Nations Unies

A/HRC/43/43/Add.2

Assemblée générale

Distr. générale

28 août 2020

Français

Original : anglais

Conseil des droits de l’homme

Quarante-troisième session

24 février-20 mars 2020

Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Visite en France

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard * , ** , ***

Résumé

Conformément au mandat qui lui a été confié par le Conseil des droits de l’homme par sa résolution 34/9, la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non‑discrimination à cet égard, LeilaniFarha, s’est rendue en France en avril 2019 afin de recenser les résultats positifs obtenus et les problèmes rencontrés en matière de réalisation du droit à un logement convenable.

La Rapporteuse spéciale a constaté que la France avait adopté plusieurs lois, politiques et programmes visant à garantir le droit à un logement convenable. En France, la majorité des personnes ont accès à un logement convenable. En outre, le pays dispose d’un grand parc de logements sociaux et a affecté des ressources importantes aux aides au logement et aux logements d’urgence.

Malgré ces efforts, l’accessibilité économique des logements est devenue un problème majeur. Dans la plupart des zones métropolitaines, il n’y a pas suffisamment de logements sociaux pour les personnes les plus démunies. Si l’on peut faire valoir son droit au logement, souvent les personnes qui font une demande de logement ne s’en voient attribuer un qu’après plusieurs années. La discrimination dans l’accès au logement est strictement interdite par la législation nationale, mais de nombreuses personnes perçues comme venant du monde arabe ou d’Afrique en sont victimes.

Dans les implantations sauvages qu’ils habitent, les Roms, les migrants et d’autres groupes en situation de vulnérabilité sont souvent privés de services de base et font régulièrement l’objet d’expulsions forcées, en violation des normes relatives aux droits de l’homme. Le nombre de sans-abri augmente à un rythme soutenu, et il existe trop peu d’hébergements d’urgence et de possibilités de logement à long terme pour ces groupes. Les réfugiés et les migrants vivent dans des conditions parmi les plus déplorables. Il n’y a pas suffisamment d’installations permettant aux personnes handicapées de vivre de manière autonome. La Rapporteuse spéciale conclut son rapport en appelant de ses vœux une action immédiate et en formulant plusieurs recommandations visant à ce que chacun puisse jouir pleinement du droit de l’homme à un logement convenable.

Annexe

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard concernant sa visite en France

Table des matières

Page

I.Introduction4

II.Cadre juridique5

A.Droit international des droits de l’homme5

B.Droit constitutionnel et national5

III.Questions liées au droit à un logement convenable6

A.Discrimination dans l’accès au logement6

B.Qualité et accessibilité économique des logements7

C.Logement social et aide au logement8

D.Financiarisation du logement9

E.Logements de qualité médiocre et zones urbaines préoccupantes10

F.Implantations sauvages10

G.Expulsions forcées12

IV.Groupes menacés de discrimination et d’exclusion sociale13

A.Personnes sans abri13

B.Réfugiés et migrants15

C.Gens du voyage17

V.Accès à la justice18

VI.Conclusion et recommandations20

Appendice24

I.Introduction

1.La Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, LeilaniFarha, s’est rendue en France du 2 au 12 avril 2019 à l’invitation du Gouvernement. Elle avait pour objectif de recenser les résultats positifs obtenus et les problèmes rencontrés en matière de réalisation du droit à un logement convenable dans le pays.

2.La Rapporteuse spéciale remercie la France pour son invitation et sa coopération pendant la visite. Elle remercie également tous ses interlocuteurs, notamment les fonctionnaires, les maires, les avocats et les représentants de la société civile, pour les discussions fructueuses qu’elle a eues avec eux et les informations qu’ils lui ont communiquées. Elle remercie chaleureusement les personnes et les familles qu’elle a rencontrées et qui vivent, à divers degrés, dans des logements inadéquats ou sans-abri d’avoir partagé avec elle leur expérience personnelle.

3.La France a, à bien des égards, mis en œuvre le droit à un logement convenable en adoptant des lois et des politiques ambitieuses dans le domaine du logement. On notera en particulier que le droit à un logement convenable est à la fois opposable et justiciable. Bien que la France soit un précurseur dans le domaine, on notera que, pour certains groupes, le droit à un logement convenable est de plus en plus menacé.

4.Dans de nombreuses régions métropolitaines, par exemple, les personnes qui font valoir leur droit au logement devant les tribunaux doivent attendre des années avant de pouvoir accéder à un logement convenable. Le pays possède l’un des plus grands parcs de logements sociaux, mais il est rare que les plus démunis puissent accéder à un tel logement, ce qui les oblige à se tourner vers les logements les plus médiocres du marché privé, qui sont souvent entre les mains des « marchands de sommeil ». On signale souvent des cas de discrimination à l’égard des groupes marginalisés sur le marché du logement privé. Le nombre de sans-abri est en hausse, et les implantations sauvages aux conditions de vie déplorables s’agrandissent et se multiplient.

5.Alors que le niveau de vie en France s’est considérablement amélioré au cours des cinquante dernières années pour la majorité de la population, le taux de pauvreté stagne à 14 % et l’extrême pauvreté est en augmentation. Bien que la plupart des personnes vivant en France jouissent d’un niveau de vie élevé, on estime qu’environ 6 % de la population vit dans des logements de qualité médiocre et qu’environ 18 % de celle-ci se trouve dans une situation vulnérable en raison de l’augmentation du coût des logements. Fait remarquable, il existe un numéro d’appel national (115) très connu que les personnes sans-abri ou vivant dans des conditions de logement précaires peuvent composer pour demander une assistance immédiate, mais à Paris, par exemple, le nombre d’appels est si important qu’il est répondu à moins d’un tiers des appels. Il y a un droit inconditionnel à l’hébergement, sans considération du statut administratif, mais les centres d’accueil sont pleins. Malgré les efforts considérables déployés pour prévenir et réduire le sans-abrisme, le nombre de personnes vivant dans la rue, dans des centres d’accueil, dans des « hôtels sociaux » ou dans des logements de qualité médiocre continue d’augmenter. Face à ces problèmes, un certain nombre de personnes avec lesquelles la Rapporteuse spéciale s’est entretenue se demandaient si parler de droit au logement ne revient pas uniquement à se payer de belles paroles.

6.Le logement social et les droits de l’homme faisant depuis longtemps partie de la tradition de la France, qui est la septième puissance économique mondiale, il est difficile de justifier les conditions de logement des plus vulnérables dans le pays. Alors que s’aggrave la crise du logement, qui est aussi une crise des droits de l’homme, le Gouvernement a réduit les dépenses consacrées à l’aide au logement destinée aux locataires de logements sociaux de 1,5 milliard d’euros en 2017, a encouragé la vente de logements sociaux et a augmenté les impôts auxquels sont soumis les fournisseurs de logements sociaux, ce qui pourrait réduire la capacité de ceux-ci à proposer des logements dont le besoin se fait cruellement sentir. La Rapporteuse spéciale encourage le Gouvernement à inverser cette tendance et à s’attacher plus encore à promouvoir le droit à un logement convenable.

II.Cadre juridique

A.Droit international des droits de l’homme

7.La France a ratifié la plupart des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont l’article 11 consacre le droit à un logement suffisant, et le Protocole facultatif s’y rapportant, qui permet aux particuliers de présenter des communications après épuisement des recours internes. Conformément au Pacte, la France a l’obligation de réaliser progressivement le droit à un logement convenable en prenant des mesures raisonnables et en agissant au maximum de ses ressources disponibles. Le droit à un logement convenable ne doit pas être interprété de manière restrictive, par exemple comme étant simplement le droit d’avoir un toit au-dessus de sa tête ; il convient plutôt de l’interpréter comme le droit de vivre dans un lieu sûr, dans la paix et la dignité. Pour déterminer si un logement peut être considéré comme convenable, il faut prendre en compte les caractéristiques suivantes : a) la sécurité légale de l’occupation ; b) l’existence de services, de matériaux, d’équipements et d’infrastructures ; c) la capacité de paiement ; d) l’habitabilité ; e) la facilité d’accès ; f) l’emplacement ; g) le respect du milieu culturel. En outre, le droit international des droits de l’homme interdit aux États de prendre des mesures régressives, ce qui signifie que la France ne doit pas faire de pas en arrière en ce qui concerne la réalisation du droit au logement.

8.La France a signé et ratifié la Charte sociale européenne, dont l’article 31 garantit le droit au logement, et a ratifié en 1999 le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives, qui permet aux partenaires sociaux et aux organisations non gouvernementales de déposer des réclamations collectives.

