Chapitre

Résumé

Compétence et activités

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Sessions du Comité

Élections, composition et participation aux sessions

Engagement solennel

Élection du Bureau

Rapporteurs spéciaux

Modification des directives unifiées concernant les rapports des États parties et modification du Règlement intérieur

Groupes de travail

Séance commémorative pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de l’entrée en vigueur du Pacte

Activités des autres organes de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme

Réunion avec les États parties

Dérogations au titre de l’article 4 du Pacte

Observations générales au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte

Ressources humaines

Publicité donnée aux travaux du Comité

Documents et publications relatifs aux travaux du Comité

Réunions futures du Comité

Adoption du rapport

Méthodes de travail du Comité au titre de l’article 40 du Pacte : faits nouveaux

Décisions récentes concernant les procédures

Observations finales

Liens avec d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et d’autres organes conventionnels

Coopération avec d’autres organismes des Nations Unies

Présentation de rapports par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Rapports soumis au Secrétaire général d’août 2000 à juillet 2001

Rapports en retard et non-exécution par les États parties de leurs obligations au regard de l’article 40

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Trinité-et-Tobago

Danemark

Argentine

Gabon

Pérou

Venezuela

République dominicaine

Ouzbékistan

Croatie

République arabe syrienne

Pays-Bas

République tchèque

Monaco

Guatemala

République populaire démocratique de Corée

Examen des communications reçues conformément aux dispositions du Protocole facultatif

État des travaux

Augmentation du nombre d’affaires soumises au Comité en vertu du Protocole facultatif

Méthodes d’examen des communications présentées en vertu du Protocole facultatif

Opinions individuelles

Aperçu des décisions déclarant des communications recevables

Questions examinées par le Comité

Réparations demandées par le Comité dans ses constatations

Activités de suivi des constatations au titre du Protocole facultatif

Annexes

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aux Protocoles facultatifs, et États qui ont fait la déclaration prévue à l’article 41 du Pacte à la date du 27 juillet 2001

États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

États parties au premier Protocole facultatif

États parties au deuxième Protocole facultatif, relatif à l’abolition de la peine de mort

États qui ont fait la déclaration prévue à l’article 41 du Pacte

Membres et Bureau du Comité des droits de l’homme, 2000-2001

Membres du Comité des droits de l’homme

Bureau

A.Directives unifiées concernant les rapports présentés par les États parties conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (telles qu’elles ont été modifiées lors de la soixante-dixième session du Comité)

B.Règlement intérieur du Comité des droits de l’homme (tel qu’il a été modifié officiellement lors de la soixante et onzième session du Comité)

Rapports et renseignements supplémentaires soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte

Rapports examinés pendant la période considérée et rapports restant à examiner par le Comité

Observation générale adoptée par le Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Observation générale No 29 relative à l’article 4

Liste des délégations des États parties qui ont participé à l’examen de leur rapport par le Comité des droits de l’homme à ses soixante-dixième, soixante et onzième et soixante-douzième sessions

Liste des documents parus pendant la période visée par le rapport

Extraits de la contribution du Comité à la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée

Page

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

1

Communication No 547/1993, Mahuika et consorts c. Nouvelle-Zélande (constatations adoptées le 27 octobre 2000, soixante-dixième session)

1

Appendice

19

Communication No 630/1995, Mazou c. Cameroun (constatations adoptées le 26 juillet 2001, soixante-douzième session)

20

Communication No 675/1995, Toala et consorts c. Nouvelle-Zélande (constatations adoptées le 2 novembre 2000, soixante-dixième session)

25

Appendice

37

Communication No 687/1996, Rojas García c. Colombie (constatations adoptées le 3 avril 2001, soixante et onzième session)

39

Appendice

46

Communication No 727/1996, Paraga c. Croatie (constatations adoptées le 4 avril 2001, soixante et onzième session)

48

Communication No 736/1997, Ross c. Canada (constatations adoptées le 18 octobre 2000, soixante-dixième session)

58

Appendice

77

Communication No 790/1997, Cheban c. Fédération de Russie (constatations adoptées le 24 juillet 2001, soixante-douzième session)

78

Communication No 806/1998, Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines (constatations adoptées le 18 octobre 2000, soixante-dixième session)

82

Appendice

90

Communication No 818/1998, Sextus c. Trinité-et-Tobago (constatations adoptées le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

101

Appendice

111

Communication No 819/1998, Kavanagh c. Irlande (constatations adoptées le 4 avril 2001, soixante et onzième session)

112

Appendice

127

Communication No 821/1998, Chongwe c. Zambie (constatations adoptées le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)

128

Communication No 833/1998, Karker c. France (constatations adoptées le 26 octobre 2000, soixante-dixième session)

135

Communications Nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998, Mansaraj et consorts c. Sierra Leone, Gborie et consorts c. Sierra Leone, Sesay et consorts c. Sierra Leone (constatations adoptées le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

144

Communication No 846/1999, Jansen-Gielen c. Pays-Bas (constatations adoptées le 3 avril 2001, soixante et onzième session)

148

Appendice

154

Communication No 855/1999, Schmitz-de-Jong c. Pays-Bas (constatations adoptées le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

155

Communication No 857/1999, Blazek et consorts c. République tchèque (constatations adoptées le 12 juillet 2001, soixante-douzième session)

158

Appendice

164

Communication No 858/1999, Buckle c. Nouvelle-Zélande (constatations adoptées le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)

165

Communication No 869/1999, Piandiong et consorts c. Philippines (constatations adoptées le 19 octobre 2000, soixante-dixième session)

171

Appendice

178

Communication No 884/1999, Ignatane c. Lettonie (constatations adoptées le 25 juillet 2001, soixante-douzième session)

181

Communication No 930/2000, Winata c. Australie (constatations adoptées le 26 juillet 2001, soixante-douzième session)

189

Appendice

201

Décisions du Comité des droits de l’homme déclarant irrecevables des communications présentées en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

204

Communication No 762/1997, Jensen c. Australie (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)

204

Communication No 787/1997, Gobin c. Maurice (décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

214

Appendice

218

Communication No 791/1997, Singh c. Nouvelle-Zélande (décision adoptée le 12 juillet 2001, soixante-douzième session)

220

Communication No 808/1998, Rogl c. Allemagne (décision adoptée le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)

233

Communication No 822/1998, Vakoumé c. France (décision adoptée le 31 octobre 2000, soixante-dixième session)

241

Communication No 831/1998, Meiers c. France (décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

246

Communication No 832/1998, Walravens c. Australie (décision adoptée le 25 juillet 2001, soixante-douzième session)

251

Appendice

256

Communication No 834/1998, Kehler c. Allemagne (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)

257

Communication No 866/1999, Torregrosa Lafuente et consorts c. Espagne (décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)

261

Appendice

267

Communication No 905/2000, Asensio López c. Espagne (décision adoptée le 23 juillet 2001, soixante-douzième session)

268

Communication No 935/2000, Mahmoud c. Slovaquie (décision adoptée le 23 juillet 2001, soixante-douzième session)

271

Communication No 947/2000, Hart c. Australie (décision adoptée le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)

277

Communication No 948/2000, Devgan c. Canada (décision adoptée le 30 octobre 2000, soixante-dixième session

281

Communication No 949/2000, Keshavjee c. Canada (décision adoptée le 2 novembre 2000, soixante-dixième session)

283

Communication No 952/2000, Parun et Bulmer c. Nouvelle-Zélande (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)

286

Communication No 963/2001, Uebergang c. Australie (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)

289

Communication No 991/2001, Neremberg c. Allemagne (décision adoptée le 27 juillet 2001, soixante-douzième session)

292

Annexe X

Constatations du Comité des droits de l’hommeau titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civils et politiques

A.Communication No 547/1993,Mahuika et consorts c. Nouvelle-Zélande(constatations adoptées le 27octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.

Le texte d’une opinion individuelle d’un membre du Comité est joint au présent document.

Présentée par :Apirana Mahuika et consorts(représentés par le Maori Legal Service)

Au nom :Des auteurs

État partie :Nouvelle-Zélande

Date de la communication :10 décembre 1992 (lettre initiale)

Décisions antérieures :–Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 14 juin 1993 (non publiée sous forme de document)

–CCPR/C/55/D/547/1993, décision sur la recevabilité, 13 octobre 1995

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 574/1993 présentée par Apirana Mahuika et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont Apirana Mahuika et 18 autres particuliers, appartenant au peuple maori de la Nouvelle-Zélande. Ils affirment être victimes de violations par la Nouvelle-Zélande des dispositions des articles 1, 2, 16, 18, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil. Le Pacte est entré en vigueur pour la Nouvelle-Zélande le 28 mars 1979 et le Protocole facultatif le 26 août 1989.

2.À sa cinquante-cinquième session, le Comité des droits de l’homme a examiné la recevabilité de la communication et a conclu que les conditions prévues au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif ne lui interdisaient pas d’examiner la communication. Il a toutefois déclaré irrecevables les allégations des auteurs au titre des articles 16, 18 et 26 du Pacte du fait qu’ils n’avaient pas démontré, aux fins de la recevabilité, que les droits que leur confèrent lesdits articles avaient été violés.

3.Lorsqu’il a déclaré que les autres allégations des auteurs étaient recevables dans la mesure où elles pouvaient soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 27, lus conjointement avec l’article premier du Pacte, le Comité a noté que seul l’examen de l’affaire quant au fond lui permettrait de déterminer le champ d’application de l’article premier au regard des revendications des auteurs au titre de l’article 27.

4.Dans leurs observations concernant la recevabilité, les deux parties ont largement exposé leurs points de vue sur le fond des allégations dont le Comité est saisi. Après que la communication a été déclarée recevable, l’État partie a présenté de nouvelles observations, au sujet desquelles les auteurs n’ont pas fait de commentaires.

Rappel des faits

5.1La population maorie de Nouvelle-Zélande compte environ 500 000 personnes, dont 70% sont membres de l’une au moins des 81 iwi . Les auteurs appartiennent à sept iwi différentes (dont deux sont parmi les plus importantes et qui rassemblent au total plus de 140 000 Maoris), qu’ils affirment représenter. En 1840, les Maoris et le prédécesseur du Gouvernement néo-zélandais, la Couronne britannique, ont signé le Traité de Waitangi qui énonçait les droits des Maoris, y compris leur droit à l’autodétermination et leur droit de contrôler les pêches tribales. Dans le deuxième article du Traité, la Couronne garantit aux Maoris :

« Le droit intégral, exclusif et incontesté, de posséder leurs terres, forêts, pêches et autres biens qu’ils peuvent posséder collectivement ou individuellement tant qu’ils désireront les conserver en leur possession... »

Le Traité de Waitangi n’est exécutoire en droit néo-zélandais que dans la mesure où il acquiert force de loi, en tout ou en partie, en vertu d’une loi adoptée par le Parlement. Toutefois, il impose des obligations à la Couronne, et le tribunal créé en application du Traité est habilité à enquêter sur les plaintes concernant des droits protégés par l’instrument.

5.2Rien n’avait été fait pour tenter de déterminer les limites des pêches avant l’introduction du système de quotas dans les années 80. Ce système, qui est le mécanisme fondamental de préservation des ressources halieutiques du pays et de réglementation de la pêche commerciale en Nouvelle-Zélande, consiste à attribuer des droits de propriété permanents et cessibles, sous forme de quotas, pour chaque espèce commerciale visée par le système.

5.3L’industrie de la pêche en Nouvelle-Zélande avait connu une croissance spectaculaire au début des années 60 à la suite de l’extension d’une zone exclusive de pêche de 9, puis 12 milles. À cette époque, tous les Néo-Zélandais, y compris les Maoris, pouvaient obtenir un permis de pêche commerciale. Les Maoris, les moins nombreux des pêcheurs commerciaux, étaient pour la plupart des pêcheurs à temps partiel. Au début des années 80, ayant constaté que la pêche côtière entraînait une surexploitation des ressources halieutiques, le Gouvernement a suspendu l’octroi de nouveaux permis de pêche commerciale et exclu les pêcheurs à temps partiel. Cette mesure a eu pour conséquence fortuite d’écarter de nombreux pêcheurs maoris de la pêche commerciale. Les initiatives prises n’ayant pas donné les résultats escomptés, en 1986, le Gouvernement a modifié la loi sur les pêches alors en vigueur et introduit un système de quotas pour l’utilisation et l’exploitation commerciales des pêches du pays. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 88 de cette loi : « rien dans la présente loi ne porte atteinte aux droits de pêche des Maoris ». En 1987, les tribus maories, qui avaient introduit un recours auprès de la Haute Cour de Nouvelle-Zélande, affirmant que l’application du système de quotas porterait atteinte à leurs droits tribaux énoncés dans le Traité, en violation du paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches, ont obtenu des jugements avant dire droit contre le Gouvernement.

5.4En 1988, le Gouvernement a ouvert des négociations avec les Maoris, représentés par quatre représentants. Les Maoris ont donné à leurs représentants mandat de négocier pour obtenir 50% de toutes les pêches commerciales néo-zélandaises. En 1989, à la suite de négociations et en tant que mesure intérimaire, les Maoris ont accepté l’adoption de la loi sur les pêches maories (Maori Fisheries Act) qui prévoyait le transfert immédiat de 10% des quotas à une Commission des pêches maories (Maori Fisheries Commission) qui administrerait les ressources au nom des tribus. Cela permettait d’introduire dans les délais prévus le système de quotas. Conformément à la loi, les Maoris peuvent aussi demander à gérer la pêche dans des zones ayant traditionnellement, pour une tribu ou un clan, une importance particulière en tant que moyen de subsistance ou d’un point de vue spirituel.

5.5Bien que la loi sur les pêches maories de 1989 fût conçue uniquement à titre de mesure provisoire, les possibilités d’acquérir sur le marché une part plus importante des quotas étaient limitées. En février 1992, les Maoris ont appris que la Sealords, la plus grande société de pêche en Australie et en Nouvelle-Zélande, allait probablement être mise en vente dans l’année. Les négociateurs maoris et la Commission des pêches maories ont demandé au Gouvernement de financer l’achat de la Sealords en guise de règlement partiel des questions liées au Traité de Waitangi (plaintes concernant les pêches). Le Gouvernement a d’abord refusé la proposition, mais après la publication, en août 1992, du rapport du tribunal créé en application dudit traité sur la pêche en mer de la tribu Ngai Tahu – selon lequel cette tribu, la plus grande dans l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, avait un droit d’exploitation d’une proportion raisonnable des pêches en eau profonde – il a décidé d’engager des négociations. Celles-ci ont abouti à la signature, le 27 août 1992, d’un Mémorandum d’accord entre le Gouvernement et les négociateurs maoris.

5.6Selon ce Mémorandum, le Gouvernement fournirait aux Maoris les fonds nécessaires pour acheter 50% de la plus importante société de pêche néo-zélandaise, la Sealords, qui détenait 26% des quotas de pêche disponibles à l’époque. En retour, les Maoris mettraient un terme à toute action en instance et appuieraient l’abrogation du paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches ainsi qu’un amendement à la loi sur le Traité de Waitangi (Treaty of Waitangi Act) de 1975 ayant pour effet d’exclure de la compétence du tribunal créé en application de ce Traité toute réclamation concernant la pêche commerciale. La Couronne convenait également d’attribuer 20% des quotas accordés pour de nouvelles espèces intégrées au système de quotas à la Commission des pêches maories et de garantir aux Maoris la possibilité de participer à « tous organes réglementaires compétents en matière de gestion et de mise en valeur des ressources halieutiques ». En outre, à propos des pêches non commerciales, la Couronne convenait d’autoriser l’élaboration, après consultation des Maoris, de règlements reconnaissant et définissant les moyens de subsistance coutumiers ainsi que les liens particuliers entre les Maoris et les lieux où ils trouvaient cette subsistance.

5.7Les négociateurs maoris ont demandé aux Maoris de leur conférer un mandat pour qu’ils puissent conclure le contrat prévu dans le Mémorandum d’accord. Le Mémorandum et ses incidences ont été débattus au cours d’un hui national et de hui qui ont eu lieu dans 23 marae répartis dans tout le pays. Il ressortait du rapport des négociateurs maoris que 50 iwi, représentant 208 681 Maoris, étaient favorables à l’accord. Ce rapport permettait à la Couronne de considérer qu’un mandat avait bien été conféré en ce qui concerne le règlement et, le 23 septembre 1992, un Accord de règlement (Deed of Settlement) a été signé par le Gouvernement néo-zélandais et les représentants des Maoris. Ce texte porte application des dispositions du Mémorandum d’accord et vise non seulement les pêches en mer mais aussi toutes les pêches en eau douce et dans les eaux intérieures. En application de cet instrument, le Gouvernement verse aux tribus maories une somme de 150 millions de dollars néo-zélandais pour développer leur industrie de la pêche et donne aux Maoris 20% des nouveaux quotas pour les espèces. Les Maoris ne pourront plus faire valoir leurs droits de pêche devant les tribunaux, la question faisant dorénavant l’objet de règlements. Le paragraphe 5.1 de l’Accord est ainsi libellé :

« Les Maoris conviennent que le présent Accord et le règlement dont il est la preuve règlent toutes réclamations – actuelles et futures – concernant tous les droits et intérêts, en matière de pêche commerciale, des Maoris pour ce qui est de la pêche en mer, de la pêche côtière ou de la pêche dans les eaux intérieures (y compris tout aspect commercial des droits et intérêts traditionnels concernant la pêche), qu’ils découlent de règlements, de la common law (y compris du droit coutumier et des titres aborigènes), du Traité de Waitangi, ou autre, – et éteignent lesdits droits et intérêts –, que ces droits et intérêts aient fait ou non l’objet de recommandations ou de décisions des tribunaux ou du tribunal constitué en application du Traité de Waitangi. »

Le paragraphe 5.2 se lit comme suit :

« La Couronne et les Maoris conviennent, s’agissant des droits et intérêts des Maoris en matière de pêche autres que leurs droits et intérêts en matière de pêche commerciale, de ne plus reconnaître de droits pour les Maoris ni d’obligations pour la Couronne ayant force exécutoire au civil ou susceptibles d’être invoqués au pénal ou dans toute autre procédure. Ils ne seront plus reconnus sur le plan législatif. Lesdits droits et intérêts ne sont pas éteints par le présent accord et le règlement dont il est la preuve. Ils demeurent soumis aux principes consacrés dans le Traité de Waitangi et, le cas échéant, sont source d’obligations pour la Couronne, conformément audit Traité. Ces questions peuvent également faire l’objet de requêtes adressées par les Maoris au Gouvernement ou d’initiatives prises de la part du Gouvernement en consultation avec les Maoris en vue de mettre au point des politiques qui contribuent à reconnaître les pratiques des Maoris en matière d’utilisation et de gestion dans l’exercice de leurs droits traditionnels. »

Il était dit dans l’Accord de règlement que la Commission des pêches maories serait rebaptisée « Commission des pêches du Traité de Waitangi » (Treaty of Waitangi Fisheries Commission), et serait responsable devant les Maoris et devant la Couronne afin de permettre aux Maoris de mieux exercer le contrôle des pêches garanties par le Traité de Waitangi.

5.8Selon les auteurs, le contenu du Mémorandum d’accord n’a pas toujours été convenablement présenté ou expliqué aux tribus et aux clans. Dans certains cas, par conséquent, l’adoption de décisions en connaissance de cause concernant les propositions contenues dans le Mémorandum d’accord a été sérieusement entravée. Les auteurs soulignent que si certains des hui étaient en faveur du marché proposé en ce qui concerne la Sealords, un nombre important de tribus et de clans soit y étaient totalement opposés, soit n’étaient prêts qu’à apporter un soutien conditionnel. Les auteurs notent de plus que les négociateurs maoris ont eu du mal à faire comprendre qu’ils n’avaient ni le pouvoir ni l’intention de représenter les tribus et les clans individuels à propos de quelque aspect que ce soit du contrat concernant la Sealords, y compris la conclusion et la signature de l’Accord de règlement.

5.9L’Accord de règlement a été signé par 110 signataires, à savoir les huit négociateurs maoris (les quatre représentants et leurs suppléants), dont deux agissaient au nom d’organisations représentant les Maoris en général; 31 plaignants dans des actions contre la Couronne portant sur les droits de pêche, dont les représentants de 11 iwi; 43 représentants de 17 iwi et 28 représentants de 9 iwi, qui ont signé l’Accord ultérieurement. Les auteurs font observer que l’une des difficultés que pose la détermination du nombre exact de tribus qui ont signé l’Accord de règlement touche à la vérification des pouvoirs de signer au nom des tribus et soutiennent qu’il semble bien qu’un certain nombre de signataires ne détenaient pas ces pouvoirs ou qu’il n’était pas certain qu’ils les détiennent. Les auteurs relèvent en outre que les tribus qui ont les droits les plus importants sur les pêches commerciales ne faisaient pas partie des signataires.

5.10Après la signature de l’Accord, les auteurs et d’autres ont engagé une action devant la Haute Cour de Nouvelle-Zélande en vue d’obtenir un jugement avant dire droit pour empêcher le Gouvernement d’appliquer l’Accord par voie législative. Ils ont fait notamment valoir que les mesures prises par le Gouvernement constituaient une violation de la loi sur la Charte des droits de Nouvelle-Zélande (Bill of Rights Act) de 1990. Déboutés le 12 octobre 1992, les auteurs ont alors introduit un recours contre cette décision auprès de la cour d’appel. Le 3 novembre 1992, celle-ci a rendu une décision selon laquelle elle n’était pas en mesure de faire droit à leur demande au motif que les tribunaux ne pouvaient s’immiscer dans les débats parlementaires et qu’aucune question n’avait à l’époque été soulevée au titre de la Charte des droits.

5.11Le recours a alors été porté devant le tribunal créé en application du Traité de Waitangi, qui a publié son rapport le 6 novembre 1992. Le tribunal y concluait que l’Accord n’était pas contraire au Traité sauf sur certains points qui pourraient être revus dans la législation prévue. À cet égard, le tribunal a estimé que l’extinction ou l’abrogation des intérêts en matière de pêche commerciale et non commerciale consacrés par le Traité n’était pas compatible avec ledit instrument ni avec les responsabilités fiduciaires du Gouvernement. Le tribunal a recommandé au Gouvernement de s’assurer que la législation ne contienne pas de dispositions prévoyant l’extinction des intérêts en matière de pêche commerciale et qu’en fait elle consacre ces intérêts et reconnaisse qu’ils ont été satisfaits, que les principes consacrés par le Traité sont opposables à la réglementation et aux politiques concernant les ressources halieutiques devant les tribunaux et que ces derniers sont habilités à tenir compte de l’Accord en cas de plaintes portant sur la législation en matière de gestion de la pêche commerciale.

5.12Le 3 décembre 1992, le Gouvernement a saisi le Parlement du projet de loi sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi (Treaty of Waitangi (Fisheries Claims) Settlement Bill). Du fait que le temps pressait pour présenter l’offre concernant la Sealords, le projet de loi n’a pas été renvoyé pour examen devant la commission compétente, mais a été immédiatement soumis et examiné au Parlement. Le projet de loi a été adopté le 14 décembre 1992. Le préambule de la loi contient ce qui suit :

« L’application de l’Accord par voie législative et le maintien des liens entre la Couronne et les Maoris constitueraient un règlement complet et définitif de toutes les réclamations des Maoris quant à leurs droits de pêche commerciale et modifieraient le statut des droits de pêche non commerciale qui ne seraient plus source de droits pour les Maoris ni d’obligations pour la Couronne ayant force exécutoire, mais demeureraient soumis aux principes consacrés dans le Traité de Waitangi et seraient source d’obligations pour la Couronne conformément audit Traité. »

La loi prévoit, entre autres, le versement de 150 millions de dollars néo-zélandais aux Maoris. En outre, l’article 9 dispose que « la présente loi met fin à toutes prétentions (actuelles et futures) des Maoris en matière de pêche commerciale, (...) qui sont ainsi définitivement réglées » et que, par conséquent,

« Par la présente loi, la Couronne satisfait à ses obligations vis-à-vis des Maoris en ce qui concerne la pêche commerciale et s’en acquitte et aucune cour ni aucun tribunal n’aura compétence pour enquêter sur la validité de telles prétentions, sur l’existence de droits et intérêts des Maoris en matière de pêche commerciale, sur la quantification de tels droits et intérêts...

La présente loi met fin à toutes prétentions (actuelles et futures) portant sur les droits et intérêts des Maoris en matière de pêche commerciale ou fondées directement ou indirectement sur ces droits et intérêts, qui sont ainsi pleinement et définitivement réglées. »

En ce qui concerne l’effet du règlement sur les droits et intérêts des Maoris en matière de pêche non commerciale, il est affirmé que les prétentions à cet égard demeurent source d’obligations pour la Couronne conformément au Traité de Waitangi et que des règlements reconnaissant et définissant les moyens de subsistance coutumiers des Maoris seront élaborés. Les droits ou intérêts des Maoris en matière de pêche non commerciale qui sont source de telles prétentions n’ont dorénavant aucune force exécutoire et, en conséquence, ne sont pas exécutoires au civil et ne peuvent être invoquées au pénal ni dans aucune procédure réglementaire ou autre, si ce n’est dans la mesure où ces droits ou intérêts sont prévus dans des règlements. Conformément à la loi, la Commission des pêches maories a été rebaptisée « Commission des pêches du Traité de Waitangi » (Treaty of Waitangi Fisheries Commission), et le nombre de ses membres porté de 7 à 13. Ses fonctions ont en outre été élargies. En particulier, la Commission est maintenant responsable au premier chef de la protection des intérêts maoris en matière de pêche commerciale.

5.13La mise en adjudication de la Sealords à titre de coentreprise a été un succès. Après consultation des Maoris, de nouveaux membres de la Commission des pêches du Traité de Waitangi ont été désignés. Depuis lors, la part des Maoris dans la pêche commerciale a rapidement pris de la valeur. En 1996, leurs avoirs nets atteignaient une valeur comptable de 374 millions de dollars. Outre qu’elle possède la moitié des parts de la Sealords, la Commission contrôle maintenant aussi la Moana Pacific Fisheries Limited (la plus grande société de pêche côtière en Nouvelle-Zélande), la Te Waka Huia Limited, la Pacific Marine Farms Limited et la Chatham Processing Limited. La Commission a versé une aide substantielle sous la forme de concessions de quotas actualisées chaque année, de bourses d’études et d’une contribution aux investissements maoris dans le développement d’un régime de pêche coutumier. Un règlement de la pêche coutumière a été élaboré par la Couronne en consultation avec les Maoris.

Teneur de la plainte

6.1Les auteurs affirment que la loi sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi revient à confisquer leurs ressources halieutiques, les prive du droit de déterminer librement leur statut politique et porte atteinte à leur droit d’assurer librement leur développement économique, social et culturel. Les auteurs estiment que ladite loi est contraire aux obligations que l’État partie a contractées en vertu du Traité de Waitangi. Dans ce contexte, ils affirment que le droit à l’autodétermination prévu à l’article premier du Pacte n’est effectif que si les peuples ont accès à leurs ressources et les contrôlent.

6.2Les auteurs affirment enfin que les mesures prises par le Gouvernement menacent leur mode de vie et la culture de leurs tribus, en violation de l’article 27 du Pacte. Ils déclarent que la pêche constitue l’un des principaux éléments de leur culture traditionnelle, qu’ils ont actuellement des intérêts dans la pêche et le vif désir de manifester leur culture en pêchant sur toute l’étendue de leurs territoires traditionnels. Ils précisent en outre que leur culture traditionnelle a des aspects commerciaux et qu’elle n’établit pas clairement de distinction entre pêche commerciale et autres types de pêche. Ils affirment que la nouvelle législation les prive de leur droit de continuer à pêcher comme de coutume si ce n’est dans les limites fixées par la loi et qu’ils doivent renoncer à la pêche commerciale en échange d’une part des quotas de pêche. À cet égard, les auteurs renvoient aux constatations du Comité concernant la communication No 167/1984 (Ominayak c. Canada), dans lesquelles il est dit « qu’au nombre des droits protégés par l’article 27 figure le droit pour des personnes d’avoir, en commun avec d’autres, des activités économiques et sociales qui s’inscrivent dans la culture de leur communauté ».

6.3Les auteurs rappellent que le tribunal créé en application du Traité de Waitangi a estimé que le système de quotas était en contradiction avec ledit Traité puisqu’il conférait des droits de propriété exclusifs en matière de pêche à des non-Maoris, et que la Haute Cour et la cour d’appel néo-zélandaises avaient, entre 1987 et 1990, rendu plusieurs décisions qui avaient pour effet de freiner la mise en oeuvre du système, considérant qu’il était « nettement défendable » que le système de quotas constituait une atteinte illicite aux droits de pêche des Maoris, protégés par le paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches de 1983. L’adoption en 1992 de la loi sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi a permis de légitimer le système de quotas en toutes circonstances. Les auteurs affirment que, du fait que le paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches de 1983 a été abrogé, les droits de pêche des Maoris ne sont plus protégés.

6.4Certains des auteurs font valoir qu’aucun des avis de suspension des actions en instance n’a été signé au nom de leurs tribus ou de leurs clans et que les procédures ont été suspendues par voie législative, sans l’assentiment de leurs tribus ou de leurs clans, en vertu des alinéas 2 g) et i) de l’article 11 de la loi sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi. Ils considèrent que cela constitue une violation du droit que leur garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte de s’adresser aux tribunaux en cas de contestation de leurs droits et obligations. À cet égard, les auteurs considèrent que les droits de pêche des Maoris sont bien des « droits et obligations en matière civile » au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il s’agit de droits patrimoniaux. Avant l’adoption de la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi, (« Règlement concernant les pêches »), les Maoris avaient porté devant les tribunaux de nombreuses affaires concernant la pêche. Les auteurs estiment que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte leur garantit, à eux-mêmes ainsi qu’à leurs tribus ou à leurs clans, le droit que ces litiges soient tranchés par un tribunal remplissant toutes les conditions énoncées dans cet article. À cet égard, ils font valoir que, même si les droits ou intérêts coutumiers des aborigènes peuvent toujours être examinés par le tribunal créé en application du Traité de Waitangi eu égard aux principes consacrés par cet instrument, les décisions dudit tribunal ont une simple valeur de recommandation.

6.5Les auteurs font valoir qu’avant l’adoption du Règlement concernant les pêches, ils avaient le droit, conformément à l’article 88 de la loi sur les pêches de 1992, de demander à une juridiction de protéger les droits ou les intérêts en matière de pêche qui leur sont garantis par la common law et le Traité de Waitangi, d’en déterminer la nature et la portée et de les faire respecter. L’abrogation de cet article par la loi de 1992 entrave et restreint le droit des auteurs de faire entendre équitablement et publiquement leur cause s’agissant de leurs droits et obligations de caractère civil, ainsi que le garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il n’y a plus de cadre légal dans lequel ces droits ou intérêts pourraient être invoqués.

Observations de l’État partie

7.1En ce qui concerne la demande des auteurs au titre de l’article 27, l’État partie admet que le droit des Maoris à la culture comprend le droit de se livrer à la pêche, et qu’il a l’obligation concrète d’assurer la reconnaissance de ces droits. Il fait valoir que ces droits ont été consacrés par le Règlement concernant les pêches (Fisheries Settlement). Selon l’État partie, le droit des Maoris à un revenu consacré par le système des quotas, ainsi que leur participation dans la Sealords sont la traduction contemporaine des droits des Maoris en matière de pêche commerciale. Avec le Règlement concernant les pêches, les Maoris, qui représentent 15% environ de la population néo-zélandaise, sont désormais de fait à la tête de la plus grande flotte de pêche en haute mer de Nouvelle-Zélande et détiennent plus de 40% des quotas de pêche de la Nouvelle-Zélande. Le Règlement est l’instrument qui a garanti la participation des Maoris à la pêche commerciale, selon les modalités définies par eux dans le cadre d’une société dont ils ont le contrôle effectif par le biais des actions qu’ils détiennent et de leurs représentants au conseil d’administration. Selon l’État partie, grâce au Règlement concernant les pêches, les Maoris sont dorénavant mieux placés que jamais pour renforcer leur présence sur le marché en acquérant davantage de quotas et d’éléments d’actifs dans le secteur des pêches, ainsi qu’en se diversifiant au niveau international sur le plan des prises, de la transformation et de la commercialisation. La Commission des pêches créée en vertu du Traité de Waitangi et les sociétés qui en dépendent, ainsi que différentes tribus, s’engagent d’ailleurs de plus en plus dans cette voie. D’autre part, le Règlement concernant les pêches protège expressément les droits de pêche non commerciale des Maoris, et des règlements d’application ont été adoptés pour garantir la prise en compte des moyens de subsistance coutumiers et la reconnaissance de la relation spéciale que les Maoris entretiennent avec les lieux où ils trouvent cette subsistance.

7.2En outre, le Gouvernement fait observer que les droits des minorités visés à l’article 27 ne sont pas illimités. Ces droits peuvent être soumis à des réglementations raisonnables et à d’autres contrôles ou limitations, dès lors que ces mesures ont une justification raisonnable et objective, qu’elles sont compatibles avec les autres dispositions du Pacte et qu’elles ne reviennent pas à dénier un droit. Dans le cas du Règlement concernant les pêches, le Gouvernement devait concilier un certain nombre d’obligations importantes. Il lui fallait en effet trouver un juste milieu entre les préoccupations des opposants et l’engagement qu’il avait pris à l’égard de l’ensemble des Maoris de trouver une solution pour le règlement des prétentions concernant les pêches d’une part, et la nécessité d’adopter des mesures visant à assurer la pérennité des ressources, de l’autre.

7.3En outre, l’État partie fait observer qu’il ressort clairement du mémorandum d’accord que le Gouvernement et les négociateurs maoris étaient expressément convenus que la confirmation du mandat des négociateurs d’agir au nom de tous les Maoris était une condition résolutoire. Sous réserve de cette confirmation, l’achat de la société Sealords constituerait un règlement de toutes les réclamations des Maoris quant à leurs droits et intérêts en matière de pêche commerciale en Nouvelle-Zélande, le règlement impliquerait l’introduction d’une législation portant abrogation du paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches de 1983 et toute autre législation donnant droit à des recours juridiques, eu égard à tous les droits et intérêts des Maoris en matière de pêche, et l’interruption de toute procédure faisant valoir des droits ou intérêts des Maoris en matière de pêche commerciale et l’acceptation par les Maoris du système de quotas. L’État partie se réfère au jugement de la cour d’appel dans l’affaire Te Runanga o Wharekauri Rekohu c. Procureur général, selon lequel la proposition négociée entre le Gouvernement et les négociateurs maoris était compatible avec les obligations du Gouvernement au titre du Traité de Waitangi et que ne pas saisir l’occasion qui se présentait de racheter la société Sealords aurait été un manquement à ces obligations. L’État partie se réfère aussi à l’opinion analogue exprimée par le tribunal constitué en application du Traité de Waitangi.

7.4En ce qui concerne l’allégation des auteurs selon laquelle le Règlement a reçu un soutien limité de la part des Maoris, l’État partie rappelle les consultations auxquelles les négociateurs maoris ont procédé après la signature du mémorandum d’accord, sur la foi de quoi les négociateurs, puis la Couronne, ont considéré que le mandat conféré était suffisant pour négocier et appliquer l’Accord de règlement. L’État partie renvoie à l’avis du tribunal créé en application du Traité de Waitangi selon lequel le rapport présenté par les négociateurs maoris donnait l’impression qu’un mandat avait bel et bien été conféré en ce qui concerne le Règlement, sous réserve que le Traité lui-même ne soit pas mis en cause, et qu’au vu dudit rapport, la Couronne était en droit de considérer qu’il était légitime d’aller de l’avant. L’État partie renvoie également à l’avis du tribunal créé en application du Traité de Waitangi qui a estimé que « le Règlement devait être appliqué en dépit de la concession inévitable concernant le rangatiratanga de ceux qui n’étaient pas d’accord.... Étant donné que le Règlement est destiné à mettre en place une nouvelle politique nationale au profit des tribus, à parfaire des droits plutôt qu’à les abroger et à protéger la situation coutumière, nous estimons que la question peut être abordée non seulement au niveau de chaque iwi, mais au niveau de tous les iwi, c’est-à-dire à un niveau où l’approbation de chaque iwi n’est pas indispensable, et que l’on peut compter sur un consensus ». L’État partie souligne qu’il incombait aux négociateurs de garantir au Gouvernement que les Maoris appuyaient la proposition, et que le processus de prise de décision au sein de la communauté maorie ne concernait pas directement le Gouvernement, qui était autorisé à se fonder sur le rapport des négociateurs. L’État partie renvoie en outre à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire Grand Chef Donald Marshall et consorts c. Canada par laquelle le Comité a rejeté l’allégation selon laquelle tous les groupes tribaux devaient avoir le droit de participer à des consultations sur des questions intéressant les autochtones.

7.5Quant à la critique formulée par les auteurs, au sujet du système des quotas, l’État partie déclare que ce système a été introduit pour assurer une protection efficace des ressources halieutiques intérieures qui s’amenuisaient. Dans ce contexte, l’État partie soutient qu’il était de son devoir envers tous les Néo-Zélandais de protéger et de gérer les ressources naturelles dans l’intérêt des générations futures. Il rappelle que dans leurs décisions le tribunal créé en application du Traité de Waitangi et la Cour d’appel, tout en critiquant la mise en oeuvre initiale, ont reconnu que le but et les intentions du système des quotas n’étaient pas nécessairement contraires aux principes et aux clauses du Traité de Waitangi. L’État partie souligne que, si le système des quotas a modifié la nature des intérêts des Maoris en ce qui concerne la pêche commerciale, il a été introduit dans le souci objectif et raisonnable d’assurer une gestion durable de l’ensemble des ressources.

7.6En ce qui concerne la déclaration que le Comité a faite lorsqu’il a décidé que la communication était recevable, à savoir qu’il lui fallait examiner l’affaire au fond pour déterminer la pertinence de l’article premier au regard des allégations des auteurs en vertu de l’article 27, l’État partie indique qu’il serait extrêmement préoccupé si le Comité s’écartait de la position qui a été acceptée par les États parties au Pacte et par le Comité lui-même, selon laquelle celui-ci n’est pas compétent pour examiner les demandes portant sur les droits prévus à l’article premier. Ces droits ont été depuis longtemps reconnus comme des droits collectifs. Ils ne relèvent donc pas du mandat du Comité, qui est d’examiner les plaintes déposées par des individus, et il n’entre pas dans le cadre des procédures prévues dans le Protocole facultatif que des individus prétendant représenter les Maoris invoquent des violations présumées des droits collectifs prévus à l’article premier. L’État partie fait en outre valoir que les droits visés à l’article premier appartiennent aux « populations » d’un État dans leur ensemble, et non à des minorités, que celles-ci soient ou non autochtones, dès lors qu’il s’agit d’un État indépendant et démocratique. En outre, l’État partie conteste que les auteurs aient autorité pour s’exprimer au nom de la majorité des membres de leurs tribus.

7.7S’agissant des allégations des auteurs selon lesquelles ils sont victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient que leur plainte est singulièrement dénuée de fondement, et qu’elle vise à donner de l’article une interprétation que sa teneur n’autorise pas et qui n’était pas prévue lorsque le Pacte a été rédigé. Selon l’État partie, l’article 14 ne garantit pas un droit général d’ester en justice en l’absence de droits et de juridiction reconnus par la loi. Bien plutôt, il prescrit les normes de procédures qui doivent être respectées pour garantir une bonne administration de la justice. Les dispositions de l’article 14 ne doivent pas être interprétées hors contexte. L’État partie soutient que le début de l’article établit clairement que la garantie prévue par ces normes de procédure ne s’applique que dans l’optique d’une action à caractère pénal ou civil, c’est-à-dire lorsqu’il existe une cause sur laquelle une juridiction compétente doit statuer. La position avancée par les auteurs aurait pour conséquence que le législateur national ne pourrait pas déterminer la compétence des juridictions de l’État, et que le Comité serait amené à prendre des décisions de fond quant à la possibilité d’invoquer, devant les juridictions internes, des droits qui vont bien au-delà des garanties consacrées par le Pacte.

7.8L’État partie ajoute que la plainte des auteurs a pour but d’obscurcir l’élément central du Règlement de 1992. De l’avis de l’État partie, l’argument des auteurs selon lequel le Règlement a éteint un droit d’ester en justice au sujet de demandes préexistantes ne tient pas compte du fait que ledit Règlement a, en réalité, réglé ces demandes en les transformant en un droit garanti de participer à la pêche commerciale. Dès lors que ces demandes avaient été réglées, il ne pouvait plus, par définition, y avoir de droit d’ester en justice pour étendre ces droits. Toutefois, l’État partie précise que, bien que toute demande préexistante ne puisse désormais fonder une action en justice, les tribunaux demeurent compétents pour connaître des questions relatives aux pêches maories. Les décisions de la Commission créée en application du Traité de Waitangi concernant la répartition des avantages découlant du Règlement peuvent être déférées aux tribunaux de la même manière que les décisions de tout autre organe réglementaire. De même, les tribunaux et le tribunal créé en application du Traité de Waitangi peuvent se prononcer sur les réglementations en matière de droits de pêche coutumiers et les décisions prises en vertu de ces réglementations. De récents litiges, portés devant les tribunaux néo-zélandais, notamment celui porté devant la cour d’appel concernant, d’une part, la question de savoir dans quelle mesure les Maoris vivant en milieu urbain, qui ne sont pas rattachés à des iwi, ont le droit de bénéficier du Règlement, et, d’autre part, une proposition de répartition des avantages découlant du Règlement, démontrent de façon probante que la possibilité d’ester en justice est maintenue. En outre, les Maoris qui se livrent à la pêche ont exactement les mêmes droits que tout autre Néo-Zélandais de contester devant les tribunaux les décisions du Gouvernement qui ont une incidence sur ces droits, ou de demander que ces droits soient protégés contre toute atteinte par des tiers.

7.9En conclusion, l’État partie soutient que le Règlement concernant les pêches n’a pas violé les droits des auteurs, ou de tout autre Maori, en vertu du Pacte. Au contraire, le Règlement devrait être considéré comme l’un des meilleurs moyens, mis en place ces dernières années, pour garantir la reconnaissance des droits des Maoris, conformément aux principes du Traité de Waitangi. L’État partie indique qu’il s’engage à résoudre et à régler les réclamations des Maoris d’une manière honorable et équitable. Il reconnaît qu’il est peu probable que ce type de règlement, qui exige que chaque partie accepte certaines concessions et certains accommodements, reçoive un appui unanime de la part des Maoris. À cet égard, il fait valoir que le Règlement ne bénéficiait pas non plus du soutien unanime des Néo-Zélandais non maoris. En effet, les réactions du public montraient clairement qu’à l’époque une proportion importante des Néo-Zélandais non maoris était opposée au Règlement, et n’acceptait pas que des droits spécifiques sur les pêches en Nouvelle-Zélande soient accordés aux Maoris. Toutefois, l’État partie fait observer qu’il ne peut se laisser paralyser par une absence d’unanimité, et que le non-consentement d’un certain nombre de personnes, qu’il s’agisse ou non de Maoris, ne lui servira pas d’excuse pour ne pas prendre des mesures concrètes en vue de réparer les torts faits aux Maoris, dès lors qu’il apparaît clairement que la majorité des Maoris concernés appuie ces mesures. L’État partie estime donc que le Comité devrait rejeter les demandes des auteurs.

Commentaires des auteurs concernant les observations de l’État partie

8.1Les auteurs soutiennent que l’article 27 du Pacte impose au Gouvernement néo-zélandais d’avancer des preuves convaincantes et décisives de la nécessité et du caractère proportionné des entraves mises par lui à l’exercice des droits et libertés des auteurs et de leurs tribus ou clans qui sont garantis par l’article 27. Les auteurs considèrent que l’État partie n’a avancé ni arguments ni preuves empiriques permettant de démontrer que les articles 9, 10, 11, 33, 34, 37 et 40 de la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitingi étaient « raisonnables ou nécessaires » pour garantir une bonne gestion des pêches, y compris pour remplir les obligations internationales de la Nouvelle-Zélande touchant la conservation et la gestion de la faune et de la flore marines. Les auteurs soutiennent en outre que « si le Gouvernement néo-zélandais souhaite s’arroger le pouvoir de réglementer les pêches des Maoris sans le consentement des auteurs et de leurs tribus ou clans, dont le rangatiratanga et le pouvoir ainsi que les droits sur ces pêches sont reconnus conformément au Traité de Waitangi, il doit, en vertu de l’article 27 du Pacte avancer des preuves convaincantes et décisives de la nécessité et du caractère proportionné des entraves mises par lui à l’exercice des droits et libertés des auteurs et de leurs tribus ou clans qui sont garantis par l’article 27 ». Les auteurs soutiennent que l’État partie n’a pas produit de telles preuves.

8.2Qui plus est, les auteurs considèrent que l’article 27 du Pacte impose au Gouvernement néo-zélandais l’adoption de mesures positives afin de permettre aux Maoris d’avoir leur propre vie culturelle. Ils soutiennent que, loin d’honorer cet aspect de ses obligations au regard de l’article 27 du Pacte, le Gouvernement néo-zélandais a, par suite de l’adoption de la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi, gravement entravé la jouissance par les auteurs et leurs tribus ou clans des droits ou libertés garantis à l’article 27. Les auteurs ajoutent que l’article 27 du Pacte impose au Gouvernement néo-zélandais d’appliquer le Traité de Waitangi. Les auteurs soulignent que la pêche est un aspect fondamental de la culture et de la religion maories. Pour exprimer ce lien intime, ils citent le passage suivant du rapport sur les pêches de Muriwhena du tribunal de Waitangi :

« Pour comprendre l’importance de mots clefs contenus dans le Traité tels que “raonga” et “tino rangatiratanga”, il faut les envisager dans le contexte des valeurs culturelles maories. Dans l’idiome maori, le mot “taonga”, lorsqu’il est employé dans le contexte de la pêche, signifie ressource, source de nourriture, occupation, et source de biens pour l’échange de présents, et s’inscrit dans la relation complexe existant entre les Maoris et leurs terres et eaux ancestrales. Dans le contexte de la pêche, le taonga dénote une vision qui s’étend au passé, englobant 1 000 ans d’histoire et de légende, et se confond du point de vue mythologique avec les concepts de dieux et de taniwha ainsi que de tipuna et de kaitiaki. Le taonga se perpétue dans le temps par-delà les changements dans l’occupation des zones tribales et dans la propriété des ressources, fondant en un tout – englobant tout ce qui est vivant et non vivant – la terre, les eaux, les cieux, les animaux, les plantes et le cosmos lui-même dans leur totalité.

Ce taonga requiert des ressources particulières, un environnement sain, des pratiques de pêche déterminées et confère un rôle héréditaire dans le domaine de la sauvegarde des ressources. Lorsque des segments de terres ancestrales et les zones de pêche adjacentes souffrent de surexploitation ou de pollution, il est porté atteinte aux tangata whenua et à leurs valeurs. Ceux qui font office aujourd’hui de kaitiaki (gardiens) ressentent cet affront non seulement personnellement mais aussi pour leurs tipuna dans le passé.

Dans le contexte de la pêche, le “taonga” maori est un concept d’une profondeur et d’une ampleur qui vont au-delà des questions quantitatives et matérielles ayant trait aux volumes des prises et aux recettes. Il dénote un souci profond de préservation et un sens aigu de la responsabilité vis-à-vis du futur qui marquent la pensée, l’attitude et le comportement des Maoris à l’égard de leurs pêches.

S’agissant de la pêche, le taonga crée des relations entre l’individu et la tribu, les poissons et les zones de pêche, non seulement en termes de propriété ou d’“appartenance”, mais aussi du point de vue de l’identité personnelle ou tribale, des liens du sang et de la généalogie, et de la vie spirituelle. Cela signifie qu’une “atteinte” à l’environnement ou aux pêches peut être ressentie personnellement par un Maori ou une tribu maorie, et c’est non seulement l’être physique, mais aussi le prestige, les émotions et le mana qui en pâtissent.

Le taonga de la pêche à l’instar d’autres taonga est une manifestation de la conception physico-spirituelle complexe que les Maoris ont de la vie et des forces de la vie. Il est non seulement une source de bienfaits économiques, mais aussi un fondement de l’identité personnelle, un symbole de stabilité sociale et un réservoir de force émotionnelle et spirituelle.

Cette vision est à l’origine de la mauri (force vitale) qui a permis aux iwi maoris de perdurer. Pour les Maoris, le concept de pêche englobe, sans se limiter à cela, les poissons, les zones et les méthodes de pêche et la vente des ressources dans un but lucratif; mais il a aussi une signification beaucoup plus profonde dans l’esprit maori. »

8.3Dans ce contexte, les auteurs se réfèrent aux observations générales du Comité concernant l’article 27, et soutiennent que l’article 27 du Pacte protège clairement l’exercice par les Maoris de leurs droits de pêche. Ils contestent la position de l’État partie selon laquelle le droit des Maoris de se livrer à la pêche est «garanti» par les dispositions de la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi et la loi de 1989 sur les pêches maories. En effet, ils soutiennent que ces droits ont été effectivement éteints et/ou abrogés, et que les avantages offerts aux Maoris, en vertu de la loi, ne constituent pas une satisfaction légitime. Ils font valoir que la loi de 1992 leur impose une division artificielle de leurs droits ou intérêts en matière de pêche, au mépris du caractère sacré du lien qui existe entre les auteurs (liens personnels et liens tribaux) et leurs pêches; elle restreint effectivement la possibilité pour les auteurs et leurs tribus ou leurs clans de protéger leurs pêches pour les générations futures; elle éteint et/ou abroge effectivement leurs droits ou intérêts au regard de la common law et du Traité de Waitangi; elle restreint leurs possibilités d’exploiter et de gérer leurs pêches conformément à leurs coutumes et traditions culturelles et religieuses; elle institue un régime qui a pour effet de transférer entre les mains du Directeur général des pêches le pouvoir réglementaire sur les pêches maories.

8.4Les auteurs soutiennent par ailleurs que le tribunal créé en application du Traité de Waitangi a émis catégoriquement l’avis que l’acceptabilité de toutes les « concessions inévitables concernant le rangatiratanga indépendant de ceux qui n’étaient pas d’accord » dépendait de la modification, par le Gouvernement néo-zélandais, de la loi d’application, conformément aux recommandations du tribunal. Ils ajoutent que l’affaire les concernant est différente de l’affaire Grand Chef Donald Marshall et consorts c. Canada, qui n’avait pas trait à la nécessité d’obtenir l’assentiment d’un groupe minoritaire touchant l’extinction et/ou l’abrogation effective de ses droits de propriété et au refus de l’accès aux tribunaux pour faire valoir ces droits.

8.5En ce qui concerne l’abandon des actions engagées devant les tribunaux, cinq auteurs soutiennent que les déclarations d’abandon signées au nom de leur tribu n’ont pas été signées par les personnes qui avaient l’autorité pour le faire. Cinq autres auteurs indiquent qu’aucune déclaration d’abandon n’a été signée au nom de leurs tribus.

Délibérations du Comité

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité note que le Protocole facultatif établit une procédure permettant à des particuliers de présenter des allégations de violation de leurs droits individuels. Ces droits sont consacrés dans la troisième partie du Pacte, aux articles 6 à 27 inclus. Comme il ressort de la jurisprudence du Comité, le Comité n’a pas d’objection à ce qu’un groupe d’individus, prétendant être collectivement victime de la violation d’un droit, présente une communication au sujet de ces violations présumées. En outre, les dispositions de l’article premier peuvent être pertinentes pour interpréter d’autres droits protégés par le Pacte, en particulier ceux énoncés à l’article 27.

9.3La première question dont est saisi le Comité est donc celle de savoir si le Règlement concernant les pêches, tel qu’il figure dans l’Accord de règlement et dans la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi, constitue une violation des droits des auteurs en vertu de l’article 27 du Pacte. Il n’est pas contestable que les auteurs sont membres d’une minorité, au sens de l’article 27 du Pacte, ni que la pratique de la pêche et le contrôle des pêches constituent un élément essentiel de leur culture. À cet égard, le Comité rappelle que les activités économiques peuvent relever de l’article 27, dès lors qu’elles constituent un élément essentiel de la culture d’une communauté. Le fait que le Traité de Waitangi reconnaisse les droits des Maoris en matière de pêche confirme que l’exercice de ces droits est un aspect majeur de la culture maorie. Toutefois, il n’appartient pas au Comité de déterminer si la loi de 1992 est compatible avec le Traité de Waitangi.

9.4Le droit d’avoir sa propre vie culturelle ne saurait être déterminé in abstracto mais doit être apprécié dans son contexte. En particulier, l’article 27 protège certes les moyens de subsistance traditionnels des minorités, mais implique également que ceux-ci puissent s’adapter aux modes de vie et aux technologies modernes. En l’occurrence, la législation adoptée par l’État partie influe, de différentes manières, sur les possibilités qu’ont les Maoris de se livrer à la pêche commerciale et non commerciale. La question est de savoir si cela constitue un déni de droits. Dans une décision antérieure, le Comité a fait la remarque suivante :

« Il est compréhensible qu’un État puisse souhaiter encourager le développement des entreprises ou d’en favoriser l’activité économique. Sa latitude en la matière ne doit pas être évaluée par rapport à une marge de liberté d’appréciation, mais par rapport aux obligations auxquelles il a souscrit au titre de l’article 27, lequel dispose qu’un membre d’une minorité ne doit pas se voir dénier le droit de jouir de sa propre culture. Des mesures dont l’effet équivaut à dénier ce droit ne sont donc pas compatibles avec les obligations souscrites au titre de l’article 27. Mais les mesures ayant un certain effet limité sur le mode de vie de personnes appartenant à une minorité n’équivaudront pas nécessairement à un déni du droit énoncé à l’article 27. »

9.5Le Comité rappelle son observation générale au sujet de l’article 27, selon laquelle, en particulier dans le cas de populations autochtones, l’exercice du droit à sa propre culture peut exiger qu’un État partie adopte des mesures juridiques positives de protection, ainsi que des mesures visant à assurer la participation effective des membres des communautés minoritaires aux décisions qui les concernent. Dans sa jurisprudence au titre du Protocole facultatif, le Comité souligne que l’acceptabilité des mesures qui affectent ou entravent les activités économiques culturellement importantes d’une minorité dépend de la question de savoir si les membres de la minorité concernée ont eu la possibilité de participer au processus de prise de décisions qui a abouti à l’adoption de ces mesures et s’ils continueront de bénéficier de leurs activités économiques traditionnelles. Le Comité reconnaît que la loi de 1992 sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi, et les mécanismes institués par elle limitent les droits des auteurs à l’exercice de leur propre culture.

9.6Le Comité observe que l’État partie a entrepris un processus complexe de consultations pour assurer un large appui maori à un accord et à une réglementation des activités de pêche à l’échelle de tout le pays. Les communautés et les organisations nationales maories ont été consultées et leurs propositions ont été prises en compte dans l’arrangement conclu. Le Règlement n’a été promulgué qu’après que les représentants des Maoris eurent indiqué qu’ils bénéficiaient d’un appui réel parmi les Maoris. Pour de nombreux Maoris, la loi de 1992 réglait de manière acceptable leurs demandes. Le Comité a noté que les auteurs faisaient valoir qu’eux-mêmes et la majorité des membres de leurs tribus n’avaient pas approuvé le Règlement, et qu’ils affirmaient que leurs droits en tant que membres de la minorité maorie n’avaient pas été pris en compte. Dans de telles circonstances, où le droit des individus d’avoir leur propre culture est en conflit avec des droits parallèles exercés par d’autres membres du groupe minoritaire, ou par la minorité dans son ensemble, le Comité peut se demander si la limitation en cause est dans l’intérêt de tous les membres de la minorité, et s’il existe une justification raisonnable et objective à son application aux individus qui prétendent en subir les conséquences néfastes.

9.7Pour ce qui est des effets de l’accord, le Comité observe qu’avant les négociations qui ont débouché sur le Règlement les tribunaux avaient statué que le système de quota était susceptible de constituer une atteinte aux droits des Maoris dans la mesure où, en pratique, les Maoris n’y participaient pas et étaient ainsi privés de leurs pêches. Avec le Règlement, le quota de pêches des Maoris a été relevé et ils ont ainsi recouvré la possession effective des pêches. En ce qui concerne les pêches commerciales, le Règlement a eu pour effet que l’autorité des Maoris et leurs méthodes traditionnelles de contrôle, telles que reconnues dans le Traité, ont été remplacées par une nouvelle structure de contrôle s’inscrivant dans une entité où les Maoris ont non seulement un rôle dans la protection de leurs intérêts en matière de pêches mais aussi un contrôle effectif. S’agissant des pêches non commerciales, les obligations de la Couronne en vertu du Traité de Waitangi demeurent et des règlements sont élaborés qui reconnaissent et définissent les moyens de subsistance coutumiers.

9.8Au cours du processus de consultation, une attention particulière a été accordée à l’importance que revêt la pêche pour les Maoris sur les plans culturel et religieux et notamment à la garantie aux Maoris, pris individuellement et collectivement, de la possibilité de se livrer à la pêche non commerciale. Tout en jugeant préoccupant le fait que le règlement et le processus qui y a conduit aient contribué à des divisions au sein des communautés maories, le Comité conclut que l’État partie, en procédant à un vaste processus de consultation avant de légiférer et en accordant une attention particulière au maintien des activités de pêche des maoris, a pris les mesures nécessaires pour faire en sorte que le Règlement sur les pêches et son application, y compris par le biais du système des quotas, soient compatibles avec l’article 27.

9.9Le Comité tient à souligner que l’État partie continue d’être tenu par l’article 27 qui exige que l’attention voulue soit accordée à l’importance culturelle et religieuse de la pêche pour les Maoris dans la mise en oeuvre de la loi sur le Règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi. Se référant à sa jurisprudence antérieure, le Comité tient à souligner qu’afin de satisfaire aux dispositions de l’article 27, les mesures susceptibles d’influer sur les activités économiques des Maoris doivent être appliquées de manière à ce que les auteurs puissent continuer de jouir de leur culture et de professer et de pratiquer la religion de concert avec d’autres membres de leur groupe. L’État partie est tenu de garder cela à l’esprit en poursuivant l’application de la loi susmentionnée.

9.10Les plaintes des auteurs concernant l’abandon des actions engagées devant les tribunaux concernant leurs demandes sur les pêches doivent être examinées à la lumière de ce qui précède. Si, dans l’absolu, il serait critiquable qu’un État partie décide, par voie législative, que des actions en instance soient abandonnées, ce qui constituerait une violation du droit d’ester en justice, dans les circonstances particulières de la cause, les actions ont été abandonnées dans le cadre d’un règlement, au niveau national, des demandes qui étaient précisément en instance devant les tribunaux, et qui avaient été ajournées en attendant le résultat des négociations. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’abandon des actions des auteurs devant les tribunaux ne constitue pas une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.11En ce qui concerne l’allégation des auteurs selon laquelle la loi de 1992 les empêche de saisir les tribunaux de demandes concernant l’étendue de leurs pêches, le Comité observe que le paragraphe 1 de l’article 14 prévoit le droit de saisir les tribunaux pour que ceux-ci se prononcent sur des droits et des obligations de caractère civil. Dans certaines circonstances, le fait qu’un État partie n’ait pas créé un tribunal compétent pour statuer sur des droits et des obligations peut constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 14. Dans le cas d’espèce, la loi de 1992 prévoit que les tribunaux ne sont pas compétents pour se prononcer sur la validité des demandes des Maoris concernant la pêche commerciale, précisément parce qu’elle est destinée à régler ces demandes. En tout état de cause, le recours des Maoris aux tribunaux pour faire valoir leurs droits en matière de pêches était déjà limité avant l’adoption de la loi de 1992; les Maoris ne pouvaient faire valoir leurs droits en matière de pêche commerciale que dans la mesure où le paragraphe 2 de l’article 88 de la loi sur les pêches stipulait expressément que rien dans cette loi ne portait atteinte aux droits de pêche des Maoris. Indépendamment de la question de savoir si des demandes portant sur des intérêts en matière de pêche correspondent ou non à la définition d’une action civile, le Comité estime que la loi de 1992, par ses dispositions spécifiques, s’est substituée aux modalités de détermination des réclamations faites en vertu du Traité, en ce qui concerne les pêches. Cependant, d’autres aspects du droit aux pêches sont encore susceptibles de donner lieu à une action en justice, par exemple ceux relatifs à la répartition des quotas et aux règlements applicables aux droits de pêche coutumiers. Les autres n’ont pas prouvé l’allégation selon laquelle la mise en place du nouveau régime les empêche d’accéder aux tribunaux pour toute question relevant du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Martin Scheinin(exprimant son désaccord partiel)

Je partage les principales conclusions du Comité concernant l’article 27 du Pacte. Je tiens toutefois à exprimer mon désaccord au sujet du paragraphe 9.10 des constatations. À mon avis, le fait qu’un règlement global des prétentions sur les pêches soit jugé compatible avec l’article 27 – sous réserve que soient réunies les conditions requises, à savoir une consultation effective et la garantie du maintien des formes de pêche qui revêtent une importance pour les Maoris du point de vue culturel – ne décharge pas l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 14. À mon sens, il y a eu violation des droits des auteurs consacrés par le paragraphe 1 de l’article 14 dans la mesure où :

–La législation en question a eu pour effet d’interrompre les actions en justice intentées par les auteurs ou leurs représentants attitrés;

–Une telle interruption n’a pas été approuvée par les auteurs ou par d’autres personnes dûment autorisées à interrompre l’action en justice en question; et

–L’application de la loi sur le règlement des prétentions concernant les pêches protégées par le Traité de Waitangi ou d’autres mesures adoptées par l’État partie n’ont pas eu pour effet d’assurer aux auteurs, sous réserve du respect des conditions susmentionnées d’interruption de l’action en justice, un recours utile conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

(Signé) M. Scheinin

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

B.Communication No 630/1995, Mazou c. Cameroun(constatations adoptées le 26 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Présentée par :M. Abdoulaye Mazou

Au nom de :L’auteur

État partie :Cameroun

Date de la communication :31 octobre 1994 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 630/1995 présentée par M. Abdoulaye Mazou, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 31 octobre 1994, est Abdoulaye Mazou, citoyen camerounais et magistrat de profession, actuellement domicilié à Yaoundé (Cameroun). Il affirme être victime d’une violation par le Cameroun du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c) de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Cameroun le 27 septembre 1984.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1À la suite d’une tentative de coup d’État au Cameroun en avril 1984, l’auteur, à l’époque magistrat de deuxième grade, a été arrêté, le 16 avril 1984. Il était soupçonné d’avoir hébergé son frère, recherché par la police pour avoir participé à ce coup d’État. L’auteur a été reconnu coupable et condamné par le tribunal militaire de Yaoundé à cinq ans d’emprisonnement. D’après l’auteur, les charges retenues contre lui étaient fausses et au tribunal, aucune preuve n’a été produite et aucun témoin appelé. Le procès s’est déroulé à huis clos.

2.2Pendant que l’auteur était détenu, le Président de la République a signé le 2 juin 1987 un décret (No 87/747) le révoquant de ses fonctions de Secrétaire général au Ministère de l’éducation nationale et de Président du Conseil d’administration de l’Office national des sports. Le décret n’était pas motivé et, d’après l’auteur, a été pris en violation de l’article 133 du Statut de la fonction publique.

2.3Le 23 avril 1990, l’auteur a été remis en liberté mais a été assigné en résidence surveillée à Yagoua, sa ville natale, dans l’extrême nord du Cameroun. Ce n’est qu’à la fin du mois d’avril 1991, à la suite de l’adoption de la loi d’amnistie No 91/002, du 23 avril 1991, que les restrictions ont été levées. Toutefois, à la date de la transmission de la communication, le décret présidentiel du 2 juin 1987 était toujours valable et l’auteur n’avait pas été réintégré dans ses fonctions.

2.4Le 12 juin 1991, l’auteur a sollicité du Président de la République sa réintégration dans la fonction publique. Le 18 juillet 1991, il a introduit auprès du Ministre de la justice un recours demandant l’abrogation du décret présidentiel du 2 juin 1987. Ne recevant aucune réponse, il a saisi, le 9 septembre 1991, la Chambre administrative de la Cour suprême d’un recours contentieux pour lui demander de constater que le décret était illégal et devait par conséquent être annulé. L’auteur souligne que, malgré la jurisprudence constante de la Cour suprême en faveur de l’annulation de tels décrets, l’affaire n’avait toujours pas été tranchée en date du 31 octobre 1994.

2.5Le 4 mai 1992, les décrets Nos 92/091 et 92/092 qui régissaient les modalités de réintégration et d’indemnisation des bénéficiaires de la loi d’amnistie ont été publiés.

2.6Le 13 mai 1992, l’auteur a saisi le Ministre de la justice d’une demande de réintégration dans ses fonctions. Conformément au décret No 92/091, sa requête était renvoyée à la Commission de suivi de la réintégration dans la fonction publique. Le 12 mai 1993, cette commission a prononcé un avis favorable à la réintégration de l’auteur. D’après ce dernier toutefois, le Ministre n’a pas suivi cet avis.

2.7Le 22 septembre 1992, l’auteur a engagé une procédure devant la Chambre administrative de la Cour suprême pour attaquer les décrets Nos 92/091 et 92/092. D’après lui, ces décrets visaient à bloquer l’application intégrale de la loi d’amnistie du 23 avril 1991 qui, affirme­t­il, prévoyait la réintégration automatique. Ce recours était également en instance au moment de l’introduction de sa communication.

2.8Dans sa communication initiale, l’auteur déclarait qu’il était sans travail depuis qu’il avait été libéré de prison. Il affirmait être victime de persécution pour ses opinions et à cause de son origine ethnique, ajoutant que d’autres bénéficiaires de la loi d’amnistie avaient été réintégrés dans leurs fonctions.

2.9Toujours à cette date, l’auteur indiquait que, compte tenu du silence des autorités juridictionnelles et politiques, il ne lui restait plus de recours interne dont il pourrait se prévaloir.

2.10Depuis la présentation de sa communication, la situation a néanmoins évolué de manière significative pour l’auteur dans la mesure où il a été réintégré dans ses fonctions le 16 avril 1998 suite à un arrêt de la Cour suprême daté du 30 janvier 1997 annulant le décret No 87/747 qui a révoqué l’auteur.

Teneur de la plainte

3.D’après l’auteur, les faits exposés plus haut constituent une violation du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c) de l’article 25 du Pacte. L’auteur demande au Comité d’enjoindre l’État partie de le réintégrer dans la fonction publique avec effet rétroactif et de lui verser des dommages­intérêts en réparation du préjudice subi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Par une note en date du 13 mai 1997, l’État partie informait le Comité que la Chambre administrative de la Cour suprême avait, par un arrêt daté du 30 janvier 1997, annulé le décret No 87/747 (révoquant l’auteur).

Décision du Comité sur la recevabilité

5.1À sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

5.2Le Comité a alors constaté que l’État partie ne contestait pas la recevabilité de la communication mais l’avait informé que la Cour suprême avait annulé le décret ordonnant la révocation de l’auteur. Toutefois, l’État partie n’avait pas indiqué si l’auteur avait été réintégré dans ses fonctions et, si tel était le cas, à quelles conditions ou, dans le cas contraire, pour quelles raisons. Le Comité a donc considéré que la communication devrait être examinée quant au fond.

5.3En conséquence, le Comité a décidé, le 6 juillet 1998, que la communication était recevable.

Commentaires de l’État partie sur le fond de la communication

6.1Par un courrier du 10 août 2000, l’État partie a fait part de ses observations en ce qui concerne le fond de la communication.

6.2L’État partie précise qu’en application de la décision de la Cour suprême du 30 janvier 1997, l’auteur de la communication a été réintégré comme magistrat de deuxième grade au Ministère de la justice, le 16 octobre 1998, et que son salaire a été repris en solde à compter du 1er avril 1987, date à laquelle il avait à tort été suspendu de ses fonctions puis révoqué.

Commentaires de l’auteur sur le fond de la communication

7.1Par un courrier du 8 novembre 2000, l’auteur a transmis ses remarques sur les observations de l’État partie.

7.2L’auteur confirme tout d’abord qu’il a bien été réintégré au sein du Ministère de la justice et que l’administration a bien rétabli son salaire à partir du 1er avril 1987.

7.3Néanmoins, l’auteur considère que l’administration n’a pas tiré toutes les conséquences de la décision de la Cour suprême du 30 janvier 1997. Étant donné que les effets de cette dernière agissaient rétroactivement, l’auteur estime être en droit de voir sa carrière reconstituée, c’est-à-dire qu’il soit réintégré à un grade qui aurait été le sien s’il n’avait pas été révoqué. Or, malgré les demandes qu’il a faites en ce sens auprès du Ministère de la justice, aucune décision n’a été notifiée à l’auteur.7.4L’auteur maintient également une demande de dommages et intérêts en raison du préjudice qu’il a subi suite à sa révocation.

Délibérations du Comité sur le fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité a été informé de ce que, suite à la décision de la Cour suprême du 30 janvier 1997, l’auteur a été réintégré dans ses fonctions et que son salaire lui a été payé rétroactivement à compter de la date de sa révocation. Cependant, il ne fait apparemment aucun doute que l’État partie n’a ni fait droit à la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ni opéré une reconstitution de la carrière de l’auteur qui aurait eu pour effet de le voir réintégré à un grade auquel il aurait eu droit s’il n’avait pas été révoqué.

8.3Le Comité constate cependant que l’auteur s’est contenté d’invoquer ces griefs au Ministère de la justice par voie épistolaire et n’a soumis aucun élément de preuve démontrant qu’une autorité judiciaire ait effectivement été invitée à statuer sur la question des dommages et intérêts. Cette partie de la communication ne respecte pas le principe d’épuisement des voies de recours internes tel que prévu au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et doit donc être déclarée irrecevable.

8.4En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie aurait violé les articles 2 et 25 combinés du Pacte, le Comité considère que la procédure qui s’est déroulée devant la Cour suprême et qui a débouché sur la décision du 30 janvier 1997 lui donnant satisfaction au regard de la demande qu’il avait formulée dans sa communication a été indûment tardive, intervenue plus de 10 ans après la décision de révocation et n’a pas été suivie d’une reconstitution de carrière au moment de sa réintégration, laquelle était de droit, compte tenu de la décision d’annulation du 30 janvier 1997. Cette procédure ne peut donc pas être considérée comme une réparation satisfaisante au regard des articles 2 et 25 du Pacte.

9.En conséquence, l’État partie a l’obligation de réintégrer l’auteur de la communication dans la carrière avec toutes les conséquences que cela implique en vertu du droit camerounais et est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

C.Communication No 675/1995, Toala et consorts c. Nouvelle-Zélande(constatations adoptées le 2 novembre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.

Le texte d’une opinion individuelle signée par M. Amor, M. Bhagwati, Mme Gaitan de Pombo et M. Solari Yrigoyen est joint au présent document.

Présentée par :M. Simalae Toala et consorts(représentés par Mme Olinda Woodroffe)

Au nom de :Les auteurs

État partie :Nouvelle-Zélande

Date de la communication :19 octobre 1995 (lettre initiale)

Décisions antérieures :–Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91 du Règlement intérieur et communiquée à l’État partie le 21 décembre 1995 (non publiée sous forme de document)

–CCPR/C/63/D/675/1995 – Décision concernant la recevabilité, datée du 10 juillet 1998

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 novembre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 675/1995 présentée par M. Simalae Toala et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont M. Simalae Toala, Mme Fa’ai’u Toala et leur fils adoptif, Eka Toala, né en 1984, ainsi que M. Pita Fata Misa Pitoau Tofaeono et Mme Anovale Tofaeono, tous résidant actuellement en Nouvelle-Zélande. Ils affirment être victimes de violations par la Nouvelle-Zélande de l’article 2, paragraphes 1 et 3, de l’article 12, paragraphe 4, de l’article 14, paragraphe 3, et des articles 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par Mme Olinda Woodroffe, du cabinet d’avocats néo-zélandais Woodroffe et Keil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont tous nés au Samoa-Occidental : M. Toala est né en 1932, Mme Toala en 1934 et leur fils adoptif, Eka Toala, en 1984, M. Tofaeono en 1934 et Mme Tofaeono en 1933. À la date de la présentation de la communication, les familles résidaient en Nouvelle-Zélande, où des ordonnances d’expulsion avaient été délivrées récemment contre elles. Elles s’étaient cachées en Nouvelle-Zélande, afin d’éviter l’expulsion. Les auteurs déclarent qu’ils sont citoyens néo-zélandais et que les mesures prises par le Gouvernement néo-zélandais dans le but de les expulser du pays constituent une violation du Pacte.

2.2M. Toala est arrivé en Nouvelle-Zélande en janvier 1979 et a obtenu un permis de visiteur. Il est retourné au Samoa-Occidental en juillet 1979. En mars 1980, au Samoa-Occidental, il a été reconnu coupable du délit de « relations sexuelles illicites » et a été condamné à deux ans d’emprisonnement. Il a exécuté neuf mois de sa peine, puis a été libéré. Il est retourné en Nouvelle-Zélande en décembre 1986 et a fait plusieurs demandes de permis de résidence permanente; ses demandes ont été rejetées. En mars 1992, une ordonnance d’expulsion a été délivrée contre lui en Nouvelle-Zélande, en application des dispositions de la loi néo-zélandaise sur l’immigration de 1987 (telle que modifiée). Il a fait appel de cette ordonnance en avril 1992, invoquant des raisons humanitaires. En août 1993, son recours a été rejeté par l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion et il s’est caché pour ne pas être expulsé.

2.3Mme Toala et Eka sont arrivés en Nouvelle-Zélande en juin 1986 et ont obtenu un permis de visiteur, qui a expiré en septembre 1989. Elle a déposé plusieurs demandes pour obtenir le statut de résident permanent. Sur ses huit enfants, sept ont le statut de résident permanent en Nouvelle-Zélande et certains ont la nationalité. Des ordonnances d’expulsion ont été délivrées contre elle et son fils adoptif en avril 1992. Mme Toala a fait recours en mai 1992, en son nom et au nom de son fils, en invoquant des raisons humanitaires. En août 1993, le recours a été rejeté par l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Les auteurs indiquent que Mme Toala a été informée qu’elle ne pouvait pas rester en Nouvelle-Zélande, en raison de la condamnation de son mari au Samoa-Occidental. Mme Toala et son fils se sont également cachés pour ne pas être expulsés.

2.4M. et Mme Tofaeono sont arrivés en Nouvelle-Zélande en mai 1993 et ont obtenu un permis de résidence valable jusqu’en juin 1995. Ils ont 10 enfants, dont 5 résident légalement en Nouvelle-Zélande. D’après la communication, M. et Mme Tofaeono ont droit au statut de résident en Nouvelle-Zélande au titre de la « réunification familiale », mais ce statut leur a été refusé en raison de prétendus problèmes de santé. Le couple a fait appel de l’ordonnance d’expulsion délivrée contre lui auprès de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Leur requête a été rejetée le 28 juin 1996. Ils sont retournés au Samoa-Occidental et M. Tofaeono est décédé dans son pays. Mme Tofaeono s’y trouve encore.

2.5Les auteurs affirment qu’ils ont la nationalité néo-zélandaise conformément à la décision prise par la section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Lesa v. Attorney-General of New Zealand [1983] 2 A.C.20. Dans cette affaire, le Conseil privé a statué qu’en vertu de la loi de 1928 sur la nationalité britannique et le statut des étrangers (en Nouvelle-Zélande), les personnes nées au Samoa-Occidental entre le 13 mai 1924 et le 1er janvier 1949 (et leurs descendants) étaient citoyens néo-zélandais.

2.6Les auteurs indiquent que la décision rendue par le Conseil privé en juillet 1982 dans l’affaire « Lesa » a suscité de vastes réactions négatives en Nouvelle-Zélande. On estime que quelque 100 000 Samoans, sur une population totale de 160 000 habitants, seraient touchés par cette décision.

2.7La réponse du Gouvernement néo-zélandais a été de négocier un protocole au Traité d’amitié entre la Nouvelle-Zélande et le Samoa-Occidental. Le Protocole a été ratifié par les deux parties le 13 septembre 1982. Un mois plus tard, le Gouvernement néo-zélandais a adopté la loi de 1982 sur la citoyenneté (Samoa-Occidental), donnant effet au protocole en Nouvelle-Zélande et annulant les effets de la décision dans l’affaire « Lesa », sauf pour Mme Lesa elle-même et un nombre très restreint d’autres personnes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que la loi de 1982 sur la citoyenneté (Samoa-Occidental) a créé une situation dans laquelle environ 100 000 Samoans ont perdu leur nationalité, en violation de l’article 12, (par. 4) et de l’article 26 du Pacte, et ont été privés de leur statut légal de citoyen néo-zélandais.

3.2Les auteurs affirment que le Protocole de 1982 est nul et non avenu en vertu de l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, dans la mesure où il autorise la promulgation de la loi de 1982, car il est contraire à une norme du jus cogens, en ce qu’il autorise la Nouvelle-Zélande à exercer une discrimination raciale à l’encontre des Samoans.

3.3À ce sujet, les auteurs se réfèrent aux déclarations faites en 1982 par la Commission néo-zélandaise des droits de l’homme selon laquelle « le projet de loi sur la citoyenneté (Samoa-Occidental) représente un déni des droits fondamentaux de l’homme dans le sens où il vise à priver un groupe particulier de Néo-Zélandais de leur nationalité du fait qu’ils sont Polynésiens d’origine samoane. ... Le projet de loi, tel qu’il est rédigé, a de regrettables implications racistes. ... Il semble qu’il y ait confusion entre le principe des droits en matière de nationalité et les conséquences concrètes de l’arrivée en masse de personnes originaires du Samoa-Occidental... ».

3.4Les auteurs mentionnent en outre les débats qui ont eu lieu au Parlement avant l’adoption de la loi de 1982, à l’appui de l’allégation selon laquelle la loi a des implications racistes. Ils citent certaines déclarations faites au cours du débat à savoir : « ... Nous avons un grand nombre d’autres citoyens ayant la double nationalité, la plupart originaires du Royaume-Uni. ... La quasi-totalité des personnes visées par le projet de loi sont des non-Blancs. » et : « La Commission des droits de l’homme a appelé l’attention sur l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cet article prévoit que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. Je ne serais pas étonné que la Nouvelle-Zélande agisse en violation de ce droit en refusant la libre entrée sur le territoire aux habitants du Samoa-Occidental, qui sont et ont toujours été considérés comme des citoyens néo-zélandais. »

3.5Les auteurs citent également une déclaration du Président de la Cour suprême néo-zélandaise, le juge Ryan, pour lequel «[La législation] est manifestement discriminatoire à l’égard des personnes qui ont été déclarées citoyens néo-zélandais par l’instance la plus élevée de la Nouvelle-Zélande». Les auteurs se réfèrent en outre à l’examen par le Comité des droits de l’homme du rapport initial de la Nouvelle-Zélande, daté du 11 janvier 1982, au cours duquel les représentants de l’État partie ont notamment mentionné, à propos de l’affaire « Lesa », le mandat institué par la Société des Nations. Ils notent que les représentants ont déclaré que les habitants de territoires sous mandat ne pouvaient pas prendre la nationalité de l’État auquel le mandat était confié.

3.6Les auteurs ont des liens étroits avec la Nouvelle-Zélande, les deux familles ayant plusieurs de leurs enfants qui vivent en Nouvelle-Zélande. M. et Mme Toala ont huit enfants, dont sept ont le statut de résident permanent en Nouvelle-Zélande et certains ont la nationalité néo-zélandaise. M. et Mme Tofaeono ont 10 enfants, dont 5 vivent en Nouvelle-Zélande. Chacune des deux familles est très unie. Le conseil affirme que le refus d’accorder la nationalité aux auteurs constitue une violation de leur droit au regroupement familial en vertu de l’article 17 du Pacte.

3.7Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs affirment qu’il n’existe pas en Nouvelle-Zélande de recours disponibles pour les personnes dont les droits ont été violés du fait de textes contraires ou réputés contraires au Pacte. Aucun tribunal ou autre organe juridictionnel néo-zélandais ne peut déclarer inapplicable un texte dûment promulgué par le Parlement. Les auteurs renvoient à la loi néo-zélandaise de 1990 relative à la Charte des droits, qui dispose ce qui suit : « Pour ce qui est des dispositions législatives (qu’elles aient été adoptées ou prises avant ou après l’entrée en vigueur de la présente Charte des droits), aucun tribunal ne peut : a) considérer que toute partie des dispositions est implicitement abrogée ou annulée ou d’une autre façon invalidée ou inapplicable; ou b) refuser d’appliquer l’une quelconque des dispositions législatives – en raison uniquement du fait que celle-ci est incompatible avec l’une ou l’autre des dispositions de la présente Charte des droits ». D’après les auteurs, cet article a été interprété comme signifiant que toute disposition législative, qu’elle ait été promulguée avant ou après l’adoption de la loi de 1990 relative à la Charte des droits, l’emporte sur cette loi. Étant donné qu’il est fait référence dans le titre de la loi relative à la Charte des droits à « l’engagement de la Nouvelle-Zélande de respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques », toute disposition législative (qu’elle ait été adoptée avant ou après la promulgation de la loi de 1990 relative à la Charte des droits) l’emporte sur toute disposition du Pacte garantissant tout droit énoncé dans la loi de 1990 relative à la Charte des droits.

3.8Les auteurs affirment qu’étant donné qu’il n’existe pas de recours interne disponible lorsqu’une personne est lésée par une disposition législative qui est contraire au Pacte, l’État partie a violé l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.9En outre, les auteurs affirment que le fait que la loi néo-zélandaise de 1991 sur les services judiciaires ne prévoie pas l’octroi d’une aide judiciaire pour la soumission de communications au Comité des droits de l’homme constitue une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

3.10Enfin, les auteurs demandent au Comité de prendre des mesures provisoires de protection afin d’empêcher un préjudice irréparable et en particulier de prier le Gouvernement néo-zélandais de ne pas expulser les auteurs tant que le Comité ne se sera pas prononcé sur la communication quant au fond.

Observations de l’État partie et commentaires du conseil

4.1Dans une réponse datée du 6 juin 1996, l’État partie objecte que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Il indique que M. Toala, son épouse et son fils ont fait savoir qu’ils avaient l’intention de saisir les tribunaux pour demander la révision des arrêtés d’expulsion, alors que les deux autres auteurs, M. et Mme Tofaeono, ont déjà engagé une procédure. Pour ce qui est de l’allégation des auteurs selon laquelle aucune voie de recours ne leur est ouverte, en violation du Pacte, l’État partie affirme que la raison pour laquelle les auteurs ne trouvent pas de recours disponible pour faire valoir leurs allégations est que celles-ci ne relèvent pas des dispositions du Pacte, et non pas que la Nouvelle-Zélande n’offre pas de recours en cas d’éventuelles violations du Pacte.

4.2L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis car le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Nouvelle-Zélande le 26 août 1989 et les faits dont les auteurs se plaignent ont eu lieu en 1982. Il ajoute que la seule raison pour laquelle le Comité pourrait être compétent pour examiner l’affaire serait qu’il existe des effets persistants qui, en eux-mêmes, constitueraient une violation du Pacte. L’État partie nie catégoriquement qu’il existe des effets persistants.

4.3L’État partie indique en outre que la communication devrait être également déclarée irrecevable ratione materiae car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte. En ce qui concerne les allégations au titre du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, l’État partie déclare que la plainte des auteurs est en fait une contestation du refus d’octroi du permis de résidence en Nouvelle-Zélande et de l’arrêté d’expulsion, mais qu’au lieu de cela ils contestent la loi de 1982. L’État partie affirme que les auteurs n’ont aucunement été privés de la possibilité d’entrer dans leur propre pays car ils ont toujours été Samoans et aucune restriction ne leur est imposée pour entrer au Samoa-Occidental.

4.4Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 17 et du droit à la vie de famille dans le cas de M. et Mme Toala et de leur fils, l’État partie fait observer qu’il a effectivement pris en considération les questions familiales lorsqu’il a examiné la demande de permis de résidence des auteurs. Toutefois, le principal demandeur étant interdit de séjour, le droit de résidence a été refusé à toute la famille.

4.5À propos de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte au motif que l’État partie ne fournit pas d’aide judiciaire pour permettre aux auteurs de présenter leur plainte devant le Comité des droits de l’homme, l’État partie note que le paragraphe 3 de l’article 14 ne vise que les personnes accusées d’infraction pénale. En outre, ni le Protocole facultatif ni le Règlement intérieur du Comité ne prévoit que l’aide judiciaire doit être assurée aux auteurs de communications.

4.6En ce qui concerne la plainte pour discrimination fondée sur la race, en violation de l’article 26 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, due au fait que la loi de 1982 ne s’appliquait qu’aux seuls Samoans, l’État partie souligne que la loi a été promulguée pour remédier à l’anomalie de la législation néo-zélandaise révélée par le Conseil privé dans sa décision concernant l’affaire « Lesa » et qui ne touchait que les personnes nées au Samoa-Occidental entre 1924 et 1949. L’État partie fait valoir que si le Conseil privé avait constaté qu’un autre groupe de personnes n’ayant pas de liens authentiques et réels avec la Nouvelle-Zélande avait aussi par inadvertance reçu le statut de citoyen néo-zélandais, ces personnes auraient également été traitées de la même manière.

5.Le conseil réaffirme les allégations formulées dans la communication initiale selon lesquelles les auteurs se sont vu refuser l’entrée dans leur propre pays, ont été privés de leur nationalité, ont été victimes de discrimination pour l’obtention d’un éventuel permis de résidence et ont été privés du droit au regroupement familial.

Décision concernant la recevabilité

6.1À sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

6.2Au sujet de l’allégation selon laquelle le droit reconnu aux auteurs en vertu du paragraphe 3 de l’article 14, a été violé du fait que la Nouvelle-Zélande n’offre pas d’aide judiciaire permettant de présenter des communications au Comité des droits de l’homme, le Comité a noté que l’article 14 ne vise que les procédures internes et qu’il n’existe ni dans le Pacte ni dans le Protocole facultatif de disposition distincte relative à l’obligation de fournir une aide judiciaire aux personnes qui présentent des plaintes au titre du Protocole facultatif. En l’espèce, le Comité a estimé que les auteurs n’étaient pas fondés à invoquer l’article 3 du Protocole facultatif, et que cette partie de la communication était en conséquence irrecevable.

6.3Les auteurs affirment que, conformément à la décision prise dans l’affaire « Lesa », ils sont citoyens néo-zélandais et ont donc le droit d’entrer librement sur le territoire néo-zélandais et d’y résider, malgré la loi de 1982 qui les a dépouillés de leur nationalité néo-zélandaise. La loi en question a été promulguée en 1982, après la ratification par la Nouvelle-Zélande du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais avant la ratification du Protocole facultatif en 1989. Le Comité a considéré toutefois que la loi en question pouvait avoir des effets persistants qui pourraient constituer en eux-mêmes une violation des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. La question de savoir si ces effets persistants constituaient une violation du Pacte devrait être examinée quant au fond. Le Comité a estimé en conséquence qu’il n’était pas empêché ratione temporis de déclarer la communication recevable.

6.4Pour ce qui est des allégations au titre des articles 17 et 26 du Pacte, selon lesquelles les auteurs auraient le droit de rester en Nouvelle-Zélande malgré les arrêtés d’expulsion et le droit au regroupement familial sans discrimination, le Comité a noté que l’État partie a affirmé que la communication devait être déclarée irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes. Il n’était pas évident pour le Comité que les recours que les auteurs pouvaient encore exercer auraient pour effet d’empêcher leur expulsion. Par conséquent, ces allégations pouvaient soulever des questions au regard des articles 17 et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 23, questions qui devaient être examinées quant au fond. Elles pouvaient également soulever des questions au regard de l’article 16 du Pacte en ce qui concerne Mme Toala et son fils, Eka Toala, car ces derniers n’avaient pas été traités comme des personnes à part entière, mais plutôt comme une extension de la personne de M. Toala qui était considéré comme un migrant interdit de séjour en raison d’une infraction pénale commise au Samoa-Occidental; ces questions devaient être examinées quant au fond. Le Comité a considéré qu’il n’était pas empêché, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, d’examiner la communication.

6.5L’État partie et le conseil des auteurs ont été priés de faire savoir au Comité si les éventuels recours qui pourraient être ou avaient été offerts aux auteurs auraient pour effet de suspendre la procédure d’expulsion.

7.Le 10 juillet 1998, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au regard du paragraphe 4 de l’article 12 et des articles 17, 23 et 26 pour tous les plaignants et de l’article 16 pour Mme Toala et son fils, Eka Toala.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires du conseil

8.1Dans sa réponse datée du 12 février 1999, l’État partie fait observer que les plaintes des auteurs s’articulent essentiellement autour de l’argument selon lequel le Gouvernement néo-zélandais a agi d’une façon arbitraire, abusive et contraire aux dispositions du Pacte, en promulguant la loi de 1982 sur la citoyenneté (Samoa-Occidental).

