et-Tobago (constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Michael Wanza (représenté par Stephen Chamberlain, du cabinet d’avocats Nabarro Nathanson de Londres)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité-et-Tobago

Date de la communication :

11 mars 1996 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  683/1996 présentée par M. Michael Wanza en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Michael Wanza, citoyen trinidadien et ancien maçon, né en 1964, qui à l’époque de la présentation de la communication était en attente d’exécution à la Frederick Street State Prison de Port of Spain. Il prétend être victime de violations de la part de la Trinité-et-Tobago des articles 7 et 10 (par. 1) et 14 [par. 3 c) et 5)] du Pacte. Il est représenté par le conseil. Le 24 juin 1996, la peine capitale frappant l’auteur a été commuée en peine de prison de 75 ans et aux travaux forcés.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 M. Wanza a été reconnu coupable de meurtre par le Tribunal de première instance de Port of Spain le 28 février 1989 et condamné à mort. La cour d’appel de la Trinité-et-Tobago a rejeté son appel le 20 janvier 1994. Le Comité judiciaire du Conseil privé n’a pas fait droit, le 11 décembre 1995, à la demande d’autorisation spéciale de former un recours.

2.2 Le 8 mars 1996, il a été donné lecture à M. Wanza d’un ordre judiciaire fixant la date de son exécution au 13 mars 1996. Une motion constitutionnelle a été déposée en son nom après la publication de l’ordre judiciaire en vue d’obtenir un sursis à l’exécution. Un sursis a été accordé en attendant le résultat de l’examen de la motion constitutionnelle. Le 11 mars 1996, le représentant de l’auteur a présenté l’affaire en vertu du Protocole facultatif; une demande d’adoption de mesures provisoires en vertu de l’article 86 du règlement intérieur du Comité a été présentée le 14 mars 1996. En juin 1996, la condamnation à mort frappant l’auteur a été commuée et il a été retiré du quartier des condamnés à mort de la prison.

Teneur de la plainte

3.1 Le conseil affirme que M. Wanza est victime d’une violation des articles 7 et 10, paragraphe 1, en raison de sa détention dans le quartier des condamnés à mort pendant une période de sept ans et quatre mois depuis sa condamnation et la commutation de la peine capitale en juin 1996. Dans sa présentation initiale, le conseil fait valoir qu’en raison de l’intervalle écoulé l’application de la peine de mort serait contraire aux dispositions de la Constitution. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité judiciaire du Conseil privé dans Pratt et Morgan et dans Guerra c. Baptiste de la Cour suprême du Zimbabwe 1 .

3.2 Le conseil fait valoir que l’angoisse qu’a causée à M. Wanza pendant plus de sept ans le fait d’être constamment confronté à la perspective de son exécution ainsi que les conditions de sa détention dans le quartier des condamnés à mort de la prison nationale, constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte. À cet égard, le conseil fait valoir que l’auteur a été incarcéré dans une cellule 22 heures par jour où il se trouvait seul et qu’il a passé la plupart de son temps dans l’obscurité.

3.3 D’après la déposition sous serment de l’auteur à l’appui de sa motion constitutionnelle, il affirme être incarcéré dans une petite cellule (3 m sur 2 m environ) comportant un lit, une table, une chaise et un seau hygiénique, dénuée de fenêtre et aérée au moyen d’une petite ouverture de 40 cm x 20 cm. Toute la rangée de cellules est éclairée par des lampes fluorescentes qui restent allumées toute la nuit et empêchent l’auteur de dormir. À part l’heure habituelle d’exercice dans la cour, il n’est autorisé à quitter sa cellule que lors de visites et pour prendre un bain une fois par jour. Les dimanches et jours fériés, il ne peut pas quitter sa cellule par manque de personnel pénitentiaire.

3.4 Le conseil allègue une violation de l’article 14 [par. 3 c)] ainsi que du paragraphe 5, du fait que la cour d’appel n’a pas examiné l’appel interjeté par M. Wanza dans des délais raisonnables: il fait valoir qu’un délai de près de cinq ans pour statuer sur un appel interjeté à la suite d’une condamnation à la peine capitale est inacceptable. Il renvoie à l’Observation 13[21] du Comité des droits de l’homme.

Observations de l’État partie

4. Dans sa réponse reçue le 9 juillet 1996, l’État partie fait valoir qu’une requête constitutionnelle a été déposée, et que par conséquent la plainte devrait être considérée comme irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes. Le 4 octobre 1996, l’État partie confirme que la peine de mort prononcée à l’encontre de l’auteur est commuée en peine d’emprisonnement (75 ans de travaux forcés).

Décision du Comité concernant la recevabilité

5.1 Le Comité a examiné la recevabilité de la communication à sa soixante et unième session. Il a noté que la requête constitutionnelle déposée au nom de l’auteur n’avait plus d’objet du fait de la commutation de la peine capitale en peine d’emprisonnement par décision du Président trinidadien, et que par conséquent l’auteur ne serait plus tenu d’épuiser d’autres recours disponibles et utiles.

5.2 Le Comité a estimé que, aux fins de la recevabilité de sa communication, l’auteur avait suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, dans la mesure où elles concernent ses conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort, et au titre des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, eu égard au retard enregistré dans l’examen de son pourvoi.

6. En conséquence, le 14 octobre 1997, le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

Observation de l’État partie sur le fond

7.1 L’État partie a transmis ses observations quant au fond concernant la communication par une note datée du 12 mai 1999. En ce qui concerne les conditions de détention, il note que l’auteur s’est limité à des allégations d’ordre général, arguant par exemple qu’il était enfermé seul dans une cellule et dans l’obscurité 22 heures sur 24. L’État partie affirme que les conditions de détention de l’auteur dans le quartier des condamnés à mort et depuis la commutation de sa peine ne sont pas contraires aux dispositions du Pacte. Il indique à ce propos que, dans des affaires similaires 2 fondées sur des allégations du même ordre, la cour a estimé, après avoir entendu les autorités pénitentiaires et les détenus, que ces conditions ne constituaient pas un traitement cruel. Il rappelle également que dans ses constatations concernant l’affaire Dole Chadee et consorts. 3 , le Comité des droits de l’homme avait considéré que les conditions de détention à la Trinité-et-Tobago ne violaient pas l’article 10 du Pacte. L’État partie en conclut que l’auteur a constamment été traité avec le respect de la dignité inhérente à sa personne et que ses allégations de torture et de traitement ou autres peines cruelles, inhumaines ou dégradantes sont sans fondement.

7.2 À propos des allégations formulées par l’auteur au titre des articles 7 et 10 du Pacte, et qui concernent la durée de sa détention dans le quartier des condamnés à mort, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui considère que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant en l’absence d’autres circonstances impérieuses. Estimant que ces circonstances n’existent pas en l’espèce, l’État partie récuse l’argument de l’auteur selon lequel les conditions de détention pourraient frapper d’illégalité l’exécution de la peine capitale, en renvoyant à ce propos aux affaires Fisher c. Ministre de la sécurité publique (n o  1) [1998] A.C. 673 et  Hilaire et Thomas c. Procureur général de la Trinité-et Tobago [1999].

7.3 S’agissant de l’allégation faisant état d’un retard dans l’examen du pourvoi, l’État partie précise que le laps de temps qui s’est écoulé entre le prononcé de la sentence et l’examen du pourvoi n’a pas été excessif compte tenu de la situation qui prévalait à l’époque (le lendemain d’une tentative de coup d’État). La montée de la criminalité avait en effet considérablement alourdi la charge de travail des tribunaux, d’où l’augmentation du nombre d’affaires en souffrance. Par ailleurs, il n’a pas toujours été possible d’établir avec diligence des procès ‑verbaux complets et exacts, ce qui a entraîné des retards. Depuis, des réformes procédurales ont été engagées pour éviter ces engorgements. Des ressources financières et autres ont été affectées à la justice et des juges supplémentaires ont été nommés à la Haute Cour et à la cour d’appel. Une unité de transcription assistée par ordinateur a été mise en place afin que des procès-verbaux complets et exacts puissent être établis dans les meilleurs délais. En conséquence, les recours sont maintenant entendus dans l’année qui suit les condamnations.

8. Malgré les deux rappels adressés au conseil de l’auteur, le Comité n’a pas reçu de commentaires sur les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 S’agissant de la plainte de l’auteur selon laquelle ses conditions de détention constituent une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, le Comité relève que les informations sur l’éclairage de la cellule fournies par le conseil et l’auteur sont contradictoires mais que les autres allégations relatives aux conditions de détention, en particulier celles selon lesquelles la cellule, petite et sans fenêtre, n’est aérée que par une bouche de ventilation de 45 cm x 20 cm et l’auteur y a été maintenu 22 à 23 heures par jour et n’a pas été autorisé à en sortir les week-ends et jours fériés par manque de personnel pénitentiaire, n’ont été contestées par l’État partie que de manière très générale, ce qui, selon sa jurisprudence étaye l’accusation selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte a été violé. Au vu de cette conclusion concernant l’article 10 du Pacte, qui porte spécifiquement sur la situation des personnes privées de leur liberté y compris les éléments énoncés en termes généraux à l’article 7, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les plaintes présentées au titre de l’article 7.

9.3 S’agissant de la plainte de l’auteur selon laquelle sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, le Comité relève que l’auteur a été maintenu dans ledit quartier du 28 février 1989, date de sa condamnation, au 24 juin 1996, date à laquelle sa peine a été commuée. Rappelant sa jurisprudence 4 , selon laquelle une détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte si elle n’est pas aggravée par d’autres circonstances et estimant, compte tenu des faits portés à sa connaissance, que cela n’a pas été le cas, le Comité conclut que la durée de la détention dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en l’espèce une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9.4 En ce qui concerne la période de presque cinq années qui s’est écoulée entre la condamnation de l’auteur et la formation de son recours, le Comité a pris note des explications de l’État partie et notamment de sa déclaration au sujet des mesures qu’il a prises pour remédier à la situation. Il tient cependant à souligner que les droits consacrés par le Pacte constituent des normes minimales que tous les États parties ont accepté d’observer . Se prévalant du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, selon lequel tout accusé a le droit d’être jugé sans retard excessif, et du paragraphe 5 du même article, selon lequel tout accusé a le droit de faire réexaminer la déclaration établissant sa culpabilité et sa condamnation, le Comité estime que la période de presque cinq années qui s’est écoulée entre la condamnation de l’auteur en février 1989 et le rejet de son appel par la cour d’appel en janvier 1994 est incompatible avec le paragraphe 3 c) de l’article susmentionné, lu conjointement avec le paragraphe 5 du même article.

10. De même, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Comité estime que les faits dont il est saisi constituent une violation de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, ainsi que du paragraphe 3 c) de l’article 14 lu conjointement avec le paragraphe 5 du même article.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à M. Wanza un recours effectif, y compris la possibilité d’une libération anticipée.

12. En adhérant au Protocole facultatif, la Trinité-et-Tobago a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La présente affaire ayant été examinée avant que sa dénonciation du Protocole ne devienne effective le 27 juin 2000, cette dénonciation ne saurait, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole, entraver l’application de celui-ci. Dans ces conditions et étant donné que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de lui, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

G. Communication n o 684/1996, Sahadath c. Trinité-et-Tobago (c onstatations adoptées le 2 avril 2002, soixante-quatorzième session ) *

Présentée par :

M. Raffick Sahadath (Représenté par Saul Lehrfreund, du cabinet d’avocats londonien Simons Muirhead and Burton)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité-et-Tobago

Date de la communication :

13 mars 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 684/1996 présentée par M. Raffick Sahadath en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, qui est datée du 13 mars 1996, est M. Raffick Sahadath, citoyen trinidadien. Il affirme être victime d’une violation par la Trinité ‑et ‑Tobago 1 du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil.

1.2 Conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas exécuter l’auteur tant que sa communication serait à l’examen. Dans une lettre datée du 4 octobre 1996, l’État partie a informé le Comité de la commutation de la peine de mort prononcée contre l’auteur en une peine de 75 ans de travaux forcés.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort le 14 janvier 1991 ou 1992. La cour d’appel de la Trinité-et-Tobago a rejeté son appel le 12 avril 1994. La section judiciaire du Conseil privé a, de son côté, rejeté, à une date non précisée, une demande ultérieure d’autorisation spéciale de faire recours.

2.2 Le 8 mars 1996, l’auteur s’est vu notifier un ordre d’exécution pour le 13 mars 1996. Le mardi 12 mars 1996, un sursis à exécution a été accordé pour que l’auteur puisse faire l’objet d’un examen psychiatrique complet. Ce dernier souffrant apparemment d’une déficience mentale, son conseil a fait valoir, dans sa lettre initiale, que le fait de l’exécuter violerait les droits qui lui sont garantis par le Pacte.

2.3 Le 9 mars 1996, le conseil, Douglas Mendes, a rendu visite à l’auteur à la prison d’État. Quand, à son arrivée à la porte de la prison, il a demandé à voir l’auteur, le gardien de service a fait un geste circulaire de l’index près de sa tête pour indiquer que M. Sahadath avait l’esprit dérangé. Le gardien a demandé au conseil si, dans ces circonstances, il voulait toujours voir l’auteur et, sur son insistance, l’a informé qu’un dispositif spécial de sécurité devrait être mis en place pour l’entrevue.

2.4 Durant l’entrevue, le conseil a demandé à l’auteur s’il souhaitait qu’une requête constitutionnelle soit déposée en son nom. L’auteur a commencé par dire qu’il voulait être exécuté, avant d’accepter, dans la suite de l’entretien, qu’une requête constitutionnelle soit introduite. Le conseil lui ayant fait remarquer son attitude contradictoire, l’auteur a répondu que n’ayant pas les idées claires, il n’était pas en mesure de décider. Le conseil a mis fin à l’entrevue en disant à l’auteur que pour lui laisser le temps de se décider, il reviendrait plus tard dans la journée.

2.5 L’apparence et le comportement de l’auteur, s’ajoutant aux commentaires du gardien de prison sur son état mental, ont porté le conseil à penser que son client n’était pas sain d’esprit. Il a donc pris contact avec un psychiatre, Peter Lewis, qui l’a accompagné à la prison dans l’après ‑midi du 9 mars 1996. M. Mendes lui ayant demandé s’il souhaitait qu’une requête constitutionnelle soit présentée pour qu’il soit sursis à l’exécution, l’auteur a répondu par l’affirmative. Pour le reste, le conseil n’a pu obtenir aucun autre renseignement de l’auteur, qui a indiqué des dates différentes pour sa condamnation et qui paraissait ignorer qu’un appel avait été examiné et que la section judiciaire du Conseil privé avait été saisie d’une demande d’autorisation spéciale de faire recours. Il ne se souvenait pas du nom de l’avocat qui l’avait défendu lors de son procès et a affirmé que jamais un avocat n’était venu le voir pour la préparation de l’appel. Il ne se souvenait pas non plus de la personne pour le meurtre de laquelle il avait été condamné.

2.6 Après avoir interrogé l’auteur, M. Lewis a établi un certificat sous serment dans lequel il a noté la conclusion suivante: «présente des hallucinations auditives et souffre probablement d’une maladie mentale grave de nature à altérer sensiblement sa capacité de penser et de se conduire normalement. Je recommande de procéder à un examen approfondi de l’état mental de M. Sahadath afin de déterminer l’ampleur et la nature du trouble dont il souffre».

2.7 S’agissant des conditions de détention de l’auteur, le conseil indique qu’il s’est rendu dans la prison où ce dernier est détenu, le 16 juillet 1996, afin de rencontrer des clients

et d’obtenir des informations sur la question. Le conseil signale ensuite ce qui suit 2 :

«Les informations obtenues de trois prisonniers dont les condamnations à mort ont été commuées en une peine d’emprisonnement à vie en 1984 révèlent l’existence de conditions épouvantables: surpeuplement des cellules, espace trop exigu pour pouvoir s’étendre et encore moins dormir, arrangements sanitaires dégradants, sans parler de l’absence d’installations pour s’occuper utilement, s’instruire et se divertir.

Des groupes de 9 à 12 détenus, dont la condamnation à mort a été commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité, partagent des cellules d’environ 3 m x 2 m. Chaque cellule ne comporte que deux couchettes, si bien que quatre hommes seulement peuvent dormir en même temps. Tous les occupants de la cellule partagent pour toutes les fonctions hygiéniques un seau en plastique, qu’ils ne peuvent vider qu’une fois par jour. La ventilation se fait par une seule fenêtre à barreaux mesurant 60 cm de côté. Les prisonniers passent en moyenne 23 heures par jour enfermés dans leur cellule, encore qu’ils puissent être autorisés d’une manière impromptue et à titre exceptionnel à rester dehors pendant une période pouvant durer jusqu’à six heures.»

2.8 Pour ce qui est de la détention dans le quartier des condamnés à mort, le conseil se réfère aux déclarations sous serment faites par quatre prisonniers qui devaient être exécutés à la même période que l’auteur, et conclut que l’auteur se trouvait dans des conditions similaires. Il fait observer à ce propos ce qui suit:

«Les prisonniers sont enfermés dans une très petite cellule mesurant environ 3 m x 2 m. La cellule contient un lit, une table, une chaise et un “seau hygiénique”, c’est ‑à ‑dire un récipient qui sert de toilettes à chaque prisonnier. Il n’y a pas de fenêtre, mais uniquement une bouche d’aération de 45 cm x 20 cm. L’ensemble du quartier est éclairé par des lampes fluorescentes qui restent allumées toute la nuit ce qui m’empêche ( sic ) de dormir. Les prisonniers sont enfermés dans cette cellule 23 heures par jour, les week-ends, les jours fériés et les jours où il y a un manque de personnel ils doivent y rester 24 heures sur 24. À l’exception de leur temps d’exercice habituel dans la cour, ils ne sont autorisés à quitter leur cellule que lorsqu’ils reçoivent des visites ou qu’ils doivent, une fois par jour, se laver et nettoyer en même temps leur seau hygiénique.

Les prisonniers font de l’exercice menottes aux poignets dans un lieu fermé extrêmement exigu, ce qui rend l’opération très difficile voire impossible. Les visites et autres privilèges sont soumis à des restrictions draconiennes. Les prisonniers n’ont droit qu’à deux visites de 20 minutes chacune seulement par semaine. Le nécessaire pour écrire ne leur est fourni que s’ils déposent une demande dans le livre des requêtes. Souvent, il n’y a ni papier ni stylo. Les prisonniers ne peuvent écrire qu’entre 16 h 30 et 19 h 15, pendant les week-ends et les jours fériés.

Les prisonniers se trouvant dans le quartier des condamnés à mort et leurs cellules sont fouillés trois fois par jour. La dernière fouille a lieu à 21 h 30, heure à laquelle ils sont souvent endormis. Ils sont alors réveillés et dûment fouillés. Peu de temps après, les trois sonnettes d’alarme électronique du quartier des condamnés à mort sont testées. À cause du bruit, les prisonniers ont du mal à se rendormir. Les cellules mesurent environ 3 m x 2 m et sont dotées d’un trou d’aération de 45 cm. Le quartier des condamnés à mort est entièrement éclairé par des lampes fluorescentes y compris la nuit ce qui rend le sommeil difficile. Les prisonniers ne sont autorisés à quitter leur cellule qu’une heure par jour; le week-end, en raison du manque de personnel, ils sont enfermés 24 heures sur 24. Devant, pendant leurs sorties, garder les menottes aux poignets, il leur est pratiquement impossible de faire de l’exercice. Les prisonniers ont droit à recevoir deux visites de 20 minutes chacune par semaine et le papier pour écrire et les livres font l’objet de restrictions draconiennes.»

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que délivrer un ordre d’exécution à l’encontre d’un détenu mentalement incapable constitue une violation du droit international coutumier. En outre, il affirme être victime de violations des articles 6 et 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, lus conjointement avec les résolutions 1984/50 et 1989/64 du Conseil économique et social, dès lors qu’il a été maintenu dans le quartier des condamnés à mort jusqu’en juillet 1996 malgré les troubles mentaux dont il souffrait. L’absence de prise en charge psychiatrique à la prison d’État de Port of Spain constitue par ailleurs, selon lui, une violation du paragraphe 1 de l’article 22 et des articles 24 et 25 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

3.2 L’auteur affirme que la pression psychologique à laquelle il a été soumis avant et après la notification de l’ordre d’exécution représente une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. À cet égard, il signale qu’à la Trinité ‑et ‑Tobago, l’usage est de ne jamais prévoir plus de deux exécutions le même jour et à la même heure parce que la prison d’État n’est pas équipée pour procéder à plus de deux exécutions en même temps. Dans le cas de l’auteur, cinq ordres d’exécution ont été notifiés pour le même jour et la même heure. Il est affirmé que, dans ces circonstances, l’auteur aurait été obligé d’attendre son tour sur le lieu même du supplice, torturé peut-être pendant plusieurs heures par le bruit de l’exécution des autres détenus et par ses propres pensées.

3.3 Abstraction faite de la pression psychologique, l’auteur fait valoir que les conditions de sa détention à la fois dans le quartier des condamnés à mort et après la commutation de sa peine à la fin de juin 1996 constituent des violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Dans sa réponse datée du 21 juin 1996, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité de la communication.

4.2 L’État partie a fait valoir que la requête constitutionnelle présentée par l’auteur étant encore en instance, sa plainte devrait être considérée comme irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes.

Décision concernant la recevabilité

5.1 À sa soixante et unième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que la requête constitutionnelle présentée au nom de l’auteur était devenue sans objet par suite de la commutation de sa condamnation à la peine de mort par le Président de la Trinité ‑et ‑Tobago. Il n’y a donc pas d’autre recours effectif disponible que l’auteur serait tenu d’épuiser.

5.2 Le Comité a noté que l’auteur avait suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation des articles 6 et 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, dans la mesure où elles se rapportaient à la question des circonstances de la notification de l’ordre d’exécution, à l’absence de prise en charge psychiatrique dans le quartier des condamnés à mort et aux conditions de détention tant avant qu’après la commutation de la peine. En conséquence, le 14 octobre 1997, le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle soulevait des questions au titre des articles 6 et 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il a également demandé à l’État partie de lui transmettre une copie des minutes du procès et du jugement prononcé par la cour d’appel.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

6. Bien qu’ayant été invité à le faire par une décision du Comité en date du 14 octobre 1997 et par deux rappels datés du 22 septembre 2000 et du 11 octobre 2001, l’État partie n’a formulé aucune observation sur le fond de la communication.

Délibérations du Comité

7.1 Ayant jugé la communication recevable, le Comité procède à l’examen quant au fond des plaintes de l’auteur, compte tenu de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur selon laquelle la notification d’un ordre d’exécution à une personne mentalement incapable constitue une violation des articles 6 et 7 du Pacte, le Comité note que le conseil de l’auteur n’a pas dit que son client était mentalement incapable lorsqu’il a été condamné à la peine de mort et que la plainte porte sur la période à laquelle l’ordre d’exécution a été notifié à l’auteur. Le conseil a fourni des informations qui montrent que l’état mental dans lequel l’auteur se trouvait, lorsque l’ordre d’exécution lui a été lu, était évident pour ceux qui étaient autour de lui et que les autorités pénitentiaires auraient dû s’en rendre compte. Ces informations n’ont pas été contestées par l’État partie. Le Comité est d’avis que, dans ces circonstances, la notification d’un ordre d’exécution à l’auteur a constitué une violation de l’article 7 du Pacte. Comme il ne dispose d’aucune autre information concernant l’état mental de l’auteur durant les premières phases de la procédure, le Comité n’est pas en mesure de dire si les droits de l’auteur au titre de l’article 6 ont également été violés.

7.3 Pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions dans lesquelles il a été détenu durant les différentes étapes de son emprisonnement ont constitué une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité note qu’en l’absence de réponse de la part de l’État partie en ce qui concerne les conditions de détention décrites par l’auteur, le conseil de ce dernier a fourni une description détaillée des conditions régnant dans la prison et a également signalé qu’aucune prise en charge psychiatrique n’était disponible dans l’établissement. L’État partie n’ayant pas cherché à contester les allégations détaillées formulées par le conseil de l’auteur ou que les conditions décrites s’appliquent à l’auteur lui-même, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations du conseil. Pour ce qui est de la question de savoir si les conditions décrites ont constitué une violation du Pacte, le Comité considère, comme il l’a fait maintes fois à propos d’allégations similaires, que les conditions de détention de l’auteur telles qu’elles sont décrites constituent une violation de son droit d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l’article 10. Compte tenu de cette constatation faite à propos de l’article 10, disposition du Pacte traitant spécifiquement de la situation des personnes privées de leur liberté et étendant à de telles personnes les droits énoncés d’une manière générale à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les allégations au titre de l’article 7.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de fournir à l’auteur un recours utile, sous la forme de soins médicaux et psychiatriques appropriés. L’État partie a également l’obligation d’améliorer les conditions de détention de façon que l’auteur soit détenu dans des conditions compatibles avec les dispositions de l’article 10 ou de libérer l’auteur, et de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La présente communication ayant été soumise au Comité avant que la dénonciation du Protocole facultatif par l’État partie n’ait pris effet, le 27 juin 2000, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, le Protocole facultatif reste applicable à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à diffuser les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

H. Communication n o 695/1996, Simpson c. Jamaïque (constatations adoptées le 31 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Devon Simpson (représenté par un conseil, M. J. E. Jamison, et par M. Jeremy Kosky, du cabinet juridique londonien Clifford Chance)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Jamaïque

Date de la communication :

19 mars 1996 (communication initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :

29 octobre 1998

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  695/1996 présentée par M. Devon Simpson, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 19 mars 1996) est Devon Simpson, citoyen jamaïcain né le 17 août 1952, qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d’exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Sa condamnation à mort a été commuée en peine d’emprisonnement à perpétuité le 24 février 1998. L’auteur affirme être victime de violations de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 15 août 1991, l’auteur a été arrêté parce qu’il était soupçonné de meurtre. Il a été agressé par la police et on lui a refusé tout soin médical. Il n’a pas porté la question à l’attention des autorités car il ne savait pas que les coups qu’il avait reçus constituaient une violation de ses droits. Il a été enfermé dans une cellule du commissariat de police de Half ‑Way ‑Tree avec 17 autres détenus, dont certains avaient déjà été reconnus coupables. Peu de temps après, il a été transféré à la prison centrale, où il a partagé avec cinq autres détenus une cellule d’environ 2,50 m x 1,20 m, sans éclairage ni seau hygiénique, et où il n’était autorisé à aller aux toilettes qu’une fois par jour.

2.2 Le greffier du tribunal a chargé un avocat de défendre l’auteur parce que ce dernier n’avait pas les moyens d’en engager un lui ‑même. L’auteur n’a pas rencontré son avocat avant l’audience préliminaire, durant laquelle celui ‑ci ne l’a de surcroît pas défendu d’une manière satisfaisante. L’avocat de l’auteur s’est absenté lors de l’audition de deux des quatre témoins de l’accusation parce qu’il devait se rendre dans un autre tribunal.

2.3 Au procès, l’auteur a été représenté par trois avocats, dont il n’en avait rencontré qu’un seul, pendant un quart d’heure, avant le début du procès. Les trois avocats n’ont pas suffisamment contesté les preuves à charge. En particulier, ils n’ont pas suffisamment appelé l’attention sur le fait que la description de l’agresseur par les témoins à charge ne correspondait pas aux caractéristiques physiques de l’auteur. Il n’y a pas eu, d’autre part, de consultations régulières entre l’auteur et ses avocats au cours du procès.

2.4 Au début du procès, l’auteur a été accusé d’avoir commis deux meurtres n’emportant pas la peine de mort. Toutefois, le cinquième jour du procès, le juge a autorisé la modification des chefs d’accusation en meurtre passible de la peine de mort. L’auteur a donc de nouveau comparu devant le juge pour se faire signifier les nouveaux chefs d’accusation mais, apparemment par erreur, il a été encore une fois accusé d’avoir commis un meurtre n’emportant pas la peine capitale. Malgré cela, le juge semble avoir présumé qu’il s’agissait du procès d’une personne accusée d’un meurtre passible de la peine de mort. L’auteur déclare que, perturbé par la modification des chefs d’accusation décidée par le juge, il a fait du banc des accusés une déclaration embrouillée.

Au procès, l’accusation s’est appuyée sur les dépositions de trois témoins oculaires. Ces derniers ont affirmé avoir vu le 8 août 1991, à 19 h 30, Simpson se dirigeant vers l’épicerie de George S. Cockett où travaillaient Cecil Cockett (le père de George S. Cockett) et son frère Donovan. Ils ont témoigné que Simpson avait sorti un revolver et tiré plusieurs coups de feu à l’extérieur du magasin ainsi qu’à l’intérieur de l’épicerie à travers la vitrine, causant la mort de Donovan, Cecil et Simon Cockett. Un des témoins a affirmé qu’une semaine avant l’incident, Donovan Cockett et Simpson avaient eu une altercation durant laquelle ce dernier avait menacé de tuer toute la famille. Dans une déclaration faite sans serment, l’auteur a nié avoir été sur les lieux au cours de l’incident et a déclaré que de fausses accusations avaient été portées contre lui parce qu’un des témoins croyait que c’était après qu’il l’eut dénoncé pour une affaire de drogue que la police avait effectué une descente chez lui quelques semaines avant l’incident.

2.5 Le 6 novembre 1992, l’auteur a été reconnu coupable de deux meurtres passibles de la peine capitale et condamné à la peine de mort par la Home Circuit Court de Kingston 1 .

2.6 Depuis sa condamnation, l’auteur est confiné, seul, dans une cellule jusqu’à 22 heures par jour, passant la plus grande partie de ses moments d’éveil dans l’obscurité, ce qui lui interdit toute occupation. Il ne dispose que de seaux hygiéniques remplis d’excréments humains et d’eau stagnante et vidés seulement une fois par jour. Il n’y a pas d’eau courante dans la cellule. En conséquence, l’auteur doit attendre de pouvoir sortir pour obtenir de l’eau, dont il garde une bouteille dans sa cellule. Il est également affirmé que l’auteur a dormi sur des morceaux de carton et des journaux placés à même le sol en ciment jusqu’en octobre 1994, date à laquelle un vieux matelas lui a été fourni.

2.7 L’auteur souffre depuis plusieurs années d’une affection non diagnostiquée et non traitée, dont les symptômes sont une vive douleur et une tuméfaction au testicule. Il se plaint également d’un problème de dos dont il souffre depuis l’enfance, et qui fait qu’il lui est difficile de rester assis longtemps. Il a également un problème aux yeux à cause de l’obscurité qui règne dans sa cellule. Bien qu’il ait eu la visite d’un médecin en prison, les comprimés qui lui ont été donnés ne l’ont pas soulagé et il s’est vu refuser la possibilité de se faire examiner par un spécialiste.

2.8 La cour d’appel ayant autorisé l’auteur à interjeter appel contre les deux condamnations, son recours a été examiné du 13 au 15 avril et le 9 mai 1994. La cour a admis l’appel contre les deux condamnations pour meurtre puni de la peine capitale requalifiant les actes commis de meurtres non passibles de la peine de mort mais a condamné l’auteur à la peine capitale, en application de l’article 3 (1A) de la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, qui dispose qu’une personne reconnue coupable d’avoir commis plusieurs actes qualifiés de meurtres n’entraînant pas la peine de mort est passible de la peine de mort. L’auteur a fait appel de cette décision devant la section judiciaire du Conseil privé; son cas a été examiné par l’avocat principal, qui a considéré que l’appel contre la condamnation n’avait aucun fondement juridique et a admis une requête contre la sentence seulement. Une autorisation spéciale de former appel en tant que personne sans ressources a été accordée et l’appel a été examiné le 12 février 1996; le 7 mars 1996, le Conseil privé l’a rejeté et a confirmé la sentence de mort.

2.9 Le 19 mars 1996, l’auteur s’est adressé, par l’intermédiaire de ses avocats, au Comité des droits de l’homme pour qu’il demande un sursis à exécution en vertu de l’article 86 de son règlement intérieur. Le 4 avril 1996, l’auteur a été transféré dans la «cellule des condamnés» où son arrêt de mort, par lequel il a appris qu’il allait être exécuté le 18 avril 1996, lui a été lu. Le 11 avril 1996, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie de ne pas exécuter Simpson tant qu’il examinerait sa communication. Le 12 avril 1996, l’État partie a accordé à l’auteur un sursis à exécution.

Teneur de la plainte

3.1 Le conseil affirme que l’auteur est victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. L’auteur a été détenu dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine pendant plus de cinq ans, ce qui selon lui constitue un traitement inhumain et dégradant. Le conseil fait valoir qu’aux termes de la décision rendue par le Conseil privé dans l’affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Procureur général de la Jamaïque  [1994] 2 AC 1, «... lorsque dans une affaire quelle qu’elle soit l’exécution doit avoir lieu plus de cinq ans après la sentence, il y a tout lieu de penser que le retard est tel qu’il constitue un châtiment ou une autre forme de traitement inhumain ou dégradant».

3.2 D’autre part, le conseil affirme que: a) les conditions – décrites aux paragraphes 2.1 et 2.6 ci ‑dessus – dans lesquelles l’auteur est détenu depuis sa condamnation et le fait qu’il n’ait pas obtenu les soins médicaux requis – comme indiqué dans les paragraphes 2.1 et 2.7 ci ‑dessus – constituent en eux ‑mêmes un traitement et une peine cruels, inhumains et dégradants contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte; et que b) appréhendée dans le contexte de ses conditions de détention et de l’absence de soins médicaux, sa détention prolongée constitue une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. À cet égard, le Conseil fait valoir que de nombreuses organisations non gouvernementales ont dénoncé les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient les personnes détenues dans la prison du district de St. Catherine, notant que les installations laissaient beaucoup à désirer: pas de matelas, de literie, de mobilier ni d’installations sanitaires dans les cellules, conduites d’eau perforées, entassement des ordures, égouts à ciel ouvert, pas d’éclairage artificiel dans les cellules jusqu’en 1994, seulement de petites bouches d’aération par lesquelles entre un peu de lumière naturelle, pas de possibilité de travailler pour les détenus, pas d’installations convenables pour se laver et permission de faire sa toilette donnée au compte ‑gouttes, pas de médecin attaché à la prison de sorte que les soins médicaux sont généralement dispensés par des gardiens qui n’ont reçu qu’une formation minimale, et chaque détenu se trouvant dans le quartier des condamnés à mort occupe une cellule individuelle où il est généralement confiné plus de 18 heures par jour .

3.3 Le conseil se réfère aux constatations faites par le Comité au sujet de la communication n o  458/1991 ( A. Mukong c. Cameroun ) dans lesquelles on peut lire ce qui suit: «certaines normes minima doivent être observées quel que soit le niveau de développement de l’État partie. (...) Il est à noter que ce sont là des exigences minima qui, de l’avis du Comité, devraient toujours être observées, même si des considérations économiques ou budgétaires peuvent rendre ces obligations difficiles à respecter.».

3.4 Le conseil affirme aussi que l’auteur est victime d’une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 pour avoir été agressé dans les locaux de la police après son arrestation.

3.5 De plus, le conseil évoque l’angoisse causée à l’auteur par son transfert dans la «cellule des condamnés». Il fait valoir que l’état d’esprit de l’auteur dépendait tellement à l’époque de sa conviction qu’un sursis à exécution lui serait accordé, que le fait que le Comité des droits de l’homme n’ait pas demandé un sursis en son nom – en vertu de l’article 86 de son règlement intérieur – dans un délai raisonnable a constitué un traitement inhumain et dégradant.

3.6 Se référant à l’irrégularité que représentait la modification pendant le procès des chefs d’accusation retenus contre l’auteur, le conseil estime qu’elle était telle que la cour d’appel aurait dû ordonner un nouveau procès plutôt que de faire une correction sur le papier stipulant que l’auteur était reconnu coupable d’avoir commis des actes qualifiés de meurtre n’entraînant pas la peine de mort. Ce manquement de la cour d’appel représente une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où l’auteur n’a pas eu un procès équitable.

3.7 Le conseil fait aussi valoir qu’en raison de la modification des chefs d’accusation le cinquième jour du procès, il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 14 du Pacte car l’auteur n’a pas eu le temps de s’entretenir avec son avocat quant au caractère véritable des charges retenues contre lui et n’a pas pu apprécier les conséquences de celles-ci. La défense aurait pu être conduite différemment si l’auteur avait été informé dès le départ qu’il serait accusé de meurtres emportant la peine de mort. À cet égard, le conseil fait observer que l’auteur a été l’un des premiers à être jugés en vertu de la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes et qu’à l’époque les juristes jamaïcains étaient encore en train de dégager le sens et les implications de cette loi.

3.8 Il est affirmé en outre qu’avant l’audience préliminaire, l’auteur n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et s’entretenir avec son avocate, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, et qu’il n’a pas eu toute la latitude pour faire interroger ou faire comparaître des témoins, ce qui représente une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte. À cet égard, le conseil affirme que le fait que l’auteur ne se soit pas entretenu avec son avocate avant l’audience préliminaire constitue une violation du paragraphe 3 b) et le fait que son avocate était absent lors de l’audition de deux témoins constitue une violation du paragraphe 3 e) . Le conseil fait valoir en outre que cette audience préliminaire n’ayant pas été suffisamment préparée, l’auteur a été mal représenté au procès . Il affirme également qu’en l’absence de consultations avec l’avocate avant l’audience elle ‑même, il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14. L’auteur n’avait pu s’entretenir que 15 minutes avec son avocate, lorsque le gardien aurait prié cette dernière de partir. En outre, le conseil prétend qu’il y a violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 en raison du comportement de l’avocate – décrit au paragraphe 2.3 ci ‑dessus – pendant le procès.

3.9 Le conseil constate qu’avec la décision du Conseil privé, tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il ajoute que le dépôt d’une requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême (constitutionnelle) de la Jamaïque n’est pas un moyen de droit dont l’auteur peut se prévaloir . Il affirme en outre que les personnes sans ressources comme son client ne peuvent en fait se prévaloir de moyens de recours constitutionnels dans la mesure où l’État partie n’accorde aucune assistance juridictionnelle pour des requêtes constitutionnelles. Il fait valoir aussi que les chances de succès des recours administratifs dont peut se prévaloir l’auteur sont minces .

Réponse de l’État partie concernant la recevabilité et commentaires du conseil

4.1 Dans sa réponse du 10 octobre 1996, l’État partie conteste l’allégation selon laquelle la durée du séjour de l’auteur dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation du Pacte, et renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité. Il conteste en outre qu’il y ait eu violation de l’article 10 du Pacte en raison des conditions de détention de l’auteur dans le quartier des condamnés à mort.

4.2 Dans une autre réponse, datée du 12 mars 1997, l’État partie aborde la plainte de l’auteur concernant la modification des charges retenues contre lui. Il fait observer que la cour d’appel a donné suite à la plainte en question en remplaçant le verdict rendu par une condamnation pour meurtre n’emportant pas la peine de mort. Toutefois, cette décision n’a pas eu d’effet sur la sentence de mort, la cour d’appel ayant conclu qu’en vertu des lois en vigueur la même peine s’appliquait aux personnes ayant commis un meurtre emportant la peine de mort ou plusieurs meurtres n’emportant pas la peine de mort, ce qui était le cas de l’auteur. L’État partie estime donc que la cour d’appel a tranché l’affaire comme il convenait.

4.3 Quant à la manière dont le conseil a assuré la défense de l’auteur au procès, l’État partie nie qu’il y ait eu une violation du Pacte dont il aurait à assumer la responsabilité. Il explique qu’une lecture attentive de la loi permet de constater qu’une personne reconnue coupable d’avoir commis plusieurs actes qualifiés de meurtres n’emportant pas la peine capitale est passible de la peine de mort.

4.4 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur, selon laquelle il a été agressé par la police au moment de son arrestation, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas signalé l’incident aux autorités, sous prétexte qu’il ignorait que ce traitement constituait une violation de ses droits. L’État partie a beaucoup de mal à croire cela et déclare qu’en l’absence d’éléments de preuve à l’appui de l’affirmation de l’auteur il rejette l’allégation.

4.5 En ce qui concerne la représentation de l’auteur à l’audience préliminaire, l’État partie fait valoir que s’il lui appartient de désigner un conseil compétent, il n’est en revanche pas responsable de la façon dont celui-ci assure la défense de l’accusé.

4.6 L’État partie indique, en ce qui concerne les violations présumées de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, qu’il va enquêter sur les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’aurait pas reçu de traitement médical ainsi que sur les circonstances de son transfert dans une cellule de condamné.

5.1 Dans une lettre, l’auteur déclare que, le 5 mars 1997, lors d’une fouille, les gardiens ont détruit son lit, certains de ses vêtements et des documents qu’il avait dans sa cellule, et enlevé l’ampoule électrique.

5.2 Dans ses commentaires sur la réponse de l’État partie du 12 mars 1997, le conseil objecte que l’État partie ne peut se contenter de faire valoir que le résultat du procès a été équitable même si son déroulement a été entaché d’irrégularités. Il souligne que la modification des chefs d’accusation à la dernière minute a eu un effet, non seulement sur la sentence, mais aussi sur le moral de l’auteur, ce qui a eu à son tour des répercussions sur la façon dont il a pu contribuer à sa propre défense et la mesure dans laquelle il a pu le faire. D’après le conseil, ceci a pu influer sur la nature des preuves présentées au tribunal. La cour d’appel aurait donc dû ordonner un nouveau procès au lieu de changer simplement la sentence.

5.3 En ce qui concerne la représentation de l’auteur à l’audience préliminaire, le conseil fait valoir qu’un conseil qui néglige d’écouter la déposition de deux témoins à charge sur quatre et d’examiner le dossier avec son client avant l’audience ne peut être qualifié de «compétent».

Considérations relatives à la recevabilité

6.1 À sa soixante ‑quatrième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 En ce qui concerne l’allégation du conseil, selon laquelle l’auteur n’aurait pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense, ses avocats n’étant venus le voir qu’une fois avant le procès, le Comité fait observer que c’était aux représentants de l’auteur ou à l’auteur lui ‑même qu’il appartenait de demander un ajournement au début du procès s’ils avaient estimé qu’ils manquaient de temps pour préparer la défense. Il ressort des minutes du procès qu’aucun ajournement n’a été demandé au début du procès et qu’à une autre occasion, un ajournement a été accordé par le juge au conseil de la défense pour lui permettre d’examiner de nouveaux éléments de preuve. Le Comité estime que cette allégation est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, car non étayée. (par. 3.8)

6.3 Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le représentant de l’auteur au procès n’avait pas procédé à un contre ‑interrogatoire en bonne et due forme des témoins à charge, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir qu’un État partie ne peut être tenu responsable de la conduite d’un avocat de la défense, sauf si le juge a constaté ou aurait dû constater qu’elle était incompatible avec l’intérêt de la justice . Dans le cas d’espèce, il n’y a aucune raison de penser que le conseil n’a pas fait usage au procès de son jugement professionnel dans l’intérêt de son client; aussi cette partie de la communication est ‑elle irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. (par. 3.8)

6.4 En ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 3 a) et b) de l’article 14 du Pacte concernant la modification des chefs d’accusation retenus contre lui, le Comité note que la cour d’appel a réparé les éventuelles irrégularités à cet égard en annulant les condamnations pour meurtre emportant la peine de mort. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. (par. 3.7)

6.5 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur, selon laquelle la décision de la cour d’appel concernant la transformation de la condamnation équivalait à un déni de justice et selon laquelle la Cour aurait dû par contre ordonner un nouveau procès, le Comité note que la question n’a pas été soulevée lors de l’examen du recours de l’auteur devant la section judiciaire du Conseil privé, où le seul élément dont il a été débattu a été la sentence et non les condamnations. Cette partie de la communication est donc irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. (par. 3.6)

6.6 En ce qui concerne la plainte de l’auteur selon laquelle il aurait été frappé au moment de son arrestation et n’aurait pas reçu de traitement médical en août 1991, le Comité note que cette plainte n’a jamais été portée à l’attention des autorités avant d’être présentée au Comité. Cette partie de la communication est donc irrecevable, les recours internes n’ayant pas été épuisés. (par. 2.1)

6.7 S’agissant de l’affirmation selon laquelle il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte en raison du temps que l’auteur a passé dans le quartier des condamnés à mort, le Comité renvoie à sa jurisprudence , selon laquelle la détention dans le quartier des condamnés à mort pendant une période déterminée ne représente pas une violation du Pacte, en l’absence d’autres circonstances impérieuses. En l’espèce, le Comité estime que l’auteur n’ayant présenté aucun autre élément qui puisse étayer son allégation, cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. (par. 3.1)

6.8 En ce qui concerne la plainte faisant état de la souffrance morale causée à l’auteur lorsqu’on lui a lu son arrêt de mort bien que son avocat ait présenté une communication au Comité des droits de l’homme, le Comité estime que le fait qu’il n’ait pas demandé un sursis à exécution avant que l’ordre d’exécution ne soit lu à l’auteur ne peut constituer une violation du Pacte imputable à l’État partie. Cette partie de la communication est donc jugée irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif. (par. 3.5)

6.9 Le Comité note que l’État partie a dit qu’il enquêterait sur les plaintes de l’auteur concernant les conditions de sa détention et le fait qu’il n’ait pas reçu de traitement médical. Le Comité estime que ces plaintes, ainsi que celles qui portent sur les conditions de sa détention provisoire, sont recevables et doivent être examinées quant au fond.

6.10 Le Comité estime également que la plainte de l’auteur, selon laquelle son représentant à l’audience préliminaire n’a pu entendre la déposition de deux témoins à charge sur quatre parce qu’il était absent à ce moment-là, peut soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14 du Pacte qui devraient être examinées quant au fond.

Délibérations du Comité

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en se fondant sur toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation que, depuis que le Comité a pris sa décision concernant la recevabilité, l’État partie n’a fourni aucune information complémentaire pour éclaircir les points soulevés dans la communication. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’examiner de bonne foi toutes les allégations qui lui sont soumises et de fournir au Comité tous les renseignements dont il dispose. Comme l’État partie ne s’est pas montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles ont été étayées.

7.2 Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle il y a eu violation des articles 7 et 10 du Pacte, le Comité note que le conseil a formulé des allégations précises et détaillées concernant les conditions de détention inadéquates de l’auteur avant son procès et depuis sa condamnation et le fait qu’il n’ait pas bénéficié de soins médicaux. L’État partie n’a pas répondu d’une manière détaillée à ces allégations se contentant de nier dans sa lettre initiale que ces conditions constituent une violation du Pacte et indiquant ensuite qu’il enquêterait sur les allégations de l’auteur, y compris celles relatives à l’absence de soins médicaux (par. 4.6). Le Comité note que l’État partie ne l’a pas informé du résultat de son enquête. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il considère que les conditions de détention de l’auteur et le manque de soins médicaux dont il a fait état constituent une violation de son droit d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et sont donc contraires au paragraphe 1 de l’article 10. Compte tenu de la conclusion à laquelle le Comité est parvenu en ce qui concerne l’article 10, disposition du Pacte qui porte sur la situation des personnes privées de liberté et qui étend au cas de ces personnes le champ d’application des éléments exprimés en termes généraux dans l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les différentes allégations faites au titre de cet article. (par. 3.2)

7.3 Pour ce qui est de l’affirmation du conseil selon laquelle l’avocate de l’auteur était absente lors de l’audition de deux des quatre témoins pendant l’audience préliminaire, le Comité a estimé dans sa décision concernant la recevabilité que cette allégation pouvait soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14. Le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle il va de soi que l’assistance d’un défenseur doit être assurée à toutes les étapes de la procédure pénale, en particulier dans les cas de crime capital . Il rappelle aussi la décision qu’il a adoptée le 23 mars 1999 concernant la communication n o  775/1997 ( Brown c. Jamaïque ), dans laquelle il a déclaré qu’un magistrat ne devrait pas appeler les témoins à faire leur déposition à l’audience préliminaire sans donner à l’auteur l’occasion de se faire assister de son conseil. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’avocate de l’auteur était absente lors de l’audition de deux témoins et qu’il ne semble pas que le magistrat ait ordonné une suspension d’audience jusqu’à ce qu’elle revienne. En conséquence, le Comité estime que les faits portés à son attention montrent qu’il y a eu violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. (par. 3.8)

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Jamaïque de l’article 10 et du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

9. En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate, à l’amélioration de ses conditions de détention et à ce que la possibilité qu’il soit libéré rapidement soit dûment examinée.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

I. Communication n o 721/1997, Boodoo c. Trinité-et-Tobago (constatations adoptées le 2 avril 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Clement Boodoo

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

13 juin 1994 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :

5 juillet 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  721/1996 présentée par M. Clement Boodoo, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 13 juin 1994) est Clement Boodoo, citoyen trinidadien, qui purgeait, au moment de la présentation de la communication, une peine de 10 ans d’emprisonnement à la prison de Carrera (Trinité ‑et ‑Tobago). Bien que l’auteur n’invoque aucune disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la communication semble soulever des points au titre de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 3 c) de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur indique qu’il est détenu depuis le 21 avril 1989. Il a été déclaré coupable de vol et condamné à 10 ans d’emprisonnement le 24 janvier 1992. Il dit que la date la plus proche à laquelle il puisse être libéré est le 31 décembre 1998 1 .

2.2 Le 3 décembre 1990, alors que l’auteur était encore en détention provisoire, un plan de la prison et une arme de fabrication artisanale ont été découverts dans sa cellule. En guise de punition, il a été placé en «isolement cellulaire» dans un quartier de haute sécurité réservé aux évadés. L’auteur est resté depuis lors en isolement cellulaire. Il est enfermé 23 heures par jour dans sa cellule, où il dort sur un tapis de 2,5 cm d’épaisseur. Il ne peut en sortir qu’une fois par jour pour prendre l’air et se laver. Pour prendre l’air, on le conduit dans un endroit qui sert de lieu d’évacuation des urines et des excréments, alors que les autres prisonniers peuvent prendre l’air dans un endroit beaucoup plus spacieux et plus propre, où ils ont la possibilité de faire de l’exercice, de jouer au tennis et au football et de se livrer à d’autres activités récréatives. L’endroit où l’auteur peut prendre l’air est humide, glissant et infesté de vers et de mouches. Le sol est souvent couvert d’excréments. Si l’auteur se plaint de cette situation, les gardiens le laissent enfermé dans sa cellule. En mars 1991, il s’est vu infliger 21 jours de régime alimentaire restreint.

2.3 En raison de ses conditions de détention, l’auteur est en train de perdre la vue. Le médecin de la prison lui a recommandé de passer au moins trois heures à la lumière du jour mais il n’est pas donné suite à cette recommandation. Alors que les autres personnes détenues dans le quartier de sécurité maximum sont autorisées à participer au programme récréatif et à faire leurs prières pendant les offices chrétiens ou musulmans, l’auteur s’est vu priver de ces privilèges.

2.4 Lorsque, après sa condamnation, l’auteur a été photographié, le photographe l’a forcé à se faire raser la barbe bien que l’auteur lui ait dit que sa confession musulmane le lui interdisait. Plus tard dans la journée, l’auteur s’est plaint auprès de l’inspecteur des prisons, qui l’a autorisé à se laisser pousser la barbe à nouveau.

2.5 Le 1 er  décembre 1992, l’auteur a été menacé par des surveillants et a subi des violences avant d’être ramené dans sa cellule. Le 8 décembre 1992, les autorités pénitentiaires l’ont informé qu’un détenu leur avait dit qu’il préparait une tentative d’évasion.

2.6 Le 18 janvier 1993, l’auteur a été fouillé, ses habits de prière lui ont été enlevés et on lui a rasé la barbe de force. Il a ensuite subi des sévices de la part des surveillants de la prison. Il a reçu des coups à la tête, à la poitrine, à l’aine et aux jambes et lorsqu’il a demandé des soins médicaux immédiats, sa requête a été ignorée. Quelques semaines plus tard, parce qu’il se plaignait de douleurs continues, le fonctionnaire médical lui a donné des analgésiques. Le 27 mai 1993, l’auteur s’est plaint par écrit à l’inspecteur des prisons mais aucune suite n’a été donnée à sa plainte.

2.7 De temps en temps, l’auteur est transféré pour de brèves périodes à la prison de Port of Spain. Dans cet établissement, il est maintenu 24 heures par jour dans une cellule faiblement éclairée et n’a pas le droit de se distraire ou de prendre l’air. Il ignore la raison pour laquelle il doit faire le va ‑et ‑vient entre les deux prisons. À son retour à la prison de Carrera, l’auteur est forcé de se déshabiller complètement et de rétracter son prépuce. Il est en outre obligé d’écarter les fesses et de s’accroupir trois ou quatre fois devant les gardiens. Selon l’auteur, aucun autre prisonnier n’est soumis à une telle humiliation.

2.8 L’auteur a été brutalisé par les gardiens plusieurs fois. Il a en outre reçu d’eux des menaces pour s’être plaint à l’Organisation des Nations Unies et on ne lui remet pas toujours son courrier. L’auteur affirme également qu’il doit demander l’autorisation chaque fois qu’il veut écrire une lettre et qu’on lui a parfois refusé la permission d’écrire à l’ONU, au Président et à son avocat.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que ses droits sont violés du fait de différents aspects de sa détention et que les conditions dans lesquelles il est incarcéré sont inhumaines et qu’en conséquence sa vue se détériore.

3.2 Il déclare qu’il est privé du droit de pratiquer sa religion puisqu’il lui est interdit de faire sa prière pendant les offices musulmans, que ses livres de prière lui ont été confisqués et que par deux fois on lui a rasé de force la barbe.

3.3 L’auteur affirme que la méthode utilisée par les gardiens pour le fouiller, qui est décrite aux paragraphes 2.6 et 2.7, est humiliante, qu’aucun autre prisonnier n’est soumis au même traitement et que les atteintes physiques à son intégrité sont gratuites et inhumaines.

3.4 Enfin, il affirme qu’il a eu beaucoup de mal à recevoir des informations de l’ONU et d’autres personnes se trouvant à l’extérieur de la prison ou à leur communiquer des informations en raison des menaces dont il est l’objet et parce que son courrier est intercepté.

Décision concernant la recevabilité

4.1 À sa soixante ‑sixième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté avec préoccupation le manque de coopération de la part de l’État partie qui n’a fait parvenir aucune observation sur la recevabilité.

4.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3 S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’État partie n’avait pas fait valoir qu’il existait des recours internes que l’auteur pouvait encore épuiser.

4.4 Le Comité est parvenu à la décision suivante: «En l’absence d’observations de la part de l’État partie, le Comité ne voit pas d’obstacle à la recevabilité de la communication et considère qu’elle semble soulever, en particulier au titre des articles 7, 10 et 18 du Pacte, des questions qui doivent être examinées quant au fond.». En conséquence, le 5 juillet 1999, le Comité a déclaré la communication recevable.

Délibérations du Comité

5.1 En dépit de rappels datés du 25 septembre 2000 et du 11 octobre 2001, l’État partie n’a fait parvenir aucune observation sur le fond. Le Comité regrette le manque de coopération de la part de l’État partie et rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’il est tenu de fournir au Comité, de bonne foi et dans les délais impartis, toutes les informations à sa disposition. En l’absence de renseignements émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles sont étayées.

5.2 Le Comité note qu’au moment de la présentation de la communication, la Trinité ‑et ‑Tobago était partie au Protocole facultatif. Le retrait de l’État partie de ce protocole le 27 mars 2000, avec effet au 27 juin 2000, n’affecte en rien la compétence du Comité pour examiner la communication quant au fond.

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Le Comité note que l’auteur a été détenu pendant deux ans et neuf mois avant son procès et réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle toutes les phases de la procédure judiciaire doivent se dérouler sans retard excessif. Le Comité conclut que la période de 33 mois qui s’est écoulée entre l’arrestation et le procès a constitué un retard excessif et ne peut être considérée comme compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, en l’absence de toute explication de l’État partie justifiant le retard ou précisant pourquoi l’auteur a été détenu pendant cette période sans jugement. Le Comité estime donc qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

6.3 Le Comité estime que le retard avec lequel l’auteur a été mis en jugement constitue, en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

6.4 Le Comité note que l’auteur se plaint, aux paragraphes 2.2 et 2.6 ci ‑dessus, d’avoir été détenu dans des conditions épouvantables et insalubres qui ont fait que sa vue s’est détériorée. De l’avis du Comité, les conditions décrites dans ces paragraphes sont telles qu’elles constituent une violation du droit d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et sont donc contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.5 Pour ce qui est des atteintes physiques à l’intégrité de l’auteur, en particulier l’incident décrit au paragraphe 2.6 ci ‑dessus, des menaces de violence dont il a été l’objet et du traitement qui lui est réservé lorsqu’il est fouillé par les gardiens (par. 2.7), le Comité considère qu’en l’absence de toute explication de la part de l’État partie un tel traitement constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

6.6 Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il lui a été interdit de porter la barbe et de faire sa prière pendant les offices religieux et que ses livres de prière lui ont été confisqués, le Comité réaffirme que la liberté de manifester sa religion et sa conviction par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés et que le concept de culte comprend les actes rituels et cérémoniels exprimant une conviction, ainsi que différentes pratiques propres à ces actes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie concernant les allégations de l’auteur formulées aux paragraphes 2.3 à 2.6, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 18 du Pacte.

6.7 Pour ce qui est des allégations de l’auteur relatives aux atteintes à sa vie privée et à sa dignité, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits de l’auteur en vertu de l’article 17.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 3 c) de l’article 14, de l’article 17 et de l’article 18 du Pacte.

8. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile sous la forme d’un dédommagement pour le traitement qu’il a subi. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

J. Communication n o 728/1996, Sahadeo c. Guyana (constatations adoptées le 1er novembre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M me Margaret Paul (sœur de M. Sahadeo)

Au nom de :

M. Terrence Sahadeo

État partie :

République du Guyana

Date de la communication :

10 novembre 1996 (communication initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :

29 octobre 1998

Le Comité des droits de l’homme , institué conformément à l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er  novembre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 728/1996 présentée au Comité par M me  Margaret Paul (sœur de M. Sahadeo) conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M me  Margaret Paul. Elle présente la communication au nom de son frère, Terrence Sahadeo, citoyen guyanien, en attente d’exécution dans une prison de Georgetown au Guyana. Elle affirme qu’il est victime de violations des droits de l’homme par le Guyana. Bien qu’aucun article spécifique du Pacte ne soit invoqué, la communication semble soulever des questions au titre des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 18 septembre 1985, M. Terrence Sahadeo, un de ses amis, Mutez Ali, et l’amie de celui ‑ci, Shireen Kahn, ont été arrêtés dans le comté de Berbice (Guyana) pour le meurtre d’une certaine Roshanene Kassim, commis le même jour.

2.2 L’auteur déclare que M. Sahadeo et ses coaccusés ont été condamnés à mort le 8 novembre 1989, quatre ans et deux mois après leur arrestation. Apparemment, deux procès antérieurs, tenus en juin 1988 et en février 1989, avaient tourné court. Lors du jugement en appel, en 1992, un nouveau procès avait été ordonné. Le 26 mai 1994, M. Sahadeo et ses coaccusés ont été à nouveau condamnés à mort. En 1996, leur recours a été rejeté et la sentence confirmée.

2.3 Il ressort de l’examen du dossier des preuves (incomplet) fourni par la victime présumée lorsqu’elle a été rejugée en 1994 que l’accusation s’est fondée sur l’argumentation suivante: Terrence Sahadeo et Mutez Ali, agissant en concertation avec M me  Kahn, se sont rendus au domicile de M me  Kassim pour la voler, l’ont ligotée et égorgée. Un témoin à charge (une femme) a déclaré lors du procès que le matin du crime elle avait entendu par hasard M me  Kahn demander à une fillette, en la présence de l’accusé, s’il y avait quelqu’un dans la maison de la défunte, ce à quoi il leur avait été répondu que Roshanene Kassim était seule chez elle. M me  Kahn aurait alors dit aux deux autres accusés d’aller voir ce qu’ils pourraient en ramener. Le témoin a indiqué que, de la fenêtre d’un logement situé à deux maisons de distance, elle avait vu M me  Kassim chez elle et les deux hommes entrer dans la maison et en ressortir un quart d’heure plus tard. Cette femme a en outre déclaré que M. Sahadeo avait les mains tachées de sang, qu’il les avait lavées et qu’il avait remis des bijoux à M me  Kahn. Lors de son contre ‑interrogatoire, ce témoin a déclaré avoir été détenu par la police pendant deux jours et avoir tenté de contacter un avocat, estimant être détenu contre son gré, avant de faire sa déposition.

2.4 Les seuls autres éléments de preuve contre M. Sahadeo étaient ses aveux et des déclarations des policiers chargés de l’enquête. Lorsque M. Sahadeo a été rejugé en 1994, le caractère spontané de ses aveux a été contesté par la défense et a fait l’objet d’un examen préliminaire. M. Sahadeo a affirmé que, lorsqu’il avait été interrogé par la police en 1985, il avait été battu par trois policiers et qu’un policier l’avait frappé sur l’orteil avec un petit marteau. Il avait alors signé la déposition. Le médecin de la prison a témoigné que, lors de son admission, M. Sahadeo s’était plaint d’avoir été frappé au dos. Lorsqu’il l’avait examiné, le médecin n’avait trouvé aucune blessure à son dos, mais avait découvert une blessure à l’orteil pour laquelle il lui avait prescrit un antibiotique. Après l’examen préliminaire, le juge a déclaré la déposition recevable.

2.5 Les policiers chargés de l’enquête ont déclaré, lorsque l’accusé a été rejugé en 1994, qu’il avait été arrêté parce qu’il se trouvait devant la maison voisine de celle de M me  Kassim et qu’il avait des griffures sur le haut du corps. Les policiers ont nié avoir eu recours à la force ou à des menaces lorsqu’ils ont interrogé M. Sahadeo, et ont affirmé que celui ‑ci avait été normalement nourri au cours de sa détention.

2.6 À la barre, M. Sahadeo a nié toute implication dans l’assassinat et affirmé qu’on l’avait frappé pour le forcer à signer des aveux trois jours après son arrestation. Après son arrestation, M. Sahadeo a été conduit chez un médecin qui, après l’avoir examiné, a établi à l’intention de la police un certificat où il disait n’avoir constaté aucune trace de blessure sur son corps. L’auteur déclare en outre que la victime présumée a été privée de nourriture jusqu’au lendemain de ses aveux.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son frère est innocent, et que lui et ses amis ont été arrêtés uniquement parce qu’ils étaient inconnus dans le village, où ils passaient des vacances. Au commissariat de police, comme M. Sahadeo aurait été battu et frappé aux ongles des pieds avec un petit marteau, de peur d’être encore maltraité il aurait signé des aveux préparés à l’avance.

3.2 Selon l’auteur, il n’existe aucune preuve à charge de son frère. Le certificat médical et le dossier de police manquaient lorsque le procès contre son frère s’est ouvert, et les seuls éléments de preuve étaient les aveux de ce dernier et la déposition d’un témoin. L’auteur affirme que, dans une première déposition à la police, la femme qui avait porté témoignage n’avait pas accusé son frère, mais qu’elle avait fait une seconde déposition après avoir été enfermée durant deux jours sans pouvoir consulter un avocat. L’auteur affirme en outre que la juge était partiale, parce qu’elle avait posé aux témoins des questions pour aider l’accusation et fait des remarques désobligeantes. Selon l’auteur, il y avait déni de justice.

3.3 Enfin, l’auteur affirme que la lenteur de la procédure en l’espèce a causé un préjudice moral.

Décision du Comité concernant la recevabilité

4. Le 21 novembre 1996, le Comité a invité l’État partie à fournir des informations sur la recevabilité de la communication. Conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité a également prié l’État partie de ne pas exécuter la peine de mort contre M. Sahadeo.

5. Par une note du 30 juin 1998, l’État partie a informé le Comité qu’il n’avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la communication, M. Sahadeo ayant épuisé tous les recours internes disponibles.

6.1 À sa soixante ‑quatrième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les preuves à charge contre M. Sahadeo n’étaient pas suffisantes pour qu’il soit condamné, le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il n’appartient généralement pas au Comité, mais aux tribunaux des États parties, d’examiner les éléments de preuve contre un accusé, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité et les allégations de l’auteur ne permettent pas de conclure que tel était le cas dans le procès de M. Sahadeo. En conséquence, cette partie de la communication, ne répondant pas aux prescriptions de l’article 2 du Protocole facultatif, est irrecevable.

6.4 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle la juge était partiale, le Comité note que l’auteur n’a fourni aucune information spécifique pour étayer cette allégation. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, l’auteur n’ayant pas étayé ses allégations aux fins de la recevabilité de la communication.

6.5 Le Comité estime que les autres allégations de l’auteur sont recevables et doivent être examinées au fond car elles peuvent soulever des questions au titre du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, en ce qui concerne la lenteur de la procédure, et au titre des articles 7 et 14 en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles les aveux ont été signés.

7. En conséquence, le 23 octobre 1998, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle peut soulever des questions au titre des articles 7, 9 (par. 3) et 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

8.1 Les 27 novembre 1998, 22 septembre 2000 et 24 juillet 2001, l’État partie a été invité à soumettre au Comité des informations concernant le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu d’informations.

8.2 Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées 1 .

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 En ce qui concerne la lenteur de la procédure, le Comité note que la victime présumée a été arrêtée le 18 septembre 1985 et est restée en détention jusqu’à sa condamnation à mort une première fois le 8 novembre 1989, quatre ans et deux mois après son arrestation. Il rappelle qu’aux termes du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, tout individu arrêté doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré, et qu’en vertu du paragraphe 3 c) de l’article 14 toute personne accusée a droit à être jugée sans retard excessif. Le Comité rappelle que si un individu est placé en garde à vue et en détention provisoire du chef d’une infraction pénale, les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 et celles de l’article 14 doivent être pleinement respectées. En ce qui concerne les autres retards de la procédure judiciaire invoqués, le Comité constate que le recours de M. Sahadeo a été examiné de la fin d’avril au début de mai 1992 et que la victime présumée a de nouveau été jugée et condamnée à mort le 26 mai 1994, deux ans et un mois après le jugement de la cour d’appel. En 1996, le recours a été rejeté et la sentence confirmée. Le Comité estime que, en l’absence d’une explication satisfaisante de l’État partie et d’autres éléments ressortant du dossier qui pourraient la justifier, la détention de l’auteur avant son jugement constituait une violation des dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, et aussi une violation des dispositions du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.3 En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles les aveux ont été signés, le Comité constate que M. Sahadeo a identifié les personnes qu’il tient pour responsables; des renseignements plus détaillés eu égard à ses allégations se trouvent dans le dossier de preuves. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de protéger toute personne contre la torture et autre traitement cruel, inhumain ou dégradant conformément à l’article 7 du Pacte. Le Comité a établi qu’il importait, pour prévenir les violations de l’article 7, que la loi interdise d’utiliser ou déclare irrecevables dans une procédure judiciaire les déclarations ou aveux obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit. Le Comité observe que les allégations de torture faites par M. Sahadeo ont été examinées durant son premier procès en 1989 et à nouveau lorsqu’il a été rejugé en 1994. Il ressort du dossier des preuves qui a été présenté lorsqu’il a été rejugé que M. Sahadeo avait eu la possibilité de fournir des preuves et que des témoins du traitement dont il avait fait l’objet lorsqu’il avait été détenu par la police avaient été interrogés contradictoirement. Le Comité rappelle qu’il appartient en général aux tribunaux des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits dans une affaire déterminée. Les informations soumises au Comité et les arguments avancés par l’auteur ne démontrent pas que l’évaluation des faits par les tribunaux ait été manifestement arbitraire ou puisse être assimilée à un déni de justice. Dans ces circonstances, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne permettent pas de conclure à une violation des dispositions de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte s’agissant des circonstances dans lesquelles les aveux ont été signés.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

11. Le Comité estime que, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, M. Sahadeo a droit à un recours utile, étant donné qu’il a passé une très longue période en détention provisoire en violation du paragraphe 3 de l’article 9, et que le délai qui s’est écoulé avant qu’il ne soit rejugé devrait entraîner une commutation de la peine de mort et une réparation au sens du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12. Étant donné qu’en devenant partie au Protocole facultatif le Guyana a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Martin Scheinin (en partie dissidente)

Je partage l’opinion de la majorité sur deux points importants, à savoir: a) que des dispositions du Pacte ont été violées au cours de la procédure judiciaire contre M. Sahadeo, avec pour conséquence qu’il a été condamné à la peine de mort, et b) que dès lors, compte tenu de l’obligation faite à l’État partie, en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, de garantir un recours utile à la victime, celle-ci doit nécessairement pouvoir préserver sa vie. Conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, une condamnation à la peine de mort ne peut jamais être prononcée à l’issue d’une procédure devant laquelle il y a eu violation du Pacte.

Je ne souscris pas, en revanche, à l’opinion de la majorité quant aux conclusions à tirer de l’utilisation faite devant la justice des aveux de M. Sahadeo. Celui ‑ci, qui est en attente d’exécution dans une prison de Georgetown, était représenté devant le Comité par sa sœur, qui n’est pas une spécialiste. Étant donné que l’État partie n’a communiqué au Comité aucune information, si ce n’est pour dire qu’il n’avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la communication sous tous ses aspects, j’estime qu’il ne peut pas être reproché à M. Sahadeo d’avoir présenté un dossier incomplet.

Il appartient en général aux tribunaux des États parties, et non au Comité, d’évaluer les éléments de preuve contre un accusé. Or, il ressort en l’espèce des informations incomplètes présentées au Comité que, lorsque la juge qui présidait le tribunal a présenté les éléments de preuve visant à établir la crédibilité du témoignage de M. Sahadeo dont il ressortait qu’il avait signé les aveux après avoir été maltraité, elle a fait des remarques désobligeantes pour l’accusé. La juge s’est référée par exemple à la couleur de peau de M. Sahadeo, en donnant à entendre que si celui ‑ci avait été maltraité, des traces auraient été vues lorsqu’il avait été examiné après par un médecin, en plus de la blessure à l’orteil qui avait été mentionnée. Comme le tribunal, en conséquence, n’a pas dûment considéré les contraintes et mauvais traitements possibles dans un cas où une condamnation à la peine de mort a été prononcée, je considère qu’il y a eu violation des articles 7 et 14 du Pacte.

( Signé ) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (dissidente)

Mon opinion individuelle dissidente est fondée sur les points exposés ci ‑après:

L’auteur a déclaré que ses aveux lui avaient été extorqués par la police, qui l’avait frappé et lui avait infligé des mauvais traitements, et que, notamment, il avait reçu un coup de marteau à l’orteil. Le médecin de la prison a confirmé que M. Sahadeo s’était plaint d’avoir été frappé au dos et a constaté une blessure au pied. Il a indiqué également qu’il lui avait en conséquence prescrit un antibiotique. Par la suite, lorsqu’il a comparu sur le banc des accusés, l’auteur a de nouveau déclaré qu’il avait été soumis à des mauvais traitements visant à le contraindre à signer des aveux. Ces aveux ont été la preuve essentielle invoquée par le procureur et ayant motivé la condamnation à mort.

Dans son Observation générale n o  20, le Comité a déclaré qu’il importait, pour dissuader de commettre des violations de l’article 7 du Pacte, que la loi déclare irrecevables, dans une procédure judiciaire, des déclarations et aveux obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit. L’État partie n’a pas réfuté l’affirmation selon laquelle la victime présumée a subi des coups, et les allégations de torture de l’auteur n’ont été examinées par la justice que quatre ans après qu’elles eurent été formulées. Comme le Comité l’a déclaré à d’autres occasions, le silence de l’État partie signifie un manque de collaboration de sa part puisqu’il ne s’acquitte pas de son obligation découlant du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, en vertu duquel il est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie a violé l’article 7 du Pacte et que l’utilisation faite devant la justice des aveux, dont la validité est contestée, afin de justifier une condamnation pour assassinat a également constitué une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile qui entraîne la commutation de la peine de mort. En outre, l’État partie doit veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

K. Communication n o 747/1997, Des Fours Walderode c. République tchèque (constatations adoptées le 30 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Karel Des Fours Walderode (décédé en février 2000) et son épouse survivante, M me  Johanna Kammerlander (le représentant en qualité de conseil)

Au nom de :

L’auteur et son épouse survivante

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

21 novembre 1996

Date de la décision concernant la recevabilité :

19 mars 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué conformément à l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 747/1997 présentée au Comité au nom de feu Karel Des Fours Walderode et d’elle-même par M me  Johanna Kammerlander se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur initial de la communication était M. Karel Des Fours Walderode, citoyen tchèque et autrichien résidant à Prague (République tchèque). Son épouse, M me Johanna Kammerlander, le représentait en qualité de conseil. Il se déclarait victime de violations par la République tchèque du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Tchécoslovaquie a ratifié le Pacte en décembre 1975 et le Protocole facultatif en mars 1991 1 . L’auteur est décédé le 6 février 2000 et son épouse maintient la communication devant le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 D’origine franco ‑allemande, M. Des Fours Walderode est né à Vienne le 4 mai 1904, dans ce qui était alors l’empire austro ‑hongrois. Sa famille s’était établie en Bohême dès le XVII e  siècle. À la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, il résidait en Bohême, un royaume de l’ancien empire, et il est devenu citoyen de la toute nouvelle Tchécoslovaquie. Comme l’allemand était sa langue maternelle, en 1939 il est automatiquement devenu citoyen allemand en vertu du décret d’Hitler du 16 mars 1939, qui portait création du protectorat de Bohême ‑Moravie. À la mort de son père, le 5 mars 1941, l’auteur a hérité de la propriété de Hruby Rohozec.

2.2 Le 6 août 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa propriété a été confisquée en application du décret Benes 12/1945, en vertu duquel les biens fonciers des Allemands et des Hongrois étaient confisqués sans aucune indemnisation. Toutefois, étant resté loyal envers la République tchécoslovaque pendant l’occupation nazie, il a conservé la nationalité tchèque conformément au paragraphe 2 du décret constitutionnel 33/1945. Après l’arrivée au pouvoir des communistes en 1948, il a dû quitter le pays en 1949 pour des raisons politiques et économiques. En 1991, à l’issue de la «révolution de velours» de 1989, il s’est définitivement installé à Prague. Le 16 avril 1991, le Ministère tchèque de l’intérieur l’a informé qu’il était toujours citoyen tchèque. Néanmoins, le 20 août 1992, l’État lui a octroyé de nouveau la nationalité tchèque au motif qu’on avait retrouvé un document établissant qu’il avait perdu sa nationalité en quittant le pays en 1949.

2.3 Entrée en vigueur le 15 avril 1992, la loi 243/1992 prévoit la restitution des propriétés agricoles et forestières qui avaient été confisquées en application du décret 12/1945. Pour pouvoir prétendre à la restitution des biens confisqués, le demandeur devait satisfaire aux conditions prévues en matière de nationalité par le décret 33/1945 (ou par la loi 245/1948, 194/1949 ou 34/1953), résider de manière permanente en République tchèque, avoir été loyal envers la République tchécoslovaque pendant l’occupation allemande et avoir la nationalité tchèque au moment du dépôt de la demande de restitution. L’auteur a déposé une demande portant sur la restitution de la propriété de Hruby Rohozec dans les délais prescrits et a conclu avec les propriétaires le 24 novembre 1992 un contrat de restitution qui a reçu l’aval du Bureau foncier le 10 mars 1993 (PU-R 806/93). Le recours formé par la ville de Turnov a été rejeté par le Bureau foncier central (décision 1391/93-50 du 30 juillet 1993). L’auteur est donc entré en possession de ses biens le 29 septembre 1993.

2.4 L’auteur fait valoir que l’État est intervenu auprès de l’appareil judiciaire et a fait constamment pression sur les autorités administratives et cite à l’appui de ses dires une lettre, datée du 29 avril 1993, adressée aux autorités de Semily et aux ministères compétents, par le Premier Ministre tchèque de l’époque, Vaclav Klaus, qui joignait un avis juridique selon lequel la restitution des biens confisqués avant le 25 février 1948 était «licite» mais néanmoins «inacceptable». L’auteur dit que cette déclaration politique a par la suite été utilisée au cours de l’instruction. Il indique en outre qu’à la fin de 1993, des pressions politiques croissantes ont amené le Ministère de l’intérieur à revenir sur la question de sa nationalité. Par ailleurs, les anciens propriétaires de Hruby Rohozec se sont laissé persuader de retirer leur consentement relatif à la restitution des terres.

2.5 Le 22 décembre 1994, le Bureau du Procureur général du district de Semily a déposé une requête auprès du tribunal de district au titre du paragraphe 42 de la loi 283/1993, qui visait à faire déclarer nulle et non avenue la décision prise par le Bureau foncier le 10 mars 1993. Le tribunal de district a rejeté cette requête le 29 décembre 1994. En appel, l’affaire a été renvoyée à l’organe de première instance.

2.6 Le 7 août 1995, un collectif de citoyens a demandé la révision de la décision rendue le 10 mars 1993 par le Bureau foncier de Semily. Le Bureau foncier central a examiné la décision du point de vue de sa licéité et a rejeté la demande de révision le 17 octobre 1995. Nonobstant ce rejet, le 2 novembre 1995, il informait l’auteur qu’il allait malgré tout entamer la révision de la décision. Le 23 novembre 1995, le Ministère de l’agriculture annulait la décision du Bureau foncier de Semily en date du 10 mars 1993 au motif qu’il subsistait des doutes quant à la question de savoir si l’auteur avait la qualité de résident permanent et renvoyait l’affaire devant les tribunaux. Le 22 janvier 1996, l’auteur a formé un recours contre la décision du Ministère auprès de la cour d’appel, à Prague.

2.7 Le 9 février 1996, la loi 243/1992 était modifiée. La condition relative à la qualité de résident permanent était levée (en application de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, en date du 12 décembre 1995, qui déclarait la condition de résidence inconstitutionnelle) pour être remplacée par une nouvelle condition qui faisait obligation aux demandeurs d’avoir eu sans interruption la nationalité tchécoslovaque ou tchèque de la fin de la guerre jusqu’au 1 er  janvier 1990. L’auteur affirme que cette loi le visait spécifiquement: il joint des pièces montrant que les médias et les autorités tchèques avaient utilisé l’expression «Lex Walderode». Le 3 mars 1996, le Bureau foncier de Semily a appliqué à l’auteur la loi modifiée de façon à casser l’accord de restitution du 24 novembre 1992, puisque M. Des Fours ne remplissait pas la nouvelle condition de la possession ininterrompue de la nationalité. Le 4 avril 1996, l’auteur a fait appel de la décision du Bureau foncier auprès du tribunal municipal de Prague.

2.8 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur (aujourd’hui décédé) faisait valoir que l’on prolongeait délibérément la procédure en raison de son âge et qu’il ne faisait par ailleurs aucun doute qu’il serait débouté. Il demandait donc au Comité de bien vouloir considérer sa communication comme recevable au motif des atermoiements de procédure et des aléas qui entouraient l’efficacité des recours internes.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur, aujourd’hui décédé, et son épouse font valoir que l’acte de restitution de la propriété a été annulé pour des motifs politiques et économiques et que l’amendement apporté à la législation visait à lui ôter toute possibilité d’obtenir réparation pour la confiscation de ses biens. D’après eux, il s’agit d’une violation de l’article 26 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que des ingérences politiques (comme la décision ministérielle du 23 novembre 1995) ont marqué la procédure judiciaire. Dans ce contexte, l’auteur fait aussi état des retards qui ont jalonné l’instruction de l’affaire.

3.2 Il affirme en outre que subordonner la restitution des biens à la possession ininterrompue de la nationalité du pays considéré constitue une violation de l’article 26 du Pacte et il renvoie à la jurisprudence du Comité sur ce point. Il estime aussi que les conditions concernant la restitution de ses biens sont discriminatoires si on les compare à celles applicables à la restitution des biens confisqués après 1948.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses observations du 13 juin 1997, l’État partie note que l’auteur a introduit un recours auprès du tribunal municipal de Prague contre la décision prise par le Bureau foncier du district de Semily le 8 mars 1996. En juin 1997, l’affaire n’avait pas encore été instruite, car les dossiers y relatifs étaient en possession de la cour d’appel et le Bureau foncier n’était donc pas en mesure de les faire tenir au tribunal municipal.

4.2 Considérant que l’auteur a engagé une procédure auprès de la cour d’appel en janvier 1996 contre la décision d’annulation de l’acte de restitution prononcée par le Ministère de l’agriculture et que l’étape préparatoire consistant à réunir toutes les pièces justificatives a pris fin en décembre 1996, l’État partie nie qu’il ait fait traîner l’affaire en longueur.

4.3 L’État partie indique que l’auteur n’est pas dénué de recours s’il estime avoir été victime de mesures dilatoires. L’auteur aurait pu s’adresser au Président de la cour d’appel, qui a autorité pour entamer une procédure de révision auprès du Ministère de la justice. Il aurait eu aussi la possibilité de déposer une plainte constitutionnelle, qui pouvait être déclarée recevable, alors même que les recours internes n’avaient pas été épuisés, si les recours déjà introduits faisaient l’objet de retards excessifs qui avaient porté un sérieux préjudice à l’intéressé.

4.4 D’après l’État partie, l’auteur est fondé à faire valoir les droits qu’il invoque par l’introduction d’une plainte constitutionnelle, les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme étant directement applicables et transcendant la loi.

4.5 L’État partie rejette les allégations de l’auteur selon lesquelles toute tentative de faire valoir ses droits par la voie judiciaire serait vouée à l’échec du fait que des considérations politiques ont entravé le cours de la justice. En ce qui concerne la lettre du Premier Ministre relative à l’interprétation de la loi n o  243/1992, l’État partie nie qu’il se soit agi d’une injonction politique adressée aux tribunaux. Il relève que la lettre n’était adressée à aucun tribunal, qu’il s’agissait simplement d’une réponse à une demande d’information présentée par le Président de la branche locale du parti du Premier Ministre et que la teneur avait un caractère général. Toutefois, si l’auteur craint qu’elle ne nuise à l’impartialité du tribunal, il peut demander à ce qu’elle soit retirée du dossier au motif qu’il s’agit d’un acte d’ingérence de la part des autorités publiques qui contrevient à son droit de faire entendre sa cause équitablement.

4.6 L’État partie fait valoir que la différence d’interprétation qui existe entre la loi n o  243/1992 relative aux restitutions et les lois ayant trait aux confiscations intervenues après 1948 ne constitue pas une discrimination. Les objectifs poursuivis étant en effet différents, ces lois ne peuvent pas être comparées.

4.7 L’État partie conclut que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes et que la communication est donc irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait également valoir que les allégations de l’auteur n’étant pas justifiées et ne faisant pas apparaître une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, la communication est irrecevable rationae materiae .

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires, l’auteur se réfère à la communication d’origine et fait valoir que l’État partie n’a pour l’essentiel réfuté aucun de ses arguments.

5.2 Il souligne qu’il a conservé la nationalité tchèque en application du décret Benes n o  33/1945 et que, par conséquent, il satisfaisait à toutes les conditions de la loi initiale 243/1992 au moment où le Bureau foncier avait approuvé la restitution de ses biens. L’auteur note que l’État partie n’a fait aucun commentaire au sujet de l’amendement 30/1996 qui introduisait l’obligation d’avoir eu la nationalité tchèque sans interruption, condition supplémentaire qui n’était pas en vigueur lorsque le contrat de restitution avait été approuvé en 1993. D’après l’auteur, cet amendement a permis de l’exproprier de nouveau.

5.3 D’après l’auteur, les enjeux politiques sont tels que de nouveaux recours internes sont voués à l’échec. Il souligne également les retards, délibérés ou non, pris pour traiter l’affaire.

5.4 L’auteur rejette la tentative d’explication de l’État partie selon laquelle la lettre du Premier Ministre serait une simple expression d’opinion et maintient que l’avis du Premier Ministre équivaut à une interprétation de la loi; il fait valoir que l’interaction de plusieurs éléments met en évidence le caractère politique de sa procédure de restitution.

5.5 En ce qui concerne la requête adressée par des résidents locaux au Ministère de l’agriculture, l’auteur fait observer que la décision du Bureau foncier de Semily a été prise le 10 mars 1993 et que la requête contre cette décision a été déposée le 7 août 1995, soit deux ans et cinq mois plus tard. L’ordre du Ministère de l’agriculture annulant la décision du Bureau foncier de Semily date du 23 novembre 1995, trois mois et demi après la requête. Il est donc évident que le délai de 30 jours fixé par la loi 85/1990 pour l’exercice du droit de pétitions n’a pas été respecté.

5.6 Dans de nouveaux commentaires, l’auteur fait valoir que le 25 août 1997, la cour d’appel l’a débouté de son recours contre la décision ministérielle du 23 novembre 1995. Il affirme que les motifs avancés par la cour d’appel illustrent une nouvelle fois le caractère politique de l’affaire.

5.7 Le 25 mars 1998, le tribunal municipal de Prague a rejeté le recours que l’auteur avait formé contre la décision prise par le Bureau foncier en 1996 de ne pas lui restituer ses biens, au motif qu’il ne satisfaisait plus aux conditions supplémentaires introduites par l’amendement 30/1996. Le 24 juillet 1998, l’auteur a fait appel de cette décision auprès de la Cour constitutionnelle tchèque.

