Nations Unies

A/HRC/26/37/Add.3

Assemblée générale

Distr. générale

1er avril 2014

Français

Original: anglais

Conseil des droits de l’homme

Vingt-sixième session

Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits de l ’ homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la traitedes êtres humains, en particulier les femmeset les enfants, Joy Ngozi Ezeilo

Additif

Mission au Maroc * , **

Résumé

La Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, s’est rendue au Maroc du 17 au 21 juin 2013, à l’invitation du Gouvernement. Dans le présent rapport, elle évoque les principaux enjeux et sujets de préoccupation liés à la traite des êtres humains au Maroc. Elle met également en lumière la détermination du pays à lutter contre ce phénomène et les mesures prises à cet effet. Elle adresse au Gouvernement un certain nombre de recommandations concernant, notamment, la création d’un cadre juridique et institutionnel relatif à la lutte contre la traite ainsi que l’adoption de mesures efficaces visant à renforcer les capacités, repérer les victimes, recueillir des données, apporter un soutien et une assistance aux victimes et poursuivre les auteurs.

Annexe

[Anglais et français seulement]

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmeset les enfants, sur sa visite au Maroc

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction et méthodologie1−43

II.Conclusions principales5−753

A.Tendances en matière de migration5−63

B.Formes et manifestations de la traite des êtres humains7−214

C.Cadre législatif, politique et institutionnel22−427

D.Identification des victimes de la traite43−4611

E.Protection, rétablissement et réinsertion des victimes de la traite47−5512

F.Cadre législatif, politique et institutionnel56−5914

G.Réparations offertes aux victimes60−6115

H.Rapatriement et réinsertion62−6415

I.Prévention65−6616

J.Coopération et partenariats67−7117

K.Dakhla (Sahara occidental)72−7517

III.Conclusions et recommandations76−9918

A.Conclusions76−7818

B.Recommandations79−9919

I.Introduction et méthodologie

La Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, Joy Ngozi Ezeilo, a effectué une mission au Maroc du 17 au 21 juin 2013, à l’invitation du Gouvernement.

Au cours de sa mission, la Rapporteuse spéciale s’est rendue à Rabat, à Casablanca et à Tanger, où elle s’est entretenue avec des représentants du Ministère des affaires étrangères et de la coopération, du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la justice et des libertés, du Ministère du travail et de la formation professionnelle, du Ministère de la santé, du Ministère de la jeunesse et des sports, du Ministère du tourisme, du Ministère de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, du Ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et de la Délégation interministérielle aux droits de l’homme, et avec des représentants de la Cour de cassation, de la Direction générale de la sûreténationale, de la Gendarmerie royale, de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, du Conseil national des droits de l’homme et des autorités régionales. Elles’est également rendue dans des centres de protection sociale et des foyers pour femmes et enfants.

La Rapporteuse spéciale tient à remercier le Gouvernement de l’aide qu’il lui a apportée en lui permettant de s’entretenir avec des représentants de différents ministères et services. Elle a apprécié la franchise dont les autorités ont fait preuve au cours de leurs échanges sur les questions relatives à la traite des êtres humains. Elle tient également à exprimer sa gratitude aux membres de l’équipe de pays des Nations Unies pour leur assistance et leur soutien, ainsi qu’aux différents interlocuteurs de la société civile qui ont collaboré avec elle tout au long de sa visite. Elle espère que les recommandations formulées dans le présent rapport aideront le Gouvernement à lutter contre la traite en suivant une approche fondée sur les droits de l’homme.

La Rapporteuse spéciale souligne que, pour plusieurs raisons, notamment le manque de données sur la traite des êtres humains, le fait que la plupart de ses interlocuteurs connaissent mal le phénomène et ne disposent que de peu d’informations à son sujet, et l’absence d’institutions nationales s’occupant spécifiquement de la question de la traite, nombre des discussions qu’elle a eues avec divers interlocuteurs étatiques et non étatiques au cours de sa visite ont porté sur des questions liées aux migrants en situation irrégulière. Il convient donc de noter que le présent rapport contient un certain nombre de références aux migrants en situation irrégulière, qui sont également considérés comme un groupe fortement exposé au risque de traite.

II.Conclusions principales

A.Tendances en matière de migration

Le Maroc connaît un flux important de migrants en situation irrégulière, qui, pour la plupart, vont de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe en transitant par le territoire marocain. D’après les autorités marocaines, le Maroc est de plus en plus un pays de destination, essentiellement en raison du durcissement des contrôles aux frontières et des restrictions à l’entrée des pays européens. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Maroc compte actuellement quelque 20 000 migrants clandestins. D’après le Gouvernement, 30 683 migrants en situation irrégulière ont été arrêtés entre2009 et 2011. Selon les estimations du Gouvernement, quelque 20 000 migrants clandestins tentent d’entrer en Espagne chaque année. D’après les autorités marocaines, rares sont les migrants en situation irrégulière ayant décidé de rester au Maroc qui réussissent à s’intégrer. En outre, des interlocuteurs non gouvernementaux ont informé la Rapporteuse spéciale que l’augmentation de l’immigration clandestine suscitait, au sein de la population, une xénophobie croissante à l’égard des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. La Rapporteuse spéciale a également été informée que de nombreux Marocains vivant à l’étranger avaient été victimes de la traite.

La population migrante subsaharienne du Maroc vient en grande majorité d’Afrique de l’Ouest; il s’agit notamment de personnes qui ont dû fuir leur pays d’origine pour des raisons socioéconomiques, notamment parce qu’elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance, et que leurs débouchés professionnels et leurs perspectives économiques sont limités. Les victimes potentielles de la traite des êtres humains sont le plus souvent amenées dans le pays par des réseaux de trafiquants. Les itinéraires empruntés changent fréquemment, mais la plupart des migrants subsahariens arrivent au Maroc par Maghnia, ville algérienne située à proximité de la frontière, et par Oujda, au Maroc. Le nombre de migrants clandestins originaires d’Afrique subsaharienne arrivant à Oujda avait diminué depuis 2010, mais il augmente depuis la mi-2012. Dans certains quartiers de Nador (Maroc), un nombre considérable de migrants clandestins de diverses nationalités, sous le contrôle de trafiquants, attendent de pouvoir rejoindre l’Europe par bateau ou par un autre moyen de transport. Toutefois, les migrations de personnes en situation irrégulière par voie maritime ont diminué ces dernières années.

B.Formes et manifestations de la traite des êtres humains

Le Maroc se heurte à d’importantes difficultés en tant que pays d’origine, de transit et, dans une moindre mesure (mais de plus en plus), de destination. D’aprèsdes organisations internationales et des organisations nationales de la société civile, le nombre de victimes de la traite a nettement augmenté au Maroc ces dernières années. C’est dans le nord du pays que l’on trouve la plupart des victimes de la traite et des migrants en situation irrégulière, originaires essentiellement de l’Afrique subsaharienne, mais aussi de certains pays du Sud-Est asiatique. Pour les personnes en transit, la principale destination est l’Europe, en particulier l’Espagne, essentiellement en raison de sa proximité géographique. Les femmes et les filles sont principalement destinées à l’exploitation sexuelle, les hommes au travail forcé ou servile. Selon des interlocuteurs étatiques et non étatiques, le manque d’accès à l’éducation età l’emploi et la pauvreté sont les principales causes de la vulnérabilité accrue des personnes à la traite des êtres humains.

Faute de collecte systématique de données par les institutions publiques ou par la société civile, la Rapporteuse spéciale n’a pas pu évaluer le nombre exact de victimes de la traite. Médecins sans frontières a indiqué avoir apporté, au cours des trois dernières années, des soins médicaux de base et une aide psychologique à environ 700 victimes de violence sexuelle, dont plus de 240 victimes de la traite. La grande majorité des victimes avaient subi de multiples formes de violence physique, psychologique et sexuelle. Enoutre, l’OIM a signalé qu’elle était venue en aide à 10 victimes de la traite en 2011, à plus de 30 en 2012, et que cette tendance s’était poursuivie en 2013. Entre janvier et mai 2013, 28 victimes de la traite se sont présentées au bureau de l’OIM au Maroc pour demander une assistance. Lors de ses entretiens avec les représentants de l’OIM, la Rapporteuse spéciale a été informée que la grande majorité des victimes prises en charge par l’Organisation étaient des femmes originaires de Benin City (Nigéria).