9.La France s’est engagée à atteindre les objectifs de développement durable, dont la cible 11.1 lui impose de mettre fin au sans-abrisme, en garantissant l’accès de tous à un logement adéquat, sûr et abordable et en améliorant les implantations sauvages pour y inclure les services de base, d’ici 2030 (voir A/HRC/34/51).

B.Droit constitutionnel et national

10.La Constitution de la France ne mentionne pas expressément le droit à un logement convenable. Néanmoins, dans une décision de 1995, le Conseil constitutionnel a confirmé que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent était un objectif de valeur constitutionnelle et qu’il incombait tant au législateur qu’au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en œuvre de cet objectif.

11.Le droit à un logement convenable et ses principes ont été intégrés dans plusieurs lois nationales. Conformément à la loi de 1989 sur les rapports locatifs, le droit au logement est un droit fondamental et les bailleurs doivent fournir à leurs locataires un logement décent ne portant pas atteinte à la sécurité physique et la santé et répondant à des normes de performance énergétique et d’habitabilité minimales. La loi de 1990 sur le droit au logement dispose que la garantie du droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. Le Code de l’action sociale et des familles souligne que la lutte contre l’exclusion fondée sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains est une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation et que l’État, toutes les collectivités territoriales et tous les établissements publics doivent garantir un accès effectif à tous les droits fondamentaux, y compris au droit au logement.

12.En 2007, la France a adopté une loi instituant le droit au logement opposable. Cette loi constitue une avancée considérable vers la justiciabilité du droit au logement. Conformément à cette loi, peuvent faire valoir leur droit au logement en exerçant un recours amiable les personnes ou les familles qui sont sans abri ou qui vivent dans une structure d’hébergement ou sont logées de manière temporaire, qui risquent d’être expulsées ou qui habitent un logement dangereux, insalubre ou surpeuplé, les personnes ou les familles disposant d’un très faible revenu et les ménages considérés comme prioritaires inscrits sur une liste d’attente depuis un délai anormalement long. Les ressortissants français et toutes les personnes titulaires d’une carte de séjour en cours de validité peuvent exercer un recours en application de la loi après avoir fait une demande de logement social. Si l’État n’est pas en mesure de leur offrir un logement social dans les six mois, ils peuvent intenter une action en justice.

13.La loi instaure également un droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence pour toutes les personnes dans le besoin, y compris pour celles qui n’ont pas de permis de séjour valide. L’article L345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Ces hébergements d’urgence doivent être conformes au principe de la dignité humaine et garantir la sécurité de la personne et de ses effets personnels. Le Code prévoit également (art. L345-2-3) que les personnes qui bénéficient d’un hébergement d’urgence doivent bénéficier d’un accompagnement personnalisé en vue de pouvoir accéder à une solution durable de logement.

14.Le droit d’accès à l’hébergement d’urgence peut également faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs nationaux. Toutefois, les personnes sans statut valide au regard de la législation sur l’immigration n’ont pas le droit de demander un hébergement dans des établissements proposant un logement temporaire à plus long terme.

III.Questions liées au droit à un logement convenable

A.Discrimination dans l’accès au logement

15.La loi sur les rapports locatifs (art. 1) interdit toute discrimination fondée sur des facteurs tels que l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, la situation familiale, l’apparence physique ou l’âge des personnes qui font une demande de location d’appartement ou de maison. Les propriétaires qui se fondent sur des critères discriminatoires pour rejeter une demande de location sont passibles d’une amende et d’une peine d’emprisonnement.

16.En 2016, le Défenseur des droits a mené une enquête qui a mis en évidence des formes bien précises de discrimination sur le marché du logement privé. Cette enquête a révélé que les ressortissants français et ceux perçus comme « blancs » avaient deux fois plus de chances que les personnes immigrées et les personnes perçues comme « arabes » ou « noires » de trouver un logement dans l’année suivant le début de leur recherche. La discrimination touchait également les familles nombreuses et les familles monoparentales, qui mettaient beaucoup plus de temps que les couples sans enfants à pouvoir louer un logement. Près de la moitié des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête ont estimé qu’il y avait « souvent » ou « très souvent » de la discrimination dans l’accès au logement. Seulement 11 % des personnes qui s’estimaient victimes de discrimination avaient porté plainte. Les personnes qui n’avaient pas déposé plainte ont justifié leur décision en affirmant, notamment, que cela ne servirait à rien, que cela n’en valait pas la peine, qu’elles n’avaient pas suffisamment de preuves et qu’elles ne faisaient pas confiance à la justice.

17.La discrimination en matière de logement touche également les personnes handicapées, dont beaucoup n’ont pas accès aux services de soutien psychosocial nécessaires pour vivre de manière autonome ou ne trouvent pas de logement accessible qui soit adapté à leur handicap physique. La Rapporteuse spéciale note avec regret que la situation ne fera qu’empirer avec la mise en œuvre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, qui ramène de 100 % à seulement 20 % la proportion de logements à étages nouvellement construits qui doivent être entièrement accessibles aux personnes handicapées. La Rapporteuse spéciale considère que cette disposition, qui réduira l’offre de logements construits malgré la pénurie actuelle de logements adaptés, constitue une mesure régressive. Cette mesure n’est pas non plus conforme à l’article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ni aux articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

B.Qualité et accessibilité économique des logements

18.La qualité des logements s’est considérablement améliorée depuis 1978. La surface habitable moyenne est passée de 30,7 mètres carrés par personne en 1984 à 40,3 mètres carrés par personne en 2013, et si plus de 25 % des logements ne disposaient pas d’installations sanitaires en 1978, ce chiffre est aujourd’hui inférieur à 1 %.

19.Malgré ces progrès, les ménages de la tranche de revenus la plus basse sont plus susceptibles de vivre dans des mauvaises conditions de logement. Le phénomène du surpeuplement touche 16,9 % de l’ensemble des habitants des logements sociaux, 20 % des ménages monoparentaux et 25 % des ménages composés d’immigrés. La précarité énergétique a augmenté entre 2002 et 2013 ; elle touche aujourd’hui 20,4 % des ménages.

20.La Rapporteuse spéciale est particulièrement préoccupée par l’accessibilité économique du logement. Entre 2007 et 2017, le coût du logement pour les ménages pauvres, ajusté en fonction de l’inflation, a augmenté de 33,3 %, ce qui représente une lourde charge, en particulier pour ceux qui n’ont pas accès à un logement social. Les ménages à faibles revenus qui louent un logement sur le marché privé consacrent déjà plus de 40 % de leur revenu à leur logement. En 2017, 16,8 % des ménages pauvres devaient faire face à des arriérés de loyer ou d’emprunts immobiliers.

21.En revanche, le coût du logement pour les plus riches n’a que très peu augmenté. Au total, 85 % des personnes appartenant au quartile le plus riche de la société vivent dans un logement dont ils sont propriétaires et moins de la moitié remboursent une hypothèque. Les propriétaires qui ont déjà remboursé leur prêt hypothécaire ne consacrent que 6,7 % de leur revenu au logement et peuvent donc accumuler davantage de richesse. Par ailleurs, bien que le logement social soit profondément ancré dans les traditions françaises, l’accès à la propriété est devenu un facteur d’inégalité déterminant.

C.Logement social et aide au logement

22.En France, les logements sociaux ne sont pas uniquement destinés aux personnes aux revenus les plus faibles. On estime qu’une personne sur deux a vécu dans un logement social à un moment donné de sa vie. En 2018, 18 % de la population vivait dans un logement social fourni par l’un des 550 organismes de logement social. Depuis 2000, la loi impose aux communes de plus de 3 500 habitants l’obligation de veiller à ce qu’au moins 25 % de l’ensemble du parc immobilier soit constitué de logements sociaux. Cependant, les communes font souvent fi de cette obligation, dont le non-respect est puni par une amende d’un faible montant. Pour régler ce problème, le Gouvernement a augmenté en 2013 le montant de cette amende, ce qui n’a produit que peu de résultats.

23.Un tiers des ménages vivant dans des logements sociaux ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté officiel, et les familles monoparentales sont surreprésentées. Environ 33 % du parc de logements sociaux est situé dans 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces quartiers sont caractérisés par une forte concentration de ménages à faibles revenus, telle que mesurée par le recensement.