5.8 L’auteur affirme également que, même si la Cour constitutionnelle statuait en sa faveur, l’affaire serait de nouveau renvoyée devant l’organe de première instance (le Bureau foncier), entraînant encore une fois des retards considérables et ouvrant la voie à de nouvelles interventions politiques. D’après l’auteur, la procédure pourrait aisément prendre plus de cinq ans. Il estime que ce délai est inadmissible, notamment vu son âge.

5.9 Compte tenu des éléments ci-dessus, l’auteur rappelle les principaux éléments de l’affaire. Le contrat de restitution qu’il a conclu a reçu l’aval du Bureau foncier le 10 mars 1993, et l’appel contre la décision du Bureau foncier a été rejeté par le Bureau foncier central le 30 juillet 1993, à la suite de quoi la restitution a suivi son cours conformément à la loi 243/1992. Ce n’est que le 25 novembre 1995, soit plus de deux ans après que l’auteur fut rentré en possession de ses terres, que le Ministère de l’agriculture a annulé la décision du Bureau foncier, au motif que celui-ci n’avait pas vérifié comme il fallait si l’auteur avait effectivement eu la qualité de résident permanent. Il ressort des jugements prononcés par le tribunal dans cette affaire qu’à l’époque de la décision du Ministère, on s’attendait à ce que la Cour constitutionnelle déclare l’obligation de résidence inconstitutionnelle (ce qu’elle avait effectivement fait le 12 décembre 1995, soit moins d’un mois après la décision du Ministère). Après l’introduction, par la loi 30/1996 du 9 février 1996, d’un amendement à la loi 243/1992 qui faisait de la possession ininterrompue de la nationalité tchèque une condition d’application indispensable, le Bureau foncier a revu la légalité de l’acte de restitution dont a bénéficié l’auteur et, en application de la nouvelle loi, a annulé l’acte le 3 mars 1996. Aux dires de l’État partie, les deux recours formés par l’auteur ont subi des retards dans un cas parce que le Ministère n’était pas en mesure de communiquer les documents demandés par le tribunal, et dans l’autre parce que la cour d’appel doit instruire de très nombreuses affaires.

Considérations relatives à la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte figurant dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 À sa soixante ‑cinquième session en mars 1999, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a pris note de l’objection présentée par l’État partie quant à la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes. Il constate toutefois qu’en août 1997 la cour d’appel a débouté l’auteur du recours formé contre la décision du Ministère, et que le 25 mars 1998 le tribunal municipal de Prague a rejeté le recours présenté contre la décision du Bureau foncier de 1996. Le texte des décisions de ces deux tribunaux montre qu’il n’existe aucun autre recours, ce qui a pour effet d’empêcher l’auteur de tenter d’établir la validité de l’accord de restitution de 1992 et de le faire avaliser.

6.3 L’auteur a dans l’intervalle déposé une plainte constitutionnelle relative à la décision du tribunal municipal de Prague selon laquelle l’obligation de possession ininterrompue de la nationalité tchèque était une condition légitime. Le Comité note qu’en l’espèce la Cour constitutionnelle s’est déjà prononcée sur la constitutionnalité de la loi 243/1992. De l’avis du Comité et compte tenu de l’historique de l’affaire, un recours en inconstitutionnalité ne donnerait pas à l’auteur une chance suffisante d’obtenir réparation et ne constituerait donc pas un recours utile que l’auteur devrait épuiser aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Au vu des circonstances, le Comité a également noté l’argument de l’auteur selon lequel, s’il déposait un recours en inconstitutionnalité et à supposer que celui-ci aboutisse, l’affaire serait renvoyée devant les tribunaux et une solution n’interviendrait pas avant cinq ans. Eu égard à cette situation et compte tenu des retards qui ont marqué la procédure du fait de l’État partie, des nouveaux retards qui seraient susceptibles de se produire et de l’âge avancé de l’auteur, le Comité juge excessifs les retards accumulés dans les procédures de recours interne.

7. Le 19 mars 1999, le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte.

Examen quant au fond

8.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité examine le fond de l’affaire à la lumière des informations fournies par les parties. Il constate que, s’il a reçu suffisamment d’informations de la part de l’auteur et de son épouse, l’État partie ne lui a fourni aucun renseignement supplémentaire quant au fond après avoir été informé de la recevabilité de la communication, et cela malgré deux rappels. Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, un État partie est tenu de coopérer avec lui en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

8.2 Le Comité a pris note des griefs de l’auteur, qui affirme que l’État partie a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte à cause de l’ingérence que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif auraient faite dans la procédure judiciaire, en particulier avec la lettre du Premier Ministre en date du 29 avril 1993, et à cause de l’adoption d’un texte législatif rétroactif visant à retirer à l’auteur des droits déjà acquis en vertu d’une loi tchèque antérieure et des décisions du Bureau foncier de Semily. En ce qui concerne l’adoption d’un texte de loi rétroactif, le Comité relève que, si la plainte dénonce un élément d’arbitraire et une violation consécutive de l’article 26, on ne voit pas clairement en quoi la promulgation de la loi n o 30/1996 soulève une question au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Pour ce qui est de la lettre du Premier Ministre, le Comité note qu’il s’agissait d’une pièce du dossier administratif concernant les biens de l’auteur qui avait été présenté au tribunal et que rien n’indique que la lettre ait été utilisée aux fins de la procédure judiciaire ni de quelle manière. En l’absence de plus amples renseignements, le Comité est d’avis que la simple présence de la lettre dans le dossier ne suffit pas à étayer une conclusion de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.3 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité relève tout d’abord que dans la loi n o 243/1992 la nationalité figurait déjà parmi les conditions à réunir pour obtenir la restitution des biens et que la loi portant modification − la loi n o 30/1996 − a ajouté avec effet rétroactif une condition plus rigoureuse en exigeant la possession ininterrompue de la nationalité. Le Comité note en outre que la nouvelle loi a pour effet d’empêcher l’auteur et toute autre personne dans la même situation de récupérer leurs biens alors qu’ils auraient autrement rempli les conditions pour prétendre à la restitution. Il y a là un élément d’arbitraire qui entraîne une atteinte au droit à l’égalité devant la loi, à l’égale protection de la loi et à la non ‑discrimination, consacré à l’article 26 du Pacte.

8.4 Le Comité rappelle ses constatations dans les affaires n os 516/1993 (Simunek et consorts), 586/1994 (Joseph Adam) et 857/1999 (Blazek et consorts), où il a conclu que l’introduction dans la loi d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établit une distinction arbitraire et par conséquent discriminatoire entre des individus qui sont tous également victimes des confiscations antérieures et constitue une violation du Pacte. Cette violation est encore accentuée par l’application rétroactive de la loi contestée.

9.1 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que l’État partie a commis une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

9.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’épouse de l’auteur, M me Johanna Kammerlander, une réparation effective, qui doit prendre la forme d’une restitution dans les meilleurs délais et d’une indemnisation pour ce bien et, de plus, d’une indemnisation appropriée, compte tenu du fait que l’auteur et son épouse survivante ont été privés de la jouissance de leur bien depuis que sa restitution a été révoquée en 1995. L’État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s’assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

9.3 Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif la République tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui ‑ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité engage en outre l’État partie à mettre en place des procédures pour veiller à l’application des constatations adoptées en vertu du Protocole facultatif.

9.4 Aussi le Comité souhaite-t-il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

L. Communication n o 763/1997, Lantsova c. Russie (constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M me  Yekaterina Pavlovna Lantsova (représentée par M me  Karina Moskalenko, International Protection Center)

Au nom de :

Le fils de l’auteur, M. Vladimir Albertovich Lantsov, décédé

État partie :

Fédération de Russie

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen d e la communication n o  763/1997 présentée par M me  Yekaterina Pavlovna Lantsova, mère de M. Vladimir Albertovich Lantsov, décédé, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Yekaterina Pavlovna Lantsova, mère de Vladimir Albertovich Lantsov, décédé. M me  Lantsova affirme que son fils, né le 27 juin 1969, a été victime de violations par la Fédération de Russie de l’article 6 (par. 1), de l’article 7 et de l’article 10 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En août 1994, Vladimir Lantsov a, lors d’une dispute, blessé un homme et, à la suite de cet incident, des poursuites pénales et civiles ont été engagées contre lui. Le 1 er mars 1995, il a intégralement acquitté les dommages déterminés par le juge civil. En attendant le procès pénal, fixé au 13 avril 1995, Vladimir Lantsov a, dans un premier temps, été remis en liberté. Toutefois, le 5 mars 1995, comme il ne s’était pas présenté à une convocation de l’enquêteur, il a été placé en détention avant jugement dans le centre de détention provisoire de Moscou appelé «Matrosskaya Tishina», où il est décédé le 6 avril 1995 à l’âge de 25 ans.

2.2 M me  Lantsova affirme que son fils était en bonne santé quand il a été incarcéré à Matrosskaya Tishina, mais qu’il est tombé malade à cause des très mauvaises conditions pénitentiaires. D’après elle, son fils n’a reçu aucun soin médical, alors qu’il en avait fait la demande à plusieurs reprises. Elle se plaint enfin de ce que la Fédération de Russie n’ait pas traduit les responsables en justice 1 .

2.3 L’auteur affirme que les conditions de détention dans les centres de détention avant jugement de Moscou sont inhumaines, en particulier en raison du surpeuplement extrême, de la mauvaise aération, de l’alimentation insuffisante et des conditions sanitaires épouvantables. Elle évoque le rapport présenté à la Commission des droits de l’homme en 1994 par le Rapporteur spécial chargé des questions se rapportant à la torture 2 . À propos de la possibilité de recevoir des soins de santé, le Rapporteur spécial signale que le surpeuplement est tel qu’il est quasiment impossible pour le personnel de donner à manger et de fournir des soins de santé aux détenus et note l’incidence élevée des maladies dans les centres 3 . La prison Matrosskaya Tishina est particulièrement montrée du doigt dans le rapport: «Les conditions qui y règnent sont cruelles, inhumaines et dégradantes; elles sont assimilables à la torture» 4 .

2.4 D’après M me  Lantsova, des détenus qui partageaient la cellule de son fils auraient rapporté que, peu de temps après son arrivée à Matrosskaya Tishina, son état de santé physique et mental avait commencé à se dégrader. Il maigrissait et avait de la fièvre. Il toussait et avait du mal à respirer. Plusieurs jours avant sa mort, il avait cessé de s’alimenter et ne buvait que de l’eau froide. À un moment, il s’est mis à délirer et a fini par perdre conscience.

2.5 Il semble que les autres détenus aient demandé que M. Lantsov voie un médecin après la première semaine de détention et qu’un médecin l’ait vu une ou deux fois dans la cellule; il lui avait donné de l’aspirine pour faire tomber la fièvre. Néanmoins, entre le 3 et le 6 avril, période pendant laquelle son état se dégradait rapidement et de façon visible, Vladimir Lantsov n’a pas été soigné, alors que les autres détenus avaient à plusieurs reprises demandé l’intervention d’un médecin. Le 6 avril, les codétenus ayant crié pour demander de l’aide, des infirmiers sont arrivés avec un brancard. M. Lantsov est mort plus tard ce jour-là à l’infirmerie. Sur le certificat de décès, la mort est attribuée à une «insuffisance cardiaque/circulatoire aiguë, intoxication, cachexie d’étiologie inconnue».

2.6 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur déclare que c’est le chef du centre de détention provisoire qui est compétent pour ouvrir une instruction sur les circonstances du décès de Vladimir Lantsov. La décision finale appartient au Procureur. M me  Lantsova a demandé dans les délais légaux et à maintes reprises l’ouverture d’une instruction, ce qui lui a été systématiquement refusé. L’auteur conclut qu’elle a épuisé les recours internes.

2.7 Le Procureur motive ses refus d’ouvrir une information pénale en affirmant que le décès de Vladimir Lantsov dans cette situation était dû à la fois à une pneumonie et aux conditions éprouvantes de l’incarcération, et que dans ces circonstances il serait impossible d’établir une quelconque responsabilité du personnel de la prison.

Teneur de la plainte

3. M me  Lantsova affirme que la Fédération de Russie a commis une violation des droits fondamentaux de son fils en causant sa mort à la suite d’une incarcération dans des conditions impropres à la survie humaine et que l’État partie a également manqué à son obligation d’assurer la protection de la loi contre ces violations. Ces manquements constituent à son avis des violations des articles 6 (par. 1), 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

Décision concernant la recevabilité

4. Par une note en date du 23 mars 1998, l’État partie a informé le Comité qu’il n’avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la communication.

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3 En conséquence, le Comité des droits de l’homme a décidé le 7 juillet 1998, lors de sa soixante-troisième session, que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre des articles 6 (par. 1), 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

6.1 Dans ses observations sur le fond de la communication, datées du 28 décembre 1998, l’État partie déclare que M. Lantsov avait été arrêté le 5 mars 1995 et que le 7 mars 1995, il avait été transféré dans un centre de détention provisoire, au sein d’une cellule collective. Lors de son incarcération, il aurait subi des examens médicaux, suivant la procédure établie. À ce moment, il n’a pas exprimé de plaintes sur son état de santé, aucune anomalie corporelle n’avait été relevée et l’examen fluoroscopique du thorax n’avait pas montré de pathologie. Le 6 avril 1995, vers 9 heures du matin, les codétenus de M. Lantsov avaient prévenu les gardiens qu’il ne se sentait pas bien. Après l’examen du médecin de garde, M. Lantsov aurait été admis d’urgence à l’hôpital rattaché au centre de détention, mais malgré ces mesures, il est décédé à 9 h 15. Une commission composée de médecins des institutions de médecine préventive du Ministère des affaires intérieures et du Département de la santé de Moscou aurait enquêté sur la mort de M. Lantsov. Ses conclusions étaient que le décès était imputable à une pneumonie pneumococique ulcérative bilatérale, une pleurésie bilatérale et une atélectasie focale ayant entraîné une insuffisance respiratoire cardiovasculaire. L’inflammation généralisée des poumons et de la cavité pleurale, le fait que le patient n’a pas demandé d’aide médicale et les conditions de vie dans la prison seraient à l’origine du décès brutal, selon l’État partie.

6.2 L’État partie admet qu’au moment où M. Lantsov était détenu, les centres de détention ( sledstvenii izoliator ) comprenaient deux fois plus de détenus que prévu, d’où le fait que les conditions de détention ne correspondaient pas aux normes en vigueur. La commission d’enquête a conclu qu’il n’y avait pas eu de faute des médecins. Le diagnostic des causes du décès avait été confirmé dans le rapport d’autopsie, établi le 13 mai 1995.

6.3 En l’absence d’infraction, le parquet, en l’espèce le Bureau du Procureur interrégional de Moscou-Preobrajenskaya, n’a pas engagé d’action pénale. Cette décision a été confirmée par la suite par le Bureau du Procureur de Moscou. Durant l’examen de l’affaire, il a été établi que la famille n’avait pas été avertie du décès en temps utile, mais que la responsabilité disciplinaire de l’officier en cause avait été engagée.

6.4 L’État partie admet qu’en général la situation dans les centres de détention constitue un grave problème pour la Fédération de Russie et qu’aucune solution ne saurait être trouvée dans l’immédiat. Un ensemble de mesures visant à réformer le système pénitentiaire avait été adopté, en vue d’améliorer la situation dans les centres de détention et de faire respecter les normes internationales de traitement des prisonniers. L’État partie cite deux décrets présidentiels, ainsi qu’un arrêté du Gouvernement, comme exemples des dernières mesures prises pour assurer le transfert des établissements pénitentiaires du Ministère de l’intérieur au Ministère de la justice. Une augmentation des places dans les centres de détention et des prisons était en cours, toutefois freinée par des difficultés financières importantes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond de l’affaire

7.1 Dans ses commentaires datés du 21 décembre 2000, l’auteur déclare que l’État partie admet les plus importants des faits de l’affaire. M. Lantsov est entré au centre de détention en parfaite santé, mais les conditions qui y régnaient ont causé sa mort.

7.2 L’auteur souligne que M. Lantsov n’a bénéficié que de 15 minutes de soins médicaux avant son décès. Bien que les médecins aient été avisés plusieurs jours avant le décès de la détérioration de l’état de santé du détenu et du danger de mort, ils n’ont rien fait. Selon l’auteur, ce serait une pratique courante dans cette prison. Sur le fait que l’État partie n’a pas fait procéder à une véritable enquête, l’auteur rappelle les témoignages de différents prisonniers à ce sujet et déclare que le parquet aurait pu collecter des déclarations à charge s’il avait procédé à une véritable enquête en recueillant des témoignages des codétenus de M. Lantsov. Pour une raison quelconque, le parquet n’a pas enquêté de manière appropriée 5 .

7.3 L’auteur réfute également l’argument de l’État partie selon lequel les centres de détention comprenaient seulement deux fois plus de prisonniers que prévu. Les témoignages démontraient qu’ils accueillaient près de cinq fois plus de prisonniers que prévu et que les détenus étaient obligés de dormir à tour de rôle faute de lits.

7.4 En ce qui concerne la notification tardive du décès à la famille, l’auteur déclare qu’en fait les autorités n’avaient jamais essayé d’aviser qui que ce soit. Sans l’avocat de M. Lantsov qui avait essayé de lui rendre visite, personne ne pourrait être certain que sa mère aurait appris la vérité sur ce décès ou quand elle l’aurait apprise.

7.5 Enfin, l’auteur estime que l’État partie tente d’échapper à sa responsabilité en énumérant divers décrets futurs, censés améliorer la situation dans les prisons. Ceci ne constituait rien d’autre, selon l’auteur, que l’acceptation par l’État partie des normes inhumaines en vigueur dans les prisons. En tout état de cause, ces décrets avaient été adoptés deux ans après la mort de son fils; l’adoption actuelle ou envisagée de mesures ne peut rien y changer, ni changer quoi que ce soit au fait que la Fédération de Russie avait violé les droits fondamentaux d’un homme en bonne santé âgé de 25 ans, et que ces violations lui avaient coûté la vie.

Délibérations du Comité

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Le Comité doit déterminer si l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 6, l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte relativement au décès du fils de l’auteur.

9.1 En ce qui concerne les conditions de détention, le Comité note que l’État partie admet que les conditions de détention étaient mauvaises et qu’au moment des faits le centre de détention contenait deux fois plus de détenus que prévu. Le Comité prend aussi note des informations précises fournies par l’auteur, en particulier que le nombre de détenus dans l’établissement dépassait en fait de près de cinq fois la capacité normale et que les conditions de vie dans la prison de Matrosskaya Tishina étaient inhumaines, parce que l’aération y était mauvaise et l’alimentation et l’hygiène inadéquates. Le Comité conclut que les conditions de vie dans la prison de Matrosskaya Tishina pendant la période de détention du fils de l’auteur constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9.2 Concernant le décès de M. Lantsov, le Comité note les allégations de l’auteur selon lesquelles, plusieurs témoignages de codétenus à l’appui, il aurait bénéficié de soins médicaux uniquement dans les dernières minutes de sa vie, alors que l’administration pénitentiaire lui aurait refusé de tels soins durant les jours précédents et que cela aurait causé son décès. Il prend note également des informations fournies par l’État partie selon lesquelles plusieurs enquêtes auraient été menées sur les causes du décès, à savoir pneumonie aiguë, provoquant une insuffisance cardiaque, et le fait que M. Lantsov n’avait pas demandé d’aide médicale. Le Comité rappelle qu’il incombe aux États de garantir le droit à la vie des détenus, et non pas à ces derniers de demander une protection. L’intention déclarée de l’État partie d’améliorer les conditions de détention n’affecte aucunement l’examen de la présente affaire. Le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté le lien de causalité entre les conditions de détention existant à l’époque où M. Lantsov était détenu et la détérioration fatale de l’état de santé de celui-ci. En outre, même si le Comité tient compte de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ni M. Lantsov ni ses codétenus n’ont demandé d’aide médicale à l’époque, le fait essentiel demeure que l’État partie assume la responsabilité de prendre soin des individus qu’il arrête et place en détention. Il incombe à l’État partie, en organisant ses centres de détention, de se tenir au courant de l’état de santé des détenus autant qu’on peut raisonnablement s’y attendre. Le manque de moyens financiers ne saurait réduire cette responsabilité. Le Comité considère qu’un service médical fonctionnant correctement dans le centre de détention aurait pu et dû être au courant de l’évolution préoccupante de l’état de santé de M. Lantsov. Il considère que l’État partie n’a pas pris les mesures voulues pour protéger la vie de M. Lantsov durant sa détention. C’est pourquoi le Comité des droits de l’homme conclut qu’en l’espèce il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

9.3 Compte tenu des constatations ci-dessus concernant l’existence de violations des articles 6 et 10 du Pacte, le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer sur une violation éventuelle de l’article 7.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que l’État partie a manqué à son obligation d’assurer la protection de M. Lantsov, dont le décès est le résultat direct de ses conditions de détention. Le Comité constate que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

11. Le Comité est d’avis que M me  Lantsova a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie devrait prendre des mesures efficaces: a) pour octroyer une indemnisation appropriée; b) pour faire diligenter une enquête officielle sur le décès de M. Lantsov; et c) pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir, notamment en prenant des mesures immédiates pour que les conditions de détention soient compatibles avec l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu des articles 6 et 10 du Pacte.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

M. Communication n o 765/1997, Fábryová c. République tchèque (constatations adoptées le 30 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M me  Eliska Fábryová

Au nom de :

L’auteur

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

28 mai 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 765/1997 présentée par M me Eliska Fábryová en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Eliska Fábryová, née Fischmann le 6 mai 1916, de nationalité tchèque, qui affirme être victime de discrimination de la part de la République tchèque. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République tchèque le 12 juin 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le père de l’auteur, Richard Fischmann, possédait une propriété à Puklice dans le district de Jihlava (Tchécoslovaquie). Lors d’un recensement national, en 1930, lui et sa famille se sont fait enregistrer en tant que Juifs. En 1939, à la suite de l’occupation par les nazis, la propriété a été «aryanisée» 1 et un administrateur séquestre allemand a été nommé. Richard Fischmann est mort à Auschwitz en 1942. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

2.2 Le reste de la famille a été interné en camp de concentration; l’auteur et son frère Viteslav sont les seuls de la famille à être revenus des camps. En 1945, la propriété de Richard Fischmann a été confisquée en vertu du décret Benes 12/1945, le Comité de district ayant estimé qu’il était à la fois Allemand et traître à la République tchèque 2 . L’hypothèse de sa nationalité allemande était fondée sur l’affirmation selon laquelle il vivait «à l’allemande».

2.3 Le recours de l’auteur contre cette confiscation a été rejeté. La décision du Comité de district a été confirmée le 3 décembre 1951 par un jugement de la plus haute juridiction administrative de Bratislava.

2.4 À la fin du régime communiste en Tchécoslovaquie, l’auteur a porté plainte auprès du Procureur général, le 18 décembre 1990, pour déni de justice en relation avec sa demande de restitution. Sa plainte a été rejetée le 21 août 1991 au motif qu’elle n’avait pas été présentée dans les délais prévus, qui étaient de cinq ans après la confiscation. L’auteur affirme que, sous le régime communiste, il n’était pas possible de déposer une plainte dans le délai de cinq ans prescrit par la loi.

2.5 L’auteur dit que, le 17 juin 1992, elle a fait une demande de restitution conformément à la loi n o 243/1992 3 . Sa demande a été rejetée le 14 octobre 1994 par le Bureau foncier de Jihlava.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme être victime de discrimination car, selon la loi, elle n’a pas droit à la restitution des biens de son père.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses observations datées du 20 octobre 1997, l’État partie indique que la demande présentée par l’auteur concernant la restitution des biens de son père a été rejetée par le Bureau foncier de Jihlava le 14 octobre 1994, les conditions exigées par la loi n’étant pas réunies. Il explique que les biens confisqués aux personnes déchues de la citoyenneté tchécoslovaque en application des décrets Benes en 1945 ne peuvent être restitués que dans les cas où le demandeur a recouvré sa citoyenneté selon les procédures prévues par la loi. Mais la loi ne traite pas expressément de la situation des personnes qui n’ont jamais perdu leur citoyenneté et dont les biens ont été confisqués en violation des lois en vigueur à l’époque. Étant donné que le père de l’auteur n’a jamais perdu sa citoyenneté tchécoslovaque, il ne répondait pas aux conditions fixées par la loi et ses biens ne pouvaient donc lui être restitués.

4.2 L’État partie précise en outre que le recours formé par l’auteur a été rejeté parce qu’il avait été présenté après la date limite. L’avocat de l’auteur a alors objecté que la décision du Bureau foncier n’avait pas été notifiée dans les règles, puisqu’elle n’avait pas été signifiée directement à l’avocat mais à l’un de ses collaborateurs qui n’était pas habilité à en recevoir notification. Le Bureau foncier a admis l’objection, et notification de la décision a été à nouveau effectuée. L’auteur a par la suite formé un recours contre cette décision. Le tribunal municipal a rejeté ce recours par décision en date du 6 août 1996, au motif que la décision avait été convenablement notifiée la première fois et n’aurait pas dû faire l’objet d’une deuxième notification. Le 11 octobre 1996, l’auteur a déposé un recours constitutionnel que la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable ratione temporis .

4.3 Compte tenu de toutes les raisons indiquées, l’État partie soutient que la communication est irrecevable du fait du non ‑épuisement des recours internes, l’auteur n’ayant pas respecté les dates limites fixées pour le dépôt des recours.

4.4 L’État partie fait valoir en outre que la Cour constitutionnelle a entre ‑temps estimé, dans des affaires semblables à celle de l’auteur, que les demandeurs qui n’ont jamais perdu leur nationalité ont aussi droit à restitution en application de la loi n o  243/1992. Après examen du dossier de l’auteur, le Bureau foncier central a donc décidé que la décision prise par le Bureau foncier dans le cas de l’auteur devait être revue étant donné qu’elle n’était pas conforme à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Le 27 août 1997, le Bureau foncier central a engagé une procédure administrative et, le 9 octobre 1997, a annulé la décision du Bureau foncier du 14 octobre 1994 et décidé que l’auteur devait recommencer à zéro sa demande de restitution. Des possibilités normales de recours seront ouvertes à l’auteur si elle n’est pas satisfaite du résultat de la procédure. C’est également pour cette raison, selon l’État partie, que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une lettre du 21 janvier 1998, l’auteur a rejeté l’argument de l’État partie selon lequel sa communication était irrecevable, vu qu’elle avait déjà formé un recours devant la Cour constitutionnelle et qu’aucun autre recours n’était disponible. L’auteur confirme toutefois qu’un réexamen de l’affaire a été ordonné après que sa communication eut été enregistrée en vue de son examen par le Comité des droits de l’homme.

5.2 Dans une autre réponse, l’auteur transmet la copie d’une lettre du Ministère de l’agriculture, datée du 25 mai 1998, par laquelle celui ‑ci l’informait que la décision du Bureau foncier central d’annuler la décision du Bureau foncier du 14 octobre 1994 avait été notifiée à d’autres parties intéressées après le délai limite de trois ans et n’avait donc pas force exécutoire.

5.3 L’auteur affirmait que les abus observés dans son affaire constituaient une atteinte flagrante aux droits de l’homme en ce qu’ils la privaient d’un recours contre les violations manifestes dont elle ‑même ainsi que sa famille avaient été victimes dans le passé.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité

6. Il n’a pas été reçu d’autres observations de l’État partie bien que les commentaires de l’auteur lui aient été transmis.

Décision concernant la recevabilité

7. À sa soixante ‑sixième session, le 9 juillet 1999, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Après s’être assuré, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que l’auteur avait épuisé tous les recours internes disponibles et que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance d’enquête ou de règlement, le Comité a également noté que l’État partie avait ordonné un réexamen de l’affaire en application d’une décision du Bureau foncier central du 9 octobre 1997 et que, à la suite d’erreurs apparemment commises par les autorités de l’État partie, la décision d’annuler la décision initiale du Bureau foncier n’avait jamais pris effet. Dans ces conditions, le Comité a déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1 Bien que le Comité le lui ait demandé dans sa décision du 9 juillet 1999 et dans un rappel du 19 septembre 2000, l’État partie n’a envoyé aucune observation sur la communication quant au fond.

8.2 Par des lettres du 25 janvier 2000, du 29 août 2000 et du 25 juin 2001, l’auteur a appelé l’attention du Comité sur le fait que, malgré l’adoption par le Parlement de l’État partie d’une nouvelle législation sur la restitution des biens confisqués à la suite de l’holocauste (loi n o  212/2000), les autorités n’avaient pas voulu appliquer cette législation et ne lui avaient jamais accordé réparation.

8.3 Bien que les informations ci ‑dessus lui aient été transmises par une lettre du 24 juillet 2001, l’État partie n’a pas formulé d’autres observations.

Délibérations du Comité

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. De plus, n’ayant reçu aucune observation de l’État partie à la suite de sa décision concernant la recevabilité, le Comité s’appuie sur les lettres détaillées de l’auteur dans la mesure où elles soulèvent des questions en relation avec la loi n o  243/1992 telle que modifiée. Le Comité rappelle à ce sujet que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif fait obligation à l’État partie de coopérer avec le Comité et de lui présenter des explications ou des déclarations écrites éclaircissant l’affaire et indiquant, le cas échéant, les mesures qui ont pu être prises pour remédier à la situation. La plainte de l’auteur soulève des questions au titre de l’article 26 du Pacte.

9.2 Le Comité note que l’État partie reconnaît qu’en vertu de la loi n o  243/1992, des personnes se trouvant dans des situations analogues à celle de l’auteur ont droit à la restitution des biens en vertu de l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle tchèque (par. 4.4 ci ‑dessus). En outre, l’État partie reconnaît que la décision prise par le Bureau foncier de Jihlava le 14 octobre 1994 était injustifiée et que l’auteur aurait dû avoir la possibilité de renouveler sa demande au Bureau foncier de Jihlava. Toutefois, la nouvelle tentative de l’auteur pour obtenir réparation a été réduite à néant par l’État partie lui ‑même lorsque ce dernier, par une lettre du Ministère de l’agriculture du 25 mai 1998, a fait savoir à l’auteur que la décision prise le 14 octobre 1994 par le Bureau foncier de Jihlava devait être considérée comme définitive puisque la décision du Bureau foncier central annulant la décision du Bureau foncier de Jihlava avait été notifiée après le délai limite.

9.3 Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que si la décision du Bureau foncier central annulant la décision du Bureau foncier de Jihlava a été notifiée après le délai limite, cela était dû à un manquement administratif de la part des autorités. Le résultat est que l’auteur n’a pas bénéficié du même traitement que les personnes ayant elles aussi droit à la restitution des biens qui leur ont été confisqués dans le passé, en violation de ses droits en vertu de l’article 26 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

11. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à l’auteur un recours utile, y compris la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution ou d’indemnisation. L’État partie devrait réexaminer sa législation et ses pratiques administratives afin de garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.

12. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif la République tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de ce dernier, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie.

13. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Christine Chanet (dissidente)

L’État partie n’a pas jugé nécessaire de s’expliquer sur le fond de l’affaire dès lors que, selon lui, les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées.

Dans les paragraphes 10.2 et 10.3 de sa décision, le Comité constate l’existence d’une violation du Pacte dans des décisions administratives, sans tenir compte des observations de l’État partie, qui faisait valoir que ces décisions administratives pouvaient être attaquées par la voie de recours juridictionnels et que l’auteur de la communication avait tenté d’introduire un tel recours, mais en dehors des délais légaux.

En conséquence, cette communication aurait dû, de mon point de vue, être considérée comme irrecevable.

( Signé ) Christine Chanet

[Fait en français (version originale) et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

N. Communication n o  774/1997, Brok c. République tchèque (constatations adoptées le 31 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Robert Brok (décédé) et sa veuve, Dagmar Brokova

Au nom de :

L’auteur et sa veuve, Dagmar Brokova

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

23 décembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  774/1997 présentée par M. Robert Brok (décédé) et par sa veuve, Dagmar Brokova, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, en date du 23 décembre 1996, était à l’origine Robert Brok, citoyen tchèque, né en septembre 1916. Il est décédé le 17 septembre 1997 mais sa femme, Dagmar Brokova, a maintenu la communication. L’auteur affirmait être victime d’une violation par la République tchèque des articles 6, 9, 26 et 27, et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République tchèque le 12 juin 1991 1 . L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Les parents de Robert Brok possédaient dans le centre de Prague une maison qu’ils avaient acquise en 1927 (ci ‑après dénommée le bien). En 1940 et 1941, les autorités allemandes ont confisqué ce bien avec effet rétroactif au 16 mars 1939 parce que les propriétaires étaient Juifs. Le bien a ensuite été vendu à la société Matador, le 7 janvier 1942. L’auteur lui ‑même a été déporté par les nazis, et après sa libération du camp de concentration il est retourné à Prague le 16 mai 1945. Il est par la suite resté hospitalisé jusqu’en octobre 1945.

2.2 Après la fin de la guerre, le Président Benes a pris le 19 mai 1945 le décret n o  5/1945, suivi de la loi n o  128/1946 annulant toutes les transactions immobilières effectuées sous la pression du régime d’occupation pour des raisons tenant à la persécution raciale ou politique. Tous les biens ennemis ont été nationalisés – et la maison des parents de l’auteur entrait dans cette catégorie – conformément à une décision prise par le Ministère de l’industrie le 2 août 1945. Toutefois, en février 1946, le Ministère de l’industrie a annulé cette décision. Il a annulé également la confiscation et les transferts de biens antérieurs et les parents de l’auteur ont été déclarés propriétaires légaux de la maison, en application du décret Benes n o  5/1945.

2.3 Toutefois la société Matador, qui avait été nationalisée le 27 octobre 1945, a fait appel de cette décision. Le 7 août 1946, le tribunal foncier de Prague a annulé la restitution du bien et a déclaré que le propriétaire légal était la société Matador et non les parents de l’auteur. Le 31 janvier 1947, la Cour suprême a confirmé cette décision. Elle a conclu que vu que la société, avec tous ses biens, avait été nationalisée en application du décret Benes n o  100/1945, du 24 octobre 1945, et considérant que les biens nationalisés étaient exclus de l’application du décret Benes n o  5/1945, le Ministère avait eu tort de restituer la maison aux parents de l’auteur. Le bien est donc resté en possession de Matador et a été par la suite cédé, en 1954, à la société publique Technomat.

2.4 À la suite du passage à un gouvernement démocratique au moment de l’adoption de la législation concernant la restitution, l’auteur a demandé la restitution de son bien en se prévalant des dispositions de la loi n o  87/1991, telle que modifiée par la loi n o  116/1994, qui prévoit la restitution de leurs biens aux victimes d’une confiscation illégale effectuée pour des motifs politiques sous le régime communiste (25 février 1948 ‑1 er  janvier 1990). Les dispositions de la loi prévoient également la restitution ou l’indemnisation pour les victimes de persécution raciale pendant la Seconde Guerre mondiale qui étaient titulaires d’un droit en vertu du décret n o  5/1945. Toutefois, les tribunaux (décision 26 C 49/95 du tribunal de district en date du 20 novembre 1995 et décision 13 Co 34/94 ‑29 en date du 28 février 1996 du tribunal de la ville de Prague) ont rejeté la demande de l’auteur. Le tribunal de district indique dans sa décision que l’amendement à la loi étend le droit à restitution aux personnes qui ont perdu leurs biens sous l’occupation allemande et qui n’ont pu en obtenir la restitution en raison de persécution politique, ou qui ont fait l’objet de procédures judiciaires dans le cadre desquelles leurs droits ont été violés après le 25 février 1948, à condition qu’ils répondent aux conditions énoncées dans la loi n o  87/1991. Toutefois, le tribunal a estimé que l’auteur n’avait pas droit à la restitution de son bien parce que celui ‑ci avait été nationalisé avant le 25 février 1948, la date butoir rétroactive pour les demandes soumises en vertu de la loi n o  87/1991 (art. 1 er , par. 1, et art. 6). Cette décision a été confirmée par le tribunal municipal de Prague.

2.5 En application de l’article 72 de la loi n o  182/1993, l’auteur s’est pourvu devant la Cour constitutionnelle pour faire valoir son droit à la propriété qui aurait été violé. Cet article dispose qu’un particulier peut engager une action devant la Cour constitutionnelle si l’État a violé les droits fondamentaux garantis par une loi constitutionnelle ou par un instrument international, en particulier le droit à la propriété.

2.6 La Cour constitutionnelle a estimé que, puisque les juridictions de première et de deuxième instance avaient décidé que l’auteur n’était pas le propriétaire du bien, il ne pouvait y avoir eu violation d’un droit à la propriété. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a relevé d’elle ‑même la question du procès équitable et a conclu que «les procédures légales avaient été menées régulièrement et que toutes les prescriptions légales avaient été respectées». En conséquence, le 12 septembre 1996, la Cour constitutionnelle a rejeté le pourvoi de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que les décisions des tribunaux dans cette affaire sont entachées de discrimination et que l’interprétation négative des faits qu’ils ont donnée est manifestement arbitraire et contraire à la loi.

3.2 La veuve de l’auteur fait valoir que la loi n o  87/1991, modifiée par la loi n o  116/1994, n’est pas appliquée de la même manière à tous les nationaux tchèques. Il lui semble évident que Robert Brok réunissait toutes les conditions pour bénéficier de la restitution qui étaient énoncées dans cette loi mais que les tribunaux tchèques n’ont pas voulu les appliquer dans son cas, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte.

3.3 La veuve de l’auteur fait valoir que la décision prise en 1947 par la Cour suprême était contraire à la loi, en particulier au décret Benes n o  5/1945 et à la loi n o  128/1946 annulant tous les transferts de propriété effectués après le 29 septembre 1938 pour des motifs fondés sur la persécution nationale, raciale ou politique. Elle souligne qu’au moment où le décret n o  5/1945 a été pris (10 mai 1945) la société Matador n’avait pas encore été nationalisée et que la clause d’exclusion ne s’appliquait donc pas.

3.4 La veuve de l’auteur indique que la loi n o  87/1991, modifiée par la loi n o  116/1994 (art. 3, par. 2), prévoit une exception à la date limite butoir et lui permet de se prévaloir du décret Benes n o  5/1945 pour demander la restitution de son bien. D’après l’auteur, cette exception visait à permettre la restitution des biens confisqués avant le 25 février 1948 en raison des persécutions raciales et tout particulièrement de permettre la restitution des biens juifs.

3.5 La veuve de l’auteur affirme en outre que, comme les expropriations initiales ont eu lieu dans le cadre d’un génocide, les biens devraient être restitués indépendamment du droit positif de la République tchèque. Elle fait remarquer que d’autres pays d’Europe ont restitué les biens juifs confisqués à leurs propriétaires légaux, ou à des organisations juives quand les propriétaires ne pouvaient pas être identifiés. L’article 6 du Pacte évoque les obligations qui résultent d’un génocide. De l’avis de l’auteur, cette disposition ne devrait pas être limitée aux obligations constituées à l’égard de personnes tuées lors d’un génocide, mais devrait s’appliquer également aux personnes qui, comme Robert Brok, ont survécu au génocide. Le refus de restituer les biens constitue donc une violation du paragraphe 3 de l’article 6 du Pacte.

3.6 D’après la veuve de l’auteur, la République tchèque a toujours refusé de restituer les biens juifs. Dès lors que l’expropriation par les nazis visait la communauté juive dans son ensemble, la politique de non ‑restitution de la République tchèque toucherait aussi le groupe dans son ensemble. Pour cette raison et parce qu’elle manque d’assises économiques, la communauté juive n’a pas eu, comme les autres communautés, la possibilité de préserver sa vie culturelle et la République tchèque a donc violé le droit consacré à l’article 27 du Pacte à l’égard de cette communauté.

Observations de l’État partie

4.1 Par une note verbale datée du 16 octobre 2000, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Ses arguments peuvent être résumés comme suit:

a) L’État partie fait valoir que l’auteur n’a invoqué que le droit à la propriété dans le cadre de la procédure interne et non les droits reconnus par le Pacte. Il ne s’est donc pas prévalu des recours internes pour défendre des droits énoncés dans le Pacte;

b) L’État partie fait observer que les faits dont se plaint l’auteur se sont déroulés avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, dans les années 40, lorsque le bien en question a été confisqué, et la communication est par conséquent irrecevable ratione temporis ; et

c) L’État partie note que la communication concerne le droit à la propriété qui n’est pas visé par le Pacte, et que la communication est donc irrecevable ratione materiae .

4.2 L’État partie fait valoir que le 19 février 1946 l’auteur a obtenu la restitution de son bien à la suite d’une décision du Ministère de l’industrie (n o  II/2 ‑7540/46) et non en application d’une décision de la commission nationale habilitée à autoriser les restitutions par le décret n o  5/1945. Il ajoute que la procédure choisie par l’auteur n’était pas conforme à la législation spéciale régissant les exemptions de la nationalisation. De surcroît, le père de l’auteur ne s’est pas prévalu du décret n o  108/1945 régissant la confiscation des biens de l’ennemi et portant création du fonds national de restitution. Il a donc renoncé à de meilleures possibilités de recours contre le rejet des demandes d’exemption de nationalisation qui lui étaient ouvertes auprès du Ministère de l’intérieur.

4.3 L’État partie fait valoir de plus que, quand il s’est pourvu devant les tribunaux, en 1995 et 1996, l’auteur ne s’est pas plaint d’une discrimination et n’a pas contesté non plus la façon dont les tribunaux ont traité l’affaire entre 1946 et 1947.

4.4 L’État partie fait remarquer que, dans la communication n o  670/1995 ( Schlosser c.  République tchèque) et dans la communication n o  669/1995 ( Malik c.  République tchèque) , le Comité a conclu que cette même législation, appliquée dans les affaires en question, n’était pas à première vue discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte du simple fait qu’elle ne prévoyait pas d’indemnisation pour les victimes d’injustices commises avant la période communiste.

4.5 L’État partie fait valoir que toutes les restitutions de titres de propriété en application du décret n o  5/1945 ont été achevées avant le 25 février 1948, alors que la loi n o  87/1991, telle qu’elle a été modifiée, ne couvre que les biens confisqués entre le 25 février 1948 et le 1 er  janvier 1990.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Par une lettre datée du 29 janvier 2001, la veuve de l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas répondu à ses arguments relatifs à la modification de la loi n o  87/1991 par la loi n o  116/1994, qu’elle qualifie d’essentiels pour l’appréciation des faits.

5.2 La veuve de l’auteur ajoute que la maison n’aurait jamais été nationalisée s’il n’y avait pas eu préalablement un transfert de biens au Reich allemand, transfert fondé sur des motifs raciaux; par conséquent, les décisions autorisant la nationalisation étaient discriminatoires. Elle admet que la communication concerne le droit à la propriété mais explique que ce qui est essentiel dans cette affaire c’est l’élément de discrimination et le déni d’égalité, en violation des articles 6, 14, 26 et 27 du Pacte.

5.3 La veuve de l’auteur affirme en outre que la plainte remplit la condition ratione temporis étant donné qu’elle porte sur des décisions prises par les tribunaux tchèques en 1995 et 1996.

5.4 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que le père de l’auteur aurait pu réclamer la restitution du bien en application de la loi n o  128/1946 avant le 31 décembre 1949, la veuve de l’auteur répond que le père de l’auteur avait de bonnes raisons de craindre la persécution politique de la part du régime communiste à partir du 25 février 1948. De plus, ce ne sont pas les violations commises par le régime communiste qui sont dénoncées au Comité, mais il s’agit de la confirmation et de la poursuite de ces violations dues au refus arbitraire de les réparer suite à l’adoption de la loi sur la restitution dans les années 90. Les commentaires de l’auteur ont été transmis à l’État partie le 7 février 2001, mais ce dernier n’a pas répondu.

Examen de la question de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité a pris note des objections de l’État partie à la recevabilité et des commentaires de l’auteur à ce sujet. Il estime que les affirmations de l’État partie, selon lesquelles les allégations de l’auteur ne remplissent pas les conditions ratione temporis de recevabilité, ne sont pas pertinentes en l’espèce puisque l’auteur a clairement indiqué que sa demande concernait les décisions prises par les tribunaux tchèques en 1995 et 1996.

6.4 En ce qui concerne les objections de l’État partie ratione materiae , le Comité note que la communication ne porte pas sur une violation du droit à la propriété en tant que tel, mais sur le fait que l’auteur s’est vu refuser une réparation d’une façon discriminatoire.

6.5 De plus, à l’objection d’irrecevabilité soulevée par l’État partie pour non ‑épuisement des recours internes, le Comité répond que les faits indiqués dans la communication ont été portés devant les juridictions de l’État partie dans plusieurs actions engagées par l’auteur et ont été examinés par l’autorité judiciaire suprême. Toutefois, les questions relatives aux articles 6, 9 et 27 du Pacte ne semblent pas avoir été soulevées devant les tribunaux internes. Le Comité estime qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner les autres plaintes formulées dans la communication.

6.6 Le Comité a déclaré irrecevables les communications n os  669/1995 ( Malik c. République tchèque ) et 670/1995 ( Schlosser c. République tchèque ), parce qu’il a estimé dans l’un et l’autre cas que l’auteur n’avait pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle la loi n o  87/1991 était à première vue discriminatoire au sens de l’article 26. Le Comité remarque que, dans l’affaire Brok, l’auteur et sa veuve ont apporté des observations et des arguments élaborés, qui sont davantage étayés, suffisamment en tout cas pour que la communication puisse être recevable de façon que les questions soulevées doivent être examinées au fond. La présente affaire se distingue aussi des autres en ce que l’amendement n o  116/1994 à la loi n o  87/1991 prévoit une prolongation du délai de dépôt d’une demande de restitution pour ceux qui avaient droit à la restitution de leurs biens en vertu du décret Benes n o  5/1945. La non ‑application à l’auteur de cette dérogation soulève des questions au titre de l’article 26 du Pacte, qui doivent être examinées au fond.

6.7 Le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité doit déterminer si l’application faite à l’auteur de la loi n° 87/1991, modifiée par la loi n° 116/1994, constitue une violation de son droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi.

7.3 Ces lois prévoient la restitution de leurs biens aux victimes d’une confiscation illégale effectuée pour des raisons politiques sous le régime communiste ou une indemnisation. Elles prévoient aussi la restitution des biens ou une indemnisation pour les victimes de persécution raciale pendant la Seconde Guerre mondiale, qui pouvaient bénéficier des dispositions du décret Benes n o  5/1945. Le Comité note que la législation ne doit pas faire une discrimination entre les victimes de la confiscation à laquelle elle s’applique, étant donné que toutes les victimes ont droit à réparation, sans qu’il puisse y avoir de distinction arbitraire.

7.4 Le Comité note que la loi n° 87/1991, telle qu’elle a été modifiée par la loi n° 116/1994, a donné lieu à une demande de restitution de bien de l’auteur, qui a été rejetée au motif que la nationalisation qui a eu lieu en 1946/47 sur la base du décret Benes n o  100/1945 n’entre pas dans le champ d’application des lois de 1991 et 1994. L’auteur a donc été exclu au bénéfice de la loi sur la restitution alors que la nationalisation tchèque de 1946/47 n’avait pu être effectuée que parce que le bien de l’auteur avait été confisqué par les autorités nazies à l’époque de l’occupation allemande. De l’avis du Comité, cela dénote un traitement discriminatoire de l’auteur, par rapport à celui qui a été réservé aux particuliers dont les biens ont été confisqués par les autorités nazies mais n’ont pas été nationalisés immédiatement après la guerre et qui ont pu par conséquent bénéficier des lois de 1991 et 1994. Que le fait arbitraire ait été inhérent à la loi elle ‑même ou qu’il ait résulté de l’application de la loi par les tribunaux de l’État partie pour le Comité, l’auteur a été de toute façon privé de son droit à l’égale protection de la loi, en violation de l’article 26 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Ce recours devrait consister en la restitution du bien réclamé ou en une indemnisation et un dédommagement approprié pour la période au cours de laquelle l’auteur et sa veuve ont été privés de leur bien, allant de la date de l’adoption de la décision du tribunal (20 novembre 1995) jusqu’à la date de la restitution du bien. L’État partie devrait réviser la législation et la pratique administrative en vigueur dans ce domaine de façon à garantir que ni les textes ni la manière dont ils sont appliqués n’aient un caractère discriminatoire qui contreviendrait à l’article 26 du Pacte.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

O. Communication n° 779/1997, Äärelä et Näkkäläjärvi c. Finlande

(constatations adoptées le 24 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M me Anni Äärelä et M. Jouni Näkkäläjärvi (représentés par un conseil, M me Johanna Ojala)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Finlande

Date de la communication :

4 novembre 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué conformément à l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 779/1997 présentée au Comité par M me  Anni Äärelä et M. Jouni Näkkäläjärvi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 4 novembre 1997, sont Anni Äärelä et Jouni Näkkäläjärvi, tous deux de nationalité finlandaise. Ils se disent victimes d’une violation par la Finlande du paragraphe 3 de l’article 2, des paragraphes 1 et 2 de l’article 14, et de l’article 27 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs, qui appartiennent à l’ethnie sami, sont éleveurs de rennes et membres de la coopérative de renniculture Sallivaara qui dispose de 286 000 hectares de terres domaniales pour l’élevage du renne. Le 23 mars 1994, le Comité des droits de l’homme a déclaré irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes 1 une précédente communication présentée par les auteurs et d’autres éleveurs, qui soutenaient que l’exploitation forestière et la construction de routes dans certaines zones d’élevage du renne constituaient une violation de l’article 27 du Pacte. Le Comité a estimé en particulier que l’État partie avait établi que l’article 27 pouvait être invoqué dans les procédures internes que les auteurs auraient dû engager avant de saisir le Comité. Par la suite, et après des négociations infructueuses, les auteurs ont engagé une action devant le tribunal de district de Laponie contre le Service national des forêts et des parcs (Service des forêts). L’action visait à faire interdire, sur la base notamment de l’article 27 du Pacte, toute exploitation forestière ou construction de routes dans la zone de Mirhaminmaa ‑Kariselkä, où se trouveraient certains des meilleurs pâturages d’hiver de la coopérative Sallivara.

2.2 Le 30 août 1996, le tribunal de district a décidé, après un transport sur les lieux effectué à la demande des auteurs, d’interdire la coupe d’arbres et la construction de routes sur les 92 hectares de la zone de Kariselkä, mais d’autoriser ces activités dans le secteur de Mirhaminmaa 2 . Le tribunal s’est attaché à déterminer «si les effets néfastes de l’abattage sont tels que l’on peut considérer qu’ils privent les Samis de la possibilité de pratiquer l’élevage des rennes, activité qui fait partie de leur culture, est adaptée à l’évolution moderne, et est rentable et rationnelle». Le tribunal a estimé que la coupe d’arbres dans le secteur de Mirhaminmaa serait bénéfique, à long terme, à l’élevage de rennes dans ce secteur, et serait conforme à ces intérêts. Dans la zone de Kariselkä, la situation environnementale étant différente, il fallait s’attendre à une diminution considérable à long terme des réserves de lichen. Se fondant notamment sur les décisions du Comité 3 , le tribunal a estimé que la coupe d’arbres, conjuguée au fait que ce secteur servait de pâturage en cas de nécessité, aurait pour effet d’empêcher l’élevage des rennes dans ce secteur. Le fait qu’un expert, qui témoignait pour le Service des forêts, ait révélé qu’il ne s’était pas rendu dans la forêt en question, a contribué à l’adoption de cette décision. Après la décision, l’exploitation s’est poursuivie dans le secteur de Mirhaminmaa.

2.3 Le Service des forêts ayant fait appel devant la cour d’appel de Rovaniemi, l’Office de la foresterie a demandé l’application d’une mesure alors exceptionnelle, une audience contradictoire. La Cour a fait droit à cette requête, mais rejeté la demande de l’auteur visant à ce que la cour d’appel elle-même ordonne un transport sur les lieux. Ayant entre ‑temps examiné la forêt, l’expert a renouvelé la déposition qu’il avait faite en première instance pour le Service des forêts. Un autre expert, témoignant pour le Service des forêts, a indiqué que la coopérative d’élevage des auteurs ne pâtirait pas beaucoup de la réduction des terres d’élevage du fait de l’exploitation; cependant, la Cour n’avait pas été informée que l’expert en question avait déjà proposé aux autorités que le troupeau des auteurs soit réduit de 500 bêtes en raison d’un surpâturage grave.

2.4 Le 11 juillet 1997, la cour d’appel, annulant le jugement rendu en première instance, a autorisé l’exploitation forestière également dans le secteur de Kariselkä, et condamné les auteurs aux dépens s’élevant à environ 75 000 markkaa 4 . La Cour a donné une interprétation différente des conclusions de l’expert. Elle a estimé que l’exploitation étant envisagée sur une faible surface (et sans autres travaux routiers), l’incidence sur les lichens épiphytes serait minime et elle augmenterait, à la longue, la quantité de lichen territorial. Se fondant sur l’observation que la zone en question n’était pas le principal pâturage hivernal et qu’elle n’avait pas été utilisée, ces dernières années, comme pâturage d’appoint, la Cour a conclu qu’il n’avait pas été établi que les coupes auraient des effets néfastes sur les rennes à long terme et que les effets immédiats eux ‑mêmes seraient minimes. Les auteurs n’ont été informés ni par la cour d’appel ni par le Service des forêts que ce dernier avait présenté à la Cour des arguments, selon eux biaisés, reposant sur les conclusions du Comité selon lesquelles il n’y avait pas eu violation de l’article 27 du Pacte dans une autre affaire ( Jouni Länsman et consorts c. Finlande ) 5 . Les auteurs n’ont eu connaissance de cette pièce du dossier que lorsque l’arrêt de la cour d’appel leur a été signifié, lequel précisait que les arguments en question avaient été pris en compte, mais qu’il était «manifestement superflu» d’inviter les auteurs à les commenter. Le 29 octobre 1997, par un arrêt non motivé, la Cour suprême a souverainement décidé de ne pas autoriser le pourvoi en cassation. Par la suite, l’exploitation du bois a démarré dans la zone de Kariselkä, mais aucune route n’a été construite.

2.5 Le 15 décembre 1997, le médiateur a décidé que la municipalité d’Inari et son maire avaient exercé des pressions indues sur les auteurs, en leur demandant officiellement de renoncer à leur action en justice, mais il n’a pas estimé que le Service des forêts avait agi indûment ou de manière illicite 6 . L’intervention du médiateur s’est limitée à porter cette conclusion à l’attention des parties. Le 1 er  juin 1998, une décision du Ministère de l’agriculture et de la foresterie (du 13 novembre 1997) réduisant la taille autorisée du troupeau de Sallivaara de 500 têtes pour le ramener de 9 000 à 8 500 bêtes est entrée en vigueur. Les 3 et 11 novembre 1998, le Service des forêts a exigé des auteurs une somme dépassant 20 000 markkaa au titre des dépens 7 . Cette somme, réclamée par voie de saisie par le Service des forêts, représente une part considérable des revenus imposables des auteurs.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs soutiennent qu’en autorisant l’abattage d’arbres et la construction de routes dans le secteur de Kariselkä où se trouvent les meilleurs pâturages d’hiver de leur coopérative d’élevage, la cour d’appel a violé l’article 27 du Pacte. Ils font valoir que l’exploitation forestière sur les pâturages et la diminution concomitante du nombre autorisé de rennes constituent un déni de leur droit de vivre selon leur culture, collectivement avec d’autres Samis, culture dont la perpétuation de l’élevage du renne représente un aspect essentiel.

3.2 Les auteurs allèguent une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, faisant valoir que la cour d’appel n’avait pas été impartiale, dans la mesure où elle avait préjugé le résultat de l’affaire et violé le principe de l’égalité des armes en: i) autorisant une audience contradictoire tout en refusant un transport sur les lieux; ii) prenant en considération des éléments matériels sans permettre à l’autre partie de les commenter. Les auteurs soutiennent également que leur condamnation en appel aux dépens, alors qu’il avait été fait droit à leur demande en première instance, dénote une orientation tendancieuse et empêche effectivement d’autres Samis d’invoquer les droits énoncés dans le Pacte pour défendre leur culture et leur mode de vie. Il n’existe pas de mécanisme public destiné à aider les parties impécunieuses à s’acquitter des dépens 8 .

3.3 Les auteurs soutiennent en outre que le Service des forêts a exercé une influence indue alors que les tribunaux étaient saisis de l’affaire. Ils font valoir qu’ils ont été harcelés, que des réunions publiques ont été organisées pour les critiquer, que la municipalité leur a officiellement demandé de renoncer à leur action en avançant qu’elle risquait de compromettre le développement économique de la coopérative d’élevage, et que le Service des forêts avait allégué sans preuve qu’un des auteurs avait commis une infraction.

3.4 Les auteurs affirment que la décision injustifiée de la Cour suprême de ne pas autoriser le pourvoi en cassation a violé leur droit à un recours utile, au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ils font valoir que le refus de les autoriser à se pourvoir devant la Cour suprême constitue, en violation de l’article 14, un déni de justice et démontre qu’aucun recours utile ne peut être engagé face à cette violation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 L’État partie a répondu à la communication par un mémoire daté du 10 avril 1999, dans lequel il a contesté la recevabilité de la demande. Il fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne certaines prétentions. Les auteurs n’ayant pas fait appel des conclusions du jugement de première instance qui autorisaient l’exploitation du bois et la construction de routes dans le secteur de Mirhaminmaa, ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes, et cette partie de la communication n’est donc pas recevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2 L’État partie soutient qu’aucune violation des dispositions du Pacte n’a été établie. En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 27, l’État partie reconnaît que la communauté sami constitue une minorité ethnique, protégée en vertu de cette disposition, et que les Samis ont droit à sa protection. Il admet en outre que l’élevage de rennes est un aspect incontesté de la culture sami, qui est donc protégé en vertu de l’article 27, dans la mesure où il constitue un aspect essentiel de cette culture, nécessaire à sa survie.

4.3 L’État partie fait toutefois valoir, se référant aux affaires Lovelace c. Canada 9 et  Ilmari Länsman et consorts c. Finlande 10 , qu’il ne faut pas considérer que toute ingérence, qui modifie de façon limitée la situation antérieure, constitue une violation des droits énoncés à l’article 27. Dans l’affaire Länsman , le Comité a énoncé le critère consistant à déterminer si l’incidence «est telle que – les auteurs sont – effectivement privés du droit de jouir [des droits énoncés à l’article 27]». L’État partie fait également référence à la jurisprudence de la Cour suprême norvégienne et de la Commission européenne des droits de l’homme, qui exigent que les intérêts des populations autochtones aient fait l’objet d’une ingérence grave et appréciable pour qu’une action en justice puisse être engagée 11 .

4.4 En l’espèce, l’État partie souligne que l’exploitation forestière à Kariselkä s’effectue sur une superficie limitée, à savoir 92 hectares sur les 286 000 hectares que totalisent les terres de la coopérative. Il se reporte aux faits de l’affaire Jouni Länsman et consorts c. Finlande 12 , dans laquelle le Comité a estimé que l’abattage d’arbres dans une zone de 3 000 hectares sur un total de 255 000 hectares ne constituait pas une violation de l’article 27.

4.5 L’État partie souligne que la demande des auteurs a été minutieusement examinée par deux juridictions qui se sont explicitement référées à l’article 27 du Pacte. Les tribunaux ont entendu des experts, examiné un grand nombre de pièces et procédé à un transport sur les lieux avant de se prononcer sur les faits. La cour d’appel a estimé que les pâturages de lichen étaient appauvris et que les coupes contribueraient à les régénérer 13 . En outre, la coupe intermédiaire envisagée constituait également une modalité d’abattage qui aurait eu des incidences moindres, et qui, en tout état de cause, était moins importante que les abattages envisagés dans l’affaire Jouni Länsman , dans laquelle le Comité avait estimé qu’il n’y avait pas eu violation. L’État partie conteste également que le secteur de Kariselkä puisse être qualifié de «meilleurs pâturages d’hiver»; il note que la Cour a estimé que le secteur en question n’était pas la principale zone de pâturage en hiver, et qu’il n’avait même pas été utilisé ces dernières années comme pâturage d’appoint.

4.6 L’État partie souligne également que, comme le Comité l’avait exigé dans l’affaire Jouni Länsman , les personnes touchées ont effectivement pris part aux décisions les concernant. Les projets du Service des forêts ont été élaborés en consultation avec les propriétaires de rennes, en tant que principaux groupes intéressés. Suite à l’avis du Comité de Sallivaara, une solution différente de celle initialement recommandée par le Comité des espaces naturels a été adoptée pour concilier foresterie et élevage, solution qui a notamment abouti à la réduction de la surface consacrée à la foresterie. À cet égard, l’État partie insiste bien sur l’obligation juridique qu’avait le Service des forêts d’exploiter le bois selon un mode d’aménagement durable et de protéger les ressources naturelles, en tenant compte notamment des exigences de la culture sami concernant l’élevage du renne 14 . L’État partie fait donc valoir que les intérêts respectifs de la foresterie et de la renniculture ont été correctement pris en compte pour définir les mesures d’aménagement forestier les plus appropriées.

4.7 L’État partie souligne que le Comité a approuvé ce type de conciliation dans l’affaire Ilmari Länsman , dans laquelle celui-ci a estimé que, pour que des activités économiques planifiées soient conformes à l’article 27, les auteurs devaient être capables de continuer à tirer parti de l’élevage. En l’espèce, les mesures visées contribuent également à l’élevage du renne dans la mesure où elles stabilisent la production de lichen et sont compatibles avec elle. En outre, de nombreux éleveurs, y compris les auteurs, pratiquent la foresterie sur leurs terres parallèlement à l’élevage.

4.8 Enfin, l’État partie soutient que, contrairement à l’affirmation des auteurs, aucune décision de réduction du nombre de rennes n’a été prise bien que les comités d’éleveurs et le Parlement sami aient émis des avis.

4.9 En résumé, l’État partie affirme que le droit des auteurs de jouir de la culture sami, notamment d’élever des rennes, a été correctement pris en compte en l’espèce. S’il est vrai que les abattages et les déchets qui en résulteront auront temporairement quelques effets néfastes sur les pâturages, il n’a cependant pas été établi que cette activité aurait des conséquences considérables et durables susceptibles d’empêcher les auteurs de continuer à élever des rennes à l’échelle actuelle dans le secteur en question. On a à l’opposé fait valoir que les pâturages s’étaient appauvris du fait de leur utilisation intensive et qu’ils devaient être régénérés. En outre, le secteur en question représente une très petite proportion de la superficie détenue par la coopérative, et pendant l’hiver il a été utilisé essentiellement lors de crises dans les années 70 et 80.

4.10 En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 14, l’État partie estime que ni la condamnation aux dépens ni les procédures suivies par les tribunaux ne constituent une violation dudit article.

4.11 Au sujet de la condamnation aux dépens, l’État partie souligne qu’en vertu de sa législation la partie perdante est tenue, lorsque demande lui en est faite, de prendre en charge les frais de justice, dans la limite du raisonnable, de la partie gagnante 15 . La loi ne prévoit pas de dérogation lorsque les parties sont une personne physique et un organisme public, ni lorsque l’affaire a trait aux droits de l’homme. Ces principes sont les mêmes dans un grand nombre d’autres États, notamment en Autriche, en Allemagne, en Norvège et en Suède, et ils sont justifiés en ce qu’ils permettent d’éviter des actions en justice inutiles et des retards. L’État partie soutient que ce mécanisme, joint à l’aide juridictionnelle gratuite pour les frais d’avocats, assure l’égalité devant les tribunaux des demandeurs et des défendeurs. Il note toutefois qu’à partir du 1 er  juin 1999 la loi sera modifiée pour permettre à un tribunal de réduire d’office les dépens, qui seraient autrement manifestement déraisonnables ou inéquitables au regard des éléments de fait établis pendant la procédure, de la situation des parties et de l’importance de l’affaire.

4.12 Dans le cas d’espèce, le montant des dépens auxquels les auteurs ont été condamnés était inférieur de 10 000 markkaa à la somme de 83 765,59 markkaa réclamée par le Service des forêts.

4.13 En ce qui concerne la procédure suivie par la cour d’appel, l’État partie fait valoir qu’aux termes de sa législation (telle qu’elle s’appliquait à l’époque) il n’appartient pas aux parties de requérir une audience contradictoire, mais au tribunal d’en ordonner une s’il estime nécessaire d’apprécier la fiabilité et la valeur des dépositions orales effectuées devant le tribunal de district. S’agissant du refus de procéder à un transport sur les lieux, la Cour a estimé, après avoir entendu toutes les dépositions orales en audience contradictoire, qu’un tel acte de procédure n’apporterait aucun élément nouveau pertinent. Le procès ‑verbal du transport sur les lieux effectué par le tribunal de district n’étant pas contesté, un nouveau transport n’était donc pas nécessaire. L’État partie fait observer qu’un témoin pouvait se rendre sur place et inspecter le secteur en question, et qu’une telle visite ne peut pas avoir nui à l’intérêt de la justice. Toutefois, l’arrêt de la Cour n’indique pas si le témoin s’est effectivement rendu dans la forêt ni si cet élément de preuve était essentiel. Un des témoins des auteurs également connaissait bien la forêt en question.

4.14 S’agissant des observations relatives à l’affaire Jouni Länsman présentées par le Service des forêts après l’expiration du délai d’appel, l’État partie note que cela est simplement dû au fait que les constatations du Comité ont été rendues après ce délai. La lettre du Service des forêts se résumant à une description objective de la décision et ne contenant pas d’observations détaillées 16 , l’État partie a estimé qu’il était manifestement inutile de demander à l’autre partie de la commenter. L’État partie note que la Cour aurait pu en tout état de cause estimer que les constatations du Comité avaient été prises en compte d’office comme source de droit, et que les deux parties auraient pu y apporter des commentaires lors de l’audience contradictoire.

4.15 L’État partie rejette l’allégation des auteurs selon laquelle le droit à un recours utile n’a pas été respecté, en violation de l’article 2. Le Pacte a été directement intégré au droit finlandais et peut être directement invoqué (comme cela a été le cas) devant les tribunaux, à tous les degrés. S’il peut être fait appel de toute décision de première instance, le pourvoi en cassation des arrêts rendus en appel doit faire l’objet d’une autorisation. Or, celle ‑ci n’est accordée que lorsqu’il est nécessaire d’assurer la cohésion du droit d’annuler une décision d’une juridiction inférieure pour vice de procédure ou pour un autre motif ou lorsqu’il existe d’autres raisons valables. Dans le cas d’espèce, les demandes et les arguments des auteurs ont été attentivement examinés au cours de deux instances.

4.16 En ce qui concerne les griefs d’ordre général relatifs au harcèlement et à l’ingérence, l’État partie fait observer que le Service des forêts a signalé à la police que le mari de l’un des auteurs aurait commis une infraction en abattant des arbres sans autorisation sur une propriété domaniale. Alors que la police poursuit son enquête, l’auteur en question a versé une indemnisation au Service des forêts pour les dommages causés et les frais d’enquête. Toutefois, ces questions n’ont pas eu d’incidence sur la conduite du Service des forêts en ce qui concerne les questions soulevées dans la communication.

Réponse des auteurs aux observations de l’État partie

5.1 Les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie le 10 octobre 1999.

5.2 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, ils indiquent que le recours qu’ils ont engagé ne portait pas sur l’exploitation du bois dans le secteur de Mirhaminmaa, mais qu’ils se sont efforcés devant la cour d’appel de défendre la décision du tribunal de district concernant le secteur de Kariselkä.

5.3 En ce qui concerne le fond, les auteurs font toutefois valoir que les abattages dans le secteur de Mirhaminmaa portent immédiatement et nécessairement atteinte à leurs droits, au regard de l’article 27. En effet, l’exploitation dans les meilleurs pâturages d’hiver de la coopérative empiète de plus en plus sur les activités d’élevage des auteurs et accroît l’importance stratégique du secteur de Kariselkä pour l’élevage; elle devrait donc être prise en compte. Le secteur de Kariselkä devient particulièrement important dans les moments de crise, en hiver et au printemps, lorsque les rennes manquent de nourriture parce que de tels herbages sont rares. Les auteurs font valoir que l’importance du secteur de Kariselkä s’est également accrue depuis que d’autres activités dans la zone limitent les possibilités d’élevage, notamment l’extraction d’or à grande échelle, d’autres activités d’extraction minière, le tourisme à grande échelle et l’exploitation d’une station radar. Ils soulignent que ces empiètements ont réduit les terres disponibles pour l’élevage, ce qui a contribué au surpâturage dans les autres terres. Les auteurs précisent qu’en tout état de cause l’abattage d’arbres dans le secteur de Kariselkä a commencé.

5.4 Les auteurs contestent l’observation de l’État partie, selon lequel aucune décision visant à diminuer le nombre de rennes n’a été prise, en joignant au dossier une décision du Ministère de l’agriculture et de la foresterie, datée du 13 novembre 1997, entrée en vigueur le 1 er  juin 1998, qui réduit le troupeau de Sallivaara de 500 têtes (de 9 000 à 8 500 bêtes). Cette réduction était une conséquence de l’appauvrissement des pâturages (que l’État partie a reconnu), alors que la cour d’appel aurait conclu que ceux ‑ci étaient suffisants en quantité et en qualité. Les auteurs contestent également la référence de l’État partie au fait que les auteurs eux-mêmes abattent des arbres, en faisant valoir qu’ils y étaient obligés pour assurer leur subsistance dans un contexte économique difficile, et que cette pratique n’était nullement comparable, par son ampleur, aux coupes effectuées par l’État partie.

5.5 En ce qui concerne les observations de l’État partie sur les questions soulevées dans la communication au titre de l’article 14, les auteurs précisent, au sujet de la condamnation aux dépens, qu’ils n’ont pas bénéficié du régime révisé plus souple, désormais applicable en la matière suite à un amendement résultant en partie de la soumission de la présente communication. Les auteurs soulignent que l’Office de la foresterie, en demandant l’exécution forcée de la condamnation aux dépens, a publiquement fait savoir qu’il cherchait par là «à empêcher des procès inutiles». Or, le fait que les auteurs aient eu gain de cause en première instance démontre au moins que ce procès ne pouvait pas être considéré comme inutile.

5.6 Au sujet de l’audience contradictoire et du refus de la cour d’appel d’ordonner un transport sur les lieux, les auteurs font observer que, bien qu’une telle audience fût exceptionnelle à l’époque, ils ne contestent pas cette audience en tant que telle, mais l’ensemble de la procédure. En effet, celle ‑ci a été injuste dans la mesure où une audience contradictoire a été accordée, alors que le transport sur les lieux a été refusé. Les auteurs soutiennent que la Cour a rejeté la demande de transport sur les lieux avant que tous les témoins aient été entendus. En tout état de cause, selon la procédure finlandaise, un transport sur les lieux aurait dû être effectué avant l’audience principale. Les auteurs font également valoir que le dossier de l’inspection (composé d’un procès ‑verbal d’une page et de quelques photographies) ne doit pas et ne peut pas remplacer un transport sur les lieux d’une journée.

5.7 En ce qui concerne les conclusions que le Service des forêts a transmises à la cour d’appel après l’expiration du délai, les auteurs soulignent qu’elles comprenaient les constatations du Comité dans l’affaire Jouni Länsman ainsi qu’un mémoire. Au début de l’audience contradictoire, les auteurs, qui ont voulu fournir la décision à la Cour, ont été informés que le Service des forêts l’avait déjà fait. La Cour n’a pas fait mention du mémoire, dont les auteurs n’ont pas eu connaissance durant l’audience. Selon les auteurs, le mémoire donnait une interprétation incorrecte des constatations du Comité, comme cela a été montré par la traduction fournie par l’État partie. Ce mémoire ne pouvait pas signifier, comme l’affirmait le Service des forêts, qu’aucune violation du Pacte ne s’était produite dans la présente affaire. Les deux affaires étaient bien distinctes, dans la mesure où, dans l’affaire Jouni Länsman , les constatations étaient fondées sur la façon dont les juridictions nationales avaient traité le dossier, alors que la présente affaire était toujours en cours. Les auteurs, qui considèrent que le mémoire a eu une incidence non négligeable sur la décision de la Cour, n’ont pas pu y répondre, en violation des droits qui sont énoncés à l’article 14. La Cour suprême n’a pas sanctionné cette violation puisqu’elle a refusé d’autoriser le recours en cassation. L’exploitation du bois s’étant poursuivie, du fait que la procédure a été conduite en violation de l’article 14, l’article 27 a également été violé.

5.8 Le 7 août 2001, les auteurs ont soumis une copie d’une nouvelle décision du Ministère de l’agriculture, datée du 17 janvier 2000, réduisant de 1 000 têtes supplémentaires le troupeau de la coopérative de Sallivaara (devant revenir de 8 500 à 7 500 bêtes) au motif de l’appauvrissement des pâturages. Ainsi, en deux ans et demi, le troupeau a été réduit de 17 % au total.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Dans la mesure où les griefs des auteurs ne portent pas sur l’exploitation du bois dans le secteur de Mirhaminmaa en tant que tel, il n’est pas nécessaire au Comité de se prononcer sur les arguments avancés par l’État partie au sujet de la recevabilité en ce qui concerne ledit secteur.

6.3 S’agissant de l’allégation des auteurs relative à l’ingérence indue de la municipalité d’Inari, le Comité considère, vu que les procédures judiciaires visées par la tentative d’ingérence ont en fait abouti, que les auteurs n’ont pas étayé l’argumentation selon laquelle ces faits constituaient une violation d’un droit énoncé dans le Pacte.

6.4 En ce qui concerne les actes de harcèlement et d’intimidation dont les auteurs affirment avoir été victimes pendant la procédure en ce que l’Office de la foresterie avait organisé une réunion publique pour critiquer les auteurs et avait allégué, sans preuve, qu’ils avaient commis un vol, lesdits auteurs n’ont pas donné suffisamment de détails. L’absence d’éléments de preuve, autres que leur simple affirmation, ne permet pas au Comité d’en examiner comme il convient le bien-fondé et les incidences sur la procédure. Cette partie de la communication n’a donc pas été suffisamment étayée aux fins de sa recevabilité, et elle est déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.1 Le Comité déclare les autres parties de la communication recevables et il procède à leur examen quant au fond. Il a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 S’agissant de l’argument des auteurs selon lequel leur condamnation aux dépens, qui représentent une somme élevée, en appel, a constitué une violation du droit à l’égalité d’accès aux tribunaux, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité considère que l’obligation stricte faite par la loi d’accorder le remboursement des frais de l’instance à la partie gagnante peut décourager des personnes estimant que leurs droits reconnus dans le Pacte ont été violés d’engager une action en justice pour obtenir réparation. Dans le cas d’espèce, le Comité note que les auteurs étaient des personnes physiques qui avaient engagé une procédure en alléguant des violations de droits reconnus à l’article 27 du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité estime que la condamnation par la cour d’appel au versement d’une somme élevée au titre de la liquidation des dépens, sans qu’elle puisse prendre en considération les effets de cette décision sur les auteurs de la communication à l’examen, ou ses effets sur l’accès aux tribunaux d’autres plaignants se trouvant dans le même genre de situation, constitue une violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte. Le Comité note que depuis que des amendements ont été apportés en 1999 à la loi relative à la procédure judiciaire, les tribunaux de l’État partie ont maintenant la possibilité de prendre ces éléments en considération au cas par cas.

7.3 S’agissant de l’allégation des auteurs concernant l’article 14, selon laquelle la procédure appliquée par la cour d’appel était injuste dans la mesure où une audience contradictoire a été accordée et un transport sur les lieux a été refusé, le Comité estime qu’en règle générale il appartient aux juridictions internes de déterminer quelle est la procédure à suivre dans l’intérêt de la justice. C’est aux auteurs qu’il incombe de montrer que telle ou telle pratique a donné lieu à une injustice dans le cadre de la procédure considérée. En l’espèce, une audience contradictoire a été ordonnée parce que la Cour a estimé nécessaire de déterminer la fiabilité et la valeur qu’il convenait d’accorder à une déposition orale. Les auteurs n’ont pas montré que cette décision était manifestement arbitraire ou en quoi elle constituait un déni de justice. Quant à la décision de ne pas procéder à un transport sur les lieux, le Comité estime que les auteurs n’ont pas montré que la décision de la cour d’appel de se fonder sur le transport sur les lieux effectué par le tribunal de district, et sur le procès ‑verbal de cet acte de procédure, a donné lieu à une injustice ou a manifestement modifié l’issue de l’affaire. Par conséquent, le Comité n’est pas à même de conclure que l’article 14 a été violé dans le cadre de la procédure suivie par la cour d’appel en la matière.

7.4 Quant à l’allégation des auteurs selon laquelle la cour d’appel aurait violé leur droit à une procédure équitable, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14, en ne leur donnant pas l’occasion de faire des observations sur le mémoire dans lequel l’Office de la foresterie avait présenté ses arguments juridiques après l’expiration des délais, le Comité note que l’une des obligations fondamentales des tribunaux est d’assurer l’égalité des parties, notamment en leur permettant de contester tous les arguments et les éléments de preuve avancés par la partie adverse 17 . La cour d’appel indique que c’est pour des raisons bien précises qu’elle a tenu compte de certaines conclusions soumises par une partie et estimé qu’il était «manifestement inutile» d’inviter l’autre partie à y répondre. Les auteurs n’ont donc pas pu répondre à un mémoire présenté par l’autre partie dont la cour a tenu compte pour prendre une décision en faveur de la partie ayant présenté lesdites observations. Le Comité estime que la cour d’appel n’a pas donné aux parties la possibilité de contester leurs observations respectives et que les principes d’égalité devant les tribunaux et de procédure équitable contenus dans le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés.

7.5 Abordant la violation de l’article 27 que constituerait l’autorisation de l’exploitation forestière dans le secteur de Kariselkä, le Comité note qu’il est pas contesté que les auteurs appartiennent à un groupe culturel minoritaire et que l’élevage du renne est un élément essentiel de leur culture. Par le passé, la méthode employée par le Comité a consisté à chercher à déterminer si l’ingérence de l’État partie dans cette activité d’élevage atteignait un seuil tel que ledit État partie ne protégeait pas de manière adéquate le droit des auteurs de vivre selon leur culture. Le Comité doit donc déterminer si l’exploitation du bois sur les 92 hectares du secteur de Kariselkä a atteint ce seuil.

7.6 Le Comité note que les auteurs, et d’autres groupes intéressés essentiels, ont été consultés au cours de l’élaboration, par le Service des forêts, des projets d’abattage, et que ces projets ont été en partie modifiés pour tenir compte des critiques formulées par eux. Ayant examiné les éléments de preuve, partiellement contradictoires, fournis par les experts, et après avoir procédé à un transport sur les lieux, le tribunal de district a estimé que le secteur de Kariselkä était nécessaire à l’exercice des droits culturels des auteurs visés à l’article 27 du Pacte. La cour d’appel, dans son arrêt, est parvenue à une conclusion différente en se fondant sur ces mêmes éléments de preuve, puisqu’elle a considéré, également dans l’optique de l’article 27, que les coupes envisagées contribueraient à un certain point à assurer la viabilité à long terme de l’élevage du renne, en permettant la régénération du lichen terricole en particulier, et estimé en outre que la zone en question avait une importance secondaire pour l’élevage dans le cadre global des terres de la coopérative. Se fondant sur les éléments qui lui ont été communiqués par les auteurs et par l’État partie, le Comité estime manquer d’informations pour pouvoir formuler des conclusions indépendantes sur l’importance objective du secteur pour l’élevage, et les incidences à long terme sur la viabilité de l’élevage ainsi que sur les conséquences touchant les droits énoncés à l’article 27. C’est pourquoi le Comité ne saurait conclure que l’abattage d’arbres sur 92 hectares, compte tenu des circonstances de l’espèce, constitue de la part de l’État partie une violation de l’article 27 du Pacte par manquement à son obligation de protéger de manière appropriée les droits des auteurs de vivre selon la culture sami.

7.7 À la lumière des conclusions ci ‑dessus, le Comité considère qu’il est inutile d’examiner les allégations complémentaires que les auteurs ont formulées au titre de l’article 2 du Pacte.

8.1 Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation par la Finlande du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, ainsi qu’une violation supplémentaire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pris isolément.

8.2 Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité estime que les auteurs ont droit à un recours utile. S’agissant de la condamnation des auteurs aux dépens, le Comité estime qu’étant donné que la condamnation aux dépens viole le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et qu’en outre elle a été prononcée suivant une procédure qui elle ‑même viole le paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie a l’obligation de restituer aux auteurs la partie des frais qu’ils ont déjà remboursée et de renoncer à exiger le versement du montant restant. S’agissant de la violation du paragraphe 1 de l’article 14 découlant de la procédure appliquée par la cour d’appel concernant le mémoire présenté tardivement par l’Office de la foresterie (par. 7.4), le Comité estime que, la décision de la cour d’appel ayant été entachée d’une violation des dispositions relatives aux garanties de procédure équitable, l’État partie a l’obligation de réexaminer les demandes des auteurs. Il a également l’obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il l’invite en outre à diffuser les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de Prafullachandra N. Bhagwati

J’ai lu le texte des constatations formulées par la majorité des membres du Comité. J’approuve ces constatations, sauf celles qui sont énoncées au paragraphe 7.2 et, en partie, celles qui sont énoncées au paragraphe 8.2. Étant donné que je suis d’accord pour l’essentiel avec la majorité des membres sur la plupart des questions, il me semble inutile de revenir sur l’exposé des faits et je présenterai donc directement mon opinion dissidente concernant les paragraphes 7.2 et 8.2.

S’agissant de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, que constituerait la condamnation au remboursement de frais importants, la majorité des membres ont estimé que cette condamnation, étant donné les faits et les circonstances de l’espèce, constituait une violation desdits articles. Si certains des membres ont exprimé à cet égard un avis dissident, je me rallie pour ma part au point de vue de la majorité, mais en raisonnant d’une manière un peu différente.

Il est clair qu’aux termes de la législation telle qu’elle s’appliquait à l’époque, la cour n’avait aucune liberté de manœuvre en matière de liquidation des dépens. Elle était tenue par la loi de décharger la partie gagnante des frais de justice. Elle ne pouvait ni moduler les dépens incombant à la partie perdante, ni même refuser de se prononcer à cet égard, compte tenu de la nature du litige, l’intérêt public en jeu ou la situation financière de la partie concernée. Cette disposition juridique a eu un effet inhibant sur l’exercice du droit d’accès à la justice pour des plaideurs démunis, et en particulier des personnes engagées dans une action publique. Imposer le paiement de frais importants en vertu d’une disposition juridique aussi rigide et aveugle dans les circonstances de l’espèce, à savoir une action en justice d’intérêt général menée par deux membres de la tribu sami en vue de sauvegarder les droits culturels de celle ‑ci, qu’ils estimaient avoir été gravement violés, constituerait, à mon avis, une violation incontestable du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte. Il est satisfaisant de noter que ce genre de situation ne se reproduira pas car nous apprenons que la loi relative à l’imposition des coûts a depuis été modifiée. La cour a maintenant le pouvoir de décider de dispenser totalement ou non la partie gagnante du paiement des frais de justice et, le cas échéant, de déterminer le montant des frais en fonction des circonstances, dont celles que j’ai mentionnées ci ‑dessus.

En ce qui concerne le paragraphe 8.2, les auteurs ont à mon avis droit à réparation conformément aux dispositions de ce paragraphe qui ont trait aux dépens, non seulement parce que la liquidation des dépens a été décidée à la suite de délibérations de la cour d’appel qui constituaient une violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14, pour les raisons énoncées au paragraphe 7.4, mais aussi parce que la liquidation des dépens elle ‑même violait le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2, pour les raisons énoncées au paragraphe 7.2. Je suis entièrement d’accord avec le reste du paragraphe 8.2.

( Signé ) Prafullachandra N. Bhagwati

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M me  Christine Chanet, M. Eckart Klein, M. Ivan Shearer et M. Max Yalden (en partie dissidente)

Nous partageons pour l’essentiel le point de vue des membres du Comité en ce qui concerne la liquidation des dépens [voir aussi Lindon c. Australie (communication n o  646/1995)], mais nous ne pensons pas que dans le cas d’espèce il ait été démontré de manière convaincante et prouvé que les auteurs ont été touchés par la décision de la cour d’appel au point que l’accès au tribunal leur ait été ou leur serait interdit à l’avenir. À notre avis, les auteurs n’ont pas suffisamment apporté la preuve de leurs difficultés financières.

En ce qui concerne les effets dissuasifs éventuels dont pourraient souffrir à l’avenir les auteurs ou d’autres auteurs potentiels, il convient de tenir dûment compte de l’amendement au Code de procédure judiciaire, aux termes duquel un tribunal est habilité à réduire les dépens qui seraient manifestement déraisonnables ou inéquitables au regard des circonstances de l’espèce (voir par. 4.11 ci ‑dessus).

Toutefois, étant donné que nous partageons le point de vue selon lequel l’arrêt rendu par la cour d’appel est entaché d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte (voir par. 7.4 ci ‑dessus), la décision de celle ‑ci portant sur la liquidation des dépens est automatiquement mise en cause également. Nous nous associons donc à la position du Comité, selon laquelle l’État partie doit rembourser aux auteurs la partie des dépens déjà reçus et ne pas leur faire payer d’autres frais (voir par. 8.2 des constatations du Comité).