8.2L’État partie fournit des informations détaillées pour prouver que le Samoa-Occidental n’était pas généralement considéré comme un dominion de Sa Majesté et que dans les périodes mentionnées ses habitants étaient considérés non pas comme des sujets britanniques ou des citoyens néo-zélandais respectivement, mais comme des personnes dotées d’un autre statut spécial qui tenait aux particularités du mandat et de la tutelle. L’État partie explique en outre que, à partir de l’indépendance du Samoa-Occidental, en 1962, les habitants étaient censés ne posséder et ne devoir posséder que la nationalité du nouvel État, et que l’initiative législative prise en 1982 par le Gouvernement néo-zélandais (après consultation du Gouvernement samoan et avec son accord) afin de remédier aux effets de la décision rendue dans l’affaire « Lesa » visait à résoudre le problème considérable et totalement imprévu de la double nationalité qui en résultait. Il affirme par ailleurs qu’il a agi dans ce domaine selon des critères raisonnables et objectifs, dans le respect du droit international général et dans un but général légitime au regard du Pacte (notamment de l’article premier concernant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes); ainsi ses actes ne constituaient pas, pour ce qui est des personnes visées, une discrimination interdite par le Pacte. L’État partie soutient par conséquent qu’il n’est responsable d’aucune violation de l’article 26 ni du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.

8.3En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, l’État partie estime que, n’étant pas citoyens néo-zélandais, les auteurs de la communication ont été soumis à bon droit aux dispositions de la loi de 1987 sur l’immigration qui fondent la mesure d’expulsion prise à leur encontre, qu’ils ont le droit de se rendre au Samoa-Occidental et que par conséquent ils n’ont pas été arbitrairement privés de leur droit d’entrer dans leur « propre pays » en violation du paragraphe 4 de l’article 12.

8.4Au sujet des observations des auteurs et du Comité des droits de l’homme concernant la possibilité que la loi de 1982 sur la citoyenneté ait « des effets persistants », qui pourraient constituer en eux-mêmes une violation des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, l’État partie réaffirme que ces effets persistants n’existent pas et que par conséquent cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis.

8.5Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, l’État partie fait valoir que la loi de 1987 sur l’immigration a été appliquée à bon droit à M. et Mme Toala et au jeune Eka Toala puisqu’ils n’étaient pas citoyens néo-zélandais, et que leur situation de famille a été attentivement et rationnellement examinée par les autorités néo-zélandaises, notamment par l’organe de recours compétent (l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion), qui n’a pas trouvé de motifs suffisants pour annuler les arrêtés d’expulsion. L’État partie considère que ces arrêtés d’expulsion ne constituent pas non plus une immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée de la famille Toala, au sens du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

8.6En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie objecte que les auteurs de la communication n’ont pas étayé leur allégation générale selon laquelle il n’existe pas de recours en Nouvelle-Zélande pour les personnes qui s’estiment lésées par une loi ou un règlement contraire ou présumé contraire aux dispositions du Pacte. L’État partie renvoie à une série de décisions rendues par des tribunaux néo-zélandais dans lesquels les juges ont fait référence aux dispositions du Pacte. Il affirme que les auteurs de la communication sont dans l’erreur quand ils allèguent en termes généraux qu’il « n’existe pas en Nouvelle-Zélande de recours disponibles pour les personnes dont les droits ont été violés du fait de textes contraires ou réputés contraires au Pacte ».

8.7L’État partie fait remarquer en outre qu’en tout état de cause les auteurs de la communication ne peuvent avancer une telle allégation dans l’abstrait en invoquant le Protocole facultatif, puisque ce dernier fait aux plaignants obligation de montrer qu’ils ont été particulièrement et concrètement lésés – en l’espèce par l’absence de recours utile – en violation d’un article du Pacte. Dans la mesure où les auteurs font valoir qu’ils n’ont pas pu exercer de recours contre l’article 6 de la loi de 1982 sur la citoyenneté (Samoa-Occidental), qui retire la nationalité néo-zélandaise à la catégorie de Samoans visés, l’État partie réaffirme que cet article n’est contraire à aucune disposition du Pacte, et que par conséquent la question de l’absence de recours utile contre l’application de l’article 6 n’est pas pertinente en l’espèce.

8.8En réponse au Comité des droits de l’homme qui a demandé au Gouvernement de la Nouvelle-Zélande et au conseil des auteurs de lui faire savoir si les recours qui pourraient être ou sont offerts aux auteurs auraient pour effet de suspendre la décision d’expulsion, l’État partie explique les procédures qui s’appliquent en vertu de la loi de 1987 sur l’immigration aux personnes frappées d’un arrêté d’expulsion :

•Un recours peut être formé devant l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion, dans les 42 jours suivant la date à laquelle la décision d’expulsion a été signifiée, soit au motif que l’intéressé ne se trouve pas illégalement en Nouvelle-Zélande soit pour des raisons humanitaires exceptionnelles. L’arrêté d’expulsion ne peut être exécuté tant que l’Autorité n’a pas statué sur la demande d’annulation.

•Un recours contre la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion peut être formé auprès de la Haute Cour, uniquement sur un point de droit, dans les 28 jours qui suivent la notification de la décision de l’Autorité. L’arrêté d’expulsion ne peut être exécuté tant qu’il n’a pas été statué sur le recours.

•Sur autorisation, l’intéressé peut attaquer la décision de la Haute Cour devant la cour d’appel, en invoquant un point de droit. L’exécution de l’arrêté d’expulsion est suspendue tant qu’il n’a pas été statué sur le recours.

•L’intéressé peut également saisir la Haute Cour d’une demande de révision judiciaire de la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Il est possible de demander une mesure conservatoire tendant à suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Il n’y a pas de prescription extinctive formelle de ce droit. La décision de la Haute Cour peut à son tour être contestée devant la cour d’appel si l’intéressé estime qu’elle a méconnu un point de droit.

•L’intéressé peut également demander au Ministre de l’immigration de délivrer une instruction spéciale. Ce recours peut être exercé même après que toutes les autres voies légales ont été épuisées.

8.9En ce qui concerne l’utilisation que les auteurs de la communication ont faite des procédures décrites plus haut, l’État partie note que M. et Mme Toala, ainsi que leur fils Eka Toala, se sont pourvus auprès de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Celle-ci a rendu une décision de rejet le 13 août 1993. M. et Mme Tofaeono ont l’un et l’autre fait la même démarche. L’Autorité a rendu une décision de rejet le 28 juin 1996. Aucun des auteurs ne s’est pourvu auprès de la Haute Cour contre la décision de l’Autorité et aucun n’a non plus engagé la procédure de révision judiciaire. En avril 1995, le représentant de la famille Tofaeono a informé le Service néo-zélandais de l’immigration qu’il préparait un dossier pour demander la révision judiciaire. Le dossier n’a jamais été déposé. De même, en 1993, le représentant de M. Toala a informé le Service néo-zélandais de l’immigration que les Toala allaient demander la révision judiciaire de la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Cela n’a pas été fait et la procédure d’expulsion contre la famille Toala a été relancée en 1994. Depuis les décisions rendues par l’Autorité en 1993 et 1996, seuls les Toala ont déposé une requête auprès du Ministre de l’immigration pour demander une instruction spéciale en application de l’article 130 de la loi de 1987 sur l’immigration. Cette demande, en date du 13 janvier 1999, vise à obtenir l’annulation de l’arrêté d’expulsion concernant les Toala et l’octroi de permis de résidence de façon qu’ils puissent demeurer légalement en Nouvelle-Zélande en attendant l’issue de l’examen de la communication par le Comité des droits de l’homme.

8.10En ce qui concerne l’observation du Comité des droits de l’homme qui estime que les allégations des auteurs peuvent soulever des questions au regard de l’article 16 du Pacte en ce qui concerne Mme Toala et son fils Eka Toala, l’État partie fait valoir que ni les auteurs ni leurs représentants n’ont formulé de plainte au titre de l’article 16 du Pacte. Il relève aussi que les membres de la famille Toala avaient et ont assurément le droit d’être traités comme des sujets de droit à part entière quand ils invoquent la loi sur l’immigration, mais qu’ils ont choisi en 1987, puis de nouveau en 1989, de demander un permis de résidence permanente en Nouvelle-Zélande en se prévalant des mesures gouvernementales en faveur du regroupement familial; ils se sont donc présentés en tant que famille, et non comme trois personnes distinctes, ce qui a annulé de ce fait toute prétention à voir leur cas traité individuellement.

8.11L’État partie soutient qu’aucune disposition de la loi et des règlements sur l’immigration n’oblige les membres d’une famille à présenter une demande groupée, la règle étant que le conjoint et les enfants peuvent être inclus dans la requête du demandeur, qui devient dès lors le demandeur principal. Mme Toala et le jeune Eka Toala auraient donc pu être demandeurs principaux à part entière s’ils avaient choisi de déposer des demandes séparées. L’État partie explique qu’en cas de demande collective, c’est au demandeur principal que seront appliqués les critères normaux relatifs aux autorisations de séjour, bien que toutes les personnes incluses dans la demande soient elles aussi tenues de remplir les conditions requises sur le plan de la moralité et de la santé. M. Toala était le demandeur principal de la demande de permis de résidence qui concernait aussi Mme Toala et Eka Toala, mais il ne remplissait pas les conditions requises en matière de moralité. L’État partie fait valoir que les choix faits volontairement par les Toala afin de se prévaloir des dispositions relatives à la situation familiale contenues dans la loi sur l’immigration expliquent pourquoi ils ont été traités comme un groupe par les services néo-zélandais de l’immigration, et réaffirme que cela n’a en rien porté atteinte à l’article 16 du Pacte. L’État partie note aussi que les arrêtés d’expulsion ont été signifiés séparément à M. Toala d’une part, et à Mme Toala et son fils Eka d’autre part. M. Toala, et Mme Toala et Eka, ont chacun de leur côté fait appel de la décision devant l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Dans sa décision de rejet du 13 août 1993, l’Autorité indique spécifiquement que le cas de M. Toala, ainsi que celui « de son épouse et de son fils », ont été « pleinement examinés ».

9.1Dans ses commentaires, le conseil des auteurs affirme que le litige qui oppose la Nouvelle-Zélande et les auteurs reste entier. Elle objecte que la réponse de l’État partie se résume pour l’essentiel à une attaque contre la décision du Conseil privé dans l’affaire Lesa v. Attorney-General of New Zealand.

9.2Le conseil réitère l’allégation initiale des auteurs, à savoir qu’ils sont Samoans et qu’il ressort clairement de la décision de la section judiciaire du Conseil privé que la Nouvelle-Zélande est leur « propre pays ». Elle considère qu’en adoptant une loi qui dépouillait les auteurs de leur nationalité néo-zélandaise, la Nouvelle-Zélande les a placés dans une catégorie d’étrangers que le Gouvernement néo-zélandais pouvait à bon droit expulser. En ce sens, les auteurs sont privés des droits qui leur sont garantis au paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. D’après le conseil cette disposition du Pacte signifie qu’une fois que la nationalité a été accordée, elle ne peut être retirée, si ce retrait revient à restreindre le droit qu’a chaque individu d’entrer dans le pays dont il est citoyen. C’est ce que le Parlement néo-zélandais a fait à de nombreux Samoans, dont les auteurs.

9.3En ce qui concerne les allégations formulées au titre des articles 17, 23 et 26, le conseil réitère les arguments développés dans la communication initiale, c’est-à-dire que les auteurs sont victimes de discrimination en raison de leur origine polynésienne et que l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion n’a pas dûment pris en considération leur situation familiale et humanitaire.

9.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le conseil réaffirme que comme le motif pour lequel les auteurs contestent leur expulsion repose sur l’invalidité de la loi de 1982 sur la citoyenneté (Samoa-Occidental) et que la nouvelle législation néo-zélandaise ne permet pas une révision judiciaire d’un texte de loi, ce recours n’est pas offert aux auteurs.

Révision de la décision de recevabilité

10.Le Comité note que l’État partie a donné des informations sur les procédures offertes aux auteurs pour obtenir la révision judiciaire de la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Il apparaît que, bien que les auteurs aient fait savoir qu’ils avaient l’intention de se prévaloir de cette procédure, ils ne l’ont pas fait. Ils n’ont pas avancé de motif pour expliquer qu’ils n’aient pas fait usage de ces recours afin de faire valoir l’argument selon lequel leur expulsion de Nouvelle-Zélande constituerait une violation des droits consacrés aux articles 17 et 23 du Pacte et, dans le cas de Mme Toala et de son fils Eka, de l’article 16. Dans ces circonstances, le Comité estime que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles. En conséquence, conformément au paragraphe 4 de l’article 93 de son règlement intérieur, le Comité revient sur sa décision de recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

11.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2En ce qui concerne la revendication des auteurs qui veulent entrer en Nouvelle-Zélande et y demeurer, le Comité note que tout dépend de la question de savoir si, en vertu du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, la Nouvelle-Zélande est ou a été à un moment ou à un autre leur « propre pays » et, dans l’affirmative, s’ils ont été privés arbitrairement du droit d’entrer en Nouvelle-Zélande. À ce sujet, le Comité note qu’aucun des auteurs ne possède actuellement la nationalité néo-zélandaise et qu’aucun n’y a droit en vertu de la législation néo-zélandaise. Il note aussi que tous les auteurs sont des nationaux samoans, conformément à la loi sur la nationalité du Samoa-Occidental qui s’applique depuis 1959.

11.3Le Comité relève que la décision prise dans l’affaire « Lesa » en 1982 a eu pour effet de donner à quatre des auteurs la nationalité néo-zélandaise à la date de leur naissance. Le cinquième, Eka Toala, est né en 1984, et la décision « Lesa » ne semble donc pas avoir eu d’incidence pour lui. Les quatre auteurs qui avaient eu la nationalité néo-zélandaise à la suite de la décision dans l’affaire « Lesa » avaient de ce fait le droit d’entrer en Nouvelle-Zélande. Quand la loi de 1982 leur a retiré la nationalité néo-zélandaise, elle leur a ôté le droit d’entrer en Nouvelle-Zélande en tant que citoyens. À partir de ce moment-là, leur droit d’entrer en Nouvelle-Zélande était régi par la législation néo-zélandaise relative à l’immigration.

11.4Dans son Observation générale relative à l’article 12, le Comité relève que « les États parties ne doivent pas, en privant une personne de sa nationalité ou en l’expulsant vers un autre pays, empêcher arbitrairement celle-ci de retourner dans son propre pays ». En l’espèce, le Comité considère que les circonstances dans lesquelles les auteurs ont acquis puis perdu la nationalité néo-zélandaise doivent être examinées dans le contexte des questions soulevées au regard du paragraphe 4 de l’article 12.

11.5Le Comité note qu’en 1982 les auteurs n’avaient pas avec la Nouvelle-Zélande de liens découlant de la naissance, de la parenté (ascendants néo-zélandais), de liens affectifs ou de la résidence dans ce pays. Ils ne savaient pas qu’ils avaient droit à la nationalité néo-zélandaise au moment où la décision a été rendue dans l’affaire « Lesa » et ils avaient acquis cette nationalité involontairement. Il apparaît également que, à l’exception de M. Toala, aucun des auteurs n’avait jamais été en Nouvelle-Zélande. Tous ces facteurs font qu’il peut être affirmé que la Nouvelle-Zélande n’est pas devenue leur « propre pays » à la suite de la décision « Lesa ». Quoi qu’il en soit toutefois, le Comité ne considère pas que le retrait de leur nationalité néo-zélandaise ait été arbitraire. En plus des circonstances déjà énoncées, aucun des auteurs n’avait été en Nouvelle-Zélande entre la date à laquelle la décision a été rendue dans l’affaire « Lesa » et la date de l’adoption de la loi de 1982. Ils n’avaient jamais demandé le passeport néo-zélandais, ni demandé à exercer un quelconque droit en tant que nationaux néo-zélandais. Le Comité est donc d’avis qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 4 de l’article 12.

11.6Pour ce qui est de l’argument selon lequel la loi de 1982 était discriminatoire, le Comité relève que ce texte s’appliquait uniquement aux Samoans qui n’étaient pas résidents en Nouvelle-Zélande et qu’à cette époque les auteurs ne résidaient pas en Nouvelle-Zélande et n’avaient aucun lien avec ce pays. Rien ne permet de conclure que l’application de la loi aux auteurs ait été discriminatoire, en violation de l’article 26 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de Abdelfattah Amor,Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,Pilar Gaitan de Pombo et Hipólito Solari Yrigoyen

La majorité des membres du Comité ont décidé de revenir sur la recevabilité de la communication et ont estimé que celle-ci devait être déclarée irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Il nous est difficile de les suivre dans cette voie apparemment facile, qui évite de se prononcer sur le fond et de prendre une décision qui pourrait aboutir à un résultat assez gênant. Le Comité avait examiné la question de la recevabilité quand il en était à ce stade de l’examen de la communication et l’avait déclarée recevable notamment au regard des articles 17 et 23. Nous ne voyons aucune raison de changer de position. Nous avons examiné l’affaire Tavita v. The Minister of Immigration [1994] ainsi que l’affaire Puli’uvea v. Removal Authority [1996]. Nous avons relevé que la décision du Ministre de l’immigration dans une affaire et la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion dans l’autre avaient été attaquées devant la cour d’appel au motif qu’elles étaient incompatibles avec les obligations internationales contractées par la Nouvelle-Zélande. Mais en l’espèce c’est un texte législatif parlementaire de la Nouvelle-Zélande qui a placé les auteurs dans la situation à l’origine de leurs griefs au regard du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte et il est extrêmement improbable que la cour d’appel soit compétente pour passer outre à un texte adopté par le Parlement et pour faire droit aux auteurs. De plus, la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion a été rendue en août 1992 et il était hautement improbable qu’à cette date les obligations internationales puissent être exécutoires par les tribunaux en Nouvelle-Zélande en l’absence de législation interne. Ce n’est qu’en 1994 quand la décision a été rendue dans l’affaire « Tavita » que la situation est devenue claire mais à ce moment-là le délai pour se pourvoir devant la cour d’appel en application de l’article 115A avait expiré. Nous considérons que la communication ne peut pas être déclarée irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes.

Nous relevons que M. et Mme Toala n’ont pas d’enfants au Samoa-Occidental pour s’occuper d’eux et que leurs enfants en Nouvelle-Zélande sont les seuls soutiens sur lesquels ils puissent compter. Les auteurs vivent en Nouvelle-Zélande depuis 1986 et ont établi de véritables liens familiaux dans ce pays. Le refus de l’État partie de régulariser la situation des trois auteurs a pour motif principal la condamnation pénale prononcée contre M. Toala en 1980. Les documents dont le Comité est saisi ne montrent pas que l’attention voulue ait été portée à la vie de famille des auteurs. Nous estimons que dans les circonstances particulières de l’affaire, refuser d’autoriser les auteurs à résider en Nouvelle-Zélande avec leurs enfants adultes, qui sont les seules personnes à pouvoir s’occuper de M. et Mme Toala, est une mesure disproportionnée et constituerait par conséquent une immixtion arbitraire dans leur vie de famille. Nous estimons donc qu’il y a bien violation des articles 17 et 23 en ce qui concerne M. et Mme Toala et leur fils Eka.

(Signé) Abdelfattah Amor(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati(Signé) Pilar Gaitan de Pombo(Signé) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

D.Communication No 687/1996, Rojas García c. Colombie(constatations adoptées le 3 avril 2001,soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Conformément à l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Rafael Rivas Posada n’a pas participé à l’examen de la communication.

Le texte d’une opinion individuelle signée par deux membres du Comité, M. Nisuke Ando et M. Ivan A. Shearer, est joint en annexe au présent document.

Présentée par :Rafael Armando Rojas García

Au nom de :L’auteur

État partie :Colombie

Date de la communication :30 août 1995 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 687/1996 présentée par M. Rafael Armando Rojas García conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Pacte

1.L’auteur de la communication est Rafael Armando Rojas García, citoyen colombien, qui saisit le Comité en son nom et en celui de sa mère âgée, de ses deux enfants, de son frère et de deux soeurs, de trois nièces et d’une employée de maison. Toutes ces personnes auraient selon lui été victimes de violations par la Colombie des dispositions suivantes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : article 7, paragraphe 3 a de l’article 14, paragraphes 1 et 2 de l’article 17, paragraphe 3 a) de l’article 19, articles 23 et 24. Les faits exposés semblent aussi soulever une question au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 janvier 1993 à 2 heures du matin, un groupe d’hommes armés en civil, appartenant au bureau du Procureur public (Cuerpo Técnico de Investigación de la Fiscalía), ont pénétré par effraction dans la maison de l’auteur, en passant par le toit. Ces hommes ont fouillé chacune des pièces de la maison, terrorisant et injuriant les membres de la famille de l’auteur, même les jeunes enfants. Pendant cette perquisition, l’un d’eux a tiré un coup de feu en l’air. Deux autres hommes ont pénétré dans la maison par la porte d’entrée; l’un d’eux a tapé à la machine à écrire une déclaration et a obligé le seul homme adulte de la famille présent (Alvaro Rojas) à la signer, sans lui permettre de la lire ou d’en avoir une copie. Alvaro Rojas ayant demandé s’il était nécessaire d’agir avec tant de brutalité, il lui a été répondu qu’il n’avait qu’à s’adresser au Procureur, Carlos Fernando Mendoza. C’est alors que la famille Rojas a appris que la perquisition avait été ordonnée dans le cadre de l’enquête ouverte à la suite de l’assassinat du maire de Bochalema, Ciro Alfonso Colmenares.

2.2Le même jour, Alvaro Rojas a porté plainte auprès du Procureur de Cúcuta (Procuraduría Provincial de Cúcuta) pour violation de domicile. Cette autorité provinciale a ouvert une enquête, mais celle-ci n’a jamais été menée à son terme et l’affaire a simplement été classée sans suite le 3 novembre 1993, sans que l’auteur en soit informé. Il a déposé une nouvelle plainte auprès du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative de Bogota (Procuraduría General de la Nación, Procuraduría Delegada de la Policía Judicial y Administrativa), plainte qui a également été classée, le 24 juin 1994, prétendument en application du principe non bis in idem. L’auteur a alors saisi le tribunal administratif de Cúcuta, afin d’obtenir réparation pour cette brutale intrusion, avec utilisation d’arme à feu, à son domicile.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que cette brutale descente à son domicile a été une expérience psychologiquement très traumatisante, qui a eu des effets préjudiciables sur la santé de sa soeur invalide, Fanny Elena Rojas García. Celle-ci est morte le 8 août 1993, la perquisition violente étant considérée comme la cause indirecte du décès. La mère de l’auteur, âgée de 75 ans, ne s’est jamais complètement remise du choc.

3.2L’auteur indique que, loin de mener avec diligence une enquête, les autorités ont tout fait pour couvrir l’incident. Personne n’a jamais cherché à déterminer la responsabilité des autorités qui avaient autorisé l’opération ni des agents qui l’avaient exécutée, notamment de l’homme qui avait tiré un coup de feu dans une chambre où dormaient de jeunes enfants.

3.3L’auteur considère que ces événements constituent des violations de l’article 7, du paragraphe 3 a de l’article 14, des paragraphes 1 et 2 de l’article 17, du paragraphe 3 a) de l’article 19 et des articles 23 et 24 du Pacte.

Observations de l’État partie et réponse de l’auteur

4.1Dans une réponse datée du 12 novembre 1996, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, étant donné qu’une enquête susceptible de déboucher sur une procédure disciplinaire est toujours en cours à l’égard des personnes qui étaient entrées au domicile de l’auteur.

4.2L’État partie fait valoir en outre que l’entrée au domicile de l’auteur s’est faite dans le respect de toutes les prescriptions légales énoncées à l’article 343 du Code de procédure pénale et était donc légale. La perquisition avait été ordonnée par un fonctionnaire de justice, Miguel Angel Villamizar Becerra, et a été effectuée en présence d’un procureur (procurador). L’État partie précise que le Procureur général (Fiscalía General ) a demandé aux services d’enquête interne (Veeduría) toutes les pièces concernant les responsabilités éventuelles des agents qui ont pris part à l’opération afin de déterminer si une action disciplinaire devait être engagée. L’État partie signale aussi qu’une enquête disciplinaire a été menée par la direction des enquêtes (Dirección Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación) et par le Procureur chargé des affaires de la police judiciaire (Procuraduría Delegada para la Policía Judicial); dans les deux cas l’affaire a été classée.

5.Dans ses commentaires datés du 22 janvier 1997, l’auteur réaffirme que la perquisition était illégale, car l’article 343 du Code de procédure pénale ne permet pas des actions « de type commando » menées de nuit, les intrusions domiciliaires par le toit, les coups de feu en l’air, etc. D’après lui, le Procureur chargé des affaires militaires (Fiscal Delegado ante las Fuerzas Armadas) n’était pas présent et le Procureur (procurador) n’est apparu que tout à la fin de l’opération et seulement pour établir un procès-verbal, dont le frère de l’auteur n’a pas reçu copie. L’auteur réaffirme que la perquisition a eu de très grandes répercussions sur sa famille, dont les membres ont été montrés du doigt, accusés d’être les assassins de l’ancien maire, que sa soeur est morte à la suite de cette descente de police et que sa mère et ses jeunes enfants sont toujours traumatisés. Il note que les procédures administratives engagées en 1993 n’ont à ce jour donné aucun résultat.

6.Le 14 octobre 1997, l’État partie a informé le Comité qu’il s’était plusieurs fois enquis de la procédure administrative entamée. Le Procureur général (Fiscalía General de la Nación) a demandé à la direction des enquêtes de Cúcuta (Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación) si une action avait été engagée contre l’agent Gabriel Ruiz Jiménez. Au 30 avril 1997, aucune procédure n’avait été engagée. L’État partie s’est de nouveau enquis de l’existence d’une procédure en juin, juillet et août 1997 et à chaque fois la réponse a été négative. Il affirme que l’enquête se poursuit et que par conséquent les recours internes n’ont pas été épuisés.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa soixante-deuxième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication et a noté que l’État partie demandait qu’elle soit déclarée irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Le Comité a considéré que, dans les circonstances de l’affaire, il convenait de conclure que l’auteur avait essayé avec diligence, mais en vain, de faire usage des recours ouverts afin de déterminer les responsabilités dans la violation de son domicile. Plus de cinq ans après les faits (au moment de la décision concernant la recevabilité), les responsables n’avaient pas été identifiés ni inculpés et encore moins jugés. Le Comité a conclu que dans ces conditions les procédures de recours avaient excédé les « délais raisonnables » au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte, du paragraphe 3 a) de l’article 19 et des articles 23 et 24, le Comité a constaté qu’il s’agissait d’observations de caractère général et qu’elles n’étaient pas étayées par de nouveaux éléments. Ainsi, rien n’indiquait que l’auteur ait été accusé d’une infraction pénale dont il n’avait pas été informé dans le plus court délai [art. 14, par. 3 a)] ou qu’il y ait eu atteinte à son droit à la liberté d’expression (art. 19) et l’auteur n’explique pas non plus en quoi l’État se serait immiscé dans sa vie de famille ou n’aurait pas respecté les droits des enfants (art. 23 et 24).

7.3En ce qui concerne les autres allégations – relatives à l’article 7 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 17 du Pacte –, le Comité a estimé qu’elles étaient suffisamment étayées pour être recevables et qu’elles devaient donc être examinées au fond.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur

8.1Dans une réponse datée du 28 décembre 1999, l’État partie réaffirme sa position en ce qui concerne l’irrecevabilité de la communication et considère qu’il n’y a eu aucune violation des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.2L’État partie signale, comme l’avait déjà fait l’auteur, que les services techniques du parquet de Cúcuta ont découvert une enquête administrative tendant à faire la lumière sur l’incident survenu le 5 janvier 1993 lors de la descente au domicile de la famille Rojas García et que, par une ordonnance du 3 novembre 1993, il a décidé le classement sans suite. De même, après l’enquête visant à établir les faits, des investigations préliminaires pour ces mêmes faits ont été ordonnées contre Gabriel Juiz Jiménez qui avait tiré le coup de feu pendant l’opération. D’après le Procureur délégué, il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête préliminaire étant donné qu’il avait été établi que le Procureur général de la nation, par l’intermédiaire de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait engagé et achevé une procédure disciplinaire pour ces mêmes faits, procédure qui avait abouti à une décision de classement (voir par. 2.2).

8.3Par un acte en date du 10 mai 1999, le Procureur général de la nation a réaffirmé que la direction des services techniques du parquet de Cúcuta qui avait engagé la procédure préliminaire disciplinaire à l’encontre de Gabriel Ruiz Jiménez avait décidé de classer l’affaire considérant qu’il avait tiré accidentellement et non par négligence ou par abus de pouvoir, raison pour laquelle il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête pénale.

8.4En ce qui concerne le traumatisme psychologique causé aux habitants de la maison par la panique, l’État partie affirme qu’il appartient à un expert médical de le déterminer, dans le cadre de la procédure contentieuse administrative qui est en cours.

8.5L’État partie signale que l’auteur a engagé, pour les mêmes faits, devant le tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander une action en réparation des préjudices qui auraient été causés.

8.6L’État partie ne partage pas l’avis du Comité qui affirme que plus de cinq ans après les faits les responsables des incidents n’ont pas été identifiés ni inculpés. Pour lui, il est clair que la perquisition a été menée par des membres des services techniques du parquet, conformément à l’article 343 du Code de procédure pénale qui dispose :

«  Perquisition : procédure et conditions. S’il existe des motifs sérieux de supposer que se trouvent dans un bien immeuble, un navire ou un aéronef une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrestation, ou les armes, instruments ou objets qui ont servi à commettre l’infraction ou qui proviennent de son accomplissement, l’autorité judiciaire ordonne, par une décision motivée, la perquisition et la saisie.

La décision visée au paragraphe précédent n’a pas besoin d’être notifiée. »

8.7Ainsi l’État partie estime que la responsabilité pour une éventuelle irrégularité par les intéressés dans l’exercice de leurs fonctions doit être déterminée par les enquêtes des autorités compétentes. En ce qui concerne la responsabilité supposée de M. Gabriel Ruiz Jiménez, le Procureur général a établi qu’il s’agissait d’un accident.

8.8Pour ce qui est de la durée excessive des procédures de recours internes au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, à laquelle se réfère le Comité, l’État partie fait les remarques suivantes :

1.Depuis les faits, le frère de l’auteur a exercé les recours prévus par la législation nationale auprès du Procureur général de la nation qui, par l’intermédiaire du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative de Bogota, a ordonné par une décision du 24 juin 1994 le classement de l’affaire étant donné que le Procureur général de la nation, par l’intermédiaire de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait mené à bien une enquête disciplinaire pour les mêmes faits. L’État partie explique que le simple fait qu’un recours interne n’aboutisse pas ne suffit pas à montrer qu’il n’existe pas de recours ou que tous les recours internes utiles ont été épuisés. Si, dans une affaire comme l’affaire à l’étude, le recours n’est pas approprié, il est évident qu’il n’est pas nécessaire de l’exercer mais qu’il faut en former un autre plus approprié.

2.M. Rojas García a engagé de plus une action en réparation contre l’État auprès du tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander en se prévalant d’une autre voie de recours; quand l’État partie a reçu la communication, la décision était sur le point d’être rendue. Donc, contrairement à ce que le Comité affirme, les procédures n’ont pas excédé des délais raisonnables étant donné que les circonstances de l’affaire ont exigé que les recours employés soient aussi appropriés et efficaces que possible. Pour que les recours soient appropriés, il faut que leur fonction dans le système interne soit de nature à assurer la protection de la situation juridique à laquelle il a été porté atteinte. Le recours vise à produire un effet et ne peut pas être interprété comme n’ayant pas produit d’effet ou comme ayant eu un résultat manifestement absurde ou déraisonnable. Les autorités compétentes n’ont pas eu l’intention de prolonger les investigations mais toute légèreté de leur part aurait réellement conduit à des décisions absurdes et illogiques.

8.9L’État partie réaffirme que M. Rojas García n’avait pas épuisé les recours internes au moment où il a soumis sa communication au Comité, qui aurait dû la déclarer irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.1Les observations de l’État partie sur le fond ont été transmises à l’auteur qui, dans une réponse datée du 14 mars 2000, réfute quelques-uns des arguments avancés. Ainsi il réaffirme qu’une famille qui n’a jamais eu affaire avec la justice a été victime d’une violation de domicile et ses membres ont été maltraités. Il explique que la perquisition a eu lieu parce qu’on supposait que dans cette maison se trouvaient les criminels et que, quand les agents se sont aperçus qu’il n’y avait que des enfants et des personnes âgées, au lieu de reconnaître leur erreur, on n’a fait jusqu’ici que persister.

9.2D’après l’auteur, l’article 343 du Code de procédure pénale ne pouvait pas être appliqué dans le cas du domicile d’une famille honnête sans que les conditions légales les plus élémentaires prévues pour ce genre de cas soient réunies. En faisant violemment irruption dans la maison, par le toit, à 2 heures du matin et en tirant un coup de feu, les agents ont porté atteinte au droit à la protection de la vie, au droit à la vie de famille et à d’autres droits et libertés garantis dans la Constitution colombienne.

9.3L’auteur réfute l’argument du Gouvernement qui donne à entendre que plus une enquête dure longtemps moins les décisions sont absurdes et illogiques. L’auteur réitère que, plus de sept années se sont écoulées depuis les faits et que l’affaire n’a toujours pas été réglée.

9.4L’auteur ajoute qu’il serait impératif que les cas arbitraires où il est fait un usage injustifié de la force soient considérés comme des affaires spéciales justifiant un traitement particulier, de façon à pouvoir être étudiées par des organismes internationaux de surveillance et préserver ainsi l’impartialité nécessaire pour qu’un procès soit équitable.

9.5Dans une autre lettre datée du 10 juillet 2000, l’auteur donne des renseignements sur l’issue de l’action qu’il a engagée contre l’État devant le tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander afin d’obtenir réparation : le tribunal a décidé de rejeter ses prétentions en invoquant l’absence de preuve et en s’en tenant strictement à l’article 343 du Code de procédure pénale. L’auteur signale que la décision a été attaquée en deuxième instance auprès du Conseil d’État, à Bogota.

9.6L’auteur réaffirme que, d’après des témoins oculaires, la perquisition devait se faire à la maison No 2-36 et non au No 2-44 (celle de la famille Rojas García). Il explique aussi que la veuve de Ciro Alfonso Colmenares (maire de Bochalema, dont l’homicide faisait l’objet de l’enquête qui avait donné lieu à la perquisition au domicile de la famille Rojas) lui a assuré qu’elle ne les avait jamais dénoncés. Pour ce qui est du coup de feu tiré par Gabriel Ruiz Jiménez, il affirme que ce n’était pas un accident mais que l’agent avait tiré une fois qu’il était à l’intérieur pour obliger les occupants à aller chercher les clefs de la porte qui donnait sur la rue. Il signale que, quand ils se sont aperçus que vivait dans la maison une fonctionnaire du parquet régional de Pamplona, Cecilia Rojas García, les agresseurs ont changé d’attitude et certains se sont excusés en déclarant s’être trompés.

9.7En ce qui concerne le décès de sa soeur quelques mois après les faits, l’auteur affirme que les autorités n’ont pas déployé les efforts voulus pour montrer l’existence d’un lien de causalité entre la perquisition et sa mort.

Examen quant au fond

10.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2Le Comité a noté que l’État partie affirmait que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes au moment où il avait adressé sa communication, qui n’aurait pas dû être déclarée recevable. Il note également que selon l’État partie les autorités compétentes n’ont pas eu l’intention de prolonger la procédure mais que toute légèreté de leur part aurait au contraire conduit à des décisions absurdes et illogiques. Le Comité renvoie à ce qu’il a indiqué à ce sujet dans sa décision sur la recevabilité.

10.3Le Comité doit déterminer en premier lieu si les conditions réelles dans lesquelles la perquisition au domicile de la famille Rojas García (irruption au domicile par le toit, à 2 heures du matin, d’hommes en cagoule) s’est déroulée constituent une violation de l’article 17 du Pacte. Dans sa réponse du 28 décembre 1999, l’État partie réaffirme que la perquisition a été effectuée dans le respect de la lettre de la loi, conformément à l’article 343 du Code de procédure pénale. Le Comité ne s’interroge pas sur la légalité de la perquisition, mais il considère que l’article 17 du Pacte oblige à ce que l’immixtion soit non seulement légale mais qu’elle ne soit pas arbitraire. Conformément à son observation générale No 16 (HRI/GEN/1/Rev.4, du 7 février 2000), le Comité estime que la notion d’arbitraire à l’article 17 a pour objet de garantir que même une immixtion prévue par la loi soit conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Il estime en outre que l’État partie n’a pas produit suffisamment d’arguments pour justifier l’opération telle que décrite. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17 dans la mesure où l’immixtion au domicile de la famille Rojas García a été arbitraire.

10.4Le Comité ayant constaté qu’il y avait eu violation de l’article 17 du Pacte du fait du caractère arbitraire de la perquisition au domicile de l’auteur, il ne juge pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la perquisition avait porté atteinte à l’honneur et à la réputation de la famille Rojas García.

10.5Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 7 du Pacte, le Comité constate que l’État partie n’a pas réfuté le traitement que la police a fait subir à la famille Rojas García, tel qu’il est exposé au paragraphe 2.1 ci-dessus. En conséquence, le Comité décide qu’il y a eu en l’occurrence violation du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie à l’égard de la famille Rojas García de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à Rafael A. Rojas García et à sa famille un recours utile sous forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Le Comité demande également à l’État partie de rendre publiques ses constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando et Ivan A. Shearer

Nous souscrivons à la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17, dès lors qu’il y a eu immixtion arbitraire au domicile de la famille Rojas García. Nous ne pouvons cependant partager sa conclusion selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article 7 (par. 10.3 et 10.5).

De l’avis du Comité (la majorité des membres), le traitement subi par la famille Rojas García aux mains de la police, tel qu’il est décrit au paragraphe 2.1 et que l’État partie n’a pas réfuté, constitue une violation de l’article 7. Il est dit au paragraphe 2.1 que le 5 janvier 1993, à 2 heures du matin, un groupe d’hommes armés et en civil, appartenant au parquet, ont pénétré par infraction dans la maison de l’auteur, en passant par le toit; que ces hommes ont fouillé chacune des pièces de la maison, terrorisant et injuriant les membres de la famille de l’auteur, même les jeunes enfants; et que pendant cette perquisition, l’un de ces hommes a tiré un coup de feu en l’air.

Comme l’auteur lui-même le déclare, le groupe d’hommes qui a procédé à la perquisition se serait apparemment trompé de maison (No 2-44 au lieu du No 2-36) et lorsqu’ils se sont rendu compte que dans la maison vivait une fonctionnaire du parquet régional, certains de ses membres se sont excusés en déclarant s’être trompés (par. 9.6). L’auteur explique aussi que la perquisition a eu lieu parce que l’on supposait que dans cette maison se trouvaient des criminels mais que, après l’incident, le parquet, au lieu de reconnaître l’erreur, n’a fait jusqu’ici que persister (par. 9.1).

Selon nous, les membres du groupe qui a procédé à la perquisition devaient forcément s’attendre à une vive résistance, voire armée, de la part des occupants de la maison, parce qu’ils supposaient que l’assassin ou les assassins du maire s’y cachaient. C’est ce qui expliquerait les faits relatés au paragraphe 2.1 : l’irruption par effraction dans la maison, en passant par le toit, au milieu de la nuit; puis la fouille, pièce par pièce, de la maison, accompagnée sans doute de propos grossiers tenus par les membres du groupe; et le coup de feu accidentel tiré par l’un d’eux. Il y a eu certes erreur de la part du parquet, mais il est douteux que le comportement de ceux qui ont procédé à la perquisition par erreur puisse être qualifié de comportement constituant une violation de l’article 7.

Nous pensons que les auteurs de la perquisition ont agi de bonne foi jusqu’à ce qu’ils se soient rendu compte qu’ils s’étaient trompés de maison. L’État partie maintient que la perquisition de la maison de l’auteur s’est déroulée conformément à la loi. Il affirme aussi que la direction des services techniques du parquet avait engagé une procédure préliminaire sur le coup de feu et estimé que celui-ci avait été tiré non par négligence mais accidentellement (par. 8.3). Dans ces circonstances, nous concluons que les membres du groupe qui a procédé à la perquisition n’avaient nullement l’intention de terroriser la famille de l’auteur.

Normalement, pour qu’il y ait violation de l’article 7, le fait doit avoir été commis intentionnellement, et l’absence d’intention plaide en faveur de l’exclusion, ou de l’atténuation, de l’illicéité du fait. Cela vaut pour la perquisition opérée par la police en l’espèce. Il s’ensuit qu’à notre avis, il n’y a pas eu en la présente affaire violation de l’article 7.

(Signé) Nisuke Ando(Signé) Ivan A. Shearer

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

E.Communication No 727/1996, Paraga c. Croatie(constatations adoptées le 4 avril 2001,soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Présentée par :M. Dobroslav Paraga

Au nom de :L’auteur

État partie :Croatie

Date de la communication :16 avril 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 avril 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 727/1996 présentée par M. Dobroslav Paraga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 16 avril 1996, est M. Dobroslav Paraga, citoyen croate résidant à Zagreb. Il affirme être victime de violations par la Croatie du paragraphe 3 de l’article 2, des paragraphes 1 et 5 de l’article 9, de l’article 7, du paragraphe 2 de l’article 12, des paragraphes 2 et 7 de l’article 14, des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 et des articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte est entré en vigueur pour la Croatie le 8 octobre 1991 et le Protocole facultatif le 12 janvier 1996. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur signale qu’il a été un militant des droits de l’homme tout au long de sa vie, qu’il a été emprisonné, torturé et que des procès politiques lui ont été intentés dans l’ex-Yougoslavie. En 1990, il a réorganisé le HSP (Parti croate des droits) qui était interdit depuis 1929 et en est devenu Président.

2.2L’auteur déclare qu’après la désintégration de l’ex-Yougoslavie, le nouveau gouvernement croate l’a lui aussi persécuté et qu’il a été victime de nombreuses mesures répressives (arrestations illégales, déclarations calomnieuses, procès politiques, mandats d’arrestation injustifiés, etc.).

2.3Le 21 septembre 1991, le Vice-Président du HSP, Ante Paradzik, a été assassiné alors qu’il venait de participer à un rassemblement politique. L’auteur affirme qu’il était également visé par l’attentat et que c’était par pur hasard qu’il ne se trouvait pas dans la voiture avec son collègue. En 1993, quatre fonctionnaires du Ministère de l’intérieur ont été reconnus coupables du meurtre de Paradzik; ils auraient été libérés en 1995.

2.4Le 22 novembre 1991, M. Paraga a été arrêté dans une embuscade tendue par la police, au motif qu’il aurait eu l’intention de renverser le Gouvernement. Il a été gardé en détention jusqu’au 18 décembre 1991, date à laquelle sa libération a été ordonnée; la Haute Cour avait en effet jugé insuffisants les éléments de preuve présentés à l’appui de l’accusation portée contre lui. L’auteur affirme qu’il y a eu en l’espèce violation des paragraphes 1 et 5 de l’article 9 du Pacte. Il affirme également qu’après avoir statué en sa faveur, le Président de la Haute Cour a été démis de ses fonctions.

2.5Le 1er mars 1992, une explosion s’est produite dans les bureaux du HSP à Vinkovci où l’auteur devait se trouver. Plusieurs personnes sont mortes dans la conflagration, mais selon l’auteur il n’y a pas eu d’enquête officielle. Le 21 avril 1992, l’auteur a fait l’objet d’un avertissement pour avoir traité le Président de la République de dictateur. M. Paraga affirme qu’il s’agit là d’une violation de l’article 19 du Pacte, car les mesures prises contre lui visaient à restreindre sa liberté d’expression.

2.6M. Paraga déclare que, le 2 juin 1992, il a été accusé de « mobiliser illégalement des personnes en vue de constituer une armée ». Selon lui, cette accusation visait à l’empêcher de participer à la campagne électorale pour les élections parlementaires et de se présenter aux élections présidentielles. L’auteur invoque une violation de l’article 25 du Pacte car il aurait été effectivement empêché de participer aux élections. Il affirme en outre que lesdites élections étaient truquées.

2.7Le 30 septembre 1992, le parquet a déposé une requête auprès de la Cour constitutionnelle en vue d’obtenir l’interdiction du HSP. Le 8 novembre 1992, un tribunal militaire siégeant à Zagreb a ouvert une enquête sur les activités du HSP qui était soupçonné de complot visant à renverser le Gouvernement. Pour l’auteur, cette mesure constitue une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte car il avait déjà été acquitté du même chef d’accusation en 1991. M. Paraga a de ce fait cessé de bénéficier de l’immunité parlementaire pendant 13 mois. Le 4 novembre 1993, le tribunal militaire a prononcé un non-lieu.

2.8Après un voyage aux États-Unis au cours duquel il avait qualifié le Président de la République d’oppresseur, l’auteur a été accusé de diffamation, le 3 juin 1993. Le Parlement l’a alors démis de ses fonctions de Vice-Président de la Commission parlementaire des droits fondamentaux de l’homme et des groupes ethniques. L’auteur affirme qu’un membre de la police secrète a reconnu, dans une déclaration publiée par un hebdomadaire en juillet 1993, qu’il avait reçu l’ordre de l’assassiner.

2.9Le 28 septembre 1993, le Ministère de l’administration aurait privé l’auteur du droit de représenter le HSP et aurait conféré ce droit à un agent du Gouvernement, faisant ainsi du HSP une simple annexe du parti au pouvoir. Les plaintes déposées par l’auteur auprès du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle ont été rejetées.

2.10L’auteur a participé aux élections parlementaires d’octobre 1995 au sein d’une nouvelle formation, le Parti croate des droits – 1861, mais n’a pas été réélu. Il affirme qu’il a été désavantagé par les sanctions prises contre lui, ce qui constitue une violation de l’article 25 du Pacte. Selon lui, la Commission électorale a violé la loi électorale, ce qui a permis au HSP (alors dirigé par un agent du Gouvernement) d’entrer au Parlement bien qu’il n’ait pas obtenu les 5% de voix nécessaires. L’auteur et les dirigeants de 10 autres partis politiques ont déposé une plainte, que la Cour constitutionnelle a rejetée le 20 novembre 1995.

2.11L’auteur note qu’il continue de faire l’objet de persécutions. Il mentionne à cet égard une décision judiciaire datée du 31 janvier 1995 (confirmée le 25 mars 1996), lui enjoignant de quitter les bureaux qu’il occupait. Pour lui, cette mesure visait à entraver ses activités politiques. Il note, en outre, que des candidats de son parti figuraient parmi les personnes élues au Gouvernement de coalition du comitat de Zagreb, mais que le Président de la République n’a pas accepté les résultats des élections et a fait obstacle à la nomination d’un maire.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et commentairesde l’auteur

3.1Dans ses observations datées du 31 octobre 1997, l’État partie rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait émis la réserve suivante qui limite la compétence ratione temporis du Comité pour examiner des communications : « La République de Croatie interprète l’article premier du Protocole comme donnant compétence au Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction de la République de Croatie qui prétendent être victimes de violations, par la République, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, résultant soit d’actes, soit d’omissions, soit d’événements postérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole pour la République de Croatie. » Pour l’État partie, les allégations de l’auteur portent presque exclusivement sur des événements et des actes qui se sont produits bien avant l’entrée en vigueur du Protocole pour la Croatie, le 12 janvier 1996.

3.2Pour l’État partie, les violations invoquées ne sauraient être considérées comme un processus ininterrompu qui, pris globalement, constitue une seule et même violation continue des droits de l’auteur garantis par le Pacte. En outre, dans certaines procédures judiciaires mentionnées par le requérant, les tribunaux ont statué en sa faveur; c’est le cas par exemple de la procédure visant à interdire le HSP que le parquet a décidé d’interrompre. Le fait que l’auteur ait été partie à plusieurs procédures judiciaires au cours des ans ne prouve pas que ces procédures aient été liées les unes aux autres et ne permet pas non plus de conclure à la persistance des effets de telles procédures sur l’exercice par l’auteur de ses droits fondamentaux.

3.3L’État partie reconnaît, toutefois, que la décision judiciaire tendant à ce que M. Paraga quitte les locaux que lui-même et son parti occupaient, qui a été confirmée le 25 mars 1996, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Croatie, constitue une exception aux observations ci-dessus. Toutefois, l’État partie déclare qu’étant donné que M. Paraga ne se plaint pas d’une violation de l’article 26 à cet égard, mais allègue une violation de son droit à la propriété, qui n’est pas protégé par le Pacte, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae. L’État partie fait observer en outre que la Cour constitutionnelle croate peut connaître à la fois des affaires concernant la discrimination fondée sur l’opinion politique et de celles qui ont trait au droit à la propriété dans le contexte de la protection des droits et des libertés fondamentaux garantis par la Constitution. Comme l’auteur ne s’est pas prévalu de cette voie de droit, les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés.

3.4Ainsi, l’État partie considère que la communication est irrecevable en partie ratione temporis et en partie en raison du non-épuisement des recours internes.

4.1Dans ses observations, l’auteur affirme que toutes les conséquences, juridiques ou autres, des mesures prises à son encontre par les autorités croates ont eu des effets persistants. Il réitère ce qui suit :

a)Les autorités n’ont jamais fait toute la lumière sur les circonstances de l’assassinat de son ex-adjoint et Vice-Président du HSP, Ante Paradzik. Après leur deuxième procès, les quatre membres du Ministère de l’intérieur qui sont les auteurs du crime ont été graciés et le juge qui les avait condamnés a été démis de ses fonctions;

b)L’action en justice intentée à l’auteur et qui a débouché sur son arrestation le 22 novembre 1991, puis sur sa remise en liberté faute de preuves, n’a jamais été officiellement menée à terme, de sorte que l’auteur ne peut pas introduire une action en dommages et intérêts pour arrestation et détention arbitraires;

c)Les poursuites engagées contre l’auteur le 21 avril 1992 pour diffamation n’ont pas été officiellement abandonnées;

d)Il n’y a eu aucune enquête équitable et impartiale sur l’attentat à la bombe au siège du parti de l’auteur à Vinkovci le 1er mars 1992;

e)Le trucage présumé des élections, le 2 août 1992, n’a fait l’objet d’aucune enquête impartiale;

f)Aucune enquête n’a été ouverte pour faire la lumière sur la tentative d’assassinat présumée dont a été victime l’auteur en mars 1993 et qui aurait, selon lui, été menée à l’instigation de membres du Gouvernement;

g)Enfin, après que l’auteur eut été démis de ses fonctions de président du HSP, ce parti a été transformé en « satellite » du parti au pouvoir.

4.2L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, car il a fait l’objet d’une discrimination du fait de ses opinions politiques. Le 7 octobre 1997, le tribunal du comitat de Zagreb, se fondant sur l’article 191 du Code pénal, a entamé une procédure contre l’auteur pour propagation de fausses nouvelles; M. Paraga signale qu’il risque d’être condamné à six mois de prison s’il est reconnu coupable. Le 4 décembre 1997, l’auteur a été arrêté à la frontière autrichienne, apparemment parce que de fausses informations sur le but de sa visite avaient été délibérément communiquées par le Ministère croate des affaires étrangères aux autorités autrichiennes; l’auteur a été détenu pendant 16 heures par lesdites autorités. Un incident semblable s’était déjà produit lors d’une visite de l’auteur au Canada; il aurait été alors détenu six jours à Toronto en juin 1996, parce que le Gouvernement croate l’aurait accusé d’activités subversives.

4.3L’auteur rejette l’argument du Gouvernement selon lequel la procédure judiciaire d’expulsion et de dépossession de l’appartement abritant les bureaux de son parti ne constitue en aucun cas une mesure de discrimination fondée sur l’opinion politique. Il objecte que c’est seulement à cause des pressions exercées par l’opinion publique internationale et de l’intervention du propriétaire de l’appartement qui a la double nationalité (croate et canadienne), que la décision prise par le tribunal le 25 mars 1996 n’a pas été appliquée.

4.4S’agissant de la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle d’allégations de discrimination, d’expropriation illégale et de violations d’autres droits fondamentaux, l’auteur affirme que cette instance « est un instrument de l’oligarchie au pouvoir et que [lorsqu’il s’agit de] questions essentielles, les décisions du ... Président Tudjman » ne sont pas contestées. Il considère donc que les recours constitutionnels qu’offre la Cour ne sont d’aucune utilité; l’auteur estime par conséquent qu’en ce qui concerne l’ensemble des questions et des allégations susmentionnées, il a épuisé tous les recours internes.

Considérations concernant la recevabilité

5.1À sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

5.2Le Comité a rappelé qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie avait fait une déclaration restreignant la compétence du Comité aux seuls faits ayant suivi l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Croatie, le 12 janvier 1996. Le Comité a noté que la plupart des violations présumées des droits de M. Paraga reconnus dans le Pacte résultaient d’une série d’actes et d’événements datant de la période allant de 1991 à 1995 et étaient donc antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Croatie.

5.3Le Comité a considéré, toutefois, que l’allégation de l’auteur selon laquelle il ne pouvait introduire une action en dommages et intérêts pour son arrestation et sa détention présumées arbitraires du 22 novembre 1991 du fait que l’action qui lui avait été intentée n’avait jamais été officiellement menée à terme, et que l’allégation selon laquelle les poursuites engagées contre lui le 21 avril 1992 pour diffamation n’avaient jamais été abandonnées, se rapportaient à des incidents qui avaient des effets persistants pouvant constituer en eux-mêmes une violation du Pacte. Le Comité a considéré en conséquence que ces allégations étaient recevables et qu’elles devaient être étudiées quant au fond.

5.4Le Comité a considéré que, compte tenu de la déclaration faite par l’État partie au moment de son adhésion au Protocole facultatif, il n’était pas habilité ratione temporis à examiner les autres éléments de la communication dans la mesure où ils avaient trait à des événements qui s’étaient produits avant le 12 janvier 1996, car les effets persistants dont se plaignait M. Paraga ne semblaient pas constituer en eux-mêmes une violation du Pacte et ne pouvaient non plus être interprétés comme une perpétuation, par des actes ou de manière implicite, de violations antérieures qu’aurait commises l’État partie.

5.5À propos de la décision du tribunal par laquelle il a été enjoint à l’auteur de quitter l’appartement qui abritait les bureaux de son parti, le Comité a noté l’argument de l’État partie selon lequel la Cour constitutionnelle était habilitée à connaître des plaintes pour dépossession illégale et arbitraire d’un bien et pour discrimination. L’auteur a simplement affirmé que ce recours n’était pas utile car la Cour constitutionnelle était « un instrument de l’oligarchie au pouvoir ». Le Comité a rappelé que le simple fait de douter de l’utilité d’un recours interne ne dispensait pas un requérant de s’en prévaloir; il a noté à cet égard que, par le passé, pour d’autres violations présumées de ses droits, les tribunaux croates s’étaient prononcés en faveur de l’auteur. En l’espèce, le Comité a conclu qu’un recours auprès de la Cour constitutionnelle contre la décision par laquelle il avait été enjoint à l’auteur de quitter l’appartement qui abritait les bureaux de son parti n’était pas inutile a priori. Les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’avaient donc pas été respectées.

5.6S’agissant de l’allégation de l’auteur mentionnée au paragraphe 4.2 ci-dessus, selon laquelle celui-ci était victime d’une violation de l’article 26, le Comité a considéré que cette allégation était recevable et qu’elle devait être examinée quant au fond.

6.En conséquence, le 24 juillet 1998, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle avait trait à l’arrestation et à la détention de l’auteur le 22 novembre 1991, aux poursuites engagées contre lui pour diffamation le 21 avril 1992 et au fait qu’il affirmait être victime de discrimination.

Renseignements de l’État partie et réponse de l’auteurconcernant la communication quant au fond

7.1Dans ses observations quant au fond, l’État partie fournit un complément d’information sur les faits concernant l’arrestation et la détention de l’auteur en novembre 1991 ainsi que sur les accusations de « diffusion de fausses informations » portées contre lui en avril 1992 et confirme que toute la procédure relative à l’ensemble des accusations visées est désormais achevée.

7.2L’État partie confirme que M. Paraga a été arrêté le 22 novembre 1991, que sa mise en détention a été ordonnée par le magistrat instructeur en vertu du paragraphe 2, alinéas 2 et 3, de l’article 191 du Code de procédure pénale et qu’il a été libéré le 18 décembre 1991 sur décision du tribunal du comitat de Zagreb.

7.3L’État partie déclare que, le 25 novembre 1991, le cabinet du Procureur du comitat de Zagreb a déposé une requête sous le numéro KT-566/91, demandant l’ouverture d’une enquête contre M. Paraga pour « rébellion armée » et « possession illégale d’armes et d’explosifs », en application, respectivement, des paragraphes 1 et 2 de l’article 236 f) et des paragraphes 2 et 3 de l’article 209 du Code pénal croate alors en vigueur. Une demande de mise en détention provisoire a également été présentée en vertu du paragraphe 2, alinéas 2 et 3, de l’article 191 du Code de procédure pénale.

7.4Le magistrat instructeur a rejeté la demande d’ouverture d’une enquête et a renvoyé l’affaire devant un collège de magistrats qui a décidé de mener une enquête en ce qui concernait uniquement les paragraphes 2 et 3 de l’article 209. Toutefois, le cabinet du Procureur du comitat n’a pas décerné d’acte d’accusation et n’a pas demandé au magistrat instructeur d’ouvrir l’enquête. En conséquence, le magistrat instructeur a de nouveau transmis le dossier au collège des trois magistrats, lequel, dans une décision portant le numéro Kv-48/98, datée du 10 juin 1998, a mis fin aux poursuites contre M. Paraga, conformément au paragraphe 1, alinéa 3, de l’article 162 du Code de procédure pénale. Selon l’État partie, la décision a été envoyée à M. Paraga le 17 juin 1998 et celui-ci l’a reçue le 19 juin 1998.

7.5L’État partie affirme que l’arrestation de M. Paraga a été effectuée légalement, conformément au Code de procédure pénale alors en vigueur, et qu’en conséquence la République de Croatie n’a pas commis de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En outre, l’État partie fait observer que, la procédure ayant pris fin, l’auteur peut demander réparation devant les tribunaux croates, conformément au paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte.

7.6L’État partie confirme que des poursuites ont été engagées par le cabinet du Procureur municipal en avril 1992 pour « diffusion de fausses informations », en vertu de l’article 191 du Code pénal (par. 1 de l’article 197 de l’ancien Code), en application du paragraphe 1 de l’article 425 et au titre du paragraphe 1, alinéa 1, de l’article 260 du Code de procédure pénale (voir également plus loin). L’État partie déclare qu’en raison des modifications apportées aux dispositions respectives du Code pénal et du temps qui s’était écoulé, le tribunal municipal de Split, qui avait reçu l’acte d’accusation émis par le cabinet du Procureur, a pris la décision No IK-504/92, datée du 26 janvier 1999, rejetant les accusations portées contre M. Paraga.

7.7Pour ce qui est de la discrimination dont l’auteur aurait été victime en raison de ses opinions politiques, en particulier à la suite de ses déclarations au quotidien Novi list, l’État partie confirme que le cabinet du Procureur municipal de Zagreb a engagé des poursuites contre M. Paraga le 7 octobre 1997, pour « diffusion de fausses informations », conformément à l’article 191 du Code pénal alors en vigueur. Toutefois, à l’achèvement de l’enquête qui a suivi, les poursuites pénales ont été abandonnées le 26 janvier 1998.

7.8L’État partie précise que, conformément à l’article 191 du Code pénal alors applicable, la diffusion de fausses informations aurait pu être le fait d’une personne « qui transmet ou répand des informations dont elle sait qu’elles sont fausses, qui sont susceptibles de jeter le trouble parmi un grand nombre de citoyens et qui visent à jeter un tel trouble ». En vertu du nouveau Code pénal, en vigueur depuis le 1er janvier 1998, le même délit est désormais défini comme la « diffusion de rumeurs mensongères et perturbantes » (art. 322 du Code pénal) et, pour en être reconnu coupable, « l’auteur doit savoir que les rumeurs qu’il répand sont mensongères, son objectif étant de perturber un grand nombre de citoyens et lesdits citoyens étant perturbés ». Il faut en conséquence que les effets correspondent à l’intention. Selon l’État partie, tel n’était pas le cas en l’espèce et les accusations pénales ont donc été levées, les poursuites contre M. Paraga ayant pris fin le 26 janvier 1998.

7.9Pour ce qui est des affirmations de l’auteur selon lesquelles il aurait été arrêté et détenu à la frontière autrichienne le 4 décembre 1997 et à la frontière canadienne en juin 1996 sur la base d’informations erronées communiquées précédemment par le Ministère croate des affaires étrangères concernant l’objectif de ses déplacements, le Ministère en question rejette fermement ces allégations qu’il considère malveillantes et entièrement dénuées de fondement. Selon l’État partie, l’ambassade de Croatie à Vienne a demandé et a reçu une explication officielle des autorités autrichiennes concernant l’arrestation de M. Paraga, dont elle n’a été informée, selon elle, que par la presse autrichienne. L’État partie a été informé que M. Paraga était entré en Autriche en tant que citoyen slovène et avait été maintenu en détention jusqu’à ce que certains faits soient établis concernant la raison pour laquelle il avait déjà été interdit d’entrée en Autriche en 1995. Il a également été informé qu’une plainte déposée par M. Paraga lui-même concernant sa mise en détention était toujours en cours d’examen. L’État partie déclare qu’étant donné que M. Paraga n’avait pas signalé l’incident à la Mission diplomatique croate, il n’a pas été possible de le protéger en vertu des conventions internationales.

7.10De même, l’État partie déclare qu’il n’a été informé que par la presse de l’arrestation de M. Paraga par le Bureau canadien de l’immigration à Toronto et que, lorsqu’il a été informé de cette arrestation, le Consul général de la République de Croatie à Mississauga a contacté l’avocat de M. Paraga, lequel a refusé de lui fournir toute information. Le Consul général a alors contacté M. Henry Ciszek, Directeur du Bureau canadien de l’immigration à l’aéroport de Toronto, qui lui a indiqué que M. Paraga utilisait un passeport slovène (il n’avait pas de visa canadien valide sur son passeport croate) et qu’il ne souhaitait pas de protection consulaire puisqu’il refusait de parler au Consul général.

8.1L’auteur rejette les observations de l’État partie sur le fond comme étant « entièrement fausses ». Pour ce qui est de son arrestation et de sa détention en novembre 1991, l’auteur déclare qu’il a été arrêté « sans inculpation » et qu’il a été arrêté et détenu « arbitrairement et absolument sans justification » uniquement pour des motifs politiques. Il affirme que le Président de la République de Croatie a exercé des pressions sur le Président de la Cour suprême d’alors pour qu’il le condamne « illégalement » et que, lorsque ce dernier a refusé de le faire, il a été démis de ses fonctions de président de la Cour suprême le 24 décembre 1991.

8.2L’auteur confirme que la décision du tribunal mettant fin aux poursuites engagées contre lui a été prise le 10 août 1998. Toutefois, il déclare que cette décision n’a été prise qu’après la présentation de sa communication au Comité des droits de l’homme et après le dépôt auprès du tribunal du comitat de Zagreb d’une « note urgente » demandant qu’il soit mis fin à la procédure. En outre, l’auteur déclare qu’au moins entre 1991 et 1998, il a fait l’objet d’une enquête pénale, ce qui l’a privé de ses droits civils et politiques car « une personne visée par une enquête ne peut pas avoir un emploi permanent, n’a pas droit à la protection sociale et médicale et n’a pas le droit d’être employée ».

8.3En ce qui concerne les poursuites engagées contre M. Paraga en avril 1992 pour diffamation, l’auteur reconnaît qu’elles ont été abandonnées, mais il fait observer qu’elles ont duré sept ans depuis la date de sa mise en accusation.

8.4En ce qui concerne les poursuites engagées contre lui le 7 octobre 1997 pour diffusion de fausses informations, l’auteur affirme que, contrairement à ce que prétend l’État partie, celles-ci n’ont pas encore pris fin. Il déclare qu’aucune décision concernant la fin des poursuites ne lui a été communiquée. Il se dit de nouveau convaincu qu’il a été arrêté par les gardes frontière au Canada en 1996 et en Autriche en 1997 en raison d’informations données par les autorités croates aux agents de contrôle des frontières des deux pays selon lesquelles il aurait été impliqué dans des activités subversives. En fait, il affirme que ce sont les autorités d’immigration tant au Canada qu’en Autriche qui l’ont renseigné à ce sujet. Il conteste l’affirmation de l’État partie qui prétend que les autorités croates étaient disposées à lui venir en aide au cours de sa détention au Canada et en Autriche et affirme que, ni dans un cas ni dans l’autre, les autorités croates sont intervenues pour obtenir sa libération. Il déclare qu’il a déposé plainte contre le Gouvernement croate afin d’obtenir réparation après sa détention au Canada et en Autriche pour ce qu’il appelle « abus d’autorité ».

Réexamen de la décision concernant la recevabilité et examen quant au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties.

9.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3En ce qui concerne l’arrestation et la détention présumées illégales de l’auteur, le 22 novembre 1991, le Comité avait estimé, dans sa décision du 24 juillet 1998 concernant la recevabilité, que la communication était recevable dans la mesure où elle avait trait aux effets persistants des poursuites pénales qui avaient alors été engagées contre l’auteur et qui n’étaient pas achevées au moment de la présentation de la communication. Le Comité rappelle que sa décision concernant la recevabilité était fondée sur les effets présumés persistants des violations qui auraient été commises avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Croatie.

9.4Le Comité note que, selon l’État partie, les poursuites ont pris fin le 17 juin 1998 et que l’auteur peut désormais saisir les tribunaux nationaux d’une demande de réparation. Compte tenu de ce nouvel élément d’information fourni depuis l’adoption de la décision concernant la recevabilité, le Comité, conformément au paragraphe 4 de l’article 93 de son règlement intérieur, revient sur sa précédente décision concernant la recevabilité et déclare que l’allégation concernant la violation du paragraphe 5 de l’article 9 n’est pas recevable, l’auteur n’ayant pas épuisé les recours internes à cet égard comme l’exige l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif. L’auteur devrait se prévaloir des recours internes disponibles à cet égard.

9.5Le Comité passe immédiatement à l’examen, quant au fond, de la plainte relative aux poursuites engagées pour diffamation et à l’allégation de discrimination.

9.6En ce qui concerne les poursuites engagées pour diffamation, le Comité a noté que l’auteur soutient qu’il a été poursuivi parce qu’il avait qualifié le Président de la République de dictateur. L’État partie n’a pas réfuté cette affirmation, mais a informé le Comité que les accusations retenues contre l’auteur avaient finalement été rejetées en janvier 1999. Le Comité remarque qu’une disposition du Code pénal en vertu de laquelle de telles poursuites pourraient être engagées serait susceptible, dans certaines circonstances, de conduire à des restrictions plus sévères que ne l’autorise le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Cependant, en l’absence d’informations précises de la part de l’auteur et compte tenu du fait que les charges signifiés à celui-ci ont été abandonnées, le Comité n’est pas en mesure de conclure que le seul fait d’engager des poursuites contre l’auteur revenait à violer l’article 19 du Pacte.

9.7Le Comité estime que les accusations portées contre M. Paraga en novembre 1991 et les accusations de diffamation portées contre lui en avril 1992 soulèvent la question du retard excessif (par. 3 c) de l’article 14 du Pacte). Il estime que cette allégation est recevable en raison du fait que les procédures engagées dans les deux cas n’ont pris fin que deux ans et demi et trois ans, respectivement, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité note que les deux procédures ont duré sept ans en tout et constate que l’État partie, tout en ayant donné des informations sur l’avancement de la procédure, n’a pas fourni d’explications indiquant la raison pour laquelle les procédures concernant ces deux chefs d’inculpation ont tant duré et n’a pas donné de raison spéciale pouvant justifier le retard intervenu. Il estime en conséquence que l’auteur n’a pas été jugé « sans retard excessif », au sens du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.8Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il serait victime de discrimination en raison de son opposition politique au Gouvernement croate alors en place, le Comité note que les poursuites engagées contre lui le 7 octobre 1997 ont abouti à un non-lieu quelques mois plus tard, le 26 janvier 1998. Par conséquent, et faute d’autres informations qui étaieraient cette allégation, le Comité ne peut conclure qu’il y a eu violation d’un quelconque des articles du Pacte à cet égard.

9.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il aurait été victime de diffamation de la part des autorités croates en Autriche et au Canada, le Comité note que, selon l’État partie, dans ni l’un ni l’autre des cas l’auteur n’avait informé les autorités croates de sa mise en détention et, s’agissant de son entrée au Canada, il utilisait un passeport slovène. Il note que l’auteur n’a pas fait d’autres observations sur ces points. En conséquence, il conclut que l’auteur n’a pas étayé son allégation et qu’il n’y a pas eu de violation à cet égard.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Croatie du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité estime que l’auteur a droit à un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

F.Communication No 736/1997, Ross c. Canada(constatations adoptées le 18 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah Zakhia.

Conformément à l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Maxwell Yalden n’a pas participé à l’examen de la communication.

Le texte d’une opinion individuelle signée par un membre du Comité est joint en annexe au présent document.

Présentée par :Malcolm Ross(représenté par Douglas H. Christie, avocat)

Au nom de :L’auteur

État partie :Canada

Date de la communication :1er mai 1996

Décisions antérieures :Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 janvier 1997 (non publiée sous forme de document)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 736/1997 présentée au Comité des droits de l’homme par M. Malcom Ross conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations du Comité des droits de l’hommeau titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Malcolm Ross, citoyen canadien. Il affirme être victime d’une violation par le Canada des articles 18 et 19 du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. Douglas H. Christie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a exercé les fonctions d’enseignant spécialisé en cours de rattrapage de lecture dans un district scolaire du Nouveau-Brunswick, de septembre 1976 à septembre 1991. Pendant cette période, il a publié plusieurs ouvrages et pamphlets, fait des déclarations publiques et a notamment donné une interview à la télévision, exprimant des opinions controversées, apparemment dans le domaine religieux. Ses ouvrages avaient pour thèmes l’avortement, les conflits entre le judaïsme et le christianisme et la défense de la religion chrétienne. La couverture médiatique locale de ses écrits a contribué à faire connaître ses idées au sein de la collectivité. L’auteur souligne que ses publications ne constituaient pas une infraction à la loi canadienne et qu’il n’a jamais été poursuivi pour avoir exprimé ses opinions. En outre, tous ses écrits ont été rédigés pendant ses heures libres et ses opinions n’ont jamais fait partie de son enseignement.

2.2Des préoccupations ayant été exprimées, l’enseignement dispensé par l’auteur a été placé sous surveillance à partir de 1979. La controverse entourant l’auteur a pris de l’ampleur et, des inquiétudes ayant été exprimées en public, la Commission scolaire l’a réprimandé le 16 mars 1988 et l’a averti que si ses opinions continuaient à être débattues en public, il pourrait faire l’objet d’autres mesures disciplinaires, y compris le renvoi. L’auteur a toutefois été autorisé à continuer à enseigner et la notification de la réprimande qui lui avait été adressée a été supprimée de son dossier en septembre 1989. Le 21 novembre 1989, l’auteur a participé à une émission de télévision et a été de nouveau réprimandé par la Commission scolaire le 30 novembre 1989.

2.3Le 21 avril 1988, M. David Attis, parent juif, dont les enfants fréquentaient une autre école du même district scolaire, a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, affirmant qu’en ne prenant aucune mesure contre l’auteur, la Commission scolaire cautionnait les opinions antijuives de ce dernier et avait violé, par son attitude discriminatoire à l’égard des élèves juifs et des autres élèves appartenant à des minorités, l’article 5 de la loi sur les droits de la personne. Cette plainte a finalement conduit à l’imposition des sanctions décrites au paragraphe 4.3 ci-dessous.

Législation et procédures internes applicables

3.1En raison de la structure fédérale du pays, la législation canadienne relative aux droits de l’homme comprend une juridiction fédérale et des juridictions provinciales. Les provinces et les autorités fédérales et celles des Territoires, ont chacune promulgué des textes de loi relatifs aux droits de l’homme. Les différents régimes législatifs peuvent différer dans le détail, mais leur structure et leur conception générale sont semblables.

3.2Selon l’État partie, les codes des droits de la personne protègent les citoyens et les résidents canadiens contre la discrimination dans de nombreux domaines, notamment l’emploi, le logement et les services fournis à la population. Tout particulier qui s’estime victime de discrimination peut déposer plainte auprès de la commission des droits de l’homme compétente, qui ouvre une enquête. La charge de la preuve qui incombe au plaignant correspond à la norme de droit civil fondée sur le critère de la plus forte probabilité et le plaignant n’a pas à prouver que la personne en cause avait l’intention d’exercer une discrimination. Le tribunal chargé d’enquêter sur une plainte peut ordonner toute une série de mesures de réparation, mais n’est pas habilité à imposer des sanctions pénales. Les particuliers lésés par des propos dénigrant certaines minorités peuvent déposer plainte auprès d’une commission des droits de l’homme plutôt qu’auprès de la police ou auprès des deux.

3.3La plainte contre la Commission scolaire a été déposée en vertu du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne, qui se lit comme suit :

« Nul ne doit, directement ou indirectement, seul ou avec une autre personne, de lui-même ou par l’entremise d’autrui

a)Refuser à quiconque ou à une catégorie de personnes les droits existants en matière de logement, de services ou d’installations destinées au public, ou

b)Faire preuve de discrimination envers une personne ou une catégorie de personnes en matière de logement, de services ou d’installations destinées au public, pour un motif fondé sur la race, la couleur, la religion, l’origine nationale, l’ascendance, le lieu d’origine, l’âge, le handicap physique, le handicap mental, la situation matrimoniale, l’orientation sexuelle ou le sexe. »

3.4Dans sa plainte, M. Attis a déclaré que la Commission scolaire avait violé l’article 5 en fournissant à la population des services d’enseignement constituant une discrimination fondée sur la religion et l’ascendance du fait qu’aucune mesure appropriée n’avait été prise à l’encontre de l’auteur. Conformément au paragraphe 1 de l’article 20 de la même loi, au cas où elle n’arrive pas à régler le litige, la Commission des droits de la personne peut désigner une commission d’enquête composée d’une ou de plusieurs personnes aux fins d’entreprendre une enquête. La Commission désignée pour examiner la plainte déposée contre la Commission scolaire a formulé ses conclusions conformément à l’article 20 (6.2) de la même loi, qui stipule ce qui suit :

« Lorsque, à l’issue d’une enquête, la Commission considère que la probabilité la plus forte est que la loi en question a été violée, elle peut ordonner à toute partie reconnue coupable de violation de la loi

a)D’agir ou de s’abstenir de se livrer à un acte ou à des actes, de façon à se conformer à la loi,

b)De remédier à tout dommage causé par la violation,

c)De rétablir toute partie lésée par la violation dans la situation où elle se serait trouvée si la violation n’avait pas été commise,

d)De réintégrer toute partie qui a été privée de son emploi en violation de la loi,

e)D’indemniser toute partie lésée par la violation pour toute dépense encourue ou toute perte financière ou manque à gagner subi, à raison d’un montant que la Commission estimera juste et approprié, et

f)D’indemniser toute partie lésée par la violation pour toute souffrance émotionnelle subie, y compris la souffrance résultant d’une atteinte à la dignité et au respect de soi, à raison d’un montant que la Commission estimera juste et approprié. »

3.5Depuis 1982, la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte ») fait partie de la Constitution canadienne et, en conséquence, tout texte de loi qui est contraire à ses dispositions est, dans la mesure de cette incompatibilité, nul et de nul effet. La Charte est applicable au niveau fédéral, des provinces et des Territoires, pour toutes les actions des gouvernements sur les plans législatif, exécutif ou administratif. Les codes des provinces relatifs aux droits de la personne et toutes les décisions prises en application de ces codes sont susceptibles de révision en vertu de la Charte. La restriction d’un droit énoncé dans la Charte peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte si le Gouvernement peut prouver que cette restriction est prescrite par la loi et justifiée dans une société libre et démocratique. Les articles 1 et 2 a) et b) de la Charte stipulent ce qui suit :

« 1.La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

2.Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a)Liberté de conscience et de religion;

b)Liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; ... »

3.6Il existe également plusieurs autres dispositifs législatifs, au niveau fédéral et au niveau des provinces, applicables aux propos qui dénigrent des groupes particuliers de la société canadienne. Par exemple, le Code pénal interdit de préconiser le génocide, d’inciter publiquement à la haine et de la promouvoir volontairement. L’assentiment du Procureur général est requis pour entreprendre des poursuites relatives à ce type de délit. La charge de la preuve incombant à la Couronne consiste à démontrer que l’accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable et la Couronne doit apporter la preuve de l’existence de tous les éléments constitutifs de l’infraction, y compris du fait que l’accusé était effectivement animé d’une intention délictueuse.

La procédure devant les tribunaux nationaux

4.1Le 1er septembre 1988, une commission d’enquête en matière de droits de la personne a été créée pour examiner la plainte. La première audience a eu lieu devant la Commission en décembre 1990 et les délibérations de cet organe se sont poursuivies jusqu’au printemps de 1991. Toutes les parties y étaient représentées et, selon l’État partie, elles ont eu pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve et d’exposer leurs griefs. Il y a eu au total 22 jours d’audience et 11 témoins ont déposé. La Commission a estimé qu’il n’y avait aucune preuve que l’auteur ait eu, durant les cours, un comportement justifiant une plainte en discrimination. Toutefois, elle a également noté ce qui suit :

« ... le comportement d’un enseignant en dehors des heures de travail peut avoir des incidences sur les fonctions qui lui sont confiées et constituer ainsi un élément à prendre en considération ... Un facteur important à prendre en compte pour déterminer si le plaignant a fait l’objet de discrimination de la part de M. Malcolm Ross et de la Commission scolaire réside dans le fait que les enseignants constituent un exemple pour les élèves, que ceux-ci fassent partie ou non de la classe de tel ou tel enseignant. À part les connaissances qu’ils inculquent ordinairement aux élèves durant les cours, les enseignants exercent une très grande influence sur les enfants par le biais de leur comportement général dans la salle de classe et par leur style de vie en dehors des heures de cours. L’influence que les enseignants exercent sur les élèves en tant qu’exemple signifie que le comportement d’un enseignant en dehors des heures de travail peut relever de la relation de travail avec l’employeur. Bien qu’il ne soit pas souhaitable d’imposer des restrictions à la liberté des employés de vivre leur vie d’une façon indépendante durant leurs heures libres, la jurisprudence a clairement établi le droit d’imposer des mesures disciplinaires pour comportement en dehors des heures de travail lorsqu’il peut être prouvé que ce comportement a des effets négatifs sur l’activité de l’employeur. »

4.2Dans son évaluation des activités de l’auteur en dehors des heures de travail et de leur incidence, la Commission d’enquête s’est référée à quatre livres ou pamphlets publiés intitulés Web of Deceit, The Real Holocaust, Spectre of Power et Christianity vs. Judeo-Christianity, ainsi qu’à une lettre adressée au rédacteur en chef du Miramichi Leader, datée du 22 octobre 1986 et à une interview donnée à la télévision locale en 1989. La Commission d’enquête a déclaré notamment ce qui suit :

« ... Force est de conclure que les écrits et les observations de Malcolm Ross contiennent nombre de références qui, sauf preuve du contraire, sont discriminatoires à l’égard des personnes de religion et d’ascendance juives. Il serait impossible d’établir la liste de toutes les opinions préjudiciables ou observations discriminatoires formulées dans les écrits de l’auteur car elles sont innombrables et omniprésentes. Dans ses observations, Malcolm Ross dénigre la religion et les convictions des juifs et engage les “véritables” chrétiens à non seulement contester la validité des convictions et des enseignements juifs, mais également à afficher leur mépris à l’égard des personnes de religion et d’ascendance juives, qui menaceraient la liberté, la démocratie et les convictions et les valeurs chrétiennes. Il désigne le judaïsme comme l’ennemi et demande à tous les chrétiens de se joindre à la lutte.

Dans ses écrits, Malcolm Ross emploie la technique consistant à citer d’autres auteurs qui ont fait des remarques désobligeantes sur les juifs et le judaïsme. Il entremêle ces citations désobligeantes et ses propres observations de telle façon qu’il est raisonnable de considérer qu’il fait siennes les opinions ainsi exprimées. Dans tous ses ouvrages, il ne cesse d’affirmer que la religion et le mode de vie chrétiens sont menacés par une conspiration internationale dominée par les dirigeants de la communauté juive.

... Les écrits et les déclarations de Malcolm Ross ne peuvent pas être considérés comme entrant dans le cadre d’un débat théorique, ce qui aurait eu pour effet de les soustraire aux dispositions de l’article 5 (de la loi sur les droits de la personne). Les observations ne sont pas présentées sous forme de résumé objectif de constatations, de conclusions ou de théories. Si les écrits ont pu résulter d’une certaine recherche de fond, l’objectif essentiel de Malcolm Ross est manifestement de mettre en cause la sincérité, l’intégrité, la dignité et les convictions des juifs plutôt que de présenter des travaux de recherche. »

4.3La Commission d’enquête a entendu les témoignages de deux élèves du district, qui ont décrit en détail le milieu scolaire. Les deux élèves ont évoqué notamment les actes répétés et constants de harcèlement consistant à insulter les élèves juifs, à graver des croix gammées sur leurs pupitres, à dessiner des croix gammées sur les tableaux et, d’une façon générale, à intimider les élèves juifs. La Commission d’enquête n’a pas relevé de preuves directes indiquant que le comportement de l’auteur en dehors de ses heures de travail ait eu une incidence sur le district scolaire, mais a considéré qu’il était raisonnable de supposer que les écrits de l’auteur avaient contribué à susciter certains comportements discriminatoires de la part des élèves. En conclusion, la Commission d’enquête a estimé que les déclarations publiques et les écrits de Malcolm Ross avaient contribué d’une façon permanente au cours des ans à la création d’une « atmosphère envenimée dans le district scolaire No 15, ayant considérablement entravé la qualité des services d’enseignement fournis au plaignant et à ses enfants ». Ainsi, la Commission d’enquête a estimé que la Commission scolaire était le tiers responsable des actes discriminatoires de son employé et qu’elle avait commis une violation directe de la loi du fait qu’elle n’avait pas imposé à l’auteur des mesures disciplinaires en temps voulu et d’une manière appropriée, cautionnant ainsi les activités et les écrits de l’auteur en dehors du milieu scolaire. C’est pourquoi, le 28 août 1991, la Commission d’enquête a ordonné :

« ...2)Que la Commission scolaire

a)Mette immédiatement Malcolm Ross en congé sans solde pendant 18 mois;

b)Nomme Malcolm Ross a un poste de non-enseignant si, ..., un poste de ce type ... pour lequel Malcolm Ross est qualifié ... devient vacant dans le district scolaire No 15 ...;

c)Mette un terme aux fonctions de Malcolm Ross à la fin des 18 mois de congé sans solde si, dans l’intervalle, aucun poste de non-enseignant ne lui a été proposé ou s’il a refusé un tel poste;

d)Mette immédiatement fin aux fonctions de Malcolm Ross si, à n’importe quel moment au cours des 18 mois de congé sans solde ou durant son emploi en tant que non-enseignant, il i) publie ou écrit à des fins de publication tout texte faisant état d’un complot juif ou sioniste ou prenant pour cible des adeptes de la religion juive, ou ii) publie, vend ou distribue directement ou indirectement l’une quelconque des publications suivantes : Web of Deceit, The Real Holocaust (The attack on unborn children and life itself), Spectre of Power, Christianity vs Judeo-Christianity (The battle of truth). »

4.4Conformément à cette injonction, la Commission scolaire a transféré l’auteur à un poste de non-enseignant dans le district scolaire. L’auteur a introduit une demande d’examen judiciaire de cette injonction, réclamant son annulation. Le 31 décembre 1991, le juge Creaghan J. de la Cour du ban de la Reine a fait droit en partie à la demande de l’auteur, ordonnant que la clause 2 d) de l’injonction soit annulée au motif qu’elle constituait un abus de pouvoir et une violation de l’article 2 de la Charte. Pour ce qui est des clauses a), b) et c) de l’injonction, la Cour a estimé qu’elles restreignaient les droits de l’auteur à la liberté de religion et d’expression énoncés dans la Charte, mais qu’elles se justifiaient en vertu de l’article premier de la Charte.

4.5L’auteur a fait appel de la décision de la Cour du ban de la Reine auprès de la cour d’appel du Nouveau-Brunswick. Simultanément, M. Attis a formé un appel incident de la décision de la Cour concernant la clause 2 d) de l’injonction. La cour d’appel a fait droit à l’appel de l’auteur, annulant l’injonction délivrée par la Commission d’enquête et, en conséquence, a rejeté l’appel incident. Par décision du 20 décembre 1993, la Cour a estimé que l’injonction constituait une violation des droits de l’auteur en vertu de l’article 2 a) et b) de la Charte car elle le pénalisait pour avoir exprimé publiquement des opinions auxquelles il croyait sincèrement, en l’empêchant de continuer d’enseigner. La Cour a estimé que, considérant que les activités de l’auteur à l’origine de la plainte avaient eu lieu à l’extérieur de l’école et que personne n’avait laissé entendre que l’auteur s’était servi de sa position d’enseignant pour diffuser ses opinions religieuses, les mesures correctives ordonnées ne répondaient pas aux prescriptions de l’article premier de la Charte, à savoir que la nécessité à laquelle celles-ci visaient à répondre n’était pas impérieuse et vitale au point qu’il faille lui donner la primauté sur la garantie constitutionnelle de l’auteur à la liberté d’expression. De l’avis de la Cour, en décider autrement équivaudrait à approuver l’interdiction d’exprimer des opinions qui ne sont pas politiquement populaires à un moment donné. L’un des juges, Ryan J.A., a exprimé une opinion dissidente et a considéré que l’appel de l’auteur aurait dû être rejeté et que l’appel incident aurait dû être admis, ce qui aurait conduit au rétablissement de la clause 2 d) de l’injonction.

4.6M. Attis, la Commission des droits de l’homme et le Congrès juif canadien ont alors demandé l’autorisation de former recours auprès de la Cour suprême du Canada, qui a fait droit à leur requête et, par son arrêt du 3 avril 1996, a annulé la décision de la cour d’appel et rétabli les clauses 2 a), b) et c) de l’injonction. Pour en arriver à sa décision, la Cour suprême a considéré tout d’abord que l’avis de la Commission d’enquête, qui avait conclu à une discrimination de la part de la Commission scolaire en violation de l’article 5 de la loi sur les droits de la personne, était corroboré par les éléments de preuve et n’était entaché d’aucune erreur. Pour ce qui est des preuves de discrimination de la part de la Commission scolaire en général et pour ce qui est en particulier de la création dans le district scolaire d’une atmosphère envenimée imputable au comportement de l’auteur, la Cour suprême a considéré

« ... qu’une présomption raisonnable est suffisante en l’espèce pour appuyer la conclusion selon laquelle le maintien de [l’auteur] dans son emploi a porté atteinte au milieu éducatif en général, en créant une atmosphère “envenimée” caractérisée par un manque d’égalité et de tolérance. Le comportement de [l’auteur] en dehors de ses heures de travail l’a empêché d’être impartial et a eu des répercussions sur le milieu éducatif dans lequel il enseignait. (par. 49)

... que la raison pour laquelle il est possible de “supposer raisonnablement” l’existence d’un lien de cause à effet en l’espèce est que les enseignants exercent une influence significative sur les élèves et qu’un grand prestige est attribué au rôle des enseignants. Ainsi, il est nécessaire de retirer [l’auteur] de son poste d’enseignant afin de veiller à ce qu’il n’exerce aucune influence de ce type sur ses élèves et de faire en sorte que les services éducatifs soient exempts de toute discrimination. » (par. 101)

4.7Au sujet de la place et des responsabilités particulières des enseignants et de l’importance du comportement d’un enseignant en dehors des heures de travail, la Cour suprême a également considéré ce qui suit :

« ... Les enseignants sont indissociablement liés à l’intégrité du système scolaire. Ils occupent des fonctions de confiance et exercent, de ce fait, une influence considérable sur leurs élèves. Le comportement d’un enseignant influe directement sur la perception qu’a la collectivité de sa capacité d’assumer de telles fonctions de confiance et d’influence, ainsi que sur la confiance de la collectivité dans le système public d’enseignement en général.

... Par leur comportement, les enseignants, qui sont des “intermédiaires”, doivent être perçus comme les défenseurs des valeurs, des convictions et des connaissances que le système éducatif doit transmettre. Le comportement d’un enseignant est jugé en fonction de sa position, qu’il adopte tel ou tel comportement à l’école ou à l’extérieur importe peu. Les enseignants sont considérés par la collectivité comme chargés de transmettre le message éducatif et en raison de la place qu’ils occupent au sein de la collectivité, ils ne peuvent pas “porter telle ou telle casquette selon les circonstances”.