1.Traite aux fins d’exploitation sexuelle

Selon des informations obtenues auprès de divers interlocuteurs au cours de la visite, la traite des femmes et des filles aux fins d’exploitation sexuelle est en augmentation au Maroc, et les réseaux de prostitution exploiteraient des femmes et des filles victimes de la traite. Selon le Ministère de la justice, en 2011, 164 cas d’exploitation sexuelle de femmes ont été recensés, et 89 d’entre eux ont donné lieu à des poursuites. D’après les informations communiquées par la Gendarmerie royale, en 2012, 20 cas de pornographie mettant en scène des enfants et d’exploitation sexuelle d’enfants ont été signalés.

La Rapporteuse spéciale a recueilli auprès d’interlocuteurs de la société civile des informations sur le cas de plusieurs femmes et filles congolaises et ivoiriennes qui avaient été victimes de réseaux de prostitution. Tanger, grande destination touristique, est non seulement un point de transit, mais aussi une ville de destination pour les personnes victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle. Selon les informations communiquées par des représentants de la société civile au cours de la visite, un réseau de trafiquants nigérians opère sans être inquiété dans le pays depuis près de dix ans.

Selon l’enquête de terrain réalisée en 2007 par l’Observatoire de la communauté marocaine résidant à l’étranger, les Marocains qui travaillent à l’étranger sont surtout des femmes, notamment aux Émirats arabes unis, où les femmes représentent environ 70 % des expatriés marocains. Les auteurs de l’enquête ont relevé que, la plupart du temps, les contrats délivrés ne correspondaient pas à l’activité initialement convenue et que de nombreuses Marocaines se retrouvaient piégées dans des situations d’exploitation par des réseaux de prostitution. Des organisations de la société civile ont informé la Rapporteuse spéciale que, depuis 2002, environ 2 500 filles avaient été emmenées dans les États du Golfe à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution. À Rabat et à Casablanca, des intermédiaires sans scrupule s’emploieraient activement à trouver de nouvelles recrues pour leurs clients des États du Golfe.

2.Traite aux fins de l’exploitation par le travail

Il a été signalé que des hommes victimes de la traite étaient soumis à un travail forcé ou servile, notamment dans les environs de la ville d’Oujda. Selon des représentants de la société civile, en 2012, plusieurs cas d’hommes nigérians victimes de situations de servitude pour dettes ont été recensés dans la région d’Oujda. Les employeurs contraignent les victimes à travailler pendant de longues heures pour des salaires extrêmement bas. La plupart des victimes, craignant de perdre leur emploi et d’être expulsées, et n’ayant accès à aucune assistance et à aucune protection, préfèrent ne pas signaler leur situation aux autorités.

D’après les autorités, le Code du travail contient des dispositions importantes qui interdisent toutes les formes d’exploitation − notamment des enfants − par le travail. En vertu de l’article 143 dudit code, le travail des enfants de moins de 15 ans est interdit. Les inspecteurs du travail veillent au respect de l’interdiction de l’exploitation des enfants et sont habilités à recevoir des plaintes pour non-versement de salaire. Les migrants en situation irrégulière sont particulièrement vulnérables à l’exploitation par le travail. Ainsi, les inspecteurs du travail, bien souvent, ne sont pas en mesure d’intervenir dans les affaires concernant des employés de maison susceptibles d’avoir été victimes de la traite aux fins de l’exploitation par le travail. Le Ministère du travail a informé la Rapporteuse spéciale qu’il avait le projet de mettre en place des lignes d’assistance téléphonique à l’intention des employés de maison, et a exprimé la volonté de travailler plus étroitement avec les médias dans le cadre de programmes de sensibilisation.

Des interlocuteurs de la société civile ont signalé que de nombreuses migrantes en situation irrégulière originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est, notamment des Philippines, percevaient des salaires extrêmement bas, souvent équivalents à environ 15 % du salaire minimum, et se faisaient confisquer leurs papiers par leur employeur ou par les trafiquants.

Le Ministère du travail a indiqué que les Marocains qui émigrent par l’intermédiaire d’agences de placement non officielles courent le risque d’être exploités par des réseaux de trafiquants. Le Ministère fait des efforts ciblés en mettant en place des programmes spécifiques visant à sensibiliser la population aux risques que chacun court en sollicitant des services de recrutement illégal proposés par des agences de placement et des intermédiaires, qui peuvent déboucher sur des situations de traite.

3.Employés de maison

Selon les informations recueillies auprès d’organisations de la société civile et de victimes de la traite, des employés de maison étrangers, essentiellement originaires desPhilippines, sont conduits au Maroc alors qu’on leur avait fait croire qu’ils allaient ailleurs. LaRapporteuse spéciale a été informée par des interlocuteurs de la société civile que des jeunes femmes et des filles ivoiriennes et sénégalaises étaient victimes de la traite vers le Maroc et contraintes de travailler comme employées de maison. Selon le Conseil national des droits de l’homme, le nombre d’employés de maison étrangers est en augmentation et une grande partie de ces personnes courent le risque de devenir victimes de traite, aux mains d’agents non agréés et d’intermédiaires peu scrupuleux. La plupart des employés de maison victimes de traite ne sont pas payés, et ceux qui le sont reçoivent une fraction infime du salaire promis. Leurs passeports leur sont confisqués, et ils doivent payer pour les récupérer. La Rapporteuse spéciale a également été informée qu’il existait un réseau criminel spécialisé dans la traite vers le Maroc d’employés de maison originaires des Philippines et que la majorité des employés de maison philippins étaient victimes de violence verbale et psychologique, d’exploitation et de harcèlement physique et sexuel. Une des Philippines victime de la traite avec qui la Rapporteuse spéciale s’est entretenue a indiqué qu’elle travaillait comme employée de maison, percevait un salaire très bas et n’avait pas les moyens de se soigner.

4.Traite des enfants

Selon divers interlocuteurs, bien que les enfants au Maroc soient toujours exposés à un risque élevé d’être victimes de la traite, aucune étude approfondie n’a été menée à ce jour sur l’ampleur de la traite des enfants. La Rapporteuse spéciale s’est entretenue avec une enfant originaire du Cameroun de 14 ans qui avait été emmenée au Maroc par des personnes sans lien de parenté avec elle, dans le but initial de rejoindre l’Europe, et qui avait été interceptée par les forces de l’ordre. Cette affaire montre à quel point les enfants sont vulnérables à la traite.

La Rapporteuse spéciale prend acte des efforts que le Gouvernement a faits pour réduire la vulnérabilité des enfants à la traite en créant des centres de protection de l’enfance. Le Ministère du travail l’a informée que, pour réduire la vulnérabilité des enfants à la traite, il s’employait à faire reculer le taux d’abandon scolaire et à accroître les possibilités de formation professionnelle. Les inspecteurs du travail, conformément aux procédures en place, signalaient au parquet tous les cas de travail des enfants qu’ils repéraient, mais il était nécessaire d’accélérer le processus.

Les enfants sont exposés au risque de traite à des fins d’exploitation par le travail. Selon les statistiques officielles, en 2012, 92 000 enfants âgés de 7 à 15 ans travaillaient. Le nombre d’enfants qui travaillent est en recul. Il n’existe cependant pas de données complètes sur les enfants travaillantcomme employés de maison. Des représentants de la société civile se sont dits préoccupés par le nombre élevé d’enfants qui travaillent, et ont souligné qu’il importait de relever à 15 ans l’âge d’admission à l’emploi et d’imposer les sanctions requises en cas de non-respect de cette obligation par l’employeur.

Selon les autorités judiciaires, le Maroc n’a enregistré aucun cas de traite d’enfants ces dernières années. Onze cas de traite d’enfants (principalement des nourrissons) ont été signalés entre 1978 et 1985. Plus récemment, un nombre important d’enlèvements d’enfants ont été signalés, mais ils n’étaient pas nécessairement liés à la traite des êtres humains. Laquasi-totalité de ces enlèvements étaient liés à des litiges entre époux concernant la garde des enfants. D’après le Ministère de la justice, en 2011, 130 casd’exploitation d’enfants par la mendicité et 11 cas d’exploitation sexuelle d’enfants ont été signalés.

