État partie

Date à laquelle le rapport était attendu

Rapports initiaux

Togo

17 décembre 1988

Guyana

17 juin 1989

Guinée

8 novembre 1990

Somalie

22 février 1991

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 1993

Seychelles

3 juin 1993

Cap‑Vert

3 juillet 1993

Burundi

19 mars 1994

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 1994

Éthiopie

12 avril 1995

Tchad

7 juillet 1996

Tadjikistan

9 février 1996

Côte d’Ivoire

16 janvier 1997

République démocratique du Congo

16 avril 1997

Malawi

10 juillet 1997

Honduras

3 janvier 1998

Kenya

22 mars 1998

Bangladesh

3 novembre 1999

Niger

3 novembre 1999

Afrique du Sud

8 janvier 2000

Burkina Faso

2 février 2000

Mali

27 mars 2000

Turkménistan

25 juillet 2000

Japon

29 juillet 2000

Mozambique

14 octobre 2000

Qatar

9 février 2001

Ghana

6 octobre 2001

Botswana

7 octobre 2001

Gabon

7 octobre 2001

Liban

3 novembre 2001

Sierra Leone

24 mai 2002

Nigéria

27 juillet 2002

Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines

30 août 2002

Lesotho

11 décembre 2002

Mongolie

22 février 2003

Irlande

10 mai 2003

Saint‑Siège

25 juillet 2003

Guinée équatoriale

6 novembre 2003

Timor‑Leste

15 mai 2004

Deuxièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1992

Belize

25 juin 1992

Philippines

25 juin 1992

Ouganda

25 juin 1992

Togo

17 décembre 1992

Guyana

17 juin 1993

Brésil

27 octobre 1994

Guinée

8 novembre 1994

Somalie

22 février 1995

Roumanie

16 janvier 1996

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 1996

Yémen

4 décembre 1996

Jordanie

12 décembre 1996

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 1997

Bénin

10 avril 1997

Lettonie

13 mai 1997

Seychelles

3 juin 1997

Cap‑Vert

3 juillet 1997

Cambodge

13 novembre 1997

Burundi

19 mars 1998

Slovaquie

27 mai 1998

Antigua-et-Barbuda

17 août 1998

Costa Rica

10 décembre 1998

Éthiopie

12 avril 1999

Albanie

9 juin 1999

États-Unis d’Amérique

19 novembre 1999a

ex‑République yougoslave de Macédoine

11 décembre 1999

Namibie

27 décembre 1999

République de Corée

7 février 2000

Tadjikistan

9 février 2000

Cuba

15 juin 2000

Tchad

8 juillet 2000

République de Moldova

27 décembre 2000

Côte d’Ivoire

16 janvier 2001

République démocratique du Congo

16 avril 2001

El Salvador

16 juillet 2001

Lituanie

1er mars 2001

Koweït

6 avril 2001

Malawi

10 juillet 2001

Honduras

3 janvier 2002

Kenya

22 mars 2002

Kirghizistan

4 septembre 2002

Arabie saoudite

21 octobre 2002

Bahreïn

4 avril 2003

Kazakhstan

24 septembre 2003

Bangladesh

3 novembre 2003

Niger

3 novembre 2003

Zambie

5 novembre 2003

Indonésie

26 novembre 2003

Afrique du Sud

8 janvier 2004

Burkina Faso

2 février 2004

Mali

27 mars 2004

Bolivie

11 mai 2004

Troisièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1996

Belize

25 juin 1996

Philippines

25 juin 1996

Sénégal

25 juin 1996

Ouganda

25 juin 1996

Uruguay

25 juin 1996

Togo

17 décembre 1996

Guyana

17 juin 1997

Turquie

31 août 1997

Tunisie

22 octobre 1997b

Jamahiriya arabe libyenne

14 juin 1998

Algérie

11 octobre 1998

Brésil

27 octobre 1998

Guinée

8 novembre 1998

Somalie

22 février 1999

Malte

12 octobre 1999

Liechtenstein

1er décembre 1999

Roumanie

16 janvier 2000

Népal

12 juin 2000

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 2000

Yémen

4 décembre 2000

Jordanie

12 décembre 2000

Monaco

4 janvier 2001

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 2001

Bénin

10 avril 2001

Lettonie

13 mai 2001

Seychelles

3 juin 2001

Cap-Vert

3 juillet 2001

Cambodge

13 novembre 2001

Maurice

7 janvier 2002

Burundi

19 mars 2002

Slovaquie

27 mai 2002

Slovénie

14 août 2002

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 2002

Arménie

12 octobre 2002

Costa Rica

10 décembre 2002

Sri Lanka

1er février 2003

Éthiopie

12 avril 2003

Albanie

9 juin 2003

États‑Unis d’Amérique

19 novembre 2003

ex‑République yougoslave de Macédoine

11 décembre 2003

Namibie

27 décembre 2003

République de Corée

7 février 2004

Tadjikistan

9 février 2004

Quatrièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 2000

Bélarus

25 juin 2000

Belize

25 juin 2000

Bulgarie

25 juin 2000

Cameroun

25 juin 2000

France

25 juin 2000

Hongrie

25 juin 2000

Mexique

25 juin 2000

Philippines

25 juin 2000

Fédération de Russie

25 juin 2000

Sénégal

25 juin 2000

Ouganda

25 juin 2000

Uruguay

25 juin 2000

Autriche

27 août 2000

Panama

22 septembre 2000

Togo

17 décembre 2000

Colombie

6 janvier 2001

Équateur

28 avril 2001

Guyana

17 juin 2001

Pérou

5 août 2001

Turquie

31 août 2001

Tunisie

22 octobre 2001

Chili

29 octobre 2001

Chine

2 novembre 2001

Pays‑Bas

19 janvier 2002

Portugal

10 mars 2002

Jamahiriya arabe libyenne

14 juin 2002

Pologne

24 août 2002

Australie

6 septembre 2002

Algérie

11 octobre 2002

Brésil

27 octobre 2002

Guinée

8 novembre 2002

Nouvelle‑Zélande

8 janvier 2003

Somalie

22 février 2003

Paraguay

10 avril 2003

Malte

12 octobre 2003

Allemagne

20 octobre 2003

Liechtenstein

1er décembre 2003

Roumanie

16 janvier 2004

20.À la demande du Comité, deux membres, M. Mariño et M. Rasmussen, ont continué à entretenir des contacts avec les États parties dont le rapport initial accusait un retard de cinq ans ou plus, afin de les encourager à le soumettre. Le Gouvernement togolais n’ayant donné aucune suite aux demandes de ces membres, le Comité a décidé d’examiner la situation au Togo quant à l’application de la Convention, en l’absence de rapport, à sa trente‑troisième session.

21.À sa trente‑deuxième session, le Comité a décidé d’envoyer une lettre au Gouvernement des États‑Unis pour lui rappeler que son deuxième rapport périodique, qui avait été demandé par le Comité pour le 19 novembre 2001, n’avait pas encore été présenté. Le Comité a demandé à l’État partie de présenter ce rapport avant le 1er octobre 2004. Le Comité a appelé en particulier l’attention de l’État partie sur le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention en vertu duquel tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. Enfin, il était indiqué dans la lettre que le rapport devrait inclure des renseignements à jour sur la situation dans les lieux de détention en Iraq.

III. EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

22.À ses trente et unième et trente‑deuxième sessions, le Comité a examiné les rapports soumis par 13 États parties, en vertu du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention. À sa trente et unième session, il était saisi des rapports ci‑après:

Cameroun: troisième rapport périodiqueCAT/C/34/Add.17

Colombie: troisième rapport périodiqueCAT/C/39/Add.4

Lettonie: rapport initialCAT/C/21/Add.4

Lituanie: rapport initialCAT/C/37/Add.5

Maroc: troisième rapport périodiqueCAT/C/66/Add.1 et Corr.1

Yémen: rapport initialCAT/C/16/Add.10.

23.À sa trente‑deuxième session, le Comité était saisi des rapports ci‑après:

Bulgarie: troisième rapport périodiqueCAT/C/34/Add.16

Chili: troisième rapport périodiqueCAT/C/39/Add.5 et Corr.1

Croatie: troisième rapport périodiqueCAT/C/54/Add.3

République tchèque: troisième rapport périodiqueCAT/C/60/Add.1

Allemagne: troisième rapport périodiqueCAT/C/49/Add.4

Monaco: deuxième rapport périodiqueCAT/C/38/Add.2

Nouvelle‑Zélande: troisième rapport périodiqueCAT/C/49/Add.3.

24.Conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité a invité des représentants de tous les États parties qui présentaient des rapports à assister aux séances au cours desquelles leurs rapports respectifs étaient examinés. Tous les États parties concernés ont envoyé des représentants, qui ont participé à l’examen de leurs rapports respectifs.

25.Un rapporteur et un rapporteur suppléant ont été désignés pour chacun des rapports examinés. On en trouvera la liste à l’annexe V du présent rapport. Les méthodes de travail du Comité pour l’examen des rapports en application de l’article 19 de la Convention figurent à l’annexe VI.

26.Dans le cadre de l’examen des rapports, le Comité était également saisi des documents suivants:

a)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/4/Rev.2);

b)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/14/Rev.1).

27.On trouvera dans les sections qui suivent les conclusions et recommandations adoptées par le Comité à propos des rapports des États parties susmentionnés. En outre, à sa trente et unième session, le Comité a noté qu’aucun renseignement n’avait été reçu du Gouvernement cambodgien en ce qui concerne ses conclusions et recommandations provisoires sur la situation dans ce pays1 et a décidé de les considérer comme définitives.

BULGARIE *

28.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de la Bulgarie (CAT/C/34/Add.16) à ses 612e et 614e séances (CAT/C/SR.612 et 614), tenues les 17 et 18 mai 2004, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

29.Le Comité se félicite de la présentation du troisième rapport périodique de la Bulgarie et de pouvoir poursuivre son dialogue avec l’État partie.

30.Tout en notant que le rapport ne couvre que la période allant jusqu’en mai 2000, le Comité prend acte avec satisfaction des réponses détaillées aux questions figurant dans la liste des points à traiter ainsi qu’à celles posées par des membres du Comité pendant le dialogue qui lui ont permis d’obtenir des renseignements sur les mesures prises par l’État partie depuis 2000 pour appliquer la Convention.

B. Aspects positifs

31.Le Comité note les faits nouveaux positifs suivants:

a)Les efforts en cours de l’État partie pour réformer sa législation se rapportant à l’application de la Convention et renforcer la protection des droits de l’homme. En particulier, le Comité prend acte avec satisfaction de:

i)L’entrée en vigueur de la loi sur le médiateur, le 1er janvier 2004;

ii)L’adoption par l’Assemblée nationale, le 16 septembre 2003, de la loi sur la protection contre la discrimination et les autres mesures concrètes dans le domaine de la protection contre la discrimination, telles que le recrutement de Roms dans les forces de police;

iii)L’entrée en vigueur, le 1er décembre 2002, de la nouvelle loi sur l’asile et les réfugiés qui a notamment débouché sur la mise en place de l’Office national pour les réfugiés en tant qu’autorité centrale unique prenant les décisions en matière d’asile, et le fait qu’il est désormais possible de demander la révision judiciaire d’une décision prise dans le cadre de la procédure accélérée;

iv)L’adoption et la mise en application du Code de conduite du policier en vertu d’une ordonnance du Ministère de l’intérieur datée d’octobre 2003;

b)L’adoption de l’instruction no I‑167 du Ministère de l’intérieur en date du 23 juillet 2003 qui fixe la procédure à suivre par la police pendant la détention de personnes dans des locaux relevant du Ministère de l’intérieur;

c)La création en août 2000, au sein de la Police nationale, d’une commission spécialisée dans les droits de l’homme s’appuyant sur un réseau de coordonnateurs régionaux;

d)Le transfert des services de détention pendant l’enquête au Ministère de la justice en janvier 2000;

e)L’autorisation de visiter régulièrement les prisons accordée à des organisations non gouvernementales telles que l’antenne bulgare du Comité Helsinki;

f)Les renseignements fournis par le représentant de l’État partie au cours du dialogue selon lesquels 13 centres de détention avant jugement en sous‑sol ont été fermés en avril 2004 et l’État partie s’efforce de trouver d’urgence des solutions pour les cinq centres en sous‑sol qui n’ont pas encore été fermés;

g)La coopération avec le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et les renseignements fournis par le représentant de l’État partie indiquant que la Bulgarie avait autorisé la publication du rapport sur la visite effectuée par le CPT en avril 2002.