... C’est en raison de sa position de personne de confiance et d’influence que nous pouvons exiger de l’enseignant qu’il respecte des normes élevées tant durant ses heures de travail qu’en dehors et c’est la dégradation de ces normes qui peut conduire la collectivité à perdre confiance dans le système public d’enseignement. Il ne s’agit pas de préconiser une théorie qui voudrait que la vie entière des enseignants soit soumise à un contrôle démesuré au nom de normes morales de comportement plus exigeantes, ce qui risquerait de conduire à une atteinte substantielle aux droits des enseignants à la vie privée et à leurs libertés fondamentales. Toutefois, lorsque le comportement d’un enseignant en dehors des heures de travail semble être à l’origine d’une “atmosphère envenimée” au sein d’un système scolaire et lorsque ce comportement risque d’entraîner une perte correspondante de confiance dans l’enseignant et dans le système en général, le comportement de l’enseignant en dehors des heures de travail entre alors en ligne de compte. » (par. 43 à 45)

4.8Deuxièmement, la Cour a examiné la validité de la contestation de l’injonction en vertu de la Constitution canadienne. À cet égard, la Cour a estimé tout d’abord que l’injonction était contraire aux dispositions de l’article 2 a) et de l’article 2 b) de la Charte dans la mesure où elle restreignait, respectivement, la liberté de religion de l’auteur et sa liberté d’expression. La Cour a ensuite examiné la question de savoir si ces restrictions pouvaient être justifiées en vertu de l’article premier de la Charte et a estimé que celles-ci avaient été imposées dans le but d’éliminer une discrimination dans la prestation de services éducatifs au public, objectif « impérieux et vital ». La Cour a estimé en outre que les mesures a), b) et c) imposées en vertu de l’injonction pouvaient passer l’épreuve de la proportionnalité en ce sens qu’il y avait un lien rationnel entre les mesures prises et le but recherché, que les atteintes aux droits de l’auteur étaient minimes et que les effets des mesures étaient proportionnels à l’objectif visé. Elle a estimé que la clause d) n’était pas justifiée dès lors qu’il ne s’agissait pas là d’une atteinte minimale aux libertés constitutionnelles de l’auteur, mais d’une mesure visant à l’empêcher de s’exprimer d’une manière permanente.

Teneur de la plainte

5.1L’auteur déclare que ses droits en vertu des articles 18 et 19 du Pacte ont été violés du fait que le droit d’exprimer librement ses opinions religieuses lui est refusé. Son conseil souligne à cet égard qu’il n’a jamais exprimé ses opinions en classe et que ses prestations en tant qu’enseignant lui ont valu de bonnes appréciations, ce que les tribunaux ont reconnu. Le conseil ajoute qu’il n’a jamais été démontré que les écrits de l’auteur aient eu des effets néfastes ou aient influé sur ses élèves et que l’auteur ait commis un acte quelconque de discrimination. Il souligne dans ce contexte que la classe de l’auteur ne comptait aucun élève juif.

5.2Le conseil déclare qu’il n’existe aucun lien rationnel entre l’expression d’une opinion religieuse discriminatoire (consistant à dire que telle religion est authentique et que telle autre est fallacieuse) et un acte de discrimination (c’est-à-dire le fait de réserver à une personne un traitement différent en raison de sa religion). À cet égard, le conseil déclare que les opinions de l’auteur sont sincères et à caractère religieux et que ce dernier s’oppose à la philosophie du judaïsme parce qu’il estime que le christianisme est attaqué par les intérêts sionistes. Il affirme qu’exiger que les sentiments et les opinions religieuses exprimés par un employé en dehors des heures de travail soient soumis au contrôle des pouvoirs publics ou à des règles fixées par l’employeur reviendrait à retirer tout sens à la liberté de religion.

5.3Le conseil déclare en outre que les opinions et les expressions de l’auteur ne sont pas contraires à la législation canadienne, qui interdit l’incitation à la haine, et que l’auteur n’a jamais été poursuivi pour avoir exprimé ses idées. Il fait observer que l’affaire de l’auteur n’est pas comparable à l’affaire J.R.T. et W.G. c. Canada mais établit plutôt un parallèle avec l’affaire Vogt c. Allemagne sur laquelle s’est prononcée la Cour européenne des droits de l’homme. Le conseil déclare que, du fait de l’injonction, l’auteur a été privé de son droit d’enseigner, alors que l’enseignement était sa source de revenu professionnel.

5.4Le conseil ajoute que si la Commission d’enquête avait considéré qu’il régnait un climat antisémite parmi les élèves du district scolaire, elle aurait dû recommander des mesures disciplinaires à l’encontre des élèves ayant commis des actes discriminatoires. L’auteur affirme que ses idées ne sont pas plus racistes que ne l’est l’athéisme ou le judaïsme lui-même. Pour lui, le fait de critiquer le judaïsme ou le sionisme pour des raisons religieuses ne peut être assimilé à de l’antisémitisme. L’auteur se considère victime de discrimination parce qu’il est convaincu qu’un enseignant qui s’attaquerait publiquement au christianisme ne serait pas sanctionné comme il l’a été.

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur à ce sujet

6.1Dans sa réponse du 7 septembre 1998, l’État partie présente ses observations à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il considère que la communication devrait être déclarée irrecevable à la fois pour manque de fondement et pour incompatibilité avec les dispositions applicables du Pacte. Toutefois, pour le cas où le Comité déciderait que la communication de l’auteur est recevable, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas violé les articles 18 et 19 du Pacte.

6.2Selon l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte car les publications de l’auteur relèvent du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte, c’est-à-dire qu’elles doivent être considérées comme un « appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». À cet égard, l’État partie souligne que la Cour suprême du Canada a considéré que les publications visaient à dénigrer la religion et les convictions des juifs et que l’auteur engageait les « véritables chrétiens » à non seulement contester la validité de ces convictions, mais également à afficher leur mépris à l’égard de la communauté juive. En outre, l’auteur a désigné le judaïsme comme l’ennemi et a demandé aux « chrétiens » de se joindre à la lutte.

6.3L’État partie déclare que les articles 18, 19 et 20 du Pacte doivent être interprétés d’une manière cohérente et qu’il ne peut pas en conséquence avoir violé les articles 18 ou 19 en prenant des mesures pour se conformer aux dispositions de l’article 20. Selon lui, la liberté de religion et d’expression telle qu’elle est consacrée dans le Pacte doit également être interprétée comme excluant l’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. À cet égard, l’État partie invoque également le paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte et déclare qu’interpréter les articles 18 et 19 comme autorisant la diffusion de propos antisémites sous couvert de défense du christianisme revient à refuser aux juifs la liberté d’exercer leur religion, à répandre la peur parmi eux et d’autres minorités religieuses et à avilir la foi chrétienne.

6.4Pour ce qui est de l’interprétation et de l’application de l’article 20, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, en particulier à l’affaire J.R.T. et W.G. c. Canada. L’État partie note que le conseil de l’auteur déclare que l’affaire à l’examen n’est pas comparable à l’affaire J.R.T. et W.G. c. Canada du fait que M. Ross n’a pas exposé ses opinions sur le lieu de travail; les opinions de l’auteur étaient d’ordre religieux et aucune de ses publications n’était contraire à la législation canadienne. Tout en reconnaissant qu’il existe certaines différences factuelles entre les deux affaires, l’État partie considère qu’il y a également entre elles d’importantes similitudes et que la règle concernant l’irrecevabilité des communications incompatibles avec le Pacte est applicable de la même manière. Tout d’abord, l’État partie souligne que les deux communications concernent la diffusion de propos antisémites. Il conteste l’affirmation du conseil selon laquelle les opinions de l’auteur sont des opinions à caractère religieux et déclare que celles-ci visent à promouvoir l’antisémitisme et ne peuvent pas être considérées comme des convictions religieuses ou comme faisant partie de la religion chrétienne. Deuxièmement, il fait observer que dans les deux affaires, des décisions ont été prises en application de la législation relative aux droits de la personne et non pas en vertu des dispositions du Code pénal relatives à l’incitation à la haine. À cet égard, il déclare que le conseil a tort d’affirmer que les écrits et les déclarations publiques de l’auteur n’étaient pas contraires à la législation canadienne. Selon l’État partie, les écrits et les déclarations de l’auteur ont bien constitué une violation de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne car ils ont été jugés discriminatoires et considérés comme ayant créé une atmosphère envenimée dans le district scolaire.

6.5L’État partie ajoute que l’allégation de l’auteur en vertu de l’article 18 devrait être considérée irrecevable pour incompatibilité avec le Pacte, également du fait que les opinions de l’auteur « ne reflètent pas des convictions religieuses et ne sont certainement pas conformes aux principes de la religion chrétienne ». Il déclare que l’auteur a « masqué ses opinions sous le couvert de la religion chrétienne, mais qu’en réalité il exprime sa haine et sa méfiance à l’égard des juifs et de leur religion ». Il déclare en outre que l’auteur n’a fourni aucune preuve indiquant que les opinions antisémites fassent partie de la doctrine chrétienne et qu’aucune preuve de ce type ne sera fournie. De même, il affirme que les déclarations de l’auteur ne sont pas des manifestations d’une religion car l’auteur n’a pas publié ses écrits à des fins de culte, d’exercice, de pratique ou d’enseignement d’une religion.

6.6Enfin, pour ce qui est de la compatibilité de la communication avec les dispositions du Pacte, l’État partie invoque les paragraphes 2 et 4 de l’article 18 et affirme qu’en vertu de ces dispositions, les États parties ont l’obligation de veiller à ce que les enseignants faisant partie de leurs systèmes publics d’enseignement encouragent le respect de toutes les religions et de toutes les convictions et dénoncent fermement toutes les formes de parti pris, de préjugé ou d’intolérance. L’État partie indique que s’il autorisait l’auteur à continuer d’enseigner, il risquerait de commettre une violation de ces dispositions en portant atteinte aux droits des élèves juifs de manifester leur religion et de se sentir à l’aise et en confiance dans le système public d’enseignement. Il déclare par conséquent que l’allégation de l’auteur au titre de l’article 18 devrait être déclarée irrecevable car incompatible également avec les paragraphes 2 et 4 de l’article 18 du Pacte.

6.7En outre, l’État partie déclare que l’allégation de l’auteur au titre de l’article 18 comme son allégation au titre de l’article 19 doivent être déclarées irrecevables au motif que l’auteur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer une allégation prima facie. Notant que l’auteur n’a fourni au Comité que des copies de ses propres déclarations à la Cour suprême et des décisions des tribunaux, l’État partie déclare qu’en dehors d’affirmer de façon péremptoire que la décision de la Cour suprême porte atteinte à ses droits en vertu des articles 18 et 19, l’auteur, dans sa communication, ne fournit aucune explication précise qui pourrait permettre de considérer ses allégations recevables. En particulier, l’État partie note que nulle part la décision détaillée et soigneusement motivée de neuf juges de la Cour suprême s’étant prononcés à l’unanimité n’est soumise à une critique approfondie qui pourrait venir à l’appui des allégations de l’auteur.

6.8En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie déclare tout d’abord que l’auteur n’a pas indiqué en quoi ses droits à la liberté de religion et d’expression ont été limités ou restreints par l’injonction de la Commission d’enquête telle qu’elle a été confirmée par la Cour suprême. Il fait observer que l’auteur est libre d’exprimer ses opinions tant qu’il est employé par la Commission scolaire comme non-enseignant ou lorsqu’il est employé ailleurs.

6.9Pour le cas où le Comité estimerait que les droits de l’auteur à la liberté de religion et/ou d’expression ont été restreints, l’État partie fait observer que ces restrictions sont justifiées en vertu du paragraphe 3 de l’article 18 et du paragraphe 3 de l’article 19, car i) elles étaient prévues par la loi, ii) elles ont été imposées dans un des buts reconnus et iii) elles étaient nécessaires pour atteindre l’objectif déclaré. De l’avis de l’État partie, l’analyse à laquelle le Comité doit procéder à cet égard est très semblable à celle qui a été faite par la Cour suprême du Canada en application de l’article premier de la Charte, et le Comité devrait accorder toute l’importance voulue à la décision de la Cour.

6.10Pour ce qui est de la condition selon laquelle toute restriction doit être prévue par la loi, l’État partie souligne que les écrits et les déclarations publiques de l’auteur ont été jugés discriminatoires et considérés comme ayant créé une atmosphère envenimée, en violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne. Il ajoute que l’injonction délivrée par la Commission d’enquête a constitué la réparation qui devait être accordée pour la violation dudit article et a été prise conformément à la loi.

6.11En ce qui concerne la prescription selon laquelle la restriction doit être imposée dans un des buts énoncés au paragraphe 3 de l’article 18 et au paragraphe 3 de l’article 19, respectivement, l’État partie déclare que l’injonction a été imposée pour la protection à la fois des droits fondamentaux d’autrui et de la moralité publique. Pour ce qui est du premier de ces objectifs, l’État partie renvoie à l’affaire Faurisson c. France et déclare que l’injonction a été prise à l’encontre de l’auteur dans le but de protéger la liberté de religion et d’expression et le droit à l’égalité des membres de la communauté juive. Il souligne que la Cour suprême a estimé que l’injonction visait à protéger les libertés et les droits fondamentaux des parents juifs de faire éduquer leurs enfants dans un système public d’enseignement libre de parti pris, de préjugé et d’intolérance et le droit des enfants juifs de recevoir une telle éducation. S’agissant de la protection de la moralité publique, l’État partie rappelle que la société canadienne est multiculturelle et qu’il est essentiel pour sa cohésion morale que tous les Canadiens aient droit à un traitement égal, sans discrimination fondée sur la race, la religion ou la nationalité.

6.12En outre, l’État partie déclare que toutes les restrictions imposées dans l’injonction étaient clairement nécessaires à la protection à la fois des libertés et des droits fondamentaux de la communauté juive et des valeurs canadiennes de respect de l’égalité et de la diversité (moralité publique). L’État partie fait valoir que l’injonction était nécessaire pour faire en sorte que les enfants du district scolaire soient éduqués dans un système qui soit à l’abri des partis pris, des préjugés et de l’intolérance et dans lequel les valeurs canadiennes d’égalité et de respect de la diversité puissent être défendues. De plus, il était nécessaire de mettre fin aux fonctions d’enseignant de l’auteur afin de remédier à l’atmosphère envenimée que ses écrits et ses déclarations publiques avaient créée. Sur ce dernier point, l’État partie fait observer, comme la Cour suprême l’a estimé, que les enseignants occupent une place appelant la confiance et exercent une influence considérable sur leurs élèves. En conséquence, les enseignants doivent satisfaire à des normes plus élevées dans leur comportement lorsqu’ils enseignent, ainsi que dans leurs activités en dehors des heures de travail. Selon l’État partie, l’auteur, en tant qu’enseignant dans un établissement public, pouvait exercer une influence sur des jeunes personnes qui n’avaient pas encore les connaissances ou la capacité de jugement nécessaires pour placer les opinions et les convictions dans le contexte approprié. En outre, la Commission d’enquête a entendu des témoins qui ont déclaré que les élèves juifs en raison des déclarations de l’auteur, éprouvaient de la peur, manquaient de confiance en eux-mêmes et étaient peu enclins à faire partie du système scolaire. L’État partie déclare que l’injonction a été nécessaire pour remédier à cette situation.

6.13Enfin, l’État partie note que l’auteur établit un parallèle avec la décision prise par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Vogt c. Allemagne, mais est d’avis que cette décision n’est pas à prendre en considération dans le cas à l’étude pour plusieurs raisons importantes : tout d’abord l’auteur, dans l’affaire Vogt, était un membre actif d’un parti politique autorisé ayant pour but déclaré de promouvoir la paix et de lutter contre le néofascisme. Deuxièmement, les déclarations en cause dans les deux affaires sont de nature profondément différente, les déclarations politiques mentionnées dans l’affaire Vogt n’ayant pas un caractère discriminatoire comme dans l’affaire à l’étude.

7.1Dans ses commentaires du 27 avril 1999, l’auteur déclare à nouveau qu’il n’existe pas de preuve qu’il ait exprimé ses opinions dans les salles de classe. En outre, il n’existe pas de preuve indiquant que les convictions qu’il avait exprimées en privé aient eu une incidence sur son lieu de travail, c’est-à-dire qu’elles aient eu pour conséquence de créer une atmosphère envenimée. La Commission d’enquête a uniquement estimé qu’il était raisonnable de supposer l’existence de tels effets.

7.2L’auteur nie que ses écrits et ses déclarations portent atteinte aux valeurs démocratiques et soient de nature antisémite. Il nie également qu’ils représentent un appel à la haine religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence. En réponse à l’allégation de l’État partie concernant l’article 20 du Pacte, il affirme qu’il n’a aucunement tenté dans ses écrits d’inciter à la haine, mais s’est plutôt efforcé de « défendre sa religion contre la haine des autres ». En ce qui concerne l’article 5 du Pacte, il affirme qu’il n’a jamais fait de déclaration signifiant que les juifs ne pouvaient pas pratiquer leur religion sans restriction. Au contraire, il déclare que l’État partie lui a refusé à lui-même les droits et les libertés reconnus dans le Pacte, du fait que la Cour suprême avait décidé qu’il ne pouvait pas exercer sa liberté de religion tout en continuant à enseigner.

7.3L’auteur ajoute que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, ses déclarations sont l’expression de convictions religieuses au sens du Pacte. Il déclare que ses ouvrages ont été écrits « pour défendre la religion chrétienne et son patrimoine contre ceux qui tentent de les dénigrer et pour encourager la population à vénérer Dieu et la Sainte-Trinité, selon les révélations de la religion chrétienne ». Selon l’auteur, « la lecture attentive de [ses] écrits rend manifeste son désir de contribuer avec les autres chrétiens à la réalisation de la mission chrétienne qui a toujours été d’établir le royaume du Christ dans la société ». À cet égard, l’auteur fait observer également que, dans sa décision, la Cour suprême du Canada a estimé que l’affaire faisait intervenir le droit à l’expression religieuse et a estimé que l’injonction de la Commission d’enquête portait atteinte à la liberté de religion de l’auteur.

7.4Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas fourni de preuve indiquant que l’injonction par laquelle il avait été démis de ses fonctions d’enseignant, mais autorisé à s’exprimer dans le cadre d’une fonction de non-enseignant, a porté atteinte à sa liberté de professer ses convictions religieuses ou à sa liberté d’exprimer ses opinions, l’auteur déclare qu’en juin 1996, il a reçu un avis de licenciement de son employeur. Il affirme qu’il s’agit d’une « sanction sévère pour avoir exercé ses droits à la liberté de religion et d’expression garantis par la Constitution » et laisse entendre que l’avis a été émis en conséquence de l’injonction prise à son encontre et de la décision de la Cour suprême adoptée contre lui, ou du moins qu’il avait un rapport avec ces décisions. Il ajoute qu’il n’a reçu ni compensation ni indemnité de licenciement et que la seule justification qui lui a été donnée était que le poste avait été supprimé. L’auteur déclare qu’il n’a jamais passé d’entrevue en vue d’être affecté à un autre poste et qu’aucun autre poste ne lui a été offert, bien qu’à l’époque il ait travaillé pour le district scolaire depuis près de 25 ans.

Autres observations de l’État partie et commentaires de l’auteur à ce sujet

8.1Dans ses autres observations du 28 septembre 1999, l’État partie note l’affirmation de l’auteur selon laquelle il n’existait pas de preuve indiquant qu’une atmosphère « envenimée » avait été créée dans le district scolaire en raison des écrits et des déclarations publiques de l’auteur. L’État partie s’appuie, pour contester cette affirmation, sur la décision prise à l’unanimité par les juges de la Cour suprême et, en particulier, sur les constatations de la Cour citées au paragraphe 4.7 ci-dessus. Il affirme que la Cour suprême a examiné en détail les constatations de faits relatives à la discrimination et a considéré que les preuves étaient suffisantes. Ainsi, d’après lui, les allégations de l’auteur sur ce point doivent être rejetées.

8.2Pour ce qui est de la question de savoir si les opinions de l’auteur peuvent être considérées comme des convictions religieuses au sens du Pacte, l’État partie reconnaît que la Cour suprême du Canada a considéré celles-ci comme des « convictions religieuses » au sens de la Charte canadienne. Toutefois, il souligne que même si la législation canadienne n’impose pratiquement aucune limite à ce qui est considéré comme convictions religieuses en vertu de l’article 2 de la Charte, elle protège néanmoins contre les abus du droit à la liberté de religion du fait de la clause restrictive énoncée à l’article premier. Il déclare que si telle est l’approche adoptée en vertu de la législation canadienne, la jurisprudence du Comité des droits de l’homme semble suggérer que celui-ci a opté pour une interprétation plus étroite des dispositions de l’article 18. L’État partie renvoie en particulier à l’affaire M.A.B., W.A.T. et J.-A.Y.T. c. Canada. C’est en raison de cette différence d’approche que l’État partie déclare que l’allégation au titre de l’article 18 devrait être considérée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, même si des dispositions analogues de la loi canadienne sont interprétées différemment en droit interne.

8.3.En ce qui concerne la situation de l’auteur en matière d’emploi, l’État partie note que l’auteur « a été licencié depuis 1996 », mais n’admet pas qu’il s’agisse d’une « sanction sévère pour avoir exercé ses droits à la liberté de religion et d’expression garantis par la Constitution » ou que la décision ait été liée d’une façon quelconque aux précédentes mesures prises à l’encontre de l’auteur. Il déclare que la sécurité d’emploi de l’auteur n’a été affectée que de façon minime par l’injonction de la Commission d’enquête, telle qu’elle a été confirmée par la Cour suprême. Il déclare qu’après la délivrance de l’injonction le 28 août 1991, l’auteur a été mis en congé sans solde pendant une semaine seulement, du 4 au 10 septembre 1991. À compter du 11 septembre 1991, il a été affecté à un poste à plein temps dans le bureau du district et chargé d’aider à la mise en place de programmes destinés aux élèves « à risque ». Selon l’État partie, ce poste, prévu à l’origine pour la durée de l’année scolaire 1991/92, devait être maintenu uniquement sous réserve de la disponibilité de fonds, mais en réalité a continué à être financé jusqu’en juin 1996. Le financement a cessé en raison d’une réorganisation générale du système scolaire du Nouveau-Brunswick, ayant pris effet le 1er mars 1996. Ces mesures ont entraîné la suppression des commissions scolaires et la responsabilité de l’administration du système éducatif a alors été confiée au Ministère de l’éducation, ce qui a eu pour conséquence la réduction du nombre de postes d’enseignants et d’administrateurs dans l’ensemble de la province.

8.4L’État partie déclare qu’en tout état de cause le poste de non-enseignant de l’auteur relevait expressément des modalités et conditions de l’accord collectif conclu entre le Comité de gestion et la Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick, qui prévoit que tout employé peut déposer plainte en cas de licenciement ou de renvoi illégal et peut obtenir réparation s’il est fait droit à sa plainte. L’auteur ne s’étant pas prévalu de ce recours, il ne peut pas désormais saisir le Comité d’allégations non étayées selon lesquelles la perte de son emploi serait la conséquence de l’injonction prise à son encontre ou de la décision rendue par la Cour suprême.

9.Dans ses observations du 5 janvier 2000, l’auteur réitère ses arguments concernant l’absence de preuves directes et souligne à nouveau que ses opinions controversées n’ont jamais fait partie de son enseignement. Pour ce qui est de sa situation en matière d’emploi, il note que la Cour suprême, le 3 avril 1996, a confirmé la décision contre la Commission scolaire, en vertu de laquelle il devait se voir proposer un poste de non-enseignant. Il déclare qu’aucun poste de ce type ne lui a été proposé et qu’en réalité il a été licencié le 1er juillet 1996. Selon le conseil, le fait qu’aucun autre poste n’a été offert à l’auteur depuis son licenciement en 1996 « est une preuve supplémentaire du mépris avec lequel le Gouvernement » le traite.

Examen de la recevabilité de la communication

10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité note que les deux parties se sont exprimées sur le fond de la communication, ce qui lui permet d’examiner dès à présent à la fois la recevabilité et le fond de la communication, conformément au paragraphe 1 de l’article 94 de son règlement intérieur. Toutefois, en application du paragraphe 2 de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité ne se prononce pas sur le fond de la communication sans avoir examiné l’applicabilité de tous les motifs de recevabilité visés dans le Protocole facultatif.

10.3Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle son renvoi en 1996 avait un lien avec la décision de la Cour suprême et a donc été le résultat des restrictions imposées à sa liberté d’expression et à sa liberté de manifester sa religion, le Comité note que l’auteur n’a pas exercé les recours internes existants. Cette partie de la communication de l’auteur est en conséquence irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.4S’agissant de l’allégation de l’auteur selon laquelle il est victime d’une discrimination, le Comité considère qu’elle n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité du reste de la communication pour plusieurs motifs. Tout d’abord, il invoque le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte, en affirmant que les publications de l’auteur doivent être considérées comme un « appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». Renvoyant à la décision prise par le Comité dans l’affaire J.R.T. et W.G. c. Canada, l’État partie déclare que, par voie de conséquence, la communication doit être considérée comme irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif en raison de son incompatibilité avec les dispositions du Pacte.

10.6Tout en notant que telle a effectivement été la démarche qu’il a suivie dans l’affaire J.R.T. et W.G. c. Canada, le Comité considère que les restrictions à la liberté d’expression qui peuvent relever des dispositions de l’article 20 doivent également être autorisées en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 qui fixe les conditions dans lesquelles elles sont autorisées. Lorsqu’il s’agit d’appliquer ces dispositions, le fait qu’une restriction est réputée être nécessaire en vertu de l’article 20 entre naturellement en ligne de compte. En l’espèce, la mesure dans laquelle les restrictions sont autorisées est une question à étudier dans le cadre de l’examen quant au fond.

10.7De même, le Comité considère que les questions de savoir si des restrictions ont été imposées au droit de l’auteur de manifester ses convictions religieuses et si de telles restrictions étaient autorisées en vertu du paragraphe 3 de l’article 18 méritent d’être examinées.

10.8L’État partie a également fait savoir que la communication devrait être déclarée irrecevable car l’auteur n’a pas présenté suffisamment de preuves permettant de supposer l’affaire à première vue fondée. L’État partie déclare que l’auteur, au lieu de présenter une communication détaillée au Comité, s’est appuyé uniquement sur les décisions des tribunaux nationaux et sur ses propres déclarations à la Cour suprême. Ainsi, estime-t-il, la communication « ne contient pas d’explications précises qui pourraient permettre de considérer les allégations [de l’auteur] recevables ». Le Comité estime toutefois que l’auteur a clairement exposé ses allégations de violation et que les documents fournis étayent suffisamment ces allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité entreprend l’examen des allégations de l’auteur quant au fond, compte tenu des informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

11.1Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur en vertu de l’article 19 du Pacte, le Comité note que, conformément à cet article, toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit répondre de façon cumulée à plusieurs conditions énoncées au paragraphe 3. Le Comité doit en conséquence déterminer tout d’abord si la liberté d’expression de l’auteur a été restreinte en raison de l’injonction de la Commission d’enquête du 28 août 1991, telle que confirmée par la Cour suprême du Canada. Comme suite à cette injonction, l’auteur a été mis en congé sans solde pendant une semaine, puis a été transféré à un poste de non-enseignant. Tout en notant l’argument de l’État partie (voir le paragraphe 6.8 ci-dessus) qui déclare que la liberté d’expression de l’auteur n’a pas été restreinte puisqu’il est resté libre d’exprimer ses opinions pendant qu’il occupait un poste de non-enseignant ou lorsqu’il était employé ailleurs, le Comité ne peut partager le point de vue selon lequel en se voyant privé de son poste d’enseignant, l’auteur n’a pas effectivement subi une restriction de sa liberté d’expression. La perte du poste d’enseignant a été un préjudice important, même en l’absence de dommage pécuniaire ou même si ce dommage n’a été qu’insignifiant. Ce préjudice a été imposé à l’auteur en raison de l’expression de ses opinions et, de l’avis du Comité, il s’agit d’une restriction qui doit être justifiée en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 pour être conforme aux dispositions du Pacte.

11.2Le Comité doit ensuite déterminer si la restriction imposée au droit de l’auteur à la liberté d’expression répondait aux conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19, c’est-à-dire si elle a été fixée par la loi, si elle répond à l’un des objectifs énoncés au paragraphe 3 a) et b) (respect des droits ou de la réputation d’autrui, sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques), et si elle est nécessaire pour atteindre un objectif légitime.

11.3Pour ce qui est de la condition selon laquelle la restriction doit être fixée par la loi, le Comité note qu’il existait un cadre juridique régissant la procédure qui a conduit à démettre l’auteur de ses fonctions d’enseignant. La Commission d’enquête a estimé que les observations de l’auteur en dehors de ses heures de travail étaient offensantes pour la religion juive et que cette situation avait porté atteinte à l’atmosphère dans le milieu scolaire. La Commission d’enquête a estimé que la Commission scolaire était le tiers responsable des actions discriminatoires de son employé et qu’elle avait exercé une discrimination directe à l’encontre des élèves juifs du district scolaire, en violation de l’article 5 de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne, du fait qu’elle n’avait pas imposé à l’auteur des mesures disciplinaires en temps voulu et de façon appropriée. Conformément à l’article 20 (6.2) de la même loi, la Commission d’enquête a ordonné à la Commission scolaire de remédier à la discrimination en prenant les mesures exposées au paragraphe 4.3 ci-dessus. En effet, comme il est indiqué plus haut, la réparation pour discrimination a consisté à mettre l’auteur en congé sans solde pendant une semaine et à le transférer à un poste de non-enseignant.

11.4Tout en notant le peu de précisions des dispositions qui ont été appliquées dans la procédure dirigée contre la Commission scolaire et qui ont été invoquées pour renvoyer l’auteur de son poste d’enseignant, le Comité doit également prendre en considération le fait que la Cour suprême a examiné tous les aspects de l’affaire et a estimé qu’il existait dans le droit interne suffisamment de fondements à l’appui des clauses de l’ordonnance qu’elle a rétablies. Le Comité note également que l’auteur a été entendu dans toute la procédure et qu’il avait les moyens de faire appel des décisions prononcées contre lui, moyens dont il s’est prévalu. Dans les circonstances, il n’appartient pas au Comité de réévaluer les conclusions de la Cour suprême sur ce point et le Comité estime en conséquence que la restriction imposée était prévue par la loi.

11.5Pour déterminer si les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur ont été appliquées dans les buts reconnus dans le Pacte, le Comité note tout d’abord que les droits ou la réputation d’autrui pour la protection desquels des restrictions peuvent être autorisées en vertu de l’article 19 peuvent être les droits ou la réputation d’autrui ou de la communauté dans son ensemble. Par exemple, notamment comme le Comité l’a considéré dans l’affaire Faurisson c. France, des restrictions peuvent être autorisées à l’égard de déclarations qui sont de nature à susciter ou à renforcer un sentiment antisémite, afin de préserver le droit des communautés juives d’être protégées contre la haine religieuse. De telles restrictions sont également fondées sur les principes énoncés au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. Le Comité note que tant la Commission d’enquête que la Cour suprême ont estimé que les déclarations de l’auteur étaient discriminatoires à l’égard des personnes de religion et d’ascendance juives et que l’auteur avait dénigré la religion et les convictions des juifs et engagé les « véritables » chrétiens à non seulement contester la validité des convictions et des enseignements juifs, mais également à afficher leur mépris à l’égard des personnes de religion et d’ascendance juives, qui menaceraient la liberté, la démocratie et les croyances et les valeurs chrétiennes. Compte tenu des conclusions relatives à la nature et à l’impact des déclarations publiques de l’auteur, le Comité conclut que les restrictions imposées à ce dernier avaient pour but de protéger « les droits ou la réputation » des personnes de religion juive, y compris leur droit à l’éducation dans un système public d’enseignement libre de parti pris, de préjugé et d’intolérance.

11.6Enfin, le Comité doit déterminer si la restriction imposée à la liberté d’expression de l’auteur était nécessaire pour protéger les droits ou la réputation de personnes de religion juive. En l’occurrence, le Comité rappelle que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Ces devoirs et responsabilités ont une importance particulière dans le cadre du système scolaire, notamment lorsqu’il s’agit de l’enseignement destiné à de jeunes élèves. De l’avis du Comité, l’influence qu’exercent les enseignants peut justifier l’imposition de restrictions afin de veiller à ce que le système scolaire n’accorde pas de légitimité à l’expression d’opinions qui sont discriminatoires. En l’espèce, le Comité note que la Cour suprême a estimé qu’il était raisonnable de supposer l’existence d’un lien de cause à effet entre les expressions de l’auteur et « l’atmosphère scolaire envenimée » que connaissaient les enfants juifs dans le district scolaire. À cet égard, la décision de démettre l’auteur de ses fonctions d’enseignant peut être considérée comme une restriction nécessaire à la protection du droit et de la liberté des enfants juifs de bénéficier d’un système scolaire à l’abri des partis pris, des préjugés et de l’intolérance. En outre, le Comité note que l’auteur a été assigné à un poste de non-enseignant après seulement une courte période de congé sans solde et que la restriction n’a ainsi pas été appliquée au-delà de la durée nécessaire pour qu’elle exerce son rôle de protection. Le Comité des droits de l’homme conclut en conséquence que les faits ne révèlent pas de violation de l’article 19.

11.7Pour ce qui est des allégations de l’auteur en vertu de l’article 18, le Comité note que les mesures prises à l’encontre de ce dernier en application de l’injonction de la Commission d’enquête d’août 1991 n’étaient pas dirigées contre ses pensées ou ses convictions en tant que telles, mais plutôt contre la manifestation de ces convictions dans un contexte particulier. La liberté de manifester ces convictions religieuses peut être soumise à des restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires à la protection des libertés et des droits fondamentaux d’autrui et, en l’espèce, les questions soulevées au titre du paragraphe 3 de l’article 18 sont en conséquence en substance les mêmes que celles qui sont soulevées au titre de l’article 19. En conséquence, le Comité estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 18.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Hipólito Solari Yrigoyen

À mon sens, les paragraphes 11.1 et 11.2 des constatations du Comité devraient être remplacés par ce qui suit :

Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’exercice du droit à la liberté d’expression visé au paragraphe 2 de cet article s’accompagne de responsabilités et de devoirs spéciaux énumérés au paragraphe 3. Le Comité ne peut donc souscrire à l’affirmation selon laquelle la liberté d’expression de l’auteur a été restreinte par l’injonction de la Commission d’enquête en date du 28 août 1991, telle que confirmée par la Cour suprême du Canada, dès lors que cette injonction était conforme au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il y a lieu de constater en outre que l’exercice de la liberté d’expression ne peut être envisagé séparément des dispositions de l’article 20 du Pacte, et que c’est justement cet article que l’État partie invoque pour justifier les mesures prises à l’encontre de l’auteur, comme cela est indiqué au paragraphe 6.3 ci-dessus.

(Signé) H. Solari Yrigoyen

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

G.Communication No 790/1997, Cheban c. Fédération de Russie(constatations adoptées le 24 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Présentée par :M. Sergei Anatolievich Cheban et consorts(représentés par un conseil, Mme Elena Kozlova)

Au nom de :Les auteurs

État partie :Fédération de Russie

Date de la communication :12 mars 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 790/1997 présentée par M. Sergei Anatolievich Cheban et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, datée du 12 mars 1997, sont Sergei Anatolievich Cheban, né le 27 février 1977, Sergei Alexandrovich Mishketkul, né le 20 février 1977, Vasili Ivanovich Philiptsevich, né le 14 avril 1978, et Stanislav Igoervich Timokhin, né le 22 novembre 1978. Ils affirment être victimes de violations des paragraphes 1, 2 et 3 e) ainsi que du paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par la Fédération de Russie. Ils affirment également qu’ils n’ont pas été jugés par un tribunal avec jury contrairement à d’autres accusés, ce qui soulève des questions au titre de l’article 26. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 17 février 1995, les auteurs ont été reconnus coupables de viol de mineur (la victime était alors âgée de 13 ans), avec violences et menaces, agissant en groupe par entente préliminaire, par le tribunal de la ville de Moscou. Au moment des faits, les auteurs étaient âgés de 15 à 16 ans et pensionnaires dans un internat de Moscou. Le tribunal de la ville de Moscou a prononcé son jugement sur la base du témoignage de la victime, des dépositions écrites de témoins, des déclarations écrites des auteurs, du rapport de police sur l’arrestation des auteurs, ainsi que de deux expertises médico-légales qui avaient conclu que la victime avait eu des rapports sexuels et que les auteurs étaient capables d’avoir des rapports sexuels.

2.2Pour fixer la peine infligée, le tribunal a tenu compte de l’âge des accusés et des témoignages positifs recueillis auprès de personnes les connaissant. Philiptsevich a été condamné à six ans d’emprisonnement et les trois autres accusés à cinq ans d’emprisonnement chacun. Lors du pourvoi en cassation, la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal de la ville de Moscou et les peines prononcées. Par la suite, le Vice-Président de cette même cour a formé opposition devant le Présidium de la Cour suprême en application des règles relatives au contrôle du pouvoir judiciaire. Le 10 avril 1996, le Présidium de la Cour suprême a réduit les peines prononcées. Celle de Philiptsevich a été ramenée à quatre ans et demi d’emprisonnement et celle des trois autres accusés à quatre ans.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le tribunal de la ville de Moscou est arrivé à ses conclusions d’une manière inéquitable en accordant trop de crédit à la version de la victime. De plus, étant donné qu’il n’y avait pas eu de témoin oculaire ou de preuve directe du viol, le juge s’était fondé principalement sur la déposition de la victime. Or, le conseil des accusés avait demandé qu’une expertise psychiatrique et psychologique de la victime soit faite pour s’assurer de sa capacité à percevoir et comprendre les circonstances et les faits, mais une telle expertise n’a jamais eu lieu.

3.2Au procès, les accusés avaient aussi demandé que l’on procède à une reconstitution des faits et que l’on présente un état des lieux avec des schémas et des photos afin de pouvoir juger de leur culpabilité. Leurs demandes ont été refusées. Les auteurs avancent que ce refus constitue une violation des paragraphes 1, 2 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.3La version des faits présentée par les auteurs donne également à penser que l’État partie pourrait avoir violé le paragraphe 4 de l’article 14 et l’article 26 du Pacte. En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 14, il ressort des faits décrits par les auteurs que le tribunal n’a pas tenu compte de leur âge. Les auteurs ont, à plusieurs reprises, demandé à bénéficier de l’article 20 de la Constitution russe de 1993, en vertu duquel les accusés qui encourent la peine de mort peuvent demander à être jugés par un tribunal comportant un jury. Le refus de faire comparaître les auteurs devant un tribunal avec jury peut également soulever des questions au regard de l’article 26 à cause de la différence de traitement avec d’autres accusés qui avaient eux bénéficié d’un procès devant un jury.

Réponse de l’État partie

4.1L’État partie répond que les allégations selon lesquelles les droits constitutionnels des accusés auraient été violés, leur culpabilité n’aurait pas été suffisamment prouvée et les enquêtes et formalités faites avant le procès étaient incomplètes, ont été examinées à plusieurs reprises par les autorités judiciaires compétentes et n’ont pas été confirmées. L’État partie déclare que, lors du procès, l’accusation et la défense ont bénéficié des mêmes droits.

4.2L’État partie affirme aussi que les accusés n’auraient pas pu être jugés par un tribunal comportant un jury car, à l’époque, la loi ne prévoyait pas la possibilité de tenir de tels procès à Moscou.

4.3Les auteurs ont pu se faire représenter par un avocat dès leur mise en examen et les droits de la défense leur ont été expliqués à maintes reprises en présence de leur conseil.

Commentaires des auteurs concernant la réponse de l’État partie

5.Les auteurs ont répété dans leurs commentaires sur la réponse de l’État partie que leur procès n’avait pas été équitable parce qu’ils n’avaient pas été en mesure de recueillir et présenter des éléments de preuve établissant leur innocence.

Délibération du Comité

6.1Avant de procéder à l’examen d’une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit s’assurer, en vertu de l’article 87 de son règlement intérieur, que la communication est recevable conformément au Protocole facultatif relatif au Pacte.

6.2Le Comité note que l’affaire n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions fixées au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc remplies.

6.3Le Comité note que l’État partie n’a soulevé aucune objection concernant la recevabilité de la communication.

6.4En ce qui concerne les déclarations des auteurs selon lesquelles ils auraient été victimes d’une violation du principe de la présomption d’innocence (par. 2 de l’article 14 du Pacte), le Comité estime que leurs allégations n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

6.5En ce qui concerne les violations présumées des paragraphes 1, 3 e) et 4 de l’article 14, le Comité note que les allégations concernent principalement l’appréciation des faits et des éléments de preuve ainsi que l’application du droit interne. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties, et non au Comité, d’apprécier les faits dans un cas d’espèce et d’interpréter la législation interne. Les informations dont dispose le Comité et les arguments avancés par les auteurs ne montrent pas que l’appréciation de ces faits par les juridictions et leur interprétation du droit aient été manifestement arbitraires ou aient représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité conclut que ces allégations sont irrecevables en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

6.6Les autres griefs sont recevables et le Comité procède à leur examen quant au fond.

Examen de la question quant au fond

7.1Bien que les auteurs n’invoquent pas l’article 26 du Pacte, le Comité estime qu’il doit examiner, compte tenu des éléments communiqués par les auteurs, la question de savoir s’il y a eu violation de cet article.

7.2La discrimination alléguée par les auteurs consiste dans le refus de les traduire devant un tribunal avec jury, alors que d’autres accusés jugés par des tribunaux de l’État partie avaient bénéficié de ce type de procès. Le Comité note que le Pacte ne prévoit certes aucune disposition garantissant le droit d’être jugé au pénal par un tribunal avec jury mais, si la législation interne de l’État partie protège ce droit et qu’il est accordé à certaines personnes accusées d’une infraction pénale, il doit être accordé dans des conditions d’égalité aux autres personnes dans la même situation. Toute distinction doit être fondée sur des motifs objectifs et raisonnables.

7.3Les auteurs affirment qu’ils auraient dû avoir le droit d’être jugés par un tribunal avec jury, droit reconnu à tous les accusés encourant la peine de mort. Le Comité note toutefois que, dans le cas d’espèce, les auteurs étaient mineurs au moment où les crimes ont été commis et que par conséquent, selon la législation de l’État partie, la peine de mort ne pouvait être prononcée à leur égard.

7.4Une violation de l’article 26 pourrait en outre être alléguée du fait qu’il était possible d’être jugé par un tribunal avec jury dans certaines régions du pays, mais pas à Moscou, où les auteurs ont été jugés et condamnés. Le Comité note qu’en vertu de la Constitution de l’État partie la question de savoir si l’accusé peut être jugé par un tribunal avec jury relève du droit fédéral, mais qu’il n’y a pas de loi fédérale sur cette question. Le fait qu’un État partie ayant une structure fédérale autorise des différences entre les divers éléments de la fédération en matière de procès avec jury ne constitue pas en soi une violation de l’article 26. Les auteurs n’ayant fourni aucune information sur les cas dans lesquels les procès ont eu lieu avec jury dans la ville de Moscou, s’agissant d’affaires où l’accusé n’encourait pas la peine de mort, le Comité ne peut conclure que l’État partie a commis une violation de l’article 26.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation d’un article du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

H.Communication No 806/1998,Thompson c. Saint-Vincent-et-les Grenadines(constatations adoptées le 18 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.

Le texte de deux opinions individuelles signées par cinq membres du Comité est joint au présent document.

Présentée par :M. Eversley Thompson(représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet londonien Simons, Muirhead & Burton)

Au nom de :L’auteur

État partie :Saint-Vincent-et-les Grenadines

Date de la communication :17 février 1998

Décisions antérieures :Décision du Rapporteur spécial prise en application des articles 86 et 91, transmise à l’État partie le 19 février 1998 (non publiée sous forme de document)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 806/1998 présentée par M. Eversley Thompson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Eversley Thompson, citoyen saint-vincentais, né le 7 juillet 1962. Il est représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet londonien Simons Muirhead & Burton. Le conseil affirme que l’auteur est victime de violations des paragraphes 1 et 4 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte.

Rappel des faits présentés par le conseil

2.1L’auteur a été arrêté le 19 décembre 1993 et inculpé du meurtre de D’Andre Olliviere, une fillette de 4 ans qui avait disparu la veille. La Chambre pénale de la Haute Cour l’a reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à mort le 21 juin 1995. Son appel a été rejeté le 15 janvier 1996. Dans sa demande d’autorisation spéciale de former recours devant la section judiciaire du Conseil privé, le conseil a avancé cinq moyens d’appel, relatifs à la recevabilité des aveux de l’auteur et aux instructions données par le juge au jury. Le 6 février 1997, la section judiciaire du Conseil privé a accordé l’autorisation de former recours et après avoir renvoyé l’affaire à la cour d’appel locale sur un point, a rejeté ce pourvoi le 16 février 1998. De ce fait, tous les recours internes seraient épuisés.

2.2Au procès, l’accusation reposait sur le fait que la petite fille avait disparu le 18 décembre 1993 et que l’auteur avait été vu qui se cachait derrière un arbre près du domicile de celle-ci. Du sang, des matières fécales et la culotte de la fillette avaient été trouvés sur la plage près du domicile de la famille. Le corps de la fillette n’a jamais été retrouvé.

2.3Selon le ministère public, l’auteur a été appréhendé par des agents de police à son domicile, tôt dans la matinée du 19 décembre 1993. Ceux-ci lui ayant montré une pantoufle rouge trouvée la veille au soir, il avait dit que c’était la sienne. Après avoir été conduit au commissariat de police, l’auteur avait avoué s’être livré à des violences sexuelles sur la fillette avant de jeter son corps dans la mer depuis la plage. Il s’était rendu avec les policiers à l’endroit des faits. À son retour, il avait fait une déposition confirmant ses aveux.

2.4Les éléments de preuve susmentionnés, présentés par la police, ont fait l’objet d’un examen préliminaire au cours du procès. L’auteur a contesté avoir jamais fait une déposition. Il a affirmé que les agents de police l’avaient roué de coups, chez lui et au commissariat, qu’on lui avait administré des décharges électriques et qu’il avait été frappé à coups de crosse et de pelle. Ses parents ont témoigné qu’ils l’avaient vu le 20 décembre 1993 le visage et les mains fortement tuméfiés. À l’issue de l’examen préliminaire, le juge a décidé que les aveux avaient été spontanés et les a admis en tant qu’éléments de preuve. Devant le jury, l’auteur a fait une déposition sous serment dans laquelle il a de nouveau nié avoir fait des aveux.

Teneur de la plainte

3.1D’après le conseil, condamner l’auteur à la peine de mort constitue un châtiment cruel et inusité car, en droit saint-vincentais, la peine capitale est obligatoire en cas de meurtre. Il ajoute qu’il n’existe aucun critère quant à l’exercice du droit de grâce, et la personne reconnue coupable n’a pas la possibilité de faire la moindre observation sur les informations que le Gouverneur général peut avoir reçues à cet égard. La peine de mort devrait être réservée aux crimes les plus graves et « le fait de prononcer indifféremment la même sentence pour toutes les catégories de meurtre ne satisfait pas au critère de proportionnalité entre les circonstances du crime effectivement perpétré, la situation de l’auteur et la peine. Cette sentence devient donc un châtiment cruel et inusité ». Elle constituerait de ce fait une violation de l’article 7 du Pacte.

3.2Les faits susvisés constitueraient également une violation de l’article 26 du Pacte, puisque le caractère obligatoire de la peine de mort interdit aux juges d’infliger une peine moins lourde pour tenir compte d’éventuelles circonstances atténuantes. En outre, la peine étant obligatoire, le caractère discrétionnaire de l’exercice du droit de grâce va à l’encontre du principe de l’égalité devant la loi.

3.3En outre, le caractère obligatoire de la peine de mort violerait les droits conférés à l’auteur par les paragraphes 1 et 4 de l’article 6.

3.4De même, le paragraphe 1 de l’article 14 aurait été violé « du fait que la Constitution de Saint-Vincent n’autorise pas le requérant à faire valoir que son exécution est anticonstitutionnelle parce qu’inhumaine, dégradante, cruelle ou inusitée. En outre, elle n’accorde aucun droit à audition ou jugement quant à la question de savoir si la peine devrait être prononcée ou exécutée ».

3.5Le conseil indique que les conditions dans lesquelles l’auteur est incarcéré dans la prison de Kingstown constituent des violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. L’auteur est détenu dans une cellule de 2,4 m sur 1,8 m; une ampoule reste en permanence allumée, 24 heures sur 24; il n’y a ni meuble, ni literie; les seuls objets personnels dont il dispose sont une couverture, une tinette et une tasse; la ventilation est insuffisante puisqu’il n’y a pas de fenêtre; les conditions d’hygiène sont extrêmement mauvaises; la nourriture est de mauvaise qualité et insipide – on lui sert du riz tous les jours; il est autorisé à faire de l’exercice trois fois par semaine pendant une demi-heure dans le dortoir. Les conditions de détention seraient également contraires au Règlement intérieur des prisons de Saint-Vincent-et-les Grenadines. En outre, la peine infligée à l’auteur serait aggravée par ces conditions.

3.6Le conseil fait valoir que la détention dans ces conditions rend illégale l’exécution de l’auteur.

3.7Le conseil ajoute qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce qu’aucune aide juridictionnelle n’est disponible pour déposer une requête constitutionnelle et que l’auteur, qui est indigent, se voit ainsi dénier le droit de saisir la justice garanti par le paragraphe 1 de l’article 16 de la Constitution.

Demande de mesures provisoires adressée par le Comité

4.1Le 19 février 1998, la communication a été soumise à l’État partie, qui a été prié de fournir des informations et de faire connaître ses observations à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la communication, conformément au paragraphe 2 de l’article 91 du Règlement intérieur du Comité. L’État partie a également été prié, conformément à l’article 86 du Règlement intérieur, de surseoir à l’exécution de l’auteur pendant que l’affaire serait examinée par le Comité.

4.2Le 16 septembre 1999, le Comité a été informé que l’ordre d’exécution de l’auteur avait été décerné. Le Comité ayant immédiatement envoyé un message à l’État partie lui rappelant la demande qu’il lui avait adressée conformément à l’article 86, ce dernier a informé le Comité qu’il n’avait pas connaissance de cette demande ni de la communication concernée. À l’issue d’un échange épistolaire entre le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les représentants de l’État partie, et après qu’une requête constitutionnelle eut été présentée à la Haute Cour de Saint-Vincent-et-les Grenadines, l’État partie a accepté de surseoir à l’exécution de l’auteur pour permettre au Comité d’examiner sa communication.

Observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 16 novembre 1999, l’État partie note que l’auteur a exercé son droit de recours en déposant une requête constitutionnelle, laquelle a été rejetée par la Haute Cour le 24 septembre 1999. La Cour n’a pas fait droit aux arguments du conseil selon lesquels l’auteur n’avait pas bénéficié des garanties judiciaires ni de la protection de la loi, l’exécution de la peine de mort était anticonstitutionnelle parce que inhumaine ou dégradante, les conditions de détention de l’auteur étaient assimilables à un traitement inhumain et dégradant et celui-ci avait le droit bien établi de faire examiner sa requête par le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies. L’État partie ajoute qu’afin d’accélérer l’examen de la plainte par le Comité, il ne soulèvera aucune objection quant à la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes.

5.2L’État partie précise que le droit international admet que la peine de mort puisse avoir un caractère obligatoire. Il explique qu’il est fait une distinction dans le droit pénal de Saint-Vincent-et-les Grenadines entre différents types de mise à mort illégale. L’homicide sans préméditation n’est pas obligatoirement passible de la peine de mort. Ce n’est que pour le crime de meurtre que la peine de mort est obligatoire. Le meurtre est le crime le plus grave en droit interne. C’est pourquoi l’État partie affirme que la peine de mort a été prononcée en l’espèce conformément au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Il nie aussi qu’il y ait eu violation de l’article 7 à cet égard, puisque le fait de réserver la peine de mort au crime le plus grave réprimé par la loi satisfait au principe de proportionnalité entre les circonstances du crime et la peine. L’État partie rejette de même l’argument du conseil selon lequel il y a eu discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

5.3L’État partie note également que l’auteur a bénéficié d’un procès équitable et que sa condamnation a été réexaminée et confirmée par la cour d’appel et le Conseil privé. En conséquence, la peine de mort prononcée ne constitue pas une privation arbitraire de la vie de l’auteur au sens du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

5.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte, l’État partie note que l’auteur a le droit de solliciter la grâce ou une commutation de peine et que le Gouverneur général peut exercer le droit de grâce conformément aux articles 65 et 66 de la Constitution à la lumière des avis que lui donne le Comité consultatif.

5.5Pour ce qui est des conditions de détention et du traitement des détenus, l’État partie note que l’auteur n’a fourni aucun élément pour montrer que ses conditions de détention pouvaient être assimilées à une torture ou à un traitement ou un châtiment cruel, inhumain ou dégradant. Il n’est pas davantage prouvé qu’il ait été traité de façon contraire au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Selon l’État partie, les déclarations de caractère général faites dans la communication ne font apparaître aucune violation particulière des articles pertinents. En outre, l’État partie note que la Haute Cour a étudié cette question lorsqu’elle a examiné la requête constitutionnelle, qu’elle a rejetée. L’État partie se réfère à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle le Comité n’est pas compétent pour apprécier les faits et les éléments de preuve examinés par un tribunal et conclut que la plainte de l’auteur devrait être rejetée. L’État partie se réfère en outre à la jurisprudence du Comité selon laquelle des périodes de détention prolongée ne peuvent être considérées comme constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant si la personne reconnue coupable ne fait qu’exercer ses moyens de recours.

5.6L’État partie affirme en outre que même s’il y avait eu violation des droits de l’auteur en ce qui concerne les conditions de détention, cela ne rendrait pas l’exécution de la peine capitale illégale ni n’entraînerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. À ce propos, l’État partie fait référence à la décision du Conseil privé dans l’affaire Thomas and Hilaire c. Attorney General of Trinidad and Tobago, dans laquelle le Conseil privé a estimé que même si les conditions de détention constituaient une violation des droits constitutionnels des auteurs du recours, la commutation de leur peine ne serait pas la réparation appropriée et que si les conditions dans lesquelles le condamné avait été détenu avant son exécution enfreignaient ses droits constitutionnels, cela ne rendait pas anticonstitutionnelle une sentence légale.

5.7S’agissant de l’affirmation du conseil selon laquelle le droit de l’auteur de saisir la Cour constitutionnelle a été violé, l’État partie note que l’auteur a bien présenté et fait valoir une requête constitutionnelle devant la Haute Cour, et a été représenté pour ce faire par un défenseur local expérimenté. Une fois sa requête rejetée, l’auteur a fait une déclaration d’appel. Le 13 octobre 1999, il s’est désisté. Au cours de ces procédures, il a de nouveau été représenté par le même défenseur. L’État partie affirme que cela démontre que l’État ne s’est nullement comporté d’une manière qui ait eu pour effet concret d’empêcher l’auteur de saisir la justice.

Observations du conseil

6.1Dans ses observations, le conseil affirme que la condamnation à mort de l’auteur viole diverses dispositions du Pacte parce que le juge l’a condamné sans avoir examiné et pris en considération sa personnalité, sa situation personnelle ou les circonstances du crime. À cet égard, le conseil se réfère au rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago.

6.2En ce qui concerne le droit de grâce, le conseil affirme que l’État partie n’a pas tenu compte de ce que le droit de recours en grâce doit être un droit effectif. En l’espèce, l’auteur ne peut utilement faire entendre sa cause, ce qui rend son droit de recours en grâce théorique et illusoire. L’auteur ne peut participer à la procédure, et est simplement informé de son issue. Selon le conseil, cela signifie que les décisions concernant la grâce sont prises de façon arbitraire. À ce sujet, le conseil note que le Comité consultatif n’interroge ni le détenu ni sa famille. En outre, le condamné n’a aucune possibilité de réagir à des informations susceptibles d’aggraver son cas dont le Comité consultatif pourrait avoir connaissance.

6.3En ce qui concerne les conditions de détention, le conseil joint une déclaration sous serment de l’auteur, datée du 30 décembre 1999. Selon ses dires, la cellule de la prison de Kingstown dans laquelle il a été détenu du 21 juin 1995 au 10 septembre 1999 mesurait 2,4 m sur 1,8 m, et les seuls articles qui lui avaient été fournis dans sa cellule étaient une couverture, une tinette, un petit récipient à eau et une bible. Il dormait à même le sol. Il n’y avait dans la cellule pas de lumière électrique mais dans le couloir, une ampoule était allumée jour et nuit. Il ne pouvait pas lire parce que l’éclairage était insuffisant. Il était autorisé à faire de l’exercice au moins trois fois par semaine dans le couloir adjacent à sa cellule. Il ne pouvait pas prendre l’air et ne voyait jamais la lumière du jour. Des surveillants étaient présents en permanence. La nourriture était insipide et était peu variée (principalement du riz). Au cours d’un incendie provoqué le 29 juillet 1999 par une mutinerie, il était enfermé dans sa cellule et n’avait eu la vie sauve que parce que d’autres prisonniers avaient enfoncé le toit. Il n’est autorisé à porter que les tenues pénitentiaires qui lui arrachent la peau. Le 10 septembre 1999, il a été placé dans une cellule de Fort Charlotte, une prison datant du XVIIIe siècle. Dans la cellule où il se trouve désormais, l’atmosphère est moite et le sol est humide. Il a un petit matelas. La cellule est sombre de nuit comme de jour, car la lumière de l’ampoule électrique du couloir n’y pénètre pas. Il fait de l’exercice tous les jours, mais à l’intérieur du bâtiment, et ne va jamais à l’air libre. En raison de l’humidité, ses jambes ont commencé à enfler, ce qu’il a signalé aux autorités qui l’ont emmené à l’hôpital pour des examens le 29 décembre 1999. Il ajoute qu’il devait être pendu le 13 septembre 1999, qu’il a été conduit à la potence et que son avocat n’a réussi à obtenir un sursis à exécution que 15 minutes avant l’heure prévue. Il déclare qu’il en a été traumatisé et a perdu tous ses repères.

6.4En ce qui concerne le droit de saisir la justice, le conseil estime que le fait que l’auteur ait eu la chance de le convaincre de le représenter gratuitement dans sa récente affaire constitutionnelle ne dispense pas l’État partie de son obligation de fournir une aide juridictionnelle s’agissant des requêtes constitutionnelles.

Considérations relatives à la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note qu’il ressort des faits dont il est saisi que l’auteur a déposé une requête constitutionnelle devant la Haute Cour de Saint-Vincent-et-les Grenadines. Le Comité considère donc que le conseil n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, son affirmation selon laquelle, en contravention du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie a dénié à l’auteur le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal.

7.3Le Comité considère que l’auteur a suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que ses autres plaintes pouvaient soulever des questions au titre des articles 6, 7, 10 et 26 du Pacte et procède donc sans plus tarder à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements communiqués par écrit par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le conseil a affirmé que le caractère obligatoire de la sentence de mort et son application dans le cas de l’auteur constituaient une violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et de l’article 26 du Pacte. L’État partie a répondu que la sentence de mort n’était obligatoire que pour le meurtre, qui est le crime le plus grave réprimé par la loi, et que cela impliquait qu’il s’agissait d’une sentence proportionnée à l’infraction. Le Comité note que l’imposition obligatoire de la peine de mort en vertu de la législation de l’État partie repose exclusivement sur la catégorie de crime dont le défendeur est reconnu coupable, sans considération de la situation personnelle de celui-ci ou des circonstances du délit commis. La peine de mort est obligatoire dans tous les cas de « meurtre » (actes de violence intentionnels ayant entraîné la mort de la victime). Le Comité considère qu’un tel système d’imposition obligatoire de la peine de mort prive l’individu de son droit le plus fondamental, le droit à la vie, sans considérer si cette forme exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les circonstances particulières à l’affaire. L’existence du droit de demander la grâce ou la commutation de la peine tel qu’il est prévu au paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte ne garantit pas une protection appropriée du droit à la vie car l’application de ces mesures discrétionnaires par le pouvoir exécutif est sujette à une grande diversité d’autres considérations, sans rapport avec l’examen judiciaire approprié de tous les aspects d’une affaire pénale. Le Comité estime que l’exécution de la sentence de mort dans le cas de l’auteur constituerait pour ce dernier une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

8.3Le Comité estime que les arguments du conseil concernant le caractère obligatoire de la peine de mort, fondés sur le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, l’article 7, le paragraphe 5 de l’article 14 et l’article 26, ne soulèvent pas de questions qui seraient distinctes de la constatation ci-dessus concluant à une violation du paragraphe 1 de l’article 6.

8.4L’auteur a affirmé que ses conditions de détention étaient contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, et l’État partie a rejeté cette affirmation en termes généraux, renvoyant au jugement de la Haute Cour qui avait rejeté la requête de l’auteur. Le Comité estime que bien qu’il appartienne en principe aux juridictions internes de l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans toute affaire spécifique, il se doit d’examiner la question de savoir si les faits, tels qu’ils ont été établis par le tribunal, constituent ou non une violation du Pacte. À ce sujet, le Comité note que l’auteur a affirmé devant la Haute Cour qu’il était confiné dans une petite cellule, qu’on ne lui avait donné qu’une couverture et une tinette, qu’il dormait à même le sol, qu’une ampoule électrique restait allumée jour et nuit et qu’il n’était autorisé à sortir de sa cellule pour aller dans la cour qu’une heure par jour. De plus il ne recevait pas la lumière du jour et était actuellement détenu dans une cellule humide et obscure. L’État partie n’a pas contesté ces affirmations. Le Comité estime que les conditions dans lesquelles l’auteur est incarcéré constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Dans la mesure où l’auteur fait valoir que le fait qu’il ait été conduit à la potence après que l’ordre d’exécution eut été décerné et n’ait été ramené dans sa cellule que 15 minutes avant l’heure prévue pour l’exécution constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le Comité note que rien dans les pièces dont il est saisi n’indique que l’auteur n’a pas été éloigné du lieu de l’exécution dès que le sursis à exécution a été accordé. Le Comité estime donc que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à cet égard.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à M. Thompson un recours utile et approprié, y compris sous la forme d’une commutation de peine. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité de l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de Lord Colville (dissidente)

La décision retenue par la majorité repose exclusivement sur le fait que la loi impose une sentence de mort obligatoire pour la catégorie de crime – le meurtre – dont le défendeur est reconnu coupable, sans tenir compte de sa situation personnelle ou des circonstances particulières du crime. La majorité est parvenue à cette conclusion sans avoir apprécié ni cette situation ni ces circonstances, ce qui au demeurant ne serait pas de la compétence du Comité. Par conséquent, la majorité a établi son opinion sur l’opposition entre la définition du meurtre selon la common law, qui s’applique dans l’État partie, et la hiérarchie des catégories d’homicide faite dans les juridictions de droit civil et, selon la loi, dans certains États dont le droit pénal découle de la common law. Ainsi, la décision de la majorité ne porte pas sur cet auteur en particulier mais a une application large qui peut être généralisée. Pour la première fois au sujet de cette communication, cette opposition est relevée, alors que le Comité a rendu dans le passé des constatations concernant de nombreuses communications soumises au motif (notamment) d’une condamnation à mort obligatoire pour meurtre, sans adopter cette position.

En concluant dans la présente communication que l’exécution de la sentence de mort dans le cas de l’auteur constituerait une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, la majorité n’a pas pris le bon point de départ. Tel qu’il est rédigé le paragraphe 8.2 de la décision retenue par la majorité fait l’impasse sur l’analyse des dispositions de l’article 6 tout entier, qui est soigneusement construit. La position de départ est que, malgré l’injonction faite au paragraphe 6 de l’article 6, il est accepté que la peine capitale puisse être prononcée. Ensuite sont énoncées des garanties, qui appellent les commentaires suivants :

a)Le droit à la vie, qui est inhérent à l’être humain, ne peut être ôté arbitrairement. Les dispositions suivantes de l’article énoncent les conditions qui permettent d’empêcher l’arbitraire mais ces conditions ne sont pas traitées par la majorité, à l’exception de celle qui est faite au paragraphe 4 de l’article 6, au sujet de laquelle il existe maintenant une jurisprudence qui semble avoir été négligée (voir plus loin);

b)Le paragraphe 2 de l’article 6 met en relief la principale faille du raisonnement de la majorité. Il est incontesté que le meurtre est l’un des « crimes les plus graves »; or l’opinion de la majorité est que la définition du meurtre dans la common law peut englober des infractions qui ne doivent pas entrer dans la catégorie des « crimes les plus graves ». Même si les choses ne sont pas dites dans la décision en ces termes, l’implication est nécessairement que le « meurtre » doit être redéfini.

Le deuxième élément du paragraphe 2 de l’article 6 souligne que la peine capitale ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. Il s’ensuit inévitablement que le texte de loi qui oblige le juge du fond à prononcer une sentence de mort quand le défendeur est reconnu coupable de meurtre n’est pas et ne peut pas être en soi attentatoire au paragraphe 1 de l’article 6 et ne peut certainement pas l’être parce que la situation personnelle et les circonstances du crime ne sont pas prises en considération : si l’autorité chargée des poursuites décide, dans une affaire d’homicide, de dresser un acte d’inculpation pour meurtre, la défense dispose immédiatement d’un certain nombre de moyens pour contrer, devant la juridiction de jugement, ce chef d’inculpation. Il s’agit des moyens suivants :

–Légitime défense : à moins que l’accusation ne puisse convaincre le tribunal que les actes du défendeur, qui ont entraîné la mort, ne constituaient pas une réaction proportionnée, selon sa propre perception de la situation, par rapport à la menace qu’il rencontrait, le défendeur doit être acquitté de toute charge;

–D’autres circonstances qui entourent le crime et qui se rapportent essentiellement à la situation prévalente du défendeur ou à son état d’esprit permettent à la juridiction de jugement de conclure que, si ce moyen de défense n’est pas réfuté d’une façon convaincante par l’accusation (la charge n’incombe jamais au défendeur), le chef d’inculpation de meurtre peut être ramené à celui d’homicide, ce qui n’emporte pas une sentence de mort obligatoire. En fonction de la ligne de défense et des preuves apportées par les parties, le juge est tenu d’expliquer ces questions; s’il ne le fait pas conformément au précédent légal le résultat sera l’annulation de la condamnation;

–Il suffit de donner des exemples des moyens qui peuvent ainsi être développés par la défense : l’un de ces moyens consiste à faire valoir la responsabilité atténuée du défendeur pour ses actes (mais sans aller jusqu’à l’état de démence qui entraînerait non pas une condamnation, mais une injonction de traitement dans un établissement psychiatrique); ou la provocation, notion qu’une décision judiciaire a étendue pour viser aussi le « syndrome de la femme battue », que l’origine de l’exaspération de la victime soit immédiate ou soit le résultat d’un processus cumulatif;

–En conséquence, dans son verdict, le juge précise si le meurtre est le seul crime possible dont le défendeur peut être reconnu coupable. Les points de droit qui peuvent justifier la contestation d’une condamnation pour meurtre peuvent être portés devant la plus haute juridiction d’appel. C’est à la suite d’un pourvoi de cette nature que la loi a reconnu que des violences conjugales prolongées constituaient une « provocation » ce qui permettait de ramener dans certains cas le meurtre à un homicide.

Cette affaire n’appelle aucune observation au regard du paragraphe 3 ni du paragraphe 5 de l’article 6. En revanche le paragraphe 4 a récemment pris une certaine importance que la décision retenue par la majorité semble avoir négligée. La pratique a toujours été que le chef de l’État doit être conseillé par le ministre compétent ou l’organe consultatif compétent, comme le Conseil privé, pour déterminer si la peine capitale doit être exécutée. Ce système est requis par le paragraphe 4 de l’article 6 et il suppose un certain nombre de mesures préliminaires : comme la majorité l’énonce au paragraphe 8.2 de la décision, ces mesures discrétionnaires du pouvoir exécutif sont sujettes à une grande diversité d’autres considérations sans rapport avec l’examen judiciaire approprié de tous les aspects d’une affaire pénale. Cette affirmation n’est pas seulement correcte, elle représente l’essence et la valeur mêmes du paragraphe 4 de l’article 6; c’est exactement ce processus qui est en place dans l’État.

La section judiciaire du Conseil privé a toutefois rendu son avis dans l’affaire Lewis and others v. A.G. of Jamaica & another, en date du 12 septembre 2000. Certes, l’opinion majoritaire de Lord Slynn n’est pas obligatoire dans une juridiction de common law quelle qu’elle soit mais il émane de cet avis une autorité si convaincante qu’elle ne peut manquer d’être suivie d’effet. Lord Slynn indique qu’à la Jamaïque de par la Constitution même du pays, mais également ailleurs :

–Un rapport écrit du juge du fond est mis à la disposition de la personne ou de l’organe appelé à se prononcer sur la grâce ou la commutation de peine. (En commentaire concernant cette pratique, il faut ajouter que le juge du fond aura vu directement le défendeur et les témoins pendant le procès et aura eu également accès à toutes autres informations relatives aux circonstances de l’affaire et à la situation personnelle du défendeur qui n’ont pas été avancées à aucun moment du procès proprement dit. Des éléments de preuve, qui ne peuvent pas être produits au tribunal de jugement, peuvent, par exemple, contenir grand nombre de renseignements utiles.)

–« Les autres informations découlant du dossier ou provenant d’autres sources » doivent être portées à la connaissance de l’autorité habilitée à accorder la grâce.

–Dans la pratique le condamné n’a jamais été empêché de faire des représentations, que cette autorité prendra en considération.

L’avis dans l’affaire Lewis innove en ce qu’il conseille que les procédures suivies pour examiner la requête d’un individu sont susceptibles de révision judiciaire. Il faut que le condamné soit informé de la date à laquelle l’autorité habilitée à accorder la grâce examinera son cas. Ce préavis devrait être suffisant pour permettre au condamné lui-même ou à ses conseils de préparer les représentations avant que la décision ne soit prise. L’avis rendu dans l’affaire Lewis donne ainsi corps au droit du défendeur de faire des représentations et oblige à prendre celles-ci en considération.

De cette analyse de l’article 6 dans son ensemble, ainsi que de la décision judiciaire qui ne manquera sans doute pas d’être suivie dans toutes les juridictions de common law, y compris celle de Saint-Vincent-et-les Grenadines, il découle inéluctablement que s’il y a arbitraire cela ne dépend pas du jugement et de la peine prononcée en première instance, et encore moins du caractère obligatoire de la sentence à prononcer en cas de condamnation pour meurtre. Rien ne permet de penser que les procédures d’appel aient été entachées d’arbitraire. Par conséquent l’opinion de la majorité ne peut qu’être fondée sur l’idée que les termes du paragraphe 4 de l’article 6, tels qu’il y est donné effet dans une juridiction de common law, incluent nécessairement une décision arbitraire, « sans considérer si cette forme exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les circonstances particulières » (par. 8.2). Cela est manifestement faux, vu la pratique constante et, désormais, la décision convaincante du Conseil privé; il ne s’agit plus simplement d’un problème d’examen consciencieux de la part de l’autorité mais de la possibilité de révision judiciaire de la décision de cette autorité.

Toute interprétation aboutissant à conclure qu’il y a eu arbitraire à la lumière des procédures appliquées en common law ne peut qu’impliquer que le plein respect des dispositions du paragraphe 4 de l’article 6 doit être lié à la notion d’arbitraire énoncée au paragraphe 1 de l’article 6. Une telle incohérence interne ne devrait pas être appliquée à une interprétation du Pacte et ne peut que résulter d’une interprétation forcée et erronée des termes de l’article 6.

Au vu des faits de l’affaire et étant donné qu’une demande de grâce est en cours et peut encore aboutir, je ne peux pas conclure qu’il y a eu la moindre violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

(Signé) Lord Colville

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. David Kretzmer,cosignée par M. Abdelfattah Amor, M. Maxwell Yaldenet M. Abdallah Zakhia (dissidente)

A.La jurisprudence du Comité

1.Comme beaucoup de mes collègues, je considère qu’il est malheureux que le Pacte ne prohibe pas la peine de mort. Toutefois cela ne doit pas être une raison pour s’écarter des règles d’interprétations acceptées jusqu’ici s’agissant des dispositions du Pacte relatives à la peine capitale. Je ne puis donc pas souscrire à l’avis du Comité qui a estimé qu’étant donné que la sentence de mort prononcée dans le cas de l’auteur était obligatoire de par la loi, si l’auteur était exécuté, l’État partie violerait son droit, garanti au paragraphe 1 de l’article 6, de ne pas être privé arbitrairement de la vie.

2.La question des sentences de mort obligatoires en cas de meurtre n’est pas nouvelle pour le Comité. Pendant des années, celui-ci a été saisi de communications émanant de personnes qui avaient été condamnées à mort en vertu d’une législation qui rend la condamnation à mort obligatoire en cas de meurtre. (Voir par exemple les communications No 719/1996, Conroy Levy c. Jamaïque, No 750/1996, Silbert Daley c. Jamaïque, No 775/1997, Christopher Brown c. Jamaïque.) Dans aucune de ces affaires le Comité n’a estimé que le caractère obligatoire de la peine entraînait une violation de l’article 6 du Pacte (ou de tout autre article). De plus, dans l’exercice de ses fonctions au titre de l’article 40 du Pacte, le Comité a examiné et commenté de nombreux rapports d’États parties dont la législation prévoit la peine capitale obligatoire en cas de meurtre. Si, quand il examine des communications émanant de particuliers, le Comité se limite généralement aux arguments avancés par les auteurs, quand il examine les rapports des États parties c’est à lui qu’appartient l’initiative d’émettre des doutes concernant la compatibilité de la législation nationale avec le Pacte. Or dans ses observations finales le Comité ne s’est jamais déclaré d’avis que la peine capitale obligatoire en cas de meurtre était incompatible avec le Pacte. (Voir par exemple les observations finales du Comité, en date du 19 janvier 1997, adoptées à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique de la Jamaïque, où il n’est fait aucune mention de la sentence de mort obligatoire.)

Il faut rappeler en outre que dans son Observation générale No 6 relative à l’article 6 du Pacte, le Comité a analysé la question de la peine capitale. À aucun moment il n’a indiqué que la condamnation obligatoire à la peine de mort était incompatible avec l’article 6.

Le Comité n’est pas lié par sa jurisprudence. Il est libre de s’en écarter et doit le faire s’il a la conviction que la position qu’il a eue dans le passé était erronée. Il me semble toutefois que s’il veut que les États parties prennent sa jurisprudence au sérieux et s’en inspirent pour mettre en oeuvre le Pacte, quand il change d’orientation le Comité doit aux États parties et à toutes les personnes intéressées une explication des motifs qui l’ont conduit à le faire. Je regrette que dans les constatations adoptées dans la présente affaire le Comité n’ait pas expliqué pourquoi il avait décidé de s’écarter de sa position précédente concernant la condamnation obligatoire à la peine de mort.

B.L’article 6 et les condamnations à mort obligatoires

3.Quand on débat de l’article 6 du Pacte il importe de faire une distinction très claire entre condamnation à mort obligatoire et peine capitale obligatoire. Dans le Pacte lui-même il est clairement fait une distinction entre une sentence de mort et l’application de cette sentence. La condamnation à mort par un tribunal à l’issue d’un procès où toutes les conditions de l’article 14 du Pacte ont été respectées est une condition nécessaire mais insuffisante pour exécuter la peine capitale. Le paragraphe 4 de l’article 6 garantit à tout condamné à mort le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la sentence. Il est donc évident que le Pacte interdit expressément l’application obligatoire de la peine capitale. Toutefois, la question qui se pose dans le cas d’espèce n’a pas trait à une application obligatoire de la peine capitale ou à une exécution obligatoire mais au caractère obligatoire d’une sentence de mort (condamnation à mort). Il ne s’agit pas d’une différence de mots seulement. Malheureusement en parlant de « peine » capitale obligatoire, le Comité a sans le vouloir donné une impression fausse. À mon avis il a ainsi été conduit également à ne pas exposer correctement la question soulevée par la communication : il ne s’agit pas de savoir si un État partie peut exécuter la peine capitale sans tenir compte de la situation personnelle du défendeur et des circonstances particulières au crime mais de savoir si le Pacte requiert que les tribunaux aient toute latitude pour déterminer s’il y a lieu de prononcer une sentence de mort en cas de meurtre.

4.Le paragraphe 1 de l’article 6 protège le droit à la vie inhérent à tout être humain. Il énonce que nul ne peut être privé arbitrairement de la vie. Si l’article 6 avait consisté en ce seul paragraphe, il aurait été possible de faire valoir à très juste titre que la peine capitale en soi est une violation du droit à la vie. C’est d’ailleurs la position adoptée par les cours constitutionnelles de deux États en interprètent leur propre constitution (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle sud-africaine dans l’affaire State c. Makwanyane [1995] 1 LRC 269 et l’arrêt No 23/1990 (X.31) AB, de la Cour constitutionnelle hongroise). Malheureusement le Pacte interdit cette solution puisque l’article 6 permet la peine de mort dans les pays qui ne l’ont pas abolie, sous réserve que les conditions rigoureuses énoncées aux paragraphes 2, 4 et 5 et dans d’autres dispositions du Pacte soient réunies. Si on lit l’article 6 du Pacte dans son intégralité, on ne peut pas ne pas conclure que l’exécution de la peine capitale ne peut pas être considérée comme une violation du paragraphe 1 de l’article 6 si toutes ces conditions rigoureuses sont réunies. La question qui doit en dernier ressort se poser quand on détermine si l’exécution d’une sentence de mort constitue une violation de l’article 6 est donc de savoir si l’État partie a bien respecté ces conditions.

5.La première condition est qu’une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis. Dans le cas d’espèce, le Comité ne fonde pas expressément sa conclusion de violation sur un manquement à cette condition. Il note toutefois que « l’imposition obligatoire de la peine de mort en vertu de la législation de l’État partie repose exclusivement sur la catégorie de crime dont le défendeur est reconnu coupable» et que «la peine de mort est obligatoire dans tous les cas de meurtre ». Si le Comité ne mentionne pas le paragraphe 2 de l’article 6, en l’absence de toute autre explication il semblerait qu’il a des doutes quant à la compatibilité avec le Pacte d’une condamnation à mort pour meurtre (la catégorie de crime pour laquelle la sentence de mort est obligatoire en vertu de la législation de l’État partie). On ne peut que supposer que ces doutes découlent de la crainte que dans la catégorie « meurtre » puissent être compris des crimes qui ne sont pas parmi « les plus graves ». Je trouve très gênant que le Comité soit disposé à laisser entendre que le meurtre puisse ne pas être un des crimes les plus graves. Le Comité a lui-même affirmé que le droit à la vie était le droit suprême (voir Observation générale No 6). Ôter intentionnellement la vie à autrui dans des circonstances qui entraînent la responsabilité pénale de l’auteur doit donc nécessairement, de par la nature même de l’acte, être considéré comme un des crimes les plus graves. Il ressort des documents soumis au Comité dans cette communication qu’un individu est coupable du crime de meurtre en vertu de la loi de l’État partie s’il cause la mort d’autrui par un acte intentionnel. L’État partie a expliqué (ce qui n’a pas été contesté) que le meurtre ne désigne pas « les actes ayant entraîné la mort qui équivalent à un homicide (par exemple suite à une provocation ou du fait de la responsabilité atténuée de leur auteur) ». Dans ces circonstances tout meurtre dont un individu est pénalement responsable doit être considéré comme l’un des crimes les plus graves. Cela ne signifie pas évidemment qu’une sentence de mort devrait être prononcée ni que la peine capitale devrait être exécutée si elle est prononcée. En revanche cela veut bien dire que le prononcé d’une sentence de mort ne peut pas en soi être considéré comme incompatible avec le Pacte.

6.Pour déterminer si un défendeur inculpé de meurtre est pénalement responsable, le tribunal doit examiner plusieurs circonstances propres à la situation personnelle du défendeur ainsi que les circonstances particulières dans lesquelles l’acte constitutif du crime a été commis. Comme l’a démontré dans son opinion individuelle mon collègue Lord Colville, ces circonstances seront prises en considération pour déterminer à la fois l’intention (mens rea) et l’acte (actus reus) requis pour que la responsabilité pénale soit entière ainsi que l’existence de moyens éventuels d’atténuation de la responsabilité pénale, comme la légitime défense. Ces circonstances seront également importantes pour déterminer s’il y a eu provocation ou si la responsabilité est atténuée, deux éléments qui en vertu de la loi de l’État partie ôtent à un acte intentionnel ayant entraîné la mort la qualification de meurtre. Étant donné que toutes ces questions sont des éléments d’appréciation pour déterminer l’inculpation pénale contre le défendeur, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, elles doivent être tranchées par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Si les tribunaux n’avaient pas la faculté de se prononcer sur l’une quelconque de ces questions, les conditions prescrites à l’article 14 ne seraient pas réunies. D’après la jurisprudence du Comité, dans une affaire de condamnation à mort, cela signifierait que l’exécution de la sentence de mort constituerait une violation de l’article 6. Or, dans la présente affaire personne n’a fait valoir que les conditions ci-dessus n’aient pas été remplies. Néanmoins le Comité affirme qu’il y aurait violation du droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie si l’État partie devait exécuter la sentence de mort « sans considération de la situation personnelle [du défendeur] ou des circonstances du délit commis ». (Voir par. 8.2 des constatations.) Étant donné qu’il n’a pas été affirmé que des circonstances particulières du délit ou la situation personnelle de son auteur influant sur la responsabilité pénale pour le meurtre n’ont pas été prises en considération par les tribunaux, il est évident que le Comité se réfère à d’autres circonstances, qui n’ont pas d’incidence sur sa responsabilité dans le meurtre. Le paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte fait effectivement obligation à l’État partie de tenir compte de ces circonstances avant d’exécuter une sentence de mort. Il n’y a toutefois absolument rien dans le Pacte qui exige que les tribunaux de l’État partie soient l’organe interne qui examine ces circonstances, lesquelles ne sont pas, comme on l’a vu, déterminantes pour déterminer le chef d’inculpation pénale.

7.Dans de nombreuses sociétés, la loi fixe une peine maximale pour une infraction donnée et les tribunaux ont toute latitude pour prononcer la peine appropriée dans une affaire déterminée. Il se peut que ce système soit le meilleur système pour fixer la peine (encore que de nombreux détracteurs objectent qu’il donne inévitablement lieu à une fixation de peine inéquitable ou discriminatoire). Mais quand il examine la question de la fixation d’une peine, comme pour toute autre question portant sur l’interprétation du Pacte, le Comité doit se demander non pas si tel ou tel système semble être le meilleur mais si un système particulier est exigé par le Pacte. Il est trop facile de supposer que le système que les membres du Comité connaissent le mieux est exigé par le Pacte. C’est là une approche inacceptable de l’interprétation du Pacte, qui s’applique actuellement 144 États parties, dotés de régimes juridiques, de cultures et de traditions différents.

8.La question essentielle qui se pose en l’espèce est de savoir si le Pacte exige que les tribunaux aient toute latitude pour déterminer, dans chaque cas, la sentence appropriée. Il n’y a aucune disposition dans le Pacte qui puisse donner à penser que la réponse à cette question est affirmative. De surcroît, une réponse affirmative semblerait impliquer que des peines minimales fixées pour certaines infractions, comme le viol et le trafic de drogue (acceptées dans de nombreuses juridictions) sont incompatibles avec le Pacte. Il me semble difficile d’accepter une telle conclusion.

Les peines obligatoires (ou les peines minimales qui sont par essence obligatoires) peuvent effectivement soulever des questions graves au regard du Pacte. Si de telles sentences sont disproportionnées avec les crimes pour lesquels elles ont été prononcées, leur imposition peut constituer une violation de l’article 7 du Pacte. Si une sentence de mort obligatoire est prononcée pour des crimes qui ne sont pas parmi les plus graves, il y a violation du paragraphe 2 de l’article 6. En revanche, que ces peines soient conseillées ou non, si toutes les dispositions du Pacte relatives à l’imposition d’une peine sont respectées, le fait que la peine minimale ou la peine exacte pour le crime soit fixée par le législateur plutôt que par le tribunal n’entraîne pas en soi une violation du Pacte. Exécuter une sentence qui a été prononcée par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi en vertu de la loi, à l’issue d’un procès au cours duquel toutes les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte ont été respectées, ne peut être considéré comme un acte arbitraire.

Je n’oublie pas qu’en l’espèce la sentence obligatoire est la peine de mort. Mais des règles spéciales s’appliquent à cette peine. Elle ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves. De plus le Pacte fait expressément obligation aux États parties de garantir à tout condamné à mort le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine avant que la sentence ne soit exécutée. Il n’existe pas de droit équivalent pour les personnes qui sont condamnées à une autre peine. En revanche rien dans le Pacte n’exige que les tribunaux aient dans les affaires de condamnation à mort un pouvoir d’appréciation pour fixer la peine qu’ils n’ont pas pour d’autres affaires.

En résumé : rien dans le Pacte n’exige que les tribunaux aient un pouvoir d’appréciation pour déterminer la sentence exacte dans une affaire pénale. Si la sentence elle-même ne constitue pas une violation du Pacte, le fait qu’elle soit obligatoire en vertu de la loi et non pas fixée par le tribunal ne change pas sa nature. Dans les affaires de condamnation à mort, si la sentence est prononcée pour un crime parmi les plus graves (et tout meurtre relève par définition de cette catégorie), elle ne peut pas être considérée comme incompatible avec le Pacte. Je ne peux pas souscrire à l’idée que l’application d’une sentence de mort qui a été prononcée par un tribunal en conformité avec l’article 6 du Pacte, à l’issue d’un procès mené dans le respect de toutes les garanties prévues à l’article 14, puisse être considérée comme une privation arbitraire de la vie.

9.Comme on l’a vu plus haut, il n’y a rien dans le Pacte qui exige que les tribunaux aient un pouvoir d’appréciation pour fixer la peine. Il n’y a pas davantage de disposition qui rende différente la fixation de la peine en cas de crimes punissables de mort. Cela ne veut pas dire toutefois que les États parties n’ont pas l’obligation de tenir compte de la situation personnelle du défendeur ou des circonstances particulières à l’infraction avant d’exécuter une sentence de mort. Au contraire, la sentence de mort diffère des autres sentences en ce que le paragraphe 4 de l’article 6 exige expressément que tout condamné à mort doit avoir le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine et que l’amnistie, la grâce ou la commutation de la peine peuvent dans tous les cas être accordés. Il faut noter que le paragraphe 4 de l’article 6 reconnaît un droit. Comme tous les autres droits, la reconnaissance de celui-ci par le Pacte impose aux États parties l’obligation légale de le respecter et d’en assurer l’exercice. Les États parties sont donc légalement tenus d’examiner de bonne foi toutes les demandes de grâce ou de commutation de peine en faveur de condamnés à mort. L’État partie qui ne le fait pas commet une violation du droit garanti aux condamnés à mort par le paragraphe 4 de l’article 6, avec toutes les conséquences qui découlent d’une violation d’un droit garanti par le Pacte, y compris le droit à réparation dû à la victime.

Le Comité indique que « l’existence du droit de demander la grâce ou la commutation de peine ne garantit pas une protection appropriée du droit à la vie car l’application de ces mesures discrétionnaires par le pouvoir exécutif est sujet à une grande diversité d’autres considérations, sans rapport avec l’examen judiciaire approprié de tous les aspects d’une affaire pénale ». Cette assertion ne contribue pas à rendre la position du Comité cohérente. Pour se conformer aux prescriptions du paragraphe 4 de l’article 6, les États parties sont tenus d’examiner de bonne foi la situation personnelle de l’auteur et toutes les circonstances propres au crime, que le condamné souhaite exposer. Il est vrai que l’organe de l’État partie qui est habilité à statuer peut également tenir compte d’autres facteurs, qui peuvent être considérés comme utiles pour déterminer s’il y a lieu d’octroyer la grâce ou la commutation. Toutefois le tribunal qui a le pouvoir de fixer la peine peut également prendre en considération toutes sortes de facteurs autres que la situation personnelle du défendeur ou les circonstances du crime.

10.Qu’il me soit permis de récapituler maintenant mon interprétation de la situation juridique en ce qui concerne le prononcé d’une sentence de mort obligatoire en cas de meurtre :

a)La question de savoir si une sentence de mort est compatible avec le Pacte dépend de l’observation ou de l’inobservation des conditions énoncées à l’article 6 et dans d’autres articles du Pacte, en particulier à l’article 14;

b)L’exécution d’une sentence de mort prononcée dans le respect des prescriptions de l’article 6 et d’autres articles du Pacte ne peut être considérée comme une privation arbitraire de la vie;

c)Il n’y a rien dans le Pacte qui exige que les tribunaux aient un pouvoir d’appréciation pour prononcer la peine. Il n’y a pas davantage de disposition spéciale qui rende l’imposition de la peine pour les crimes punissables de mort différente des autres cas;

d)Le Pacte fait expressément obligation aux États parties de tenir compte de la situation personnelle du défendeur ou des circonstances particulières au crime qui a été commis avant d’exécuter une sentence de mort. Les États parties sont tenus par la loi d’apprécier ces circonstances quand ils examinent les demandes de grâce ou de commutation de peine. Cette appréciation doit être menée de bonne foi et dans le respect d’une procédure équitable.

C.Violation des droits de l’auteur en l’espèce

11.Même si j’avais approuvé le Comité du point de vue juridique, j’aurais eu des difficultés à souscrire à la conclusion que les droits de l’auteur ont été violés dans cette affaire.