5.Autres formes de traite des êtres humains

La Rapporteuse spéciale a été informée que les autorités marocaines n’avaient enregistré aucun cas de traite des êtres humains à des fins de prélèvement et de vente d’organes. Elle a également été informée que des intermédiaires recherchaient activement des organes humains à vendre et que, souvent, ces ventes étaient déguisées en dons. Certains interlocuteurs ont cependant souligné que le don et la transplantation d’organes étaient encadrés par des lois et des procédures très strictes, en vertu desquelles le donneur devait obtenir l’autorisation du président d’un tribunal ou d’un juge désigné, en présence de deux médecins nommés par la commission nationale des médecins.

C.Cadre législatif, politique et institutionnel

1.Cadre législatif

Le Maroc est partie à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et au Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ainsi qu’à un certain nombre des principaux instruments internationaux des droits de l’homme, notamment la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, les Conventions no29 sur le travail forcé, 1930, no105 sur l’abolition du travail forcé, 1957, et no 182 sur les pires formes de travail des enfants 1999, de l’Organisation internationale du Travail (OIT), la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

La nouvelle Constitution du Maroc, adoptée par référendum le 1er juillet 2011, renforce le cadre de promotion des droits de l’homme et de la non-discrimination. La Constitution reconnaît la primauté des instruments juridiques internationaux ratifiés sur le droit interne. Au cours de la visite, des interlocuteurs ont souligné que, si la Constitution contenait d’importantes dispositions relatives aux droits de l’homme, il était nécessaire d’assurer la mise en pratique de ces droits au moyen de mesures de renforcement des capacités et de politiques cohérentes. Selon les autorités, un grand nombre d’ateliers avaient été organisés dernièrement pour réexaminer toutes les lois en vigueur à la lumière de la nouvelle Constitution. En juin 2013, un forum national avait été organisé sur la réforme du système judiciaire en application de la nouvelle Constitution; des représentants des partis politiques, des experts du système législatif et judiciaire, des avocats et des responsables de la police et de la gendarmerie y avaient participé. Les autorités ont indiqué que la réforme législative en cours offrait une nouvelle occasion d’améliorer le système judiciaire et d’adopter une loi spécifique sur la traite des êtres humains.

La Rapporteuse spéciale a relevé qu’il n’y avait pas de cadre juridique adapté pour lutter contre la traite des êtres humains. La législation en vigueur ne contenait pas de définition spécifique de la traite. S’il existait des dispositions pertinentes concernant la traite, parexemple dans le Code pénal, la loi sur l’immigration, la loi no 02-03 relative au séjour des étrangers, le droit du travail et la loi relative au prélèvement d’organes, d’importantes lacunes persistaient. Les autorités ont indiqué qu’un débat avait été mené pour déterminer si le pays devait adopter une loi spécifique sur la traite des êtres humains ou modifier le Code pénal pour y inclure différents types d’infractions pénales et de violations liées à la traite, comme la traite aux fins de prélèvement et de vente d’organes, ou à des fins de travail forcé ou d’exploitation sexuelle. À l’issue du débat, il avait été décidé que le Code pénal actuel serait modifié de façon à y intégrer des dispositions spécifiques relatives à la traite des êtres humains.

La Rapporteuse spéciale a été informée que le Gouvernement avait pris des mesures pour modifier le Code pénal en y introduisant des dispositions spécifiques sur la traite des êtres humains et pour adopter les projets de loi relatifs aux employés de maison et à la violence à l’égard des femmes. Elle a également été informée que le projet d’amendement au Code pénal relatif à la traite serait soumis au Parlement en 2013, et que les modifications envisagées entreraient probablement en vigueur d’ici à 2015. Selon le Ministère de la justice, les points forts du projet d’amendement sont notamment une définition de la traite fondée sur l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, des peines allant de quinze à trente ans de réclusion lorsque les victimes de la traite sont des enfants, des femmes et des personnes âgées, et la saisie des biens utilisés pour la traite des personnes. Des interlocuteurs représentant des organisations de la société civile ont suggéré l’intégration d’une perspective de genre dans la législation relative à la traite des personnes.

Le titre II de la loi no 02-03, consacré aux dispositions pénales relatives à l’émigration et l’immigration de personnes en situation irrégulière (art. 50 à 56), porte en partie sur la question de la lutte contre la traite des êtres humains. Dans les cas où la migration de personnes en situation irrégulière est organisée ou facilitée de manière habituelle ou par des membres de groupes ou de réseaux criminels, les sanctions prévues sont une peine de quinze à vingt ans de réclusion si les personnes dont l’entrée ou la sortie du territoire marocain est ainsi organisée souffrent d’une incapacité permanente, et la réclusion perpétuelle si le transport de ces personnes entraîne leur mort.

L’emploi de travailleurs étrangers est régi le chapitre V du Code du travail, dont l’article 516 dispose que tout employeur désireux de recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l’autorité gouvernementale chargée du travail. Cette autorisation est accordée sous forme de visa apposé sur le contrat de travail. En vertu de l’article 521 du Code du travail, est puni d’une amende de 2 000 à 5 000 dirhams (environ 540 à 1 360 dollarsÉ.-U.) tout employeur qui n’a pas obtenu l’autorisation requise ou qui a employé un salarié étranger dépourvu de ladite autorisation, qui emploie un salarié étranger dont le contrat n’est pas conforme au modèle prévu par l’article 517 du Code du travail, ou qui enfreint les dispositions des articles 518 et 519.

Les autorités ont informé la Rapporteuse spéciale que le Gouvernement, en mai 2013, avait approuvé un projet de loi sur les employés de maison, qui devait être adopté par le Parlement d’ici à la fin de l’année 2013. Selon le Ministère du travail, ce texte contient des dispositions importantes pour les employés de maison en ce qui concerne le salaire minimum, les congés et l’assurance. Les autorités ont ajouté que, conformément aux dispositions de l’article 2 du Code de la sécurité sociale, un projet de décret définissant les modalités d’application des prestations de sécurité sociale aux employés de maison était à l’étude au moment de la visite de la Rapporteuse spéciale. Selon le Ministère de la justice, les tribunaux examinent les affaires liées aux violations du droit du travail indépendamment de l’origine, de la nationalité et de la citoyenneté des intéressés.

La Rapporteuse spéciale a été informée que les articles 20 et 21 du Code de la famille et l’article 475 du Code pénal avaient été modifiés de façon à interdire le mariage des enfants.

La loi no 02-03 relative aux migrations incrimine la migration irrégulière. Les autorités ont cependant indiqué que, dans la pratique, les migrants en situation irrégulière étaient placés en détention uniquement s’ils enfreignaient la loi et se livraient à des activités criminelles. Le Maroc a élaboré une politique de retour volontaire pour les migrants en situation irrégulière, menée dans le cadre de la coopération entre le Ministère de l’intérieur et l’OIM en vertu d’un mémorandum d’accord signé en juillet 2007.

Les autorités ont informé la Rapporteuse spéciale que des règles strictes encadraient le prélèvement d’organes. Le Ministère de la santé a interdit la transplantation rénale dans les cliniques privées afin de prévenir la traite aux fins de la vente ou du prélèvement d’organes. Que le donneur soit vivant ou mort, seuls les membres de sa famille sont autorisés à bénéficier de ses organes et, dans le cas des couples, le mariage doit avoir été prononcé depuis au moins un an. Dans le cas des étrangers, la preuve de relations familiales ou conjugales doit être apportée. Le prélèvement d’organes ne peut être pratiqué que dans cinq établissements médicaux agréés. En cas de prélèvement d’organes, les donneurs doivent aller au tribunal et signer une déclaration de consentement. Dans le cas des personnes qui ne sont pas mesure de prendre une décision ou de donner leur consentement, l’accord de membres de la famille est nécessaire. La loi no 16-98 de 1999 relative au don d’organes était en cours de révision au moment de la mission.