C. Sujets de préoccupation

32.Le Comité note avec préoccupation:

a)L’absence dans la législation interne d’une définition complète de la torture correspondant à celle qui figure à l’article premier de la Convention;

b)Les nombreuses allégations de mauvais traitements infligés à des personnes en détention − en particulier pendant les interrogatoires de police − pouvant être assimilés à des actes de torture et touchant de manière disproportionnée les Roms;

c)L’absence d’un système indépendant d’enquête sur les plaintes et le fait que les allégations de mauvais traitements ne font pas toujours l’objet d’une enquête rapide et impartiale ce qui donnerait lieu à une situation d’impunité des auteurs de tels actes;

d)Le fait que les personnes placées en détention n’auraient pas la possibilité d’accéder rapidement et de manière appropriée à l’aide judiciaire et médicale et aux membres de leur famille et que l’accès à l’aide juridictionnelle gratuite est tout à fait limité et inefficace en pratique; le fait aussi que les détenus n’obtiendraient pas systématiquement les dossiers médicaux dont ils ont besoin, ce qui les empêche de déposer plainte et de demander réparation;

e)Les mauvaises conditions dans les foyers pour personnes mentalement handicapées et les mesures insuffisantes prises jusqu’à présent par les autorités pour faire face à cette situation, y compris l’incapacité de modifier la législation relative aux placements forcés dans lesdits foyers à des fins d’évaluation et le manque de possibilités de recours judiciaire et de procédures de révision;

f)Le fait que les mesures législatives et autres visant à assurer le plein respect des dispositions de l’article 3 ne sont toujours pas suffisamment efficaces et les allégations selon lesquelles l’expulsion d’étrangers, en particulier sur ordre du Service national de sûreté pour des raisons de sécurité nationale, ne fait l’objet d’aucune révision judiciaire;

g)Le manque de données sur les mesures de réparation et de réadaptation en faveur des victimes de la torture ou de leur famille prévues à l’article 14 de la Convention;

h)Les conditions matérielles déplorables dans les centres de détention, en particulier dans les lieux de détention provisoire dont certains sont encore aménagés en sous‑sol ou ne sont pas dotés des installations de base nécessaires pour les activités en plein air et où des personnes peuvent être détenues pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ans, et l’absence d’inspections indépendantes de ces centres;

i)Le régime particulièrement sévère imposé, en particulier au cours des cinq premières années de détention, à tous les prisonniers exécutant des peines de réclusion à perpétuité.

D. Recommandations

33. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter une définition de la torture intégrant tous les éléments contenus à l’article premier de la Convention et d’incorporer au Code pénal une définition du crime de torture épousant cette définition. En outre, le Comité invite l’État partie à examiner dans quelle mesure il serait judicieux d’incorporer dans la législation les dispositions de l’instruction n o  I ‑167 du Ministère de l’intérieur;

b) De renforcer les garanties prévues dans le Code de procédure pénale contre les mauvais traitements et la torture, de poursuivre ses efforts pour réduire les cas de mauvais traitements infligés par la police et d’autres agents de l’État et de concevoir des modalités pour la collecte de données ventilées et la surveillance des actes de torture et des mauvais traitements afin de s’attaquer plus efficacement au problème. L’État partie est encouragé à poursuivre ses efforts pour recruter des personnes d’origine rom dans la police;

c) De prendre des mesures pour mettre en place un système efficace, fiable et indépendant de dépôt de plaintes afin qu’il soit enquêté rapidement et de manière impartiale sur toutes les allégations de mauvais traitement ou de torture et pour punir les responsables. Le Comité demande à l’État partie de fournir des données statistiques sur les cas signalés de mauvais traitement et de torture et sur les résultats des enquêtes, ventilées, entre autres, par sexe, groupe ethnique, région géographique, ainsi que par type et lieu de détention;

d) De faire en sorte qu’aussi bien en droit qu’en pratique toutes les personnes privées de leur liberté soient dûment enregistrées dans le lieu où elles sont détenues et se voient garantir le droit d’accéder à un conseil, de contacter leurs proches, de voir un médecin et d’être informées de ce droit. À cet égard, un système d’aide juridictionnelle gratuite indépendant devrait être mis en place. En outre, des règles strictes pour la tenue des dossiers médicaux de toutes les personnes détenues devraient être établies et scrupuleusement respectées;

e) De prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à la situation dans les foyers et les hôpitaux pour personnes mentalement handicapées de façon que les conditions de vie, les soins et les services de réadaptation qui y sont fournis n’aillent pas à l’encontre des dispositions de la Convention. En outre, le Comité demande instamment à l’État partie de faire en sorte que le placement d’enfants à l’assistance sociale soit régulièrement examiné. Il engage l’État partie à assurer le contrôle et la réévaluation des diagnostics par des spécialistes et de prévoir les procédures d’appel requises;

f) De faire en sorte que nul ne soit expulsé, refoulé ou extradé vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être torturé et que, conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, aucune circonstance exceptionnelle ne soit invoquée pour justifier une telle mesure, et d’envisager à cet effet des mesures de contrôle dans les aéroports, aux frontières et autres postes par lesquels des personnes peuvent être renvoyées dans leur pays;

g) D’intensifier ses efforts pour éviter tout acte non conforme à la Convention en ce qui concerne l’accueil des demandeurs d’asile sur son territoire et de renforcer la coopération entre l’Office national pour les réfugiés et le Ministère de l’intérieur;

h) De faire en sorte que toutes les personnes qui sont victimes d’une violation de leurs droits reconnus par la Constitution aient accès, aussi bien en droit qu’en pratique, aux moyens d’obtenir réparation, et bénéficient d’un droit exécutoire à une indemnisation équitable et suffisante;

i) De prendre des mesures pour améliorer les conditions dans les centres de détention, en particulier dans les lieux de détention provisoire, notamment en fermant les cinq derniers centres de détention en sous ‑sol, et de faire en sorte que tous les centres de détention assurent au moins un minimum d’activités en plein air aux détenus;

j) D’assurer une surveillance étroite de la violence entre prisonniers et d’autres formes de violence, y compris la violence sexuelle dans les centres de détention et les foyers, l’objectif étant de prévenir de tels phénomènes. L’État partie est invité à fournir des données ventilées sur ce problème dans son prochain rapport périodique;

k) De revoir le régime des détenus exécutant des peines de réclusion à perpétuité, notamment ceux d’entre eux qui n’ont pas la possibilité d’obtenir une libération conditionnelle.

34. Le Comité recommande à l’État partie de diffuser et de rendre publics en Bulgarie son rapport au Comité et les présentes conclusions et recommandations, dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

35. Le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an, des informations sur la suite donnée aux recommandations formulées au paragraphe 33 b), c), d), i) et k) ci ‑dessus.

36. Le Comité recommande à l’État partie de présenter son prochain rapport périodique le 25 juin 2008, date à laquelle son cinquième rapport périodique est attendu. Ce rapport devrait regrouper en un seul document ses quatrième et cinquième rapports périodiques.

CAMEROUN *

37.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Cameroun (CAT/C/34/Add.17) à ses 585e, 588e et 590e séances, tenues les 18, 19 et 20 novembre 2003 (CAT/C/SR.585, 588 et 590) et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

38.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport du Cameroun, qui a été établi conformément aux directives du Comité, et qui contient des réponses aux précédentes recommandations du Comité. Il remarque toutefois que le rapport, soumis fin 2002, ne couvre que la période 1996‑2000. Le Comité se félicite de la présence d’une délégation composée d’experts de haut niveau, qui a répondu aux nombreuses questions qui lui ont été posées.

B. Aspects positifs

39.Le Comité note avec satisfaction les éléments suivants:

a)L’effort accompli par l’État partie pour adopter des mesures législatives de mise en application de la Convention;

b)Le démantèlement en 2001, conformément à la recommandation du Comité, du commandement opérationnel de Douala, chargé de la lutte contre le grand banditisme;

c)L’augmentation du nombre de fonctionnaires de police, conformément à la recommandation du Comité;

d)Le projet de construire des prisons supplémentaires pour remédier à la surpopulation carcérale, et la mesure de grâce collective accordée en novembre 2002 permettant la libération immédiate de 1 757 détenus;

e)L’assurance donnée par la délégation selon laquelle la vérification de la situation individuelle des prévenus et des appelants devra à terme aboutir à l’élargissement de l’éventail des personnes en détention préventive, notamment les mineurs, les femmes et les malades;

f)Le projet de restructurer le Comité national des droits de l’homme et des libertés (CNDHL), en vue de lui conférer un plus grand degré d’indépendance vis‑à‑vis du pouvoir exécutif, et de donner une meilleure visibilité à son action;

g)La finalisation en cours d’une loi contre les violences faites aux femmes;

h)La création d’un comité technique ad hoc pour la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en vue de la ratification de ce Statut;

i)La création de neuf nouvelles juridictions en 2001.

C. Sujets de préoccupation

40.Le Comité rappelle qu’en 2000 il avait constaté que la torture semblait être une pratique fort répandue au Cameroun, et se déclare préoccupé par des informations faisant état de la persistance de cette situation. Il exprime son inquiétude face aux contradictions profondes existant entre les allégations concordantes faisant état de violations graves de la Convention et les informations apportées par l’État partie. Le Comité, en particulier, se déclare préoccupé par:

a)Des informations faisant état d’un usage systématique de la torture dans les commissariats de police et de gendarmerie, après l’arrestation;

b)La persistance d’une surpopulation extrême dans les prisons camerounaises, au sein desquelles les conditions de vie et d’hygiène mettraient en danger la santé et la vie des détenus, et équivaudraient à un traitement inhumain et dégradant. Les soins médicaux seraient payants, et la séparation des hommes et des femmes ne serait pas toujours garantie en pratique. Le Comité note avec inquiétude, en particulier, le nombre élevé de décès survenus à la prison centrale de Douala depuis le début de l’année (25 selon l’État partie, 72 selon les ONG);

c)Des informations faisant état de tortures, mauvais traitements et détentions arbitraires commis sous la responsabilité de certains chefs traditionnels, avec parfois l’appui des forces de l’ordre.

41.Le Comité constate avec préoccupation que:

a)Le projet de code de procédure pénale n’a toujours pas été adopté;

b)Le délai de garde à vue, selon le projet de code de procédure pénale, pourra être prorogé de 24 heures par 50 kilomètres séparant le lieu d’arrestation du lieu de garde à vue;

c)Les délais de garde à vue ne seraient pas respectés en pratique;

d)Les délais de garde à vue sont trop longs dans le cadre de la loi no 90/054 du 19 décembre 1990 contre le grand banditisme (15 jours renouvelables une fois), et de la loi no 90/047 du 19 décembre 1990 relative à l’état d’urgence (jusqu’à deux mois renouvelables une fois);

e)Le recours aux registres dans tous les lieux de détention n’a pas encore été systématisé;

f)Il n’existe pas de prescription légale fixant la durée maximale de la détention préventive;

g)Le système de supervision des lieux de détention n’est pas effectif, que la tutelle de l’administration pénitentiaire relève du Ministère de l’administration territoriale, que les commissions de surveillance des lieux de détention n’ont pu se réunir régulièrement, et que, selon certaines informations, les procureurs et le Comité national des droits de l’homme et des libertés ne visitent que rarement les lieux de détention;

h)La notion d’«ordre manifestement illégal» manque de précision, et comporte un risque de limiter le champ d’application de l’article 2, paragraphe 3, de la Convention;

i)Les appels formulés devant la juridiction administrative demandant l’annulation des mesures de reconduite à la frontière ne sont pas suspensifs, ce qui peut conduire à une violation de l’article 3 de la Convention.

42.Le Comité, tout en saluant l’effort accompli par l’État partie pour transmettre des informations relatives aux poursuites des agents de l’État coupables de violations des droits de l’homme, est préoccupé par des informations faisant état de l’impunité des auteurs d’actes de torture. Il s’inquiète en particulier:

a)De ce que les gendarmes ne peuvent être poursuivis, dans le cas d’infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions, qu’après autorisation du Ministère de la défense;

b)D’informations selon lesquelles des poursuites auraient été effectivement engagées contre les auteurs de tortures dans les seuls cas où un décès de la victime était suivi de manifestations publiques;

c)Du fait que l’affaire dite des «Neuf de Bépanda» n’ait toujours pas été résolue à ce jour;

d)Du fait que les victimes ou leurs proches sont réticents à porter plainte, par ignorance, manque de confiance, et peur de représailles;

e)D’informations faisant état de la recevabilité de preuves obtenues sous la torture devant les juridictions.

43.Le Comité s’inquiète en outre:

a)De la compétence donnée aux tribunaux militaires pour juger des civils en cas d’infraction à la législation sur les armes de guerre et assimilées;

b)De l’absence de législation interdisant les mutilations génitales féminines;

c)Du fait que le Code pénal organise l’exemption de peine de l’auteur d’un viol si celui‑ci se marie avec la victime.