Dans le contexte d’une communication soumise par un particulier en vertu du Protocole facultatif, la question qui se pose n’est pas celle de la compatibilité de la législation avec le Pacte mais celle de savoir si les droits de l’auteur de la communication ont été violés (voir par exemple Faurisson c. France, où le Comité a souligné qu’il n’avait pas à examiner si la législation en vertu de laquelle l’auteur avait été condamné était compatible avec l’article 19 du Pacte mais si en condamnant l’auteur pour les faits précis de l’affaire, l’État avait violé le droit à la liberté d’expression). Dans la présente affaire, l’auteur a été reconnu coupable d’un crime précis : le meurtre d’une petite fille. Même si la catégorie de meurtre, définie par la législation de l’État partie peut inclure certains crimes qui ne sont pas parmi les plus graves, il est clair que le crime dont l’auteur a été reconnu coupable n’est pas de ceux-là. L’auteur n’a pas davantage signalé de circonstances particulières à lui-même ou au crime qui auraient dû être considérées comme des circonstances atténuantes mais qui n’ont pas été prises en considération par les tribunaux.

12.Enfin, je tiens à souligner que le Pacte impose des limites strictes à l’application de la peine de mort, notamment la limitation énoncée au paragraphe 4 de l’article 6. En l’espèce, il n’a pas été contesté que l’auteur avait le droit de solliciter la grâce ou la commutation de sa peine. Une commission consultative doit examiner la requête et faire des recommandations au Gouverneur général sur toute demande de cette nature. Selon les règles établies par le Conseil privé dans la récente affaire Neville Lewis et al. c. Jamaica, l’État partie est tenu de permettre au condamné de soumettre une requête circonstanciée énonçant tous les éléments sur lesquels il fonde sa requête, il doit pouvoir avoir connaissance des informations dont la commission dispose et la décision sur la grâce ou la commutation doit être l’objet d’une révision judiciaire.

Si l’auteur a fait certaines observations d’ordre général relatives aux procédures d’octroi de grâce ou de commutation de peine suivies dans l’État partie, il n’a pas fait valoir qu’il avait soumis une requête en grâce ou en commutation et qu’elle avait été rejetée. Il ne peut donc pas se déclarer victime d’une violation du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte. Évidemment si l’auteur devait faire une demande de grâce de commutation et que celle-ci ne soit pas dûment examinée, comme l’exigent le Pacte et le système légal de l’État partie, il aurait droit à un recours utile. Si ce recours lui était dénié, les portes du Comité lui resteraient ouvertes afin qu’il puisse présenter une autre communication.

(Signé) David Kretzmer(Signé) Abdelfattah Amor(Signé) Maxwell Yalden(Signé) Abdallah Zakhia

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

I.Communication No 818/1998, Sextus c. Trinité-et-Tobago(constatations adoptées le 16 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de cette communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Le texte d’une opinion individuelle d’un membre du Comité est joint au présent document.

Présentée par :M. Sandy Sextus(représenté par un conseil, M. Saul Lehrfreund)

Au nom de :L’auteur

État partie :Trinité-et-Tobago

Date de la communication :23 avril 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 818/1998 présentée par M. Sandy Sextus, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 23 avril 1997, est M. Sandy Sextus, citoyen trinidadien, actuellement incarcéré à la prison d’État de Trinidad. Il affirme être victime de violations par la Trinité-et-Tobago du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7 ainsi que du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 21 septembre 1988, l’auteur a été arrêté parce qu’il était soupçonné du meurtre de sa belle-mère, commis le même jour. Jusqu’à son procès, en juillet 1990, il était resté en détention provisoire à la prison de Golden Grove à Arouca, où il a partagé avec 7 à 11 autres prisonniers une cellule qui faisait à peine 3 m sur 2. Il n’avait pas de lit et devait dormir à même le sol en béton ou sur de vieux cartons et journaux.

2.2Après plus de 22 mois de détention, l’auteur est passé en jugement le 23 juillet 1990 devant la juridiction de première instance. Le 25 juillet 1990, l’auteur a été reconnu coupable de meurtre par tous les membres du jury et condamné à mort. À partir de ce moment-là (jusqu’à ce que sa peine soit commuée) l’auteur a été incarcéré à la prison d’État de Port of Spain (Frederick Street) dans une cellule d’isolement d’à peine 3 m sur 2, équipée d’un sommier en fer, d’un matelas, d’une chaise et d’une table. Il n’y avait pas d’installations sanitaires mais un seau en plastique servait de tinette. La seule ouverture était un petit trou d’aération d’environ 20 cm2, nettement insuffisant pour la ventilation et qui laissait à peine pénétrer la lumière du jour; la lumière provenait exclusivement d’un néon allumé 24 heures sur 24 (situé au-dessus de la porte de la cellule). Souffrant d’arthrite l’auteur ne quittait sa cellule que pour aller chercher sa ration et vider sa tinette. Comme il souffrait aussi de maux d’estomac, il ne pouvait manger que des légumes et quand il n’y en avait pas il restait sur sa faim. L’auteur n’a jamais reçu de réponse du médiateur à qui il avait écrit pour se plaindre de cette situation.

2.3Plus de quatre ans et sept mois s’étaient écoulés lorsque, le 14 mars 1995, la cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation de former recours de l’auteur. Le 10 octobre 1996, la section judiciaire du Conseil privé à Londres a rejeté sa demande d’autorisation spéciale de former recours de la condamnation et de la peine. En janvier 1997 la peine de mort a été commuée en peine d’emprisonnement de 75 ans.

2.4Depuis ce lors, l’auteur est détenu à la prison de Port of Spain, où il est maintenu en permanence dans une cellule d’à peine 3 m sur 2, avec 9 à 12 codétenus; le surpeuplement est à l’origine d’affrontements violents entre les prisonniers. La cellule étant équipée d’un unique lit, l’auteur dort à même le sol. Le seau en plastique qui sert de tinette pour tous les détenus est vidé une seule fois par jour ce qui fait que de temps en temps il déborde. La lucarne de 60 cm2 munie de barreaux qui est la seule source d’aération est insuffisante. Le prisonnier est enfermé environ 23 heures par jour dans sa cellule, sans la moindre possibilité d’étudier, de travailler ou de lire. Le local qui sert de cuisine se trouvant à environ 2 mètres de l’endroit où les prisonniers vident leurs tinettes, il y a un risque sanitaire évident. L’auteur insiste sur le fait que la nourriture qui lui est donnée n’est pas adéquate au regard de ses besoins.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se plaint essentiellement de retards excessifs dans la procédure judiciaire et des conditions d’incarcération qu’il endure depuis son arrestation.

3.2Pour ce qui est du premier grief, l’auteur fait valoir qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte parce qu’il s’est écoulé 22 mois avant qu’il ne passe en jugement, c’est-à-dire entre son arrestation, le 21 septembre 1988 – qui était le jour même où le meurtre dont il a été ensuite reconnu coupable a été commis – et l’ouverture du procès, le 23 juillet 1990. Il affirme que la police n’a fait quasiment aucune enquête sur cette affaire.

3.3L’auteur cite les constatations du Comité dans les affaires Celiberti de Casariego c. Uruguay, Millan Sequeira c. Uruguay et Pinkney c. Canada, dans lesquelles le Comité a estimé que des durées avant jugement comparables constituaient une violation du Pacte. Rappelant l’affaire Pratt and Morgan v. Attorney-General of Jamaica, l’auteur fait valoir que l’État a la responsabilité d’éviter une telle lenteur dans la justice pénale et que dans son cas il a une responsabilité certaine. La longueur de la procédure est d’autant plus grave que la police n’avait que peu enquêté puisqu’un seul témoin oculaire avait apporté un témoignage direct et trois autres témoins avaient apporté des éléments de preuve indirects. La seule expertise médico-légale apportée au procès consistait en un rapport d’autopsie et en une attestation d’analyse d’échantillon sanguin.

3.4L’auteur se plaint aussi de violations des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte en raison des quatre années et plus de sept mois écoulés entre le moment où la cour d’appel a examiné sa demande de recours et la date où elle l’a rejetée, ce qui est qualifié de délai déraisonnable. L’auteur cite diverses affaires où le Comité a estimé que des durées comparables (et même plus courtes) étaient incompatibles avec le Pacte. L’auteur affirme que toutes sortes de démarches ont été faites auprès du greffier de la cour d’appel, de l’Attorney-General et du Ministère de la sécurité nationale ainsi que du médiateur. Quand l’appel a enfin été examiné il n’avait toujours pas reçu les pièces qu’il avait demandées : les copies des dépositions, des preuves écrites et du récapitulatif final du juge de première instance. L’auteur affirme que pour évaluer si la longueur de la procédure a été raisonnable, il faut tenir compte du fait qu’il était condamné à mort et qu’il était incarcéré dans des conditions inacceptables.

3.5La deuxième partie de la plainte porte sur les conditions dans lesquelles l’auteur a été incarcéré avant le jugement et après sa condamnation, et dans lesquelles il se trouve actuellement, maintenant que la peine a été commuée, et qui sont décrites plus haut. D’après l’auteur, les conditions de détention ont été condamnées à maintes reprises par des organisations internationales de défense des droits de l’homme qui les ont considérées comme incompatibles avec les normes de protection minimales internationalement reconnues. L’auteur ajoute que depuis que sa peine a été commuée, il reste incarcéré dans des conditions manifestement contraires à diverses règles pénitentiaires nationales et à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

3.6En se fondant sur les Observations générales 7 et 9 du Comité, relatives à l’article 7 et à l’article 10, et sur plusieurs affaires dans lesquelles le Comité a considéré que les conditions de détention constituaient une violation du Pacte, l’auteur fait valoir que les conditions dans lesquelles il a été incarcéré à chaque stade de la procédure enfreignaient les normes minimales intangibles en matière de conditions de détention minimum (que les États parties doivent assurer quel que ce soit leur niveau de développement) et constituent donc une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. L’auteur se réfère plus particulièrement à l’affaire Estrella c. Uruguay, dans laquelle, pour déterminer si l’intéressé était victime d’un traitement inhumain dans la prison Libertad, le Comité s’était fondé en partie sur d’autres communications qu’il avait examinées et qui confirmaient que dans cette prison « les détenus [étaient] systématiquement soumis à de mauvais traitements ». Dans l’affaire Neptune c. Trinité-et-Tobago, le Comité avait estimé que les conditions – très semblables à celles qui sont décrites dans la présente affaire – étaient incompatibles avec le paragraphe 1 de l’article 10 et avait demandé à l’État partie de prendre des mesures pour améliorer les conditions générales de détention, de façon à éviter que de pareilles violations ne se produisent à l’avenir. Pour étayer ses arguments concernant la violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, l’auteur renvoie à diverses décisions de la jurisprudence internationale établissant que des conditions de détention excessivement dures constituaient un traitement inhumain.

3.7Enfin, l’auteur fait valoir qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, parce qu’il n’a pas eu accès aux tribunaux. Il fait valoir que le droit de présenter une requête constitutionnelle n’est pas un recours utile dans son cas, en raison du coût prohibitif de la procédure qu’il faut engager devant la juridiction supérieure pour obtenir réparation constitutionnelle, de l’absence d’aide juridictionnelle pour le dépôt des requêtes constitutionnelles et du manque notoire d’avocats trinidadiens qui acceptent de représenter gratuitement les condamnés qui veulent former ce recours. L’auteur cite l’affaire Champagnie et consorts c. Jamaïque dans laquelle le Comité a estimé qu’en l’absence d’aide juridictionnelle, une requête constitutionnelle n’était pas un recours utile pour l’auteur de la communication, qui était dans l’indigence. L’auteur cite des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme pour montrer que l’exercice effectif du droit d’accès aux tribunaux peut exiger que l’aide juridictionnelle soit assurée aux indigents. L’auteur fait valoir que l’aide est d’autant plus nécessaire dans le cas d’une condamnation à mort et donc que l’absence d’aide juridictionnelle pour déposer la requête constitutionnelle constitue en soi une violation du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans sa réponse datée du 6 septembre 1999, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le bien-fondé de la communication. En ce qui concerne la durée écoulée entre l’arrestation et le procès et entre le dépôt de la demande de recours et l’examen du recours par la cour d’appel, qui serait contraire au paragraphe 3 de l’article 9 et aux paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’avant d’adresser sa communication, l’auteur n’a jamais cherché à contester cet aspect de l’affaire. Étant donné ce dont se plaint l’auteur, s’il considérait qu’il y avait violation de ses droits, il le savait au plus tard au moment du procès; or, il n’a pas soulevé la question ni à ce moment-là ni en appel. L’État partie fait valoir qu’on ne devrait pas laisser les plaignants rester silencieux sur leurs droits pendant des années, et ensuite présenter au Comité une communication en prétendant qu’il y a eu violation de ces droits. Par conséquent, il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que les personnes qui se plaignent d’une violation de leurs droits fassent l’effort de demander réparation soit en formant un recours constitutionnel soit en s’adressant au Comité au moment où la violation alléguée se produit et non pas des années plus tard; cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

4.2En ce qui concerne le fond de la plainte relative à la durée de la procédure, l’État partie répond que le délai n’était pas déraisonnable à l’époque des faits, car c’était dans les années suivant immédiatement une tentative de coup d’État. L’augmentation de la criminalité faisait qu’à cette époque les tribunaux étaient engorgés et que les affaires s’accumulaient. Les difficultés rencontrées pour établir des dossiers judiciaires complets et précis avaient entraîné des retards dans l’ouverture des procès par les juridictions de jugement aussi bien que par les juridictions d’appel. L’État partie affirme qu’il a introduit des réformes dans la procédure pénale afin d’éviter de tels retards, nommant, par exemple, de nouveaux magistrats pour les juridictions du premier comme du second degré. Une augmentation des ressources financières et autres, en particulier des moyens informatiques de transcription, ont permis aux tribunaux de traiter les recours dans l’année qui suit la condamnation. Le Comité devrait tenir compte de ces améliorations.

4.3En ce qui concerne les conditions de détention, qui seraient contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, l’État partie conteste que les conditions dans lesquelles l’auteur était incarcéré quand il était dans le quartier des condamnés à mort et dans lesquelles il est actuellement détenu constituent une violation du Pacte. L’État partie rappelle que d’autres personnes condamnées et incarcérées dans la même prison ont fait des allégations au sujet des conditions qui règnent dans la même prison, que les tribunaux nationaux ont jugées acceptables et sur lesquelles le Comité n’a pas pu se prononcer, estimant que les renseignements dont il disposait ne permettaient pas d’établir qu’il y avait eu violation. Dans l’affaire Thomas c. Baptiste, le Conseil privé avait estimé que des conditions carcérales inacceptables, qui étaient contraires aux règlements pénitentiaires, n’étaient pas telles qu’elles constituaient un traitement inhumain, et avait accepté la décision de la cour d’appel qui avait statué dans ce sens. L’État partie avance que ces diverses conclusions des juridictions nationales, du Conseil privé et du Comité devraient avoir plus de poids que les allégations générales et non étayées faites par l’auteur.

4.4Pour ce qui est de la violation présumée du droit d’accès aux tribunaux, consacré au paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie nie qu’il soit impossible de s’adresser aux tribunaux en déposant la requête constitutionnelle pour obtenir réparation en cas de violation de droits fondamentaux. Dix-neuf condamnés ont déposé des requêtes constitutionnelles et il est donc inexact et fallacieux d’affirmer qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 19 novembre 1999, l’auteur répond aux observations de l’État partie. En ce qui concerne la lenteur de la procédure, l’auteur relève une contradiction dans la réponse de l’État partie qui nie que les retards déraisonnables se soient produits mais invoque des problèmes généraux dans l’administration de la justice pénale survenus au cours de cette période. L’auteur estime que l’État partie a par cette réponse admis que la procédure avait été prolongée de façon excessive car sinon il n’aurait pas été nécessaire d’apporter des améliorations pour éviter une telle situation. L’auteur se réfère aussi à la décision dans l’affaire Smart c. Trinité-et-Tobago dans laquelle le Comité a estimé qu’un intervalle supérieur à deux ans entre l’arrestation et le jugement constituait une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14.

5.2L’auteur objecte qu’il ne pouvait pas soumettre plus tôt ses griefs concernant l’intervalle écoulé entre l’arrestation et le jugement, parce que ce n’est qu’après que le Conseil privé lui eut refusé l’autorisation de former recours le 10 octobre 1996 que tous les recours internes ont été épuisés. L’auteur fait valoir qu’en tout état de cause il n’existe pas de recours constitutionnel pour contester la durée excessive de la procédure, le Conseil privé ayant estimé dans l’affaire DPP c. Tokay que la Constitution trinidadienne garantit bien le droit à un procès équitable mais ne prévoit pas de droit d’être jugé promptement ou dans des délais raisonnables.

5.3Pour ce qui est des mauvaises conditions de détention, incompatibles avec l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10, l’auteur fait remarquer que dans l’affaire Thomas c. Baptiste que l’État partie cite pour étayer son argumentation, le Conseil privé a reconnu que les requérants étaient entassés dans des cellules où il y avait une odeur fétide et étaient privés d’exercice ou ne pouvaient prendre l’air pendant de longues périodes. Quand ils faisaient de l’exercice en plein air, ils étaient menottés. À la majorité de ses membres, le Conseil privé a considéré que ces conditions étaient incompatibles avec les règles pénitentiaires et illégales sans nécessairement constituer un traitement cruel et inhumain, précisant qu’un jugement de valeur n’était pas possible devait tenir compte des conditions locales dans les prisons et à l’extérieur. Il considérait que, certes que les conditions décrites étaient « totalement inacceptables dans une société civilisée », mais ce ne serait pas servir la cause des droits de l’homme que de fixer des normes si élevées qu’elles seraient constamment violées.

5.4L’auteur fait observer que la majorité des membres du Conseil privé ont pu accepter des normes moins élevées parce que les pays du tiers monde ont souvent des conditions considérablement en deçà du minimum qui serait acceptable dans les pays riches, mais que de son côté le Comité a insisté sur des normes minimales qui devaient dans tous les cas être respectées, quel que soit le niveau de développement du pays. L’auteur maintient par conséquent qu’une violation fondamentale des normes minimales irréductibles reconnues dans les nations civilisées représente bien un traitement cruel et inhumain.

5.5En ce qui concerne le droit d’accès aux tribunaux, l’auteur s’appuie sur la décision de recevabilité prise par le Comité dans l’affaire Smart c. Trinité-et-Tobago dans laquelle le Comité a estimé qu’en l’absence d’aide judiciaire pour le dépôt d’un recours constitutionnel, un tel recours ne pouvait pas être considéré comme un moyen de droit utile en l’espèce. L’auteur dit qu’il voudrait savoir, sur les 19 personnes qui ont déposé une requête constitutionnelle et dont l’État partie fait mention, combien ont bénéficié de l’aide judiciaire (juridictionnelle) étant donné que, d’après ce qu’il sait, la plupart étaient représentées gratuitement (affaires qui n’étaient généralement pas défendues par des avocats trinidadiens).

Délibération du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Concernant les allégations de l’auteur touchant la durée excessive de la procédure, le Comité note l’argument invoqué par l’État partie, selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés car i) la question des délais n’a pas été soulevée au procès, ni en appel, et ii) l’auteur n’a pas présenté de requête constitutionnelle. L’État partie n’a pas montré qu’en soulevant la question des délais au procès ou en appel, l’auteur aurait bénéficié d’un recours utile. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la requête constitutionnelle était et est encore un recours disponible pour l’auteur, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour qu’un recours soit utile dans le cas d’un indigent, il faut que l’aide juridictionnelle soit assurée. Certes l’État partie a donné des chiffres pour montrer qu’il était possible de se prévaloir d’un tel recours, mais il n’a pas démontré que le recours pouvait être exercé par l’auteur de la communication, étant donné l’indigence dans laquelle il dit se trouver. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la durée excessive de la procédure, le Comité note que, selon l’interprétation donnée par le Conseil privé des dispositions constitutionnelles applicables, aucun recours constitutionnel n’est offert pour une plainte de cette nature. Le Comité estime donc que rien ne l’empêche, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, d’examiner la communication.

6.3En ce qui concerne les allégations au sujet des mauvaises conditions de détention, qui seraient incompatibles avec les articles 7 et 10, le Comité relève que l’auteur a présenté des allégations précises et détaillées sur les conditions d’incarcération. Au lieu de répondre aux diverses allégations, l’État partie se borne à dire qu’elles ne sont pas étayées. Le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer ces plaintes, aux fins de la recevabilité.

7.1Par conséquent, le Comité conclut que la communication est recevable et procède à un examen du fond à la lumière de tous les renseignements que lui ont communiqués les deux parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Pour ce qui est de la durée excessive de la période avant le procès, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, « une personne inculpée d’un crime grave, homicide ou meurtre par exemple à qui la libération sous caution a été refusée par le tribunal, doit être jugée aussi rapidement que possible ». Dans le cas d’espèce, vu que l’auteur a été arrêté le jour même des faits, inculpé de meurtre et placé en détention d’où il n’est plus sorti jusqu’au jugement, et que les preuves directes étaient claires et ne nécessitaient apparemment de la part de la police que des investigations limitées, le Comité considère qu’il faut avancer des motifs sérieux pour justifier une détention avant jugement de 22 mois. L’État partie n’évoque que des difficultés générales et une situation d’instabilité faisant suite à une tentative de coup d’État et reconnaît qu’il en a résulté des retards. Dans ces conditions, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 3 de l’article 9 et au paragraphe 3 c) de l’article 14 ont été violés.

7.3Pour ce qui est de l’intervalle de quatre ans et huit mois écoulé entre la condamnation et le jugement en appel, le Comité rappelle aussi sa jurisprudence, selon laquelle les droits consacrés aux paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, lus conjointement, confèrent un droit de faire réexaminer une décision judiciaire sans retard. Dans l’affaire Johnson c. Jamaïque, le Comité a établi qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, un intervalle de quatre ans et trois mois était excessif. En l’espèce, l’État partie a ici encore simplement évoqué la situation générale et a accepté implicitement que la durée écoulée était excessive en expliquant que des mesures correctives avaient été prises pour garantir que les causes en appel soient tranchées dans un délai d’un an. En conséquence, le Comité constate une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

7.4Pour ce qui est de la plainte de l’auteur relative aux conditions de détention aux divers stades de son incarcération, qui constitueraient une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité prend note de l’argument général de l’État partie selon lequel les conditions qui règnent dans les prisons du pays sont compatibles avec le Pacte. Cependant, à défaut de réponse précise de l’État partie à propos des conditions de détention décrites par l’auteur, le Comité se doit d’accorder le crédit voulu aux allégations de celui-ci, qui n’ont pas été dûment réfutées. Quant à savoir si les conditions dont il est donné description sont contraires au Pacte, le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels les tribunaux nationaux ont, à l’occasion d’autres affaires, jugé acceptables les conditions qui régnaient dans les prisons. Le Comité ne saurait considérer que les décisions des tribunaux dans d’autres affaires répondent aux plaintes expresses présentées par l’auteur dans la présente affaire. Le Comité considère, comme il l’a fait à maintes reprises au sujet d’allégations de même nature qui étaient étayées, que les conditions de détention telles qu’elles sont décrites représentent une violation du droit de l’auteur d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion touchant l’article 10, disposition du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées de liberté et englobe, s’agissant de ces personnes, les éléments énoncés à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relevant de l’article 7.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à M. Sextus un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu d’améliorer les conditions de détention de l’auteur, ou de le libérer.

10.En adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Trinité-et-Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet – 27 juin 2000 –, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui-ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari Yrigoyen,membre du Comité, jointe conformément à l’article 98du Règlement intérieur

Je formule une opinion dissidente concernant le paragraphe 9, qui devrait à mon avis se lire comme suit :

« En vertu du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’État partie est tenu d’offrir à M. Sextus un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate. L’État partie a également l’obligation de libérer l’auteur. »

(Signé) Hipólito Solari Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), et traduit en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

J.Communication No 819/1998, Kavanagh c. Irlande(constatations adoptées le 4 avril 2001,soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Le texte d’une opinion individuelle signée par cinq membres du Comité est joint au présent document.

Présentée par :M. Joseph Kavanagh(représenté par M. Michael Farrell)

Au nom de :L’auteur

État partie :Irlande

Date de la communication :27 août 1998 (lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité et de l’adoption des constatations :4 avril 2001

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 avril 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 819/1998 présentée par M. Joseph Kavanagh en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication – qui est datée du 27 août 1998 – est M. Joseph Kavanagh, citoyen irlandais, né le 27 novembre 1957. Il affirme être victime de violations par la République d’Irlande des paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, des paragraphes 1 et 3 de l’article 4, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’Irlande le 8 mars 1990. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1La Constitution irlandaise prévoit, au paragraphe 3 de l’article 38, la création par voie législative de tribunaux spéciaux pour connaître d’infractions dans les cas où il peut être établi, conformément à la loi, que les tribunaux ordinaires « ne sont pas dotés des moyens requis pour assurer l’administration efficace de la justice et le maintien de la paix et de l’ordre public ». Le 26 mai 1972, le Gouvernement a exercé son pouvoir de faire une proclamation en application du paragraphe 2 de l’article 35 de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État de 1939 (ci-après dénommée la loi), ce qui a conduit à la mise en place d’un tribunal pénal spécial chargé de connaître de certains délits. Les paragraphes 4 et 5 de l’article 35 de la loi prévoient que si, à un moment quelconque, le Gouvernement ou le Parlement ont la certitude que les tribunaux ordinaires sont de nouveau en mesure d’assurer l’administration effective de la justice et le maintien de la paix et de l’ordre public, le Gouvernement peut faire une proclamation ou le Parlement peut adopter une résolution en vue de dissoudre le tribunal pénal spécial. À ce jour, aucune proclamation ou résolution de ce type n’est intervenue.

2.2En vertu du paragraphe 1 de l’article 47 de la loi, le tribunal pénal spécial est compétent pour connaître de certaines infractions énumérées dans une liste lorsque l’Attorney général « estime approprié » qu’une personne accusée d’une des infractions en question comparaisse devant un tribunal pénal spécial plutôt que devant un tribunal ordinaire. Les infractions énumérées dans la liste sont définies dans l’ordonnance de 1972 sur les atteintes à la sûreté de l’État (infractions énumérées) comme étant les infractions visées par la loi de 1861 sur l’atteinte à l’intégrité physique, la loi de 1883 sur les substances explosives, la loi de 1925-1971 sur les armes à feu et la loi de 1939 sur les atteintes à la sûreté de l’État. Une autre catégorie d’infractions a été ajoutée par ordonnance plus tard dans l’année, à savoir les infractions visées par l’article 7 de la loi de 1875 sur l’entente délictueuse et la protection des biens. Le tribunal pénal spécial est également compétent pour connaître d’infractions ne figurant pas dans la liste lorsque l’Attorney général certifie, conformément au paragraphe 2 de l’article 47 de la loi, qu’il considère que les tribunaux ordinaires « ne sont pas dotés des moyens requis pour assurer l’administration efficace de la justice pour ce qui est de juger la personne en cause pour l’infraction en question ». Le Procureur général (Director of Public Prosecutions) exerce les pouvoirs susmentionnés de l’Attorney général par délégation d’autorité.

2.3À la différence des tribunaux pénaux ordinaires, qui ont recours à des jurés, les tribunaux pénaux spéciaux sont composés de trois juges qui rendent leur décision à la majorité des voix. Les tribunaux pénaux spéciaux appliquent également une procédure différente de celle qui est suivie par les tribunaux pénaux ordinaires qui se caractérise notamment par le fait que l’accusé ne peut pas avoir recours aux procédures d’interrogatoire préliminaire de certains témoins.

Rappel des faits présentés par l’auteur

3.1Le 2 novembre 1993, lors d’un incident grave et apparemment minutieusement organisé, le Directeur général d’une société bancaire irlandaise, son épouse, ses trois enfants et la personne chargée de garder ces derniers ont été séquestrés et agressés au domicile de la famille par une bande de sept malfaiteurs. Le Directeur général de la société bancaire a été ensuite contraint, sous la menace de la violence, de voler une somme d’argent très importante à la banque concernée. L’auteur reconnaît avoir été impliqué dans cette affaire, mais affirme qu’il avait été lui-même enlevé par les malfaiteurs avant l’incident et qu’il avait agi sous la contrainte et les menaces de violence brandies contre lui et sa famille.

3.2Le 19 juillet 1994, l’auteur a été arrêté et sept chefs d’accusation liés à l’incident (séquestration, vol, demande d’argent sous la menace, entente délictueuse visant à extorquer de l’argent sous la menace et détention d’une arme à feu dans l’intention de commettre le délit de séquestration) lui ont été signifiés. Sur ces sept chefs d’accusation, un (détention d’une arme à feu dans l’intention de commettre le délit de séquestration) correspondait à une infraction figurant dans la liste.

3.3Le 20 juillet 1994, l’auteur a été directement accusé des sept infractions devant le tribunal pénal spécial en vertu d’une ordonnance du Procureur général datée du 15 juillet 1994, conformément aux paragraphes 1 et 2 de l’article 47 de la loi, visant, respectivement, les délits inscrits et non inscrits sur la liste.

3.4Le 14 novembre 1994, l’auteur s’est adressé à la Haute Cour pour obtenir l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de l’ordonnance du Procureur général. La Haute Cour a donné son autorisation le même jour et la requête de l’auteur a été examinée en juin 1995. L’auteur a affirmé que les infractions dont il était accusé n’avaient aucun lien avec des activités subversives ou paramilitaires et qu’il pouvait être jugé par les tribunaux ordinaires. Il a contesté la proclamation de 1972 au motif que les raisons pour lesquelles elle avait été faite ne reposaient plus sur aucune base factuelle plausible et a demandé qu’une déclaration soit faite à cet effet. Il a également réclamé l’annulation de la certification du Procureur général concernant les infractions ne figurant pas dans la liste en arguant que ce dernier n’était pas en droit d’autoriser l’examen de telles infractions par le tribunal pénal spécial si elles n’avaient pas un caractère subversif. À cet égard, il a fait valoir que les arguments présentés par l’Attorney général au Comité des droits de l’homme à sa quarante-huitième session, selon lesquels l’existence du tribunal pénal spécial était rendue nécessaire par la campagne en cours concernant l’Irlande du Nord, faisaient qu’il était légitime de s’attendre à ce que ce tribunal ne soit saisi que des infractions ayant un lien avec l’Irlande du Nord. Il a ajouté que la décision de le faire comparaître devant le tribunal pénal spécial constituait une discrimination injuste à son égard.

3.5Le 6 octobre 1995, la Haute Cour a rejeté tous les arguments de l’auteur. Elle a estimé, en s’appuyant sur des précédents, que les décisions du Procureur général ne pouvaient être réexaminées en l’absence de preuve de mauvaise foi ou de preuve que le Procureur général avait été influencé par des motivations ou des orientations indues. De l’avis de la Cour, il n’y avait pas d’abus à autoriser l’examen par le tribunal pénal spécial d’infractions qui ne figuraient pas sur la liste et qui n’étaient pas de nature subversive ou paramilitaire. La Cour a conclu que la décision paraissait régulière et valide et l’autorisation a été maintenue. Pour ce qui est des plaintes sous-jacentes qui visaient la proclamation de 1972 elle-même, la Haute Cour a estimé que son rôle se limitait à examiner la constitutionnalité de la mesure prise en 1972 par le Gouvernement et qu’elle ne pouvait pas émettre d’avis sur l’obligation de mettre fin au régime spécial qui continuait d’incomber au Gouvernement en vertu du paragraphe 4 de l’article 35. Elle a estimé qu’en prétendant être habilitée à annuler la proclamation, elle usurperait les attributions du pouvoir législatif dans un domaine où les tribunaux n’avaient pas à intervenir.

3.6Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’auteur n’a pas été soumis à la même forme de procès que d’autres personnes accusées d’infractions analogues et non traduites devant le tribunal pénal spécial, la Haute Cour a estimé que l’auteur n’avait pas prouvé qu’une telle différence de traitement était préjudiciable. Enfin, la Haute Cour a considéré qu’aucune déclaration d’un représentant de l’État devant une instance internationale ne pouvait modifier l’effet d’une loi valide ou restreindre le pouvoir discrétionnaire exercé par le Procureur général conformément à cette loi.

3.7Le 24 octobre 1995, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême. Il a fait valoir en particulier que la proclamation de 1972 avait pour but de traiter des actes subversifs et qu’il n’avait jamais été prévu que la compétence du tribunal pénal spécial s’étende aux délits de droit commun. Il a ajouté que le Gouvernement avait le devoir d’examiner et d’annuler la proclamation dès qu’il considérerait que les tribunaux ordinaires étaient en mesure d’assurer l’administration efficace de la justice et le maintien de la paix et de l’ordre publics.

3.8Le 18 décembre 1996, la Cour suprême a rejeté l’appel formé par l’auteur contre la décision de la Haute Cour. Elle a estimé que la décision du Gouvernement de faire la proclamation de 1972 était essentiellement politique et qu’il pouvait être considéré que sa conformité avec la Constitution n’avait pas été contestée. La Cour suprême a déclaré que le Gouvernement comme le Parlement étaient tenus en vertu de l’article 35 de la loi d’abroger le régime spécial dès qu’il aurait été établi que les tribunaux ordinaires étaient de nouveau adaptés aux fonctions à exercer. Bien que l’existence du tribunal pénal spécial puisse en principe faire l’objet d’un examen judiciaire, la Cour suprême a considéré qu’il n’avait pas été prouvé que le maintien de ce régime constituait une atteinte aux droits constitutionnels, étant donné que la situation restait à l’examen et que le Gouvernement continuait de considérer ce régime nécessaire.

3.9Se fondant sur la décision qu’elle avait prise dans l’affaire Le peuple (Attorney-General) c. Quilligan, la Cour suprême a estimé que la loi autorisait également le tribunal pénal spécial à connaître de délits « non subversifs » si le Procureur général considère que les tribunaux ordinaires ne remplissent pas les conditions requises. Son recours ayant été rejeté, l’auteur affirme avoir ainsi épuisé tous les recours internes dont il pouvait se prévaloir dans le cadre du système judiciaire irlandais concernant ces questions.

3.10Après le rejet de plusieurs demandes de libération sous caution, le procès de l’auteur devant le tribunal pénal spécial a débuté le 14 octobre 1997. Le 29 octobre 1997, il a été reconnu coupable de vol, de détention d’une arme à feu, en l’occurrence un pistolet, dans l’intention de commettre une infraction pénale majeure, à savoir séquestration et demande d’argent sous la menace et avec intention de voler. L’auteur a été condamné à des peines de 12 ans, 12 ans et 5 ans d’emprisonnement respectivement, avec effet cumulé à compter du 20 juillet 1994 (date à laquelle il avait été placé en détention provisoire). Le 18 mai 1999, la Cour d’appel pénale a rejeté la demande d’autorisation de faire appel de la condamnation présentée par l’auteur.

Teneur de la plainte

4.1L’auteur affirme que la décision du Procureur général de le faire juger par le tribunal pénal spécial constitue une violation du principe de l’équité et de l’égalité des armes consacré aux paragraphes 1 et 3 de l’article 14. Il se plaint d’avoir été sérieusement désavantagé par rapport à d’autres personnes accusées d’infractions pénales analogues ou identiques qui ont été, elles, jugées par des tribunaux ordinaires et pouvaient donc bénéficier de garanties plus étendues. Il souligne que dans son cas, le fait de pouvoir être jugé dans le cadre d’un procès avec jury ainsi que la possibilité de faire interroger des témoins lors d’une audience préliminaire seraient particulièrement importants. L’évaluation de la crédibilité de plusieurs témoins essentiels était capitale dans son cas. Ainsi, l’auteur affirme avoir fait l’objet de restrictions arbitraires et ne pas avoir été traité sur un pied d’égalité dans l’exercice de ses droits au regard de la procédure, le Procureur général n’ayant donné aucune raison pour justifier sa décision.

4.2L’auteur reconnaît que le droit d’être jugé dans le cadre d’un procès avec jury et le droit de faire interroger des témoins lors d’une audience préliminaire ne sont pas explicitement énoncés au paragraphe 3 de l’article 14, mais déclare que les dispositions de ce paragraphe énoncent quelques-unes seulement des règles d’équité. Il estime que l’objectif manifeste de l’article dans son ensemble est d’énoncer des garanties substantielles qui sont offertes à tous de façon égale. Il considère en conséquence que ces droits qui, selon lui, constituent des garanties fondamentales dans la juridiction de l’État partie, sont protégés de façon égale par l’article 14.

4.3L’auteur déplore en outre que la décision prise par le Procureur général en application de l’article 47 de la loi ait été adoptée sans raison ni justification, ce qui constitue une violation du droit d’être jugé publiquement garanti au paragraphe 1 de l’article 14. La Cour suprême, la plus haute juridiction de l’État partie, avait statué dans l’affaire H c. Procureur général que le Procureur général ne pouvait pas être obligé de donner les raisons de sa décision, sauf dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque la mauvaise foi avait été prouvée. L’auteur déclare qu’une décision cruciale concernant son procès, à savoir le choix de la procédure et de la juridiction, a été prise dans le secret et pour des motifs qui, ne lui ayant pas été révélés et n’ayant pas été rendus publics, ne pouvaient faire l’objet d’aucun recours de sa part.

4.4L’auteur ajoute que la décision du Procureur général a constitué une violation du principe de la présomption d’innocence consacré au paragraphe 2 de l’article 14. Il considère que le rétablissement du tribunal pénal spécial par le Gouvernement irlandais en 1972 avait été dicté par la violence croissante qui sévissait en Irlande du Nord, l’intention étant de mieux protéger les jurés contre les influences et les pressions extérieures indues. L’auteur affirme que la décision du Procureur général suppose que ce dernier a considéré que, soit l’auteur était membre d’un groupe paramilitaire ou subversif impliqué dans le conflit en Irlande du Nord ou à un tel groupe associé, soit qu’il était probable que l’auteur ou des personnes de son entourage tentent de faire obstacle au travail des membres du jury ou de les influencer si le procès avait lieu devant un tribunal ordinaire. Il note également que son maintien en détention jusqu’au procès, dans ces circonstances, dénote aussi une certaine présomption de culpabilité.

4.5L’auteur nie être ou avoir jamais été associé à un groupe paramilitaire ou subversif quel qu’il soit. Il déclare que la décision prise par le Procureur général à son égard suppose en conséquence qu’il aurait eu un lien avec la bande de malfaiteurs responsable de la séquestration du 2 novembre 1993 ce qui serait susceptible d’entraver ou d’influencer la décision d’un jury. L’auteur nie toute appartenance à ladite bande de malfaiteurs; son appartenance présumée à cette bande étant, à son avis, la principale question à trancher lors du procès, elle ne pouvait pas être déterminée à l’avance par le Procureur général.

4.6L’auteur affirme que l’État partie n’a pas offert de recours utile, comme il est tenu de le faire par l’article 2. Dans l’affaire qui le concerne, une décision soulevant manifestement des questions au titre du Pacte a été prise et n’est soumise à aucun recours utile en justice. Les tribunaux s’étant mis eux-mêmes dans l’impossibilité d’agir et ayant restreint leur compétence à l’examen de raisons exceptionnelles et quasiment impossibles à prouver de mauvaise foi, de motifs ou de considérations indus de la part du Procureur, il ne peut être affirmé qu’un recours utile existait. Comme l’auteur n’invoque aucune circonstance exceptionnelle de ce type, il ne dispose d’aucun recours.

4.7L’auteur affirme également être victime d’une violation du principe de non-discrimination énoncé à l’article 26, car il a été privé, sans raison objective, d’importantes garanties judiciaires dont pouvaient se prévaloir d’autres personnes accusées d’infractions analogues. À cet égard, il considère que la proclamation de 1972 du Gouvernement irlandais rétablissant le tribunal pénal spécial constitue une dérogation, au sens du paragraphe 1 de l’article 4, à certains droits garantis à l’article 14 du Pacte. Il affirme que la situation de violence croissante en Irlande du Nord, à l’origine de la décision du Gouvernement, a cessé et ne peut plus être considérée comme un danger public menaçant l’existence de la nation. L’auteur fait valoir qu’il n’est en conséquence plus nécessaire de continuer à déroger à certains des droits énoncés dans le Pacte. En maintenant en place le tribunal pénal spécial, l’Irlande va à l’encontre des obligations qu’elle a contractées en vertu du paragraphe 1 de l’article 4.

4.8Enfin, l’auteur affirme que l’Irlande a également enfreint ses obligations au titre du paragraphe 3 de l’article 4. Il estime qu’en n’annulant pas sa proclamation de 1972, l’Irlande a, pour le moins, dérogé, dans les faits ou d’une manière informelle, aux dispositions de l’article 14 du Pacte sans en informer les autres États parties au Pacte comme elle en a l’obligation.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

5.1L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif en raison du non-épuisement des recours internes car au moment de la présentation de sa communication, l’auteur n’avait pas déposé de recours contre sa condamnation auprès de la Cour d’appel pénale. L’État partie fait valoir en outre que certains aspects de la plainte adressée par l’auteur au Comité n’avaient pas du tout été soumis aux tribunaux locaux. Il affirme que l’auteur ne s’est jamais plaint devant les tribunaux nationaux de n’avoir pas été jugé publiquement ou de ce que son droit constitutionnel à la présomption d’innocence ait été violé. L’État partie estime en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable. Il fournit en annexe à ses observations le texte d’un arrêt rendu en 1995 par sa plus haute juridiction, la Cour suprême, qui a considéré que la décision du Procureur général ne constituait pas une violation du principe de la présomption d’innocence. (Dans des observations faites ultérieurement, l’État partie reconnaît que la question de la présomption d’innocence a été soulevée aux deux niveaux de la procédure de contrôle juridictionnel.)

5.2L’État partie insiste aussi longuement sur le fait, que l’auteur a bénéficié de toutes les garanties énoncées dans le Pacte pour ce qui est de son arrestation, de sa mise en détention, des accusations portées contre lui et de son procès. Il affirme en outre que divers articles du Pacte ne s’appliquent pas en l’espèce, que les allégations sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et sont insuffisamment étayées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

6.1Outre qu’il répond aux arguments avancés par l’État partie concernant la question de savoir si ses allégations sont étayées et si le Pacte est applicable, l’auteur formule ses observations sur l’épuisement des recours internes. Il indique qu’il faisait recours contre sa condamnation et que ce type de recours ne porte que sur les preuves apportées lors d’un procès et les conclusions qui doivent en être tirées. Il déclare que les questions soulevées en ce qui concerne la décision du Procureur général et le traitement inéquitable et injuste auquel il a été soumis ont été pleinement examinées, avant le procès, jusqu’au niveau de la Cour suprême. En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas soulevé devant les tribunaux la question de la négation du droit à ce que sa cause soit entendue « publiquement » et de la violation du principe de la présomption d’innocence, l’auteur déclare que le fondement et la teneur de ces allégations ont été dûment examinés à toutes les étapes de la procédure d’examen judiciaire.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

7.1L’État partie déclare que la Constitution nationale autorise explicitement la création de juridictions spéciales conformément aux dispositions de la loi. L’État partie souligne qu’à la suite de la mise en place, le 14 janvier 1997, d’une procédure régulière d’examen et d’évaluation des organes publics, des examens ont été effectués les 11 février 1997, 24 mars 1998 et 14 avril 1999 en tenant compte des opinions des institutions gouvernementales compétentes et que ces examens ont conduit à la conclusion qu’il était nécessaire de maintenir le tribunal en place, non seulement en raison des menaces qui continuaient à peser sur la sécurité de l’État du fait d’actes de violence, mais également en raison des menaces que faisait planer sur l’administration de la justice, notamment du fait de l’intimidation des jurés, la multiplication de bandes organisées de malfaiteurs sans scrupule, impliquées essentiellement dans la délinquance liée à la drogue et la criminalité violente.

7.2L’État partie déclare que le régime du tribunal pénal spécial répond à tous les critères énoncés à l’article 14 du Pacte. Il note que ni l’article 14 ni l’observation générale du Comité sur cet article, ni d’autres normes internationales n’exigent le jugement dans le cadre d’un procès avec jury ou une audience préliminaire au cours de laquelle les témoins seraient interrogés sous serment. La seule condition requise est en réalité que le procès soit équitable. L’absence de l’un ou l’autre de ces éléments ou des deux ne rend pas en elle-même un procès inéquitable. Dans un grand nombre d’États différents types de procédure coexistent et le simple fait qu’il existe différents mécanismes ne peut être considéré en lui-même comme une violation.

7.3Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’impossibilité pour lui d’interroger des témoins sous serment en audience préliminaire constitue une violation des garanties d’un procès équitable prévues à l’article 14, l’État partie souligne que les parties se sont trouvées dans une situation identique et en conséquence en pleine égalité lors du procès. En tout état de cause, l’audience préliminaire a pour seul but de soulever des questions susceptibles de donner lieu à un contre-interrogatoire lors du procès et n’a pas d’incidence sur le procès lui-même.

7.4À propos de l’argument de l’auteur selon lequel ses droits ont été violés du fait qu’il a comparu devant un tribunal pénal spécial alors qu’il était accusé de délits de droit commun, l’État partie fait valoir que pour garantir la bonne administration de la justice, il y a lieu d’assurer la protection requise contre les menaces qui peuvent l’entraver, y compris les menaces que font peser sur elle des groupes subversifs et le crime organisé, et contre le risque d’intimidation des jurés. Lorsqu’une telle menace plane sur l’intégrité de la procédure normale devant un jury, comme le Procureur général l’a déclaré en l’espèce, les droits de l’accusé sont en réalité mieux protégés s’il est jugé par trois magistrats impartiaux qui sont moins exposés qu’un jury au risque de pressions extérieures indues. L’État partie fait observer que l’inaptitude des tribunaux ordinaires, que le Procureur général doit vérifier avant que l’affaire puisse être portée devant un tribunal pénal spécial, peut être due non seulement au fait qu’il s’agit de délits « politiques », « de subversion » ou commis par des groupes paramilitaires, mais également au fait qu’on est en présence d’un « banditisme de droit commun ou d’un trafic de drogues s’appuyant sur d’importants moyens financiers et hautement organisé ou d’autres situations où il y a lieu de penser que les jurés sont, pour des raisons de corruption ou du fait de menaces ou d’une ingérence illégale, empêchés de rendre la justice ». L’affirmation de l’auteur selon laquelle le délit dont il est accusé n’était pas « politique » en tant que tel n’est donc pas une raison de ne pas porter l’affaire devant le tribunal pénal spécial.

7.5L’État partie affirme que l’auteur a également pu exercer tous les droits énoncés au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Ces droits sont reconnus à toutes les personnes qui comparaissent devant les juridictions pénales ordinaires en Irlande mais aussi à quiconque comparaît devant le tribunal pénal spécial conformément à l’article 47 de la loi de 1939.

7.6Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’a pas été entendu « publiquement » comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 14 du fait que le Procureur général n’était pas tenu de justifier et n’a pas justifié sa décision déclarant les tribunaux ordinaires inadéquats, l’État partie indique que le droit d’être jugé publiquement s’applique à toute procédure devant un tribunal, laquelle a eu lieu, dans le cas du tribunal pénal spécial, ouvertement et publiquement à toutes les étapes et à tous les niveaux. Ce droit d’être jugé publiquement ne s’applique pas aux décisions prises par le Procureur général avant le procès. Il n’est pas non plus souhaitable de demander que les raisons de la décision du Procureur général soient divulguées et justifiées car une telle mesure, qui supposerait la divulgation d’informations de nature confidentielle et ayant des incidences en matière de sécurité, irait à l’encontre de l’objectif même pour lequel le tribunal pénal spécial a été institué et ne serait pas dans l’intérêt général du public.

7.7À propos de l’allégation de l’auteur selon laquelle son droit à la présomption d’innocence, énoncé au paragraphe 2 de l’article 14, a été violé, l’État partie affirme que la présomption d’innocence est un principe fondamental du droit irlandais que doit respecter et que respecte le tribunal pénal spécial. La charge de la preuve doit être assumée de la même façon devant les juridictions pénales spéciales et devant les tribunaux pénaux ordinaires, à savoir que la culpabilité doit être prouvée avec quasi-certitude. Si cette condition n’était pas remplie, l’auteur aurait droit à l’acquittement.

7.8L’État partie note que l’accusé a contesté avec succès l’un des chefs d’accusation au début du procès, a été acquitté de trois chefs et a été reconnu coupable des trois autres. En guise d’information générale, il signale que sur les 152 personnes qui ont été jugées par le tribunal pénal spécial entre 1992 et 1998, 48 ont plaidé coupable, 72 ont été reconnues coupables, 15 ont été acquittées et, pour 17 d’entre elles, les poursuites ont été abandonnées. En ce qui concerne l’auteur, la question a été soulevée devant la Cour d’appel pénale qui a conclu, au vu de l’ensemble des preuves, que le principe de la présomption d’innocence n’avait pas été violé.

7.9L’État partie déclare qu’étant donné que ces éléments dans leur ensemble prouvent que la procédure suivie dans le cadre du tribunal pénal spécial a été équitable et conforme aux dispositions de l’article 14 du Pacte, la décision du Procureur général de faire comparaître l’auteur devant ce tribunal ne peut pas être considérée comme contraire à l’article 14.

7.10En réponse aux allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été traité d’une façon discriminatoire et arbitraire, en violation de l’article 26, l’État partie déclare que toutes les personnes sont traitées sur un pied d’égalité en vertu du régime prévu dans la loi. Tous les cas sont soumis dans des conditions d’égalité à l’évaluation du Procureur général lorsqu’il s’agit de déterminer si les tribunaux ordinaires remplissent ou non les conditions requises pour assurer une administration efficace de la justice et le maintien de la paix et de l’ordre publics. En outre, l’auteur a été traité comme toute autre personne dont le cas a fait l’objet d’une décision de ce type de la part du Procureur général. Même si le Comité considère qu’une distinction a été faite entre l’auteur et d’autres personnes accusées d’infractions analogues ou aussi graves, des critères raisonnables et objectifs ont été appliqués dans tous les cas, les tribunaux ordinaires ont été considérés comme inadéquats en l’espèce.

7.11L’État partie affirme que, contrairement à ce que prétend l’auteur, les autorités de police estiment qu’il faisait effectivement partie d’une bande organisée de malfaiteurs. Il souligne, à cet égard, la gravité des infractions en cause, la planification minutieuse de l’acte criminel et la brutalité des délits commis. Même si l’auteur était en détention avant le jugement, le risque d’intimidation des jurés de la part d’autres membres de la bande ne pouvait être exclu. Aucun des éléments fournis ne permet de penser que la décision du Procureur général a été prise de mauvaise foi, qu’elle était inspirée par des intentions ou des orientations indues ou qu’elle a été prise arbitrairement.

7.12Enfin, pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie n’a pas assuré de recours utile face à la violation de ses droits, comme l’exige l’article 2, l’État partie souligne que la Constitution garantit des droits étendus aux personnes et que plusieurs allégations de violation formulées par l’auteur ont été examinées par les tribunaux, jusqu’au plus haut niveau de juridiction nationale. Les tribunaux ont examiné en détail les faits dont ils ont été saisis et ont accepté certaines des allégations de l’auteur et en ont rejeté d’autres.

7.13L’État partie rejette également comme déplacée l’affirmation de l’auteur selon laquelle le Gouvernement déroge, dans les faits ou dans le principe, aux dispositions du Pacte conformément à l’article 4. Il fait observer que l’article 4 autorise des dérogations dans certains cas, mais que l’État partie n’invoque pas en l’espèce ce droit de dérogation, qui est inapplicable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partieconcernant le fond de la communication

8.1En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel les jurés ou les témoins auraient pu faire l’objet d’intimidations de la part d’autres membres de la bande, ce qui justifiait la décision du Procureur général de renvoyer l’auteur devant le tribunal pénal spécial, l’auteur affirme qu’à aucun moment l’État partie n’a révélé les motifs de cette décision. De plus, le Procureur général n’a jamais objecté, lors de la présentation des différentes demandes de libération sous caution, qu’il y avait un risque que l’auteur recoure à l’intimidation. De toute façon, en présumant que l’auteur ou d’autres membres de la bande allaient se comporter ainsi – si telle est vraiment la raison de la décision –, le Procureur général préjugeait de l’issue du procès. De plus l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester cette présomption.

8.2L’auteur s’élève fermement contre l’affirmation de l’État partie selon laquelle il était bien membre d’une bande organisée de malfaiteurs, faisant remarquer que c’est la première fois que l’État partie fait une telle déclaration. En effet, lors de la présentation d’une demande de mise en liberté sous caution au tribunal, la police a expressément déclaré qu’il n’en était rien et, hormis la participation de l’auteur à la perpétration des actes eux-mêmes, aucun élément de preuve montrant son appartenance à une bande criminelle n’avait été apporté. En tout état de cause, l’État partie ne dit pas si c’est la raison pour laquelle le Procureur a décidé de le renvoyer devant une juridiction spéciale; si c’était le cas, cette décision préjugeait d’une question de fond qui devait être tranchée au cours du procès.

8.3En ce qui concerne les observations spécifiques de l’État partie sur l’article 14, l’auteur souligne que dans son Observation générale No 13 le Comité a relevé que les prescriptions du paragraphe 3 de l’article 14 étaient des garanties minimales, dont le respect ne suffisait pas toujours à assurer qu’une cause soit entendue équitablement comme le prévoit le paragraphe 1.

8.4Pour ce qui est des évaluations de la nécessité de maintenir le tribunal pénal spécial menées par le Gouvernement en février 1997, mars 1998 et avril 1999, l’auteur souligne qu’elles n’ont pas été annoncées, que ni la population, ni les ONG ni les organismes professionnels n’ont été invités à donner leur avis et qu’aucune information n’a été fournie sur les auteurs des évaluations ni sur les motifs précis pour lesquels le Gouvernement avait décidé que le maintien du tribunal était nécessaire. En conséquence, l’auteur objecte que ces évaluations semblent purement internes, qu’elles n’étaient pas indépendantes et qu’elles ne présentaient donc aucune réelle garantie.

8.5En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel le tribunal demeure nécessaire, notamment à cause de la montée des activités de bandes de malfaiteurs hautement organisées, souvent impliquées dans le trafic de drogues et dans des crimes violents, l’auteur objecte que la proclamation de 1972 s’inscrivait clairement dans le contexte d’une « violence d’inspiration politique », ce que confirment les déclarations ultérieures du Gouvernement, notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme en 1980 et devant le Comité des droits de l’homme en 1993. Il ne pouvait y avoir aucune autre raison au maintien de cette juridiction. Les menaces que peuvent représenter les organisations criminelles d’aujourd’hui n’entrent pas dans le champ d’application de la proclamation de 1972 et il faudrait faire une nouvelle proclamation pour réagir à ce danger. Quoi qu’il en soit, les juridictions ordinaires sont saisies de nombreuses affaires de trafic de drogues et de violences imputées à des bandes organisées et il n’y avait aucune raison apparente de traiter l’auteur différemment.

8.6L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas été désavantagé en ne bénéficiant pas d’une audition préliminaire puisque l’accusation était dans la même situation. Il fait valoir que l’accusation a eu la possibilité de le priver de ce droit et qu’elle l’a fait après avoir vu et interrogé les témoins; en revanche, il n’a pas eu lui-même la possibilité de l’empêcher d’entendre les témoins. Il maintient donc que l’égalité des moyens n’a pas été assurée.

8.7En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle la cause de l’auteur a été entendue « équitablement et publiquement », l’auteur ne conteste pas que le procès lui-même ait été public mais s’élève contre le fait que la décision du Procureur général, qui était un élément indissociable et essentiel de la détermination des chefs d’inculpation, n’ait pas été publique. La procédure n’a pas non plus été équitable car il n’y a eu ni notification ni indication des motifs de la décision et l’auteur n’a eu aucune possibilité de recours. Citant différentes décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme, qui estime qu’une révision judiciaire effective des décisions ne peut pas être entièrement refusée en invoquant des considérations de sécurité, l’auteur fait valoir que dans son cas il n’y avait aucune voie de recours réelle pour obtenir une révision indépendante de la décision. Les tribunaux ont strictement restreint leur compétence pour examiner les décisions du Procureur général.

8.8En ce qui concerne le droit d’être présumé innocent, l’auteur fait valoir que la décision du Procureur général de le renvoyer devant le tribunal pénal spécial était un élément de la détermination des chefs d’inculpation et que le Procureur général est aussi tenu de respecter le principe de la présomption d’innocence. D’après l’auteur, la décision en elle-même signifiait qu’on le considérait comme impliqué dans les activités d’une organisation subversive ou comme appartenant à la bande de malfaiteurs qui avait procédé à l’enlèvement. L’auteur affirme que le fait de le traduire devant le tribunal pénal spécial suggérait aux juges qu’il faisait partie d’une organisation criminelle dangereuse et qu’il est difficile de croire que ce facteur n’a pas influé sur l’issue du procès.

8.9En réponse aux arguments de l’État partie sur l’égalité devant la loi, l’auteur fait valoir que quand l’État partie affirme qu’il a été traité de la même manière que tous les autres inculpés traduits devant une juridiction d’exception, cela signifie seulement qu’il a été traité comme le petit nombre de personnes qui ont été jugées par le tribunal pénal spécial mais non comme la majorité des individus inculpés des mêmes chefs que lui et qui ont été jugés par des juridictions ordinaires. Quoi qu’il en soit la plupart des 18 autres personnes jugées par une juridiction spéciale étaient accusées d’infractions liées à la subversion. On l’a inclus dans ce petit groupe sans lui donner la moindre explication et sans véritable moyen de contester la décision.

8.10Pour ce qui est de la question de savoir si une différence de traitement est en l’espèce objective, raisonnable et conforme à un but légitime en vertu du Pacte, l’auteur conteste l’opportunité de maintenir en place les juridictions d’exception alors que les actes de violence paramilitaire ont considérablement diminué. À supposer que le recours à un tel mécanisme soit une réaction à la mesure des activités subversives – ce que l’auteur ne reconnaît pas – il reste la question de savoir s’il s’agit d’une réponse légitime à une activité qui n’est pas subversive. L’auteur fait valoir qu’il est impossible de déterminer si la différence de traitement est raisonnable puisque les critères appliqués par le Procureur général ne sont pas connus et que c’est le Procureur général qui est à l’origine des poursuites.

8.11Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel il n’invoquait pas l’article 4 qui lui donne le droit de déroger aux dispositions du Pacte, l’auteur répond que certes l’État partie n’a pas déclaré l’état d’urgence, mais la proclamation de 1972 établissant le tribunal pénal spécial a en réalité introduit une mesure qui s’applique uniquement en cas d’urgence. L’auteur ajoute que la condition pour qu’une telle mesure puisse être prise – le fait qu’il y ait une menace pour l’existence de la nation – n’était pas remplie à cette époque et ne l’est toujours pas. Quoi qu’il en soit, si l’État partie affirme ne pas recourir à l’article 4, il ne peut pas chercher à justifier ses actes en vertu des exceptions prévues dans ses dispositions.

Délibérations du Comité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3En ce qui concerne l’argument du non-épuisement des recours internes avancé par l’État partie, le Comité note que le litige né avant le procès de la décision du Procureur général a été porté jusque devant la Cour suprême, en dernier ressort. De plus, l’auteur a fait appel de sa condamnation devant la Cour d’appel pénale, en soulevant des questions relatives au procès influencées par la décision du Procureur général, et il a été débouté. Un plaignant qui s’adresse aux tribunaux internes n’a pas besoin d’utiliser les termes précis du Pacte, étant donné que la forme des recours offerts par la loi diffère d’un État à l’autre. La question qui se pose est plutôt celle de savoir si l’ensemble de la procédure a porté sur les points de fait et de droit dont le Comité est actuellement saisi. Compte tenu de ladite procédure, de différentes décisions faisant jurisprudence émanant des juridictions de l’État partie et de l’absence d’éléments indiquant que d’autres possibilités de recours sont disponibles, rien n’empêche le Comité, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, d’examiner la communication.

9.4Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 2, le Comité estime que les arguments de l’auteur à cet égard ne soulèvent pas de questions autres que celles relevant d’autres articles et qui sont examinés ci-après. En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 4, le Comité relève que l’État partie n’a pas cherché à invoquer cet article.

9.5Pour ce qui est des autres arguments relatifs à la recevabilité avancés par l’État partie, le Comité estime qu’ils sont intimement liés aux questions de fond et ne peuvent pas être dissociés d’un examen complet des faits et des arguments présentés. Le Comité considère que la communication est recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard des articles 14 et 26 du Pacte.

Examen quant au fond

10.1L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que sa comparution devant un tribunal pénal spécial, dans le cadre d’une procédure sans jury et sans pouvoir faire interroger des témoins au stade préliminaire, ne lui a pas garanti un procès équitable. Il reconnaît certes que ni la présence d’un jury ni la possibilité de faire interroger des témoins dans le cadre d’un examen préliminaire ne sont obligatoires en vertu du Pacte et que l’absence de l’un de ces deux éléments ou des deux à la fois ne rend pas nécessairement un procès inéquitable; il affirme toutefois que l’ensemble des circonstances de son procès devant un tribunal pénal spécial font que sa cause n’a pas été équitablement entendue. De l’avis du Comité, en soi, un procès devant des juridictions autres que les tribunaux ordinaires ne constitue pas nécessairement une violation du droit à un procès équitable et les faits de la cause ne montrent pas que ce droit a été violé.

10.2L’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du principe de l’égalité devant les tribunaux, qui figure au paragraphe 1 de l’article 14, est à mettre sur le même plan que son affirmation selon laquelle son droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi tel qu’il est garanti par l’article 26 a été violé. La décision du Procureur général de renvoyer l’auteur devant le tribunal pénal spécial a eu pour conséquence de le soumettre à une procédure spéciale menée par une juridiction d’exception. Cette décision a privé l’auteur de certains mécanismes prévus par la législation interne, le distinguant d’autres personnes inculpées d’infractions similaires, jugées, elles, par des tribunaux ordinaires. Dans le cadre du système de droit de l’État partie, le fait d’être jugé en présence d’un jury constitue en particulier une protection importante, dont bénéficient généralement les accusés. En vertu de l’article 26, l’État partie était donc tenu de démontrer que la décision de soumettre une personne à une autre procédure était fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. À cet égard, le Comité note que la législation de l’État partie (loi sur les atteintes à la sûreté de l’État) énonce plusieurs infractions pour lesquelles on peut être renvoyé devant un tribunal pénal spécial sur décision du Procureur général. La même législation prévoit également que toute autre infraction peut être jugée devant ce même tribunal si le Procureur général est d’avis que les juridictions ordinaires ne sont pas « à même d’assurer une administration efficace de la justice ». À supposer même que le recours à un système de justice pénale tronqué dans le cas de certaines infractions graves soit acceptable dans la mesure où il est équitable, le Comité considère comme problématique le fait que le Parlement ait voté une loi énumérant les infractions graves que le Procureur général, exerçant un pouvoir discrétionnaire échappant à tout contrôle, peut (« quand il le juge approprié ») renvoyer devant un tribunal pénal spécial et que le législateur autorise en outre, comme dans le cas de l’auteur, le renvoi d’autres infractions devant cette juridiction si le Procureur général considère que les tribunaux ordinaires sont inadéquats. Le Procureur général n’est pas tenu de donner les raisons pour lesquelles il considère que le tribunal pénal spécial serait « mieux adapté » ou les tribunaux ordinaires sont « inadéquats » et aucune explication n’a été fournie au Comité en ce qui concerne la décision prise en l’espèce. En outre, les décisions du Procureur général ne font l’objet d’un examen judiciaire que dans les circonstances les plus exceptionnelles et dans lesquelles il est pratiquement impossible d’apporter les preuves requises.

10.3Le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré que la décision de traduire l’auteur devant le tribunal pénal spécial était fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. En conséquence, il conclut que le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi a été violé. Eu égard à la conclusion à laquelle le Comité est parvenu en ce qui concerne l’article 26, il n’est pas nécessaire d’examiner en l’espèce la question de la violation du droit à l’égalité « devant les tribunaux », qui est énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.4L’auteur affirme que son droit à un procès public, qui est garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a été violé puisqu’il n’a pas été entendu par le Procureur général lorsque ce dernier a pris la décision de le renvoyer devant un tribunal pénal spécial. Le Comité estime que le droit d’être entendu publiquement s’applique au procès et non aux décisions préalables au procès prises par un procureur ou une autre autorité publique. Étant donné qu’il n’est pas contesté que le procès et l’audience en appel ont été ouverts et publics, le Comité est d’avis que le droit à un procès public n’a pas été violé. Il considère également que la décision de faire juger l’auteur par le tribunal pénal spécial ne constitue pas en soi une violation du principe de la présomption d’innocence qui est énoncé au paragraphe 2 de l’article 14.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir : il doit assurer que nul ne soit renvoyé devant le tribunal pénal spécial si la décision à cet effet n’est pas justifiée par des motifs objectifs et raisonnables dont l’intéressé a été informé.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’Irlande a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir du Gouvernement irlandais, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de faire largement connaître les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Louis Henkin,de M. Rajsoomer Lallah, de Mme Cecilia Medina Quiroga,de M. Ahmed Tawfik Khalil et de M. Patrick Vella

1.Même si la plainte de l’auteur peut être envisagée dans l’optique de l’article 26, en vertu duquel les États sont tenus, dans leurs actes législatifs, judiciaires et administratifs, de faire en sorte que chacun soit traité dans des conditions d’égalité et d’une manière non discriminatoire, à moins que des critères raisonnables et objectifs ne justifient un traitement différencié, nous sommes d’avis qu’il y a eu également violation du principe de l’égalité énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.2.Le paragraphe 1 de l’article 14 établit, dès la première phrase, le principe de l’égalité dans le système judiciaire lui-même. Ce principe va au-delà des principes garantis dans les autres paragraphes de l’article 14 (concernant l’équité des procès, la preuve de la culpabilité, les garanties relatives à la procédure et aux preuves, le droit de recours et le droit de contrôle judiciaire et enfin l’interdiction de porter atteinte au principe de la chose jugée) et les complète. Le principe d’égalité est violé lorsque des personnes accusées de la même infraction ne sont pas toutes jugées par les tribunaux ordinaires compétents en la matière, certaines d’entre elles étant renvoyées devant un tribunal spécial à la discrétion du pouvoir exécutif. Il y a violation de ce principe indépendamment du fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question est soumis ou non au contrôle des tribunaux.

(Signé) Louis Henkin(Signé) Rajsoomer Lallah(Signé) Cecilia Medina Quiroga (Signé) Ahmed Tawfik Khalil (Signé) Patrick Vella

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

K.Communication No 821/1998, Chongwe c. Zambie(constatations adoptées le 25 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.

Présentée par :M. Rodger Chongwe

Au nom de : L’auteur

État partie :Zambie

Date de la communication : 7 novembre 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2000

Ayant achevé l’examen de la communication No 821/1998 présentée par M. Rodger Chongwe en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Rodger Chongwe, citoyen zambien, né le 2 octobre 1938. Il affirme être victime d’une violation par la Zambie de droits que lui confèrent les articles 6 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; sa plainte soulève la question de la sécurité de la personne, qui pourrait être examinée à la lumière de l’article 9.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, avocat zambien et président d’une alliance composée de 13 partis d’opposition, affirme que, dans l’après-midi du 23 août 1997, lui-même et M. Kenneth Kaunda – qui a été Président de la Zambie pendant 27 ans – ont été blessés par des coups de feu tirés par la police. L’auteur déclare que l’incident a eu lieu à Kabwe, ville située à environ 170 kilomètres au nord de Lusaka, alors qu’il allait participer avec M. Kaunda à un rassemblement politique important en vue de lancer une campagne de désobéissance civile. Il joint en annexe à sa communication des rapports de l’organisation Human Rights Watch et du Réseau interafricain pour les droits de l’homme et le développement.

2.2L’auteur déclare que la police a tiré sur le véhicule à bord duquel il se trouvait, blessant légèrement l’ancien Président Kaunda et le blessant lui-même grièvement. La police a ensuite promis d’ouvrir sa propre enquête. La Commission zambienne des droits de l’homme aurait elle aussi entrepris une enquête sur la fusillade, mais les résultats éventuels de ces investigations n’ont pas été communiqués.

2.3L’auteur cite en outre un document publié par l’organisation Human Rights Watch en mai 1998 [vol. 10, No 2 (A)], intitulé « Zambia, no model for democracy » (« La Zambie n’est pas un modèle de démocratie »), dont 10 pages sont consacrées à la « fusillade de Kabwe » et qui confirme les faits en s’appuyant sur des déclarations de témoins et des rapports médicaux.

2.4Les faits sont décrits comme suit dans le rapport :

« ... Au moment où M. Kaunda et le chef de l’alliance, M. Rodger Chongwe, allaient quitter les lieux en voiture, la police a attaqué leur véhicule avec des gaz lacrymogènes puis des armes à balles réelles peut-être dans l’intention d’empêcher leur départ. D’après des témoins oculaires, aucune sommation n’a été faite avant les coups de feu. Un petit nombre de policiers étaient munis de fusils d’assaut AK-47, des officiers supérieurs étaient armés de revolvers et les membres des unités mobiles étaient équipés de quelques G-3. La plupart des policiers n’étaient armés que de matraques et de grenades lacrymogènes... »

2.5Au cours d’un entretien avec l’organisation Human Rights Watch, le chauffeur de M. Kaunda, Nelson Chimanga, aurait fait la déclaration suivante :

« ... Ils (les policiers) ont attaqué la voiture avec des grenades lacrymogènes; une grenade a pénétré dans la voiture parce que j’avais ouvert une fenêtre afin d’évacuer les fumées. Quand nous sommes sortis de la zone enfumée, j’ai dû faire un écart pour éviter un véhicule de police qui essayait de nous bloquer la voie. Juste avant le rond-point, j’ai dû encore éviter un deuxième véhicule qui bloquait le passage puis un troisième placé en travers de la route. C’est après l’avoir dépassé que nous avons entendu l’impact de la balle. Soudain, Rodger Chongwe s’est mis à perdre son sang à mes côtés. Nous lui avons donné les premiers soins dans le véhicule mais, comme il perdait beaucoup de sang, nous avons fait demi-tour vers l’hôpital général de Kabwe. À cause de la présence d’importantes forces de police paramilitaires, j’ai garé le véhicule derrière l’hôpital et nous sommes partis pour Lusaka vers 3 heures. »

2.6L’ancien Président Kenneth Kaunda a relaté les faits comme suit :

« Une balle tirée par la police zambienne a éraflé le sommet de mon crâne. La même balle a blessé beaucoup plus sérieusement M. Chongwe...

À ce moment, la police a ouvert le feu avec des balles réelles. Une balle a effleuré ma tête et touché sous l’oreille droite M. Chongwe qui était assis à l’avant. Mon collaborateur, Anthony Mumbi, a été légèrement blessé par des éclats. J’aurais probablement été tué si mon garde du corps, Duncan Mtonga, ne m’avait pas poussé de côté lorsqu’il a entendu les coups de feu. Moi-même, je ne les avais pas entendus. »

2.7L’un des passagers du véhicule était l’expert juridique de l’United Independence Party (UNIP) (Parti unifié pour l’indépendance nationale), Mwangala Zaloumis, qui a adressé à l’organisation Human Rights Watch une déclaration écrite datée du 4 septembre 1997 :

« ... Le passage du véhicule a été bloqué trois fois en trois endroits différents par des véhicules de police. À environ 200 mètres des bureaux du parti, la voiture présidentielle (note du secrétaire : la voiture de l’ancien Président) a essuyé des coups de feu et des grenades lacrymogènes ont été tirées au même moment à l’intérieur du véhicule dont les fenêtres avaient été ouvertes à cause de l’explosion antérieure de grenades lacrymogènes autour et sous le véhicule. La plus grande confusion régnait à l’intérieur du véhicule envahi par les fumées. Ensuite, nous avons vu du sang partout. M. Chongwe avait été touché à la joue et saignait abondamment. L’un des membres du personnel de sécurité, qui était assis à côté de moi, saignait également. Il avait été touché par des éclats à différentes parties du corps... »

2.8D’après le rapport de l’organisation Human Rights Watch, le 26 août 1997, le Président Chiluba aurait démenti que la fusillade de Kabwe avait été une tentative d’assassinat commanditée par l’État. Il a affirmé que la police zambienne avait diligenté une enquête et que Nungu Sassasali, l’officier qui commandait les forces de police présentes à Kabwe, avait été relevé de ses fonctions. Toutefois, il a refusé d’ordonner l’ouverture d’une enquête indépendante. La station de radio ZNBC aurait annoncé le 28 août que le Président Chiluba avait dit que le Gouvernement ne présenterait pas d’excuses au sujet de la fusillade de Kabwe puisqu’il ne pouvait en être tenu pour responsable.

2.9D’après ledit rapport, qui reprenait une information publiée par le Zambia Daily Mail, le Ministre de l’intérieur, Chitalu Sampa, avait déclaré ceci le 31 août :

« On nous dit que la balle a touché M. Kaunda à la tête, que la même balle a traversé la joue de M. Chongwe et est allée blesser une autre personne au cou. Vraiment, comment cela serait-il possible? Nous pouvons donc affirmer catégoriquement que les coups de feu n’ont pas été tirés par la police. »

En outre, le 13 novembre, le Président Chiluba a déclaré ce qui suit :

« Ces deux personnes n’ont pas été blessées par balle. Un AK-47 n’aurait pas causé une simple blessure. Ils doivent prouver qu’on leur a tiré dessus. »

Le Président a ensuite reconnu que la police avait tiré en l’air, tentant de disperser le rassemblement de l’opposition.

2.10L’auteur affirme avoir été admis à l’hôpital de Kabwe immédiatement après la fusillade. Le rapport de Human Rights Watch cite un rapport médical adressé par l’hôpital de Kabwe au Secrétaire permanent du Ministère de la santé, à Lusaka :

« L’examen du patient a révélé une blessure causée par la perforation de la joue droite, communiquant avec une plaie ouverte à la partie supérieure du cou. »

En outre, il est dit ce qui suit dans un rapport médical daté du 3 octobre 1997, établi par l’hôpital St John of God, en Australie, pays où l’auteur a trouvé refuge :

« Un corps métallique étranger de petite taille peut être observé dans les tissus mous situés à la base du crâne, juste sous la peau, constatation compatible avec la thèse d’une blessure par balle ... La présence d’un petit fragment de métal a été décelée dans les tissus mous situés à l’arrière de la région cervicale supérieure, juste sous la peau... »

2.11L’organisation Human Rights Watch a dit avoir soumis les rapports médicaux, des photographies et le film vidéo de la Commission zambienne des droits de l’homme au docteur Richard Shepard du département médico-légal de l’école de médecine de St George’s Hospital, à Londres, pour expertise. Le docteur Shepard a formulé la conclusion suivante :

« Au vu des éléments que j’ai examinés, il est possible d’affirmer avec certitude qu’une balle a touché et pénétré le véhicule en diffusant des fragments à l’intérieur, un peu comme un essaim d’abeilles en furie. Toutes les blessures subies par M. Kaunda, M. Chongwe et le collaborateur de M. Kaunda ont pu être causées par cet événement. Rodger Chongwe a de la chance d’être encore en vie. Si les éclats l’avaient touché deux pouces (5 centimètres) plus à gauche, il serait mort. La perforation de la balle indique une trajectoire de haut en bas, légèrement inclinée, ce qui suggère que le tireur occupait une position un peu surélevée, d’une hauteur équivalant à celle d’une benne de camion. L’angle de tir ne laisse pas penser que le coup soit parti d’un arbre ou d’un toit. »

2.12Human Rights Watch a également demandé son avis à un spécialiste des armes à feu et de balistique, M. Graham Renshew, qui a examiné les photographies de la perforation de balle relevée dans le véhicule de M. Kaunda, les photographies d’une cartouche trouvée près de la scène de la fusillade le lendemain de la manifestation, ainsi qu’une photographie d’une balle qui, d’après le Parti unifié pour l’indépendance nationale, avait été extraite du véhicule après l’incident. Selon Human Rights Watch, ce spécialiste a fait la réponse suivante :

« Une balle a clairement transpercé le véhicule par l’arrière ... Cette balle correspond à la cartouche ... La disposition des rides repliées vers l’arrière laisse penser qu’elle a traversé trois couches de métal, ce qui est compatible avec la pénétration du véhicule. Elle pourrait avoir été tirée par un AK-47 de fabrication non russe, mais il est plus vraisemblable qu’il s’agisse d’un G-3 ou d’un FAR belge...

La perforation de balle relevée dans le véhicule de M. Kaunda est compatible avec la balle et la cartouche. Grâce à cette information, il serait possible de faire correspondre la balle et l’arme avec laquelle elle a été tirée. Si l’on ne peut pas affirmer qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat, on peut dire avec certitude que tous les passagers de la voiture ont de la chance d’être encore en vie. Si la balle avait touché une vitre, elle aurait pu tuer quelqu’un sur le coup. Elle a été ralentie et déviée en transperçant le métal. »

2.13Deuxièmement, dans son rapport sur la fusillade de Kabwe, (communiqué par l’auteur), le Réseau africain pour les droits de l’homme et le développement a conclu que la fusillade avait bien eu lieu et qu’un tribunal international devrait enquêter sur la tentative d’assassinat perpétrée contre l’ancien Président Kenneth Kaunda. Ce rapport, qui repose sur les témoignages de personnes directement impliquées dans la fusillade, montre que le véhicule à bord duquel l’auteur se trouvait avait quitté le centre de Kabwe. Des témoignages indiquent qu’avant le départ de la voiture le commandant de la police locale avait donné à ses hommes l’ordre de tirer sur la voiture sans donner de détails concernant le but de l’opération; l’information a été diffusée sur le réseau radio de la police. À la sortie de Kabwe, à un rond-point, un véhicule de police dont le numéro d’immatriculation et le chauffeur ont été identifiés, a cherché à barrer la route au véhicule. Le chauffeur a réussi à éviter l’obstacle et des témoignages indiquent que deux policiers debout à l’arrière du véhicule de police ont ouvert le feu.

2.14L’auteur affirme que le 28 novembre 1997, alors qu’il se trouvait à bord d’un avion de British Airways à Harare, des membres du personnel de l’aéroport et de la compagnie aérienne lui ont dit qu’un avion spécial envoyé par le Gouvernement zambien l’attendait sur le tarmac. Il a décidé de ne pas rentrer en Zambie et réside depuis cet incident en Australie. Il ne retournera pas en Zambie car il craint pour sa vie.

2.15Il ressort des renseignements fournis par l’auteur qu’il ne semble pas avoir pris des mesures pour épuiser les recours internes, si ce n’est qu’il a déposé une demande d’indemnisation auprès du Procureur général de la République de Zambie, Ministre de la justice. Cette demande a été déposée environ un mois et demi après la fusillade de Kabwe, le 15 octobre 1997. L’auteur déclare qu’il n’a accès à aucun recours interne utile.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’incident du 23 août 1997 était une tentative d’assassinat perpétrée par le Gouvernement zambien et qu’il constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Selon lui, les juges zambiens sont soumis à des pressions dans l’exercice de leurs fonctions, et ceci entraîne une violation de l’article 14. Il soulève en outre la question de la sécurité de la personne. Le versement d’un montant de 2,5 millions de dollars des États-Unis au titre de dommages-intérêts constituerait à ses yeux une indemnisation raisonnable.

Examen de la recevabilité

4.1La communication et ses annexes ont été transmises à l’État partie le 3 juillet 1998. Ce dernier n’a pas répondu à la demande que lui avait faite le Comité, conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, de lui soumettre des informations et des observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la communication, en dépit de nombreux rappels dont le dernier date du 5 août 1999. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du Protocole facultatif que l’État partie doit lui communiquer toutes les informations dont il dispose et regrette que, dans le cas présent, l’État partie n’ait pas coopéré. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder tout le poids voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles soient étayées.

4.2Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’auteur a fait valoir qu’il n’avait pas accès aux tribunaux nationaux et qu’aucun recours interne utile ne lui était ouvert. L’État partie n’a pas contesté ces affirmations devant le Comité et il convient donc d’accorder le crédit voulu à l’allégation de l’auteur. Le Comité estime en conséquence qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

4.4En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’article 14 du Pacte a été violé, le Comité note que les renseignements donnés par l’auteur ne sont pas suffisants pour étayer, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle l’auteur est victime d’une violation de l’article 14. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.5Le Comité estime que les autres plaintes de l’auteur devraient être examinées quant au fond. En conséquence, il décide que la communication est recevable et procède sans plus tarder à l’examen quant au fond des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9.

Examen quant au fond

5.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente affaire sur la base des documents dont il avait été saisi par les parties, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.2Le Comité note que le paragraphe 1 de l’article 6 entraîne pour l’État partie l’obligation de protéger le droit à la vie de tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction. En l’espèce l’auteur a fait valoir, ce que l’État partie n’a pas contesté devant le Comité, que l’État partie avait autorisé sans motif légal le recours à la force par des moyens meurtriers qui auraient pu entraîner la mort de l’auteur. Dans les circonstances de l’affaire, le Comité conclut que l’État partie n’a pas agi dans le respect de l’obligation qui lui incombe de protéger le droit à la vie consacré au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

5.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à la sécurité de la personne garanti au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte s’applique, même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté. L’interprétation de l’article 9 n’autorise pas les États parties à ne pas tenir compte des menaces à la sécurité individuelle de personnes non détenues relevant de leur juridiction. En l’espèce, il semble que des personnes agissant à titre officiel au sein des forces de police zambiennes ont tiré sur l’auteur, le blessant et manquant de peu de le tuer. L’État partie a refusé de faire effectuer des enquêtes indépendantes, et les investigations lancées par la police zambienne ne sont toujours pas achevées ni rendues publiques, plus de trois ans après les faits. Aucune procédure pénale n’a été ouverte, et la demande d’indemnisation présentée par l’auteur semble avoir été rejetée. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le droit de l’auteur à la sécurité personnelle garanti au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte a été violé.

6.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits qui lui sont présentés font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.En vertu de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Chongwe un recours utile et de prendre les mesures qui s’imposent pour le protéger des menaces, quelles qu’elles soient, qui pèsent sur la sécurité de sa personne et sa vie. Le Comité prie instamment l’État partie d’ordonner une enquête indépendante sur la fusillade, et d’accélérer les procédures pénales intentées contre les responsables présumés. S’il s’avérait, à l’issue de la procédure pénale, que des personnes agissant à titre officiel étaient responsables de la fusillade et des blessures infligées à l’auteur, ce recours devrait consister en l’octroi de dommages-intérêts à M. Chongwe. L’État partie est tenu de faire en sorte que des violations du même ordre ne se reproduisent pas à l’avenir.

8.Étant donné qu’en devenant partie au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non-violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des informations sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. l’État partie est également tenu de publier ces constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

L.Communication No 833/1998, Karker c. France(constatations adoptées le 26 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Nisuke Ando, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.

Présentée par :Mme Samira Karker, au nom de son mari,M. Salah Karker(représentée par M. Jean-Daniel Dechezelles)

Au nom de :M. Salah Karker

État partie :France

Date de la communication :27 mars 1998 (lettre initiale)

Références :Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie le 18 septembre 1998 (non publiée sous forme de document)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 833/1998 présentée par Mme Samira Karker en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Samira Karker. Elle représente son époux, Salah Karker, citoyen tunisien, né le 22 octobre 1948, résidant en France depuis 1987. Elle affirme que son époux est victime de violations par la France de droits qui lui sont reconnus dans le Pacte. Après la communication initiale, l’auteur a été représenté par Jean-Daniel Dechezelles, avocat à Paris.

Rappel des faits

2.1En 1987, M. Karker, qui est cofondateur du mouvement politique Ennahdha, a fui la Tunisie, où il avait été condamné à mort par contumace. En 1988, les autorités françaises lui ont reconnu le statut de réfugié politique. Le 11 octobre 1993, le soupçonnant d’appuyer activement un mouvement terroriste, le Ministre français de l’intérieur a ordonné son expulsion d’urgence du territoire français. L’arrêté d’expulsion n’a cependant pas été exécuté et M. Karker a été assigné à résidence dans le département du Finistère. Le 6 novembre 1993, M. Karker a fait appel des arrêtés prononcés contre lui devant le Tribunal administratif de Paris. Le Tribunal l’a débouté le 16 décembre 1994, considérant que les arrêtés étaient légaux. Le Tribunal a estimé que, d’après les informations dont il était saisi, le Ministère de l’intérieur était en possession de renseignements montrant que M. Karker avait gardé des liens étroits avec des organisations islamiques qui utilisaient des méthodes violentes et qu’en raison de la situation qui régnait en France, le Ministre avait pu légalement considérer que l’expulsion de M. Karker constituait une nécessité pour la sécurité publique. Le Tribunal a également estimé que l’immixtion dans la vie familiale de M. Karker était justifiée par des raisons d’ordre public. Le Tribunal a jugé que l’arrêté d’assignation à résidence prononcé par le Ministre pour permettre à M. Karker de trouver un pays tiers disposé à le recevoir était légal en vertu de l’article 28 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, M. Karker ayant été reconnu en tant que réfugié politique et ne pouvant pas être renvoyé en Tunisie. Le 29 décembre 1997, le Conseil d’État a rejeté le recours de M. Karker.

2.2En application des arrêtés susmentionnés, M. Karker a été placé dans un hôtel se trouvant dans le département du Finistère avant d’être transféré à Brest. Apparemment, en raison de pressions exercées par les médias, il a été de nouveau transféré à Saint-Julien dans la région de la Loire et de là à Cayrès, puis dans le sud-est de la France. Enfin, en octobre 1995, il a été assigné à résidence à Digne-les-Bains (Alpes de Haute-Provence) où il réside depuis lors. Selon l’arrêté fixant les conditions de sa résidence à Digne-les-Bains, M. Karker est tenu de se présenter à la police une fois par jour. L’auteur souligne que son époux n’a pas été jugé pour les actes dont il est soupçonné.

2.3L’auteur indique qu’elle vit à Paris avec ses six enfants, à 1 000 km de l’endroit où se trouve son époux. Elle affirme qu’il est difficile de garder des contacts personnels avec lui. Le 3 avril 1998, M. Karker a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir enfreint l’arrêté d’assignation à résidence en passant trois semaines auprès de sa famille.

Teneur de la plainte

3.L’auteur n’invoque aucun article du Pacte mais il semble que les faits peuvent soulever des questions au titre des articles 12 et 17, voire 9 et 13 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 23 novembre 1998, l’État partie examine à la fois la recevabilité et le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie affirme que l’auteur de la communication ne justifie d’aucun mandat pour représenter son époux. Il se réfère à l’article 90 b) du Règlement intérieur du Comité selon lequel une communication doit être présentée par la victime présumée elle-même ou par son représentant et qu’une communication présentée au nom d’une victime présumée peut être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter la communication. Dans le cas d’espèce, l’auteur n’a présenté aucun argument prouvant que son époux n’est pas en mesure de présenter lui-même une communication au Comité et n’a pas non plus démontré qu’elle a reçu un mandat pour le représenter. L’État partie demande par conséquent au Comité de rejeter la communication au motif qu’elle est irrecevable.

4.3En second lieu, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les violations présumées des articles 9, 12 et 17 du Pacte. Dans ce contexte, il note que si l’arrêté d’expulsion et le premier arrêté d’assignation à résidence ont fait l’objet d’un recours, il n’en a pas été de même pour les arrêtés d’assignation à résidence suivants et en particulier celui d’octobre 1995 par lequel M. Karker a été assigné à résidence à Digne-les-Bains. L’État partie ajoute qu’un appel devant le Tribunal administratif constitue un recours disponible et utile qui permet au juge de contrôler que la mesure d’assignation à résidence ne porte pas une atteinte excessive aux droits de l’intéressé, en particulier à son droit au respect de sa vie familiale.

4.4À titre subsidiaire, l’État partie examine la communication quant au fond et affirme qu’aucune violation n’a été commise. Premièrement, il fait valoir que l’article 9 du Pacte n’est pas applicable dans le cas de M. Karker car il n’a été ni arrêté ni placé en détention. À cet égard, l’État partie explique qu’en vertu de la législation française, les tribunaux font une nette distinction entre les mesures de rétention dans un lieu clos, telles que les mesures de détention et les mesures d’assignation à résidence, qui supposent une liberté de circulation de l’intéressé dans une circonscription déterminée. En l’espèce, M. Karker pouvait circuler librement d’abord à l’intérieur du territoire du Finistère puis, étant à présent assigné à résidence à Digne-les-Bains, dans les limites du territoire de cette commune. Selon l’État partie, la liberté de M. Karker ne fait l’objet d’aucune restriction au sens de l’article 9 du Pacte.

4.5L’État partie reconnaît que l’ordre d’assignation à résidence limite la liberté de circulation de M. Karker au sens de l’article 12 du Pacte. Il fait cependant valoir que les restrictions qui lui sont imposées sont autorisées par le paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte puisqu’elles sont prévues par la loi (art. 28 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée) et nécessaires pour la protection de l’ordre public comme l’ont confirmé les tribunaux. L’État partie renvoie à la décision du Tribunal administratif de Paris selon laquelle le Ministre de l’intérieur a pu légalement considérer que l’expulsion de M. Karker constituait une nécessité impérieuse pour la sécurité publique. Comme l’arrêté d’expulsion ne pouvait être exécuté eu égard au statut de réfugié de M. Karker, il convenait d’exercer un certain contrôle sur ses activités. L’État partie conclut donc que les mesures restreignant la liberté de circulation de M. Karker ont été prononcées dans son propre intérêt, en vue de la sauvegarde de ses droits en tant que réfugié politique.