2.Cadre de politique générale

La Rapporteuse spéciale a constaté que le Maroc ne possédait pas de cadre intégré et cohérent de lutte contre la traite. Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) lui a fait savoir qu’il travaillait à l’élaboration d’un projet de plan national d’action sur la démocratie et les droits de l’homme, élaboré dans le cadre d’un processus participatif, qui traiterait spécifiquement du problème de la traite.

Des interlocuteurs de la société civile ont mis en avant la nécessité d’élaborer une stratégie nationale sur la migration, le trafic de migrants et la traite d’êtres humains, et de lancer une campagne nationale de sensibilisation à la traite.

3.Cadre institutionnel

La Délégation interministérielle aux droits de l’homme, établie en avril 2011, est une instance gouvernementale chargée de l’élaboration et de la mise au point de politiques de protection et de promotion des droits de l’homme. La Délégation contribue également à développer le dialogue et la coopération entre les autorités et les organisations nationales des droits de l’homme et à renforcer le dialogue et le partenariat entre l’État et les mécanismes et organisations régionaux et internationaux s’occupant des questions de droits de l’homme. La Commission interministérielle chargée de la lutte contre la traite, instituée par la Délégation interministérielle aux droits de l’homme, a pour mission de coordonner les politiques relatives à la lutte contre la traite. Elle est composée de représentants des organes de l’État chargés des questions normatives et opérationnelles, notamment en ce qui concerne la surveillance et la répression de la traite, la protection des victimes et la coopération aux niveaux international et régional.

Le Ministère de l’intérieur et les instances compétentes qui relèvent de son autorité se consacrent aux questions opérationnelles, comme le démantèlement des réseaux de traite, la prise en charge des victimes et la coopération avec les pays tiers. Entre 2004 et 2011, la Direction générale de la sécurité nationale et la Gendarmerie royale ont démantelé 2 702 réseaux de traite et de trafic illicite d’êtres humains.

Les autorités ont indiqué à la Rapporteuse spéciale que la police marocaine est chargée non seulement du démantèlement des réseaux criminels de traite, mais aussi de la protection des victimes, de la prévention de l’incrimination des victimes de la traite et de la formation des policiers et des agents de l’immigration aux questions liées à la traite. La Gendarmerie royale joue un rôle de prévention mais aussi de police criminelle, puisqu’elle est habilitée à mener des enquêtes et à procéder à l’arrestation des personnes impliquées dans des réseaux de traite. La Gendarmerie royale a fait savoir à la Rapporteuse spéciale que, au cours des cinq dernières années, elle avait participé à des patrouilles conjointes aux frontières en coopération avec la police judiciaire espagnole.

La Direction des migrations et de la surveillance des frontières du Ministère de l’intérieur, opérationnelle depuis 2005, est chargée de lutter contre les réseaux de traite, mais aussi de faciliter et mettre en œuvre les activités de coopération de l’État sur les plans bilatéral, multilatéral et régional.

Le Ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger travaille avec les missions diplomatiques et consulaires à l’étranger à la protection des droits et des intérêts des Marocains expatriés, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations difficiles. De nombreux Marocains vivent à l’étranger (en 2011, les statistiques officielles estimaient leur nombre à 3 556 213 personnes), la plupart en Europe. Selon le Ministère, quelque 300 000 Marocains vivent dans des pays arabes. Les Marocaines qui vivent dans la région du Golfe ont besoin d’une assistance et d’une protection particulières, un nombre considérable d’entre elles ayant été victimes de la traite, d’exploitation sexuelle ou d’exploitation par le travail. Le Ministère a élaboré une stratégie d’assistance aux Marocains vivant à l’étranger, qui passe par la mise en place de mesures économiques, sociales, culturelles et éducatives, par la promotion de leurs intérêts dans les pays hôtes et au Maroc, et par le suivi des mouvements migratoires des Marocains, ainsi que par la négociation d’accords bilatéraux et multilatéraux visant à aider la diaspora marocaine à l’étranger. Le Ministère reçoit et traite les plaintes concernant des violations des droits des Marocains vivant à l’étranger. Entre 2008 et 2012, il a traité 8 696 plaintes, dont 20 concernaient des affaires de traite signalées par les familles des victimes, en particulier des cas de jeunes femmes victimes d’exploitation sexuelle et d’autres formes d’exploitation en tant qu’employées de maison. Le Ministère a fait savoir à la Rapporteuse spéciale qu’il n’avait pas été saisi de plaintes émanant directement de victimes de la traite. Bien que la protection des victimes de la traite fasse partie des objectifs globaux du Ministère, celui-ci ne s’est pas doté d’un mécanisme spécifique.

L’Inspection du travail coopère avec les organisations de la société civile pour détecter les cas de travail des enfants et d’exploitation par le travail ainsi que les éventuels cas de traite s’inscrivant dans ce contexte. Des représentants de l’Inspection du travail ont indiqué à la Rapporteuse spéciale que des inspecteurs du travail avaient suivi des formations spéciales, notamment sur la traite des personnes.

Le Gouvernement a indiqué à la Rapporteuse spéciale qu’il organisait des formations sur les questions de traite à l’intention du personnel judiciaire et des forces de l’ordre. Les activités de formation et de renforcement des capacités sont organisées en collaboration avec des organismes bilatéraux et multilatéraux. Plusieurs interlocuteurs ont toutefois fait remarquer que le Maroc n’avait pas adopté de démarche intégrée en matière de renforcement des capacités.

Organisme indépendant et multidisciplinaire, institué en mars 2011 pour remplacer le Conseil consultatif des droits de l’homme créé en 1990, le Conseil national des droits de l’homme est chargé de toutes les questions liées à la protection des droits de l’homme et des libertés. Il surveille le respect des normes nationales et internationales relatives aux droits de l’homme, établit des rapports et fait des recommandations au Gouvernement et aux organismes publics. Il soumet des rapports aux organes conventionnels des Nations Unies et formule des observations sur les projets de loi relatifs aux droits de l’homme. Ilreçoit des plaintes de particuliers relatives à des violations présumées des droits de l’homme et fait des recommandations aux autorités compétentes en vue de remédier à ces violations et d’offrir des voies de recours aux victimes. Il peut également s’autosaisir pour examiner des cas de violations des droits de l’homme.

Selon les estimations du Ministère du tourisme, quelque 9 millions de touristes visitent le Maroc tous les ans et ce chiffre devrait atteindre les 20 millions d’ici à 2020. Le Comité marocain du tourisme responsable, placé sous la direction du Ministère du tourisme, a adopté la Charte du tourisme responsable, qui est conforme au Code mondial d’éthique du tourisme de l’Organisation mondiale du tourisme, adopté par l’Assemblée générale en décembre 2001. Cette charte énonce un ensemble de dispositions importantes concernant la protection et la promotion des droits de l’homme dans l’industrie touristique et dispose que toute forme d’exploitation, notamment sexuelle, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants, est incompatible avec l’objectif fondamental du tourisme et doit être sanctionnée.

D.Identification des victimes de la traite

L’ampleur du problème de la traite semble sous-estimée et devrait faire l’objet d’un examen plus approfondi de la part des pouvoirs publics, de la justice et des forces de l’ordre. Cette situation tient principalement à l’absence de mécanisme adapté de collecte de données qui permette de mieux cerner la prévalence, les formes, les tendances et les manifestations de la traite au Maroc. Souvent, faute de mécanismes et de protocoles d’identification, les victimes de la traite ne sont pas repérées ou sont prises à tort pour des migrants en situation irrégulière. Selon les estimations du Ministère de l’intérieur, en 2013, le nombre de migrants en situation irrégulière se situe entre 6 000 et 10 000, alors que les organisations non gouvernementales l’estiment à 15 000. Bien que Tanger soit considérée comme une plaque tournante majeure du trafic de migrants et des migrations irrégulières, les autorités locales et les institutions des droits de l’homme ont fait savoir à la Rapporteuse spéciale qu’aucun cas de traite n’avait été décelé ces dernières années. Une fois que les migrants en situation irrégulière sont interceptés par les forces de l’ordre, la police les interroge afin d’évaluer leur situation.