24.Les loyers des logements sociaux sont inférieurs de 40 % à ceux des logements du marché privé, ce qui crée une forte demande car les logements privés sont de plus en plus inabordables. En 2017, on dénombrait plus de 2 millions de demandes de logement social. Un demandeur passe en moyenne près de deux ans sur une liste d’attente avant de se voir attribuer un logement, mais le délai d’attente varie considérablement d’une région à l’autre : à Paris, il est de quarante mois en moyenne.

25.Soixante-six pour cent des demandeurs de logement social appartiennent à la catégorie de la population qui perçoit les revenus les plus faibles et ne peuvent donc prétendre qu’aux logements destinés aux ménages à faibles revenus. Or seuls 4 % des logements sont désignés comme tel. La Rapporteuse spéciale note avec satisfaction que le Gouvernement a intensifié la construction de logements sociaux destinés aux plus marginalisés, portant le nombre d’unités à 32 727 unités en 2018. Cette mesure est certes importante, mais la hausse du nombre de logements qui en découle ne suffira pas à répondre à la demande actuelle.

26.La pénurie de logements sociaux destinés aux plus défavorisés réduit l’efficacité de la loi instituant le droit au logement opposable. Sur les 950 000 demandeurs recensés depuis l’entrée en vigueur de la loi le 1er janvier 2008, 270 000 ménages ont été considérés comme prioritaires pour l’accès au logement. Au 20 février 2019, 167 200 ménages (62 %) s’étaient vu attribuer un logement social, tandis que 62 900 ménages (38 %) devaient encore être relogés. Dans les grandes villes et les zones métropolitaines, cette crise est plus grave. Par exemple, dans la métropole du Grand Paris, parmi les ménages considérés comme prioritaires en 2017, un sur deux ne vivait toujours pas dans un logement convenable en février 2019.

27.Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées a exprimé sa préoccupation quant au fait que les commissions de médiation, qui sont chargées d’examiner les demandes, ont tendance à interpréter la loi de manière de plus en plus restrictive et à accepter moins de demandes en raison du manque de logements disponibles dans leurs départements respectifs, au détriment des besoins des demandeurs.

28.Les demandeurs qui bénéficient d’un statut prioritaire et ne se voient pas attribuer un logement dans les six mois ont le droit de s’adresser au tribunal pour faire exécuter leur demande. Au tribunal, les collectivités locales sont souvent condamnées à fournir un logement social au demandeur et à payer une amende, laquelle est versée dans un fonds destiné aux organisations fournissant une aide sociale aux personnes qui vivent dans des conditions de logement inadéquates. Dans de nombreux cas, les autorités locales paient l’amende mais n’attribuent pas de logement au demandeur. Le seul recours ouvert au demandeur est de retourner devant le tribunal pour obtenir une indemnisation unique d’environ 2 000 à 3 000 euros. En fin de compte, il en résulte un déni de justice, car les collectivités locales paient pour ne pas avoir à respecter le droit au logement.

29.La Rapporteuse spéciale relève avec satisfaction que le Gouvernement offre, sous condition de ressources, des aides au logement auxquelles peuvent accéder les ménages qui louent un logement, y compris ceux qui occupent un logement social. Au total, on dénombre plus de 6 millions de ménages bénéficiaires. On estime qu’en 2019, les différents régimes d’aide auront coûté 13 milliards d’euros.

30.Cependant, les allocations versées sous forme d’aides au logement aux ménages à faibles revenus n’ont pas été suffisamment revalorisées pour compenser l’augmentation du coût du logement. Entre 2000 et 2010, les loyers des bénéficiaires ont augmenté de 32 %, alors que les aides n’ont été revalorisées que de 15 %. En 2017, neuf bénéficiaires sur 10 louant sur le marché privé payaient un loyer mensuel supérieur au loyer pris en compte dans le calcul du montant de l’aide.

31.La Rapporteuse spéciale s’inquiète de ce que la France a imposé des mesures d’austérité qui pourraient entraver l’exercice du droit au logement. En octobre 2017, l’aide personnelle au logement a été réduite de 5 euros par mois. Un an plus tard, les associations s’occupant des logements sociaux ont été obligées de réduire les loyers de leurs logements sociaux pour compenser une nouvelle réduction des aides au logement versées aux habitants de ces logements. Dans le même temps, la taxe sur la valeur ajoutée applicable à la construction et à la rénovation de logements sociaux a presque doublé, passant de 5,5 à 10 %. Ces mesures devraient réduire le revenu annuel des associations de logement social de 2 milliards d’euros, ce qui aggravera la crise du logement et limitera la capacité de ces associations à fournir davantage de logements sociaux.

D.Financiarisation du logement

32.La Rapporteuse spéciale craint que la « financiarisation du logement » − qui veut que le logement ne soit plus considéré comme un bien social, mais comme une marchandise, ce qui nuit à la réalisation du droit au logement (voir A/HRC/34/51) − n’évolue rapidement en France, en particulier depuis l’adoption de la loi de 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. Cette loi encourage la vente de logements sociaux et fixe un objectif annuel de 40 000 unités. La mise en œuvre de cette politique a bien avancé ; en 2018, la Société nationale des chemins de fer (SNCF) a vendu, dans le cadre d’un appel d’offres, 4 000 logements sociaux d’une valeur de 1,5 milliard d’euros à un consortium d’investisseurs institutionnels nationaux et étrangers. Bien que ces logements entrent toujours dans la catégorie des logements sociaux, on craint réellement que les actions de leurs nouveaux propriétaires privés ne soient pas suffisamment réglementées par le Gouvernement pour respecter les normes internationales relatives aux droits de l’homme et les obligations liées au droit à un logement convenable.

33.La spéculation immobilière a eu des incidences considérables sur le parc immobilier de Paris, où 7,5 % des logements résidentiels − soit 107 000 logements − sont vacants. La Rapporteuse spéciale se félicite de ce que, pour tenter de freiner la spéculation, les autorités parisiennes ont porté la taxe sur les logements vacants à 60 % de la valeur locative de ces logements. Bien qu’il soit réglementé, l’immobilier parisien constitue le plus grand marché de la plateforme mondiale de location en ligne Airbnb, avec environ 65 000 logements répertoriés, ce qui risque de réduire la disponibilité des logements pour les habitants locaux.

34.La Rapporteuse spéciale tient à faire savoir que, si l’on en juge par l’intérêt porté au portefeuille de la SNCF, le parc de logements sociaux en France pourrait facilement devenir la proie de sociétés internationales de capital-investissement, ce qui pourrait avoir de graves répercussions sur un secteur du logement déjà surchargé.

E.Logements de qualité médiocre et zones urbaines préoccupantes

35.Conformément à la législation nationale, les propriétaires qui louent des logements impropres à l’habitation encourent de lourdes peines, et les autorités locales ont l’obligation d’inspecter les logements pour s’assurer qu’ils sont sûrs et conformes au droit international des droits de l’homme. Néanmoins, on estime que sur le marché privé, 420 000 logements sont de qualité médiocre et ne répondent pas aux critères minimaux d’habitabilité. À Marseille, on estime qu’environ 40 000 logements sont indignes.

36.En 2018, deux immeubles se sont effondrés dans le quartier de Noailles à Marseille, faisant huit morts et forçant plus d’une centaine d’habitants à se déplacer. À la suite de cet accident, 2 400 habitants de plus de 300 bâtiments ont été évacués en urgence. Cinq mois plus tard, la plupart d’entre eux vivaient encore dans des hôtels. Il est particulièrement préoccupant que les autorités locales n’aient pas donné suite aux sollicitations des habitants, qui ont tenté pendant des années de les alerter sur les risques que représentait l’état de délabrement de leurs logements. Les habitants concernés ont informé la Rapporteuse spéciale qu’on leur demandait de retourner chez eux et de payer un loyer malgré les inquiétudes liées à la santé et à la sécurité.

37.La Rapporteuse spéciale félicite le Gouvernement d’avoir mis en œuvre des programmes de rénovation urbaine visant à améliorer les conditions de vie et l’accès de la population aux transports, à l’emploi et à l’éducation dans les zones urbaines défavorisées. Depuis 2014, ces zones sont désignées comme des quartiers prioritaires de la politique de la ville ; 42,2 % des habitants de ces quartiers vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre seulement 14,3 % de la population générale. Soixante-quatorze pour cent des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville vivent dans des logements sociaux, contre seulement 16 % dans le reste de la France. Les logements situés dans ces quartiers présentent un pourcentage de défauts plus élevé que ceux qui se trouvent dans d’autres zones urbaines, par exemple un câblage défectueux ou des extérieurs qui s’effritent. Vingt‑deux pour cent des ménages vivant dans ces quartiers pâtissent du surpeuplement.