( Signé ) Abdelfattah Amor ( Signé ) Nisuke Ando ( Signé ) Christine Chanet ( Signé ) Eckart Klein ( Signé ) Ivan Shearer ( Signé ) Max Yalden

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

P. Communication n o  788/1997, Cagas et consorts c. Philippines

(constatations adoptées le 23 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

MM. Geniuval M. Cagas, Wilson Butin et Julio Astillero (représentés par Crusade against Miscarriage of Justice, Inc . )

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Philippines

Date de la communication :

17 septembre 1996 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  788/1997 présentée par MM. Geniuval M. Cagas, Wilson Butin et Julio Astillero en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 17 septembre 1996, sont M. Geniuval M. Cagas, M. Wilson Butin et M. Julio Astillero, tous trois de nationalité philippine, actuellement détenus à la prison ‑ferme de Tinangis (Philippines). Ils affirment être victimes d’une violation par les Philippines du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Ils sont représentés par Crusade against Miscarriage of Justice, Inc., organisation non gouvernementale.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 23 juin 1992, la police de Libmanan, Camarines Sur (Philippines), a trouvé six cadavres de femmes au domicile de la doctoresse Dolores Arevalo, elle ‑même l’une des victimes. Les victimes avaient les mains liées et leur crâne avait été fracassé.

2.2 Bien qu’il n’y ait pas eu de témoin direct des meurtres proprement dits, un voisin, M. Publio Rili, a affirmé avoir vu quatre hommes pénétrer chez la doctoresse Arevalo dans la soirée du 22 juin 1992. M. Rili a reconnu ultérieurement les trois auteurs, qui selon lui faisaient partie des individus qu’il avait aperçus le soir en question. Peu après que les quatre hommes en question eurent pénétré dans la maison, le témoin a entendu des «bruits de coups» provenant de la maison de la doctoresse Arevalo, puis il a vu une voiture qui quittait les lieux.

2.3 La même nuit, un agent de police a vu le véhicule en question et a relevé son numéro de plaque minéralogique. L’enquête a révélé par la suite que ce numéro était celui d’une voiture appartenant à M. Cagas. Les deux autres coaccusés et auteurs travaillent pour M. Cagas.

2.4 L’enquête a fait apparaître que M. Cagas fournissait des médicaments à un hôpital dont la doctoresse Arevalo avait été nommée chef quelque temps avant les meurtres. Il est également apparu que la doctoresse Arevalo avait refusé d’acheter des fournitures médicales à M. Cagas.

2.5 Le ministère public a présenté au tribunal une copie certifiée conforme d’un télégramme que M. Cagas aurait envoyé au mari de M me  Arevalo, lui demandant de dire à sa femme de ne plus réclamer de ristournes pour les fournitures médicales.

2.6 Les 26, 29 et 30 juin 1992, les auteurs ont été arrêtés pour meurtre (dans cette affaire dite du massacre de Libmanan). Ils affirment être innocents.

2.7 Le 14 août 1992, les auteurs ont comparu devant un tribunal, qui a ordonné de les maintenir en détention jusqu’au procès. Le 11 novembre 1992, les auteurs ont demandé leur mise en liberté sous caution et le 1 er décembre 1992 ils ont présenté une requête en annulation des mandats d’arrestation. Le 22 octobre 1993, le tribunal de première instance de la région a rejeté leur demande de libération sous caution. Le 12 octobre 1994, la cour d’appel de Manille a confirmé la décision rendue par le tribunal de première instance le 22 octobre 1993. Une requête en réexamen de la décision de la cour d’appel a été rejetée à son tour le 20 février 1995. Le 21 août 1995, la Cour suprême a rejeté l’appel de la décision de la cour d’appel formé par les auteurs.

2.8 Le 5 juin 1996, M. Cagas a envoyé au Président de juridiction de la Cour suprême, au nom des auteurs, une lettre lui communiquant des faits supplémentaires pour étayer l’allégation selon laquelle leur demande de libération sous caution avait été rejetée indûment.

2.9 Le 26 juillet 1996, le Président de juridiction a répondu aux auteurs qu’ils n’avaient plus la possibilité de soulever des questions que la Cour suprême n’avait pas considérées.

2.10 Dans une autre communication, datée du 29 mai 1998, les auteurs affirment que, les 24 et 25 mars 1997, l’un d’entre eux, M. Julio Astillero, a été soumis à la «torture ou traitement à l’alcool 1 » par des gardiens de la prison qui voulaient le contraindre à se porter «témoin à charge». Les sévices allégués auraient été signalés au juge Martin Badong, qui présidait à l’époque le tribunal de première instance de la région, mais ce dernier n’en aurait pas tenu compte.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment être victimes d’une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Ils affirment que la décision de les placer en détention avant jugement n’est fondée que sur des présomptions, ce qui n’est pas suffisant pour justifier le rejet d’une demande de libération sous caution, et que cette décision n’a pas été dûment réexaminée par les tribunaux supérieurs, qui ont refusé de revenir sur les faits déjà appréciés par le tribunal de première instance.

3.2 Les auteurs affirment que le Président de juridiction, quand il a rejeté leur requête le 26 juillet 1996, s’est fondé sur un point de procédure et non sur le fond de la loi, alors que dans cette affaire des droits constitutionnels fondamentaux étaient en cause.

3.3 Les auteurs notent que bien que la présomption d’innocence soit un principe consacré dans la Constitution des Philippines, les personnes dont la demande de mise en liberté sous caution est refusée sont privées de leur droit d’être présumées innocentes. Ils soutiennent encore que le refus de leur demande de mise en liberté sous caution les prive du temps et des facilités nécessaires pour préparer correctement leur défense, ce qui est contraire au principe des garanties d’une procédure régulière.

3.4 Bien que cet aspect ne soit pas expressément invoqué par les auteurs, les faits tels qu’ils sont présentés soulèvent des questions au titre des articles 9 (par. 3) et 14 (par. 3) du Pacte, eu égard à la durée que les auteurs ont passée en détention avant jugement, au titre des articles 7 et 10 du Pacte eu égard aux sévices dont M. Julio Astillero aurait été l’objet les 24 et 25 mars 1997.

Observations de l’État partie

4.1 Dans une réponse datée du 16 mars 1998, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de l’affaire.

4.2 Soulignant que les garanties d’une procédure régulière sont le fondement des procédures pénales relevant de sa juridiction, l’État partie considère que ce principe est respecté dans la mesure où un inculpé est entendu par un tribunal compétent, traduit en justice conformément aux garanties d’une procédure régulière et puni seulement après qu’un jugement a été prononcé conformément au droit constitutionnel.

4.3 L’État partie fait également observer que la libération sous caution peut être refusée quand celui qui la demande est inculpé d’un crime punissable de la «réclusion à perpétuité» et quand il y a à son encontre des présomptions sérieuses, dont l’appréciation est laissée à la discrétion du tribunal.

4.4 En l’espèce, l’État partie considère que, bien que leur demande de libération sous caution ait été rejetée, les auteurs n’ont pas été privés de leur droit d’être présumés innocents, puisque c’est seulement à l’issue d’un procès en bonne et due forme portant sur le fond de l’affaire qu’ils pourraient être déclarés coupables en toute certitude.

4.5 En outre, l’État partie considère que bien que le fait pour les auteurs d’être placés en détention avant jugement puisse les priver du temps et des facilités nécessaires pour préparer leur défense, cette détention ne déroge pas, dans son principe, à la notion essentielle de garanties judiciaires tant que les éléments de garanties d’une procédure régulière mentionnés au paragraphe 4.2 sont présents.

4.6 L’État partie souligne que M. Cagas a admis dans sa lettre du 5 juin 1996 au Président de juridiction que «l’irrégularité relevée dans la décision du [22 octobre 1993] n’a jamais été évoquée dans les compléments d’information fournis à la cour d’appel et à la Cour suprême» et que M. Cagas a admis avoir fait part de ses griefs directement au Président de juridiction. L’État partie note, à cet égard, que le Bureau du Président de juridiction, qui est placé sous l’autorité de la Cour suprême, n’est nullement appelé à se prononcer sur les affaires; il n’est donc pas compétent pour réexaminer les arrêts rendus par la Cour suprême. L’État partie précise encore que les auteurs ont été dûment représentés par un avocat, défenseur des droits de l’homme réputé.

Observations des auteurs

5.1 Dans une lettre datée du 29 mai 1998, les auteurs ont commenté les observations de l’État partie.

5.2 Les auteurs affirment encore une fois que quand une demande de libération sous caution est rejetée, il est porté fondamentalement atteinte au droit constitutionnel de la personne accusée d’être présumée innocente. En outre, quand la personne accusée est placée en détention avant jugement, elle n’a pas le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense, ce qui pour finir la prive des garanties d’une procédure régulière.

5.3 En règle générale, la libération sous caution peut être accordée dans toute procédure pénale. Cette règle ne souffre qu’une seule exception, lorsque l’intéressé est inculpé d’un crime capital qui emporte une condamnation à une peine sévère, et surtout quand il existe des présomptions sérieuses à son encontre. Cela implique également que toute exception au droit d’être libéré sous caution doit être dûment justifiée dans la décision prise.

5.4 En l’occurrence, les auteurs considèrent que dans la décision du tribunal de première instance du 22 octobre 1993, le rejet de leur demande de libération sous caution n’est pas justifié. En outre, ils estiment que la condition de l’existence de présomptions sérieuses n’a pas été satisfaite. À cet égard, les auteurs font observer que le ministère public a simplement montré qu’ils étaient des suspects qui pouvaient avoir commis le crime, et qu’il a fondé ses constatations sur des preuves indirectes. Les auteurs considèrent qu’en l’absence de témoin direct des meurtres proprement dits les preuves indirectes présentées en l’espèce ne sont pas suffisantes pour établir que ce sont eux qui ont commis le crime.

5.5 Les auteurs font également observer que la cour d’appel et la Cour suprême n’ont examiné qu’un aspect procédural de l’affaire, estimant qu’il était du ressort du juge de première instance d’apprécier les faits, et elles n’ont pas considéré la question du droit à la libération sous caution en appliquant le critère prévu dans la Constitution, à savoir l’existence de présomptions sérieuses pour refuser ladite libération. Les auteurs ont porté ultérieurement cette question devant le Président de juridiction, car ils estimaient que ce dernier avait le pouvoir et le devoir d’appeler l’attention des juges de première instance sur les cas de simulacre de justice manifestes dans leur juridiction.

5.6 Pour permettre au Comité de prendre sa décision en toute connaissance de cause, les auteurs appellent aussi son attention sur certains faits récents:

Une requête en réexamen a été rejetée le 20 mai 1998.

L’original du télégramme qui aurait été envoyé par M. Cagas au mari de M me  Arevalo et sur lequel le ministère public s’est essentiellement fondé pour établir le motif du crime n’a jamais été produit et est apparemment perdu. Les auteurs fournissent des attestations à l’effet que l’original de ce document est introuvable.

Autres observations de l’État partie

6. Les observations qui précèdent ont été communiquées à l’État partie le 30 octobre 1998. Le 20 septembre 2000, il a été envoyé à l’État partie une autre lettre l’invitant à présenter ses observations sur le fond de l’affaire. Par une note verbale du 2 octobre 2000, l’État partie a fait savoir au Comité qu’il ne souhaitait pas formuler d’autres observations sur l’affaire et il s’est référé à sa communication antérieure du 16 mars 1998.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Notant que l’État partie n’a pas soulevé d’objections quant à la recevabilité de la communication, que les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles et que la même affaire n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité déclare la communication recevable.

7.3 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 14 pour le motif que la demande de libération sous caution a été rejetée, le Comité estime que ce refus n’a pas a priori touché le droit des auteurs d’être présumés innocents. Néanmoins, le Comité est d’avis que la durée excessive de la détention provisoire − supérieure à neuf ans − porte bien atteinte au droit à la présomption d’innocence et constitue donc une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

7.4 En ce qui concerne les questions soulevées au titre du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité fait observer qu’au moment où ils ont envoyé leur communication les auteurs étaient en détention depuis plus de quatre ans et qu’ils n’étaient pas encore passés en jugement. Le Comité note encore qu’au moment où il adopte ses constatations les auteurs semblent être détenus en attente de jugement depuis plus de neuf ans, ce qui compromettrait sérieusement l’équité du procès. Rappelant son Observation générale n o  8, dans laquelle il fait observer que «[la] détention [avant jugement] doit être exceptionnelle et aussi brève que possible» et notant que l’État partie n’a avancé aucune explication pour justifier cette longue période, le Comité considère que la durée de la détention avant jugement constitue, en l’espèce, un délai déraisonnable. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. En outre, rappelant que l’État partie est tenu de faire en sorte qu’une personne accusée soit jugée sans retard excessif, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

7.5 En ce qui concerne les sévices qui auraient été infligés à M. Julio Astillero, le Comité note que les allégations sont très générales et que la nature des actes qui auraient été commis n’est pas décrite. Donc, même si l’État partie n’a pas répondu à la demande du Comité qui l’avait invité à faire des observations sur les informations données par les auteurs en date du 29 mai 1998, le Comité est d’avis que les auteurs n’ont pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer leur allégation de violation des articles 7 et 10 du Pacte à l’égard de M. Astillero.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et des paragraphes 2 et 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs de la communication un recours utile, qui doit prendre la forme d’une indemnisation adéquate pour le temps qu’ils ont passé illégalement en détention. L’État partie est également tenu de faire en sorte que les auteurs soient jugés sans délai en bénéficiant de toutes les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte ou, si cela n’est pas possible, qu’ils soient remis en liberté.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Cecilia Medina Quiroga et de M. Rafael Rivas Posada (dissidente)

Dans cette affaire, le Comité a établi que les Philippines avaient violé le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les paragraphes 2 et 3 de l’article 14, au préjudice de MM. Cagas, Butin et Astillero. J’approuve la conclusion de la majorité mais je m’en dissocie en ce que je considère que le Comité aurait dû conclure que l’État partie avait également violé le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Voici quelles sont mes raisons:

a) Nulle part dans le dossier dont le Comité était saisi il n’est consigné que les trois auteurs de la communication ont été jugés et ont été reconnus coupables et condamnés à une peine privative de liberté, raison pour laquelle on peut présumer qu’ils ont été privés de leur liberté pendant neuf ans sans avoir été ni jugés ni condamnés, étant donné qu’il appartenait à l’État de donner au Comité une information à ce sujet, ce qu’il n’a pas fait jusqu’ici. Il s’agit donc d’une violation flagrante du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Il faut relever qu’une privation de liberté aussi longue ne peut être considérée comme équivalant à l’exécution d’une peine, en l’espèce sans qu’il y ait de verdict à l’appui, ce qui à mon avis fait douter du respect par l’État partie des dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, qui interdisent la détention arbitraire.

b) Le fait que les suspects n’aient pas été jugés pendant tant d’années, outre qu’il constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 14, compromet automatiquement la régularité de la production de la preuve, ce qui entache de vices le procès qui pourrait éventuellement être engagé contre les auteurs de la communication. Par exemple, la possibilité de fonder la sentence sur les dépositions de témoins, dépositions qui seraient recueillies aussi longtemps après les événements, fait que les accusés se trouvent totalement sans défense, ce qui est contraire aux garanties prévues par le Pacte. Il est impossible qu’un procès pour homicide ou assassinat, selon le cas, mené au bout de neuf ans ou même plus après les faits, puisse être «équitable» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

c) Enfin, en ayant laissé passer tout ce temps sans juger les intéressés selon la procédure régulière garantie par le Pacte, l’État partie n’a pas seulement commis une violation par omission du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, mais s’est placé dans une situation telle qu’il ne peut pas à l’avenir prétendre respecter le Pacte. Pour cette raison, je ne peux pas davantage approuver le paragraphe 9 de la décision de la majorité. J’estime que dans l’affaire à l’étude l’État doit remettre immédiatement les trois détenus en liberté. Il est évident que l’État a intérêt à traduire les intéressés devant une juridiction pénale mais ces poursuites ne peuvent être menées que dans les limites permises par le droit international. Si les organes chargés d’administrer la justice pénale d’un État sont inefficaces, cet État doit résoudre le problème autrement qu’en violant les garanties des accusés.

( Signé ) Cecilia Medina Quiroga ( Signé ) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (dissidente)

Je n’approuve pas la position de la majorité qui a décidé de ne pas retenir une violation des articles 7 et 10 du Pacte dont l’un des auteurs, Julio Astillero, a été victime; mon désaccord repose sur les considérations ci ‑après.

Dans une lettre datée du 29 mai 1998, les auteurs ont fait savoir que l’un d’eux, M. Julio Astillero, avait été soumis par deux fois à la torture, le 24 et le 25 mars 1997. Ils appellent le type de torture subi le «traitement à l’alcool» et désignent comme auteur principal de ces actes Marlon Argarin, qui était à l’époque gardien du pénitencier agricole de Tinangis (Tinangis Jail − Penal Farm) situé dans la localité de Pili dans la région de Camarines Sur, aux Philippines, prison dans laquelle les auteurs étaient incarcérés. Ils signalent également que le gardien, Marlon Argarin, était devenu par la suite chef de la sécurité du Service des opérations et qu’il avait bénéficié, en pratiquant la torture, de la complicité d’autres gardiens de la prison où les faits s’étaient produits. Les auteurs ont précisé en outre qu’en le torturant les gardiens voulaient obliger Astillero à témoigner à charge.

Les auteurs ont en outre signalé que tous ces actes avaient été dénoncés devant le juge qui présidait le tribunal de première instance (Section 33) de la localité de Pili (région de Camarines Sur), appelé Martin Badong, lequel d’après eux n’avait pris aucune mesure pour enquêter.

Si effectivement les auteurs n’ont pas expliqué en quoi consistait le «traitement à l’alcool» il ne fait aucun doute, vu les termes employés dans la plainte qui coïncident avec ceux du libellé de l’article 7 du Pacte, qu’il s’agissait bien de tortures et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants auxquels nul ne doit être soumis. Le détenu Julio Astillero, étant soumis à des tortures alors qu’il était privé de liberté, n’a pas été traité avec humanité ni avec le respect dû à l’être humain.

La plainte pour violation des articles 7 et 10 du Pacte a été amplement étayée par les précisions suivantes:

a) Les dates auxquelles ont eu lieu les tortures;

b) Le lieu où la torture a été pratiquée;

c) Le nom du tortionnaire présumé;

d) Les fonctions qu’il occupait au moment où les actes de torture ont été commis;

e) Les fonctions qu’il a occupées par la suite;

f) L’existence de complices;

g) Les fonctions occupées par ces complices présumés;

h) La mention concrète de la plainte pour tortures portée auprès du juge;

i) Le nom du magistrat qui a reçu la plainte;

j) La qualité de président de la juridiction de ce magistrat;

k) Le fait que le tribunal devant lequel la plainte a été déposée soit nommé avec précision.

Toutes ces précisions données par les auteurs au sujet de l’allégation de torture, de même que d’autres observations d’autre nature, ont été portées à la connaissance de l’État partie le 30 octobre 1998. L’État partie a gardé le silence à ce sujet ce qui, comme le Comité l’a affirmé à d’autres occasions, implique un manque de collaboration de sa part et l’inexécution de l’obligation faite au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant les mesures qui peuvent être prises.

L’absence de collaboration de l’État partie a été confirmée de plus quand il a répondu à une nouvelle demande du Comité, en date du 20 septembre 2000, par note verbale, qu’il ne souhaitait pas faire d’autres commentaires sur la question, renvoyant à sa première réponse en date du 16 mars 1998. Or ces observations ne permettent en rien d’élucider la question des tortures, puisque celles ‑ci se seraient produites après le 16 mars 1998.

En conséquence, le Comité doit tenir compte de la plainte des auteurs et, au vu de tous les éléments portés à sa connaissance, devrait considérer qu’il y a eu violation des articles 7 et 10 du Pacte au préjudice de Julio Astillero.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Q. Communication n o  792/1998, Higginson c. Jamaïque

(constatations adoptées le 28 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Malcolm Higginson

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Jamaïque

Date de la communication :

20 janvier 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte internati o nal relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 792/1998 présentée par M. Malcolm Higginson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 20 janvier 1997 et lettres suivantes datées de mai 1997 et du 3 juillet 1997) est Malcolm Higginson, citoyen jamaïcain, né le 20 mars 1974, détenu au moment de la présentation de la communication au pénitencier général de Kingston (Jamaïque). Il est actuellement détenu au centre de détention pour adultes de St. Catherine. Il affirme être victime de violations par la Jamaïque 1 des articles 2, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 D’après la version que donne l’auteur de ce qui s’est dit à l’audience, le 19 mai 1995, l’auteur a été reconnu coupable de possession illégale d’une arme à feu, de viol et de vol avec circonstances aggravantes par la High Court Division de la Gun Court de Kingston (Jamaïque) et condamné à 5, 10 et 7 ans d’emprisonnement avec travaux forcés et confusion des peines, et à recevoir six coups de verge de tamarin.

2.2 Le procès de l’auteur a duré cinq jours. Au cours du procès, la victime a témoigné que le 25 juillet 1993, vers 14 h 30, elle était allée rendre visite à son compagnon qui travaillait dans une entreprise de pompes funèbres à St. Andrew. Sur son chemin, elle a rencontré l’auteur qui travaillait pour la même entreprise. Ils ont discuté quelques minutes avant d’être rejoints par la compagne de l’auteur. L’auteur et sa compagne sont partis ensemble. Après le départ de l’auteur, plusieurs hommes, qui étaient totalement inconnus de la victime et dont un était armé d’un revolver, l’ont entourée et l’ont emmenée dans une pièce située à l’arrière des locaux de l’entreprise de pompes funèbres où ils l’ont tous violée. Selon la victime, l’auteur est entré dans la pièce peu de temps après. Lui aussi portait un revolver. La victime a demandé à l’auteur de venir à son secours, mais selon elle l’auteur s’est joint au groupe et l’a violée. Le groupe d’hommes lui a en outre volé sa montre et 200 dollars. Plusieurs heures plus tard, la victime a été libérée et est rentrée chez elle. Neuf jours plus tard, elle s’est plainte à la police en donnant le nom de l’auteur. Le 29 octobre 1993, l’auteur a été arrêté et inculpé. Personne d’autre n’a, semble ‑t ‑il, été inculpé pour les mêmes faits.

2.3 L’auteur a nié l’accusation de viol collectif et de possession d’un revolver mais a reconnu avoir eu une relation sexuelle avec la fille le même jour avec son consentement. Il a déclaré que ce jour ‑là, il avait rencontré la plaignante et avait parlé avec elle. Elle était venue chez lui parce qu’elle avait des problèmes avec son compagnon, et c’était elle qui avait pris l’initiative de la relation sexuelle.

2.4 Pendant le procès, l’accusation s’est fondée sur l’identification de l’auteur par la victime. Cette dernière avait indiqué qu’elle avait entendu quelqu’un appeler l’auteur «Malcolm» pendant le viol, et c’était pour cette raison qu’elle avait donné son nom et sa description à la police. Tous les autres hommes lui étaient inconnus. L’auteur a quant à lui affirmé qu’au moment de leur conversation la victime et lui s’étaient présentés l’un à l’autre, et c’était la raison pour laquelle elle connaissait son nom.

2.5 L’auteur a déposé une demande d’autorisation de faire recours au motif que son procès avait été inéquitable 2 . Sa demande était fondée sur le fait que pendant le contre ‑interrogatoire de la victime au sujet de l’identification de l’auteur, le juge n’avait pas laissé le conseil terminer son interrogatoire. La cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation de faire recours de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur soulève des questions au titre de l’article 14 du Pacte. Il affirme que son procès a été inéquitable parce que le juge n’a pas laissé le conseil achever le contre ‑interrogatoire de la plaignante et qu’il a fondé sa décision uniquement sur les déclarations de cette dernière. Il fait valoir en outre qu’en le condamnant à la flagellation le juge a violé l’article 7 du Pacte, parce que ce châtiment constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante. Selon l’auteur, en proclamant la constitutionnalité de lois qui étaient en vigueur avant l’adoption de la Constitution, le paragraphe 8 de l’article 26 de cette dernière autorise les châtiments corporels. Le fait de s’appuyer sur des lois qui prescrivent de tels châtiments constitue une violation de l’article 2 du Pacte. L’État partie devrait, selon l’auteur, abroger de telles lois de façon à aligner la législation nationale sur le Pacte et garantir ainsi la protection des droits qui y sont énoncés.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’avec le rejet de sa demande d’autorisation de faire recours, il a épuisé tous les recours internes.

Examen de la communication quant à la recevabilité et quant au fond

4.1 La communication et les documents dont elle est accompagnée ont été transmis le 14 janvier 1998 à l’État partie qui n’a pas répondu à la demande que lui a adressée le Comité en vertu de l’article 91 de son règlement intérieur et dans laquelle il le priait de lui communiquer des informations ainsi que ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, pas plus qu’il n’a répondu à sa demande de ne pas exécuter la condamnation de l’auteur à la flagellation, envoyée en application de l’article 86 du règlement intérieur. Des rappels des demandes susmentionnées ont été adressés à l’État partie le 4 octobre 2000 et le 24 juillet 2001. C’est seulement le 24 mai 2001 que l’État partie a informé le Comité que les allégations de l’auteur faisaient l’objet d’une enquête. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du Protocole facultatif que l’État partie est tenu de communiquer au Comité en temps voulu toutes les informations dont il dispose et regrette le manque de coopération de sa part dans la présente affaire. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles sont étayées.

4.2 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.3 Le Comité a vérifié que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

4.4 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’auteur a fait valoir qu’il avait demandé sans succès l’autorisation de faire recours et qu’il ne dispose plus d’aucun recours interne. L’État partie n’a pas indiqué qu’il existait d’autres recours internes. Le Comité considère donc que le paragraphe 2 b) de l’article 5 ne l’empêche pas d’examiner la communication.

4.5 Bien que les affirmations de l’auteur soulèvent des questions quant à l’équité du procès en vertu de l’article 14 et même en l’absence de réponses de la part de l’État partie malgré la promesse de celui ‑ci de faire procéder à une enquête, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations pour qu’il puisse considérer qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.6 L’autre partie de la communication, dans laquelle l’auteur affirme avoir été victime d’une violation de l’article 7 du Pacte, est recevable. L’auteur a affirmé que la flagellation au moyen d’une verge de tamarin constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante et que la condamnation à cette peine représentait une violation de l’article 7 du Pacte. L’État partie n’a pas contesté cette affirmation. Indépendamment de la nature de l’infraction devant être réprimée et même si la législation nationale autorise les châtiments corporels, selon la jurisprudence constante du Comité, ce type de châtiment constitue une peine ou un traitement cruel, inhumain et dégradant contraire à l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut que l’imposition ou l’exécution de la peine de flagellation au moyen d’une verge de tamarin constitue une violation des droits conférés à l’auteur par l’article 7.

5. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte.

6. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile en s’abstenant d’exécuter la peine de flagellation à laquelle l’auteur a été condamné ou en lui accordant une indemnisation appropriée si la peine a été exécutée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir en abrogeant les textes législatifs autorisant les châtiments corporels.

7. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. L’affaire ayant été soumise avant que la dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998, elle demeure sujette à l’application des dispositions du Protocole conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif. En vertu de l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

R. Communication n o  794/1998, Jalloh c.  Pays-Bas

(constatations adoptées le 26 mars 2000, soixante ‑quatorzième session) *

Présentée par :

M. Samba Jalloh (représenté par M. Pieter Bouman)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la décision concernant la recevabilité :

6 juillet 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  794/1998 présentée par M. Samba Jalloh en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Samba Jalloh, qui se dit victime d’une violation par les Pays ‑Bas des articles 9 et 24 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur dit qu’il est ressortissant de la Côte d’Ivoire et qu’il est né en 1979. Il est arrivé aux Pays ‑Bas le 3 septembre 1995 ou vers cette date. Il n’avait alors pas de papiers d’identité, mais le 15 octobre 1995, les autorités d’immigration ont enregistré qu’il était âgé de 15 ans. Précédemment, le 4 septembre 1995, il avait déposé une demande d’asile auprès du Secrétaire d’État à la justice. À partir de cette date, jusqu’en juin 1996, l’auteur a été pris en charge par le Service de tutelle, qui est le représentant légal de tous les demandeurs d’asile et des étrangers mineurs non accompagnés. L’auteur a été accueilli et hébergé dans un établissement ouvert 1 . Le 12 décembre 1995, sa demande d’asile a été rejetée. Le 29 janvier 1996, il a formé un recours contre cette décision. Le recours a été rejeté le 12 juin 1996.

2.2 En août 1996, l’auteur s’est enfui du centre d’accueil et est passé dans la clandestinité de crainte d’être expulsé immédiatement 2 . Son avocat lui a conseillé de déposer une nouvelle demande de statut de réfugié de façon à mettre un terme à sa situation illégale et à pouvoir de nouveau être hébergé dans des foyers d’accueil pour réfugiés. Le 4 septembre 1996, il a donc déposé une demande de statut de réfugié auprès du Secrétaire d’État à la justice. Le 12 septembre 1996, à la suite d’un entretien avec le Service des étrangers, une mesure de rétention a été ordonnée pour les raisons suivantes: il n’avait pas de permis de séjour valable, il ne possédait pas de papiers d’identité, il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins ni de rentrer dans son pays d’origine et il y avait tout lieu de croire qu’il refuserait de collaborer quand il serait expulsé 3 . Sa demande de statut de réfugié a été rejetée le 17 septembre 1996.

2.3 L’auteur a contesté la légalité de sa mise en rétention, mais son recours a été rejeté le 24 septembre 1996 par le tribunal d’instance de s ‑Hertogenbosch, bien que le conseil de l’auteur ait apparemment soulevé la question de la minorité de l’auteur. Il ressort du jugement que l’auteur a été conduit auprès de la représentation diplomatique de la Côte d’Ivoire à Bruxelles afin de vérifier son identité, mais que les résultats ont été négatifs. L’auteur a ensuite été présenté au consulat de la Sierra Leone et au consulat du Mali, sans plus de résultats. Le 8 novembre 1996, le conseil a de nouveau formé un recours contre la mesure de rétention qu’il jugeait illégale, mais le même tribunal a rejeté le deuxième recours le 2 décembre 1996 parce qu’une nouvelle enquête d’identité visant à établir la nationalité de l’auteur était en préparation. Le 9 janvier 1997, le Secrétaire d’État à la justice n’en a pas moins décidé de mettre fin à la mesure de rétention, car, à ce moment-là, il n’était pas réaliste d’envisager d’expulser l’auteur. Ordre a été alors intimé à celui-ci de quitter immédiatement les Pays ‑Bas.

2.4 Le 5 février 1997, l’auteur a formé un recours contre la décision de rejeter sa demande de statut de réfugié. Le même tribunal a décidé, le 23 avril 1997, de rouvrir le dossier de façon à permettre à l’auteur de subir un examen médical. L’examen a eu lieu en mai 1997. Le 4 juin 1997, le rapport de l’expertise psychologique et les résultats des examens radiologiques effectués pour déterminer l’âge de l’auteur ont été communiqués au tribunal. Le tribunal a reconnu alors que le recours formé par l’auteur était fondé et le Secrétaire d’État à la justice lui a accordé un permis de séjour «en tant que demandeur d’asile mineur non accompagné, avec effet à la date de dépôt de la deuxième demande d’asile» 4 .

Teneur de la plainte

2 Il semble que le Service des étrangers ait tenté d’entrer en contact avec l’auteur le 9 août 1996, mais celui-ci s’était déjà enfui.

3Aucune autre précision sur le type de centre dans lequel il a été placé en rétention ni sur ses conditions de détention n’a été fournie.

4Cette information a été donnée par le conseil après qu’il eut soumis sa lettre initiale au Comité des droits de l’homme.

5Dans sa lettre initiale, l’auteur alléguait également une violation de l’article 10, mais n’a pas maintenu cette allégation dans sa lettre du 16 décembre 1997 ni dans aucune autre lettre ultérieure, raison pour laquelle l’État n’y a pas répondu.

3.1 Dans sa lettre initiale, le conseil affirmait que la mise en rétention de l’auteur en application de la loi sur les étrangers constituait une violation des articles 9 et 24 du Pacte 5 . Il faisait valoir qu’il s’agissait d’une mesure arbitraire parce qu’il n’était pas raisonnable d’imaginer que l’auteur allait chercher à se soustraire à l’expulsion alors qu’il s’était spontanément présenté à la police le 4 septembre 1996 et parce qu’il s’agissait d’un mineur. Il ajoutait que, conformément à la politique de l’État partie, les mineurs qui sollicitent le statut de réfugié devaient recevoir un permis de séjour s’ils ne pouvaient pas être renvoyés dans leur pays d’origine dans les six mois.

3.2 Dans une lettre datée du 16 décembre 1997, le conseil a informé le Comité que son client avait obtenu un permis de séjour mais qu’il souhaitait maintenir la communication soumise au Comité en raison de la mesure de rétention illégale de trois mois et demi dont il avait fait l’objet.

Observations de l’État partie

4.1 Pour ce qui est du fond de l’affaire et du point de vue du droit, l’État partie explique que la rétention des immigrés en situation illégale est prévue par l’article 26 de la loi sur les étrangers. Il souligne que cette mesure n’est pas punitive mais vise à faciliter l’expulsion et est limitée aux cas où la rétention est nécessaire et utile. Les tribunaux sont habilités à revoir la mesure dans l’intérêt de l’étranger. L’État partie explique que les étrangers mineurs non accompagnés peuvent aussi faire l’objet d’une mesure de rétention en vertu du même article de la loi sur les étrangers, mais, dans leur cas, celle-ci est appliquée avec plus de retenue.

4.2 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9 avancée par l’auteur, l’État partie explique que l’auteur a été placé en rétention pendant trois mois et demi en application de l’article 26 de la loi sur les étrangers parce qu’il n’avait pas de permis de séjour valable, qu’il ne possédait pas de papiers d’identité, qu’il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins, qu’il y avait tout lieu de croire qu’il chercherait à se soustraire à l’expulsion et que les autorités avaient l’impression qu’il abusait des procédures d’asile. Après examen de l’affaire, le tribunal a conclu, le 24 septembre 1996, que la mesure de rétention était légale, que l’auteur s’était déjà soustrait à l’expulsion, qu’il n’avait pas dit la vérité concernant son identité et qu’il y avait de bonnes chances que l’auteur soit expulsé étant donné que les autorités avaient entrepris de faire procéder à une expertise pour établir son identité.

4.3 L’État partie est d’avis que les autorités ont agi en tenant dûment compte de toutes les circonstances et sans faire preuve d’arbitraire quand elles ont placé et maintenu l’auteur en rétention. La nécessité de cette mesure était réexaminée régulièrement par les autorités d’exécution et par un tribunal indépendant. L’État partie ajoute qu’à l’époque il n’était pas possible de savoir si l’auteur était mineur.

4.4 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 24, l’État partie reconnaît qu’il a une responsabilité particulière à l’égard des mineurs. Il explique qu’il a élaboré une politique spéciale en faveur des demandeurs d’asile mineurs non accompagnés. Ceux-ci ont droit à un permis de séjour sous réserve d’avoir été «admis sur le territoire en tant que demandeurs d’asile mineurs non accompagnés». Le permis est octroyé au mineur qui a fait une demande d’asile mais ne peut pas prétendre à ce statut. En pareil cas, un permis de séjour est délivré s’il est établi dans les six mois suivant le dépôt de la demande d’asile qu’il n’existe aucun moyen de prendre dûment en charge le mineur dans le pays d’origine. Quand il a été appelé à statuer sur la première demande d’asile, le Secrétaire d’État à la justice a cherché à savoir si l’auteur pouvait prétendre à un permis de séjour en tant que mineur non accompagné et a conclu qu’il ne remplissait pas les conditions, car il était impossible d’affirmer qu’il disait la vérité, vu le grand nombre de contradictions relevées dans ses déclarations et l’incertitude quant à son identité. Quand il a examiné le rejet de la première demande d’asile, le tribunal a considéré qu’il n’y avait pas assez d’éléments pour conclure que l’auteur était mineur. Lors de la deuxième procédure, en revanche, il a décidé qu’il fallait procéder à un examen médical à cause de nouveaux éléments (arriération mentale) avancés par l’auteur. Quand les rapports médicaux et psychologiques ont été reçus, il a été décidé de lui délivrer un permis de séjour.

Commentaires du conseil

5.1 Dans ses commentaires, le conseil signale que l’auteur souffre «d’arriération mentale grave», et que le conseil avait déjà fait valoir ce facteur, mais qu’il n’a jamais été pris en considération par les autorités lorsque l’auteur a été placé en rétention. Ce n’est qu’après l’intervention du tribunal, en avril 1997, que les problèmes de l’auteur ont enfin été reconnus et qu’il a reçu un permis de séjour. Le conseil explique que la plainte porte principalement sur le fait que les autorités n’ont pas voulu reconnaître l’arriération mentale de l’auteur et le fait qu’il fonctionne avec le psychisme d’un enfant de 5 ans. Dans les circonstances particulières à l’auteur, il n’était pas justifié de le maintenir en rétention et cette mesure représentait un acte d’intimidation. D’après le conseil, le fait que le tribunal ait annulé la mesure n’atténue pas la responsabilité de l’État partie.

5.2 En refusant d’accorder l’asile à l’auteur, le tribunal a omis par deux fois de reconnaître que l’auteur souffrait d’une arriération mentale qui le rendait incapable d’expliquer les raisons pour lesquelles il demandait l’asile. Les tribunaux avaient mal interprété son inaptitude à les exposer convenablement, considérant qu’il s’agissait d’un problème de crédibilité plutôt que d’incapacité.

Nouvelles observations de l’État partie

6. Pour ce qui est de l’insuffisance des facultés mentales de l’auteur, l’État partie fait valoir que les deux fois où le tribunal a dû se prononcer sur la légalité de la mise en rétention de l’auteur, en septembre et en novembre 1996, respectivement, il était évident que l’auteur n’avait jamais été à l’école et qu’il avait un vocabulaire et un référentiel limités. Le tribunal n’a toutefois pas considéré que ces éléments constituaient un motif suffisant pour ordonner la fin de la rétention. Par la suite, en avril 1997, le même tribunal a décidé de rouvrir le dossier de façon à examiner le recours formé par l’auteur contre la décision de rejeter sa demande de statut de réfugié et l’a autorisé à subir un examen médical. Ce n’est que sur la base du rapport d’expertise psychologique qui montrait que l’auteur avait l’âge mental d’un enfant de 4 à 7 ans, que le tribunal a pu repérer «l’arriération mentale» du requérant. Il a donc déclaré fondé le recours de l’auteur.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 En ce qui concerne le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Étant donné qu’il ne formule aucune objection à la recevabilité de la communication de l’auteur, le Comité déclare celle-ci recevable et procède à son examen quant au fond.

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 En ce qui concerne la violation des droits consacrés à l’article 9, dénoncée par l’auteur, le Comité note que la mesure de rétention était légale au regard du droit néerlandais puisqu’elle était conforme à l’article 26 de la loi sur les étrangers. Il note en outre que les tribunaux ont réexaminé la mesure par deux fois, une première fois 12 jours après le placement en rétention, et une deuxième fois deux mois après. À chaque fois, le tribunal a considéré que le maintien en rétention de l’auteur était légal parce qu’il s’était déjà soustrait à l’exécution de la mesure d’expulsion, qu’il y avait incertitude quant à son identité et que l’on pouvait raisonnablement penser qu’il serait expulsé puisque l’enquête visant à établir son identité se poursuivait. La question qu’il restait à résoudre était par conséquent celle de savoir si sa détention était arbitraire. Rappelant sa jurisprudence 6 , le Comité fait observer que le mot «arbitraire» doit être interprété dans un sens plus large que «contraire à la loi» et désigner également une action qui n’est pas raisonnable. Compte tenu du fait que l’auteur s’est enfui de l’établissement ouvert dans lequel il a été hébergé à compter de la date de son arrivée pendant environ 11 mois, le Comité estime qu’il n’était pas déraisonnable de placer l’auteur en rétention pendant une période de temps limitée jusqu’à l’issue de la procédure administrative le concernant. Lorsque la probabilité de l’expulser a disparu, il a été mis fin à la mesure de rétention. Dans ces conditions, le Comité estime que l’auteur n’a pas fait l’objet d’une rétention arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte.

8.3 L’auteur a fait valoir que la mesure de rétention qui l’avait frappé violait aussi l’obligation faite à l’État partie par l’article 24 du Pacte de lui assurer les mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. À ce propos, le conseil de l’auteur affirme que le problème de l’«arriération mentale» a été soulevé devant les autorités de l’État partie, mais il ne précise pas quelles étaient ces autorités. De plus, le jugement du tribunal concernant la légalité de la rétention ne montre pas que le problème ait en fait été invoqué durant la procédure. L’État partie a objecté qu’il y avait une incertitude au sujet de l’âge de l’auteur et que l’on n’avait pas l’assurance qu’il était mineur tant que le tribunal n’avait pas rendu son jugement à la suite de l’examen médical du 4 juin 1997 et qu’en tout état de cause l’article 26 de la loi sur les étrangers n’interdit pas la mise en rétention de mineurs. Le Comité note que l’auteur s’est contenté de dire qu’il avait été placé en rétention sans préciser dans quel type d’établissement ni dans quelles conditions. À cet égard, le Comité prend note de l’explication de l’État partie, selon laquelle la mise en rétention de mineurs est appliquée de manière très restreinte, et note également que la mise en rétention de mineurs ne constitue pas en soi une violation de l’article 24 du Pacte. Dans les circonstances particulières de l’affaire, à savoir qu’il y avait incertitude quant à l’identité de l’auteur, que celui ‑ci avait déjà tenté de se soustraire à l’exécution de la mesure d’expulsion, qu’il y avait tout lieu de penser qu’il serait expulsé à nouveau et que l’enquête visant à établir son identité se poursuivait, le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé de preuves son affirmation selon laquelle l’État partie, en ordonnant son placement en rétention, avait failli à son devoir de lui assurer les mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. En conséquence le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte.

6Von Alpen c. Pays-Bas, communication No 305/1988, constatations adoptées le 23 juillet 1990. Suárez de Guerrero, communication No 45/1979, constatations adoptées le 31 mars 1982.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

S. Communication n o  802/1998, Rogerson c.  Australie (constatations adoptées le 3 avril 2002, soixante ‑quatorzième session) *

Présentée par :

M. Andrew Rogerson (représenté par M. John McCormack, avocat ‑conseil et avocat plaidant à Darwin, en Australie)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

20 avril 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 802/1998, présentée par M. Andrew Rogerson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M. Andrew Rogerson, de nationalité australienne, qui réside actuellement à Willerby au Royaume ‑Uni. Il se déclare victime de violations par l’Australie des paragraphes 3 a) et 3 b) de l’article 2, des paragraphes 1, 3 a), b), c), g) et 5 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, du paragraphe 1 de l’article 17, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2 Le Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 13 novembre 1980 et le Protocole facultatif le 25 décembre 1991. Au moment de la ratification, l’État partie a émis une réserve qui n’a aucune incidence sur l’examen de la présente affaire.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur était avocat plaidant et avocat ‑conseil inscrit au barreau de la Cour suprême du Territoire du Nord et dirigeait un cabinet d’avocats, Lofta Pty. Ltd., dont la raison sociale était Loftus and Cameron. En juillet 1991, M. Tchia, le directeur de deux sociétés appelées Tchia Nominees PTY Ltd. et Kykym PTY Ltd., s’est adressé à l’auteur pour lui demander conseil sur certains aspects de la mise en valeur d’un bien foncier situé à Darwin. Le 19 août 1992, M. Tchia a annulé le contrat et a engagé d’autres avoués pour la même mission. L’auteur a essayé de récupérer le contrat pour le cabinet Loftus and Cameron. Le 24 août 1992, l’auteur avait fait une demande de mesure visant à empêcher toute transaction concernant les biens fonciers en cause et avait menacé d’engager une action pour rupture de contrat. Depuis plusieurs semaines il cherchait à rencontrer M. Tchia pour parler de leurs relations. Il avait finalement réussi à obtenir un rendez ‑vous pour le 1 er  septembre 1992 à 17 heures. Le même jour, à 11 h 34, la Cour suprême du Territoire du Nord avait examiné une demande ex parte soumise par M. Tchia et avait rendu une injonction tendant à empêcher l’auteur de rencontrer ou de chercher à rencontrer M. Tchia ou des représentants de l’une des deux sociétés qu’il dirige, à moins de passer par des avoués précis, nommément cités dans l’injonction.

2.2 Le 1 er  septembre, à 16 h 50, les avocats de M. Tchia ont voulu faire tenir à M. Rogerson l’injonction et d’autres documents relatifs à la motion à l’origine de l’audience ex parte . L’auteur n’a pas lu les documents et les a immédiatement renvoyés aux avocats. L’auteur savait que les documents avaient trait au litige qui l’opposait à M. Tchia, avec lequel il avait rendez ‑vous. L’auteur a décidé de ne pas lire les documents, mais d’attendre de rencontrer M. Tchia; celui ‑ci ne s’est pas présenté au rendez ‑vous. Le même jour, l’auteur a vu un associé du cabinet Loftus and Cameron, M. Riley, avec lequel il a arrêté un projet de règlement qui devait être proposé à M. Tchia. Le 2 septembre, à 10 h 30, les avocats de M. Tchia ont de nouveau essayé de remettre l’injonction à l’auteur, en se présentant à son étude. Mais la porte principale avait été fermée à clef sur ordre de l’auteur qui voulait empêcher les avocats de M. Tchia de lui remettre le dossier. Une femme qui se trouvait à la porte d’entrée a dit que M. Rogerson n’était pas disponible et qu’elle ne pouvait pas les laisser entrer. À peu près au même moment M. Riley avait un entretien avec M. Tchia, qui a rejeté la proposition de règlement qu’il lui présentait et a parlé de l’injonction. Le 2 septembre à 11 h 13, les avocats de M. Tchia ont voulu envoyer les documents à l’auteur par télécopie. L’appareil s’est arrêté pendant la transmission et la connexion a été coupée.

2.3 Du 2 au 4 septembre et le 9 septembre 1992, la Cour suprême du Territoire du Nord a examiné une plainte pour entrave à la justice déposée contre l’auteur. À partir du 3 septembre, l’auteur était représenté par un conseil. Le 9 octobre 1992, la Cour a rendu son arrêt déclarant l’auteur coupable d’atteinte à l’autorité de la justice et lui infligeant une amende de 5 000 dollars australiens; elle l’a condamné en outre à payer les frais de justice et les dépens en lui appliquant le tarif maximal. L’auteur a fait appel et la cour d’appel du Territoire du Nord a examiné l’affaire du 22 au 24 mars 1993; le 17 mars 1995 elle a rendu son arrêt confirmant la décision de la Cour suprême, mais a annulé l’amende, renvoyant l’affaire à la Cour suprême. Le 22 juin 1995, la  High Court (la juridiction suprême) d’Australie a refusé l’autorisation spéciale de former appel.

2.4 Le 12 octobre 1992, l’ordre des avocats du Territoire du Nord a retiré à l’auteur son certificat d’aptitude à l’exercice de la profession, pour une durée indéterminée.

2.5 Le 6 mai 1997, alors que la communication avait déjà été adressée au Comité, l’ordre des avocats du Territoire du Nord a engagé la procédure tendant à radier l’auteur du tableau des avocats. La Cour suprême a tenu audience sur cette affaire le 4 décembre 1998 et le 16 août 1999 et a décidé la radiation de l’auteur. Le 24 novembre 2000, la High Court d’Australie a rejeté la demande d’autorisation spéciale de former recours.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que, même si après la décision en appel certaines des violations de ses droits ont été atténuées, il reste que sa carrière est brisée, sa santé est très ébranlée et son entreprise est en cessation de paiement en raison d’un abus de pouvoir de la part du juge de la Cour suprême du Territoire du Nord dans la procédure engagée pour atteinte à l’autorité de la justice et des mesures prises par l’ordre des avocats. L’auteur dit qu’à l’époque du procès il souffrait de troubles maniaco ‑dépressifs et n’était pas capable de saisir vraiment ce qui se passait. Il ajoute qu’il était en traitement pour cette maladie depuis novembre 1989.

3.2 En ce qui concerne la procédure suivie par la Cour suprême du Territoire du Nord dans l’affaire d’atteinte à l’autorité de la justice, l’auteur fait valoir qu’il a été déféré devant le juge avec un préavis de moins d’une heure, sans être représenté. Il dit que le juge a adopté un mode d’approche inquisitoire, assumant le rôle de l’accusation. Par sa façon de mener le procès, le juge aurait enfreint les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, des paragraphes 1 et 3 a), b) et g) de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, et des articles 17 et 26. L’auteur fait valoir que le juge a autorisé la poursuite de la procédure alors qu’il s’agissait d’une décision ex parte, dont la copie ne portait pas la mention obligatoire, mettant en garde contre le risque de mesure privative de liberté en cas d’inobservation; l’auteur n’aurait pas été avisé des termes de l’ordonnance, et n’aurait pas reçu copie de celle ‑ci; en ce qui concerne l’accusation d’atteinte à l’autorité de la justice elle n’avait jamais été énoncée telle quelle dans une citation à comparaître; la demande de comparution au tribunal avait été signifiée à l’auteur par télécopie et le système avait mal fonctionné. L’auteur dit aussi que, pendant le procès, le juge a levé l’obligation de produire des preuves écrites de sorte que l’auteur n’a jamais eu connaissance à l’avance de ce que ses accusateurs allaient lui reprocher; le juge a refusé d’accorder les reports d’audience qui auraient permis à l’auteur de préparer comme il convient sa défense puis, ultérieurement, aurait refusé à son conseil de prendre connaissance des preuves qui avaient été produites la veille; le juge avait procédé avec une rapidité déplacée pour examiner l’affaire et rendre rapidement une décision condamnant l’auteur sans entendre les arguments au sujet de la peine et des dépens, ce qui est une impossibilité en droit, vu que la procédure aurait dû être considérée comme simplement une forme d’exécution dans le cadre d’une action civile; de plus, le juge a fait des remarques gratuites et sans fondement sur l’aptitude de l’auteur à exercer sa profession. Enfin l’auteur fait valoir que la Cour suprême n’a pas donné effet à la décision de la cour d’appel qui avait demandé le réexamen de la question de l’amende.

3.3 En ce qui concerne la procédure suivie par la cour d’appel du Territoire du Nord, l’auteur dit qu’elle constitue des violations du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14, et de l’article 26. Il fait valoir que la cour a mis près de deux ans à rendre sa décision. Il souligne que de plus cette décision a été rendue par deux juges contre un et que l’un des deux juges de la majorité a refusé de se récuser alors que l’auteur l’avait demandé parce que ce juge avait des préventions à son encontre. En effet ce juge le connaissait bien et avait eu l’occasion d’émettre des opinions contraires aux intérêts de l’auteur.

3.4 En ce qui concerne la procédure de la High Court d’Australie, l’auteur dit qu’elle a constitué des violations des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, des paragraphes 1 et 5 de l’article 14, et de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir que cette juridiction est tellement restrictive pour l’octroi des autorisations spéciales de former recours qu’il ne semble pas que l’Australie lui assure un recours utile contre l’injustice, comme elle en a l’obligation en vertu du Pacte. L’auteur dit que le Solicitor General du Territoire du Nord avait eu l’intention dans un premier temps d’appuyer la demande de l’auteur puis avait décidé de ne pas se présenter à l’audience après avoir parlé en privé au Président de la High Court d’Australie. L’auteur fait valoir qu’il y avait peut ‑être eu connivence entre le magistrat de rang le plus élevé d’Australie et le  Solicitor General du Territoire du Nord, à son détriment. La Cour a fait remarquer à l’auteur que, en tant qu’avocat, bien au fait des procédures, il ne souffrirait pas d’une injustice comme en aurait pâti un profane, commentaire que l’auteur juge douteux; il revendique le droit de bénéficier d’un procès équitable indépendamment de sa profession.

3.5 Pour ce qui est de l’action de l’ordre des avocats, l’auteur dit qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14, et de l’article 17 du Pacte. Il fait valoir que l’ordre des avocats exerce des fonctions quasi administratives et quasi judiciaires et qu’il est par conséquent tenu d’agir dans le strict respect des droits de l’homme. L’auteur affirme que l’ordre des avocats a procédé sans lui donner véritablement la possibilité d’être entendu et sans avoir mené l’enquête indépendante qui aurait révélé la grave maladie dont il souffre; il a seulement accepté telles quelles les décisions de la Cour suprême. L’auteur insiste sur le fait que les membres du Conseil de l’ordre qui siège dans la petite ville de Darwin sont pour la plupart des concurrents de son cabinet et des avocats ‑conseils du Gouvernement avec lesquels il s’est affronté dans le passé. De plus, il fait valoir que l’ordre des avocats avait l’obligation de fixer une durée pendant laquelle son certificat d’aptitude à l’exercice de la profession lui était retiré. Les procédures qui ont abouti à sa radiation équivalent d’après l’auteur à une autre violation, distincte des autres.

Observations de l’État partie sur la question de la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans une réponse datée de mai 2000, l’État partie a fait part de ses observations sur la question de la recevabilité et sur le fond de la communication. Il estime que les griefs de l’auteur sont dénués de fondement pour diverses raisons résumées ci ‑après.

4.2 À propos de la façon dont la Cour suprême du Territoire du Nord a conduit la procédure, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas apporté d’éléments prouvant la partialité du juge et s’est contenté de faire des allégations générales sur la conduite du procès et son résultat. L’État partie ajoute que le fait que ni l’auteur ni son conseil n’ait relevé la question de l’absence d’impartialité au cours du procès tend à montrer que la conduite du procès avait été acceptable dans les circonstances de l’affaire. D’après l’État partie, l’auteur n’a pas indiqué les motifs pour lesquels le tribunal aurait pu statuer différemment sur la question de l’atteinte à l’autorité de la justice. L’État partie fait valoir que l’exercice de la fonction judiciaire par le juge en ce qui concerne la demande ex parte n’a pas porté sur les questions qui faisaient l’objet de la procédure engagée ultérieurement pour atteinte à l’autorité de la justice. Enfin, étant donné que l’auteur n’a pas sollicité de nouvelle audience après la décision de la cour d’appel, l’amende est toujours rapportée.

1 Communication n o  387/1989, constatations adoptées le 23 octobre 1992, par. 7.3.

4.3 L’État partie reconnaît que la procédure qui fait l’objet de la communication porte sur l’atteinte pénale à l’autorité de la justice (et non l’atteinte civile) et relève donc du champ d’application du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Il objecte qu’en fait l’auteur connaissait le fondement factuel et légal de l’accusation portée contre lui et avait assez d’éléments d’information pour lui permettre d’assurer valablement sa défense. À aucun moment l’auteur ne s’est élevé contre la rapidité de la procédure en objectant qu’il n’était pas préparé et avait besoin de plus de temps et de facilités pour préparer sa défense. L’État partie se réfère à la décision prise par le Comité dans l’affaire Karttunen c . Finlande 1 et objecte que toute irrégularité qui aurait pu se produire en première instance a été rectifiée par la cour d’appel. En ce qui concerne l’allégation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait valoir que le juge a invité l’auteur à expliquer ce qui s’était passé

après la délivrance de l’ordonnance ex parte et non pas à témoigner contre lui ‑même. À tout moment l’auteur avait la possibilité de garder le silence. Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 15, l’État partie estime que les faits tels qu’ils avaient été établis par la Cour suprême − c’est ‑à ‑dire refus délibéré d’obtempérer à une décision de justice − justifient une condamnation pour entrave à la justice. Cette infraction a toujours existé dans la législation pénale du Territoire du Nord. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 17, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas apporté d’éléments suffisants pour montrer que le juge de la Cour suprême avait illégalement porté atteinte à son honneur et à sa réputation. Pour ce qui est de l’allégation de discrimination due à la maladie invalidante de l’auteur, l’État partie fait valoir que dans aucun document ni dans une transcription il n’est mentionné qu’une maladie empêchait l’auteur de comprendre la procédure; cette question n’a pas non plus été évoquée oralement ni dans une déclaration sous serment, dans aucune des audiences ultérieures. De plus, l’auteur a été traité à tous égards comme toute autre personne qui se serait trouvée dans sa situation.

4.4 En ce qui concerne la procédure suivie par la cour d’appel du Territoire du Nord, l’État partie indique que l’allégation de partialité au motif que le juge le connaissait personnellement et professionnellement ne peut pas être acceptée car elle est très générale et n’est étayée par rien. Dans la décision écrite, le juge précise qu’il a accordé l’attention voulue à la demande du conseil de l’auteur relative à la crainte d’un préjugé défavorable. L’État partie ajoute que les deux ans écoulés avant que la Cour ne rende son jugement n’est pas un délai déraisonnable. Vu que l’appel se fondait sur des motifs de droit et non de fait, et que l’ordre des avocats avait déjà retiré à l’auteur son autorisation d’exercer sur la foi des faits établis par la Cour suprême, ces deux années n’ont pas eu d’incidence sur l’exercice de la profession. De plus, les éléments du dossier dont la cour d’appel était saisie justifiaient un examen détaillé et approfondi de sorte que le délai de deux ans n’était pas déraisonnable.

4.5 En ce qui concerne la procédure menée par la High Court d’Australie, l’État partie dit que le simple fait que la demande d’autorisation spéciale de recours n’ait pas été acceptée n’est pas en soi un élément à l’appui de l’allégation selon laquelle il n’aurait pas bénéficié de l’égalité d’accès aux tribunaux. L’État partie objecte que, si la demande d’autorisation spéciale a été rejetée, c’est pour le motif raisonnable et légitime qu’aucune question de portée générale ou juridique n’était en jeu. D’après l’État partie, la conversation téléphonique entre le  Solicitor General du Territoire du Nord et le Président de la Cour était un entretien de routine entre les membres d’un même corps qui ne peut en aucune manière faire douter de l’impartialité de la  High Court . En ce qui concerne l’allégation de discrimination que la High Court et la cour d’appel auraient exercée à l’égard de l’auteur parce qu’il était avocat, l’État partie objecte qu’aucune de ces juridictions pas plus que la Cour suprême n’a considéré que l’auteur était suffisamment informé uniquement en raison de sa profession d’avocat.

4.6 Pour ce qui est de l’action de l’ordre des avocats du Territoire du Nord, l’État partie répond que l’auteur n’a indiqué aucun motif pour lequel un membre particulier du conseil aurait fait preuve de partialité à son égard mais n’a fait qu’une déclaration générale, dénuée de fondement. L’État partie ajoute que la décision prise par l’ordre des avocats, en vertu des pouvoirs qui lui appartiennent, de retirer à l’auteur son autorisation de pratiquer n’est pas une action de «caractère civil» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En tout état de cause, on ne peut que considérer que l’auteur a renoncé à la possibilité d’être entendu que lui offrait l’ordre des avocats en refusant par deux fois de se présenter. Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, l’État partie estime que l’auteur n’a pas montré en quoi le retrait de son certificat d’aptitude à l’exercice de la profession était une atteinte illégale à son honneur ou à sa réputation au sens des dispositions de cet article. Quoi qu’il en soit, la décision de l’ordre des avocats n’était pas illégale au regard du droit interne et ne constituait pas une attaque contre l’auteur.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur dit que l’État partie lui a causé un préjudice supplémentaire en attendant deux ans et cinq mois avant de répondre au Comité. Il avance de nouveaux griefs découlant de l’évolution de sa situation pendant que la communication qu’il avait soumise au Comité était en attente (voir par. 2.5).

5.2 L’auteur donne des détails supplémentaires au sujet de sa plainte précédente. Pour ce qui est de sa maladie, il dit que des certificats ont été adressés au tribunal et que la question a bien été soulevée devant la High Court d’Australie. De plus, il dit que son comportement anormal et ses mensonges délibérés étaient le signe de l’état de confusion mentale dont il souffrait au moment du procès devant la Cour suprême. Pour ce qui est de la procédure menée par la Cour suprême du Territoire du Nord, il affirme que le juge n’était pas impartial. Il renvoie à une décision de la cour d’appel en date du 12 mai 1997 établissant qu’un juge qui avait rendu la décision à l’issue d’un procès au cours duquel deux jurés avaient été accusés d’atteinte à l’autorité de la justice n’aurait pas dû être président du tribunal chargé de juger les deux jurés pour cette infraction. Par conséquent, le juge qui a rendu la décision  ex parte n’aurait pas dû présider le tribunal appelé à juger l’auteur pour l’inobservation de cette décision. En ce qui concerne le temps écoulé avant que la cour d’appel ne rende son arrêt, l’auteur fait valoir qu’il était essentiel que l’affaire soit tranchée rapidement parce que son certificat d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat ne pouvait pas lui être restitué tant que la cour n’avait pas statué.

5.3 En ce qui concerne la procédure devant la Cour suprême portant sur sa radiation du barreau, l’auteur dit qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable mené par un tribunal impartial comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Selon lui, le Président de la Cour suprême était partial parce que c’est lui qui avait statué sur l’appel formé par l’auteur de sa condamnation pour atteinte à l’autorité de la justice. L’auteur cite des exemples de l’attitude du juge au procès qui devraient faire ressortir la prévention de celui ‑ci à son égard. Il dit en outre qu’il n’a pas véritablement eu la possibilité de se présenter en personne et de défendre son dossier, que son conseil était incompétent et induisait le tribunal en erreur, que les éléments de preuve sur lesquels le tribunal s’était fondé n’étaient pas recevables, que la procédure était entachée d’irrégularités et que la loi n’a pas été appliquée correctement. En ce qui concerne la procédure menée par la High Court d’Australie, qui était appelée à se prononcer sur la décision de le radier du tableau des avocats, l’auteur fait valoir que le droit d’appel a été violé car la décision injuste n’a pas été rapportée, ce qui entraîne une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et des paragraphes 2 et 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte. Il ajoute que la High Court a manqué d’impartialité et exercé une discrimination à son encontre à cause de sa qualité d’avocat. Étant donné que la décision en appel n’a pas permis de remédier aux violations commises en première instance, les violations persistent.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Dans une réponse en date de septembre 2001, l’État partie commente les nouveaux griefs relatifs à la procédure portant sur la radiation du barreau. Il affirme que les allégations de l’auteur sont dénuées de fondement pour plusieurs raisons résumées ci ‑après.

6.2 En ce qui concerne la procédure de la Cour suprême du Territoire du Nord, l’État partie fait valoir que l’auteur avait eu assez de temps pour se préparer à l’audience du 16 août 1999 attendu que la procédure avait commencé le 6 mai 1997 et avait été reportée au 4 décembre 1998; c’est en avril 1999 que la date du 16 août 1999 avait été arrêtée pour l’audience. L’État partie dit qu’il ne peut pas être tenu pour responsable des défaillances de l’auteur et de son avocat qui n’ont pas réussi à maintenir les contacts voulus. En fait, un avocat chevronné, bien au fait de l’affaire, représentait l’auteur lors des deux audiences. De plus, ni les juges de la Cour suprême ni ceux de la High Court d’Australie n’ont constaté que la façon dont l’avocat de l’auteur assurait sa défense était incompatible avec les intérêts de la justice. D’après l’État partie, l’auteur n’a pas montré en quoi l’utilisation comme preuves des conclusions de la Cour suprême au sujet de l’atteinte à l’autorité de la justice et la procédure qui aurait été irrégulière entraînent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, puisque la question ne porte que sur l’application de la loi. Cet argument ne peut pas davantage servir à montrer le manque d’impartialité du président du tribunal.

6.3 En ce qui concerne la procédure de la High Court d’Australie, l’État partie objecte que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué que relativement à une autre disposition de fond. À son avis, une voie de recours était offerte à l’auteur et le fait que ses requêtes aient été en fin de compte rejetées ne signifie en rien qu’il y ait eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas été victime de discrimination car les procédures disciplinaires prises à son encontre peuvent être justifiées selon des critères raisonnables et objectifs. De surcroît, le compte rendu d’audience ne montre pas que la High Court ait traité l’auteur différemment de tout autre praticien du droit qui aurait fait appel de la décision d’un organe disciplinaire. L’État partie souligne que le paragraphe 1 de l’article 14 ne garantit pas un droit de faire appel. Enfin, il dit que l’auteur n’a pas fourni le moindre élément permettant de conclure que le juge était partial.

Délibérations du Comité

Considérations concernant la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen en vertu d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 Au sujet de l’allégation de l’auteur qui affirme qu’au moment du procès devant la Cour suprême du Territoire du Nord pour atteinte à l’autorité de la justice il souffrait déjà de troubles maniaco ‑dépressifs et n’était pas en état de comprendre réellement ce qui se passait, le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui ‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’il ne ressort pas du dossier que l’auteur a invoqué une maladie invalidante à un moment quelconque pendant la procédure pour atteinte à l’autorité de la justice. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4 Le Comité note que l’auteur fait valoir le manque d’impartialité de la Cour suprême du Territoire du Nord et de la High Court d’Australie, en violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14, quand elles se sont prononcées sur sa condamnation pour atteinte à l’autorité de la justice et ultérieurement sur sa radiation du barreau. Un tribunal «impartial» est un tribunal dont les juges n’ont pas d’idée préconçue sur l’affaire qu’ils ont à trancher et n’agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l’une des parties 2 . En l’espèce, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi les juges ont fait preuve de prévention à son égard. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte par la cour d’appel du Territoire du Nord et par la High Court d’Australie dans le cadre de la procédure de révision de la décision en appel, le Comité note que cette disposition du Pacte garantit le droit de bénéficier du réexamen d’une décision judiciaire «conformément à la loi». Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle un système qui ne prévoit pas un droit automatique de recours peut malgré tout être conforme avec le paragraphe 5 de l’article 14 pour autant que, lorsqu’une demande d’autorisation de recours est déposée, la déclaration de culpabilité et la condamnation soient examinées de manière approfondie et pour autant que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire 3 . Ainsi, dans les circonstances de la présente affaire, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 Le Comité note que l’auteur fait valoir que le conseil de l’ordre des avocats du Territoire du Nord a commis une violation du droit à un procès équitable, reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, quand il a décidé de le radier du tableau des avocats en se fondant exclusivement sur la conclusion de la Cour suprême du Territoire du Nord au lieu de mener sa propre enquête, qui aurait révélé les troubles dont l’auteur dit qu’il souffrait. Rappelant sa jurisprudence, le Comité relève que la réglementation des activités des organes professionnels et l’examen des relations professionnelles par les tribunaux peuvent soulever des questions au regard du Pacte, en particulier de l’article 14 . Toutefois, le fait que l’ordre des avocats soit lié par les décisions judiciaires pour la procédure de radiation du tableau des avocats relève de la législation interne et ne peut être examiné par le Comité, sauf s’il est manifeste que cela est arbitraire et constitue un déni de justice. Par conséquent, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette plainte aux fins de la recevabilité; celle ‑ci est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte qui auraient été commises dans le cadre de la procédure de la Cour suprême du Territoire du Nord pour atteinte à l’autorité de la justice et dans le cadre de la procédure ultérieure engagée par l’ordre des avocats du Territoire du Nord en vue de la radiation du barreau, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi les remarques du juge et la procédure dont il était l’objet ont constitué une atteinte arbitraire ou illégale à son honneur ou à sa réputation (par. 3.2 et 3.5). L’auteur n’est donc pas fondé à se prévaloir de l’article 2 du Protocole facultatif .

7.8 En ce qui concerne la plainte pour discrimination dont l’auteur aurait été victime du fait de son statut en tant qu’ancien praticien du droit dans toutes les procédures judiciaires, en violation de l’article 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi il avait été traité différemment d’autres avocats qui se trouveraient dans une situation analogue. Par conséquent, le Comité estime que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9 Le Comité note les allégations de violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte en ce qui concerne la procédure de la Cour suprême du Territoire du Nord pour l’affaire d’atteinte à l’autorité de la justice, du paragraphe 1 de l’article 2 en ce qui concerne la procédure de la cour d’appel pour la même affaire, et du paragraphe 3 de l’article 2 en ce qui concerne l’examen par la High Court de la question de l’atteinte à l’autorité de la justice et de la radiation du barreau (voir par. 3.2 à 3.4 et 5.3). Le Comité fait remarquer que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif . Le Comité estime que les prétentions de l’auteur à cet égard sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10 En ce qui concerne la plainte de l’auteur relativement à la procédure suivie par la Cour suprême du Territoire du Nord et par la High Court d’Australie pour l’atteinte à l’autorité de la justice et ultérieurement la radiation du tableau des avocats, le Comité note que les allégations de l’auteur concernant la teneur et la notification de l’injonction interlocutoire, la façon dont le juge a mené le procès et les décisions procédurales, portent sur l’application de la loi interne (voir par. 3.2 et 5.3). Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’interprétation de la législation nationale appartient au premier chef aux tribunaux et autorités de l’État partie . Comme il ne ressort pas des renseignements dont le Comité dispose qu’en l’espèce la loi a été interprétée et appliquée de façon arbitraire ou que son application a représenté un déni de justice, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8. Le Comité considère que le reste de la communication peut soulever des questions au regard des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 15. Par conséquent, le Comité déclare cette partie de la communication recevable et va procéder à l’examen quant au fond.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 En ce qui concerne les allégations de violation des paragraphes 3 a), b) et g) de l’article 14 du Pacte par la Cour suprême du Territoire du Nord dans le cadre de la procédure pour atteinte à l’autorité de la justice, le Comité observe que cette disposition ne s’applique qu’aux procédures pénales. Il note que l’État partie a fait valoir que les procédures contestées par l’auteur dans la présente communication portent sur l’infraction «pénale» d’atteinte à l’autorité de la justice et a reconnu qu’elles entraient dans le champ d’application du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Toutefois, il relève que les griefs de l’auteur à ce sujet ont été examinés par la cour d’appel du Territoire du Nord et par la High Court d’Australie et que l’auteur n’a pas soulevé les mêmes griefs pour ce qui est des procédures en appel. Le Comité rappelle qu’il est possible que des juridictions de second degré rectifient les irrégularités commises par les tribunaux inférieurs . Par conséquent, le Comité n’est pas en mesure de conclure, à partir des renseignements dont il dispose, que les paragraphes 3 a), b) et g) de l’article 14 ont été violés.

9.3 Le Comité note que l’auteur se plaint de ce que la procédure suivie par la cour d’appel du Territoire du Nord dans l’affaire d’atteinte à l’autorité de la justice soit incompatible avec le droit à un procès équitable consacré au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte parce que la décision a été rendue avec retard. Le Comité note que la cour a examiné le recours du 22 au 24 mars 1993. Il note en outre que les deux juges assesseurs ont rendu leur projet de décision le 28 avril et le 27 juillet 1993 respectivement; le 17 mars 1995, la cour a rejeté le pourvoi. L’État partie n’a pas expliqué ce qu’il est advenu du dossier de l’auteur dans l’intervalle, malgré l’existence d’un système efficace de gestion des affaires. Le Comité estime que dans les circonstances de l’affaire, un délai de près de deux ans écoulé avant de rendre la décision finale représente une violation du droit d’être jugé sans retard excessif, tel qu’il est consacré au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.4 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte par la Cour suprême du Territoire du Nord dans les procédures pour atteinte à l’autorité de la justice, le Comité estime que le terme «infraction pénale» doit être interprété en conformité avec l’expression utilisée dans le paragraphe 3 de l’article 14 et considère donc que le paragraphe 1 de l’article 15 s’applique dans la présente affaire . Il note qu’il ressort des réponses des deux parties que, avant la condamnation de l’auteur, l’atteinte à l’autorité de la justice pour non ‑exécution d’une décision interlocutoire constituait déjà une infraction qualifiée de telle dans la loi australienne . En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne révèlent pas de violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

11. Le Comité estime que le fait qu’il ait constaté une violation des droits garantis par le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte constitue pour l’auteur une réparation suffisante.

12. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publique la présente décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

T. Communication n o  845/1998, Kennedy c. Trinité-et-Tobago

(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Rawle Kennedy (représenté par un conseil, M. Saul Lehrfreund, du cabinet d’avocats Saul Simons Muirhead & Burton)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité et Tobago

Date de la communication :

7 décembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  845/1998 présentée par M. Rawle  Kennedy en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Rawle Kennedy, de nationalité trinidadienne; à l’époque où la communication a été présentée, il attendait d’être exécuté en application d’une sentence de mort qui, par la suite, a été commuée. Il purge actuellement une peine de 75 ans d’emprisonnement 1 à la prison d’État de Port of Spain. Il affirme être victime de violations par la Trinité ‑et ‑Tobago des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1, 2 et 4), 7, 9 (par. 2 et 3), 10 (par. 1), 14 [par. 1, 3 c) et 5] et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 3 février 1987, un certain Norris Yorke était blessé au cours d’un vol à main armée dans son garage et décédait de ses blessures le lendemain. L’auteur a été arrêté le 4 février 1987, accusé de meurtre avec un certain Wayne Matthews le 9 février 1987, et présenté à un magistrat le 10 février 1987. Il a été jugé du 14 au 16 novembre 1988 et reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés. Le 21 janvier 1992, la cour d’appel a ordonné un nouveau procès, qui s’est tenu entre le 15 et le 29 octobre 1993. L’auteur a de nouveau été reconnu coupable et condamné à mort. Un nouvel appel a par la suite été introduit, mais le 26 janvier 1996, la cour d’appel a refusé d’autoriser l’appel, et a donné les raisons de ce refus le 24 mars 1998. Le 26 novembre 1998, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté la requête présentée par l’auteur pour être autorisé à faire appel en qualité d’indigent.

2.2 Selon l’accusation, Norris Yorke travaillait dans sa station ‑service avec son supérieur, une certaine M me  Shanghie, le soir du 3 février 1987. L’auteur et M. Matthews sont entrés dans la station ‑service alors que M. Yorke comptait la recette du jour. Selon l’accusation, l’auteur a demandé un litre d’huile à M me  Shanghie et lorsque celle ‑ci est revenue elle a trouvé M. Yorke avec un pistolet braqué sur le front et immobilisé par l’auteur. Matthews aurait dit à l’auteur que M. Yorke allait sortir une arme, a frappé ce dernier plusieurs fois à la tête avec un morceau de bois et a quitté la pièce. M. Yorke a alors dit à ses assaillants de prendre l’argent. M me  Shanghie, à la suggestion de M. Yorke, a jeté un verre en direction de Matthews, ce qui a amené l’auteur à réagir en braquant le pistolet sur elle pour lui intimer de se tenir tranquille. Matthews s’est précipité sur M. Yorke et l’a frappé une deuxième fois à la tête; M. Yorke s’est effondré. Les deux agresseurs ont ensuite pris la fuite avec l’argent dans un véhicule appartenant à M. Yorke. Le lendemain, M. Yorke est décédé de ses blessures à la tête.

2.3 Tous les recours internes disponibles auraient été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur pourrait en théorie déposer une requête constitutionnelle, mais cela lui est impossible dans la pratique parce que l’État partie ne veut pas ou ne peut pas accorder l’aide juridictionnelle pour de telles requêtes et qu’il est difficile de trouver localement un avocat qui accepte de représenter pro bono l’auteur d’une requête constitutionnelle.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que les paragraphes 2 et 3 de l’article 9 ont été violés, du fait qu’il n’a été informé des accusations portées contre lui et n’a été traduit devant un juge que cinq et six jours après son arrestation, respectivement. Le conseil rappelle que le Pacte exige que ces mesures soient prises dans «le plus court délai» et affirme que les périodes qui ont en l’espèce séparé l’arrestation de la notification des accusations et de la présentation à un magistrat ne satisfont pas à ce critère.

3.2 L’auteur affirme être victime d’une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 au motif qu’il y a eu des retards indus dans la procédure. Il rappelle que 1) 21 mois se sont écoulés entre la date où il a été accusé et le début de son premier procès, 2) 38 mois se sont écoulés entre la date de sa condamnation et l’examen de son recours en appel, 3) 21 mois se sont écoulés entre la décision de la cour d’appel d’autoriser son appel et le début du nouveau procès, 4) 27 mois se sont écoulés entre la seconde condamnation et l’examen de son deuxième recours en appel, et 5) 26 mois se sont écoulés entre l’examen de son second appel et le prononcé de l’arrêt motivé de la cour d’appel. Selon le conseil, rien ne peut raisonnablement justifier que le nouveau procès ait eu lieu quelque six ans après les faits et qu’il ait fallu quatre ans et quatre mois à la cour d’appel pour statuer, et il estime que l’État partie doit assumer la responsabilité de ces retards.

3.3 L’auteur allègue des violations des articles 6, 7 et 14 (par. 1), au motif qu’à la Trinité ‑et ‑Tobago la peine de mort doit être obligatoirement prononcée en cas de meurtre. Il rappelle qu’à la différence de la législation de nombreux autres pays de common law 2 , celle de la Trinité ‑et ‑Tobago ne distingue pas entre le meurtre entraînant la peine capitale ( capital murder ) et le meurtre simple 3 . Il soutient que la rigueur de la peine de mort obligatoire en cas de meurtre est aggravée par la règle en vigueur à la Trinité ‑et ‑Tobago selon laquelle une personne qui commet un crime accompagné de violences contre les personnes le fait à ses risques et périls et est coupable de meurtre si ces violences aboutissent au décès, même accidentel, de la victime. L’application de cette règle constituerait une mesure accablante pour les complices, qui peuvent avoir participé à la commission de l’infraction sans penser que des dommages corporels graves, voire la mort, pourraient résulter du vol.

3.4 L’auteur affirme qu’étant donné la grande diversité des circonstances dans lesquelles un meurtre peut être commis, une condamnation prononcée indifféremment quelles que soient les circonstances ne satisfait pas au critère de proportionnalité entre les circonstances et la peine, et devient par conséquent une peine cruelle et inhabituelle, en violation de l’article 7 du Pacte. L’auteur affirme de même que l’article 6 a été violé, car prononcer la peine de mort sans tenir compte des circonstances du crime constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante ainsi qu’une peine arbitraire et disproportionnée, qui ne saurait justifier que l’on prive une personne de son droit à la vie. En outre, selon l’auteur, le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé parce que la Constitution de la Trinité ‑et ‑Tobago ne permet pas à l’auteur d’arguer que son exécution serait inconstitutionnelle au motif qu’elle constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et parce qu’elle n’ouvre pas le droit de faire trancher par la justice la question de savoir si la peine de mort doit être prononcée ou exécutée pour le meurtre commis en l’espèce.

3.5 Le prononcé de la peine de mort sans tenir compte des circonstances atténuantes ni donner la possibilité de les exposer a été particulièrement rigoureux dans le cas de l’auteur, car les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise montrent qu’il n’était que complice du meurtre et aurait donc été considéré comme moins coupable. Le conseil évoque un projet de loi portant amendement à la loi sur les infractions contre les personnes, qui a été examiné mais jamais adopté par le Parlement trinidadien. Selon le conseil, si ce projet de loi avait été adopté, l’infraction commise par l’auteur aurait fait partie des infractions non passibles de la peine capitale.

3.6 L’auteur se déclare victime d’une violation des paragraphes 2 et 4 de l’article 6 du Pacte, au motif que l’État partie ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu équitablement en relation avec l’exercice du droit de grâce. À la Trinité ‑et ‑Tobago, le Président a le pouvoir de commuer toute condamnation à mort, en vertu de l’article 87 de la Constitution, mais il doit prendre l’avis d’un ministre désigné par ses soins, agissant lui ‑même sur l’avis du Premier Ministre. En vertu de l’article 88 de la Constitution, il existe un comité consultatif des grâces, présidé par le ministre désigné. En vertu de l’article 89 de la Constitution, le Comité consultatif doit tenir compte de certains éléments, tels que le rapport du juge du fond, avant de rendre son avis. Le conseil indique que, dans la pratique, à la Trinité ‑et ‑Tobago, le comité consultatif est l’organe qui a le pouvoir de commuer les condamnations à mort et qu’il fixe librement sa procédure sans être tenu de garantir au détenu une audition équitable ou au requérant toute autre forme de protection procédurale telle que le droit de présenter un exposé écrit ou oral ou d’avoir communication des pièces sur la base desquelles le Comité consultatif devra se prononcer 4 .

3.7 Pour le conseil, le droit de solliciter la grâce au titre du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte doit être interprété dans un sens qui en fasse un droit effectif, c’est ‑à ‑dire un droit réel et concret et non théorique ou illusoire. C’est ainsi que celui qui sollicite la grâce doit jouir des droits procéduraux suivants:

Le droit d’être informé de la date à laquelle le Comité consultatif va examiner son cas;

Le droit d’avoir communication des pièces que le Comité consultatif aura à sa disposition à l’audition;

Le droit de présenter avant l’audition des observations tant d’ordre général que sur les éléments dont le Comité consultatif est saisi;

Le droit d’être entendu oralement par le Comité consultatif;

Le droit de communiquer au Comité consultatif, pour qu’il les examine, les conclusions et recommandations de tout organe international, tel que le Comité des droits de l’homme de l’ONU.

3.8 Dans le cas de l’auteur, le conseil relève que le Comité consultatif s’est sans doute réuni plusieurs fois pour examiner la requête de l’auteur sans que celui ‑ci en sache rien, et décidera sans doute de se réunir à nouveau, sans l’en informer, sans lui donner l’occasion de présenter des observations et sans lui communiquer les éléments à examiner. Le conseil affirme qu’il y a là une violation des paragraphes 4 et 2 de l’article 6 du Pacte car le Comité consultatif ne peut dire d’un crime, de manière fiable, qu’il appartient à la catégorie des «crimes les plus graves» que si le détenu est autorisé à participer pleinement au processus décisionnel.

3.9 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte car, après son arrestation, il a été torturé et frappé par la police alors qu’il attendait d’être inculpé et d’être traduit devant un magistrat. Il aurait été roué de coups à plusieurs reprises et on l’aurait torturé pour lui faire avouer sa culpabilité. Il déclare qu’on l’a frappé sur la tête avec un panneau de signalisation, qu’on lui a donné des coups dans les côtes avec la crosse d’un fusil, que des policiers, dont il donne les noms, l’ont piétiné, que l’un d’eux, dont il donne le nom également, l’a frappé aux yeux, qu’on l’a menacé avec un scorpion, qu’on l’a menacé de le noyer, et qu’on l’a privé de nourriture. Il s’est plaint d’avoir été battu et il a montré les traces des coups reçus lorsqu’il a comparu devant le magistrat le 10 février 1987, et le juge a ordonné qu’il soit emmené à l’hôpital après l’audition.

3.10 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte pour avoir été détenu, tant pendant sa détention provisoire que dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions épouvantables. Ainsi, pendant toute la durée de sa détention provisoire (soit 21 mois avant le premier procès et 21 mois avant le deuxième), l’auteur est resté enfermé dans une cellule d’à peine 2 m x 3 m, qu’il partageait avec 5 à 10 autres détenus. En ce qui concerne la période qu’il a passée dans le quartier des condamnés à mort, soit en tout près de huit ans, il est affirmé que l’auteur a été détenu seul dans une cellule d’à peine 2 m x 3 m, ne contenant qu’un lit en fer, une table et un banc, sans lumière naturelle ni installation sanitaire, et n’ayant qu’un seau en plastique pour toilettes. L’auteur déclare qu’il n’est autorisé à sortir de sa cellule qu’une fois par semaine pour prendre de l’exercice, que la nourriture est insuffisante et presque immangeable et que ses besoins alimentaires particuliers ne sont pas pris en compte. Les soins médicaux et dentaires sont peu fréquents, même si on en fait la demande.

3.11 Compte tenu du paragraphe 3.10 ci ‑dessus, l’auteur déclare que l’exécution de la peine de mort constituerait une violation de ses droits, tels qu’ils sont énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il renvoie à la décision de la Section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan où il est dit que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort violerait l’interdiction des traitements inhumains et dégradants énoncée dans ce cas ‑là dans la Constitution jamaïcaine. D’après le conseil, le même raisonnement doit être suivi dans le cas à l’examen.

3.12 Enfin, l’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que, ne disposant pas de l’aide juridictionnelle, il est de fait privé du droit de s’adresser à la Haute Cour pour demander réparation des violations de ses droits fondamentaux. Il relève que le coût d’une action devant la Haute Cour dépasse de beaucoup ses moyens financiers, comme d’ailleurs ceux de la majorité des personnes condamnées pour des crimes entraînant la peine capitale.

3.13 À propos de la réserve formulée par l’État partie lorsqu’il a de nouveau adhéré au Protocole facultatif le 26 mai 1998, l’auteur affirme que le Comité a compétence pour examiner la présente communication bien qu’elle concerne «un prisonnier condamné à mort, pour [des questions] ayant trait aux poursuites judiciaires dont il a fait l’objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou l’exécution de la peine de mort à son encontre».

Observation de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1 Dans une communication du 8 avril 1999, l’État partie renvoie à l’instrument par lequel il a adhéré de nouveau au Protocole facultatif, le 26 mai 1998, qui était assorti de la réserve ci ‑après:

«... Le Gouvernement de la Trinité ‑et ‑Tobago accède de nouveau au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en formulant une réserve à l’article 1 selon laquelle le Comité des droits de l’homme n’est pas compétent pour recevoir et examiner les communications relatives à un détenu condamné à mort et concernant de quelque manière que ce soit les poursuites engagées contre lui, sa détention, son procès, sa condamnation, la peine prononcée contre lui ou l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre et toute question connexe.».

4.2 L’État partie déclare qu’en raison de cette réserve et du fait que l’auteur est un détenu condamné à mort, le Comité n’a pas compétence pour examiner la communication. En enregistrant la communication et en prétendant imposer des mesures conservatoires conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité a outrepassé ses pouvoirs et l’État partie considère donc que les actes du Comité concernant cette communication sont nuls et sans effet contraignant.