Selon les autorités, le nombre de migrants en situation irrégulière a considérablement baissé suite au démantèlement par les forces de l’ordre de plusieurs réseaux de trafic de migrants. La Direction générale de la sécurité nationale et la Gendarmerie royale ont démantelé 130 réseaux de traite des êtres humains et de trafic de migrants en 2009, 92 en 2010 et 108 en 2011. La Gendarmerie royale a fait savoir à la Rapporteuse spéciale que, entre 2011 et 2012, le nombre de migrants en situation irrégulière avait considérablement baissé. D’après les données statistiques relatives à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière entre 2004 et 2011, la Direction générale de la sécurité nationale et la Gendarmerie royale ont appréhendé 17 252 migrants en 2004, 21 894 en 2005, 9 469 en 2006, 7 830 en 2007, 8 735 en 2008, 7 531 en 2009, 10 223 en 2010 et 12 929 en 20119. Selon une étude sur la traite menée en 2009 par l’Organisation internationale pour les migrations en coopération avec le Ministère de la justice, les réseaux de trafic de migrants et les réseaux de traite des êtres humains sont souvent liés, soit qu’ils sont les mêmes, soit qu’ils sont interconnectés. Les itinéraires empruntés par les migrants en situation irrégulière, y compris les réfugiés, le sont aussi par les réseaux criminels de traite d’êtres humains.

Les pouvoirs publics ont aussi pris des mesures pour sensibiliser la population à la question des migrations de personnes en situation irrégulière. Selon le Ministère de l’intérieur, les dossiers des migrants en situation irrégulière sont examinés individuellement par les autorités compétentes, qui étudient les possibilités d’insertion sociale des migrants placés en rétention avant de prendre une décision quant à leur expulsion.

Les pouvoirs publics et les organisations de la société civile ont reconnu qu’il était absolument nécessaire de renforcer la coopération et l’assistance techniques en matière de renforcement des capacités pour mieux identifier les victimes de la traite. Jusqu’à maintenant, les efforts de lutte contre la traite ont porté sur le démantèlement des réseaux de traite plutôt que sur l’identification des victimes. Les responsables de la police ont indiqué à la Rapporteuse spéciale que, une fois la loi ou les amendements relatifs à la traite adoptés, les autorités seraient à même de former les policiers aux techniques d’identification des victimes et d’intensifier leur travail dans ce domaine. Il a été suggéré que les autorités nationales et locales devraient mobiliser davantage de ressources pour repérer les victimes de la traite. Pour éviter toute victimisation secondaire des victimes, les lois et procédures appliquées dans les affaires de traite des êtres humains ne devraient pas être les mêmes que celles applicables aux migrants en situation irrégulière.

E.Protection, rétablissement et réinsertion des victimes de la traite

La Rapporteuse spéciale a noté qu’un des principaux problèmes était le manque d’assistance aux victimes de la traite, l’absence de structures adaptées et l’absence de cadre législatif régissant l’assistance aux victimes. D’après les ONG et les organisations humanitaires internationales, le Maroc ne dispose pas de foyers d’accueil pour les victimes de la traite. Les foyers publics accueillant les femmes et les enfants victimes de violence manquent de ressources financières et humaines et aucune aide adaptée n’est proposée aux victimes de la traite. Il n’existe pour l’heure aucun programme d’insertion des migrants en situation irrégulière, des réfugiés et des demandeurs d’asile dont la situation n’est pas régularisée et qui sont donc exposés au risque de traite. Les victimes de la traite sont toujours considérées comme des migrants en situation irrégulière.

En général, les centres de protection pour les femmes et les enfants, qu’ils soient privés ou publics, offrent une protection et un soutien aux femmes et enfants victimes de violence. Il existe également une ligne d’appel gratuite pour les victimes de violence, gérée par des ONG, comme l’Observatoire national des droits de l’enfant. Les foyers et centres de protection sont toujours en nombre insuffisant. En 2006, l’État s’est doté d’un Observatoire national de lutte contre la violence à l’égard des femmes qui est chargé de coordonner, surveiller et renforcer l’application des politiques nationales de lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes.

Le Ministère de la jeunesse et des sports gère actuellement 20 centres de sauvegarde de l’enfance qui ont une capacité d’accueil de 2 075 enfants. Cinq de ces centres sont réservés exclusivement aux filles et peuvent accueillir jusqu’à 580 personnes. Les centres de sauvegarde de l’enfance assurent une prise en charge sociale, éducative et sanitaire aux enfants de 12 à 18 ans, qui font l’objet de mesures judiciaires en application du Code de procédure pénale, sont en conflit avec la loi ou sont en situation précaire, afin de faciliter leur réinsertion sociale. Ils peuvent aussi accueillir des victimes de la traite et des victimes de violences et de maltraitance, y compris d’exploitation sexuelle. La Rapporteuse spéciale a visité le Centre Abdeslam Bennani pour filles en situation précaire, situé à Casablanca, qui accueille 78 enfants, du nouveau-né jusqu’à l’âge de 18 ans. Le Centre accueille les enfants envoyés par les tribunaux. La Rapporteuse spéciale a constaté que le travail du Centre était important car il réduisait la vulnérabilité des enfants face à la traite. Elle souligne toutefois qu’il faudrait davantage de centres pour répondre aux divers besoins des enfants, notamment de ceux qui sont victimes de la traite, et qu’il faudrait les doter de personnel spécialisé dans l’accompagnement médical, psychologique et social des enfants victimes. Le Ministère de la jeunesse et des sports a indiqué à la Rapporteuse spéciale qu’il s’employait à améliorer en permanence la qualité de la prise en charge, de l’éducation, de la scolarité, et des services de formation dont bénéficiaient les enfants dans les centres de sauvegarde de l’enfance.

La Rapporteuse spéciale s’est également rendue dans un foyer pour enfants sans abri géré par l’association Bayti, à Casablanca. Cette association administre deux centres et propose des services éducatifs à 70 enfants âgés de 5 à 18 ans. Elle est en partie subventionnée par l’État, mais l’essentiel de ses ressources provient de sources non gouvernementales. Les centres n’ont pas suffisamment de personnel pour offrir aux enfants sans abri une assistance médicale et psychologique. Ces cinq dernières années, ils ont accueilli 149 filles dont la plupart avaient été exploitées comme employées de maison. Certains des enfants accueillis avaient été victimes d’exploitation sexuelle.

La Rapporteuse spéciale a constaté que la protection et l’assistance dont bénéficient les victimes de la traite et les migrants en situation irrégulière étaient très limitées. De même, ils ont difficilement accès à la justice. Par exemple, les employés de maison ne relèvent pas du Code du travail, ce qui fait que les femmes et les filles − qu’elles soient Marocaines ou étrangères − sont très vulnérables face au risque d’exploitation et de maltraitance. L’absence de services de protection adaptés dissuade les victimes de la traite de demander de l’aide et les laisse à la merci de malfaiteurs qui peuvent agir en toute impunité, bien conscients que leurs victimes n’ont aucun recours légal. La Rapporteuse spéciale a été informée du cas d’une fille qui, alors qu’elle essayait d’échapper aux trafiquants, a été rattrapée et agressée. D’après les informations disponibles, même après qu’elle est partie à l’étranger, le personnel des centres de transit qui lui est venu en aide a été menacé par les trafiquants.

De plus, faute de cadre législatif régissant l’assistance aux victimes de la traite, les organisations de la société civile hésitent à venir en aide aux victimes. Il n’existe aucun foyer d’accueil pour les hommes victimes de la traite. Les organisations disposées à offrir un abri ou un soutien médical ou juridique aux victimes ne peuvent s’appuyer que sur des contacts et des réseaux officieux pour le faire. En outre, comme les victimes ont très peu de possibilités de rentrer dans leur pays d’origine, elles courent le risque de tomber à nouveau aux mains des trafiquants.