38.Au cours de sa visite, la Rapporteuse spéciale a rencontré des habitants de Clichy‑sous-Bois, ville de la banlieue parisienne, et ceux-ci lui ont fait part de leurs conditions de logement déplorables et de leur isolement du reste de Paris. La Rapporteuse spéciale a visité plusieurs immeubles et a pu constater par elle-même ces conditions de logement déplorables. Les habitants de cette ville située à 10 kilomètres du centre de Paris ne peuvent pas accéder à des moyens de transport directs vers la ville, mais ont exprimé l’espoir qu’un nouveau tramway améliorerait leur situation. Du fait de leur isolement, ils doivent parcourir de longs trajets, ce qui entrave encore leur accès à l’emploi et à l’éducation. Ils ont également constaté que parfois, le soir, les bus de la ville s’écartaient de leurs itinéraires et refusaient d’entrer dans Clichy-sous-Bois, obligeant ainsi les habitants, y compris les personnes handicapées, les femmes et les personnes âgées, à se rendre à pied à leur destination. Les habitants ont également affirmé qu’ils étaient victimes de discrimination fondée sur leur adresse lorsqu’ils cherchaient un emploi.

F.Implantations sauvages

39.En France, les habitants des implantations sauvages appartiennent généralement aux catégories de population les plus pauvres et les plus marginalisées qui n’ont pas accès au logement ; il s’agit notamment des Roms d’Europe de l’Est (qui représentent environ deux tiers de la population des implantations sauvages), des communautés de voyageurs, des migrants et des réfugiés.

40.D’après les données communiquées par le Gouvernement, 16 090 personnes vivent dans 497 implantations sauvages. Un tiers de ces établissements sont situés en région parisienne. Plus d’un quart des habitants sont des enfants. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a établi que dans certains de ces sites, les conditions de vie étaient difficiles et peu sûres, tandis que d’autres offraient des espaces de vie modestes mais décents. Parmi les pires conditions observées, on citera des infestations de rats, des niveaux extrêmes d’insalubrité et de dégradation de l’environnement, ainsi que d’autres risques sanitaires graves. Dans les sites que la Rapporteuse spéciale a visités, les habitants n’avaient généralement pas accès aux services tels que la distribution d’eau et d’électricité, l’assainissement et l’enlèvement des déchets solides.

41.La Rapporteuse spéciale a été frappée par les conditions déplorables qu’elle a observées dans une implantation sauvage à Marseille, où elle a visité un campement rom de 120 personnes dans lequel aucun service d’approvisionnement en eau ou d’assainissement n’était assuré par les autorités. Les habitants siphonnaient l’eau d’une bouche d’incendie et n’avaient ni toilettes, ni douches sur place, même s’il est vrai que des services de soins de santé étaient disponibles et que les enfants fréquentaient l’école locale.

42.À Toulouse, la Rapporteuse spéciale a visité un ancien immeuble de bureaux occupé par plus de 300 migrants et réfugiés, dont des femmes et des familles monoparentales. Si le complexe disposait de l’eau courante et de l’électricité, l’insuffisance des installations sanitaires causait des problèmes d’égouts persistants. Le bâtiment était dépourvu de douches et de cuisine et était très surpeuplé ; jusqu’à 15 personnes vivaient dans d’anciens bureaux, tandis que d’autres vivaient dans les couloirs. Les matelas et les meubles avaient été récupérés dans des décharges et il y avait une infestation de punaises de lit. Les autorités municipales n’avaient pas pris de mesure pour améliorer les conditions de vie ou pour garantir la sécurité d’occupation des habitants. Depuis la visite, cette résidence a été fermée, et la Rapporteuse spéciale a appris que la plupart des habitants avaient déménagé dans un autre bâtiment qui abritait 700 personnes et dans lequel les conditions étaient encore pires.

43.Dans les deux cas, les habitants étaient menacés d’expulsion et aucun logement de remplacement ne leur avait été proposé par l’État. La Rapporteuse spéciale a certes été informée qu’il existait des exemples de solutions relogement à long terme qui avaient été dégagées en étroite collaboration avec les habitants d’implantations sauvages, comme cela a été le cas à Strasbourg, mais les habitants qu’elle a interrogés ont indiqué qu’ils n’avaient pas été réellement consultés. La Rapporteuse spéciale rappelle au Gouvernement que la participation est un droit de l’homme et que les habitants des implantations sauvages doivent avoir la possibilité de participer effectivement à la prise de décisions concernant leur logement.

44.Bien souvent, lorsque des sites de remplacement sont proposés aux Roms, les municipalités ne parviennent pas à garantir l’intégration sociale de ces personnes, qui sont forcées de vivre dans d’anciennes zones industrielles clôturées ou marginales, parfois sous la surveillance de caméras vidéo ou de gardes.

45.Dans son programme de « résorption » des implantations sauvages, le Gouvernement souligne la nécessité de garantir l’accès à l’eau, à l’assainissement, à un logement convenable, à l’éducation et à l’emploi. Lors de sa visite, cependant, la Rapporteuse spéciale a constaté que la réalité est autre. Les politiques qui dénient l’accès aux éléments essentiels du droit à un logement convenable, notamment les droits à l’eau, à l’assainissement, à la santé et à la sécurité, sont contraires au droit international des droits de l’homme. La Rapporteuse spéciale rappelle au Gouvernement qu’il est tenu, en vertu du droit international des droits de l’homme, de garantir le respect de la dignité humaine.

G.Expulsions forcées

46.Les expulsions forcées constituent prima facie une violation du droit à un logement convenable. Les expulsions ayant eu lieu en France ont fait l’objet de plusieurs rapports et recommandations d’organismes du système des Nations Unies et d’organisations de défense des droits de l’homme. En 2018, environ 65 % de l’ensemble des personnes vivant dans des implantations sauvages et originaires d’Europe de l’Est ont fait l’objet d’une expulsion forcée : 9 688 de ces personnes ont été expulsées de 171 implantations sauvages et squats, pour la plupart construits sur des terrains publics.

47.La Rapporteuse spéciale est préoccupée car, pendant sa visite, elle a appris que plusieurs expulsions étaient imminentes : elle a visité un campement à la porte de la Chapelle, à Paris, dont l’expulsion des habitants était prévue pour le lendemain, un squat à Toulouse, dont l’expulsion des habitants était prévue pour le 15 avril 2019 et un campement informel de Roms à Marseille, dont l’expulsion des habitants était prévue pour juillet 2019.

48.La loi de 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit une nouvelle procédure de protection pour les personnes vivant dans des contextes informels ; en effet, une décision de justice est désormais nécessaire pour expulser les occupants d’un lieu d’habitation, y compris de tentes ou de structures informelles, ce qui inclut également les véhicules à moteur. La plupart des expulsions d’habitants d’implantations sauvages sont exécutées après décision judiciaire, mais les tribunaux nationaux n’appliquent pas toujours les normes internationales relatives aux droits de l’homme, car ils autorisent fréquemment les expulsions sans offrir de solution de relogement, en conséquence de quoi les personnes expulsées se retrouvent sans-abri.

49.On estime que moins de 5 % des personnes expulsées sont relogées dans des logements à long terme conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. Une étude menée en 2018 par Romeurope a révélé que seuls 12,7 % des ménages expulsés étaient hébergés temporairement, souvent dans des hôtels sociaux. L’étude a également montré que seuls 2,5 % des ménages expulsés ont bénéficié de solutions de logement à long terme et d’une aide sociale et que seules 18personnes (0,2 %) ont été logées dans des logements classiques.

50.La Rapporteuse spéciale note avec satisfaction que, depuis 1954, une trêve hivernale est observée, sauf dans les cas où la sécurité ou la santé des habitants est menacée. Ces exceptions sont cependant trop fréquentes ; plus de 1 800 personnes ont été expulsées pendant l’hiver 2017-2018.

51.La Rapporteuse spéciale est également préoccupée par l’augmentation du nombre de procédures d’expulsion engagées à l’encontre de locataires, la plupart du temps en raison d’arriérés de loyer. En 2017, 65 828 arrêtés d’expulsion ont été ordonnés par les tribunaux. Si la plupart des locataires quittent leur domicile avant que des mesures d’exécution ne soient ordonnées ou mises en œuvre, le nombre d’expulsions auxquelles a procédé la police a doublé, passant de 6 337 en 2001 à 15 547 en 2017. En conséquence, un grand nombre des personnes expulsées ont passé plusieurs mois dans des logements d’urgence, financés ou subventionnés par l’État. Ces coûts élevés pourraient être évités si les ménages se voyaient proposer, avant leur expulsion, un logement de substitution à long terme abordable.