D. Recommandations

44. Le Comité exhorte l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la pratique de la torture sur son territoire. Il recommande que l’État partie:

a) Fasse cesser immédiatement la torture dans les commissariats de police, les gendarmeries et les prisons. L’État partie devrait assurer une supervision effective de ces lieux de détention, permettre aux ONG d’y effectuer des visites, et renforcer les capacités des commissions de surveillance des prisons. Le CNDHL et les procureurs devraient effectuer des visites plus fréquentes dans tous les lieux de détention;

b) Procède immédiatement à une enquête indépendante relative aux décès survenus dans la prison centrale de Douala, et traduise en justice les responsables;

c) Adopte des mesures urgentes pour faire baisser le taux de surpopulation carcérale. L’État partie devrait adopter une loi fixant la durée maximale de la détention préventive, envisager de libérer immédiatement les délinquants ou suspects emprisonnés pour la première fois pour des infractions mineures, en particulier s’ils sont âgés de moins de 18 ans, ceux ‑ci ne devant pas être incarcérés tant que le problème de la surpopulation carcérale n’aura pas été réglé;

d) Garantisse la gratuité des soins dans les prisons, assure en pratique le droit des détenus à une nourriture suffisante, et rende effective la séparation des hommes et des femmes;

e) Fasse cesser immédiatement les tortures, mauvais traitements et détentions arbitraires commis sous la responsabilité des chefs traditionnels du Nord. Le Comité, prenant acte de l’assurance de la délégation selon laquelle des poursuites sont engagées en de tels cas, recommande à l’État partie d’accroître ses efforts. Les populations concernées devraient être dûment informées de leurs droits et des limites de l’autorité et des pouvoirs de ces chefs traditionnels.

45. Le Comité recommande en outre que l’État partie:

a) Adopte de toute urgence et assure la mise en œuvre effective d’une loi énonçant le droit de toutes les personnes gardées à vue, dans les premières heures de la détention, d’accéder à un avocat de leur choix et à un médecin indépendant, et d’informer leurs proches de leur détention. Le Comité rappelle en outre que toute prolongation de garde à vue devrait être autorisée par un magistrat;

b) Renonce, dans son projet de code de procédure pénale, à la possibilité de proroger le délai de garde à vue en fonction de la distance qui sépare le lieu d’arrestation du lieu de garde à vue, et assure le strict respect des délais de garde à vue en pratique;

c) Fasse en sorte que les gardes à vue effectuées en vertu de la loi sur l’état d’urgence se conforment aux normes internationales en matière de droits de l’homme, et qu’elles n’excèdent pas une durée supérieure à celle requise par les exigences de la situation. L’État partie devrait supprimer les possibilités de gardes à vue administrative et militaire;

d) Systématise de toute urgence le recours aux registres dans tous les lieux de détention;

e) Sépare la police des autorités chargées des prisons, par exemple en transférant la tutelle de l’administration pénitentiaire au Ministère de la justice;

f) Clarifie la notion d’«ordre manifestement illégal», de façon à ce que les agents de l’État, en particulier les agents de police, les militaires, les gardiens de prison, les magistrats et avocats, en mesurent clairement les implications. Une formation spécifique devrait être assurée à ce propos;

g) Confère un caractère suspensif à l’appel d’un étranger contre la décision de la juridiction administrative de confirmer une mesure de reconduite à la frontière.

46. Le Comité recommande à l’État partie de multiplier ses efforts pour mettre fin à l’impunité des auteurs d’actes de torture, en particulier en:

a) Enlevant toutes restrictions, en particulier par le Ministère de la défense, aux poursuites des gendarmes, et en donnant compétence aux juridictions de droit commun pour connaître des infractions commises par des gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions en matière de police judiciaire;

b) Poursuivant son enquête pour résoudre l’affaire des «Neuf de Bépanda». Le Comité recommande également qu’une enquête approfondie soit opérée sur les agissements du commandement opérationnel de Douala pendant la durée de son fonctionnement, et, par extension, sur toutes les unités antigangs qui seraient encore actuellement en service;

c) Veillant à ce que ses autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale, chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. À cette fin, le Comité recommande que soit créé un organe indépendant habilité à recevoir et instruire toutes les plaintes faisant état de tortures ou autres mauvais traitements infligés par des agents de l’État;

d) Assurant la protection des victimes et des témoins contre toute intimidation ou mauvais traitement, et en informant la population de ses droits, notamment en matière de plainte contre les agents de l’État;

e) Adoptant dans les plus brefs délais une loi rendant irrecevables les preuves obtenues sous la torture dans toutes procédures, et assurant sa mise en œuvre dans la pratique.

47. Le Comité recommande en outre aux autorités camerounaises:

a) De procéder à la réforme du CNDHL en vue d’un meilleur respect des Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme (Principes de Paris);

b) De limiter la compétence des tribunaux militaires aux infractions purement militaires;

c) D’édicter une loi relative à l’interdiction des mutilations génitales féminines;

d) De revoir sa législation en vue de mettre fin à l’exemption de peine de l’auteur d’un viol si celui ‑ci se marie avec la victime;

e) De songer à ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

48. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, soient largement diffusées dans le pays dans les langues appropriées.

49. Le Comité recommande que le prochain rapport périodique contienne des informations précises sur les garanties minimales actuelles en matière de contrôle juridictionnel et de droits des personnes gardées à vue, et sur leur mise en œuvre dans la pratique.

50. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui ‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux paragraphes 46 b) et c); 47 c) et d); et 48 a) ci ‑dessus. En particulier, le Comité désire recevoir des informations précises sur les poursuites et sanctions prononcées contre des chefs traditionnels, et les faits qui leur ont été reprochés. Un état détaillé de la situation dans la prison centrale de Douala est également attendu.

CHILI *

51.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Chili (CAT/C/39/Add.5 et Corr.1) à ses 602e et 605e séances (CAT/C/SR.602 et 605), les 10 et 11 mai 2004, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

52.Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du troisième rapport périodique du Chili qui était demandé pour 1997 et qui a été établi conformément aux directives du Comité. Il regrette toutefois qu’il ait été présenté en retard.

53.Le Comité accueille avec satisfaction le complément d’information apporté par l’État partie et les longues réponses riches de renseignements données par écrit et oralement aux questions adressées par le Comité avant la session et pendant l’examen du rapport. Le Comité se félicite également de la présence d’une délégation nombreuse et très compétente qui a permis un examen exhaustif et approfondi de la façon dont l’État partie s’acquitte de ses obligations en vertu de la Convention.

B. Aspects positifs

54.Le Comité prend note des aspects positifs suivants:

a)La qualification du délit de torture dans la législation pénale;

b)La réforme en profondeur du Code de procédure pénale, en particulier les modifications visant à améliorer la protection des personnes privées de liberté;

c)La création du service de défense publique au pénal et du ministère public;

d)L’abrogation des dispositions relatives à «l’arrestation sur simple soupçon»;

e)La réduction de la durée de la garde à vue qui désormais ne doit pas dépasser 24 heures;

f)Les assurances donnée par la délégation de l’État partie qui a indiqué que la Convention était directement applicable par les tribunaux;

g)La création de la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture chargée d’identifier les personnes qui ont été privées de liberté et torturées pour des raisons politiques pendant la dictature militaire, et l’assurance donnée par la délégation de l’État partie que le mandat de cet organe sera prolongé de façon à lui permettre d’achever son travail;

h)L’assurance que des mécanismes ont été créés afin de garantir qu’aucun témoignage obtenu sous la torture ne sera jugé recevable par les tribunaux donnée par la délégation de l’État partie, qui a également reconnu le grave problème constitué par les aveux obtenus par la contrainte de femmes qui vont à l’hôpital public pour se faire soigner d’urgence après un avortement clandestin;

i)La confirmation que les organisations non gouvernementales sont autorisées à visiter périodiquement les centres de détention;

j)Le fait que l’État partie a déclaré reconnaître la compétence du Comité en vertu des articles 21 et 22 de la Convention permettant ainsi à d’autres États parties (art. 21) et à des particuliers (art. 22) de soumettre au Comité des plaintes le concernant;

k)L’information donnée par la délégation de l’État partie qui a signalé que le processus de ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture avait été engagé.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

55.Les arrangements constitutionnels conclus dans le cadre de l’accord politique qui a permis le passage de la dictature militaire à la démocratie compromettent le plein exercice de certains droits fondamentaux, comme l’affirme l’État partie dans son rapport. Le Comité n’ignore pas les dimensions politiques de ces arrangements et les difficultés que cela implique et constate que plusieurs gouvernements ont soumis des amendements constitutionnels au Congrès dans des circonstances analogues. Il souligne toutefois que les conditions politiques internes ne peuvent pas servir de justification à l’inexécution par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

D. Sujets de préoccupation

56.Le Comité est préoccupé par les éléments ci‑après:

a)Les plaintes faisant état de la persistance des mauvais traitements, dans certains cas équivalant même à des actes de torture, commis par les carabiniers, les membres de la police de la sûreté et les membres de l’administration pénitentiaire, et le fait que ces plaintes ne fassent pas l’objet d’une enquête approfondie et impartiale;

b)Le maintien en vigueur de certaines dispositions constitutionnelles qui entravent le plein exercice des droits fondamentaux, ainsi que du décret‑loi d’amnistie qui empêche de juger les responsables de violations des droits de l’homme commises entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, qui consacre l’impunité des responsables de tortures, de disparitions et d’autres violations graves des droits de l’homme commises pendant la dictature militaire et entérine l’absence de réparation pour les victimes de torture;

c)La définition de la torture figurant dans le Code pénal n’est pas parfaitement conforme à l’article premier de la Convention et ne précise pas suffisamment deux éléments de l’article premier, le but des actes de la torture et l’assentiment des agents de l’État;

d)Le fait que le corps des carabiniers et la police de la sûreté continuent de relever du Ministère de la défense ce qui a pour résultat, entre autres choses, que la juridiction militaire a toujours une compétence excessivement étendue;

e)Les renseignements selon lesquels certains fonctionnaires impliqués dans des actes de torture pendant la dictature ont été nommés à de hautes fonctions officielles;

f)L’absence, dans l’ordre juridique interne, de dispositions qui interdisent expressément d’expulser, de refouler et d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ainsi que l’absence de dispositions régissant l’application des articles 5, 6, 7 et 8 de la Convention;

g)Les attributions limitées de la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture, dont la mission est de rechercher les personnes qui ont été victimes de tortures sous le régime militaire et de définir les conditions à remplir pour obtenir réparation. En particulier, le Comité relève avec préoccupation:

i)Que les victimes présumées disposent d’un délai court pour se faire inscrire sur le registre de la Commission ce qui fait que le nombre de personnes inscrites est inférieur aux prévisions;

ii)Que les types d’actes considérés comme des actes de torture par la Commission ne sont pas clairement déterminés;

iii)Que, d’après des renseignements reçus, les plaintes qui ne sont pas déposées en personne ne sont pas admises, même quand l’intéressé est dans l’incapacité de se déplacer pour raison de maladie;

iv)Qu’il est impossible pour les personnes qui ont obtenu une réparation en tant que victimes d’autres violations des droits de l’homme (par exemple, disparitions forcées ou exil) de s’inscrire sur ce registre;

v)Qu’une indemnisation «modérée et symbolique» n’est pas équivalente à la réparation «équitable et adéquate» garantie à l’article 14 de la Convention;

vi)Que la Commission n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les plaintes pour torture afin d’identifier les responsables en vue de les traduire en justice;

h)Le grave problème du surpeuplement et les conditions généralement insatisfaisantes dans les établissements de détention et le fait que, d’après les informations reçues, les lieux de détention ne soient pas inspectés systématiquement;

i)Le maintien aux articles 334 et 335 du Code de justice militaire de la règle du devoir d’obéissance, malgré les dispositions qui consacrent le droit du subordonné de soulever une objection quand un ordre implique la perpétration d’un acte prohibé;

j)Le fait que, d’après les informations reçues, les femmes dont la vie est mise en danger par les complications d’un avortement clandestin ne peuvent recevoir les soins requis par leur état qu’à condition de révéler le nom de la personne qui a pratiqué l’avortement. Ces aveux seraient utilisés ensuite à charge contre elles‑mêmes et des tiers, en infraction aux dispositions de la Convention;

k)Le report de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale dans la région métropolitaine jusqu’à la fin de 2005;

l)Le faible nombre de cas de disparitions élucidés avec les renseignements donnés par l’armée malgré les efforts du Gouvernement qui a créé la «table de dialogue»;

m)L’absence de données ventilées concernant les plaintes déposées et l’issue des enquêtes et des actions en justice dans le contexte des dispositions de la Convention;

n)L’insuffisance des renseignements sur l’application de la Convention dans le cadre des activités des forces armées.