4.6L’État partie fait valoir que sa décision d’expulser M. Karker est conforme aux dispositions de l’article 13 du Pacte. Dans ce contexte, il note que l’arrêté du 11 octobre 1993 a été adopté conformément à la loi (art. 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée). En vertu de cette ordonnance, en cas de nécessité impérieuse pour la sécurité de l’État ou la sécurité publique, l’expulsion peut être prononcée sans qu’il soit nécessaire qu’un collège de trois magistrats la recommandent. L’État partie invoque l’article 13 faisant valoir que des raisons impérieuses de sécurité nationale l’autorisaient à n’offrir à M. Karker aucun moyen de recours. Cependant, M. Karker a effectivement eu accès au Tribunal administratif, puis au Conseil d’État, pour contester l’arrêté d’expulsion prononcé contre lui. Ces deux juridictions ont confirmé que l’arrêté était légal. Selon l’État partie, les dispositions de l’article 13 ont donc été pleinement respectées.

4.7En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’État partie affirme que l’arrêté d’assignation à résidence n’empêche pas les membres de la famille de M. Karker d’être avec lui. Ces derniers ne font l’objet d’aucune restriction et sont libres de le rejoindre à Digne-les-Bains. La séparation de M. Karker de sa femme et de ses enfants résulte du choix de sa famille de s’établir à Eaubonne, en banlieue parisienne, et non à Digne-les-Bains. L’État partie fait valoir en outre que M. Karker bénéficie régulièrement d’autorisations administratives lui permettant de rendre visite à sa famille dans la région parisienne. Il est en outre affirmé qu’en tout état de cause, la séparation des membres d’une famille dans le cadre d’une mesure d’assignation à résidence ne constitue pas une violation de l’article 17 du Pacte. Pour ce qui est de l’insécurité qui caractériserait la situation de M. Karker, l’État partie indique que tant qu’il bénéficie du statut de réfugié, la mesure d’expulsion ne peut être mise en oeuvre.

Commentaires du conseil sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires, le conseil conteste l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable. S’agissant du mandat de l’auteur pour présenter la communication, il fait valoir qu’il ne fait aucun doute que M. Karker est dans l’incapacité de la présenter lui-même. En outre, le Règlement intérieur du Comité n’exige aucunement la preuve d’un mandat de représentation, comme cela peut être requis dans certaines procédures de droit interne. Le conseil explique qu’étant incertain quant à son lieu de résidence, M. Karker a préféré confier les documents de l’affaire à sa femme. En outre, comme il est éloigné de son conseil, M. Karker a du mal à communiquer avec lui. Pour cette raison, il a accepté de se faire représenter par sa femme devant le Comité. Quoi qu’il en soit, le conseil verse au dossier une lettre par laquelle M. Karker autorise expressément sa femme à le représenter.

5.2Pour ce qui est de l’argument du non-épuisement de tous les recours internes avancé par l’État partie, le conseil fait observer que la légalité de l’arrêté d’assignation à résidence à Digne-les-Bains a été contestée par M. Karker au procès pénal qui lui a été intenté devant le Tribunal de grande instance de Pontoise, en avril 1998. Durant ce procès, où il était accusé d’avoir violé l’arrêté d’assignation à résidence, M. Karker a fondé sa défense sur le caractère illégal de l’arrêté. En outre, il a saisi en mai 1996 le Tribunal de grande instance de Digne-les-Bains en vue de contester les modalités d’exécution de l’arrêté d’assignation à résidence, faisant valoir qu’il était surveillé en permanence par la police. Le Tribunal a rejeté sa requête et la Cour d’appel d’Aix-en-Provence l’a débouté. Selon le conseil, comme l’arrêté d’assignation à résidence dépend de l’arrêté d’expulsion et qu’il n’existe aucun autre moyen de recours pour contester l’arrêté d’expulsion, il ne servirait à rien de continuer de faire appel de chaque arrêté d’assignation à résidence. Dans ce contexte, le conseil rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, un requérant est seulement tenu d’épuiser les recours offrant des chances d’aboutir. Le recours contre la légalité du premier arrêté d’assignation à résidence ayant été rejeté, il est clair que M. Karker ne disposait d’aucun moyen de recours utile contre les arrêtés suivants, qui étaient fondés sur le même arrêté d’expulsion.

5.3Sur le fond, le conseil conteste l’argument de l’État partie qui fait valoir que M. Karker n’a pas été privé de sa liberté au sens de l’article 9 du Pacte. Il affirme qu’à l’instar de la détention, l’assignation à résidence restreint la liberté de circulation. Il rappelle que le premier arrêté a limité la liberté de circulation de M. Karker à une zone de 15,6 km2 et estime que cette superficie constitue un espace clos restreignant considérablement la liberté de l’intéressé. À Digne-les-Bains, la liberté de circuler de M. Karker a été limitée à une zone de 117,07 km2, ce qui représente 0,02% du territoire français. En outre, le conseil fait observer que M. Karker est suivi par la police ce qui constitue en soi une atteinte à sa liberté.

5.4En ce qui concerne l’article 12 du Pacte, le conseil reconnaît que la restriction imposée à la liberté de circulation de M. Karker est admise par la loi mais s’élève contre l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle est nécessaire pour des raisons d’ordre public. Il note que l’État partie se fonde sur le jugement du Tribunal administratif de Paris concernant la légalité de l’arrêté d’expulsion d’octobre 1993, ainsi que du premier arrêté d’assignation à résidence prononcé à la même date, et fait valoir que la conclusion à laquelle le tribunal avait abouti à l’époque ne saurait être utilisée pour justifier la restriction imposée actuellement à la liberté de circulation de M. Karker. Selon le conseil, l’État partie n’a pas démontré qu’à l’heure actuelle ladite restriction est nécessaire aux fins de protéger l’ordre public. Il souligne qu’un arrêté d’assignation à résidence prononcé parce qu’il était impossible d’exécuter un arrêté d’expulsion n’est, de par sa nature, qu’une mesure d’urgence et ne peut être prolongé indéfiniment. Dans ce contexte, le conseil fait observer qu’en 1994, un tribunal a condamné à Paris le journal Minute pour avoir qualifié M. Karker de terroriste actif sans apporter la preuve de ses accusations, selon lesquelles ce dernier était impliqué dans les attentats de Monastir et dans une tentative d’assassinat du Premier Ministre tunisien. Selon le conseil, cela montre que les accusations de terrorisme portées contre M. Karker ont été rejetées par les tribunaux. Or l’État partie se fonde sur ces accusations pour justifier les restrictions à la liberté de circulation de M. Karker. De l’avis du conseil, à moins que l’État partie ne puisse démontrer l’existence de liens entre M. Karker et des organisations terroristes, l’arrêté d’expulsion et, partant, l’arrêté d’assignation à résidence sont illégaux. Le conseil souligne d’autre part que le paragraphe 3 de l’article 12 subordonne à une autre condition les restrictions pouvant être apportées par un État partie à la liberté de circulation d’une personne, en ce sens qu’il requiert la compatibilité desdites restrictions avec les autres droits reconnus par le Pacte. Dans ce contexte, il fait valoir que le fait d’assigner une personne à résidence dans un lieu situé à des centaines de kilomètres de sa famille, dans des régions rurales, ce qui dans le cas de M. Karker a eu pour effet de limiter en permanence sa liberté de circulation depuis 1993, constitue manifestement une violation de nombreux droits reconnus dans le Pacte, notamment du droit de circuler librement (art. 9 et 12), du droit à la dignité humaine (art. 10), du droit à ce qu’une mesure d’expulsion fasse l’objet d’une révision (art. 13) et du droit à une vie familiale (art. 17 et 23).

5.5En ce qui concerne l’article 13 du Pacte, le conseil note que les dispositions qu’il contient n’empêchent la révision d’une mesure d’expulsion que si des raisons impérieuses de sécurité nationale s’y opposent. Il fait valoir que l’État partie n’a pas prouvé que de telles raisons existent, dès lors que dans son argumentation il se borne à se référer aux décisions du Tribunal administratif de Paris et du Conseil d’État que M. Karker conteste. Le conseil réaffirme que l’État partie doit démontrer au Comité que l’expulsion de M. Karker est nécessaire à l’heure actuelle pour la protection de l’ordre public. Il fait valoir en outre que l’urgence qui a pu exister en 1993 n’existe probablement plus à présent. Il rappelle, à ce propos, que M. Karker n’a jamais été condamné par les tribunaux français pour des actes de terrorisme.

5.6Pour ce qui est de l’article 17 du Pacte, le conseil conteste l’argument de l’État partie selon lequel la séparation de M. Karker d’avec sa famille résulte du choix de cette dernière de résider à Eaubonne. Il note que M. Karker et sa famille habitaient à Eaubonne lorsque l’arrêté d’expulsion et, partant, l’arrêté d’assignation à résidence ont été prononcés contre lui. Le conseil rappelle que M. Karker a été assigné à résidence dans cinq localités différentes durant les deux années qui ont suivi l’arrêté d’expulsion. Parce que les autorités peuvent à n’importe quel moment changer le lieu de résidence de M. Karker par un nouvel arrêté d’assignation à résidence et que M. Karker ne sait jamais combien de temps il va rester dans un endroit donné, il n’a pas jugé raisonnable de demander à sa famille de le rejoindre, ce qui aurait eu pour effet d’interrompre la vie sociale et la scolarité des enfants chaque fois que les autorités auraient modifié les conditions énoncées dans l’arrêté prononcé contre M. Karker. Selon le conseil, M. Karker n’a obtenu qu’à deux reprises l’autorisation de rendre visite à sa famille à Paris. Il y a donc lieu de conclure que l’immixtion dans la vie familiale de M. Karker est injustifiée.

5.7En ce qui concerne l’insécurité dans laquelle vivrait M. Karker, le conseil note que le statut de réfugié de ce dernier n’est pas permanent. Mais plus grave encore, cette insécurité est causée par l’arrêté d’assignation à résidence qui peut être modifié sans préavis. Selon le conseil, l’insécurité qui en résulte pour M. Karker constitue une immixtion arbitraire dans sa vie familiale. Le conseil rappelle que M. Karker a adressé de nombreuses requêtes au Ministre de l’intérieur, la dernière remontant à avril 1998, sans jamais recevoir de réponse.

5.8Le conseil joint une lettre de M. Karker dans laquelle ce dernier conteste l’arrêté d’expulsion et l’arrêté d’assignation à résidence connexe et affirme qu’ils sont motivés par des raisons politiques. Il fait valoir que les accusations portées contre lui n’ont jamais été précisées et qu’il n’a jamais été traduit en justice en sorte que ces accusations n’ont jamais été vérifiées par un tribunal. Selon lui, Ennahdha, le mouvement dont il est le chef, n’a jamais pratiqué ou appuyé le terrorisme et constitue un des mouvements islamiques les plus modérés dans le monde. Il affirme par conséquent que les arrêtés prononcés contre lui sont arbitraires. En ce qui concerne les conditions d’exécution de l’arrêté d’assignation à résidence, M. Karker affirme que du 30 octobre 1993 au 25 mai 1996, il a été suivi en permanence par des agents de police. Cette surveillance a repris le 8 octobre 1997, quelques semaines avant la visite du Président tunisien en France, puis elle a été arrêtée lorsque ce dernier est retourné en Tunisie. Selon M. Karker, cela montre que les décisions prises par l’administration française en la matière sont purement politiques.

5.9M. Karker conteste en outre l’impartialité des décisions prises par les tribunaux concernant la légalité de l’arrêté d’expulsion et l’arrêté d’assignation à résidence connexe. Il affirme que le Gouvernement français a fourni aux tribunaux des documents de police qui avaient été fabriqués de toutes pièces pour l’occasion, à partir de documents émanant de la police tunisienne, et qui n’étaient pas crédibles; cela n’a pas empêché les tribunaux de les considérer dignes de foi. Selon M. Karker les jugements des tribunaux sont injustes et ont été prononcés sous l’effet de pressions politiques. Si l’État partie a des preuves contre lui il aurait dû l’inculper en conséquence et le traduire en justice.

5.10M. Karker confirme que sa femme a agi avec son consentement lorsqu’elle a présenté son cas au Comité. Il fait valoir que l’arrêté d’assignation à résidence viole manifestement son droit à une vie familiale dès lors qu’il est forcé d’habiter dans une chambre d’hôtel et qu’il n’a pas les moyens de louer un logement pour sa famille. Il affirme en outre que les autorités refusent de prendre en charge les frais des visites qu’il rend à sa famille pendant les vacances. Il ajoute à ce propos qu’il ne souhaite pas imposer aux membres de sa famille l’insécurité dans laquelle il est obligé de vivre en les emmenant avec lui chaque fois qu’il change de lieu de résidence. Il signale que pendant l’été de 1995, alors qu’il résidait à St. Julien-Chapteuil, sa famille a loué un bungalow pour une semaine à proximité de l’hôtel où il séjournait. Or, il n’a pas été autorisé à passer la nuit avec les siens étant obligé de rester à son hôtel de 10 heures du soir à 8 heures du matin. Il ajoute qu’à l’époque, il était suivi partout par des agents de police en civil.

5.11M. Karker affirme qu’il est maintenu à toutes fins utiles en détention puisqu’il ne peut ni voyager librement, ni travailler ni avoir une vie de famille. Il fait valoir en outre que la durée de sa détention est illimitée et qu’elle lui a été imposée sans qu’il ait jamais été condamné par des tribunaux français.

Observations complémentaires

6.1En réponse au Groupe de travail, réuni avant la soixante-neuvième session du Comité, en juillet 2000, qui avait sollicité des informations sur la réponse du Ministre de l’intérieur à la demande de modification des arrêtés d’expulsion et d’assignation à résidence, adressée le 28 avril 1998, l’État partie note que le Ministre n’a pas répondu. En matière administrative, le silence gardé pendant quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. Ce rejet implicite est susceptible de recours devant la juridiction administrative.

6.2En ce qui concerne la question du Groupe de travail relative aux mesures prises par l’État partie afin de réviser régulièrement la situation de M. Karker et à la nécessité de maintenir la mesure dont il fait l’objet, l’État partie rappelle que toute personne frappée d’une mesure d’expulsion ou d’assignation à résidence peut, à tout moment, saisir les autorités administratives d’une demande d’abrogation de ces mesures. C’est donc à l’occasion de ces demandes que les autorités peuvent réexaminer la situation de M. Karker et s’interroger sur la nécessité de maintenir les mesures dont il est l’objet.

6.3Pour ce qui est des raisons pour lesquelles M. Karker est maintenu en assignation à résidence, l’État partie répond que cette mesure a été prise parce qu’il n’était pas possible d’exécuter la mesure d’expulsion. D’après l’État partie, le maintien en assignation à résidence est justifié par des raisons d’ordre public, afin d’éviter que M. Karker ne se livre à des activités dangereuses. Pour l’État partie, il n’est pas possible d’abroger l’arrêté d’expulsion en raison de la persistance des risques que présentent les mouvements dont M. Karker est considéré comme un partisan actif. L’État partie rappelle que M. Karker a toujours la possibilité de solliciter l’abrogation de la mesure et, dans l’hypothèse d’un refus, de déférer cette décision devant la juridiction administrative, ce dont il s’est abstenu jusqu’à présent. L’État partie ajoute qu’en cas de besoin il est délivré à M. Karker des sauf-conduits l’autorisant à quitter temporairement le lieu de son assignation à résidence. Il indique aussi que M. Karker est libre de quitter la France à destination de tout pays de son choix où il pourrait être admis.

7.Dans ses commentaires, le conseil relève que la réponse de l’État partie ne contient aucun renseignement nouveau. Il adresse au Comité des copies des demandes déposées au nom de M. Karker par des tiers et des réponses négatives qui y ont été apportées par le Ministre de l’intérieur. Il joint également copie de lettres du Préfet des Alpes de Haute-Provence, en date du 24 mars 1999 et du 22 février 2000, refusant à M. Karker l’autorisation de se rendre à Eaubonne. Il joint en outre des articles de presse manifestant un soutien à la cause de M. Karker.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note les objections de l’État partie à la recevabilité ratione personae. Il considère qu’il n’y a pas de raison de douter de la qualité de l’auteur, qui est l’épouse de la victime présumée et qui agit avec son plein consentement, ce que M. Karker a depuis lors confirmé.

8.3Pour ce qui est des recours internes, le Comité note qu’en ce qui a trait à l’arrêté d’expulsion prononcé contre lui, M. Karker a épuisé tous les moyens de droit disponibles. Comme les arrêtés d’assignation à résidence prononcés par la suite sont tous fondés sur l’arrêté d’expulsion et sur l’impossibilité d’exécuter cet arrêté et que le recours de M. Karker contre le premier arrêté d’assignation à résidence a été rejeté par les tribunaux, le Comité considère que M. Karker n’est pas tenu de contester devant les tribunaux chaque nouvel arrêté d’assignation à résidence pour satisfaire aux dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4En ce qui concerne l’allégation de violation du droit à la vie privée et à la vie de famille, garanti par l’article 17 du Pacte, le Comité note que ce grief est fondé sur les conditions dans lesquelles est exécutée la mesure d’assignation à résidence. Il note que M. Karker a demandé à plusieurs reprises que ces conditions soient modifiées sans jamais recevoir de réponse et qu’en droit français un silence de quatre mois équivaut à un rejet. L’État partie a expliqué que M. Karker aurait pu saisir la juridiction administrative de ce rejet et qu’il s’est abstenu jusqu’à présent de le faire, ce que l’auteur n’a pas contesté. L’allégation de violation de l’article 17 du Pacte est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité considère que l’allégation de l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte est irrecevable ratione materiae puisque, ne constituant pas une arrestation ou une détention, les mesures auxquelles M. Karker est soumis ne relèvent pas de cet article.

8.6Le Comité estime que la communication est recevable dans la mesure où elle peut soulever des questions au titre des articles 12 et 13 du Pacte et procède sans plus tarder à son examen quant au fond.

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements communiqués par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité note que l’expulsion de M. Karker a été ordonnée en octobre 1993 mais qu’elle n’a pas pu être exécutée, ensuite de quoi son séjour en France a été subordonné à des restrictions à sa liberté de circulation. L’État partie fait valoir que les restrictions imposées à l’auteur sont nécessaires pour des raisons de sécurité publique. À ce sujet, l’État partie a produit devant les tribunaux des preuves montrant que M. Karker était un partisan actif d’un mouvement qui prône l’action violente. Il convient de noter aussi que les mesures restrictives de la liberté de circulation permettent à M. Karker de résider dans un périmètre relativement étendu. De plus ces restrictions ont été examinées par les juridictions internes qui, après avoir étudié tous les éléments du dossier, les ont jugées nécessaires pour des raisons de sécurité. M. Karker n’a attaqué que la première décision judiciaire sur la question et a décidé de ne pas contester la nécessité des mesures d’assignation à résidence ultérieures devant les tribunaux. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’État partie a mal appliqué les restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 12.

9.3Le Comité fait observer que l’article 13 du Pacte énonce des garanties de procédure applicables en cas d’expulsion. Il note que la décision d’expulser M. Karker a été prise par le Ministre de l’intérieur pour des raisons impérieuses de sécurité publique et que M. Karker n’a donc pas été autorisé à contester son expulsion avant que l’arrêté ne soit prononcé. Il a eu toutefois la possibilité de faire examiner son cas par le Tribunal administratif et le Conseil d’État, devant lesquels il a été représenté par un conseil. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l’article 13 dans le cas d’espèce.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis ne font apparaître aucune violation des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

M.Communications Nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998,Mansaraj et consorts c. Sierra Leone,Gborie et consorts c. Sierra Leone,Sesay et consorts c. Sierra Leone(constatations adoptées le 16 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen des communications : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Présentées par :M. Anthony B. Mansaraj et consortsM. Gborie Tamba et consortsM. Abdul Karim Sesay et consorts

Au nom des :Auteurs

État partie :Sierra Leone

Date des communications :12 et 13 octobre 1998 (lettres initiales)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen des communications Nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998 présentées au Comité des droits de l’homme par M. Anthony B. Mansaraj et consorts, M. Gborie Tamba et consorts et M. Abdul Karim Sesay et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs des communications sont MM. Anthony B. Mansaraj, Gilbert Samuth Kandu-Bo et Khemalai Idrissa Keita (communication No 839/1998), Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, Alpha Saba Kamara, John Amadu Sonica Conteh et Abu Bakarr Kamara (communication No 840/1998), Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Nelson Williams, Beresford R. Harleston, Bashiru Conteh, Victor L. King, Jim Kelly Jalloh et Arnold H. Bangura (communication No 841/1998). Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 16 juillet 2001, le Comité a décidé d’examiner ces communications conjointement.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs des communications (présentées les 12 et 13 octobre 1998) étaient, au moment où ils ont présenté leur plainte, en attente d’exécution dans une des prisons de Freetown. Sur les 18 auteurs, 12 ont été fusillés le 19 octobre 1998 : Gilbert Samuth Kandu-Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh.

2.2Les auteurs sont tous des membres ou d’anciens membres des forces armées de la République de Sierra Leone. Accusés, notamment, de trahison et de non-répression d’une mutinerie, ils ont été reconnus coupables par un tribunal militaire de Freetown et ont été condamnés à mort le 12 octobre 1998. La condamnation n’était pas susceptible d’appel.

2.3Les 13 et 14 octobre 1998, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a prié le Gouvernement sierra-léonais, conformément à l’article 86 du Règlement intérieur du Comité, de surseoir à l’exécution des auteurs tant que les communications étaient en cours d’examen par le Comité.

2.4Le 4 novembre 1998, le Comité a examiné la question du refus de l’État partie, en exécutant 12 des auteurs, d’accéder à la demande qui lui avait été adressée en vertu de l’article 86. Le Comité a déploré que l’État partie n’ait pas donné suite à sa demande et a décidé de poursuivre l’examen des communications en question en vertu du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil considère qu’en n’accordant pas le droit de faire appel d’une condamnation prononcée par un tribunal militaire, l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.2Le conseil indique que le droit de faire appel existait à l’origine en vertu du chapitre IV de l’ordonnance de 1961 sur les forces militaires royales sierra-léonaises, mais que cette ordonnance a été révoquée en 1971.

Observations de l’État partie

4.L’État partie n’a fourni aucune information concernant ces communications, bien que le Comité l’ait invité à le faire à plusieurs reprises.

Délibérations du Comité

5.1Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui affirment être victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

5.2Indépendamment donc d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il adopte une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, le conseil fait valoir que les auteurs ont été l’objet d’une violation de leurs droits au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Une fois qu’il a été notifié de la communication, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution des victimes présumées, à savoir Gilbert Samuth Kandu-Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh, avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations. Il était particulièrement inexcusable pour l’État partie d’avoir agi ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l’article 86 du Règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.

5.3L’adoption de mesures provisoires en application de l’article 86 du Règlement intérieur conformément à l’article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme l’exécution d’une victime présumée ou son expulsion, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte que le Protocole facultatif vise à assurer.

5.4Le Comité des droits de l’homme a examiné les communications en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation que l’État partie n’a donné aucune information permettant d’éclaircir les questions soulevées par les communications. Il rappelle qu’il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que tout État partie doit examiner en toute bonne foi les allégations qui sont portées contre lui et fournir au Comité toutes les informations dont il dispose. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité dans l’affaire à l’examen, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont été étayées.

5.5Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’État partie n’a pas fait valoir qu’il restait des recours internes que les auteurs devraient exercer et n’a soulevé aucune objection à la recevabilité de la communication. En se fondant sur les informations qui lui ont été transmises, le Comité conclut que la communication est recevable et procède sans plus tarder à l’examen quant au fond.

5.6Le Comité note l’affirmation des auteurs selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte en n’accordant pas le droit de faire appel d’une condamnation prononcée par un tribunal militaire, a fortiori dans une affaire de condamnation à mort. Il note que l’État partie n’a ni réfuté ni confirmé l’allégation des auteurs, mais constate que 12 des auteurs ont été exécutés quelques jours seulement après leur condamnation. Le Comité considère en conséquence que l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et, de ce fait, également l’article 6 qui protège le droit à la vie, en ce qui concerne l’ensemble des 18 auteurs des communications. Il ressort clairement de la jurisprudence du Comité qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, la peine de mort ne peut être prononcée, entre autres sauvegardes, que quand toutes les garanties d’un jugement équitable, y compris le droit de faire appel, ont été respectées.

6.1Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Sierra Leone de l’article 6 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

6.2Le Comité réaffirme sa conclusion selon laquelle l’État partie a commis un manquement grave aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en exécutant 12 des 18 auteurs avant que l’examen de leur communication n’ait été achevé.

6.3Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Anthony Mansaraj, Alpha Saba Kamara, Nelson Williams, Beresford R. Harleston, Bashiru Conteh et Arnold H. Bangura, un recours utile. Les auteurs ont été condamnés à l’issue d’un procès dans le cadre duquel les garanties fondamentales d’un jugement équitable n’ont pas été respectées. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs devraient être remis en liberté sauf si la législation sierra-léonaise prévoit la possibilité de nouveaux procès respectant toutes les garanties requises par l’article 14 du Pacte. Le Comité considère aussi que les proches parents de Gilbert Samuth Kandu-Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh ont droit à une réparation appropriée, sous la forme d’une indemnisation.

6.4Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatation

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

N.Communication No 846/1999, Jansen-Gielen c. Pays-Bas (constatations adoptées le 3 avril 2001,soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de cette communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden.

Le texte d’une opinion individuelle de deux membres du Comité, M. David Kretzmer et M. Martin Scheinin, est joint au présent document.

Présentée par :Mme Gertruda Hubertina Jansen-Gielen(représentée par M. B. W. M. Zegers)

Au nom de :L’auteur

État partie :Pays-Bas

Date de la communication :7 août 1998 (lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité :3 avril 2001

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 846/1999 présentée par Mme Gertruda Hubertina Jansen-Gielen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte les constatations suivantes :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, qui est datée du 7 août 1997, est Gertruda Maria Hubertina Jansen-Gielen, citoyenne néerlandaise, née le 21 novembre 1940. Elle affirme être victime d’une violation par les Pays-Bas des articles 14, 17 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par M. B. W. M. Zegers, avocat.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur enseignait à l’école primaire catholique de Nederweert. Elle était employée par une association privée.

2.2Le 20 décembre 1989, le Directeur du Système général des pensions civiles (Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds), qui est un système privé, l’a déclarée invalide à 80%; cette décision reposait sur un rapport psychiatrique établi en novembre de la même année.

2.3L’auteur a fait appel de cette décision mais elle a été déboutée par le tribunal de district de La Haye le 24 septembre 1992. Selon la décision du tribunal, il semble qu’entre octobre 1987 et octobre 1988, elle ait été souvent absente de son travail pour des raisons de santé et qu’elle ait cessé de travailler à partir d’octobre 1988. Le rapport psychiatrique montrait que ses absences étaient dues à un grave différend d’ordre professionnel qu’elle n’était pas en mesure de gérer.

2.4L’auteur a alors introduit un recours auprès de la cour d’appel centrale (Centrale Raad van Beroep), qui connaît en dernier ressort des affaires concernant les pensions. En septembre 1994, elle a changé de conseil. Dans un pli du 26 septembre 1994, que la Cour a reçu le 27 du même mois, le nouveau conseil a adressé à la Cour un rapport psychologique qui infirmait les conclusions du premier rapport d’expert. L’audience de la cour d’appel centrale a eu lieu comme prévu le 29 septembre 1994. Dans son arrêt du 20 octobre 1994, la Cour a débouté l’auteur. Elle a considéré qu’elle ne pouvait pas prendre en compte le rapport d’expert présenté par l’auteur parce qu’il avait été présenté trop tard. Il ressort de l’arrêt que la Cour a estimé que le défendeur aurait été indûment entravé dans sa défense si elle avait accepté cette pièce. La Cour a également fondé son arrêt sur les dispositions de l’article 8:58 du (nouveau) Code administratif.

2.5D’après l’auteur, le Code administratif est entré en vigueur le 1er janvier 1994 mais, conformément au paragraphe 3 de l’article premier, il ne peut pas s’appliquer à son affaire puisqu’elle a fait appel avant le 1er janvier 1994. Dans la procédure administrative antérieure, il n’existait pas de délai pour la présentation des rapports et le tribunal aurait donc dû considérer que le rapport en question avait été présenté en temps voulu.

2.6L’auteur fait ressortir en outre que, dans la convocation à l’audience du 29 septembre 1994, la Cour n’avait pas précisé qu’une nouvelle pièce ne pouvait être présentée que dix jours au moins avant l’audience. Elle soutient en outre que dans la pratique, même en vertu du nouveau Code, la présentation tardive des pièces est acceptée aussi longtemps qu’elle ne lèse pas gravement les droits de la partie adverse.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que le refus de la Cour de prendre en compte le rapport d’expert est une violation de son droit de présenter des éléments de preuve, puisque cela l’a empêchée de réfuter les arguments de la partie adverse quant à sa capacité de travailler. Elle considère qu’il y a là une violation de l’article 14, puisqu’elle n’a pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement.

3.2Elle se plaint également d’une violation de l’article 17 du Pacte, puisque la décision erronée concluant à une invalidité de plus de 80%, qui l’empêche d’exercer un emploi, porte atteinte à sa personne (intégrité physique et morale) et à sa réputation.

3.3Elle affirme en outre que la raison profonde de la décision relative à son invalidité est que la direction de l’établissement n’approuvait pas son attachement à la doctrine traditionnelle de l’Église catholique, ce qui est contraire à l’article 18 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Dans une communication du 22 mars 1999, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, l’auteur n’ayant pas invoqué, même implicitement, au cours de la procédure interne, les droits consacrés par le Pacte dont elle dit aujourd’hui qu’ils ont été violés. Il estime que la communication devrait être déclarée irrecevable, tous les recours internes n’ayant pas été épuisés.

4.2L’État partie estime en outre que l’auteur n’a pas présenté d’arguments à l’appui de son allégation selon laquelle ses convictions, fondées sur la doctrine traditionnelle de l’Église catholique étaient à l’origine de la déclaration d’invalidité, et que cette partie de sa communication devrait donc être déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.1Dans une nouvelle lettre datée du 1er septembre 1999, l’État partie précise que, dans le cadre de l’appel interjeté par l’auteur au sujet de la décision de la Caisse des pensions concluant à une invalidité de plus de 80%, une audience de la cour d’appel centrale (Centrale Raad van Beroep) avait été prévue pour le 29 septembre 1994. Le 26 septembre 1994, l’actuel conseil de l’auteur a adressé une lettre à la Cour pour l’informer qu’il remplaçait l’ancien conseil de l’auteur et a joint à sa lettre un nouveau rapport psychologique qui contredisait le rapport psychiatrique sur lequel la Caisse avait fondé sa décision. Or la Cour n’a pas versé le rapport psychologique au dossier au motif que ledit rapport avait été présenté trop tard.

5.2À propos de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la décision de la Cour de ne pas verser le rapport psychologique au dossier de l’affaire l’avait privée du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, c’est aux tribunaux des États parties et non au Comité qu’il incombe, d’une manière générale, d’examiner les faits et les éléments de preuve présentés aux tribunaux nationaux et appréciés par eux. L’État partie refuse d’admettre que, du fait que le rapport n’a pas été pris en compte, la procédure a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il précise à cet égard que le Code administratif entré en vigueur le 1er janvier 1994 comportait une modification des règles de procédure. Le code antérieur ne prévoyait pas de délai, alors que le nouveau prévoit que les parties ne peuvent verser une pièce au dossier que dix jours au moins avant l’audience. Conformément aux dispositions transitoires, le code antérieur était applicable en l’espèce.

5.3Selon l’État partie, le greffier de la cour d’appel centrale a reçu la lettre du conseil de l’auteur et la pièce qui l’accompagnait deux jours seulement avant l’audience. Le conseil n’a pas expliqué pourquoi il présentait si tard la pièce en question. En l’absence d’une règle précise, la Cour s’est fondée, pour décider de la recevabilité de ladite pièce, sur les principes relatifs à la régularité de la procédure dont l’un est que celle-ci doit se dérouler de façon qu’aucune des parties ne soit indûment empêchée de préparer sa défense. Elle a considéré que ce serait entraver indûment la défense que de verser les pièces en question au dossier à ce stade de la procédure.

5.4L’État partie précise qu’il existe en droit néerlandais une règle générale de procédure selon laquelle aucune pièce ne peut être prise en compte dans une procédure si la partie adverse n’a pas eu la possibilité d’en prendre connaissance dans des délais raisonnables, règle que le conseil aurait dû connaître. Le conseil aurait pu demander l’ajournement de la procédure pour donner à la partie adverse et à la Cour le temps d’examiner la pièce en question. Il avait choisi de ne pas le faire et avait donc pris délibérément le risque que le rapport, étant présenté à une date tardive, ne soit pas versé au dossier.

5.5L’État partie conteste l’allégation selon laquelle la décision de la Cour ait été fondée sur le nouveau Code. Selon lui, la Cour ne s’y est référée que pour illustrer la règle générale relative à la régularité de la procédure qui veut que l’on laisse aux parties le temps de préparer convenablement leur défense. Les droits de l’auteur à cet égard n’ont donc pas été violés.

5.6En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre de l’article 17, l’État partie indique que l’examen de la capacité de travail de l’auteur était légal en vertu de la loi sur les retraites, puisque l’intéressée avait été absente pour cause de maladie. À propos de l’affirmation de l’auteur selon laquelle ses absences étaient dues à un différend d’ordre professionnel et non à la maladie, l’État partie renvoie au rapport psychiatrique sur lequel la Caisse a fondé sa décision. Le rapport en question conclut que l’auteur n’était pas en mesure de gérer le différend professionnel en question. Pour l’État partie, la décision de la Caisse n’était donc nullement contraire à la loi.

5.7Quant à savoir si l’immixtion prétendue dans la vie de l’auteur était arbitraire, l’État partie renvoie au jugement de la cour d’appel centrale, qui reconnaît qu’il faut éviter à tout prix d’accorder abusivement des pensions d’invalidité dans des cas comme celui de l’auteur. La Cour a conclu que la décision de la Caisse avait été prudente. C’est pourquoi l’État partie ne peut admettre que l’immixtion ait été arbitraire.

5.8Par ailleurs, l’État partie ne peut admettre que la décision concluant à l’invalidité de l’auteur constitue une atteinte illégale à la réputation de l’intéressée. Il rappelle à cet égard que la décision était légale et qu’elle n’était pas fondée sur des faits inexacts. Selon lui, il ne peut être porté atteinte à la réputation d’une personne que si le public peut avoir connaissance de l’accusation portée contre elle. Il ajoute que la déclaration d’invalidité a uniquement été envoyée aux parties directement intéressées.

5.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre de l’article 18, l’État partie renvoie aux observations qu’il a formulées au sujet de la recevabilité et précise que cette allégation n’est pas étayée par des preuves et qu’il n’y a pas eu de violation.

Commentaires de l’auteur au sujet des observations de l’État partie

6.1L’avocat réaffirme que le refus de la Cour de verser le rapport au dossier entache la procédure d’arbitraire et constitue un déni de justice. Il fait observer que, puisque le Code administratif antérieur était applicable, les documents ont été en toute légalité présentés à temps. Le fait que la Cour ne les a reçus que deux jours avant l’audience ne peut pas être considéré comme entravant indûment la défense. Selon le conseil, il restait suffisamment de temps pour lire attentivement le rapport. De plus, la Cour a compétence pour ajourner l’audience et elle aurait pu le faire si elle estimait qu’il fallait davantage de temps pour étudier le document en question. Le conseil ajoute que le fait d’invoquer la nouvelle loi n’était qu’un prétexte pour ne pas verser le rapport au dossier.

6.2Le conseil soutient que les absences de l’auteur étaient dues à un différend d’ordre professionnel, non à la maladie. Le rapport sur lequel était fondée la décision de la Caisse était contredit par le rapport que le tribunal n’a pas accepté. La loi sur les retraites a été invoquée à tort pour régler un différend d’ordre professionnel et l’immixtion n’était donc pas légale. De plus, le second rapport psychologique, qui n’a pas été versé au dossier, montre que la déclaration selon laquelle l’auteur n’était pas apte au travail reposait sur des faits inexacts. Il y avait donc immixtion dans la vie privée de l’auteur et atteinte à son intégrité physique et morale et à sa réputation. À cet égard, le conseil fait valoir que la déclaration est du domaine public puisque les séances de la cour d’appel centrale sont publiques.

6.3Le conseil fait valoir en outre que l’État partie autorise une pratique qui consiste à empêcher des personnes en bonne santé qui ont des opinions politiquement incorrectes – en l’espèce des opinions fondées sur la doctrine traditionnelle de l’Église catholique – d’exercer des emplois à caractère social. Pour lui, le nouveau rapport psychologique montrait que l’auteur était à même de gérer le différend professionnel en question et qu’elle n’était pas inapte à travailler. Par conséquent, selon lui, la seule raison pour laquelle elle a été déclarée inapte à travailler tenait au fait que la direction de l’établissement catholique où elle travaillait n’approuvait pas son attachement à la doctrine traditionnelle de l’Église catholique et voulait se débarrasser d’elle. Le conseil affirme que les autorités néerlandaises essaient systématiquement d’empêcher l’enseignement de la doctrine traditionnelle de l’Église catholique en engageant par exemple des poursuites pénales contre des laïcs ou des ecclésiastiques catholiques qui professaient ouvertement la doctrine traditionnelle de l’Église catholique. Il estime que le droit du travail a été invoqué d’une manière abusive dans l’affaire concernant l’auteur pour l’empêcher d’exprimer ses convictions catholiques, en violation de l’article 18 du Pacte.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteur est victime d’une violation des articles 17 et 18 du Pacte parce qu’elle aurait été déclarée à tort inapte à travailler, le Comité relève que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour étayer ses allégations aux fins de la recevabilité. Il note que les déclarations et allégations de l’auteur à cet égard sont très générales et que ces questions n’ont pas été portées à l’attention des tribunaux nationaux. Cette partie de la communication de l’auteur est donc irrecevable au titre de l’article 2 et de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre de l’article 14, le Comité note que tous les recours internes ont été épuisés et qu’il n’y a pas d’autres objections à la recevabilité de la communication. Il la déclare donc recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte. Il procède sans plus tarder à l’examen de cette allégation sur le fond.

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2L’auteur affirme que le refus de la cour d’appel centrale de verser au dossier le rapport psychologique présenté par son avocat deux jours avant l’audience constitue une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel c’eût été entraver indûment l’organisation de la défense que de verser le rapport en question au dossier à deux jours de l’audience. Il fait toutefois remarquer que le code de procédure applicable au moment de l’audience ne fixait pas de délai pour la présentation des documents à verser au dossier. En conséquence, la cour d’appel, qui n’était tenue par aucun délai, devrait veiller à ce que chaque partie puisse contester les preuves que l’autre versait ou souhaitait verser au dossier et, le cas échéant, ajourner l’audience. Étant donné que les parties n’ont pas pu produire des preuves aux fins d’audience à armes égales, le Comité estime qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits tels qu’ils lui ont été présentés font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte de la part des Pays-Bas.

10.En vertu de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de David Kretzmer et de Martin Scheinin

Tout en étant d’accord avec la conclusion du Comité, telle qu’elle est énoncée au paragraphe 8.2 de ses constatations, à savoir que, dans le cas d’espèce, il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14, nous ne nous rallions pas, en revanche, aux motifs qui l’ont conduit à prendre cette décision.

Il appartient généralement aux juridictions nationales de se prononcer sur la recevabilité des pièces qui sont produites dans les procédures judiciaires et sur les modalités de soumission desdites pièces. Alors qu’à l’époque où lesdites juridictions ont examiné l’affaire considérée, la loi ne fixait aucun délai pour la présentation des pièces, l’État partie a déclaré qu’en vertu de la procédure administrative instituée par la loi, aucune pièce ne pouvait être versée au dossier si l’autre partie ne pouvait en avoir connaissance dans un délai raisonnable. L’auteur ne le conteste pas. L’État partie n’a toutefois aucunement expliqué les motifs pour lesquels, compte tenu de l’importance capitale que revêtait le rapport en question, dans le cas d’espèce, plutôt que de l’écarter purement et simplement, la Cour n’a rien fait pour que l’autre partie puisse l’examiner. Dans les circonstances de la cause, nous estimons que le droit de l’auteur à ce que sa cause soit équitablement entendue, droit que protège le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a été violé.

(Signé) David Kretzmer

[Fait en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

O.Communication No 855/1999, Schmitz-de-Jong c. Pays-Bas (constatations adoptées le 16 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de cette communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

Présentée par :Mme M. Schmitz-de-Jong(représentée par un conseil, M. Paul S.P. Vanderheyden)

Au nom de :L’auteur

État partie :Pays-Bas

Date de la communication :25 novembre 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 855/1999 présentée par Mme M. Schmitz-de-Jong en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme M. Schmitz-de-Jong, citoyenne néerlandaise, née le 15 février 1949 et résidant à Gulpen (Pays-Bas). Elle affirme être victime d’une violation de l’article 26, lu conjointement avec les articles 3 et 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Tout citoyen néerlandais âgé de 65 ans ou plus a droit à une carte de retraité (appelée PAS-65). Les partenaires des titulaires de cette carte ont subsidiairement droit à la carte à condition d’être eux-mêmes âgés de 60 ans ou plus. Les titulaires de cette carte bénéficient de tarifs réduits dans les transports publics, pour l’accès aux activités sociales et culturelles, dans les bibliothèques et les musées.

2.2L’auteur est mariée à Wilhelm Theodor Schmitz, né le 4 mai 1924. M. Schmitz possède un PAS-65. Le 26 février 1993, l’auteur a fait une demande de carte de partenaire. Le 16 mars 1993, la municipalité de Gulpen a refusé de lui en délivrer une au motif qu’elle n’avait pas l’âge requis. L’auteur a fait appel de cette décision mais a été déboutée le 25 mai 1993. Le Conseil d’État a rejeté son recours le 15 août 1996. Elle affirme avoir ainsi épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.D’après l’auteur, le refus de lui délivrer une carte de partenaire constitue une discrimination fondée sur l’âge. Elle mentionne la brochure d’information dans laquelle le Gouvernement explique que ladite carte vise à encourager les retraités à participer plus activement à la vie de la société et que pour renforcer cette participation, ladite carte est également délivrée à leurs partenaires. Étant donné que la différence d’âge moyenne entre les retraités et leur partenaire est de quatre à cinq années, il a été décidé que tous les partenaires âgés de 60 ans révolus auraient droit à cette carte. L’auteur affirme que cette limite d’âge est arbitraire et que l’objet de la carte de partenaire ne justifie pas que seuls les partenaires âgés de 60 ans ou plus puissent obtenir une telle carte.

Observations de l’État partie

4.1Dans deux réponses datées du 16 août 1999 et du 29 février 2000, l’État partie informe le Comité que la carte de partenaire a été supprimée à compter du 1er septembre 1999, la Commission de l’égalité de traitement ayant estimé que les conditions d’attribution de la carte aux partenaires constituaient une discrimination indirecte fondée sur l’état matrimonial. De ce fait la demande de l’auteur n’a plus de raison d’être.

4.2S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle elle est victime d’une discrimination fondée sur l’âge, l’État partie explique que l’âge minimum ouvrant droit pour le partenaire à une carte avait été expressément fixé à 60 ans. Fixer un âge limite inférieur aurait été contraire aux buts visés par la carte de personne âgée auxquels se rattachent les buts de la carte de partenaire. L’État partie fait valoir que les personnes âgées de moins de 60 ans sont trop éloignées du groupe cible pour lequel la carte a été créée. Il rappelle que l’auteur était âgée de 44 ans lorsqu’elle a fait la demande de carte de partenaire. Il invoque également des raisons financières à l’appui de sa décision de limiter l’octroi de cartes de partenaire aux personnes âgées de 60 ans révolus.

Commentaires du conseil

5.Dans ses commentaires, le conseil fait observer que l’auteur a été victime de discrimination au cours des sept années écoulées et que la suppression de la carte de partenaire à compter du 1er septembre 1999 ne change rien à ce fait. En outre, le conseil relève que le fait de ne plus délivrer de nouvelles cartes de partenaire n’a aucune conséquence pour les actuels titulaires d’une telle carte puisqu’ils peuvent la conserver et continuer à l’utiliser. D’après le conseil, si l’auteur s’était vu délivrer une carte lorsqu’elle en a fait la demande, elle pourrait continuer à l’utiliser aujourd’hui. Le conseil affirme qu’étant donné le but de la carte de partenaire– encourager la personne âgée avec qui le partenaire est marié à participer à la vie sociale et culturelle – aucune limite d’âge n’est admissible.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles et que sa communication n’a pas suscité d’objections de la part de l’État partie quant à la recevabilité. Le Comité s’est également assuré que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il déclare donc la communication recevable et passe à l’examen quant au fond.

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2L’auteur affirme être victime d’une discrimination fondée sur l’âge car alors qu’elle avait 44 ans (en 1993) on a refusé de lui délivrer une carte de partenaire de personne âgée, qui n’était délivrée qu’aux partenaires âgés de 60 ans révolus. Le Comité rappelle qu’une distinction ne constitue pas une discrimination si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables. En l’espèce, le Comité estime que la limitation liée à l’âge, consistant à réserver aux partenaires âgés de 60 ans révolus le droit de bénéficier de divers tarifs réduits, en qualité de partenaire d’un retraité de plus de 65 ans, est un critère objectif de différenciation et que l’application de cette différenciation dans le cas de l’auteur n’était pas déraisonnable.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation d’un des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

P.Communication No 857/1999,Blazek et consorts c. République tchèque(constatations adoptées le 12 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Le texte d’une opinion individuelle de M. Nisuke Ando est joint au présent document.

Présentée par :MM. Miroslav Blazek, George A. Hartmanet George Krizek

Au nom de :Les auteurs

État partie :République tchèque

Date de la communication :16 octobre 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué conformément à l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 12 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 857/1999 présentée au Comité par MM. Miroslav Blazek, George A. Hartman et George Krizek en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs des communications (datées des 16 octobre 1997, 13 novembre 1997 et 29 novembre 1997) et de la correspondance qui a suivi sont Miroslav Blazek, George A. Hartman et George Krizek, nés en Tchécoslovaquie, partis aux États-Unis après la prise de pouvoir par les communistes en 1948, naturalisés citoyens américains par la suite. Ils se déclarent victimes de violations par la République tchèque de certains de leurs droits garantis par le Pacte, en particulier l’article 26. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont citoyens des États-Unis par naturalisation; ils sont nés en Tchécoslovaquie et ont perdu la citoyenneté tchécoslovaque en vertu du Traité sur la naturalisation conclu en 1928 entre les États-Unis et la Tchécoslovaquie, qui interdit la double nationalité. Ils ont quitté la Tchécoslovaquie après la prise de pouvoir par les communistes en 1948. Leurs biens en Tchécoslovaquie ont été confisqués en vertu des règlements de confiscation de 1948, 1955 et 1959.

2.2Miroslav Blazek déclare que le fait de ne pas avoir la nationalité tchèque l’empêche de réclamer son héritage qui comprend notamment des biens immobiliers à Prague et une propriété agricole à Plana-nod-Luznici. Il produit la copie d’une lettre de son avocat en République tchèque, qui lui fait savoir qu’il ne peut pas déposer de plainte dans les conditions actuelles puisqu’il ne répond pas au critère de citoyenneté tchèque imposé par le droit applicable. Toutefois, son oncle, qui est citoyen français et tchèque, a soumis une demande en son nom propre et au nom de l’auteur concernant des biens leur appartenant en copropriété à Prague; mais l’État a disjoint les demandes et refusé d’accorder sa part à l’auteur.

2.3George A. Hartman, architecte, est né en 1925 dans ce qui était alors la République tchécoslovaque; il a émigré aux États-Unis le 26 décembre 1948. Il y a obtenu l’asile politique et est devenu citoyen américain le 2 avril 1958, sans avoir la possibilité d’une double nationalité en vertu du Traité sur la naturalisation conclu en 1928 entre les États-Unis et la Tchécoslovaquie. Jusqu’en décembre 1948, George A. Hartman et son frère Jan (qui a par la suite obtenu la nationalité française sans perdre sa nationalité tchèque) possédaient quatre immeubles de rapport à Prague et une maison de campagne à Zelizy.

2.4Dans son jugement du 1er juillet 1955, la cour pénale de Klatovy a jugé que George A. Hartman avait quitté illégalement la Tchécoslovaquie. Elle l’a condamné in absentia et ses biens en Tchécoslovaquie ont été officiellement confisqués à titre de peine pour l’acte illégal ayant consisté à quitter la Tchécoslovaquie en 1948. En vertu de la loi 119/1990 adoptée après la chute du gouvernement communiste, la condamnation pénale que son absence illégale du pays avait valu à l’auteur a été annulée.

2.5Dans une demande datée du 17 octobre 1995, George A. Hartman a réclamé ses biens, mais ses prétentions ont été repoussées parce qu’il ne répondait pas au critère de citoyenneté tchèque. Souhaitant remplir les conditions fixées par la loi sur la restitution, M. Hartman a cherché pendant des années à obtenir la citoyenneté tchèque. Depuis le 9 novembre 1999, il a une double citoyenneté, tchèque et américaine. Malgré sa qualité actuelle de citoyen tchèque, il n’a pas été en mesure d’obtenir restitution parce que la date limite de présentation des demandes de restitution a expiré en 1992.

2.6George Krizek déclare que les biens de ses parents, notamment un commerce de gros (bicyclettes) sis à Prague, une exploitation céréalière et laitière dans les environs de Prague et des terres agricoles à Sestajovice, ont été confisqués en 1948 sans aucune contrepartie. À la mort de ses parents, il a fui la Tchécoslovaquie pour émigrer aux États-Unis, où il a obtenu la citoyenneté par naturalisation en 1974. En avril 1991, il a voulu faire valoir son droit de propriété sur ses biens, conformément à la loi No 403/1990 mais sa demande a été rejetée par le Ministère de l’agriculture. En 1992, il a renouvelé sa demande au titre des lois 228 et 229/1991. Or, il a été informé que pour avoir droit à une restitution, il devait demander la citoyenneté tchèque et s’installer de façon permanente en République tchèque. Il a néanmoins déposé une nouvelle demande par l’entremise de son avocat à Prague, en 1994, sans succès.

2.7Un jugement de la Cour suprême tchèque de 1994 a supprimé le critère de la résidence permanente, mais celui de la citoyenneté tchèque reste en vigueur.

Teneur des plaintes

3.1Les auteurs se déclarent victimes de violations par la République tchèque de certains de leurs droits garantis par le Pacte à la suite de la confiscation de leurs biens par les autorités communistes et en conséquence de l’acte discriminatoire des Gouvernements démocratiques de la Tchécoslovaquie et de la République tchèque consistant à ne pas restituer les biens en question. Ils soutiennent que les effets combinés des lois tchèques 119/1990 (du 23 avril 1990) relative à la réhabilitation judiciaire, 403/1990 (du 2 octobre 1990) relative à la restitution des biens, 87/1991 (du 21 février 1991, amendée ultérieurement) relative à la réhabilitation extrajudiciaire, 229/1991 (du 21 mai 1991) relative aux terres agricoles et 182/1993 (du 16 juin 1993) portant création de la Cour constitutionnelle, ainsi que la position du Gouvernement tchèque en matière de citoyenneté tchèque, sont discriminatoires à l’encontre des émigrés tchèques qui ont perdu la citoyenneté tchèque et qui sont maintenant dans l’impossibilité de recouvrer leur patrimoine.

3.2Les auteurs citent la décision qu’a prise le Comité à propos de la communication 516/1992 (Simunek c. République tchèque), à savoir que le refus de restituer leurs biens aux auteurs de ladite communication ou de les indemniser au motif qu’ils n’étaient plus des citoyens tchèques, était une violation de l’article 26 du Pacte, étant donné que l’État partie lui-même avait été responsable du départ de ses citoyens, et qu’exiger d’eux qu’ils obtiennent une nouvelle fois la citoyenneté tchèque et retournent s’installer en permanence dans le pays avant de leur rendre leurs biens ou de leur verser l’indemnisation voulue, était incompatible avec les dispositions du Pacte.

3.3Les auteurs allèguent que, préférant rester sourdes aux prétentions des émigrés aux États-Unis, les autorités tchèques invoquaient le traité conclu en 1928 entre les États-Unis et la Tchécoslovaquie et exigeaient de quiconque voulait recouvrer sa citoyenneté tchèque qu’il renie d’abord sa citoyenneté américaine. Bien que ce traité ait été abrogé en 1997, les autorités tchèques considèrent que l’acquisition ultérieure de la citoyenneté tchèque n’habilite pas les auteurs à présenter une nouvelle demande de restitution parce que la date limite de présentation des demandes a expiré.

3.4Les auteurs renvoient également à l’affaire de deux autres citoyens américains qui se sont adressés aux tribunaux tchèques pour obtenir la suppression du critère de nationalité du texte de la loi 87/1991. Il se trouve que la Cour suprême tchèque a confirmé dans son arrêt US 33/96 que ce critère n’était pas anticonstitutionnel.

3.5Les auteurs allèguent aussi que l’État partie leur refuse délibérément tout recours et que des atermoiements et des négligences systématiques empêchent leurs demandes d’aboutir, en contravention avec l’article 2 du Pacte.

3.6L’un des auteurs, George A. Hartman, illustre le traitement discriminatoire dont il se plaint en citant le cas de son frère Jan Hartman qui a la citoyenneté tchèque et la citoyenneté française et qui a pu se faire restituer la moitié des biens confisqués en 1948, en exécution d’un jugement du 25 juin 1991, alors que lui-même n’a pu obtenir réparation parce qu’au moment où il a formé sa plainte, il n’était pas citoyen tchèque.

Épuisement des recours internes

4.1.Les auteurs affirment qu’il n’y a dans leurs cas aucun recours interne puisqu’ils ne peuvent se prévaloir de la loi sur la restitution. De plus, la constitutionnalité de cette loi, mise en cause par d’autres plaignants, a été confirmée par la Cour constitutionnelle tchèque. Les auteurs se réfèrent en particulier au jugement rendu par cette juridiction en l’affaire US 33/96 (Jan Dlouhy c. République tchèque, arrêt du 4 juin 1997) qui a confirmé la constitutionnalité du critère de citoyenneté comme condition d’admission au bénéfice de la loi 87/1991 sur la réhabilitation.

4.2Les auteurs se plaignent d’avoir en vain consacré depuis 1989 un temps et des sommes d’argent considérables pour recouvrer leurs biens soit qu’ils aient engagé formellement une action devant les tribunaux, soit qu’ils aient écrit aux ministères et fonctionnaires du Gouvernement, y compris les juges de la Cour constitutionnelle, en invoquant notamment la Charte tchèque des droits et des libertés fondamentales.

Recevabilité et examen quant au fond

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré que la même affaire n’est pas et n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Pour ce qui est de la condition fixée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, selon laquelle les auteurs des plaintes doivent épuiser les recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas contesté l’argumentation des auteurs selon laquelle il n’y aurait dans leur cas aucun recours interne disponible ni utile et qu’ils ne pouvaient réclamer la restitution de leurs biens à cause en particulier des conditions fixées dans la loi 87/1991. Le Comité rappelle à ce propos que d’autres demandeurs ont mis en question, sans succès, la constitutionnalité de cette loi; que les constatations antérieures qu’il a formulées concernant les affaires Simunek et Adam n’ont pas été suivies d’effet et que, même après ces plaintes, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la constitutionnalité de la loi sur la restitution. En l’espèce donc, le Comité juge que cette disposition du Protocole facultatif ne l’empêche pas de recevoir les communications de MM. Blazek, Hartman et Krizek.

5.4Pour ce qui est de la plainte des auteurs qui concerne le traitement inéquitable appliqué par l’État partie dans le régime de restitution et d’indemnisation mis en place après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à son égard, le Comité déclare la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre des articles 2 et 26 du Pacte.

5.5Le Comité en vient donc au fond de l’affaire, à la lumière des informations dont il dispose, comme le veut le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il constate que s’il a reçu suffisamment d’informations des auteurs, l’État partie n’a fait absolument aucun commentaire. Or, aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, cet État est tenu de coopérer avec lui en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

5.6L’État partie n’ayant soumis aucune communication, le Comité doit accorder aux communications des auteurs l’importance qu’elles méritent. Il s’est reporté aussi à ses constatations touchant la communication No 516/1993 de Mme Alina Simunek et consorts et la communication No 586/1994 de Joseph Adam. Pour déterminer si les conditions de restitution ou d’indemnisation sont compatibles avec les dispositions du Pacte, le Comité doit considérer toutes les circonstances de l’espèce, y compris le droit qu’avaient à l’origine les auteurs des communications sur les biens considérés. En l’espèce, les auteurs ont été atteints par l’effet d’exclusion de la condition prévue dans la loi 87/1991, qui exige des requérants qu’ils soient citoyens tchèques. La question que doit trancher le Comité est donc de savoir si ce critère de citoyenneté est compatible avec l’article 26. Il rappelle sur ce point sa jurisprudence, selon laquelle toute différenciation de traitement ne doit pas être considérée comme discriminatoire au titre de l’article 26 du Pacte : une différenciation qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondée sur des motifs raisonnables ne saurait être assimilée à la discrimination interdite par l’article 26.

5.7Bien que le critère de citoyenneté soit un critère objectif, le Comité doit déterminer si, en l’espèce, il peut raisonnablement être appliqué aux auteurs.

5.8Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Alina Simunek c. République tchèque et Joseph Adam c. République tchèque, à savoir qu’il y avait en l’espèce violation de l’article 26 : « les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui-même est responsable [de leur] départ …, il serait incompatible avec le Pacte d’exiger [d’eux] … qu’ils obtiennent la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [leurs] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée (CCPR/C/57/D/586/1994, par. 12.6) ». Le Comité estime que le précédent établi dans l’affaire Adam s’applique aux auteurs de la présente communication. Il tient à ajouter qu’il ne saurait concevoir que la distinction opérée à l’encontre des auteurs au motif de la citoyenneté puisse être considérée comme raisonnable, attendu que la perte de la citoyenneté tchèque était la conséquence de leur présence dans un État où ils avaient pu obtenir le statut de réfugié.

5.9En outre, si l’existence d’une date limite peut constituer dans l’abstrait un critère objectif, voire raisonnable, le Comité ne saurait accepter qu’une telle date limite pour la présentation des demandes de restitution s’applique dans le cas des auteurs puisque, aux termes de la loi, ils étaient d’emblée expressément exclus du dispositif de restitution.

Constatations du Comité

6.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 en ce qui concerne MM. Blazek, Hartman et Krizek.

7.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution ou d’indemnisation. D’autre part, le Comité l’engage à réviser la législation et la pratique administrative en vigueur dans ce domaine afin de s’assurer que ni les textes ni la manière dont ils sont appliqués n’ont un caractère discriminatoire qui contreviendrait à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité rappelle, comme il l’a fait dans ses constatations dans les affaires Alina Simunek et Joseph Adam, qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie.

9.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de traduire en tchèque et de rendre publiques lesdites constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je renvoie à mon opinion individuelle jointe aux constatations du Comité des droits de l’homme concernant la communication No 586/1994 : Adam c. République tchèque.

(Signé) Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Q.Communication No 858/1999, Buckle c. Nouvelle-Zélande (constatations adoptées le 25 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Abdallah Zakhia.

Présentée par :Mme Margaret Buckle

Au nom de :L’auteur

État partie :Nouvelle-Zélande

Date de la communication :21 septembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 858/1999 présentée par Mme Margaret Buckle en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Margaret Buckle, qui a la double nationalité britannique et néo-zélandaise. Elle se déclare victime de violations par la Nouvelle-Zélande des articles 17, 18, 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a six enfants (âgés à l’époque de 1 à 8 ans) qui lui ont été retirés en 1994 parce qu’elle était, selon la décision du juge, incapable de s’occuper d’eux comme il convient.

2.2En août 1997, l’auteur s’est pourvue devant la cour d’appel pour attaquer la décision du tribunal des affaires familiales qui lui avait retiré la garde de ses enfants. Le 25 février 1998, la cour d’appel a confirmé la décision de la première juridiction. L’auteur a demandé une autorisation de former recours auprès du Conseil privé, ce qui lui a été refusé en février 1998. Mme Buckle s’est malgré tout rendue au Royaume-Uni et a obtenu une audience en mai 1998 devant la section judiciaire du Conseil privé. Sa demande n’a pas abouti.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la décision de lui retirer la garde de ses six enfants est contraire aux articles 17 et 23 du Pacte, car elle constitue une immixtion illégitime dans l’exercice de ses droits en tant que mère. Elle considère que, quelles que soient les conditions dans lesquelles ses enfants vivaient quand ils étaient avec elle, elle a le droit, en tant que mère, de les avoir avec elle et qu’aucun motif ne peut justifier qu’ils lui soient retirés.

3.2L’auteur affirme que les autorités ont commis une immixtion arbitraire dans sa vie et lui ont retiré ses enfants parce qu’elle est une adepte du mouvement des « new-born Christians » et que la décision de lui retirer les enfants constitue par conséquent une violation de l’article 18 du Pacte.

3.3L’auteur ajoute qu’il y a également violation de l’article 24 du Pacte à l’égard de ses six enfants qui sont privés du droit d’être élevés par leur mère naturelle.

Arguments de l’État partie concernant la recevabilitéet le fond de la communication

4.1Dans ses observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond, en date du 29 octobre 1999, l’État partie relève que les recours internes ont été épuisés.

4.2Il objecte toutefois que la communication est irrecevable parce que les allégations de violation des articles 17, 18, 23 et 24 du Pacte n’ont pas été étayées. Pour ce qui est de l’article 24, l’État partie fait valoir de surcroît que l’auteur ne représente pas ses enfants et n’a pas expliqué en quoi leurs droits pouvaient avoir été violés.

4.3L’État partie estime que les allégations de l’auteur sont vagues et imprécises. Pour ce qui est des articles 17, 18 et 23, l’État partie objecte que l’auteur n’indique pas avec assez de précision en quoi consistent les violations. Les allégations sont rédigées en termes si généraux qu’il n’est pas possible de se faire une idée de leur bien-fondé. Aucun élément à l’appui de ces griefs n’est apporté et la plainte repose sur les seules affirmations de l’auteur. Selon l’État partie, les documents fournis indiquent que la procédure à l’issue de laquelle les enfants ont été retirés à l’auteur a été menée dans le respect de la loi, l’autorité judiciaire ayant fait preuve de toute la circonspection voulue. Aucune des allégations ne peut valablement être défendue faute d’être suffisamment étayée.

4.4À propos des allégations de violation de l’article 24, l’État partie objecte que la plainte est irrecevable étant donné que l’article 24 confère des droits à des sujets autres que l’auteur elle-même et que celle-ci n’a pas envoyé sa communication au nom des autres sujets et n’avait pas eu l’intention de le faire. La communication est rédigée du seul point de vue de la mère et dénonce des violations de ses propres droits. On ne peut pas non plus dire que la communication soit adressée au nom des enfants. Si le paragraphe 1 b) de l’article 90 du Règlement intérieur autorise la présentation d’une communication au nom d’une victime présumée sans autorisation expresse quand il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication, cette procédure vise le cas où la communication aurait été faite au nom des enfants, à leur égard et de leur point de vue. Or ici l’auteur ne se préoccupe que de ses propres droits et ne présente pas de griefs au nom des enfants pour dénoncer une violation des droits, selon la procédure prévue au paragraphe 1 b) de l’article 90 du Règlement intérieur du Comité. De surcroît, contrairement aux dispositions de cet article, l’auteur ne montre pas en quoi il est impossible à ses enfants de présenter eux-mêmes la plainte.

5.1En ce qui concerne le fond, l’État partie fait valoir que si l’auteur fait un certain nombre de références à la religion dans la communication, elle ne précise pas en quoi son droit à la liberté de religion a pu être violé, d’une façon générale ou à raison des faits spécifiques partiellement décrits. Le seul fait qu’un individu a des convictions religieuses ne signifie pas, en l’absence de la moindre précision, qu’une violation d’un autre droit constitue également une violation du droit à la liberté de religion. En conséquence, pour l’État partie l’auteur n’a pas démontré en quoi l’article 18 pourrait être invoqué et en quoi il pourrait avoir été enfreint.

5.2De l’avis de l’État partie, l’article 23 est une garantie institutionnelle pour la cellule familiale en tant que telle. Alors que l’article 17 prévoit des garanties contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la famille, l’article 23 a un objectif différent et fait aux États parties l’obligation de reconnaître la cellule familiale en tant qu’élément fondamental de la société et de lui accorder la reconnaissance légale nécessaire. En droit néo-zélandais, la cellule familiale est largement reconnue et il existe tout un ensemble de dispositions régissant les droits et les obligations de la famille et de leurs membres dans une gamme étendue de domaines, allant de l’éducation aux prestations financières, à la prise en charge des enfants et aux conséquences de la séparation et du divorce. L’auteur n’a montré en aucune manière en quoi la législation néo-zélandaise était lacunaire relativement à cette obligation institutionnelle générale.

5.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17, l’État partie reconnaît qu’une mesure de retrait de la garde pourrait constituer une immixtion dans la vie de famille; toutefois, en l’espèce, les mesures prises n’étaient ni illégales ni arbitraires et le but de l’intervention était légitime au sens du Pacte, en particulier au regard de l’article 24. L’État partie fait valoir que dans le cas d’espèce, le retrait de la garde des enfants a été décidé dans le strict respect de la loi. Premièrement, des efforts ont été faits pour aider cette famille sans faire intervenir la justice. Des travailleurs sociaux ont rencontré de façon informelle la famille pour régler la question des enfants, conformément à la volonté d’intervenir le moins possible et à l’objectif qui est de responsabiliser les familles. Il avait été décidé de renforcer le réseau extérieur d’appui à la famille, de multiplier les contacts des personnels de santé et des travailleurs sociaux avec les enfants et de chercher à obtenir plus régulièrement davantage de renseignements en retour. Quand il est devenu évident que ces mesures ne suffisaient pas compte tenu de l’incapacité croissante de l’auteur de s’occuper de ses enfants, un conseil de famille a été réuni. Le conseil de famille, qui se composait de huit personnes membres de la famille, a décidé de recommander au tribunal de demander le placement de la plupart des enfants auprès de membres de la famille. Malheureusement, l’état de l’auteur ne s’est pas amélioré et la décision de placer les enfants a été confirmée à l’issue de chaque examen périodique obligatoire de la situation et après le recours déposé par l’auteur contre les décisions du tribunal.

5.4L’État partie fait valoir que l’intervention n’avait rien d’arbitraire mais avait été décidée et exécutée après qu’il eut été établi que cette mesure « était justifiée par un but qui semblait légitime au regard du Pacte dans son ensemble et que l’application de la loi ne pouvait aboutir qu’à cette mesure et, en particulier, qu’elle était raisonnable (proportionnée) par rapport au but à atteindre ».

5.5L’État partie note que, selon la loi de 1989 relative aux enfants, aux jeunes et à leur famille, d’une façon générale aucune intervention ne peut avoir lieu sans notification préalable ou de façon impromptue. Un conseil de famille qui étudie avec la famille toutes les possibilités est convoqué avant qu’une déclaration de justice soit faite, et c’est ce qui s’est passé en l’espèce. Le seuil d’intervention à partir duquel la juridiction peut faire une déclaration est défini à l’article 14 de la loi, comme suit :

« L’enfant ou le jeune a besoin d’assistance ou de protection ... si : a) l’enfant ou le jeune est ou risque d’être victime d’une atteinte (physique, affective ou sexuelle), de mauvais traitements, d’agression ou de privation grave; b) le développement de l’enfant ou du jeune ou son bien-être physique, psychique ou affectif est ou risque d’être entravé ou négligé et que cette atteinte ou cette négligence est ou risque d’être grave et évitable; ou

f)Les parents ou les tuteurs ou toute autre personne s’occupant de l’enfant ou du jeune ne veulent pas ou ne peuvent pas s’occuper de lui. »

5.6L’État partie fait valoir que les termes employés ont, certes, un caractère général, mais qu’ils ne sauraient être plus spécifiques ou précis compte tenu de la diversité des situations qu’ils doivent refléter. La législation néo-zélandaise prévoit toute une série de garanties qui peuvent s’appliquer avant même qu’une déclaration soit faite et comprennent plusieurs mécanismes de recours et de réexamen des décisions. Parmi ces garanties figurent le droit d’être entendu dans le cadre d’une demande de placement aux fins de protection, le réexamen périodique des dispositions en matière de garde et le droit de demander le réexamen d’une décision. De plus, la loi relative aux enfants, aux jeunes et à leur famille garantit que l’immixtion dans la vie de famille sera proportionnelle au but recherché. L’action judiciaire n’est enclenchée qu’en dernier recours, si le tribunal est convaincu qu’il n’est pas possible ou approprié d’assurer par aucun autre moyen la garde ou la protection de l’enfant ou de l’adolescent. Pour décider de l’opportunité d’une décision, le tribunal se fonde sur le principe selon lequel la cellule familiale doit être responsabilisée de façon à prendre les décisions appropriées et un enfant ou un adolescent ne doit être retiré à son père ou à sa mère qu’en dernier recours. Le bien-être et les intérêts de l’enfant doivent être la considération primordiale.

5.7L’État partie affirme que le tribunal, en faisant en octobre 1992 une déclaration établissant que les enfants avaient besoin de soins et de protection, donnait effet aux conclusions auxquelles la famille et les travailleurs sociaux étaient parvenus devant le conseil de famille. Les deux aînées ont été placées chez leurs grands-parents maternels et une fille dans le foyer de sa tante maternelle. Les autres enfants ont été placés dans des familles d’accueil habitant près de la mère. L’auteur a conservé ses droits de garde, lesquels devaient être exercés en corrélation avec les droits de garde conférés aux familles d’accueil. Cette situation s’est modifiée en décembre 1997 lorsque, à la suite du jugement rendu par la Haute Cour le 18 août 1997, les enfants ont été placés sous la tutelle exclusive du Directeur général de la protection sociale, ce qui a suspendu dans les faits les droits de garde de l’auteur. Bien que ses droits de garde eussent été suspendus, l’auteur conservait le droit de rendre visite à ses enfants sous réserve d’entreprendre une thérapie de soutien, ce qu’elle a refusé de faire. L’appel du jugement de la Haute Cour introduit par l’auteur a été rejeté le 25 février 1998. L’État partie estime que l’auteur a pleinement utilisé les mécanismes existants pour faire réexaminer la situation de ses enfants exposée précédemment. À aucun moment toutefois, elle n’a présenté, ou fait présenter en son nom, des éléments qui auraient montré que sa capacité d’élever ses enfants avait suffisamment évolué pour qu’elle puisse en recouvrer la garde. De fait, les éléments du dossier tendaient à prouver l’inverse, à savoir qu’une décision de restitution des enfants à l’auteur aurait été contraire à l’intérêt supérieur de ces derniers, traumatisante et préjudiciable. Dix-huit témoins ont été entendus durant la principale audience de la Haute Cour, en août 1997.

5.8L’État partie soutient en outre que l’auteur avait tout loisir d’aider les experts et le tribunal à évaluer plus justement sa capacité d’être le parent auquel les enfants doivent être confiés, mais qu’elle a refusé de coopérer d’une quelconque façon. L’État partie fait valoir que l’intervention était nécessaire et raisonnable et que l’application des garanties prévues a permis que la mesure soit proportionnelle.

6.L’auteur a informé le secrétariat qu’elle n’avait rien à ajouter aux observations de l’État partie. Elle réaffirme que les droits qui lui sont garantis par le Pacte ont été violés.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Pour ce qui est du critère de l’épuisement des recours internes, l’État partie reconnaît que maintenant que la section judiciaire du Conseil privé a débouté l’auteur, tous les recours internes ont bien été épuisés aux fins du Protocole facultatif.

7.3Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme être victime d’une violation de l’article 18 du Pacte en ce qui concerne la liberté de religion parce que, d’après elle, la raison pour laquelle on lui a retiré ses enfants est qu’elle est adepte du mouvement des « new-born Christians », le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur sont recevables et procède à leur examen quant au fond, à la lumière de toutes les informations portées à sa connaissance par les parties, selon les dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.1En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle l’article 17 du Pacte aurait été violé, le Comité prend note des renseignements communiqués par l’État partie et des nombreuses procédures suivies dans cette affaire. En particulier il note que le placement des enfants fait l’objet d’un examen périodique et que l’auteur a eu la possibilité de voir ses enfants. Il constate en l’espèce que l’immixtion dans la famille de l’auteur n’avait rien d’illicite ni d’arbitraire et qu’il n’y a donc pas violation de l’article 17 du Pacte.

9.2L’auteur invoque aussi l’article 23 du Pacte. Le Comité reconnaît que la décision de séparer une mère de ses enfants est une décision grave, mais il note que les autorités compétentes et les tribunaux de l’État partie ont examiné soigneusement tous les éléments dont ils disposaient et qu’ils ont agi dans l’intérêt supérieur des enfants, et que rien n’indique qu’ils aient manqué à leur devoir de protéger la famille en vertu de l’article 23.

9.3En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 24 du Pacte, le Comité estime que les questions que soulèvent les arguments de l’auteur et les renseignements dont il dispose n’appellent pas de constatations autres que celles qui sont énoncées ci-dessus.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

R.Communication No 869/1999, Piandiong et consorts c. Philippines (constatations adoptées le 19 octobre 2000,soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Abdallah Zakhia.

Le texte de trois opinions individuelles signées par quatre membres du Comité est joint au présent document.

Présentée par :M. Alexander Padillaet M. Ricardo III Sunga (conseil)

Au nom de :M. Dante Piandiong, M. Jesus Moralloset M. Archie Bulan (décédés)

État partie :Philippines

Date de la communication :15 juin 1999

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 octobre 2000,

Ayant achevé l’examen de la communication No 869/1999 présentée par M. Alexander Padilla et M. Ricardo III Sunga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Alexander Padilla et Ricardo III Sunga. Ils présentent la communication en leur qualité de conseil de M. Dante Piandiong, M. Jesus Morallos et M. Archie Bulan, qu’ils disent être victimes de la part des Philippines de violations des articles 6, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

1.2Le 7 novembre 1994, MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont été accusés de vol avec homicide et condamnés à mort par le Tribunal régional de première instance de Caloocan. Le recours formé devant la Cour suprême a été rejeté et la condamnation et la peine ont été confirmées dans un arrêt de ladite Cour suprême du 19 février 1997. D’autres demandes en révision ont été rejetées le 3 mars 1998. Alors que l’exécution était prévue pour le 6 avril 1999, la Présidence leur a accordé le 5 avril 1999 un sursis de trois mois. Mais la grâce n’ayant pas été accordée, le conseil a présenté une communication au Comité au titre du Protocole facultatif le 15 juin 1999.

1.3Le 23 juin 1999, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a transmis la communication à l’État partie en lui demandant de lui soumettre des explications et des observations portant sur la recevabilité et sur le fond de la communication conformément au paragraphe 2 de l’article 91 de son règlement intérieur. Il a également demandé à l’État partie, en vertu de l’article 86 du Règlement intérieur, de surseoir à l’exécution de la peine capitale prononcée contre MM. Piandiong, Morallos et Bulan, pendant qu’il procédait à l’examen de la communication les concernant.

1.4Le 7 juillet 1999, le conseil a fait savoir au Comité qu’un ordre avait été délivré en vue de l’exécution de MM. Piandiong, Morallos et Bulan le 8 juillet 1999. Après avoir pris contact avec le représentant de l’État partie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, le Comité a appris que les exécutions auraient lieu comme prévu, en dépit de sa demande au titre de l’article 86, car l’État partie estimait que MM. Piandiong, Morallos et Bulan avaient fait l’objet d’un procès équitable.

1.5Le conseil de MM. Piandiong, Morallos et Bulan a saisi la Cour suprême d’une demande d’injonction qui a été rejetée le 8 juillet 1999. Il a également rencontré personnellement le Ministre de la justice, auquel il a demandé de suspendre l’exécution de la peine selon la demande du Comité. Malgré cela, dans l’après-midi du 8 juillet 1999, MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont été exécutés par injection d’un produit mortel.

1.6Dans une décision du 14 juillet 1999, le Comité a demandé à l’État partie de lui donner des précisions sur les circonstances qui ont entouré les exécutions. Le 21 juillet 1999, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et le Vice-Président du Comité ont rencontré le représentant de l’État partie.

Teneur de la plainte

2.1Le conseil indique que MM. Piandiong et Morallos ont été arrêtés le 27 février 1994, soupçonnés d’avoir participé au vol à main armée survenu à Caloocan le 21 février 1994, au cours duquel les passagers d’un taxi collectif avaient été dévalisés et l’un des passagers, un policier, avait été tué. À leur arrivée au poste de police, MM. Piandiong et Morallos ont été frappés de coups dans le ventre mais ont refusé de passer aux aveux. Au cours d’un tapissage, les témoins oculaires ne les ont pas reconnus comme étant les voleurs. La police les a alors mis à l’écart dans une pièce et a enjoint aux témoins de les identifier. Il n’y avait pas d’avocat pour assister les suspects. Pendant le procès, MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont déposé sous serment, mais le juge a décidé d’ignorer leur déposition parce qu’aucun témoignage neutre ne venait la corroborer.

2.2Le conseil fait valoir en outre que la peine capitale a été prononcée à tort : en effet, le juge a considéré que le fait que le crime avait été commis par plus de trois personnes armées était une circonstance aggravante. Or, d’après le conseil, ce fait n’a pas pu être prouvé de manière convaincante. En outre, le conseil estime que le juge aurait dû considérer comme une circonstance atténuante le fait qu’ils s’étaient rendus volontairement, puisqu’ils avaient suivi les policiers sans opposer de résistance.

2.3Le conseil ajoute que l’on ne pouvait pas prêter foi aux dépositions des témoins oculaires, qui étaient des amis proches de la personne assassinée et dont la description des auteurs du crime ne correspondait pas à l’apparence de MM. Piandiong, Morallos et Bulan. Il estime en outre que le juge a commis une faute en ne retenant pas l’alibi des prévenus.

2.4Enfin, le conseil fait valoir que la peine de mort était contraire à la Constitution et n’aurait dû être imposée que pour le crime le plus odieux.

Observations de l’État partie

3.1Dans ses observations du 13 octobre 1999, l’État partie précise qu’avec la décision de la Cour suprême du 3 mars 1998 rejetant les demandes en révision supplémentaires, tous les recours internes étaient épuisés. Les condamnés et leur conseil auraient pu présenter une communication au Comité des droits de l’homme à cette date. Au lieu de cela, ils ont introduit un recours en grâce. Le 6 avril 1999, le Président leur a accordé un sursis de 90 jours pour examiner le recours en grâce. La demande a été examinée par la Commission des grâces présidentielles composée du Ministre de la justice, du Secrétaire exécutif et de l’avocat principal du Président. Après avoir étudié l’affaire avec soin, le Comité n’a trouvé aucune raison impérieuse de recommander au Président d’user du droit de grâce. L’État partie indique que le droit de grâce ne permet pas au Président de réformer ou d’annuler la décision de la Cour suprême. La grâce suppose que la décision de la Cour suprême est valable et que le Président ne fait qu’user de son droit en la matière. Selon l’État partie, en s’en remettant au Président, les condamnés acceptaient la décision de la Cour suprême. L’État partie fait valoir qu’il était parfaitement inopportun, dans ces conditions, qu’ils s’adressent ensuite au Comité des droits de l’homme pour tenter d’obtenir réparation.

3.2L’État partie précise que le Président exerce le droit de grâce que lui confère la Constitution s’il est avéré que c’est la misère qui a poussé les condamnés à commettre un crime. Selon lui, il n’en était pas ainsi pour le crime pour lequel MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont été condamnés. À cet égard, l’État partie renvoie à l’arrêt de la Cour suprême qui a estimé qu’avoir tiré sur le policier dans la jeep, l’avoir dévalisé ensuite, et avoir encore tiré sur lui alors qu’il demandait à être amené à l’hôpital constituent des actes brutaux et cruels qui requièrent la peine de mort.

3.3À propos de l’allégation de torture, l’État partie relève qu’elle n’était pas comprise dans les motifs du pourvoi formé devant la Cour suprême, qui n’a donc pas examiné la question. Il précise que la Cour suprême prend très au sérieux les accusations de torture et de mauvais traitements et qu’elle aurait annulé le jugement du tribunal si des preuves avaient été apportées.

3.4Quant à l’allégation relative à l’absence d’un avocat, l’État partie relève que les accusés ont été assistés d’un avocat pendant le procès en première instance et en appel. Pour ce qui est du droit à la vie, l’État partie fait observer que la Cour suprême s’est prononcée sur la constitutionnalité de la peine capitale et des méthodes d’exécution, qu’elle a jugées conformes à la Constitution.

3.5À propos de la demande de mesures conservatoires adressée par le conseil au Comité, l’État partie fait observer que celui-ci n’a pas jugé nécessaire de s’adresser au Comité pendant toute l’année que ses clients ont passé dans le quartier des condamnés à mort après avoir épuisé tous les recours internes. Alors que le Président avait accordé un sursis de 90 jours, le conseil a attendu le dernier moment pour présenter une communication au Comité. L’État partie considère que le conseil tourne ainsi en dérision la justice philippine et la Constitution.

3.6L’État partie assure le Comité de son attachement au Pacte et déclare qu’il n’avait pas l’intention de tromper les espoirs du Comité. À cet égard, il indique au Comité que, pour favoriser l’examen des demandes en grâce adressées au Président, un nouvel organe a été créé, la « Commission présidentielle d’examen en conscience des affaires concernant des condamnés à mort en attente d’exécution ». Cette commission, qui est présidée par le Secrétaire exécutif, se compose des membres suivants : un spécialiste des sciences sociales, un représentant d’une organisation non gouvernementale engagée dans la lutte contre le crime, et deux représentants de communautés religieuses. Le Comité a une double fonction : procéder à l’examen des affaires concernant des condamnés à mort en tenant compte de préoccupations humanitaires et des exigences de la justice sociale, et présenter une recommandation au Président touchant l’exercice de son droit d’accorder un sursis, une commutation de peine ou la grâce.

Observations du conseil

4.1Le conseil fait valoir que MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont estimé que la demande en grâce était un recours interne qu’ils devaient exercer avant de présenter une communication au Comité des droits de l’homme. Il estime qu’il n’était donc pas inapproprié pour eux d’attendre pour agir de voir qu’il était clair que le Président n’accorderait pas sa clémence. À l’argument de l’État partie selon lequel le Président ne pouvait pas accorder sa grâce parce qu’on ne pouvait pas considérer que le crime était dû à la misère, il répond que MM. Piandiong, Morallos et Bulan contestaient le fait même d’être considérés comme les auteurs présumés du crime.

4.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la torture n’était pas dans les motifs de l’appel, le conseil fait valoir que MM. Piandiong, Morallos et Bulan ont déclaré sous serment au cours du procès qu’ils étaient victimes de mauvais traitements, et que la question a été portée devant la Cour suprême dans le pourvoi en révision supplémentaire. Selon le conseil, les mauvais traitements trahissaient la faiblesse des faits à charge car, si ceux-ci avaient été solides, il n’aurait pas été nécessaire de recourir à de mauvais traitements. En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle la Cour suprême prend au sérieux les allégations de torture, le conseil fait valoir qu’il ne semble pas que ce soit le cas puisque ladite Cour suprême n’y a pas donné suite en l’espèce.

4.3À propos de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les accusés ont bénéficié des services d’un représentant légal, le conseil relève que cela n’a été le cas qu’à partir de l’ouverture du procès. Avant le procès, au moment crucial du tapissage, aucun conseil n’était présent.

4.4Quant à l’argument de l’État partie selon lequel la Cour suprême a considéré que la peine de mort et la méthode d’exécution étaient conformes à la Constitution, le conseil considère que l’arrêt de la Cour suprême mérite d’être annulé.

4.5À propos de la demande de mesures provisoires adressée au Comité, le conseil réaffirme qu’il a attendu pour présenter une communication au Comité que tous les recours internes, y compris la demande en grâce, aient été épuisés. Il ajoute que l’on peut difficilement prendre au sérieux la déclaration de l’État partie concernant sa fidélité au Pacte face à l’exécution brutale de MM. Piandiong, Morallos et Bulan à laquelle il a été procédé en dépit de la demande visant à y surseoir émanant du Comité.

Inobservation par l’État partie de la demande d’adoption de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 86 du Règlement intérieur

5.1Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations.

5.2Indépendamment donc d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, les auteurs déclarent que les victimes présumées ont été l’objet de violation de leurs droits en vertu des articles 6 et 14 du Pacte. Une fois qu’il a été informé de la communication, l’État partie contrevient à ses obligations en vertu du Protocole facultatif s’il procède à l’exécution des victimes présumées avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations et les communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l’État partie d’agir ainsi après que le Comité lui a demandé, en application de l’article 86 du Règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.

5.3Le Comité se déclare par ailleurs extrêmement préoccupé par les explications avancées par l’État partie pour justifier sa décision. Il ne saurait accepter l’argument de l’État partie selon lequel la présentation d’une communication au Comité des droits de l’homme par le conseil était inopportune, sachant qu’une demande en grâce avait été présentée et qu’elle avait été rejetée. Rien dans le Protocole facultatif ne limite le droit d’une personne qui se déclare victime d’une violation des droits énoncés dans le Pacte de présenter une communication après qu’une demande en grâce a été rejetée et l’État partie ne peut pas imposer unilatéralement une condition restreignant ainsi la compétence du Comité et le droit des victimes présumées de présenter des communications. De plus, l’État partie n’a pas démontré que s’il avait accédé à la demande de mesures provisoires du Comité, la justice n’aurait pas pu suivre son cours.

5.4L’adoption de mesures provisoires en application de l’article 86 du Règlement intérieur conformément à l’article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme l’exécution d’une victime présumée ou son expulsion, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte assurée par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’État partie n’a pas élevé d’objection à la recevabilité de la communication. Le Comité n’a pas connaissance d’obstacles quels qu’ils soient à la recevabilité de la communication; il la déclare donc recevable et procède sans attendre à l’examen quant au fond.

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements écrits communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le conseil a fait valoir que l’identification de MM. Piandiong et Morallos au cours du tapissage ne s’était pas faite selon les règles, puisque la première fois aucun des témoins ne les avait reconnus, après quoi ils avaient été mis à l’écart dans une pièce et les policiers avaient obligé les témoins à les reconnaître. Le tribunal avait rejeté cette allégation comme n’étant corroborée par aucun témoin neutre et fiable. Il avait considéré en outre que les accusés avaient été identifiés par les témoins lors de l’audience et que cette forme d’identification était suffisante. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il appartient généralement aux tribunaux des États parties, et non au Comité, d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Cette règle s’applique aussi à la question de la légalité et de la crédibilité de l’identification. En outre, lorsqu’elle a examiné l’argument relatif à l’irrégularité de l’identification par tapissage, la cour d’appel a considéré que l’identification de l’accusé au cours du procès avait été fondée sur la confrontation des témoins à l’audience et que l’identification par tapissage n’avait pas à être prise en compte. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’on ne peut pas soutenir que l’identification des accusés s’est déroulée d’une façon contraire aux droits garantis à l’article 14 du Pacte.

7.3Pour ce qui est des autres allégations, relatives aux mauvais traitements infligés aux suspects au moment de l’arrestation, aux preuves retenues contre eux et à la crédibilité des témoins oculaires, le Comité relève que toutes ont été présentées aux tribunaux de l’État partie, qui les ont rejetées. Le Comité rappelle qu’il appartient aux tribunaux des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, et d’interpréter la législation nationale applicable. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que les instructions du juge aient été arbitraires ou aient constitué un déni de justice. En conséquence, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du Pacte à cet égard.

7.4Le Comité a noté que le conseil de MM. Piandiong, Morallos et Bulan avait fait valoir que l’imposition de la peine capitale représentait une violation de la Constitution des Philippines. S’il n’appartient pas au Comité d’examiner des aspects relatifs à la constitutionnalité, la teneur de la plainte semble soulever des questions importantes au sujet de la condamnation à mort de MM. Piandiong, Morallos et Bulan, car il faut se demander si le crime dont ils ont été reconnus coupables pouvait entrer dans la catégorie des « crimes les plus graves », selon les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte et si le rétablissement de la peine capitale aux Philippines est compatible avec les obligations de l’État partie en vertu des paragraphes 1, 2 et 6 de l’article 6 du Pacte. En l’espèce toutefois, le Comité n’est pas en mesure d’examiner ces questions étant donné que ni le conseil des auteurs ni l’État partie ne les a évoquées.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclut qu’il ne peut pas constater de violation de l’un quelconque des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il réaffirme que l’État partie a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution des victimes présumées avant que le Comité n’ait achevé l’examen de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de Mme Christine Chanet(exprimant son désaccord partiel)

Je me dissocie de l’opinion du Comité sur le seul point relatif à la constatation d’une non-violation de l’article 14 du Pacte.

En effet, j’estime que s’agissant d’une infraction criminelle pour laquelle la peine capitale est encourue, la présence d’un avocat à tous les stades de la procédure doit être obligatoire, que l’intéressé le demande ou non, et que l’acte d’instruction accompli soit ou non retenu à titre de preuve par la juridiction de jugement.

L’État partie n’ayant pas doté les intéressés d’un avocat, notamment pour la procédure d’identification par tapissage, il convenait, de mon point de vue, de relever une violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 ainsi que de l’article 6 du Pacte.