52.Malgré les réglementations officielles interdisant l’expulsion des ménages qui se sont vu accorder un statut prioritaire en vertu de la loi instituant le droit au logement opposable, plus de 140 de ces ménages ont été expulsés en 2019.

53.Le droit international des droits de l’homme interdit strictement l’expulsion des personnes risquant de devenir sans-abri, qui constitue une grave violation du droit au logement. Une expulsion n’est justifiable que si toutes les autres possibilités ont été étudiées en concertation avec l’occupant et une fois qu’un logement de remplacement à proximité a été trouvé et accepté par celui-ci. Les dispositions législatives nationales relatives à l’expulsion doivent garantir la protection contre les expulsions forcées, conformément au droit international des droits de l’homme.

IV.Groupes menacés de discrimination et d’exclusion sociale

A.Personnes sans abri

54.Selon les données officielles les plus récentes, le nombre de personnes sans abri a augmenté de 58 % entre 2001 et 2012, passant de 93 000 à 141 500. Le nombre d’enfants dans cette situation s’est quant à lui accru de 85 %. Le prochain recensement de 2020 devrait montrer une nouvelle augmentation de ces chiffres. Plus d’une personne vivant dans la rue meurt chaque jour. Le Gouvernement s’est inquiété auprès de la Rapporteuse spéciale de cette statistique alarmante.

55.La France a adopté un plan national intitulé « Plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018-2022) », dont les objectifs sont les suivants : augmenter le nombre de logements abordables de 40 000 unités chaque année ; créer, à l’intention des personnes sans abri, 10 000 logements supplémentaires, gérés par les organismes de protection sociale et adaptés aux besoins des familles, des personnes isolées et des personnes ayant besoin d’un soutien thérapeutique ; améliorer la collecte de données afin de comprendre les besoins des personnes sans abri ; fournir un logement à long terme aux personnes sans abri.

56.Après avoir examiné le Plan, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées recommande, pour réduire sensiblement le nombre de sans-abri, de prendre également les mesures ci-après : donner à toutes les personnes démunies un accès effectif et inconditionnel à un hébergement d’urgence, réduire le nombre des personnes en attente de relogement au titre de la loi instituant un droit au logement opposable et mobiliser des ressources financières suffisantes et le personnel qualifié requis pour apporter le soutien social, médical, psychologique et juridique nécessaire à la mise en œuvre du plan.

57.La France a augmenté le budget annuel consacré à l’hébergement d’urgence, passé de 305 millions d’euros en 2012 à 820 millions d’euros en 2017, et a considérablement accru les investissements dans le logement assorti d’un accompagnement social. Au total, dans le budget national de 2018, plus de 2 milliards d’euros ont été consacrés à la lutte contre le sans-abrisme.

58.Si elle salue les efforts du Gouvernement, la Rapporteuse spéciale craint que le Plan ne s’attaque pas véritablement aux causes systémiques du sans-abrisme et du mal-logement, comme le requiert la prévention et l’éradication du sans-abrisme.

59.En France, le système de l’hébergement est guidé par le principe de l’accès universel et inconditionnel à l’hébergement de toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Pour bénéficier de ce système, la première étape consiste à appeler le numéro d’urgence 115. Depuis 1997, les personnes à la recherche d’informations sur les services, les hébergements d’urgence et les centres d’accueil de jour, ou qui ont besoin de soins de santé, d’une aide alimentaire ou d’une douche peuvent appeler le 115 gratuitement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an.

60.Aujourd’hui, le service du 115 est submergé par une demande croissante, bien que le Gouvernement ait doublé, en cinq ans, le nombre de places disponibles en hébergement d’urgence, le faisant passer de 75 347 en 2012 à 136 889 en 2017. Pendant l’hiver 2016‑2017, il a pu n’être satisfait qu’à la moitié des demandes d’hébergement d’urgence. À Paris, il n’a pas pu être satisfait à 64 % des demandes, lesquelles émanaient pour moitié de familles. À Toulouse, la Rapporteuse spéciale a été informée qu’il n’était répondu qu’à 10 % des appels aux 115, et que parmi eux, seuls 29 % donnaient lieu à une offre d’hébergement.

61.La Rapporteuse spéciale a appelé le 115 à plusieurs reprises au cours de sa visite. Elle a attendu plus de vingt minutes à chaque fois, et a enfin pu parler à un interlocuteur à sa quatrième tentative, pour s’entendre dire qu’il n’y avait aucune place en hébergement d’urgence ce soir-là à Paris. Bien que le 115 soit très connu, les personnes démunies ont cessé d’y faire appel. Dans une enquête réalisée en 2017, 67 % des personnes vivant dans la rue n’avaient même jamais essayé d’appeler ce numéro ou y avaient renoncé. Pour 80 % des personnes prises en charge, la solution d’hébergement d’urgence n’était que d’une nuit (E/C.12/FRA/CO/4, par. 35), ce qui les obligeait, le lendemain matin, à recommencer entièrement la procédure du 115. Non seulement le dispositif crée une forte instabilité chez les sans-abri, mais il accapare également leur journée, puisqu’ils passent des heures à appeler le 115 dans l’espoir ténu de pouvoir, dans le meilleur des cas, dormir au chaud deux nuits de suite.

62.L’insuffisance du nombre de places d’urgence porte atteinte au droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence. La Rapporteuse spéciale s’est entretenue avec des femmes fuyant la violence domestique, avec de jeunes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexuels qui n’étaient plus les bienvenus au domicile familial, avec des familles de migrants et de réfugiés qui dormaient dans la rue et avec de nombreuses autres personnes qui ont appelé le 115 pendant des jours, voire des mois, avant d’obtenir une réponse. Tous lui ont confié leur désespoir de ne pouvoir faire valoir leur droit inconditionnel à un hébergement.

63.La Rapporteuse spéciale constate avec préoccupation que le Gouvernement se concentre davantage sur des solutions à court terme (gymnases et hôtels) que sur un dispositif de logement à long terme assorti de l’accompagnement social nécessaire. Ces hébergements de courte durée mal équipés ne sont pas à même de remplacer un logement, et parfois, les familles doivent être séparées pour pouvoir être hébergées. De plus, de nombreuses personnes qui bénéficient d’un hébergement pour l’hiver doivent, en avril, retourner dans la rue. À la fin de la période hivernale 2017-2018, 36 % des personnes ayant bénéficié d’un hébergement ne s’étaient vu proposer aucune autre solution durable de logement, en violation de l’article L345-2-3 du Code de l’action sociale et des familles et du droit à un logement convenable reconnu par le droit international.

64.La Rapporteuse spéciale juge également très préoccupant le recours aux chambres d’hôtel comme solution à long terme pour les personnes sans abri, un point de vue partagé par le Gouvernement, même si la mesure est toujours en place. Elle a rendu visite à plusieurs familles vivant à l’hôtel, dont une Guinéenne demandeuse d’asile, qui était hébergée, avec son nourrisson, dans une petite chambre humide et aveugle au rez-de-chaussée d’un hôtel, à côté des toilettes du bar, qui étaient régulièrement utilisées. Au cours de son effroyable voyage vers la France, cette personne avait subi des violences sexuelles et le bruit des allées et venues d’hommes aux toilettes ne faisait qu’aggraver son traumatisme.

65.La Rapporteuse spéciale a également rencontré une famille de cinq personnes, dont de jeunes enfants, hébergée depuis plus d’un an dans deux chambres d’hôtel non contiguës. Les enfants étant trop jeunes pour dormir seuls, toute la famille devait dormir dans une seule petite pièce. Elle avait accès à des salles de bain communes, mais ne disposait ni d’une cuisine ni d’une buanderie. Comme l’a dit clairement un résident : « Comment peut‑on se sentir chez soi dans une chambre d’hôtel ? ». Les familles doivent souvent déménager d’un hôtel à un autre, ce qui perturbe la scolarité des enfants et contribue à créer des tensions au sein des familles. Dans des cas extrêmes, les enfants sont placés dans des établissements de protection de l’enfance en raison des difficultés de logement que rencontrent leurs parents. Cette perspective provoque chez ces derniers un stress et une angoisse extrêmes.