5. Dans ses commentaires du 23 avril 1999, l’auteur déclare que l’affirmation de l’État partie selon laquelle le Comité a outrepassé ses pouvoirs en enregistrant la communication est fausse au regard du droit international. Il souligne que, conformément au principe général selon lequel l’organe dont la compétence fait l’objet d’une réserve décide de la validité et de l’effet de cette réserve, c’est au Comité et non à l’État partie qu’il appartient de décider de la validité de la réserve formulée. Il renvoie au paragraphe 18 de l’Observation générale n o  24 du Comité 5 ainsi qu’à l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 4 décembre 1998 dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries ( Espagne c. Canada ).

Décision du Comité concernant la recevabilité

6. Le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication à sa soixante ‑septième session. Il a décidé que la réserve ne pouvait être déclarée compatible avec l’objet et le but du Protocole facultatif, et que, par conséquent, il ne pouvait être empêché d’examiner la communication en vertu du Protocole facultatif. Le Comité a noté que l’État partie n’avait contesté la validité d’aucune des plaintes de l’auteur si ce n’est au motif de la réserve qu’il avait formulée et il a estimé que les plaintes de l’auteur étaient suffisamment fondées pour être examinées quant au fond. En conséquence, le 2 novembre 1999, le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication recevable 6 .

Examen quant au fond

7.1 L’État partie avait jusqu’au 3 juillet 2000 pour soumettre des informations sur le bien ‑fondé de la plainte de l’auteur. À ce jour, il n’avait communiqué aucune information pertinente à ce sujet, en dépit des deux rappels qui lui avaient été adressés les 28 février 2001 et 13 août 2001.

7.2 Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties comme prévu au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Le conseil affirme que la règle de la condamnation obligatoire à la peine de mort et son application à M. Kennedy constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’État partie n’a pas réfuté cette affirmation. Le Comité note qu’au regard du droit de la Trinité ‑et ‑Tobago, la condamnation obligatoire à la peine de mort est uniquement fonction de la nature du crime dont l’accusé a été reconnu coupable et qu’aucune autre circonstance − comme la situation personnelle de l’accusé ou les conditions dans lesquelles le crime a été commis − ne peut être prise en considération. Dans le cas de la Trinité ‑et ‑Tobago, le Comité note que la condamnation à la peine de mort est obligatoire en cas de meurtre et qu’elle peut et doit même en fait être imposée lorsque quelqu’un commet un crime violent qui est à l’origine du décès, même accidentel, de la victime. Le Comité considère que ce système de condamnation obligatoire à la peine de mort tend à priver l’auteur du droit à la vie sans considérer si, dans les circonstances particulières du crime, cette forme exceptionnelle de châtiment est ou non compatible avec les dispositions du Pacte 7 . En conséquence, le Comité estime qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.4 Le Comité a noté que le conseil de M. Kennedy avait affirmé que ce dernier n’avait à aucun moment été entendu au sujet de sa demande de grâce et n’avait pas non plus été informé de l’état d’avancement des délibérations concernant sa requête et que par conséquent le droit consacré au paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte avait été violé. En d’autres termes, le conseil affirme que l’exercice du droit de demander une grâce ou une commutation de peine est soumis aux garanties de procédure définies à l’article 14 (voir plus haut par. 3.8). Le Comité remarque toutefois que le libellé du paragraphe 4 de l’article 6 ne prévoit pas de procédure particulière concernant les modalités d’exercice du droit à la clémence. Il en découle que les États parties gardent un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de fixer les modalités de l’exercice des droits reconnus au paragraphe 4 de l’article 6. Il n’apparaît pas que la procédure existant à la Trinité ‑et ‑Tobago et les modalités fixées par les articles 87 à 89 de la Constitution de ce pays aient pour effet de nier dans la pratique le droit consacré au paragraphe 4 de l’article 6. Le Comité ne constate par conséquent aucune violation de cette disposition.

7.5 En ce qui concerne l’affirmation du conseil selon laquelle la durée des poursuites judiciaires dans l’affaire en question constituait une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, le Comité note que plus de 10 ans se sont écoulés entre le procès de l’auteur et le refus de sa demande d’appel auprès de la Section judiciaire du Conseil privé. Il considère que les retards évoqués par le conseil (voir plus haut par. 3.2) et en particulier le retard pris dans la procédure judiciaire après qu’un nouveau procès eut été ordonné au début de 1992, soit plus de six ans entre cette décision et le rejet du second appel formé en mars 1998, était inacceptable au sens des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, lus conjointement. Le Comité conclut donc à une violation de ces dispositions.

7.6 L’auteur invoque des violations des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 parce qu’il n’a été accusé que cinq jours après son arrestation et n’a été déféré devant un juge que neuf jours après son arrestation. Le fait que l’auteur n’a été formellement accusé que le 9 février 1987 et n’a été déféré devant un juge que le 10 février 1987 n’a pas été contesté. Si l’interprétation à donner à l’expression «dans le plus court délai» aux paragraphes 2 et 3 de l’article 9 est à déterminer suivant le cas, le Comité rappelle le principe appliqué dans le cadre du Protocole facultatif, selon lequel les délais ne devraient pas excéder quelques jours. Si les informations dont il est saisi ne permettent pas au Comité de déterminer si M. Kennedy a été informé «dans le plus court délai» des accusations portées contre lui, le Comité considère qu’en tout état de cause il n’a pas été déféré «dans le plus court délai» devant un juge, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

7.7 Le Comité a noté que l’auteur affirmait avoir été battu après son arrestation, pendant sa garde à vue. Il note que l’État partie n’a pas nié ce fait; que l’auteur a décrit dans le détail les mauvais traitements subis et a même identifié les policiers qui en étaient les auteurs; et que le juge devant lequel il est comparu le 10 février 1987 a ordonné qu’il soit transféré à l’hôpital pour y être soigné. Le Comité considère que le traitement subi par M. Kennedy pendant sa garde à vue constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

7.8 L’auteur affirme que ses conditions de détention étaient contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10. Là encore, l’État partie n’a pas répondu à cette accusation. Le Comité note que l’auteur a passé au total 42 mois, avec entre 5 et 10 autres détenus, dans une cellule mesurant 2 m x 3 m; que pendant presque huit ans, en attendant son exécution, il a été soumis au régime cellulaire dans une petite cellule sans sanitaires, sauf un seau qui servait de tinette, sans lumière, sans pouvoir en sortir plus d’une fois par semaine, et avec une nourriture inadéquate qui ne correspondait pas à son régime alimentaire particulier. Le Comité considère que ces conditions de détention − que l’État partie n’a pas niées − constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

7.9 Le Comité a noté l’affirmation de l’auteur (voir plus haut par. 3.11) selon laquelle son exécution constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Toutefois, le Comité considère que, du fait de la commutation de la peine, la plainte concernant ce point particulier est devenue sans objet.

7.10 L’auteur affirme enfin que l’absence d’aide juridictionnelle offerte aux fins de former un recours constitutionnel était une violation du paragraphe 1 de l’article 14 interprété à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2. Le Comité note que le Pacte ne contient pas de disposition expresse obligeant tout État partie à fournir une aide juridictionnelle dans tous les cas et qu’il n’impose une telle obligation que dans les cas où l’intérêt de la justice l’exige [art. 14 3) d)]. Il constate en outre que le rôle de la Cour constitutionnelle n’est pas de décider de la culpabilité d’un prévenu mais de s’assurer que les personnes faisant appel ont eu un procès équitable. L’État partie a, en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’obligation de garantir un recours utile auprès de la Cour constitutionnelle comme prévu à l’article 14 1) de la Constitution de la Trinité ‑et ‑Tobago, s’agissant des allégations de violation des droits énoncés dans le Pacte. Étant donné que l’auteur n’a pas pu bénéficier de l’aide juridictionnelle pour faire valoir auprès de la Cour constitutionnelle que son droit à un procès équitable avait été violé, le Comité considère que le non ‑octroi de l’aide juridictionnelle constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14, interprété à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, et des paragraphes 1 et 3 d) du même article, ces deux derniers paragraphes étant interprétés à la lumière du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à M. Rawle Kennedy un recours utile, notamment un dédommagement et la possibilité d’une libération anticipée. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10. Le Comité n’ignore pas que la Trinité ‑et ‑Tobago a dénoncé le Protocole facultatif. Il a toutefois été saisi de la présente affaire avant que cette dénonciation ne prenne effet, soit le 27 juin 2000; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui ‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et David Kretzmer

Lorsque le Comité a examiné la recevabilité de la présente communication, nous étions d’avis qu’à la lumière de la réserve émise par l’État partie, réserve citée au paragraphe 4.1 des constatations du Comité, celui ‑ci n’avait pas compétence pour examiner ladite communication, qui devrait donc être déclarée irrecevable. Le Comité n’a pas accepté notre point de vue et a estimé qu’il était compétent pour examiner cette communication. Nous respectons la conclusion du Comité quant à sa compétence et nous avons donc participé à l’examen de la communication sur le fond.

( Signé ) Nisuke Ando ( Signé ) Eckart Klein ( Signé ) David Kretzmer

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. David Kretzmer, cosignée par M. Maxwell Yalden

Dans la communication n o  806/1998 ( Thompson c. Saint ‑Vincent ‑et ‑les Grenadines ), j’ai indiqué que je ne pouvais pas souscrire à l’avis du Comité qui a estimé qu’étant donné que la sentence de mort était obligatoire de par la loi de l’État partie en cas de meurtre, il s’ensuivait nécessairement qu’en condamnant l’auteur à la peine de mort l’État partie avait violé le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Mon opinion était fondée principalement sur le fait que, en vertu de la loi de l’État partie, la peine de mort n’était obligatoire que dans le cas d’un acte intentionnel ayant entraîné la mort d’autrui; en pareil cas, une telle peine, tout en étant profondément odieuse aux soussignés, ne constituait pas, à notre sens, une violation du Pacte. Toutefois, dans la présente affaire, qui met en jeu l’imposition obligatoire d’une sentence de mort, il a été démontré que la définition du meurtre peut inclure la participation à un crime accompagné de violences qui entraînent la mort accidentelle d’autrui. De surcroît, dans cette affaire, l’accusation n’a pas prétendu que l’auteur avait tué intentionnellement Norris Yorke.

Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière incontestable que l’acte dont l’auteur a été reconnu coupable constituait l’un des crimes les plus graves, seul cas dans lequel, aux termes du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, une sentence de mort puisse être prononcée. De surcroît, le caractère obligatoire de la sentence a ôté au tribunal la possibilité d’examiner si le crime spécifique commis par l’auteur constituait effectivement l’un des crimes les plus graves au sens du paragraphe 2 de l’article 6. En conséquence, j’estime qu’en prononçant une sentence de mort l’État partie a violé le droit à la vie de l’auteur protégé en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

( Signé ) David Kretzmer ( Signé ) Maxwell Yalden

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

U. Communication no 848/1999, Rodríguez Orejuela c. Colombie

(constatations adoptées le 23 juillet 2002, soixante-cinquième session) *

Présentée par :

M. Miguel Ángel Rodríguez Orejuela (représenté par un conseil, M. Pedro Pablo Camargo)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Colombie

Date de la communication :

16 septembre 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 848/1999, présentée au Comité des droits de l’homme par M. Miguel Ángel Rodríguez Orejuela en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Miguel Ángel Rodríguez Orejuela, citoyen colombien, qui est détenu au pénitencier général de Colombie «La Picota» pour délit de trafic de stupéfiants. Il se déclare victime de violation par la Colombie de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été accusé, entre autres infractions, d’un délit de trafic de stupéfiants commis le 13 mai 1990. La Comisión de Fiscales de Santa Fé de Bogotá, créée en vertu d’une résolution de la Fiscalía General de la Nación conformément à l’article 250 de la Constitution colombienne de 1991 a été chargée d’instruire l’affaire à partir de 1993 et d’établir l’acte d’accusation de l’auteur.

2.2 Un jugement de la juridiction régionale de Santa Fé de Bogotá en date du 21 février 1997 a condamné l’auteur à 23 ans d’emprisonnement et à une amende. L’auteur a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal national. Celui-ci, dans son jugement du 4 juillet 1997, a confirmé la condamnation prononcée en première instance, réduisant la peine à 21 ans d’emprisonnement et à une amende moins élevée. Saisie en cassation le 20 octobre 1997, la Cour suprême colombienne a confirmé la condamnation le 18 janvier 2001.

2.3 La juridiction régionale de Santa Fé de Bogotá ainsi que le Tribunal national ont été créés en vertu du décret exécutif n o 2790 du 20 novembre 1990 (loi pour la défense de la justice) adopté en période d’état de siège, et ont été intégrés au nouveau Code de procédure pénale, promulgué par le décret n o  2700 du 30 novembre 1991, entré en vigueur le 1 er  juillet 1992, puis abrogé par la loi n o 600 de l’an 2000, en vigueur actuellement. L’article 457 du Code de procédure pénale relatif au déroulement du procès sans audience publique a été abrogé par la loi n o 504 de 1999. L’article 9 du décret 2790 a porté création des juridictions spécialisées dans les affaires d’ordre public ayant compétence pour connaître des délits visés par la «loi sur les stupéfiants» 1 . Cet article a été transformé en texte de loi permanent en vertu du décret n o 2271 de 1991. En vertu du décret n o 2790, la compétence pour connaître des délits visés par la loi sur les stupéfiants a été retirée aux «juges des juridictions pénales et des juridictions mixtes» en tant que juridictions spécialisées et a été attribuée à la «juridiction d’ordre public, sans visage ou d’exception», qui s’est transformée en «justice régionale» secrète après l’entrée en vigueur du décret le 1 er  juillet 1992.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation du Pacte par la Colombie du fait que lui ont été appliqués rétroactivement les décrets n o 2790 du 20 novembre 1990 et n o 2700 du 30 novembre 1991, en particulier d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que ni la Comisión de Fiscales de Santa Fé de Bogotá , qui a instruit l’affaire et établi l’acte d’accusation, ni la juridiction régionale de Santa Fé de Bogotá, qui a condamné l’auteur, ni le Tribunal national n’existaient lorsque les faits délictueux ont été commis, à savoir le 13 mai 1990. D’après l’auteur, cette commission a entrepris l’enquête à compter de 1993 et l’a renvoyée devant la juridiction régionale de Santa Fé de Bogotá pour les faits du 13 mai 1990. L’auteur affirme par conséquent qu’il s’agit d’un organe ad hoc ou d’une commission spéciale en marge de la loi.

3.2 L’auteur déclare que le juge compétent dans cette procédure aurait dû être le juge pénal de la juridiction mixte de la circonscription de Cali en sa qualité de juge spécialisé puisqu’il s’agissait du juge compétent en matière de trafic de stupéfiants au moment des faits, mais comme cette juridiction a disparu le 15 juillet 1991, la compétence aurait dû en conséquence revenir au juge pénal de la circonscription de Cali auquel incombe la juridiction ordinaire. Pour ce qui est du tribunal compétent pour juger en deuxième instance le recours en appel, celui-ci aurait dû être le Tribunal supérieur du district judiciaire de Cali. L’auteur affirme que l’on a méconnu la compétence du juge ou du tribunal compétent, indépendant et impartial en le faisant juger par des fonctionnaires d’une institution créée après les faits. Il affirme en outre qu’auraient de plus été violés son droit d’être jugé selon la législation antérieure aux faits ainsi que le principe consacré par l’article 14 du Pacte de l’égalité de tous devant les tribunaux de justice. Il affirme avoir été jugé par un tribunal autre que le tribunal compétent et que lui ont été appliquées les dispositions restrictives et d’exception adoptées après les faits.

3.3 L’auteur affirme avoir été privé du droit à un procès public, avec audiences publiques et l’aide obligatoire d’un défenseur et en présence du ministère public, comme le prévoit le Code de procédure pénale, qui est entré en vigueur le 1 er juillet 1992, et rappelle la jurisprudence du Comité des droits de l’homme dans les affaires Elsa Cubas c. Uruguay et Alberto Altesor c.  Uruguay 2 , dans lesquelles le Comité a estimé qu’il y avait eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte car les procès s’étaient déroulés en l’absence des accusés et à huis clos et le jugement n’avait pas été rendu public.

3.4 D’après l’auteur, le jugement de la juridiction régionale du 21 février 1997 montre qu’il a été condamné à l’issue d’un procès à huis clos, conduit sans qu’il soit présent et exclusivement sur pièces écrites et sans qu’il ait pu être confronté en audience publique aux témoins à charge et contester les preuves à charge. L’auteur n’a jamais été présenté devant la juridiction régionale ni eu de relations avec les juges qui l’ont condamné, ni rencontré les juges sans visage du Tribunal national qui ont confirmé la condamnation en deuxième instance. Il affirme avoir été privé du droit à un procès indépendant et impartial parce qu’il était soupçonné d’être le dirigeant d’une supposée organisation criminelle appelée le «Cartel de Cali».

Informations et observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Dans ses observations datées du 8 avril 1999, du 2 mai 2000, du 28 juin 2001 et du 26 février 2002, l’État partie, se référant aux critères de recevabilité de la communication, soutient que Miguel Ángel Rodríguez Orejuela n’a pas épuisé les recours internes car, outre qu’un recours en cassation est toujours pendant 3 , il existe d’autres recours disponibles comme le recours en révision devant la Cour suprême de justice, qui est un recours indépendant engagé en dehors des juridictions pénales ou, dans les cas extrêmes, un recours en protection ( amparo ), qui peut être formé devant la Cour constitutionnelle à titre exceptionnel suite à un préjudice irrémédiable, lorsqu’il n’existe pas d’autres moyens de défense judiciaire.

4.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie estime que les délais de procédure prévus dans la législation colombienne dans le domaine pénal ne sont de prime abord ni déraisonnables ni arbitraires et ne vont pas à l’encontre du droit d’être entendu sans retard excessif.

4.3 Pour ce qui est du fond, l’État partie fait observer que la loi n o 2 a été adoptée en 1984 afin d’intégrer d’urgence dans le système d’administration de la justice des dispositions qui permettent de faire face aux nouvelles formes de criminalité, dont le trafic de stupéfiants. En vertu de cette loi, ce sont les juges spécialisés qui ont compétence pour connaître des délits de trafic de stupéfiants. Par la suite, en application du décret n o 2790 de 1990 adopté en vertu de la Constitution politique de 1886, cette compétence a été attribuée aux juges de l’ordre public. À la suite de la réforme constitutionnelle et de l’adoption de la nouvelle Constitution politique de 1991, une commission spéciale a été chargée de réviser la législation en vigueur. Cette commission, estimant que la loi n o 2 était conforme aux nouvelles dispositions de la Constitution, a décidé de l’incorporer définitivement dans la législation pénale en vertu du décret n o 2266 de 1991. Ce texte donne compétence à la juridiction régionale, dite «juridiction sans visage», pour connaître des délits de trafic de stupéfiants, dont celui imputé à l’auteur.

4.4 L’État partie indique que la Fiscalía General de la Nación a été créée en vertu de l’article 250 de la Constitution pour instruire les affaires et enquêter sur les faits répréhensibles commis sur le territoire national. L’objectif, en ce qui concerne les activités criminelles telles que celles liées au trafic de stupéfiants, était d’assurer la bonne administration de la justice, qui était alors gravement menacée, notamment par la corruption et l’intimidation de fonctionnaires. D’après l’État partie également, la formule retenue est conforme aux dispositions constitutionnelles et a été utilisée dans d’autres pays qui se trouvaient dans des situations extrêmes comme celles vécues récemment sans que cela suppose une limitation des principes et droits procéduraux évoqués ci-après.

4.5 En conséquence, selon l’État partie, on ne saurait soutenir les critiques relatives à la violation de principes tels que le droit à un procès en bonne et due forme car les fonctionnaires du système judiciaire ont respecté tout au long de l’action menée contre l’auteur les règles de fond et de procédure applicables, en particulier celles concernant les droits de la défense, l’examen contradictoire des éléments de preuve et la publicité des actes de procédure. En effet, l’auteur a toujours été représenté par son avocat, a eu connaissance de tous les éléments de preuve, a pu exercer son droit à examen contradictoire et a pu contester les décisions.

4.6 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur concernant la non-application de la règle de la loi pénale la plus favorable dans le droit procédural pénal colombien, l’État partie considère que l’argument sort du champ d’application du Pacte et n’est donc pas recevable.

Commentaires de l’auteur concernant la recevabilité et le fond

5.1 Dans ses commentaires des 13 décembre 1999, 21 août 2001 et 23 avril 2002, l’auteur répond à l’État partie à propos de la recevabilité et du fond et affirme qu’avec l’arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2001, le problème de l’épuisement des recours internes est résolu, tout en insistant sur le fait que la Cour suprême de justice a mis 39 mois pour rendre son arrêt en cassation, ce qui a constitué un retard injustifié de l’examen des voies de recours de la juridiction interne. Pour ce qui est du pourvoi en révision, l’auteur affirme que cette procédure n’est pas applicable car il s’agit d’une action autonome et non d’un recours au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait valoir qu’en droit pénal «une action n’est pas la même chose qu’un recours: l’ actio est le droit abstrait d’engager une procédure à caractère public pour mettre en mouvement l’activité juridictionnelle, tandis que le recours est un moyen de contestation visant un acte dans une procédure en cours. En l’espèce, les recours ordinaires ainsi que le recours extraordinaire en cassation que prévoit la législation pénale colombienne dans le cadre de la procédure pénale et du jugement pénal ont été épuisés, sans aucun autre recours à épuiser».

5.2 L’auteur affirme également que le recours en protection ou en amparo , consacré par l’article 86 de la Constitution politique, ne s’applique pas puisque la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 1 er octobre 1992, a déclaré inconstitutionnels les articles qui permettaient de former un tel recours contre les condamnations et autres décisions de la justice pénale. Le recours en protection ne peut au demeurant être exercé que lorsque la victime ne dispose plus d’autres moyens de défense judiciaire, tels que le recours en cassation.

5.3 L’auteur renvoie à la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 26 avril 2001, dans laquelle le Conseil a estimé que le recours en protection «n’est pas applicable quand le défendeur dispose d’autres moyens de défense judiciaire. Le recours en protection n’est donc pas un moyen de remplacement ni davantage un moyen complémentaire ou supplémentaire de parvenir à la fin recherchée. On ne peut en outre affirmer qu’il s’agit de l’ultime recours à la disposition du justiciable puisque de par sa nature, aux termes de la Constitution, il s’agit d’un moyen de protection unique institué précisément par la Constitution dans le souci de garantir aux personnes une pleine protection de leurs droits en palliant toute déficience que pourrait présenter le système juridique. Il en découle que quiconque a eu accès à un moyen judiciaire ordinaire ne peut prétendre former en sus de cette procédure et de ses éléments connexes un recours en protection, l’article 86 de la Constitution disposant que ce mécanisme n’est pas applicable s’il existe la moindre autre possibilité judiciaire de protection».

5.4 Pour ce qui est du fond, l’auteur affirme que les précisions apportées par l’État partie sur la juridiction «sans visage» et sa création «en vue de garantir la bonne administration de la justice pour contrer les effets dévastateurs de la criminalité organisée», ainsi que la transformation de la législation pénale provisoire adoptée en période d’état de siège en une législation permanente ne font que confirmer que l’État colombien a violé les dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en vertu desquelles tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice et toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité constate que l’État partie rejette la communication au motif que son auteur n’a pas utilisé toutes les voies de recours disponibles, affirmant qu’outre le recours en cassation, il existe d’autres recours disponibles, notamment le pourvoi en révision et le recours en protection. Le Comité prend note également des observations de l’État partie dans lesquelles il indique que le recours en protection est un recours accessoire ne pouvant être formé que dans des circonstances exceptionnelles et que la protection qu’il confère ne dure que tant que le juge n’a pas statué. Sur ce point, étant donné qu’en l’espèce il existe une décision de la Cour suprême de justice contre laquelle aucun recours n’est possible, le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré l’existence d’autres recours internes utiles qui seraient applicables au cas de M. Miguel Ángel Rodríguez Orejuela.

6.4 En conséquence, le Comité décide qu’en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 rien n’empêche de déclarer la communication recevable. Il en vient à l’examen quant au fond.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte du fait qu’il n’a pas été jugé par la juridiction compétente au moment de la commission du délit lui étant imputé et qu’il a été accusé par des procureurs et jugé en première et deuxième instance par des juges dont la compétence a été décrétée après les faits de la cause. À ce propos, le Comité prend note que dans ses observations l’État partie indique que la création de cette nouvelle juridiction avait pour objet d’assurer la bonne administration de la justice, qui était alors menacée. Le Comité estime que l’auteur n’a pas prouvé en quoi l’entrée en vigueur de nouvelles normes de procédure et leur application dès leur entrée en vigueur constituaient en soi une violation du principe de la comparution devant un tribunal compétent et de celui de l’égalité de tous devant les tribunaux de justice, énoncés au paragraphe 1 de l’article 14.

7.3 L’auteur affirme que les procédures engagées contre lui se sont déroulées par écrit seulement, en l’absence de toute audience orale et publique. Le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations mais s’est contenté d’indiquer que les jugements ont été rendus publics. Le Comité observe que, pour respecter les droits de la défense garantis au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, en particulier aux alinéas  d et e , dans tout procès pénal, l’accusé doit avoir droit à une procédure orale lui permettant de comparaître en personne à l’audience ou d’être représenté par son avocat et au cours de laquelle il peut présenter des preuves et interroger les témoins. Compte tenu du fait que l’auteur n’a pas pu paraître à une audience pendant le procès ayant abouti à sa condamnation et au prononcé de la peine, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit de l’auteur à un procès équitable conformément à l’article 14 du Pacte.

7.4 Ayant conclu que le droit de l’auteur à un procès équitable conformément à l’article 14 du Pacte a été violé pour les raisons exposées au paragraphe 7.3, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner d’autres arguments ayant trait à des violations du droit à un procès équitable.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 du Pacte.

9. Selon le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est dans l’obligation de fournir à M. Miguel Ángel Rodríguez Orejuela un recours utile.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie devra également rendre publiques ces constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

V. Communication n o  854/1999, Wackenheim c. France

(constatations adoptées le 15 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

Manuel Wackenheim (représenté par un conseil, M e  Serge Pautot )

Au nom de :

Le requérant

État partie :

France

Date de la communication :

13 novembre 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  854/1999 présentée par Manuel Wackenheim en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Manuel Wackenheim, citoyen français, né le 12 février 1967 à Sarreguemines (France). Il se déclare victime de violations par la France du paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe 2 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 16, du paragraphe 1 de l’article 17, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant est représenté par un avocat.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant, atteint de nanisme, se produisait depuis juillet 1991 dans des spectacles dits de «lancer de nains» produits par la société Fun ‑Productions. Muni des protections nécessaires, il se faisait lancer à une courte distance sur un matelas pneumatique par certains clients de l’établissement dans lequel le spectacle était organisé (discothèque).

2.2 Le 27 novembre 1991, le Ministre français de l’intérieur a publié une circulaire relative à la police des spectacles, en particulier à l’organisation de spectacles dits de «lancer de nains». Celle ‑ci prescrivait aux préfets d’user de leur pouvoir de police pour demander aux maires une grande vigilance à l’égard des spectacles de curiosité organisés dans leur commune. La circulaire précisait que l’interdiction des «lancers de nains» devrait notamment se fonder sur l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

2.3 Le 30 octobre 1991, le requérant a demandé l’annulation devant le tribunal administratif de Versailles d’un arrêté du 25 octobre 1991 par lequel le maire de Morsang ‑sur ‑Orge avait interdit le spectacle de «lancer de nains» prévu dans une discothèque de sa commune. Par jugement du 25 février 1992, le tribunal administratif a annulé l’arrêté du maire au motif que:

«Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le spectacle dont l’interdiction a été prononcée ait été de nature à porter atteinte au bon ordre, à la tranquillité ou à la salubrité publiques dans la ville de Morsang ‑sur ‑Orge; que la seule circonstance que certaines personnalités aient exprimé publiquement leur désapprobation de l’organisation d’un tel spectacle ne pouvait être de nature à laisser présager la survenance de troubles à l’ordre public; qu’à supposer même que ledit spectacle ait porté atteinte à la dignité humaine et ait revêtu un aspect dégradant ainsi que le soutient le maire, l’interdiction ne pouvait légalement être décidée en l’absence de circonstances locales particulières; qu’ainsi l’arrêté attaqué est entaché d’excès de pouvoir (...)».

2.4 Le 24 avril 1992, la commune de Morsang ‑sur ‑Orge représentée par son maire en exercice a fait appel du jugement du 25 février 1992.

2.5 Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d’État a annulé ledit jugement au motif, d’une part, que le «lancer de nains» est une attraction qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine, dont le respect est une composante de l’ordre public, l’autorité investie du pouvoir de police municipale en étant la garante et, d’autre part, que le respect du principe de la liberté du travail et du commerce ne fait pas obstacle à ce que cette autorité interdise une activité même licite si elle est de nature à troubler l’ordre public. Le Conseil d’État précisa que cette attraction pouvait être interdite même en l’absence de circonstances locales particulières.

2.6 Le 20 mars 1992, le requérant a présenté une autre requête tendant à l’annulation de l’arrêté du 23 janvier 1992 par lequel le maire de la commune d’Aix ‑en ‑Provence avait interdit le spectacle du «lancer de nains» prévu sur le territoire de sa commune. Par jugement du 8 octobre 1992, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du maire au motif que l’activité en cause n’était pas de nature à porter atteinte à la dignité humaine. Par requête datée du 16 décembre 1992, la ville d’Aix ‑en ‑Provence, représentée par son maire, a fait appel de ce jugement. Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d’État a annulé ledit jugement pour les mêmes motifs que ceux développés ci ‑dessus. Depuis cet arrêt, la société Fun ‑Productions a décidé d’abandonner ce type d’activité. Malgré son souhait de poursuivre cette activité, le requérant est depuis lors sans emploi en raison de l’absence d’organisateur de spectacles de «lancer de nains».

Teneur de la plainte

3. Le requérant affirme que l’interdiction d’exercer son travail a eu des conséquences négatives sur sa vie et représente une atteinte à sa dignité. Il se déclare victime de la part de la France d’une violation de son droit à la liberté, au travail, au respect de la vie privée et à un niveau de vie suffisant ainsi que d’une discrimination. Il précise d’une part qu’en France il n’y a pas d’emploi pour les nains, et d’autre part que son travail ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine car la dignité est de trouver un emploi. Le requérant invoque le paragraphe 1 de l’article 2, le paragraphe 2 de l’article 5 1 , le paragraphe 1 de l’article 9, l’article 16 2 , le paragraphe 1 de l’article 17, et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses observations du 13 juillet 1999, l’État partie considère en premier lieu que les violations alléguées du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 16 doivent être écartées d’emblée dans la mesure où ces griefs sont sans rapport avec les faits de l’espèce. L’État partie précise que le grief tiré de la violation du paragraphe 1 de l’article 9 est, en substance, identique à celui relatif à la violation de l’article 5 de la Convention européenne, qui a déjà été porté par le requérant devant la Commission européenne 3 . Il estime que ce grief doit être rejeté pour les mêmes raisons que celles invoquées par la Commission. Selon l’État partie, le requérant n’a en effet fait l’objet d’aucune privation de liberté. Concernant le grief de violation de l’article 16 du Pacte, l’État partie précise que le requérant ne développe aucune argumentation de nature à démontrer que l’interdiction de spectacles de «lancer de nains» aurait porté une quelconque atteinte à sa personnalité juridique. L’État partie affirme en outre que ces mesures d’interdiction ne comportent aucune atteinte à la personnalité juridique du requérant et donc ne remettent nullement en cause sa qualité de sujet de droit. D’après l’État partie, au contraire, elles le reconnaissent titulaire d’un droit au respect de sa dignité en tant qu’être humain et assurent la jouissance effective de ce droit.

4.2 Au sujet de la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, l’État partie déclare que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Il estime que la communication, étant fondée sur les mêmes faits et procédures que ceux portés à la connaissance de la Commission européenne, l’absence d’invocation du grief de violation du droit au respect de la vie privée et familiale devant les juridictions nationales a ici également pour conséquence de rendre la communication irrecevable. À titre subsidiaire, s’agissant du droit du requérant au respect de sa vie privée, l’État partie explique que l’interdiction litigieuse n’a emporté aucune violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Selon l’État partie, dans un premier temps, il apparaît que le droit dont se prévaut le requérant – et qui lui permettrait de se faire «lancer» publiquement et à titre professionnel – n’appartient pas à la sphère de la vie privée et familiale. Il n’est pas davantage certain qu’il ressortisse au domaine de la vie privée. L’État partie argue que la pratique du «lancer de nains» est une pratique publique et constitue pour le requérant une véritable activité professionnelle. Pour ces raisons, l’État partie conclut qu’il semble exclu qu’elle puisse être protégée au nom de considérations tirées du respect dû à la vie privée. Elle relève davantage, comme le souligne la motivation retenue par le Conseil d’État, de la liberté du travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie. Dans un second temps, l’État partie ajoute qu’en admettant même, au nom d’une conception particulièrement extensive de cette notion, que la possibilité de se faire «lancer» à titre professionnel relève bien du droit au respect de la vie privée du requérant, la limitation apportée à ce droit ne serait pas contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Ladite limitation est en effet, d’après l’État partie, justifiée par des considérations supérieures tirées du respect dû à la dignité de la personne humaine. Elle repose donc sur un principe fondamental et ne constitue dès lors ni une atteinte illégale, ni une atteinte arbitraire au droit des individus au respect de leur vie privée et familiale.

4.3 En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’État partie estime que les dispositions de cet article sont voisines de celles figurant à l’article 14 de la Convention européenne et rappelle que la Commission avait considéré que cet article, invoqué par le requérant dans sa requête devant cette instance, ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce, car le requérant n’invoquait pas par ailleurs le bénéfice d’aucun droit protégé par la Convention. L’État partie fait valoir qu’il en est de même dans la présente communication au motif que le requérant ne démontre pas davantage que le droit de se faire lancer professionnellement, dont il se prévaut, serait reconnu par le Pacte ou qu’il se rattacherait à l’un des droits qui y figurent. L’État partie ajoute qu’à supposer que le requérant entende se prévaloir de tels droits, il convient de rappeler que la liberté du travail et la liberté du commerce et de l’industrie ne sont pas au nombre des droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.4 Au sujet de la violation alléguée de l’article 26 du Pacte, l’État partie souligne que le Conseil d’État considère que la clause de non ‑discrimination de cet article est le pendant de celle figurant au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, et que, comme c’est le cas pour ce dernier article, son champ d’application se limite aux droits protégés par le Pacte 4 . Cette interprétation conduit, selon l’État partie, à la conclusion déjà exposée relativement à la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte que le droit pour un nain de se faire lancer à titre professionnel ne se rattache à aucun des droits protégés par le Pacte, et que, dès lors, la question de la non ‑discrimination ne se pose pas. L’État partie ajoute que, si pour les besoins du raisonnement, l’on suppose que la clause de non ‑discrimination de l’article 26 du Pacte vaut pour l’ensemble des droits consacrés dans le Pacte et dans l’ordre juridique interne, se pose alors la question du caractère discriminatoire de l’interdiction litigieuse. L’État partie affirme qu’à l’évidence, cette interdiction n’est pas discriminatoire. Par définition, elle ne s’applique qu’aux personnes atteintes de nanisme, car elles sont seules susceptibles d’être concernées par l’activité interdite et l’indignité de cette activité résulte tout particulièrement des particularités physiques de ces personnes. D’après l’État partie, il ne peut lui être fait grief de traiter différemment les nains et ceux qui ne le sont pas, puisqu’il s’agit là de deux catégories différentes d’individus, dont l’une ne peut être concernée par le phénomène du «lancer» pour d’évidentes raisons physiques. L’État partie note par ailleurs que la question de l’indignité d’une activité consistant à lancer des personnes de taille normale, c’est ‑à ‑dire non affectées d’un handicap particulier, se poserait dans des termes très différents 5 . L’État partie conclut que la différence de traitement repose sur une différence objective de situation entre les personnes atteintes de nanisme et celles qui ne le sont pas, et, à ce titre et compte tenu de l’objectif de préservation de la dignité humaine sur lequel elle repose, elle est légitime et, en tout état de cause, conforme à l’article 26 du Pacte.

4.5 Concernant la violation alléguée du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, l’État partie déclare que le requérant ne développe aucune argumentation en vue de démontrer en quoi l’interdiction du «lancer de nains» serait contraire aux dispositions en cause. D’après l’État partie, il est difficile de percevoir en quoi les autorités nationales auraient, en se fondant sur le Pacte, indûment restreint l’exercice des droits reconnus en droit interne. Mentionnant que peut ‑être le requérant considère que les autorités ont manifesté une conception trop extensive de la notion de dignité humaine, qui l’a empêché de jouir de ses droits au travail et à exercer l’activité qu’il a librement choisie, l’État partie argue que le droit de la personne humaine au respect de sa dignité n’est pas au nombre des droits figurant dans le Pacte, même si certaines dispositions qui y figurent s’inspirent bien de cette notion – et notamment celles relatives à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Pour cette première raison, l’État partie conclut que le paragraphe 2 de l’article 5 ne trouve pas à s’appliquer ici. L’État partie ajoute qu’à supposer que l’on retienne, par pure hypothèse, l’applicabilité de cet article, ses dispositions ne seraient pas méconnues. L’État partie explique que la démarche des autorités ne procède pas de la volonté de restreindre abusivement la liberté du travail et la liberté du commerce et de l’industrie en invoquant le respect dû à la personne humaine. Cette démarche consiste, d’après l’État partie, de façon très classique en matière de police administrative, à concilier l’exercice de libertés économiques avec le souci de faire respecter l’ordre public, dont l’une des composantes est la moralité publique. L’État partie précise que la conception retenue ici ne présente aucun caractère excessif puisque, comme l’a relevé le Commissaire du Gouvernement Frydman 6 dans ses conclusions, d’une part, l’ordre public intègre de longue date des considérations de moralité publique et, d’autre part, il serait choquant que le principe fondamental du respect dû à la personne humaine cède devant des considérations matérielles propres au requérant – et par ailleurs peu répandues – portant ainsi préjudice à l’ensemble de la communauté à laquelle il appartient.

4.6 Pour tous ces motifs, l’État partie conclut que la communication doit être rejetée comme étant dépourvue de fondements en tous ses griefs.

Commentaires du conseil du requérant aux observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires datés du 19 juin 2000, le conseil du requérant considère que l’État partie se retranche tout d’abord derrière deux arrêts identiques rendus le 27 octobre 1995 par le Conseil d’État qui reconnaît aux maires le droit d’interdire les spectacles de «lancer de nains» dans leur commune, au motif que «la dignité humaine est une composante de l’ordre public», même en l’absence de circonstances locales particulières, et malgré l’accord de la personne concernée. Le conseil rappelle les faits, objet de la communication, et notamment l’annulation des arrêtés municipaux d’interdiction de spectacles par les tribunaux administratifs ainsi que la circulaire du Ministre de l’intérieur.

5.2 Le conseil déclare que les décisions importantes prises sur le plan des principes dans le cas de M. Wackenheim sont décevantes. Il note qu’à la conception classique de la trilogie de l’ordre public français, le bon ordre (la tranquillité), la sûreté (la sécurité), la salubrité publique, on ajoute la moralité publique, le respect de la dignité humaine entrant dans cette quatrième composante. D’après le conseil, cette jurisprudence, à l’aube du XXI e  siècle, réactive la notion d’ordre moral en direction d’une activité aussi marginale qu’inoffensive comparée aux nombreux comportements réellement violents et agressifs que tolère actuellement la société française. Il ajoute qu’il s’agit de la consécration d’un nouveau pouvoir de police risquant d’ouvrir la porte à tous les abus, et pose la question de savoir si le maire va s’ériger en censeur de la moralité publique et en protecteur de la dignité humaine. Il se demande également si les tribunaux vont décider du bonheur des citoyens. Selon le conseil, jusqu’à présent le juge pouvait prendre en compte la protection de la moralité publique pour autant qu’elle a des répercussions sur la tranquillité publique. Or, le conseil affirme que cette condition n’était pas réunie pour le spectacle du «lancer de nains».

5.3 Le conseil maintient les éléments fondant sa plainte et souligne que le travail est un élément de la dignité de l’homme et que priver un homme de son travail revient à lui ôter une partie de sa dignité.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Bien que la France ait fait une réserve à l’article 5, paragraphe 2 a), le Comité constate que l’État partie n’a pas invoqué cette réserve et que, dès lors, il n’est pas fait obstacle à l’examen de la communication par le Comité.

6.3 Relativement aux plaintes de violations du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 16 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie concernant l’incompatibilité ratione materiae de ces allégations avec les dispositions du Pacte. Il considère que les éléments présentés par le requérant ne permettent pas d’invoquer une violation des dispositions incriminées et d’établir la recevabilité des griefs au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, le Comité relève qu’à aucun moment le grief de violation du droit au respect de la vie privée et familiale n’a été invoqué par le requérant devant les juridictions nationales. Le requérant n’a donc pas épuisé en l’espèce tous les recours dont il aurait pu user. Le Comité déclare en conséquence cet aspect de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2  b ) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, le Comité note que l’article 5 du Pacte constitue un engagement général des États parties et ne peut être invoqué par des particuliers pour fonder à lui seul une communication au titre du Protocole facultatif. Par conséquent, cette plainte est irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Néanmoins, cette conclusion n’empêche pas le Comité de prendre en considération l’article 5 dans l’interprétation et l’application d’autres dispositions du Pacte.

6.6 En ce qui concerne l’allégation de discrimination au titre de l’article 26 du Pacte, le Comité a pris note de l’observation de l’État partie d’après laquelle le Conseil d’État considère que le champ d’application de l’article 26 se limite aux droits protégés par le Pacte. Le Comité souhaite cependant rappeler sa jurisprudence qui a établi que l’article 26 ne reprend pas simplement la garantie déjà énoncée à l’article 2, mais prévoit par lui ‑même un droit autonome. L’application du principe de non ‑discrimination énoncé à l’article 26 n’est donc pas limitée aux droits stipulés dans le Pacte. L’État partie n’ayant pas soulevé d’autres arguments contre la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte et procède à l’examen de la plainte sur le fond , conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité doit déterminer si l’interdiction par les autorités de l’activité de «lancer de nains» constitue une discrimination au regard de l’article 26 du Pacte, comme l’affirme le requérant.

7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute distinction entre les personnes ne constitue pas obligatoirement une discrimination, interdite par l’article 26 du Pacte. Une distinction constitue une discrimination lorsqu’elle ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables. La question, en l’espèce, est de savoir si la distinction entre les personnes visées par l’interdiction prononcée par l’État partie et celles auxquelles cette interdiction ne s’applique pas peut être valablement justifiée.

7.4 L’interdiction du «lancer» prononcée par l’État partie dans la présente affaire s’applique uniquement aux nains (comme décrit au paragraphe 2.1). Toutefois, si ces personnes sont visées à l’exclusion des autres, la raison en est qu’elles sont seules susceptibles d’être lancées. Ainsi, la distinction entre les personnes visées par l’interdiction, à savoir les nains, et celles auxquelles elle ne s’applique pas, à savoir les personnes qui ne sont pas atteintes de nanisme, est fondée sur une raison objective et n’a pas d’objet discriminatoire. Le Comité considère que l’État partie a démontré, en l’espèce, que l’interdiction du «lancer de nains» tel que pratiqué par le requérant ne constituait pas une mesure abusive mais était nécessaire afin de protéger l’ordre public, celui ‑ci faisant notamment intervenir des considérations de dignité humaine qui sont compatibles avec les objectifs du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que la distinction entre le requérant et les personnes auxquelles l’interdiction prononcée par l’État partie ne s’applique pas reposait sur des motifs objectifs et raisonnables.

7.5 Le Comité n’ignore pas qu’il existe d’autres activités qui ne sont pas interdites mais qui pourraient l’être éventuellement sur la base de motifs analogues à ceux qui justifient l’interdiction du «lancer de nains». Toutefois, le Comité est d’avis que, compte tenu du fait que l’interdiction du «lancer de nains» est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et que le requérant n’a pas établi que cette mesure avait une visée discriminatoire, le simple fait qu’il puisse exister d’autres activités susceptibles d’être interdites ne suffit pas en soi à conférer un caractère discriminatoire à l’interdiction du «lancer de nains». Pour ces raisons, le Comité estime qu’en prononçant ladite interdiction l’État partie n’a pas violé, en l’espèce, les droits du requérant tels qu’ils sont énoncés à l’article 26 du Pacte.

7.6 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

W. Communication n o  859/1999, Jiménez Vaca c. Colombie (constatations adoptées le 25 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Colombie

Date de la communication :

4 décembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  859/1999 présentée par M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca, de nationalité colombienne, exilé depuis 1988 en Grande-Bretagne, où il a obtenu le statut de réfugié en 1989. Il se déclare victime de violations par la Colombie du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1 et 4 de l’article 12, du paragraphe 1 de l’article 17, de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 22, et de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 M. Jiménez Vaca exerçait la profession d’avocat plaidant à Medellín et dans la région d’Urabá, et travaillait dans toute la municipalité de Turbo. Dans cette région, il avait été le conseiller juridique de plusieurs syndicats de travailleurs, d’organisations communautaires et d’organisations de paysans, comme le Syndicat des travailleurs de l’agriculture et de l’élevage d’Antioquía (SINTAGRO) et le Syndicat des chargeurs et des manœuvres de Turbo (SINDEBRAS), notamment.

2.2 Depuis 1980, l’auteur avait été membre des différentes commissions constituées par le Gouvernement pour chercher une solution aux conflits sociaux, aux conflits du travail et la violence dans la région: par exemple la Commission tripartite, la Commission spéciale pour Urabá, la Commission des garanties permanentes à Urabá, et la Commission de haut niveau. Il avait également fait partie de la direction nationale et régionale du Front populaire du parti politique d’opposition jusqu’en 1988, où il avait dû s’exiler.

2.3 À partir de 1980, l’auteur a commencé à recevoir des convocations provenant du bataillon militaire Voltígeros, à être l’objet de harcèlements et de courtes périodes de rétention, en raison de son travail au service des syndicats. La détention arbitraire des travailleurs était devenue courante ainsi que la participation de militaires aux réunions des syndicats, de même que le fait de soumettre toute activité syndicale à l’autorisation préalable du commandant du bataillon.

2.4 Le 15 décembre 1981, à Turbo, une patrouille avait arrêté les participants, y compris l’auteur, d’une réunion du syndicat SINTAGRO, les avait interrogés et avait pris des photos. Quelques ‑uns avaient été conduits à la caserne du bataillon Voltígeros, où ils avaient été soumis à des tortures diverses. L’auteur avait été remis en liberté trois heures après avoir été arrêté, à la condition de se présenter devant le commandant du renseignement militaire dans un délai de cinq jours. Quand il s’était présenté, l’auteur avait été interrogé et exhorté à «collaborer» avec les autorités militaires s’il ne voulait pas «avoir des problèmes plus tard».

2.5 De 1984 à 1985, l’auteur avait conseillé le syndicat SINTAGRO dans les négociations de plus de 150 conventions collectives signées avec les sociétés bananières. Au cours de ces négociations, des militaires, des policiers et des agents secrets avaient exercé une surveillance constante sur les allées et venues de l’auteur, sur son domicile et son cabinet. L’auteur recevait des menaces de mort, des appels téléphoniques et des lettres anonymes. On lui disait qu’il fallait qu’il quitte la région et on lui demandait à quel endroit il voulait mourir, en précisant qu’on savait où vivait sa famille.

2.6 Au vu de ce qui précède, l’auteur a déposé une plainte pénale pour menaces de mort auprès de la deuxième juridiction de la circonscription de Turbo. Le 22 octobre 1990, cette juridiction a informé le tribunal administratif d’Antioquía qu’elle avait engagé une procédure pour chantage au détriment de la direction de SINDEBRAS, la partie lésée indiquée étant M. Asdrúbal Jiménez, qui avait apposé sa signature sur l’acte. L’auteur affirme qu’il n’a jamais eu connaissance de l’issue de cette procédure. De même, l’auteur affirme n’avoir jamais eu connaissance des résultats des enquêtes menées au sujet de la plainte pénale qu’il a présentée au service du Procureur régional de la municipalité de Turbo vers le milieu de 1984.

2.7 En septembre 1984, l’auteur a déposé une plainte pour menaces de mort auprès du Bureau régional du Département administratif de sécurité (DAS) de la municipalité de Turbo. L’auteur n’a jamais eu connaissance des résultats de l’enquête.

2.8 Le 26 août 1985, des tracts avaient été distribués sous les portes, portant l’inscription: «Vous êtes membre du SINTAGRO? Cela ne vous fait rien d’appartenir à un ramassis de tueurs à gages et d’assassins du peuple, de narcotrafiquants dirigés par Argemiro Correa, Asdrúbal Jiménez et Fabio Villa?». Quelques jours plus tard, sur un autre tract distribué de la même façon, on donnait à l’auteur le conseil d’éviter de se trouver dans certains secteurs s’il ne voulait pas rejoindre ses collègues au cimetière. Après ces incidents, l’un des frères de l’auteur a disparu et un autre a été assassiné.

2.9 En décembre 1985, avec d’autres membres de la direction de SINTAGRO, l’auteur a porté plainte devant le Procureur général de la nation pour dénoncer l’intervention du bataillon Voltígeros dans les conflits du travail, et pour demander une enquête en vue de déterminer quels étaient les membres de l’armée qui étaient impliqués dans les actes de harcèlement et dans les menaces. L’auteur n’a jamais eu connaissance des résultats.

2.10 En octobre 1986, l’auteur a déposé une plainte auprès du « Foro por el Derecho a la Vida», avec l’aide de diverses autorités telles que le Procureur général de la nation et le Directeur du service national d’instruction criminelle.

2.11 Au début de 1987, à la suite des violences dont les travailleurs et la population générale étaient victimes, le Gouvernement a constitué une «commission de haut niveau» dont l’auteur était membre et dans laquelle siégeaient des représentants des autorités civiles et militaires et des services de sécurité. Pendant que se tenait cette commission, en février 1987, l’auteur a déposé des plaintes pour des menaces de mort et des actes de harcèlement dont il faisait l’objet. Après sa participation aux travaux de la Commission, l’auteur a été contraint de quitter Urabá et de se réfugier à Medellín à cause de l’insécurité.

2.12 Le 6 septembre 1987, l’auteur s’est adressé de nouveau aux autorités pour leur demander d’assurer sa protection car il continuait de recevoir des menaces de mort dont le nombre avait augmenté depuis qu’il avait participé aux travaux de la «Commission de haut niveau». L’auteur a reçu alors plusieurs fois la visite d’inconnus, ce qui l’a conduit à fermer définitivement son étude et à aller s’installer à Bogotá. Plus tard, l’auteur a reçu des conseils l’invitant à quitter le pays.

2.13 Le 4 avril 1988, l’auteur se trouvait dans un taxi en compagnie d’une personne du nom de Sonia Roldán; sur la route allant de l’aéroport à Medellín, deux cyclistes en civil avaient tiré des coups de feu sur le taxi et l’auteur avait été atteint par deux balles. Il avait été conduit à l’hôpital et, au bout de cinq jours, il avait été transporté dans un autre établissement pour des raisons de sécurité et y était resté jusqu’à ce que son état lui permette de se rendre en Grande ‑Bretagne. Il avait demandé l’asile le 20 mai 1988 et été admis au bénéfice du statut de réfugié le 4 janvier 1989. À la suite de cet attentat, l’auteur souffre entre autres d’une altération partielle permanente du système locomoteur, de troubles gastro ‑intestinaux et d’une perturbation du système cardiovasculaire dans une jambe.

2.14 Le 9 février 1990, l’auteur a présenté, par l’intermédiaire d’un représentant dûment mandaté, une demande de réparation pour préjudice auprès du tribunal administratif pour omission par les autorités de prendre des mesures en vue de protéger sa vie et de garantir son droit d’exercer sa profession d’avocat, demande qui a été rejetée le 8 juillet 1999 1 . De même, le tribunal d’instruction pénale n o  28 de Medellín a ouvert d’office une enquête pénale sur l’attentat contre la vie de l’auteur, mais ce dernier n’a pas eu non plus connaissance des résultats de cette procédure.

2.15 Une fois en exil, l’auteur a été en correspondance régulière avec sa fille ainsi qu’avec d’autres personnes, ladite correspondance étant constamment interceptée.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que l’État colombien a l’obligation légale d’ouvrir d’office une enquête sur l’infraction constituée par l’attentat dont il a été victime. En vertu de l’article 33 du Code de procédure pénale (décret n o  050 de 1987) en vigueur à l’époque des faits, l’enquête préliminaire, l’instruction et le procès doivent durer en tout environ 240 jours. Or, d’après l’auteur, il s’est écoulé plus de 10 ans depuis l’attentat, et les résultats des enquêtes ne sont toujours pas connus.

3.2 L’auteur se déclare victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte parce que l’État colombien n’offre pas aux victimes de violations des droits fondamentaux les garanties suffisantes pour que les recours exercés puissent être considérés comme utiles. Il affirme que les enquêtes que l’État aurait dû avoir menées d’office à la suite de l’attentat n’ont jamais donné le moindre résultat. Il explique que, étant donné qu’il a dû quitter précipitamment le pays et qu’il aurait été risqué d’engager un avocat pour assurer sa défense, il a été privé de la possibilité de suivre personnellement et activement la procédure. Par ailleurs, l’auteur dit qu’il a donné pouvoir à un avocat pour engager une action en réparation devant le tribunal administratif d’Antioquía, mais qu’il n’a jamais été statué sur sa demande. Ainsi, l’auteur considère non seulement qu’il y a eu un retard excessif dans la procédure relative aux recours internes, mais aussi que le recours disponible n’était pas utile puisque les différents services officiels ont nié l’existence des actes, courriers, plaintes et demandes de protection.

3.3 Pour ce qui est de la violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, l’auteur affirme que le simple fait d’avoir été victime d’un attentat, qui l’a laissé entre la vie et la mort pendant un certain temps et qui a été favorisé par l’inaction des autorités colombiennes qui n’ont jamais rien fait pour empêcher cet attentat, porte atteinte au droit à la vie, dont nul ne peut être privé arbitrairement.

3.4 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte parce que l’État colombien était tenu d’adopter les mesures nécessaires pour garantir sa sécurité personnelle et qu’il ne l’a jamais fait, alors qu’il avait connaissance des multiples harcèlements, provocations et menaces de mort dont l’auteur était la cible, y compris de la part des autorités de l’armée et de la police elles ‑mêmes. À ce sujet, l’auteur affirme que l’État partie a enfreint le paragraphe 1 de l’article 9 de la même manière que dans l’affaire William Eduardo Delgado Páez c.  Colombie (communication n° 195/1985), qui a donné lieu à des constatations dans ce sens, adoptées le 12 juillet 1990.

3.5 De même, l’auteur estime que le droit de se déplacer librement sur le territoire et de choisir sa résidence, garanti au paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, a été violé parce qu’il a été empêché d’habiter et d’exercer sa profession d’avocat à l’endroit qu’il avait choisi et que le droit de résider et d’exercer sa profession dans son pays ne lui a pas non plus été garanti étant donné qu’il a été contraint de s’exiler. En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12, l’auteur affirme que les autorités colombiennes n’ont pas adopté de décision expresse lui interdisant d’entrer dans le pays, ce droit lui étant refusé pour des considérations d’ordre militaire.

3.6 Par ailleurs, l’auteur dit que sa correspondance avec sa fille ainsi qu’avec d’autres personnes a été interceptée plusieurs fois par la police nationale, en violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

3.7 L’auteur soutient que ceux qui ont commis cet attentat l’on fait pour le punir de ses opinions politiques et sociales, contrairement aux dispositions de l’article 19 du Pacte.

3.8 Enfin, l’auteur affirme qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 22 ainsi que de l’article 25 du Pacte, à cause de son engagement en faveur de la défense du droit d’association et des droits des travailleurs, et parce qu’il est militant du parti politique Front populaire, pour le compte duquel il accomplissait diverses activités sociales et démocratiques.

Renseignements et observations de l’État partie concernant la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.1 Dans ses observations datées du 21 septembre 1999, l’État partie fait référence à l’article 1 et à l’article 2 du Protocole facultatif où sont énumérées les conditions de recevabilité d’une communication, et affirme que M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca n’a pas épuisé les recours internes car il a engagé une action en dommages-intérêts devant le tribunal administratif d’Antioquía. Ce tribunal a rendu sa décision en première instance le 8 juillet 1999, en rejetant les prétentions de l’auteur, et on attend actuellement la décision de la juridiction d’appel auprès de laquelle un recours a été formé en août 1999.

4.2 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, l’État partie affirme garantir le droit constitutionnel à l’inviolabilité de la correspondance et précise que tout acte arbitraire doit faire l’objet d’une plainte pour qu’il puisse y avoir une enquête. Pour ce faire, la police nationale a reçu pour instruction de mener une enquête afin d’établir les faits.

4.3 Dans ses commentaires en date du 16 novembre 1999, l’auteur répond que l’argument de l’État partie, qui affirme que les recours internes ne sont pas épuisés parce que la décision du Conseil d’État, la juridiction du second degré, est attendue, est dénué de fondement et rappelle la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui a établi que les recours internes ne doivent pas seulement être disponibles mais doivent aussi être utiles 2 . Par ailleurs, l’auteur affirme que, selon l’État partie, la juridiction administrative ne fait pas partie de la branche judiciaire. Il fait valoir que le tribunal administratif a rendu une décision, neuf ans et cinq mois plus tard, parce que la communication que l’auteur avait soumise au Comité a fait pression. Ainsi, il considère que les recours internes ont été épuisés puisque la procédure a été excessivement longue.

4.4 Dans ses observations supplémentaires datées du 26 octobre 1999, l’État partie précise que d’après les renseignements reçus du bureau du Défenseur du peuple, après examen des archives de la Direction nationale de réception et de transmission des plaintes, aucune plainte portant sur les faits exposés par l’auteur n’a été trouvée. Par ailleurs, le bureau du Procureur général a certifié qu’aucune enquête disciplinaire contre des membres de l’armée pour menaces, harcèlement, provocation et tentative d’homicide dont l’auteur aurait été l’objet n’avait été diligentée par le service du Procureur délégué aux forces armées ni par le service du Procureur délégué à la défense des droits de l’homme ou le service du Procureur départemental d’Antioquía, ni enfin par la Direction nationale des enquêtes spéciales.

4.5 L’État partie explique en outre que le major Oscar Vírguez Vírguez a porté plainte contre l’auteur auprès de la juridiction d’instruction pénale militaire pour calomnie et dénonciation mensongère. Le motif de cette plainte était les accusations formulées auprès des organes d’information par l’auteur et par Aníbal Palacio Tamayo, pour des menaces dont l’auteur et Argemiro Miranda auraient été la cible. Ces accusations avaient conduit le service du Procureur délégué aux forces armées à décider d’ouvrir une enquête sur le comportement du major Vírguez, et il n’avait trouvé aucun motif justifiant les accusations.

4.6 Dans des observations supplémentaires datées du 5 août 2000, l’auteur fait valoir que l’institution du Défenseur du peuple a été créée après les principaux faits dénoncés dans la plainte, c’est ‑à ‑dire avec la Constitution de 1991, alors que l’auteur était déjà en exil. De plus, il affirme que les plaintes étaient précises et avaient été portées à la connaissance des autorités: il indiquait que les quatrième et dixième brigades pouvaient être les responsables des harcèlements et des menaces de mort dont il était victime. Bien qu’elles eussent connaissance des faits, les autorités n’ont jamais pris la moindre mesure. Tout au contraire, la seule enquête qui ait jamais été ouverte a été déclarée terminée, ce qui avait empêché la manifestation de la vérité. En outre, la teneur des plaintes et la gravité du danger n’ont jamais été appréciées et personne n’a cherché à identifier les auteurs intellectuels et matériels.

4.7 En ce qui concerne la plainte pour calomnie et dénonciation mensongère déposée par le major Vírguez, l’auteur objecte qu’elle avait pour seul motif d’entraver le déroulement des enquêtes, qui risquaient de compromettre l’institution militaire, et de freiner le cours de l’enquête ordonnée contre le major. De plus, jamais il n’a été cité par une autorité judiciaire pour confirmer les faits. L’auteur affirme que la justice pénale militaire n’était pas compétente pour instruire les infractions citées puisqu’il n’a rigoureusement aucun lien avec les forces armées colombiennes.

4.8 Enfin, l’auteur réitère que les recours internes doivent être non seulement disponibles mais aussi utiles.

Renseignements et observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses observations en date du 21 septembre 1999, l’État partie précise, en se référant à l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2, que dans certaines circonstances il peut être difficile d’enquêter sur des faits attentatoires aux droits de l’individu. De surcroît, le fait que les résultats définitifs de l’enquête pénale ne soient pas connus ne veut pas automatiquement dire que l’État partie n’ait pas agi comme il devait, car il faut tenir compte de la complexité des faits ainsi que de l’activité de l’intéressé. De plus, d’après l’État partie, il est indiqué dans les conclusions de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo que l’action engagée au nom des dirigeants de SINDEBRAS était pour chantage et non pour tentative d’homicide. De toute façon, la conclusion est que le chantage visait les dirigeants de SINDEBRAS, et sous «victimes» la plainte porte la signature de M. Jiménez, ce qui ne veut pas dire qu’il ait été lui ‑même l’objet de ce chantage. Si l’auteur a raison d’affirmer que l’État colombien est tenu d’ouvrir d’office une enquête sur des infractions déterminées, notamment les atteintes à la vie, la plainte pénale à laquelle il se réfère n’a aucun rapport avec l’attentat dont il déclare avoir été victime.

5.2 L’État partie conteste que l’auteur n’ait pas engagé un avocat une fois qu’il a quitté le pays à cause des risques que cela comporterait. Il a eu néanmoins la possibilité de porter plainte auprès du tribunal administratif, mais pas contre le procès sur l’attentat dont il aurait été victime. L’État partie conteste également qu’il y ait eu violation de l’obligation d’assurer un «recours utile» étant donné qu’au procès mené par le tribunal administratif d’Antioquía des certificats du commandant de police d’Urabá ont été produits, établissant qu’en 1986, 1987 et 1988 aucune demande de protection de son intégrité personnelle n’a été reçue de l’auteur. Le commandant du Département de police d’Antioquía, le chef du Service des renseignements (SIJIN) d’Antioquía, la Direction générale de la police générale et le service du Procureur délégué aux forces armées ont tous déclaré la même chose.

5.3 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 6, ajoute l’État partie, il ressort des faits présentés dans la demande que l’auteur considère le Gouvernement comme responsable de ne pas avoir protégé sa vie, et va même jusqu’à lui imputer une participation directe dans la perpétration de l’attentat qui aurait été commis par des agents de l’État anonymes. Or, pour que l’État soit responsable d’un manquement à son obligation d’assurer la sécurité, il faut que la victime ait fait une demande de protection auprès des autorités pour un danger latent et que les autorités aient refusé cette protection, aient négligé de la fournir ou l’aient assurée de façon insuffisante. D’après l’État partie, les demandes générales formulées par le biais de dénonciations publiques ne sont pas un moyen efficace pour obtenir des autorités qu’elles assurent à un individu une protection efficace. Sans vouloir se soustraire à son obligation constitutionnelle d’assurer la protection à ses citoyens, l’État partie doit souligner que chaque cas particulier doit être traité en fonction de ses caractéristiques propres.

5.4 Enfin, l’État partie a pris de nouveaux trains de mesures pour assurer la protection des personnes et, dans le cas précis des dirigeants syndicaux, il met actuellement en œuvre un programme de protection pour les témoins et les personnes menacées. Dans le cadre de ce programme, des mesures ont été adoptées: création d’un centre de documentation sur la protection, fourniture de services d’assistance technique, réalisation d’activités de prévention, octroi d’aide d’urgence, acquisition de moyens de communication et de véhicules, protection individuelle et protection des locaux des organisations non gouvernementales et des organismes syndicaux. De plus, s’il décidait de rentrer en Colombie, l’auteur bénéficierait de toutes les garanties de la part des autorités et obtiendrait la protection nécessitée par sa situation particulière.

5.5 D’après l’État partie, en ce qui concerne les paragraphes 1 et 4 de l’article 12, l’article 19, le paragraphe 1 de l’article 22, et l’article 25 du Pacte, la violation de droits fondamentaux dans le cas de différents secteurs sociaux entraîne des atteintes à d’autres droits fondamentaux de la population comme la liberté de pensée, la jouissance des biens économiques, la liberté d’association, et le droit de choisir sa résidence ou de se déplacer librement. Or il n’est pas possible de prétendre que de telles violations seraient imputables à l’État partie comme conséquence indirecte d’actions violentes ayant porté atteinte à un ensemble de droits fondamentaux. Les actes de violence visent généralement des membres de la société de façon aveugle, quelle que soit leur situation économique ou sociale. Dans bien des cas, le facteur déterminant tient davantage aux circonstances, comme le lieu de résidence ou les activités quotidiennes que mène l’intéressé. Toutefois, étant donné que les actes de violence n’ont pas pour objectif premier la violation de ces droits et d’autres encore, les actions visant à contrecarrer ces effets de la situation de violence doivent agir sur la cause principale qui est à l’origine, c’est ‑à ‑dire le conflit armé interne.

5.6 Ainsi l’État partie conteste l’argumentation présentée par l’auteur, car il ne se dégage de sa relation des faits aucune situation ponctuelle qui pourrait mettre en évidence la responsabilité d’agents de l’État dans la violation présumée de ses droits fondamentaux.

5.7 Dans ses commentaires en date du 16 novembre 1999, l’auteur répond aux arguments de l’État partie sur le fond en soulignant qu’il existe des éléments de preuve suffisants dans la communication pour conclure à la responsabilité de l’État partie dans la violation du Pacte.

5.8 L’auteur affirme que, comme l’a lui ‑même reconnu l’État partie et comme il ressort du dossier du tribunal administratif, il a informé la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo des menaces de mort dont il était l’objet. Il entendait par cette plainte mettre en mouvement l’action pénale afin de déterminer les auteurs des menaces ainsi que d’obtenir la protection voulue. Si les menaces de mort (chantage) constituent effectivement des actes différents de la tentative d’homicide dont il a été l’objet ultérieurement, il existe néanmoins une relation de cause à effet étant donné que les autorités, pleinement au fait de la situation, n’ont rien fait pour prévenir ou empêcher l’attentat. En outre l’auteur affirme que, conformément aux dispositions de l’article 33 du Code de procédure pénale, l’État doit faire ouvrir d’office une enquête suite à la plainte pour atteinte à la vie qu’il a déposée.

5.9 Par ailleurs, les certificats démentant les affirmations de l’auteur établis par le commandant de la police et le Procureur délégué aux forces armées peuvent s’inscrire dans la stratégie générale en faveur de l’impunité, de façon à rendre inopérant un recours utile.

5.10 Enfin, en ce qui concerne le programme de protection des témoins et des personnes menacées dont l’État partie signale l’existence, l’auteur estime que pour garantir la vie et la sécurité des citoyens il faut plus que des promesses.

5.11 L’État partie, dans ses observations complémentaires datées du 30 août 2001, explique que l’auteur, en dépit des fréquentes menaces dont il a fait l’objet, n’a suivi ni les résultats des plaintes ni les recommandations de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo, et qu’il ne s’est pas non plus adressé à d’autres instances nationales.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que l’État partie objecte que lesdits recours n’ont pas été épuisés. Toutefois, le Comité relève que les menaces dont l’auteur a été l’objet plusieurs fois avant d’être victime de l’attentat ont été dénoncées auprès de la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo et du service du Procureur régional de la municipalité de Turbo sans qu’à ce jour les résultats d’éventuelles enquêtes soient connus. Le Comité note également que l’État partie ne nie pas l’existence de ces plaintes déposées auprès du service du Procureur régional, mais qu’il se borne à dire qu’aucune enquête n’a été menée. Il note de même que l’État partie se borne à indiquer qu’il existe d’autres recours internes, mais qu’il ne précise ni leur nature ni devant quelles autorités ils doivent être formés. À ce sujet, le Comité rappelle que les recours internes doivent être non seulement disponibles mais également utiles. Il considère qu’il n’a pas été démontré que les recours internes avaient été utiles en l’espèce.

6.4 En ce qui concerne l’état d’avancement de la procédure en réparation pour préjudice engagée devant le tribunal administratif, le Comité doute qu’une action en dommages ‑intérêts soit le seul recours disponible dans le cas d’une personne qui a subi une violation de ce type. En outre, le Comité constate que, dans cette affaire, l’application des recours internes a été abusivement longue puisque la juridiction administrative n’a statué sur la décision prise en première instance qu’au bout de neuf ans.

6.5 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a pas saisi les tribunaux de cette question avant de la soumettre au Comité. Par conséquent cette partie de la communication est irrecevable conformément aux dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6 En conséquence, le Comité estime que les autres parties de la communication sont recevables et procède à les examiner quant au fond à la lumière des informations fournies par les deux parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 L’auteur fait valoir qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte car l’État partie avait l’obligation, vu les menaces de mort reçues par l’auteur, de prendre les mesures nécessaires pour garantir sa sécurité personnelle, ce qu’il n’a jamais fait. Le Comité rappelle sa jurisprudence 3 au sujet du paragraphe 1 de l’article 9, et réaffirme que le Pacte protège le droit à la sécurité de la personne même dans le cas où l’intéressé n’est pas privé de liberté. Interpréter l’article 9 de telle façon qu’il serait permis à un État partie d’ignorer les menaces connues contre la vie d’un individu placé sous sa juridiction pour la simple raison que cet individu n’est pas prisonnier ou détenu viderait de leur substance les garanties du Pacte.

7.2 En l’espèce, M. Jiménez Vaca était objectivement fondé à attendre de l’État partie qu’il prévoie des mesures de protection pour garantir sa sécurité étant donné les menaces qu’il avait reçues. Le Comité prend note des observations de l’État partie qui sont consignées dans le paragraphe 5.1, mais relève que ce dernier ne mentionne pas la plainte que l’auteur affirme avoir déposée auprès du service du Procureur régional de la municipalité de Turbo et ne présente aucun argument pour prouver que le processus qualifié de «chantage» n’a pas été déclenché à la suite de la plainte déposée par l’auteur pour menaces de mort devant la deuxième juridiction pénale de la circonscription de Turbo. De surcroît, le Comité ne peut pas ne pas relever que l’État ne dément pas non plus l’auteur lorsque celui ‑ci affirme n’avoir reçu aucune réponse à sa demande d’enquête sur ces menaces et de mesure pour garantir sa protection. L’auteur a été victime d’un attentat après ces menaces, ce qui confirme que l’État partie n’a pas adopté ou n’a pas été capable d’adopter des mesures suffisantes pour garantir le droit à la sécurité de la personne, qui est reconnu à M. Asdrúbal Jiménez au paragraphe 1 de l’article 9.

7.3 En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles il y aurait eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 pour le simple fait que l’attentat dont il a fait l’objet constitue une violation du droit à la vie et de ne pas en être privé arbitrairement, le Comité fait observer que l’article 6 du Pacte établit que l’État partie a l’obligation de protéger le droit à la vie de toute personne qui se trouve sur son territoire et est soumise à sa juridiction. En l’espèce, l’État partie n’a pas démenti les affirmations de l’auteur selon lesquelles les menaces et les actes de harcèlement qui ont abouti à l’attentat contre sa vie ont été commis par des agents de l’État et il n’a pas non plus mené une quelconque enquête en vue d’identifier des responsables. Étant donné les circonstances de l’affaire, le Comité estime qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.4 En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles il y aurait eu violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 12 du Pacte, le Comité prend note des observations de l’État partie dans lesquelles ce dernier explique que la violation d’autres droits tels que celui de circuler librement ne peut être imputée à l’État puisqu’il s’agit de faits qui ont résulté indirectement d’actes violents. Cependant, étant donné que le Comité a conclu qu’il y a eu violation du droit à la sécurité personnelle de l’auteur (par. 1 de l’article 9) et estimé que le droit interne n’offrait pas des voies de recours utiles susceptibles de permettre à l’auteur de rentrer dans son pays de son exil forcé dans des conditions de sécurité, le Comité estime que l’État partie n’a pas garanti le droit de l’auteur de demeurer dans son propre pays, d’y retourner et d’y résider. Il y a donc eu violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 12 du Pacte, violation qui a forcément des incidences négatives sur la jouissance par l’auteur d’autres droits garantis par le Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, et des paragraphes 1 et 4 de l’article 12.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à M. Luis Asdrúbal Jiménez Vaca un recours utile, y compris une réparation pour le préjudice subi, et d’adopter des mesures efficaces pour protéger sa sécurité et sa vie d’une manière qui lui permette de retourner dans le pays. Le Comité engage l’État partie à mener à bien des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur l’attentat et à faire diligenter une action pénale engagée contre les responsables. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il prie l’État partie de rendre la présente décision publique.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

X. Communication n o  865/1999, Marín Gómez c. Espagne (constatations adoptées le 22 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Alejandro Marín Gómez (représenté par un avocat, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

20 juillet 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte internati o nal relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  865/1999 présentée par M. Alejandro Marín Gómez en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 20 juillet 1998, est M. Alejandro Marín Gómez, citoyen espagnol, qui se dit victime de violations par l’Espagne de l’article 14 (par. 1), de l’article 25 (alinéa  c ), et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat .

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été incorporé dans la Garde civile le 1 er  mars 1981, à l’âge de 19 ans 1 , et il est resté en activité dans ce corps jusqu’au 15 novembre 1990, où il est passé en situation de «réserve active» pour cause de perte d’aptitudes psychophysiques 2 . Le 15 novembre 1994, après une période de quatre ans dans la réserve active, le tribunal médical militaire de zone a rendu un avis dans lequel il a été reconnu à l’unanimité que l’auteur était apte au service actif 3 .

2.2 Le Ministère de la défense, dans sa décision du 28 avril 1995, a rejeté la demande de réintégration dans le service actif présentée par l’auteur en février 1995, arguant que «la disposition transitoire mentionnée qui permet le retour au service actif ne s’applique pas à l’intéressé, puisque celui ‑ci a été placé en situation de réserve active non pas pour le motif prévu à l’alinéa  a du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi n o  20/1981 4 , mais pour cause d’insuffisance psychophysique, conformément à l’alinéa  d du paragraphe 1 dudit article».

2.3 L’auteur a formé un recours administratif contre la décision du Ministère de la défense en date du 28 avril 1995, mais la cinquième section de contentieux administratif de la Audiencia Nacional (juridiction nationale) a rendu le 28 février 1997 une décision confirmant la décision du Ministère de la défense. Cette décision était fondée sur le fait que le refus de réintégrer dans le service actif les personnes qui étaient en situation de réserve active pour cause de perte de conditions physiques qui auraient été récupérées ultérieurement, à la différence de l’acceptation de la réintégration dans le service actif des personnes placées en situation de réserve pour raison d’âge, n’implique pas une violation du droit à l’égalité d’accès à la fonction publique. La juridiction nationale a conclu qu’il s’agissait de deux cas différents et que, de ce fait, il n’y avait pas de discrimination.

2.4 L’auteur a formé un recours en amparo qui a été rejeté par la Cour constitutionnelle le 3 novembre 1997, pour le motif que la décision contestée ne dérogeait pas au principe de l’égalité dans la mesure où il s’agissait de situations distinctes avec des critères eux aussi distincts.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur considère qu’il y a violation des droits énoncés à l’article 25, alinéa  c , et à l’article 26 du Pacte dans la mesure où il lui est refusé de reprendre son activité de garde civil quand bien même il a été déclaré rétabli par un tribunal médical de la maladie ayant motivé son transfert dans la réserve, puisqu’une telle réincorporation est possible pour les gardes civils placés dans la réserve active pour raison d’âge. À cet égard, l’auteur soutient que la deuxième disposition transitoire de la loi n o  28/1994 5 crée une situation de discrimination et qu’elle restreint le droit d’accès à la fonction publique de la Garde civile, fonction qui doit pouvoir être exercée dans des conditions d’égalité.

3.2 Selon l’auteur, il est contraire au paragraphe 1 de l’article 14 et à l’article 26 du Pacte de lui avoir refusé, lorsqu’il a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, la possibilité de comparaître sans représentant légal ( procurador 6 ), étant donné qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 81 de la loi organique de la Cour, les licenciés en droit ont la possibilité de comparaître dans les procédures de recours en amparo sans se prévaloir des services d’un  procurador alors que les personnes non licenciées en droit doivent comparaître avec un  procurador .

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4. Dans ses observations du 19 juin 1999, l’État partie conteste la recevabilité de la présente communication en se fondant sur le fait que l’auteur a toujours été assisté par un avocat et un  procurador et qu’il ne s’est jamais plaint d’être victime d’une quelconque violation. En conséquence, l’auteur ne peut pas affirmer être victime d’une violation puisqu’il n’a pas formulé de telle allégation devant la Cour constitutionnelle.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1 Dans ses commentaires du 1 er  septembre 1999, l’auteur répond aux observations de l’État partie sur la recevabilité et déclare que, le 3 avril 1997, il a demandé à la Cour constitutionnelle d’être dispensé de l’utilisation des services d’un procurador , en invoquant le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et l’article 14 de la Constitution espagnole.

5.2 La Cour constitutionnelle a rejeté cette requête le 21 avril 1997, avertissant l’auteur que s’il ne comparaissait pas avec un procurador dans un délai de 10 jours, «le présent recours serait jugé irrecevable et classé».

Observations de l’État partie sur le fond

6.1 Dans ses observations du 5 octobre 1999, l’État partie soutient, en ce qui concerne la violation supposée de l’article 25, alinéa  c , que comme l’auteur a accédé à la Garde civile en tant que fonctionnaire et qu’il touche les rétributions correspondantes en tant qu’officier de la Garde civile, il est évident qu’il n’a pas été empêché d’accéder à la fonction publique. L’État partie considère que l’auteur confond «l’accès à la fonction publique», droit garanti à l’alinéa  c de l’article 25 du Pacte, et le passage d’une situation administrative à une autre à l’intérieur de la fonction publique, domaine non couvert par le Pacte. En conclusion, le problème soulevé par l’auteur n’est pas celui de l’accès à la fonction publique, mais celui du passage d’une situation administrative à une autre à l’intérieur de la fonction publique.

6.2 En ce qui concerne les allégations au titre de l’article 26 du Pacte, l’État partie conteste le fait que, selon l’auteur, le passage à la situation de service actif est admis en cas d’incorporation dans la réserve pour raison d’âge, mais non pour cause de maladie. L’État partie dit que l’auteur a confondu les règles juridiques et il explique que la réserve active, créée par la loi n° 20/1981, a été supprimée avec la promulgation de la loi n° 28 du 18 octobre 1994, dont la septième disposition transitoire stipule que «le personnel de la Garde civile qui se trouve en situation de réserve active passera à la situation de réserve». Mais le passage de la situation de réserve à la situation de service actif est exclu 7 .

6.3 La loi n° 20/1994 est entrée en vigueur le 20 janvier 1995. Selon l’État partie, l’auteur a été déclaré apte au service actif le 15 novembre 1994 et l’accord du tribunal médical lui a été notifié le 15 décembre 1994. Jusqu’au 20 janvier 1995, l’auteur était encore en situation de réserve active et pouvait demander son retour au service actif. Or, il n’a demandé son retour au service actif que le 23 février 1995, alors qu’il se trouvait en situation de réserve puisqu’il était assujetti aux dispositions mentionnées au paragraphe précédent.

6.4 Cette interdiction du passage de la réserve au service actif a souffert une exception temporaire que, selon l’État partie, l’auteur omet. En effet, conformément à la loi n° 20/1981, un garde civil pouvait passer à la réserve active, entre autres raisons pour cause d’âge ou de maladie. De par la loi n° 28/1994, la réserve active a été transformée en réserve, un garde civil pouvant passer à la situation de réserve pour cause soit d’âge soit de maladie, entre autres. Toutefois, l’auteur omet le fait que la loi n° 28/1994, outre qu’elle a remplacé la réserve active par la réserve, a porté à 56 ans 8 l’âge prévu pour le passage à la situation de réserve. Ce report de l’âge prévu pour le passage dans la réserve ne concerne que les personnes ayant accédé, ou pensant accéder, pour raison d’âge à la réserve active, qui a été supprimée.

6.5 L’État partie conclut que la loi ne fait pas de discrimination entre les gardes civils placés dans la réserve pour cause de maladie ou pour raison d’âge, mais remplace la réserve active par la réserve et recule l’âge prévu pour accéder à la réserve. Ce report de la limite d’âge de 50 à 56 ans affecte, en outre, tous les gardes qui sont passés, ou pensaient passer, dans la réserve à l’âge de 50 ans. La loi prévoit pour cela un délai d’un mois, qui vaut pour demander aussi bien le passage dans la réserve avant l’âge de 56 ans qu’une réintégration dans le service actif des personnes placées dans la réserve à 50 ans, âge que la loi porte à 56 ans.

Commentaires de l’auteur sur le fond

7.1 Dans ses commentaires du 28 janvier 2000, l’auteur répond aux allégations de l’État partie quant au fond et réaffirme, en relation avec l’alinéa  c de l’article 25 du Pacte, que bien que placé dans la réserve active il a été empêché d’exercer les fonctions propres à un garde civil. L’auteur insiste également sur le fait que l’argument invoqué par le Ministère de la défense est de nature clairement discriminatoire, en ce sens que si l’auteur était dans la réserve active pour raison d’âge il pourrait être réintégré dans le service actif, alors que, du fait qu’il a été admis dans la réserve active pour cause de maladie et bien qu’il n’ait pas 50 ans, il n’a pas cette possibilité.

7.2 En ce qui concerne l’article 26, l’auteur précise que dans la décision du Ministère de la défense il est fait référence à la deuxième disposition transitoire de la loi n° 28/1994; il ajoute que la disposition en question ne s’applique pas à lui parce qu’il est passé à la situation de réserve active non pour raison d’âge mais pour cause d’insuffisances psychophysiques, comme dit au paragraphe 2.2. L’auteur considère, par conséquent, que la disposition transitoire en question est discriminatoire puisque la différence de traitement n’est pas fondée sur des motifs raisonnables.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête et de règlement.

8.3 Le Comité prend note des observations de l’État partie sur la recevabilité, faisant valoir que l’auteur n’a jamais contesté devant les tribunaux nationaux la nécessité du procurador . Toutefois, le Comité considère que, du fait que l’auteur a demandé à la Cour constitutionnelle d’être dispensé de l’utilisation d’un procurador , l’auteur a effectivement épuisé ce recours.

8.4 En ce qui concerne les allégations de violation des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte au motif que l’auteur n’aurait pas eu la possibilité de comparaître devant la Cour constitutionnelle sans procurador , le Comité considère que les informations fournies par l’auteur ne font pas apparaître une situation qui relève du champ d’application desdits articles. L’auteur soutient qu’il existe une discrimination du fait qu’il n’est pas exigé des licenciés en droit qu’ils comparaissent devant la Cour constitutionnelle par l’intermédiaire d’un procurador , alors que les personnes qui ne sont pas licenciées en droit doivent satisfaire à cette exigence. Se référant à sa jurisprudence 9 , le Comité rappelle que, comme la Cour constitutionnelle elle-même l’a fait valoir, un procurador est exigé parce qu’il est nécessaire qu’une personne connaissant le droit soit chargée de la présentation du recours devant cette instance. Quant aux allégations de l’auteur suivant lesquelles cette exigence n’est pas fondée sur des critères objectifs et raisonnables, le Comité considère que les allégations en question n’ont pas été dûment justifiées aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5 Le Comité déclare que le reste de la communication est recevable et passe à l’examen quant au fond.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication compte tenu des informations fournies par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que l’auteur a été déclaré apte au service actif le 15 novembre 1994 et que l’accord des autorités médicales lui a été notifié le 15 décembre. Toutefois, l’auteur n’a pas demandé son transfert au service actif à ce moment ‑là. Le Comité note que la nouvelle loi n o  20/1994 est entrée en vigueur le 20 janvier 1995 et qu’en vertu de cette loi la catégorie de «réserve active» a été supprimée, la seule catégorie subsistant étant celle de la «réserve», ce qui, conformément à l’article 103 de la loi n o  17/1989, ne permet pas aux militaires en situation de réserve à passer au service actif. Le Comité note que l’auteur a été touché par la loi n o  20/1994 uniquement dans la mesure où, à compter du 20 janvier 1995, il n’a plus pu demander à être transféré au service actif. Il note par ailleurs que l’auteur ne s’étant pas prévalu de la possibilité de demander un transfert au service actif avant le 20 janvier 1995, la situation qui en a résulté ne peut être imputable qu’à ce dernier et non pas à l’État partie. Le Comité note l’argument de l’auteur qui affirme que la loi n o  20/1994 est discriminatoire car elle n’autorise le retour au service actif que des seules personnes qui ont été placées dans la réserve en raison de leur âge; toutefois, il considère que ladite loi n’est pas discriminatoire car elle se limite à porter l’âge de la retraite à 56 ans et elle autorise les personnes qui sont passées dans la réserve active du fait qu’elles avaient atteint l’âge de 50 ans à demander leur réintégration dans le service actif, conformément aux dispositions prévues dans la loi et, ensuite, à invoquer les nouvelles dispositions en matière d’âge pour passer dans la réserve. En conséquence, le Comité estime que les faits invoqués par l’auteur ne font pas apparaître de violation de l’article 26 du Pacte.