(Signé) Christine Chanet

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Opinion individuelle de Mmes Elizabeth Evattet Cecilia Medina Quiroga (exprimant leur désaccord partiel)

Nous n’approuvons pas les conclusions du Comité concernant les vices présumés de la procédure d’identification par tapissage. L’auteur a formulé des allégations qui jettent un doute sur la régularité de la procédure, considérant en particulier que celle-ci a eu lieu en l’absence d’un avocat. Le tribunal s’est référé à ces allégations, mais les a rejetées en déclarant qu’il n’était pas tenu de se fonder sur l’identification par tapissage et que les problèmes éventuels suscités à cet égard avaient été résolus lors de l’identification des auteurs par des témoins au cours du procès. Toutefois, l’identification des accusés devant le tribunal par des témoins qui avaient participé à la procédure présumée viciée d’identification par tapissage n’élimine pas en elle-même les vices qui avaient entaché la procédure précédente d’identification des accusés par ces mêmes témoins. Le tribunal n’a avancé aucun autre motif de rejet des allégations et, en conséquence, les doutes soulevés par l’auteur subsistent et doivent être dûment pris en compte. C’est pourquoi de graves questions restent posées quant à l’équité du procès, ce qui, à notre avis, représente une violation du paragraphe 1 de l’article 14.

(Signé) Elizabeth Evatt(Signé) Cecilia Medina Quiroga

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Opinion individuelle de M. Martin Scheinin(exprimant son désaccord partiel)

Je m’associe pleinement à la principale conclusion du Comité dans l’affaire à l’étude, à savoir que l’État partie a enfreint ses obligations en vertu du Protocole facultatif en exécutant les trois personnes au nom desquelles la communication a été présentée, alors que leur affaire était toujours en cours d’examen devant le Comité, ne faisant ainsi aucun cas de la demande formulée en vertu de l’article 86 et dûment communiquée. Je partage également l’opinion selon laquelle les questions concernant le rétablissement de la peine capitale après son abolition et la question de savoir si les crimes en question pouvaient être considérés comme des crimes « les plus graves » au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, n’ont pas fait l’objet d’une argumentation suffisante pour permettre au Comité de conclure à une violation de l’article 6 à ce titre.

La question sur laquelle je suis en désaccord est celle du refus de l’assistance d’un avocat. À mon avis, le fait que l’auteur de la communication a suffisamment étayé son allégation selon laquelle les trois accusés n’ont pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat avant le début du procès lui-même a constitué une violation de l’article 14 et, en conséquence, de l’article 6 du Pacte. Bien que cette allégation soit distincte de l’allégation relative à l’identification concernant deux des accusés, l’importance de la présence d’un avocat dès le début de la procédure ressort à l’évidence de la manière dont les tribunaux ont traité de la question de l’identification lorsque celle-ci leur a été finalement soumise.

Comme le Comité l’a souligné lors de plusieurs affaires précédentes, il va de soi en vertu du Pacte que les personnes risquant la peine capitale doivent être assistées d’un avocat à toutes les étapes de la procédure (voir, par exemple, Conroy Levy c. Jamaïque, communication No 179/1996, et Clarence Marshall c. Jamaïque, communication No 730/1996). Les victimes présumées ont été maintenues en détention pendant six à huit mois avant de passer en jugement. Que les étapes de l’enquête menée avant l’ouverture du procès soient considérées comme faisant partie d’une procédure judiciaire ou non judiciaire et que les accusés aient ou non demandé explicitement la présence d’un avocat, il reste que l’État partie était dans l’obligation d’assurer à ces derniers les services d’un avocat au cours de cette période. La non-fourniture de tels services dans une affaire qui a débouché sur l’imposition de la peine capitale constitue une violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 et, en conséquence, de l’article 6 du Pacte.

(Signé) Martin Scheinin

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

S.Communication No 884/1999, Ignatane c. Lettonie(constatations adoptées le 25 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :Mme Antonina Ignatane(représentée par un conseil, Mme Tatyana Zhdanok)

Au nom de :L’auteur

État partie :Lettonie

Date de la communication :17 mai 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 884/1999 présentée par Mme Antonina Ignatane en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Antonina Ignatane, citoyenne lettone d’origine russe, exerçant la profession d’enseignante, née le 21 février 1943 à Riga. Elle affirme être victime de violations par la Lettonie des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour la Lettonie le 14 juillet 1992, et le Protocole facultatif le 22 septembre 1994.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Au moment des faits, Mme Ignatane était enseignante à Riga. En 1993, elle avait passé un examen de connaissance de la langue lettone devant une commission d’attestation, à l’issue duquel on lui a délivré un certificat d’aptitude linguistique, faisant valoir que sa maîtrise de la langue correspondait aux critères établis pour la connaissance du niveau 3 (supérieur).

2.2En 1997, l’auteur était candidate aux élections locales qui devaient avoir lieu le 9 mars 1997, inscrite sur la liste du Mouvement pour la justice sociale et l’égalité des droits en Lettonie. Le 11 février 1997, par décision de la Commission électorale de la ville de Riga, Mme Ignatane a été radiée de sa liste, en raison d’un avis du Centre de la langue nationale (CLN), faisant valoir la maîtrise insuffisante de la langue officielle par la candidate.

2.3Le 17 février 1997, l’auteur a déposé une plainte devant le Tribunal central de district contre cet acte de la Commission électorale, l’estimant illégal. Le Tribunal a transmis d’office l’affaire au Tribunal de première instance de Riga, qui a débouté l’auteur de sa demande le 25 février 1997. L’arrêt est entré en vigueur à la date de son prononcé.

2.4Le 4 mars 1997, Mme Ignatane a déposé une requête contre le jugement du 25 février auprès du Président de la Chambre civile de la Cour suprême de la Lettonie. Ce dernier a refusé de donner suite à sa demande, par une lettre datée du 8 avril 1997.

2.5Le 4 mars 1997, l’auteur a également saisi le Procureur. Le bureau du Procureur a examiné la demande et le 22 avril 1997 a déclaré qu’il n’y avait pas de raisons pour donner suite à la plainte, que l’arrêt en cause avait été pris dans le respect de la loi et n’était pas contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.6L’auteur a présenté au Comité la traduction des articles 9, 17 et 22 de la loi électorale du 13 janvier 1994, relative aux élections des conseils de ville, district, etc. Dans l’article 9 de ladite loi sont énumérées les catégories de personnes qui ne peuvent pas se présenter aux élections locales. Le paragraphe 7 du même article prévoit que les personnes qui n’ont pas l’aptitude linguistique requise pour le niveau 3 (supérieur) de connaissance de la langue officielle ne peuvent pas être candidates. L’article 17 de la même loi dispose que si une personne, qui n’est pas diplômée d’une école où l’enseignement s’est déroulé en langue lettone, se présente aux élections, une copie de son certificat d’aptitude linguistique du niveau 3 (supérieur) de connaissance de la langue officielle devrait être jointe à sa candidature. Le conseil de l’auteur explique à cet effet que la copie du certificat était exigée pour que le CLN puisse procéder à une vérification de son authenticité et non pas de sa validité.

2.7L’article 22 prévoit que la Commission électorale qui a enregistré une liste de candidats est seule compétente pour la modifier, et ce uniquement :

« 1)en rayant un candidat de ladite liste si : …

b)les restrictions de l’article 9 de la présente loi s’appliquent au candidat, …, et que dans les cas prévus au paragraphe 1 a), b) et c) du présent article, un candidat peut être rayé de la liste sur la base de l’avis de l’institution compétente ou d’une décision de tribunal.

Le fait qu’un candidat : …

8)ne remplit pas les exigences correspondant au niveau 3 (supérieur) d’aptitude linguistique de la langue officielle, doit être certifié par un avis du CLN. »

2.8Enfin, Mme Ignatane rappelle que, suivant les déclarations du CLN lors du procès, des plaintes relatives à ses aptitudes en letton avaient été reçues par la commission d’attestation au Ministère de l’éducation. Or, explique l’auteur, c’est précisément ce ministère qui avait été impliqué en 1996 dans le conflit très médiatisé autour de la fermeture de l’école secondaire No 9 de Riga, dont elle était la directrice. L’enseignement dans cette école était dispensé en langue russe et sa fermeture avait eu un impact très négatif au sein de la minorité russe en Lettonie.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme qu’en la privant de la possibilité de se présenter aux élections locales, la Lettonie a violé les articles 2 et 25 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 28 avril 2000, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il objecte que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui sont ouvertes.

4.2Il fait également observer que l’auteur n’a pas contesté les conclusions du CLN, selon lesquelles ses capacités en letton ne seraient pas conformes au niveau requis pour être candidat aux élections (niveau 3). L’auteur aurait contesté uniquement la légalité de l’acte par lequel la Commission électorale l’avait rayée de la liste de candidats. Or, l’État partie estime que les procédures devant le Tribunal sont légales et motivées et en pleine conformité avec la législation nationale, en particulier avec l’article 9, paragraphe 7, et l’article 22, paragraphe 8, de la loi sur les élections de conseils de ville et de district.

4.3L’État partie estime que les dispositions de ladite loi sont conformes aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment en ce qui concerne l’Observation générale No 25 du Comité des droits de l’homme relative à l’article 25, suivant laquelle « toutes les conditions s’appliquant à l’exercice des droits protégés par l’article 25 devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables ». Selon l’État partie, la participation à la conduite des affaires publiques exige un haut niveau de maîtrise de la langue officielle, et cette condition préalable est raisonnable et basée sur des critères objectifs, déterminés par les règlements sur la certification d’aptitude à la langue officielle. Suivant ces règlements, indique l’État partie, le niveau 3 de maîtrise de la langue officielle est requis pour plusieurs catégories de personnes, y compris les représentants élus. Le niveau le plus haut (niveau 3) démontre que la personne est capable de parler couramment la langue officielle, de comprendre des textes choisis au hasard et de rédiger des textes dans la langue officielle, en relation avec ses fonctions officielles.

4.4L’État partie indique qu’en ce qui concerne l’état réel de la maîtrise de la langue de la requérante, il ressortait clairement de l’arrêt de la Cour que, s’il y avait des contestations relatives à la maîtrise de la langue nationale, on procédait à un examen dans le but d’établir si les capacités réelles correspondaient au degré attesté par le certificat. En ce qui concerne le cas d’espèce, l’État partie déclare que des plaintes ont été reçues par le Ministère de l’éducation et de la science, mettant en cause la connaissance du letton par la requérante, sans toutefois développer la question ou en apporter la preuve. Le 5 février 1997, il a été procédé à un examen, qui a fait apparaître que ses connaissances linguistiques ne correspondaient pas aux exigences pour le niveau 3. Ensuite le Tribunal s’est référé à des preuves matérielles (la copie de l’examen corrigée), qui avaient été présentées par le CLN pour appuyer ses conclusions quant à l’aptitude en letton de Mme Ignatane.

4.5Les conclusions de l’examen ont servi de base pour rayer le nom de la requérante de la liste de candidats aux élections et ceci était conforme à la loi en vigueur. La légalité de cette action avait été confirmée successivement par la Cour suprême et le bureau du Procureur.

4.6Concernant la contradiction alléguée entre le certificat de la requérante et les conclusions du CLN, l’État partie note que ces dernières ne portent que sur la question de l’éligibilité de la candidate et en aucun cas n’impliquent l’invalidation automatique du certificat, ni ne pourraient servir de base pour réviser sa convenance, sauf si sa détentrice en décidait autrement.

4.7L’État partie estime que l’auteur aurait pu intenter deux autres actions. La première : Mme Ignatane aurait pu demander un nouvel examen linguistique, comme indiqué par le CLN durant le procès. Cet examen aurait eu pour finalité de vérifier la convenance du certificat en possession de Mme Ignatane. La seconde possibilité : l’auteur aurait pu intenter une action judiciaire, en invoquant la discordance entre son certificat et les conclusions du CLN, concernant son éligibilité, ce qui amènerait la Cour à demander un nouvel examen pour vérifier l’authenticité du certificat.

4.8Étant donné qu’aucune de ces actions n’a été intentée par l’auteur, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu épuisement des voies de recours internes. L’État partie rejette également l’allégation de discrimination à l’égard de l’auteur en raison de ses convictions politiques, étant donné que toutes les autres personnes inscrites sur la même liste ont été maintenues comme candidates aux élections.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires, datés du 22 septembre 2000, le conseil reprend l’argument de l’État partie selon lequel Mme Ignatane n’a pas mis en cause la conclusion du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas au niveau maximal, mais a contesté la légalité de la décision de la Commission électorale de la rayer de la liste de candidats. Le conseil admet que Mme Ignatane a certes contesté la légalité de la décision de la Commission électorale, mais que cette décision a été prise exclusivement sur la base de la conclusion du CLN que son niveau en letton ne correspondait pas au niveau de connaissance maximal. En conséquence, déclare le conseil, l’auteur a contesté la légalité de la décision de la Commission électorale de rayer son nom de la liste des candidats car elle avait été prise sur la base de la conclusion du CLN.

5.2Le conseil attire l’attention sur les mots utilisés par l’État partie : « le niveau 3 requis (le plus haut) pour pouvoir être candidat aux élections », auxquels on pourrait donner une mauvaise interprétation. Selon le conseil, il n’existe pas en droit électoral letton de dispositions relatives à un niveau particulier de connaissance de la langue officielle qui soit exigé uniquement dans le cadre électoral, mais c’est uniquement dans les règlements sur la certification de la connaissance de la langue officielle pour l’emploi que sont indiqués les trois niveaux exigés pour divers postes et professions, et le certificat d’aptitude linguistique de premier, second et troisième niveau de connaissance de la langue officielle correspondant est de portée générale.

5.3En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle la loi électorale en cause est compatible avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme le prévoit l’Observation générale sur l’article 25, le conseil déclare que les dispositions limitatives de l’article 9, paragraphe 7, et l’article 22, paragraphe 8, de ladite loi ne se basent pas sur des critères objectifs et raisonnables, comme l’Observation générale du Comité des droits de l’homme sur la non-discrimination l’exige.

5.4L’article 9, paragraphe 7, de ladite loi prévoit que les personnes dont la connaissance de la langue officielle ne correspond pas au niveau maximal requis (troisième) ne peuvent pas se présenter comme candidates aux élections aux conseils locaux et ne doivent pas être élues aux conseils. Selon l’article 22, paragraphe 8, un candidat peut être rayé de la liste si ses connaissances linguistiques ne correspondent pas au niveau exigé (niveau 3) de connaissance de la langue officielle, après avis rendu par le CLN. Le conseil déclare qu’en pratique cette disposition se prête à un nombre d’interprétations pratiquement infini et ouvre la voie à des décisions complètement discrétionnaires et arbitraires.

5.5Le conseil reprend ensuite l’argument de l’État partie selon lequel on procède à un examen des connaissances linguistiques d’un candidat aux élections, dans les cas où des plaintes ont été reçues à son sujet. S’il n’y a pas eu de plaintes, le CLN devrait soumettre un avis sur tous les candidats, consistant en une vérification de l’authenticité de la copie du certificat d’aptitude en letton de chacun d’eux. Le conseil affirme qu’une déclaration non fondée sur l’existence des plaintes contre un candidat et les résultats de l’examen subséquent, conduit par un seul examinateur, qui est inspecteur principal à l’Inspectorat de la langue officielle, ne peuvent pas être qualifiés de critères objectifs. Les pleins pouvoirs attribués à l’inspecteur principal sont démesurés compte tenu des conséquences qu’ils ont, à savoir la disqualification d’un candidat aux élections. Une telle méthode de vérification de la connaissance de la langue officielle permet au besoin de disqualifier tous les candidats représentant une minorité.

5.6Le conseil décrit ensuite les conditions dans lesquelles l’examen s’est déroulé. Mme Ignatane était occupée dans le cadre de son travail à donner un cours d’allemand à des élèves lorsque ce cours a été interrompu, et elle a été priée de faire un exercice écrit en letton. L’examen a été conduit par une inspectrice, en présence de deux témoins qui étaient des enseignants employés par la même école. Le conseil estime qu’étant donné les circonstances, la présence de quelques fautes d’orthographe et d’autres erreurs, qui ont servi de preuve des capacités limitées de l’auteur en letton, ne devrait pas être prise en compte.

5.7En outre, concernant l’affirmation de l’État partie selon laquelle la participation à la conduite des affaires publiques exige un haut niveau de maîtrise de la langue officielle, et cette condition préliminaire est raisonnable et répond à des critères objectifs énoncés dans les règlements sur la certification de l’aptitude linguistique dans la langue officielle, le conseil indique que ladite condition préliminaire pour être candidat aux élections locales est déraisonnable. Il n’y aurait pas d’autres conditions préliminaires à remplir par les candidats en général, notamment en ce qui concerne leur niveau d’instruction, leurs compétences professionnelles, etc. Le fait que la seule condition préalable soit la maîtrise du letton signifie, selon le conseil, que les droits d’élire et d’être élu ne sont pas respectés et garantis à tous les individus sans distinction fondée sur la langue. Le conseil affirme que le letton n’est pas la langue maternelle d’environ 40% de la population de la Lettonie.

5.8Selon le conseil, la condition préliminaire de la maîtrise du letton pour participer aux élections locales ne repose pas sur des critères objectifs. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’auteur est d’avis que les critères établis dans les règlements sur la certification de l’aptitude linguistique dans la langue officielle ne sont pas objectifs. Simplement, ces critères ne sont pas pris en considération, ajoute-t-il, quand on dispose (dans le paragraphe 8 de l’article 22 de la loi) qu’un candidat peut être rayé de sa liste s’il ne remplit pas les exigences correspondant au niveau 3 (supérieur) d’aptitude en letton et que ceci devrait être certifié par avis du CLN. Les règlements sur la certification de l’aptitude dans la langue officielle prévoient, selon le conseil, que l’aptitude linguistique doit être certifiée par une commission d’attestation spéciale, composée d’au moins cinq spécialistes de la langue. Les règlements décrivent en détail le processus d’examen et d’attestation, ce qui assure son objectivité et sa crédibilité. Les certificats de niveau 1, 2 ou 3 délivrés ont une durée de validité illimitée. L’article 17 de la loi prévoit que les candidats, qui n’ont pas obtenu de diplôme d’études secondaires dans un établissement où l’enseignement est dispensé en letton, doivent présenter une copie de leur certificat de niveau 3 à la Commission électorale. Dans le cas d’espèce, l’auteur a présenté une telle copie à la Commission électorale de Riga. Or, l’avis du CLN, fondé sur le résultat d’un examen ad hoc conduit par un seul inspecteur, à la suite de plaintes qu’aurait reçues le Ministère de l’éducation, n’est pas compatible, selon le conseil, avec les exigences des règlements sur l’attestation de l’aptitude dans la langue officielle. D’ailleurs, continue-t-il, l’État partie reconnaît que l’avis du CLN concerne exclusivement la question de l’éligibilité et en aucun cas n’implique l’invalidation automatique du certificat, ni ne peut servir de base à un examen de l’authenticité de ce dernier.

5.9Enfin, le conseil revient sur l’affirmation de l’État partie selon laquelle tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Il rappelle que le jugement rendu le 25 février 1997, confirmant la décision du 11 février 1997 de la Commission électorale de Riga, était définitif et entrait en vigueur au moment de son prononcé. La procédure spéciale de recours qui existe contre de telles décisions est bien la procédure que l’auteur a suivie.

5.10Le conseil poursuit en indiquant que les recours doivent être non seulement adéquats et suffisants, mais devraient également permettre en pratique le rétablissement de la situation contestée. Le recours exercé par l’auteur – la procédure spéciale de recours contre la décision de la Commission électorale – était le seul qui aurait pu lui permettre d’obtenir gain de cause, c’est-à-dire l’autoriser à se présenter aux élections au Conseil de la ville de Riga en 1997, en réinscrivant son nom sur la liste électorale.

5.11D’après le conseil, l’État partie se contredit en disant d’une part qu’il ne peut pas admettre que les recours internes aient été épuisés étant donné qu’aucune des deux voies de recours disponibles pour vérifier l’authenticité du certificat de l’auteur n’a été utilisée et, d’autre part, que, d’après la communication, l’auteur conteste la légalité de la décision de la rayer de la liste de candidats, sans remettre en cause les conclusions du CLN que son niveau en letton ne correspond pas au niveau 3 requis. En tout état de cause, chacune des deux procédures mentionnées par l’État partie pour vérifier l’authenticité du certificat de l’auteur dure plusieurs mois au moins, ce qui n’aurait pas permis à l’auteur de se présenter aux élections de 1997. À cet égard, le conseil rappelle que la décision d’éliminer l’auteur a été prise 26 jours avant les élections. Le manque de temps excluait toute possibilité pour l’auteur de se prévaloir ultérieurement d’une autre voie de recours.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes, étant donné que l’auteur n’a pas contesté l’acte par lequel le CLN avait conclu que sa connaissance de la langue officielle ne correspondait pas au niveau requis, mais a contesté la décision de la Commission électorale de la rayer de la liste des candidats. Le Comité ne peut pas suivre le raisonnement de l’État partie selon lequel ceci montrait que l’auteur n’avait pas épuisé les voies de recours disponibles, car à ce moment-là, l’auteur était en possession d’un certificat valide et légalement établi attestant sa connaissance de la langue officielle au niveau requis, ce que d’ailleurs l’État partie ne conteste pas.

6.3Le Comité note également les arguments du conseil qui affirme que les recours énumérés par l’État partie ne sont pas des recours utiles et que l’État partie n’a ni apporté la preuve que lesdits recours sont utiles, ni même contesté ces arguments. Il tient compte également de la remarque du conseil selon laquelle, de toute manière, les procédures de recours énumérées par l’État partie durent plusieurs mois et leur épuisement n’aurait pas permis à l’auteur de se présenter aux élections. Le Comité constate que les commentaires du conseil ont été portés à l’attention de l’État partie, mais que celui-ci n’a pas répondu. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne fait obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et décide de procéder à son examen au fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’État partie a violé les droits que les articles 2 et 25 confèrent à l’auteur en n’autorisant pas celle-ci à être candidate aux élections locales tenues en mars 1997.

7.3L’État partie estime que la participation à la conduite des affaires publiques exige une très bonne connaissance de la langue officielle de l’État partie et que la condition d’ordre linguistique à remplir pour pouvoir être candidat aux élections est par conséquent raisonnable et objective. Le Comité note que l’article 25 du Pacte garantit à tout citoyen le droit et la possibilité d’être élu, au cours d’élections périodiques et honnêtes, sans discrimination fondée sur aucun des motifs énoncés à l’article 2, y compris la langue.

7.4Le Comité note que, dans le cas présent, la décision d’un seul inspecteur prise quelques jours avant les élections, et qui allait à l’encontre de ce qui avait été attesté quelques années auparavant par le certificat d’aptitude délivré pour une durée illimitée par une commission d’experts spécialisés dans la langue lettone, a été suffisante pour servir de base à la décision de la Commission électorale, par laquelle l’auteur a été rayée de la liste de candidats aux élections municipales. Il constate que l’État partie ne conteste pas la validité dudit certificat pour son utilisation professionnelle par l’auteur, mais qu’il oppose les résultats de l’examen de l’inspecteur en ce qui concerne la question de l’éligibilité de l’auteur. Le Comité relève également que l’État partie n’a pas contesté la déclaration du conseil selon laquelle le droit letton n’envisage pas de niveaux distincts de maîtrise de la langue officielle pour se présenter aux élections, mais qu’on applique les niveaux établis et certifiés dans d’autres cas. Le résultat du réexamen a abouti à empêcher l’auteur d’exercer son droit de participer à la vie publique, conformément à l’article 25 du Pacte. Le Comité note que le premier examen de 1993 avait été conduit dans le respect des formes et avait été évalué par cinq experts, alors que le réexamen de 1997 a été conduit de façon ad hoc et évalué par une seule personne. Le fait d’annuler la candidature de l’auteur, par suite du réexamen qui n’a pas été basé sur des critères objectifs et pour lequel l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’il était procéduralement correct, n’est pas compatible avec les obligations de l’État partie en vertu de l’article 25 du Pacte.

7.5Le Comité conclut que Mme Ignatane a subi un préjudice réel en étant empêchée de se présenter aux élections locales dans la ville de Riga en 1997, parce qu’elle avait été rayée de la liste des candidats au motif que sa connaissance de la langue officielle était insuffisante. Le Comité des droits de l’homme considère que l’auteur est victime d’une violation de l’article 25 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à Mme Ignatane un recours utile. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

T.Communication No 930/2000, Winata c. Australie(constatations adoptées le 26 juillet 2001,soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Conformément à l’article 85 du Règlement intérieur, M. Ivan Shearer n’a pas pris part à l’examen de la communication.

Le texte d’une opinion dissidente signée de MM. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Ahmed Tawfik Khalil, David Kretzmer et Max Yalden est joint au présent document.

Présentée par :M. Hendrick Winata et Mme Li So Lan(représentés par un conseil, Anne O’Donoghue)

Au nom de :Les auteurs et leur fils, Barry Winata

État partie :Australie

Date de la communication :11 mai 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication No 930/2000 présentée par M. Hendrick Winata et Mme Li So Lan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, qui est datée du 4 mai 2000, sont Hendrick Winata, né le 9 novembre 1954, et So Lan Li, née le 8 décembre 1957, tous deux anciennement de nationalité indonésienne mais actuellement apatrides, agissant aussi au nom de leur fils Barry Winata, né le 2 juin 1988 et de nationalité australienne. Les auteurs allèguent que l’expulsion des parents d’Australie vers l’Indonésie, qui est envisagée, constituerait une violation par l’État partie de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1M. Winata et Mme Li sont arrivés en Australie le 24 août 1985 et le 6 février 1987 respectivement, porteurs lui d’un visa de touriste, elle d’un visa d’étudiant. Après expiration des visas, le 9 septembre 1985 et le 30 juin 1988 respectivement, ils sont tous deux restés illégalement en Australie. C’est dans ce pays que M. Winata et Mme Li se sont rencontrés et qu’ils ont engagé une relation de fait assimilable à un mariage, dont ils ont un fils de 13 ans, Barry, né en Australie le 2 juin 1988.

2.2Le 2 juin 1998, Barry a acquis la citoyenneté australienne de par sa naissance et sa résidence de dix ans dans le pays. Le 3 juin 1998, M. Winata et Mme Li ont présenté au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles une demande conjointe de visa de protection, fondée essentiellement sur l’allégation qu’ils allaient être persécutés en Indonésie à cause de leur origine chinoise et de leur religion catholique. Le 26 juin 1998, le représentant du Ministre leur a refusé le visa de protection.

2.3Le 15 octobre 1998, le représentant à Jakarta de M. Winata et de Mme Li a introduit auprès de l’ambassade d’Australie une demande d’immigration dans ce pays, au titre d’un « visa parental de la sous-classe 103 ». L’une des conditions d’obtention de ce type de visa (il en est délivré actuellement 500 par an) est que l’intéressé se trouve en dehors de l’Australie au moment de la délivrance. Selon l’avocat, M. Winata et Mme Li devraient vraisemblablement attendre plusieurs années avant de pouvoir retourner en Australie avec un visa parental.

2.4Le 25 janvier 2000, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Tribunal pour les réfugiés), a confirmé la décision du Département de ne pas délivrer un visa de protection. Le Tribunal, appréciant la qualité de réfugiés des auteurs uniquement au regard de l’article 1 A(2) de la Convention relative au statut des réfugiés (modifiée) a jugé que, même si M. Winata et Mme Li avaient perdu leur nationalité indonésienne à cause de leur longue absence d’Indonésie, ils n’auraient guère de mal à la recouvrer. Le Tribunal a considéré d’autre part, d’après les informations récentes en provenance d’Indonésie, qu’il n’était sans doute pas impossible d’être entraîné dans un conflit racial et religieux dans ce pays, mais que les perspectives s’amélioraient et qu’en l’espèce la probabilité de persécutions était très faible. Plus particulièrement, le Tribunal a jugé que sa tâche se limitait à l’examen du droit qu’avaient les réfugiés à un visa de protection et qu’il ne pouvait pas prendre en compte la considération plus générale que constituait la vie de famille en Australie.

2.5Suivant l’avis juridique qui leur a été donné – selon lequel une demande de contrôle judiciaire de la légalité de la décision du Tribunal n’avait aucune chance d’aboutir –, M. Winata et Mme Li se sont abstenus de faire appel de la décision. Le délai obligatoire et non prorogeable de 28 jours de dépôt de l’appel étant déjà écoulé, M. Winata et Mme Li ne peuvent plus utiliser cette voie de recours.

2.6Le 20 mars 2000, M. Winata et Mme Li se sont adressés au Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles pour lui demander d’exercer en leur faveur, pour des raisons de nécessité et d’humanité, son pouvoir d’appréciation non exécutoire. Dans cette demande, appuyée notamment sur les articles 17 et 23 du Pacte, les auteurs évoquaient des « considérations humanitaires pressantes, telles qu’un préjudice irréparable et des souffrances durables qui seraient infligés à une famille australienne s’il n’en était pas tenu compte ». Était jointe à la demande une expertise psychiatrique de deux pages et demie sur les auteurs et sur les conséquences éventuelles de leur expulsion vers l’Indonésie. Le 6 mai 2000, le Ministre a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs allèguent que leur expulsion vers l’Indonésie violerait les droits que garantissent à tous les trois l’article 17, le paragraphe 1 de l’article 23 et le paragraphe 1 de l’article 24.

3.2Pour ce qui est du droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa famille (art. 17), les auteurs soutiennent que les ménages de facto sont admis en droit australien, y compris par les règlements d’immigration, et qu’il ne fait aucun doute que leurs relations seraient reconnues à ce titre par les tribunaux australiens. Leurs relations avec Barry seraient également reconnues par l’Australie comme étant des relations « de famille ». Ils déclarent que l’expertise psychiatrique montre clairement que leur vie de famille est intense et réelle.

3.3Les auteurs affirment qu’une expulsion ayant pour effet de séparer un enfant des parents qui en ont la charge, comme cela se produirait si Barry devait rester en Australie, est une « immixtion » dans l’unité familiale. Tout en reconnaissant que l’expulsion de M. Winata et de Mme Li est légale en droit interne puisqu’elle répond à la loi sur l’immigration, les auteurs citent l’Observation générale No 16 du Comité, selon laquelle toute immixtion doit aussi être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, et raisonnable eu égard aux circonstances particulières.

3.4Les auteurs déclarent que, s’ils sont expulsés, la seule façon d’éviter leur séparation d’avec Barry consiste à emmener celui-ci avec eux et à le réinstaller en Indonésie. Ils affirment cependant que Barry est totalement intégré dans la société australienne, qu’il ne parle ni indonésien ni chinois et qu’il n’a aucun lien culturel avec l’Indonésie puisqu’il a passé toute sa vie en Australie. Selon l’expertise psychologique, « Barry est un garçon multiculturel, sino-australien du centre de Sydney-Ouest, qui présente ce que cette culture et cette sous-culture ont de meilleur, qui serait complètement perdu et courrait un risque considérable si on le projetait ainsi en Indonésie ». D’un autre côté, il serait impensable et gravement préjudiciable de briser la cellule familiale et de laisser Barry seul à la dérive en Australie, s’il devait y demeurer et si ses parents devaient retourner en Indonésie. Dans l’un et l’autre cas, disent les auteurs, l’expulsion serait arbitraire et contraire à la raison.

3.5Pour arriver à cette conclusion, les auteurs se réfèrent à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, lorsqu’elle a à interpréter l’article 8 de la Convention européenne, analogue à l’article dont il est question ici, le fait en général de façon restrictive à l’égard de ceux qui cherchent à entrer sur le territoire d’un État aux fins d’y « fonder une famille », mais de façon plus libérale quand il s’agit de familles déjà formées qui se trouvent sur le territoire de l’État. Les auteurs invitent instamment le Comité à adopter le même point de vue, tout en ajoutant que le droit consacré à l’article 17 du Pacte est plus fort que celui que vise l’article 8 de la Convention européenne puisqu’il n’est subordonné à aucune condition et que le droit à une vie de famille est d’ordre supérieur, sans que lui soit opposable le droit qu’a l’État d’intervenir dans les affaires de famille.

3.6Pour ce qui est des articles 23 et 24, les auteurs ne développent pas d’argumentation particulière, se contentant de faire observer que l’article 23 est libellé en termes plus vigoureux que l’article 12 de la Convention européenne, et que l’article 24 traite expressément de la protection des droits de l’enfant, en tant que tel ou en tant que membre d’une famille.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie affirme que les plaintes des auteurs sont irrecevables parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, parce qu’elles sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et (en partie) parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées.4.2Pour ce qui est du non-épuisement des recours internes, l’État partie explique que trois voies de recours restent utilement ouvertes aux auteurs. D’abord, ceux-ci n’ont pas demandé, comme le prévoyait pourtant la loi sur les migrations, le contrôle par la Cour fédérale (avec les appels éventuels interjetés par la suite) de la légalité de la décision du 25 janvier 2000 du Tribunal pour les réfugiés. Bien que les délais de présentation de cette requête soient maintenant écoulés, l’État partie rappelle la décision prise par le Comité en l’affaire N.S. c. Canada, à savoir que le non-exercice d’un recours dans les délais prescrits signifie que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. Ensuite, les auteurs auraient pu demander dans le cadre d’un recours constitutionnel le contrôle judiciaire de la décision par la Haute Cour, qui aurait pu donner pour instructions au Tribunal pour les réfugiés de reconsidérer l’affaire en droit s’il était établi qu’il y avait eu erreur sur un point de droit. L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le simple fait de douter du succès d’un recours n’exonère pas l’auteur de l’obligation de l’exercer. Puisqu’on ne dispose pas de l’avis juridique donné aux auteurs, selon lequel une demande de contrôle judiciaire n’avait aucune chance d’aboutir, on ne peut pas considérer que les auteurs aient démontré de façon convaincante que les recours offerts n’auraient pas été utiles.

4.3Enfin, l’État partie fait observer que les auteurs ont demandé des visas parentaux. Ils auront à quitter le pays pour attendre l’émission des visas et s’intégrer à la liste d’attente des autres requérants, mais cela ne devrait pas durer indéfiniment. Barry pourrait vivre avec les auteurs en Indonésie en attendant les visas, ou poursuivre sa scolarité en Australie.

4.4Du point de vue de la compatibilité des plaintes avec les dispositions du Pacte, l’État partie fait valoir que les allégations à l’examen ne peuvent être mises en correspondance avec aucun des droits reconnus par le Pacte. Selon lui, celui-ci consacre au paragraphe 1 de l’article 12 et à l’article 13 le droit qu’ont les États parties de réglementer l’entrée des étrangers sur leur territoire. Si les auteurs sont expulsés d’Australie, c’est parce qu’ils y sont restés illégalement après que leurs visas ont expiré. Le Pacte ne garantit pas aux auteurs le droit de rester en Australie ou d’y fonder une famille après y avoir résidé illégalement en connaissance de cause.

4.5Pour ce qui est du manque d’éléments étayant les allégations, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas donné assez de preuves du bien-fondé de leurs griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24. Ils prétendent simplement que l’État partie enfreindrait ces dispositions s’il les expulsait, mais sans donner aucune précision sur cette allégation. L’État partie dit que la communication ne fait pas apparaître clairement la nature des griefs, ni les liens qu’il y aurait entre eux et les pièces produites pour les soutenir. Ces pièces et l’argumentation fournies portent uniquement sur l’article 17.

4.6Pour ce qui est du fond de l’allégation de violation de l’article 17, l’État partie fait valoir d’abord la manière dont il comprend l’étendue du droit que cet article consacre. À la différence de la disposition correspondante de la Convention européenne, l’article 17 n’est pas limité aux mesures « nécessaires » pour atteindre des objectifs fixés : plus souple, il prévoit que ces mesures doivent être simplement raisonnables et non arbitraires eu égard à l’objectif, lui-même légitime au regard du Pacte. L’État partie se réfère aux travaux préparatoires du Pacte, d’où il ressort clairement que l’intention est de ne pas inutilement limiter les États parties dans leur action par une disposition énumérant les exceptions à l’article 17 et de laisser aux États la faculté de déterminer eux-mêmes la manière de donner effet à ce principe.

4.7En l’espèce, l’État partie, qui ne s’oppose pas à ce que les auteurs soient reconnus comme « famille », affirme que leur expulsion ne serait pas une « immixtion » dans leur famille et que, de toute manière, elle ne serait ni arbitraire ni déraisonnable dans les circonstances.

4.8 Pour ce qui est de l’« immixtion », l’État partie répond que si les auteurs sont expulsés, il ne fera rien pour empêcher Barry de partir avec eux vivre en Indonésie, où ils pourraient tous continuer de vivre ensemble. Rien ne donne à penser qu’ils ne pourront pas y mener une vie de famille et le Tribunal pour les réfugiés a jugé que les auteurs ne courraient aucun danger de persécution. Les études de Barry seraient certes perturbées dans cette hypothèse, mais l’État partie soutient que cela ne revient pas à une « immixtion […] dans la famille ». Il fait observer qu’il est courant que des enfants de tous âges suivent leurs parents quand ceux-ci se réinstallent dans un nouveau pays pour une raison quelconque.

4.9L’État partie note que Barry n’a pas d’autres parents en Australie que son père et sa mère, alors qu’il compte en Indonésie un bon nombre de parents proches avec lesquels les auteurs ont gardé des relations, ce qui ne peut qu’être favorable à la vie de famille pour Barry. Selon l’État partie donc, le Pacte devrait être interprété comme la Convention européenne, non pas comme garantissant la vie de famille dans tel ou tel pays, mais comme garantissant simplement une vie de famille effective, quel qu’en soit le lieu.

4.10Si au contraire Barry devait rester en Australie, ses parents pourraient lui rendre visite et, de toute manière, rester en relations avec lui. C’est la situation de pensionnat que beaucoup d’enfants connaissent et cette séparation physique ne signifie certainement pas la dissolution de la cellule familiale. En tout état de cause, le choix de l’une ou l’autre option appartient exclusivement aux parents, il n’est pas la conséquence des actes de l’État partie et ne représente donc pas une « immixtion ». De plus, quelle que soit la décision qui sera prise, l’État partie ne fera rien pour empêcher les relations familiales de se poursuivre et de se développer.

4.11Même si l’on devait considérer que l’expulsion des parents était une immixtion, l’État partie fait valoir que ce ne serait pas une mesure arbitraire. Les auteurs sont venus en Australie porteurs de visas de courte durée, en sachant très bien qu’ils auraient à quitter le pays à l’expiration de ces visas. Leur expulsion sera l’aboutissement de leur situation de titulaires de visas expirés – qui, comme ils le savaient, ne les autorisaient qu’à un séjour temporaire –et de résidents illégaux pendant plus de dix ans. Les lois qui prescrivent l’expulsion dans de telles conditions sont bien établies et d’application générale. Le régime de l’expulsion n’est ni capricieux ni imprévisible; il est un moyen raisonnable, et raisonnablement proportionné, de maîtriser les migrations, objectif légitime selon le Pacte.

4.12En l’espèce, les auteurs savaient quand Barry est né qu’ils risquaient de ne pas pouvoir rester en Australie et y élever leur fils. Il n’est pas établi que des obstacles réels s’opposent à la fondation d’une famille en Indonésie et les intéressés recouvreront leur nationalité indonésienne s’ils le demandent. Les auteurs ont fait toutes leurs études en Indonésie, ils parlent, lisent et écrivent l’indonésien, ils ont travaillé en Indonésie. Ils seront en mesure d’élever Barry dans un pays dont ils connaissent bien la langue et la culture, auprès d’autres membres de leur famille. Barry comprend suffisamment l’indonésien, et la barrière linguistique, s’il en rencontre une, sera un inconvénient mineur qu’il surmontera d’autant mieux qu’il est jeune. Il ne serait pas non plus impensable que les auteurs choisissent de laisser Barry en Australie, où il pourrait rester en relations avec eux et aurait le bénéfice de toutes les mesures de soutien prévues pour les enfants séparés de leurs parents.

4.13Le caractère raisonnable de l’expulsion est également attesté par le fait que les demandes de visa de protection des auteurs ont été jugées au regard des faits et à la lumière de la loi fixant un régime objectif généralement applicable et répondant aux obligations internationales de l’Australie, et que ce jugement a été confirmé en appel. Le moment venu, les demandes de visa parental seront présentées dans les règles, et il est raisonnable que ces demandes soient examinées avec celles des autres requérants.

4.14L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité, qui a conclu qu’une expulsion ne violait pas l’article 17 (ni l’article 23) lorsque l’intéressé avait déjà des parents dans l’État d’accueil. D’ailleurs, une considération particulièrement importante consiste à savoir si les personnes dont il s’agit pouvaient avoir l’espoir légitime de poursuivre leur vie de famille dans le territoire de l’État concerné. Les décisions de la Cour européenne confirment cette distinction entre les familles qui résident légalement dans un État et celles qui y sont en situation irrégulière.

4.15Dans l’affaire Boughanemi c. France par exemple, la Cour européenne a jugé l’expulsion compatible avec l’article 8 dans le cas d’une personne qui résidait en France illégalement et qui y avait même une famille établie. De la même façon, dans l’affaire Cruz Vara c. Suède, la Cour a jugé que l’expulsion d’immigrants illégaux était compatible avec l’article 8; même chose pour l’affaire Bouchelka c. France, alors que le requérant était retourné en France illégalement après son expulsion et y avait fondé une famille (il avait même eu une fille) : la Cour a établi que sa deuxième expulsion ne constituait pas une violation de l’article 8. À l’inverse, dans l’affaire Berrehab c. Pays-Bas, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation parce que le père d’un jeune enfant avait été expulsé du pays où cet enfant avait vécu avec son père qui y avait résidé légalement pendant plusieurs années.

4.16L’État partie soutient donc que l’installation illégale d’une famille dans un État est une circonstance qui justifie largement le fait que cet État s’autorise à prendre des mesures qui, si les intéressés avaient résidé légalement sur son territoire, auraient pu être contraires à l’article 17. Comme la Cour européenne l’a noté, l’article 8 de la Convention européenne ne garantit pas à chacun le meilleur endroit pour vivre et un couple ne peut pas choisir son lieu de résidence simplement en demeurant illégalement dans un État pour y avoir et y élever un enfant. Il s’ensuit que les auteurs, qui résident illégalement en Australie et qui étaient tout à fait conscients qu’ils ne pourraient pas nécessairement y rester et y élever des enfants, ne peuvent raisonnablement espérer rester sur le territoire. Comme le veut l’article 17, leur expulsion n’est donc pas arbitraire.

4.17Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 23, l’État partie rappelle les garanties institutionnelles qu’offre cet article. Il affirme que la famille est une unité sociale fondamentale, dont l’importance est reconnue implicitement et explicitement : ainsi par exemple, les parents peuvent demander des visas pour vivre avec leurs enfants établis en Australie – comme l’ont fait les auteurs eux-mêmes – et ils se voient accorder des privilèges particuliers par rapport aux autres immigrants. Il faut lire l’article 23, comme l’article 17, en l’opposant à la faculté qu’a l’Australie en droit international de prendre des mesures raisonnables pour réglementer l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. Comme le Tribunal pour les réfugiés a estimé que les auteurs n’étaient pas des réfugiés et qu’ils ne risquaient pas réellement de subir un préjudice en Indonésie, et comme Barry peut rester en Australie pour poursuivre ses études ou aller en Indonésie selon le choix que feront les auteurs, la pérennité de la famille ne serait ni affectée, ni menacée par un retour éventuel.

4.18Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie cite un certain nombre de mesures législatives et de programmes qui visent expressément à assurer la protection de l’enfance et à venir en aide aux enfants en situation de risque. L’expulsion d’Australie des auteurs n’est pas une mesure qui vise directement Barry, qui a la nationalité australienne (seulement depuis juin 1998) et qui peut à ce titre résider en Australie, quel que soit l’endroit où se trouvent ses parents. Cette expulsion serait la conséquence de leur situation d’irrégularité et non de l’incurie de l’État dans son rôle de protecteur de l’enfance. Quand Barry est né, les auteurs savaient pertinemment qu’ils risquaient de devoir un jour retourner en Indonésie.

4.19L’État partie fait valoir que l’expulsion des auteurs ne serait ni un manquement au devoir de protéger le mineur qu’est Barry, ni une mesure préjudiciable pour lui. Le représentant du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles et le Tribunal pour les réfugiés ont tous deux jugé tout à fait improbable que les auteurs soient victimes de persécution en Indonésie et rien n’a été produit qui donnerait à penser que le risque serait plus grand pour Barry s’il devait y aller avec ses parents.

4.20Reprenant l’argumentation présentée au titre de l’article 17 à propos de l’« immixtion » dans la famille, l’État partie explique qu’aucun obstacle véritable n’empêcherait Barry de continuer à vivre normalement en Indonésie avec ses parents. Il conteste l’expertise psychiatrique selon laquelle s’il partait avec les auteurs, il serait « complètement perdu et courrait un risque considérable si on le projetait ainsi en Indonésie ». Il soutient que si la perturbation des habitudes de Barry rendra peut-être la transplantation difficile pour lui au départ, son âge, ses origines multiculturelles et le fait qu’il comprenne l’indonésien donnent à croire qu’il s’acclimatera rapidement. Barry pourrait faire de bonnes études en Indonésie, à proximité physique et affective des auteurs (qui y sont nés, y ont été élevés et y ont passé l’essentiel de leur vie) et d’autres proches, mais il peut aussi choisir, comme sa qualité de citoyen australien lui en donne le droit, de terminer ses études secondaires et d’entreprendre des études supérieures en Australie. Cette solution entraînerait une séparation d’avec les auteurs, mais il n’est pas rare que les enfants ne vivent pas avec leurs parents pendant leurs études secondaires et supérieures; il est même courant pour les enfants et les jeunes gens des pays de l’Asie du Sud-Est de fréquenter l’école ou l’université en Australie. Barry, citoyen australien, bénéficierait de toute la protection de la loi australienne et de la même assistance que les autres enfants australiens vivant en Australie sans leurs parents.

Observations des auteurs sur la réponse de l’État partie

5.1Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, les auteurs contestent les affirmations de l’État partie quant à l’épuisement des voies de recours internes, à l’incompatibilité avec le Pacte et au manque de justification des griefs.

5.2Pour ce qui est d’abord de l’épuisement des voies de recours internes, les auteurs soutiennent que cette obligation signifie que la plainte dont il s’agit doit être soumise à tous les organes d’État disponibles avant de l’être au Comité. Les recours dont l’État partie prétend qu’ils sont encore disponibles ont trait à la procédure applicable aux réfugiés et à l’appréciation des risques de persécution. Or, la plainte n’a aucun rapport avec des problèmes propres aux réfugiés, elle concerne l’immixtion dans la famille que constituerait l’expulsion des auteurs. Les auteurs affirment donc qu’on ne peut leur demander de poursuivre la procédure sur le terrain du droit des réfugiés alors que leur plainte porte sur l’unité de la famille.

5.3Pour ce qui est de la demande conjointe de visa parental, les auteurs font observer qu’ils auraient à quitter le territoire australien pendant l’instruction de leur requête et que, même si celle-ci devait aboutir, ils auraient à passer plusieurs années à l’extérieur avant de revenir en Australie. En tout état de cause, les statistiques du Département de l’immigration montrent qu’aucun visa parental n’a été octroyé par les autorités australiennes à Jakarta entre le 1er septembre 2000 et le 28 février 2001 et que, selon la moyenne mondiale, il faut près de quatre ans pour en obtenir un. Avec la polémique politique dont ces visas font actuellement l’objet, ces périodes d’attente ne feront qu’augmenter, comme l’État partie le reconnaît lui-même. Les auteurs considèrent ces délais comme inacceptables de toute évidence et manifestement déraisonnables.

5.4Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle les allégations seraient incompatibles avec les dispositions du Pacte, en particulier le paragraphe 1 de l’article 12 et l’article 13, les auteurs renvoient à l’Observation générale No 15 du Comité : si le Pacte ne reconnaît pas à l’étranger le droit d’entrer sur le territoire d’un État partie ou d’y résider, l’étranger bénéficie de la protection du Pacte, même en ce qui concerne son entrée ou sa résidence, dans les affaires où se posent, par exemple, des questions relatives au respect de la vie de famille. Les auteurs considèrent que l’article 13 n’est pas pertinent à cet égard.

5.5Les auteurs objectent à l’argument de l’État partie que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 n’a pas été étayé. Ils affirment que les faits dont ils ont à se plaindre relèvent de ces dispositions, outre l’article 17, et soutiennent qu’une violation de l’article 17 peut également représenter une violation des garanties institutionnelles consacrées par les articles 23 et 24.

5.6Sur le fond, les auteurs considèrent que l’argument principal de l’État partie est que rien n’empêcherait Barry d’aller en Indonésie vivre avec eux s’ils sont expulsés. Cela est contredit par les éléments d’appréciation d’ordre psychologique fournis au Ministre et joints à la communication. Quant à l’idée que Barry pourrait rester (sans surveillance) en Australie en attendant l’issue de leur demande de retour, les auteurs disent que cette solution est évidemment irréalisable et qu’elle ne serait pas dans l’intérêt de Barry. Les auteurs n’ont pas accès aux moyens financiers qui permettraient à Barry de poursuivre ses études en pension et personne ne pourra le prendre en charge s’ils sont absents.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, le Comité constate que les deux voies de recours offertes pour attaquer la décision du Tribunal pour les réfugiés sont un niveau de procédure de plus dans le dossier de détermination du statut de réfugié. Or la plainte dont le Comité est saisi ne concerne pas la demande initiale des auteurs tendant à obtenir le statut de réfugié, mais une réclamation distincte, touchant l’autorisation de demeurer en Australie pour des raisons de famille. L’État partie n’a donné au Comité aucune information sur les recours offerts pour contester la décision du Ministre de ne pas autoriser les auteurs à demeurer en Australie pour ce motif. Le traitement de la demande de visa parental des auteurs, démarche qui les oblige à quitter l’Australie pendant assez longtemps, ne peut pas être considéré comme une voie de droit permettant d’attaquer efficacement la décision du Ministre. Le Comité ne peut donc suivre l’État partie quand il prétend que la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés.

6.3Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la plainte est essentiellement une demande de résidence émanant d’étrangers en situation irrégulière sur son territoire et, à ce titre, incompatible avec le Pacte, le Comité fait observer que les auteurs ne demandent pas simplement le droit de résider en Australie et qu’ils allèguent que les forcer à quitter le territoire de l’État partie, c’est s’immiscer arbitrairement dans leur vie de famille. Même si les étrangers en tant que tels ne peuvent pas avoir le droit de résider dans un État partie, tous les États parties sont tenus de respecter et de garantir tous les droits que le Pacte reconnaît à ces étrangers. La plainte assimilant les actes de l’État partie à une immixtion arbitraire dans la vie de famille des auteurs est une allégation de violation d’un droit garanti par le Pacte à tout être humain. La plainte est suffisamment étayée pour être recevable, et elle doit être examinée au fond.

6.4Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 n’a pas été étayée, le Comité considère que les faits et les arguments présentés soulèvent des questions qui se situent au point d’articulation entre les trois articles. Il lui semble utile, au moment de l’examen au fond, de s’interroger sur les chevauchements de ces dispositions. Il conclut que les plaintes au titre de ces articles sont donc suffisamment étayées pour être recevables.

6.5Le Comité estime donc que la communication est recevable telle qu’elle a été présentée et en vient immédiatement au fond. Il a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été données par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.1En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17, le Comité note que l’argument de l’État partie selon lequel il n’y a pas « immixtion » puisque la décision de faire partir Barry en Indonésie avec ses parents ou de le faire rester en Australie, et, dans ce dernier cas, de provoquer une séparation physique, relève uniquement du libre arbitre de la famille et qu’elle ne dépend pas des actions de l’État. Le Comité fait observer qu’il peut y avoir effectivement des cas dans lesquels le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie de la famille de cette personne. Mais le simple fait que l’un des membres d’une famille ait le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre.

7.2Dans l’affaire à l’examen, le Comité considère que la décision de l’État partie d’expulser deux parents et d’obliger la famille à choisir entre laisser un enfant de 13 ans, qui a acquis la nationalité de l’État partie pour y avoir résidé pendant dix ans seul dans l’État partie, ou le prendre avec eux, doit être considérée comme une « immixtion » dans la famille, à tout le moins lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, cette mesure entraînerait des perturbations importantes quelle que soit l’option pour une famille constituée depuis longtemps. Il y a donc lieu de déterminer si cette immixtion serait ou non arbitraire et contraire à l’article 17 du Pacte.

7.3Il est assurément incontestable qu’en vertu du Pacte un État partie peut exiger, en application de sa législation, le départ de personnes qui demeurent sur son territoire après l’expiration du permis qui leur a été délivré. En outre, la naissance d’un enfant ou le fait qu’en application de la loi cet enfant acquiert la nationalité à la naissance ou ultérieurement ne suffit pas pour rendre arbitraire la perspective d’expulsion d’un parent ou des deux. Donc les États parties ont une large marge de manoeuvre pour appliquer leur politique en matière d’immigration et pour exiger le départ d’individus qui se trouvent illégalement sur leur territoire. Mais cette discrétion n’est pas illimitée et peut être exercée arbitrairement dans certaines circonstances. Dans le cas d’espèce, les deux auteurs se trouvent en Australie depuis plus de quatorze ans. Leur fils y vit depuis sa naissance – il y a treize ans – fréquente l’école australienne comme tout autre enfant et s’est fait ainsi des camarades. Étant donné le nombre d’années qu’il a passées en Australie, l’État partie doit justifier l’expulsion de ses parents, en présentant d’autres éléments que la simple mise en oeuvre de sa loi sur l’immigration pour éviter que l’expulsion ne soit qualifiée d’arbitraire. Dans les circonstances particulières, le Comité estime donc que l’expulsion des auteurs constituerait, s’il y était procédé, une immixtion arbitraire dans la famille, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec l’article 23, à l’égard de toutes les personnes au nom desquelles la communication est soumise ainsi qu’une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte à l’égard de Barry Winata, qui ne se verrait pas accorder les mesures de protection que sa qualité de mineur exige.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que l’expulsion des auteurs, si l’État partie devait y procéder, constituerait une violation de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer aux auteurs un recours utile, qui consisterait à s’abstenir de les expulser tant que leur demande de visa parental n’a pas été examinée compte dûment tenu de la nécessité d’offrir à Barry Winata la protection qu’exige sa condition de mineur. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations du Pacte ne se reproduisent à l’avenir dans des situations analogues.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Tawfik Khalil, David Kretzmer et Max Yalden (dissidente)

1.La question que soulève la communication n’est pas de savoir si la situation des auteurs et de leur fils suscite la compassion ni si les membres du Comité pensent que ce serait un geste généreux de la part de l’État partie de les autoriser à demeurer sur son territoire. La seule question est de déterminer si l’État partie est légalement tenu par les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de s’abstenir d’obliger les auteurs à quitter l’Australie. Nous ne pouvons pas souscrire à l’avis du Comité qui a établi que la réponse à cette question était affirmative.

2.Le Comité fonde ses constatations sur trois articles du Pacte : le paragraphe 1 de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 et l’article 24. Les auteurs n’ont pas fourni le moindre renseignement sur les mesures de protection que l’État partie serait tenu d’assurer pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du dernier article. Dans le monde entier, de nombreuses familles quittent un pays pour s’installer dans un autre, même quand ils ont des enfants d’âge scolaire, qui sont bien intégrés dans l’école d’un pays déterminé. Les États parties sont-ils tenus de prendre des mesures pour protéger les enfants contre une telle démarche de la part de leurs parents? Il nous semble qu’affirmer, selon un vague jugement de valeur, qu’il serait préférable pour un enfant d’éviter une action quelle qu’elle soit ne constitue pas un motif suffisant pour être fondé à affirmer qu’un État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation faite à l’article 24 d’offrir à l’enfant les mesures de protection nécessaires. Nous aurions donc conclu que les auteurs n’avaient pas étayé, aux fins de la recevabilité, leur allégation de violation de l’article 24 et que cette partie de la communication devait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

3.En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17, nous contestons fortement que la décision de l’État partie d’obliger les auteurs à quitter le territoire constitue une immixtion dans leur famille. Il ne s’agit pas d’une situation où la décision de l’État partie entraîne inéluctablement la séparation des membres d’une famille, ce qui peut certainement être considéré comme une immixtion dans la famille. Le Comité évoque des « perturbations importantes pour une famille constituée depuis longtemps ». Cette expression apparaît certes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme mais le Comité n’a pas examiné la question de savoir si elle est applicable dans le contexte de l’article 17 du Pacte, qui vise une immixtion dans la famille et non le respect de la vie de famille visé à l’article 8 de la Convention européenne. Il n’est en aucune manière évident que les actes d’un État partie qui entraîneraient des perturbations dans la vie d’une famille constituée depuis longtemps supposent une immixtion dans la famille, si aucun obstacle ne s’oppose au maintien de l’unité de la famille. Toutefois, nous ne voyons pas la nécessité d’exprimer une opinion définitive sur la question dans l’affaire à l’examen car, même s’il y a immixtion dans la famille des auteurs, à notre avis rien ne permet de conclure que la décision de l’État partie a été arbitraire.

4.Sans développer d’argumentation ni de raisonnement, le Comité affirme que pour éviter que sa décision ne soit qualifiée d’arbitraire l’État partie est tenu de présenter d’autres éléments que la simple application de sa loi sur l’immigration. Il peut effectivement y avoir des cas exceptionnels où l’immixtion dans la famille est si importante que la décision d’exiger le départ d’un membre de la famille se trouvant illégalement sur le territoire serait disproportionnée par rapport à l’intérêt de l’État partie qui cherche à faire appliquer sa législation sur l’immigration. En pareil cas, il est possible de qualifier cette décision d’arbitraire. En revanche, nous ne pouvons pas accepter que le simple fait que des personnes se trouvant illégalement sur le territoire de l’État partie aient fondé une famille dans cet État fasse à celui-ci obligation de « justifier l’expulsion des deux parents en présentant d’autres éléments que la simple mise en oeuvre de sa loi sur l’immigration, pour éviter que l’expulsion ne soit qualifiée d’arbitraire ». Cette interprétation adoptée par le Comité implique que les personnes qui se trouvent illégalement sur le territoire d’un État partie et qui fondent une famille et parviennent à ne pas se faire prendre pendant suffisamment longtemps acquièrent dans les faits le droit de demeurer dans cet État. Il nous semble que cette interprétation ignore les règles du droit international en vigueur qui permettent aux États de réglementer en matière de séjour et d’entrée des étrangers sur leur territoire.

5.Comme on l’a indiqué plus haut, la décision de l’État partie n’entraîne en aucune manière la séparation obligatoire des membres de la famille. Il est peut-être vrai que leur fils aurait des difficultés d’adaptation si les auteurs devaient retourner avec lui en Indonésie, mais ces difficultés ne sont pas grandes au point de rendre la décision de l’État partie de les obliger à quitter le territoire disproportionnée à son intérêt légitime qui est de mettre en oeuvre sa loi sur l’immigration. Cette décision ne peut pas être considérée comme arbitraire et nous ne pouvons donc pas souscrire à l’avis du Comité, qui a conclu à une violation par l’État partie des droits consacrés aux articles 17 et 23 du Pacte à l’égard des auteurs et de leur fils.

6.Avant de conclure, nous souhaitons ajouter qu’il nous semble que, outre qu’elle ôte tout sens clair aux termes « immixtion dans la famille » et « arbitraire » employés à l’article 17, la conception du Comité a des incidences fâcheuses. En premier lieu, elle pénalise les États parties qui ne traquent pas activement les immigrants illégaux pour les expulser mais préfèrent faire confiance aux visiteurs et attendre d’eux qu’ils respectent la loi et les conditions du permis d’entrée qui leur est accordé. Elle pénalise également les États parties qui n’obligent pas tous les individus à avoir toujours sur eux une pièce d’identité et à faire la preuve de leur statut chaque fois qu’ils rencontrent une autorité, étant donné qu’il est assez aisé pour des visiteurs titulaires d’un visa de durée limitée de rester longtemps sans se faire repérer sur le territoire de ces États parties. En deuxième lieu, le mode d’approche du Comité peut donner un avantage injuste aux personnes qui ne respectent pas la réglementation d’un État partie en matière d’immigration et préfèrent demeurer illégalement sur son territoire plutôt que de suivre la procédure offerte aux candidats à l’immigration par la législation de l’État partie. Cet avantage peut poser un problème particulièrement aigu quand l’État partie opte pour une politique d’immigration limitée, en réglementant le nombre d’immigrants accepté chaque année, car il permet aux candidats à l’immigration de « ne pas attendre leur tour » en demeurant illégalement sur le territoire de l’État partie.

(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati(Signé) Ahmed Tawfik Khalil(Signé) David Kretzmer(Signé) Max Yalden

[Fait en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Annexe XI

Décisions du Comité des droits de l’hommedéclarant irrecevables des communications présentéesen vertu du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civils et politiques

A.Communication No 762/1997, Jensen c. Australie(décision adoptée le 22 mars 2001,soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen. Conformément à l’article 85 du Règlement intérieur, M. Ivan Shearer n’a pas pris part à cet examen.

Présentée par :M. Michael Jensen

Au nom de :L’auteur

État partie :Australie

Date de la communication :2 avril 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 mars 2001

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, dont la date initiale est le 2 avril 1996, est Michael Jensen, citoyen australien, né le 26 novembre 1947. Il est actuellement incarcéré à la Karnet Prison Farm (Australie occidentale). Il affirme être victime d’une violation par l’Australie des alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, des paragraphes 1 et 3 de l’article 10, des alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 29 août 1990, l’auteur a été reconnu coupable par la Cour suprême de l’Australie occidentale de viol et de violences sexuelles commis en 1989 sur la personne d’un malade mental qu’il soignait dans un hôpital psychiatrique en Australie occidentale (infractions de l’Australie occidentale). Il a été condamné à neuf ans d’emprisonnement. La date la plus proche à laquelle l’auteur pouvait prétendre à la libération sous condition a été fixée au 30 novembre 1994.

2.2En enquêtant sur les infractions commises par l’auteur, la police a découvert au domicile de ce dernier une cassette vidéo et des photographies montrant qu’en 1985, dans le Queensland, il avait, en outre, violé une fillette de 7 ans et attenté 10 fois à sa pudeur et trois fois à celle de sa soeur âgée de 10 ans (infractions du Queensland). L’auteur fait valoir que la mère des deux mineures était au courant de son comportement à l’époque mais qu’elle n’avait pas déposé plainte contre lui parce qu’il avait déménagé en Australie occidentale.

2.3Le 31 juillet 1990, alors que l’auteur était encore détenu pour les infractions de l’Australie occidentale, la police a essayé de l’interroger au sujet de la cassette vidéo et des photographies relatives aux infractions du Queensland. Elle l’a informé du contenu de la cassette et de l’identité des victimes et lui a fait savoir que les services de police avaient reçu une plainte. Sur le conseil de son avocat, l’auteur a refusé de répondre. Durant l’interrogatoire, la police l’a également informé qu’à sa libération de prison, une demande serait présentée pour qu’il soit extradé vers le Queensland.

2.4Lors d’une conférence sur la planification des peines tenue en octobre 1990, l’auteur a été informé, à sa requête, qu’il n’y avait dans aucun des États de l’Australie de mandat d’arrêt émis contre lui. Le 6 mars 1991, le tribunal du district de Perth a condamné l’auteur à un mois d’emprisonnement – qu’il devait exécuter à la suite des neuf ans d’emprisonnement qu’il purgeait déjà – pour s’être introduit quatre fois par effraction dans différents postes de police en Australie occidentale en vue de retrouver ou de détruire la cassette vidéo et les photographies relatives aux infractions du Queensland.

2.5En septembre 1991, lors d’une autre conférence sur la planification des peines tenue en Australie occidentale, l’auteur a de nouveau été informé, à sa requête, qu’il n’y avait dans aucun des États de l’Australie, de mandat d’arrêt émis contre lui. Le 14 octobre 1992, on a montré à l’auteur une copie d’une lettre datée du 13 août 1992, adressée par la police du Queensland au département des services pénitentiaires à Perth, indiquant qu’un mandat d’arrêt avait émis contre lui pour un viol commis dans le Queensland en 1985. La lettre indiquait également qu’une procédure d’extradition serait entamée à la libération de l’auteur. Par erreur, le mandat, qui avait été établi en août 1992, n’avait pas été signé et était donc non valide au regard de la loi.

2.6Le conseil de l’auteur a demandé une copie du mandat et des informations détaillées sur toutes les charges retenues contre son client. En janvier, une copie d’un mandat en bonne et due forme, daté du 7 janvier 1993, a été remise au conseil. L’auteur y était accusé d’avoir violé une mineure dans le Queensland en 1985. Le mandat ne contenait aucune précision sur les faits reprochés à l’auteur et ne mentionnait aucune autre infraction.

2.7Le 5 avril 1993, l’auteur a demandé par écrit aux autorités compétentes son transfert dans le Queensland pour qu’il puisse se défendre contre l’accusation dont il faisait l’objet dans cet État. Le 23 août 1993, l’auteur a commencé à suivre en Australie occidentale un programme de traitement pour délinquants sexuels. Le 14 mars et le 15 juin 1994, les autorités respectives de l’Australie occidentale et du Queensland ont approuvé le transfert de l’auteur dans le Queensland. Le 30 juin 1994, l’auteur a achevé le programme de traitement.

2.8Le 15 septembre 1994, le tribunal de première instance de Freemantle a ordonné le transfert de l’auteur dans le Queensland. Le délai légal pour la présentation d’une demande de révision de la décision de cette juridiction a expiré le 29 septembre 1994. Le jour suivant (30 septembre 1994), l’auteur a officiellement tenté de retirer sa requête de transfert au motif que l’opération aurait dû avoir lieu plus tôt. Le 17 octobre 1994, l’auteur a été transféré dans le Queensland; à son arrivée, il a été arrêté et accusé du viol d’une mineure et de 13 attentats à la pudeur. Le 18 octobre, comme suite aux accusations portées contre lui le jour précédent, l’auteur a été présenté à la Magistrates Court (Tribunal d’instance) de Brisbane; la procédure a été ajournée dans l’attente de l’audience de renvoi en jugement qui devait avoir lieu le 1er décembre 1994.

2.9Le 1er décembre 1994, l’auteur a de nouveau comparu devant la Magistrates Court de Brisbane qui a décidé de le renvoyer en jugement pour les chefs d’accusation du 17 octobre 1994. Le 8 mai 1995, devant la Cour de district de Brisbane, l’auteur a plaidé coupable pour toutes les charges qui pesaient contre lui. Le 7 juillet 1995, il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement pour viol, à 18 mois d’emprisonnement pour chacune des six charges d’attentat à la pudeur et à neuf mois d’emprisonnement pour chacune des sept charges d’attentat à la pudeur, toutes les peines devant être confondues. Le tribunal a recommandé que l’auteur soit habilité à demander une libération conditionnelle après 2 ans d’emprisonnement. L’auteur a été immédiatement incarcéré.

2.10Le 20 juillet 1995, l’auteur a demandé par écrit à être transféré à nouveau en Australie occidentale afin de se rapprocher de sa famille. Comme l’accusation avait fait appel de la condamnation, entre autres, au motif que la peine était manifestement insuffisante, la demande n’a pas pu être examinée. Le 2 avril 1996, l’auteur a présenté sa communication au Comité des droits de l’homme. Le 11 juin 1996, la cour d’appel du Queensland a alourdi la peine infligée à l’auteur pour viol, la portant à 11 ans d’emprisonnement, tout en maintenant toutes les autres peines. Cette décision a été appliquée à partir du 7 juillet 1995, en sorte que cinq ans d’emprisonnement imposés initialement à l’auteur pour les infractions commises en Australie occidentale ont été confondus avec la nouvelle peine. Le tribunal a recommandé que l’auteur soit habilité à demander la libération conditionnelle à compter du 29 août 1998.

2.11Le 12 juin 1996, l’auteur a redemandé par écrit à être à nouveau transféré en Australie occidentale pour bénéficier de meilleures conditions et a entamé, le 13 août 1996, un programme de traitement pour délinquants sexuels dans le Queensland. Le 7 octobre 1997, l’auteur a achevé le programme de traitement et reçu les autorisations nécessaires concernant son transfert. Le 23 avril 1998, il a été transféré dans une prison en Australie occidentale.

2.12Le 31 juillet et le 18 août 1998, le Comité de probation de l’Australie occidentale a différé l’examen du cas de l’auteur dans l’attente de plus amples informations. Le 11 septembre 1998, le Comité a refusé d’accorder la libération conditionnelle à l’auteur car il y avait un risque de récidive du fait de son passé de délinquant sexuel invétéré et parce qu’il avait accompli peu de progrès dans le cadre des programmes de traitement. Le 13 novembre 1998 (à la suite d’un nouveau rapport psychologique) puis encore le 8 avril 1999 et le 28 avril 2000, le Comité de probation a rejeté à nouveau la demande de libération conditionnelle de l’auteur. Actuellement, l’auteur demeure en détention mais le Comité de probation doit réexaminer son cas en avril 2001.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en violation des alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 2, il a été privé de la possibilité d’un recours utile en ce qui concerne les violations qu’il aurait subies et, en particulier, que son comportement dans le cadre des programmes de traitement n’avait pas été évalué de manière appropriée et qu’au vu des résultats, le Comité de probation avait rejeté sa demande de libération conditionnelle.

3.2L’auteur affirme qu’en tardant à le juger pour les infractions du Queensland les autorités australiennes ont violé les droits qui lui sont reconnus aux paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 et aux alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 14. Il affirme que la police était au courant de ces infractions depuis 1990, qu’il a tenté à plusieurs reprises de déterminer si des accusations avaient été portées contre lui et qu’un mandat d’arrêt en bonne et due forme n’a été émis contre lui qu’en janvier 1993 pour une seule des infractions, et que 13 autres chefs d’accusation ont été ajoutés en octobre 1994.

3.3L’auteur fait valoir que son transfert dans le Queensland a été délibérément retardé jusqu’à la veille de la date fixée pour l’examen de sa demande de libération conditionnelle. Cette mesure, s’ajoutant à son transfert dans le Queensland après qu’il eut retiré sa demande de transfert, fait que sa détention dans cet État pendant la période qui a précédé sa condamnation constituait, juridiquement, la continuation de la peine à laquelle il avait été condamné en Australie occidentale. Cette détention n’aurait pas eu lieu s’il avait bénéficié d’une libération conditionnelle avant son jugement pour les infractions du Queensland. En conséquence, il considère que sa détention a en fait été prolongée de neuf mois correspondant à la période allant de son transfert à sa condamnation pour les infractions du Queensland. Pour lui, cela constitue une détention arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9.

3.4L’auteur fait valoir en outre que le fait que l’on a tardé à l’inculper d’abord puis à le transférer dans le Queensland et que l’on ait refusé de le ramener, immédiatement après son procès dans le Queensland, en Australie occidentale pour qu’il soit près de sa famille, constitue une injustice et lui a causé des traumatismes émotionnels et psychologiques indus qui l’ont plongé dans la dépression, l’ont amené plusieurs fois à tenter de se suicider, l’ont fait souffrir d’insomnie, lui ont fait perdre ses cheveux et ont nécessité une chimiothérapie. Il affirme que cela constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

3.5L’auteur déclare que pendant qu’il était en prison il a subi une thérapie intensive et que des rapports établis par des psychologues montrent qu’il est peu probable qu’il récidive. Il affirme que sa réincarcération pour des infractions intervenues 10 ans auparavant, alors qu’il était prêt à être réhabilité et réintégré dans la société, a été préjudiciable à sa réadaptation et lui a causé un profond traumatisme émotionnel et psychologique. Il considère en conséquence qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte.

3.6Enfin, l’auteur signale que du fait de l’application d’une nouvelle loi dans le Queensland, sa condamnation à 11 ans d’emprisonnement, dont trois ans durant lesquels il ne serait pas habilité à demander la libération conditionnelle, a été modifiée en sorte qu’il ne peut plus faire une telle demande avant huit ans et huit mois. Il note qu’en conséquence, il ne pourrait maintenant être libéré qu’en avril 2004 au plus tôt. L’auteur affirme que cela constitue une violation de l’article 15.

Observations de l’État partie au sujet de la recevabilité de la communication

4.1Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’article 2 a été violé, l’État partie note que selon son interprétation le droit à un recours est par définition un droit accessoire qui s’applique à la suite d’une violation d’un des droits consacrés par le Pacte. Comme il considère qu’aucune autre violation n’a été établie, il conclut que l’auteur n’a pas prouvé son allégation selon laquelle l’article 2 avait été violé.

4.2S’agissant des violations présumées de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle pour qu’une peine soit contraire au Pacte il faut qu’elle soit humiliante, dégradante et, en tout cas, qu’elle comporte des éléments allant au-delà de la simple privation de liberté. L’État partie fait valoir qu’à tous égards l’auteur a été légalement privé de sa liberté et que toute souffrance mentale n’est qu’accessoire. Il fait valoir que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, les rapports cliniques concernant l’emprisonnement de l’auteur en Australie occidentale ne font état que d’une angoisse et d’une légère dépression ressenties par période; il n’y est guère question de chimiothérapie, de perte de cheveux, d’insomnies, ou d’une manière générale de traumatisme psychologique ou émotionnel profond. De même, il ressort d’un examen effectué durant l’incarcération de l’auteur dans le Queensland qu’une dépression possible est la seule difficulté médicale rencontrée et qu’aucun traitement pharmacologique n’a été nécessaire. En conséquence, l’État partie considère que cet élément de la communication de l’auteur ne soulève aucune question au regard des droits invoqués et, de surcroît, n’a pas été suffisamment étayé. Il devrait donc être considéré irrecevable.

4.3Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 9, l’État partie tient à faire observer que, selon lui, dans le concept d’« arbitraire », qui figure au paragraphe 1, il y a l’idée d’inconvenance, d’injustice et d’imprévisibilité. Il affirme en outre que le droit d’être informé dans le plus court délai de toute accusation ne s’applique qu’au moment de l’arrestation. D’autre part, l’obligation de présenter dans le plus court délai à un juge une personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale (par. 3) vise également le moment auquel ladite personne est arrêtée ou placée en détention pour ledit chef d’accusation.

4.4L’État partie note qu’en vertu de sa législation, un prisonnier peut être transféré d’un État à un autre pour y faire l’objet de poursuites pénales après avoir été définitivement libéré, après avoir bénéficié d’une remise en liberté conditionnelle (« extradition ») ou encore lorsqu’il demande lui-même son transfert. L’État partie fait observer qu’en juillet 1990, l’auteur a été informé qu’une demande pour son extradition serait déposée à sa libération de prison afin qu’il soit jugé dans le Queensland, mais aurait alors refusé de répondre aux questions concernant les infractions qui lui étaient reprochées. Comme une demande de libération conditionnelle de l’auteur ne pouvait être examinée avant novembre 1994 au plus tôt, il n’avait pas jugé urgent de délivrer un mandat pour l’arrestation de l’auteur. Un mandat non valide puis un autre en bonne et due forme ont été émis respectivement en août 1992 et en janvier 1993. C’est à ce stade que l’auteur a demandé (en avril 1993) à être transféré dans le Queensland pour y être jugé. Après que les autorités compétentes des deux États eurent donné leur accord, un tribunal a examiné la question de savoir s’il pouvait autoriser le transfert.

4.5L’État partie note que selon sa législation, un tribunal ne peut prendre une telle décision si, sur plainte du prisonnier, il arrive à la conclusion qu’il serait cruel, injuste ou contraire aux intérêts de la justice de procéder au transfert. L’auteur était représenté par un conseil dans le cadre de cette procédure et avait 14 jours pour demander un réexamen de la décision. À l’expiration de ce délai, la décision du tribunal a pris effet et le retrait par l’auteur de sa demande de transfert ne pouvait plus rien changer.

4.6L’État partie reconnaît que le mandat initial ne mentionnait qu’un chef d’accusation et que l’auteur a été arrêté à son arrivée au Queensland pour avoir commis 12 autres infractions moins graves. Il signale, toutefois, qu’il arrive qu’un mandat soit émis pour un seul chef d’accusation (c’est le plus grave qui a été retenu en l’espèce), pendant que les autres chefs d’accusation continuent d’être examinés sur la base des éléments de preuve disponibles. Le jour de son arrivée dans le Queensland, en octobre 1994, l’auteur s’est vu remettre les 13 autres mandats. Le lendemain, il a été traduit devant un tribunal. Une audience préliminaire a eu lieu en décembre 1994 et une audience de fond en mars 1995. Enfin, l’État partie note que, comme cela est souvent le cas, la peine imposée dans le Queensland a été et continue d’être exécutée en même temps que la peine initiale.

4.7Pour ce qui est de la libération conditionnelle de l’auteur, l’État partie indique que le Comité de probation de l’Australie occidentale n’a jamais examiné cette question parce que ce dernier avait demandé son transfert dans le Queensland. Quoi qu’il en soit, un détenu n’a pas automatiquement droit à la libération conditionnelle à la date à laquelle il est habilité à en faire la demande. Il est en effet alors procédé à une évaluation minutieuse des progrès accomplis par l’intéressé et du risque qu’il représente pour la communauté.

4.8S’appuyant sur les faits susmentionnés, l’État partie affirme que l’auteur n’est fondé à se prévaloir d’aucun des trois paragraphes de l’article 9. En application de la décision initiale du tribunal il aurait pu, en toute légalité, être détenu jusqu’au 28 août 2000. Au moment de son transfert, il n’a pas bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle, son cas n’ayant même pas été examiné; en conséquence, il ne peut prétendre qu’il a été détenu arbitrairement. Il n’a pas non plus apporté la moindre preuve d’un retard délibéré à quelque moment que ce soit. Dès qu’il a été arrêté, l’auteur a été informé des chefs d’accusation retenus contre lui et présenté rapidement à un juge puis jugé, comme l’exige le Pacte. N’ayant pas été étayées, les allégations de l’auteur au titre de l’article 9 doivent également être déclarées irrecevables.

4.9S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le traitement qui lui a été réservé n’avait pas pour principal objectif sa réadaptation et sa réinsertion sociale, l’État partie soutient que tels sont les buts de son système pénitentiaire, qui vise à doter les détenus de la volonté de mener une vie conforme à la loi et de subvenir à leurs propres besoins après leur libération et à leur fournir l’assistance nécessaire à cet effet. Les programmes thérapeutiques pour délinquants sexuels en place, aussi bien en Australie occidentale que dans le Queensland, font partie de tout un éventail de services visant à assurer la réadaptation de personnes telles que l’auteur et à réduire la fréquence et l’ampleur des récidives. L’auteur n’a pas achevé avec succès le programme mis en oeuvre en Australie occidentale, ce qui l’a amené à en entreprendre un autre à son propre rythme dans le Queensland avant d’être à nouveau transféré en Australie occidentale. Le fait que l’auteur a pu, à sa demande, être transféré dans un autre État, où il comptait trouver de meilleures conditions, est une autre illustration des caractéristiques d’un système visant à assurer autant que possible la réadaptation et la réinsertion des détenus.

4.10L’État partie note qu’aussi bien le tribunal de district que la Cour suprême du Queensland ont jugé que l’auteur n’avait pas achevé avec succès le programme mis en oeuvre en Australie occidentale. Chaque fois que la question a été examinée par des tribunaux, l’auteur était représenté par un conseil et avait la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires. En conséquence, l’argument avancé par l’auteur pour réclamer sa libération anticipée n’est pas fondé. Avec tout le respect qu’il a pour le Comité, l’État partie fait valoir que la question de savoir si l’auteur a accompli ou non avec succès le programme thérapeutique est une question de fait qui n’est pas du ressort du Comité. Il note en outre que compte tenu de l’échec antérieur de l’auteur, il n’était pas déraisonnable d’exiger de lui qu’il achève le programme du Queensland avant que la possibilité de le transférer à nouveau en Australie occidentale ne soit examinée. Les observations de l’État partie sont antérieures à l’évaluation du comportement de l’auteur dans le cadre du programme du Queensland par le Comité de probation et d’autres organes. L’État partie considère donc que l’auteur n’a pas étayé son allégation à ce propos qui devrait être déclarée irrecevable.

4.11S’agissant des affirmations de l’auteur selon lesquelles les droits qui lui sont reconnus à l’article 14 du Pacte ont été violés, l’État partie rappelle que selon l’Observation générale du Comité concernant cet article, le droit d’être informé de l’accusation dans le plus court délai exige que l’information soit donnée de la manière décrite dès que l’accusation est formulée pour la première fois par une autorité compétente, c’est-à-dire lorsque cette autorité décide de prendre des mesures à l’égard d’une personne soupçonnée d’une infraction pénale ou la désigne publiquement comme telle. La Court européenne des droits de l’homme a, elle aussi, interprété des droits analogues à une procédure équitable comme prenant effet dès que l’accusation est portée ou que la personne concernée se voit officiellement notifier l’allégation selon laquelle elle a commis une infraction pénale.

4.12L’État partie affirme que, s’agissant de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, les faits montrent que des efforts raisonnables et appropriés ont été déployés pour informer l’auteur à tous les stades de l’enquête de la nature et de la cause de toute accusation portée contre lui. L’auteur était au courant depuis 1990 que les infractions du Queensland de 1985 faisaient l’objet d’une enquête. Il a été informé de la nature de ces accusations lorsque son nom a été mentionné pour la première fois en tant qu’auteur présumé desdites infractions, c’est-à-dire le 7 janvier 1993, date à laquelle un mandat d’arrêt pour viol a été émis contre lui. C’était là l’infraction la plus grave pour laquelle l’auteur allait être ultérieurement jugé. L’État partie fait valoir par conséquent que l’allégation de l’auteur au titre de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 n’a pas été étayée et doit donc être déclarée irrecevable.

4.13S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 14, l’État partie tient à récapituler les faits de la cause. Il souligne que l’auteur a refusé de coopérer dans le cadre d’une enquête de police en 1990. Alors que l’auteur ne pouvait être extradé que le 11 novembre 1994 au plus tôt, après avoir purgé sa peine, un mandat a été émis en janvier 1993. Après avoir déposé sa demande de transfert en mai 1993, l’auteur a achevé un programme de traitement; il a ensuite obtenu l’autorisation nécessaire pour être transféré et l’a été effectivement en octobre 1994. Dès son arrivée dans le Queensland, il a été arrêté et inculpé puis traduit devant un tribunal le jour suivant. Au cours des six semaines suivantes, l’auteur a bénéficié des services d’un conseil pour la préparation de sa défense. En décembre 1994, le procès de l’auteur a été fixé à juin 1995, mais ce dernier a choisi en mai 1995 de plaider coupable pour tous les chefs d’accusation. Il a été condamné en juillet 1995 et son appel a été rejeté en juillet 1996.

4.14L’État partie fait valoir que le comportement des autorités était conforme à la loi et exempt d’irrégularités et n’a en rien contribué à retarder inutilement le procès de l’auteur. Le temps qui s’est écoulé entre la mise en accusation (17 octobre 1994), la condamnation (7 juillet 1995) et l’alourdissement de la peine en appel (11 juin 1996) n’est pas excessif si l’on tient compte des circonstances de la cause.

4.15Enfin, en ce qui concerne l’article 15, l’État partie fait observer que les modifications apportées récemment au régime des peines du Queensland ne sont pas rétroactives et ne concernent donc pas l’auteur. En conséquence, l’auteur n’ayant pas étayé son affirmation au titre de l’article 15, cette partie de sa communication doit être déclarée irrecevable.

Réponse de l’auteur aux observations communiquées par l’État partieau sujet de la recevabilité de la communication

5.1En ce qui concerne l’article 2, l’auteur réitère ses allégations selon lesquelles les autorités auraient occulté ou forgé de toutes pièces des faits concernant son comportement dans le cadre du programme de traitement.

5.2Pour ce qui est de son allégation au titre de l’article 7, l’auteur affirme que de faux rapports ont eu pour effet d’alourdir indûment les peines auxquelles il a été condamné. S’ajoutant au fait qu’il n’a pas été promptement jugé, cela constitue manifestement une violation de l’article 7.

5.3En ce qui concerne l’article 9, l’auteur affirme qu’on ne lui a pas dit lors de l’interrogatoire de 1990 que des accusations seraient portées contre lui à sa libération mais seulement que la police s’occuperait de lui à nouveau dans 10 ans. Ce n’est qu’en 1992 qu’il a appris que les accusations du Queensland étaient maintenues. L’auteur estime que la police du Queensland n’aurait pas dû attendre deux ans avant d’informer les autorités de l’Australie occidentale de ces accusations. Il fait valoir que par son comportement, la police l’a privé de la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle.

5.4L’auteur affirme que rien ne justifie le fait d’avoir laissé près de cinq ans s’écouler entre l’enquête de la police et son inculpation pour les infractions du Queensland. S’il avait été inculpé plus tôt, il aurait été en mesure de faire face aux accusations portées contre lui au début de son emprisonnement. L’auteur exprime ensuite son désaccord avec chacune des condamnations prononcées conte lui et estime qu’ayant accompli avec succès le programme de traitement il aurait dû bénéficier d’une libération conditionnelle.

5.5À propos de l’article 14, l’auteur rappelle que, lors de l’interrogatoire de 1990, il n’a été fait état d’aucune accusation et que la police n’a mentionné aucun incident précis. Il note qu’avant 1992, il avait été assuré qu’il ne faisait l’objet d’aucune accusation ou demande d’extradition. Le fait qu’il n’a pas été promptement transféré dans le Queensland a également retardé inutilement l’examen des accusations portées contre lui dans cet État.

5.6L’auteur accepte les arguments de l’État partie concernant l’article 15 et retire la partie correspondante de sa communication.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les autorités l’ont soumis à une torture ou à un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7, et à d’autres mauvais traitements contraires au paragraphe 1 de l’article 10, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle un détenu qui invoque ces articles doit prouver l’existence d’un facteur aggravant supplémentaire s’ajoutant aux circonstances habituelles de la détention. En l’espèce, l’auteur n’a pas prouvé, aux fins de la recevabilité, qu’il avait reçu un traitement différant de quelque façon que ce soit de celui normalement réservé aux détenus. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3S’agissant des allégations de l’auteur au titre des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, le Comité estime que les faits dont il est saisi montrent clairement que dès que l’auteur a été arrêté dans le contexte des infractions du Queensland, il a été informé des accusations portées contre lui, traduit devant un tribunal puis jugé dans un délai raisonnable. L’auteur n’a pas, par conséquent, étayé, aux fins de la recevabilité, cette partie de la communication, qui est déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est des allégations de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 10 selon lesquelles l’application du régime pénitentiaire dans son cas n’avait pas comme but principal sa réadaptation et sa réinsertion sociale, le Comité note l’éventail de programmes et de mécanismes axés sur cet objectif en place dans le cadre du système pénitentiaire de l’État partie. Le Comité estime que l’auteur n’a pas réussi à prouver que les évaluations de l’État partie concernant les progrès réalisés par l’auteur dans le cadre de sa réadaptation, et les conséquences qu’elles auraient dû avoir, pourraient ne pas être conformes aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 10. En conséquence, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 10, et cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5S’agissant des allégations formulées au titre des alinéas a) et c) du paragraphe 3 de l’article 14, le Comité note que la législation de l’État partie exclut tout transfert d’un détenu avant sa libération qui n’aurait pu avoir lieu qu’en novembre 1994, à moins qu’une demande de transfert d’un État à un autre ait été présentée et que le tribunal compétent prenne une décision dans ce sens. La demande de transfert de l’auteur qui n’avait été présentée que lorsque le chef d’accusation le plus grave (celui de viol qui datait de 1993) lui avait été notifié avait été satisfaite sur décision du tribunal compétent. À son arrivée, l’auteur a été accusé de la principale infraction ainsi que des infractions secondaires, jugé et condamné dans un délai raisonnable. Le Comité considère que ces faits montrent que l’auteur n’est pas fondé à invoquer, aux fins de la recevabilité, une violation de l’article 14, et cette partie de la communication est, par conséquent, irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6En ce qui concerne les allégations formulées par l’auteur en vertu de l’article 2, le Comité estime qu’elles ne soulèvent pas de questions additionnelles par rapport aux autres articles qui ont été invoqués, et qu’elles ne sont pas suffisamment étayées pour qu’il puisse les juger recevables.

6.7S’agissant de la violation présumée de l’article 15, le Comité note que l’auteur, dans sa réponse aux observations de l’État partie, retire cette partie de sa communication (voir par. 5.6 ci-dessus); le Comité n’est donc pas tenu de l’examiner plus avant.

7.Le Comité décide en conséquence :

a)Que la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

B.Communication No 787/1997, Gobin c. Maurice(décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Conformément au paragraphe 1 a) de l’article 84 du Règlement intérieur, M. Rajsoomer Lallah n’a pas pris part à l’examen de la communication.

Le texte d’une opinion individuelle dissidente signée par Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer et M. Max Yalden et celui d’une autre opinion dissidente signée de M. Eckart Klein sont joints à la présente décision.