66.La Rapporteuse spéciale a été heureuse d’apprendre qu’avec l’appui du Gouvernement, des associations de services sociaux dans huit villes, dont Bordeaux, Dijon, Lyon et Grenoble, ont entrepris des programmes de priorité au logement fondés sur un programme pilote affichant un taux de maintien dans le logement de 85 %. En outre, elle se réjouit que les personnes sans abri ou vivant dans des implantations sauvages aient le droit d’avoir une adresse officielle (domiciliation) afin de pouvoir bénéficier des prestations sociales et d’exercer d’autres droits. Elle est en revanche préoccupée par le fait que des centres d’aide sociale ont parfois refusé de délivrer un certificat de résidence aux personnes sans abri ou qui vivent dans des implantations sauvages, ce qui les prive d’accès à l’aide sociale.

B.Réfugiés et migrants

67.La Rapporteuse spéciale est vivement préoccupée par les conditions de logement et de vie des réfugiés et des migrants dans la région des Hauts-de-France, près de Calais, ainsi que dans d’autres campements informels, comme celui de la porte de la Chapelle à Paris. Elle n’est pas la seule. Le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, d’autres rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies et des organisations non gouvernementales ont exprimé à maintes reprises des préoccupations analogues. La Rapporteuse spéciale prend note des difficultés particulières que les autorités rencontrent face aux migrants présents dans la région et dont l’objectif est de passer au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Néanmoins, elle tient à souligner que toutes les personnes, y compris les migrants, doivent jouir du droit à un logement convenable et être protégées contre les expulsions forcées.

68.Le Gouvernement a eu recours à différentes tactiques qui ont provoqué un cercle vicieux d’expulsions forcées et d’augmentation du nombre de sans-abri et de campements de courte durée dans des endroits comme Calais ou la porte de la Chapelle. En octobre 2016, le démantèlement du grand campement informel situé près de Calais a concerné jusqu’à 8 000 migrants, qui ont été contraints de se disperser dans des campements de plus petite taille dont ils étaient expulsés (parfois toutes les quarante-huit heures). Si elles ont pour but de dissuader le développement d’implantations sauvages, ces tactiques ne font qu’aggraver des conditions de vie déjà totalement inacceptables. L’État doit prendre d’urgence des mesures pour mettre la situation en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.

69.Le Gouvernement a indiqué que le logement des réfugiés et des demandeurs d’asile restait une priorité en 2019 et la Rapporteuse spéciale félicite la France d’avoir doublé le nombre de places d’hébergement destinées aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, le faisant passer de 50 548 en 2014 à 107 183 en 2019. Malgré cette avancée, environ 19 000 réfugiés sont toujours hébergés dans des structures d’urgence. Actuellement, seule la moitié des demandeurs d’asile qui sollicitent un hébergement en bénéficieront. Un nombre croissant de demandeurs d’asile sont contraints de vivre dans la clandestinité en raison de leur statut d’immigration et doivent souvent supporter les pires conditions sans espoir d’obtenir un logement ou d’autres aides sociales.

70.La Rapporteuse spéciale a appris que les services intégrés d’accueil et d’orientation (« SIAO »), chargés de gérer les hébergements d’urgence, ont reçu pour instruction d’échanger des informations avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Cette instruction risque de pousser un peu plus dans la clandestinité les migrants et les réfugiés qui craignent d’être expulsés. En outre, elle n’est pas conforme aux directives internationales qui prévoient la mise en place de pare-feu de données efficaces et contraignants entre les services sociaux et les autorités chargées du contrôle de l’immigration (A/HRC/37/34/Add.1, principe 13, directive 4).

71.Le 7 novembre 2019, après la visite de la Rapporteuse spéciale, des migrants ont été expulsés d’un campement de la porte de la Chapelle. Environ 1 600 migrants ont été transportés en bus vers différents gymnases et centres d’hébergement d’urgence, le plus souvent contre leur volonté. Il s’agissait de la cinquante-neuvième expulsion d’un campement informel de migrants à Paris depuis 2015. Malgré la fréquence de ces expulsions, il est courant qu’après quelques semaines, les campements se reforment, du fait de nouveaux arrivants et parce que les solutions d’hébergement de substitution ne sont pas adaptées ou ne sont proposées que pour de courtes périodes. Un mois après leur expulsion de novembre 2019, seule la moitié des migrants bénéficiait d’un hébergement de longue durée. Plus de 800 personnes étaient toujours hébergées dans des abris d’urgence, tandis que 156 auraient quitté de leur propre gré ces abris.

72.En avril 2019, près de Calais et de Grande-Synthe, selon les estimations, 600 à 700 migrants et réfugiés vivaient sous des tentes et dans de petits campements, dans des conditions météorologiques difficiles, en ayant très peu accès aux hébergements d’urgence. Par exemple, à Calais, un seul centre d’hébergement d’urgence est resté ouvert vingt jours pendant la période hivernale, alors que la température devait descendre sous les 2 ºC.

73.Depuis le printemps 2017, une politique délibérée et systématique a été mise en place consistant à expulser régulièrement les personnes campant sur des terrains privés et publics dans cette zone. Du 1er janvier au 31 mars 2019, les organisations locales de défense des droits de l’homme ont recensé plus de 200 expulsions de campements. Ces expulsions avaient généralement lieu le matin, sans préavis, et des gaz lacrymogènes ont parfois été utilisés. La Rapporteuse spéciale a recueilli le témoignage de plusieurs personnes qui lui ont dit qu’elles étaient expulsées toutes les quarante-huit heures. Elles ont également indiqué qu’au moment de leur expulsion, elles n’étaient pas autorisées à replier leurs tentes ou à rassembler leurs affaires. En réalité, les tentes, les sacs de couchage et les effets personnels sont souvent détruits ou confisqués.

74.Les migrants et demandeurs d’asile expulsés de leur campement à Calais ne se voient généralement proposer que des places dans des centres d’accueil situés à plus de 75 kilomètres de là, alors qu’en application des normes internationales relatives aux droits de l’homme, ils devraient être relogés à proximité. Le caractère systématique des expulsions à répétition menées par la police est source de stress et d’angoisse extrêmes, et prive de sommeil une population déjà traumatisée.

75.Le 28 février 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans l’affaire Khan c. France (requête no 12267/16), que la non-prise en charge d’un mineur non accompagné, après le démantèlement des camps de fortune établis dans le secteur sud de la lande de Calais et la démolition de sa cabane, constituait une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), qui interdit les traitements inhumains et dégradants.

76.Les pratiques signalées à la Rapporteuse spéciale par des habitants de campements établis autour de Calais constituent une violation flagrante du droit à un logement convenable et d’autres droits de l’homme, tels que les droits à l’eau, à l’assainissement, à la santé, à l’alimentation et à l’intégrité physique. Le caractère systématique et répété de ces expulsions forcées donne à penser qu’elles constituent également un traitement cruel, inhumain ou dégradant d’un groupe de population parmi les plus vulnérables en France.

C.Gens du voyage

77.Le terme « Gens du voyage » est une catégorie administrative française qui désigne plusieurs groupes itinérants de nationalité française. Les gens du voyage font souvent l’objet d’une stigmatisation et d’une discrimination similaires à celles que subissent les Roms de nationalité étrangère. Au total, on estime qu’environ 206 000 personnes vivent dans des caravanes.

78.Si la Rapporteuse spéciale se félicite de la loi de 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui a supprimé l’obligation pour les gens du voyage d’être munis d’un titre de circulation, elle s’inquiète de plusieurs politiques qui portent atteinte à leur droit au logement.

79.En vertu de la loi « Besson » du 5 juillet 2000, les communes de plus de 5 000 habitants ont l’obligation de créer une aire permanente d’accueil sur laquelle les gens du voyage peuvent stationner avec leurs véhicules à moteur. À ce jour, toutes les communautés n’ont pas créé de telles aires. En région parisienne, seules 3 104 aires sur les 5 471 nécessaires ont été créées. Les communes affirment qu’elles se heurtent à des difficultés financières et à la résistance du public, peu favorable à la création de ces aires de stationnement pour caravanes. La loi, même lorsqu’elle est appliquée, pose problème car elle oblige les gens du voyage à séjourner sur des emplacements réservés, ce qui renforce la ségrégation spatiale et a pour effet que l’on construit moins de logements permanents. En l’absence d’autres possibilités, ces emplacements deviennent des solutions permanentes, alors qu’ils n’ont jamais été conçus pour des séjours de longue durée. Ils sont souvent situés loin des services publics et des établissements d’enseignement, à proximité d’autoroutes ou de zones industrielles, et sont mal desservis, ce qui présente des risques pour l’environnement ou la santé.