9.3 Le Comité estime, pour les mêmes raisons exposées au paragraphe précédent, qu’il n’y a pas eu en l’espèce de violation du droit à l’égalité dans l’accès à la fonction publique énoncé à l’article 25 c) du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu des dispositions du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’Espagne d’un article du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Christine Chanet (dissidente)

Je ne souscris pas à la décision du Comité telle qu’elle résulte de la motivation indiquée au paragraphe 8.4.

Le privilège octroyé aux titulaires de diplômes de droit par la procédure civile espagnole qui les dispense de prendre un mandataire pour ester en justice soulève à mon sens, prima facie , des questions au regard des articles 2, 14 et 26 du Pacte.

Il se peut que l’État partie avance des arguments convaincants justifiant le caractère raisonnable du critère choisi, aussi bien dans son principe que dans son application.

Seul un examen de l’affaire sur le fond aurait apporté des réponses indispensables à l’examen sérieux du cas.

( Signé ) Christine Chanet

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Y. Communication n o  899/1999, Francis et consorts c. Trinité-et-Tobago (constatations adoptées le 25 juillet 2002, soixante ‑quinzième session) *

Présentée par :

M. Glenroy Francis et consorts (représentés par M e  Saul Lehrfreund, avocat)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

14 mai 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  899/1999, présentée par M. Glenroy Francis, M. Neville Glaude et M. Keith George en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 29 mai 1997, sont MM. Glenroy Francis, Neville Glaude et Keith George, qui purgent actuellement une peine de 75 ans d’emprisonnement dans une prison d’État. Ils se déclarent victimes de violation ,

par la Trinité ‑et ‑Tobago 1 , du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 MM. Francis, Glaude et George ont été arrêtés les 24 juillet 1986, 23 juillet 1986 et 24 mai 1987 respectivement en tant que suspects dans le meurtre commis le 19 juillet 1986 d’un dénommé Ramesh Harriral. Jusqu’à leur procès en novembre 1990, les auteurs sont restés en détention provisoire à la prison de Golden Grove à Arouca, où ils ont partagé avec 8 à 15 autres prisonniers une cellule faisant à peine 3 m x 2 m.

2.2 Après avoir été détenus pendant quatre ans et trois mois dans le cas de MM. Francis et Glaude, et trois ans et cinq mois dans celui de M. George, les auteurs ont été jugés entre le 6 et le 30 novembre 1990, reconnus coupables du chef d’accusation de meurtre par tous les membres du jury, et condamnés à mort. Depuis leur condamnation le 30 novembre 1990 jusqu’à ce que leur peine soit commuée le 3 mars 1997, les auteurs ont été détenus dans le quartier des condamnés à mort à la prison de Port of Spain, à Trinité. Ils ont été détenus dans une cellule d’isolement d’à peine 3 m x 2 m, équipée d’un sommier en fer, d’un matelas, d’une chaise et d’une table .

2.3 Il n’y avait aucune installation sanitaire dans la cellule, mais un seau en plastique qui servait de tinette. La seule ouverture était un petit trou d’aération d’environ 20 cm 2 , nettement insuffisant pour la ventilation. La lumière provenait exclusivement d’un néon allumé 24 heures sur 24, qui était situé à l’extérieur au ‑dessus de la porte de la cellule. Les auteurs, qui étaient enfermés toute la journée, ne pouvaient quitter leur cellule que pour aller chercher leur ration alimentaire, se laver et vider le contenu de leur seau en plastique. Ils ne pouvaient faire des exercices physiques à l’extérieur de leur cellule qu’environ une fois par mois et devaient alors toujours porter des menottes. Ils n’étaient autorisés à avoir qu’un nombre limité d’objets personnels, à l’exclusion des radios, et n’avaient que très rarement la possibilité d’avoir de quoi lire et de quoi écrire. M. Francis a en outre déclaré qu’il n’avait pas eu le droit de consulter le règlement de la prison, qu’il n’avait pas été autorisé à écrire au Ministre de la sécurité nationale pour se plaindre de ses conditions de détention, que les visites des médecins étaient irrégulières et que des lettres adressées aux membres de sa famille avaient été interceptées et ne leur avaient pas été envoyées, sans aucune explication. M. Glaude a aussi affirmé que, du fait de la mauvaise qualité de la nourriture, il avait perdu beaucoup de poids et qu’aucun médicament ne lui avait été fourni.

2.4 Le 10 octobre 1994, les auteurs ont déposé une demande d’autorisation de former un recours contre leur condamnation devant la cour d’appel de la Trinité ‑et ‑Tobago. Celle ‑ci l’a rejetée le 13 mars 1995. Le 14 novembre 1996, la Section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande d’autorisation spéciale de former un recours des auteurs en tant qu’indigents. Le 3 mars 1997, la peine de mort des auteurs a été commuée en une peine de 75 ans d’emprisonnement.

2.5 Depuis ce moment ‑là, les auteurs sont détenus à la prison de Port of Spain, où ils sont maintenus en permanence dans une cellule d’à peine 3 m x 2 m, avec 9 à 12 codétenus. Ce surpeuplement serait à l’origine d’affrontements violents entre détenus. La cellule étant équipée d’un unique lit, les auteurs dorment à même le sol. Le seau en plastique qui sert de tinette pour tous les détenus est vidé une fois par jour, ce qui fait que de temps en temps il déborde et que son contenu se répand sur le sol. La lucarne de 60 cm 2 munie de barreaux, qui est la seule source d’aération, est insuffisante. Les détenus restent enfermés environ 23 heures par jour dans leur cellule, sans la moindre possibilité d’étudier, de travailler ou de lire. Le local qui sert de cuisine se trouvant à environ 2 mètres de l’endroit où les prisonniers vident leur tinette, il y a un risque sanitaire évident. Selon les auteurs, la quantité et la qualité de la nourriture ne permettent pas de répondre à leurs besoins, et les mécanismes de plaintes des détenus sont insuffisants.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs se plaignent essentiellement de retard excessif dans la procédure judiciaire et des conditions d’incarcération qu’ils endurent depuis leur arrestation.

3.2 Pour ce qui est du premier grief, les auteurs font valoir qu’il y a eu violation des droits que leur reconnaissent le paragraphe 3 de l’article 9 et le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte parce qu’il s’est écoulé quatre ans et trois mois avant que MM. Francis et Glaude passent en jugement, et trois ans et cinq mois avant que M. George soit traduit en justice, c’est ‑à ‑dire entre leur arrestation les 19 juillet 1986, 23 juillet 1986 et 24 mai 1987, et l’ouverture de leur procès le 6 novembre 1990. En conséquence, ils soutiennent que ce retard est excessif.

3.3 Les auteurs citent les constatations du Comité dans les affaires Celiberti de Casariego c.  Uruguay, Millan Sequeira c.  Uruguay et Pinkney c.  Canada , dans lesquelles le Comité a estimé que des durées avant jugement comparables constituaient une violation du Pacte. Rappelant l’affaire Pratt et Morgan c.  Attorney General de la Jamaïque , les auteurs font valoir que l’État a la responsabilité d’éviter une telle lenteur dans la justice pénale et que dans leur cas il y avait une responsabilité certaine. Ils soutiennent que la longueur de la procédure est d’autant plus grave que la police n’avait que peu d’enquêtes à mener puisque les éléments de preuve à charge reposaient simplement sur la déposition directe d’un témoin oculaire, les déclarations qu’ils ont faites à la police et des expertises médico ‑légales consistant dans des rapports d’analyse dont les dates s’échelonnent entre le 24 juillet et le 12 août 1986.

3.4 Les auteurs se plaignent également de violations des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte en raison des quatre années et plus de trois mois qui se sont écoulés avant que la cour d’appel ait examiné et rejeté leur demande de recours, ce qu’ils qualifient de délai déraisonnable. Les auteurs citent diverses affaires où le Comité a estimé que des durées comparables (et même plus courtes) étaient incompatibles avec le Pacte . Les auteurs affirment que, pour évaluer si la longueur de la procédure a été raisonnable, il faut tenir compte du fait qu’ils étaient condamnés à mort et étaient incarcérés dans des conditions inacceptables.

3.5 La deuxième partie de la plainte porte sur les conditions dans lesquelles les auteurs ont été incarcérés après leur condamnation, et dans lesquelles ils se trouvent actuellement, maintenant que la peine a été commuée, et qui sont décrites plus haut. D’après les auteurs, ces conditions de détention ont été condamnées à maintes reprises par des organisations internationales de défense des droits de l’homme qui les ont considérées comme incompatibles avec les normes de protection minimales internationalement reconnues . Les auteurs ajoutent que, depuis que leur peine a été commuée, ils restent incarcérés dans des conditions manifestement contraires à diverses règles pénitentiaires nationales et à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus .

3.6 En se fondant sur les Observations générales n os  7 et 9 du Comité, relatives à l’article 7 et à l’article 10, et sur plusieurs affaires dans lesquelles le Comité a considéré que les conditions de détention constituaient une violation du Pacte , les auteurs font valoir que les conditions dans lesquelles ils ont été incarcérés à chaque stade de la procédure enfreignaient les normes minimales intangibles en matière de conditions de détention (minimum que les États parties doivent assurer quel que soit leur niveau de développement) et constituent donc une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Les auteurs se réfèrent plus particulièrement à l’affaire Estrella  c.  Uruguay , dans laquelle, pour déterminer si l’intéressé était victime d’un traitement inhumain dans la prison Libertad, le Comité s’était fondé en partie sur d’autres communications qu’il avait examinées et qui confirmaient que dans cette prison «les détenus sont systématiquement soumis à de mauvais traitements». Dans l’affaire Neptune c.  Trinité ‑et ‑Tobago , le Comité avait estimé que les conditions − très semblables à celles qui sont décrites dans la présente affaire − étaient incompatibles avec le paragraphe 1 de l’article 10, et avait demandé à l’État partie de prendre des mesures pour améliorer les conditions générales de détention, de façon à éviter que de pareilles violations ne se produisent à l’avenir. Pour étayer leurs arguments concernant la violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, les auteurs renvoient à diverses décisions de la jurisprudence internationale établissant que des conditions de détention excessivement dures constituent un traitement inhumain .

3.7 Enfin, les auteurs font valoir qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, parce qu’ils sont privés du droit de soulever les questions susmentionnées devant les tribunaux. Ils soutiennent que le droit de présenter une requête constitutionnelle n’est pas un recours utile dans leur cas, en raison du coût prohibitif de la procédure qu’il faut engager devant la juridiction supérieure pour obtenir réparation constitutionnelle, de l’absence d’aide juridictionnelle pour le dépôt des requêtes constitutionnelles, et du manque notoire d’avocats trinidadiens qui acceptent de représenter gratuitement les condamnés qui veulent former ce recours. Les auteurs citent l’affaire Champagnie et consorts  c.  Jamaïque , dans laquelle le Comité a estimé qu’en l’absence d’aide juridictionnelle une requête constitutionnelle n’était pas un recours utile pour l’auteur de la communication, qui était dans l’indigence. Les auteurs citent des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme pour montrer que l’exercice effectif du droit d’accès aux tribunaux peut exiger que l’aide juridictionnelle soit assurée aux indigents. Les auteurs font valoir que l’aide est d’autant plus nécessaire dans le cas d’une condamnation à mort, et donc que l’absence d’aide juridictionnelle pour déposer la requête constitutionnelle constitue en soi une violation du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4. Nonobstant la demande adressée à l’État partie par une note verbale du 30 novembre 1999, et les rappels envoyés par le secrétariat les 18 décembre 2001, 26 février 2001 et 10 octobre 2001, l’État partie n’a présenté aucune observation sur la recevabilité et/ou sur le fond de l’affaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, et que les recours internes disponibles ont été épuisés au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’absence de toute information communiquée par l’État partie, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par les auteurs sont suffisants pour étayer ces plaintes, aux fins de la recevabilité.

5.3 Par conséquent, le Comité conclut que la communication est recevable, et procède à un examen du fond à la lumière de tous les renseignements portés à sa connaissance par les auteurs, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité constate avec préoccupation l’absence de toute coopération de la part de l’État partie, tant en ce qui concerne la recevabilité que le fond des allégations formulées par les auteurs. Il ressort implicitement de l’article 91 du règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie au Pacte doit examiner de bonne foi toutes les allégations concernant des violations du Pacte formulées contre lui et qu’il doit fournir au Comité par écrit des explications ou des éclaircissements sur la question et indiquer les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont été étayées.

Examen quant au fond

5.4 Pour ce qui est de la durée excessive de la période qui s’est écoulée avant le procès, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, «une personne inculpée d’un crime grave, homicide ou meurtre par exemple, à qui la libération sous caution a été refusée par le tribunal, doit être jugée aussi rapidement que possible» . En l’espèce, où les preuves directes étaient claires et ne nécessitaient apparemment de la part de la police que des investigations limitées, le Comité considère qu’il faut invoquer des motifs très exceptionnels pour justifier des détentions avant jugement de quatre ans et trois mois, et de trois ans et cinq mois, respectivement. L’État partie n’ayant avancé aucune raison pour justifier ces retards, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 3 de l’article 9 et au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte ont été violés.

5.5 Pour ce qui est de l’intervalle de quatre ans et trois mois écoulé entre la condamnation et le jugement en appel, le Comité note que les auteurs ont déposé leur demande d’autorisation de recours en novembre 1994, et que la Cour l’a rejetée quelque cinq mois après, en mars 1995. Les auteurs n’ayant pas avancé d’argument permettant de penser que le retard pris sous le dépôt du recours pourrait être imputé à l’État partie, le Comité n’est pas en mesure de conclure une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

5.6 Pour ce qui est de la plainte des auteurs relative aux conditions de détention à chacun des stades de leur incarcération, qui constitueraient une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, à défaut de réponse de l’État partie aux allégations des auteurs relatives à leurs conditions de détention le Comité se doit d’accorder le crédit voulu à celles ‑ci puisqu’elles n’ont pas été dûment réfutées. Le Comité considère que les conditions de détention telles qu’elles sont décrites représentent une violation du droit des auteurs d’être traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion touchant l’article 10, disposition du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées de liberté et englobe, s’agissant de ces personnes, les éléments énoncés à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relevant de l’article 7 du Pacte.

5.7 En ce qui concerne les griefs formulés au titre du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, les auteurs affirmant qu’ils se sont vu refuser le droit d’accès aux tribunaux pour les exposer, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur ce point compte tenu des conclusions ci ‑dessus.

6. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

7. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. Étant donné que les auteurs ont été incarcérés pendant de longues années dans des conditions déplorables qui sont contraires aux dispositions de l’article 10 du Pacte, l’État partie devrait envisager de les libérer. En tout état de cause, l’État partie devrait améliorer sans tarder les conditions de détention dans ses prisons, afin qu’elles soient conformes à l’article 10 du Pacte.

8. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Trinité ‑et ‑Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet − 27 juin 2000 −; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui ‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle (en partie dissidente) de M. Hipólito Solari Yrigoyen, membre du Comité

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate. Étant donné que les auteurs ont été incarcérés pendant de longues années dans des conditions déplorables qui sont contraires aux dispositions de l’article 10 du Pacte, l’État partie devrait les libérer. En tout état de cause, l’État partie devrait améliorer sans tarder les conditions de détention dans ses prisons, afin qu’elles soient conformes à l’article 10 du Pacte.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Z. Communication n o 902/1999 Joslin c. Nouvelle-Zélande (constatations adoptées le 17 juillet 202, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M me  Juliet Joslin et consorts, (représentée par M. Nigel C. Christie, conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Nouvelle ‑Zélande

Date de la communication :

30 novembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  902/1999 présentée par M me  Juliet Joslin et consorts, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication sont Juliet Joslin, Jennifer Rowan, Margaret Pearl et Lindsay Zelf, toutes de nationalité néo ‑zélandaise, nées respectivement le 24 octobre 1950, le 27 septembre 1949, le 16 novembre 1950 et le 11 septembre 1951. Les auteurs se déclarent victimes de violations par la Nouvelle ‑Zélande de l’article 16; de l’article 17, lu à la fois individuellement et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2; du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2; du paragraphe 2 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2; et de l’article 26. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Juliet Joslin et Jennifer Rowan ont entamé une relation lesbienne en janvier 1988. Depuis lors, elles assument conjointement la responsabilité de leurs enfants nés de mariages précédents. En vivant ensemble, elles ont mis leurs finances en commun et sont conjointement propriétaires du logement qu’elles occupent. Elles entretiennent des relations sexuelles. Le 4 décembre 1995, elles ont fait au bureau de l’état civil local, en vertu de la loi sur le mariage de 1955, une demande d’autorisation de mariage, en déposant un avis d’intention de mariage auprès de l’officier d’état civil. Le 14 décembre 1995, l’officier général adjoint d’état civil a rejeté leur demande.

2.2. De même, Lindsay Zelf et Margaret Pearl ont entamé une relation lesbienne en avril 1993. Elles partagent également les responsabilités à l’égard des enfants nés d’un mariage précédent, mettent en commun leurs ressources financières et entretiennent des relations sexuelles. Le 22 janvier 1996, le bureau de l’état civil local a refusé d’enregistrer un avis d’intention de mariage. Le 2 février 1996, Lindsay Zelf et Margaret Pearl ont déposé un avis d’intention de mariage auprès d’un autre bureau de l’état civil. Le 12 février 1996, l’officier général d’état civil les a informées qu’il n’était pas possible de donner suite à l’avis. Il a indiqué que l’officier d’état civil agissait conformément à la loi en interprétant la loi sur le mariage comme s’appliquant uniquement à l’union d’un homme et d’une femme.

2.3 Les quatre auteurs se sont ensuite adressées à la Haute Cour pour obtenir une déclaration selon laquelle, en tant que couples de lesbiennes, elles avaient légalement le droit d’obtenir une autorisation de mariage et de se marier conformément à la loi sur le mariage de 1955. Le 28 mai 1996, la Haute Cour a rejeté leur demande. Faisant observer notamment que le texte du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte «ne vise pas les mariages entre personnes de même sexe», la Cour a déclaré que le libellé officiel de la loi sur le mariage signifiait clairement que le mariage ne pouvait être contracté qu’entre un homme et une femme.

2.4 Le 17 décembre 1997, une assemblée générale des magistrats de la Cour d’appel a rejeté la requête des auteurs. La Cour a déclaré à l’unanimité que la loi sur le mariage, dans son libellé, s’appliquait clairement au mariage entre un homme et une femme uniquement. La majorité de la Cour a déclaré en outre que le fait que la loi sur le mariage s’applique uniquement au mariage entre un homme et une femme ne constituait pas une discrimination. Le juge Keith, exposant en détail les opinions de la majorité, n’a trouvé dans l’esprit et le texte du Pacte, dans la jurisprudence du Comité, dans les travaux préparatoires ou les ouvrages de recherche , aucun fondement permettant d’affirmer que le fait de limiter le mariage à l’union d’un homme et d’une femme constituait une violation du Pacte.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs dénoncent une violation de l’article 26, affirmant que le fait que la loi sur le mariage ne prévoit pas le mariage homosexuel constitue à leur égard une discrimination directe fondée sur le sexe et une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle. Elles déclarent que leur impossibilité de se marier entraîne pour elles «de réelles incidences néfastes» à plusieurs égards: elles sont privées de la possibilité de se marier, alors que le mariage est un droit civil fondamental, et ne peuvent pas être membres à part entière de la société; leurs relations sont stigmatisées, et leur sentiment d’estime d’elles ‑mêmes peut en souffrir; elles n’ont pas non plus la possibilité de choisir de se marier ou non, comme les couples hétérosexuels.

3.2 Les auteurs affirment que la différence de traitement énoncée dans la loi sur le mariage ne peut être justifiée par aucun des divers motifs que l’État peut invoquer. Ces motifs sont que le mariage est centré sur la procréation et que les homosexuels ne peuvent pas procréer; que la reconnaissance du mariage homosexuel serait l’acceptation d’un «mode de vie» particulier; que le mariage est conforme à la moralité publique; que le mariage est une institution de longue date; qu’il existe d’autres formes d’arrangements contractuels/privés; que l’élargissement de l’institution actuelle du mariage ouvrirait la voie à des dangers incontrôlables; que le mariage offre la meilleure disposition d’esprit pour élever des enfants; et que la décision démocratique du Parlement doit être respectée.

3.3 Pour contester ces justifications avancées, les auteurs notent tout d’abord que la procréation n’est pas au cœur du mariage, et que la condition d’avoir l’intention de procréer n’est pas requise dans la loi néo ‑zélandaise sur le mariage. En tout état de cause, les lesbiennes peuvent procréer en ayant recours aux techniques de reproduction, et l’autorisation des mariages homosexuels n’influerait pas sur la capacité de procréation des hétérosexuels. Deuxièmement, il n’existe aucun «mode de vie» homosexuel. Quoi qu’il en soit, la loi sur le mariage ne sanctionne pas de modes de vie particuliers, et rien ne prouve qu’un hypothétique mode de vie homosexuel comporterait des éléments justifiant l’impossibilité de contracter mariage. Troisièmement, conformément aux «Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui autorisent des restrictions ou des dérogations» , aucune discrimination contraire au Pacte ne peut être justifiée au nom de la moralité publique. À cet égard, selon les auteurs, la moralité publique en Nouvelle ‑Zélande ne va pas nécessairement dans le sens de l’exclusion des homosexuels de l’institution du mariage.

3.4 Quatrièmement, la longue existence d’une institution ou la tradition ne peuvent justifier la discrimination. De plus, les recherches des historiens indiquent que diverses sociétés de différentes régions du monde ont, à des époques variées, reconnu les unions homosexuelles . Cinquièmement, si les homosexuels devaient conclure des arrangements contractuels ou d’autres arrangements privés pour pouvoir bénéficier des avantages découlant du mariage, les hétérosexuels devraient être tenus de supporter les mêmes coûts. Toutefois, en Nouvelle ‑Zélande, les arrangements contractuels n’entraîneraient pas les pleins avantages découlant du mariage. Sixièmement, l’autorisation des mariages homosexuels ne signifierait aucunement que les mariages polygames ou incestueux devraient être également autorisés. Il y a d’autres raisons de ne pas autoriser de tels mariages, qui n’existent pas dans le cas des mariages homosexuels. Septièmement, les auteurs déclarent que les recherches en sciences sociales effectuées en Amérique du Nord ont prouvé que les effets de l’éducation des enfants par des parents homosexuels ne diffèrent pas sensiblement des effets de l’éducation par des parents hétérosexuels, y compris dans le domaine de l’identité sexuelle et de l’épanouissement mental et affectif . En tout état de cause, il existe déjà, comme dans le cas des auteurs, des couples homosexuels qui élèvent des enfants. Enfin, les auteurs soutiennent qu’il n’y a pas lieu d’en déférer à la volonté démocratique, telle qu’elle est exprimée par les autorités nationales, en particulier l’appareil législatif de l’État partie, car la question en cause porte sur les droits de l’homme .

3.5 Les auteurs se déclarent également victimes d’une violation de l’article 16. Elles déclarent que l’article 16 vise à reconnaître aux personnes leur droit d’affirmer leur dignité fondamentale, par le biais de leur reconnaissance en tant que sujets de droit à part entière, à la fois en tant qu’individus et en tant que membres d’un couple. En empêchant les auteurs d’avoir accès aux droits et avantages légaux découlant du mariage, y compris aux avantages prévus par la législation concernant l’adoption, la succession, la propriété matrimoniale, la protection de la famille et les éléments de preuve, la loi sur le mariage prive les auteurs de l’accès à une institution importante par laquelle les personnes accèdent à la personnalité juridique et exercent les droits qui s’y rattachent.

3.6 Les auteurs se déclarent en outre victimes d’une violation de l’article 17, lu individuellement ainsi que conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, en raison du fait que la restriction du droit de se marier aux seuls couples hétérosexuels constitue une violation des droits des auteurs à la vie privée et à la vie familiale. Les auteurs font valoir que leurs relations revêtent toutes les caractéristiques de la vie de famille , mais qu’elles sont néanmoins privées de la reconnaissance de leur situation civile par le mariage. L’État partie manque ainsi à son obligation de protéger la vie familiale. En outre, le non ‑respect public du choix fondamental de la personne de sa propre identité sexuelle et des partenariats qui en découlent constitue une atteinte au principe du respect de la vie privée, énoncé à l’article 17 . Cette ingérence est également arbitraire car elle résulte d’une discrimination fondée sur le parti pris et ne repose sur aucune justification pour les raisons indiquées ci ‑dessus.

3.7 Les auteurs se déclarent également victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Elles déclarent que leurs relations revêtent toutes les caractéristiques d’après lesquelles une famille hétérosexuelle est censée exister, le seul critère manquant étant la reconnaissance selon la loi. Les auteurs déclarent que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 supposent que l’existence des familles est reconnue de façon non discriminatoire, ce que ne prévoit pas la loi sur le mariage.

3.8 Enfin, les auteurs se déclarent victimes d’une violation du paragraphe 2 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Elles déclarent que le droit des hommes et des femmes de se marier doit être interprété à la lumière du paragraphe 1 de l’article 2, qui interdit les distinctions de tout ordre qu’elles soient. La loi sur le mariage établissant des distinctions interdites fondées sur le sexe, y compris sur l’orientation sexuelle , les droits des auteurs à cet égard ont été violés. Même si la Cour européenne a estimé que le droit correspondant énoncé dans la Convention européenne des droits de l’homme était restreint au mariage entre un homme et une femme , le Comité devrait adopter une interprétation plus large. De plus, l’analyse du texte du Pacte permet de conclure que l’expression «l’homme et la femme» figurant au paragraphe 2 de l’article 23 ne signifie pas que seuls des hommes peuvent se marier avec des femmes, mais plutôt que les hommes en tant que groupe et les femmes en tant que groupe peuvent se marier.

3.9 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs déclarent qu’il serait vain de faire appel auprès du conseil privé de la décision de la Cour d’appel car les tribunaux ne peuvent pas refuser d’appliquer les textes de lois d’application directe tels que la loi sur le mariage.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie rejette les arguments des auteurs qui affirment qu’il aurait été vain de former un recours auprès du conseil privé, faisant observer qu’il était loisible au conseil privé d’interpréter les termes de la loi sur le mariage comme autorisant le mariage entre lesbiennes. L’État partie note que les juridictions inférieures ont estimé que le sens du texte officiel de la loi était clair et qu’il n’existait ni contradiction avec la Charte des droits ni opposition avec le droit à la non ‑discrimination qui y était énoncé. La question posée devant les tribunaux locaux était celle de l’interprétation officielle et le conseil privé pouvait tout aussi bien en arriver à une conclusion contraire concernant le sens réel de la loi. L’État partie se refuse néanmoins expressément à tirer une conclusion quelconque quant à la recevabilité de la communication pour cette raison ou toute autre raison que ce soit.

4.2 Pour ce qui est du fond, l’État partie réfute les arguments des auteurs selon lesquels les États parties sont tenus en vertu du Pacte de permettre aux couples homosexuels de se marier, faisant observer que dans une telle éventualité, il faudrait donner une nouvelle définition d’une institution juridique protégée et définie dans le Pacte lui ‑même, ainsi que d’une institution reflétant les valeurs sociales et culturelles respectées dans l’État partie et conformes aux dispositions du Pacte. Dans la loi et la pratique, l’État partie protège les couples homosexuels et en reconnaît l’existence de diverses façons, mais cette reconnaissance par le biais de l’institution du mariage «dépasse largement les termes du Pacte». L’État partie souligne que si divers États parties ont institué certaines formes de reconnaissance officielle des couples homosexuels, aucun d’entre eux n’a encore autorisé le mariage d’homosexuels . Tant dans le Pacte que dans d’autres instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dans la législation néo ‑zélandaise, le mariage est conçu fondamentalement comme étant l’union d’un homme et d’une femme.

4.3 L’argument essentiel opposé par l’État partie est que, selon les termes du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte, le mariage est clairement considéré comme une institution concernant des personnes de sexe opposé. Le sens courant des termes «se marier» s’applique à des personnes de sexe opposé . Il y a lieu de noter que le droit fondamental énoncé au paragraphe 2 de l’article 23 est le seul droit protégé par le Pacte qui soit énoncé dans les termes sexospécifiques de «l’homme et la femme», tous les autres droits étant énoncés dans des termes neutres par rapport au sexe . Cette lecture contextuelle est renforcée par l’emploi, aux paragraphes 3 et 4 de l’article 23, du terme «époux», signifiant des personnes de sexe opposé unies dans le mariage. La pratique universelle et uniforme des États justifie ce point de vue: aucun État partie n’autorise les mariages homosexuels, et aucun État n’a non plus interprété le Pacte comme faisant obligation de l’autoriser et n’a en conséquence émis de réserve à ce sujet.

4.4 L’État partie fait observer que cette lecture du paragraphe 2 de l’article 23 est conforme aux conclusions des travaux préparatoires ayant précédé la rédaction du Pacte. L’article 23 a été inspiré directement de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui énonce, dans le seul libellé sexospécifique de la Déclaration, le droit de «l’homme et de la femme» de se marier. Les travaux préparatoires concernant la rédaction de l’article 23 contiennent également maintes références à «l’époux et l’épouse» . Cette interprétation

est également celle qui est reprise dans d’éminents ouvrages spécialisés et dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans lesquelles il a été conclu à maintes reprises que la disposition équivalente de la Convention européenne ne s’appliquait pas aux couples homosexuels .

4.5 L’État partie souligne que le libellé spécifique du paragraphe 2 de l’article 23, qui vise clairement les personnes de sexe différent, doit être pris en compte dans l’interprétation des autres droits invoqués énoncés dans le Pacte. Suivant le principe d’interprétation generalia specialisibus non derogant , signifiant que les dispositions générales ne doivent pas restreindre le sens de dispositions spécifiques, les termes particuliers employés au paragraphe 2 de l’article 23 excluent toute possibilité de tirer une interprétation contraire d’autres dispositions plus générales du Pacte.

4.6 Pour ce qui est de l’article 16, l’État partie déclare que ces dispositions garantissent un droit individuel. Il n’est pas possible d’interpréter l’article 16 comme faisant obligation de reconnaître des formes particulières de relations d’une manière donnée, car la personnalité juridique protégée par l’article 16 est celle de particuliers et non pas de couples ou de tous autres groupes sociaux. Tant les travaux préparatoires que les ouvrages savants confirment que l’article 16 vise à empêcher l’État de refuser aux particuliers la possibilité d’exercer et de faire valoir leurs droits selon la loi, plutôt qu’à garantir la capacité des particuliers d’entreprendre une action . En conséquence, l’article 16 ne peut pas être interprété comme ouvrant la possibilité d’acquérir des droits selon la loi, comme suite à l’obtention d’un statut juridique particulier ou d’entreprendre une action particulière consistant par exemple à contracter mariage.

4.7 Pour ce qui est de l’article 17, lu à la fois individuellement et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie renvoie à l’Observation générale n o  16 du Comité, selon laquelle l’article 17 protège l’expression de l’identité de toute personne contre «toutes ces immixtions et atteintes». Toutefois, les obligations énoncées dans la loi sur le mariage ne constituent pas une immixtion ou une atteinte à la vie familiale ou privée des auteurs, dont les droits sont protégés par la législation générale régissant la vie privée, les droits de l’homme et le droit de la famille. À la différence de la législation pénale faisant l’objet de l’affaire Toonen c.  Australie , la loi sur le mariage n’autorise pas d’immixtion dans les affaires personnelles, ni ne porte atteinte d’une autre façon à la vie privée ou familiale des auteurs et ne vise pas non plus les auteurs en tant que membres d’un groupe social. Les auteurs ne font l’objet d’aucune restriction pour ce qui est de l’expression de leur identité ou de leur choix d’une relation personnelle, mais demandent plutôt à l’État de conférer un statut juridique précis à leurs relations.

4.8 À propos du paragraphe 1 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie déclare que, contrairement à ce que les auteurs affirment dans la communication, il reconnaît les auteurs, avec et sans enfants, comme constituant des familles. La loi contient des dispositions protégeant les familles de diverses façons, notamment des dispositions concernant la protection des enfants, la protection des biens de la famille, la dissolution du mariage, etc. Si certaines de ces dispositions ne s’appliquent pas aux couples homosexuels, certains domaines sont à l’étude et un certain nombre d’autres mesures s’appliquent déjà aux couples homosexuels , compte tenu de l’évolution de la société, et des études et des consultations approfondies sont en cours. Ces différences de traitement sont admissibles car il est évident, d’après la jurisprudence du Comité, que les conceptions de la famille et son traitement devant la loi varient considérablement . Le Comité reconnaît également dans son Observation générale n o  19 que la loi et les mesures appliquées concernant la famille peuvent naturellement varier d’une forme de famille à une autre.

4.9 L’État partie affirme en conséquence qu’il est clairement possible en vertu du paragraphe 1 de l’article 23 d’envisager des traitements différents pour des formes différentes de famille. La différence de traitement accordée aux familles qui sont constituées ou sont dirigées par un couple marié correspond également à l’obligation faite aux États parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 23 de prévoir le mariage en tant qu’institution séparée. L’État partie souligne qu’il effectue un examen par programme de la législation et des mesures touchant les couples homosexuels pour veiller à ce que les valeurs sociales, politiques et culturelles soient respectées dans la législation et la pratique relatives à la famille.

4.10 Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article 23, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie renvoie à ses observations précédentes selon lesquelles le paragraphe 2 de l’article 23 ne peut pas être interprété comme conférant aux couples homosexuels le droit de se marier. En tout état de cause, le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier en vertu de la législation néo ‑zélandaise ne tient pas à une différence de traitement de ces couples, mais à la nature de l’institution du mariage reconnue au paragraphe 2 de l’article 23 lui ‑même.

4.11 Quant à l’article 26, l’État partie souligne que le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier découle directement du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte et ne peut pas en conséquence constituer une discrimination au sens de l’article 26. S’agissant des éléments de discrimination en vertu de l’article 26, l’État partie déclare tout d’abord que le fait que les homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier ne découle pas d’une distinction, d’une exclusion ou d’une restriction, mais tient plutôt à la nature inhérente du mariage lui ‑même. À l’heure actuelle, le mariage est universellement considéré comme accessible uniquement à des personnes de sexe opposé et est reconnu comme tel dans le droit civil de tous les autres États parties au Pacte. Si, dans les dernières années, certains États parties ont institué des formes de reconnaissance officielle de relations homosexuelles, aucune de ces formes n’a été considérée comme un mariage et aucune n’a d’effets juridiques identiques à ceux du mariage. Ainsi, la conception claire du mariage, telle qu’elle est soulignée par le sens du paragraphe 2 de l’article 23, est celle de l’union de personnes de sexe opposé.

4.12 L’État partie déclare qu’en tentant d’interpréter le principe de la non ‑discrimination afin de redéfinir l’institution du mariage, les auteurs recherchent non pas la non ‑discrimination, mais l’identité de traitement, ce qui dépasse largement la portée de l’article 26. Dans les travaux préparatoires ayant précédé la rédaction du Pacte, il est également reconnu que le droit à la non ‑discrimination ne suppose pas nécessairement un traitement identique . L’institution du mariage est un exemple clair de cas dans lequel la législation de fond crée nécessairement une différence entre les couples composés de personnes de sexe opposé et d’autres groupes ou individus et, en conséquence, la nature de l’institution ne peut pas être considérée comme une discrimination contraire à l’article 26.

4.13 Deuxièmement, en tout état de cause, le fait que les couples homosexuels n’ont pas la possibilité de se marier en vertu de la loi néo ‑zélandaise ne constitue pas une distinction ou une différenciation fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. L’élément déterminant est la nature du couple, plutôt que celle des membres individuels. La loi sur le mariage accorde à toutes les personnes des droits égaux en matière de mariage, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle, et n’établit pas de distinction entre les personnes pour ce motif. Elle vise plutôt à attribuer un statut civil défini à certaines formes définies de groupes sociaux. À cet égard, l’État partie renvoie à une décision récente de la Cour européenne de justice, selon laquelle l’octroi d’avantages particuliers à des couples composés de personnes de sexes opposés mais non pas à des couples homosexuels ne constituait pas une discrimination fondée sur le sexe car les dispositions dans ce sens s’appliquaient de la même façon aux personnes de sexe masculin et féminin .

4.14 Troisièmement, l’État partie déclare qu’il est objectivement et raisonnablement justifié d’établir une distinction à des fins légitimes en vertu du Pacte. En prévoyant une distinction entre les couples homosexuels et les couples composés de personnes de sexe différent, la loi sur le mariage s’inspire de critères clairs et historiquement objectifs et a pour but de protéger l’institution du mariage ainsi que les valeurs sociales et culturelles que celle ‑ci représente. Cet objectif est explicitement reconnu comme légitime au paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte.

Commentaires des auteurs

5.1 Les auteurs rejettent les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, les auteurs affirment que si les tribunaux considéraient que le véritable sens de la loi sur le mariage était néanmoins discriminatoire et contraire à la loi sur la Charte des droits, ces derniers seraient toujours tenus d’appliquer la loi sur le mariage car la législation applicable au premier degré ne peut pas être considérée sans effet au motif de son incompatibilité avec la loi sur la Charte des droits. Pour ce qui est du fond, les auteurs déclarent que la Cour d’appel a eu tort de décider que la loi sur le mariage n’était pas discriminatoire. Leurs arguments sont que, étant donné i) que les homosexuels sont traités différemment des hétérosexuels face au mariage, ii) que cette différence de traitement est fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle, et iii) que les couples homosexuels subissent pour cette raison des effets profondément néfastes et une stigmatisation, la loi sur le mariage est discriminatoire. Est citée à l’appui de cette allégation une récente décision de la Cour suprême de la Colombie britannique tendant à déclarer que le refus du droit au mariage en vertu de la loi canadienne est discriminatoire .

5.2 Les auteurs déclarent qu’en décidant qu’en vertu de la législation locale, les couples homosexuels ne pouvaient pas se marier, les tribunaux internes ont fait erreur eu égard à la loi néo ‑zélandaise. Ils affirment que les tribunaux n’ont pas tenu compte de l’obligation faite par la législation interne de veiller à ce que la loi sur le mariage soit interprétée conformément à la disposition de la loi sur la Charte des droits de 1990 interdisant la discrimination. Les tribunaux n’ont pas respecté cette prescription, bien que le Gouvernement n’ait pas objectivement justifié la distinction faite dans la loi sur le mariage. Les auteurs ajoutent que les tribunaux ont eu tort de se référer à une notion «traditionnelle» immuable du mariage, déclarant que la discrimination exercée par le passé ne peut pas justifier le maintien d’une telle discrimination et que les tenants d’une telle opinion ne tiennent pas compte de l’évolution des mentalités dans la société. Selon les auteurs, en tant que construit social, le mariage peut être en conséquence socialement détruit ou reconstruit. Les auteurs estiment que les tribunaux locaux, composés d’une majorité d’hétérosexuels, se sont appuyés sur un «hétérosexisme dominant». Ils déclarent que la société et l’État ont programmé leurs mémoires sélectives de façon à considérer le mariage comme foncièrement et naturellement hétérosexuel, en en excluant en conséquence clairement l’accès aux autres «catégories déviantes». Les auteurs soulignent que la célébration du mariage en Nouvelle ‑Zélande est un acte laïc exécuté selon des règles laïques et que les conceptions religieuses d’autrui ne doivent pas limiter les droits des homosexuels.

5.3 Selon les auteurs, leur exclusion de l’institution du mariage signifie que la dignité inhérente des homosexuels n’est pas reconnue, que leurs droits égaux et inaliénables en tant que membres de la famille humaine ne sont pas reconnus, que les fondements de la liberté et de la justice leur sont refusés, que les droits de l’homme des homosexuels ne sont pas protégés, qu’il leur est impossible d’invoquer la règle de droit pour que ces droits soient protégés, et elle est contraire à la conviction manifestée par les peuples des Nations Unies qui ont affirmé leur croyance en la dignité et en la valeur des lesbiennes et des gays en tant qu’êtres humains.

5.4 Les auteurs considèrent également que les couples homosexuels peuvent légitimement espérer, en se fondant sur les dispositions des Pactes concernant l’égalité, que l’État partie cherche activement à mettre en œuvre des mesures législatives appropriées visant à promouvoir la reconnaissance des relations homosexuelles. Ils ajoutent toutefois que les améliorations progressives de la place accordée aux couples homosexuels dans la loi ne constituent pas un moyen acceptable de remédier à la discrimination exercée par le passé et qu’en tout état de cause les améliorations qui ont été apportées n’ont pas entraîné l’instauration d’une plus grande égalité. Les auteurs déclarent que la mention des couples homosexuels dans la loi de 1976 sur la propriété (relations) (prévoyant des droits égaux de propriété en cas de séparation) , la loi de 1992 sur l’électricité, la loi de 1995 sur la violence domestique, la loi de 1992 sur le harcèlement, la loi de 1998 sur l’assurance accident et la loi de 2000 portant modification de la loi sur la restructuration des logements (loyers proportionnels aux revenus) ne signifie pas que les couples homosexuels sont pleinement reconnus. Les auteurs déclarent qu’un projet de loi sur l’union civile prévoyant un critère autre que le mariage pour la reconnaissance légale d’une union doit être déposé par le Gouvernement auprès du Parlement. Ce projet de loi serait néanmoins insuffisant et n’éliminerait pas les inégalités car il ne contiendrait sans doute pas toutes les garanties légales résultant du mariage. Les auteurs déclarent également que les autres améliorations prévues de la législation intéressant les couples homosexuels et qui devraient être apportées avec l’adoption du projet de loi 2001 portant modification de la Charte des droits de l’homme sont insuffisantes en nombre et de façon générale insatisfaisantes.

5.5 Enfin, pour ce qui est de la pratique des États, les auteurs soulignent qu’un État partie, les Pays ‑Bas, a autorisé le mariage civil pour les couples homosexuels à compter du 1 er  avril 2001.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 L’État partie a fait des observations supplémentaires sur les questions exposées ci ‑après, et il a rejeté les observations des auteurs en réitérant ses observations initiales pour ce qui est des questions restantes. L’État partie souligne tout d’abord que le Gouvernement néo ‑zélandais n’a pas encore décidé d’adopter le projet de loi sur l’union civile actuellement soumis par un membre du Parlement. Deuxièmement, il déclare qu’il a poursuivi son examen par programme de la loi et de la réglementation et, en adoptant la loi portant modification de la législation relative aux droits de l’homme, a apporté un certain nombre d’améliorations à la position des couples homosexuels au regard de la loi . La loi portant modification prévoit également une procédure de dépôt de plainte (avec possibilité d’aide juridictionnelle) en cas de contestation de la politique gouvernementale. Les tribunaux existants et les cours pourront accorder des recours conséquents. En cas de contestation de la législation, ces instances pourront faire une déclaration d’incompatibilité en demandant une réponse du Gouvernement dans les 120 jours, alors que des ordonnances obligatoires peuvent être délivrées pour ce qui est des politiques et des pratiques. En tout état de cause, l’État partie n’admet pas qu’une démarche par programme et progressive constitue une violation du Pacte.

6.2 Pour ce qui est de l’interprétation que font les auteurs de la jurisprudence, l’État partie ne partage pas l’opinion des auteurs. Il déclare que, contrairement à ce qu’il a pu comprendre, la Cour suprême de la Colombie britannique n’a pas conclu à une discrimination dans l’affaire Shortt . La Cour a estimé qu’en l’espèce, le refus du droit à l’égalité des requérants était justifié et qu’en conséquence, il n’y avait pas eu violation de la Charte canadienne des droits et des libertés. Pour ce qui est de l’affaire non précisée que mentionnent les auteurs , l’État partie note que dans l’affaire concernant une demande de T. , la Haute Cour a décidé que la demande de T., qui souhaitait adopter l’un des trois enfants de sa partenaire lesbienne, ne serait pas, considérant les faits, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant n’en tirerait aucun avantage autre que ceux dont il bénéficie déjà en vertu de la garde. Dans l’affaire A.  c.  R. , à la suite de la séparation de ce même couple la Cour a attribué une pension pour enfant au parent qui avait obtenu la garde afin que l’enfant soit entretenu comme il convient. L’État partie rejette l’affirmation selon laquelle ces affaires traduisent une reconnaissance anormale de la relation uniquement lorsqu’elle a cessé, affirmant au contraire que dans chaque cas les besoins des enfants et les incidences sur eux de la relation à chaque étape ont été soigneusement évalués.

6.3 Enfin, en réponse à l’affirmation des auteurs qui déclarent que le Pacte crée, de par ses dispositions, une «attente légitime» de reconnaissance des couples homosexuels, l’État partie déclare qu’en vertu de ses dispositions constitutionnelles, il est tenu de veiller, comme il l’a fait, à ce que sa législation interne soit conforme au Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel il aurait été loisible au conseil privé d’interpréter la loi sur le mariage, contrairement à l’opinion de la Cour d’appel, de la façon souhaitée par les auteurs. Le Comité note toutefois que l’État partie a déclaré expressément qu’il ne faisait «aucune observation quant à la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif». Compte tenu de cette déclaration et en l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la communication, le Comité décide que la communication est recevable.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 L’allégation essentielle des auteurs est que le Pacte fait obligation aux États parties de donner aux couples homosexuels la possibilité de se marier et qu’en leur refusant cette possibilité, l’État partie commet des violations de leurs droits en vertu de l’article 16, de l’article 17, des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 et de l’article 26 du Pacte. Le Comité note que le paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte porte expressément sur la question du droit de se marier. Étant donné l’existence dans le Pacte d’une disposition qui porte expressément sur le droit au mariage, toute allégation de violation de ce droit doit être examinée à la lumière de cette disposition. Le paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte est la seule disposition de fond qui définit un droit en employant les termes «l’homme et la femme», plutôt que «tout être humain», «chacun» et «toutes les personnes». L’emploi des termes «l’homme et la femme» plutôt que des termes généraux figurant ailleurs dans la troisième partie du Pacte, a été régulièrement et uniformément interprété comme signifiant que l’obligation incombant aux États parties en vertu de l’article 2 du paragraphe 23 du Pacte, se limite à reconnaître comme constituant un mariage l’union entre un homme et une femme qui souhaitent se marier.

8.3 À la lumière des paramètres associés au droit de se marier énoncé au paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte, le Comité ne peut pas conclure que par son simple refus d’accorder le droit de se marier à des couples homosexuels, l’État partie a violé les droits des auteurs au titre de l’article 16, de l’article 17, des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 et de l’article 26 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Rajsoomer Lallah et Martin Scheinin, membres du Comité

Nous n’avons eu aucune difficulté à nous associer au consensus du Comité sur l’interprétation du droit de se marier en vertu du paragraphe 2 de l’article 23 du Pacte. Cette disposition entraîne pour les États parties l’obligation de reconnaître comme constituant un mariage l’union d’un homme adulte et d’une femme adulte qui souhaitent se marier. Elle ne limite en rien la liberté des États, conformément au paragraphe 2 de l’article 5, de reconnaître, sous la forme du mariage ou sous une forme comparable, le fait que deux hommes ou deux femmes vivent de compagnie. Toutefois, rien dans cette disposition ne peut être interprété comme avalisant des pratiques qui violent les droits de l’homme ou la dignité des personnes, comme le mariage d’enfants ou le mariage forcé.

Quant au fait que le Comité a conclu à l’unanimité que la non ‑reconnaissance comme mariage des relations entre les auteurs, qui sont des personnes de même sexe, ne constituait pas une violation de l’article 26, non plus, nous tenons à ajouter quelques observations. Cette conclusion ne doit pas être interprétée comme une déclaration générale indiquant qu’une différence de traitement entre les couples mariés et les couples de même sexe que la loi n’autorise pas à se marier ne représenterait jamais une violation de l’article 26. Au contraire, la jurisprudence du Comité tend à prouver qu’une telle différence peut très bien, selon les circonstances d’une affaire précise, constituer une discrimination interdite.

Contrairement à ce que l’État partie a affirmé (par. 4.12), l’opinion constante du Comité est que l’interdiction de toute discrimination pour des raisons de «sexe» énoncées à l’article 26 s’étend aussi à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle 1 . Et lorsque le Comité a conclu que certaines différences dans le traitement des couples mariés et des couples hétérosexuels non mariés reposaient sur des critères raisonnables et objectifs qui n’étaient donc pas discriminatoires, c’était parce qu’il partait du principe que les couples en question avaient la possibilité de choisir de se marier ou de ne pas se marier, avec toutes les conséquences qui en découlaient 2 . Cette possibilité de choisir n’est pas offerte aux couples de même sexe dans les pays où la loi n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe ou d’autres types de partenariat reconnus entre elles ayant des conséquences analogues ou identiques à celles du mariage. En conséquence, le refus aux couples de même sexe de certains droits ou avantages dont bénéficient les couples mariés peut constituer une discrimination interdite en vertu de l’article 26, à moins que ce refus ne soit justifié par des critères raisonnables et objectifs.

Toutefois, nous constatons en l’espèce que les auteurs n’ont pas, peut-être délibérément, prouvé que, dans l’exercice de certains droits qui ne sont pas nécessairement liés à l’institution du mariage, ils subissaient personnellement les conséquences d’une distinction entre personnes mariées et personnes non mariées qui constituerait une discrimination au sens de l’article 26. Soit leurs allégations de différences de traitement entre couples mariés et unions entre personnes de même sexe sont des redites du refus de l’État partie de reconnaître comme mariage les unions entre personnes de même sexe (par. 3.1), question sur laquelle le Comité a tranché en vertu de l’article 23, soit elles ne sont pas étayées de manière à indiquer si et comment ce refus a sur les acteurs des incidences personnelles (par. 3.5). Étant donné que l’État partie affirme qu’il reconnaît les auteurs, avec et sans enfants, comme constituant des familles (par. 4.8), nous sommes convaincus, en nous associant au consensus du Comité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 26.

( Signé) Rajsoomer Lallah (Signé) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

AA. Communication n o  906/2000, Chira Vargas c. Pérou , (constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

Félix Enrique Chira Vargas ‑Machuca

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pérou

Date de la communication :

15 septembre 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  906/2000 présentée par Félix Enrique Chira Vargas ‑Machuca en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur est Félix Enrique Chira Vargas ‑Machuca, de nationalité péruvienne, qui se déclare victime d’une violation de la part du Pérou des articles 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Bien que l’auteur ne le précise pas, la communication pourrait aussi soulever des questions au regard de l’article 25, alinéa  c , et de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur était dans la Police nationale du Pérou avec le grade de commandant et occupait le poste de chef de la Brigade des stupéfiants dans la ville de Trujillo quand, le 2 octobre 1991, M. Aúreo Pérez Arévalo, qui avait été arrêté pour trafic international de stupéfiants, est mort dans les locaux de la police de San Andrés. D’après l’auteur, le défunt se trouvait sous la garde et la responsabilité des policiers des Services de la police préventive (la police administrative) et non pas sous la responsabilité du Département d’enquête de la Brigade des stupéfiants.

2.2 L’auteur dit qu’après la mort de M. Aúreo Pérez Arévalo, il a déposé plainte auprès du parquet et du juge d’instruction de la deuxième circonscription qui se sont immédiatement saisis de l’affaire. Or, dans un rapport du 15 octobre 1991, les Services de conseil juridique de l’état ‑major général de la Police nationale affirmaient que le juge d’instruction de Trujillo ne s’était pas saisi de l’affaire parce que le procureur provincial qui était de service n’avait pas établi le dossier et que, de plus, les faits montraient que l’affaire relevait de la juridiction administrative et non pas judiciaire.

2.3 Le 16 octobre 1991, par décision administrative, l’auteur a été démis de ses fonctions à titre de mesure disciplinaire, après 26 ans de service . Cette décision reposait sur un rapport daté du 8 octobre 1991 qui exposait des conclusions fondées sur un procès ‑verbal de police lequel, d’après l’auteur, n’a jamais existé, et sur un deuxième rapport disciplinaire daté du 16 octobre 1991, dans lequel l’auteur était accusé d’avoir enfreint l’article 84.C.6 du règlement disciplinaire; or, d’après l’auteur, cet article vise un cas différent.

2.4 Ce même jour, l’auteur a été arrêté, sans mandat judiciaire et sans qu’il y ait flagrant délit; il a été conduit à Lima où on l’a obligé à participer à une conférence de presse. L’auteur affirme que ni la juridiction ordinaire ni la juridiction militaire ne lui avait imputé la moindre négligence dans l’exercice de ses fonctions ni la moindre responsabilité pénale ni une autre infraction pénale, à la suite du décès de M. Pérez Arévalo, raison pour laquelle il n’a pas été jugé ni condamné.

2.5 Le 25 octobre 1991, les Services de conseil juridique de la Direction générale de la Police nationale du Pérou ont rendu une décision concluant que l’auteur, en sa qualité de chef de la Brigade des stupéfiants, aurait dû informer son supérieur hiérarchique de l’arrestation de Aúreo Pérez Arévalo pour trafic de drogues et ne l’avait pas fait. Toutefois, l’auteur affirme que dans le rapport de la Direction départementale de la police de Trujillo, daté du 1 er  octobre 1991, le supérieur hiérarchique était immédiatement et dûment informé de l’arrestation des suspects pour trafic de stupéfiants. De même, par un communiqué daté du 4 octobre 1991, la Direction générale de la Police nationale informait le Ministère de l’intérieur de l’arrestation, entre autres suspects, de Aúreo Pérez Arévalo.

2.6 D’après l’auteur, la décision du Conseil d’inspection des Services de la Police nationale du Pérou, en date du 16 octobre 1991, qui se fondait sur les rapports disciplinaires des 8 et 16 octobre 1991 et sur les avis des Services de conseil juridique de la Direction générale de la Police nationale, présentait plusieurs irrégularités constitutives d’une infraction au règlement du Conseil d’inspection des services, comme des ratures sur les mentions de l’heure, de la date. De plus, l’auteur n’a pas été avisé à l’avance de l’audience devant le Conseil d’inspection , alors qu’il allait comparaître en qualité de détenu et avait eu des difficultés pour préparer sa défense puisqu’il n’avait disposé que de deux minutes pour exposer son cas, ce qui ne lui avait pas permis de produire des preuves à décharge.

2.7 Le 30 janvier 1995, l’auteur a formé un recours en amparo auprès de la troisième juridiction civile de Trujillo pour demander que la décision suprême de radiation soit déclarée inapplicable. Par une décision du 2 mars 1995, cette juridiction a déclaré la décision inapplicable et a ordonné que l’auteur soit réintégré dans le service actif de la Police nationale avec le grade de commandant. Le Procureur du Ministère de l’intérieur a fait appel de cette décision auprès de la première chambre civile de Trujillo, laquelle a confirmé, le 20 juin 1995, la décision ordonnant la réintégration de l’auteur. Le Procureur a ensuite formé un recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême qui, par une décision du 6 décembre 1995, s’est déclarée incompétente pour connaître du recours. Le 27 décembre 1995, la première chambre civile de Trujillo a déclaré le recours irrecevable.

2.8 Le 12 janvier 1996, la troisième juridiction civile de Trujillo a ordonné l’exécution du jugement qu’elle avait rendu le 2 mars 1995, exigeant la réintégration de l’auteur dans les forces de police avec le grade de commandant. Le Procureur s’est opposé à cette réintégration en faisant valoir dans un mémoire en date du 1 er  février 1996 qu’avant de pouvoir procéder à la réintégration il fallait suivre une procédure administrative.

2.9 Le 15 février 1996, l’auteur a demandé à la troisième juridiction civile de Trujillo d’ordonner au Ministère de l’intérieur l’application de la décision suprême de réintégration dans la police et sa publication au Journal officiel. Le 23 mai 1996, la juridiction civile a rendu une décision dans laquelle elle donnait au Ministère de l’intérieur 10 jours pour faire appliquer et publier la décision de réintégration. Or, le 28 mai 1996, le Procureur de la Police nationale a prononcé la nullité de cette décision, affirmant que les procédures n’avaient pas toutes été accomplies et qu’il manquait la signature du Président de la République.

2.10 L’auteur a adressé des notifications certifiées au Ministre de l’intérieur et au Président de la République, les 8 et 12 août 1996, respectivement, pour les informer que la décision judiciaire n’avait pas été exécutée. Par un communiqué du 9 avril 1997, la troisième juridiction civile de Trujillo a demandé au Secrétaire de cabinet du Président où en était la procédure concernant la demande de confirmation de la décision suprême qui avait été adressée le 15 février 1996 par le Ministre de l’intérieur au Président de la République. Le 25 juin 1997, elle a demandé de nouveau au Président de la République de signer la décision, sans résultat.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que les faits tels qu’il les a exposés constituent une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte car le droit à la présomption d’innocence comme les droits de la défense ont été violés puisqu’il a été sanctionné et destitué sans avoir été traduit devant un tribunal compétent et que la procédure administrative a été entachée d’irrégularités.

3.2 L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation de l’article 17 du Pacte parce que les accusations dont il a fait l’objet ont porté atteinte à sa réputation, son honneur et son image dans l’exercice de sa fonction de policier, en particulier après la conférence de presse, qui a compromis ses chances futures d’avancement au grade de colonel.

Observations de l’État partie

4.1 L’État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité le 22 mars 2000 et concernant le fond le 27 juillet 2000.

4.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication et affirme que, afin d’exécuter le jugement prononçant l’inapplicabilité de la décision de démettre l’auteur de ses fonctions, le Ministère de l’intérieur avait pris les mesures voulues pour régler l’affaire et, en vertu de la décision suprême du 21 août 1997, avait ordonné sa réintégration dans le service actif en tant que commandant de la Police nationale. Par conséquent, d’après l’État partie, il n’y a pas de victime puisque l’affaire a été réglée.

4.3 De plus, l’État partie considère que la communication constitue un abus du droit de plainte car elle a été soumise un mois après le prononcé de la décision suprême réintégrant l’auteur dans ses fonctions.

4.4 En ce qui concerne le fond, l’État partie se contente de reprendre les arguments avancés pour contester la recevabilité et demande au Comité de déclarer la communication irrecevable.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité le 2 décembre 2000 et sur les observations concernant le fond le 23 janvier et le 15 août 2001.

5.2 L’auteur répond aux arguments avancés par l’État partie pour contester la recevabilité en expliquant que, le 15 février 1996, il a engagé une action constitutionnelle en exécution devant la troisième juridiction civile de Trujillo, qui a rendu une décision totalement en sa faveur. La décision a été ultérieurement renvoyée au Tribunal constitutionnel. Le 2 février 1998, le Procureur du Ministère de l’intérieur a remis au Tribunal constitutionnel la décision suprême datée du 21 août 1997, par laquelle l’auteur était réintégré dans ses fonctions. Toutefois, le Procureur a omis de mentionner une décision ultérieure datée du 27 août 1997, par laquelle l’auteur était arbitrairement mis à la retraite pour renouvellement des cadres. Ainsi, d’après l’auteur, tout cela a été un simulacre puisqu’au 2 décembre 2000 il n’avait toujours pas été réintégré dans le service actif, alors qu’il avait été radié le 16 octobre 1991.

5.3 Pour ce qui est du fond, l’auteur répond aux observations de l’État partie et affirme que les décisions suprêmes de mise à la retraite pour renouvellement des cadres prises par le gouvernement d’Alberto Fujimori ne respectaient pas les garanties de procédure car elles n’étaient jamais motivées. Il affirme que la décision du 27 août 1997 n’était pas régulière parce qu’aucun motif n’était indiqué et que par conséquent la mise à la retraite était arbitraire.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que par la décision suprême du 21 août 1997 la réintégration dans le service actif a été ordonnée, ce qui fait que l’affaire a été réglée. Toutefois, le Comité relève également que l’auteur insiste sur le fait qu’il n’a toujours pas été réintégré dans ses fonctions. Dans ces circonstances, le Comité considère que la communication est recevable en particulier pour ce qui concerne l’article 25 du Pacte, et doit être examinée quant au fond.

Examen de la question quant au fond

7.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements présentés par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune information concernant le fond des allégations de l’auteur. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient de donner le crédit voulu aux plaintes de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées.

7.3 En ce qui concerne les allégations de violations des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 et de l’article 17 du Pacte, l’auteur affirme que le droit à la présomption d’innocence a été violé, de même que son droit à la défense parce qu’il a été démis de ses fonctions sans avoir été traduit devant un tribunal compétent. Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 14 garantit le droit de toute personne à ce que les contestations sur ses droits et obligations soient tranchées par un tribunal impartial, y compris le droit de s’adresser à un tribunal pour des affaires civiles. À ce sujet, le Comité note que la troisième juridiction civile de Trujillo ainsi que la première chambre civile de Trujillo ont reconnu que la radiation de l’auteur avait été illégale et ont rendu les décisions voulues pour qu’il soit réintégré. Pour cette raison, le Comité considère qu’il n’y a pas eu violation du droit à une procédure régulière tel qu’il est consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité estime aussi que les juridictions péruviennes ont reconnu l’innocence de l’auteur et qu’il n’y a donc pas eu violation du droit énoncé au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte ni, pour la même raison, violation de l’article 17 du Pacte.

7.4 Le Comité estime que, même si l’auteur ne le précise pas, la communication soulève des questions au regard de l’alinéa  c de l’article 25 relativement au droit de tout citoyen d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays en même temps qu’au regard du droit à ce que les arrêts et décisions judiciaires soient exécutés. À ce sujet, il prend acte des arguments de l’auteur qui explique que, malgré la décision suprême datée du 21 août 1997, il n’a jamais été réintégré dans le service actif et qu’au contraire une décision suprême a été prise, en date du 27 août 1997, par laquelle il a été mis à la retraite pour renouvellement des cadres. Étant donné que l’État partie n’a pas montré que l’auteur avait vraiment été réintégré dans le service actif et n’a pas précisé non plus à quel grade il se serait trouvé ni à quelle date il aurait occupé ces fonctions, ce qui aurait été conforme au droit compte tenu de la décision d’annulation du 2 mars 1995, le Comité estime qu’il y a eu violation de l’alinéa  c de l’article 25 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations de l’alinéa  c de l’article 25 du Pacte, en même temps que du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9. En vertu de l’alinéa  a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile qui doit prendre la forme: a) d’une réintégration effective dans ses fonctions, à son poste, avec toutes les conséquences que cela implique, au grade qui lui serait revenu s’il n’avait pas été révoqué en 1991 ou à un poste similaire 4 ; b) d’une indemnisation calculée sur la base d’une somme équivalant au paiement des arriérés de traitement et de la rémunération qu’il aurait perçue depuis la période où il a été suspendu de ses fonctions 5 . Enfin, l’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il est également demandé à l’État partie de rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

BB. Communication n o  916/2000, Jayawardena c. Sri Lanka

(constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M. Jayalath Jayawardena

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication:

23 février 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  916/2000, présentée par M. Jayalath Jayawardena, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Jayalath Jayawardena, ressortissant sri ‑lankais résidant à Colombo (Sri Lanka), qui affirme être victime de violations par Sri Lanka du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’invoque aucune disposition particulière du Pacte, mais la communication semble renvoyer à des questions relevant du paragraphe 1 de l’article 9. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur est médecin et membre de l’United National Party (UNP), à Sri Lanka. À l’époque de la soumission de la communication initiale, il était député de l’opposition au Parlement mais son parti a obtenu la majorité parlementaire en décembre 2001 et il a été nommé Ministre du relèvement, de la réinstallation et des réfugiés. À partir de 1998, la Présidente de Sri Lanka, M me Chandrika Bandaranaike Kumaratunga, a commencé à accuser publiquement l’auteur – à l’occasion d’entretiens avec des journalistes – d’être lié aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et ses accusations ont été reprises par les chaînes de radio et de télévision «sous contrôle du Gouvernement». Ces mêmes accusations ont été reproduites dans les numéros des 9 et 10 septembre 1998 et du 5 janvier 2000 du Daily News.

2.2 Le 3 janvier 2000, dans une interview diffusée sur la chaîne de télévision publique, la Présidente a accusé à nouveau l’auteur d’être lié aux LTTE. Deux jours plus tard, un avocat − dirigeant de l’All Ceylon Tamil Congress, parti qui soutient ouvertement les LTTE − a été assassiné par un tireur non identifié à Colombo. L’auteur craint d’être lui aussi assassiné et fait valoir que, suite aux accusations portées contre lui par la Présidente, il a été menacé de mort à plusieurs reprises au téléphone par des interlocuteurs non identifiés et a été filé par des personnes non identifiées.

2.3 Le 2 mars 2000, le Secrétaire général du Parlement a demandé au Ministre de la défense de faire bénéficier l’auteur de la même protection que les députés dans le nord ‑est du pays, son activité étant concentrée dans cette région. Le Secrétaire général a en outre indiqué que des menaces de mort avaient été adressées à l’auteur et a demandé à ce qu’il bénéficie d’une protection personnelle renforcée. Le Secrétaire général du Parlement a confirmé dans deux lettres adressées à l’auteur ne pas avoir reçu de réponse du Ministère de la défense à sa requête. Le 13 mars 2000, dans un entretien publié par la Far Eastern Economic Review , la Présidente a accusé l’UNP de complicité avec les LTTE.

2.4 Le 15 mars 2000, ou autour de cette date, deux agents de sécurité supplémentaires ont été affectés à la protection de l’auteur, sans toutefois avoir été pourvus d’appareils de communication d’urgence et sans que des vitres teintées soient installées sur le véhicule automobile de l’auteur, alors que ces dispositifs sont mis à la disposition de tous les députés du parti gouvernemental dont la sécurité est menacée et qu’on affecte en outre à ces derniers plus de huit agents de sécurité.

2.5 L’auteur a adressé plusieurs télécopies dans lesquelles il apporte les renseignements supplémentaires ci ‑après. Le 8 juin 2001, un journal appartenant à l’État a publié un article dans lequel il était signalé qu’un périodique avait qualifié l’auteur d’espion des LTTE, incident après lequel l’auteur affirme avoir reçu une centaine d’appels téléphoniques le menaçant de mort et avoir été filé par des inconnus circulant dans des véhicules banalisés. Ces appels téléphoniques ont plongé la famille de l’auteur dans un état de choc psychologique profond. Le 13 juin 2001, l’auteur a porté plainte auprès de la police et a réclamé une protection renforcée − qui ne lui a pas été accordée.

2.6 Le 18 juin 2001, l’auteur a fait devant le Parlement une déclaration indiquant que sa vie était en danger, de même que la vie des membres de sa famille. Il a de plus demandé au Président du Parlement de saisir de sa plainte la Commission des privilèges , et une commission spéciale a été constituée pour examiner ladite plainte. Toutefois, cette affaire n’a pu être examinée par le Parlement suite à sa suspension – en violation des règles démocratiques .

2.7 L’auteur indique de plus avoir porté plainte auprès de la police contre un vice-ministre ayant menacé de le tuer. Le Procureur général a donné instruction au Directeur des poursuites criminelles, le 3 avril 2001, d’engager une procédure contre le Vice ‑Ministre en cause avant de lui annoncer, le 21 juin 2001, qu’il (le Procureur général) allait devoir réexaminer cette affaire suite aux représentations faites par l’avocat du Vice-Ministre − démarche que l’auteur considère être l’aboutissement de pressions politiques. Le 19 juin 2001, l’auteur a écrit au Président du Parlement pour lui demander de recommander au Secrétaire du Ministère de la défense de lui accorder une protection renforcée comme le Secrétaire général du Parlement le lui avait déjà demandé antérieurement.

2.8 La Présidente et des médias appartenant à l’État ont allégué aux dates ci ‑après que l’auteur était lié aux LTTE: 25 juin 2001; 29 juillet 2001; 5 août 2001; 7 août 2001; 12 août 2001. Ces nouvelles allégations auraient mis encore plus en danger la vie de l’auteur.

2.9 L’auteur affirme en outre avoir été l’objet d’une filature le 18 juillet 2001, à proximité de son bureau de circonscription, par un inconnu portant une arme à feu, et avoir porté plainte auprès de la police ce même jour sans toutefois qu’aucune mesure ne soit prise en réponse. Le 31 août 2001, une grenade à main en état de fonctionnement a été trouvée à un carrefour proche du lieu de résidence de l’auteur . Il affirme également que, durant la campagne législative s’étant achevée le 5 décembre 2001, la Présidente a de nouveau fait des commentaires sur les liens entre l’UNP et les LTTE.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se plaint de ce que les allégations de la Présidente de Sri Lanka concernant ses prétendus liens avec les LTTE, diffusées par les médias appartenant à l’État, mettent sa vie en danger. Il affirme que ces allégations relèvent du harcèlement et sont la conséquence des efforts qu’il déploie pour attirer l’attention sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka. Il précise n’avoir aucune possibilité d’intenter une action contre la Présidente du fait de l’immunité de poursuites dont elle jouit.

3.2 L’auteur affirme que l’État partie n’a pas protégé sa vie en refusant de lui assurer une sécurité suffisante malgré les menaces de mort proférées à son égard.

3.3 L’auteur affirme en outre que l’État partie n’a enquêté sur aucune des plaintes qu’il a adressées à la police au sujet de menaces de mort proférées contre lui.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 L’État partie a exposé sa position sur la recevabilité de la communication dans une lettre en date du 6 septembre 2000 et sur le fond dans une lettre en date du 3 juillet 2001. Selon l’État partie, l’auteur n’a, contrairement aux dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif, fait usage d’aucun recours interne et, s’il estime que les allégations de la Présidente portent atteinte à ses droits civils et politiques, il dispose de recours internes contre les médias en vertu de la Constitution et du Code pénal de Sri Lanka, qui interdisent aux médias de publier ou de diffuser le type d’information en cause et prévoient la possibilité d’engager des poursuites à leur encontre. L’État partie relève que l’auteur indique que la Présidente bénéficie d’une immunité de poursuites sans pour autant affirmer ne pas croire en la capacité du système judiciaire sri ‑lankais à faire respecter ses droits et à lui accorder une réparation du préjudice subi du fait de la publication ou de la diffusion des informations en cause.

4.2 L’État partie conteste que l’auteur ait reçu des appels téléphoniques anonymes le menaçant de mort ou ait été l’objet de filatures par des inconnus, aucune plainte de l’auteur concernant de tels incidents n’ayant été enregistrée par les autorités du pays. À ce propos, l’État partie souligne que le non-signalement de ces menaces constitue un facteur important à prendre en considération pour apprécier la crédibilité de l’auteur.

4.3 Au sujet du fond, l’État partie indique qu’en sa qualité de parlementaire et de médecin praticien, l’auteur mène une vie très publique et participe en particulier à des émissions de télévision concernant tant la vie politique que le domaine médical. Il a pris une part active à des débats politiques tant à la télévision que dans la presse écrite sans avoir manifesté la retenue à laquelle on pourrait en principe s’attendre de la part d’une personne dont la vie est censée être «gravement menacée». Sur ce point, l’État partie fait observer qu’en réponse aux allégations formulées par la Présidente, l’auteur a publié un démenti qui a bénéficié d’une couverture équivalente dans les organes de télévision, de radio et de presse tant publics que privés.

4.4 L’État partie souligne de plus que le fait que l’auteur n’a pas porté plainte devant les autorités locales au sujet des menaces de mort qu’il aurait reçues et n’a pas fait usage de la possibilité offerte de poursuivre en justice les médias pour obtenir d’eux qu’ils s’abstiennent de publier les informations considérées lui porter préjudice montre qu’il est en fait engagé dans une manœuvre politique se déroulant dans le cadre d’instances internationales et ayant davantage pour objet de jeter le discrédit sur le Gouvernement sri ‑lankais que d’obtenir réparation d’hypothétiques violations des droits de l’homme. Le fait que l’auteur ne fait mention de la violation d’aucun droit spécifique protégé par le Pacte irait, selon l’État partie, dans le sens de pareille interprétation.

4.5 L’État partie indique en outre qu’aucun lien n’existe entre l’assassinat du dirigeant de l’All Ceylon Tamil Congress qui était un avocat et les allégations de la Présidente concernant l’auteur. Selon l’État partie, dans l’interview en cause la Présidente n’a pas mentionné le dirigeant de ce parti, lequel aurait ouvertement soutenu pendant longtemps les LTTE. L’État partie ajoute que de nombreux avocats représentent des personnes soupçonnées d’appartenir aux LTTE devant les tribunaux sri ‑lankais sans jamais être la cible d’aucune forme de harcèlement ou de menace et que les autorités n’ont été saisies d’aucune plainte de cet ordre.

4.6 Enfin, l’État partie souligne qu’en tant que citoyenne du pays, la Présidente de Sri Lanka est habilitée, comme toute autre personne exerçant son droit fondamental à la liberté d’expression et d’opinion, à exprimer ses vues sur des questions d’importance politique.

Commentaires de l’auteur

5.1 S’agissant de la recevabilité, l’auteur fait valoir que sa plainte ne vise pas la presse sri ‑lankaise ni la police sri ‑lankaise mais les allégations formulées par la Présidente au sujet de ses liens avec les LTTE. Il explique que la Présidente devrait être considérée personnellement responsable des propos qu’elle a tenus sur son compte mais qu’elle bénéficie de l’immunité de poursuites, si bien qu’aucun recours interne n’existe et n’est donc susceptible d’être épuisé. L’auteur cite à ce propos les dispositions suivantes de la Constitution sri ‑lankaise:

− 30 ‑1) «Il est institué un président de la République de Sri Lanka qui est chef de l’État, chef de l’exécutif et du Gouvernement, et commandant en chef des forces armées.»

− 35 ‑1) «Pendant la durée de sa mandature, le titulaire de la fonction de président ne peut faire l’objet d’aucune poursuite devant aucun tribunal ou aucune cour concernant des actes ou omissions commis par lui tant à titre officiel que privé.».

5.2 En réponse à l’indication de l’État partie selon laquelle l’auteur n’aurait déposé aucune plainte officielle faisant état des menaces de mort proférées contre lui et de la nécessité de renforcer sa protection, l’auteur réaffirme avoir entrepris des démarches dans ce sens et signale qu’il a porté plainte à de nombreuses reprises auprès de la police, une copie du texte d’une de ses plaintes en date du 11 janvier 2000 étant jointe.

5.3 L’auteur ajoute que, le 18 juillet 2001, le Président du Parlement a prié le Secrétaire du Ministère de la défense d’accorder une protection renforcée à l’auteur. Pareillement, le 23 juillet 2001, le chef de l’opposition parlementaire a adressé à ce même Secrétaire une lettre contenant une requête identique . Dans une lettre datée du 27 juillet 2001, le Secrétaire a informé le chef de l’opposition que ces deux lettres avaient été transmises à la Présidente pour examen. L’auteur affirme ne pas s’attendre à bénéficier d’une protection renforcée puisque la Présidente est le commandant en chef de la police et des forces armées.

5.4 L’auteur renvoie aux observations relatives à cette affaire adressées par des organisations internationales mentionnant les allégations formulées par la Présidente et priant cette dernière de prendre des mesures afin de protéger la vie de l’auteur, notamment en faisant enquêter sur les menaces de mort proférées à son encontre. La Présidente n’a pas − selon l’auteur − donné suite à ces demandes.

5.5 Enfin, l’auteur affirme que la Présidente a qualifié ouvertement et publiquement le chef de l’All Ceylon Tamil Congress de partisan des LTTE mais qu’il n’attend pas du Comité qu’il enquête sur les circonstances de sa mort.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme, conformément à l’article 87 de son Règlement intérieur, doit déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement eu égard à l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité prend note de la plainte de l’auteur selon laquelle ses droits ont été violés du fait des menaces de mort proférées à son encontre suite à des allégations formulées par la Présidente faisant état de liens entre lui et les LTTE, ainsi que de sa plainte selon laquelle il ne dispose d’aucun recours contre la Présidente du fait de l’immunité de poursuites de cette dernière. L’État partie souligne que l’auteur aurait pu intenter une action en justice contre les médias qui ont diffusé ou publié les allégations de la Présidente. Il ne conteste pas que, en raison de son immunité, la Présidente ne pouvait pas faire l’objet d’une action en justice mais n’indique pas non plus si l’auteur disposait d’un recours utile pour obtenir réparation de l’éventuel préjudice que les allégations de la Présidente ont pu causer à sa sécurité personnelle. Pour ces raisons, le Comité considère que l’auteur a épuisé les recours internes et que cette partie de la communication est recevable. Le Comité note que cette plainte pourrait soulever des questions relevant du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

6.4 S’agissant de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie n’a pas procédé à une enquête sur sa plainte relative à des menaces de mort, le Comité note l’argument avancé par l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas porté plainte devant les autorités locales compétentes. Sur la base des renseignements fournis, le Comité constate que l’auteur a porté plainte au moins à deux reprises auprès de la police. C’est pour cette raison et en considération du fait que l’État partie n’a pas expliqué à quelle autre mesure l’auteur aurait pu avoir recours pour obtenir réparation en droit interne que le Comité est d’avis que l’auteur a épuisé les recours internes en la matière. Le Comité note que cette plainte pourrait soulever des questions relevant du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Le Comité ne voit aucune autre raison de contester la recevabilité de cet élément de la communication.

6.5 S’agissant de la question du refus d’accorder une protection renforcée à l’auteur, le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel la protection qui lui a été fournie était insuffisante et inférieure à celle accordée à d’autres membres du Parlement travaillant dans le nord ‑est du pays. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas spécifiquement répondu à cette question mais que l’auteur affirme qu’on a mis à sa disposition «deux gardes supplémentaires» sans donner plus d’informations sur le degré de protection qui lui a été accordé en comparaison de celui dont bénéficiaient d’autres membres du Parlement. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité.

6.6 Le Comité décide par conséquent que les parties de la communication concernant la plainte relative aux allégations formulées par la Présidente à l’encontre de l’auteur et le refus de l’État partie de faire procéder à une enquête sur les menaces de mort proférées à l’encontre de l’auteur sont recevables.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les allégations faites publiquement par la Présidente ont mis sa vie en danger, le Comité note que si l’État partie ne nie pas que ces déclarations aient été effectivement faites, il conteste que l’auteur ait fait l’objet de menaces de mort à la suite de ces déclarations; mais, au vu des informations détaillées fournies par l’auteur, le Comité est d’avis qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de ce dernier selon lesquelles il a reçu des menaces après lesdites déclarations et qu’il craignait pour sa vie. Pour ces raisons, et sachant que les déclarations en cause ont été faites par le chef de l’État qui bénéficie d’une immunité conférée par la législation de l’État partie, le Comité estime que l’État partie est responsable d’une violation du droit de l’auteur à la sécurité de sa personne qui est protégé par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.3 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus par le Pacte parce qu’il n’a pas enquêté sur les plaintes adressées par l’auteur à la police au sujet de menaces de mort proférées contre lui, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a reçu aucune menace de mort et qu’aucune plainte ou information n’a été reçue au sujet de telles menaces. L’État partie n’a cependant présenté aucun argument précis ou information permettant de réfuter les renseignements détaillés donnés par l’auteur sur au moins deux plaintes qu’il a adressées à la police. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’en n’enquêtant pas sur les menaces de mort reçues par l’auteur, l’État partie a violé son droit à la sécurité de sa personne, qui est consacré au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par Sri Lanka du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9. En application de l’alinéa  a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur a droit à une réparation appropriée.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, un État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de MM. Nisuke Ando, Prafullachandra N. Bhagwati, Eckart Klein, David Kretzmer, Rajsoomer Lallah et Maxwell Yalden

Nous partageons la constatation du Comité selon laquelle l’État partie n’a pas enquêté sur les menaces de mort reçues par l’auteur.

Nous ne sommes cependant pas d’accord avec la décision du Comité selon laquelle l’allégation de l’auteur faisant état d’une violation du droit qui lui est reconnu par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte par suite des allégations faites contre lui par la Présidente à travers les médias appartenant à l’État (voir par. 3.1 ci ‑dessus) est recevable au titre du Protocole facultatif. Selon nous, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

Comme indiqué ci ‑dessus, les plaintes de l’auteur portaient sur les allégations faites par la Présidente à travers les médias appartenant à l’État mais l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas intenté d’action en justice contre ces médias et n’a pas saisi les tribunaux pour mettre fin aux allégations portées contre lui. Le fait que la Présidente en tant que chef de l’État jouit de l’immunité de poursuites ne signifie pas qu’il n’existe pas de mécanismes de recours contre d’autres organismes publics ou contrôlés par l’État. En conséquence, nous sommes d’avis que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, et n’aurait donc pas dû être examinée quant au fond.

( Signé ) Nisuke Ando ( Signé ) Prafullachandra Bhagwati ( Signé ) Eckart Klein ( Signé ) David Kretzmer ( Signé ) Rajsoomer Lallah ( Signé ) Maxwell Yalden

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

CC. Communication n o 919/2000, Müller et Engelhard c. Namibie

(constatations adoptées le 26 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Michael Andreas Müller et M me  Imke Engelhard (représentés par M. Light Clinton, conseil)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Namibie

Date de la communication :

29 octobre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 919/2000 présentée par M. Michael Andreas Müller et M me  Imke Engelhard en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 8 novembre 1999, sont M. Michael Andreas Müller (dénommé ci-après M. Müller), citoyen allemand, né le 7 juillet 1962, et M me  Imke Engelhard (dénommée ci-après M me  Engelhard), citoyenne namibienne, née le 16 mars 1965. Ils affirment être victimes de violations par la Namibie des articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 M. Müller, qui est joaillier, est venu en visite en Namibie en juillet 1995 et ce pays lui a tellement plu qu’il a décidé de s’installer dans la ville de Swakopmund. Il a commencé à y travailler pour la joaillerie Engelhard Design, établie depuis 1993 et appartenant à M me  Engelhard. Les auteurs se sont mariés le 25 octobre 1996. Avant de se marier, ils se sont renseignés sur la possibilité légale de prendre le nom de M me  Engelhard. Un juriste les a informés que cela était possible. Une fois mariés, les auteurs se sont à nouveau adressés à ce juriste pour les formalités de changement de nom. Ils ont été alors informés que si la femme pouvait prendre le patronyme de son mari sans aucune formalité, le mari devait présenter une demande pour obtenir le changement de son nom.

2.2 La loi sur les étrangers n o  1 de 1937 (dite ci-après loi sur les étrangers) dispose, dans le paragraphe 1 de son article 9 tel que modifié par la proclamation A.G. n o 15 de 1989, qu’il est interdit à une personne de prendre un autre nom que celui qu’elle a pris, qu’elle a porté ou qu’elle a transmis avant 1937, sans l’autorisation de l’Administrateur général ou d’un fonctionnaire des services officiels et après publication de l’autorisation en question au Journal officiel , sauf dans les cas d’exception prévus. Une seule exception est prévue, au paragraphe 1 a) de l’article 9 de la loi sur les étrangers, pour la femme qui se marie et prend le patronyme de son conjoint. M. Müller fait valoir que l’article en question porte atteinte aux droits qui lui sont reconnus en vertu de la Constitution namibienne, à savoir les droits à l’égalité devant la loi et à l’absence de discrimination fondée sur le sexe (art. 10), son droit et celui de sa famille au respect de leur vie privée (art. 13, par. 1), son droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage (art. 14, par. 1) et son droit à une protection adéquate, par l’État partie, de sa famille (art. 14, par. 3).

2.3 M. Müller soutient encore que son épouse et lui-même souhaitent prendre le nom de M me  Engelhard pour plusieurs raisons. Il affirme que son propre nom, Müller, est extrêmement commun en Allemagne; par exemple, dans l’annuaire téléphonique de Munich, ville dont il est originaire, il y a plusieurs pages de Müller, dont 11 Michael Müller. Il fait valoir que Engelhard est un nom beaucoup moins courant, et que ce nom est important pour son épouse et pour lui ‑même puisque leur entreprise s’est fait une réputation sous le nom d’Engelhard Design. Il serait malavisé de l’appeler Müller Design, nom qui n’est pas distinctif. Autre point important, les joailliers exercent leur activité sous un patronyme parce que l’utilisation de ce dernier implique que le propriétaire est soucieux de la qualité de son travail et parce que les clients y voient l’assurance d’un meilleur savoir-faire. M. Müller soutient que, s’il devait continuer à utiliser son propre nom et que son épouse devait continuer à utiliser le sien, les clients et les fournisseurs supposeraient qu’il était son employé. M. Müller et son épouse ont aussi une fille enregistrée à sa naissance sous le nom de Engelhard, et M. Müller souhaiterait porter le même nom que sa fille pour épargner à cette dernière des remarques désobligeantes sur le fait qu’il ne serait pas son père.

2.4 Le 10 juillet 1997, M. Müller a saisi la Haute Cour de Namibie, alléguant que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers était frappé de nullité puisqu’il était incompatible avec la Constitution s’agissant du droit à l’égalité devant la loi et à la non ‑discrimination, du droit au respect de la vie privée, du droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage et du droit à la vie familiale.

2.5 M me  Engelhard a fait une déclaration formelle où elle affirmait qu’elle appuyait la plainte de son mari, et qu’elle aussi souhaitait que le nom de famille soit Engelhard plutôt que Müller, pour les raisons invoquées par son époux. Le 15 mai 1998, leur requête a été rejetée, avec condamnation aux dépens.