E. Recommandations

57. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention, en veillant à ce que toutes les formes de torture soient prises en compte;

b) De réviser la Constitution de façon à garantir la protection pleine et entière des droits de l’homme, y compris le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants conformément à la Convention et, à cette fin, d’abroger le décret ‑loi d’amnistie;

c) De transférer au Ministère de l’intérieur le pouvoir de contrôle du corps des carabiniers et de la police de la sûreté actuellement conféré au Ministère de la défense et de veiller à ce que la compétence des tribunaux militaires soit limitée aux infractions de caractère militaire;

d) De supprimer dans le Code de justice militaire la règle du devoir d’obéissance qui peut aboutir à une défense justifiée par les ordres donnés par des supérieurs, afin de rendre cette disposition conforme au paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention;

e) D’adopter toutes les mesures nécessaires afin de garantir que toutes les plaintes pour torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent immédiatement l’objet d’une enquête approfondie et impartiale et que les auteurs soient poursuivis et punis, que les victimes soient indemnisées équitablement et de manière adéquate, conformément aux dispositions de la Convention;

f) D’envisager la possibilité de supprimer la prescription pour le délit de torture ou d’étendre le délai de prescription actuellement de 10 ans, compte tenu de la gravité du délit;

g) D’adopter des dispositions visant à interdire l’extradition, le refoulement ou l’expulsion d’une personne vers un État où elle risque d’être soumise à la torture;

h) D’adopter des mesures législatives afin d’établir clairement la place de la Convention dans l’ordre juridique interne et de garantir ainsi l’application de ses dispositions, ou d’adopter un texte législatif spécifique qui incorpore ses dispositions;

i) D’élaborer des programmes de formation sur la teneur de la Convention à l’intention des juges, des procureurs et des responsables de l’application de la loi. Ces programmes devront mettre en relief l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et seront également destinés aux membres des forces armées, de la police et autres organes de maintien de l’ordre et à quiconque participe à un titre ou à un autre aux arrestations et aux interrogatoires ou a affaire à des personnes se trouvant dans une situation où elles risquent d’être soumises à la torture. L’État partie doit en outre veiller à ce que les médecins reçoivent une formation spécifique leur permettant de détecter et de prouver que la torture a été pratiquée;

j) D’améliorer les conditions de détention afin de les rendre conformes aux normes internationales et de prendre d’urgence des mesures pour atténuer le problème du surpeuplement dans les prisons et autres lieux de détention. De plus, l’État partie doit mettre en place un système effectif d’inspection permettant de surveiller les conditions de détention, le traitement des détenus, la violence entre prisonniers et les agressions sexuelles en prison;

k) De proroger le mandat de la Commission nationale de l’emprisonnement politique et de la torture et de lui donner des pouvoirs plus étendus de façon à lui permettre de recevoir des plaintes pour toutes les formes de torture, y compris les agressions sexuelles. À cette fin, le Comité recommande à l’État partie:

i) D’adopter des mesures pour faire mieux connaître le travail de la Commission, en faisant appel à tous les organes d’information et en précisant la définition de la torture par l’inclusion, dans les formulaires que les victimes doivent remplir, d’une liste non exhaustive énonçant différentes formes de torture, au nombre desquelles l’agression sexuelle;

ii) De garantir que les victimes qui s’inscrivent sur le registre de la Commission puissent le faire confidentiellement et que les personnes qui vivent en zone rurale ou qui pour différentes raisons ne peuvent pas se présenter en personne puissent s’inscrire tout de même;

iii) D’inclure dans le rapport final de la Commission des données désagrégées, notamment selon le sexe et l’âge de la victime et la nature de l’acte de torture infligé;

iv) D’étudier la possibilité d’étendre le mandat de la Commission pour lui permettre de mener des enquêtes qui pourront aboutir, dans les cas justifiés, à l’ouverture de poursuites pénales contre les responsables présumés des actes dénoncés;

l) De mettre en place un système permettant d’assurer aux victimes de la torture une réparation équitable et adéquate, comprenant des mesures de réadaptation et d’indemnisation;

m) De faire cesser la pratique consistant à arracher des aveux aux femmes qui ont subi un avortement clandestin et qui vont à l’hôpital pour recevoir des soins d’urgence, en vue de poursuites pénales; de rechercher et de faire réviser les condamnations prononcées dans les affaires pour lesquelles les déclarations obtenues sous la contrainte dans de tels cas ont été admises en tant que preuve et de prendre les mesures correctrices qui s’imposent, notamment l’annulation des condamnations qui ne sont pas conformes aux dispositions de la Convention. Conformément aux directives de l’Organisation mondiale de la santé, l’État partie doit garantir que toute personne dont l’état nécessite des soins médicaux d’urgence soit traitée immédiatement et sans condition;

n) De veiller à ce que le nouveau Code de procédure pénale soit appliqué le plus tôt possible dans la région métropolitaine pour que ses dispositions puissent être pleinement en vigueur dans l’ensemble du pays;

o) D’introduire des dispositions dans le cadre de la réforme du système de justice pénale, pour protéger les personnes susceptibles de subir un nouveau traumatisme du fait de la procédure judiciaire elle ‑même, pendant les procès pour des délits tels que les mauvais traitements de mineurs et les agressions sexuelles;

p) De donner au Comité des renseignements à jour sur l’état d’avancement des enquêtes sur les faits de torture commis dans le passé, notamment dans les affaires connues sous les noms de «la caravane de la mort», l’«opération Condor» et la «Colonia Dignidad»;

q) De donner des statistiques détaillées et ventilées par âge, par sexe et par région sur les plaintes déposées pour des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents des forces de l’ordre, ainsi que sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations éventuelles.

58. Le Comité demande à l’État partie de lui faire tenir au plus tard dans un délai d’un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux alinéas  k , m et  q du paragraphe 57.

59. Étant donné que l’État partie a donné des renseignements sur l’application de la Convention au cours de la période couverte par les troisième et quatrième rapports périodiques, le Comité lui recommande de lui soumettre son cinquième rapport au plus tard le 29 octobre 2005.

COLOMBIE *

60.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Colombie (CAT/C/39/Add.4) à ses 575e et 578e séances, les 11 et 12 novembre 2003 (CAT/C/SR.575 et 578) et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

61.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la Colombie, soumis le 17 janvier 2002, tout en regrettant qu’il l’ait été avec cinq ans de retard. Il relève que le rapport contient peu de renseignements sur l’application pratique de la Convention pendant la période sur laquelle il porte. Il accueille toutefois avec satisfaction les réponses exhaustives apportées oralement par la délégation à la plupart des questions posées par des membres du Comité, ainsi que les statistiques données pendant l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

62.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption par l’État partie de plusieurs textes législatifs utiles pour la prévention et la répression des actes de torture et de mauvais traitements, en particulier les suivants:

a)Le nouveau Code pénal (loi no 599/2000) où sont qualifiés les délits de torture, de génocide, de disparition forcée et de déplacement forcé. Le Code dispose en outre que le devoir d’obéissance ne sera pas considéré comme une cause d’exonération de la responsabilité s’agissant de ce type d’infraction;

b)Le nouveau Code pénal militaire (loi no 522/1999) qui exclut de la compétence de la juridiction pénale militaire les délits de torture, génocide et disparition forcée et régit le principe du devoir d’obéissance;

c)La loi no 548/1999, qui interdit le recrutement de mineurs de 18 ans dans les forces armées;

d)Le nouveau Code de procédure pénale (loi no 600/2000) qui dispose dans son titre VI que les preuves obtenues par des moyens illégaux ne sont pas recevables.

63.Le Comité accueille avec satisfaction:

a)La loi no 742/2000 portant ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale; l’instrument de ratification a été déposé le 5 août 2002;

b)La loi no 707/2001 portant ratification de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes.

64.Le Comité se déclare également satisfait de:

a)La déclaration de la représentante de l’État partie qui a affirmé qu’il n’y avait pas eu et qu’il n’y aurait pas d’amnistie ou de grâce pour les délits de torture en Colombie;

b)Le rôle positif joué par la Cour constitutionnelle dans la défense de la légalité;

c)La poursuite de la collaboration entre le bureau du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme en Colombie et le Gouvernement colombien.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

65.Le Comité est conscient des difficultés que la situation interne complexe que connaît le pays actuellement pose pour le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, en particulier du fait de l’action de groupes armés illégaux. Il réaffirme toutefois que, conformément à l’article 2 de la Convention, aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier le recours à la torture.

D. Sujets de préoccupation

66.Le Comité réaffirme sa préoccupation face au grand nombre d’actes de torture et de mauvais traitements qui seraient commis de façon généralisée et habituelle par les forces et les corps de sécurité de l’État en Colombie, tant dans le cadre d’opérations armées qu’en situation ordinaire. Il s’inquiète en outre, du grand nombre de disparitions forcées et d’exécutions arbitraires.

67.Le Comité relève avec inquiétude que différentes mesures adoptées ou en cours d’adoption par l’État partie pour lutter contre le terrorisme ou contre des groupes armés illégaux pourraient favoriser la pratique de la torture. À ce sujet, il se déclare particulièrement préoccupé par les éléments suivants:

a)Le recrutement de «paysans soldats» à temps partiel, qui continuent à vivre dans leur communauté mais participent à des opérations armées contre la guérilla, de sorte qu’eux‑mêmes et leur communauté peuvent être la cible d’actions des groupes armés illégaux, y compris d’actes de torture et de mauvais traitements;

b)Le projet de loi de réforme constitutionnelle no 223 de 2003 qui, s’il est adopté, semblerait attribuer des pouvoirs de police judiciaire aux forces armées et permettre de détenir et d’interroger un suspect, pendant une période pouvant aller jusqu’à 36 heures, sans contrôle judiciaire.

68.Le Comité est également préoccupé par ce qui suit:

a)Le climat d’impunité entourant les violations des droits de l’homme commises par les forces et corps de sécurité de l’État et en particulier l’absence d’enquêtes rapides, impartiales et exhaustives sur les nombreux cas d’actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’absence de réparation et d’indemnisation adéquate pour les victimes;

b)Les allégations selon lesquelles les agents de l’État partie toléreraient, appuieraient ou approuveraient les activités des membres des groupes paramilitaires appelés «groupes d’autodéfense», qui sont responsables d’un grand nombre d’affaires de torture et de mauvais traitements;

c)Le projet de réforme de la justice qui, s’il est approuvé, prévoirait, d’après certaines sources, des restrictions constitutionnelles à l’action en protection (amparo) et diminuerait les compétences de la Cour constitutionnelle, en particulier en matière de contrôle des déclarations d’états d’exception. Le Comité est préoccupé en outre par le projet de loi sur «l’alternative pénale» qui, s’il est approuvé, accorderait le bénéfice d’une suspension conditionnelle de la peine aux membres des groupes armés qui déposent volontairement les armes, même s’ils ont commis des actes de torture et autres infractions graves au droit international humanitaire;

d)Les allégations et informations concernant:

i)La démission forcée de quelques fonctionnaires du service des droits de l’homme de la Fiscalía General de la Nación, ainsi que les menaces graves reçues par certains membres de ce service en rapport avec leurs enquêtes sur les affaires de violation des droits de l’homme;

ii)La protection insuffisante contre le viol et les autres sortes de violences sexuelles qui seraient souvent utilisées comme formes de torture et de mauvais traitements. Le Comité relève en outre avec préoccupation que le nouveau Code pénal militaire n’exclut pas expressément de la juridiction militaire les délits à caractère sexuel;

iii)Le fait que les tribunaux militaires continueraient à mener des enquêtes sur des délits totalement exclus de leur compétence, comme le délit de torture, de génocide et de disparition forcée, dans lesquels seraient impliqués des membres des forces de l’ordre, en dépit de la promulgation du nouveau Code pénal militaire et de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 1997 qui a statué que les actes constitutifs de crimes contre l’humanité ne relèvent pas de la compétence de la juridiction pénale militaire;

iv)Les agressions graves généralisées dont font l’objet les défenseurs des droits de l’homme qui jouent un rôle essentiel en dénonçant les actes de torture et de mauvais traitements; de la même manière, les agressions répétées contre des membres du pouvoir judiciaire, qui mettent en danger leur indépendance et leur intégrité physique;

e)Le grand nombre de cas de déplacement forcé de groupes de population provoqués par le conflit armé et l’insécurité qui règnent dans leur propre région, compte tenu de l’absence permanente dans ces régions de structures publiques chargées d’appliquer et de faire appliquer la loi;

f)La surpopulation et les mauvaises conditions matérielles régnant dans les établissements pénitentiaires, qui pourraient s’apparenter à des traitements inhumains et dégradants;

g)L’absence d’information sur l’application de l’article 11 de la Convention, en ce qui concerne les dispositions prises par l’État partie pour la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées, ainsi que les indications reçues par le Comité alléguant que l’État n’honore pas ses obligations en la matière;

h)L’absence d’information satisfaisante sur les dispositions en vigueur dans l’ordre juridique interne qui soient de nature à garantir l’application de l’article 3 de la Convention aux affaires de refoulement ou d’expulsion d’étrangers quand ces étrangers courent le risque d’être soumis à la torture dans le pays de destination.