Présentée par :M. Vishwadeo Gobin

Au nom de :L’auteur

État partie :Maurice

Date de la communication :25 novembre 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 25 novembre 1996, est M. Vishwadeo Gobin, de nationalité mauricienne, né le 22 janvier 1945, qui se déclare victime d’une violation par Maurice de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par son fils, Maneesh Gobin.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En septembre 1991, l’auteur s’est présenté aux élections législatives à Maurice. Il est arrivé quatrième de sa circonscription par le nombre de voix recueillies. Conformément à la législation mauricienne, seuls les trois premiers candidats de sa circonscription ont été élus directement mais il pouvait en principe prétendre à l’un des huit sièges supplémentaires attribués en fonction de critères autres que les circonscriptions. Toutefois il n’a pas pu obtenir ce siège parce qu’il n’appartenait pas à la « communauté appropriée » et que celui-ci a été attribué à un autre candidat de la même circonscription, qui avait obtenu moins de voix que lui.

2.2L’auteur explique que le territoire mauricien est divisé en 21 circonscriptions électorales. Dans 20 d’entre elles, les trois candidats ayant obtenu le plus de voix sont élus et dans la vingt et unième, seuls deux candidats sont élus. Soixante-deux députés sont ainsi élus directement. Les huit sièges restants sont attribués aux « meilleurs perdants ». L’annexe 1 de la Constitution de Maurice dispose que tous les candidats doivent indiquer à quelle communauté ils appartiennent (hindoue, musulmane, sino-mauricienne ou générale). Pour désigner les autres membres de la législature, la Commission de contrôle électoral applique l’article 5 de l’annexe 1 de la Constitution, qui dispose que les candidats doivent appartenir à la « communauté appropriée ». En vertu de l’alinéa 8 dudit article, les termes « communauté appropriée » désignent la communauté disposant d’un candidat non élu qui représenterait le plus grand nombre de personnes (selon le recensement de 1972) par rapport au nombre de sièges détenus à l’Assemblée immédiatement avant l’attribution du siège supplémentaire.

Teneur de la plainte

3.D’après l’auteur, la disposition constitutionnelle en vertu de laquelle il devait appartenir à la « communauté appropriée » pour obtenir un des sièges réservés aux « meilleurs perdants » est discriminatoire dans la mesure où les critères sur lesquels la décision repose sont d’ordre racial et religieux. Cette disposition est donc contraire à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Observations de l’État partie

4.1Dans une réponse en date du 25 mai 1998, l’État partie a formulé certaines observations concernant la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie fait valoir tout d’abord que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes étant donné qu’il n’a pas fait usage du droit prévu à l’article 17 de la Constitution lui permettant de saisir la Cour suprême pour violation des dispositions de l’article 16 relatives à la protection contre la discrimination. En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui objecte qu’aucun tribunal mauricien ne peut rendre un jugement contraire à la Constitution, loi suprême du pays, l’État partie fait valoir que l’auteur préjuge l’issue d’une telle procédure; de plus il pouvait se pourvoir devant la section judiciaire du Conseil privé étant donné que l’affaire avait trait à l’interprétation de la Constitution.

4.3L’État partie considère en outre que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte. En effet, la procédure d’attribution des huit sièges supplémentaires a pour but d’assurer une représentation adéquate de toutes les minorités du pays au Parlement et elle constitue une protection efficace contre la discrimination raciale telle que définie à l’article 26 du Pacte. L’objet de la communication est donc incompatible avec les dispositions du Pacte parce que ce serait au contraire l’absence d’une telle disposition constitutionnelle qui entraînerait une discrimination fondée sur la race, la religion et l’origine nationale ou sociale.

4.4Enfin, l’État partie fait valoir que la communication représente un abus du droit de plainte en raison du temps écoulé entre les faits, qui ont eu lieu en 1991, et la présentation de la communication, qui date du 25 novembre 1996, délai excessif et sans justification acceptable. L’État partie considère en outre qu’un tel délai annule toute possibilité de recours utile.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans une réponse datée du 13 novembre 1998, l’auteur émet des commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme en premier lieu que l’objet d’une action devant la Cour suprême en vertu de l’article 17 de la Constitution, dont l’État partie préconise l’exercice, serait de contester une décision contraire aux dispositions de l’article 16 de la Constitution. Or en l’espèce, ces dispositions n’ont en aucune manière été violées et l’article 16 a été correctement appliqué. La question est plutôt ici de savoir si l’article 16 lui-même constitue une violation de l’article 26 du Pacte, cas que ne prévoit pas l’article 17 de la Constitution. En deuxième lieu, l’auteur fait observer que l’article 16 de la Constitution vise toute violation du principe de non-discrimination par une « loi », c’est-à-dire un texte voté par le Parlement, et non par la Constitution elle-même, ce qui signifie qu’un pourvoi devant la Cour suprême en application de l’article 16 n’aurait guère de chances d’aboutir. En troisième lieu, il est évident que la Cour suprême ne peut pas rendre d’arrêt contraire à la Constitution puisqu’il s’agit de la loi suprême du pays. En outre, le Pacte n’ayant pas été incorporé dans la législation mauricienne, la Cour suprême ne pourrait que s’en inspirer. Il en va de même pour la section judiciaire du Conseil privé, qui appliquerait la législation mauricienne et se heurterait donc au même obstacle que la Cour suprême.

5.3Il est donc faux d’affirmer que l’auteur disposait encore de recours internes utiles. La seule autorité habilitée à réviser la Constitution, dans certaines circonstances, est le Parlement et, à ce jour, il n’a jamais agi dans ce sens. Le Comité devrait donc en l’espèce considérer que la condition de l’épuisement des recours internes a été remplie.

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte, l’auteur estime que la question des élections devrait appartenir entièrement aux électeurs et que l’État devrait se garder d’être trop protecteur. Il considère surtout que la répartition des sièges en fonction de la race et de la religion, la population mauricienne étant divisée en quatre communautés raciales et religieuses aux fins des décomptes électoraux, est inacceptable et foncièrement incompatible avec les dispositions de l’article 26 du Pacte.

5.5Enfin, en ce qui concerne le temps écoulé avant qu’il ne soumette sa communication, l’auteur relève que pour de nombreuses autres affaires, l’État partie n’a pas jugé qu’un délai de cinq ans était excessif et il demande donc que sa communication soit traitée de la même manière, d’autant que les intérêts de la justice au regard du droit international sont d’une telle importance qu’ils devraient l’emporter sur toute autre considération.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’auteur affirme avoir été victime d’une violation des droits consacrés à l’article 26 du Pacte du fait de l’application des modalités énoncées dans la Constitution concernant la répartition des sièges parlementaires en fonction de l’appartenance ethnique. L’État partie n’a pas nié que ces modalités figuraient dans la Constitution ni que les tribunaux nationaux n’avaient pas compétence pour réviser la Constitution afin qu’elle soit compatible avec le Pacte. Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que toute action en justice aurait été vaine et qu’il n’y avait plus de recours interne disponible pour attaquer l’acte constituant la violation. Le Comité rejette donc la demande de l’État partie tendant à ce que la communication soit déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.3L’État partie affirme que le Comité devrait considérer la communication comme irrecevable en raison du temps écoulé avant sa présentation, qui représente un abus du droit de plainte en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité relève qu’il n’existe aucune échéance précise pour la présentation des communications en vertu du Protocole facultatif et que le simple fait d’avoir attendu longtemps avant d’adresser la communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. En l’espèce, la violation dénoncée aurait eu lieu lors d’élections tenues cinq ans avant que la communication ne soit soumise au Comité, sans qu’une explication convaincante ne soit donnée pour justifier un tel délai. Faute d’explication, le Comité est d’avis que la présentation de la communication après un délai aussi long doit être considérée comme un abus du droit de plainte, d’où il conclut à l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de Christine Chanet, Louis Henkin,Martin Scheinin, Ivan Shearer et Max Yalden (dissidente)

Les signataires de la présente opinion ne peuvent admettre que le délai de cinq ans entre les faits incriminés et la présentation de la communication constitue, en dehors de toute justification convaincante donnée par l’auteur, un élément déterminant pour déclarer la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

En effet, le Protocole ne fixe aucun délai pour présenter une communication.

Le Comité ne peut par ce biais, introduire un délai de forclusion dans le Protocole facultatif.

Enfin, aucun préjudice particulier n’a été causé à l’État partie en raison du délai.

(Signé) Christine Chanet(Signé) Louis Henkin(Signé) Martin Scheinin(Signé) Ivan Shearer(Signé) Max Yalden

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Opinion individuelle d’Eckart Klein (dissidente)

À mon grand regret, je ne peux pas suivre la majorité sur la question de l’abus du droit de soumettre une communication (voir par. 6.3 de la décision). J’admets que le simple fait que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour soumettre une communication n’exclue pas principalement l’application de la règle générale de l’abus du droit de plainte. Toutefois, pour conclure à un abus de droit (malgré l’absence de délai), un laps de temps considérable doit s’être écoulé, et le temps qui peut s’écouler avant qu’une communication ne soit soumise doit être déterminé au cas par cas, en fonction des circonstances. De plus, ce devrait être à l’État partie qu’il appartient de montrer en quoi les critères constituant l’abus du droit de plainte sont réunis. Or en l’espèce l’État partie a simplement objecté, sans plus de précisions, que le délai écoulé avant la présentation de la communication était excessif et n’était justifié par aucun motif acceptable (voir par. 4.4 de la décision). De la même manière le Comité renvoie à l’auteur la charge de la preuve. Ce renversement de la charge de la preuve ne serait acceptable que si la communication avait été soumise avec un retard par rapport aux faits tel qu’il serait totalement incompréhensible sans autre explication. Étant donné que le temps écoulé entre les faits et la présentation de la communication est de cinq ans seulement, il n’est pas possible de renverser la charge de la preuve, qui doit être laissée à l’État partie, lequel en l’espèce n’a pas avancé d’argument valable. Le simple fait que la violation alléguée se soit produite lors d’élections périodiques n’est pas en soi suffisant. Par conséquent, je ne pense pas que le temps écoulé avant que la communication ne soit adressée au Comité puisse être considéré comme constitutif de l’abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

(Signé) Eckart Klein

[Fait en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

C.Communication No 791/1997, Singh c. Nouvelle-Zélande(décision adoptée le 12 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Moti Singh

Au nom de :L’auteur

État partie :Nouvelle-Zélande

Date de la communication :1er décembre 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 12 juillet 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, qui est datée du 1er décembre 1996, est Moti Singh, citoyen néo-zélandais, né le 13 mars 1960 à Fidji, résidant actuellement à Auckland. Il dit être victime de violations par la Nouvelle-Zélande des articles 2, 7 et 10, des paragraphes 1, 2, 3 d), e) et g) de l’article 14, et des articles 5, 16, 23 et 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 22 décembre 1993, l’auteur a été accusé de fraude fiscale pour 66 opérations faisant infraction à la loi sur l’impôt sur le revenu (Income Tax Act) de 1976. Il a également été accusé de « vol par dissimulation comptable », au titre de l’article 222 de la loi sur les crimes (Crimes Act) de 1961.

2.2Le 8 juin 1995, l’auteur a été jugé par le tribunal de district de Otahuhu, qui l’a reconnu coupable de fraude fiscale sous les 66 chefs. La plainte de l’auteur concerne uniquement l’inculpation de vol.

2.3L’auteur a demandé à être admis au bénéfice de l’aide judiciaire pour l’affaire de vol, ce que lui a refusé le greffier du tribunal de district de Otahuhu le 24 janvier 1994. Le 1er février 1994, l’auteur a fait appel de cette décision et obtenu l’aide demandée. Il a cependant dû payer à titre de contribution aux frais un montant de 150 dollars de Nouvelle-Zélande.

2.4L’auteur a estimé que, comme il avait été condamné dans l’affaire de fraude fiscale, son procès devant le tribunal de district de Otahuhu ne pourrait pas être équitable et il a prié son conseil de demander un renvoi devant un autre tribunal. Selon l’auteur, le procureur s’y est opposé et l’affaire n’a pas été transférée. L’auteur a été jugé pour le vol dont il était accusé, par le tribunal de district de Otahuhu, qui l’a déclaré coupable le 6 juillet 1995 (après huit jours d’audience), condamné à neuf mois de détention périodique et au versement d’une réparation de 4 603,33 dollars de Nouvelle-Zélande.

2.5Le 10 août 1995, l’auteur a demandé l’aide judiciaire pour faire appel de cette condamnation et de la sentence, au motif que la juge était de parti pris et que le procès n’avait pas été équitable. Le 4 octobre 1995, il a été informé que sa demande d’aide avait été repoussée parce que les motifs de son appel n’étaient pas « substantiels ». L’auteur a fait appel de cette décision du greffier de ne pas lui accorder le bénéfice de l’aide judiciaire mais, le 31 octobre 1995, un juge de la cour d’appel l’a confirmée. L’auteur n’en a pas moins fait appel de sa condamnation et de sa peine devant la cour d’appel. Il en a été débouté le 24 juillet 1996.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur présente les plaintes suivantes.

Aide judiciaire; incompétence du conseil à l’audience; lieu du procès

3.2L’auteur déclare qu’alors qu’il était admis au bénéfice de l’aide judiciaire, il a dû payer 150 dollars de Nouvelle-Zélande à titre de contribution aux frais de sa défense. Il dit que son premier avocat avait une vue déficiente et ne pouvait pas préparer convenablement le dossier. De plus, l’avocat qu’on lui avait ensuite commis n’était pas un spécialiste du droit fiscal, mais du droit pénal, et n’était donc pas capable de le représenter dans de bonnes conditions. L’auteur se plaint aussi de ne pas avoir pu choisir pour avocat un homme d’expérience, ni faire citer des experts faute de moyens financiers. Enfin, il se plaint que son procès ait été inéquitable parce qu’on a repoussé sa demande de dépaysement.

Conduite du procès

3.3L’auteur déclare qu’à son procès la juge a voulu influencer son avocat pour qu’il plaide coupable, parce qu’elle jugeait accablantes les preuves à charge. Malgré les pressions qu’il allègue, l’auteur a plaidé non coupable.

3.4L’auteur allègue aussi que la juge a enfreint son devoir d’équité au procès parce qu’elle a permis à l’accusation de procéder sur les six dossiers de vol au titre d’un seul et même acte d’accusation. Selon l’auteur, le fait que les chefs d’accusation n’aient pas été disjoints vicie son procès. Il affirme qu’il ne pouvait pas former une requête en disjonction en raison des difficultés financières dans lesquelles il se trouvait avec son conseil. Il dit que la juge pouvait de toute manière exercer son pouvoir discrétionnaire et disjoindre les chefs d’accusation, dans l’intérêt de la justice.

3.5L’auteur se plaint que, d’une manière générale, la juge avait une attitude partiale et une « haine profonde » à son égard et à l’égard de son conseil, à cause de leur couleur de peau. La juge l’aurait empêché d’exposer complètement sa cause, et son conseil n’aurait pu procéder à l’examen contradictoire du principal témoin à charge. L’auteur prétend aussi que le « langage corporel » de la juge aurait influencé le jury.

3.6Pour corroborer son allégation de partialité, l’auteur cite les notes du prononcé de la sentence, dans lesquelles la juge déclare : « le contribuable a eu à régler les frais d’un procès de deux semaines pour une affaire à mon avis totalement indéfendable ». L’auteur se plaint que la juge ait dit à son conseil que s’il ne payait pas les 150 dollars de Nouvelle-Zélande de la contribution aux frais de sa défense, le montant serait déduit des honoraires du conseil.

3.7L’auteur déclare que son conseil était démoralisé par l’attitude de la juge et qu’il souhaitait se retirer à la fin du procès, mais la juge lui aurait refusé ce congé. L’auteur soutient que cela l’a empêché d’être convenablement représenté.

Accusation

3.8L’auteur met en question l’attitude du conseil de la Couronne au procès : après qu’il eut repoussé l’offre de marchander le niveau de culpabilité présentée par l’accusation, le conseil de la Couronne a informé le conseil de la défense qu’il ferait tout pour obtenir une condamnation dans les six affaires. Selon l’auteur, cette « agression émotionnelle » de son conseil était faite exprès pour l’intimider et le démoraliser. La cour d’appel a rejeté son recours sur ce point sans recueillir le témoignage de son ancien avocat. Selon l’auteur, il y a là une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.9L’auteur se plaint également des formules empreintes de passion et d’agressivité que le conseil de la Couronne a utilisées dans son réquisitoire devant le jury. Il dit que la façon dont celui-ci a procédé sur lui-même à un examen contradictoire a porté un tort considérable à sa cause, parce qu’il était obligé de répondre à des questions en s’incriminant lui-même et qu’il se faisait insulter par cette personne. Enfin, ce magistrat aurait essayé d’influencer les juges pour la sentence.

3.10L’auteur allègue qu’un accord conclu entre le ministère public et la défense a été rompu par le premier. Selon cet accord, l’accusation ne devait parler que des six chefs de vol et ne pas évoquer les 66 condamnations pour fraude fiscale prononcées en procédure simplifiée. Au moment où le conseil de la Couronne a commencé à présenter des éléments de preuve qui ne devaient pas l’être, la défense a élevé une objection et déclaré que ces éléments n’étaient pas admissibles puisqu’ils étaient contraires à l’accord conclu. La juge l’a déboutée. L’auteur déclare que cela aussi a porté tort à sa cause. En appel, la cour d’appel a jugé que la plainte de l’auteur était sans fondement, dans la mesure où l’accord conclu était de portée assez large pour que les éléments de preuve présentés par l’accusation puissent être produits.

Citation de témoins

3.11L’auteur déclare qu’il n’a pas pu faire citer un certain M. Kumar comme témoin à décharge parce que cette personne avait été transférée hors de la Nouvelle-Zélande le 8 mai 1993. Selon lui, ce témoin aurait pu contredire la déposition des témoins à charge et susciter un doute sérieux quant à la véracité de la déposition du principal d’entre eux. En appel, l’auteur a déposé une déclaration sous serment, dont la cour d’appel a considéré qu’elle ne justifiait pas l’annulation des condamnations de l’auteur.

3.12L’auteur ajoute que le témoin à charge principal a menti devant le tribunal, et laisse entendre que les services de l’État chargés de l’application des lois et des poursuites pénales recourent régulièrement aux faux témoignages pour obtenir des condamnations.

3.13Il soutient qu’un deuxième témoin à charge, un certain M. Chandra, a fait un faux témoignage en niant que l’auteur l’avait aidé à régler des problèmes d’immigration, et que son conseil n’a pas été autorisé à produire les copies d’une correspondance avec ce témoin concernant des questions d’immigration. Selon l’auteur, ces pièces auraient jeté une ombre sur la fidélité de ce témoin, et la décision de la juge a donc violé son droit d’utiliser tous moyens de défense utiles.

3.14L’auteur prétend que la déposition d’un certain témoin, mort avant le début du procès, n’aurait pas dû être admise comme élément de preuve. Il explique que ce témoin était en train de mourir du sida lorsque sa déposition a été recueillie. Il soutient que le témoin n’était pas en état de faire une déclaration, puisque la veille même il n’avait pas pu assister à un certain entretien. L’auteur prétend que la déposition en question n’a pas été faite volontairement. Pourtant, après examen préliminaire selon la procédure de voir dire, la juge l’a jugée admissible.

Instructions au jury; fixation de la peine

3.15L’auteur prétend que les instructions au jury de la juge étaient injustes et favorables à l’accusation.

3.16Pour ce qui est de la sentence, l’auteur se plaint que la juge ait fait toutes sortes de remarques désobligeantes; elle aurait notamment recommandé au ministère public d’envoyer une copie de ses notes sur la sentence à l’Association néo-zélandaise des comptables et au Directeur divisionnaire de l’Institut national de comptabilité, de manière à empêcher l’auteur de continuer à exercer sa profession. L’auteur, arguant que sa mère invalide est à sa charge, déclare qu’il y a là une violation du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Il se plaint également de la peine, trop lourde, et de n’avoir pu payer la réparation à laquelle il était condamné. Il prétend que cette sentence, comparée à d’autres prononcées dans des affaires analogues, est extrêmement sévère, et que cela s’explique une fois encore par le fait qu’il est noir. À ce propos, il se plaint également que les accusés blancs soient en mesure d’engager des avocats expérimentés, alors que les accusés noirs doivent accepter des avocats commis d’office, ce qui limite leurs chances d’acquittement ou de condamnation légère. À ses dires, cela revient à un déni de justice.

3.17L’auteur affirme que la prévention de la juge contre lui avait pour origine le préjugé qu’elle entretenait d’une manière générale à l’égard des accusés noirs. Il cite plusieurs jugements rendus par cette juge, où ce préjugé serait prétendument manifeste. Il cite à ce propos son conseil (qui est également noir), qui lui a dit d’engager un avocat blanc pour présenter des observations prévues au moment de la fixation de la peine s’il voulait éviter la prison. L’auteur déclare aussi que le tribunal de district d’Otahuhu est bien connu pour ses « condamnations faciles ». Il se plaint d’autre part de la qualité générale de l’appareil judiciaire néo-zélandais.

Appel

3.18L’auteur soutient que le fait qu’on lui ait refusé l’aide judiciaire pour former son appel est une violation des intérêts de la justice et un acte discriminatoire à son encontre, fondé sur la race, la couleur et d’autres considérations de statut. Il met en question la justesse des jugements des juges d’appel, dans la mesure où plus de 52% de leurs arrêts sont ensuite cassés par le Conseil privé; il soutient qu’un juge qui estime que les motifs d’un appel ne sont pas « substantiels » n’a pas forcément raison. Il ajoute qu’en lui refusant l’aide judiciaire au motif que son appel n’était pas fondé, la Cour a fait preuve de partialité contre lui, ce qui est une violation de l’article 26. Il soutient également que, puisqu’il avait bénéficié de l’aide judiciaire pour son procès devant le tribunal de district, il pouvait « légitimement » espérer qu’il en bénéficierait encore en appel. Se référant au pouvoir discrétionnaire qu’a le greffier d’accorder ou de refuser l’aide en question, il déclare que le système se prête aux abus, les membres de minorités noires comme lui-même n’obtenant jamais cette aide. Il soutient de surcroît que c’est de mauvaise foi que le greffier a rejeté sa demande, notamment parce qu’il était « décidé d’avance » à le faire, qu’il lui a laissé très peu de temps pour déposer les pièces de son dossier et qu’il a utilisé un « ton » malveillant dans sa correspondance. Le recours en révision de l’auteur n’aurait pas été convenablement examiné, puisque son sort a été réglé en deux jours ouvrables.

3.19L’auteur se plaint que le juge de la cour d’appel était prévenu contre lui et qu’il l’a interrompu grossièrement parce qu’il avait fait une faute, compromettant ainsi son aptitude intellectuelle à défendre sa cause. Il déclare que la procédure d’appel a été une comédie ridicule, dont le résultat était fixé d’avance, comme l’attesterait le fait qu’on lui a refusé le bénéfice de l’aide judiciaire. De plus, l’un des juges en appel avait déjà été juge de son appel dans l’affaire de la fraude fiscale et, selon l’auteur, aurait dû faire état de cette circonstance et se démettre lors de l’audience en appel. L’auteur explique qu’il n’a pas soulevé ce problème en cours de procédure parce qu’il craignait de se rendre coupable d’outrage à magistrat. Il ajoute que le juge en question est « bien connu pour les remarques déplacées qu’il fait au prononcé de la sentence lorsque le coupable est un immigrant ou un Maori aborigène ». D’une manière générale, l’auteur se plaint que l’appareil judiciaire soit à dominante blanche, au détriment des accusés noirs.

Considérations diverses

3.20L’auteur explique qu’il accomplit sa peine en se présentant tous les samedis à un établissement pénitentiaire où il reste détenu pendant huit heures et est forcé d’accomplir un travail physique, quel que soit le temps. À ses dires, cela représente une violation des articles 7 et 10 du Pacte. Il explique qu’il n’y a qu’un seul WC portable sur le chantier, à l’usage de huit à dix détenus, et que ne sont fournis ni savon ni détergent. Il se plaint de surcroît de l’insuffisance des repas servis, de leur mauvaise qualité et des conditions contraires à l’hygiène dans lesquelles ils sont préparés. Il affirme qu’on ne lui sert qu’une tasse de thé en milieu de matinée et un sandwich au porc et au fromage au déjeuner. Il ajoute que malgré la rigueur des tâches manuelles qu’il effectue, on ne lui fournit ni équipement de sécurité ni vêtement de protection et que les détenus doivent acheter eux-mêmes leurs souliers de chantier. Il prétend aussi qu’il a contracté une grave infection de la peau sur les mains à cause des gants fournis par la prison, qui avaient été utilisés par d’autres avant lui et n’avaient pas été désinfectés.

3.21L’auteur allègue que sa mère est victime d’une violation de l’article 7 du Pacte, puisque les actes de l’État partie ont été pour elle source d’angoisse et de souffrance et qu’il ne peut s’occuper d’elle lui-même pendant les huit heures qu’il passe chaque semaine en détention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie déclare que les allégations de l’auteur ne sont pas recevables parce qu’elles ne relèvent pas du Pacte, qu’elles ne sont pas étayées et que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Si le Comité devait juger l’une d’elles recevable, l’État partie affirme qu’elle ne pourrait être soutenue, faute de fondement.

4.2D’une manière générale, l’État partie constate que la plupart des allégations portent sur des questions liées au procès devant le tribunal de district, considérations qui ont déjà été examinées et rejetées par la cour d’appel. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité lui-même, selon laquelle c’est aux instances d’appel des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins que la procédure ne soit manifestement arbitraire ou ne représente un déni de justice. En conséquence, la plupart des questions soulevées dans la communication à l’examen ne relèvent pas des compétences du Comité.

Aide judiciaire; incompétence du conseil au procès; lieu du procès

4.3L’État partie affirme que l’auteur a été utilement représenté. L’idée de l’auteur selon laquelle le greffier lui aurait délibérément commis un avocat aveugle est contraire à la vérité; tous les avocats de l’aide judiciaire sont inscrits sur un fichier et sont assignés par roulement. L’État partie déclare que le versement d’une contribution au titre de l’aide judiciaire n’est pas si rare et que le montant réclamé ne devrait pas avoir causé des difficultés à l’auteur. D’autre part, l’auteur aurait pu demander le réexamen de la décision prise par le greffier sur ce point mais il s’en est abstenu et les voies de recours internes n’ont donc pas été épuisées.

4.4En ce qui concerne le lieu du procès, l’État partie argue que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas fait appel au juge du tribunal de district au titre du paragraphe d) de l’article 28 de la loi pertinente (District Courts Act) de 1947 et du paragraphe 1 de l’article 322 de la loi sur les crimes de 1961 pour obtenir le renvoi devant un autre tribunal.

Conduite du procès

4.5Pour ce qui est des allégations concernant la conduite du procès, l’État partie soutient que toutes les questions mentionnées par l’auteur – y compris celles du prétendu parti pris de la juge, de l’infraction qu’elle aurait commise en évoquant la possibilité que l’auteur plaide coupable, et de sa déclaration selon laquelle les fonds de l’aide judiciaire étaient dépensés pour rien – ont été examinées de manière approfondie par la cour d’appel et que l’auteur n’a pu étayer ses allégations. L’État partie cite à ce propos des passages de l’arrêt de la cour d’appel. Quant au refus de la juge de laisser le conseil se retirer, l’État partie signale que la cour d’appel a jugé qu’il était opportun qu’un juge essaie de dissuader un avocat de se retirer à un stade aussi avancé d’un procès (après plusieurs jours d’audience) et que rien dans le procès verbal n’indiquait que le conseil avait demandé à se désister.

Accusation

4.6Pour ce qui est de la conduite du conseil de la Couronne, l’État partie soutient que la majorité des questions soulevées à son propos ont été examinées par la cour d’appel, et cite là encore l’arrêt de celle-ci.

4.7Quant à la prétendue violation par les tribunaux du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte (l’auteur n’aurait pas été autorisé à faire témoigner son ancien avocat), l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes. Apparemment, une lettre du greffier adjoint datée du 10 juillet 1996 expliquait à l’auteur la procédure que le tribunal suivrait pour régler la question de la commission d’office d’un défenseur. L’auteur n’a pas donné suite à cette lettre. Si elle ne lui était effectivement pas parvenue, il aurait pu s’en enquérir par téléphone.

4.8Dans le même ordre d’idées, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes à propos du refus du tribunal de disjoindre les chefs d’accusation. Comme l’auteur lui-même l’a reconnu, il avait la faculté de demander au tribunal de le faire. L’État partie déclare, à propos de la prétendue violation par le ministère public de l’accord qu’il avait conclu avec la défense, que cette allégation a été examinée en profondeur par la cour d’appel, et rejetée.

Citation de témoins

4.9À propos des témoignages à l’audience, l’État partie déclare que les questions qu’ils ont soulevées ont été, dans leur totalité, examinées non seulement par la juge, mais aussi par la cour d’appel, et renvoie à l’arrêt de celle-ci. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’un des témoins aurait fait un faux témoignage au procès, l’État partie dit que l’auteur s’est abstenu d’en saisir la cour d’appel et qu’il n’a donc pas épuisé les voies de recours internes.

Instructions au jury; fixation de la peine

4.10L’État partie rejette les allégations de l’auteur qui concernent les instructions au jury données par la juge. Quant à la question de la sentence et de l’invitation lancée par la juge au ministère public pour que l’association des comptables néo-zélandais soit informée de la condamnation, l’État partie répond que cette pratique n’est pas rare. Selon lui, il s’agit d’une mesure inspirée par la prudence et la logique puisque l’on pouvait raisonnablement déduire des faits de l’espèce que l’auteur risquait de reprendre ses agissements.

4.11Pour ce qui est de l’allégation de discrimination raciale, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas soulevé cet argument devant la cour d’appel et qu’il n’a donc pas épuisé les voies de recours internes, pas plus qu’il n’a étayé sa plainte. De plus, la question du caractère excessif de la condamnation a été portée devant la cour d’appel, qui l’a rejetée.

Appel

4.12En ce qui concerne le refus de l’aide judiciaire pour la procédure d’appel, l’État partie conteste toutes les allégations de l’auteur. En particulier, à propos du caractère prétendument injuste de la décision, il décrit en détail la procédure d’examen de la requête par le greffier, puis par quatre juges indépendants de la cour d’appel. Quant à la prétendue mauvaise foi du greffier, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas étayé cette allégation. D’ailleurs, les représentations de l’auteur sur ce point ont été rejetées par la cour d’appel, qui a fait observer que « les motifs invoqués ne suffisaient pas à justifier l’appel et [que] la demande a[vait] été examinée par trois juges de la cour d’appel » lorsque l’appel avait été examiné quant au fond.

4.13L’État partie soutient qu’il a accompli les obligations prévues au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, étant donné :

a)Que quatre juges de la cour d’appel ont procédé à une évaluation indépendante et que les intérêts de la justice n’exigeaient pas que l’auteur fût admis au bénéfice de l’aide judiciaire aux fins de la procédure d’appel;

b)Que ces évaluations préliminaires ont fait apparaître que l’appel n’était pas fondé sur des motifs suffisants;

c)Que la sentence attaquée du tribunal de district n’était pas de la plus grande gravité : aucune peine de prison n’a été imposée (sauf une période assez courte de détention périodique) et que, même si l’auteur a été obligé de rembourser un certain montant sur les sommes qui avaient été détournées, aucune amende ne lui a été imposée en sus;

d)Que l’auteur avait des aptitudes suffisantes pour préparer son appel et défendre sa cause, au point que, dans son arrêt, la cour d’appel l’a félicité de ses « communications écrites, soignées, argumentées et utiles et des déclarations orales qu’il a présentées avec sérieux pour les compléter ».

4.14De plus, l’État partie faire valoir que l’auteur n’était pas sans moyens pour former son appel, qu’il a retenu les services d’un avocat privé pour le représenter et que cet avocat est resté à son service du 24 octobre 1995 à la mi-juin 1996, c’est-à-dire pendant la plus grande partie de la période séparant l’introduction de son recours, à la mi-août 1995, de l’audience du 23 juillet 1996.

4.15Pour ce qui est de l’argument de l’auteur selon lequel un juge qui avait siégé dans l’appel relatif à l’affaire de fraude fiscale n’aurait pas dû prendre part ensuite à la décision sur l’octroi de l’aide judiciaire, l’État partie explique que les juges d’appel sont très peu nombreux et qu’il n’est pas toujours possible d’éviter ce genre de situation. Si un juge devait prendre une décision inspirée d’un tel rapprochement, il enfreindrait le serment judiciaire. D’autre part, l’État partie soutient que l’auteur aurait pu contester la présence de ce juge dès le début de l’audience. Il est difficile de croire qu’il craignait de se rendre coupable d’outrage à magistrat, car la question ne se serait même pas posée. Ainsi donc, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes sur ce plan.

4.16L’État partie répond à l’allégation de l’auteur selon laquelle la décision a été « prise d’avance » en expliquant que plusieurs heures ont été consacrées à son affaire et que l’arrêt de la cour d’appel, qui compte 20 pages, est très complet et très détaillé.

Considérations diverses

4.17À propos des conditions de détention, l’État partie explique en détail le régime en vigueur. L’île sur laquelle s’effectue cette détention étant une réserve, il n’est pas possible d’y construire des installations d’hygiène permanentes et il a fallu y adopter des toilettes d’un type différent. Ces toilettes, qui sont en conformité avec les règlements municipaux, sont entièrement encloses, offrent un siège adéquat, et la chaux jetée dans le trou élimine les odeurs nauséabondes. La pratique est courante avec ce genre de latrines.

4.18L’État partie conteste l’affirmation selon laquelle ni savon ni détergent ne sont fournis et précise qu’outre ces produits chaque détenu reçoit une serviette de toilette. L’inventaire de ces fournitures est contrôlé toutes les semaines, et complété au besoin. Le détenu chargé de préparer les repas reçoit une paire de gants de cuisinier qu’il ne doit pas quitter lorsqu’il touche les aliments. Le contremaître de l’équipe contrôle tout cela de près. L’État partie donne des détails sur les rations alimentaires servies à chaque détenu et affirme qu’elles ne sont pas insuffisantes. Il déclare aussi que l’auteur n’a pas demandé de régime particulier pour répondre à des considérations religieuses ou ethniques, alors qu’il en avait la possibilité.

4.19.L’État partie nie que toutes les tâches assignées à l’auteur comportent des travaux pénibles. Quant à la sécurité, tous les chantiers sont inspectés par un agent de probation avant tout envoi de main-d’oeuvre. Cette inspection se fait conformément à certaines directives en matière de santé et de sécurité. Lorsqu’il est évident qu’un équipement ou des vêtements de protection sont nécessaires, ils sont mis à la disposition du contremaître de l’équipe. Tous les chantiers n’obligent pas à porter une tenue de protection. L’État partie nie que les détenus soient censés acheter ce type de vêtements, qui sont fournis par le centre de détention périodique. Il dit aussi que des souliers sont fournis à ceux qui n’ont pas les moyens de s’en acheter et que les détenus peuvent porter leurs gants personnels s’ils le souhaitent. Il fait observer que l’auteur n’a à aucun moment informé le personnel du centre de son infection de la peau ni produit de certificat médical. Aucun agent du centre n’a reçu de plainte de l’auteur à ce propos, ni oralement, ni par écrit.

4.20Quant à l’allégation de violation des articles 7, 10 et 23, qui concerne la mère de l’auteur, l’État partie soutient que la plainte doit être déposée en personne par la mère. Quant au fond, il précise cependant que l’auteur ne se rend au centre que huit ou dix heures par semaine et que lui-même et sa mère bénéficient des prestations de l’État que justifie la maladie de celle-ci.

Réponse de l’auteur aux observations de l’État partie

5.1Dans sa réponse, l’auteur reprend les arguments de sa communication initiale. Quand l’État partie déclare qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer des faits et des éléments de preuve, l’auteur soutient que la jurisprudence du Comité peut et devrait être révisée sur ce point et qu’en tout état de cause la procédure attaquée était arbitraire et manifestement inéquitable. Il prétend que la décision de la cour d’appel était « subjective », mais ne fournit aucun élément juridiquement probant pour étayer cette conclusion. Il répète qu’il n’était pas représenté, et qu’il n’était pas de taille face au ministère public.

5.2À l’État partie qui affirme qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne plusieurs violations, l’auteur répond que cela incombait à son conseil et qu’il n’a pas à subir les conséquences des erreurs de celui-ci. De plus et en réponse au même argument avancé par l’État partie à propos des questions relatives à son appel, l’auteur soutient qu’il n’était pas censé connaître les voies de recours offertes, puisqu’il n’avait pas de représentant légal.

5.3L’auteur rejette les explications de l’État partie sur la commission d’office d’avocats choisis dans un fichier. Quant au dépaysement du procès, la décision relevait du pouvoir discrétionnaire du juge et ce moyen de défense « n’était pas disponible et n’aurait pas eu d’efficacité ».

5.4L’auteur déclare que trois heures seulement ont été consacrées à l’examen de son appel, temps trop court pour qu’il ait pu faire entendre sa cause dans des conditions équitables. Il affirme qu’il a corroboré ses allégations de discrimination en se référant à quatre autres affaires dans lesquelles la même juge présidait, et dont il prétend qu’on y trouve la preuve des préventions de celle-ci. Il ajoute que les recours internes qui, selon l’État partie, lui auraient été ouverts n’étaient ni disponibles, ni utiles, ni suffisants.

5.5L’auteur renouvelle sa plainte à propos des instructions au jury et de la fixation de la peine et donne des informations sur certaines affaires jugées en Nouvelle-Zélande, dont il prétend qu’elles sont analogues à la sienne et dans lesquelles les peines prononcées étaient plus légères. Quant à la décision de la juge de porter la condamnation de l’auteur à l’attention de son association professionnelle, l’auteur déclare que l’État partie n’a fourni aucun exemple de cette pratique et que celle-ci reste à démontrer.

5.6L’auteur repousse les explications de l’État partie sur le refus de l’admettre au bénéfice de l’aide judiciaire et note que l’État partie n’a rien avancé qui démontrerait que sa propre demande ait été examinée par quatre juges de la cour d’appel. Il ajoute que la raison pour laquelle l’aide judiciaire lui a été refusée était le coût de l’appel. À ses dires, cette considération de coût intervenant dans la décision de recevoir ou non l’appel est « illégale » et viole clairement les paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14.

5.7L’auteur rejette aussi les explications de l’État partie sur les conditions de sa détention. Il déclare que lui-même et d’autres détenus se sont plaints à plusieurs occasions de n’avoir pas assez à manger, mais que rien n’a été fait. Il dit qu’il a avisé les gardiens, oralement et plusieurs fois par écrit, de ses convictions culturelles en les informant qu’il ne pouvait pas manger de viande de boeuf. On a pourtant continué à lui en servir. Il ajoute qu’il a mis les gardiens au courant de son infection de la peau et qu’il leur a fourni des certificats médicaux. De plus, il dit avoir été puni pour des infractions mineures, comme parler avec d’autres détenus, et « encagoulé, condamné à rester debout dix heures durant et soumis à des violences de langage à connotations racistes ».

5.8L’auteur confirme qu’il perçoit les prestations de la sécurité sociale mais qu’il ne les a reçues qu’après que sa condamnation lui eut fait perdre son emploi à temps partiel. Selon lui, cela n’autorise pas l’État partie à s’exonérer de sa responsabilité de protecteur de la famille.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de la contribution aux frais de sa défense, que l’auteur a dû régler pour son procès devant le tribunal de district, le Comité note que l’auteur n’a pas demandé un réexamen de la décision du greffier à cet égard et estime par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes. Sa plainte à cet égard est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3De même, en ce qui concerne le lieu du procès, le Comité note que l’auteur n’a pas demandé au juge du tribunal de district un changement de lieu et n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles. En conséquence, sa demande est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne la prétendue violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte en raison du fait que l’auteur n’a pas été autorisé à faire témoigner son ancien avocat lors de l’audience de la cour d’appel, le Comité note que l’auteur n’a pas suivi la procédure requise pour permettre à son avocat de témoigner et n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles. Cette plainte est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5S’agissant du refus du tribunal de disjoindre les chefs d’accusation, l’auteur a lui-même reconnu qu’il n’avait pas demandé au tribunal de le faire et, par conséquent, qu’il n’avait pas épuisé les recours internes disponibles. Cette plainte est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’un des témoins aurait fait un faux témoignage au procès, le Comité note que l’auteur n’a pas saisi la cour d’appel à ce sujet et n’a donc pas épuisé les recours internes. Cette plainte est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 26 du Pacte au motif de la couleur de la peau de l’auteur, le Comité note que ce dernier n’a pas évoqué cette question devant la cour d’appel et n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles. Cette plainte est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.8Pour ce qui est de la présence d’un juge de la cour d’appel qui avait siégé dans l’appel du jugement pour fraude fiscale, le Comité note que l’auteur ne l’a pas contestée pendant l’audience. Sa plainte est donc irrecevable parce qu’il n’a pas épuisé les recours internes disponibles, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.9Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’auteur n’a bénéficié pendant son procès devant le tribunal de district que d’une représentation inefficace, ce qui est une infraction au paragraphe 3 d) de l’article 14, le Comité estime que le simple fait que le premier avocat de l’auteur était malvoyant et que le deuxième n’était pas fiscaliste ne suffit pas à démontrer que cette représentation était sans efficacité au sens du Pacte. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas fourni assez d’éléments d’information qui étayeraient cette plainte sous l’angle de sa recevabilité. Cette plainte est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10En ce qui concerne la plainte selon laquelle le refus de faire bénéficier l’auteur de l’aide judiciaire pour poursuivre son appel constitue une violation du paragraphe 3 d) et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que la demande de l’auteur a été examinée par le greffier, puis par quatre juges de la cour d’appel, lesquels ont conclu que les intérêts de la justice n’exigeaient pas qu’un avocat soit commis d’office. Le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation à l’effet contraire du point de vue de la recevabilité. Cette plainte est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.11Le Comité note que les autres réclamations de l’auteur relevant de l’article 14 du Pacte concernent essentiellement l’évaluation des faits et des éléments de preuve, ainsi que la mise en application du droit interne. Le Comité rappelle que c’est aux tribunaux des États parties, et non à lui-même, qu’il appartient en règle générale d’évaluer les faits d’une cause et d’interpréter les textes législatifs internes. L’information dont le Comité dispose et l’argumentation avancée par l’auteur ne font pas apparaître que l’évaluation des faits et l’interprétation de la loi auxquelles les tribunaux ont procédé étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. Ces plaintes sont donc irrecevables au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

6.12En ce qui concerne les allégations de violation des articles 7 et 10 dont aurait été victime la mère de l’auteur à la suite de la détention de celui-ci, le Comité fait observer que, selon l’article 2 du Protocole facultatif, c’est la victime présumée elle-même qui a qualité pour soumettre une communication au Comité. En outre, même si l’on fait abstraction du fait que la mère de l’auteur n’a pas soumis de communication, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ces plaintes du point de vue de la recevabilité. La plainte est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.13En ce qui concerne les allégations de violation des articles 7 et 10 du Pacte dont l’auteur aurait été victime de par les conditions qui lui étaient imposées pendant les huit heures de travail hebdomadaires auxquelles il était astreint, le Comité estime que lesdites allégations ne sont pas suffisantes pour justifier une plainte au titre des articles 7 ou 10 du Pacte. Cela vaut pour les plaintes supplémentaires formulées au paragraphe 5.7, qui ont été présentées ultérieurement par l’auteur. Ces plaintes sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

D.Communication No 808/1998, Rogl c. Allemagne(décision adoptée le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, M. Louis Henkin, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen. En application de l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Eckart Klein n’a pas participé à l’examen de la communication.

Présentée par :M. Georg Rogl(représenté par M. Georg Rixe)

Au nom de :L’auteur

État partie :Allemagne

Date de la communication :29 octobre 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2000,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. Georg Rogl, citoyen allemand né le 30 mai 1950. Il présente la communication en son nom propre et au nom de sa fille Nicole, également de nationalité allemande, née le 7 avril 1985. Il est représenté par son conseil, M. Georg Rixe. Il affirme que sa fille et lui sont victimes de violations par l’État partie des articles 14 (par. 1), 17 ( par. 1 et 2), 23 (par. 1 et 4) et 24 (par. 1 et 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

1.2Le Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 17 mars 1974 et le Protocole facultatif le 25 novembre 1993. En adhérant au Protocole facultatif l’État partie a formulé une réserve à cet instrument libellée comme suit : « La République fédérale d’Allemagne formule, à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5, une réserve aux termes de laquelle le Comité n’aura pas compétence pour les communications a) qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; b) dénonçant une violation des droits qui a son origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République fédérale d’Allemagne; c) dénonçant une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans la mesure où la violation dénoncée se réfère à des droits autres que ceux garantis dans le Pacte susmentionné ».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Après avoir divorcé d’avec l’auteur, son ex-femme s’est remariée le 15 décembre 1989. Elle avait auparavant reçu la garde de sa fille née du mariage avec l’auteur et qui est au centre de la présente communication. Dans une requête datée du 16 septembre 1991, adressée à l’administration du district municipal de Cham, l’ex-femme de l’auteur a demandé que le patronyme de sa fille soit modifié pour qu’elle porte le nouveau nom de sa mère. Il a été fait droit à cette demande le 9 mars 1992.

2.2Le recours administratif de l’auteur auprès du Gouvernement du district du Haut-Palatinat a été rejeté le 23 juillet 1992. Le tribunal administratif de Regensburg (Ratisbonne), la cour d’appel administrative de la Bavière et le tribunal administratif fédéral ont rejeté d’autres appels formés par l’auteur, le 7 décembre 1992, le 30 novembre 1992 et le 27 juin 1994, respectivement. L’auteur a ensuite introduit un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale, qui l’a déclaré irrecevable le 9 décembre 1994.

2.3Après avoir épuisé les voies de recours internes, l’auteur a introduit une requête concernant les mêmes faits et éléments auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, le 26 mai 1995. Cette requête a été enregistrée le 25 août 1995, sous le numéro 28319/95. La Commission plénière a estimé par une décision prise à la majorité, le 20 mai 1996, qu’elle était « manifestement infondée », et par conséquent irrecevable.

2.4La présente communication a été transmise à l’État partie le 26 février 1998. Les observations de l’État partie concernant sa recevabilité ont été reçues le 24 avril 1998, et les commentaires du conseil à ce sujet le 3 août 1998. Le 7 juin 2000, le conseil a présenté d’autres commentaires, auxquels l’État partie a répondu le 26 septembre 2000.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que le fait d’avoir donné officiellement à sa fille, qui portait auparavant son nom, le nouveau nom de son ex-femme, que chaque degré de juridiction de l’État partie a confirmé cette décision et qu’il y a eu divers vices de procédure (y compris le fait qu’une des juridictions n’a pas rendu son jugement en public) constitue une violation des droits de l’auteur et de sa fille reconnus aux articles 14 (par. 1), 17 (par. 1 et 2), 23 (par. 1 et 4), 24 (par. 1 et 2).

Renseignements et observations communiqués par le conseilau sujet de la recevabilité de la communication

4.1La communication initiale de l’auteur revient longuement sur les faits et présente des arguments sur le fond; elle fait en outre valoir une série d’arguments quant à la recevabilité de la cause. L’auteur soutient en premier lieu que sa communication n’est pas visée par l’alinéa a) de la réserve formulée, lors de son adhésion, par l’État partie à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, aux termes duquel le Comité n’a pas compétence pour connaître des communications qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2L’auteur avance deux arguments en ce qui concerne cette réserve. Il invoque d’abord la décision du Comité dans l’affaire Casanovas c. France; dans cette décision le Comité avait estimé qu’une demande déclarée irrecevable ratione materiae par la Commission européenne des droits de l’homme n’avait pas été « examinée » d’une façon qui excluait, en vertu d’une réserve formulée en des termes à peu près similaires par cet État partie, que le Comité l’examine à son tour. Pour ce qui est de la plainte déposée au nom de l’enfant, l’auteur fait valoir que, étant donné que la Commission européenne avait rejeté sa prétention préliminaire à introduire une requête au nom de sa fille, il ne peut être affirmé que cette partie de la communication a déjà été examinée. L’examen de la cause du père n’exclut pas non plus, du seul fait de la réserve, l’examen distinct de celle de la fille, puisque les demandeurs ont des griefs différents.

4.3Le deuxième argument de l’auteur est que le paragraphe b) de la réserve de l’État partie n’empêche nullement le Comité d’avoir compétence pour examiner la communication. L’auteur soutient que la procédure judiciaire ordinaire n’a pris fin qu’avec la notification de la décision de la Cour administrative fédérale, le 8 juillet 1994, et que c’est seulement alors que le changement de patronyme a légalement pris effet. À cette date, le Protocole facultatif était déjà en vigueur pour l’État partie. En outre, la décision du 9 décembre 1994 de la Cour constitutionnelle fédérale, à savoir le rejet de la requête en inconstitutionnalité, constituait une violation supplémentaire du Pacte.

4.4 Deuxièmement, l’auteur fait valoir qu’en tout état de cause le principe des « effets persistants », selon lequel des violations du Pacte antérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif peuvent être examinées par le Comité si elles ont des effets persistants qui sont ressentis par les victimes présumées, s’applique en l’espèce. Le lien affectif entre père et fille est continuellement affaibli tant que le changement de patronyme reste effectif. L’auteur renvoie à ce propos aux constatations formulées par le Comité dans les affaires E. et A. K. c. Hongrie et Simunek c. Tchécoslovaquie, confirmées par son observation générale No 24 datée du 11 novembre 1994. L’auteur soutient qu’interpréter la réserve de l’État partie comme excluant de la compétence du Comité les violations produisant des effets persistants serait contraire à l’esprit et à la raison d’être du Protocole facultatif.

4.5Troisièmement, l’auteur considère que la communication sur le nom et au nom de sa fille n’est pas irrecevable ratione personae du seul fait qu’il n’a pas la garde de l’enfant. Il rappelle que, dans l’affaire P. S. c. Danemark, le Comité a estimé qu’un parent pouvait lui adresser une communication au nom d’un enfant dont il n’avait pas la garde. Il fait valoir que sa fille ne peut manifestement pas présenter de communication et que les intérêts de la mère ne l’incitent certainement pas à faire cette démarche. Il estime donc que la relation de père à fille est suffisante pour qu’il puisse prétendre à présenter la communication au nom de sa fille.

Renseignements et observations communiqués par l’État partieau sujet de la recevabilité de la communication

5.1Le premier argument de l’État partie concernant la recevabilité est que le Comité n’a pas compétence pour examiner la communication, et ceci en raison de l’alinéa a) de sa réserve. L’État partie affirme que la communication a déjà été « examinée » au sens de sa réserve le 20 mai 1996, lorsque la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré que la requête introduite par l’auteur le 26 mai 1995 était irrecevable. L’État partie estime à ce propos que c’est à tort que l’irrecevabilité constatée par la Commission dans sa décision est qualifiée de ratione materiae. Alors que dans l’affaire Casanovas, la Commission avait déclaré la plainte irrecevable au motif que les droits reconnus par la Convention ne couvraient pas les faits incriminés, elle a au contraire estimé dans l’affaire Rogl que les dispositions de la Convention européenne prétendument violées étaient applicables en l’espèce.

5.2Pour ce qui est de l’article 8 de la Convention, qui correspond en gros à l’article 17 du Pacte, la Commission européenne des droits de l’homme a retenu non seulement l’applicabilité, mais aussi l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, avant de conclure que cette ingérence était justifiée en l’espèce. L’État partie fait valoir que les dispositions de la Convention européenne prétendument violées sont pour l’essentiel identiques à celles du Pacte maintenant invoquées par l’auteur. La Commission a procédé à un examen complet, détaillé et approfondi de toutes les circonstances de l’affaire avant d’aboutir à la conclusion que la cause était manifestement infondée.

5.3L’État partie fait observer que l’une des principales raisons d’être de l’alinéa a) de sa réserve est d’éviter la multiplication des procédures d’examen devant les instances internationales, avec les risques de décisions contradictoires que cela implique. Par ailleurs, dans l’intérêt du bon fonctionnement des organes internationaux des droits de l’homme, il convient d’éviter que des demandeurs puissent « faire la tournée des procédures », notamment lorsque les faits ont déjà été examinés en détail par une instance internationale, ce qui est le cas en l’espèce.

5.4Cette démarche consistant à éviter que les différents organes internationaux des droits de l’homme ne soient saisis tour à tour de demandes identiques n’est pas particulièrement restrictive, et elle semble même devenir la norme dans les accords internationaux. L’État partie cite des dispositions à cet effet à peu près identiques contenues dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants et dans le projet de Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

5.5À propos des arguments du conseil quant à l’irrecevabilité ratione temporis, l’État partie soutient que l’événement décisif en la matière est la réponse favorable donnée le 9 mars 1992 par l’administration du district municipal de Cham à la demande de changement de patronyme, et la confirmation de ce changement par le Gouvernement du district du Haut-Palatinat le 23 juillet 1992. Ces deux dates sont antérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. L’État partie fait remarquer qu’en droit administratif allemand ce dernier acte administratif, à savoir l’avis de confirmation du 23 juillet 1992, peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

5.6Les considérations qui précèdent sont conformes à la fois à la formulation et à l’intention de la réserve de l’État partie, qui exclut de la compétence du Comité les violations « qui ont leur origine dans des événements » antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, outre les violations qui se seraient produites avant cette entrée en vigueur. L’État partie cite à ce propos les constatations formulées par le Comité dans l’affaire K. et C. V. c. Allemagne, qui vont dans le même sens.

5.7L’État partie soutient en outre que pour ce qui concerne la fille de l’auteur, la communication est irrecevable à double titre. Premièrement, elle est irrecevable ratione personae, ainsi qu’en a décidé la Commission européenne des droits de l’homme, du fait qu’un parent n’ayant pas la garde d’un enfant n’a pas qualité pour engager cette procédure en son nom. L’État partie constate que le Comité ne semble pas appliquer des critères différents de ceux de la Commission dans ce domaine. Il soutient que la reconnaissance de la qualité pour agir dans la présente affaire reviendrait à faire fi de la volonté du parent ayant la garde de l’enfant. Il estime par ailleurs que les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que les tribunaux de l’État partie n’ont à aucun moment été saisis de la question de la violation des droits de l’enfant, par opposition à ceux du père. Pour que tel ait été le cas, il aurait fallu que l’enfant elle-même engage une procédure, ce qui pour des raisons évidentes ne s’est pas produit.

Réponse du conseil concernant les renseignements et observationsprésentés par l’État partie au sujet de la recevabilité de la communication

6.1L’auteur, dans sa lettre du 3 août 1998, conteste les observations de l’État partie relatives à la recevabilité.

6.2Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle la communication a déjà été examinée par un autre organe, l’auteur préconise une interprétation restrictive de la réserve de l’État partie en faisant observer que la décision de la Commission européenne des droits de l’homme ne portait que sur la question de la recevabilité et non sur le fond. Invoquant une observation d’ordre général du Comité qui, à l’occasion de l’examen de la communication Casanovas c. France, a estimé que les droits énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme « diffèrent sur le fond » de ceux proclamés par le Pacte, l’auteur conteste l’affirmation selon laquelle les deux ensembles de droits invoqués dans le cas d’espèce seraient « pour l’essentiel identiques ». Il fait observer que les articles 23 et 24 qu’il invoque offrent des garanties qui n’ont pas d’équivalent dans la Convention européenne des droits de l’homme. Quant à l’article 17, il affirme que l’article 8 équivalent de la Convention européenne est formulé en des termes relativement restrictifs. En outre, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le fait qu’une décision de juridiction d’appel n’a pas été rendue publiquement constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14, il n’est pas possible de dire qu’un « examen » de cet aspect a eu lieu puisque la Commission européenne a estimé que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

6.3S’agissant du motif d’irrecevabilité avancé par l’État partie (ratione temporis), l’auteur soutient de nouveau que la date de la violation doit être celle de la notification légale du 8 juillet 1994 confirmant le changement de nom suite à l’ordonnance du tribunal administratif fédéral du 27 juin 1994 refusant l’autorisation de faire appel. Par conséquent, la violation n’est pas concernée par la clause d’exclusion pour ratione temporis énoncée dans le deuxième alinéa de la réserve de l’État partie car ce n’est qu’à cette date que le changement de nom a pris effet.

6.4En tout état de cause, la décision du tribunal administratif fédéral puis celle de la Cour constitutionnelle fédérale ont constitué de nouvelles violations du Pacte car elles ont confirmé la violation initiale. L’auteur estime aussi que ces confirmations de la violation initiale présumée ont eu un effet persistant qui relève de la compétence du Comité. Le changement de nom a lui aussi des effets persistants et aura des effets futurs sur l’auteur et sa fille. L’auteur fait valoir que l’existence de ces effets persistants n’est pas contestée par l’État partie. Il affirme que cette partie de la réserve de l’État partie est incompatible avec les buts du Protocole facultatif.

6.5Enfin, citant les constatations formulées par le Comité lors de l’examen des communications P. S. c. Danemark et Santacana c. Espagne, l’auteur fait valoir qu’il peut présenter une communication au nom de sa fille. À cet égard tout au moins, le Comité a une vision des choses plus large que la Commission européenne des droits de l’homme. S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que les tribunaux internes ont effectivement pris en considération les droits et les intérêts de l’enfant et que cette dernière a été partie à la procédure judiciaire par le biais de sa mère. Il n’est pas nécessaire que l’enfant ait engagé elle-même une action en justice.

Renseignements et observations supplémentaires concernant la recevabilité

7.Par une nouvelle lettre datée du 7 juin 2000, l’auteur présente des observations supplémentaires concernant les motifs d’irrecevabilité pour ratione temporis. Il fait valoir que dans le droit interne, le moment déterminant est celui où la procédure orale a eu lieu devant la dernière juridiction d’appel, moment où les autorités ont indiqué que leur décision ne pourrait prendre effet qu’à la condition de ne plus être juridiquement contestable. L’État partie fait observer dans une communication en date du 26 septembre 2000 que rien ne laisse penser dans le cas d’espèce que la décision initiale comportait une telle condition et affirme, par conséquent, que la règle générale de droit administratif qu’il avait invoquée initialement reste applicable, à savoir que la date de la décision administrative initiale était la date déterminante.

Arguments de l’auteur sur le fond

8.1L’auteur fait des observations détaillées sur les violations présumées de ses droits reconnus aux articles 14, 17 et 23 sur lesquels il n’est pas nécessaire, pour des motifs ayant trait à la recevabilité exposés ci-après, de s’appesantir. En ce qui concerne les violations présumées des droits de la fille, l’auteur affirme, dans l’optique des articles 17 et 23, que le changement de patronyme a perturbé la vie familiale de cette dernière et a porté atteinte à son lien avec son père et qu’il n’a pas été démontré que ce changement était nécessaire et conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

8.2À propos des droits que confèrent à la fille les articles 14 et 24, l’auteur affirme qu’à aucun moment de la procédure cette dernière n’a été entendue par les tribunaux sur une question qui revêtait pour elle un intérêt manifeste et qu’elle n’a pas non plus bénéficié d’une représentation indépendante devant les tribunaux, alors que sa mère, en sa qualité de parent légalement investi de la garde de l’enfant, avait ses propres intérêts distincts dans l’affaire. Il est donc affirmé que les droits de la fille à une procédure équitable et à une protection spéciale en tant qu’enfant ont été violés par ces lacunes dans la procédure. À cet égard, l’auteur renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Gallicchio c. Argentine, à l’effet que l’article 24 avait été violé car l’enfant n’avait pas été dûment représenté dans une procédure judiciaire qui le concernait.

Délibérations du Comité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles ses propres droits reconnus aux articles 14, 17 et 23 du Pacte ont été violés, le Comité note que la Commission européenne des droits de l’homme a rejeté, le 20 mai 1996, le recours de l’auteur concernant les mêmes faits et points litigieux dont le Comité est à présent saisi. Le Comité rappelle, en outre, qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité ne serait pas compétent pour examiner des communications qui auront déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité note que la Commission européenne des droits de l’homme a considéré que les dispositions de la Convention européenne qui avaient été violées selon l’auteur étaient applicables et a examiné tous les points de fait et de droit qui se posaient dans le cas d’espèce. Ayant examiné de façon approfondie et exhaustive l’ensemble des aspects de la question, la Commission a estimé en définitive que l’ingérence dans le droit de l’auteur au respect de la vie familiale était justifiée et a déclaré en conséquence que la plainte de ce dernier était irrecevable car manifestement infondée. En ce qui concerne le caractère prétendument non régulier des procédures, la Commission a estimé que, hormis la violation alléguée au motif que la cour d’appel administrative de la Bavière avait omis de rendre publiquement sa décision, il n’y avait aucune raison de conclure que les procédures avaient été dans l’ensemble entachées d’irrégularités.

9.4En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel les dispositions de la Convention européenne sont différentes de celles du Pacte invoquées dans le cas d’espèce, le fait qu’il existe des différences de formulation entre les dispositions n’est pas suffisant à lui seul pour permettre de conclure qu’une question qui est soulevée au titre d’un droit protégé par la Convention n’a pas été « examinée » par la Commission européenne des droits de l’homme. La preuve d’une différence substantielle entre les dispositions applicables dans le cas d’espèce doit être apportée. Dans l’affaire en cause, les dispositions des articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne telles qu’elles ont été interprétées par la Commission sont suffisamment proches des dispositions des articles 14 et 17 du Pacte invoquées dans la communication à l’examen pour que l’on considère que les questions pertinentes ont été « examinées ». Cette conclusion n’est pas modifiée par l’invocation de l’article 23 du Pacte devant le Comité car toutes les questions relevant de cet article ont été traitées en substance dans la décision susmentionnée de la Commission.

9.5Il existe donc une différence entre la communication à l’examen et la communication Casanovas c. France sur laquelle l’auteur fonde une bonne part de ses arguments car dans le cas de celle-ci, la Commission n’avait même pas considéré que les dispositions de la Convention européenne s’appliquaient aux faits de la cause. Il s’ensuit que la présente communication a été « examinée » par une autre instance internationale pour ce qui est du droit au respect de la vie familiale et du droit à un procès équitable (exception faite de l’allégation concernant le caractère non public d’une décision de justice). En conséquence, l’alinéa a) de la réserve de l’État partie concernant le Protocole facultatif est applicable et le Comité ne peut pas examiner ces aspects de la communication.

9.6En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte du fait que la cour d’appel administrative de la Bavière n’a pas rendu son jugement publiquement, le Comité note que la Commission européenne des droits de l’homme a rejeté cet aspect de la plainte au motif du non-épuisement des recours internes et a fait notamment observer que l’aspect en question n’avait pas été invoqué devant la Cour constitutionnelle fédérale. En conséquence, cette partie de la communication n’a pas été « examinée » par une autre instance internationale d’une manière qui exclurait qu’elle puisse être examinée du fait de la réserve de l’État partie. Néanmoins, pour les mêmes raisons avancées par la Commission, le Comité estime que les recours internes disponibles en la matière n’ont pas été épuisés. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.7S’agissant des violations présumées des droits de la fille de l’auteur reconnus aux articles 14, 17, 23 et 24, le Comité note que l’auteur a été jugé par la Commission européenne des droits de l’homme non habilité à introduire une requête au nom de sa fille. En conséquence, il ne peut être affirmé que l’aspect de la plainte concernant la fille a été « examiné » par la Commission et que, partant, le Comité n’est pas compétent pour examiner l’affaire du point de vue de la fille.

9.8Le Comité note que, conformément à sa jurisprudence, un parent qui n’a pas la garde de l’enfant n’est pas forcément privé de la capacité d’intenter une action au nom de celui-ci. Le Comité considère toutefois, en ce qui concerne les violations présumées des droits de la fille visés aux articles 14, 17, 23 et 24, que ni les arguments de l’auteur ni les pièces produites ne prouvent, aux fins de la recevabilité, l’existence d’effets néfastes sur la fille qui, selon l’auteur, constituent des violations de ces articles. Le Comité fait observer à cet égard que bien que la fille ait atteint l’âge de 15 ans à la date de la dernière lettre de l’auteur, rien n’indique qu’elle souscrit à l’affirmation selon laquelle ses droits ont été violés. En conséquence, le Comité considère cet aspect de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.9Compte tenu des conclusions qui précèdent, le Comité n’a pas besoin d’examiner le reste des arguments à l’appui de la recevabilité que l’auteur a présentés et auxquels l’État partie a répondu.

10.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

E.Communication No 822/1998, Vakoumé c. France(décision adoptée le 31 octobre 2000, soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité ci-après ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Abdallah Zakhia.

Présentée par :M. Mathieu Vakoumé et 28 autres personnes(représenté par Me Gustave Tehio, avocat à Nouméa et la SCP ROUX-LANG-CHEYMOL-CANIZARES, société d’avocats à Montpellier)

Au nom de :Les auteurs

État partie :France

Date de la communication :11 mars 1998

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2000,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont M. Vakoumé et 28 autres personnes. Ils prétendent être des propriétaires fonciers ou coutumiers de terrains à l’Île des Pins à la Nouvelle-Calédonie. Ils affirment être victimes de violations des articles 17 (1), 18 et 23 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au motif de l’atteinte à leur vie privée et familiale, ainsi qu’à leur droit de manifester librement leur religion ou leur conviction par le culte. Les auteurs sont représentés par deux conseils, Me Tehio, avocat à Nouméa, et le cabinet Roux-Cheymol-Canizares, situé à Montpellier.

Rappel des faits et de la procédure, tels qu’ils ressortent des des auteurs et des pièces jointes

2.1Les auteurs sont membres de la tribu Touété établie à la baie d’Oro sur l’Île des Pins au sud de la Nouvelle-Calédonie, dans une réserve constituée en 1887 où s’exercent des droits coutumiers. La baie d’Oro est répartie en propriétés claniques. La tradition voudrait que le représentant de chaque clan recueille l’avis de chacun des membres du clan et obtienne son accord pour décider de l’utilisation du sol.

2.2Les auteurs prétendent détenir des droits coutumiers sur des parcelles de terrain sur lesquelles la société Magénine, SA avait entrepris la construction d’un complexe hôtelier. Ce complexe a été inauguré et est opérationnel depuis le mois de novembre 1998.

2.3Les représentants de la tribu Touété, hormis les auteurs, ont pris part au projet de réalisation du complexe hôtelier à travers la société Magénine, créée en 1994 spécialement à cet effet. Il a été convenu entre les représentants de la tribu Touété et la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie que cette dernière avancerait les fonds nécessaires afin que la tribu dispose sous forme de prêt des contributions requises pour détenir 66% du capital de la société propriétaire du complexe à réaliser, le reste du capital appartenant à la Société des hôtels de Nouméa. Les représentants de la tribu accordent en outre à la société un droit de jouissance de 25 ans sur le terrain nécessaire à la construction et dont la superficie est de 5 hectares et 37 ares. Les auteurs, qui n’ont pas pris part à cet accord, prétendent avoir des droits sur des parcelles du terrain mis à disposition.

2.4Aussitôt après l’obtention d’un permis de construire établi par l’Assemblée de la Province Sud, au profit de la société Magénine le 30 août 1996, les travaux ont commencé. Dès le mois de décembre 1996, plusieurs requêtes de riverains ont été déposées au Tribunal administratif de Nouméa désirant l’annulation du permis de construire. Par jugement du 1er avril 1997, le tribunal a annulé le permis de construire au motif qu’aux termes de l’article 8 de la délibération No 24 de l’Assemblée de la Province en date du 8 novembre 1989, tout projet de lotissement ou de groupe de constructions, à usage d’habitation ou non, doit faire l’objet d’une demande d’autorisation dans les conditions fixées par les assemblées de province et non pas d’un permis de construire. Le tribunal a condamné en outre la société à verser à l’ensemble des requérants la somme de 100 000 francs CPF.

2.5La SA Magénine a interjeté appel le 16 avril 1997 devant la cour d’appel de Nouméa à l’encontre de ce jugement. Le 24 avril 1997, les requérants ont saisi le juge des référés avec une demande d’astreinte. Le 21 mai, le juge des référés a rejeté la demande. Les requérants ont fait appel de l’ordonnance de référé le 4 juin 1997.

2.6Par arrêt du 16 octobre 1997, la Cour d’appel de Nouméa a infirmé l’ordonnance du juge des référés du 21 mai 1997 et ordonné l’exécution du jugement du Tribunal administratif de Nouméa du 1er avril 1997, assorti d’une astreinte. Le 17 octobre 1997, l’assemblée de la Province Sud a accordé par arrêté une autorisation de construire un groupe d’immeubles à la société Magénine. Le 22 décembre 1997, M. Vakoumé et plusieurs autres requérants ont demandé au Tribunal administratif de Nouméa de statuer sur le sursis à l’exécution, ainsi que sur l’annulation de l’arrêté du 17 octobre 1997. En date du 16 février 1998, le Tribunal administratif de Nouméa a annulé l’arrêté autorisant la construction, plusieurs autorités locales n’ayant pas été consultées préalablement à la délivrance de l’autorisation de construire. Le 3 avril 1998, la Province Sud a fait appel du jugement du Tribunal administratif de Nouméa du 16 février 1998 auprès de la cour administrative d’appel de Paris.

2.7Le 26 février 1998, la Province Sud a établi au profit de la société Magénine une nouvelle autorisation de construire. Le 23 mars 1998, les requérants ont demandé au Tribunal administratif de Nouméa d’annuler et d’ordonner le sursis à l’exécution de la nouvelle autorisation du 26 février 1998. Les auteurs ont fait valoir, entre autres, que la construction de l’hôtel porterait atteinte à leur droit au respect de la vie privée (art. 17 du Pacte) et à la protection de leur vie familiale (art. 23 du Pacte). Le 4 juin 1998, le Tribunal administratif de Nouméa a rejeté le recours du 23 mars 1998, autorisant la poursuite de la construction. Le tribunal a estimé que la construction ne violait pas les droits des requérants, tels qu’énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, parce qu’il n’était pas établi que l’hôtel allait être situé sur un lieu de sépultures ancestrales et, de plus, les représentants de la tribu avaient donné leur consentement à la construction. Le 4 août 1998, les requérants ont saisi la cour administrative d’appel de Paris, demandant l’infirmation du jugement du 4 juin 1998.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs prétendent être victimes de violations des articles 17 (1), 23 (1) et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2Au préalable, ils ont invoqué l’article 86 du Règlement intérieur du Comité des droits de l’homme, en souhaitant obtenir la mise en oeuvre de mesures de protection provisoires afin d’éviter que les requérants ne subissent un préjudice irréparable. En effet, ils prétendent que le site où le complexe a été construit représente un haut lieu de leur histoire, culture et vie.

3.3Pour ce qui est des violations des droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les auteurs distinguent deux parties.

3.4En premier lieu, ils s’estiment victimes de violations des articles 17 (1) et 23 du Pacte. Ils indiquent à cet effet que la baie d’Oro renferme un patrimoine naturel, historique et culturel important. Sur ce site se trouvent des sépultures ancestrales, et c’est également là qu’ont trouvé naissance des légendes faisant partie du patrimoine et de la mémoire collective de l’Île des Pins.

3.5Les auteurs rappellent la décision du 29 juillet 1997 du Comité des droits de l’homme dans l’affaire 549/1993, Hopu et Bessert c. France, relative à la construction d’un complexe hôtelier sur des lieux de sépultures ancestrales. Le Comité avait considéré qu’il s’agissait d’une immixtion dans la vie familiale et privée des auteurs, concluant à une violation des articles 17 (1) et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs rappellent que, dans ce cas d’espèce, il s’agissait aussi de la construction d’un complexe hôtelier pour le même groupe.

3.6S’agissant de la violation de l’article 18 (1) du Pacte, les auteurs estiment que la construction sur les lieux de sépultures ancestrales porte atteinte à leur droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. À cet égard, il est dit que les requérants, comme tous les Mélanésiens en général, évoluent dans un cadre naturel, fondé sur un réseau de liens avec leurs parents, leur famille et leurs morts. Le culte voué aux morts représente une manifestation religieuse et traditionnelle inhérente à leur mode de vie, à leurs convictions et leur culture.

3.7Dans ce contexte, les requérants estiment que la destruction du site sacré constitue une violation du droit de manifester librement leur religion et leurs convictions par le culte et l’accomplissement de rites.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1L’État partie a fait parvenir ses observations en ce qui concerne la communication No 822/1998, le 4 décembre 1998. Il juge la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes. L’État partie attire l’attention sur les actions intentées par les auteurs après que la communication eut été présentée au Comité le 11 mars 1998. Le 23 mars 1998; les requérants ont introduit un recours contre l’autorisation de la Province Sud du 26 février 1998. De plus, le 4 août 1998, les auteurs ont formé un recours devant la cour administrative d’appel de Paris contre la décision du Tribunal administratif de Nouméa du 4 juin 1998, recours qui est toujours en instance.

4.2La France oppose aussi le fait que les procédures ne peuvent pas être considérées comme dépassant des délais raisonnables. En moins de deux ans, l’affaire a fait l’objet d’une ordonnance de référé du tribunal de première instance de Nouméa, d’un arrêt de la cour d’appel de Nouméa et de trois jugements du Tribunal administratif de Nouméa.

4.3Enfin, l’État partie oppose à la recevabilité de la communication le fait que les requérants n’ont jamais soulevé devant les juridictions françaises les griefs tenant à la violation éventuelle des articles 17 (1), 18 (2) et 23 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce qui va à l’encontre des exigences de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

Réponse des requérants aux observations de l’État partie

5.1En réponse aux observations de l’État partie, les conseils des requérants répliquent par un mémoire daté du 8 avril 1999. Ils indiquent que l’hôtel a déjà été construit et inauguré et que le préjudice des victimes est donc pleinement constitué. Tous les recours exercés pour faire cesser le trouble étant inefficaces et vains, la violation des articles invoqués ne faisait plus aucun doute.

5.2À l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’avaient pas été épuisés, les auteurs opposent leur conviction que ces mêmes recours étaient inefficaces et vains pour faire cesser le trouble. Dès qu’une décision intervenait pour faire cesser les travaux, l’entreprise obtenait aussitôt une nouvelle autorisation de l’Assemblée de Province et les poursuivait. Ainsi, les requérants n’ont pas pu obtenir la cessation des constructions illégales.

5.3Les auteurs estiment que le fait qu’une décision de justice qui ordonne la cessation des travaux sous astreinte n’a jamais été respectée et également le fait que la société a continué ses constructions illégales, avec l’aval du président de l’Assemblée de Province, constituent une atteinte flagrante au droit de tout individu à un recours utile et effectif. La répétition de ces faits illicites et la tolérance des autorités de l’État à cet égard constituent des pratiques à l’encontre desquelles les voies de droit existantes restent vaines et sans efficacité.

5.4En ce qui concerne les allégations du Gouvernement selon lesquelles les requérants n’avaient pas invoqué les violations des dispositions du Pacte, les auteurs déplorent la mauvaise foi de l’État partie. Les conseils avaient à maintes reprises invoqué des violations du Pacte et d’autres instruments internationaux.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note, au vu des documents présentés, que les allégations de l’État partie selon lesquelles les requérants n’ont pas invoqué devant les juridictions judiciaires ou administratives le fait que les travaux portaient atteinte à leur vie privée, leur liberté de conscience et de religion ou à leur vie familiale, ne peuvent pas être soutenues. En effet, il a été établi que les conseils des requérants ont invoqué ces arguments, notamment dans leur recours contre l’autorisation de construire du 26 février 1998, et qu’il y a eu des développements à ce sujet dans la décision du tribunal de Nouméa du 4 juin 1998.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes, étant donné que les auteurs n’ont pas attendu le résultat de leur recours.

6.4Pour ce qui est des déclarations des auteurs selon lesquelles les recours internes sont inefficaces parce que l’hôtel a déjà été érigé et parce que les autorités n’ont pas respecté les décisions judiciaires en faveur des requérants, le Comité constate qu’après l’arrêt de la Cour d’appel de Nouméa en date du 16 octobre 1997, ordonnant l’arrêt des travaux assorti d’une astreinte pour cause d’absence d’autorisation administrative valable, les autorités ont établi une telle autorisation rendant ainsi légale la continuation des travaux. Il apparaît, par conséquent, que les décisions de justice en faveur des requérants étaient en grande partie fondées sur les exigences des règlements relatifs aux constructions et que rien n’indique que les autorités n’aient pas respecté les décisions des tribunaux.

6.5En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle les recours internes ne sont pas épuisés du fait que les auteurs n’ont pas attendu l’issue de leur recours, ainsi que le contre-argument des requérants, qui font valoir que le recours devant la cour administrative d’appel de Paris, et si nécessaire devant le Conseil d’État, serait inefficace, le Comité ne peut accepter l’argument du Conseil selon lequel, étant donné que la construction est terminée, les tribunaux ne seraient plus en mesure d’offrir les garanties d’un recours utile. Dans ces conditions, le Comité estime que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au représentant des auteurs de la communication;

c)Qu’il pourra reconsidérer la présente décision, conformément au paragraphe 2 de l’article 92 de son règlement intérieur, s’il est saisi par les auteurs ou en leur nom d’une demande écrite contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ont cessé d’exister.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

F.Communication No 831/1998, Meiers c. France(décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Michaël Meiers(représenté par M. Roland Houver)

Au nom de :L’auteur

État partie :France

Date de la communication :11 février 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Michaël Meiers, citoyen français domicilié à Belfort. Il accuse les autorités françaises d’une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits

2.1L’auteur a effectué un stage dans la Police nationale française de novembre 1987 au 1er janvier 1990. À l’issue de ce stage, il n’a pas été titularisé comme fonctionnaire et a été licencié par le Ministre de l’intérieur le 27 décembre 1989.

2.2Cette dernière décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de Versailles qui, par un jugement du 17 décembre 1991, soit près de deux ans après la décision contestée, a annulé la non-titularisation de l’auteur. Ensuite, étant donné la « mauvaise volonté » de l’administration de se conformer à ladite décision, l’auteur s’est adressé à la section des requêtes du Conseil d’État afin d’être réintégré. Ceci amena le Ministre de l’intérieur à décider, en date du 17 avril 1992, de la réintégration de l’auteur à compter du 1er janvier 1990.

2.3Cependant, le 23 mars 1992, le Ministre de l’intérieur avait interjeté appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles devant le Conseil d’État. À cause d’une erreur d’adresse, l’auteur ne fut informé de ce recours ainsi que des arguments à la base de ce dernier que le 19 novembre 1992 par la préfecture de Belfort. L’auteur s’est alors adressé à un avocat qui a déposé auprès du Conseil d’État des observations en défense le 20 juillet 1993.

2.4Ne recevant plus de nouvelles de cette affaire, l’auteur alla se renseigner en date du 3 juillet 1995 à la sous-section du Conseil d’État compétente. Suite à cette demande, le Conseil d’État informa ce dernier par un courrier du 21 août 1995 que l’instruction de son dossier était terminée et que le Rapporteur avait déjà déposé son projet mais qu’il était en revanche impossible de préciser une date d’audience.

2.5Ladite audience eut « apparemment » lieu le 11 décembre 1996 mais l’auteur, n’en ayant pas été averti, ne put s’y rendre. Le Conseil d’État réforma le jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles et donna raison à l’administration. L’arrêt fut notifié aux parties le 14 janvier 1997.

2.6L’auteur fait remarquer que la procédure en première instance s’est déroulée sur une période de deux ans, ce qui constitue à ses yeux un délai déraisonnable pour une question de réintégration d’un fonctionnaire. Par ailleurs, la procédure devant le Conseil d’État s’est déroulée, depuis l’introduction de l’appel jusqu’à la notification de l’arrêt, sur une période de quatre années et dix mois, ce qui constitue également un délai déraisonnable. La totalité de la procédure a donc duré près de sept ans.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que la durée mise par les juridictions administratives à statuer sur son cas est déraisonnable, que soit prise en compte la totalité de la procédure ou uniquement celle s’étant déroulée devant le Conseil d’État. À ce titre, elle constitue une violation flagrante de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2L’auteur estime ce délai d’autant plus déraisonnable que le dossier ne présentait aucune difficulté particulière, qu’il n’a lui-même posé aucune entrave au bon déroulement de la procédure, et qu’après le dépôt de ses conclusions auprès du Conseil d’État en juillet 1993 le dossier était prêt à être évoqué.

3.3En outre, l’auteur rappelle que le Code des tribunaux administratifs fixe un délai de 60 jours pour le dépôt des mémoires en réponse par les parties, délai qui n’a presque jamais été respecté par l’administration. Ceci a valu à l’État partie d’être sanctionné plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme (Vallée c. France, CEDH 26 avril 1994; Karakaya c. France, CEDH 8 février 1996).

3.4En ce qui concerne les conséquences du délai de la procédure, l’auteur considère que suite à la décision du Conseil d’État il se retrouvait dans la situation dans laquelle il était cinq ans auparavant. Par conséquent, même si l’auteur ne conteste pas que le salaire perçu par lui durant ces années devrait lui rester acquis en vertu de « la règle du service fait », il soutient que l’administration lui réclamera la restitution de l’indemnité versée par l’administration pour la durée de la procédure en première instance durant laquelle il n’était pas en fonctions.

3.5En outre, depuis sa réintégration à l’administration, l’auteur n’a cessé de rencontrer des problèmes avec sa hiérarchie, qui ont finalement conduit à sa révocation le 4 avril 1996 en raison de son refus de se rendre à différentes expertises psychiatriques qui lui paraissaient inopportunes. Entre-temps, l’auteur a initié un nombre important de procédures (recours pour excès de pouvoir, procédure en responsabilité, procédures devant le Conseil de l’ordre des médecins, ...) qui n’auraient pas été mises en oeuvre si le Conseil d’État s’était prononcé dans un délai raisonnable.

3.6L’auteur évalue l’ensemble du préjudice subi suite à la durée de la procédure à 3 millions de francs français (plus ou moins 428 000 dollars des États-Unis).

3.7En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur précise qu’il n’a pu introduire de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme car celle-ci considère que le contentieux disciplinaire des fonctionnaires titulaires ne fait pas partie des « obligations à caractère civil » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3.8Par contre, sur le principe de la recevabilité devant le Comité, l’auteur renvoie expressément à la jurisprudence de ce dernier dans son affaire Casanovas (Casanovas c. France, 441/1990, 19 juillet 1994) lors de laquelle il avait considéré qu’une procédure de révocation dirigée contre un fonctionnaire constituait bien une contestation sur des droits civils au sens de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. L’auteur revendique l’application de cette jurisprudence à son cas.

Renseignements et observations de l’État partie concernant la recevabilitéet le fond de la communication

4.1L’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

4.2Tout d’abord, le principe de non-titularisation après un stage ne présente pas le caractère d’une procédure disciplinaire et, par conséquent, ne constitue en aucun cas une accusation en matière pénale. L’État partie fait à ce sujet une distinction entre une procédure disciplinaire qui peut avoir lieu durant le stage ou à son issue et une décision constatant la fin du stage et refusant la titularisation pour des motifs liés à l’aptitude professionnelle du candidat, ce qui est le cas de l’auteur. Or, si la loi attache des conséquences importantes à la procédure disciplinaire comme la motivation des décisions et la communication du dossier, il n’en va pas de même pour une décision de non-titularisation, ce qui confirme l’absence de caractère disciplinaire de cette dernière.

4.3Ensuite, si l’État partie n’ignore pas la jurisprudence du Comité dans l’affaire Casanovas citée plus haut, il considère néanmoins qu’elle ne peut s’appliquer au cas d’espèce. En effet, même s’il présente un enjeu pécuniaire pour l’auteur, le litige porte sur un moment de la carrière des fonctionnaires où les pouvoirs discrétionnaires de l’administration sont les plus sensibles et où le contrôle du juge se limite à l’erreur manifeste d’appréciation.

4.4À cet égard, l’État partie rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle les litiges relatifs au recrutement, la carrière et la cessation d’activité des fonctionnaires ne font pas partie du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme sauf à ce qu’ils présentent un caractère essentiellement patrimonial, ce dernier étant interprété de manière très restrictive.

4.5Or, il s’avère que l’article 14, paragraphe 1, du Pacte est rédigé dans des termes similaires à ceux de l’article 6 susmentionné. Donc, dans la mesure où il semble bien que le présent litige porte sur la non-titularisation de l’auteur et par souci de cohérence dans l’interprétation des instruments internationaux, l’État partie estime qu’il serait souhaitable que le Comité déclare la communication irrecevable au motif qu’elle ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

4.6À titre subsidiaire, et en ce qui concerne le bien-fondé de la communication, l’État partie fait valoir que l’auteur ne peut se prévaloir de la qualité de victime dans la mesure où le délai de la procédure devant le Conseil d’État n’a pas porté atteinte à ses droits. La décision initiale du Tribunal administratif de Versailles avait en effet annulé la décision de refus de titularisation, ce qui a eu pour conséquence que l’auteur a continué à exercer son activité et à percevoir normalement son salaire au titre de service fait.

Réponse de l’auteur aux observations de l’État partie

5.1L’auteur rappelle que, dans l’affaire Casanovas, le Comité avait considéré qu’une procédure de révocation d’un fonctionnaire constituait bien une contestation sur les droits civils au sens de l’article 14 du Pacte.

5.2L’auteur estime que la même jurisprudence doit s’appliquer au cas présent. La procédure de révocation dans l’affaire Casanovas a eu pour effet la perte d’un emploi avec les conséquences pécuniaires qui en découlent. De la même manière, la non-titularisation d’un fonctionnaire stagiaire constitue un refus d’employer l’auteur de manière définitive, ce qui a des conséquences pécuniaires identiques. Il s’agit donc bien d’une contestation sur un droit civil, son principal aspect étant son caractère patrimonial.

5.3D’autre part, l’auteur fait observer qu’il ne s’agit pas ici de contester la décision de non-titularisation mais bien la durée de la procédure, ce dernier problème étant assurément visé par les termes de l’article 14 du Pacte.

5.4Par rapport au bien-fondé de la communication, l’auteur estime que le préjudice matériel et moral résultant du délai déraisonnable de la procédure est incontestable. Les procédures que l’auteur a engagées après la décision initiale du Tribunal administratif se sont en effet achevées par un non-lieu suite à l’arrêt du Conseil d’État. Or, si l’auteur avait été informé en temps utile de l’appel introduit par l’administration et si le Conseil d’État avait rendu sa décision dans un délai raisonnable, les frais occasionnés par les procédures suivantes auraient pu être évités.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note les observations de l’État partie sur la recevabilité ratione materiae de la communication ainsi que son argumentation et celle de l’auteur sur l’applicabilité de la jurisprudence Casanovas au cas présent.

6.3Le Comité est d’avis cependant que, sans devoir considérer l’étendue du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, et tout en exprimant une certaine préoccupation quant à la durée de la procédure, l’auteur n’a pas, dans le cas présent, suffisamment établi que la durée de la procédure relative à la décision de non-titularisation du 23 décembre 1989 et qui s’est déroulée devant les juridictions administratives françaises lui avait causé un préjudice réel, étant donné d’une part qu’il avait perçu des indemnités pour la période précédant sa réintégration en 1992 et d’autre part qu’il avait continué à exercer son activité et à percevoir son salaire jusqu’à sa révocation en 1996.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

–Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

–Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au représentant de l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

G.Communication No 832/1998, Walravens c. Australie(décision adoptée le 25 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Le texte d’une opinion individuelle signée d’un membre du Comité est joint au présent document.

Présentée par :F. (nom supprimé)

Au nom de :Le fils de l’auteur, C. (nom supprimé)

État partie :Australie

Date de la communication :22 juillet 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2001,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur est F. (nom supprimé), qui présente la communication, en date du 22 juillet 1998, au nom de son fils C. (nom supprimé), né le 10 juillet 1979. Elle déclare que celui-ci est victime de violations par l’Australie de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le fils de l’auteur a été exclu à titre provisoire de l’établissement secondaire public de Miami (Queensland), où il était en deuxième année, une première fois du 24 février au 2 mars 1993 puis du 12 au 18 mars 1993, et son renvoi définitif a été recommandé. Ces sanctions étaient motivées par une insolence caractérisée, une désobéissance systématique et un comportement délibérément provocateur qui perturbaient autant les enseignants que les élèves.

2.2Du 21 avril au 15 décembre 1993, le fils de l’auteur a fréquenté le Barrett Adolescent Centre, pensionnat accueillant des jeunes de 13 à 17 ans souffrant de troubles émotionnels et psychiatriques ou de troubles du comportement pour des séjours de courte durée. Pendant cette période, les médecins ont diagnostiqué chez lui un trouble d’opposition-défiance, aux étiologies multiples. Selon ce diagnostic, cet état avait altéré directement son comportement par le passé et continuerait probablement de retentir sur celui-ci à l’avenir. Les médecins ont précisé que le fils de l’auteur était apte à contrôler son comportement, qui pouvait être amélioré grâce à des stratégies appropriées de gestion du comportement.

2.3Au début de 1994, il a été recommandé d’inscrire le fils de l’auteur à l’établissement secondaire public de Merrimac qui se trouvait à proximité de chez lui et comportait une section pour les élèves ayant des besoins spéciaux. Étant donné l’expérience passée, les responsables administratifs de l’école ont toutefois proposé, en accord avec le Département de l’éducation de l’État, que l’auteur et le principal de l’école signent un contrat de gestion du comportement négocié avant l’inscription. Ce type de contrat a pour objet de définir les rôles et responsabilités devant être assumés par chaque partie afin de faciliter le retour de l’enfant à l’école dans des conditions propres à encourager un comportement acceptable. Plusieurs projets de contrat ont été établis mais l’auteur a mis fin aux consultations. Elle a demandé que son fils puisse retourner à l’école sans qu’on attende de lui qu’il contrôle son comportement.