2.6 Le recours en appel formé par M. Müller auprès de la Cour suprême de Namibie a été lui aussi rejeté, avec condamnation aux dépens, le 21 mai 1999. Comme la Cour suprême est la plus haute instance d’appel du pays, les auteurs font valoir qu’ils ont épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1 M. Müller affirme qu’il est victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, dans la mesure où l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers l’empêche de prendre le nom de sa femme sans suivre la procédure prévue, c’est-à-dire en présentant une demande à un service officiel, alors que les femmes qui le souhaitent peuvent prendre le patronyme de leur époux sans suivre cette procédure. M me  Engelhard affirme, pour sa part, que son nom ne peut pas être utilisé comme nom de famille sans suivre la procédure mentionnée, en violation de l’article 26. Les auteurs font valoir que cet article de loi introduit clairement une discrimination entre les hommes et les femmes, dans le sens que les femmes peuvent automatiquement prendre le nom de leur conjoint lorsqu’elles se marient, alors que les hommes doivent présenter une demande conformément à des procédures spécifiées. Lorsqu’un homme veut prendre le nom de son épouse, la procédure est la suivante:

i) Il doit publier, dans deux numéros consécutifs du Journal officiel et dans deux quotidiens sous une forme prescrite, un avis notifiant son intention et ses raisons de changer de nom, à charge pour lui de payer la publication de ces avis;

ii) Il doit présenter une déclaration à l’Administrateur général ou à un fonctionnaire des services officiels dûment autorisé par celui-ci;

iii) Le chef de la South West African Police et le magistrat du district doivent fournir des renseignements concernant l’auteur;

iv) Toute objection à l’adoption d’un autre nom par l’intéressé doit être jointe au rapport du magistrat;

v) L’Administrateur général ou un fonctionnaire des services officiels dûment autorisé par celui-ci doit, sur la base de ces déclarations et rapports, s’assurer que l’auteur a une bonne réputation et que sa demande de changement de nom est suffisamment motivée;

vi) Le requérant doit s’acquitter des frais réglementaires et se conformer aux autres prescriptions prévues.

3.2 Les auteurs se réfèrent à un cas similaire de discrimination soumis à la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Burghartz c. Suisse . Dans cette affaire, la Cour européenne a estimé que l’adjonction par le mari de son patronyme au nom commun, emprunté à la femme, ne refléterait pas l’unité de la famille à un degré moindre que la solution inverse. La Cour, avant d’établir qu’il y avait eu violation des articles 14 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, a également considéré qu’on ne pouvait parler en l’espèce d’une véritable tradition, et qu’au demeurant la Convention devait toujours s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui et en particulier de l’importance attachée au principe de non-discrimination. Les auteurs se réfèrent également à l’Observation générale n o 18 du Comité , dans laquelle celui ‑ci a dit expressément que toute différenciation fondée sur le sexe constituait une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte, et qu’au nom du principe de l’interdiction de la discrimination le contenu d’un texte législatif ne devait pas être discriminatoire. Les auteurs soutiennent que si l’on suit l’interprétation de l’article 26 du Pacte donnée par le Comité dans son Observation générale n o 18, l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers est discriminatoire à l’égard à la fois des hommes et des femmes.

3.3 Les auteurs affirment être victimes d’une violation de l’article 23, paragraphe 4, du Pacte du fait que l’application de l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers porte atteinte à leur droit à l’égalité au regard du mariage et durant le mariage en leur imposant des formalités spécifiques pour pouvoir choisir le nom de la femme comme nom de famille, alors que ces formalités ne sont pas imposées pour pouvoir utiliser le patronyme du mari. Les auteurs se réfèrent à l’Observation générale n o 19 du Comité, où celui-ci note, à propos du paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte, que le droit pour chaque conjoint de continuer d’utiliser son nom de famille d’origine ou de participer sur un pied d’égalité au choix d’un nouveau nom de famille devrait être sauvegardé.

3.4 Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Coeriel et consorts c.  Pays-Bas et soutiennent être victimes d’une violation de l’article 17, paragraphe 1, parce que le nom d’une personne constitue un élément important de son identité et que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée comprend la protection du droit de choisir son nom et d’en changer.

3.5 Les auteurs demandent donc à titre de réparation:

a) Qu’il soit admis que les droits des auteurs en vertu du Pacte ont été violés;

b) Qu’il soit admis que l’article 9, paragraphe 1 a), de la loi sur les étrangers est incompatible en particulier avec les articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte;

c) Que la Namibie autorise immédiatement M. Müller à prendre le nom de M me  Engelhard sans avoir à se conformer aux dispositions de la loi sur les étrangers;

d) Que les défendeurs devant la Haute Cour et la Cour suprême de Namibie ne reçoivent pas les frais adjugés en leur faveur par ces juridictions;

e) Et que la Namibie modifie le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers afin de se conformer à ses obligations en vertu du Pacte.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et quant au fond de la communication

4.1 L’État partie a communiqué le 5 juin 2000 ses observations concernant la recevabilité de la communication et le 17 octobre 2000 ses observations quant à la recevabilité et quant au fond de la communication.

Recevabilité de la communication

4.2 L’État partie confirme que M. Müller a épuisé les recours internes puisqu’il a saisi la Haute Cour namibienne et a formé un recours en appel auprès de la Cour suprême de Namibie. Toutefois, l’État partie fait observer que l’auteur s’est adressé directement aux tribunaux, sans s’être conformé aux prescriptions de la loi sur les étrangers. L’État partie soutient aussi que le Comité n’est ni habilité ni autorisé à examiner la demande en réparation spécifique de l’auteur mentionnée au paragraphe 3.5 d) ci-dessus, puisque dans le cadre des procédures internes l’auteur n’a pas allégué que la Cour suprême était incompétente pour adjuger les frais et qu’il n’a pas soutenu que les lois namibiennes relatives à l’adjudication des frais par les juridictions nationales violaient la Constitution namibienne ou les obligations de la Namibie en vertu du Pacte.

4.3 En ce qui concerne M me  Engelhard, l’État partie fait valoir qu’elle n’a pas épuisé les recours internes et n’a fourni aucune explication à ce sujet. L’État partie soutient par conséquent que la communication de M me  Engelhard n’est pas recevable au titre de l’article 5 2) b) du Protocole facultatif et que la réponse de l’État partie quant au fond de la communication ne concerne pas les allégations de M me  Engelhard.

Fond de la communication

4.4 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur suivant laquelle il y aurait violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie ne conteste pas que l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers fait une différenciation entre hommes et femmes. Il considère toutefois que cette différenciation est raisonnablement justifiée eu égard à son objet, qui est d’assurer d’importantes fonctions sur le plan social, économique et juridique. Les patronymes servent à s’assurer de l’identité d’une personne à diverses fins – par exemple, pour la sécurité sociale, les assurances, les licences, le mariage, l’héritage, les élections et les candidatures aux élections, les passeports, les impôts et les registres administratifs – et ils constituent par conséquent un élément important de l’identité de la personne (voir Coeriel et consorts c. Pays-Bas ). L’article 9 de la loi sur les étrangers reflète une tradition de longue date dans la société namibienne, à savoir que la femme prend normalement le nom de son mari, et depuis l’entrée en vigueur de cette loi en 1937 il n’y a pas eu d’autre cas de mari qui souhaitait prendre le nom de sa femme. La différenciation prévue dans la loi sur les étrangers avait pour buts d’assurer la sécurité juridique et d’établir avec certitude l’identité, ce qui correspondait à des critères raisonnables et objectifs.

4.5 L’État partie fait valoir encore que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers n’empêche pas M. Müller de prendre le nom de sa femme, mais prévoit seulement une procédure simple qui permettrait à l’auteur d’obtenir ce qu’il souhaite. Le cas d’espèce est différent de l’affaire Burghartz c. Suisse , dans le sens que dans celle-ci l’auteur n’avait pas de recours pour adjoindre son nom à celui de sa femme en les reliant par un trait d’union.

4.6 L’État partie soutient que l’article 26 du Pacte fait référence à une notion de traitement injuste, inéquitable et déraisonnable qui n’intervient pas dans le cas de l’auteur, et qu’il n’a pas été allégué que l’objet de l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers était dirigé contre les personnes de sexe masculin prises individuellement ou collectivement, en Namibie.

4.7 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur en relation avec le paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte, l’État partie déclare que, conformément à cet article et à l’interprétation donnée par le Comité dans son Observation générale n o 19, la loi namibienne permet à l’auteur de participer sur un pied d’égalité avec sa femme au choix d’un nouveau patronyme, à condition de se conformer aux procédures prévues.

4.8 En ce qui concerne l’allégation de M. Müller en relation avec l’article 17, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie déclare que cette disposition protège seulement l’auteur des immixtions arbitraires, c’est-à-dire déraisonnables et inutilement irrationnelles, ou illégales dans sa vie privée. Compte tenu de l’objet du paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers mentionné plus haut, dans la mesure où l’auteur peut changer de nom s’il le souhaite la loi n’est ni déraisonnable ni incompatible avec les obligations de l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 17.

4.9 L’État partie conteste les réparations demandées par les auteurs.

Commentaires des auteurs

5.1 Le 5 mars 2001, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie.

5.2 M. Müller ne conteste pas qu’il aurait pu demander à changer son nom conformément aux dispositions de la loi sur les étrangers. Il soutient toutefois que c’est la procédure prévue pour les hommes qui souhaitent changer de nom qui est discriminatoire. Il aurait donc été contradictoire de suivre la procédure prévue.

5.3 En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle M me  Engelhard n’a pas épuisé les recours internes, les auteurs font valoir qu’il aurait été inutile pour elle de présenter au tribunal une requête distincte de celle de son mari, puisque sa requête n’aurait pas été différente de la première, que la Cour suprême de Namibie a rejetée. Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Barzhig c. France , où le Comité a déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’épuiser les voies de recours internes si la plainte devait immanquablement être rejetée, ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures excluait que le plaignant ait gain de cause. En outre, tout au long des procédures juridiques internes, M me  Engelhard avait soutenu la requête de son mari, de sorte que sa situation, du point de vue juridique et dans les faits, était connue des juridictions nationales.

5.4 En ce qui concerne l’article 26, dès lors qu’est effectivement prévue une différenciation fondée uniquement sur le sexe, celle-ci doit être justifiée par une raison extrêmement primordiale et valable. Il faut donc examiner si les objectifs énoncés par l’État partie sont suffisamment importants pour justifier une telle différenciation. Il n’est pas contesté que le patronyme d’une personne constitue un élément important de son identité, mais on peut considérer que par conséquent l’égalité de droits des époux pour ce qui est de choisir l’un ou l’autre patronyme comme nom de famille mérite la protection la plus attentive.

5.5 En outre, la notion de «tradition de longue date» invoquée par l’État partie ne justifie pas la différenciation, puisque cette tradition remonte seulement au milieu du XIX e siècle et que, selon l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Burghartz c. Suisse , l’interprétation doit se faire à la lumière des conditions d’aujourd’hui et en particulier de l’importance attachée au principe de non-discrimination. Pour faire valoir que les lois et pratiques discriminatoires ne sauraient être justifiées au nom de la tradition, les auteurs font observer qu’en Afrique du Sud, l’apartheid était l’ancien système traditionnel qui permettait de promulguer des lois perpétuant la discrimination raciale.

5.6 Pour les auteurs, l’argumentation de l’État partie selon laquelle la différenciation introduite par le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers doit être maintenue dans l’intérêt de l’administration publique et de la société dans son ensemble n’est pas rationnelle, puisque laisser la possibilité à un couple qui se marie de choisir celui des deux noms qui sera utilisé comme nom de famille ne contribuerait pas moins à l’objectif recherché.

5.7 Les auteurs soutiennent que la procédure prévue pour un homme qui souhaite prendre le nom de son épouse n’est pas aussi simple que l’affirme l’État partie, et ils se réfèrent à la procédure en question, déjà décrite plus haut (par. 3.1).

5.8 Les auteurs font également référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Stjerna c. Finlande , où la Cour a dit qu’«Au regard de l’article 14 [de la Convention européenne des droits de l’homme], une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime…», et ils font valoir que la différence de traitement contestée manque de justification raisonnable. Ils soutiennent que l’article 9, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers perpétue la «tradition de longue date» qui consiste à reléguer la femme à un état de subordination dans le mariage.

5.9 En ce qui concerne les allégations de l’État partie en relation avec l’Observation générale n o 19 relative à l’article 23 du Pacte, il est dit qu’il convient de considérer que sont visés non seulement le choix du nom de famille, mais aussi la méthode par laquelle ce choix est effectué. À ce propos, les auteurs font valoir que la demande de changement de nom présentée par le mari peut être approuvée ou non par le Ministre de l’intérieur, par exemple si le requérant ne peut pas assumer les coûts de publication de l’avis ou les frais réglementaires.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne les violations du Pacte alléguées par M. Müller dans leur ensemble, le Comité fait observer que ces questions ont été dûment examinées dans le cadre des procédures internes et que l’État partie a confirmé que M. Müller avait épuisé les recours internes. Rien ne s’oppose donc à ce que la communication soit jugée recevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif en ce qui concerne M. Müller.

6.3 Pour ce qui est des allégations de M me  Engelhard, l’État partie a contesté que les recours internes aient été épuisés. Même si M me  Engelhard avait pu saisir la justice namibienne, avec son mari ou séparément, sa requête, très similaire de celle de M. Müller, aurait inévitablement été rejetée puisque la requête de M. Müller a été rejetée par la plus haute juridiction namibienne. Comme, selon la jurisprudence qu’il a établie ( Barzhig c. France ), il n’est pas nécessaire pour l’auteur d’épuiser les voies de recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, le Comité conclut que les allégations de M me  Engelhard ne sont pas irrecevables en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Bien que l’État partie n’ait pas formulé d’observations sur les allégations de M me  Engelhard quant au fond, le Comité considère que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication quant au fond en ce qui concerne les allégations de celle-ci également, puisque des points de droit complètement identiques concernant les deux auteurs y sont soulevés.

6.4 Le Comité s’est également assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.5 Le Comité décide par conséquent que la communication est recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard des articles 26, 23, paragraphe 4, et 17, paragraphe 1, du Pacte.

6.6 Le Comité a examiné les allégations des auteurs quant au fond, en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7 En ce qui concerne l’allégation des auteurs par rapport à l’article 26 du Pacte, le Comité prend note du fait que le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers introduit une différenciation fondée sur le sexe s’agissant du droit du mari ou de la femme de prendre le nom du conjoint, fait qui n’est pas contesté par les parties au différend. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, la reconnaissance du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, sans discrimination, ne rend pas discriminatoires toutes les différences de traitement. Une différence de traitement fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à un traitement discriminatoire interdit au sens de l’article 26 . Mais l’existence d’une différence de traitement fondée sur l’un des éléments énumérés dans la seconde clause de l’article 26 du Pacte impose à l’État partie l’obligation d’expliquer la raison de cette différenciation. Le Comité doit donc examiner si les motifs de la différenciation selon le sexe introduite par le paragraphe 1 de l’article 9, empêchent que la disposition en question soit considérée comme discriminatoire.

6.8 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers répond à des objectifs légitimes sur le plan social et juridique, en particulier contribuer à la sécurité juridique. Le Comité prend note aussi de l’observation de l’État partie selon laquelle la différence de traitement prévue à l’article 9 de la loi sur les étrangers repose sur une tradition namibienne de longue date qui veut que les femmes prennent le nom de leur mari, aucun homme n’ayant jusqu’à présent, en pratique, exprimé le vœu de prendre le nom de sa femme; la loi, qui réglemente les situations normales, reflète donc simplement un état de fait généralement accepté dans la société namibienne. Le vœu inusuel d’un couple de prendre comme nom de famille le patronyme de la femme pouvait être facilement satisfait en demandant un changement de nom conformément aux procédures prévues dans la loi sur les étrangers. Le Comité ne voit pas, cependant, en quoi les considérations liées au sexe qui sont prévues dans le paragraphe 1 de l’article 9 de la loi sur les étrangers peuvent contribuer à la sécurité juridique, puisque le choix du nom de la femme peut être enregistré aussi facilement que celui du nom du mari. Compte tenu de l’importance du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’argument d’une tradition de longue date ne tient pas non plus en général pour justifier un traitement différent, qui est contraire au Pacte. Le fait d’assujettir la possibilité de choisir le patronyme de la femme comme nom de famille à des conditions plus strictes et beaucoup plus compliquées que la possibilité inverse (choix du patronyme du mari) ne peut donc pas être considéré comme raisonnable et, en tout état de cause, la raison invoquée pour justifier la différenciation n’est pas suffisamment importante pour faire accepter une différence de traitement fondée sur le sexe qui est généralement prohibée. En conséquence, le Comité estime que les auteurs sont victimes d’une discrimination et d’une violation de l’article 26 du Pacte.

6.9 Le Comité ayant conclu à une violation de l’article 26 du Pacte, il considère qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur une éventuelle violation des articles 17 et 23 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

8. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, en évitant toute discrimination dans le choix de leur patronyme commun. L’État partie doit également s’abstenir de faire exécuter la décision de la Cour suprême en matière de dépens ou, si la décision a déjà été exécutée, faire en sorte que les sommes en question soient restituées.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

DD. Communication n o  921/2000, Dergachev c. Bélarus

(constatations adoptées le 2 avril 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Alexandre Dergachev

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

28 septembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 921/2000, présentée au Comité des droits de l’homme par M. Alexandre Dergachev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, en date du 28 septembre 1999, est Alexandre Dergachev, de nationalité bélarussienne. Il se déclare victime d’une violation par le Bélarus des articles 2, 14 et 19 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 21 mars 1999, l’auteur, membre d’un parti politique de la République du Bélarus appelé Front populaire du Bélarus, avait organisé une manifestation et brandissait une pancarte où l’on pouvait lire: «Partisans du régime actuel! Vous avez réduit le peuple à la pauvreté depuis cinq ans. Arrêtez d’écouter des mensonges. Ralliez ‑vous au combat mené pour vous par le Front populaire du Bélarus.».

2.2 Le 29 mars 1999, l’auteur est passé en jugement devant le tribunal de district de Smorgon. Le tribunal a estimé que ce qui était écrit sur la pancarte représentait un appel à l’insubordination contre le gouvernement actuel, ou à la destruction de l’ordre constitutionnel de la République du Bélarus, ou les deux à la fois. En conséquence de quoi, il a statué que l’affiche constituait une infraction administrative définie dans le Code des délits administratifs (art. 167, par. 2). L’auteur a donc été reconnu coupable et condamné à une amende de 5 millions de roubles bélarussiens. La confiscation de la pancarte a également été ordonnée. Des représentants des forces de police qui étaient de service pendant la manifestation avaient été cités comme témoins.

2.3 À l’audience, l’auteur a plaidé non coupable et a fait valoir que son affiche n’était que l’expression légitime d’une opinion politique dans le contexte d’élections démocratiques. L’auteur a fait appel, mais a été débouté le 21 avril 1999 par le tribunal régional de Grodnenski. Il s’est alors pourvu devant la Cour suprême de la République du Bélarus. Le 9 juin 1999, la Cour a confirmé la condamnation, mais a réduit la peine prononcée par la juridiction inférieure, la remplaçant par un avertissement. Selon l’auteur, les recours internes ont ainsi été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que les droits garantis aux articles 19 et 2 du Pacte ont été violés parce qu’il a été condamné pour avoir exprimé une opinion politique et pour avoir diffusé une information de fait. À ce sujet, il affirme qu’il a été démontré, de façon indépendante et objective, qu’il est exact que la pauvreté gagne du terrain dans le pays et que les fonctionnaires de l’État disent des mensonges. L’auteur considère également qu’en lui appliquant la loi de la République du Bélarus relative aux élections, qui interdit à toute personne reconnue coupable d’une infraction administrative dans l’année précédant le scrutin de se porter candidat aux élections parlementaires, il a été porté atteinte à ses droits. Bien que l’auteur n’invoque pas l’article 25 du Pacte, son argumentation semble soulever également une question au regard de cet article.

3.2 L’auteur estime que le droit d’être jugé par un tribunal indépendant, garanti à l’article 14, a été violé car le Président qui était visé par les critiques figurant sur sa pancarte avait désigné les juges chargés de son affaire.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4. Par une note verbale en date du 23 novembre 2000, l’État partie a fait savoir que le Président de la Cour suprême de la République du Bélarus avait rendu, le 31 août 2000, une décision annulant toutes les décisions précédentes concernant l’auteur de la communication et avait clos l’affaire. Par conséquent, d’après l’État partie, il n’y avait plus lieu d’examiner la communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5. Dans une lettre reçue en février 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie, objectant que celui ‑ci n’avait pas indiqué s’il reconnaissait ou s’il ne reconnaissait pas qu’il y avait eu violation du Pacte.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Comme il y est tenu par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir que les recours internes n’avaient pas été épuisés au moment où la communication a été présentée.

6.4 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 14 du Pacte, le Comité estime qu’affirmer simplement, comme le fait l’auteur, que le juge qui était chargé de son affaire n’était pas indépendant parce que les juges sont désignés par le Président de l’État partie n’est pas suffisant pour étayer, aux fins de la recevabilité, une allégation de violation de l’article 14. Le Comité considère en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne la loi relative aux élections, qui interdit à toute personne ayant été l’objet d’une condamnation dans l’année précédant le scrutin de se porter candidat aux élections parlementaires, le Comité est d’avis que ces dispositions soulèvent des questions au regard de l’article 25 du Pacte. Toutefois, étant donné que la condamnation frappant l’auteur a été annulée et que plus rien n’empêche l’intéressé de se porter candidat aux élections, et compte tenu du fait que l’auteur n’a pas prétendu avoir été empêché de se présenter aux élections en vertu de cette loi, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 Le Comité estime que le reste de la communication a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et procède à un examen du fond.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité est d’avis que le moyen particulier utilisé par l’auteur pour exprimer une opinion politique – brandir la pancarte en question – relève de la liberté d’expression protégée à l’article 19 du Pacte. L’État partie n’a pas fait valoir que l’une quelconque des restrictions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte était applicable. Le Comité considère en conséquence que la condamnation de l’auteur pour avoir exprimé son opinion représentait une violation des droits garantis à l’article 19 du Pacte et note que la condamnation n’avait pas été annulée lorsque la communication a été présentée au Comité.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 19 du Pacte. Toutefois, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité considère qu’en annulant les décisions prises à l’égard de l’auteur postérieurement à la présentation de la communication, l’État partie a rectifié la situation par une mesure qu’il estime suffisante au sens de l’article 2 du Pacte. L’État partie est prié de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Christine Chanet

De mon point de vue, le Comité au cas d’espèce n’est pas en mesure d’apprécier la nature et l’étendue des pouvoirs de la Cour suprême du Bélarus et des conditions de saisine de ce magistrat (par. 4 du texte des constatations).

Dès lors, la décision du juge intervenue le 31 août 2000 mettant fin à la procédure et donnant satisfaction à l’intéressé ne peut être considérée a priori comme ne faisant pas partie d’une décision incluse dans les voies de recours internes que le demandeur doit avoir épuisées avant de présenter une communication au Comité.

Or, M. Dergachev a présenté sa communication le 28 septembre 1999.

Il me paraît difficile de considérer, sans connaître la nature des pouvoirs exercés par le Président de la Cour suprême et sa place dans les procédures de recours internes de l’État partie, que l’intervention postérieure de ce magistrat n’est pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

( Signé ) Christine Chanet

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

EE. Communication n o  923/2000, Mátyus c. Slovaquie

(constatations adoptées le 22 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M. Istvan Mátyus

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Slovaquie **

Date de la communication :

15 octobre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  923/2000 présentée par M. Istvan Mátyus, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Istvan Mátyus, de nationalité slovaque. Il résidait en Slovaquie au moment de la présentation de la communication. Il affirme être victime de violations par la Slovaquie des alinéas  a et  c de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur déclare que le 5 novembre 1998, le conseil municipal de Rožňava a adopté la résolution 193/98 portant création dans la région de cinq circonscriptions électorales, avec un total de 21 représentants, en vue des élections au conseil municipal qui devaient se tenir les 18 et 19 décembre 1998. Le nombre de représentants des diverses circonscriptions électorales se répartissait comme suit: 5 pour la première circonscription; 5 pour la deuxième circonscription; 7 pour la troisième circonscription; 2 pour la quatrième circonscription, 2 pour la cinquième circonscription. Conformément au paragraphe 9 de l’article premier de la loi n o  346/1990 sur les élections municipales, chaque ville doit être divisée en circonscriptions électorales; le nombre de représentants élus au conseil municipal est proportionnel au nombre d’habitants de l’agglomération, et ne peut pas dépasser 12 par circonscription.

2.2 L’auteur déclare qu’en calculant le nombre de représentants par rapport au nombre de résidents des diverses circonscriptions électorales de Rožňava, il a obtenu les chiffres suivants: un représentant pour 1 000 résidents dans la première circonscription; un pour 800 résidents dans la deuxième circonscription; un pour 1 400 résidents dans la troisième circonscription; un pour 200 résidents dans la quatrième circonscription; un pour 200 résidents dans la cinquième circonscription. Le nombre de représentants n’était donc pas proportionnel au nombre d’habitants dans chaque circonscription. L’auteur était candidat dans la troisième circonscription mais n’a pas obtenu de siège parce qu’il est arrivé huitième et que sept députés seulement ont été élus dans cette circonscription.

2.3 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur appelle l’attention sur les recours administratifs et judiciaires qu’il a introduits pour obtenir réparation:

L’auteur a formulé une réclamation le 5 novembre 1998 et adressé une plainte par écrit au maire de Rožňava le 20 novembre 1998, au titre du paragraphe 13 de l’article 4 de la loi n o  369/1990 relative aux affaires municipales, dans lesquelles il a dénoncé l’illégalité de la résolution 193/98. Selon la loi susmentionnée, le maire est habilité à opposer son veto à l’application d’une décision du conseil municipal s’il est établi qu’elle est contraire à la législation. L’auteur déclare que sa plainte n’a pas été examinée.

Le 20 novembre 1998, l’auteur a porté plainte auprès du Procureur de district de Rožňava au sujet de la légalité de la résolution 193/98, au titre du paragraphe 11 de l’article premier de la loi n o  314/1996 sur les poursuites. Le Procureur de district a examiné la plainte de l’auteur et considéré que celui ‑ci n’avait pas démontré l’existence d’une violation de la législation.

Le 23 décembre 1998, l’auteur a adressé une requête au Président du Conseil national conformément au paragraphe 48 de la loi n o  346/1990 sur les élections municipales. La loi autorise le Conseil national de la République slovaque à organiser de nouvelles élections, une semaine au plus après l’annonce des résultats, si celles ‑ci ne se sont pas déroulées dans la légalité. L’auteur affirme qu’il n’a reçu de réponse ni à sa requête ni à sa lettre de rappel du 8 mars 1999.

Le 29 décembre 1998, au titre de l’article 129 de la Constitution, l’auteur a déposé une requête en inconstitutionnalité de la résolution 193/98 auprès de la Cour constitutionnelle, demandant à la Cour d’annuler les élections conformément au paragraphe 63 de la loi n o  38/1993 portant organisation de la Cour constitutionnelle. La Cour a rejeté la requête de l’auteur le 12 mai 1999.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur estime qu’il y a eu violation des droits des citoyens de Rožňava consacrés aux alinéas  a et  c de l’article 25 du Pacte puisque ceux ‑ci n’ont pas eu des chances égales d’influer sur le résultat des élections en exerçant leur droit de prendre part à la conduite des affaires publiques par l’élection de représentants. Il ajoute qu’il a été porté atteinte aux droits des citoyens de Rožňava puisqu’ils n’ont pas bénéficié de chances égales d’être élus au conseil municipal.

3.2 L’auteur affirme que les droits que lui confèrent les alinéas  a et  c de l’article 25 ont été violés dès lors qu’il lui aurait fallu beaucoup plus de voix qu’aux candidats d’autres circonscriptions pour être élu au conseil municipal étant donné que le nombre de représentants n’était pas proportionnel au nombre d’habitants dans chaque circonscription. Il affirme que c’est pour cela qu’il a été battu.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans ses observations du 9 juin 2000, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes car l’auteur n’a pas introduit le recours voulu en temps utile et s’est donc privé de la possibilité de contester la résolution en question.

4.2 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a adressé une plainte au maire de Rožňava, l’État partie indique qu’il n’est pas en mesure de présenter des observations car il ne connaît ni la teneur ni la forme de la réclamation. L’État partie se réserve le droit de faire de telles observations lorsque la teneur de la plainte lui aura été communiquée.

4.3 L’État partie confirme que l’auteur a déposé une plainte auprès du Procureur de district de Rožňava pour qu’il enquête sur la légalité et la constitutionnalité de la résolution 193/98, alléguant que la résolution en question était contraire à l’article 9 de la loi n o  346/1990 sur les élections municipales, telle que modifiée par la loi n o  331/1998, ainsi qu’au paragraphe 4 de l’article 30 de la Constitution. L’État partie précise qu’après avoir examiné la plainte, le Procureur de district a considéré que le plaignant n’avait pas établi l’existence d’une violation de la loi. Pour ce qui est de la question de la constitutionnalité, l’État partie déclare qu’elle n’était pas du ressort du Bureau du Procureur de district. Il précise en ces termes les fonctions conférées au Procureur de district en vertu de la loi n o  314/1996: le Procureur veille à ce que soient conformes aux lois et autres règles de droit généralement contraignantes l’action et les décisions des organismes publics et à ce que les organes de contrôle exécutent dûment leurs obligations légales. Il n’est donc pas habilité à se prononcer sur la constitutionnalité de ces décisions.

4.4 De même, l’État partie précise que la requête adressée au Président du Conseil national de la République slovaque a été rejetée au motif que la question de la constitutionnalité de la résolution 193/98 est du ressort exclusif de la Cour constitutionnelle.

4.5 En ce qui concerne la requête déposée devant la Cour constitutionnelle, l’État partie indique que la Cour a rejeté la requête de l’auteur parce que la violation alléguée ne s’est pas produite au moment des élections, mais au cours de la phase préparatoire. La Cour a considéré que le plaignant aurait dû introduire un recours immédiatement après l’adoption de la résolution 193/98 par le conseil municipal de Rožňava le 5 novembre 1998, et avant les élections. Il affirme que l’annulation des élections par la Cour constitutionnelle à un stade aussi avancé aurait fortement porté atteinte aux droits acquis de bonne foi par des tiers, des conseillers municipaux pour la plupart, qui avaient obtenu leur siège de bonne foi et sans contrevenir à la loi, et aurait aussi introduit un élément d’incertitude dans la vie publique.

4.6 L’État partie affirme que la Cour constitutionnelle est la seule instance habilitée à se prononcer sur la constitutionnalité d’une résolution dont il est allégué qu’elle est contraire à un article de la Constitution. Il fait valoir que l’auteur ne s’est pas adressé aux organes compétents pour défendre ses droits et qu’il s’est privé de la possibilité de demander la protection effective garantie par la Constitution. Selon l’État partie, un des principes de l’état de droit est d’assurer la sécurité juridique, laquelle présuppose que chacun fasse valoir ses droits en temps utile. Cela signifie non seulement qu’il faut respecter les délais fixés par la loi pour déposer plainte, mais aussi exercer ses droits au moment où la violation contestée s’est produite.

Commentaires de l’auteur

5. L’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle la Cour constitutionnelle est la seule instance habilitée à se prononcer sur la constitutionnalité et la légalité des décisions des organes régionaux autonomes. Il rejette également l’argument selon lequel la plainte aurait dû être déposée devant la Cour constitutionnelle immédiatement après l’adoption de la résolution et pendant la phase préparatoire des élections. Selon lui, l’article 53 (clause 3) de la loi n o  38/1993 prévoit qu’une requête en inconstitutionnalité doit être présentée dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la résolution est entrée en vigueur. L’auteur fait donc valoir que, comme il avait à tout le moins jusqu’au 5 janvier 1999 (deux mois après l’adoption de la résolution) pour déposer une plainte et qu’il l’a fait le 29 décembre 1998, il était tout à fait dans les délais. En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle, si la Cour constitutionnelle avait invalidé les élections, cela aurait introduit un élément d’incertitude dans la vie publique, l’auteur souligne que l’intérêt supérieur des citoyens exige que l’on veille au respect de la Constitution et des droits de l’homme.

Décision concernant la recevabilité

6.1 À sa soixante et onzième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie suivant lequel tous les recours internes n’avaient pas été épuisés, l’auteur n’ayant pas introduit le recours approprié en temps utile. Le Comité a pris note également de ce que l’auteur avait engagé diverses procédures afin d’épuiser les recours internes, entre le moment où la résolution en question avait été adoptée et le moment où il avait déposé une requête devant la Cour constitutionnelle. Il a noté que la Cour constitutionnelle avait examiné les questions soulevées dans la plainte de l’auteur et qu’elle avait rejeté la plainte − et ce après avoir procédé à un examen complet des questions en jeu −, au motif que l’auteur aurait dû déposer sa demande plus tôt − c’est ‑à ‑dire avant les élections, au cours de la phase préparatoire. De plus, le Comité a relevé que l’État partie n’avait pas démontré que, dans un cas comme celui de l’auteur, une demande pouvait être présentée à toute autre instance, administrative ou judiciaire, que la Cour constitutionnelle, dans un délai réglementaire. Le Comité a estimé qu’il aurait été déraisonnable de demander à l’auteur d’anticiper, avant l’examen de l’affaire, la décision de la Cour constitutionnelle au sujet du retard mis à présenter la demande. Pour toutes ces raisons, le Comité a considéré que l’auteur avait épuisé les recours internes au sens de l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Dans ces conditions, le 21 mars 2001, le Comité a décidé que la communication était recevable pour ce qui touche aux droits de l’auteur au titre de l’article 25 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1 Par une lettre datée du 12 novembre 2001, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

7.2 Dans ses observations sur le fond, l’État partie reprend les arguments présentés au stade de l’examen de la recevabilité et donne un résumé de la décision de la Cour constitutionnelle. La Cour constitutionnelle a considéré que la comparaison du nombre d’électeurs par siège dans les cinq circonscriptions électorales montrait qu’il y avait cinq fois plus d’électeurs par siège dans la troisième circonscription électorale que dans la cinquième. C’est pourquoi elle a déclaré que la résolution 193/98 était contraire aux droits constitutionnels de l’auteur, ainsi qu’au paragraphe 9 de l’article premier de la loi n o  346/1990 relative aux élections municipales 1 . Toutefois , la Cour a ajouté que les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution ne peuvent l’être que dans la mesure où leur exercice ne limite pas ou ne réduit pas à néant ceux des autres. En l’occurrence, la violation s’étant produite pendant la phase préparatoire des élections et non pendant leur déroulement, la Cour a estimé que l’auteur aurait dû déposer sa plainte avant les élections pour éviter d’empiéter sur les droits de tiers, parmi lesquels des conseillers municipaux élus, qui avaient obtenu leur siège de bonne foi. C’est sur cette base que la Cour a rejeté la plainte de l’auteur.

7.3 L’État partie reconnaît qu’il y a eu erreur dans le découpage des circonscriptions électorales; il déplore «qu’il ait été porté atteinte au droit de l’auteur d’être élu membre du conseil municipal dans des conditions d’égalité…» et déclare que si la plainte avait été déposée au cours de la phase préparatoire des élections, la Cour constitutionnelle aurait été en mesure d’annuler la résolution.

Commentaires de l’auteur

8.1 Dans une lettre du 24 octobre 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur le fond. Il reprend les arguments avancés dans sa communication initiale. Il ajoute qu’il a consulté un avocat qui a considéré qu’il ne pouvait pas saisir la Cour constitutionnelle avant les élections puisqu’il n’y avait pas violation de ses droits constitutionnels, mais seulement du droit électoral.

8.2 En outre, l’auteur évoque deux actions en inconstitutionnalité fondées sur des allégations de violation de la loi au cours de la phase préparatoire d’élections locales, à la suite desquelles la Cour a annulé les élections. L’auteur allègue que le fait de ne pas avoir déposé la plainte avant les élections n’empêchait pas l’annulation des élections. À propos de ses droits par rapport à ceux de tiers, l’auteur se réfère à nouveau aux deux affaires qui ont précédé la sienne à l’issue desquelles les élections ont été annulées sans prendre en compte les droits des personnes élues. Il estime également qu’il est dans l’intérêt de la démocratie de respecter la Constitution et de garantir ainsi les droits fondamentaux de l’homme.

Délibérations du Comité

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Pour ce qui est de savoir si l’article 25 du Pacte a été violé, le Comité note que la Cour constitutionnelle de l’État partie a estimé que du fait d’un découpage des circonscriptions dans lequel il existait des différences importantes entre le nombre d’habitants par siège, en dépit de la loi électorale qui exige que le nombre de sièges soit proportionnel au nombre d’habitants, l’égalité des droits électoraux garantie par la Constitution a été violée. Eu égard à cette décision, qui est fondée sur une clause constitutionnelle similaire aux dispositions relatives à l’égalité figurant à l’article 25 du Pacte, et en l’absence de la moindre référence de la part de l’État partie aux facteurs qui pourraient expliquer les différences concernant le nombre d’habitants ou d’électeurs inscrits par siège entre les différentes circonscriptions de Rožňava, le Comité est d’avis que l’État partie a violé les droits de l’auteur consacrés par l’article 25 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Slovaquie des alinéas  a et  c de l’article 25 du Pacte.

11. Le Comité est conscient que l’annulation d’élections qui ont déjà eu lieu ne constitue pas toujours une réparation appropriée en cas d’inégalité lors de ces élections, notamment lorsque cette inégalité trouve son origine dans les lois et les règlements adoptés avant les élections plutôt que dans des irrégularités intervenues durant les élections elles-mêmes. En outre, dans les circonstances particulières de la présente affaire, étant donné le temps qui s’est écoulé depuis les élections de décembre 1998, le Comité considère que la seule constatation de l’existence d’une violation est une réparation suffisante. L’État partie est tenu d’éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de ce dernier, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également tenu de rendre publiques lesdites constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

FF. Communication n° 928/2000, Boodlal Sooklal c. Trinité ‑et ‑Tobago

(constatations adoptées le 25 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Boodlal Sooklal (représenté par un conseil, M me  Natalia Schiffrin, Interights)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

2 février 2000 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 928/2000 présentée par M. Boodlal Sooklal, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, présentée le 2 février 2000, est Boodlal Sooklal, de nationalité trinidadienne, qui purge actuellement, en application du principe de la confusion des peines, une peine totale de 50 ans d’emprisonnement à la Trinité ‑et ‑Tobago. Il se déclare victime de violations du paragraphe 3 de l’article 9 et des paragraphes 3 c) et d) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En mai 1989, l’auteur a été arrêté et accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs et d’avoir commis des attentats à la pudeur sur la personne de mineurs. À la suite d’une instruction préliminaire qui a eu lieu en juin 1992, il a été mis en liberté sous caution le 27 juillet 1992. L’auteur a été maintenu en détention depuis le moment de son arrestation jusqu’à la date de sa mise en liberté sous caution, soit plus de trois ans après son arrestation.

2.2 En février 1997, l’auteur a été jugé par la High Court , devant laquelle il a plaidé non coupable. Il était représenté par un avocat commis d’office. Il a été reconnu coupable et condamné à 12 coups de fouet, ainsi qu’à une peine totale de 50 ans d’emprisonnement, ce qui équivaut à 20 années d’emprisonnement après remise de peine.

2.3 L’auteur a fait appel de la condamnation, appel qui a été examiné par la cour d’appel le 19 novembre 1997. Il n’a reçu aucun conseil de son avocate commise d’office concernant cet appel et n’a pas pu la rencontrer avant l’audience. Au cours de celle ‑ci, l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour qu’il n’y avait pas matière à recours. En conséquence, l’autorisation de recours a été refusée et la peine prononcée a été confirmée.

2.4 Selon le conseil, l’auteur n’a pas les moyens d’engager un avocat pour former un recours constitutionnel et n’a pas pu trouver d’avocat qui le fasse à titre gracieux. Le conseil indique aussi que, même si l’auteur trouvait quelqu’un pour le représenter, la Constitution de la Trinité ‑et ‑Tobago ne garantit pas un procès rapide ou le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et que, en conséquence, aucun recours constitutionnel contre la lenteur de la procédure ne serait utile en l’espèce.

Teneur de la plainte

3.1 Le conseil affirme que l’auteur est victime de violations du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, compte tenu du fait qu’il a été maintenu en détention pendant un laps de temps déraisonnable en attendant de passer en jugement et qu’il n’a pas été jugé sans retard excessif.

3.2 Le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité, notamment à sa décision dans l’affaire  Steadman c.  Jamaïque 1 , dans laquelle il a émis l’avis que, l’État partie n’ayant pas donné d’explication quant à son comportement, un retard d’environ 27 mois entre la date de l’arrestation du demandeur et la date de son jugement constituait une violation de l’obligation de l’État, en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14, de veiller à ce que toute personne inculpée soit jugée sans retard excessif.

3.3 Le conseil fait valoir que les faits de la cause ne sont pas complexes, que l’affaire concerne un nombre limité de témoins et que les allégations sont peu nombreuses. Ce n’est donc pas une affaire dans laquelle un retard puisse être justifié en raison de la complexité des faits. En outre, aucun des retards qui caractérisent cette affaire ne peut être attribué à l’auteur, qui souhaitait en fait vivement que son affaire soit jugée le plus rapidement possible.

3.4 Le conseil affirme que l’État partie est entièrement responsable des retards. Sans aucune explication, le ministère public et les autorités judiciaires ont fait attendre l’auteur environ trois ans avant de mener une instruction préliminaire, puis encore quatre ans et neuf mois avant de le traduire devant un juge. De plus, aucune raison n’a été invoquée pour expliquer pourquoi il a été maintenu en détention plutôt que d’être mis en liberté sous réserve de sa comparution à l’audience, ainsi que le prévoit le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. D’après le conseil, l’intervalle de près de huit ans qui s’est écoulé entre l’arrestation de l’auteur et son procès est encore plus important que celui qui s’est écoulé avant le jugement dans l’affaire Steadman  c.  Jamaïque et que le Comité a jugé excessif.

3.5 De plus, le conseil affirme que, près de neuf ans après les incidents en cause 2 , l’équité du procès de l’auteur a été gravement compromise, puisqu’il est vraisemblable que les témoins cités n’avaient plus de souvenirs très précis des faits. Le conseil note à cet égard que deux des témoins étaient âgés de 10 et 12 ans, respectivement, au moment des faits. Il est peu probable à son avis qu’ils aient été en mesure, à presque 20 ans, d’apporter un témoignage précis sur des événements qui s’étaient produits pendant leur enfance .

3.6 D’après le conseil, l’auteur est aussi victime d’une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, puisqu’il n’a pas bénéficié d’une assistance juridique effective. Ainsi, l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour d’appel qu’il n’y avait pas matière à recours, alors qu’il existait des motifs évidents, notamment le fait que l’auteur avait dû attendre près de huit ans avant d’être jugé et que cet élément n’avait visiblement pas été pris en compte dans la décision du juge du fond.

3.7 Le conseil indique que le droit à une assistance effective est un élément inhérent du droit à un jugement équitable et du droit de recours. Elle renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire  Kelly c. Jamaïque 3 , dans laquelle le Comité a fait observer que «des dispositions doivent être prises pour que [le défenseur], une fois commis d’office, représente effectivement l’accusé dans l’intérêt de la justice».

3.8 Le conseil rappelle que le Comité a affirmé à plusieurs reprises que, lorsque le défenseur d’un accusé décide qu’il n’y a pas matière à recours, il doit consulter l’accusé et l’informer à l’avance de son intention de se désister de l’appel 4 . L’obligation d’informer l’accusé s’étend aussi à l’instance d’appel. Dans l’affaire Steadman c.  Jamaïque, au cours de laquelle l’avocat de l’accusé avait déclaré au tribunal qu’il n’y avait pas matière à recours, le Comité a estimé qu’il ne lui appartenait pas de mettre en doute le jugement professionnel du conseil mais a ajouté que «la cour doit s’assurer que l’accusé a été consulté et dûment informé. Si tel n’est pas le cas, elle doit veiller à ce que l’accusé soit informé de la situation afin de pouvoir envisager les possibilités qui lui restent».

3.9 Selon le conseil, lorsque l’avocate de l’auteur a déclaré à la cour qu’il n’y avait pas matière à recours contre la condamnation, elle s’est, de fait, désistée de l’appel sans que l’auteur en soit informé et, partant, sans son consentement. Enfin, rien n’indique que la cour d’appel ait cherché à savoir si l’auteur avait été dûment informé de l’intention de son défenseur de se désister de l’appel. Le conseil se réfère à la jurisprudence 5 du Comité en la matière et estime que ces éléments font apparaître une violation des droits que les paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte confèrent à l’auteur.

3.10 Bien que le conseil n’ait pas formulé d’allégations de violation de l’un quelconque des droits protégés par le Pacte pour ce qui concerne la condamnation de l’auteur à 12 coups de fouet, les faits de la cause posent problème au regard de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1 La communication, ainsi que les pièces jointes, ont été transmises à l’État partie le 17 mai 2000. En dépit des rappels qui lui ont été adressés, l’État partie n’a pas répondu à la demande formulée par le Comité en vertu de l’article 91 de son règlement intérieur de lui soumettre des renseignements et des observations concernant la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’il résulte implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie doit examiner de bonne foi toutes les allégations formulées contre lui et qu’il doit fournir au Comité tous les renseignements dont il dispose. Compte tenu du fait que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité en ce qui concerne l’affaire dont ce dernier est saisi, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

4.2 Avant d’examiner les plaintes soumises dans la communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.3 Le Comité note qu’au moment où la communication a été présentée, la Trinité ‑et ‑Tobago était partie au Protocole facultatif. La dénonciation par l’État partie du Protocole facultatif le 27 mars 2000, avec effet au 27 juin 2000, n’affecte pas la compétence du Comité pour examiner la présente communication.

4.4 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Quant à l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas indiqué que de tels recours internes devaient encore être épuisés par l’auteur et n’a formulé aucune autre objection à la recevabilité de la plainte. D’après les renseignements dont il dispose, le Comité estime que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

4.5 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.6 Le Comité note que l’auteur a été condamné à 12 coups de fouet et rappelle qu’il avait indiqué, dans sa décision dans l’affaire Osbourne c.  Jamaïque 6 , que, quelle que soit la nature de l’infraction à punir, quel qu’ait été son degré de brutalité, il était profondément convaincu que les châtiments corporels constituaient une peine cruelle, inhumaine et dégradante, contraire à l’article 7 du Pacte. Dans le cas présent, le Comité est d’avis que, en imposant une peine de flagellation, l’État partie a violé les droits que l’article 7 confère à l’auteur.

4.7 Le Comité note l’affirmation du conseil selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 9, puisque l’auteur a été maintenu en détention pendant un laps de temps déraisonnable avant de passer en jugement. L’État partie n’a donné aucun élément justifiant le placement en détention de l’auteur ou la durée de celle ‑ci. Le Comité note que l’auteur a passé trois ans en détention avant d’être libéré sous caution et est donc d’avis que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

4.8 S’agissant de l’affirmation du conseil selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 3 c) de l’article 14, puisque l’auteur n’a pas été jugé dans un délai raisonnable après son inculpation, le Comité note que l’auteur a attendu sept ans et neuf mois entre son arrestation et son procès. L’État partie n’a donné aucun élément justifiant ce retard. Cela étant, le Comité est d’avis que ce laps de temps est excessif et donc que l’État partie a violé le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

4.9 Le Comité note l’affirmation du conseil selon laquelle on ne pouvait pas s’attendre à ce que les témoins apportent un témoignage précis sur des événements qui se seraient produits neuf ans auparavant, en raison de l’intervalle de sept ans et neuf mois écoulé entre l’arrestation de l’auteur et son procès, ce qui avait gravement compromis l’équité du procès. Comme il apparaît, d’après le dossier, que la High Court s’est penchée sur les questions de crédibilité et d’évaluation des preuves, le Comité estime que le temps écoulé ne peut avoir sur la crédibilité des dispositions des témoins un effet qui porte à une conclusion de violation du Pacte différente de celle qui a été formulée ci ‑dessus concernant le paragraphe 3 c) de l’article 14.

4.10 Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le paragraphe 3 d) de l’article 14 aurait été violé, le Comité note que le défenseur désigné par l’État a admis qu’il n’y avait pas matière à recours. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence 7 et est d’avis que, en vertu du droit à un procès équitable et à une assistance juridique, l’auteur doit être informé du fait que son défenseur n’a pas l’intention de faire valoir des moyens d’appel devant la cour et qu’il doit avoir la possibilité d’engager un autre avocat, afin que ses préoccupations puissent être exprimées devant une juridiction d’appel. Dans le cas présent, il ne semble pas que la cour d’appel ait pris les mesures nécessaires pour veiller au respect de ce droit. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que le droit, que le paragraphe 3 d) de l’article 14 confère à l’auteur, a été violé.

4.11 Le Comité est d’avis que les faits mentionnés au paragraphe 4.10 ne soulèvent pas de questions différentes au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

5. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Trinité-et-Tobago du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 3 c) et d) de l’article 14, et de l’article 7 du Pacte.

6. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a le droit de disposer d’un recours utile, comportant une indemnisation et la possibilité de former un nouveau recours ou, si cette éventualité n’est plus envisageable, a droit à ce que soit dûment envisagée la possibilité de lui accorder une libération anticipée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. Si le châtiment corporel auquel l’auteur a été condamné ne lui a pas été infligé, l’État partie devra renoncer à faire exécuter la peine.

7. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

GG. Communication n° 932/2000, Gillot c. France

(constatations adoptées le 15 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M lle Marie-Hélène Gillot et consorts (représentés par  M lle Marie-Hélène Gillot)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

France

Date de la communication :

25 juin 1999 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 932/2000 présentée par M lle  Marie ‑Hélène Gillot et consorts, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les 21 auteurs sont M. Jean Antonin, M. François Aubert, M. Alain Bouyssou, M me  Jocelyne Buret épouse Schmidt, M me  Sophie Buston épouse Demaret, M me  Michèle Garland épouse Philizot, M me  Marie ‑Hélène Gillot, M. Franck Guasch, M me  Francine Guillot épouse Keravec, M. Albert Keravec, M lle  Audrey Keravec, M lle  Carole Keravec, M me  Sandrine Keravec épouse Aubert, M. Christophe Massias, M. Jean ‑Louis Massias, M me  Martine Paris épouse Massias, M. Jean Philizot, M. Paul Pichon, M me  Monique Quero ‑Valleyo épouse Bouyssou, M. Thierry Schmidt, M me  Sandrine Tastet épouse Sapey, tous citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie, collectivité d’outre ‑mer de la France. Les auteurs affirment être victimes de la part de la France de violations du paragraphe 1 de l’article 2; du paragraphe 1 de l’article 12; et des articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par M lle Marie-Hélène Gillot, elle-même auteur.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 5 mai 1998, deux organisations politiques de Nouvelle-Calédonie, le Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) ainsi que le Gouvernement français signaient l’Accord dit de Nouméa. S’inscrivant dans le cadre d’un processus d’autodétermination, cet accord a fixé le cadre de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie pour les 20 ans à venir.

2.2 La mise en œuvre de l’Accord de Nouméa a conduit à une révision constitutionnelle dans la mesure où il impliquait des dérogations à certains principes de valeur constitutionnelle tels que le principe d’égalité dans le domaine notamment des droits politiques (corps restreint pour les scrutins locaux). Ainsi, par un vote conjoint du Parlement et du Sénat français, et une approbation du projet de révision constitutionnelle par le Congrès, la loi constitutionnelle n o  98 ‑610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie a inséré dans la Constitution un titre XIII intitulé «Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie». Celui-ci comprend les articles 76 et 77 suivants:

L’article 76 de la Constitution dispose:

«Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 13 décembre 1998 sur les dispositions de l’Accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n o  88-1028 du 9 novembre 1988. Les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres.».

L’article 77 dispose:

«Après approbation de l’accord lors de la consultation prévue à l’article 76, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre: [...] − les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral [...] − les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté.».

2.3 Une première consultation a donc eu lieu le 8 novembre 1998. L’Accord de Nouméa a été approuvé par 72 % des suffrages exprimés, et le principe d’une ou plusieurs autres futures consultations a été arrêté. Les auteurs n’ont pas pu participer à ce scrutin.

2.4 Les auteurs contestent les modalités de définition du corps électoral pour ces différentes consultations, telles qu’elles ont été fixées par l’Accord de Nouméa et mises en œuvre par le Gouvernement français.

2.5 Pour la première consultation, celle du 8 novembre 1998, le décret n o 98-733 du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle ‑Calédonie prévue par l’article 76 de la Constitution, a défini le corps électoral par référence à l ’ article 2 de la loi n o 88-1028 du 9 novembre 1988 (tel que d’ailleurs prévu au point 6.3 de l ’ Accord de Nouméa), à savoir: «sont admis à participer ... les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988».

2.6 Pour les consultations futures, le corps électoral a été défini, par le Parlement français, par la loi organique n o 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, en son article 218 (reprenant le point 2.2 de l ’ Accord de Nouméa ) aux termes duquel:

«Sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l ’ une des conditions suivantes:

a) Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998;

b) N ’ étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation;

c) N ’ ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier de ce que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales;

d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux;

e) Avoir l ’ un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux;

f) Pouvoir justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle ‑Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014;

g) Être nés avant le 1 er janvier 1989 et avoir eu leur domicile en Nouvelle ‑Calédonie de 1988 à 1998;

h) Être nés à compter du 1 er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.

Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales, ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile.».

2.7 Ne répondant pas aux critères ci-dessus exposés, les auteurs déclarent avoir été exclus de la consultation du 8 novembre 1998 et qu ’ ils le seront également pour les consultations prévues à partir de 2014.

2.8 Les auteurs affirment avoir épuisé toutes les voies de recours internes afin de contester ces atteintes.

2.9 Le 7 octobre 1998, les auteurs ont introduit une requête collective auprès du Conseil d’État afin d ’ obtenir l ’ annulation du décret n o  98-733 du 20 août 1998, et donc de la consultation du 8 novembre 1998 par le corps électoral restreint prévu à cet effet. Dans son arrêt du 30 octobre 1998, le Conseil d ’É tat a rejeté cette requête. Il a, en particulier, précisé que la suprématie conférée aux engagements internationaux en vertu de l ’ article 55 de la Constitution ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle, et qu’en l ’ espèce les dispositions des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, invoquées par les requérants, ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 9 novembre 1988 (définissant le corps électoral dans le cadre du décret n o 98-733 du 20 août 1998 relatif à la consultation du 8 novembre 1998) ayant valeur constitutionnelle.

2.10 Chaque auteur a par ailleurs demandé auprès de la Commission administrative de Nouméa son inscription sur les listes des électeurs admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998. Saisi par chacun des auteurs du refus d’inscription de la Commission, le tribunal de première instance de Nouméa a confirmé cette décision . Saisie, la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 1999, a rejeté les pourvois de chacun des auteurs au motif qu ’ ils ne satisfaisaient pas aux conditions arrêtées pour la consultation du 8 novembre 1998 prévues à l ’ article 76 de la Constitution.

2.11 Les auteurs estiment en outre que tout recours à l ’ encontre de la violation future, mais certaine de leur droit de vote pour les consultations à compter de 2014 est inutile et voué à l ’ échec. Ils font valoir que la loi organique n o 99-209 du 19 mars 1999 a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n o 99-410 DC du 15 mars 1999, ceci malgré des dérogations à des règles ou principes de valeur constitutionnelle, que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par un particulier, et qu’aucun tribunal administratif ou judiciaire ne s ’ estime compétent pour annuler ou écarter une disposition législative organique fut-elle, selon les auteurs, en réalité anticonstitutionnelle. Ils soutiennent, en outre, que la jurisprudence issue de l ’ arrêt du Conseil d ’É tat du 30 octobre 1998 (ci-dessus mentionné) ferme la voie à tout contrôle par le juge administratif de la compatibilité au regard d’un traité d’une loi trouvant son support explicite dans la Constitution. Cette théorie de l’écran constitutionnel est, d’après les auteurs, également suivie par la Cour de cassation, ce qui signifie l’échec de toute saisine future du juge électoral. Finalement, les auteurs concluent que tout recours contre la privation de leur droit de vote aux consultations à partir de 2014 est irrémédiablement voué au rejet, et pourrait même être sanctionné d ’ une amende pour recours abusif, ou d ’ une condamnation aux frais non compris dans les dépens.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs estiment, en premier lieu, illégitime le retrait de leur droit de vote pour les consultations de 1998 et à partir de 2014, car il porte atteinte à la jouissance d ’ un droit acquis et indivisible, ce qui est contraire à l ’ article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Outre leur qualité de citoyens français, ils expliquent être titulaires d ’ une carte d ’ électeur et être inscrits sur la liste électorale de Nouvelle-Calédonie. Ils précisent qu ’ à la date de la consultation du 8 novembre 1998, leur durée de résidence en Nouvelle-Calédonie se situait entre au moins trois ans et quatre mois, et au plus neuf ans et un mois, et que deux auteurs, M. et M me Schmidt, sont d’ailleurs nés en Nouvelle-Calédonie. Ils déclarent avoir leur résidence permanente en Nouvelle-Calédonie, où ils souhaitent rester, ce territoire constituant le centre de leur vie familiale et professionnelle.

3.2 Les auteurs soutiennent, en second lieu, que la privation de leur droit de vote constitue une discrimination à leur encontre n ’ étant ni justifiée, ni raisonnable et objective. Contestant les critères établis pour la définition des corps électoraux aux scrutins de 1998 et à compter de 2014, en raison des dérogations apportées aux règles de la France dans le domaine électoral et des violations ainsi commises à l ’ encontre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les auteurs soulignent les discriminations suivantes.

3.3 Les auteurs font état, premièrement, d ’ une discrimination affectant uniquement les citoyens français en Nouvelle-Calédonie en raison même de leur résidence sur ce territoire. Ils font valoir que les critères de durée de résidence fixés pour les scrutins en cause dérogent au Code électoral applicable à tout citoyen français, quel que soit son lieu de résidence. Les auteurs estiment qu ’ il en résulte, d ’ une part, une pénalisation à l ’ encontre de ceux ayant choisi de résider en Nouvelle-Calédonie, et d ’ autre part, un traitement discriminatoire au regard du droit de vote parmi les citoyens français.

3.4 Les auteurs invoquent, deuxièmement, une discrimination entre citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie selon la nature des scrutins. Les auteurs remettent en cause l ’ existence d ’ un double corps électoral, l ’ un commun à tous les résidents pour les élections nationales et le second restreint à une partie des résidents pour les scrutins locaux.

3.5 Troisièmement, les auteurs dénoncent une discrimination fondée sur l ’ origine ethnique ou l ’ ascendance nationale des citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie. Ils soutiennent que les autorités françaises ont établi un corps électoral ad hoc pour les scrutins locaux, afin de favoriser les Kanaks et les Caldoches présentés comme des Calédoniens de souche, dont les représentants politiques ont signé l ’ Accord de Nouméa. Selon les requérants, cet Accord s ’ est fait au détriment des autres citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie originaires de la métropole (dont les présents auteurs), polynésiens, wallisiens, futuniens et asiatiques et qui représentent une part importante des 7,67 % d ’ électeurs calédoniens privés de leur droit de vote.

3.6 Quatrièmement, les auteurs estiment que le critère de définition du corps électoral restreint relatif à la naissance entraîne une discrimination entre citoyens ressortissants d ’ un même pays, la France.

3.7 Cinquièmement, les auteurs perçoivent le critère relatif au lien parental comme discriminatoire.

3.8 Sixièmement, les auteurs déclarent être victimes d ’ une discrimination fondée sur la transmission du droit de vote par voie héréditaire , résultant du critère sur le lien parental.

3.9 Les auteurs soutiennent, en troisième lieu, que la durée de résidence pour être admis à la consultation du 8 novembre 1998, à savoir 10 ans, est excessive. Ils affirment que le Comité des droits de l ’ homme a estimé contraire à l ’ article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques une durée de domicile de sept ans fixée par la Constitution de la Barbade .

3.10 Les auteurs considèrent également excessive la durée de résidence conditionnant le droit de vote aux consultations à partir de 2014, à savoir 20 ans. Ils font, à nouveau, valoir qu ’ il s ’ agit pour les autorités françaises d ’ établir un corps électoral au bénéfice des Kanaks et des Caldoches pour lesquels, au demeurant, le droit de vote est préservé des effets d ’ un séjour prolongé hors de la Nouvelle-Calédonie. Ils précisent que la durée de résidence avait été fixée à trois ans pour les référendums d ’ autodétermination de la Côte française des Somalis en 1959, du Territoire des Afars et des Issas en 1976 et de la Nouvelle-Calédonie en 1987. Il s ’ agissait, selon les auteurs, de prévenir le vote des fonctionnaires métropolitains mutés pour une période limitée, en général en deçà de trois ans, et donc sans projet d ’ intégration et pour lesquels le vote aurait soulevé des conflits d ’ intérêts. Or, les auteurs soulignent ne pas se trouver dans la situation de fonctionnaires métropolitains de passage en Nouvelle-Calédonie, mais dans celle de citoyens français y ayant fait le choix d ’ une installation durable et définitive. Ils prétendent, en outre, que la condition de 20 ans de résidence en Nouvelle-Calédonie est contraire à l’Observation générale n o 25 (57) du Comité des droits de l ’ homme, en particulier son paragraphe 6 .

3.11 Les auteurs invoquent des violations de la part de la France des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils souhaitent le rétablissement, par la France, de leurs pleins droits politiques. Ils demandent que la France modifie les dispositions de la loi organique n o 99-209 du 19 mars 1999 contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, afin de permettre leur participation aux consultations à compter de 2014.

Observations de l ’ État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 23 octobre 2000, l ’ État partie estime, en premier lieu, que la communication des auteurs ne semble se heurter à aucun chef d ’ irrecevabilité. Dans la mesure où les auteurs justifient être exclus du corps électoral néo-calédonien consulté à la suite de l ’ Accord de Nouméa par référendum du 8 novembre 1998 et qui le sera à nouveau sur l ’ évolution du statut du territoire néo-calédonien entre 2014 et 2019, et avoir formé les recours disponibles devant les juridictions nationales − dont ils ont été définitivement déboutés − contre les actes de droit interne qu ’ ils critiquent, selon l ’ État partie, les auteurs doivent être regardés comme pouvant se prétendre − à tort ou à raison − victimes d ’ une méconnaissance du Pacte et comme ayant satisfait à l ’ obligation d ’ épuisement des voies de recours internes.

4.2 L ’ État partie soulève aux fins de la recevabilité des questions de fond.

4.3 À cet égard, l ’ État partie fait valoir que doit être écarté, en tant qu ’ il est manifestement incompatible avec la disposition invoquée, le grief tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, qui figure d’ailleurs dans l’argumentation des auteurs sans pour autant être repris dans leurs conclusions finales. D’après l’État partie, les modalités de définition du corps électoral appelé à participer aux consultations relatives à l’évolution du statut applicable au territoire de la Nouvelle ‑Calédonie, si elles affectent incontestablement le droit de vote de certains citoyens, sont dépourvues de toute incidence sur la liberté de circulation et de choix d’une résidence des personnes se trouvant régulièrement sur le territoire français − dont la Nouvelle ‑Calédonie fait partie.

4.4 L’État partie soutient également que l’invocation des dispositions du paragraphe 1 des articles 2 et 26 du Pacte apparaît superfétatoire.

4.5 D’après l’État partie, le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte pose, en effet, un principe de non-discrimination dans la jouissance des droits reconnus par le Pacte. Pour cette raison, il ne peut être invoqué qu’en combinaison avec l’un des autres droits figurant dans ce même instrument. En l’espèce, l’État partie estime inutile de l’invoquer conjointement avec l’article 25 relatif à la liberté de vote, lequel mentionne déjà par renvoi précisément audit article 2, l’interdiction de toute discrimination en cette matière. Selon l’État partie, la seule invocation de l’article 25 du Pacte suppose donc, en elle-même, le contrôle par le Comité du respect du paragraphe 1 de l’article 2.

4.6 l’État partie fait valoir que l’article 26 du Pacte pose un principe général d’interdiction de toute discrimination résultant de la loi qui, contrairement à celui posé au paragraphe 1 de l’article 2, peut être, selon la jurisprudence du Comité , invoqué de façon autonome. D’après l’État partie, par rapport à cette clause générale de non-discrimination, le renvoi au paragraphe 1 de l’article 2, contenu dans l’article 25 du Pacte, constitue donc une lex specialis , instituant un niveau de protection au minimum équivalent, sinon supérieur. l’État partie estime ainsi que l’invocation de l’article 26 du Pacte ne présente aucun intérêt supplémentaire pour les requérants par rapport à la simple invocation de cette disposition.

4.7 L’État partie conclut ainsi que, sans préjuger du bien-fondé du grief de discrimination soulevé par les auteurs, son examen au regard du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte est sans objet, dans la mesure où ce grief pourra être tout aussi valablement apprécié sur le fondement des dispositions de l’article 25, pris isolément.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans leurs commentaires du 20 février 2001, les auteurs prennent acte de la non-opposition de l’État partie à la recevabilité de leur communication du point de vue formel.

5.2 Ils rejettent la fin de non-recevoir invoquée par l’État partie relativement au paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte. Ils font valoir que la liberté de circulation à l’intérieur d’un État et le libre choix effectif de la résidence par un ressortissant du même État, garantis par l’article 12 du Pacte, n ’ existent que pour autant que cette mobilité ou cette fixation d ’ une nouvelle résidence n ’ est pas pénalisée par l ’ annulation d ’ un autre droit du Pacte, à savoir le droit de vote, par nature rattaché à la résidence. Les auteurs estiment que le droit de changer de résidence, aussi souvent que l ’ autorise l ’ article 12, n ’ aurait pas de sens si ce choix impliquait d ’ être privé de tous ses droits civiques au nouveau lieu de résidence, et ce pendant 10 à 20 ans.

5.3 Les auteurs contestent également l ’ argumentation d ’ irrecevabilité de l’État partie fondée sur le caractère superfétatoire de l ’ invocation du paragraphe 1 de l ’ article 2 et de l ’ article 26 du Pacte. En conséquence, ils déclarent maintenir que les dispositions de droit interne qu ’ ils contestent portent atteinte tant au paragraphe 1 de l ’ article 2, conjointement avec les dispositions des articles 25 et 26, qu ’ à l ’ article 26 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité

6.1 Dans ses observations datées du 22 février 2001, l’État partie fait part de ses observations liminaires sur la qualité de victime des auteurs. Il explique que les auteurs ne sauraient se prévaloir de la qualité de victime d ’ une méconnaissance des dispositions du Pacte − au sens des articles 2 du Protocole facultatif et 90 du règlement intérieur du Comité − en raison de la définition retenue pour les corps électoraux en cause, que si cette définition a eu ou aura pour effet de les écarter des scrutins litigieux.

6.2 L’État partie constate, sur la base des éléments fournis par les auteurs, que la plupart des auteurs ne remplissaient pas, à la date de la consultation du 8 novembre 1998, la condition de résidence de 10 ans requise (deux d ’ entre eux, M. et M me Schmidt, déclarent cependant avoir résidé en Nouvelle-Calédonie depuis leur naissance. L’État partie déclare ne pas voir dès lors la raison de leur exclusion du scrutin, sauf à ce que cette résidence ait été interrompue, ce qu’ils ne précisent pas). L ’É tat partie conclut que la majorité des auteurs justifient donc d ’ un intérêt personnel à contester les conditions d ’ organisation de la consultation de novembre 1998.

6.3 L’État partie estime, en revanche, qu ’ il ressort des mêmes indications fournies par les 21 auteurs qu ’ à la date butoir du 31 décembre 2014, seule M me Sophie Demaret se trouvera écartée des consultations futures du fait de l ’ application de la condition de résidence de 20 ans. D ’ après l’État partie, les 20 autres auteurs justifieront, à supposer qu ’ ils se maintiennent, comme ils déclarent en avoir l ’ intention, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, d ’ une durée de résidence supérieure à 20 ans et ils pourront donc prendre part aux différentes consultations. L’État partie conclut que 20 des 21 auteurs ne justifient pas d ’ un intérêt personnel à contester les modalités d ’ organisation des consultations futures, et donc ne sauraient se prétendre victimes d ’ une violation du Pacte, ce qui conduit à l ’ irrecevabilité de cette partie de leur communication.

6.4 L ’É tat partie rappelle sa position quant à la fin de non-recevoir, d ’ une part, du grief tiré de la violation du paragraphe 1 de l ’ article 12 du Pacte en tant qu ’ il est manifestement incompatible avec la disposition invoquée, et d ’ autre part, de l ’ invocation du paragraphe 1 de l ’ article 2 et de l ’ article 26 du Pacte en raison de leur caractère superfétatoire.

Commentaires des auteurs sur les observations supplémentaires de l ’ État partie concernant la recevabilité

7.1 Dans leurs commentaires du 9 mai 2001, les auteurs rejettent la fin de non-recevoir de l’État partie relativement aux 20 auteurs pour la partie de la requête concernant les scrutins à venir. Ils estiment que l ’É tat partie n ’ a pas formulé d ’ argumentation d ’ irrecevabilité à leur égard dans ses observations du 23 octobre 2000, et que sa fin de non-recevoir en date du 22 février 2001 est tardive. Ils font également valoir que les 20 auteurs ne pourront participer aux consultations à partir de 2014, dans l ’ hypothèse où, conformément à leur droit tiré de l ’ article 12 du Pacte, ils quitteraient temporairement la Nouvelle-Calédonie pour une période qui ne leur permettrait plus de remplir la condition de 20 ans de résidence continue. Ils précisent, en outre, qu ’ il est exact que les deux auteurs nés en Nouvelle-Calédonie, M. et M me Schmidt, avaient été exclus de la consultation du 8 novembre 1998 dans la mesure où ayant résidé hors de Nouvelle ‑Calédonie entre 1988 et 1998, la condition des 10 ans de résidence continue n ’ était plus satisfaite.

7.2 Les auteurs maintiennent également la partie de leur communication relativement au paragraphe 1 des articles 2 et 12, et à l ’ article 26 du Pacte, et contestent donc l ’ argumentation d ’ irrecevabilité de l’État partie.

Observations de l ’É tat partie sur le fond de la communication

8.1 Dans ses observations du 22 février 2001, l’État partie développe son argumentation sur le fond sur la partie de la communication qu ’ il estime recevable, en l ’ occurrence le grief de violation de l ’ article 25 du Pacte.

8.2 Il rappelle que selon l ’ interprétation large qu ’ en a donnée le Comité des droits de l ’ homme dans son Observation générale n o  25 du 12 juillet 1996, l ’ article 25 consacre notamment le droit des citoyens de voter lors des élections ou à l ’ occasion d ’ opérations référendaires (voir par. 10 de l ’ Observation). Cependant, le Comité admet que ce droit peut faire l ’ objet de restrictions, sous réserve que celles-ci reposent sur des critères raisonnables (id.). Il indique notamment que des critères discriminatoires tels que ceux prohibés au paragraphe 1 de l ’ article 2 du Pacte ne sauraient servir de fondement à ces restrictions (voir par. 6).

8.3 L ’É tat partie explique que les consultations faisant l ’ objet du présent litige concernent l ’ évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et la vocation éventuelle de ce territoire à accéder à l ’ indépendance. Elles participent à un processus d ’ autodétermination des populations de ce territoire, même si elles n ’ ont pas toutes pour objet direct de trancher la question de l ’ accession du territoire à la pleine souveraineté. D ’ après l’État partie, les considérations ayant présidé à l ’ adoption de l ’ article 53 de la Constitution, qui prévoit que «nulle cession [...] de territoire n ’ est valable sans le consentement des populations intéressées» valent donc pour de telles consultations (que cet article leur soit d ’ ailleurs applicable ou non). L’État partie estime qu ’ il est donc dans la logique de ces consultations qu ’ elles se limitent à recueillir l ’ avis, non de l ’ ensemble de la population nationale, mais de celui des personnes «intéressées» à l’avenir d ’ un territoire limité et justifiant de particularismes.

8.4 L ’É tat partie poursuit son raisonnement en confirmant que le corps électoral arrêté, en conformité avec les options choisies par les négociateurs des accords de Nouméa, pour les différentes consultations en litige, est en effet un corps électoral «restreint», qui diffère du corps électoral «ordinaire», correspondant aux inscriptions sur les listes électorales.

8.5 L ’É tat partie confirme également qu ’ à la condition d ’ inscription sur les listes électorales, a été ajoutée, pour la première consultation organisée en novembre 1998, une condition de durée de résidence de 10 ans à la date du scrutin et, pour les consultations futures, il est requis des électeurs soit qu ’ ils aient été admis à participer à la première consultation, soit qu ’ ils justifient de liens particuliers avec le territoire de Nouvelle-Calédonie (naissance, liens familiaux, etc.) soit, à défaut, qu ’ ils résident depuis 20 ans sur le territoire à la date de la consultation en cause.

8.6 D ’ après l ’É tat partie, les auteurs ne semblent pas remettre en cause le principe de la limitation du corps électoral aux populations intéressées. Cependant, l’État partie rappelle qu ’ ils déclinent à l ’ appui de leur grief de violation de l ’ article 25 du Pacte les arguments suivants: violation du droit à voter; discrimination entre les citoyens français résidant en Nouvelle ‑Calédonie et les autres citoyens; discrimination entre les résidents calédoniens eux ‑mêmes selon la nature des scrutins; discrimination selon l ’ origine ethnique ou l ’ ascendance; discrimination selon le lieu de naissance; discrimination selon les liens familiaux; discrimination en raison de la transmission du droit de vote par voie héréditaire; durée de résidence excessive pour être admis à participer à la première consultation; durée également excessive pour être admis à participer aux consultations futures; retrait du droit de vote aux auteurs.

8.7 À titre liminaire, l ’É tat partie tient à signaler que, dans la mesure où l ’ article 25 du Pacte prévoit que le droit de participer à un scrutin peut subir des limitations raisonnables, l ’ argument des auteurs selon lequel ils bénéficieraient d ’ un droit absolu à prendre part aux consultations litigieuses ne peut qu ’ être écarté.

8.8 L ’É tat partie estime que le débat se limite donc à la question de la compatibilité des restrictions apportées au corps électoral avec les dispositions de l ’ article 25 du Pacte. Sur ce point, selon l’État partie, l ’ argumentation touffue des auteurs semble s ’ articuler autour de deux idées principales, à savoir: les critères retenus pour la définition du corps électoral seraient discriminatoires; et les seuils fixés pour la condition de durée de résidence seraient excessifs.

8.9 À titre liminaire, l ’É tat partie observe que le dispositif législatif contesté ne fait que reprendre les choix librement opérés par les organisations politiques locales représentatives qui ont négocié les accords de Nouméa. Selon l ’ État partie, en reprenant ces choix − ce à quoi il n ’ était nullement tenu − le législateur a donc manifesté son souci de tenir compte de l ’ avis des représentants des populations locales quant aux modalités de mise en œuvre d ’ un processus visant à leur autodétermination. L ’É tat partie considère que cette attitude a été de nature à garantir le libre choix de leur statut politique, que l ’ article 25 du Pacte vise précisément à protéger (voir Observation générale du Comité précitée, point 2).

8.10 Néanmoins, l ’É tat partie ne conteste pas que les choix ainsi opérés devaient l ’ être dans le respect des dispositions de l ’ article 25 du Pacte. Il considère, à cet égard, que ces dispositions ont été parfaitement respectées en l ’ espèce.

8.11 L ’É tat partie explique, en premier lieu, que le grief tiré du caractère discriminatoire des critères retenus pour la définition du corps électoral n ’ est pas fondé.

8.12 D’après l’État partie, il existe, en effet, une différence objective de situation au regard des consultations en litige entre les personnes admises à prendre part au vote et celles qui ne le sont pas.

8.13 À cet égard, l ’É tat partie rappelle que les restrictions apportées au corps électoral sont dictées par l ’ objet même des consultations. L’État partie soutient que ceci est d ’ autant plus vrai que, comme le soulignent eux-mêmes les requérants, ils sont inscrits sur les listes électorales «ordinaires», jouissent sans restriction de leur droit de vote pour les consultations autres que celles qui intéressent le territoire de Nouvelle-Calédonie. D’après l’État partie, il est ainsi inexact d ’ affirmer qu ’ ils auraient été privés de leur droit de vote. Ce droit de vote a donc été restreint, de sorte que les auteurs n ’ ont pas été ou ne seront pas (pour un seul des auteurs) consultés sur des questions auxquelles ils ne sont pas regardés comme étant «intéressés».

8.14 L ’É tat partie fait valoir qu ’ il est naturel de considérer que sont «intéressés» à des scrutins mis en œuvre dans le cadre d ’ un processus d ’ autodétermination les personnes qui justifient d ’ attaches particulières avec le territoire dont le sort est en jeu, attaches qui légitiment leur participation au vote.

8.15 L’ É tat partie précise, qu ’ en l ’ espèce, le système contesté permet d ’ apprécier ces attaches en fonction de plusieurs éléments alternatifs, et non cumulatifs: la durée de la résidence sur le territoire; la détention du statut civil coutumier; la présence sur le territoire des intérêts matériels et moraux, combinée à la naissance de l ’ intéressé ou de ses parents sur le territoire; pour les personnes majeures nées après la consultation de 1998 le fait que les parents aient été admis à participer à cette consultation.

8.16 L ’É tat partie affirme qu ’ il s ’ agit là de critères objectifs, qui sont dépourvus de liens avec l ’ appartenance ethnique ou les choix politiques des populations et qui témoignent indiscutablement de l ’ intensité des liens des intéressés avec le territoire de Nouvelle-Calédonie. Selon l’État partie, il n ’ est pas douteux que les personnes remplissant l ’ une au moins des conditions posées sont plus intéressées au devenir du territoire que celles qui n ’ en remplissent aucune.

8.17 L ’É tat partie conclut qu ’ ainsi la définition retenue pour les corps électoraux a pour effet de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard des liens qu ’ elles entretiennent avec le territoire. Pour cette raison, selon l’État partie, elle ne saurait être retenue pour discriminatoire.

8.18 L ’É tat partie ajoute, qu ’ en admettant même, pour les seuls besoins du raisonnement, que la définition des corps électoraux revienne à opérer une discrimination positive, celle-ci ne serait pas contraire à l ’ article 25 du Pacte.

8.19 À cet égard, l ’É tat partie rappelle que dans son Observation générale n o 18, le Comité affirme: «Dans les États où la situation générale de certains groupes de population empêche ou compromet la jouissance des droits de l ’ homme, l ’É tat doit prendre des mesures spéciales pour corriger cette situation. Ces mesures peuvent consister à accorder temporairement un traitement préférentiel dans les domaines spécifiques aux groupes en question par rapport au reste de la population. Cependant, tant que ces mesures sont nécessaires pour remédier à une discrimination de fait, il s ’ agit d ’ une différenciation légitime au regard du Pacte.».

8.20 En sens inverse, selon l ’É tat partie, le paragraphe 4 de l’article premier de la Convention internationale sur l ’é limination de toutes les formes de discrimination raciale prohibe de telles mesures dès lors que, sous prétexte de discriminations positives, elles auraient «pour effet le maintien des droits distincts pour des groupes raciaux différents».

8.21 L’État partie fait valoir qu ’ au regard de ces dispositions, il apparaît que si les modalités d’organisation des consultations en cause avaient pour objet de favoriser une communauté (par exemple la communauté kanak) en l ’ admettant seule à participer au scrutin ou en accordant à ses membres un traitement ou une représentativité préférentielle par le biais d ’ un collège spécifique, la différence de traitement ainsi opérée n ’ aurait certainement pas été regardée comme une restriction admissible au regard de l ’ article 25 du Pacte.

8.22 L ’É tat partie souligne que, cependant, comme l ’ a relevé le Premier avocat général Louis Joinet dans ses conclusions, lorsque la Cour de cassation a eu à connaître du grief de discrimination en cause, les critères retenus pour la composition du corps électoral ne reposent pas sur la distinction entre Caldoches et Mélanésiens, mais sur celle faite entre résidents nationaux en fonction de la durée de leur domiciliation sur l ’ île et des attaches qu ’ ils justifient y avoir, quelle que soit leur origine mélanésienne, européenne, wallisienne ou autre.

8.23 L ’É tat partie explique que ces critères favorisent effectivement les résidents de longue date par rapport aux arrivants plus récents. D ’ après l ’É tat partie, si pour cette raison, et en dépit des arguments exposés plus haut, cela pouvait être regardé comme une mesure de discrimination positive, celle-ci ne serait pas, par principe, contraire aux dispositions du Pacte, comme l ’ a souligné le Comité dans son Observation n o 18 précitée. Celle-ci ne pourrait être censurée que si elle avait pour effet de maintenir des droits distincts pour des groupes raciaux différents ce qui, en raison des critères adoptés, n ’ est pas le cas en l ’ espèce.

8.24 L’État partie affirme, en second lieu, que le grief tiré du caractère déraisonnable de la restriction apportée au corps électoral sur la base de la durée de résidence en Nouvelle-Calédonie n ’ est pas davantage fondé.

8.25 L’État partie rappelle l ’ argumentation des auteurs d’après laquelle les durées de 10 et 20 ans de résidence posées comme condition pour la participation aux consultations passées et à venir est contraire à l ’ article 25 du Pacte, dans la mesure où les seuils de durée de résidence auraient été fixés de manière excessive et aboutiraient à l ’ exclusion d ’ une partie importante du corps électoral.

8.26 L’État partie précise que les auteurs citent à l ’ appui de cette argumentation une jurisprudence du Comité selon laquelle une durée de sept ans fixée par la Constitution de la Barbade pour être éligible à la chambre des représentants aurait été jugée déraisonnable. L’État partie souligne, qu ’ en réalité, il ne s ’ agit pas là d ’ une position adoptée par le Comité, mais d ’ une opinion isolée émise par l ’ un de ses 18 membres au cours d ’ une séance , et qui n ’ a jamais été adoptée par le Comité lui-même. À aucun moment, le Comité n ’ a donc statué dans le sens indiqué par les requérants. L’État partie ajoute que ce dernier n ’ a d ’ ailleurs pas évoqué cette question lors de la présentation du deuxième rapport périodique de la Barbade en 1988 .

8.27 En outre, l’État partie soutient que dans son Observation générale sur l ’ article 25 du Pacte , le Comité ne cite aucun cas basé sur une durée de résidence considérée comme déraisonnable.

8.28 D ’ autre part, l’État partie considère qu ’ en l ’ espèce, si la participation à la consultation de novembre 1998 était subordonnée à une durée de résidence de 10 ans et si celle aux consultations futures réclame une résidence de 20 ans, pour le cas où les intéressés ne remplissent aucune autre des conditions requises, ces conditions ne peuvent être regardées comme déraisonnables.

8.29 L’État partie indique qu ’ il est exact que les seuils de durée de résidence ainsi fixés excèdent celui de trois ans choisi pour plusieurs consultations antérieures (par exemple, la loi du 22 décembre 1966 sur la consultation relative à la Côte française des Somalis; la loi du 28 décembre 1976 sur la consultation relative au Territoire des Afars et des Issas).

8.30 Cependant, d ’ après l’État partie, rien ne permet de penser que ces seuils, qui répondent à la nécessité de limiter les consultations aux populations jouissant d ’ un réel enracinement local, l ’ aient été dans des conditions déraisonnables au regard de l ’ article 25 du Pacte.

8.31 L’État partie fait valoir qu ’ en premier lieu, ces seuils de durée de résidence répondent au souci, exprimé par les représentants des populations locales dans le cadre de la négociation des accords de Nouméa, de garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées» et que leur résultat ne pourra être altéré par un vote massif de populations récemment arrivées sur le territoire, et n ’ y justifiant pas d ’ attaches solides. L’État partie estime que ce souci apparaît parfaitement légitime s ’ agissant de consultations mises en œuvre dans le cadre d ’ un processus d ’ autodétermination.

8.32 L’État partie estime, en second lieu, que ces conditions n ’ ont conduit qu ’ à écarter une faible portion de la population résidente (environ 7,5 % de cette population) pour la première consultation et, à moins d ’ un changement démographique majeur, il en ira de même lors des consultations futures, pour lesquelles le critère de durée de résidence ne sera d ’ ailleurs pas le seul à permettre l ’ accès au vote.

8.33 Enfin, selon l’État partie, aucune décision du Comité ne permet en l’état de tenir ces seuils, qui n ’ apparaissent déraisonnables ni dans leurs fondements, ni dans leurs conséquences pratiques, pour contraires aux dispositions de l ’ article 25 du Pacte.

8.34 Pour l ’ ensemble de ces raisons, l’État partie considère que le grief de violation de l ’ article 25 du Pacte ne peut être que rejeté.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication

9.1 Dans leurs commentaires du 9 mai 2001, les auteurs invoquent, à nouveau, la violation de la part de la France du paragraphe 1 de l ’ article 12 du Pacte, sur la base de l ’ argumentation précédemment exposée et par référence à l’Observation générale du Comité n o 27 (67) sur la liberté de circulation, en ses paragraphes 2, 5 et 8 .

9.2 Ils déclarent maintenir la partie de leur communication relative à la violation du paragraphe 1 de l ’ article 2 du Pacte.

9.3 Les auteurs rappellent leur position visant à l ’ examen par le Comité de la violation de l ’ article 26 du Pacte, indépendamment de toutes autres dispositions, ou en relation avec l ’ article 25 du Pacte.