E. Recommandations

69. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter toutes les mesures voulues pour empêcher les actes de torture et de mauvais traitements commis sur le territoire de Colombie, en particulier:

a) De prendre des mesures énergiques pour faire cesser l’impunité des responsables présumés d’actes de torture et de mauvais traitements; de mener des enquêtes rapides, impartiales et exhaustives; de poursuivre les auteurs présumés d’actes de torture et de traitements inhumains; d’indemniser de manière adéquate les victimes. Il recommande en particulier de réexaminer la question de l’adoption du projet de loi sur «l’alternative pénale» à la lumière des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention;

b) De réexaminer également, à la lumière de l’obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements contractée en vertu de la Convention:

i) La question du recrutement de «paysans soldats»;

ii) L’adoption de mesures qui sembleraient conférer des pouvoirs de police judiciaire aux forces armées et autoriser les interrogatoires et les détentions de suspects pendant de longues périodes sans contrôle judiciaire;

iii) Le projet de réforme de la justice, afin d’assurer l’application sans restriction de l’action en protection ( amparo ) et de respecter et d’encourager le rôle de la Cour constitutionnelle dans la défense de la légalité;

c) De veiller à ce que toutes les personnes, en particulier les agents de l’État, qui commanditent, planifient, fomentent ou financent les opérations de groupes paramilitaires, appelés «groupes d’autodéfense», responsables d’actes de torture, ou y participent de toute autre manière soient identifiées, arrêtées, suspendues de leurs fonctions et traduites en justice;

d) De garantir que les membres du service des droits de l’homme de la Fiscalía General de la Nación puissent mener à bien leur mission de façon indépendante et impartiale et dans des conditions de sécurité, et de les doter des moyens nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions de manière efficace;

e) De mener des enquêtes en vue de poursuivre et de punir les responsables de viols et autres formes de violences sexuelles, y compris les affaires de cette nature qui se sont produites dans le cadre d’opérations contre des groupes armés illégaux;

f) De veiller, dans les affaires d’atteinte au droit à la vie, à rechercher les signes de torture et en particulier de violences sexuelles que la victime pourrait présenter. Ces données devraient figurer dans les rapports de médecine légale afin que l’on puisse enquêter non seulement sur l’homicide mais aussi sur les faits de torture. Le Comité recommande en outre à l’État partie de faire le nécessaire pour que les médecins reçoivent une formation professionnelle leur permettant de détecter les cas de torture et de toute autre forme de mauvais traitements;

g) De respecter et de faire respecter efficacement les dispositions du Code pénal militaire qui excluent le délit de torture du champ de compétence de la juridiction pénale militaire;

h) D’adopter des mesures efficaces visant à protéger les défenseurs des droits de l’homme contre le harcèlement, les menaces et autres agressions et de donner dans son prochain rapport des renseignements sur les décisions judiciaires et toutes autres mesures qui auront pu être adoptées dans ce sens. Il recommande en outre l’adoption de mesures efficaces pour assurer la protection de l’intégrité physique des membres du pouvoir judiciaire et leur indépendance;

i) D’adopter des mesures efficaces pour améliorer les conditions matérielles dans les établissements de détention et de remédier au surpeuplement actuel;

j) De veiller à ce que les personnes soumises à une forme quelconque d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement soient traitées conformément aux normes internationales, afin d’éviter tout cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants;

k) De donner dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les dispositions en vigueur dans l’ordre juridique interne qui garantissent le non ‑refoulement d’une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture;

l) De faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention et de ratifier le Protocole facultatif à la Convention;

m) De diffuser largement dans l’État partie les conclusions et recommandations du Comité;

n) De faire parvenir au Comité d’ici un an des renseignements sur les mesures concrètes prises pour donner effet aux recommandations formulées aux alinéas  b , d , f , et h .

CROATIE *

70.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Croatie (CAT/C/54/Add.3) à ses 598e et 601e séances, les 6 et 7 mai 2004 (CAT/C/SR.598 et 601), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

71.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la Croatie, tout en notant qu’il n’a pas été établi en totale conformité avec les directives pour l’élaboration des rapports périodiques. Le Comité se félicite toutefois des informations données oralement par la délégation de l’État partie et du dialogue constructif qui a eu lieu pendant l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

72.Le Comité relève avec satisfaction les efforts que l’État partie continue de déployer en vue de réformer sa législation afin de mieux protéger les droits de l’homme, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et notamment:

a)L’adoption en juin 2003 de la loi sur l’asile qui devrait entrer en vigueur en juillet 2004 et qui définit la procédure applicable en matière d’asile dans l’État partie;

b)L’entrée en vigueur en février 2004 de la nouvelle loi sur les étrangers qui comprend une disposition interdisant l’expulsion des personnes qui risqueraient d’être soumises à la torture si elles étaient renvoyées dans leur pays;

c)L’entrée en vigueur en janvier 2001 de la loi sur les forces de police, qui régit l’utilisation des mesures de contrainte, notamment le recours aux armes à feu;

d)L’entrée en vigueur en 2001 de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement, qui régit le traitement des détenus et définit leurs droits.

73.Le Comité se félicite de:

a)La signature en septembre 2003 du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et de l’assurance donnée par le représentant de l’État partie que la ratification de cet instrument est envisagée;

b)La ratification en mai 2001 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

74.Le Comité prend note avec satisfaction de l’assurance donnée par le représentant de l’État partie que la loi d’amnistie de 1996 n’a pas été appliquée aux auteurs d’actes de torture.

75.Le Comité prend également note avec satisfaction de l’assurance donnée par le représentant de l’État partie que chaque détenu dispose d’une surface habitable d’au moins 4 m2.

76.Le Comité se félicite que l’État partie ait adressé aux titulaires de mandat dans le cadre des procédures spéciales de la Commission des droits de l’homme une invitation permanente à se rendre dans le pays.

C. Sujets de préoccupation

77.Le Comité fait part de ses préoccupations sur les points suivants:

a)Concernant les actes de torture et les mauvais traitements qui auraient eu lieu pendant le conflit armé de 1991‑1995 dans l’ancienne Yougoslavie:

i)L’État partie n’aurait pas procédé immédiatement à une enquête approfondie et impartiale, n’aurait pas engagé des poursuites contre les auteurs des actes incriminés ni indemnisé les victimes équitablement et de manière adéquate;

ii)Les prévenus croates auraient été traités de manière plus favorable que les prévenus serbes, à tous les stades de la procédure, lors des procès pour crimes de guerre;

iii)Les témoins et les victimes appelés à témoigner auraient subi des mesures de harcèlement et d’intimidation et reçu des menaces, et la protection offerte par l’État partie aurait été insuffisante;

b)Le fait que, à ce jour, aucun individu n’ait été poursuivi ou condamné pour crime en vertu de l’article 176 du Code pénal, qui incrimine la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

c)Le fait que, selon certaines sources, les personnes privées de liberté n’aient pas rapidement et suffisamment accès à l’assistance d’un avocat et d’un médecin et ne puissent pas communiquer avec leur famille;

d)Concernant les demandeurs d’asile et les immigrants clandestins:

i)Les mauvaises conditions de détention qui règnent au Centre d’accueil pour étrangers de Jezevo, notamment les mauvaises conditions d’hygiène et le peu de possibilités de se distraire;

ii)Les actes de violence qui auraient été commis contre les personnes retenues au Centre d’accueil pour étrangers de Jezevo et le fait que des enquêtes impartiales n’aient pas été immédiatement engagées à ce sujet;

iii)La privation de liberté des demandeurs d’asile et des immigrants clandestins pendant de longues périodes;

e)Le fait que, selon certaines sources, l’État partie n’ait pas traité le problème de la violence et des brimades entre les enfants et les jeunes adultes placés dans des établissements de protection sociale;

f)Le fait que, selon des informations, l’État partie n’ait pas empêché les agressions violentes commises par des personnes n’appartenant pas à l’État à l’encontre de membres de minorités ethniques et autres, et n’ait pas procédé dans les meilleurs délais à une enquête approfondie;

g)Les mauvaises conditions de détention provisoire, les détenus passant jusqu’à 22 heures par jour dans leur cellule sans aucune activité réelle.

D. Recommandations

78. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De prendre des mesures effectives pour que toutes les allégations de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent rapidement l’objet d’une enquête approfondie et impartiale, que les responsables soient poursuivis et punis comme il convient, quelle que soit leur origine ethnique, et que les victimes soient indemnisées de manière équitable et appropriée;

b) De coopérer pleinement avec le Tribunal pénal international pour l’ex ‑Yougoslavie, notamment en veillant à ce que toutes les personnes inculpées se trouvant sur son territoire soient arrêtées et déférées au Tribunal;

c) De veiller à l’application de la législation relative à la protection des témoins et des autres participants aux procès et de veiller à ce que des fonds suffisants soient alloués à la mise en œuvre d’un programme efficace et complet de protection des témoins;

d) De faire en sorte que les juges, les procureurs et les avocats soient parfaitement informés des obligations internationales de la Croatie dans le domaine des droits de l’homme, et en particulier les droits consacrés par la Convention;

e) De prendre des mesures pour garantir dans la pratique le droit de toutes les personnes privées de liberté de consulter rapidement un conseil et un médecin de leur choix, ainsi que de prendre contact avec leur famille;

f) D’adopter toutes les mesures qui s’imposent pour améliorer les conditions matérielles dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et immigrants et de garantir l’intégrité physique et psychologique de tous ceux qui y sont hébergés;

g) De ne pas garder en détention les demandeurs d’asile et les immigrants clandestins pendant de longues périodes;

h) De mettre un terme à la pratique qui consiste à refuser la possibilité de recourir aux procédures d’asile au motif que les autorités ne peuvent pas vérifier l’identité du demandeur d’asile parce que celui ‑ci n’a pas de papiers ou qu’il n’y a pas d’interprètes;

i) De remettre aux demandeurs d’asile, dès leur arrestation ou dès leur arrivée sur le territoire, une brochure rédigée dans les langues voulues, expliquant la procédure d’asile;

j) D’autoriser le Haut ‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à voir librement les demandeurs d’asile, et vice ‑versa. Le Haut ‑Commissariat devrait aussi avoir accès aux dossiers personnels, de façon à pouvoir exercer une surveillance sur l’application des procédures d’asile et veiller au respect des droits des réfugiés et des demandeurs d’asile;

k) D’accroître la protection des enfants et des jeunes adultes placés dans les établissements de protection sociale, notamment en faisant en sorte que les actes de violence soient signalés et fassent l’objet d’une enquête, en apportant aux enfants et aux jeunes adultes ayant des problèmes psychologiques l’appui et les traitements dont ils ont besoin, et en veillant à ce que ces établissements emploient du personnel dûment formé − travailleurs sociaux, psychologues et pédagogues, notamment;

l) D’assurer la protection des minorités, ethniques et autres, en s’attachant par tous les moyens à poursuivre et punir les responsables de tous les actes de violence commis contre les personnes appartenant à des minorités en mettant en place des programmes de sensibilisation, de prévention et de lutte face à cette forme de violence, ainsi qu’en intégrant cette question dans la formation des forces de l’ordre et d’autres groupes professionnels concernés;

m) D’améliorer le régime des activités pour les personnes en détention provisoire, conformément aux normes internationales;

n) De communiquer dans le prochain rapport périodique des renseignements sur les mesures législatives et autres prises pour exercer une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire appliquées aux personnes privées de liberté;

o) De continuer à s’attacher à renforcer les activités d’éducation et de formation aux droits de l’homme concernant l’interdiction de recourir à la torture ou aux mauvais traitements, à l’intention des forces de l’ordre, du personnel médical, des fonctionnaires et des autres personnes susceptibles d’intervenir dans la garde à vue ou l’interrogatoire ou d’être d’une autre manière en rapport avec une personne arrêtée, détenue ou incarcérée;

p) D’inclure dans le prochain rapport périodique des statistiques relatives aux cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants signalés aux autorités administratives, en précisant l’issue des enquêtes. Ces données devraient être ventilées par âge, par sexe, par groupe ethnique et par région notamment, ainsi qu’en fonction du type d’établissement de détention et du lieu où il se trouve. Des informations sur les plaintes et affaires portées devant les tribunaux nationaux devraient aussi être apportées, en indiquant les résultats des enquêtes menées, mais aussi les suites pour les victimes en termes de réparation et d’indemnisation.

79. Il est recommandé également à l’État partie de diffuser largement dans tout le pays les conclusions et recommandations du Comité.

80. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir dans un délai d’un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant au paragraphe 78, alinéas  a , b , f , n et p .

81. Le Comité invite l’État partie à lui soumettre son prochain rapport périodique au plus tard le 7 octobre 2008, date à laquelle le cinquième rapport est attendu. Ce rapport contiendra les quatrième et cinquième rapports.