80.La plupart des communautés des gens du voyage s’orientent vers un mode de vie de plus en plus sédentaire. Pourtant, même s’ils possèdent un terrain ou ont accès à un terrain, les gens du voyage ont souvent des difficultés à être raccordés aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité, en particulier lorsque le terrain se situe en dehors d’une zone résidentielle officielle. Seules quelques communes ont créé des « terrains familiaux », où peuvent être associés des logements classiques, d’autres types de structures et des caravanes. En outre, la loi française ne reconnaît pas les caravanes en tant que logement, ce qui empêche leurs habitants de pouvoir prétendre aux allocations de logement et à la protection juridique accordées aux autres ménages, comme l’interdiction de couper l’approvisionnement en électricité et en eau pendant la période hivernale.

81.La Rapporteuse spéciale se félicite des initiatives respectueuses de la culture des gens du voyage que plusieurs communes ont prises dans le domaine du logement social, en concertation avec ces communautés, et recommande qu’on les renforce, car seuls 514 logements de ce type ont été mis à disposition entre 2005 et 2014.

V.Accès à la justice

82.La possibilité de faire valoir le droit au logement par un mécanisme accessible est un élément central de ce droit, comme l’a expliqué la Rapporteuse spéciale dans son rapport thématique (A/HRC/40/61).

83.En France, l’Agence nationale pour l’information sur le logement dispose d’un réseau de plus d’un millier de bureaux répartis sur l’ensemble du territoire, au sein duquel des avocats et des organisations de la société civile dispensent des conseils juridiques, généralement à titre gracieux. Elle gère également deux numéros d’urgence : le premier est destiné aux personnes qui souhaitent se plaindre d’un logement insalubre, le second a pour but d’aider les locataires et les propriétaires qui ont des retards dans le paiement de leurs loyers ou de leurs factures ou dans le remboursement de leur prêt hypothécaire. Les personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil ont droit à une aide juridique gratuite. S’il convient de saluer l’aide ainsi apportée, les barrières linguistiques et culturelles peuvent empêcher les migrants, les Roms et d’autres personnes sans abri d’accéder aux structures de soutien juridique.

84.Pour éviter que le système judiciaire ne soit submergé, les actions en justice intentées au titre de la loi instituant un droit au logement opposable sont, dans un premier temps, évaluées par des commissions de médiation, et un droit de recours devant le tribunal administratif est prévu. Le Conseil d’État est la juridiction qui statue en dernier ressort sur les recours. À ce jour, il a rendu plus de 140 décisions concernant l’interprétation de cette loi.

85.La Rapporteuse spéciale constate avec préoccupation que certaines décisions des tribunaux administratifs et du Conseil d’État ont limité le droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence et le droit au logement. Par exemple, le fait d’être sans abri n’est pas toujours considéré comme suffisant pour se voir accorder un hébergement d’urgence, les tribunaux ayant parfois exigé des demandeurs qu’ils démontrent qu’ils sont en outre en situation de détresse médicale, psychologique ou sociale. Dans certaines décisions, il a été affirmé que l’État était incapable, faute de moyens financiers, de proposer un hébergement d’urgence ou un logement adéquat. La Rapporteuse spéciale rappelle aux autorités qu’il ne peut généralement être dérogé aux droits de l’homme sur le fondement de la disponibilité de fonds ou de moyens. Le sans-abrisme menace le droit à la vie, à la santé et à l’intégrité physique et doit se voir accorder une priorité absolue, y compris en période de pressions budgétaires.

86.La Rapporteuse spéciale salue l’action du Défenseur des droits, qui reçoit les plaintes relatives au droit au logement et apporte un soutien aux victimes dont les droits ont été ou risquent d’être violés. Le Défenseur rend aussi des avis juridiques auprès des tribunaux dans le cadre de décisions de justice et formule des recommandations sur des projets de loi. Il mène également des enquêtes officielles sur les violations alléguées de droits de l’homme, y compris le droit au logement.

87.La France dispose de mécanismes de suivi et de conseil efficaces pour la réalisation du droit au logement. La Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées contrôlent la réalisation de ce droit. Des organisations de la société civile, telles que la Fondation Abbé Pierre, qui publie un rapport annuel sur le logement, complètent leur action.

88.La Rapporteuse spéciale félicite la France d’avoir accepté la procédure de réclamation collective devant le Comité européen des droits sociaux. Le Comité a été informé que plusieurs réclamations avaient été déposées contre la France, concernant l’expulsion, l’attribution de logements sociaux et l’insuffisance des progrès réalisés en vue d’éradiquer le sans-abrisme et l’habitat indigne, sur le plan quantitatif comme qualitatif (réclamations nos 33/2006, 39/2006, 51/2008, 63/2010, 64/2011, 67/2011 et 119/2015). Il a également estimé (décision no 114/2015) que le fait de laisser des mineurs étrangers non accompagnés à la rue est contraire aux droits des enfants et que l’hébergement de mineurs étrangers non accompagnés dans des hôtels pendant des semaines, voire des mois, ne peut être considéré comme approprié. En décembre 2018, le Comité a examiné la suite donnée par la France à ses décisions. S’il a noté que des efforts avaient été faits pour améliorer la situation des sans-abri, des Roms et des gens du voyage en matière de logement, il a en revanche considéré qu’il n’avait pas été remédié de manière adéquate aux violations liées au droit au logement.

89.Dans l’affaire Winterstein et autres c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’expulsion, dans le Val d’Oise, de plusieurs familles de gens du voyage avait constitué une violation de l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire Tchokontio Happi c. France, la Cour a considéré que le Gouvernement avait violé le droit de la requérante à un procès équitable en ne la relogeant pas, conformément à la loi sur le droit au logement opposable, pendant plus de trois ans après qu’elle a été admise au bénéfice de cette loi, et que le Gouvernement ne pouvait invoquer le manque de ressources pour justifier ce retard.

VI.Conclusion et recommandations

90. Les conditions de logement dans lesquelles vivent les personnes vulnérables et marginalisées en France sont indignes d’une nation attachée de longue date à promouvoir les droits de l’homme et qui occupe actuellement le septième rang des pays les plus riches de la planète. Face à la hausse des prix des logements et des loyers, l’accessibilité économique du logement est devenue un problème important. Dans les zones métropolitaines, l’offre de logements sociaux destinés aux personnes démunies est insuffisante. Les personnes vivant dans des implantations sauvages sont souvent privées des services de base et sont régulièrement expulsées. Le nombre de sans-abri augmente à un rythme soutenu à mesure que s’aggrave la pénurie d’hébergements d’urgence et de logements à long terme. Les migrants qui fuient les conflits civils ou l’extrême pauvreté et qui vivent dans des conditions extrêmes font peser une pression supplémentaire sur les autorités nationales et locales, qui doivent mettre à la disposition de chacun un logement adéquat et abordable. Cette situation, notamment les obstacles à l’accès à la justice et l’ouverture du marché du logement aux investisseurs privés, met le secteur du logement sous tension, malgré les efforts des autorités. Le Gouvernement doit immédiatement prendre des mesures pour que le droit de chacun à un logement convenable soit pleinement respecté et exercé par tous.

91. Il convient de féliciter la France d’avoir inscrit le droit au logement dans son ordre juridique interne. La Rapporteuse spéciale note avec satisfaction que la France a adopté des lois et mis en place des politiques et des programmes qui visent à garantir le droit à un logement convenable. Par exemple, la loi instituant un droit au logement opposable consacre la justiciabilité de ce droit, un numéro national a été mis en place pour faciliter l’accès aux services d’urgence et des ressources importantes sont traditionnellement allouées au logement social et aux allocations de logement, ce qui fait de la France l’un des pays de l’Union européenne qui dépensent le plus dans ce domaine. La France doit redoubler d’efforts pour faire en sorte que son engagement en faveur du droit à un logement convenable touche toutes les personnes, en particulier les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés.