La loi no 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc prévoit des mesures de protection contre l’éloignement du territoire ou l’expulsion au profit de certaines catégories de personnes, comme les femmes étrangères enceintes et les étrangers mineurs. Les réfugiés et demandeurs d’asile sont protégés par cette loi et ne peuvent être expulsés ou renvoyés vers un pays si le demandeur «établit que sa vie ou sa liberté y sont menacés ou qu’il est exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants». Ces dispositions peuvent s’appliquer directement aux victimes de la traite. Toutefois, pour bénéficier des mesures de protection, les victimes doivent avoir été officiellement reconnues comme telles. La Rapporteuse spéciale a été informée que des victimes de la traite avaient été arrêtées, placées en détention et expulsées pour être restées dans le pays après l’expiration de leur titre de séjour ou avaient été poursuivies pour prostitution, ce qui constitue une infraction pénale au Maroc. Elle s’inquiète de l’absence de services de protection, de rétablissement et de réintégration pour les victimes de la traite. La situation est particulièrement difficile pour les hommes victimes de ces pratiques puisque, contrairement aux femmes, aux filles et aux garçons, ils ne reçoivent aucune aide de la part des centres de protection pour femmes et enfants.

D’après le Ministère de l’intérieur, les mesures prises par les autorités compétentes sont surtout axées sur la lutte contre le travail des enfants, le travail forcé et l’exploitation sexuelle, plutôt que sur la répression de la traite.

Les organisations de la société civile du nord du pays ont fait savoir qu’elles menaient des activités de sensibilisation et proposaient des services consultatifs aux migrants en situation irrégulière. Elles ne pouvaient pas repérer les victimes de la traite puisque les victimes présumées hésitaient à parler, principalement par crainte des représailles ou de la stigmatisation.

F.Enquête, poursuites et sanctions

L’infraction de traite n’étant pas expressément prévue par la loi, les victimes ne peuvent être reconnues officiellement en tant que telles. Faute de cadre législatif spécifique, l’appareil judiciaire et les agents de la force publique ne peuvent s’appuyer sur aucune base légale clairement définie pour prendre les mesures nécessaires à l’instruction, aux poursuites et à la répression de ces infractions. Les autorités judiciaires ont informé la Rapporteuse spéciale que l’application des dispositions du Code pénal relatives à la traite des personnes posait de grandes difficultés. Ainsi, il est difficile d’arrêter les responsables de la traite une fois qu’ils ont quitté le pays. Souvent, les autorités manquent aussi de preuves suffisantes car, la plupart du temps, les victimes sont réticentes à l’idée de coopérer avec les forces de l’ordre.

Les interlocuteurs de la société civile ont souligné que la loi de 2003 relative à la migration, actuellement appliquée aux victimes de la traite, est sévère et inadaptée à leur situation. Les témoins potentiels doivent être encouragés à se manifester. Or, ils ont souvent peur d’être arrêtés et expulsés. Il a donc été souligné que l’arrêt de la pratique consistant à placer les victimes en détention et la régularisation temporaire du statut des intéressés étaient deux options susceptibles d’encourager les témoins à coopérer aux enquêtes et aux poursuites, ce qui permettrait de réduire la grande impunité dont jouissent actuellement les exploiteurs.

D’après les autorités, les victimes et les témoins de la traite ont droit au respect de leur vie privée. Ils peuvent ainsi refuser d’assister à l’audience par volonté de préserver leur vie privée ou par souci de protection. Toutefois, d’après les organisations de la société civile, en raison de leur statut de migrants en situation irrégulière, les victimes s’entendent souvent dire qu’elles ne peuvent pas porter plainte. En outre, certains des interlocuteurs ont indiqué que les juges et les procureurs n’étaient souvent pas au fait des possibilités qu’offrait le Code pénal existant pour examiner les affaires de traite. Une formation complémentaire serait donc nécessaire. Faute de mesures de protection, les victimes hésitent beaucoup à porter plainte et préfèrent rentrer dans leur pays d’origine.

Des préoccupations ont été exprimées quant aux conditions d’accueil dans les centres de détention et au fait que les migrants détenus ne bénéficient pas des services d’un avocat lors du procès. Lors de leur détention, certains migrants en situation irrégulière, originaires d’Afrique subsaharienne principalement, auraient subi des violences physiques de la part des agents de sécurité et des forces de l’ordre.

G.Réparations offertes aux victimes

La Rapporteuse spéciale a constaté que peu d’organismes offrent des recours utiles aux victimes de la traite et que les pouvoirs publics n’ont pas mis en place de centres de protection ou de foyers pour les accueillir. Le Maroc n’a pas pris les mesures voulues pour donner aux organismes concernés les moyens de lutter contre la traite et d’offrir l’assistance nécessaire aux victimes. La Rapporteuse spéciale a été informée du manque criant de ressources financières et humaines. La police devrait être davantage formée à la lutte contre la traite et ses capacités devraient être renforcées dans ce domaine. C’est pour cette raison que le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a organisé des formations sur la traite à l’intention des policiers.

La Rapporteuse spéciale a appris que, en vertu de la loi, les victimes de la traite ont droit à une protection et à des soins de santé. De plus, les organisations de la société civile peuvent porter plainte au nom des victimes de violations des droits de l’homme, y compris des victimes de traite. Comme il n’existe pas de centres publics de protection ou d’assistance destinés aux victimes de la traite, un petit nombre d’organisations de la société civile leur offrent leur assistance.

H.Rapatriement et réinsertion

Les autorités ont reconnu qu’il était important de transposer dans le droit interne tous les principes fondamentaux du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants en adoptant les projets de modification du Code pénal ou le projet de loi relatif à la traite, et ont exprimé leur volonté de faire appliquer ces textes. Il a été noté, toutefois, qu’il faudrait davantage de moyens pour pouvoir ouvrir des foyers d’accueil et pour indemniser les victimes de la traite. Des institutions de défense des droits de l’homme ont estimé qu’il fallait ratifier tous les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits des migrants qui ne l’avaient pas encore été, les appliquer à l’échelle nationale et prendre des mesures particulières pour faciliter l’insertion des migrants en situation irrégulière.

Le Maroc a conclu des accords d’extradition avec plusieurs pays, en particulier des pays d’Afrique. Il revient au Procureur général de la Cour de cassation de se prononcer sur les affaires d’extradition. Il peut également être procédé à l’extradition d’un individu sans qu’un accord d’extradition ait été préalablement conclu.

L’OIM aide les victimes de la traite qui le souhaitent à retourner dans leur pays d’origine, après avoir procédé à une évaluation des risques. Il est souvent difficile de prendre contact avec la famille des victimes dans leur pays d’origine, ce qui expose ces dernières au risque de tomber, une nouvelle fois, aux mains des trafiquants. Dans ce cas, le retour volontaire est impossible, et il est difficile de trouver d’autres solutions, les perspectives d’intégration au Maroc étant très limitées.

I.Prévention

D’après les autorités, les mesures prises par les services et les organismes compétents dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains sont essentiellement préventives. Si les jeunes sont plus exposés au risque d’être victimes de la traite, c’est essentiellement, estiment-elles, en raison du peu de choix qui s’offrent à eux en matière d’éducation, du manque de débouchés professionnels, et de la pauvreté. Le Ministère du travail a informé la Rapporteuse spéciale que des initiatives ciblées étaient prises à cet égard en faveur des groupes de population vulnérables des zones rurales; l’objectif était de faciliter leur accès à l’emploi et aux moyens de subsistance, notamment en subventionnant les activités rémunératrices et la formation professionnelle. À Tanger, les autorités locales ont informé la Rapporteuse spéciale que leurs efforts de prévention consistaient avant tout à mener des activités de sensibilisation et d’information, à offrir aux jeunes et aux femmes davantage de choix d’études et de formations professionnelles et à créer des centres de protection sociale, pour aider, en particulier, les enfants abandonnés, les enfants des zones rurales et les enfants issus de familles pauvres âgés de 12 à 18 ans, de sorte qu’ils soient moins exposés au risque de traite.

D’après certains interlocuteurs, il faudrait adopter une stratégie nationale de sensibilisation aux questions relatives à la traite des êtres humains en partenariat avec les acteurs locaux de la société civile. Dans le cadre de cette stratégie, des campagnes et des programmes devraient être mis en œuvre dans les écoles, les centres pour les jeunes et les établissements de formation professionnelle concernés, ainsi que dans les médias audiovisuels et dans la presse.