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE *

82.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la République tchèque (CAT/C/60/Add.1) à ses 594e et 597e séances, tenues les 4 et 5 mai 2004 (CAT/C/SR.594 et 597), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

83.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la République tchèque, qui a été présenté conformément à ses directives, de même que le fait qu’il contienne des informations autocritiques et le dialogue franc et ouvert qui s’est engagé avec l’État partie.

84.Tout en notant que le rapport couvre la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2001, le Comité apprécie la mise à jour communiquée par la délégation tchèque et ses réponses détaillées à la liste des points à traiter et aux questions soulevées par les membres du Comité au cours du dialogue.

B. Aspects positifs

85.Le Comité salue les efforts que l’État partie continue de déployer pour réviser sa législation afin de sauvegarder les droits de l’homme en général et, plus précisément, ceux qui ont trait à la mise en œuvre de la Convention contre la torture. Le Comité accueille avec satisfaction en particulier:

a)Les modifications apportées à la loi no 222/2003 relative au séjour des étrangers, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, créant une instance judiciaire indépendante du second degré pour examiner les dossiers de demandes d’asile;

b)La modification de la loi no 52/2004 relative à l’exécution des peines d’emprisonnement, et de certaines lois connexes, qui définissent des conditions carcérales conformes aux normes requises et offrent une meilleure protection aux détenus;

c)La loi no 257/2000 relative à la probation et à la médiation et à la création d’un service de probation et de médiation qui s’est traduite, entre autres, par une réduction des effectifs des détenus;

d)La loi no 137/2001 relative à la protection spéciale des témoins;

e)Les modifications du Code pénal (no 265/2001) qui confient la direction des enquêtes sur les infractions pénales dont sont soupçonnés les membres de la police au Procureur de l’État et non à l’enquêteur de police, comme c’était le cas auparavant;

f)La mise en place en 2003 d’une stratégie nationale de lutte contre la traite d’êtres humains;

g)L’intention de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention en 2005 et la modification connexe de la loi relative au médiateur approuvée par le Conseil législatif, élargissant les attributions de ce dernier pour lui confier les fonctions du mécanisme national de prévention prévu par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention;

h)La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et les réponses de l’État partie ainsi que l’assurance donnée par ce dernier que des mesures seraient prises comme suite aux recommandations.

C. Sujets de préoccupation

86.Le Comité se déclare préoccupé par:

a)La persistance des actes de violence perpétrés contre les Roms et la réticence dont ferait preuve la police pour ce qui est d’apporter la protection voulue et d’enquêter sur ces actes criminels, malgré les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre de tels actes;

b)L’absence de garanties juridiques expresses du droit qu’ont toutes les personnes privées de liberté d’avoir accès à un avocat et d’informer un proche parent de leur garde à vue dès le début de celle‑ci;

c)Le fait que les mineurs ne sont pas détenus séparément des adultes dans toutes les situations carcérales;

d)Le fait que les personnes en détention provisoire et les condamnés à des peines perpétuelles ne peuvent travailler et restent dans l’oisiveté, sans activité adaptée;

e)Les actes de violence entre prisonniers et l’absence de données statistiques donnant une ventilation selon des indicateurs pertinents, qui permettraient d’en déceler les causes et d’élaborer des stratégies pour prévenir de tels actes et en réduire la fréquence;

f)Le fait que les consultations médicales ne sont pas toujours confidentielles et que les décisions de recourir à la contrainte ne sont pas toujours conformes à la loi ni régulièrement réexaminées;

g)Le système actuel selon lequel les détenus doivent prendre en charge une partie des dépenses liées à leur incarcération;

h)Les conclusions des enquêtes menées sur l’usage excessif de la force par la police à la suite des manifestations qui ont eu lieu à Prague en septembre 2000, pendant la réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, selon lesquelles un seul incident répondait à la qualification d’infraction pénale;

i)Le fait que l’État partie n’ait pas donné d’informations complètes sur les réparations et indemnités accordées aux victimes d’actes de torture ou à leur famille;

j)Les modifications de la loi relative au droit d’asile, qui ont multiplié les motifs de rejet des demandes d’asile et autorisent à détenir dans des centres de rétention pour étrangers, pendant une période pouvant durer jusqu’à 180 jours, les personnes en attente de renvoi, ainsi que les restrictions imposées dans ces centres où les conditions sont comparables à celles régnant dans les prisons;

k)Les allégations concernant certains cas de stérilisation forcée pratiquée à leur insu sur des femmes roms, ainsi que l’incapacité où se trouve le Gouvernement d’enquêter sur ces cas faute d’identification suffisante des plaignants.

D. Recommandations

87. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De déployer des efforts pour lutter contre l’intolérance raciale et la xénophobie et de veiller à ce que la législation antidiscriminatoire détaillée qui est à l’examen vise tous les motifs de discrimination couverts par la Convention;

b) De prendre des mesures pour mettre en place un mécanisme d’examen des plaintes efficace, fiable et indépendant pour procéder immédiatement à des enquêtes impartiales sur toutes les allégations de mauvais traitements ou de torture imputés à la police ou à d’autres agents de l’État, y compris les allégations de violences à caractère racial exercées par des personnes extérieures à l’État, en particulier lorsque ces actes ont entraîné la mort, et d’en punir les auteurs;

c) De redoubler d’efforts pour réduire les cas de mauvais traitements par des agents de police et d’autres agents de l’État, notamment ceux qui sont motivés par l’origine ethnique, et, tout en assurant la protection de la vie privée de la personne, d’élaborer des modalités de collecte de données et de surveillance de la fréquence de tels actes afin de s’attaquer plus efficacement à ce problème;

d) De renforcer les garanties inscrites dans le Code de procédure pénale contre les mauvais traitements et la torture, et de veiller à ce que, dans la loi et dans la pratique, le droit de voir un avocat et d’informer leurs proches soit garanti à toutes les personnes privées de liberté;

e) De veiller à ce que les détenus âgés de moins de 18 ans soient séparés des adultes en toutes circonstances;

f) D’étudier les modalités de mise en place d’activités supplémentaires pour tous les détenus afin de les encourager à s’occuper, et de réduire ainsi les périodes d’oisiveté;

g) De surveiller et recenser les incidents liés à la violence entre prisonniers afin d’en dégager les causes profondes et d’élaborer des stratégies de prévention appropriées. Le Comité invite l’État partie à lui fournir dans son prochain rapport périodique des données à ce sujet, ventilées selon les différents facteurs en cause;

h) De veiller à ce que les examens médicaux soient confidentiels et d’envisager la possibilité de transférer les services médicaux pénitentiaires de la tutelle du Ministère de la justice à celle du Ministère de la santé;

i) De réexaminer les dispositions selon lesquelles les prisonniers doivent prendre en charge une partie des frais d’incarcération, afin d’abolir entièrement cette condition;

j) De veiller à ce que la qualification pénale des actes interdits en vertu de la Convention soit faite par une autorité impartiale afin que soit engagée la procédure appropriée, et de fournir dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les enquêtes pénales sur des actes de torture ou mauvais traitements supposés qui auront été ouvertes conformément à l’article 259 a) du Code pénal;

k) De contrôler l’indépendance et l’efficacité des enquêtes dont ont fait l’objet les plaintes pour usage excessif de la force lors des manifestations qui ont eu lieu en septembre 2000 pendant la Réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, afin de traduire les responsables en justice et d’offrir réparation aux victimes;

l) De faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les indemnités versées aux victimes ou à leur famille conformément à l’article 14 de la Convention;

m) De réexaminer le régime de détention rigoureux imposé aux immigrants sans papiers afin de l’abroger et de veiller à ce que tous les enfants retenus dans ces centres de détention soient transférés avec leurs parents dans des centres d’accueil pour les familles;

n) D’enquêter sur les plaintes déposées pour stérilisation forcée, en s’appuyant sur les dossiers médicaux et personnels, et d’exhorter les plaignants, dans toute la mesure possible, à aider à fournir des preuves à l’appui des allégations;

o) De fournir, dans un délai d’un an, des informations sur la suite donnée aux recommandations formulées par le Comité aux paragraphes a), b), i), k) et m) ci ‑dessus;

p) De diffuser largement les rapports présentés par la République tchèque au Comité ainsi que les conclusions et recommandations adoptées à leur sujet, dans les langues appropriées, via les sites Web officiels, les médias et les organisations non gouvernementales;

q) De présenter son prochain rapport périodique le 31 décembre 2009 au plus tard, date à laquelle le cinquième rapport périodique est attendu. Ce document regrouperait les quatrième et cinquième rapports périodiques.

ALLEMAGNE *

88.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de l’Allemagne (CAT/C/49/Add.4) à ses 600e et 603e séances (CAT/C/SR.600 et 603), tenues les 7 et 10 mai 2004, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

89.Le Comité se félicite du troisième rapport périodique de l’Allemagne mais regrette qu’il ait été présenté avec trois ans de retard. Le rapport est conforme aux directives du Comité; en particulier, il contient des renseignements sur la suite donnée par l’État partie aux précédentes observations finales du Comité. Le Comité prend acte avec satisfaction des réponses complètes apportées par écrit aux questions figurant dans la liste des points à traiter ainsi que des réponses minutieuses à toutes les questions posées oralement. Enfin, le Comité se félicite de ce que l’État partie soit disposé à dialoguer en toute franchise avec le Comité sur toutes les questions que pose l’application de la Convention.

B. Aspects positifs

90.Le Comité note avec satisfaction:

a)Le renforcement par l’État partie de ses moyens institutionnels de protection des droits de l’homme, notamment la création de la Commission des droits de l’homme du Parlement fédéral et la présentation par le Gouvernement fédéral au Parlement fédéral de rapports biennaux nationaux sur les droits de l’homme;

b)La création en mars 2001 de l’Institut allemand des droits de l’homme, organe de coordination compétent pour surveiller la situation dans le domaine des droits de l’homme;

c)La réaffirmation par l’État partie de son attachement au caractère absolu de l’interdiction d’exposer une personne à la torture, y compris dans le contexte du refoulement. À cet égard, le Comité prend note de l’ouverture, récemment, d’une procédure pénale contre un haut responsable de la police de Francfort accusé d’avoir menacé de recourir à la torture. En outre, il constate avec satisfaction que l’État partie a confirmé que l’interdiction du refoulement figurant à l’article 3 de la Convention était applicable en toutes circonstances, y compris lorsqu’un demandeur d’asile s’est vu refuser le statut de réfugié pour des raisons de sécurité;

d)La ferme volonté de l’État partie d’accepter un examen indépendant de la manière dont il s’est acquitté de ses obligations au titre de la Convention, comme en témoigne son acceptation de la compétence du Comité pour examiner des requêtes au titre des articles 21 et 22 de la Convention;

e)Les améliorations sensibles apportées au cours de la période considérée i) aux installations d’accueil des réfugiés à l’aéroport de Francfort; ii) à la procédure utilisée dans cet aéroport pour déterminer le statut de réfugié; et iii) aux méthodes employées dans le cadre du renvoi des demandeurs d’asile déboutés par la voie aérienne;

f)L’adoption par l’État partie de textes de loi pour appliquer le Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui couvrent tous les crimes au regard du droit international, y compris la torture dans le contexte du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité;

g)La prise en compte par l’État partie des questions relatives à la torture et autres actes contraires à la Convention commis par des entités non étatiques − auxquelles s’applique la Convention −, dans le cadre des procédures d’asile et d’expulsion, et le fait que, selon la jurisprudence fédérale, des plaintes individuelles pour mauvais traitements peuvent également être formulées lorsqu’une personne est originaire d’un pays tiers «sûr»;

h)L’initiative prise par l’État partie pour que soit nommé un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de l’ONU sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

C. Sujets de préoccupation

91.Le Comité est préoccupé par:

a)Le temps considérable mis pour mener à terme les procédures pénales engagées à la suite d’allégations de mauvais traitements infligés à des personnes placées sous la garde de représentants de la force publique, notamment dans des cas particulièrement graves où la victime a perdu la vie, comme celui d’Amir Ageeb, qui est décédé en mai 1999;

b)Certaines allégations selon lesquelles des accusations pénales ont été portées, à des fins punitives et dissuasives, par des représentants de la force publique contre des personnes qui avaient formulé des allégations de mauvais traitements contre des organes chargés d’appliquer la loi;

c)Le fait que, dans de nombreux domaines visés par la Convention, l’État partie n’a pas été en mesure de fournir des statistiques ou de ventiler comme il convient celles dont il disposait, comme cela a été le cas au cours des échanges avec l’État partie en ce qui concerne par exemple l’engagement de poursuites, les cas présumés de fausses allégations de mauvais traitements, les cas de contre‑accusations portées par les autorités chargées d’appliquer la loi, les données concernant les auteurs d’infractions et les victimes et les détails factuels des accusations de mauvais traitements;

d)Le fait qu’en raison de ce qui est perçu comme des difficultés constitutionnelles découlant de la séparation des pouvoirs entre les autorités fédérales et les Länder, les mesures prises au niveau fédéral pour assurer le respect de la Convention ne sont pas applicables aux activités relevant des Länder. À cet égard, alors qu’elles régissent les expulsions effectuées par la police des frontières fédérale, les règles fédérales détaillées concernant le renvoi des demandeurs d’asile déboutés par la voie aérienne ne sont pas applicables à ces opérations lorsqu’elles sont effectuées par les Länder;

e)Le contrôle juridique des sociétés privées utilisées pour assurer la sécurité dans certains locaux de détention à l’aéroport international de Francfort‑sur‑le‑Main et la formation dispensée à leur personnel.