9.4 Les auteurs contestent les arguments de l’État partie de non-violation de l ’ article 25 du Pacte.

9.5 Ils font valoir, à nouveau, en premier lieu, leur droit absolu, en tant que citoyens remplissant toutes les conditions objectives du statut d ’ électeur (en particulier celles relatives à la majorité civile, la non ‑déchéance des droits civiques suite à une condamnation de droit commun, ou pour incapacité majeure) de voter à toutes les consultations politiques organisées au lieu de leur résidence électorale.

9.6 Les auteurs rappellent qu ’ ils se considèrent comme relevant des populations «intéressées» par les consultations de novembre 1998 et à venir sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ils mettent en avant leur intérêt personnel et leurs attaches suffisantes à l ’ égard de ce territoire. Ils affirment, en outre, que les citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie sont exclusivement concernés dans leur vie quotidienne par la «loi calédonienne» depuis l’adoption de la loi organique n o 99-209 du 19 mars 1999.

9.7 Ils soutiennent, d ’ autre part, que le principe de «discrimination positive» ne peut s’appliquer en matière électorale, et ne peut se déduire de l ’ Observation générale n o 18 du Comité des droits de l ’ homme.

9.8 Ils expliquent, au demeurant, que le Comité prévoit une condition sine qua none pour l ’ édiction de mesures de discrimination positive, à savoir leur caractère temporaire, et le fait que la situation générale de certains groupes de population empêche ou compromet la jouissance des droits de l ’ homme.

9.9 Or, d ’ après les auteurs, la condition de 20 ans de résidence continue pour la participation aux scrutins à venir ne correspond pas à une limitation dans le temps, mais à une situation pérenne d ’ exclusion de jure des requérants de la future nationalité calédonienne.

9.10 Les auteurs se demandent, en outre, en quoi l ’ exercice de leur droit de vote et de ceux se trouvant dans leur situation empêche ou compromet la jouissance des droits de l ’ homme d ’ autres communautés calédoniennes. Ils affirment, à nouveau, que les dispositions régissant la participation aux consultations de 1998 et à partir de 2014 ont été conçues par les autorités françaises comme une mesure de favoritisme électoral consentie pour des raisons purement politiques. D ’ après les auteurs, ces autorités ont imaginé, à travers l ’ Accord de Nouméa, le critère faussement objectif d’un allongement de la durée de résidence afin d ’ établir une discrimination indirecte et insidieuse.

9.11 Ils estiment que l’État partie n ’ a pas apporté de réplique sérieuse à leurs critiques relatives à la durée excessive de résidence continue conditionnant le vote aux scrutins de 1998 et à venir.

9.12 Les auteurs avancent, pour leur part, les arguments suivants. Ils notent, en premier lieu, que les deux communautés principales de la Nouvelle-Calédonie regroupent, d ’ un côté, les habitants d ’ origine mélanésienne (soit 44 % de la population) et, de l ’ autre, les habitants d ’ origine caldoche (soit 30 % de la population). Les auteurs soutiennent, d ’ une part, que les partisans de l ’ indépendance ont toujours été minoritaires et que, d ’ autre part, depuis le résultat du référendum d ’ autodétermination de 1987 ayant massivement rejeté l ’ indépendance, tout autre scrutin similaire aboutirait, dans le contexte actuel, au rejet de l ’ indépendance avec toutefois des risques de désordres. Les auteurs expliquent que, dans ces conditions, le FLNKS (représentant les Kanaks) a revendiqué auprès du RPCR (représentant les Caldoches) − lequel y a trouvé son compte − une «entente» visant, d ’ une part, à interdire le plus possible aux ascendants non kanaks non caldoches d ’ interférer dans le débat politique et l ’ avenir du territoire et, d ’ autre part, à conquérir pour le scrutin à partir de 2014, des voix d ’ électeurs kanaks supplémentaires en escomptant une évolution démographique supposée plus favorable de la communauté mélanésienne.

9.13 Relativement à l ’ argument de l’État partie faisant valoir que les seuils de durée de résidence répondent au souci des représentants des populations locales dans le cadre de la négociation de l ’ Accord de Nouméa de garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées», les auteurs affirment que cette préoccupation des partis politiques locaux ne constitue pas une cause exonératoire et encore moins une justification objective et légitime au sens du Pacte.

9.14 Ils rejettent également l ’ observation de l’État partie d ’ après laquelle les 7,5 % de résidents calédoniens écartés pour les consultations en cause représentent une faible proportion de la population de la Nouvelle-Calédonie. Ils précisent, par ailleurs, qu ’ il s ’ agit en réalité de 7,67 % des électeurs inscrits sur les listes électorales à la date de la consultation du 8 novembre 1998.

9.15 Finalement, les auteurs concluent, à nouveau, à une violation de la part de la France de l ’ article 25 du Pacte.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

10.1 Avant d ’ examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l ’ homme doit, conformément à l ’ article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a ) de l ’ article 5 du Protocole facultatif, le Comité s ’ est assuré que la même question n ’ était pas en cours d ’ examen devant une autre instance internationale d ’ enquête ou de règlement.

10.3 Relativement à la qualité de victimes des auteurs au sens de l ’ article 1 du Protocole facultatif, le Comité a constaté que l’État partie reconnaissait l ’ intérêt personnel des auteurs à contester les conditions d ’ organisation de la consultation de novembre 1998.

10.4 Concernant les consultations futures à compter de la date butoir du 31 décembre 2014, le Comité a examiné l ’ argumentation de l ’ État partie d ’ après laquelle seule M me Sophie Demaret en sera écartée car ne satisfaisant pas à la condition de résidence de 20 ans. Selon l’État partie, a contrario , les 20 autres auteurs justifieront, à supposer qu ’ ils se maintiennent, comme ils déclarent en avoir l ’ intention, en Nouvelle-Calédonie, d ’ une durée de résidence supérieure à 20 ans permettant leur participation aux futures consultations. Ces 20 auteurs ne justifient donc pas, selon l’État partie, d ’ un intérêt personnel à agir et, dès lors, ne peuvent prétendre à la qualité de victimes, d ’ où l ’ irrecevabilité de cette partie de la communication. Le Comité a également pris note des arguments des auteurs faisant valoir inter alia qu ’ outre M me S. Demaret, ils ne pourront participer aux consultations futures, dans l ’ hypothèse où, conformément à leur droit tiré de l ’ article 12 du Pacte, ils quitteraient temporairement la Nouvelle-Calédonie pour une période qui ne leur permettrait plus de satisfaire à la condition de 20 ans de résidence continue.

10.5 Après examen des arguments invoqués et autres éléments de la communication, le Comité constate que 20 des 21 auteurs ont, d ’ une part, souligné leur souhait de demeurer en Nouvelle ‑Calédonie, ce territoire constituant le lieu de leur résidence permanente et le centre de leur vie familiale et professionnelle et, d ’ autre part, formulé à titre purement hypothétique plusieurs éventualités à savoir, d ’ un côté, un départ temporaire de Nouvelle-Calédonie et, de l ’ autre, une période d ’ absence, laquelle, selon la situation propre à chaque auteur, arrivée à un certain seuil, conduirait à une exclusion des consultations futures. Le Comité estime que ces derniers arguments tels que soulevés par les auteurs, et au demeurant en contradiction avec leur argumentation principale quant à leur résidence permanente présente et future en Nouvelle ‑Calédonie, ne dépassent pas le cadre des éventualités et des possibilités théoriques . Dès lors, seule M me S. Demaret, n’ayant pas d ’ ores et déjà 20 ans de résidence en Nouvelle ‑Calédonie, peut prétendre à la qualité de victime au regard des consultations projetées, au sens de l ’ article 1 du Protocole facultatif.

10.6 Relativement aux plaintes de violations du paragraphe 1 de l ’ article 12 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie concernant l ’ incompatibilité ratione materiae de ces allégations avec les dispositions du Pacte. Le Comité considère que les éléments présentés par les auteurs et précédemment examinés ne sont pas suffisamment étayés et ne permettent donc pas d ’ établir la recevabilité des griefs au regard de l ’ article 2 du Protocole facultatif (par. 5.2).

10.7 En ce qui concerne les allégations de violations des articles 25 et 26 du Pacte, le Comité estime que les éléments avancés au titre de l’article 26 peuvent être e xaminés, dans le cas d’espèce, à travers les dispositions de l’article 25. Le Comité déclare cette partie de la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 25 et estime que la plainte doit être examinée sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

11.1 Le Comité des droits de l ’ homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l ’ article 5 du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité doit déterminer si les restrictions apportées au corps électoral pour les consultations locales du 8 novembre 1998 et à compter de 2014 constituent une violation des articles 25 et 26 du Pacte, comme l ’ affirment les auteurs.

12.1 Les auteurs soutiennent, en premier lieu, être détenteurs d ’ un droit absolu, acquis et indivisible à voter à toutes les consultations politiques organisées au lieu de leur résidence.

12.2 Le Comité rappelle sur ce point sa jurisprudence au titre de l ’ article 25 du Pacte, à savoir que le droit de vote n ’ est pas un droit absolu et que des restrictions peuvent y être apportées à condition qu ’ elles ne soient pas discriminatoires ou déraisonnables .

13.1 Les auteurs font valoir, en second lieu, que les critères retenus pour la définition des corps électoraux des scrutins locaux dérogent aux règles de la France en matière électorale (le droit de vote ne pouvant être conditionné qu ’ au critère d ’ inscription sur une liste électorale; soit de la commune du domicile réel, quelle que soit la durée de résidence; soit de la commune de résidence effective depuis six mois) et par là même entraînent des restrictions discriminatoires à leur encontre et contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13.2 Afin d ’ examiner le caractère discriminatoire ou non des critères en litige, conformément à sa jurisprudence ci-dessus mentionnée, le Comité estime que l ’ évaluation de toutes restrictions doit se faire au cas par cas, sur la base en particulier de l’objet des restrictions et du principe de proportionnalité.

13.3 Dans le cas d ’ espèce, le Comité a pris note du fait que les scrutins locaux s ’ inscrivaient dans le cadre d ’ un processus d ’ autodétermination des populations de Nouvelle-Calédonie. À cet égard, il a pris en considération l ’ argumentation de l’État partie selon laquelle ces consultations politiques − dont les modalités ont été fixées par l ’ Accord de Nouméa, et consacrées selon le type de scrutin par le vote du Congrès ou du Parlement  − de par leur objet devaient permettre de recueillir l ’ avis, non de l ’ ensemble de la population nationale, mais des personnes «intéressées» à l ’ avenir de la Nouvelle-Calédonie.

13.4 Bien que le Comité ne soit pas compétent au titre du Protocole facultatif pour examiner une communication alléguant une violation du droit à l’autodétermination protégé par l’article 1 du Pacte, il peut interpréter l’article 1, lorsque ceci est pertinent, afin de déterminer si les droits protégés dans les parties II et III du Pacte ont été violés. Le Comité estime en conséquence que, dans le cas d’espèce, les dispositions de l’article 1 peuvent être prises en compte dans l’interpr étation de l’article 25 du Pacte.

13.5 Relativement aux griefs des auteurs, le Comité constate, comme le confirme d ’ ailleurs l’État partie, que les critères relatifs au droit de vote aux consultations ont pour effet d ’ établir un corps électoral restreint, et donc une différenciation entre, d ’ un côté, ceux étant exclus du droit de vote − dont le(s) requérant(s) selon le scrutin en cause −, et, de l ’ autre, ceux étant admis à l ’ exercer, en raison de leurs attaches suffisantes au territoire dont l ’ évolution institutionnelle est en jeu. La question que doit trancher le Comité est donc de savoir si cette différenciation est compatible avec l’article 25 du Pacte. Le Comité rappelle que toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et si le but visé est légitime au regard du Pacte.

13.6 Le Comité doit, tout d ’ abord, examiner si les critères de définition des corps électoraux restreints répondent à celui de l ’ objectivité.

13.7 Le Comité constate que, conformément à l ’ enjeu de chaque scrutin, outre la condition d ’ inscription sur les listes électorales, les critères retenus sont, d ’ un côté, pour la consultation de 1998 portant sur la poursuite ou non du processus d ’ autodétermination, la condition de durée de résidence en Nouvelle-Calédonie et, de l ’ autre, pour les consultations futures portant directement sur l ’ option de l ’ indépendance, la prise en compte de conditions supplémentaires relatives à la détention du statut civil coutumier, la présence sur le territoire des intérêts matériels et moraux, combinée à la naissance de l ’i ntéressé ou de ses parents sur le territoire. Il ressort donc, au fur et à mesure que l ’ on se rapproche de l ’ échéance de l ’ autodétermination, que les critères sont plus nombreux et prennent en compte les particularismes attestant l ’ intensité des liens au territoire. En effet, à la condition de durée de résidence (se distinguant des seuils de durée de résidence) permettant de déterminer un lien à caractère général vis-à-vis du territoire, s ’ ajoutent des liens plus spécifiques.

13.8 Le Comité considère que les critères ci-dessus exposés reposent sur des éléments objectifs de différenciation entre résidents dans leur relation à la Nouvelle-Calédonie, à savoir les différentes formes d ’a ttaches à ce territoire, spécifiques ou générales, ceci conformément au but et à la nature de chaque scrutin. Se pose, néanmoins, la question des effets discriminatoires ou non de ces critères.

13.9 Eu égard aux griefs des auteurs de discrimination à leur encontre fondée sur l ’ appartenance ethnique ou l ’ ascendance nationale résultant de la consultation de 1998, le Comité prend note de leur argumentation selon laquelle les résidents français de Nouvelle-Calédonie originaires de la métropole (dont les présents requérants), polynésiens, wallisiens, futuniens, antillais et réunionnais représentent une part importante des 7,67 % d ’ électeurs calédoniens exclus de ce scrutin .

13.10 À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que le critère retenu pour la consultation de 1998 établit une différenciation entre résidents quant à leur situation relationnelle au territoire sur la base de la condition de durée de «résidence» (à distinguer de la question des seuils de durée de résidence), ceci quelle que soit leur origine ethnique ou leur ascendance nationale. Le Comité considère, en outre, que les arguments des auteurs manquent de précisions relativement à l ’ importance numérique des groupes préalablement mentionnés − majoritaires ou non − parmi les 7,67 % d ’ électeurs exclus du droit de vote.

13.11 Le Comité estime en conséquence, qu’il n’a pas été établi que le critère retenu pour le scrutin de 1998 a pour objet et pour effet d ’ établir des droits distincts pour des groupes ethniques ou d ’ ascendance nationale différents.

13.12 Relativement aux griefs des auteurs de discriminations à leur encontre fondées sur la naissance, les liens familiaux et la transmission du droit de vote par voie héréditaire (cette dernière violation étant issue, selon les auteurs, des critères sur les liens familiaux), et donc résultant des critères retenus pour les consultations à compter de 2014, le Comité considère en premier lieu, que les résidents satisfaisant à ces critères se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des auteurs dont le lien au territoire repose sur la durée de résidence. Le Comité constate en second lieu, d ’ une part, que la durée de résidence est prise en compte dans les critères retenus pour les scrutins futurs et, d ’ autre part, et surtout que ces critères sont alternatifs. L ’ identification des électeurs parmi les résidents français de Nouvelle-Calédonie ne repose donc pas uniquement sur les attaches particulières au territoire (telles que la naissance et les liens familiaux) mais aussi, à défaut, sur la durée de résidence. Il ressort ainsi que chaque lien spécifique ou général au territoire − identifié à travers des critères sur l’attache à la Nouvelle-Calédonie − a été retenu parmi les résidents français.

13.13 Le Comité estime, finalement, qu ’ en l ’ espèce, les critères de définition des corps électoraux restreints permettent de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard de leurs attaches à la Nouvelle-Calédonie.

13.14 Le Comité doit ensuite examiner si la différenciation résultant des critères ci-dessus mentionnés est raisonnable et si le but visé est légitime au regard du Pacte.

13.15 Le Comité a pris note de l ’ argumentation des auteurs soutenant que de tels critères, bien que consacrés par la Loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et la loi organique du 19 mars 1999, dérogeaient non seulement aux règles nationales en matière électorale, mais également étaient illégitimes au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

13.16 Le Comité rappelle que, dans le cas d ’ espèce, l ’ examen de l ’ article 25 du Pacte implique la prise en compte de l ’ article 1. Le Comité estime, en l ’ occurrence, que les critères établis sont raisonnables dans la mesure où ils s ’ appliquent strictement et uniquement à des scrutins s ’ inscrivant dans un processus d ’ autodétermination. De tels critères ne peuvent donc être justifiés − ce que fait l’État partie − qu ’ au regard de l ’ article 1 du Pacte. Sans pour autant se prononcer sur la définition de la notion de «peuples» visée par l ’ article 1, le Comité considère en effet que, dans le cas d ’ espèce, il ne saurait être non raisonnable de limiter la participation aux consultations locales aux personnes «intéressées» à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et justifiant d ’ attaches suffisantes à ce territoire. Le Comité note, en particulier, les conclusions du Premier Avocat général de la Cour de cassation faisant valoir que dans tout processus d ’ autodétermination des limitations au corps électoral sont légitimées par la nécessité de s ’ assurer d ’ un ancrage identitaire suffisant. Le Comité prend également en considération la reconnaissance par l ’ Accord de Nouméa et la loi organique du 19 mars 1999 d ’ une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie (non exclusive de la citoyenneté française mais liée à cette dernière) traduisant la communauté de destin choisi et fondant les restrictions apportées au corps électoral en particulier pour la consultation finale.

13.17 En outre, selon le Comité, les restrictions au corps électoral résultant des critères retenus pour les scrutins de 1998 et à compter de 2014 respectent le critère de proportionnalité dans la mesure où celles-ci sont limitées ratione loci aux seuls scrutins locaux d ’ autodétermination et donc sans incidence sur la participation aux élections générales tant législatives, présidentielles, européennes que municipales ainsi qu ’ aux scrutins référendaires.

13.18 Le Comité estime, en conséquence, que les critères de définition des corps électoraux pour les consultations de 1998 et à compter de 2014 ne sont pas discriminatoires, mais reposent sur des motifs de différenciation objectifs, raisonnables et compatibles avec les dispositions du Pacte.

14.1 Les auteurs font enfin valoir que les seuils fixés relativement à la condition de durée de résidence, à savoir respectivement 10 ans et 20 ans pour les scrutins en cause sont excessifs et affectent leur droit de vote.

14.2 Le Comité estime ne pas être à même de déterminer les seuils de durée de résidence. Toutefois, le Comité peut se prononcer sur le caractère excessif ou non de ces seuils. Il s ’ agit, en l ’ occurrence, pour le Comité de déterminer si ces seuils ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière disproportionnée, au regard de la nature et de l ’ objet des consultations concernées, la participation des populations «intéressées» de Nouvelle-Calédonie.

14.3 Outre la position de l’État partie faisant valoir que les critères retenus pour la définition des corps électoraux favorisent les résidents de longue durée par rapport aux arrivants récents en raison des différences mêmes d ’ intérêt à l ’ égard de la Nouvelle-Calédonie, le Comité note, en particulier, que les seuils de durée de résidence visent, selon l’État partie, à garantir que les consultations traduiront la volonté des populations «intéressées» et que leur résultat ne pourra être altéré par un vote massif de populations récemment arrivées sur le territoire et n ’ y justifiant pas d ’ attaches solides.

14.4 Concernant les 21 auteurs, le Comité constate leur exclusion pour la consultation de 1998 puisqu ’ ils ne répondaient pas au seuil de 10 ans de résidence continue. Le Comité note également la non-participation d ’ un auteur au scrutin futur en raison du seuil de 20 ans de résidence continue tandis que les 20 autres auteurs ont, en l ’ état, le droit de voter à cette consultation − 18 auteurs au regard du critère de résidence et 2 autres de par leur naissance en Nouvelle ‑Calédonie, leur appartenance ethnique et leur ascendance nationale n ’ ayant donc, en l ’ espèce, aucune incidence.

14.5 Le Comité considère, tout d ’ abord, que les seuils retenus n ’ ont pas un caractère disproportionné au regard de la nature et de l ’ objet des consultations concernées sur la situation des auteurs, étant en particulier manifeste que leur non ‑participation à la première consultation n ’ a pas, en l ’ état, de conséquence pour la quasi-totalité d ’ entre eux relativement à la consultation finale.

14.6 Le Comité estime, en outre, que chaque seuil doit permettre d ’ évaluer l ’ intensité du lien au territoire, de sorte que soient retenus pour chaque consultation les résidents justifiant d ’ une attache suffisante. Le Comité considère qu ’ en l ’ espèce la différence de seuil d ’ un scrutin à l ’ autre est liée à l ’ enjeu même de chaque consultation, le seuil de 20 ans − et non de 10 ans pour le premier scrutin − étant justifié par l ’ échéance de l ’ autodétermination, étant par ailleurs précisé que d ’ autres attaches sont également prises en compte pour ce scrutin.

14.7 Rappelant le caractère non discriminatoire du critère de la durée de résidence, le Comité estime qu ’ en l ’ espèce les seuils fixés pour les consultations de 1998 et à compter de 2014 ne sont pas excessifs dans la mesure où ils s ’ inscrivent dans le cadre de la nature et de l ’ objet de ces scrutins, à savoir un processus d ’ autodétermination impliquant la participation de personnes justifiant d ’ attaches suffisantes au territoire dont l ’ avenir est en jeu. Il ressort en effet que ces seuils n ’ apparaissent pas disproportionnés vis-à-vis d ’ un processus de décolonisation impliquant la participation des résidents qui, au ‑delà de leur appartenance ethnique ou politique, ont contribué et contribuent à l ’ édification de la Nouvelle-Calédonie à travers leurs attaches suffisantes à ce territoire.

15. Le Comité des droits de l ’ homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

HH. Communication n o  946/2000, Patera c. République tchèque

(constatations adoptées le 25 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M. L. P.

Au nom de :

L’auteur et son fils

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

17 mai 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  946/2000, présentée par M. L. P. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est L. P., citoyen tchèque. Il affirme que lui et son fils sont victimes d’une violation par la République tchèque 1 des articles 17, paragraphes 1 et 2, et 2, paragraphe 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, homme d’affaires, un des principaux représentants de l’organisation non gouvernementale «Justice pour les enfants» et membre fondateur de la «Société pour la médiation familiale» a un fils né en 1989. Depuis que l’auteur s’est séparé de son épouse et mère de son enfant, M me  R. P., en mars 1991, son fils est sous la garde exclusive de sa mère, et l’auteur ne peut avoir de relations régulières avec lui.

2.2 Par une décision provisoire du tribunal régional de Prague ‑Ouest en date du 12 juillet 1993, confirmée dans une autre décision judiciaire provisoire datée du 2 octobre 1995, l’auteur s’est vu accorder le droit de voir son fils un week-end sur deux, du samedi matin au dimanche soir. M me  R. P. n’a cependant pas exécuté ces décisions et a toujours empêché l’auteur d’exercer son droit de visite. Ce n’est qu’en 1994 et 1995 que l’auteur a pu voir son fils, irrégulièrement, et sous la surveillance d’un membre de la famille de M me  R. P. ou d’agents de sécurité armés. M me  R. P. a été condamnée à de multiples amendes pour son refus d’exécuter les décisions de justice.

2.3 En 1994, l’auteur a engagé des poursuites pénales contre M me  R. P. pour son refus d’exécuter lesdites décisions de justice, en vertu du Code pénal, loi n o  140/1961 Coll., article 3, paragraphe 171. C’est le tribunal d’Okresní soud Ústí nad Labem qui a connu de l’affaire, qui n’avait pas été tranchée à la date de la communication de l’auteur, le 9 février 2002.

2.4 Ultérieurement, l’auteur a de nouveau déposé une plainte au pénal contre M me  R. P. pour n’avoir pas exécuté d’autres décisions provisoires qui l’autorisaient à voir son fils durant la période allant de décembre 1997 à août 1998. La procédure a duré plus de deux ans, du 11 janvier 1999 au 14 février 2001, date à laquelle le juge s’est retiré de l’affaire. Le nouveau juge a rejeté les accusations portées contre M me  R. P. L’auteur allègue néanmoins que cette décision n’a pas été signifiée aux parties conformément à la loi et qu’elle n’est donc pas entrée en vigueur. La plainte portée par l’auteur devant la Cour constitutionnelle a été rejetée.

2.5 Le 18 novembre 1993, le tribunal régional de Kladno a condamné M me  R. P. pour trois infractions concernant la garde de l’enfant. Cette décision a fait l’objet d’un appel, mais, peu avant que la cour d’appel ait rendu son verdict, M me  R. P. a été graciée pour deux des infractions en cause, la troisième demeurant en suspens pour être finalement prescrite. Le 20 novembre 1995, l’auteur a déposé une plainte constitutionnelle, qui a été rejetée au motif qu’il n’avait pas été partie à l’instance pénale.

2.6 Dans une déclaration datée du 1 er  juin 1992, un expert désigné par le tribunal, le docteur J. K., et le docteur J. B. ont expliqué que l’épouse de l’auteur souffrait de troubles mentaux affectant le développement de sa personnalité. Dans une autre déclaration, signée des docteurs J. C. et H. D. le 11 mai 1993, il était dit que l’épouse de l’auteur nuisait aux intérêts de leur fils en n’autorisant pas l’enfant à voir son père. Ces déclarations ont été étayées par les déclarations d’un autre expert nommé par le tribunal, le docteur V. F., datées des 14 mai 1995 et 15 avril 1997.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur allègue des violations de son droit et de celui de son fils à la protection de leur vie familiale, y compris le droit de voir régulièrement son fils.

3.2 L’auteur affirme que les autorités tchèques ont refusé de faire exécuter les décisions judiciaires l’autorisant à rendre régulièrement visite à son fils, violant ainsi son droit et le droit de son fils à la protection de leur vie de famille reconnu à l’article 17, et à un recours utile garanti par l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Par une note verbale datée du 28 février 2002, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il considère que la communication est irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés et qu’elle est manifestement infondée.

4.2 En ce qui concerne les faits, l’État partie explique que l’instance de divorce entre l’auteur et son épouse, qui a débuté en 1989, est toujours pendante. La garde de leur fils est donc régie par des ordonnances provisoires. L’énorme dossier relatif à l’affaire de divorce représente maintenant plusieurs milliers de pages.

4.3 L’État partie indique que le 22 novembre 1994, l’auteur a engagé une action pénale contre M me  R. P. en l’accusant de faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice, en application du Code pénal, loi n o  140/1961, article 171, paragraphe 3.

4.4 Le 16 septembre 1997, une audience a eu lieu devant le tribunal de district à Ústí. Selon les procès ‑verbaux de cette audience, après les réquisitions de l’accusation, l’auteur a demandé des renseignements sur ses droits procéduraux. Le juge lui a conseillé de lire le Code de procédure pénale, loi n o  141/1961, article 43. L’auteur a refusé de le faire, prétendant que le juge, l’avocat de l’accusation et tous les avocats du bureau du Procureur avaient un parti pris contre lui. Il a aussi informé le tribunal qu’il avait intenté une action pénale contre le juge. Le 19 septembre 1997, le tribunal a décidé que le juge ne serait pas récusé pour parti pris. L’auteur a contesté cette décision devant le tribunal régional d’Ústí nad Labem, qui a rejeté sa plainte le 23 mars 2000. L’audience suivante dans le procès pénal était prévue pour le 23 février 2001, mais l’affaire est toujours pendante.

4.5 Le 29 décembre 1994, l’auteur a de nouveau intenté une action pénale contre M me  R. P., l’accusant d’«oppression», infraction prévue à l’article 237 du Code pénal.

4.6 La police a néanmoins décidé, le 30 juin 1995, de ne pas donner suite à l’affaire. Le recours de l’auteur concernant cette décision a été rejeté par une résolution du Procureur d’Ústí nad Labem en application de l’article 148, paragraphe 1 c), du Code de procédure pénale.

4.7 Le Procureur a engagé des poursuites pénales distinctes contre M me  R. P. pour obstruction à l’exécution d’une décision de justice en application du Code pénal, article 171, paragraphe 3, devant le tribunal de district d’Ústí nad Labem. L’audience a eu lieu les 13 mai et 17 août 1999 et aussi bien l’auteur que son épouse ont été entendus. L’affaire a été ajournée pour complément d’information. Le juge a demandé que lui soient communiqués des documents du tribunal régional, mais ceux ‑ci n’ont pu être obtenus car le dossier avait dans l’entre ‑temps été envoyé à la Haute Cour du fait de l’appel de l’auteur. L’audience suivante a aussi été ajournée pour complément d’information après que l’avocat de M me  R. P. eut demandé qu’un expert soit consulté en ce qui concerne le fils de sa cliente. L’affaire est toujours pendante.

4.8 Le Procureur a engagé d’autres poursuites pénales contre M me  R. P. sur la base de la plainte pénale déposée par l’auteur. L’enquêteur a toutefois décidé de ne pas poursuivre la procédure compte tenu de l’avis d’un spécialiste en psychologie clinique qui a déclaré que l’enfant était très ferme dans ses convictions et refusait de passer avec l’auteur le temps prévu dans l’ordonnance du tribunal.

4.9 L’auteur a contesté la décision de l’enquêteur. Le 5 avril 2000, en application du Code de procédure pénale, article 148, paragraphe 1 a), le Procureur a rejeté sa plainte comme étant sans fondement.

4.10 L’auteur a voulu exercer un recours contre cette décision, mais il a été mis fin à la procédure le 6 octobre 2000 au motif que la plainte n’était pas juridiquement fondée.

4.11 L’auteur a déposé un total de huit plaintes constitutionnelles, dont sept ont été rejetées comme manifestement infondées. Ces plaintes alléguaient des violations du droit à la protection de la justice. Dans deux d’entre elles, l’auteur se plaignait d’avoir été condamné à une amende pour avoir attaqué verbalement un magistrat. Dans une autre, il demandait que M me  R. P. soit condamnée à une amende, et dans une autre encore, il se plaignait de la décision d’un inspecteur de police de ne pas engager l’action pénale. Dans deux de ses plaintes, l’auteur demandait l’annulation d’une décision du tribunal régional et d’une résolution de la Cour constitutionnelle, et dans une autre il demandait un complément d’information à l’appui de sa requête. La seule plainte constitutionnelle qui n’ait pas été rejetée comme manifestement infondée n’a pas été examinée par la Cour constitutionnelle parce qu’elle ne constituait pas, du point de vue formel, une requête introductive d’instance devant la Cour constitutionnelle, mais seulement une plainte contre les décisions du parquet et une demande en prescription de mesures provisoires.

4.12 S’agissant de la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir que les plaintes constitutionnelles déposées par l’auteur concernaient d’autres droits que ceux invoqués devant le Comité, et qu’en conséquence la communication devrait être déclarée irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.13 En outre, l’État partie affirme que la documentation fournie par l’auteur n’établit pas que ce dernier ait fait l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales des autorités tchèques au sens de l’article 17 du Pacte, et la communication devrait être déclarée irrecevable comme étant manifestement infondée.

4.14 Sur le fond, et en ce qui concerne l’article 17, l’État partie réaffirme qu’il n’a jamais arbitrairement ou illégalement porté atteinte aux droits de l’auteur au sens de l’article 17 du Pacte, et que toutes les mesures et décisions prises par les tribunaux de tous ressorts ont respecté les règles de procédure énoncées par la loi tchèque. Il fait observer que les nombreuses pétitions et requêtes de l’auteur sont à l’origine d’un important retard dans le règlement de son divorce et de la question de la garde de son fils. Selon l’État partie, l’auteur a accusé de parti pris pratiquement toutes les autorités ayant pris part au règlement de ses problèmes de famille, et il a notamment engagé des actions pénales contre des enquêteurs, des avocats et des juges, ainsi que contre ses beaux ‑parents et d’autres personnes liées à M me  R. P.

4.15 En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 2, paragraphe 3 a) et c), du Pacte, l’État partie estime que la communication ne relève pas de ce paragraphe.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par lettre datée du 22 avril 2002, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il estime que ce dernier a à plusieurs égards déformé les faits. Il déclare que l’État partie s’est abstenu d’aborder le fond de l’affaire, à savoir que depuis 11 ans l’auteur est empêché de voir son fils et que les autorités tchèques ont négligé de protéger ses droits de père, en ne faisant pas diligenter les enquêtes voulues en ce qui concerne les allégations d’infraction pénale formulées par lui.

5.2 Pour ce qui est de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas invoqué des droits énoncés dans le Pacte dans ses plaintes constitutionnelles, l’auteur fait observer qu’il a invoqué en substance les droits énoncés dans le Pacte en soutenant que l’État partie ne le protégeait pas contre les immixtions arbitraires dans sa vie privée et sa vie de famille et n’assurait pas cette protection en utilisant tous les moyens à sa disposition.

5.3 S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel les nombreux recours exercés par l’auteur devant les tribunaux ont causé des retards dans la procédure, l’auteur fait valoir que l’État partie confond la cause et l’effet, et que ses nombreux recours sont le résultat de la tolérance par l’État partie du comportement pénalement répréhensible de M me  R. P.

5.4 L’auteur affirme en outre que la seule accusation pénale qu’il ait portée contre les grands ‑parents de son fils est celle par laquelle il a reproché à la mère de M me  R. P. d’avoir porté atteinte à ses droits parentaux et de l’avoir agressé verbalement et physiquement. Il a aussi engagé une action pénale contre le nouveau mari de la grand ‑mère, qui a menacé de le tuer et qui n’a pas été puni pour le préjudice corporel qu’il a infligé à l’auteur le 30 octobre 1999.

5.5 Selon l’auteur, l’article premier du Code pénal dispose que les instances pénales doivent viser à renforcer la primauté du droit et à anticiper et prévenir la criminalité. Il estime que cet article du Code met à la charge de l’État partie l’obligation d’agir pour mettre fin à la violation en ce qui concerne la garde du fils de l’auteur et prévenir toute nouvelle violation des droits de l’auteur. L’auteur souligne qu’il a engagé des poursuites pénales contre M me  R. P. non parce qu’il estimait qu’il était nécessaire d’emprisonner celle ‑ci, mais parce qu’il espérait, en la faisant incarcérer, la persuader de mettre fin à son déni coupable de ses droits en ce qui concerne la garde de son fils.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, en application de l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Quant au critère de recevabilité énoncé à l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5, l’État partie allègue que les plaintes constitutionnelles de l’auteur concernaient d’autres droits que ceux invoqués devant le Comité et qu’en conséquence l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Certes, la nature exacte de la procédure en cause n’est pas claire mais le Comité note que l’instance concernant le divorce et le droit de garde dure depuis 13 ans sans qu’une décision définitive soit prise 2 . Le Comité conclut que même si certains retards dans la procédure peuvent être imputés à l’auteur lui ‑même, compte tenu de toutes les circonstances de la cause, l’application des recours a été excessivement longue 3 au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note que dans ses observations l’auteur a également affirmé que les droits de son fils avaient été violés. Toutefois, comme il ne prétend pas représenter son fils, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication ne révèle, de la part des autorités tchèques, aucune immixtion arbitraire ou illégale au sens de l’article 17 du Pacte. Il considère néanmoins que l’auteur a dûment établi, aux fins de la recevabilité, que sa communication soulève des questions relevant de l’article 17 du Pacte, au motif que l’État partie n’aurait pas protégé le droit de l’auteur de voir son fils. Il décide donc que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions relevant de l’article 17 compte tenu de l’article 2 du Pacte.

Examen de l’affaire au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 En ce qui concerne la violation présumée de l’article 17, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle aucune immixtion arbitraire ou illicite de l’État partie dans la vie de famille de l’auteur n’est établie, les décisions des tribunaux de tous les ressorts étaient conformes aux règles de procédure énoncées par la loi et les retards dans les procédures concernant le divorce et la garde de l’enfant sont imputables aux nombreuses requêtes présentées par l’auteur. Toutefois, le fait est que la communication à l’examen n’est pas fondée uniquement sur le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte mais aussi sur le paragraphe 2 dudit article aux termes duquel toute personne a droit à la protection de la loi contre les immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée et sa famille.

7.3 Le Comité considère que l’article 17 garantit d’une manière générale une protection effective du droit d’un parent d’avoir des relations régulières avec ses enfants mineurs. Même s’il peut exister des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le déni de toute relation est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant et ne saurait être considéré illégal ou arbitraire, dans le cas d’espèce, les tribunaux de l’État partie ont statué qu’il fallait maintenir une telle relation. En conséquence, la question qui se pose est celle de savoir si l’État partie a assuré une protection effective du droit de l’auteur de voir son fils conformément aux décisions des tribunaux nationaux.

7.4 Bien que les tribunaux aient maintes fois condamné l’épouse de l’auteur à une amende pour ne pas avoir respecté les ordonnances préliminaires accordant à l’auteur le droit de voir son fils, les amendes imposées n’ont été ni pleinement mises à exécution ni remplacées par d’autres mesures destinées à garantir les droits de l’auteur. Dans ces circonstances et compte tenu du retard considérable constaté dans différentes phases de la procédure, le Comité est d’avis que les droits de l’auteur consacrés par l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 2, n’ont pas été protégés d’une manière effective. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 17, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte.

8. Aux termes de l’alinéa  a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de mettre à la disposition de l’auteur un recours utile, qui devrait comprendre des mesures propres à assurer l’exécution rapide des ordonnances judiciaires concernant les relations entre l’auteur et son fils. L’État partie est aussi tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, aux termes de l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre ces constatations publiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français . Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport .]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando et de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

Tout en convenant que la communication est recevable conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, je ne peux partager le point de vue du Comité selon lequel les droits de l’auteur consacrés par l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec l’article 3, ont été violés.

Premièrement, à mon sens, la disposition de l’article premier ne garantit pas à un père séparé le « droit absolu » d’avoir accès à son enfant placé sous la garde de sa mère. Le Comité devrait se rappeler de ses constatations concernant la communication n o 201/1985 ( Hendriks c.  Pays-Bas ) dans lesquelles il a été estimé qu’une situation identique ou similaire soulevait des questions au titre de l’article 23.

Deuxièmement, le Comité semble conclure que l’auteur n’a pas bénéficié d’une « protection effective » comme l’exigent les articles 17 et 2 du Pacte (par. 7.4). Pour ma part, je considère que l’État partie a fait ce qu’il a pu. C’est ainsi que dans la décision préliminaire du tribunal régional de Prague ‑Ouest en date du 12 juillet 1993, qui a été confirmée par une autre décision préliminaire datée du 2 octobre 1995, l’auteur a obtenu le droit de voir son enfant un week ‑end sur deux. De fait, l’auteur a été autorisé à voir son fils en 1994 et 1995, quoique d’une manière irrégulière et sous la surveillance de membres de la famille de la mère ou d’agents de sécurité armés (par. 2.2). Ultérieurement, comme la mère ne se conformait pas à la décision du tribunal, le Procureur a engagé contre elle des poursuites pénales (par. 4.6). En outre, le Procureur a engagé d’autres poursuites pénales contre la mère sur la base d’une plainte pénale déposée par l’auteur lui ‑même (par. 4.7). Manifestement, la mère a été condamnée à de multiples amendes (par. 2.2).

Troisièmement, je ne comprends pas pourquoi la mère a catégoriquement refusé d’autoriser le père à voir son fils, mais je prends note du fait qu’au cours de la procédure se rapportant aux autres plaintes pénales mentionnées ci ‑dessus, un expert en psychologie clinique a déclaré que l’enfant était très ferme dans ses convictions et refusait de passer avec son père le temps prévu dans l’ordonnance du tribunal (par. 4.7). Sachant qu’étant âgé de plus de 10 ans, le fils devrait être en mesure de juger par lui ‑même et que le père n’a fait aucune observation sur ce point précis, le Comité devrait à mon avis tenir dûment compte des souhaits de l’enfant. À cet égard, je tiens à souligner que le plus important en l’espèce c’est « l’intérêt supérieur de l’enfant » et que les tribunaux tchèques doivent disposer d’éléments concrets pour se prononcer sur la question d’autant plus que l’auteur n’a pas fourni au Comité suffisamment d’arguments pour qu’il soit possible d’aller à l’encontre des jugements des tribunaux. Quoi qu’il en soit, selon la jurisprudence du Comité, ce n’est pas au Comité mais aux tribunaux nationaux compétents qu’il appartient d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée à moins qu’une telle évaluation ne soit entachée d’impartialité ou ne constitue un déni de justice. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

Enfin, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas assuré la protection requise en utilisant tous les moyens à sa disposition (par. 5.3) et le Comité estime que l’État partie a l’obligation de fournir à l’auteur un recours utile, qui devrait comprendre des mesures propres à assurer l’exécution rapide des ordonnances judiciaires concernant les relations entre l’auteur et son fils (par. 8). Eu égard au caractère particulier des questions familiales en général et des circonstances particulières de la présente affaire, je dois admettre que le recours judiciaire n’est pas omnipotent et qu’il existe certaines limites au ‑delà desquelles il ne peut et ne doit pas aller. En conséquence, l’État partie aurait difficilement pu faire plus que ce qu’il a fait.

( Signé ) Nisuke Ando ( Signé ) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français . Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport. ]

II. Communication n o 965/2000, Karakurt c. Autriche

(constatations adoptées le 4 avril 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Mümtaz Karakurt (représenté par M. Ernst Eypeltauer, conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Autriche

Date de la communication :

13 décembre 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  965/2000 présentée par M. Mümtaz Karakurt en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 13 décembre 2000, est Mümtaz Karakurt, ressortissant turc, né le 15 juin 1962, qui affirme être victime d’une violation par la République d’Autriche de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

2. L’État partie a formulé deux réserves pertinentes qui influent sur l’examen de la présente affaire. Lorsqu’il a ratifié le Pacte, le 10 septembre 1978, l’État partie a émis la réserve suivante: «L’article 26 est interprété comme n’excluant pas la distinction de traitement selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers permise en vertu du paragraphe 2 de l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale» . Lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif, le 10 décembre 1987, l’État partie a émis la réserve suivante: «Étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2, dudit Protocole, le Comité des droits de l’homme institué en vertu de l’article 28 du Pacte n’examinera aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.».

Rappel des faits présentés par l’auteur

3.1 L’auteur possède (uniquement) la nationalité turque mais détient un permis de séjour illimité en Autriche. Il travaille pour l’«Association d’aide aux étrangers» de Linz, qui emploie 10 personnes au total. Le 24 mai 1994 a eu lieu l’élection au comité d’entreprise ( Betriebsrat ) de l’association qui a le droit et à qui il incombe en vertu de la loi de promouvoir les intérêts du personnel et de veiller au respect des conditions de travail. L’auteur, qui remplissait les conditions requises par la loi, soit avoir plus de 19 ans et avoir été employé pendant plus de six mois, ainsi qu’un autre employé, M. Vladimir Polak, ont tous deux été élus aux deux sièges à pourvoir au comité.

3.2 Le 1 er  juillet 1994, M. Polak a déposé une requête devant le tribunal régional de Linz tendant à ce que l’élection de l’auteur soit annulée au motif qu’il n’avait pas le droit de poser sa candidature au comité. Le 15 septembre 1994, le tribunal a fait droit à sa demande en se fondant sur le fait qu’en vertu de la législation du travail applicable, à savoir l’article 53 1) de la loi sur les relations professionnelles ( Arbeitsverfassungsgesetz ), seuls pouvaient se présenter aux élections à ces comités des ressortissants autrichiens ou de pays membres de l’Espace économique européen (EEE). L’auteur ne répondant à aucun de ces deux critères n’était donc pas éligible.

3.3 Le 15 mars 1995, la cour d’appel de Linz a débouté l’auteur et confirmé la décision de la juridiction inférieure. Elle n’a par ailleurs conclu à aucune violation de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) considérant qu’il n’avait pas été porté atteinte au droit de s’affilier à un syndicat. Le 21 avril 1995, l’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême, demandant entre autres un examen par la Cour constitutionnelle de la constitutionnalité (y compris par rapport à la CEDH) de l’article 53 1) de la loi en cause.

3.4 Le 21 décembre 1995, la Cour suprême a rejeté le pourvoi de l’auteur ainsi que sa demande d’examen de la constitutionnalité. Elle a estimé que le comité d’entreprise n’était pas une «association» au sens de l’article 11 de la CEDH. Ce n’était pas une association constituée sur une base volontaire et privée; son organisation et ses attributions étaient déterminées par la loi et comparables à celles d’une chambre de commerce. Le personnel ne constituait pas non plus une association indépendante puisqu’il ne s’agissait pas d’un groupe de personnes qui s’étaient volontairement associées. En ce qui concerne l’allégation de discrimination à l’égard des étrangers, la Cour, se référant aux obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a estimé que la différence de traitement entre les ressortissants autrichiens et les étrangers était justifiée en raison tant des distinctions établies par les traités économiques européens relatifs aux questions de main-d’œuvre entre les ressortissants et les non-ressortissants que des liens particuliers existant entre les ressortissants d’un État et cet État. En outre, étant donné que la durée du permis de séjour d’un étranger pouvait être limitée et assujettie à une décision administrative, il pouvait y avoir conflit entre la durée du permis et la durée réglementaire du mandat au sein d’un comité d’entreprise.

3.5 Le 24 juillet 1996, l’auteur a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 14 septembre 1999, la troisième chambre de la Cour a conclu, à la majorité, que la requête n o  32441/96 était manifestement mal fondée et par conséquent irrecevable. La Cour a estimé que le comité d’entreprise, qui était un organe élu exerçant des fonctions de participation du personnel, ne pouvait pas être considéré comme une «association» au sens de l’article 11 de la CEDH, et que les dispositions législatives en cause ne portaient pas atteinte aux droits énoncés dans cet article.

Teneur de la plainte

4.1 L’auteur affirme que l’article 53 1) de la loi sur les relations professionnelles et les décisions des tribunaux de l’État partie appliquant cette disposition violent ses droits à l’égalité devant la loi et à une protection contre toute discrimination, énoncés à l’article 26 du Pacte. L’auteur renvoie à cet égard aux constatations du Comité qui avait conclu à une violation de cet article en raison d’une discrimination fondée sur le sexe dans les affaires Broeks c. Pays-Bas et  Zwaan-de Vries c. Pays-Bas . Pour l’auteur, la distinction établie dans le droit de l’État partie concernant les conditions à remplir pour être élu membre d’un comité d’entreprise entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays n’a pas de fondement rationnel ou objectif.

4.2 L’auteur affirme que, lorsque des employés manifestent leur confiance en un collègue pour représenter leurs intérêts au sein du comité d’entreprise en l’élisant à ce comité, leur choix ne devrait pas être rejeté en vertu de la loi uniquement pour des raisons de nationalité. Rien ne saurait justifier le postulat de la loi, qui est qu’un ressortissant autrichien/ressortissant d’un pays de l’EEE peut mieux représenter les intérêts des employés. L’auteur ajoute que la loi ne limite pas par ailleurs l’exclusion des non-ressortissants, par exemple à ceux qui n’ont pas de permis de séjour valable pour la durée du mandat considéré ou qui ne parlent pas couramment l’allemand; il s’agit donc d’une exclusion très générale. Selon l’auteur, la réserve formulée par l’État partie à l’article 26 du Pacte ne doit pas être interprétée comme légitimant une inégalité de traitement entre ressortissants et non-ressortissants.

4.3 Pour ce qui est de la recevabilité, l’auteur admet la réserve émise par l’État partie au sujet de l’article 5 du Protocole facultatif mais fait observer que la compétence du Comité pour examiner la communication n’est pas exclue étant donné que la Cour européenne n’a examiné que la question de «l’association» au regard de l’article 11 de la CEDH sans aborder les questions de la discrimination et de l’égalité devant la loi. L’auteur fait observer que l’article 26 du Pacte n’a pas d’équivalent dans la Convention européenne et que la communication devrait donc être considérée comme recevable.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1 Par des lettres datées du 31 juillet 2001 et du 14 mars 2002, l’État partie conteste aussi bien la recevabilité que le fond de la communication.

5.2 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà examiné la même question et qu’en conséquence, compte tenu de la réserve de l’État partie à l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité ne peut pas examiner la communication.

5.3 Pour ce qui est du fond, l’État partie avance trois arguments quant aux raisons pour lesquelles il n’y a pas de violation du Pacte. Premièrement, l’État partie fait observer que, si l’on réfléchit bien, la plainte relève de l’article 26 lu conjointement avec l’article 25, étant donné que le droit d’être élu aux comités d’entreprise correspond au droit politique de participer à la direction des affaires publiques énoncé à l’article 25. Toutefois, comme le Comité l’a confirmé dans son Observation générale n o 18, l’article 25 reconnaît explicitement le droit des États parties de garantir ce droit en prévoyant une différenciation fondée sur la citoyenneté. En conséquence, le Pacte n’empêche pas l’État partie d’accorder uniquement à ses citoyens le droit de participer à la direction des affaires politiques, et pour cette seule raison, les allégations de l’auteur doivent être rejetées.

5.4 Deuxièmement, l’État partie affirme que sa réserve à l’article 26 du Pacte empêche le Comité d’examiner la communication. Selon lui, il a exclu toute obligation de traiter sur un pied d’égalité les ressortissants et les non-ressortissants, harmonisant en cela les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte avec celles qu’il a contractées en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (voir art. 1 er , par. 2) de cet instrument. En conséquence, il n’est pas tenu en vertu de l’article 26 d’accorder aux étrangers le même traitement qu’à ses ressortissants et l’auteur n’a aucun droit en vertu de l’article 26 d’être traité de la même manière que les ressortissants autrichiens pour ce qui est de l’éligibilité au comité d’entreprise.

5.5 Troisièmement, l’État partie affirme que si le Comité en arrive à examiner la question de savoir si la différence de traitement entre l’auteur et les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE est justifiée, il constatera que cette différenciation est fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. L’État partie fait valoir que le privilège accordé aux ressortissants de pays de l’EEE résulte de l’obligation conventionnelle internationale qu’il a contractée sur la base de la réciprocité et a pour but légitime d’éliminer les différences de traitement entre les travailleurs au sein des États membres de la Communauté européenne/de l’EEE. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les privilèges accordés aux ressortissants de certains États en vertu d’un accord de droit international sont admissibles dans l’optique de l’article 26. Le Comité a observé que la création de catégories distinctes de personnes pouvant bénéficier des privilèges en question sur la base de la réciprocité était fondée sur des critères raisonnables et objectifs.

5.6 L’État partie rappelle la décision en date du 21 décembre 1995 de la Cour suprême, laquelle, tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la justification du traitement préférentiel accordé aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne, a estimé que le Traité d’adhésion à la Communauté européenne constituait une raison objective justifiant la différence de statut prévue par la loi entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants de pays tiers.

5.7 L’État partie fait observer en conclusion que la question de savoir si, selon le droit européen directement applicable, des salariés turcs ont le droit de se présenter aux élections aux comités d’entreprise est actuellement en cours d’examen devant la Cour de justice européenne . L’État partie souligne toutefois que, même si celle-ci conclut à l’existence d’un tel droit, ce qui constituerait une réponse favorable à la plainte actuelle de l’auteur, la distinction prévue dans la loi en vigueur entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays reste objectivement justifiée et est par conséquent conforme à l’article 26.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1 Dans des observations datées du 19 septembre 2001, l’auteur rejette les arguments de l’État partie concernant aussi bien la recevabilité que le fond de la communication.

6.2 En ce qui concerne la recevabilité, l’auteur souligne que la requête qu’il a déposée devant la Cour européenne avait trait au droit d’association protégé par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme alors que la présente communication porte sur une discrimination et une violation du principe de l’égalité devant la loi énoncé à l’article 26 du Pacte. En conséquence, se référant en général à la jurisprudence du Comité, l’auteur affirme que la question dont le Comité est saisi n’est pas la «même» que celle qui a déjà été soumise à la Cour européenne. De toute façon, selon lui, le fait que la communication a été déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement ne signifie pas que la question ait été «examinée», au sens de la réserve de l’État partie.

6.3 S’agissant du fond, l’auteur affirme que l’article 25 n’a aucun rapport avec l’affaire considérée, puisqu’il concerne les affaires publiques et non les questions d’organisation des structures professionnelles dans le secteur privé. La question du comité d’entreprise étant en rapport avec la représentation centrale des employés d’une organisation du secteur privé, elle n’a aucune dimension publique qui relèverait de l’article 25, et la plainte doit être considérée uniquement au regard des principes généraux qui sont énoncés à l’article 26.

6.4 L’auteur réaffirme que l’article 26 impose à l’État partie l’obligation générale d’éviter toute discrimination en droit et en fait et considère qu’il n’existe aucun motif raisonnable et objectif justifiant la différenciation établie. Une différenciation raisonnable serait non pas d’imposer une interdiction générale aux ressortissants de pays autres que l’Autriche ou les pays de l’EEE, mais plutôt d’accorder à ceux d’entre eux qui, comme l’auteur, ont les aptitudes linguistiques et les capacités juridiques requises, le droit de se présenter aux élections aux comités d’entreprise. L’existence même de la disposition adoptée par le Conseil d’association de la Communauté économique européenne et la procédure en cours devant la Cour de justice européenne mettent en évidence le caractère problématique de la différenciation générale actuellement établie dans ce domaine de l’emploi entre les ressortissants autrichiens/ ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays qui accomplissent les mêmes tâches.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Comme il y est tenu par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 Comme il y est tenu par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a vérifié que les recours internes avaient bien été épuisés.

7.4 En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa réserve à l’article 5 du Protocole facultatif exclut la compétence du Comité pour examiner la communication, le Comité note que l’on doit entendre par «même question» au sens de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif «une seule et même plainte concernant le même individu». En l’espèce, l’auteur avance des allégations ponctuelles de discrimination et de violation du principe de l’égalité devant la loi, qui n’ont pas été, et d’ailleurs n’auraient pas pu être, formulées devant les instances européennes. En conséquence, le Comité considère que la réserve de l’État partie au Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

7.5 Le Comité a pris note de la réserve à l’article 26 du Pacte formulée par l’État partie selon laquelle ce dernier interprète cette disposition «comme n’excluant pas la distinction de traitement selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers permise en vertu du paragraphe 2 de l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale». Le Comité estime en conséquence ne pouvoir examiner la partie de la communication dénonçant l’existence d’une distinction injustifiée dans le droit de l’État partie entre les ressortissants autrichiens et l’auteur. La réserve n’influe en revanche pas sur la partie de la plainte relative à la distinction établie dans le droit de l’État partie entre les étrangers ressortissants de pays de l’EEE et les autres étrangers – dont l’auteur. Le Comité déclare en conséquence cette partie de la communication recevable et procède sans tarder à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui ont adressées, comme il y est tenu en vertu du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte relève en réalité de l’article 25 du Pacte, le Comité observe que le droit protégé par cet article est celui de participer à la vie politique publique de la nation et n’a aucun rapport avec des questions d’emploi dans le secteur privé telles que l’élection d’un employé au comité d’entreprise d’une société privée. En conséquence, il estime que l’article 25, avec toutes les conséquences négatives qui pourraient en découler pour l’auteur, n’est pas applicable aux circonstances de l’espèce.

8.3 Passant à l’évaluation de la question de la différenciation au regard de l’article 26, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les distinctions prévues dans le droit d’un État partie ne sont pas toutes incompatibles avec cette disposition si elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs .

8.4 Dans la présente affaire, l’État partie a accordé à l’auteur, qui n’est ressortissant ni de l’Autriche ni d’un pays de l’EEE, le droit de travailler sur son territoire pendant une période indéterminée. La question qui se pose par conséquent est celle de savoir s’il existe des critères raisonnables et objectifs justifiant l’exclusion de l’auteur – en raison de sa seule nationalité – du bénéfice d’un droit naturellement et étroitement associé au fait de travailler dans l’État partie et dont jouissent les ressortissants de pays de l’EEE, à savoir le droit de se présenter aux élections au comité d’entreprise pertinent. Le Comité a constaté dans une affaire ( Van Oord c.  Pays-Bas , communication n o  658/1995) qu’un accord international instituant un traitement préférentiel en faveur des ressortissants des États contractants pouvait constituer un critère raisonnable et objectif de différenciation sans que l’on puisse pour autant en dégager une règle générale selon laquelle un tel accord constituerait en soi un critère suffisant au regard de l’article 26 du Pacte. Il faut au contraire statuer en fonction des faits pour chaque affaire. En l’espèce, le Comité doit prendre en considération la fonction dont est investi un membre de comité d’entreprise, c’est-à-dire promouvoir les intérêts du personnel et veiller au respect des conditions de travail (voir par. 3.1). Compte tenu de ce qui précède, instituer en matière d’éligibilité à un comité d’entreprise une distinction visant certains étrangers fondée sur leur seule nationalité n’est pas raisonnable. En conséquence, le Comité estime que l’auteur a fait l’objet d’une discrimination en violation de l’article 26.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

10. Selon le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est dans l’obligation de fournir à l’auteur un recours utile, consistant à modifier la législation applicable afin qu’aucune distinction ne soit établie entre les personnes qui se trouvent dans la situation de l’auteur et les ressortissants de pays de l’EEE.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle (en partie dissidente) de Sir Nigel Rodley et M. Martin Scheinin

Nous adhérons aux constatations du Comité selon lesquelles il y a eu violation de l’article 26 du Pacte. À notre avis cependant, la réserve de l’État partie relative à cette disposition ne devrait pas être comprise comme écartant la compétence du Comité à examiner la question de savoir si la distinction entre ressortissants autrichiens et étrangers est contraire à l’article 26.

Tant le libellé de la réserve que les observations de l’État partie soumises au titre de la présente affaire renvoient à l’intention de l’Autriche d’harmoniser ses obligations découlant du Pacte avec celles auxquelles elle a souscrit en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Interprétée en se fondant sur le sens ordinaire des termes dans lesquels elle est formulée, cette réserve a donc pour effet que le Comité se voit empêché d’apprécier si une distinction faite entre ressortissants autrichiens et étrangers est assimilable à une discrimination fondée sur «la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique» 1 la rendant incompatible avec l’article 26 du Pacte.

Dans sa pratique, le Comité n’a toutefois pas abordé les distinctions fondées sur la nationalité sous l’angle de la race, de la couleur, de l’ethnie ou de notions de cet ordre, mais en tant que question autonome relevant de l’article 26 2 . Notre opinion est que les distinctions fondées sur la nationalité relèvent de la notion «toute autre situation» visée à l’article 26 et non des motifs de discrimination visés au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

En conséquence, la réserve de l’Autriche à l’article 26 n’influe pas sur la compétence du Comité à déterminer si une distinction faite entre nationaux et étrangers constitue une discrimination proscrite au sens de l’article 26 du Pacte mais fondée sur des motifs autres que ceux visés également dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Rien n’empêche dès lors le Comité d’apprécier si une distinction fondée sur la nationalité est en l’espèce incompatible en soi avec l’article 26.

Nous estimons donc que la question dont est saisi le Comité est celle de la compatibilité de la législation de l’État partie telle qu’appliquée dans l’affaire considérée qui interdit à un étranger de solliciter un mandat électif dans un comité d’entreprise avec les obligations incombant à l’État partie en vertu de l’article 26. Aucun élément figurant dans la réponse de l’État partie ne nous amène à penser que cette restriction soit raisonnable ou objective. C’est là que réside la violation par l’État partie de l’article 26 du Pacte.

( Signé ) Nigel Rodley ( Signé ) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

X. DÉCISIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

A. Communication n o  803/1998, Althammer c. Autriche

(décision adoptée le 21 mars 2002, soixante-quatorzième session) *

Présentée par :

M. Rupert Althammer et consorts (représentés par M. Alexander H. E. Morawa, conseil)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Autriche

Date de la communication :

10 décembre 1996 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication sont M. Rupert Althammer et 15 autres personnes, tous de nationalité autrichienne et résidant en Autriche, la plupart à Salzbourg. Ils se déclarent victimes d’une violation par l’Autriche de l’article 26 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs étaient employés de la Caisse maladie de Salzbourg ( Salzburger Gebietskrankenkasse ) et ont pris leur retraite avant le 1 er  janvier 1994. Le conseil précise qu’ils perçoivent une pension calculée selon les barèmes applicables aux employés des caisses d’assurance sociale ( Dienstordnung A für die Angestellten bei den Sozialversicherungsträgern ). Leurs pensions comprennent, d’une part, des prestations au titre du régime général public ( ASVG ‑Pension ) et, d’autre part, des prestations complémentaires de la Caisse d’assurance sociale. Or alors que le montant des prestations du régime général était indexé sur l’évolution du coût de la vie par l’application d’un multiplicateur annuel ( Rentenanpassungsfaktor ), en vertu de la loi générale sur la sécurité sociale ( Allgemmeines Sozialversicherungsgesetz-ASVG ), les prestations versées par l’Administration de la sécurité sociale étaient liées à l’évolution des salaires du personnel en exercice, conformément au règlement.

2.2 Avec effet au 1 er  janvier 1994, le règlement a été modifié de telle sorte que les ajustements des pensions de l’Administration de la sécurité sociale se feraient désormais à l’aide du multiplicateur annuel utilisé pour les pensions du régime général public.

2.3 Le 22 août 1994, les auteurs ont engagé une action contre la Caisse maladie régionale de Salzbourg pour demander un jugement déclaratoire établissant que le montant de leur pension devait être ajusté conformément aux dispositions du règlement antérieures à janvier 1994 et non aux nouvelles dispositions, et qu’ils avaient droit à une indemnisation pour le manque à gagner. Selon les auteurs, la modification du règlement entraîne en effet pour eux une perte de revenus considérable. Ils ont fait valoir que, dans le cadre du nouveau règlement, la différence de revenus entre salariés en service et salariés à la retraite augmenterait de 340 % par an entre 1994 et 1997.

2.4 Le 11 janvier 1995, le tribunal du district fédéral de Salzbourg ( Landesgericht Salzburg ) a débouté les auteurs. Ceux ‑ci ont formé recours auprès de la cour d’appel de Linz ( Oberlandesgericht Linz ), qui les a déboutés le 24 octobre 1995; puis, le 12 décembre 1995, ils se sont pourvus devant la Cour suprême ( Oberster Gerichtshof ), qui a rejeté leur recours le 27 mars 1996. Le conseil indique qu’il n’y a plus de recours internes disponibles.

2.5 Au nom des auteurs, le conseil a déposé une requête auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, en invoquant l’article premier (droit à la propriété) du Protocole se rapportant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 1 . Après l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 se rapportant à la Convention européenne des droits de l’homme, l’affaire a été transmise à la Cour européenne des droits de l’homme. Le 12 janvier 2001, un comité composé de trois juges a déclaré la demande irrecevable 2 .

Teneur de la plainte

3.1 D’après le conseil, les auteurs sont victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir qu’ils ont versé des cotisations au régime de retraite de la Caisse régionale de la sécurité sociale et sont donc en droit de percevoir des prestations dans le cadre de ce régime et conformément aux règles spécifiques établies dans le règlement y relatif.

3.2 Le conseil explique que les caisses régionales de la sécurité sociale sont des institutions de droit public et le règlement y relatif est en fait un décret ‑loi ( Verordnung ) qui régit la quasi ‑totalité des questions relatives à l’emploi dans les caisses de la sécurité sociale, notamment le montant des prestations de retraite et leur mode de calcul, augmentations ou ajustements périodiques compris. Il existe de nombreuses similitudes entre les régimes de pension ( Betriebsrenten ) proposés par les employeurs privés et celui qui se fonde sur le règlement. Le règlement a toutefois la particularité de pouvoir être modifié unilatéralement par l’État partie, au moyen d’un décret ‑loi.

3.3 Le conseil souligne que le régime de retraite en question n’est aucunement rattaché au régime général public qui fait partie du système de sécurité sociale et relève de la loi générale sur la sécurité sociale, mais concerne uniquement les employés des caisses maladie régionales. En vertu de la loi générale sur la sécurité sociale, tout salarié résidant en Autriche cotise au régime général public à hauteur d’un pourcentage fixe de son revenu, jusqu’à un certain plafond ( Höchstbeitragsgrundlage ). Les prestations versées au titre de ce régime sont ajustées au moyen d’un multiplicateur annuel qui prend en compte l’inflation, les taux d’intérêt, les dépenses des ménages, etc. Ce régime vise à assurer une couverture générale de base pour la retraite.

3.4 Le régime visé par le règlement est un système distinct d’assurance complémentaire. Les employés cotisent à hauteur d’un pourcentage donné de leur revenu total, c’est ‑à ‑dire y compris les montants au ‑delà du plafond de calcul. Ce régime est rattaché à l’emploi occupé et, par conséquent, fondé sur une relation essentiellement contractuelle entre les salariés et la Caisse. D’après le conseil, les deux régimes de pension ont peu de choses en commun: leurs objectifs sont différents, de même que leur mode de calcul, les groupes de personnes visées et la philosophie qui les sous ‑tend. En conséquence, la décision d’ajuster les prestations auxquelles les auteurs ont droit au titre du règlement en appliquant les critères de la loi générale sur la sécurité sociale est contraire au principe d’égalité, dans la mesure où cela revient à traiter de la même manière deux situations de fait complètement différentes.

3.5 Le conseil fait valoir en outre que, quoique le régime de pension en question et les régimes privés soient similaires, l’un peut être unilatéralement modifié par l’État et les autres non, d’où une autre violation du droit à l’égalité.

3.6 De plus, le conseil fait valoir que si un employeur privé modifiait le mode de calcul des ajustements d’un régime de pension, les salariés disposeraient d’un recours, puisqu’ils pourraient invoquer une rupture de contrat. Dans le cas des auteurs, au contraire, aucun recours n’est disponible dans la mesure où le règlement est en fait un décret ‑loi et où leur employeur est un organisme semi ‑public. Ce n’est qu’en cas de violation de la Constitution que les tribunaux pourraient intervenir. Selon le conseil, il y a là une violation supplémentaire du droit à l’égalité.

3.7 Le conseil renvoie à la communication n° 608/1995 ( Franz Nahlik c. Autriche ), relative à une modification précédente du règlement que le Comité avait déclarée irrecevable le 22 juillet 1996, et attire l’attention sur l’effet cumulé des modifications apportées graduellement.

Observations de l’État partie

4.1 Dans des réponses datées du 22 juillet 1998, du 2 juin 1999 et du 23 août 1999, l’État partie fait valoir que le règlement statutaire des employés de la sécurité sociale, qui régit la relation entre les caisses et leur personnel retraité, n’est pas un décret mais une convention collective. Une convention collective est conclue entre l’Association des institutions de la sécurité sociale et le syndicat, lequel représente les intérêts des salariés. L’État partie objecte qu’il ne peut en aucune manière intervenir dans le processus décisionnel et qu’il ne peut donc pas être tenu pour responsable d’une éventuelle violation de l’article 26 du Pacte résultant de la convention collective.

4.2 L’État partie explique que la loi générale sur la sécurité sociale prévoit la possibilité de conclure des contrats individuels pour définir les conditions d’emploi, de rémunération et de pension de retraite. La portée des contrats individuels est néanmoins limitée par les conventions collectives qui peuvent régir, notamment, les éventuelles modifications du barème des pensions des salariés. La faculté des parties de modifier une convention collective n’est limitée que par les interdictions prévues dans les dispositions légales et par la politique générale de l’État. Dans la mesure où les conventions collectives ne portent pas sur le champ d’application des contrats individuels, leurs dispositions sont juridiquement contraignantes pour les intéressés, y compris les anciens salariés. Cette partie des conventions collectives est une source de droit privé sui generis .

4.3 L’État partie indique que, si elle s’était prononcée sur le fond, la Cour européenne aurait examiné les mêmes questions et les mêmes faits, essentiellement sous le même angle juridique.

4.4 L’État partie fait en outre valoir que l’amendement au règlement n’a pas de conséquences préjudiciables pour les auteurs. S’il admet qu’il peut conduire à une situation où les pensions des auteurs augmentent à un rythme moins soutenu que le revenu des salariés en exercice, il réfute l’allégation de réduction excessive du montant de leur pension. En effet, entre 1975 et 1995, pendant au moins neuf années, le facteur d’ajustement des pensions prévu par la loi générale sur la sécurité sociale était en réalité supérieur à la hausse des salaires du personnel des caisses.

4.5 L’État partie dit qu’il peut être tenu pour responsable uniquement des violations du Pacte qui se sont produites, mais non de violations qui pourraient éventuellement se produire à l’avenir. Pour l’heure, aucun déséquilibre flagrant entre l’évolution des salaires du personnel en exercice des caisses et l’évolution des pensions n’a pu être établi.

4.6 Par ailleurs, l’État partie affirme qu’il y a une raison objective à l’évolution différente des salaires du personnel en exercice et des pensions, puisque les pensionnés n’ont pas à cotiser aux caisses d’assurance chômage ni aux caisses de retraite et que leurs cotisations d’assurance maladie sont moindres. Il réfute l’allégation de différence de traitement entre les anciens salariés des caisses et les anciens salariés percevant des pensions au titre d’un régime privé: même si une marge d’appréciation est laissée quant aux détails des barèmes, les deux régimes répondent aux mêmes principes de base.

Commentaires du conseil des auteurs

5.1 Le conseil demande que les réponses de l’État partie des 2 juin et 23 août 1999 ne soient pas prises en considération parce qu’elles sont postérieures à la date limite fixée par le Comité.

5.2 Le conseil fait valoir que la requête soumise à la Commission européenne des droits de l’homme concerne certes les mêmes personnes et les mêmes faits mais soulève des questions entièrement différentes. La présente communication porte sur des droits protégés exclusivement soit par le Pacte (droit à l’égalité) soit par la Convention européenne (droit à la propriété). Or, rien dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne donne à penser qu’elle étendrait de sa propre initiative ses investigations à des questions qui ne sont pas soulevées dans la requête dont elle est saisie.

5.3 Le conseil indique que la discrimination dénoncée par les auteurs ne porte pas sur les conséquences préjudiciables des nouvelles dispositions du règlement, mais sur leur application. C’est pourquoi le préjudice financier résultant de la discrimination n’est pas en jeu. Le conseil joint des tableaux illustrant les conséquences globales des modifications apportées au règlement sur les pensions de l’un des auteurs pour la période 1994 ‑1999. Selon ces calculs, la différence résultant de l’amendement au règlement, pour la seule partie des prestations mensuelles relevant du régime visé par le règlement, était de 0,17 % en 1994 et est progressivement passée à 3,5 % en 1999 − ce dernier chiffre correspondant à une baisse de 2,1 % dans le montant total des prestations perçues par l’intéressé en 1999 par rapport au niveau qu’elles auraient atteint si le règlement n’avait pas été modifié. Suite à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du règlement, les prestations globales de pension ont augmenté de 8,2 % entre 1994 et 1999.

5.4 Le conseil affirme que les raisons qui ont motivé les modifications apportées par l’État partie n’étaient pas les raisons examinées par les partenaires de la convention collective. Il ajoute que la différence entre les cotisations du personnel en exercice et celles des pensionnés est déjà prise en compte puisque les pensionnés reçoivent seulement 80 % du salaire qu’ils percevaient à leur cessation d’activité.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que, d’après les auteurs, le multiplicateur est maintenant appliqué à la fois pour les pensions du régime général public et pour les prestations complémentaires de la caisse d’assurance sociale. Les auteurs n’ont pas montré que la modification du calcul de leurs droits à pension représentait une discrimination ou pouvait d’une quelconque autre manière relever du champ d’application de l’article 26 du Pacte. Par conséquent, aux fins de la recevabilité, les auteurs n’ont pas montré qu’ils étaient fondés à invoquer l’article 26 du Pacte.

6.3 Eu égard à la conclusion qui précède, le Comité n’a pas à examiner la question de savoir si la réserve émise par l’État autrichien à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif l’empêche d’examiner la communication parce qu’elle porte sur la même affaire que celle que la Cour européenne des droits de l’homme a déclarée irrecevable le 12 janvier 2001.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Eckart Klein

À mon avis, le Comité aurait dû se prononcer sur la question de savoir si la réserve émise par l’État partie l’empêchait d’examiner la communication (voir par. 4.3 et 6.3) avant de s’interroger sur la question de savoir si les auteurs étaient fondés à dénoncer une violation, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif (par. 6.2). La raison à cela est que la réserve, si elle est applicable, exclut la compétence du Comité pour examiner la communication. Or ce n’est que si le Comité peut examiner la communication qu’il peut commencer à se demander si la plainte est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et, éventuellement, justifiée sur le fond.

( Signé ) Eckart Klein

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

B. Communication n o  825/1999, Silva c. Zambie ,

Communication n o   826/1999, Godwin c. Zambie

Communication n o   827/1999, de Silva c. Zambie

Communication n o   828/1999, Perera c. Zambie

(décision adoptée le 25 juillet 2002, soixante ‑quinzième session) *

Présentées par :

Welvidanelage Don Hugh Joseph Francis Silva (825/1998), Don Clarence Godwin (826/1998), Sunil Randombage de Silva (827/1998), T.J.A. Perera (828/1998)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Zambie

Date des communications :

28 octobre 1997 (825/1998), 27 novembre 1997 (826/1998), 28 octobre 1997 (827/1998), 25 octobre 1997 (828/1998) (communications initiales)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs des communications sont MM. Welvidanelage Don Hugh Joseph Francis Silva, Don Clarence Godwin, Sunil Randombage de Silva et T.J.A. Perera, citoyens sri ‑lankais. Ils affirment avoir été victimes d’une violation par la Zambie du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs, tous quatre avocats, affirment qu’entre le 21 août et le 3 septembre 1991 le Gouvernement zambien leur a proposé à chacun un poste de défenseur commis d’office vacataire. L’offre qui leur a été faite comprenait un traitement en monnaie locale et une indemnité d’expatriation, d’un montant allant de 4 260 à 7 080 dollars des États ‑Unis par an, qui leur serait versée mensuellement à Sri Lanka. Le voyage aller retour devait être payé par le Gouvernement zambien, à condition que les auteurs accomplissent une période de service d’au moins 24 mois.

2.2 Les auteurs ont accepté cette offre et se sont rendus en Zambie. M. Silva est entré en fonctions le 1 er  juillet 1992, MM. Godwin et de Silva le 6 mai 1992, et M. Perera le 8 avril 1992.

2.3 Les auteurs affirment que l’indemnité leur a été versée avec beaucoup de retard et qu’à partir du 1 er  avril 1993, soit neuf mois à un an après leur entrée en fonctions en Zambie, un impôt de 35 % a été retenu sur celle ‑ci. Estimant que cette imposition constituait une violation flagrante de leur accord avec le Gouvernement zambien, ils ont demandé à ce dernier soit de rembourser les sommes prélevées, soit de résilier leur contrat et de prendre les dispositions nécessaires en vue de leur retour à Sri Lanka.

2.4 D’après les auteurs, le Gouvernement n’aurait pas répondu à leur demande. En conséquence, et parce qu’ils ne disposaient pas de suffisamment d’argent, les auteurs ont été tenus d’accomplir 24 mois de service avant de pouvoir retourner à Sri Lanka comme le disposait leur contrat. Ils ont donc été contraints de travailler dans des conditions auxquelles ils n’avaient pas consenti. Tous ont démissionné entre avril et décembre 1994 et sont retournés à Sri Lanka.

2.5 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs signalent que M. de Silva a tenté de saisir la Haute Cour de Zambie, à Lusaka, le 4 août 1994. La Haute Cour a recommandé aux parties de régler l’affaire à l’amiable mais le Gouvernement zambien n’aurait proposé aucune réparation à M. de Silva ni aux autres auteurs. Ceux ‑ci affirment avoir invoqué la clause contractuelle relative à la résiliation de leur contrat et à la prise en charge de leur retour à Sri Lanka avant d’avoir pu exercer tout autre recours.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment qu’en raison du prélèvement fiscal de 35 % sur le montant de leur indemnité ils n’ont pas été en mesure de retourner à Sri Lanka avant d’avoir accompli 24 mois de service, ce qui était la condition à remplir pour que leur voyage de retour soit pris en charge. Si l’État partie avait souhaité modifier les termes du contrat, ils auraient pu résilier celui ‑ci tout en conservant la possibilité de retourner à Sri Lanka, puis formuler des propositions pour un nouveau contrat. Toutefois, le Gouvernement n’aurait fait aucune proposition dans ce sens parce qu’il avait besoin des services des auteurs. Ces derniers considèrent donc qu’ils ont été astreints à un travail forcé, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte.

3.2 Outre le remboursement des sommes prélevées à titre d’imposition, M. Perera demande le versement de l’intégralité de l’indemnité d’expatriation pour la troisième année de contrat, qu’il n’a pas pu achever parce qu’il a été contraint de quitter la Zambie, et de la prime prévue dans le contrat.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et quant au fond des communications

4.1 L’État partie a communiqué ses observations quant à la recevabilité et au fond des communications par note verbale les 26 avril 2000 et 26 mars 2001.

4.2 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie affirme que les auteurs des communications n’ont pas épuisé les recours internes. Il fait valoir que même si la Haute Cour a recommandé à M. de Silva de régler l’affaire à l’amiable avec le Gouvernement, ceci ne compromettait pas l’issue de toute procédure judiciaire engagée et n’excluait pas la possibilité de se pourvoir devant la Cour suprême de l’État partie. Il fait également observer que les auteurs ont décidé librement d’invoquer la clause leur donnant droit à la prise en charge de leur voyage de retour à Sri Lanka, ce qui rendait difficile l’exercice des recours internes et exonère donc le Gouvernement zambien.

4.3 En outre, les problèmes soulevés par les auteurs auraient pu être réglés par le ministère compétent, dans la mesure où les intéressés avaient été informés à plusieurs reprises des procédures appliquées par le Gouvernement et s’en étaient prévalus en matière de réévaluation des traitements, de voyage des membres de leur famille et de logement.

4.4 En ce qui concerne le fond des communications, l’État partie fait valoir qu’en 1990 ‑1991 le Gouvernement zambien a recruté un certain nombre de nationaux sri ‑lankais pour travailler au Ministère de la justice en raison d’une pénurie de juristes qualifiés au sein de la fonction publique.

4.5 L’État partie fait observer que les auteurs ont signé en juin 1992 un avenant au contrat initial, qui en modifiait légèrement les termes compte tenu des nouveaux régimes de taux de change établis par la Banque de Zambie. En effet, à l’époque, le Gouvernement cherchait à contrôler la circulation des devises étrangères dans le pays étant donné le peu de ressources financières dont il disposait. Il n’était pas toujours possible d’obtenir des devises, ce qui explique que l’indemnité n’a malheureusement pas pu être versée avec régularité. Enfin, l’État partie fait observer que si le taux d’imposition appliqué au traitement local a augmenté, la prime et l’indemnité n’ont, en revanche, pas été modifiées par cet avenant puisqu’elles sont restées non imposables.

4.6 Pour ce qui est des retards dans le versement de l’indemnité, l’État partie considère que ceux ‑ci constituent une circonstance imprévue au moment du recrutement mais réaffirme que, d’après ses archives, le montant dû a été versé dans son intégralité.

4.7 En ce qui concerne la prime prévue dans le contrat d’engagement, l’État partie souligne que la condition pour en bénéficier était d’avoir accompli 30 mois de service ayant donné satisfaction.

4.8 Pour ce qui est du logement , l’État partie explique que le contrat prévoyait la possibilité de fournir un logement aux intéressés, auquel cas une contribution, dont le montant variait d’un employé à l’autre en fonction de sa rémunération, serait déduite du traitement.

4.9 En ce qui concerne les permis de travail, l’État partie souligne que leur délivrance est régie par la loi sur l’immigration et qu’ils n’ont pas tous la même durée de validité.

4.10 L’État partie appelle également l’attention du Comité sur le fait qu’un mois avant leur entrée en fonctions, les auteurs ont demandé une réévaluation de leur traitement entraînant une modification de leurs conditions d’emploi et supposant une promotion d’un échelon. Le Gouvernement zambien leur a finalement accordé cette réévaluation même s’ils ne remplissaient pas tous les critères. Par ailleurs, les auteurs ont demandé le remboursement de certaines dépenses personnelles (appels téléphoniques, courses de taxi, frais supplémentaires d’alimentation), ce qui a été également accepté par le Gouvernement zambien.

4.11 L’État partie conteste l’allégation des auteurs selon laquelle leur démission les aurait empêchés d’user des voies de recours interne. Il fait observer que leur permis de travail ne constituait pas un obstacle à cet égard et qu’ils auraient eu amplement le temps de régler l’affaire à l’amiable. Il conteste également les allégations des auteurs selon lesquelles, du fait de la réduction unilatérale de leur rémunération, ils n’ont pas pu financer leur séjour en Zambie et poursuivre leur action en justice contre un gouvernement réticent et hostile.

4.12 Enfin, l’État partie tient à préciser que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs, seul le traitement local a été touché par la hausse du taux d’imposition, ce qui était clairement indiqué dans l’avenant signé par eux.

Commentaires des auteurs

5.1 Par lettre des 16 et 28 juillet 2001, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie.

5.2 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours interne, les auteurs affirment que la Haute Cour leur a recommandé de régler l’affaire à l’amiable parce qu’elle voulait éviter de placer le Gouvernement dans une position délicate mais qu’aucune mesure n’a été prise par ce dernier pour corriger la situation. La Haute Cour n’ayant pas statué, les auteurs n’ont donc pas pu saisir la Cour suprême. En outre, ils n’ont été informés de l’impossibilité de parvenir à un règlement à l’amiable que peu de temps avant leur départ pour Sri Lanka, ce qui ne leur laissait guère le temps d’explorer d’autres voies de recours. Par conséquent, ils considèrent avoir fait leur possible pour épuiser les voies de recours disponibles.

5.3 En ce qui concerne leur situation contractuelle, les auteurs soulignent que l’imposition du traitement local ne leur pose aucunement problème mais maintiennent qu’un impôt de 35 % a été prélevé sur leur indemnité et demandent que les sommes correspondantes leur soient remboursées. À cet égard, ils font référence à une lettre du Procureur général, en date du 31 octobre 1994, contredisant les observations communiquées par l’État partie le 26 mars 2001, dans laquelle il est dit que les auteurs ne pouvaient pas recevoir d’indemnité d’expatriation sans que celle ‑ci soit soumise à l’impôt et qu’ils avaient droit au versement d’une indemnité, après déduction de l’impôt sur le revenu.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité considère qu’aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle le prélèvement d’un impôt sur l’indemnité qui leur était versée pouvait être considéré comme ayant entraîné un travail forcé au sens du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte.

6.4 Étant parvenu à la conclusion ci ‑dessus, le Comité estime qu’il n’a pas à examiner la question de l’épuisement des recours internes au regard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que les communications sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs des communications et à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

C. Communication n o 880/1999, Irving c. Australie (décision adoptée le 1 er avril 2002, soixante ‑quatorzième session) *

Présentée par :

M. Terry Irving (représenté par un conseil, M. Michael O’Keeffe)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

5 octobre 1999 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er avril 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 5 octobre 1999, est M. Terry Irving, de nationalité australienne, né en 1955. Il affirme être victime d’une violation par l’Australie du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Celui ‑ci a fait savoir, par une lettre datée du 29 mai 2001, que l’auteur avait retiré son allégation initiale selon laquelle il se disait victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte.

1.2 Lorsqu’elle a ratifié le Pacte, l’Australie a émis à propos du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte une réserve tendant à ce que «l’indemnisation prévue en cas d’erreur judiciaire dans les circonstances visées au paragraphe 6 de l’article 14 puisse être effectuée selon une procédure administrative plutôt que conformément à une disposition législative spécifique».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 8 décembre 1993, l’auteur a été reconnu coupable par un jury du tribunal de district de Cairns de l’attaque à main armée d’une succursale de la banque ANZ à Cairns le 19 mars 1993; il a été condamné à huit années d’emprisonnement. Il a demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle pour faire appel de cette décision, mais le Bureau d’aide juridictionnelle ( Legal Aid Office ) du Queensland lui a opposé un refus. Il a donc comparu sans représentation légale devant la cour d’appel du Queensland, qui a rejeté son recours en appel le 20 avril 1994.

2.2 Le 3 mai 1994, l’auteur a sollicité une aide juridictionnelle pour pouvoir présenter une demande d’autorisation spéciale de recours devant la Haute Cour australienne. Le 28 mai 1994, le Bureau d’aide juridictionnelle du Queensland a rejeté sa demande. En juillet 1994, l’auteur a demandé un réexamen de cette décision par le Comité d’examen de l’aide juridictionnelle ( Legal Aid Review Committee ). En août 1994, le Comité de district lui a encore une fois refusé une aide juridictionnelle. L’auteur s’est alors tourné vers d’autres instances, y compris la Commission pour la justice pénale ( Criminal Justice Commission ) du Queensland, le barreau ( Law Society ) du Queensland et le médiateur du Queensland, mais en vain.

2.3 L’auteur s’est de nouveau adressé au Comité d’examen de l’aide juridictionnelle, auquel il a demandé ce type d’aide pour pouvoir présenter une demande d’autorisation spéciale de recours. En janvier 1995, le Comité lui a accordé une aide juridictionnelle afin que la question soit examinée par un conseil qui pourrait indiquer les perspectives d’un recours en appel. En avril 1995, l’auteur a été privé d’aide juridictionnelle. Le 17 juillet 1995, le Service juridictionnel pour les détenus ( Prisoners Legal Service ) du Queensland a rejeté la demande d’aide présentée par l’auteur. Le 28 août 1995, le Bureau d’aide juridictionnelle du Territoire de la capitale de l’Australie (TCA) a rejeté la demande d’aide juridictionnelle présentée par l’auteur.