J.Coopération et partenariats

1.Coopération avec la société civile

Les organisations de la société civile jouent un rôle important dans la protection et la promotion des droits de l’homme en général et des droits des migrants, en particulier. Selon le Ministère chargé des relations avec le Parlement et la société civile, il existe au Maroc quelque 70 000 associations œuvrant dans tous les domaines, dont plusieurs centaines dans les domaines des droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, des personnes handicapées et des personnes atteintes du VIH, notamment.

Il est essentiel de s’assurer la participation et la collaboration des organisations de la société civile dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. Les acteurs de la société civile ont dit avoir l’impression de n’être pas suffisamment consultés ou de n’être pas associés comme il se doit à l’élaboration des réformes législatives et aux changements d’orientation dans le domaine de la traite. Certains ont souligné que des mesures devaient être prises immédiatement pour fournir l’appui nécessaire aux prestataires de services potentiels et aux organisations de la société civile qui offraient une assistance aux victimes, notamment un accompagnement psychologique, et pour établir le cadre juridique voulu.

Des interlocuteurs de la société civile ont également estimé que le Gouvernement devrait associer les acteurs de la société civile à l’élaboration, à l’évaluation et au suivi des réformes législatives nécessaires et des politiques relatives à la traite des êtres humains, conformément à l’article 13 de la Constitution, aux termes duquel les pouvoirs publics doivent œuvrer à la création d’instances de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques.

2.Coopération internationale, régionale et bilatérale

Le Maroc a conclu des accords bilatéraux dans le domaine de l’emploi avec plusieurs pays exportateurs de main-d’œuvre. Il collabore également avec le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, essentiellement dans le cadre de la lutte contre les migrations irrégulières. La coopération avec le Conseil de l’Europe porte sur la sensibilisation des responsables, des experts et des institutions, sur le renforcement des capacités et la formation, et sur l’élaboration de programmes nationaux de travail sur les migrations irrégulières, notamment la traite des êtres humains. En juin 2013, le Maroc a signé un partenariat pour la mobilité avec l’Union européenne, devenant le premier pays de la région méditerranéenne à prendre une telle mesure. L’accord prévoit la mise en œuvre de diverses initiatives visant à assurer la gestion efficace de la circulation des personnes, notamment à lutter contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains et à aider les victimes, ainsi qu’à créer un système d’asile national et de protection internationale au Maroc.

À l’échelle régionale, le Maroc a participé aux débats sur la traite des êtres humains qui ont été tenus au Conseil des Ministres arabes de l’intérieur et de la justice. En 2006, il a accueilli la première Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement. Le bureau de l’OIM au Maroc gère, en collaboration avec des organismes partenaires, tout un éventail de programmes de renforcement des capacités et de formation à l’intention non seulement des juges, des procureurs, des policiers et des gendarmes, mais aussi des acteurs de la société civile qui fournissent des services aux victimes de la traite.

K.Dakhla (Sahara occidental)

À Dakhla (Sahara occidental), la Rapporteuse spéciale a rencontré différents interlocuteurs et s’est rendue dans des centres de protection de l’enfance et des femmes. Elle a appris que Dakhla était essentiellement une plate-formede transit des migrants en situation irrégulière, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne, qui se rendaient dans le nord du pays, pour gagner ensuite l’Europe. Selon les autorités, en 2013, 4 851 migrants, dont quelque 800 en situation irrégulière, ont transité par Dakhla. Les migrants en situation irrégulière risquent parfois leur vie en effectuant la traversée par bateau.

Les autorités ont informé la Rapporteuse spéciale qu’elles n’avaient pas encore reçu de plainte relative à des cas de traite, les victimes étant réticentes à se manifester de crainte de subir des représailles. Aucun des migrants en situation irrégulière placés en rétention administrative par les forces de l’ordre n’avait été officiellement reconnu comme victime de la traite, faute de lois pertinentes et de procédures spécifiques de détection des victimes de traite. On recensait en revanche des cas de travail des enfants et d’exploitation économique et sexuelle de migrants, en particulier de migrantes. Des interlocuteurs de la société civile ont également fait état de cas de prostitution et d’exploitation sexuelle de femmes et de jeunes filles migrantes, en particulier dans les villages de pêcheurs et sur des bateaux de pêche. La Rapporteuse spéciale a appris que les migrants en situation irrégulière ne bénéficiaient d’aucune protection sociale, n’avaient pas d’hébergement et percevaient des salaires extrêmement bas. Elle a également été informée de l’existence d’un phénomène de prostitution organisée et de cas d’exploitation économique de femmes et d’enfants handicapés, qui étaient forcées à mendier dans la rue. Les membres d’ONG avec lesquels la Rapporteuse spéciale s’est entretenue ont déclaré avoir besoin d’un soutien plus important aux fins du renforcement de leurs capacités.

La situation des migrants en situation irrégulière et des employés de maison ainsi que les cas de travail des enfants et d’exploitation sexuelle continuent donc de susciter des préoccupations. Les autorités ont reconnu qu’il fallait renforcer les capacités actuelles afin de pouvoir détecter les cas de traite des personnes, prendre de nouvelles mesures pour réduire la vulnérabilité des victimes potentielles et assurer une protection adéquate aux migrants et à leur famille.

Des centres spécialisés proposent des soins médicaux et d’autres services de soutien aux femmes et aux enfants victimes de violence. L’hôpital de Dakhla compte un centre d’accueil multidisciplinaire; il s’agit d’un service de soins médicaux, d’aide psychologique et de prise en charge médico-légale pour les femmes et les enfants victimes de violence, qui les informe sur les maladies sexuellement transmissibles et leur offre gratuitement des services médicaux et un soutien psychologique. Depuis sa création, ce service a pris en charge quelque 285 victimes de violence. Désormais, il accueille également les migrants. De nombreuses victimes lui sont adressées par des organisations non gouvernementales. Le service n’a toutefois jamais reçu de victime de la traite reconnue comme telle. La Rapporteuse spéciale a également visité une unité de soins aux victimes de violence qui a été créée par le Tribunal de première instance et accueille les femmes et les enfants victimes de toute forme de violence. L’assistant social de l’unité oriente les victimes vers des services externes, notamment vers les hôpitaux, ou les renvoie vers les procureurs généraux; l’avocat aide les victimes à porter leurs affaires devant les tribunaux. La Rapporteuse spéciale s’est également rendue dans l’établissement de protection sociale Dar Taliba et Dar Talib, qui héberge 48 orphelins et enfants abandonnés âgés de 6 à 15 ans.

III.Conclusions et recommandations

A.Conclusions

Le Maroc s ’ est déclaré détermin é à lutter contre la traite. Le Gouvernement procède actuellement à l ’ adoption de réformes législatives et de mesures importantes en vue de lutter contre la traite des êtres humains de manière globale. La Rapporteuse spéciale n ’ en demeure pas moins préoccupée par le fait qu ’ il n ’ existe pas de législation spécifique relative à la traite, que l ’ État ne s ’ est doté d ’ aucune politique ciblée, ni d ’ aucune institution chargée des questions relatives à la traite et qu ’ il n ’ a pas établi les procédures voulues pour permettre de repérer les victimes de la traite et n ’ a pas mis en place de mécanisme de collecte de données. Dans ces circonstances, il est impossible que les cas de traite fassent l ’ objet d ’ une enquête en bonne et due forme et que les trafiquants soient dûment poursuivis.

Si le Maroc a pris des mesures énergiques dans le domaine de la prévention de la traite, les victimes de la traite ne bénéficient pas d ’ une protection, d ’ une aide ou d ’ un soutien adéquats au cours de leur réadaptation. Leur droit à réparation n ’ est pas expressément reconnu, elles ne sont pas bien informées à ce sujet et ne reçoivent pas l ’ aide dont elles ont besoin pour pouvoir exercer ce droit; notamment, elles n ’ ont pas accès à l ’ aide juridictionnelle.

La Rapporteuse spéciale note également avec préoccupation que le Gouvernement ne collabore pas suffisamment avec les organisations de la société civile, en particulier avec celles qui, par leurs compétences spécialisées, pourraient être de précieux partenaires dans la lutte contre la traite. Le fait qu ’ il n ’ existe pas de législation spécifique relative à la traite fait obstacle aux efforts entrepris par la société civile pour aider les victimes.

B.Recommandations

À la lumière de ses constatations, la Rapporteuse spéciale formule les recommandations ci-après.