D. Recommandations

92. Le Comité recommande que l’État partie:

a) Prenne toutes les mesures voulues pour faire en sorte que les plaintes pénales déposées contre les autorités chargées d’appliquer la loi soient traitées diligemment pour qu’il soit possible de se prononcer rapidement sur les allégations formulées et éviter toute inférence d’impunité, y compris dans les cas où des contre ‑accusations ont été portées;

b) Crée un centre de regroupement à l’échelle nationale des données et informations statistiques sur les domaines visés par la Convention, demande de telles données et informations aux autorités des Länder ou prenne toute autre mesure nécessaire pour assurer que les autorités ainsi que le Comité disposent de toutes ces données et informations lorsqu’ils examinent la manière dont l’État partie s’est acquitté de ses obligations au titre de la Convention;

c) Prenne des mesures vis ‑à ‑vis des autorités des Länder pour faire en sorte qu’elles adoptent et appliquent toutes les dispositions qui ont contribué au niveau fédéral à améliorer le respect de la Convention, telles que les règles fédérales sur le renvoi forcé par la voie aérienne;

d) Regroupe toutes ses dispositions pénales relatives à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

e) Indique au Comité combien de cas d’extradition ou de renvoi subordonné à l’obtention d’assurances ou de garanties diplomatiques ont été recensés depuis le 11 septembre 2001, quelles sont les exigences minimales de l’État partie en ce qui concerne l’étendue de ces assurances ou garanties et quelles sont les mesures de suivi qu’il a prises dans de tels cas;

f) Explique au Comité i) si tous les moyens de porter plainte et les voies de recours judiciaire (y compris par le biais de la reconnaissance par l’État de sa responsabilité pour les actes de ses agents) dont il est possible de se prévaloir contre les autorités chargées d’appliquer la loi concernent aussi les employés des sociétés privées engagées par l’État pour maintenir la sécurité; et ii) quel type de formation est fourni à ces employés sur les questions visées par la Convention;

g) Assure systématiquement des examens médicaux à la fois avant chaque renvoi par la voie aérienne et, le cas échéant, après l’échec d’un tel renvoi;

h) Songe à utiliser davantage les mécanismes d’extradition prévus dans la Convention en ce qui concerne les ressortissants allemands qui sont accusés d’actes de torture commis à l’étranger ou dont des ressortissants allemands auraient été victimes, ou d’être complices dans de tels actes;

i) Fasse tout ce qui est nécessaire pour ratifier le Protocole facultatif à la Convention.

93. Le Comité demande à l’État partie de lui présenter, dans un délai d’un an, des informations sur la suite donnée à ses recommandations figurant aux alinéas  a , b , e et f du paragraphe 92 ci ‑dessus.

94. Sachant que l’Allemagne a fourni des renseignements sur l’application de la Convention au cours de la période couverte par les troisième et quatrième rapports périodiques, le Comité recommande à l’État partie de présenter son cinquième rapport périodique le 30 octobre 2007.

LETTONIE *

95.Le Comité a examiné le rapport initial de la Lettonie (CAT/C/21/Add.4) à ses 579e et 582e séances, les 13 et 14 novembre 2003 (CAT/C/SR.579 et 582), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

96.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la Lettonie, établi conformément aux directives concernant la forme et le contenu des rapports initiaux des États parties. Il regrette toutefois que ce rapport, qui devait être présenté le 13 mai 1993, ait été soumis avec neuf ans de retard. À ce propos, le Comité reconnaît les difficultés qu’a rencontrées l’État partie au cours de sa transition politique et économique et espère qu’à l’avenir il s’acquittera pleinement des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19 de la Convention.

97.Le Comité prend aussi note avec satisfaction des renseignements complémentaires écrits fournis par l’État partie et de ceux que la délégation de haut niveau a apportés dans ses remarques préliminaires et dans les réponses détaillées données aux questions posées, qui démontrent la volonté de l’État partie d’établir avec le Comité un dialogue ouvert et fructueux.

B. Aspects positifs

98.Le Comité relève avec satisfaction les efforts que l’État partie continue de déployer en vue de renforcer le respect des droits de l’homme en Lettonie. En particulier, il se félicite des mesures suivantes:

a)Mesures législatives:

i)La création en 1996 de la Cour constitutionnelle et l’inclusion dans la Constitution du chapitre VIII consacré aux droits de l’homme fondamentaux;

ii)La création en 1995 du Bureau national des droits de l’homme, qui a notamment pour mandat d’examiner les plaintes relatives à des violations des droits de l’homme et de porter à l’attention de la Cour constitutionnelle les dispositions législatives qu’il estime contraires à la Constitution;

iii)L’entrée en vigueur en septembre 2002 de la nouvelle loi sur l’asile, qui vise à mieux aligner le système national d’asile sur l’acquis de l’Union européenne en matière d’asile et les normes internationales applicables. La nouvelle loi sur l’asile prévoit aussi deux nouvelles formes de protection complémentaires («nouveau statut») pour les demandeurs d’asile;

iv)L’entrée en vigueur en mai 2003 d’une nouvelle loi sur l’immigration, qui prévoit notamment une durée maximale de détention pour les étrangers en infraction au regard de la loi sur l’immigration ainsi que le droit de l’étranger en état d’arrestation de porter plainte devant un procureur, de se mettre en rapport avec son consulat et de bénéficier de l’aide judiciaire.

v)L’entrée en vigueur de la nouvelle loi pénale, qui introduit la notion d’exécution progressive des peines et prévoit des peines de substitution à l’emprisonnement, en vue de réduire la surpopulation carcérale;

vi)Le projet de nouvelle loi de procédure pénale visant à simplifier les procédures qui, entre autres dispositions, ramènerait de 72 à 48 heures le délai dans lequel le suspect doit être déféré devant le juge;

vii)Le projet de nouvelle loi d’amnistie, prévoyant la remise en liberté ou la réduction de la durée d’emprisonnement pour certains groupes à risque, tels que les mineurs, les femmes enceintes, les femmes ayant des enfants en bas âge, les handicapés et les personnes âgées.

b)Mesures administratives:

i)L’adoption en 2002 des règles relatives au règlement intérieur des établissements de détention, fixant les normes en matière de conditions de détention et de droits et devoirs fondamentaux des détenus;

ii)La réforme, en novembre 2003, de toutes les prisons lettones, désormais surveillées par des gardiens professionnels qualifiés;

iii)La mise en place de programmes de formation, conformément à l’article 10 de la Convention, à l’intention des personnels policier et judiciaire.

99.En outre, le Comité relève avec satisfaction:

a)La participation des ONG et de la société civile à l’établissement du rapport initial de la Lettonie;

b)Le lancement d’un nouveau projet associant les ONG à la surveillance de lieux de détention en Lettonie.

C. Sujets de préoccupation

100.Le Comité fait part de ses préoccupations sur les points suivants:

a)Les allégations de mauvais traitements graves, pouvant dans certains cas être considérés comme des tortures, infligés par des membres des forces de l’ordre, en particulier pendant l’arrestation et l’interrogatoire des suspects;

b)Le manque d’indépendance et d’impartialité du Bureau de la sécurité intérieure de la police d’État, compétent pour examiner les plaintes faisant état de violences imputées à des policiers;

c)Les conditions de détention dans les lieux de détention, en particulier les postes de police et les cellules d’isolement de courte durée;

d)La lenteur des procédures judiciaires et la durée excessive de la détention avant jugement, en particulier dans les cellules d’isolement de courte durée;

e)Le fait que selon la nouvelle loi sur l’asile, aucune des deux formes de «nouveau statut» réservées aux demandeurs d’asile ne sera accordée à une personne qui arrive en Lettonie en provenance d’un pays où elle aurait pu demander et recevoir une protection. De plus, le Comité est préoccupé par la durée trop longue pendant laquelle les demandeurs d’asile peuvent rester détenus après le rejet de leur demande d’asile;

f)La surpopulation dans les prisons et autres lieux de détention, compte tenu notamment du risque potentiel de propagation de maladies contagieuses;

g)Le fait que, même si le projet de nouvelle loi de procédure pénale tend à corriger un grand nombre de ses carences, la loi en vigueur ne prévoit pas le droit du détenu de se mettre en rapport avec les membres de sa famille. Le Comité est également préoccupé d’apprendre que le détenu ne peut être examiné par un médecin de son choix que sous réserve de l’approbation des autorités;

h)Les allégations selon lesquelles, dans de nombreux cas, et contrairement aux dispositions applicables, on refuse aux personnes en garde à vue la possibilité d’être assistées d’un avocat, ou on ne la leur accorde qu’après un certain temps, et selon lesquelles les prévenus doivent rembourser l’aide judiciaire en cas de condamnation;

i)Le nombre de personnes qui ont perdu leur statut juridique en tant que nationaux ou «non‑nationaux» et sont donc entrés dans l’illégalité, après avoir temporairement quitté le pays.

D. Recommandations

101. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De prendre toutes les mesures appropriées pour empêcher les actes de mauvais traitements par les membres des forces de l’ordre et veiller à ce que toutes les plaintes à ce sujet fassent l’objet d’une enquête rapide et impartiale;

b) D’améliorer les conditions de détention, en particulier dans les postes de police et les cellules d’isolement de courte durée, et de veiller à leur conformité aux normes internationales;

c) De veiller à ce que les personnes en garde à vue aient la possibilité de se mettre en rapport avec leur famille, de se faire examiner par un médecin de leur choix et de communiquer avec un avocat dès le début de la détention;

d) De prendre toutes les mesures appropriées pour réduire la durée des procédures et de la détention avant jugement;

e) De fixer des durées maximales obligatoires à la détention des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée et qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion. À ce sujet, l’État partie est invité à fournir des statistiques relatives aux personnes en attente d’expulsion, ventilées par sexe, par groupe ethnique, par pays d’origine et par âge;

f) De continuer à prendre des mesures pour lutter contre la surpopulation dans les prisons et les autres lieux de détention;

g) De communiquer dans le prochain rapport périodique des statistiques détaillées, ventilées par âge, par sexe et par pays d’origine sur les plaintes pour actes de torture et autres mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, ainsi que sur les enquêtes, poursuites, condamnations pénales et mesures disciplinaires qui en ont résulté;

h) De faire en sorte que le projet de code de conduite pour les interrogatoires de police («code d’éthique policière») soit adopté rapidement;

i) De prendre des mesures pour que le crime de torture figure expressément parmi les infractions pour lesquelles, selon l’article 34 de la loi pénale, le fait d’exécuter un ordre, quelles que soient les circonstances, ne peut pas être invoqué comme cause d’exonération de responsabilité;

j) De continuer à faciliter l’intégration et la naturalisation des «non ‑nationaux»;

k) De songer à faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention;

l) De songer à ratifier le Protocole facultatif à la Convention.

102. Le Comité recommande également à l’État partie de diffuser largement ses conclusions et recommandations, dans toutes les langues appropriées, par l’intermédiaire de sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

103. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux alinéas  e , f , g , h et i du paragraphe 101 ci ‑dessus.

104. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, au plus tard le 13 mai 2005.

LITUANIE *

105.Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de la Lituanie (CAT/C/37/Add.5) à ses 584e et 587e séances, les 17 et 19 novembre 2003 (CAT/C/SR.584 et 587) et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

106.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la Lituanie et les renseignements complémentaires apportés par la délégation de haut niveau.

107.Le rapport, qui traite surtout des dispositions législatives et ne donne pas de renseignements détaillés sur l’application concrète de la Convention ni de données statistiques, n’est pas totalement conforme aux directives du Comité concernant l’établissement de rapports.