92. À cet égard, la Rapporteuse spéciale recommande au Gouvernement français :

a) De revoir sa stratégie nationale en matière de logement, à savoir le Plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018-2022), et d’y apporter les modifications nécessaires pour qu’elle soit pleinement conforme au droit international des droits de l’homme et aux obligations qui en découlent, comme exposé dans le rapport de la Rapporteuse spéciale sur cette question (A/HRC/37/53) ;

b) De renforcer la coopération et la coordination entre les autorités nationales, régionales et locales pour ce qui est de la lutte contre le sans-abrisme et d’autres violations du droit au logement ;

c) En ce qui concerne le logement social et subventionné :

i) D’annuler immédiatement la décision de réduire les dépenses de logement social, qui constitue une mesure rétrograde contraire au droit international des droits de l’homme ;

ii) De conserver et de rénover, le cas échéant, les logements sociaux, et de veiller à ce que les ressources nécessaires pour élargir l’offre de logements sociaux et répondre à la demande soient disponibles ;

iii) D’interdire la vente de logements sociaux à des entités financières telles que des sociétés de capital-investissement ou de gestion des biens privées, en particulier dans les zones connues pour avoir un marché du logement tendu ;

iv) De veiller à ce que les allocations de logement soient fixées à des niveaux proportionnels au revenu des ménages et aux coûts des logements régionaux, de sorte que les bénéficiaires ne soient pas contraints de consacrer plus d’une part raisonnable de leur revenu au logement ;

d) De mieux faire appliquer la loi instituant le droit au logement opposable pour que les candidats au logement social ou au relogement jugés prioritaires se voient proposer, dans un délai de six mois, un logement décent et abordable, à proximité de leur lieu de résidence actuel ; à cette fin :

i) De renforcer encore l’investissement dans le logement social, en particulier pour les plus défavorisés, à titre prioritaire ;

ii) D’imposer des amendes plus lourdes aux autorités infranationales qui ne construisent pas suffisamment de logements sociaux, et de prévoir expressément l’obligation de construire de nouveaux logements sociaux, de sorte que le paiement d’amendes ne puisse se substituer à la réalisation effective du droit au logement ;

iii) De trouver des moyens innovants pour renforcer l’efficacité de la loi instituant le droit au logement opposable, par exemple en augmentant le nombre de logements loués ou acquis autrement sur le marché privé, de sorte que les personnes inscrites sur une liste prioritaire depuis un temps anormalement long soient logées immédiatement ;

e) Afin de lutter contre le sans-abrisme :

i) D’inscrire dans le droit interne des politiques et des programmes visant principalement à éradiquer le sans-abrisme d’ici à 2030, conformément aux engagements pris au titre de la cible 11.1 des objectifs de développement durable, notamment en recensant les causes structurelles de ce phénomène et en s’y attaquant, et en suivant, dans toutes les administrations publiques du territoire, une approche solidement ancrée dans le principe du « logement d’abord » ;

ii) De faire en sorte, dans un délai raisonnable, qu’il soit répondu immédiatement à toutes les demandes d’hébergement d’urgence transmises par l’intermédiaire du numéro d’urgence 115 et que les personnes qui font appel à ce service se voient proposer un hébergement, selon leurs besoins, ce qui suppose d’augmenter le nombre d’hébergements d’urgence de courte durée assortis de services d’accompagnement afin de répondre aux besoins de chaque région, de maintenir les centres d’accueil ouverts toute l’année et d’autoriser les personnes qui y sont hébergées à y rester jusqu’à ce que des solutions de logement à plus long terme leur soient proposées ;

iii) De veiller à ce que les centres d’hébergement d’urgence soient accessibles à toute personne dont on peut considérer qu’elle est sans abri, sans qu’elle ne soit tenue de répondre à d’autres critères, et de faire en sorte que les personnes qui se rendent dans ces centres se voient proposer, le plus rapidement possible, des solutions de logement stables et à long terme, dans le parc public ou privé, ainsi qu’un accompagnement approprié ; de veiller à ce que les hôtels ne soient pas utilisés comme des logements de longue durée car ils ne répondent aux exigences du droit international des droits de l’homme ;

iv) De veiller à ce que le fait d’être sans abri ou de ne pas avoir d’adresse fixe ne soit pas utilisé pour refuser aux personnes ou aux familles l’accès aux prestations et aux services sociaux ;

f) De reconnaître sur les plans des lois, des politiques et de la pratique que le droit à un logement convenable s’étend à toutes les personnes, quel que soit leur statut d’immigration, notamment de veiller à ce toutes les personnes qui en ont besoin se voient proposer un hébergement d’urgence, quel que soit ce statut ; de mettre en place des pare-feu contraignants et sécurisés, afin que les centres de services ne communiquent pas les données de leurs clients aux services d’immigration, faute de quoi le nombre de migrants et de demandeurs d’asile sans abri et n’osant pas chercher refuge auprès des institutions sociales de peur d’être expulsés ne fera qu’augmenter ;

g) D’encadrer le marché privé, notamment par des mesures législatives, afin de :

i) Freiner la spéculation immobilière et la transformation de logements privés en locations touristiques, de sorte que les logements existants et les logements neufs soient principalement occupés par des résidents locaux ;

ii) Revoir les dispositifs existants d’encadrement des loyers pour faire en sorte que la hausse des loyers ne puisse être supérieure au taux d’inflation annuel ;

iii) Renforcer les contrôles des logements par les organismes publics et faire davantage respecter la législation obligeant les propriétaires à se conformer à la réglementation en matière de logement, de santé et de sécurité, et sanctionner lourdement, voire envisager d’exproprier les propriétaires qui ne s’acquittent pas systématiquement de cette responsabilité, compromettant ainsi le bien-être de leurs locataires ;

h) En ce qui concerne les implantations sauvages :

i) De mettre immédiatement fin à la pratique consistant à refuser les services de base en vue de freiner le développement des implantations sauvages et de reconnaître dans la loi les caravanes en tant que forme possible de logement ;

ii) De garantir la sécurité d’occupation et l’accès aux services de base dans toutes les implantations sauvages, conformément au droit international des droits de l’homme et en consultation avec les communautés concernées, comme l’a recommandé la Rapporteuse spéciale dans un rapport récent (A/73/310/Rev.1) ;

iii) D’imposer un moratoire sur toute expulsion forcée, y compris de migrants en situation irrégulière vivant dans des bâtiments abandonnés, des tentes ou des structures de fortune sur les trottoirs ou sur des terrains publics, jusqu’à ce que le cadre juridique national régissant les expulsions soit rendu pleinement conforme au droit international des droits de l’homme et aux directives internationales en matière d’expulsion ;

i) D’interdire par la loi toute expulsion légale, y compris pour des arriérés de loyer ou de crédits hypothécaires, qui provoquera une situation de sans-abrisme ; d’assortir l’expulsion, lorsqu’elle ne peut être empêchée ou évitée, de solutions de relogement ou de réinstallation adaptées, conformément au droit à un logement convenable consacré par le droit international des droits de l’homme, par l’accueil dans un hébergement d’urgence suffisant et adapté, puis par la proposition de solutions de logement à long terme, à proximité raisonnable du domicile initial ;

j) De continuer à subventionner et à soutenir l’amélioration des conditions de logement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, tout en veillant à ce que les améliorations apportées dans ces quartiers ne conduisent pas à leur embourgeoisement et au déplacement des résidents actuels ;

k) D’assurer, en application des droits à la non-discrimination et à l’égalité, la protection de chacun, y compris des migrants, des demandeurs d’asile, des communautés de Roms et de gens du voyage et des familles monoparentales, contre la discrimination au logement, sous toutes ses formes ; de redoubler d’efforts pour garantir que les habitants de quartiers prioritaires de la politique de la ville ne soient pas victimes de discrimination fondée sur leur lieu de résidence ;

l) De modifier les règles de construction de telle sorte qu’une proportion suffisante de tous les logements neufs, privés ou publics, soit pleinement adaptée pour permettre aux personnes handicapées de vivre de manière autonome dans leur communauté, et de développer les programmes qui visent à rendre le parc de logements existants accessible et à l’adapter ;

m) De mettre en œuvre les recommandations, les décisions et les jugements relatifs au droit au logement et aux droits connexes émanant du Défenseur des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées , du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations Unies, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme .

Appendice

Institutions publiques consultées lors de la visite de la Rapporteuse spéciale :

Ministère de la cohésion des territoires

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Ministère des solidarités et de la santé

Ministère de l’intérieur

Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL)

Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD)

Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNDH)

Défenseur des droits

Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Observatoire national de la politique de la ville (ONPV)

Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES)

Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE)

Maire de Paris

Maire de Clichy-sous-Bois

Représentants des villes de Grande-Synthe et de Toulouse

Sous-Préfecture de Calais

Service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) à Paris et à Toulouse

Paris Habitat

Représentant en France du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).