1.Cadre juridique et institutionnel et politique générale

S ’ agissant du cadre juridique national, le Maroc doit veiller à la pleine application, en droit interne, du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qui impose à l ’ État de prévenir et de combattre la traite des êtres humains. À cet égard, la Rapporteuse spéciale encourage le Gouvernement à accélérer l ’ adoption des modifications à apporter au Code pénal, puis à promulguer et à appliquer des textes législatifs spécifiques contre la trai te, dans un délai déterminé. En outre, le champ d ’ application de la législation du travail devrait être élargi de sorte que les employés de maison bénéficient d ’ une protection suffisante.

Concernant la marche à suivre pour lutter contre la traite des êtres humains, le Gouvernement devrait mettre au point, d ’ entente avec toutes les parties prenantes, notamment les organisations de la société civile, un plan national d ’ action qui définisse clairement les objectifs à atteindre et les responsabilités de chacun et fixe des indicateurs clairs permettant de mesurer les progrès accomplis et l ’ efficacité des mesures prises.

Pour veiller à la mise en œuvre efficace des mesures de lutte contre la traite, il faudrait créer un organisme national qui serait chargé de coordonner les différentes activités menées par les organismes gouvernementaux dans ce domaine. Le Gouvernement devrait également envisager de nommer un rapporteur spécial, chargé de surveiller la mise en œuvre de la législation relative à la traite et des mesures prises dans ce domaine et de mesurer leurs effets sur la situation des droits de l ’ homme.

2.Repérage, protection et soutien des victimes de la traite

Un système de détection adapté, doté de ressources suffisantes, devrait êtr e mis en place. Ce système devrait comporter des outils et des protocoles spécifiques permettant de repérer les victimes de la traite et de former le personnel des organismes d ’ application des lois, en particulier les policiers, les agents des services d ’ immigration et les inspecteurs du travail. Le personnel ainsi formé devrait être mieux à même de repérer rapidement et sans se tromper les victimes de la traite et de les orienter vers les services voulus. En outre, il convient de distinguer clairement les migrants en situation irrégulière des victimes de la traite, ces deux catégories de personnes devant être soumises à des lois et à des procédures distinctes.

Étant donné que l ’ on ne dispose pas de données fiables au sujet de la traite, il est urgent de mettre au point un mécanisme de collecte de données sur les affaires de traite, ainsi que sur les formes de traite, les différentes manifestations de ce phénomène et les tendances observées dans ce domaine. Ces données sont essentielles à l ’ élaboration de mesures réfléchies de lutte contre la traite.

Concernant les services d ’ aide aux victimes de la traite, le Gouvernement devrait faire beaucoup plus d ’ efforts pour protéger et aider toutes les victimes de la traite, y compris les hommes et les garçons, en veillant au plein respect de leurs droits de l ’ homme, et devrait faire en sorte que les enquêtes menées sur les affaires de traite soient axées sur une approche fondée sur les droits de l ’ homme.

Davantage de ressources, financières et autres, devraient être allouées à l ’ aide aux victimes de la traite, et des programmes et des institutions parrainés ou soutenus par l ’ État devraient être créés et développés de sorte que les victimes puissent bénéficier de soins à court et à long terme.

Tout projet de modification ou de loi relative à la traite des êtres humains devrait être axé sur une approche fondée sur les droits de l ’ homme et comporter des dispositions relatives à l ’ indemnisation des victimes et aux recours effectifs dont celles-ci disposent.

Le champ d ’ application de la législation du travail devrait être élargi de façon à protéger comme il se doit les droits des employés de maison. Les agents de l ’ Inspection du travail devraient être habilités à surveiller les conditions de travail de ces employés, qui sont souvent plus exposés que quiconque au risque d ’ être victimes de la traite.

3.Sensibilisation, formation et renforcement des capacités

Des efforts de sensibilisation et de renforcement des capacités devraient être entrepris d ’ urgence afin que les affaires de traite fassent l ’ objet de mesures centrées sur la victime. Le Gouvernement devrait également redoubler d ’ efforts pour sensibiliser le grand public à toutes les formes de traite des êtres humains, afin de mieux faire comprendre ce qui constitue une forme de traite.

Étant donné que les avocats et autres professionnels ne disposent pas des connaissances et des compétences voulues pour pouvoir appliquer les lois et les normes internationales relatives aux droits de l ’ homme, il serait nécessaire d ’ organiser des programmes de formation à l ’ application des instruments juridiques internationaux.

4.Prévention, poursuites et répression

Le Gouvernement devrait redoubler d ’ efforts pour poursuivre les trafiquants tout en garantissant leur droit à un procès équitable dans le cadre d ’ une approche de la justice pénale fondée sur les droits de l ’ homme, et pour établir le cadre juridique et les procédures nécessaires en vue d ’ assurer la protection des victimes et des témoins. En ce qui concerne les Marocains vivant à l ’ étranger, le Gouvernement devrait définir et mettre en œuvre des mesures judiciaires efficaces pour protéger les Marocaines prises au piège des réseaux de prostitution à l ’ étranger.

Une réforme pénale devrait être entreprise et des systèmes de protection des victimes et des témoins devraient être institués. Parallèlement à la réforme pénale, des modifications devraient être apportées au Code pénal et un cadre juridique plus vaste devrait être établi, qui exempte les victimes de la traite des peines encourues pour prostitution, pour immigration illégale et pour d ’ autres infractions connexes résultant directement de la traite.

Les peines et les sanctions infligées aux personnes qui se rendent coupables de travail forcé devraient être plus lourdes, de façon à dissuader les trafiquants qui recrutent à cette fin.

En sus des mesures juridiques et des politiques adoptées pour lutter contre la traite des êtres humains, des efforts devraient être faits pour remédier aux causes profondes de ce problème, notamment l ’ exclusion sociale, la pauvreté, les inégalités et la discrimination.

5.Coopération et partenariats

Le Gouvernement marocain devrait poursuivre sa collaboration étroite avec les organisations internationale s et les organismes des Nations Unies compétents, notamment avec le HCR et l ’ OIM, afin de permettre aux victimes de la traite de retourner saines et sauves dans leur pays, en tenant dûment compte, s ’ il y a lieu, de la nécessité de leur garantir une protection internationale. De nouvelles mesures devraient être prises pour que les victimes de la traite qui ont besoin d ’ une protection internationale soient dûment identifiées et aiguillées vers le système d ’ asile, selon que de besoin.

Le Maroc devrait continuer de renforcer ses relations de partenariat avec les pays d ’ origine dans toutes les régions, y compris l ’ Afrique subsaharienne et l ’ Asie du Sud ‑Est, ainsi que de coopérer aux fins de l ’ échange d ’ information s et de la fourniture d ’ un appui juridique mutuel; il devrait également envisager de ratifier la Convention n o  189 de l ’ OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques.

Il importe également de collaborer avec les organisations internationales et bilatérales aux fins de l ’ hébergement et de l ’ indemnisation des victimes de la traite. Il convient en outre d ’ envisager la possibilité d ’ utiliser les revenus issus du blanchiment d ’ argent ou les avoirs confisqués aux trafiquants comme ressources complémentaires pour financer l ’ aide aux victimes.

La participation et la collaboration des organisations de la société civile sont essentielle s dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. À cet égard, des mesures devraient être prises immédiatement, d ’ une part, pour fournir l ’ appui nécessaire aux organisations de la société civile qui aident les victimes, notamment en leur proposant un accompagnement psychologique, et d ’ autre part, pour établir le cadre juridique requis. Les organisations de la société civile et les organismes d ’ aide aux victimes devraient être en mesure d ’ exercer leurs activités dans toutes les régions du pays.

En ce qui concerne Dakhla (Sahara occidental), la Rapporteuse spéciale recommande aux autorités:

a) De prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation des migrants en situation irrégulière et des employés de maison et lutter contre le travail des enfants et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants;

b) De renforcer encore les capacités actuelles pour permettre de détecter les cas de traite des êtres humains, de prendre de nouvelles mesures pour réduire la vulnérabilité des victimes potentielles et d’assurer une protection adéquate aux migrants et aux membres de leur famille.