2.4 En août 1995, il a été signifié à l’auteur que les trois caissiers de la banque ANZ qu’il niait avoir dévalisés avaient engagé une action en dommages ‑intérêts à son encontre. Le 22 septembre 1995, l’auteur a comparu dans le cadre de cette procédure, et déclaré qu’il était accusé à tort du crime qu’on lui reprochait. Le 24 novembre 1995, il s’est vu refuser la permission de fournir d’autres preuves en relation avec son identification dans le cadre de la même procédure et il a été condamné à verser des dommages ‑intérêts.

2.5 Après avoir épuisé toutes les possibilités de représentation et d’assistance à sa connaissance, l’auteur considérait qu’il n’avait pas d’autres choix que de se représenter lui ‑même devant la Haute Cour australienne, nonobstant le refus que lui avait déjà opposé la cour d’appel du Queensland lorsqu’il avait saisi celle ‑ci en se représentant lui ‑même. Le 2 mai 1996, la Haute Cour a accepté le dossier constitué par l’auteur durant sa détention pour présenter une demande d’autorisation spéciale de recours. Le 8 décembre 1997, soit quatre ans jour pour jour après sa condamnation initiale, la Haute Cour a simultanément accepté la demande d’autorisation spéciale de recours présentée par l’auteur, autorisé celui ‑ci à se pourvoir en appel, annulé sa condamnation et ordonné un nouveau procès. La Haute Cour a tenu compte du fait que le ministère public avait reconnu à l’audience que le premier procès de l’auteur avait été inéquitable. Elle a dit avoir «les doutes les plus sérieux quant aux circonstances de l’affaire», ajoutant que «la situation est très troublante» et que «dans tout cela, l’accusé s’est vu refuser une aide juridictionnelle pour se pourvoir en appel». Le 11 décembre 1997, l’auteur a été libéré sous caution. Le 2 octobre 1998, le Directeur des services du Procureur de la Couronne ( Public Prosecutions ) du Queensland a fait savoir que l’auteur ne serait pas jugé à nouveau et a engagé une procédure de nolle prosequi (suspension des poursuites).

2.6 Le 6 juillet 1998, l’auteur a présenté au Procureur général du Queensland une demande en indemnisation ex gratia pour l’erreur judiciaire que constituait son emprisonnement abusif durant plus de quatre ans et demi. Il a demandé aussi la mise en place d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur les circonstances de sa condamnation et de sa détention abusives. Le 10 août 1998, le 18 septembre 1998 et le 21 décembre 1998, l’auteur a présenté à nouveau sa requête au Procureur général du Queensland.

2.7 Le 11 janvier 1999, le Département de la justice du Queensland a transmis les allégations de faute des autorités en cause dans cette affaire à la Commission pour la justice pénale du Queensland. Le 19 mars 1999, l’auteur a engagé une action auprès de la Cour suprême du Queensland contre l’enquêteur et l’État du Queensland, avec une demande de dommages ‑intérêts pour poursuites abusives et de dommages ‑intérêts pour préjudice moral.

2.8 Le 25 juillet 1999, l’auteur a encore une fois présenté une demande en indemnisation au Procureur général du Queensland. En août 1999, la Commission pour la justice pénale a fait savoir que dans le cas de l’auteur il n’y avait pas de suspicion raisonnable de faute des autorités. L’auteur a alors présenté une nouvelle demande en indemnisation au Procureur général. En septembre 1999, le conseiller principal du Procureur général a fait savoir ce qui suit à l’auteur: «Compte tenu de l’avis de la Commission pour la justice pénale et de votre décision d’engager une action en justice, le Procureur général ne considérera pas plus avant votre demande d’indemnisation ex gratia , et attendra l’issue de votre action en justice.». Le 15 août 2000, l’auteur a porté plainte au Comité parlementaire pour la justice pénale ( Parliamentary Criminal Justice Committee ) du Queensland. Au début de février 2002, il n’avait reçu aucune réponse de ce comité, la question étant prétendument toujours à l’examen.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur soutient qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles et qu’il a fait en vain tous les efforts raisonnables pour obtenir du Procureur général du Queensland une indemnisation pour sa détention abusive, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

3.2 L’auteur soutient qu’il remplit toutes les conditions du paragraphe 6 de l’article 14 pour être indemnisé. Premièrement, il a été l’objet d’une condamnation pénale le 8 décembre 1993. Deuxièmement, sa condamnation a été ultérieurement annulée par la Haute Cour australienne, le 8 décembre 1997. Troisièmement, la décision de la Haute Cour était définitive. Quatrièmement, l’auteur dit que sa condamnation a été annulée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé a prouvé qu’il s’était produit une erreur judiciaire, en particulier le fait qu’il n’avait pas eu droit à un procès équitable et que la Haute Cour avait les doutes les plus sérieux quant aux circonstances de l’affaire. Enfin, l’auteur dit qu’il n’a pas été prouvé que la non ‑révélation du fait inconnu en question lui était imputable en tout ou partie. Comme toutes les conditions nécessaires à une indemnisation prévues au paragraphe 6 de l’article 14 étaient réunies, l’État du Queensland aurait dû l’indemniser. Il y a donc eu violation du paragraphe 6 de l’article 14 puisque cela n’a pas été le cas.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et quant au fond

4.1 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie, dans ses observations du 22 octobre 2000, fait valoir:

Que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles et utiles. Au moment où il a présenté la communication, il avait engagé deux actions différentes, l’une pour poursuites abusives et dommages ‑intérêts pour préjudice moral contre le détective chargé de l’enquête et l’État du Queensland, l’autre en indemnisation pour emprisonnement abusif contre le Procureur général du Queensland. Ces deux procédures, selon l’État partie, sont actuellement à l’examen et présentent donc un caractère utile. Il n’existe pas de circonstances spéciales susceptibles d’exempter l’auteur de l’obligation d’épuiser ces recours. L’État partie fait valoir que pour une décision définitive concernant ces plaintes, à supposer qu’elles soient traitées avec diligence, il faut un délai de 12 à 18 mois − et il nie que la demande en réparation de M. Irving soit indûment retardée par les tribunaux du Queensland.

Que l’auteur n’a pas fait apparaître de violation du paragraphe 6 de l’article 14 puisque la décision définitive dans son cas, c’est ‑à ‑dire celle de la Haute Cour australienne, ne constituait pas la condamnation initiale et ne confirmait pas celle ‑ci. Comme au sens du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte la condamnation doit être définitive et qu’en l’espèce, la décision de la Haute Cour a eu exactement l’effet inverse, le paragraphe 6 de l’article 14 est inapplicable en l’occurrence et cette allégation devrait être déclarée irrecevable ratione materiae .

4.2 En ce qui concerne le fond de la plainte, l’État partie considère:

Que le paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte n’a pas été violé puisque l’auteur n’a pas fait l’objet d’une «condamnation définitive» au sens de cette disposition. L’État partie rappelle qu’une «condamnation définitive» ne peut plus faire l’objet d’un recours en appel. Or la condamnation de l’auteur pouvait toujours faire l’objet d’un appel conformément aux procédures de recours prévues dans le système australien. En Australie en général, et au Queensland en particulier, les condamnations prononcées par les tribunaux ne sont pas, du moins dans un premier temps, définitives puisque le condamné a toujours le droit de faire appel de la sentence. L’État partie souligne que puisque l’appel formé par l’auteur devant la Haute Cour a abouti, il est impossible de soutenir que la décision de la Cour suprême du Queensland était définitive.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 En ce qui concerne la recevabilité de sa communication, selon l’auteur:

Les actions en réparation qu’il a engagées ne peuvent pas être considérées comme des recours disponibles au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, puisque ce ne sont pas des recours utiles. En outre, la simple possibilité d’une indemnisation ex gratia pour emprisonnement abusif au cas où les allégations de l’auteur seraient rejetées ne peut pas non plus être considérée comme un recours au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, puisqu’elle relève d’une décision discrétionnaire des autorités de l’État partie. Enfin, M. Irving soutient que les autorités judiciaires du Queensland ont fait durer les procédures de recours au ‑delà des «délais raisonnables».

5.2 Par rapport à son argument initial en relation avec le paragraphe 6 de l’article 14, M. Irving présente maintenant un nouvel argument, à savoir que la décision de la Haute Cour n’était pas «définitive» au sens de ce paragraphe, mais annulait sa condamnation. Il fait observer qu’accorder une autorisation spéciale de recours devant la Haute Cour est une décision purement discrétionnaire et qui ne peut être prise que si la Haute Cour considère que la demande porte sur un point de droit ou est d’intérêt public. Comme il n’existe pas de droit absolu de former recours devant la Haute Cour, l’auteur soutient qu’il a fait l’objet d’une «condamnation définitive» par la cour d’appel du Queensland. Il soutient encore que le recours qu’il a formé devant la Haute Cour ne pouvait pas être considéré comme un recours normal, puisque le jugement qui le condamnait a été cassé par la Haute Cour après présentation d’une demande d’autorisation spéciale de recours deux ans après l’expiration du délai limite dans lequel ladite demande aurait dû normalement être présentée. L’auteur n’a pas été en mesure de présenter ce recours dans les délais normaux en raison du refus par l’État partie de lui accorder une aide juridictionnelle. Dans les circonstances de l’espèce, c’était donc la décision de la cour d’appel du Queensland confirmant sa condamnation qui était «définitive» au sens du paragraphe 6 de l’article 14.

Autres observations de l’État partie sur la recevabilité et quant au fond

6.1 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que les retards de procédure allégués par l’auteur s’agissant des deux actions engagées pour poursuites abusives et en indemnisation pour emprisonnement abusif sont essentiellement imputables à l’auteur lui ‑même et non à l’État partie. En outre, si le Comité parlementaire pour la justice pénale du Queensland a tardé à répondre à l’auteur, ce retard ne peut pas être reproché à l’État partie puisque ce comité parlementaire ne relève pas de l’exécutif du Queensland.

6.2 Quant au fond, l’État partie fait à nouveau valoir qu’il n’y a pas eu de «condamnation définitive» au sens du paragraphe 6 de l’article 14 dans le cas de l’auteur. Il soutient que le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Haute Cour pour refuser les demandes d’autorisation spéciale de recours contre les décisions de la cour d’appel du Queensland n’est pas incompatible avec le caractère normal de la procédure de recours, puisque le droit de former recours est souvent assujetti à certaines conditions de délai ou de statut: «l’obligation d’une autorisation spéciale pour former recours devant la Haute Cour est un élément normal de la procédure prévue pour donner effet au droit de recours garanti dans la Constitution australienne».

6.3 L’existence de délais réglementaires pour présenter les demandes d’autorisation spéciale de recours ne conduit pas à une conclusion différente: le fait qu’une demande ne soit pas présentée dans le délai normal de 28 jours ne détermine pas si elle sera acceptée ou non par la Haute Cour. Il y a souvent des retards dans la présentation des demandes d’autorisation spéciale de recours surtout en cas de problèmes d’aide juridictionnelle, et la Haute Cour accorde souvent des prorogations du délai dans lequel les demandes peuvent être présentées. L’État partie conteste donc le nouvel argument de l’auteur suivant lequel le jugement rendu par la cour d’appel en avril 1994 constituait la décision «définitive» au sens du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte.

Commentaires finals du conseil

7.1 Dans ses observations supplémentaires du 5 février 2002, le conseil souligne que les deux actions de l’auteur contre l’agent qui l’a fait arrêter et contre l’État du Queensland (mars 1999), et contre le Procureur général du Queensland (décembre 1999), ont été engagées seulement après que le Queensland eut refusé de se conformer à ses obligations au regard du paragraphe 6 de l’article 14; en outre, le Queensland insiste pour que l’affaire ne fasse pas l’objet d’un règlement négocié et pour que, s’agissant des actions engagées par l’auteur, la procédure judiciaire suive son cours, y compris la conclusion de toutes les procédures de recours possibles. Enfin, force est de considérer que les procédures de recours internes «excèdent des délais raisonnables» non seulement parce que plus de sept années se sont déjà écoulées depuis la mise en détention abusive de l’auteur, mais aussi parce que le Queensland refuse catégoriquement d’envisager une indemnisation ex gratia jusqu’à la conclusion de toutes les procédures de recours possibles.

7.2 Le conseil conteste l’argument de l’État partie selon lequel la présentation d’une demande d’autorisation spéciale de recours devant la Haute Cour serait un droit garanti par la Constitution. Il fait observer que selon la Haute Cour elle ‑même 1 , une demande d’autorisation spéciale de recours devant la Haute Cour ne constitue pas la procédure judiciaire ordinaire; que toute demande doit comporter des éléments qui incitent la Cour à user de son pouvoir discrétionnaire pour accorder une autorisation ou une autorisation spéciale; et qu’il n’existe pas de droit à une autorisation spéciale de recours. Au Queensland les procédures pénales sont donc définitives dès lors que la cour d’appel du Queensland en a ainsi décidé.

7.3 En ce qui concerne la réserve émise par l’État partie à propos du paragraphe 6 de l’article 14, le conseil note que cette réserve est formulée de telle sorte qu’elle autorise seulement l’État partie et le Queensland à ne pas légiférer pour donner effet aux obligations prévues au paragraphe 6 de l’article 14, mais qu’elle ne les dispense pas de l’obligation, en vertu de l’article 2 du Pacte, de faire le nécessaire pour adopter d’autres mesures propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. Dans ce contexte, il note que le Queensland n’a pas promulgué d’instructions administratives en vue de donner effet aux obligations énoncées au paragraphe 6 de l’article 14 et que les prescriptions additionnelles imposées par l’État partie (et par le Queensland), à savoir que toute personne doit démontrer l’existence de «circonstances exceptionnelles» (l’État partie citant à titre d’exemple une «faute grave» de l’autorité chargée de l’enquête), assujettissent la possibilité d’indemnisation à des conditions préalables auxquelles le paragraphe 6 de l’article 14 ne fait pas référence.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Les faits présentés dans la communication, qui n’ont pas été contestés par l’État partie, montrent que M. Irving a été victime d’une injustice manifeste. Il semble que ces faits soulèvent la question grave de savoir si l’État partie a respecté le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, puisque M. Irving s’est vu refuser à plusieurs reprises une aide juridictionnelle dans une affaire pour laquelle la Haute Cour australienne a elle ‑même considéré que dans l’intérêt de la justice cette aide devait être fournie. Il semble donc assez clair que M. Irving devrait avoir droit à une indemnisation. Comme la seule allégation formulée par l’auteur de la communication reposait sur le paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte, le Comité doit décider si cette allégation est recevable.

8.3 Le Comité rappelle les conditions d’application du paragraphe 6 de l’article 14:

«Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non ‑révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie.».

8.4 Le Comité fait observer que la condamnation de l’auteur par le tribunal de district de Cairns le 8 décembre 1993 a été confirmée par la cour d’appel du Queensland le 20 avril 1994. M. Irving a présenté une demande d’autorisation de recours contre cette décision devant la Haute Cour australienne. Cette autorisation lui a été accordée et le 8 décembre 1997 la Haute Cour a cassé la condamnation pour le motif que le procès de l’auteur avait été inéquitable. Comme il pouvait être fait appel de la décision de la cour d’appel du Queensland (sur autorisation) sur la base des motifs normaux de recours prévus, il semble que, jusqu’à la décision rendue par la Haute Cour australienne, la condamnation de l’auteur pouvait ne pas avoir été «définitive» au sens du paragraphe 6 de l’article 14. Cependant, même si la décision de la cour d’appel du Queensland avait été censée constituer une «condamnation définitive» aux fins du paragraphe 6 de l’article 14, le recours formé par l’auteur devant la Haute Cour australienne a été accepté pour le motif que le procès initial avait été inéquitable, et non parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé avait prouvé qu’il s’était produit une erreur judiciaire. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’article 14, paragraphe 6, ne s’applique pas en l’espèce et il décide que la communication est irrecevable ratione materiae conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur, à son conseil et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Louis Henkin et de M. Martin Scheinin (dissidente)

Nous considérons qu’il y a eu violation du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte. Cette disposition est libellée comme suit:

«Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine à raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non ‑révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie.».

Le Comité a conclu que l’État partie n’était pas tenu d’accorder une indemnisation à l’auteur en se fondant sur l’un des deux motifs bien distincts. Nous ne sommes pas d’accord.

a) Nous pensons que la condamnation de M. Irving était «définitive». À notre avis, le mot «définitive» utilisé au paragraphe 6 de l’article 14 pour qualifier la condamnation ne peut pas être entendu comme signifiant que seule une condamnation qui ne peut pas être annulée est réputée définitive. S’il en était ainsi, cela n’aurait aucun sens de mentionner le cas où une condamnation définitive est annulée. Nous pensons que, du fait des différences entre les systèmes de droit, il ne peut pas exister de critère unique pour déterminer, ce qui est dans le contexte précis, une condamnation définitive. Le Comité doit donc apprécier au cas par cas si la condamnation est définitive ou non.

Dans la présente affaire M. Irving a été condamné par le tribunal de district de Cairns en décembre 1993. La cour d’appel du Queensland a rejeté le recours en avril 1994. Le seul recours qui pouvait encore être formé était devant la Haute Cour australienne, uniquement après avoir obtenu une autorisation spéciale de recours et à cette fin M. Irving a sollicité, en vain, l’aide juridictionnelle. Pendant toute la procédure de recours, il semble que M. Irving était en prison, exécutant sa peine.

À notre avis la condamnation de M. Irving est devenue «définitive» quand la durée ordinaire pendant laquelle il devait attendre l’autorisation de former recours a expiré et, comme l’aide juridictionnelle lui a été refusée, M. Irving n’a pas pu demander cette autorisation. Dans le cours normal de la procédure, la date non précisée de 1994 est le moment où la condamnation est devenue «définitive». Ce n’est qu’en décembre 1997 que la Haute Cour a annulé la condamnation et a ordonné un nouveau jugement.

Pour dégager un autre critère permettant de déterminer si une condamnation est définitive, nous renvoyons à une affaire sur laquelle le Comité a eu à se prononcer, W.J.H. c. Pays ‑Bas (communication n o 408/1990). Le Comité a considéré qu’une condamnation prononcée par un tribunal de première instance ne devait pas être réputée définitive, notamment parce que l’auteur «n’a pas subi de peine par suite de sa condamnation» (par. 6.3).

b) Le texte du paragraphe 6 de l’article 14 n’est pas clair car on ne sait pas avec certitude si les mots «parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé (…)» portent uniquement sur la grâce ou aussi sur l’annulation de la condamnation. Dans l’affaire à l’étude, la majorité des membres du Comité a considéré que le paragraphe 6 de l’article 14 imposait l’existence d’un fait nouveau ou nouvellement révélé autant pour l’annulation d’une condamnation que pour l’octroi de la grâce.

Nous avons la conviction que l’interprétation correcte de cette disposition est que la prescription s’applique uniquement à la grâce et non pas à l’annulation. À notre avis cette interprétation est confirmée par la lecture que le Comité en a faite dans l’affaire Paavo Muhonen c. Finlande (communication n o  89/1981) dans laquelle il a considéré que la disposition en question traitait du cas de l’annulation indépendamment de l’existence d’un fait nouveau ou nouvellement révélé (par. 11.2).

( Signé ) Louis Henkin ( Signé ) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

D. Communication n o 925/2000, Koi c. Portugal

(décision adoptée le 22 octobre 2001, soixante-treizième session) *

Présentée par :

M. Wan Kuok Koi (représenté par un conseil, M. Pedro Redinha)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Portugal

Date de la communication :

15 décembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2001,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 15 décembre 1999, est M. Wan Kuok Koi, ressortissant portugais résidant à Macao, où il purge actuellement une peine d’emprisonnement à la prison de Coloane. Au moment où la communication a été présentée, Macao était un territoire placé sous juridiction chinoise et administration portugaise (art. 292 de la Constitution portugaise). L’auteur de la communication se déclare victime d’une violation de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2 Le Portugal est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis le 15 septembre 1978 et au Protocole facultatif depuis le 3 août 1983. Le 27 avril 1993, le Portugal a donné notification de l’applicabilité du Pacte à Macao. Il n’en a apparemment pas fait de même concernant l’applicabilité du Protocole facultatif. Le Portugal n’a toutefois formulé aucune réserve ni déclaration excluant l’applicabilité du Protocole facultatif à Macao.

1.3 Au moment où la communication a été présentée, Macao était toujours sous administration portugaise. Le territoire est repassé sous administration chinoise le 20 décembre 1999, soit quatre jours après le dépôt de la communication contre le Portugal.

1.4 Jusqu’au 19 décembre 1999, le statut de Macao était régi par la Loi fondamentale sur le statut de Macao du 15 février 1976 (Loi n o  1/76). L’article 2 stipule que le territoire de Macao est doté de la personnalité juridique au regard du droit international public et jouit d’une autonomie administrative, économique, financière et législative dans le cadre de la Constitution portugaise. En revanche, le système judiciaire relevait du système portugais d’administration de la justice. Le statut de Macao au regard du droit international public était également défini dans la déclaration conjointe sino ‑portugaise de Beijing du 13 avril 1987 (entrée en vigueur le 15 janvier 1988), aux termes de laquelle Macao était un territoire chinois sous administration portugaise, comme cela avait été convenu dès 1976 dans le cadre d’accords secrets. Et de fait, dans la Constitution portugaise du 2 avril 1976, Macao ne figure pas parmi les territoires relevant de la juridiction portugaise, mais est au nombre des territoires sous administration portugaise.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été incarcéré le 1 er mai 1998 à la prison de Coloane à Macao parce qu’on le soupçonnait d’avoir été l’instigateur d’une tentative d’attentat dirigée contre le Directeur de la police judiciaire de Macao. Quarante ‑huit heures plus tard, il a comparu devant le juge chargé des poursuites pénales, qui a estimé qu’il n’existait aucun élément de preuve permettant d’établir que l’auteur était impliqué dans la tentative d’attentat, mais qu’il était soupçonné d’appartenir à une association secrète. En conséquence, il a été placé en détention provisoire.

2.2 En mai 1998, l’auteur a contesté sans succès la légitimité de sa détention devant la Cour supérieure de Macao ( Tribunal Superior de Justiça de Macau , qui est l’instance suprême du territoire) et qui, dans un jugement rendu le 21 juillet 1998, a statué que le défendeur appartenait à l’association secrète appelée «14 ‑K, 14 carats».

2.3 Le procès collectif de l’auteur et de neuf autres personnes, qui étaient inculpés d’appartenance à une association secrète (crime), s’est ouvert le 27 avril 1999 devant la juridiction compétente (le Tribunal de Competência Genérica ), pour être immédiatement reporté au 17 juin 1999. Le président du tribunal a démissionné et quitté le territoire de Macao. L’auteur fait valoir que, selon la procédure applicable, l’affaire aurait dû être immédiatement renvoyée au suppléant du président, au lieu de quoi un nouveau juge a été dépêché du Portugal à Macao pour y présider la juridiction de jugement chargée du procès. Ce nouveau juge est d’ailleurs rentré au Portugal immédiatement après la conclusion de la procédure. L’auteur fait valoir qu’une telle façon de procéder était illégale puisqu’elle contrevenait à l’article 31.2 du décret ‑loi n o  55/92/M du 18 août 1992.

2.4 Le procès a été à nouveau reporté au 29 septembre, puis au 11 octobre 1999. Les droits de la défense auraient été violés, en particulier le principe de la présomption d’innocence, que le président aurait enfreint en tenant à plusieurs reprises, et dès la première audience, des propos sur la culpabilité de l’auteur. De plus, on aurait tout d’abord empêché les avocats de la défense d’avoir des contacts avec leurs clients jusqu’à la fin de la phase du procès consacrée aux dépositions des témoins (cette mesure a été levée après que la presse eut protesté). Le barreau de Macao aurait adressé d’urgence une communication au Conseil judiciaire du territoire pour se plaindre des propos du juge, qui avaient été consignés dans le procès-verbal; le juge avait déclaré que les accusés étaient «naturellement dangereux» et laissé entendre que les avocats auraient essayé d’intimider les témoins.

2.5 Huit des dix accusés, dont l’auteur, ont demandé la récusation du nouveau président, arguant des doutes qu’ils nourrissaient quant à son impartialité; ils se fondaient sur certains propos du juge qu’ils estimaient entachés de préjugés. Mais la Cour supérieure, dans un arrêt du 15 octobre 1999, a rejeté la requête, a refusé de dessaisir le juge en question et a autorisé la poursuite du procès. Une deuxième demande de récusation pour défaut d’impartialité a été présentée le 25 octobre 1999 et rejetée le 29 octobre 1999. Ce même jour, le conseil de l’auteur s’est désisté en faisant valoir, dans un mémoire présenté au greffe, qu’il ne pouvait pas continuer à assurer valablement et efficacement la défense de son client. Suite au désistement du conseil de l’auteur, le président a commis à la défense de ce dernier un jeune avocat qui avait jusqu’ici assisté au procès, mais a rejeté la demande du nouveau conseil, qui souhaitait une suspension de l’audience afin de prendre connaissance du dossier. Ce nouvel avocat s’étant également désisté, le président a désigné un greffier, puis un second greffier pour assurer la défense de l’auteur; or ni l’un ni l’autre ne remplissait les conditions minimales requises pour le faire. C’est ainsi que l’auteur a été jugé sans l’assistance d’un avocat et sans avoir la possibilité d’en désigner un autre.

2.6 Le 29 octobre 1999, la récusation du président a été demandée pour la troisième fois, demande qui a été rejetée le 8 novembre 1999.

2.7 Le jugement a été rendu le 23 novembre 1999 en vertu duquel l’auteur a été condamné à 15 ans de réclusion. L’auteur a interjeté appel auprès du tribunal de deuxième instance ( Tribunal de Segunda Instância , affaire n o  46/2000), qui a examiné cet appel en mars 2000 et rendu son jugement le 28 juillet 2000. Ce jugement a été confirmé en dernier ressort ( Tribunal de Ultima Instância ) dans un jugement en date du 16 mars 2001.

2.8 Selon le conseil, l’affaire n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3. Le conseil invoque de multiples violations de l’article 14: refus du droit à un procès équitable devant un tribunal compétent et impartial, allégation de violation de la présomption d’innocence, allégation de violation des garanties fondamentales de la défense, notamment du droit de l’accusé à l’assistance d’un défenseur et à une représentation adéquate pendant le procès .

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1 Dans sa réponse du 29 juin 2000, l’État partie invoque l’article 2 de la Loi fondamentale sur le statut de Macao, selon laquelle le territoire jouissait d’un statut autonome et ne relevait pas de la juridiction du Portugal. Il fait valoir que, alors que l’application du Pacte a été étendue à Macao par le Parlement portugais, par la résolution 41/92 du 17 décembre 1992, aucune résolution en ce sens n’a été adoptée en ce qui concerne le Protocole facultatif.

4.2 L’État partie indique également que le Protocole facultatif ne figure pas dans la liste de traités que le Gouvernement portugais a communiquée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en novembre 1999 dans une note concernant les traités pour lesquels la République populaire de Chine avait accepté d’assumer la succession.

4.3 L’État partie cite le texte de l’article premier du Protocole facultatif, en indiquant que Macao n’était pas partie au Protocole. C’est pourquoi il prie le Comité de déclarer la communication irrecevable.

4.4 À défaut, l’État partie demande que l’affaire soit déclarée irrecevable au motif qu’une procédure internationale serait illégitime étant donné que le Portugal n’est plus responsable de Macao.

4.5 Par ailleurs, l’État partie fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque aucune décision n’a encore été prise concernant l’appel. L’argument selon lequel les décisions concernant les demandes de récusation du juge président sont finales n’est pas valable, étant donné que l’épuisement des recours internes doit être entendu comme s’appliquant à l’ensemble de la procédure. De plus, la décision en appel ne relèvera pas de la responsabilité du Portugal, puisqu’elle sera prise par un tribunal de la Région administrative spéciale de Macao, qui relève de la juridiction de la République populaire de Chine.

5.1 Dans ses commentaires, datés du 29 septembre 2000, l’auteur fait valoir que le Protocole facultatif est un instrument additionnel au Pacte et que son application à Macao devrait donc être réputée avoir été réglée par la résolution 41/92 du 17 décembre 1992.

5.2 Bien que le territoire soit repassé sous l’administration de la République populaire de Chine le 19/20 décembre 1999, il est clair que les événements en question se sont produits à une époque où le Portugal était responsable de Macao et lié par le Protocole facultatif.

5.3 En ce qui concerne le non ‑épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il est légitime de séparer les décisions relatives à l’impartialité du juge de celles qui portent sur sa propre culpabilité ou innocence. Il souligne que les violations qu’il invoque ont été commises par un tribunal relevant de la juridiction du Portugal et non par des tribunaux qui relèvent de la juridiction de la République populaire de Chine. De plus, une décision a été prise le 28 juillet 2000 concernant l’appel formé devant le tribunal de deuxième instance.

5.4 Le tribunal de deuxième instance a examiné les allégations de l’auteur, notamment celles selon lesquelles le tribunal ne serait ni compétent ni impartial, le président du tribunal était défavorable aux accusés, les principes de la procédure contradictoire et de l’égalité des armes avaient été systématiquement violés (voir arrêt, sect. 1.5.A). Dans son arrêt, la Cour a confirmé la compétence du tribunal de première instance et considéré que les autres allégations de l’auteur touchant des irrégularités de procédure étaient sans fondement. Elle a confirmé que l’auteur était coupable d’appartenance à une société secrète et d’usure, mais la peine a été ramenée à 13 ans et 10 mois. Cette sentence a été confirmée par le tribunal de dernière instance dans son arrêt du 16 mars 2001.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l’application du Protocole facultatif à Macao pendant la période où le territoire était sous administration portugaise, soit jusqu’au 19 décembre 1999, le Comité note que l’État partie a adhéré au Protocole facultatif avec effet au 3 août 1983. Il note en outre que l’application du Protocole ne peut être fondée sur l’article 10 du Protocole facultatif du fait que Macao n’est pas devenue une partie constitutive du Portugal après l’adoption de la nouvelle Constitution en 1976. Il n’est pas possible non plus de tirer une conclusion positive de la résolution 41/92 du Parlement portugais, qui a étendu officiellement le champ d’application du Pacte à Macao, puisque le Pacte et le Protocole facultatif sont des instruments distincts.

6.3 En revanche, le Comité n’est pas d’avis que l’absence de déclaration concernant l’applicabilité du Protocole facultatif rend les dispositions du Protocole inapplicables en l’espèce. Il rappelle la première phrase de l’article premier du Protocole facultatif:

«Tout État partie au Pacte qui devient Partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte.».

Tous ces éléments sont réunis en l’espèce. Le Portugal est partie au Pacte et au Protocole facultatif et à ce titre a reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers «relevant de sa juridiction». Les résidents de Macao relevaient de la juridiction du Portugal jusqu’au 19 décembre 1999. En l’espèce, l’État partie a exercé sa juridiction sur l’auteur par l’intermédiaire des tribunaux.

Étant donné que le but du Protocole facultatif est de mieux assurer la mise en œuvre des droits énoncés dans le Pacte, l’inapplicabilité de ses dispositions dans toute région relevant de la juridiction d’un État partie ne peut pas être supposée en l’absence d’indication expresse (réserve/déclaration) en ce sens. Or il n’existe aucun acte de cette nature. Par conséquent, le Comité conclut qu’il a compétence pour recevoir et examiner la communication de l’auteur dans la mesure où elle concerne des allégations de violation par le Portugal de l’un des droits énoncés dans le Pacte .

6.4 Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes, l’article 2 du Protocole facultatif est ainsi libellé:

«Sous réserve des dispositions de l’article premier, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu’il l’examine.» (non souligné dans le texte).

Les implications de ces dispositions sont claires. Tant que les recours disponibles en droit interne n’ont pas été épuisés, un particulier qui estime que les droits qui lui sont conférés par le Pacte ont été violés ne peut pas soumettre une communication au Comité. Il incombe par conséquent au Comité de déclarer irrecevable toute communication qui lui est adressée avant que cette condition ait été remplie. Et de fait le Comité a pour pratique de ne pas recevoir une communication quand il apparaît clairement qu’il reste des recours internes disponibles. Ainsi, par exemple, quand il s’agit de plaintes pour violations du droit à un procès équitable, en matière criminelle, le Comité ne reçoit ni n’enregistre la communication quand il est évident que le requérant a fait appel et que la Cour n’a pas encore statué. Malheureusement, on ne peut pas toujours savoir d’après la communication elle ‑même si des voies de recours internes étaient offertes à l’auteur et dans l’affirmative s’il s’en est bien prévalu. En pareil cas, le Comité n’a pas d’autre solution que d’enregistrer la communication et de se prononcer sur la recevabilité après avoir pris connaissance des observations présentées par l’auteur et par l’État partie sur la question des recours internes. Lorsqu’il étudie la question de la recevabilité des communications au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité suit généralement la pratique des autres organes de décision internationaux en cherchant à déterminer si les recours internes sont épuisés au moment de l’examen de la communication (et non pas au moment où elle a été soumise). Cette pratique a pour but d’éviter qu’une communication soit rejetée comme irrecevable alors que pendant le temps écoulé avant que le Comité n’examine la communication, les recours internes auront pu être épuisés; en pareil cas en effet il suffirait à l’auteur de soumettre une nouvelle communication dénonçant la même violation. Il convient toutefois de souligner que cette pratique suppose que le statut juridique de l’État partie n’a pas changé entre le moment où la communication a été soumise et celui où elle est examinée et que, par conséquent, rien ne s’opposerait sur le plan juridique à ce que l’auteur adresse une nouvelle communication concernant la violation alléguée. Lorsque ce n’est pas le cas, la pratique devient incompatible avec les prescriptions du Protocole facultatif.»

6.5 En l’espèce, les griefs de l’auteur concernant la compétence du juge spécialement délégué du Portugal comme les plaintes se rapportant à des violations des droits énoncés à l’article 14 du Pacte qui auraient été commises au cours du procès ont été exprimés dans le recours formé devant le Tribunal de Segunda Instância de Macao. La juridiction n’avait pas encore statué au moment du dépôt de la communication. L’arrêt de la juridiction de recours a été rendu le 28 juillet 2000 et celui du tribunal de dernier ressort le 16 mars 2001, alors que Macao n’était plus administrée par le Portugal. Il s’ensuit que les recours internes n’étaient pas épuisés au moment du dépôt de la communication et que, de ce fait, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, l’auteur ne pouvait pas soumettre une communication. Lorsque les recours internes ont été effectivement épuisés, l’auteur ne relevait plus de la juridiction du Portugal et sa communication était irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

6.6 Il convient en outre de noter que le fait que Macao ne relevait plus de la juridiction du Portugal lorsque les recours formés par l’auteur ont été examinés n’implique en aucune façon que ces pourvois avaient cessé d’être des voies de recours internes qui devaient être épuisées avant qu’une communication puisse être présentée contre le Portugal. Bien que Macao soit devenue une Région administrative spéciale de la République populaire de Chine après le dépôt de la communication, son système juridique et son système des recours en matière pénale sont demeurés inchangés. Il restait donc des voies de recours qui devaient être épuisées quel que soit l’État sous la juridiction duquel le territoire était placé.

6.7 En conclusion, tout en reconnaissant que, pendant la période où le Portugal exerçait sa juridiction sur Macao après avoir accédé au Protocole facultatif, les particuliers relevant de sa juridiction qui se considéraient comme victimes d’une violation des droits énoncés dans le Pacte étaient habilités à soumettre des communications contre le Portugal, le Comité conclut que la présente communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de MM. Abdelfattah Amor et Prafullachandra Natwarlal Bhagwati (partiellement dissidente)

Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

En ce qui concerne la question de l’application du Protocole facultatif à Macao pendant la période où le territoire était sous administration portugaise, soit jusqu’au 19 décembre 1999, le Comité relève que l’État partie a ratifié le Pacte avec effet au 15 septembre 1978 mais n’a ratifié le Protocole facultatif qu’environ cinq ans plus tard et que cet instrument est entré en vigueur le 3 août 1983. De toute évidence le Pacte et le Protocole facultatif sont deux instruments distincts et la ratification du premier n’entraîne pas automatiquement la ratification du second, ce qui explique pourquoi le Protocole facultatif doit être ratifié séparément en tant que traité distinct par l’État partie.

La première question qu’il faut se poser pour déterminer l’applicabilité du Protocole facultatif à Macao jusqu’au 19 décembre 1999 est de savoir si le texte du Protocole facultatif contient une quelconque disposition permettant de supposer que, lorsque l’État partie a ratifié le Protocole facultatif, celui ‑ci est devenu applicable à Macao en tant que territoire placé sous l’administration de l’État partie. L’article 10 du Protocole facultatif ne peut certes pas être invoqué puisque Macao n’était pas partie constitutive du Portugal. On peut se référer à cet égard à l’article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose que: «À moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son territoire.».

Cela dit, les avis divergent sur la question de savoir si l’application d’un traité s’étend automatiquement à ses territoires dépendants ou si cette extension nécessite un acte juridique particulier. Nous pensons qu’il ne serait pas très utile d’entamer un débat sur la question qui est loin de faire l’unanimité parmi les juristes. Quoi qu’il en soit, il nous paraît clair que, puisque Macao n’a jamais été une partie constitutive du Portugal, elle ne peut pas être englobée dans le territoire du Portugal et, de ce fait, ne peut pas être liée par le Protocole facultatif en application de l’article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Par conséquent, la ratification du Protocole facultatif par le Portugal n’a pas eu pour effet de rendre cet instrument automatiquement applicable à Macao.

On peut aussi relever que si, contrairement à ce qui est affirmé dans le paragraphe précédent, l’article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités était applicable, cette disposition vaudrait aussi pour le Pacte qui, dans ce cas, devrait être réputé applicable dès la date de sa ratification par le Portugal. Or, il est incontestable que le Pacte n’est pas devenu applicable à Macao dès le moment de sa ratification par le Portugal. Son application a été étendue au territoire pour la première fois par une résolution adoptée par le Parlement portugais le 17 décembre 1992. Avant cette date, le Pacte n’était pas applicable à Macao; il a fallu la résolution parlementaire du 17 décembre 1992 pour qu’il le devienne. La décision du Parlement d’étendre l’application du Pacte à Macao, le 17 décembre 1992, démontre en outre qu’en tout état de cause le Portugal n’avait pas l’intention, en ratifiant le Pacte, de le rendre applicable à Macao. On peut donc en conclure avec certitude que le Pacte n’est devenu applicable à Macao que le 17 décembre 1992.

Pour revenir sur la question de l’applicabilité du Protocole facultatif à Macao, comme je l’ai déjà précisé, cet instrument n’est pas devenu applicable à Macao à la suite de sa ratification par le Portugal. Il y a à cela une autre raison. Si le Pacte n’est devenu applicable à Macao que le 17 décembre 1992, comment le Protocole facultatif, qui régit exclusivement le mécanisme d’examen des plaintes pour violations des droits énoncés dans le Pacte, aurait-il pu l’être à une date antérieure? Puisque le Protocole facultatif n’est pas devenu applicable à Macao automatiquement du fait de sa ratification par le Portugal, il faut maintenant examiner si son application a été étendue au territoire par la suite.

Il est certain qu’il n’y a eu aucun acte juridique explicite visant à étendre l’application du Protocole facultatif à Macao. Le seul argument qui pourrait être avancé par l’État partie en faveur de l’applicabilité du Protocole facultatif à Macao est que l’extension de l’application du Pacte au territoire, le 17 décembre 1992, impliquait automatiquement celle du Protocole facultatif. Cet argument n’est pas défendable. Tout d’abord, le Pacte et le Protocole facultatif sont deux instruments distincts. Le premier peut être ratifié sans que le second le soit jamais: la ratification du Pacte n’implique pas la ratification du Protocole facultatif. Si l’argument contraire invoqué par le Portugal était valable, il ne serait pas nécessaire pour un État partie au Pacte de ratifier séparément le Protocole facultatif car la ratification du Pacte entraînerait automatiquement celle du Protocole facultatif. Cependant, il est indiscutable que les États parties ne sont pas liés par le Protocole facultatif tant qu’ils ne l’ont pas ratifié. En l’occurrence, il importe de noter que si l’application du Pacte a été étendue à Macao le 17 décembre 1992 en vertu d’une résolution spéciale votée par le Parlement portugais, cette mesure ne concernait pas le Protocole facultatif. Le Portugal a expressément étendu l’application d’un des deux traités à Macao et non de l’autre. On voit clairement que l’intention du Portugal était de rendre le Pacte applicable à Macao mais non le Protocole facultatif. Cette interprétation est largement étayée par le fait que seul le Pacte − et non le Protocole facultatif − figurait dans la note adressée par le Portugal au Secrétaire général énumérant les traités pour l’application desquels la Chine devait désormais être tenue pour responsable. Il ne me paraît par conséquent faire aucun doute que le Protocole facultatif n’a jamais été applicable à Macao et que, de ce fait, la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Certains membres du Comité ont fait valoir qu’en tout état de cause, cette affaire relevait de l’article premier du Protocole facultatif et que, puisque l’auteur relevait de la juridiction du Portugal au moment où la communication a été soumise, le Comité était compétent pour examiner la communication. Cette argumentation présente deux failles. Tout d’abord elle part de l’hypothèse que le Protocole facultatif était applicable à Macao afin de permettre à l’auteur d’invoquer l’article premier de cet instrument pour faire valoir que sa communication est recevable. Mais, comme je l’ai déjà relevé plus haut, le Protocole facultatif n’a jamais été applicable à Macao et, par conséquent, cet argument qui se fonde sur l’article premier ne peut être retenu. Ensuite, pour que l’applicabilité de l’article premier puisse être retenue, il faut que la personne qui se déclare victime d’une violation de ses droits au regard du Pacte soit soumise à la juridiction de l’État partie non seulement au moment où le Comité reçoit sa communication mais aussi au moment où il l’examine. Selon les termes de l’article premier «le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications». Cependant, en l’espèce, au moment de l’examen de la communication par le Comité, l’auteur n’est plus soumis à la juridiction du Portugal parce que la Chine a repris l’administration de Macao le 20 décembre 1999. En conséquence, l’article premier ne saurait être applicable en l’espèce.

En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur doit, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5, avoir épuisé tous les recours internes disponibles au moment de l’examen de sa communication par le Comité. Ce dernier ne peut pas examiner une communication si l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. On peut donc en conclure que le moment précis où la question de l’épuisement des recours internes doit être posée est celui de l’examen de la communication par le Comité. Personne ne conteste que maintenant que la communication de l’auteur est en cours d’examen par le Comité, tous les recours internes ont été épuisés. Par conséquent, la communication ne peut pas être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

En conclusion, nous estimons que la communication est irrecevable.

( Signé ) M. Abdelfattah Amor

( Signé ) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando (partiellement dissidente)

En l’espèce, j’approuve la conclusion du Comité qui a déclaré la communication irrecevable parce que, lorsque son recours a été jugé par le tribunal de deuxième instance en mai 2000 et lorsque le tribunal de dernier ressort a rendu son jugement en mars 2001, l’auteur n’était plus soumis à la juridiction du Portugal (voir par. 6.4, 6.5 et 2.7). Cependant, je ne le suis pas quand il affirme que la non-applicabilité du Protocole facultatif dans toute région relevant de la juridiction d’un État partie nécessite une déclaration expresse à cet effet (par. 6.3). À mon sens, cette interprétation du Comité n’est pas pleinement convaincante pour les raisons suivantes:

Tout d’abord, l’État partie précise clairement que, alors que l’application du Pacte a été étendue à Macao par une résolution du Parlement portugais, aucun acte de ce type n’a été adopté en ce qui concerne le Protocole facultatif (par. 4.2). Ensuite, le Comité accepte la déclaration de l’État partie selon laquelle le Protocole facultatif, contrairement au Pacte, ne figure pas dans la liste de traités qu’il a communiquée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies dans sa note concernant les traités pour lesquels le Gouvernement chinois avait accepté d’assumer la succession (par. 4.1). Enfin, tout en reconnaissant que la continuité de l’application du Pacte nécessite une déclaration «expresse» de l’État concerné (en l’occurrence la Chine), le Comité semble partir du principe que cette déclaration n’est pas nécessaire pour l’extension de l’application du Protocole facultatif (en l’occurrence, le Portugal).

S’agissant de ce dernier argument, il faut reconnaître que, alors que la question de la continuité de l’application du Pacte concerne deux États différents (la Chine et le Portugal), celle de l’extension de l’application du Protocole facultatif à Macao ne concerne qu’un seul et même État (le Portugal). Il n’en demeure pas moins que, tandis que le Pacte est devenu applicable à la Région administrative spéciale de Macao par une déclaration «expresse» de la Chine, il n’en a pas été de même pour le Protocole facultatif en l’absence de déclaration «expresse» de ce même État. À ce propos, il convient de rappeler que, ainsi que le Comité l’a déclaré dans son Observation générale n o  26 intitulée «Continuité des obligations», «Le Comité des droits de l’homme a constamment été d’avis … que, dès que des individus se voient accorder la protection des droits qu’ils tiennent du Pacte, cette protection échoit au territoire et continue de leur être due, quelque modification qu’ait pu subir le gouvernement de l’État partie, y compris du fait d’un démembrement en plusieurs États ou d’une succession d’États et en dépit de toute mesure que pourrait avoir prise ultérieurement l’État partie en vue de les dépouiller des droits garantis par le Pacte 1 .».

Personnellement, j’approuve le point de vue du Comité en tant que déclaration de politique générale, mais je ne peux pas y souscrire en tant qu’affirmation d’un principe de droit international coutumier. En ce qui concerne la pratique des États à l’égard du Pacte, parmi les nouveaux États d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, ceux issus du démembrement de l’ex ‑Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie ont déclaré qu’ils succédaient au Pacte. Dans tous les autres cas de sécession ou de séparation, les États ont déclaré qu’ils «adhéraient» au Pacte, ce qui signifie qu’ils ne succèdent pas aux obligations souscrites par l’État précédent en vertu du Pacte, mais qu’ils y adhèrent à leur tour. Seul le Kazakhstan n’a fait aucune déclaration. La pratique correspondante des États à l’égard du Protocole facultatif est claire: seules la République tchèque et la Slovaquie ont «expressément» succédé aux obligations découlant du Protocole facultatif. Certes, la pratique des États démontre que la dévolution des obligations du Pacte à un État n’est pas «automatique»; par conséquent, comment pourrait ‑il en être ainsi du Protocole facultatif? Il faut que l’État déclare «expressément» s’il accepte ou non les obligations qui découlent du Pacte ou du Protocole facultatif ou des deux. En l’absence d’une telle déclaration, il ne faut pas supposer qu’il accepte d’assumer ces obligations.

Il convient peut-être de rappeler que, lors de l’examen du quatrième rapport périodique du Portugal consacré à Macao, le Comité a posé expressément la question à l’État partie: «Quelles dispositions ont été prises en vue de l’application du Protocole facultatif dans la Région administrative spéciale de Macao?». La délégation a répondu que la question du Protocole facultatif n’avait pas été abordée lors des négociations avec la Chine (CCPR/C/SR.1794, par. 9). Au vu de cette réponse, il est difficile de déterminer si le Protocole facultatif, en tant qu’instrument distinct du Pacte, était considéré comme applicable à Macao. Toutefois, dans la communication à l’examen, le Portugal a précisé expressément, en réponse aux demandes de l’auteur, que, pendant la durée de son administration, le Parlement n’avait pas adopté de résolution en vue d’étendre l’application du Protocole facultatif à Macao, ce qui laisse entendre qu’il n’a jamais été dans ses intentions que le Protocole facultatif devienne applicable à Macao.

( Signé ) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de MM. Eckart Klein, Rafael Rivas Posada

et Maxwell Yalden (partiellement dissidente)

À notre avis, le Comité aurait dû déclarer la communication recevable.

Nous pensons comme le Comité qu’en l’espèce le Protocole facultatif établissant la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications est applicable à Macao.

En revanche, nous ne sommes pas d’accord avec le Comité lorsqu’il dit que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Nous nous fondons sur deux arguments indissociables l’un de l’autre.

Tout d’abord, nous ne pensons pas que d’autres recours «internes» étaient ouverts à l’auteur après que la juridiction du Portugal sur Macao eut pris fin. Il est vrai qu’en vertu d’un accord conclu entre l’État partie et la République populaire de Chine, le système des recours en matière pénale devait rester inchangé. Mais il est également vrai qu’après le 19 décembre 1999 les tribunaux auxquels l’auteur aurait pu s’adresser (ce qu’il a d’ailleurs fait) ne relevaient plus de la juridiction de l’État partie contre lequel la communication était dirigée. L’auteur a soumis sa communication le 15 décembre 1999, soit quatre jours seulement avant que Macao ne revienne sous administration chinoise. Considérer que l’auteur aurait dû épuiser d’autres recours internes (c’est ‑à ‑dire portugais) dans un si bref délai serait vraiment déraisonnable. De ce fait, en admettant même que ce soit au moment où la communication a été soumise et non au moment de son examen par le Comité qu’il fallait que les recours internes aient été épuisés (question sur laquelle nous ne reviendrons pas ici), cette condition aurait été remplie en raison des circonstances particulières en l’espèce.

En outre, nous relevons une autre faille dans l’argumentation du Comité. Le fait d’exiger d’un côté que l’auteur ait épuisé les recours internes disponibles − au moment du dépôt de sa communication − faute de quoi sa communication serait irrecevable et de considérer d’un autre côté, alors que cette condition est remplie, que la communication est irrecevable parce que l’auteur ne relève plus de la juridiction du Portugal engendre une situation inacceptable dans laquelle l’auteur ne bénéficie plus de la protection effective que le Pacte et le Protocole facultatif sont censés assurer.

Pour ces raisons, nous estimons que le Comité aurait dû déclarer la communication recevable.

( Signé ) Eckart Klein ( Signé ) Rafael Rivas Posada ( Signé ) Maxwell Yalden

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. David Kretzmer (partiellement concordante; position réservée)

Dans le cas d’espèce, les recours internes n’avaient pas été épuisés lorsque la communication a été soumise. Par conséquent, pour les raisons invoquées dans les constatations du Comité, la communication est irrecevable, même dans l’hypothèse où le Protocole facultatif s’appliquait aux allégations de violation du Pacte par les autorités de Macao avant le transfert de juridiction à la République populaire de Chine. Je pense que dans ces circonstances il était inutile que le Comité se prononce sur la question de savoir si le Protocole facultatif s’appliquait vraiment aux éventuelles violations. Je réserve mon avis sur ce point.

( Signé ) David Kretzmer

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE ( suite )

Opinion individuelle de M. Martin Scheinin (dissidente)

Il convient de souligner d’emblée que bien que la majorité des membres du Comité soient arrivés à la conclusion que la communication est irrecevable, aucune opinion majoritaire ne s’est dégagée sur le motif de l’irrecevabilité. Les raisons invoquées dans la décision elle ‑même ont été formulées par une minorité, représentant la position majoritaire parmi les partisans de l’irrecevabilité.

À mon avis, cette décision doit être considérée comme une anomalie dans la jurisprudence du Comité. Celui ‑ci a toujours considéré que le paragraphe 2 b) de l’article 5 était la clause du Protocole facultatif qui prescrivait l’obligation d’avoir épuisé les recours internes comme condition de recevabilité des communications. La référence à l’article 2 à l’épuisement des recours internes comme condition imposée aux particuliers pour pouvoir présenter une communication doit être considérée comme une expression générale de cette règle, et non comme une condition de recevabilité distincte. Cette question est laissée à l’appréciation du Comité (art. 5, par. 2 in fine ). Elle peut aussi justifier le réexamen d’une décision d’irrecevabilité (art. 92.2 du règlement intérieur du Comité). Par conséquent, il serait absurde d’interpréter les dispositions de l’article 2 comme une condition supplémentaire obligeant les particuliers à avoir épuisé les recours internes avant de pouvoir soumettre une communication, et de déclarer irrecevable une communication dans le cas où les recours internes n’avaient pas encore été épuisés au moment de son dépôt mais l’étaient au moment de son examen par le Comité.

Les circonstances particulières du transfert de souveraineté sur Macao ne changent rien à la situation. Si ce bouleversement doit avoir quelque incidence sur l’obligation d’épuiser les recours internes, ce serait parce que les recours offerts après le transfert peuvent ne pas être considérés comme des recours utiles en ce qui concerne le Portugal. Par conséquent, les recours internes seraient épuisés en ce qui concerne le Portugal à la date du transfert de souveraineté, indépendamment du stade auquel se trouvait la procédure à ce moment.

( Signé ) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

E. Communication n o  940/2000, Zébié c. Côte d’Ivoire (décision adoptée le 9 juillet 2002, soixante ‑quinzième session) *

Présentée par :

Zébié Aka Bi (représenté par un conseil, Maîtres Joël Bataille et Jean-Claude Richard)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Côte d’Ivoire

Décision de la recevabilité :

1 er  août 1997

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. Le requérant est M. Zébié Aka Bi, né en Côte d’Ivoire et demeurant en France. Il se déclare victime de la violation par la Côte d’Ivoire de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant déclare ne pas pouvoir participer aux élections présidentielles en Côte d’Ivoire, en l’occurrence celles fixées pour le 17 septembre 2000, à la fois en tant qu’électeur et candidat, suite aux nouvelles dispositions de l’article 35 de la Constitution et du Code électoral.

2.2 Le requérant explique que, par décret n o  200 ‑497 du 17 juillet 2000 portant modification du projet de constitution, le chef de l’État, le général Robert Guei, a révisé l’alinéa 3 de l’article 35 de la Constitution relativement aux conditions d’éligibilité du Président de la République dans les termes suivants: «Il doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux ‑mêmes Ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.». Ces critères d’éligibilité ont également été repris aux articles 53 et 54 du projet de code électoral. Enfin, ils ont été approuvés par référendum du 23 juillet 2000 ayant conduit à l’adoption des projets de constitution et de code électoral.

2.3 Le requérant précise que cette révision constitutionnelle et électorale est intervenue dans le contexte politique particulier de la Côte d’Ivoire, à savoir la destitution de l’ancien Président de la République par la junte militaire désormais au pouvoir et responsable de l’organisation de la prochaine élection présidentielle.

2.4 En raison des nouvelles dispositions constitutionnelles et électorales, le requérant soutient être privé, tout d’abord, de la possibilité en tant qu’électeur de voter pour le candidat de son choix, qui ne pourrait se présenter aux élections présidentielles car ne satisfaisant pas aux critères relatifs à l’ascendance nationale et à la nationalité. De plus, le requérant attire l’attention sur sa double nationalité, ivoirienne et française, et affirme que dès lors, en raison des critères d’éligibilité relatifs à la non ‑renonciation à la nationalité ivoirienne impliquant selon lui de ne pas avoir revendiqué une autre nationalité, il ne peut, contrairement à son souhait, se présenter lui ‑même en tant que candidat aux élections présidentielles.

Teneur de la plainte

3.1 Le requérant conteste les critères instaurés pour les candidatures aux élections présidentielles dans la mesure où ils constituent une discrimination à son encontre, contraire à l’article 25 du Pacte.

3.2 Se référant à l’Observation générale n o  25 du Comité des droits de l’homme sur l’article 25 du Pacte, le requérant soutient, d’une part, que seule la citoyenneté détermine l’octroi de droits politiques et, d’autre part, que tout citoyen doit jouir de ces droits politiques sans aucune distinction, notamment de race, de couleur, de naissance ou de toute autre situation. Il rappelle en outre que seules des restrictions fondées sur des critères objectifs et raisonnables sont admises. Enfin, il cite le paragraphe 15 de l’Observation générale n o  25, à savoir: «Les personnes qui à tous égards seraient éligibles ne devraient pas se voir privées de la possibilité d’être élues par des conditions déraisonnables ou discriminatoires, par exemple [...] l’ascendance [...]».

3.3 Le requérant estime que la condition d’épuisement des voies de recours internes doit s’apprécier au regard de l’efficacité et de l’urgence. Il fait valoir qu’en raison de la légitimité politique et juridique attachée à l’adoption par référendum des projets de constitution et de code électoral, aucun recours interne ne pourrait efficacement être exercé à l’encontre des critères d’éligibilité. Il ajoute que doit être prise en compte la situation politique de la Côte d’Ivoire, à savoir l’organisation d’élections présidentielles suite à la prise de pouvoir par l’autorité militaire. Enfin, le Code électoral stipulant que la liste des candidatures doit être dressée au plus tard 15 jours avant l’échéance électorale du 17 septembre 2000, le requérant ayant saisi le Comité des droits de l’homme le 27 juillet 2000 met en avant l’urgence de sa communication.

3.4 Le requérant invoque une violation de la part de la Côte d’Ivoire de l’article 25 du Pacte.

3.5 Le requérant précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 7 octobre 2000, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4. 2 En premier lieu, l’État partie soutient que la nationalité ivoirienne du requérant n’est pas prouvée. L’État partie rappelle que la loi n o  61 ‑45 du 14 décembre 1961 sur le Code de la nationalité ivoirienne, modifiée par la loi n o  72 ‑852 du 21 décembre 1972, stipule en son article 1, alinéa 2, que «La nationalité s’acquiert ou se perd après la naissance par l’effet de la loi ou par une décision de l’autorité publique prise dans les conditions fixées par la loi.». Par ailleurs, en vertu de l’article 89 de cette loi, la preuve de la qualité d’Ivoirien doit être rapportée par celui qui prétend avoir la nationalité ivoirienne.

4.3 L’État partie fait valoir qu’à aucun moment le requérant n’a produit de pièces pour justifier qu’il est Ivoirien, d’autant plus que la naissance sur le sol ivoirien n’est pas une condition suffisante d’acquisition de la nationalité ivoirienne.

4. 4 L’État partie ajoute que l’article 48 du Code de la nationalité ci-dessus mentionné stipule que: «Perd la nationalité ivoirienne, l’Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ou qui déclare reconnaître une autre nationalité.».

4. 5 D’après l’État partie, quand bien même le requérant apporterait la preuve qu’il était Ivoirien, M. Zébié Aka Bi, ayant acquis la nationalité française le 24 août 1983 en vertu de l’article 135 du Code de la nationalité française, a perdu la nationalité ivoirienne à compter de cette date, c’est ‑à ‑dire depuis 17 ans.

4. 6 L’État partie conclut que le requérant ne relève, dès lors, pas de la juridiction de la Côte d’Ivoire et que, conformément à l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité doit se déclarer incompétent dans le cas d’espèce.

4. 7 Enfin, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes.

4.8 L’État partie indique que le requérant n’a, à aucun moment, apporté la preuve qu’il a saisi les juridictions ivoiriennes et épuisé toutes les voies de recours. De plus, l’État partie souligne que la date du 17 septembre 2000 fixée pour les élections présidentielles est une date erronée et, qui plus est, utilisée par le requérant comme un prétexte pour écarter les voies de recours internes. L’État partie précise que la date des élections présidentielles a été reportée au 22 octobre 2000. Or selon l’État partie, le requérant n’apporte pas la preuve d’un commencement de saisine de la juridiction ivoirienne depuis ce report de date. L’État partie explique que le requérant pouvait saisir le Conseil constitutionnel prévu par la nouvelle Constitution et dont les attributions sont temporairement exercées par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême . En outre, d’après l’État partie, le requérant pouvait saisir, par voie de simple requête, le Président de la Cour suprême par voie de référé – disposition prévue en cas d’urgence en vertu de l’article 79 de la loi n o  94 ‑440 du 16 août 1994 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême.

4.9 L’État partie souligne finalement que le requérant n’a pas déposé sa candidature à la présidence, ce qui constitue un abus du droit de présenter une communication au Comité.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5. Dans sa lettre du 10 janvier 2002, le requérant a déclaré «ne pas entendre répliquer aux observations de l’État partie».

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité constate que le requérant n’a produit aucune argumentation faisant état de ses démarches pour faire valoir ses droits, tant pour être électeur que candidat à l’élection présidentielle. Le Comité estime dès lors que le requérant n’a pas démontré sa qualité de victime et que la communication est donc irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

6.4 Dans ces circonstances, il est par conséquent inutile que le Comité examine les autres arguments relatifs à la recevabilité présentés par l’État partie.

7. En conséquence, le Comité décide:

Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

F. Communication n o  1005/2001, Sánchez González c. Espagne (décision adoptée le 21 mars 2002, soixante ‑quatorzième session) *

Présentée par :

M me Concepción Sánchez González (représentée par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

16 juillet 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur, Concepción Sánchez González, de nationalité espagnole, se déclare victime de violations par l’Espagne des articles 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur était employée dans une école maternelle de la municipalité de Los Alcázares en tant qu’assistante de garderie alors qu’elle exerçait − comme sa collègue Teresa Barranco Campillo − les fonctions d’institutrice d’école maternelle. Les deux employées ont déposé une requête contre la municipalité de Los Alcázares, au motif qu’elles considéraient avoir droit à la rémunération correspondant à la catégorie professionnelle des institutrices d’école maternelle, au lieu de la rémunération correspondant à la catégorie des assistantes de garderie, dans laquelle elles avaient été placées.

2.2 Le 31 juillet 1995, le tribunal de première instance de Murcie a rejeté la requête, ayant considéré que l’auteur et sa collègue appartenaient à la catégorie professionnelle des assistantes de garderie et qu’elles n’exerçaient pas des fonctions correspondant à une catégorie supérieure. Les deux collègues ont fait appel de la décision devant la chambre des affaires sociales du tribunal supérieur de Murcie qui, le 3 décembre 1997, a rendu une décision dans laquelle, tout en reconnaissant que l’auteur et sa collègue exerçaient des fonctions identiques, il s’est prononcé uniquement en faveur de Teresa Barranco Campillo, invoquant le fait que cette dernière était titulaire d’un diplôme d’enseignante de l’éducation générale élémentaire avec spécialisation en études classiques.

2.3 L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la chambre des affaires sociales de la Cour suprême, laquelle a rejeté son pourvoi le 9 juillet 1998. Elle a ensuite introduit un recours en  amparo , qui a été rejeté le 3 juin 1999.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur estime contraire aux articles 14.1 et 26 du Pacte le fait que, lorsqu’elle a introduit un recours en  amparo devant la Cour constitutionnelle, elle s’est vu refuser la possibilité de comparaître sans être représentée par un « procurador » , au motif que la loi organique applicable dans ce domaine prévoit, en son article 81.1, la possibilité pour un membre de la profession juridique d’introduire un recours en  amparo sans faire appel aux services d’un « procurador », alors que les autres requérants doivent comparaître assistés d’un « procurador ».

3.2 L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 du Pacte au motif que, tout en exerçant des fonctions identiques dans un même poste de travail, elle ‑même et sa collègue ont été traitées de façon différente par les tribunaux de justice en raison d’un diplôme universitaire qui n’était pas à prendre en compte en l’espèce.

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3 L’auteur se déclare victime de violation des articles 14.1 et 26 du Pacte en raison du fait que la possibilité de comparaître devant la Cour constitutionnelle en l’absence d’un « procurador » lui a été refusée. Elle affirme qu’il est discriminatoire de ne pas exiger des membres de la profession juridique de comparaître devant la Cour constitutionnelle par l’entremise d’un « procurador », alors que les autres requérants doivent se plier à cette obligation. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que, comme la Cour constitutionnelle elle ‑même l’a fait valoir, la raison pour laquelle un « procurador » doit être présent est due à la nécessité de veiller à ce qu’une personne ayant des connaissances de droit soit chargée de l’introduction du recours devant cette instance judiciaire. Pour ce qui est des allégations de l’auteur, qui affirme que l’imposition de cette condition ne repose pas sur des critères objectifs et raisonnables, le Comité considère que celles ‑ci n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4 L’auteur et sa collègue ont toutes deux travaillé en tant qu’employées de la catégorie professionnelle des assistantes de garderie jusqu’à ce que la seconde obtienne son élévation à la catégorie d’institutrice d’école maternelle au motif qu’elle était titulaire d’un diplôme d’enseignante de l’éducation générale élémentaire. En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à une violation de l’article 26, avancées en raison de l’inégalité de traitement qu’elle aurait subie par rapport à sa collègue du fait que celle ‑ci était, contrairement à l’auteur, titulaire d’un diplôme universitaire, le Comité rappelle que toute distinction n’est pas discriminatoire dès lors qu’elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables. Il estime que ces allégations n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et qu’en conséquence cette partie de la communication est également irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

G. Communication n o  1048/2002, Riley et consorts c. Canada

(décision adoptée le 21 mars 2002, soixante ‑quatorzième session) *

Présentée par :

M. Kenneth Riley et consorts

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Canada

Date de la communication :

8 février 2001

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication, qui est datée du 8 février 2001, sont Kenneth Riley, Howard Stacey Davis et Kirsten Margrethe Mansbridge, tous trois de nationalité canadienne, qui affirment être victimes de violations des articles 2 (par. 1 et 3), 9 (par. 1), 18, 23 (par. 3 et 4) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 En 1990, le Gouvernement canadien a révisé le règlement de la Gendarmerie royale du Canada («GRC»), dont l’article 64 2) autorise désormais le commissaire à «exempter tout membre du port de tout article de l’uniforme distinctif pour des motifs ayant trait aux croyances religieuses de ce membre». Par la suite, un sikh du Khalsa a été autorisé à porter le turban au lieu du feutre traditionnel à large bord et du calot.

2.2 Riley et Davis sont tous deux retraités de la Gendarmerie royale du Canada («GRC») et sont membres d’une organisation qui a pour but de préserver la tradition au sein de la Gendarmerie royale. Les auteurs ont engagé une action devant la Cour fédérale du Canada (section de première instance), sollicitant une ordonnance qui interdise au commissaire de la GRC d’autoriser le port de symboles religieux comme éléments de l’uniforme de la GRC. Ils affirmaient en particulier que la décision du commissaire d’autoriser les sikhs du Khalsa à porter le turban au lieu du feutre était inconstitutionnelle. Le 8 juillet 1994, la Cour fédérale a rejeté la demande des auteurs, estimant qu’il n’y avait pas eu violation de la Charte canadienne des droits et libertés.

2.3 Les auteurs ont fait appel devant la section des appels de la Cour fédérale du Canada. Le 31 mai 1995, la section des appels a confirmé la décision de la section de première instance. La demande d’autorisation de recours présentée par les auteurs a été par la suite rejetée par la Cour suprême, qui n’a pas expliqué les raisons de sa décision.

2.4 Les auteurs disent que, pour comprendre pourquoi ils sont personnellement touchés par l’article 64 2) du règlement de la GRC, il faut savoir que la GRC est plus qu’une force de police fédérale, que ses membres, au nombre de 20 000, sont présents à tous les niveaux du système d’application de la loi au Canada, et que la GRC fait partie intégrante de la vie quotidienne. Ils affirment également que leur stratégie consistant à engager une action publique ( actio popularis ) devant la Cour fédérale s’inscrit dans le cadre des obligations de l’individu envers la collectivité, énoncées dans le préambule du Pacte où il est stipulé que: «l’individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle il appartient et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent Pacte». Ils considèrent par conséquent qu’ils ont qualité pour agir devant le Comité des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment que le port de symboles de la religion des sikhs du Khalsa par des membres de la police nationale du Canada implique une reconnaissance par la GRC/l’État de l’ordre sikh du Khalsa, «les saints soldats», réservé exclusivement aux hommes, en violation de l’article 3 du Pacte.

3.2 Ils affirment également que le paragraphe 1 de l’article 9 consacre le principe d’une justice fondamentale exempte de tout indice qui pourrait susciter une crainte de partialité. Selon eux, les policiers de l’État devraient non seulement agir de manière impartiale, mais avoir une apparence qui soit un gage d’impartialité lorsqu’ils exercent leurs fonctions de responsables de l’application de la loi. Or, tout porte à croire que la manifestation visible d’une croyance religieuse par un policier susciterait une crainte de partialité chez de nombreux Canadiens.

3.3 En outre, toujours selon les auteurs, pour protéger leurs droits en vertu de l’article 18 du Pacte, l’État devrait rester laïc; or l’article 64 2) du règlement de la GRC viole les droits en question dans la mesure où il introduit un élément religieux dans l’uniforme des membres de l’institution la plus visible de l’État.

3.4 Par ailleurs, les auteurs se plaignent d’une violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 23 puisque les personnes qui professent les convictions religieuses des sikhs du Khalsa défendent la pratique des mariages arrangés au Canada. Selon eux, l’association de la GRC avec cet ordre religieux reflète une reconnaissance par l’État de cette pratique.

3.5 Enfin, les auteurs (dont l’un au moins est catholique romain) font état d’une violation des articles 26 et 2, paragraphe 1, du Pacte, dans la mesure où leurs droits à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi sont violés par ce règlement qui fait participer la GRC à la promotion des intérêts religieux et politiques des sikhs du Khalsa. L’octroi de ce statut spécial aux sikhs du Khalsa entraînerait une distinction fondée sur la religion et serait contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte, puisque ce statut est refusé à d’autres groupes .

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 Le Comité a noté que les auteurs affirment être victimes de violations des articles 3, 9 (par. 1), 18, 23 (par. 3 et 4), 26, et 2 (par. 1), du Pacte parce que des sikhs du Khalsa membres de la GRC sont autorisés à porter des symboles religieux comme éléments de leur uniforme. Il note en particulier que les auteurs invoquent une violation des articles 26 et 2 (par. 1) du Pacte dans la mesure où, selon eux, ce statut spécial est réservé aux sikhs du Khalsa mais refusé à d’autres groupes religieux. Le Comité est d’avis que les auteurs n’ont pas apporté la preuve que le fait d’autoriser les agents sikhs du Khalsa à porter des symboles religieux a porté atteinte aux droits qui leur sont reconnus par le Pacte. En conséquence, ils ne peuvent être considérés comme étant des «victimes» au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et, pour information, à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

H. Communication n o 1055/2002, I.N. c. Suède

(décision adoptée le 8 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

M. Asbjörn Skjoldager

Au nom de :

I. N. (nom supprimé)

État partie :

Suède

Date de la communication :

14 juillet 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 8 juillet 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est M. Asbjörn Skjoldager, citoyen suédois. Se référant à l’autorisation des parents de la victime présumée, il dit présenter la communication au nom de M. I. N., qui présente un handicap mental. L’auteur ne précise pas les articles du Pacte qui auraient été violés, mais à en juger par sa teneur la plainte semblerait soulever des questions essentiellement par rapport à l’article 9 et accessoirement par rapport à l’article 7.

1.2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Protocole facultatif sont entrés tous deux en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. Lorsqu’il a adhéré au Protocole facultatif, l’État partie a émis la réserve suivante concernant ledit Protocole: «Sous réserve que les dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole signifient que le Comité des droits de l’homme prévu par l’article 28 dudit Pacte ne devra examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’est pas en cours d’examen ou n’a pas été examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.».

Teneur de la plainte

2.1 L’auteur dit que la victime présumée, qui présente un handicap mental, est placée de manière permanente sans autorisation légale dans un établissement pour les personnes souffrant de déficience mentale. Il soutient que les personnes ainsi enfermées vivent dans des conditions telles qu’elles n’ont pas leur liberté normale de mouvement. L’auteur soutient que la victime présumée a épuisé les recours internes disponibles dans une telle situation.

2.2 L’auteur a introduit, le 23 janvier 1996, une requête concernant la même affaire devant la Commission européenne des droits de l’homme. Le 22 février 1996, la requête a été enregistrée sous le numéro de dossier 30274/96. Le 9 mars 1998, un comité de la Commission établi en vertu du paragraphe 3 de l’article 20 de la Convention européenne des droits de l’homme, saisi de l’affaire par la Commission, a examiné un rapport établi conformément à l’article 47 du règlement intérieur de la Commission et, après délibérations, a considéré que les faits allégués ne faisaient pas apparaître de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou dans ses Protocoles.

Délibérations du Comité

3.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

3.2 Le Comité note que les informations présentées par l’auteur n’indiquent pas clairement si ce dernier est dûment habilité à représenter la victime présumée, si la communication vise à appeler l’attention sur le cas individuel de M. I. N. ou sur une situation plus générale, si les recours internes ont en fait été épuisés ou si la même question n’était pas déjà examinée par la Commission européenne des droits de l’homme au sens de la réserve émise par l’État partie mentionnée au paragraphe 1.2 ci ‑dessus. Le Comité considère toutefois que, même si ces points étaient élucidés, l’auteur n’a pas démontré, pour établir la recevabilité de sa communication, l’existence d’une violation des dispositions du Pacte.

4. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

I. Communication n o  1065/2002, Mankarious c. Australie

(décision adoptée le 1 er avril 2002, soixante-quatorzième session)

Présentée par :

Makram Asham Andrawos Mankarious

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

27 novembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er avril 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 27 novembre 2001, est Makram Asham Andrawos Mankarious, citoyen australien, né au Caire (Égypte) le 17 décembre 1950, qui se déclare victime d’une violation par l’Australie de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un avocat.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur avait émigré d’Égypte en Australie en 1972 et s’était établi à Melbourne. Entre le 10 juillet et le 4 octobre 1974, il a été employé comme ouvrier manuel chez Metro Plastics Pty. Ltd., fabricant de matériaux plastiques utilisant des moules lourds appelés moules plastiques.

2.2 Le 4 octobre 1974, pendant les heures de travail, l’auteur a été victime d’un accident au cours duquel un moule plastique pesant plusieurs tonnes s’est détaché de la grue à laquelle il était suspendu et lui est tombé sur la jambe droite.

2.3 Suite à cet accident, l’auteur a été renvoyé sur-le-champ par la société, dont le directeur lui a dit de ne pas porter plainte. Trois mois plus tard, l’entreprise fermait ses portes.

2.4 L’auteur a d’abord été traité à Alfred Hospital, à Melbourne, et le médecin lui a dit que la blessure était inopérable et que le seul remède était le repos. L’auteur est resté alité pendant 16 mois après l’accident, dans l’incapacité de travailler. Pendant cette période, il n’a reçu aucun dédommagement de son employeur.

2.5 En 1981, sa jambe devenant de plus en plus douloureuse, l’auteur a consulté, à Melbourne, un spécialiste qui a recommandé une opération. L’auteur a été opéré en 1982, et les frais médicaux ont été payés par le Ministère australien de la sécurité sociale, qui aurait gardé tout le dossier médical et les certificats des médecins. L’opération ne semble pas avoir servi à grand chose puisque l’auteur a continué de souffrir.

2.6 L’auteur a ensuite résidé au Royaume-Uni, mais il ne donne aucune information quant aux mesures qu’il y a prises en ce qui concerne sa blessure.

2.7 Ayant appris que la Suisse avait de très bons spécialistes pour ce type de blessure, l’auteur s’est rendu à Genève en avril 1996, où il a été soumis à un bilan médical à l’hôpital cantonal. Les médecins ont recommandé un traitement actif des veines variqueuses et d’une hernie inguinale par sclérothérapie.

2.8 En 1995, pour couvrir les frais médicaux de ces traitements, l’auteur a demandé l’aide juridique du Law Institute of Victoria (Australie), qui lui a envoyé une liste d’avocats susceptibles de l’assister. L’auteur déclare qu’il n’a jamais reçu d’assistance de ces avocats.

2.9 En mai 1996, un avocat suisse, agissant au nom de l’auteur, a porté l’affaire devant le consulat d’Australie à Genève, qui a répondu qu’il fallait s’adresser directement au Ministère australien de la sécurité sociale.

2.10 En novembre 1996, l’auteur a consulté un autre avocat en Suisse en vue d’entamer une procédure en Australie. L’avocat de l’auteur a demandé assistance à des avocats australiens, qui ont insisté sur la difficulté d’une telle procédure en raison du laps de temps écoulé depuis l’accident. Malgré les informations complémentaires communiquées au sujet de cette affaire par l’avocat suisse, les avocats australiens n’ont pas donné suite. L’auteur n’a pas pris d’autres mesures.

2.11 Aujourd’hui, la blessure de l’auteur continue de saigner. Il explique que cela l’a considérablement handicapé et l’a empêché de trouver un emploi à plein temps.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur prétend être victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, ayant été privé de l’égalité d’accès aux droits sociaux en Australie, de même qu’à l’aide juridique.

3.2. L’auteur prétend également qu’il s’est vu refuser l’accès aux voies de recours en Australie et considère par conséquent que les recours internes ont été épuisés.

3.3 L’auteur demande que les frais médicaux occasionnés par la blessure de sa jambe soient pris en charge par l’État partie et demande également une indemnité pour manque à gagner et atteinte à sa capacité et ses perspectives de gain.

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une demande soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2. Le Comité observe que l’auteur n’a pas suffisamment établi, aux fins de la recevabilité, en quoi il serait victime d’une violation de l’article 26 du Pacte.

4.3 Au surplus, le Comité considère que l’auteur disposait de moyens de soumettre son affaire aux autorités australiennes et n’a pas démontré qu’ils auraient été d’une longueur déraisonnable ou auraient eu peu de chances de lui assurer une réparation effective. Le Comité note aussi que l’auteur n’a pas indiqué les raisons de son apparente inaction entre le moment où il a quitté l’Australie et celui où il a pris de nouvelles dispositions en Suisse en 1995.

5. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 et de l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

J. Communication n o  1087/2002, Hesse c.  Australie

( d écision adoptée le 15 juillet 2002, soixante-quinzième session) *

Présentée par :

Peter Hesse

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie **

Date de la communication :

26 février 2001, 6 août 2001 et 10 mai 2002

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2002,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 26 février 2001, du 6 août 2001 et du 10 mai 2002, est Peter Hesse. Il affirme être victime d’une violation par l’Australie de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur réside en Australie occidentale. Pendant qu’il était soigné à l’hôpital public Sir Charles Gairdner, à Perth, et dans deux autres hôpitaux entre 1977 et 1989, il a reçu, selon lui sans son consentement, 24 injections intrathécales à la moelle épinière de Depo ‑Medrol, médicament fabriqué par la société Pharmacia & Upjohn. Les médecins avaient dit à l’auteur que les injections étaient sans danger.

2.2 En 1977, le Département australien de la santé a informé la société Pharmacia & Upjohn que le Depo ‑Medrol ne convenait pas à l’usage intrathécal et leur a suggéré d’insérer un avertissement dans la notice du produit. La société ne l’a pas fait. En 1982, la société Pharmacia & Upjohn a déposé auprès de la Commission australienne d’évaluation des médicaments (Australian Drug Evaluation Committee) une demande d’autorisation de l’utilisation de son produit pour des injections épidurales à la moelle épinière. La Commission a rejeté la demande en 1983 . Toutefois, la Commission fédérale de l’assurance maladie a continué de prendre en charge ces injections. En 1992, le Ministre fédéral de la santé du gouvernement travailliste, Brian Howe, a fait savoir au Parlement que le Depo ‑Medrol n’avait jamais été autorisé ni même évalué par la Commission australienne d’évaluation des médicaments et que le médicament était utilisé à titre expérimental. Selon l’auteur, chacun sait que le Depo ‑Medrol, lorsqu’il est administré par voie intrathécale, peut causer une arachnoïdite, maladie qui provoque une inflammation de l’arachnoïde (une des trois membranes qui enveloppent le cerveau et la moelle épinière).

2.3 En raison de vives douleurs au dos, à la tête et aux bras, l’auteur a subi en octobre 1979 une myélographie qui a révélé qu’il souffrait d’arachnoïdite chronique. À partir de novembre 1980, il a bénéficié d’une pension d’invalidité totale. Les médecins ont continué de le soigner au moyen d’injections de Depo ‑Medrol à la moelle épinière jusqu’en mai 1989, date à laquelle, alors qu’il rentrait chez lui après une hospitalisation, sa jambe droite a fléchi; dans la chute qui a suivi, il s’est fracturé le pied droit.

2.4 Le 19 novembre 1990, l’auteur a écrit au spécialiste de la douleur qui le soignait pour lui demander s’il lui avait administré du Depo ‑Medrol et, le cas échéant, combien d’injections il avait reçues pendant son traitement entre 1977 et 1989. N’ayant pas reçu de réponse du médecin, l’auteur a téléphoné à son cabinet le 19 novembre 1991. Il a été alors informé que son dossier médical avait été transféré ailleurs et que son médecin était mort trois mois auparavant. L’auteur a ensuite écrit à la femme du médecin, en sa qualité d’exécutrice du testament de son mari, et aux trois hôpitaux où le médecin l’avait soigné, mais aucune réponse ne lui est parvenue. Il a également pris contact avec le Cabinet du Ministre de la santé de l’Australie occidentale; il a fini par recevoir des réponses de deux ou trois hôpitaux. Le 22 septembre 1992, un spécialiste des affections de la moelle épinière a examiné l’auteur et a conclu que 70 % des symptômes de l’auteur étaient attribuables aux complications de l’arachnoïde dont il souffrait par suite de son exposition au Depo ‑Medrol.

2.5 Le 27 juin 1991, l’auteur a pris contact avec le cabinet d’avocats Cashman & Partners, qui étudiait la possibilité d’intenter une «action collective» contre la société Pharmacia & Upjohn au nom de 122 plaignants qui avaient reçu des injections de Depo ‑Medrol à la moelle épinière. La procédure a été entamée en 1993 et le cas de l’auteur a été considéré comme un des six cas clefs dans l’affaire .

2.6 Dans la requête qu’il a déposée auprès de la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud, l’auteur, de concert avec quatre autres plaignants, a demandé que l’affaire soit transférée à la cour d’appel en application de la règle 2 de la section 12 des SCR (Règles établies par la Cour suprême) . Le 29 février 1996, la cour a rejeté la requête en condamnant les requérants aux dépens.

2.7 Dans son jugement du 22 décembre 1998, la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud a de nouveau rejeté la demande de l’auteur et de trois autres plaignants tendant à ce que leurs requêtes soient transférées à la cour d’appel, et a différé la décision sur leur demande de transfert de l’affaire à leurs tribunaux régionaux respectifs .

2.8 En 2000, la Haute Cour d’Australie a interprété la loi sur la prescription qui était applicable dans tout le pays de manière à ce que la requête de l’auteur reste uniquement du ressort de la Cour suprême de l’Australie occidentale. Selon l’auteur, la décision de la Haute Cour a fait que sa cause soit frappée de prescription. Si la requête de l’auteur avait été examinée par la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud, son action en justice n’aurait pas été prescrite dès lors que, devant ce tribunal et plusieurs autres juridictions australiennes, un requérant bénéficie d’un délai de six ans pour déposer une requête une fois qu’il se rend compte qu’une négligence ou une faute professionnelle lui a causé un préjudice.

2.9 Dans une télécopie datée du 23 février 2001, le cabinet Cashman & Partners a informé l’auteur qu’il cessait de le représenter en justice. Dans une lettre datée du 14 mars 2001, la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud a fait savoir à l’auteur que la procédure était ajournée jusqu’au 20 juillet 2001 et qu’elle reprendrait à cette date même en son absence ou en l’absence de son représentant en justice. Un avocat a expliqué à l’auteur que, n’étant pas en mesure d’obtenir une aide judiciaire et de se déplacer, il perdrait certainement son procès pour des motifs «techniques» et lui a donc conseillé d’abandonner l’affaire . L’auteur a plus tard appris que la Cour l’avait condamné le 26 octobre 2000 à payer les dépens à deux défendeurs à compter du 7 juillet 2000.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son action en justice contre la sociéte Pharmacia & Upjohn étant frappée de prescription en Australie occidentale alors qu’une action similaire ne le serait pas dans la Nouvelle ‑Galles du Sud, il est victime d’une discrimination en violation de l’article 26 du Pacte. Il ajoute que la pratique discriminatoire de l’État partie a persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Australie.

3.2 L’auteur fait valoir qu’il a été soumis à une expérience médicale sans son consentement en violation de l’article 7 du Pacte.

3.3 L’auteur affirme qu’en transférant son procès d’un État où sa requête n’était pas frappée de prescription vers un État où elle l’était, les tribunaux australiens ont violé son droit à l’égalité d’accès aux tribunaux garanti par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En outre, le fait que les médecins et les hôpitaux aient tardé à remettre ses dossiers médicaux a fait qu’il tombe sous le coup de la loi sur la prescription et l’a par conséquent privé de droits qui lui sont reconnus à l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte selon laquelle la législation de l’État partie fait que sa requête contre la société Pharmacia & Upjohn est frappée de prescription en Australie occidentale alors qu’une requête similaire ne le serait pas dans la Nouvelle ‑Galles du Sud, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré aux fins de la recevabilité que des différences en matière de délai de prescription entre diverses parties d’un État fédéral soulèvent une question au titre de l’article 26.

4.3 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a été soumis à une expérience médicale sans son consentement en violation de l’article 7 du Pacte, le Comité note que l’expérience médicale présumée a eu lieu entre 1977 et 1989, c’est ‑à ‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Australie. Cette plainte qui porte sur le traitement administré à l’auteur avant septembre 1991 est donc irrecevable ratione temporis.

4.4 S’agissant de la plainte de l’auteur selon laquelle les tribunaux australiens ont violé des droits qui lui sont reconnus par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en transférant sa requête d’un État où elle n’était pas frappée de prescription vers un État où elle l’était, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré aux fins de la recevabilité qu’il a, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le droit de poursuivre la procédure devant les tribunaux de la Nouvelle ‑Galles du Sud ou que la décision de la Haute Cour selon laquelle l’affaire relevait de la juridiction des tribunaux de l’Australie occidentale soulève une question au titre de l’article 14 du Pacte. Le Comité estime également que l’auteur n’a pas étayé aux fins de la recevabilité son allégation selon laquelle le fait que les médecins et les hôpitaux ont tardé à remettre ses dossiers médicaux soulève une question au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la Commission est irrecevable au regard des articles 1 et 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. [Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

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