2.4Le 11 avril 1994, une plainte dénonçant la discrimination dont le fils de l’auteur aurait été victime au motif de son handicap a été déposée auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (ci-après dénommée « la Commission »). Après une réunion de conciliation tenue le 6 novembre 1996, lors de laquelle l’auteur s’est déclarée préoccupée par le fait que son fils n’ait pas pu mener à bien sa scolarité, il a été proposé que celui-ci réintègre l’école, en cinquième année de secondaire, pour y suivre un programme spécialement adapté à ses besoins. L’auteur a rejeté cette proposition en protestant que son fils avait trop souffert de ses expériences passées pour retourner à l’école.

2.5Le 20 mai 1997, la Commissaire chargée des questions de discrimination à l’encontre des handicapés (membre de la Commission) a conclu que rien ne permettait d’affirmer que le fait de demander au fils de l’auteur de signer un accord préalable à son inscription constituait un acte illégal de discrimination. Elle estimait qu’il n’avait pas été victime de discrimination directe dans la mesure où cette condition lui avait été imposée en raison de son comportement et de ses renvois antérieurs, comme cela était prévu pour tout élève présentant des problèmes de comportement, et non en raison d’un handicap. Il n’avait pas non plus fait l’objet de discrimination indirecte puisque, selon les éléments de preuve disponibles, il était apte à atteindre les objectifs fixés et à accepter l’autorité et contrôler son comportement s’il le voulait. Les objectifs en question étaient progressifs et adaptés à ses besoins et le personnel de l’école devait être spécialement préparé à travailler avec le fils de l’auteur, en tenant compte de ses difficultés propres. Dans ces conditions, le contrat apparaissait comme raisonnable et non discriminatoire. Le 4 août 1997, le Président de la Commission a confirmé cette décision et rejeté la plainte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur formule diverses allégations qui découlent de sa plainte pour discrimination fondée sur le handicap, en violation de l’article 26 du Pacte. Elle affirme que la Commission n’a pas pris en compte ni appliqué la Déclaration des droits de l’enfant, la Déclaration des droits des personnes handicapées et la Constitution australienne lorsqu’elle a examiné sa plainte pour discrimination. Elle ajoute que la Commission n’a rien fait pour recueillir des éléments de preuve et s’est appuyée uniquement sur les informations et documents fournis par les autorités scolaires.

3.2L’auteur affirme que son fils a été victime d’une discrimination fondée sur le handicap dans la mesure où son admission était subordonnée à une condition (la signature d’un contrat préalable à l’inscription), qui n’était pas imposée aux élèves sans handicap. Elle fait valoir en outre que les termes du contrat proposé étaient déraisonnables. L’engagement de s’efforcer de modifier son comportement qui était demandé à son fils en particulier était impossible à respecter étant donné la nature de son handicap, qui serait une dysfonction cérébrale organique pour laquelle il n’existe pas de traitement. Enfin, l’auteur soutient que le fait d’exiger un tel contrat constitue en soi une violation de la législation nationale et des dispositions de la Déclaration des droits de l’enfant et de la Déclaration des droits des personnes handicapées.

Observations de l’État partie concernant la recevabilitéet le fond de la communication et réponse de l’auteur

4.1En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie estime que l’auteur n’est pas habilitée à présenter la communication. Il fait valoir que le fils de l’auteur avait 18 ans au moment où la plainte a été adressée et qu’il aurait dû, sauf circonstances exceptionnelles, soit la présenter lui-même soit mandater expressément sa mère pour le représenter. Faute d’une telle autorisation et en l’absence de circonstances exceptionnelles, la communication est donc considérée comme irrecevable ratione personae.

4.2L’État partie objecte également que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés. L’auteur aurait pu attaquer la décision de la Commission devant la Cour fédérale. Si la décision était injustifiée au vu des preuves fournies ou si elle constituait un abus de pouvoir, la Cour pouvait la rapporter, renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen ou statuer sur les droits des parties. En conséquence, l’État partie considère que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3L’État partie affirme que les allégations relatives à la décision de la Commission ne relèvent pas de la compétence du Comité et sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Rien ne permet à son avis de conclure que la loi a été interprétée ou appliquée de façon arbitraire ou que la décision équivaut à un déni de justice. En outre, selon la jurisprudence constante du Comité, l’interprétation de la législation nationale appartient avant tout aux juridictions et autorités de l’État partie concerné.

4.4L’État partie fait valoir aussi que l’auteur n’a pas étayé sa plainte et il expose à cet égard ses arguments sur le fond. En ce qui concerne la procédure, il note que la Commission a examiné toutes les informations qui lui avaient été fournies par les deux parties et qu’elle n’était pas tenue de chercher à obtenir d’autres informations. L’État partie fait observer en outre que les deux déclarations mentionnées par l’auteur ne sont pas directement applicables pour lui et qu’en tout état de cause elles n’influent pas strictement sur l’interprétation de l’article 26.

4.5Pour ce qui est du fond, l’État partie souligne que les enfants présentant des problèmes de comportement doivent signer un contrat de gestion du comportement, qu’ils soient handicapés ou non. Ces contrats, qui prévoient des engagements réalisables pour toutes les parties, sont couramment utilisés dans le cas de divers problèmes de comportement. Ils relèvent à la fois des politiques et stratégies officielles des autorités scolaires en matière de gestion du comportement et de la responsabilité légale directe des chefs d’établissement, qui sont tenus d’assurer le bon fonctionnement, l’ordre et la discipline dans leur école et de veiller à ce que tous les élèves puissent étudier dans les meilleures conditions. Ces contrats permettent d’assurer le soutien des élèves « à risque » en établissant une position commune sur les attentes ainsi que les responsabilités de chaque partie de façon à favoriser les changements de comportement nécessaires au maintien de ces élèves dans le système scolaire. Se référant à diverses études psychiatriques, l’État partie fait observer que ces contrats représentent un outil efficace dans la mesure où ils sont le fruit de consultations qui conduisent toutes les parties à s’impliquer davantage dans la réalisation des objectifs fixés. Le fils de l’auteur n’a donc fait l’objet d’aucune distinction qui constitue une discrimination.

4.6En tout état de cause, l’État partie affirme que toute distinction était fondée sur des critères objectifs et raisonnables et motivée par un souci légitime au regard du Pacte, qui était de garantir au fils de l’auteur et aux autres élèves le meilleur enseignement possible. Il soutient que les termes du contrat proposé, pris séparément ou dans leur ensemble, étaient justes, réalistes et réalisables. Ils reposaient sur une évaluation objective des problèmes de comportement du fils, traduisaient ce qui était attendu – concernant le comportement et les responsabilités – de sa mère, de l’école et des autorités scolaires.

4.7L’État partie souligne en particulier que, de l’avis des experts et de la Commission, le fils de l’auteur était capable de contrôler son comportement. Le contrat reconnaissait qu’il fallait procéder de façon progressive et continue et disposait simplement que l’enfant devait « s’efforcer » de contrôler son comportement. Les éléments du contrat qui concernaient sa mère lui demandaient d’accepter de répondre de son fils lorsqu’il n’était pas en cours, de se conformer au règlement de l’établissement et de le soutenir dans le programme de gestion du comportement mis sur pied par celui-ci. Ces dispositions avaient pour but d’établir une relation constructive entre l’auteur et l’école et correspondaient aux responsabilités de tout parent.

4.8En résumé, l’État partie fait valoir que l’élaboration d’un contrat concerté avait été requise en raison des problèmes de comportement de l’enfant et non d’un handicap quelconque et visait à améliorer les conditions dans lesquelles lui-même et les autres élèves pourraient étudier. Les termes du contrat proposé étaient justes et réalisables et se fondaient sur une évaluation individuelle du cas de l’enfant par des experts ainsi que sur une évaluation psychiatrique positive de ce type d’instrument de gestion du comportement en général. En conséquence, l’État partie considère que les allégations de violation des dispositions du Pacte sont sans fondement et en d’autres termes, qu’il n’a commis aucune violation du Pacte.

5.1L’auteur rejette les arguments de l’État partie, auxquelles elle répond par des explications détaillées concernant la conduite ayant entraîné les mesures de renvoi et les troubles dont souffre son fils. Elle réaffirme qu’il n’existe aucun traitement pour ce type d’affection et que son fils est handicapé. En ce qui concerne les arguments de l’État partie concernant le fait qu’elle représente son fils, elle affirme que celui-ci ne peut pas soumettre sa communication lui-même. Elle affirme, sans fournir la moindre pièce, que son fils l’a désignée pour déposer la communication.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie pour qui l’auteur de la communication n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, le Comité relève que la communication repose sur une évaluation des faits et des éléments de preuve se rapportant aux troubles dont souffre le fils de l’auteur et à sa capacité de contrôler et d’améliorer son comportement. Après avoir évalué ces éléments ainsi que d’autres facteurs, la Commission australienne des droits de l’homme et de l’égalité des chances est parvenue à la conclusion que l’enfant avait été traité en fonction de son comportement passé et prévisible, comme tout autre l’aurait été dans cette situation, que le contrat était raisonnable étant donné les circonstances et que l’enfant n’avait pas été victime de discrimination. Compte tenu des conclusions de la Commission, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré que le contrat exigé n’était pas fondé sur des critères raisonnables et objectifs et n’a donc pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En conséquence, la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’est pas habilitée à présenter la communication, tout en considérant que l’on est en droit de se demander en l’espèce si le fils de l’auteur était à même de lui donner une autorisation formelle. Toutefois, étant donné les conclusions ci-dessus, il est inutile pour le Comité de traiter de cet argument ou de tout autre argument qui a pu être avancé sur la question de la recevabilité.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Abdelfattah Amor (dissidente)

Je ne partage pas le fondement de l’irrecevabilité de cette communication, tel que retenu par le Comité. L’irrecevabilité aurait dû être déclarée sur une autre base qui constitue un préalable à l’examen de la communication, en ce sens que la mère (Mme F.) n’a pas qualité pour représenter son fils (C.).

1.C. était déjà majeur au moment de la présentation de la communication au Comité en 1998;

2.Mme F. n’a pas reçu procuration de son fils majeur à cet effet;

3.Même si C. semble avoir des difficultés de comportement, aucun document émanant d’une autorité compétente n’établit son handicap ou son incapacité juridique;

4.En tout état de cause, il ne suffit pas que la mère affirme que son fils est handicapé pour que celui-ci soit dûment représenté par elle devant le Comité.

(Signé) Abdelfattah Amor

[Fait en français (version originale), et traduit en anglais et en espagnol. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

H.Communication No 834/1998, Kehler c. Allemagne(décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité ci-après ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Yvan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Waldemar Kehler

Au nom de :L’auteur

État partie :Allemagne

Date de la communication :5 mai 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 mars 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur des la communication, datée du 5 mai 1998, est Waldemar Kehler, de nationalité allemande. Il se déclare victime de violations par la République fédérale d’Allemagne de plusieurs dispositions du Pacte. Il n’est pas représenté par un avocat.

1.2Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976 et le Protocole facultatif s’y rapportant le 25 novembre 1993. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a émis la réserve suivante : « La République fédérale d’Allemagne formule, à l’égard de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5, une réserve aux termes de laquelle le Comité n’aura pas compétence pour les communications a) qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement (…) ».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a deux enfants de son mariage avec Anita Kehler, Sonja, née le 30 décembre 1981, et Nina, née le 20 février 1983. Après une longue période d’invalidité traversée par l’auteur à la suite d’un accident et d’une maladie, les conjoints se sont séparés et l’épouse a quitté le domicile commun avec les deux filles, le 29 mai 1995.

2.2Par une ordonnance provisoire en date du 12 juin 1995, le juge aux affaires familiales du tribunal local de Dieburg a accordé à la mère le droit de décider du lieu de résidence des enfants pendant la période de séparation. Le 28 juin 1995, le juge a renvoyé le dossier au tribunal local de Tuttlingen après une audience orale, l’auteur ayant préalablement demandé à ce dernier que la garde des enfants lui soit accordée. Les enfants ayant fait savoir qu’ils souhaitaient rester avec leur mère, le tribunal de Tuttlingen a confirmé, par une décision rendue le 7 août 1995, les dispositions provisoires qui avaient été arrêtées par le tribunal de Dieburg concernant le droit de déterminer le lieu de résidence.

2.3L’auteur ayant représenté que ses filles avaient subi des pressions quand elles avaient exprimé leur volonté, le tribunal de Tuttlingen a ordonné le 17 octobre 1995 qu’elles soient vues par un psychiatre. Les deux filles et les parents ont été entendus individuellement un très grand nombre de fois et on leur a fait passer des tests psychologiques; les résultats ont indiqué que la volonté exprimée par les enfants était bien la leur. En conséquence, le tribunal de Tuttlingen a confirmé, le 21 février 1996, la décision de confier la garde à la mère. L’auteur pouvait voir ses enfants un week-end par mois et pendant les vacances. Il a attaqué cette décision devant le tribunal régional de deuxième instance de Stuttgart, qui l’a débouté le 20 septembre 1996. Le 5 juin 1997, le tribunal de Dieburg a ordonné à l’auteur de verser une pension pour l’entretien des enfants et de leur mère.

2.4Le 18 juillet 1997, l’auteur a écrit au tribunal de Tuttlingen pour lui demander de faire appliquer les modalités du droit de visite. Le juge a répondu que le tribunal n’était pas en mesure de faire appliquer le jugement parce que les enfants refusaient désormais de voir leur père. Le 27 octobre 1997, le tribunal de Dieburg a rejeté la requête de l’auteur qui demandait que la garde des enfants lui soit confiée et que la mère soit condamnée à une amende parce qu’il avait voulu rendre visite à ses enfants et qu’elle ne l’avait pas laissé les voir.

2.5Le 20 janvier 1998, le tribunal régional de deuxième instance de Francfort-sur-le-Main a modifié les dispositions concernant la garde en accordant à l’auteur un droit de visite plus fréquent : un samedi sur deux, de 11 heures à 17 heures. Le tribunal a ordonné que cette décision soit respectée par les deux parties sous peine de sanctions financières. Le 25 mars 1998, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la plainte que l’auteur avait déposée devant elle.

2.6Le 25 mai 1998, la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la plainte déposée par l’auteur le 1er septembre 1996 et enregistrée le 3 octobre 1997 sous le No 38012/97 en estimant qu’il ne ressortait pas de la requête que les droits et libertés énoncés dans la Convention européenne ou dans ses protocoles avaient été violés.

Teneur de la plainte

3.L’auteur a affirmé qu’il y avait violation de ses droits et de ceux de ses enfants, principalement, semble-t-il, au titre des articles 23 et 24 du Pacte. Il a d’abord axé son argumentation sur le fait qu’en l’empêchant de voir ses enfants, la mère avait commis un enlèvement d’enfants et que l’État était complice puisqu’il ne faisait pas appliquer le droit de visite et qu’il n’engageait pas de poursuites pénales contre son ancienne épouse. Plus récemment, l’auteur s’est plaint de ce que les arrangements concernant le droit de visite l’obligeaient à faire de longs trajets alors qu’il était gravement handicapé, ce qui constituait une torture.

Renseignements et observations de l’État partie concernant la recevabilitéde la communication

4.1L’État partie fait valoir qu’il est manifeste que la communication a déjà été examinée au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et que le Comité n’est donc pas compétent, eu égard à l’alinéa a) de la réserve qu’il a formulée à l’égard du Protocole facultatif.

4.2L’État partie fait valoir en outre qu’il doute sérieusement que les recours internes aient été épuisés. Étant donné que la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas motivé le rejet de la requête et que l’auteur n’a pas fourni copie de celle-ci, le fait que la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas accepté d’examiner la plainte n’est pas en soi suffisant, dans un litige aussi complexe et prolongé, pour démontrer que les recours internes ont été épuisés.

4.3L’État partie considère aussi que les renseignements donnés dans la communication sont sérieusement lacunaires et que les déclarations qui y sont faites ne font pas ressortir de raison objective justifiant la requête; il demande que l’auteur soit prié de fournir des éclaircissements. En particulier, l’État partie objecte que l’auteur ne précise pas quelles décisions des juridictions internes il conteste, ni à quel égard il estime qu’il y a eu violation du Pacte.

Réponse de l’auteur aux observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

5.En réponse aux observations de l’État partie, l’auteur fait divers commentaires sur la législation et la jurisprudence allemandes récentes en matière de questions familiales, mentionne une correspondance avec des membres du Parlement notamment, fait un exposé général sur les affaires internationales d’enlèvements d’enfants en Allemagne et dans d’autres pays, parle de son état de santé et de ses antécédents médicaux et répète ses allégations concernant le comportement de sa femme et d’autres personnes impliquées dans l’affaire.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note l’argumentation de l’État partie selon laquelle aux termes de l’alinéa a) de la réserve émise lors de l’adhésion dudit État au Protocole facultatif, le Comité n’a pas compétence pour examiner la plainte de l’auteur, la question ayant déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. À cet égard, l’État partie a informé le Comité que la Commission européenne des droits de l’homme avait déclaré la plainte de l’auteur irrecevable le 3 octobre 1997, estimant qu’il ne ressortait pas de la requête que les droits et libertés énoncés dans la Convention européenne ou ses protocoles avaient été violés. Compte tenu du fait que l’auteur n’a pas soumis sa requête à la Commission, de l’absence de tout exposé des faits ou de thèse dans la décision de la Commission et des dispositions générales du Pacte relatives aux questions dont il s’agit, le Comité ne dispose pas de suffisamment d’informations pour décider de l’applicabilité de la réserve de l’État partie à la présente communication.

6.3Le Comité estime toutefois, s’agissant des diverses requêtes déposées par l’auteur, principalement en vertu des articles 23 et 24 du Pacte, que l’auteur n’a pas justifié ses allégations aux fins de la recevabilité de ses plaintes et déclare par conséquent celles-ci irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, il est par conséquent inutile que le Comité examine les autres arguments relatifs à la recevabilité présentés par l’État partie.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

I.Communication No 866/1999,Torregrosa Lafuente et consorts c. Espagne(décision adoptée le 16 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Le texte d’une opinion individuelle signée d’un membre du Comité est joint au présent document.

Présentée par :Mme Marina Torregosa Lafuente et consorts(représentés par M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :Les auteurs

État partie :Espagne

Date de la communication :13 juin 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont Mme Marina Torregosa Lafuente et 21 autres personnes, toutes de nationalité espagnole et résidant en Espagne. Ils se disent victimes de violation par l’Espagne de leurs droits au titre du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 25 c) et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1991, le Ministère de la justice a organisé un concours en vue de pourvoir des postes vacants au sein du Corps des agents de l’administration judiciaire. Les termes de l’avis de concours disposaient qu’une fois passées les épreuves écrites, le tribunal du concours No 1 de Madrid, organe créé spécialement pour superviser le concours et décider des admissions, publierait une liste provisoire des candidats admis. Le tribunal rendrait définitive la liste en question après qu’auraient été rectifiées, d’office ou sur demande des intéressés, les éventuelles erreurs matérielles qui pourraient s’y trouver, un délai de 10 jours civils étant accordé aux intéressés pour présenter des réclamations. Selon le tribunal, par « erreurs matérielles » il fallait entendre, entre autres, des erreurs concernant les renseignements personnels des candidats ou le calcul des notes.

2.2La liste définitive a été publiée le 21 septembre 1992 et 131 candidats dont les noms avaient figuré sur la liste provisoire, parmi lesquels les auteurs, en étaient exclus. Les candidats concernés ont demandé des explications au Ministère de la justice, qui a répondu que les changements s’expliquaient par le fait que, lors d’une première correction par ordinateur, on avait compté comme non valides les réponses portant une double marque ou une marque mal effacée, tandis que lors d’une seconde correction, le tribunal avait décidé de les considérer comme valides.

2.3Les auteurs soutiennent que le processus de correction des épreuves a présenté les irrégularités suivantes :

a)Le tribunal No 1 de Madrid a procédé à une révision d’office et abusive sous couvert d’« erreur matérielle », en résolvant des questions comme celles de savoir :

i)Si les réponses portant une double marque étaient valides;

ii)Si l’usage de la gomme était légitime ou non;

iii)Si les marques mal effacées devaient ou non être comptées comme valides;

b)Le tribunal s’est servi de photocopies et non pas d’originaux pour étudier les réclamations formulées contre la liste provisoire, ce qui compliquait la tâche s’agissant d’établir l’intensité de la marque effacée;

c)Les auteurs n’ont pas eu la possibilité de faire objection au changement de critère du tribunal;

d)Les termes de l’avis de concours ont été violés, avec la non-apparition dans la liste définitive de 131 candidats qui avaient figuré dans la liste provisoire;

e)Le tribunal n’avait pas compétence pour revoir les copies d’examen car il était seulement habilité à corriger de simples erreurs matérielles;

f)La question 47 du questionnaire aurait dû être annulée car, vu le flou de sa formulation, toutes les réponses proposées étaient justes. Quant à la question 54, elle était formulée en termes illogiques;

g)Le tribunal a décidé d’admettre une candidate qui n’avait pas respecté les instructions concernant la façon de répondre aux questions. Cette décision constitue une violation du droit à l’égalité des chances dans l’accès à la fonction publique ainsi qu’une irrégularité de procédure manifeste et contraire au droit fondamental proclamé par l’article 23.2 de la Constitution.

2.4Les auteurs soutiennent que la liste provisoire ne contenait aucune erreur significative et que le tribunal a procédé à la deuxième correction sans se plier aux normes prévues par l’avis de concours, sans avoir entendu les intéressés et en violation de sa propre décision selon laquelle la liste provisoire serait déclarée définitive sauf si les tribunaux examinateurs relevaient une erreur. Une jurisprudence confirmée du Tribunal suprême (Tribunal Supremo) établit que l’erreur matérielle doit être évidente, manifeste et indiscutable, indépendamment de l’opinion ou des critères d’interprétation des normes juridiques applicables. La jurisprudence du Tribunal suprême établit également que l’avis de concours, qui énonce les conditions de base du concours, est le texte normatif qui régit celui-ci.

2.5Les auteurs ont formé un recours en révision auquel il n’a été donné suite que le 11 mars 1993. Entre-temps, ils avaient introduit un recours contentieux administratif devant la Cour nationale (Audiencia Nacional). Par arrêt du 8 février 1996, dont copie est jointe à la présente communication, la Cour nationale a débouté les auteurs, en fondant sa décision sur la compétence attribuée au tribunal No 1 dans l’avis de concours et en rappelant des arrêts antérieurs allant dans le même sens.

2.6Finalement, les auteurs ont formé un recours d’amparo (recurso de amparo) devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) qui, en date du 16 décembre 1996, a décidé de le rejeter, estimant qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 23.2 de la Constitution ni du droit à la protection judiciaire effective prévue à l’article 24 de la Constitution, contrairement aux allégations des auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil fait valoir que les faits décrits sont contraires aux dispositions suivantes du Pacte :

–L’article 25 c), qui reconnaît le droit de tout citoyen d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays, car à l’évidence le processus de sélection auquel les auteurs ont participé a été arbitraire;

–L’article 2.3 a), qui reconnaît à toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte ont été violés le droit de disposer d’un recours utile. Compte tenu du système actuel de contrôle de la légalité des concours et des longs délais écoulés entre la contestation initiale de l’acte et la décision de l’organe juridictionnel, le droit au recours contre des concours irréguliers reste lettre morte. En effet, n’importe quel tribunal prend en considération les conséquences pratiques de sa décision et de l’examen d’un recours contentieux administratif plusieurs années après les faits (plus de trois ans et demi dans le cas présent), ainsi que le nombre élevé de candidats ayant obtenu un emploi lors de ce concours, avec des situations personnelles et familiales déjà consolidées;

–L’article 14.1, dans la mesure où dans sa décision la Cour nationale utilise un argument selon lequel les termes de la convocation ne sont pas obligatoires, argument inacceptable du point de vue d’une application normale des normes juridiques, ce qui viole ainsi le droit à une motivation raisonnable de la sentence judiciaire. De plus, la décision ne répond pas à la plainte relative au contrôle des épreuves de la candidate mentionnée au paragraphe 2.3 g). En ce qui concerne la plainte relative à l’inclusion dans les épreuves d’une question illogique qui n’a pas été annulée par la suite, la sentence invoque le fait que le Tribunal suprême a pour doctrine d’affirmer que l’évaluation des questions et des réponses relève du tribunal examinateur. Cet argument constitue un déni de justice;

–Les auteurs estiment contraire aux articles 14.1 et 26 du Pacte le fait que, dans le recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, il leur a été refusé la possibilité de comparaître sans être représentés par un mandataire, étant donné que l’article 81.1 de la loi organique de ce tribunal permet à un licencié en droit mais pas à un non-juriste de se représenter lui-même ou de comparaître sans mandataire, et de se passer ainsi d’un intermédiaire coûteux. Cette différence de traitement crée une inégalité inacceptable au regard du Pacte.

3.2Les auteurs demandent que leur soit reconnu le droit à réparation pour les irrégularités dont ils ont été victimes, tant pendant la procédure de sélection que lors du procès judiciaire qui a suivi.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses observations du 22 juin 1999, l’État partie conteste la recevabilité de la présente communication, sur la base des dispositions des articles 3 et 5.2 b) du Protocole facultatif. En ce qui concerne la violation invoquée de l’article 25 c), il fait remarquer que les auteurs n’ont été victimes d’aucune atteinte à l’égalité en matière d’accès aux fonctions publiques. Leur plainte concerne un procès qu’ils qualifient d’« arbitraire ou injuste ». Cependant, les caractéristiques d’un procès judiciaire n’ont rien à voir avec l’article 25 c) du Pacte.

4.2En ce qui concerne la violation invoquée de l’article 2.3 a) du Pacte, l’État partie qualifie de non sérieuse l’argumentation relative à l’existence d’une « pression psychologique » exercée sur le tribunal. De plus, il soutient que l’on ne peut alléguer l’inexistence d’un recours après une violation lorsque l’organe compétent, en l’occurrence le Comité des droits de l’homme, n’a pas encore constaté l’existence de ladite violation.

4.3En ce qui concerne la violation invoquée de l’article 14.1 du Pacte, l’État partie signale que le tribunal s’est fondé sur le droit et a motivé longuement sa décision sur une base raisonnée. Le désaccord avec le jugement n’est pas un motif suffisant pour alléguer une violation. Si toutes les décisions défavorables pouvaient être critiquées parce que fondées sur des motifs peu solides, il faudrait en conclure que seuls les motifs en accord avec la demande d’une partie seraient solides et raisonnables.

4.4Quant à l’obligation d’être représenté par un mandataire dans la procédure devant le Tribunal constitutionnel, l’article 81.1 de la loi organique du Tribunal constitutionnel déclare que « les personnes physiques ou morales ayant un intérêt légitime pour comparaître dans des procès constitutionnels comme demandeurs ou parties intervenantes doivent confier leur représentation à un mandataire et agir sous la direction d’un conseil. Peuvent comparaître elles-mêmes pour défendre des droits ou intérêts propres les personnes ayant le titre de licencié en droit, même si elles n’exercent pas la profession de mandataire ou d’avocat ». Dans la procédure judiciaire, les auteurs ont été assistés par un avocat et représentés par un mandataire sans aucune plainte de leur part. La violation alléguée maintenant concerne un manque de conformité abstrait entre l’avocat des demandeurs et un principe légal absolument sans rapport avec les caractéristiques d’une personne victime de la violation d’un droit garanti par le Pacte. De plus, les auteurs ont renoncé à invoquer celle-ci devant le Tribunal constitutionnel. Si l’on a renoncé à une allégation dans la procédure interne, on ne peut l’invoquer à nouveau devant le Comité.

Commentaires du conseil

5.1Le conseil répète ses arguments relatifs à la violation des articles 2.3 a), 25 c) et 14.1 du Pacte. Concernant l’exigence du Tribunal constitutionnel selon laquelle les demandeurs doivent être représentés par un mandataire, il indique que le problème d’une différence de traitement entre le licencié en droit et le non-licencié doit se résoudre en accordant le droit de ne pas recourir aux services d’un mandataire au non-licencié en droit, ce qui serait conforme à ce que prévoit l’article 14.1 du Pacte, qui garantit l’égalité de tous devant les tribunaux. Si en fin de compte les auteurs ont comparu avec un mandataire, ce n’est pas parce qu’ils avaient renoncé à leur demande, comme l’indique l’État partie, mais c’est parce qu’ils se sont heurtés au refus du Tribunal constitutionnel d’admettre le recours présenté, dans lequel l’avocat demandait pour les personnes représentées l’avantage accordé à l’article 81.1 de la loi organique. Effectivement, dans son arrêt du 20 mai 1996, le Tribunal a rejeté la demande en faisant valoir que le privilège cité « est fondé sur la sauvegarde de la plénitude du droit fondamental de la défense, car celui-ci serait diminué en raison d’un manque de connaissances techniques de la partie, ce qui réduirait ses chances de succès ».

5.2Le conseil fait remarquer que l’argumentation du Tribunal constitutionnel manque de cohérence, car le recours à un mandataire n’a rien à voir avec la sauvegarde du droit de défense ni avec les connaissances techniques de la partie, qui relèvent toujours de l’avocat. Le seul intérêt que présenterait en pratique la suppression du mandataire consisterait en ceci que les communications seraient adressées directement par courrier au destinataire et non par l’intermédiaire du mandataire. L’argumentation du Tribunal constitutionnel sur ce point viole également la régularité de la procédure, qui prévoit l’obligation d’examiner avec impartialité les arguments de la partie et d’éviter d’invoquer des motifs dont on sait qu’ils sont faux. L’avocat ajoute qu’en ce qui concerne cette partie de la plainte, le Tribunal constitutionnel cite l’article 6.3 c) de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14.3 d) du Pacte, attribuant les citations aux auteurs eux-mêmes du recours d’amparo, qui ne se sont jamais référés aux droits de l’accusé en matière pénale, mais aux dispositions équitables de l’article 14.1, et non pas à celles de l’article 14.3 d). Ce comportement du Tribunal justifie une nouvelle plainte que le conseil ajoute à la communication.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité estime que la plainte des auteurs selon laquelle des irrégularités se sont produites dans la procédure de sélection est fondée sur l’interprétation de la portée des compétences du tribunal No 1 lorsqu’il définit les critères à prendre en compte lors de l’établissement de la liste définitive des candidats qui ont réussi le concours. Tenant compte de toutes les informations disponibles, le Comité fait observer que cette question a été évoquée devant les tribunaux internes et que la Cour nationale s’est prononcée à son sujet dans son arrêt du 8 février 1996. Le Comité rappelle qu’en règle générale il appartient aux tribunaux d’appel des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée et d’examiner l’interprétation que les tribunaux et les autorités nationales ont pu faire de la législation nationale, à moins qu’il soit possible de prouver que celles-ci ont été manifestement arbitraires ou qu’elles ont représenté un déni de justice. L’argumentation des auteurs et les documents qu’ils ont fournis ne justifient pas, aux fins de la recevabilité, leur prétention selon laquelle l’évaluation judiciaire de la procédure suivie par le tribunal No 1 aurait été arbitraire ou aurait constitué un déni de justice. En conséquence, la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif en ce qui concerne la plainte pour violation des articles 25 c), 2.3 a) et 14.1 du Pacte.

6.3En ce qui concerne les allégations relatives à la violation des articles 14.1 et 26 du Pacte, les auteurs s’étant vu refuser la possibilité de comparaître devant le Tribunal constitutionnel sans être représentés par un mandataire, le Comité estime que les informations fournies par l’auteur ne reflètent pas une situation entrant dans le champ d’application des articles invoqués. L’auteur prétend que constitue une discrimination le fait de ne pas exiger que les licenciés en droit soient représentés par un mandataire devant le Tribunal constitutionnel dans des circonstances où ceux qui ne sont pas licenciés en droit doivent se conformer à cette exigence. L’arrêt du Tribunal constitutionnel explique la raison de la disposition énoncée à l’article 81.1 de la Loi organique, à savoir que l’obligation d’être représenté par un mandataire vise à garantir que ce soit une personne ayant des connaissances en droit qui se charge de présenter le recours devant ce tribunal. En ce qui concerne les allégations des auteurs selon lesquelles cette obligation n’est pas basée sur des critères objectifs et raisonnables, le Comité considère que le bien-fondé de ces allégations n’a pas été dûment démontré aux fins de la recevabilité. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Appendice

Opinion individuelle de Mme Christine Chanet (dissidente)

Je ne souscris pas à la décision du Comité telle qu’elle résulte de la motivation indiquée au 6.3.

Le privilège octroyé aux titulaires de diplômes de droit par la procédure civile espagnole qui les dispense de prendre un mandataire pour ester en justice pose à mon sens prima facie une question au regard des articles 2, 14 et 26 du Pacte.

Il se peut que l’État partie avance des arguments convaincants justifiant le caractère raisonnable du critère choisi, aussi bien dans son principe que dans son application.

Seul un examen de l’affaire sur le fond aurait apporté ces réponses indispensables à l’examen sérieux du cas.

(Signé) Christine Chanet

[Fait en français (version originale), et traduit en anglais et en espagnol. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

J.Communication No 905/2000, Asensio López c. Espagne(décision adoptée le 23 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Francisco Asensio López(représenté par M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :L’auteur

État partie :Espagne

Date de la communication :12 juillet 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1L’auteur de la communication datée du 12 juillet 1999 est M. Francisco Asensio López, citoyen espagnol, qui affirme que le jugement rendu dans l’action en modification des dispositions du jugement de séparation engagée par son épouse, a porté atteinte à son honneur. Il affirme également que la justice n’a pas donné suite à la plainte pénale qu’il avait déposée contre les termes, qu’il qualifiait d’injures et de calomnies, de ce jugement. Il se dit victime d’une violation par l’Espagne de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1M. Francisco Asensio López avait été assigné en justice dans une action en modification des dispositions du jugement de séparation par son épouse dont il était légalement séparé. Le jugement mettant fin à la procédure, qui avait été rendu le 31 mai 1996 par la juge de première instance, contenait des allusions à l’état mental de l’auteur et était rédigé en ces termes : « il n’a pas été possible de procéder à l’expertise psychiatrique demandée qui eut indubitablement établi qu’il souffre d’une altération de ses facultés mentales. Une simple conversation avec lui ou la lecture de certaines des plaintes qu’il a présentées suffisent à le démontrer : abusant de ses droits, M. Asensio se sert à l’évidence de sa fille pour occuper les trois juges de première instance de Molina de Segura, se plaignant d’eux à tort et publiquement dans certaines de ses déclarations au quotidien La Opinión, faits qui sont de notoriété publique, se plaignant également des avocats chargés de l’assister qui ont effectué correctement leur travail depuis le début de l’action en séparation et qui ont tous demandé à être dessaisis – requêtes qui, pour être plus que justifiées, ont toutes été acceptées – se plaignant enfin des agents de la police locale de Molina de Segura ».

2.2Le 1er juillet 1996, l’auteur a déposé auprès du juge de première instance qui était de permanence une plainte contre les termes vexatoires employés par la juge dans le jugement rendu le 31 mai 1996, termes susceptibles d’être qualifiés, selon lui, d’injures ou de calomnies. La plainte a été rédigée par l’auteur lui-même et en des termes non juridiques. Étant donné que l’organe compétent pour examiner les plaintes mettant en cause des juges de la circonscription est la Cour supérieure de justice de Murcie, c’est celle-ci qui a été saisie de la plainte, qu’elle a rejetée le 10 septembre 1996. La Cour a informé l’auteur de l’existence d’un recours en révision recevable dans un délai de trois jours. Ce recours a été présenté par l’auteur le 3 octobre 1996.2.3Le 9 octobre 1996, la Cour supérieure de justice de Murcie a informé l’auteur qu’elle n’examinerait pas son recours car il devait être obligatoirement assisté d’un avocat pour le présenter.

2.4L’auteur, assisté d’un avocat, a introduit le recours en révision le 30 octobre 1996 devant la Cour supérieure de justice de Murcie, laquelle n’a pas statué avant le 25 février 2000.

Teneur de la plainte

3.1Dans la communication qu’il a soumise au Comité, l’auteur affirme que les déclarations qui figurent dans le jugement rendu par la juge de première instance le 31 mai 1996, constituent une atteinte manifeste à son droit d’être jugé de manière impartiale et objective. Il considère en outre que le fait de dire dans le jugement qu’il « souffre d’une altération de ses facultés mentales » sans que cette affirmation ait été confirmée par une expertise psychiatrique, constitue un acte non seulement téméraire mais aussi incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2S’agissant de l’arrêt rendu par la Cour supérieure de justice le 10 septembre 1996, l’auteur affirme que celui-ci viole le droit à un examen juste et impartial d’une plainte visant une juge qui, dans le jugement qu’elle a rendu, a porté atteinte à la réputation de l’auteur. Par conséquent, ce dernier considère qu’il est victime d’un déni de justice puisque la Cour a refusé d’examiner la plainte quant au fond, enfreignant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.3L’auteur déclare qu’ayant saisi la Cour supérieure de justice, la plus haute instance de la communauté autonome de Murcie, il a épuisé tous les recours internes. Pour ce qui est du recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, il ne l’a pas présenté car celui-ci n’avait aucune chance d’aboutir.

3.4La même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Informations et observations de l’État partie et commentaires de l’auteurquant à la recevabilité

4.1Dans ses observations du 7 février 2000, l’État partie conteste la recevabilité de la communication et affirme que, dans le cas d’espèce, l’auteur, Asensio López, n’a pas épuisé les recours internes dans la mesure où il avait la possibilité de désigner un avocat et d’introduire dans les règles un recours en révision.

4.2Dans ses commentaires du 17 mai 2000, l’auteur répond qu’il a introduit un recours en révision le 30 octobre 1996 et que la Cour supérieure de justice ne s’est prononcée à son sujet, en le rejetant, que le 25 février 2000. L’auteur estime par conséquent que les recours internes sont bien épuisés.

Délibérations du Comité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que la Cour supérieure de justice de Murcie ne s’était pas encore prononcée sur le recours en révision présenté par l’auteur quand celui-ci a soumis sa communication au Comité des droits de l’homme le 12 juillet 1999. Néanmoins, étant donné que, par une décision ultérieure de la Cour supérieure de justice, le recours en révision a été rejeté et que l’État partie n’a formulé aucune objection à cet égard, le Comité estime que les recours internes ont été épuisés.

5.4Sachant que la Cour supérieure de Justice de Murcie a révisé sa décision au sujet des plaintes contenues dans la communication et que l’auteur n’a pas démontré qu’elle avait violé ses droits au regard du paragraphe 1 de l’article 14, ou qu’il a été victime d’un déni de justice, le Comité estime que ces allégations n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au conseil de l’auteur.

[Adopté en anglais, espagnol (version originale) et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

K.Communication No 935/2000, Mahmoud c. Slovaquie(décision adoptée le 23 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Ibrahim Mahmoud(représenté par un conseil, M. Bohumír Bláha)

Au nom de :L’auteur

État partie :Slovaquie

Date de la communication :2 mai 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2001,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Ibrahim Mahmoud, ressortissant syrien actuellement incarcéré dans un centre de détention de la République slovaque. Il affirme être victime de violations par la République slovaque des articles 2, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 17 février 1992, Ibrahim Mahmoud est arrivé en République slovaque dans le but de suivre des cours à la faculté de pharmacie de l’Université Cormenius de Bratislava. Il disposait d’une bourse du Ministère de l’éducation et d’un permis de séjour pour toute la durée de son séjour.

2.2Le 10 mars 1998, il a abandonné ses études pour des raisons de santé. L’auteur fait état de deux procédures distinctes au cours desquelles, dit-il, ses droits en vertu du Pacte ont été violés. Il s’agit dans le premier cas de la décision annulant son permis de séjour et le priant de quitter la République slovaque, et, dans le deuxième cas, du rejet de sa demande de statut de réfugié.

Permis de séjour

2.3Le 16 mars 1998, le Département de la police des frontières et des étrangers du siège régional de Bratislava a rendu une décision annulant le permis de séjour de l’auteur. Cette décision n’a pas été communiquée à ce dernier. Elle a uniquement fait l’objet d’un arrêté et, comme l’auteur n’en a pas eu connaissance, il n’a pu introduire de recours.

2.4Le 29 avril 1998, le Département de la police des frontières et des étrangers du siège régional de la police a rendu une nouvelle décision interdisant à l’auteur de revenir en République slovaque avant le 29 avril 2001 et lui ordonnant de quitter le pays le 15 mai 1998 au plus tard. Le recours formé par l’auteur contre cette décision auprès du Ministère de l’intérieur (Présidium de la police, Département de la police des frontières) a été rejeté.

2.5L’auteur a introduit une requête devant la Cour suprême, la priant de se prononcer sur la légalité de la décision du Ministère de l’intérieur. La Cour suprême a examiné l’affaire à huis clos et a informé l’auteur et son avocat qu’elle rendrait sa décision le 28 janvier 1999. L’auteur et son avocat n’ont pas pu assister au prononcé de l’arrêt car, lorsqu’ils sont arrivés, le bâtiment où siégeait la Cour était en cours d’évacuation en raison d’une alerte à la bombe. L’auteur conteste l’affirmation qui figure dans le texte de l’arrêt de la Cour suprême, selon laquelle celle-ci a rendu sa décision publiquement. L’auteur a reçu l’arrêt écrit de la Cour suprême le 17 mars 1999.

2.6L’auteur s’est pourvu devant la Cour constitutionnelle de la République slovaque afin qu’elle détermine si le fait que l’arrêt de la Cour suprême n’avait pas été rendu publiquement était conforme à la Constitution. Il apparaît que c’est le seul motif invoqué par l’auteur dans son pourvoi.

2.7Le 27 octobre 1999, la Cour constitutionnelle a estimé que la procédure suivie par la Cour suprême ne constituait pas une violation des droits de l’auteur car l’arrêt avait été rendu publiquement. La décision a été notifiée à l’avocat de l’auteur le 5 novembre 1999.

Procédure d’asile

2.8Le 16 mai 1998, soit le lendemain du jour où il était censé avoir quitté la République slovaque, l’auteur a déposé une demande de statut de réfugié auprès du Bureau des migrations du Ministère de l’intérieur de la République slovaque. Sa demande a été rejetée par une décision en date du 8 février 1999, l’auteur n’ayant pas fait la preuve que ses craintes d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques s’il retournait dans son pays d’origine étaient fondées. En outre, le Bureau des migrations estimait que les raisons pour lesquelles l’auteur demandait le statut de réfugié n’étaient pas crédibles.

2.9L’auteur a introduit un recours contre cette décision auprès du Ministre de l’intérieur qui a examiné l’affaire sur la base de documents écrits uniquement. Le recours a été rejeté par une décision datée du 25 mai 1999.

2.10L’auteur a alors déposé une plainte auprès de la Cour suprême afin qu’elle se prononce sur la légalité de la décision. Il a assisté à l’audience le 8 septembre 1999 mais il n’était pas accompagné de son conseil. Le juge lui a demandé s’il souhaitait « donner son opinion sur la plainte ». L’auteur a demandé les services d’un interprète, ce qui lui a été refusé au motif que « les faits n’avaient pas à être prouvés » en cette instance et qu’en conséquence l’assistance d’un interprète n’était pas nécessaire. La Cour suprême a rejeté la plainte et a rendu sa décision en slovaque. Celle-ci a été notifiée à l’auteur le 8 octobre 1999. Celui-ci affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles en ce qui concerne la procédure d’asile.

2.11En mars 2000, une procédure d’expulsion a été engagée à l’encontre de l’auteur. Aucun autre renseignement n’a été fourni concernant l’état d’avancement de cette procédure.

Teneur de la plainte

3.1Concernant la décision du Département de la police des frontières et des étrangers d’annuler le permis de séjour de l’auteur, ce dernier dit qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 16 de la loi sur la procédure administrative No 71/1967, les autorités auraient dû lui assigner un représentant légal lorsqu’elles se sont aperçues qu’elles ne pouvaient le joindre. Si elles l’avaient fait, il aurait été à même de contester cette décision.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a violé son droit à ce que la décision de la Cour suprême soit rendue publiquement ainsi que son droit d’être présent lorsqu’elle le serait, eu égard aux articles 2, 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte. La plainte déposée par l’auteur ne porte que sur la façon dont l’arrêt de la Cour suprême a été prononcé et non sur la décision lui interdisant de revenir en République slovaque et lui ordonnant de quitter le territoire.

3.3L’auteur affirme que sa cause n’a pas été entendue équitablement par la Cour suprême car on lui a refusé les services d’un interprète. Cette décision constitue une violation de son droit à un « procès » conduit dans une langue qu’il comprend, de son droit à une égale protection de la loi sans discrimination et du principe de l’égalité des armes conformément aux articles 2, 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte. En outre, l’auteur se plaint que l’examen des recours formés devant le Ministre de l’intérieur soit fondé uniquement sur des documents écrits, ce qui ne donne pas aux plaignants la possibilité de faire un exposé oral. Enfin, il affirme que l’État partie n’a pas correctement évalué les faits et les éléments de preuve le concernant.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1En ce qui concerne les faits, l’État partie dit qu’Ibrahim Mahmoud a été renvoyé de l’Université Cormenius, et que le motif d’octroi de son permis de séjour ayant donc cessé d’exister, il a été prié de quitter la République slovaque le 15 mai 1998 au plus tard. L’État partie ajoute que l’auteur gérait une agence de voyage depuis le 4 décembre 1997, activité qu’il n’était pas autorisé à exercer dans le cadre du permis de séjour qui lui avait été accordé.

4.2S’agissant de la plainte de l’auteur selon laquelle la Cour suprême n’a pas rendu son arrêt publiquement, l’État partie affirme que la Cour suprême comme la Cour constitutionnelle ont fondé leurs conclusions sur les éléments de preuve écrits présentés par le Ministère de la justice qui confirmaient que, même si le bâtiment où elle siégeait avait été évacué en raison d’une alerte à la bombe, la Cour suprême avait poursuivi ses travaux pendant une partie de la matinée. En outre, selon l’État partie, le prononcé de l’arrêt dans l’affaire à l’examen a été consigné dans les dossiers de la Cour. De l’avis de l’État partie, il n’appartient pas à la Cour de s’assurer de la présence des parties lors du prononcé d’un arrêt et leur absence à l’audience à ce moment-là n’est pas une raison suffisante pour ne pas rendre cet arrêt. Le fait que l’auteur n’a pu entrer dans le bâtiment en raison de l’alerte à la bombe ne peut être considéré comme une violation de ses droits.

4.3Concernant la procédure d’asile, d’après l’État partie, le Ministre de l’intérieur avait rejeté la demande de l’auteur au motif, notamment, qu’il avait agi « en contradiction avec les lois en vigueur » en République slovaque à diverses occasions et qu’il n’avait pas prouvé que ses craintes d’être persécuté à son retour dans son pays d’origine étaient justifiées. En outre, le Ministre était convaincu que l’auteur avait l’intention de rester en République slovaque pour y poursuivre ses activités professionnelles.

4.4Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’auteur n’avait pas bénéficié des services d’un interprète lors de l’audience à la Cour suprême, l’État partie fait valoir que ce jour-là la Cour suprême n’a fait qu’annoncer sa décision et qu’aucune déposition orale n’a été entendue. En conséquence, la Cour a estimé qu’un interprète n’était pas nécessaire. Les décisions sont toujours rendues dans la langue officielle sans traduction dans la langue maternelle de l’une des parties. En outre, l’État partie fait observer que l’auteur lui-même n’a pas eu recours à un interprète lors du procès en première instance car, comme il l’aurait déclaré lors de l’entretien, il maîtrise bien le slovaque. L’État partie souligne par ailleurs qu’Ibrahim Mahmoud réside en République slovaque depuis 1992 et n’a pas demandé l’asile avant 1998.

4.5En tout état de cause, l’État partie estime que l’auteur n’a épuisé les recours internes pour aucune des procédures et prie le Comité de déclarer la communication irrecevable. Premièrement, en vertu des alinéas e) et f) de l’article 243 du Code de procédure civile, l’auteur avait la possibilité de former un recours extraordinaire auprès du « Procureur général » s’il estimait qu’une décision valable d’un tribunal constituait une violation de la loi. En vertu de cette procédure, explique l’État partie, si le Procureur général estime que la loi a été violée, il peut former un recours extraordinaire devant la Cour suprême. Dans le cas de l’auteur, ce recours aurait été examiné par une autre chambre de la Cour suprême que celle qui avait examiné l’affaire en troisième instance. Si la Cour suprême estime que la loi a été violée, elle peut annuler la décision en question et renvoyer l’affaire devant le tribunal qui a rendu cette décision pour qu’il la réexamine. L’État partie ajoute que le dépôt d’une plainte auprès du Procureur général en vertu de la procédure de recours extraordinaire n’empêche pas d’engager une procédure devant la Cour constitutionnelle.

4.6Deuxièmement, en ce qui concerne la demande de statut de réfugié déposée par l’auteur, l’État partie affirme que ce dernier aurait pu engager une procédure devant la Cour constitutionnelle conformément à l’article 130 3) de la Constitution. Il explique qu’une telle procédure peut être engagée contre des décisions de la Cour et aussi contre des décisions administratives telles que la décision de ne pas accorder le statut de réfugié. Le droit d’asile (art. 53 de la Constitution) et le droit de s’exprimer devant la Cour dans sa langue maternelle sont protégés par la Constitution.

4.7D’après l’État partie, si la Cour constitutionnelle tranche en faveur de l’auteur, elle doit préciser dans son arrêt quels droits constitutionnels ont été violés et quelle mesure, procédure ou décision d’une autorité publique est à l’origine de la violation.

Observations du conseil concernant la recevabilité

5.1L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle la Cour suprême a simplement rendu une décision concernant la procédure d’asile et répète qu’il s’agissait d’une audience à laquelle ont pris part les différentes parties. Il confirme qu’il n’avait pas demandé les services d’un interprète lors de l’audience en première instance car, dit-il, il connaît suffisamment le slovaque pour s’exprimer sur des questions personnelles mais pas assez s’il s’agit de questions juridiques.

5.2À propos du fait qu’il n’a pas formé de recours extraordinaire devant le Procureur général, l’auteur dit que l’engagement d’une telle procédure dépend exclusivement du Procureur général et que ce recours n’est donc ni disponible ni accessible.

5.3S’agissant de la question du non-épuisement des recours internes dans la mesure où l’auteur n’a pas engagé de procédure devant la Cour constitutionnelle, l’auteur fait valoir qu’un tel recours n’aurait pas été utile. Il dit que la Cour constitutionnelle ne peut réexaminer les décisions valables rendues par des organes judiciaires, même si elles constituent une violation des droits de l’homme, car ce serait porter atteinte à l’indépendance de ces organes, qui est garantie par la Constitution. La Cour constitutionnelle ne peut pas non plus empêcher la poursuite de l’application d’une décision illégale rendue par un tribunal ou un organe administratif. Une décision de la Cour constitutionnelle en faveur du plaignant ne peut être utilisée que comme « fait juridique nouveau » et peut aboutir à l’ouverture d’une nouvelle procédure mais elle ne constitue pas un recours utile contre une violation des droits de l’homme. En outre, même si toutes les conditions légales sont réunies, la Cour constitutionnelle n’est pas obligée d’examiner une affaire.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2À propos de la décision de la Police des frontières et des étrangers d’annuler le permis de séjour de l’auteur, lequel se plaint de n’avoir jamais été informé de cette décision, le Comité estime qu’elle a été annulée et remplacée par la décision du 29 avril 1998, qui ordonnait à l’auteur de quitter la République slovaque, et ne voit donc pas la nécessité de l’examiner davantage.

6.3Pour ce qui est de la plainte de l’auteur concernant la façon dont a été prononcé l’arrêt de la Cour suprême sur le refus de lui accorder un permis de séjour, le Comité note que l’auteur ne conteste pas la façon dont s’est déroulée l’audience elle-même, au cours de laquelle il était représenté par un conseil. Il fait valoir en fait que, le bâtiment où siégeait la Cour ayant été évacué en raison d’une alerte à la bombe, l’arrêt n’a pas été rendu publiquement, et que ses droits ont été violés puisqu’il n’a pu être présent lorsqu’il a été formellement prononcé. À cet égard, cependant, le Comité note que l’auteur admet qu’à ce moment-là l’audience était déjà terminée et que le jugement lui a ensuite été notifié personnellement. Dans ces circonstances, l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité, prouvé que les droits qui lui sont reconnus par les articles 14 et 26 du Pacte ont été violés. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne les procédures relatives à la demande d’asile de l’auteur, le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas engagé de procédure devant la Cour constitutionnelle, et que les droits que l’État partie aurait violés pouvaient être invoqués à cette occasion. L’auteur a fait valoir que la Cour constitutionnelle ne pouvait s’immiscer dans les décisions judiciaires, mais il a reconnu qu’elle pouvait rendre une décision créant « un fait juridique nouveau » qui pouvait aboutir à l’ouverture d’une nouvelle procédure. En outre, cet argument est en contradiction avec les informations fournies par l’auteur selon lesquelles la plainte qu’il a déposée pour attaquer la décision de la Cour suprême au motif qu’elle n’aurait pas été rendue publiquement, a été examinée au fond par la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas réfuté l’argument de l’État partie selon lequel il aurait pu attaquer l’arrêt de la Cour suprême devant la Cour constitutionnelle au motif qu’on lui a refusé les services d’un interprète. Le Comité estime donc que les recours internes n’ont pas été épuisés à cet égard et que cette plainte est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

L.Communication No 947/2000, Hart c. Australie(décision adoptée le 25 octobre 2000, soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Chanet, Lord Colville, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Abdallah Zakhia. En application de l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, Mme Elizabeth Evatt n’a pas participé à l’examen de la communication.

Présentée par :Barry Hart

Au nom de :L’auteur

État partie :Australie

Date de la communication :31 janvier 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2000,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Barry Hart, citoyen australien, né le 20 août 1935. Il se dit victime d’une violation par l’Australie des articles 2 [par. 1, 2 et 3 a)], 14, 17 (par. 1 et 2), 18 (par. 1), 19 (par. 1 et 2) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour l’État partie le 12 novembre 1980 et le Protocole facultatif s’y rapportant est entré en vigueur le 25 décembre 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1973, l’auteur s’est rendu de son plein gré à l’hôpital privé de Chelmsford pour un rendez-vous psychiatrique avec le docteur Herron, spécialiste des cures de sommeil dans cet établissement. L’auteur affirme que le personnel de l’hôpital lui a fait perdre involontairement connaissance. Il soutient qu’au cours des 10 jours qui ont suivi on lui a administré par voie nasale, sans son consentement, d’importantes quantités de médicaments potentiellement toxiques (notamment des barbituriques). On l’a également traité par électrochocs sans lui administrer de décontractants. À la suite de ces traitements, l’auteur a souffert d’une double pneumonie, d’une pleurésie, d’une thrombophlébite, d’une embolie pulmonaire et de lésions cérébrales anoxiques. Le 20 mars 1973, l’auteur, souffrant de pneumonie bilatérale et d’embolie pulmonaire, a été transféré à l’hôpital public de Hornsby, d’où il est sorti le 3 avril 1973. Après sa sortie de l’hôpital, l’auteur a été en proie à différents troubles : convulsions, hypersensibilité au bruit, spasmophilie, cauchemars, nausées et excitabilité psychologique perpétuelle. Le diagnostic a établi qu’il souffrait d’un choc post-traumatique aigu et chronique. L’auteur affirme que cet état l’aurait rendu de fait incapable de travailler, de sorte qu’il vit désormais grâce à une pension d’invalidité. Au fil des ans, soutient-il, ce symptôme s’est exacerbé au point de ne plus être susceptible de traitement.

2.2L’auteur a porté plainte auprès du tribunal de première instante de New South Wales en novembre 1976. L’affaire a été renvoyée devant la Cour suprême de New South Wales en 1979.

2.3En mars 1980, la procédure civile contre l’hôpital de Chelmsford et le docteur Herron a commencé à la Cour suprême de New South Wales, en présence du juge Fisher et d’un jury. L’auteur soutient que le procès a été inéquitable à de multiples égards. Le juge aurait exclu d’importants éléments de preuve au motif qu’ils étaient préjudiciables et des pressions indues auraient été exercées sur le jury pour qu’il rende rapidement un verdict. Les défendeurs n’ont cité aucun témoin médical à décharge, mais le juge a donné au jury, en ce qui concernait les éléments de preuve médicaux, des instructions défavorables au plaignant. L’auteur déclare qu’à l’époque le choc post-traumatique dont il souffrait n’était pas reconnu comme une maladie. Le juge du fond a éliminé la possibilité pour le jury de réclamer des dommages-intérêts exemplaires (punitifs) au motif qu’il n’y avait pas de preuve de faute médicale grave et flagrante qui les justifierait. Le 14 juillet 1980, le jury a déclaré l’hôpital de Chelmsford coupable de séquestration, et le docteur Herron coupable de séquestration, de coups et blessures volontaires et de négligence. Les deux défendeurs étaient condamnés à verser 6 000 dollars australiens au plaignant pour séquestration, le docteur Herron était condamné à lui verser 18 000 dollars australiens pour coups et blessures volontaires et les deux défendeurs devaient lui verser 36 000 dollars australiens à titre de dommages compensatoires (pour les pertes de revenu passées et futures). En août 1980, les défendeurs ont fait appel du jugement pour dommages « excessifs », tandis que l’auteur interjetait lui aussi appel pour dommages-intérêts insuffisants et non-octroi de dommages exemplaires.

2.4En 1983, l’auteur a porté plainte auprès de la commission d’enquête du Conseil médical à propos du traitement qu’il avait subi à Chelmsford et des problèmes connexes découlant du procès de 1980.

2.5En mars 1986, la commission d’enquête a conclu qu’il y avait une présomption de faute professionnelle à l’encontre du docteur Herron qui justifiait son renvoi devant un tribunal disciplinaire. Le docteur Herron a déposé plainte pour abus de procédure auprès de la Cour d’appel de New South Wales, qui a renvoyé l’affaire au tribunal disciplinaire. En juin 1986, le juge Ward du tribunal a estimé qu’il n’y avait eu de la part de l’auteur aucun retard susceptible de constituer un abus de procédure et il s’est référé à cet égard aux diverses actions en justice intentées par le plaignant pendant cette période.

2.6En septembre 1986, sur requête du docteur Herron, la cour d’appel de New South Wales (McHugh Président, Priestley et Street siégeant comme juges) a suspendu définitivement la procédure disciplinaire, sans se référer à la décision rendue par le juge Ward, au motif que l’auteur avait commis un abus de procédure en attendant trois ans avant de porter plainte devant la commission d’enquête du Conseil médical. En décembre 1986, la Haute Cour d’Australie a rejeté la demande de pourvoi de l’auteur contre l’arrêt de la cour d’appel.

2.7En août 1988, une Commission royale d’enquête a été désignée pour enquêter sur les pratiques à l ‘hôpital de Chelmsford, notamment le recours à la thérapie de la cure de sommeil, et le nombre important de décès survenus dans cet établissement. La Commission royale a examiné le dossier de l’auteur, entre autres, en détail. Dans un rapport très critique remis en décembre 1990, la Commission a conclu qu’il y avait eu comportement délictueux et qu’on disposait d’éléments prouvant des dommages psychologiques graves. Elle constatait qu’il y avait eu de la part des défendeurs collusion pour entraver le fonctionnement de la justice, notamment en proférant des menaces à l’encontre d’un témoin oculaire membre du personnel soignant, que le document contenant le consentement prétendu de l’auteur au traitement était un faux et qu’ils avaient sciemment menti à propos de ce document falsifié.

2.8L’auteur déclare qu’en 1993 le diagnostic a établi pour la première fois qu’il souffrait d’une maladie psychiatrique débilitante. En juin 1993, la cour d’appel de New South Wales a rejeté la requête du docteur Herron tendant à ce que l’auteur soit débouté de son appel contre le jugement de 1980 pour manquement de diligence.

2.9En août 1995, la cour d’appel de New South Wales a examiné le recours introduit par l’auteur contre le jugement de 1980 pour dommages-intérêts compensatoires insuffisants et retrait par le juge du fond de la possibilité pour le jury d’imposer des dommages exemplaires. Il n’a pas été donné suite à l’appel incident du docteur Herron. Le 6 juin 1996, la cour d’appel de New South Wales (où siégeaient les juges Priestley, Clarke et Sheller) a rejeté l’appel, l’auteur étant condamné aux dépens. La cour a jugé notamment que les rapports sur des examens psychologiques effectués en 1972 mettaient déjà en évidence « nombre des symptômes » attribués par la suite au traitement subi à Chelmsford. La cour a estimé que les constatations de la Commission royale d’enquête, conjointement avec les autres éléments de preuve, autorisaient seulement à conclure que le docteur Herron, en entente avec des tiers, avait « eu une conduite répréhensible ». Dans l’arrêté écrit rendu au nom de la cour, le juge Priestley déclarait : « Il ne me semble pas que les autres éléments avancés par le requérant pour étayer son appel auraient introduit quoi que ce soit de nouveau par rapport aux éléments effectivement disponibles lors du procès ». La cour a estimé que le comportement du juge du fond n’était entaché d’aucune irrégularité.

2.10En avril 1997, la Haute Cour d’Australie (Brennan, Dawson et Toohey siégeant comme juges) a rejeté la demande de pourvoi de l’auteur, le condamnant également aux dépens. La cour a estimé que l’auteur n’était pas fondé à réclamer des dommages exemplaires si longtemps après le procès. L’auteur fait valoir que la conduite délictueuse visée n’a été mise en évidence par la Commission d’enquête qu’en 1990 et que depuis lors il était engagé dans de longues procédures.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’État a failli à ses obligations en ne soumettant pas les pratiques de l’hôpital de Chelmsford à des réglementations appropriées et en ne procédant pas à une enquête suite à la série de plaintes déposées par le personnel soignant et les inspecteurs de l’administration publique. L’auteur soutient également que les juges et les magistrats n’avaient pas eu un comportement impartial à son égard et l’avaient discrédité en raison de son traitement psychiatrique, en particulier lors du procès de 1980 contre le docteur Herron. De surcroît, l’auteur soutient que la cour d’appel de New South Wales aurait omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents, n’aurait pas relevé que certains faits étaient des inventions et certains éléments de preuve des faux et aurait rendu des jugements biaisés et erronés aussi bien en décidant de surseoir à la procédure disciplinaire en 1986 qu’en rejetant l’appel au fond en 1996. L’auteur affirme que l’État partie n’a pas su mettre en place des mécanismes de régulation et d’investigation appropriés pour exercer un contrôle sur les juges et les magistrats. En outre, les tribunaux ont été incapables de lui accorder des réparations équitables et suffisantes en dédommagement des sévices et de la torture psychiatrique qu’il avait subis. L’auteur affirme que les manquements ci-dessus constituent des violations des articles 2, 14, 17, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Étant donné que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991, le Comité n’a pas compétence ratione temporis pour examiner des allégations ayant trait à des événements survenus avant cette date, à moins que ceux-ci ne continuent à produire des effets qui en eux-mêmes constituent une violation du Pacte. Par suite, la plainte de l’auteur concernant le traitement qu’il a subi à Chelmsford, la procédure civile contre le docteur Herron et la décision de surseoir à la procédure disciplinaire contre le docteur Herron rendue par la cour d’appel de New South Wales – tous événements survenus avant le 25 décembre 1991 – doit être considérée irrecevable.

4.3En ce qui concerne la partie de la plainte relative aux arrêts rendus par la cour d’appel de New South Wales et la Haute Cour d’Australie, le Comité rappelle que, d’une manière générale, ce n’est pas à lui mais aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice. En outre, il n’appartient pas au Comité de réexaminer l’interprétation du droit interne par les tribunaux nationaux. En l’occurrence, le Comité note que la cour d’appel de New South Wales et la Haute Cour d’Australie ont examiné les allégations de l’auteur et, sur la base des éléments de preuve disponibles, ont refusé d’infirmer le jugement du tribunal de première instance. Les allégations de l’auteur et les informations dont dispose le Comité ne permettent pas de conclure que les décisions de la cour d’appel ou de la Haute Cour étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4En ce qui concerne les autres allégations de l’auteur, le Comité estime que celui-ci ne les a pas étayées aux fins de la recevabilité de sa communication. En conséquence, elles sont également irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

M.Communication No 948/2000, Devgan c. Canada(décision adoptée le 30 octobre 2000, soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski et M. Hipólito Solari Yrigoyen. En application de l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Maxwell Yalden n’a pas participé à l’examen de la communication.

Présentée par :M. Ravi Devgan(représenté par M. Harry Kopyto, conseil)

Au nom de :L’auteur

État partie :Canada

Date de la communication :1er juin 2000

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2000,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Ravi Devgan, citoyen canadien né en 1946. Il affirme être victime d’une violation par le Canada des droits consacrés aux articles 2, 3, 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 26 janvier 1996, le tribunal de l’Ontario a jugé l’auteur du chef de fraude et du chef de fausse déclaration, suite à des plaintes de deux demandeurs distincts. L’auteur a plaidé non coupable mais a été reconnu coupable, et le 17 mai 1996 il a été condamné à 90 jours d’emprisonnement en régime de semi-liberté. Il affirme que bien que l’action civile en indemnisation engagée pour fraude ait été réglée, il a également été contraint de payer des dommages aux deux plaignants, en application du paragraphe 1 de l’article 725 du Code pénal.

2.2L’auteur, représenté par un avocat, a interjeté appel à la fois de la condamnation et de la peine imposée par le tribunal de l’Ontario. Toutefois, l’avocat a prévenu l’auteur que s’il décidait de faire appel il risquait une peine plus lourde. En août 1999, l’auteur a écrit à son conseil pour lui confirmer qu’il retirait l’avis d’appel. Le conseil a adressé un avis de désistement au tribunal, qui a rejeté le recours au motif de l’abandon, le 11 août 1999. L’auteur a également formé un recours contre les ordres de paiement de dommages et intérêts. Dans un arrêt du 26 mai 1999, la cour d’appel de l’Ontario a rapporté une des deux condamnations et a confirmé l’autre en en réduisant le montant.

2.3Après avoir retiré le recours qu’il avait formé de la condamnation et de la peine, l’auteur a pris un nouveau conseil qui a estimé qu’il n’y avait aucun risque que la cour d’appel augmente la peine étant donné que l’accusation n’avait pas formé d’appel incident au sujet de la peine. L’auteur a alors demandé officiellement l’annulation des notifications de désistement. La cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande le 7 février 2000 en faisant valoir qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur le désistement. L’auteur a alors demandé l’autorisation de former recours de cette décision auprès de la Cour suprême du Canada, qui a rejeté sa demande le 23 mars 2000. De plus, l’auteur a demandé l’autorisation de former recours contre l’arrêt de la cour d’appel de l’Ontario en ce qui concerne le versement des dommages et intérêts. La Cour suprême du Canada a rejeté la demande le 20 avril 2000.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir qu’en lui refusant la possibilité de faire appel, les tribunaux ont violé les droits qui lui sont reconnus aux articles 2, 3, 7 et 14 du Pacte. Il affirme en outre que les tribunaux l’ont jugé deux fois pour la même infraction en lui ordonnant de payer des dommages et intérêts à l’issue du procès pénal alors que l’action civile avait permis de régler l’affaire, ce qui constitue également une violation des articles 7 et 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme que le droit de recours a été violé, le Comité note que, d’après les renseignements fournis par l’auteur lui-même, celui-ci a dans un premier temps exercé son droit de recours puis a retiré le recours. Rien dans les allégations de l’auteur ni dans les informations dont le Comité est saisi ne vient étayer, aux fins de la recevabilité, l’allégation de l’auteur selon laquelle, en rejetant sa demande de réouverture du recours, l’État partie a violé les articles 2, 3, 7 ou 14 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3Pour ce qui est du versement des dommages et intérêts ordonné dans le jugement pénal, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas montré en quoi l’État partie a violé les droits énoncés dans les articles 7 et 14 du Pacte en ordonnant à l’auteur de payer des dommages et intérêts. Cette partie de la communication est donc également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

N.Communication No 949/2000, Keshavjee c. Canada(décision adoptée le 2 novembre 2000, soixante-dixième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski et M. Hipólito Solari Yrigoyen. En application de l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Maxwell Yalden n’a pas participé à l’examen de la communication.

Présentée par :M. Ameer Keshavjee

Au nom de :L’auteur

État partie :Canada

Date de la communication :4 juin 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 novembre 2000,

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Ameer Keshavjee, de nationalité canadienne, né le 4 octobre 1938. Il affirme être victime d’une violation par le Canada des articles 14, 25 c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été recruté par Revenu Canada à compter du 19 septembre 1989 en tant qu’agent des contacts pour les recouvrements après avoir réussi aux examens pertinents. Il bénéficiait d’un engagement pour une période de stage prenant fin le 9 avril 1990. Le 15 mars 1990, l’auteur a passé un examen supplémentaire avec succès et s’est vu proposer une nomination en tant qu’agent des recouvrements et d’exécution pour une période de stage de 12 mois prenant effet au 9 avril 1990. Le 31 juillet 1990, l’auteur s’est vu notifier par écrit par le chef du groupe des recouvrements que cinq contrôles par sondage de son travail effectués entre novembre 1989 et juillet 1990 s’étaient révélés non satisfaisants. Les contrôles avaient été effectués les 8 novembre 1989, 10 janvier 1990, 5 mars 1990, 22 juin 1990 et 10 juillet 1990.

2.2Le 31 juillet 1990, l’auteur s’est vu donner un délai de 90 jours pour rectifier ces manquements, faute de quoi il serait mis fin à sa nomination pour une période de stage. Il a aussi été informé que trois contrôles par sondage seraient effectués au cours de cette période de 90 jours. L’auteur prétend que c’était la première fois qu’on l’informait que son travail laissait à désirer. Il affirme aussi que la production du service entier était faible mais qu’aucun autre employé n’avait reçu une telle lettre. Le 29 août 1990, l’auteur a été informé que du fait que son travail laissait à désirer, l’augmentation de traitement qui lui était normalement due à compter du 19 septembre 1990 ne lui serait pas accordée. Ce report semble constituer une procédure normale dans les cas où l’administration détermine qu’un fonctionnaire ne donne pas satisfaction. Le 28 novembre 1990, il a été mis fin à l’engagement de l’auteur pour une période de stage.

2.3Avec l’assistance et les conseils du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, l’auteur a attaqué la décision de ne pas accorder l’augmentation de traitement et de mettre fin à l’engagement en suivant une procédure de recours interne comprenant quatre paliers (aucune précision n’est donnée à ce sujet). Ce processus s’est achevé le 22 janvier 1992 par la notification du résultat des audiences du dernier palier de la procédure. L’augmentation de traitement avait été rétablie au troisième palier de la procédure, mais la décision de mettre fin à l’engagement n’a été annulée à aucun moment.

2.4En octobre 1991, l’auteur s’est plaint à la Commission canadienne des droits de l’homme d’avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur sa race, sa couleur et son origine nationale ou ethnique (il est indien d’Asie) ayant conduit à sa mise à pied. La Commission, après avoir mené une enquête approfondie, a constaté que le travail de l’auteur ne s’était pas amélioré malgré les avertissements qu’il avait reçus et que d’autres agents des recouvrements étaient traités de la même manière que lui. Elle a conclu en août 1992 que la plainte n’était pas fondée. L’auteur a fait une nouvelle démarche auprès de la Commission afin qu’elle revienne sur sa décision, mais ceci lui a également été refusé.

2.5En novembre 1992, l’auteur a porté plainte devant la Commission de la fonction publique du Canada concernant son cas. Cette plainte a été rejetée en décembre 1992. L’auteur a fait diverses autres tentatives pour exercer un recours par le truchement du Premier Ministre, du Ministre du revenu national et de certains députés. Il n’a pas poursuivi dans la voie judiciaire, par exemple devant la Cour fédérale du Canada. Il prétend qu’un tel recours serait inutile dans la mesure où la Cour fédérale n’examine les décisions de la Commission des droits de l’homme que sous l’angle des questions de compétence et d’équité des procédures.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur présente deux griefs principaux. Le premier concerne le Syndicat des employé(e)s de l’impôt, qui l’a représenté dans les procédures internes d’examen des plaintes. L’auteur affirme que le Syndicat ne lui a pas expliqué les procédures de recours appropriées applicables à son cas et qu’il l’a tenu à l’écart de certaines audiences contre son gré. Il affirme aussi que des membres du syndicat ont organisé son renvoi.

3.2Le principal volet de la plainte de l’auteur tient au fait qu’il prétend avoir perdu son emploi en raison d’une discrimination exercée à son encontre. L’auteur affirme qu’il avait récemment passé des examens d’un niveau supérieur et souligne que l’augmentation de traitement qui lui avait été refusée à l’origine lui a été accordée ultérieurement. Son renvoi aurait été motivé par la discrimination raciale. À l’appui de cette affirmation, il allègue que ses chefs, les syndicalistes qui l’ont représenté et les arbitres étaient tous blancs et que les procédures internes d’examen des plaintes étaient inéquitables, puisque des personnes ayant exercé des fonctions de cadre étaient également membres des jurys d’enquête sur les plaintes des fonctionnaires. Il y aurait donc eu violation des articles 14, 25 c) et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Pour ce qui est des allégations visant le comportement du Syndicat, le Comité constate qu’elles sont dirigées contre des particuliers. En l’absence de tout argument selon lequel l’État partie pourrait être tenu responsable des actes de ces individus, cette partie de la communication est irrecevable ratione personae en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

4.3S’agissant des allégations de discrimination avancées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il appartient non pas à lui mais aux autorités compétentes de l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve. Il n’appartient pas au Comité d’intervenir dans une telle appréciation, sauf s’il peut être établi qu’elle a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que les allégations de l’auteur ont été examinées quant au fond par la Commission canadienne des droits de l’homme, qui a conclu qu’il avait été mis fin à l’engagement de l’auteur pour des motifs ne tenant en aucune façon à une discrimination mais au fait que son travail laissait à désirer. En outre, la Commission a constaté que d’autres agents des recouvrements avaient été traités de la même façon. L’auteur n’a pas prouvé, aux fins de la recevabilité, que ces conclusions étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. Compte tenu des constatations de la Commission des droits de l’homme, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas prouvé, aux fins de la recevabilité, que son renvoi avait entraîné des violations des droits que lui confèrent les articles 14, 25 c) et 26 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 et 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport annuel.]

O.Communication No 952/2000, Parun et Bulmer c. Nouvelle-Zélande (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. M. J. Parun et M. K. D. Bulmer

Au nom de :Les auteurs

État partie :Nouvelle-Zélande

Date de la communication :15 octobre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 mars 2001

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont Kenneth Daniel Bulmer, né en 1964, et Melvin Joseph Parun, né en 1955, tous deux de nationalité néo-zélandaise. Ils affirment être victimes d’une violation par la Nouvelle-Zélande de droits qui leur sont reconnus aux articles 2, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont des avocats s’occupant en Nouvelle-Zélande d’affaires pénales, entre autres, au titre de l’aide juridictionnelle.

2.2Les auteurs ont apparemment entamé des procédures auprès de la Haute Cour de Wellington (Nouvelle-Zélande), le 4 août 1997, faisant valoir que le greffier du Tribunal du district de Wellington assignait les affaires pénales à des avocats au titre de l’aide juridictionnelle d’une manière arbitraire et illégale. Les auteurs ne fournissent aucun renseignement au sujet de ces procédures.

2.3En avril 1998, les auteurs ont adressé à la cour d’appel une demande tendant à ce que le juge de la Haute Cour Neazor soit récusé dans l’affaire les concernant au motif que ce dernier participerait à l’élaboration de la politique relative à l’aide juridictionnelle et à l’administration de cette aide. Dans une lettre datée du 10 juillet 1998, adressée au greffier de la cour d’appel de la Nouvelle-Zélande, le conseil des auteurs a élevé une objection à la participation au procès de plusieurs juges inscrits au registre des magistrats de la cour d’appel, au motif qu’ils étaient membres de plusieurs commissions et conseils. Les auteurs ont également demandé que tous les juges permanents de la cour d’appel fassent des déclarations, entre autres, au sujet de leur éventuelle participation aux travaux des commissions mentionnées dans la lettre affirmant que toute violation du devoir d’impartialité dans le cadre du procès donnerait lieu à une action en dommages et intérêts pour préjudice grave.

2.4Le 20 juillet 1998, la cour d’appel de la Nouvelle-Zélande a rejeté la demande tendant à ce que le juge Neazor soit récusé, estimant qu’elle n’était pas compétente pour donner suite à une requête introductive d’instance.

2.5Dans sa décision, la cour d’appel a indiqué qu’elle transmettait le jugement et la lettre adressée par les auteurs au greffier de la Cour à la Wellington District Law Society (WDLS). Elle a estimé que les auteurs avaient utilisé la procédure de la Cour d’une manière abusive, que leur lettre au greffier pouvait être interprétée comme une menace contre les juges et a donc porté plainte contre les auteurs devant la WDLS. Dans une lettre datée du 11 novembre 1998, la WDLS a jugé les griefs de la cour justifiés. Selon les auteurs, la décision de la WDLS peut faire l’objet d’un appel auprès de la Haute Cour de la Nouvelle-Zélande.

2.6Le 21 septembre 1998, la cour d’appel de la Nouvelle-Zélande a rejeté la demande présentée par les auteurs, d’autorisation conditionnelle de faire appel de la décision du 20 juillet 1998 devant le Conseil privé, au motif qu’elle n’était pas habilitée à octroyer cette autorisation. Le même jour, la cour d’appel de la Nouvelle-Zélande a rejeté la demande subsidiaire de divulgation d’informations dans le cadre de l’action des auteurs contre le juge Neazor au motif que ces derniers ne s’étaient pas présentés devant la cour. Les auteurs affirment qu’ils peuvent interjeter appel de ces décisions directement devant le Conseil privé. Ils ont toutefois préféré ne pas le faire parce que les membres de la cour d’appel siégeaient aussi au Conseil privé et les auteurs les considéraient tous comme prévenus contre eux.

2.7Les auteurs font valoir en outre qu’ils ne se sont pas prévalus des recours juridictionnels disponibles en ce qui concerne leur requête tendant à ce qu’ils soient inscrits en tant qu’avocats au titre de l’aide juridictionnelle, leur possibilité de faire appel de la décision de la WDLS et d’intenter une action en dommages et intérêts contre l’État parce que les tribunaux néo-zélandais sont prévenus contre eux.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment être victimes d’une violation des droits qui leur sont reconnus aux articles 2, 14 et 26 du Pacte parce qu’ils ont été privés du recours utile consistant à disqualifier le juge de la Haute Cour Neazor et parce que plusieurs juges qu’ils considéraient comme prévenus contre eux ont été autorisés à siéger à la cour d’appel. En outre, ils font valoir que les dispositions du Pacte ont été violées parce qu’on leur a dénié l’accès à un tribunal indépendant et impartial dans le cadre de leur requête tendant à se faire inscrire comme avocats au titre de l’aide juridictionnelle et pour leurs éventuelles plaintes contre la décision de la WDLS et action en dommages et intérêts contre l’État.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le fond de l’allégation des auteurs est que tous les tribunaux néo-zélandais sont prévenus contre eux. Pour cette raison ils préfèrent s’abstenir de se prévaloir des recours dont ils disposent auprès des juridictions locales. Le Comité estime que les auteurs n’ont en aucune manière étayé leur allégation. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que les auteurs n’ont pas étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité. La communication est par conséquent irrecevable au regard de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.En conséquence le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais, (version originale) en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

P.Communication No 963/2001, Uebergang c. Australie (décision adoptée le 22 mars 2001, soixante et onzième session)*

* Les membres suivants du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Présentée par :M. Colin Uebergang

Au nom de :L’auteur

État partie :Australie

Date de la communication :29 juin 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 mars 2001

Adopte la décision ci-après :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Colin Uebergang, citoyen australien, résidant actuellement à Brisbane dans l’État du Queensland (Australie). Il se dit victime de violations par l’Australie des articles 9, paragraphes 5 et 14, paragraphe 6, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. L’État partie a ratifié le Pacte le 13 octobre 1966 et le Protocole facultatif le 25 décembre 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Entre le 8 et le 11 septembre 1997, l’auteur a été jugé sous l’inculpation de manoeuvres frauduleuses par le tribunal de district de Brisbane qui l’a reconnu coupable de l’un des trois chefs d’accusation et acquitté pour les deux autres. Le 11 septembre 1997, il a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement.

2.2L’auteur a fait appel de sa condamnation devant la cour d’appel du Queensland. Le 27 février 1998, la cour d’appel, à l’unanimité, a infirmé le jugement, annulé sa condamnation et prononcé son acquittement. M. Uebergang a été remis en liberté le même jour.

2.3L’auteur a écrit à l’Attorney-General du Queensland, le 10 février 1999 et le 20 mai 1999, pour demander réparation du déni de justice que constituait son emprisonnement, injustifié selon lui, pendant cinq mois et demi (depuis la date de sa condamnation jusqu’au jugement en appel en sa faveur). Le 17 février, le conseiller du bureau de l’Attorney-General a informé M. Uebergang que l’Attorney-General refusait de l’indemniser dans la mesure où « il n’existait aucune circonstance exceptionnelle qui pourrait justifier un dédommagement à titre gracieux… ». Le conseil de l’auteur a écrit à l’Attorney-General le 5 juin 2000 et a reçu la même réponse négative. L’auteur affirme qu’en s’adressant à l’Attorney-General pour demander une indemnisation il a épuisé tous les recours internes disponibles au sens de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1Selon le conseil, le refus de l’État du Queensland d’indemniser M. Uebergang pour emprisonnement injustifié constitue une violation par l’Australie des articles 9, paragraphe 5, et 14, paragraphe 6, du Pacte.

3.2Le conseil affirme que la décision du bureau de l’Attorney-General de ne pas accorder d’indemnisation en raison de l’absence de « circonstances exceptionnelles » constitue une violation de l’article 14, paragraphe 6, du Pacte étant donné que cette condition n’est pas énoncée expressément dans cet article.

3.3Le conseil fait valoir que les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 6, sont les suivantes : qu’une décision définitive ait été prise; que le plaignant ait fait l’objet d’une condamnation pénale; que cette condamnation ait été ultérieurement annulée ou que la grâce ait été accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire; et qu’il n’ait pas été prouvé que la non-révélation du fait inconnu est imputable en tout ou partie au plaignant.

3.4Le conseil considère que toutes ces conditions ont été satisfaites. Il conteste l’argument de l’Attorney-General selon lequel cet article ne s’applique qu’« aux cas où la personne condamnée a exercé sans succès tous ses droits de faire appel et que la condamnation est définitive et confirmée par les tribunaux ». Le conseil estime que selon cette interprétation, l’application du Pacte serait limitée aux cas dans lesquels la grâce a été accordée alors qu’il est indiqué expressément dans cet article que ces dispositions s’appliquent aussi bien dans les cas où la condamnation a été ultérieurement annulée que dans ceux où la grâce a été accordée.

3.5Le conseil ne présente aucun argument concernant l’existence d’une violation du paragraphe 5 de l’article 9; il dit simplement que cet article a été violé.

Décision concernant la recevabilité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2En ce qui concerne la demande d’indemnisation de l’auteur en vertu du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte, le Comité constate que les conditions d’application de cet article sont les suivantes :

a)Que la personne concernée ait fait l’objet d’une condamnation pénale définitive;

b)Que la personne concernée ait subi une peine en raison de cette condamnation; et

c)Que cette condamnation ait été ultérieurement annulée ou que la grâce ait été accordée en raison de l’existence d’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouvant qu’il s’était produit une erreur judiciaire.

4.3Le Comité constate que le jugement par lequel le tribunal de district a condamné l’auteur le 11 septembre 1997 a été infirmé par la cour d’appel le 27 février 1998. Il considère que la condamnation de l’auteur n’était pas une « condamnation définitive » au sens du paragraphe 6 de l’article 14 et que cet article ne s’applique pas en l’espèce. Cette partie de la communication est donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 9, le Comité note qu’après sa condamnation par le tribunal de première instance, l’auteur a été emprisonné sur la base du jugement rendu par ce tribunal. Le fait qu’il a été ultérieurement acquitté par la cour d’appel n’implique pas en soi que son emprisonnement consécutif à une décision judiciaire ait été illégal. Le conseil n’a pas fourni d’arguments pour étayer sa plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 9. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

Q.Communication No 991/2001, Neremberg c. Allemagne(décision adoptée le 27 juillet 2001, soixante-douzième session)*

* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèglè Ahanhanzo, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden et M. Hipólito Solari Yrigoyen.

Conformément à l’article 85 du Règlement intérieur du Comité, M. Eckart Klein n’a pas pris part à l’examen de la communication.

Présentée par :Mme Hena Neremberg et consorts(représentés par un conseil, M. Edward Kossoy)

Au nom de :Les auteurs

État partie :Allemagne

Date de la communication :30 octobre 1999

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 juillet 2001,

Adopte ce qui suit  :

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont Mme Hena Neremberg et 10 autres personnes résidant actuellement au Canada, en France et en Israël. Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Allemagne des droits consacrés à l’article 14 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Allemagne le 25 novembre 1993. L’Allemagne a formulé une réserve ratione temporis, ainsi qu’une réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Les auteurs sont les héritiers des actifs d’une tannerie située à Radom (Pologne) ou leurs ayants droit. Peu après l’occupation allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise avait été confisquée parce qu’elle appartenait à des Juifs, et été placée sous le contrôle des autorités administratives mises en place en Pologne par le Reich. Sous ce régime, d’importantes quantités de cuir provenant de la tannerie avaient été expédiées à diverses reprises à Hanovre (Allemagne). En outre, d’autres biens appartenant aux ancêtres des auteurs avaient été confisqués ou saisis.

2.2En novembre 1958, les auteurs et/ou d’autres membres de leur famille ont demandé une indemnité pour le cuir expédié à Hanovre, ainsi que d’autres actifs confisqués ou saisis, au titre des dispositions pertinentes de la loi fédérale relative à la restitution des biens (« Bundesrückerstattungsgesetz »). En 1962, le tribunal de district de Berlin (« Landgericht ») a été saisi de l’affaire. En 1971, les auteurs ont accepté un règlement à l’amiable pour une partie de leurs revendications. Pour le reste de la plainte, la procédure s’est poursuivie.

2.3Dans des décisions partielles séparées, rendues en 1983 et 1987, le tribunal de district de Hanovre a accordé aux auteurs une indemnité pour d’autres actifs de la tannerie qui avaient été confisqués, cependant que la procédure se poursuivait. En 1992, quelques-uns des auteurs ont confié l’affaire à une société fiduciaire, réservant leur droit de demander une indemnité pour les dommages causés par la durée excessive de la procédure. En 1993, après la présentation de nouvelles preuves, le tribunal de district a accordé une indemnité aux auteurs pour d’autres dommages matériels. Le recours formé contre les décisions partielles de l’Allemagne a été rejeté comme non fondé en deuxième et troisième instance. D’autres appels concernant la décision les condamnant aux dépens ont eux aussi été rejetés. À cette date, le montant total des indemnités accordées atteignait plusieurs millions de deutsche mark.

2.4En 1995, les auteurs ont accepté un règlement à l’amiable pour toutes les demandes d’indemnité en suspens, moyennant un versement de 1 million de deutsche mark.

2.5En 1996, les auteurs ont saisi le tribunal de district de Hanovre d’une demande de dédommagement en raison de la durée excessive de la procédure concernant leur demande d’indemnité.

2.6Le tribunal a rejeté la demande, considérant qu’en vertu de la loi fédérale relative à la restitution des biens, seules sont autorisées les demandes d’indemnité prévues dans ladite loi. L’appel de cette décision formé par les auteurs a été rejeté en 1998 par le tribunal fédéral (« Bundesgerichtshof »).

2.7Les auteurs ont alors présenté une requête à la Commission européenne des droits de l’homme au sujet de la durée excessive de la procédure. En 1998, la Commission a déclaré que la demande des auteurs était irrecevable, tous les recours possibles au regard de la loi allemande n’ayant pas été épuisés, puisque les auteurs n’avaient ni engagé un recours en responsabilité administrative (« Amtshaftungsklage »), ni un recours constitutionnel (« Verfassungsbeschwerde ») auprès de la Cour constitutionnelle fédérale (« Bundesverfassungsgericht »).

Décision concernant la recevabilité

3.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

3.2Le Comité constate que, lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif et reconnu que le Comité avait compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, l’État partie a formulé à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif la réserve ci-après :

« Le Comité n’aura pas compétence pour les communications

a)qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.»

L’État partie a formulé en outre, une réserve ratione temporis selon laquelle la compétence du Comité serait exclue pour tout cas :

«qui a son origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République fédérale d’Allemagne ».

3.3Le Comité relève que la plainte de l’auteur, qui dénonce la lenteur de la procédure en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, s’applique en grande partie à une procédure en instance avant le 25 novembre 1993, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, et qu’aucun point de cette plainte ne porte sur des événements intervenus après 1995.

3.4Le Comité relève en outre que les auteurs n’ont pas exercé tous les recours qui leur étaient ouverts, notamment le recours en responsabilité des autorités administratives (« Amtshaftungsklage ») ou un recours constitutionnel (« Verfassungsbeschwerde »). C’est pourquoi la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré leur plainte irrecevable pour non-épuisement des recours internes, condition de recevabilité qui est également énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier, des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraît également en arabe, en chinois et en russe dans le présent rapport.]

01-60305 (F) 291001 311001

*0160305*