B. Aspects positifs

108.Le Comité se félicite des efforts que l’État partie continue de déployer pour procéder à la réforme de son système juridique et à la révision de sa législation afin d’assurer la protection des droits fondamentaux, y compris le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment de:

a)L’adoption d’un nouveau Code pénal et d’un nouveau Code de procédure pénale qui interdisent le recours à la violence, à l’intimidation, aux traitements dégradants ou portant atteinte à la santé de l’individu, ainsi que d’un Code de l’application des peines, qui sont tous les trois entrés en vigueur le 1er mai 2003;

b)La promulgation de l’ordonnance no 96 du Procureur général (8 juin 2001), relative à la surveillance exercée pour garantir la protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants des personnes détenues et arrêtées;

c)L’adoption, le 21 mai 2002, de la loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes illégaux commis par des institutions dépositaires de l’autorité publique;

d)La loi portant création des tribunaux administratifs (1999) qui prévoit l’examen de plaintes dénonçant des actes, actions ou omissions d’agents de l’État;

e)Le transfert de la responsabilité de la répression des infractions pénales du Ministère de l’intérieur au Ministère de la justice, en vertu de la loi no VIII‑1631 du 18 avril 2000;

f)La ratification par l’État partie de plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme, en particulier de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et la coopération sans faille avec le Comité européen pour la prévention de la torture;

g)La ratification en 2003 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;

h)L’élaboration d’un plan d’action national pour les droits de l’homme, approuvé par la décision du Parlement de Lituanie no IX‑1185, en date du 7 novembre 2002;

i)La mise en place de structures institutionnelles pour la défense des droits de l’homme, en particulier le médiateur parlementaire, le médiateur pour l’égalité des chances entre hommes et femmes et le médiateur pour la protection des droits de l’enfant;

j)La création du service de protection des témoins et des victimes au Département de la police;

k)Les mesures prises pour réduire le surpeuplement carcéral, notamment l’introduction dans le nouveau Code pénal d’un acte délictueux puni de peines non privatives de liberté.

C. Sujets de préoccupation

109.Le Comité se déclare préoccupé par les éléments suivants:

a)L’absence dans la législation nationale d’une définition complète de la torture telle qu’elle figure à l’article premier de la Convention et d’un délit spécifique de torture (art. 4);

b)Le fait que dans la pratique les personnes en détention ou en état d’arrestation n’aient pas accès, dès le début de la détention, à un avocat, à un médecin indépendant ou aux membres de leur famille;

c)Les allégations faisant état de mauvais traitements pendant la garde à vue, traitements qui peuvent représenter des tortures, en particulier les mauvais traitements infligés pendant les interrogatoires de police;

d)Les procédures suivies pour l’expulsion des étrangers qui peuvent, dans certains cas, constituer une violation de l’article 3; les conditions qui règnent dans les locaux où les étrangers en attente d’expulsion sont retenus et l’absence de données renseignant sur l’âge, le sexe et le pays de renvoi des étrangers ou des apatrides expulsés, plus précisément ceux qui sont retenus au Centre d’enregistrement des étrangers;

e)La forte augmentation du nombre de plaintes dénonçant les traitements infligés aux détenus par la police (augmentation qui s’explique largement par la plus grande confidentialité de la procédure de dépôt de plaintes obtenue grâce aux efforts de l’État partie) et le fait que, d’après l’État partie, près de la moitié de ces plaintes aient été jugées fondées. Le Comité s’inquiète de plus de ce que les enquêtes portant sur les plaintes contre des agents de la force publique ne soient pas menées par un organe indépendant à l’égard de la police;

f)Les informations selon lesquelles certains avocats commis d’office ne se soucient guère de la façon dont leurs clients sont traités en détention;

g)L’absence de renseignements sur l’indemnisation et les mesures de réadaptation assurées aux victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements;

h)Les mauvaises conditions dans les lieux de détention, comme le reconnaît l’État partie lui‑même, et le fait, relevé par le Comité européen de prévention de la torture, que certains prisonniers vivent dans la crainte de subir des violences de la part d’autres détenus;

i)Le manque de renseignements sur les allégations de brutalités commises contre les conscrits dans l’armée.

D. Recommandations

110. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments figurant à l’article premier de la Convention et d’introduire dans le Code pénal un délit de torture qualifié de façon à correspondre clairement à la définition;

b) De veiller à ce que toutes les personnes en état d’arrestation ou en détention aient immédiatement la possibilité de voir un médecin et un avocat ainsi que la possibilité de prendre contact avec leur famille à tous les stades de la détention (art. 2);

c) De prendre toutes les mesures voulues pour empêcher les actes de torture et de mauvais traitements, notamment en:

i) Veillant à ce que tous les personnels de santé reçoivent une formation leur permettant de déceler les signes de torture physique et psychique;

ii) Soulignant l’importance de donner aux membres du personnel pénitentiaire une formation pour établir une bonne communication entre eux et avec les détenus, ce qui permettrait de moins recourir aux mesures interdites de coercition physique et de diminuer la violence entre détenus;

iii) Prenant d’autres mesures appropriées pour empêcher les membres des forces de l’ordre de commettre des actes de mauvais traitements et pour mettre en place un système d’enquête totalement indépendant et impartial;

d) De veiller à ce que dans la pratique les actions du procureur fassent l’objet d’un contrôle afin que toute personne qui affirme avoir subi des mauvais traitements ou des tortures ou qui a besoin d’un examen médical puisse être autorisée par le procureur à être vue par un médecin à sa demande et non pas exclusivement sur ordre d’un fonctionnaire;

e) De prendre d’urgence des mesures effectives pour mettre en place un mécanisme de plaintes totalement indépendant, de veiller à ce que des enquêtes impartiales et complètes soient rapidement ouvertes pour faire la lumière sur les nombreuses allégations de torture portées à la connaissance des autorités et pour que les responsables soient poursuivis et si nécessaire punis;

f) De veiller à ce que les officiers de l’armée ouvrent rapidement des enquêtes chaque fois qu’ils ont connaissance d’actes de brutalité sur la personne d’un conscrit, qui pourraient représenter des mauvais traitements ou des tortures et mènent avec équité et impartialité des enquêtes sur toute autre information faisant état de violations, et de garantir que les auteurs répondent de leurs actes;

g) De veiller à ce que les autorités compétentes respectent strictement l’article 3 de la Convention et n’expulsent, ne refoulent et n’extradent pas une personne vers un État où elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité invite instamment l’État partie à redoubler d’efforts pour que les installations de rétention des étrangers satisfassent aux normes internationales et le prie de lui apporter des données désagrégées à ce sujet;

h) De poursuivre ses efforts pour assurer un système efficace d’aide juridictionnelle, notamment en finançant sur les fonds publics les cabinets d’avocats de la défense, en leur garantissant une rémunération suffisante et en associant le barreau à la désignation des avocats;

i) De donner des renseignements sur les possibilités de réparation et de réadaptation offertes aux victimes de torture et d’autres formes de traitements ou de peines cruels, inhumains et dégradants;

j) De continuer à prendre des mesures pour améliorer les conditions de détention dans les centres de détention provisoire et dans les établissements pour peines;

k) De songer à faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention et de songer à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention;

l) D’envisager de consulter les organisations non gouvernementales et les organisations de la société civile pour l’établissement de toutes les parties du prochain rapport périodique.

111. Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par type de délit, lieu géographique, groupe ethnique et sexe, sur les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, sur la nature des affaires dans lesquelles la police et d’autres personnels des forces de l’ordre ont été accusés d’infraction en relation avec les actes de torture et sur l’aboutissement de ces affaires, y compris les cas où la plainte a été rejetée par le tribunal, ainsi que sur l’indemnisation et la réadaptation assurées aux victimes le cas échéant.

112. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir d’ici un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux alinéas  d , e et f du paragraphe 110 ci ‑dessus.

113. Le Comité demande à l’État partie d’assurer une large diffusion dans le pays à ses conclusions et recommandations et aux comptes rendus des séances consacrées à l’examen du rapport initial, notamment à l’intention des agents des forces de l’ordre, en les faisant publier par les médias ainsi qu’en faisant appel aux organisations non gouvernementales pour qu’elles les diffusent et les fassent connaître.

MONACO *

114.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de Monaco (CAT/C/38/Add.2) à ses 596e, 599e et 609e séances (CAT/C/SR.596, 599 et 609), tenues les 5, 6 et 13 mai 2004, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

115.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport de Monaco, qui se conforme de façon générale aux directives du Comité. Il relève toutefois que le rapport a été soumis avec cinq ans de retard, et comporte peu d’informations relatives à l’application concrète de la Convention. Le Comité se félicite de la présence d’une délégation de haut niveau, qui a répondu de façon précise aux questions posées et a fait preuve d’un esprit de franche collaboration.

B. Aspects positifs

116.Le Comité note avec satisfaction:

a)L’absence d’allégations de violations de la Convention par l’État partie;

b)Le processus en cours d’adhésion au Conseil de l’Europe;

c)La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, en vue d’une harmonisation avec les normes européennes relatives aux droits de l’homme;

d)Les contributions faites chaque année depuis 1994 au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

C. Sujets de préoccupation

117.Le Comité se déclare préoccupé par:

a)L’absence en droit pénal d’une définition de la torture reprenant l’ensemble des éléments constitutifs figurant à l’article premier de la Convention;

b)L’absence de dispositions interdisant expressément d’invoquer des circonstances exceptionnelles ou l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique pour justifier la torture;

c)La faiblesse des garanties entourant l’expulsion et le refoulement d’étrangers, dans la mesure où aucune clause de non‑refoulement répondant aux exigences de l’article 3 de la Convention ne semble exister pour ces situations en droit interne, et où les recours auprès du Tribunal suprême n’ont pas de caractère suspensif automatique;

d)Le champ d’application réduit des articles 228 et 278 du Code pénal, qui ne répondent pas pleinement aux exigences de l’article 4 de la Convention, en ce qu’ils concernent uniquement les assassinats commis au moyen de torture ou accompagnés d’actes de cruauté, et les tortures commises dans le cadre d’arrestations illégales ou de séquestration de personnes;

e)Le fait que les personnes gardées à vue n’ont pas droit à l’assistance d’un avocat, cette assistance n’étant prévue qu’à compter de la première comparution devant le juge d’instruction, et qu’elles ne peuvent informer leurs proches de leur détention que sur autorisation de ce juge;

f)L’absence de dispositions prévoyant expressément un registre relatif aux personnes retenues dans les locaux de police, même si de tels registres existent en pratique;

g)L’absence d’un mécanisme chargé du suivi du traitement et des conditions matérielles de détention des personnes de nationalité étrangère condamnées par les juridictions monégasques à des peines de longue durée, et placées dans les établissements pénitentiaires français.

D. Recommandations

118. Le Comité recommande que l’État partie:

a) Introduise en droit pénal interne une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention;

b) Introduise dans son droit interne une disposition interdisant d’invoquer des circonstances exceptionnelles ou l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique pour justifier la torture;

c) Respecte le principe énoncé à l’article 3 de la Convention, y compris dans les cas d’expulsion et de refoulement des étrangers, et confère un caractère suspensif automatique aux recours contre les décisions d’éloignement invoquant des risques de torture dans les pays de destination. Le Comité, notant que l’expulsion et le refoulement sont exclusivement opérés vers la France, rappelle que l’État partie doit s’assurer qu’aucun renvoi ne sera opéré vers un pays tiers où des risques de torture sont encourus;

d) Garantisse le droit des personnes gardées à vue d’accéder à un avocat de leur choix et d’informer leurs proches dans les premières heures de la détention;

e) Réglemente l’utilisation des registres dans les locaux de police conformément aux instruments internationaux pertinents, notamment l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement;

f) Assure le suivi du traitement et des conditions matérielles de détention des prisonniers dans les établissements pénitentiaires français;

g) Songe à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les objectifs de prévention sont très importants.

119. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen du deuxième rapport périodique de l’État partie, soient largement diffusés dans le pays.

120. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui ‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux alinéas  c , d et f du paragraphe 118 ci ‑dessus.

121. Le Comité, considérant que le deuxième rapport périodique de Monaco couvre également le troisième rapport dû le 4 janvier 2001, demande à l’État partie de soumettre ses quatrième et cinquième rapports, en un seul document, le 4 janvier 2009.

MAROC *

122.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Maroc (CAT/C/66/Add.1 et Corr.1), ainsi que les informations orales complémentaires présentées par la délégation de l’État partie, lors de ses 577e, 580e et 589e séances (CAT/C/SR.577, 580 et 589), tenues les 12, 13 et 20 novembre 2003, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

123.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique du Maroc, qui lui a apporté des informations détaillées sur les efforts entrepris depuis l’examen du deuxième rapport en 1999 par l’État partie pour mettre en œuvre la Convention, ainsi que les renseignements fournis oralement par la délégation marocaine, qui a apporté des informations utiles concernant des mesures de mise en œuvre de la Convention survenues depuis la soumission du troisième rapport, le 23 mars 2003. Le Comité remercie la délégation pour le dialogue franc et constructif noué avec lui.

124.Le troisième rapport a été soumis avec un léger retard, puisqu’il était prévu pour 2002. Il n’était pas tout à fait conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques, notamment en ce qu’il n’a pas consacré une partie aux mesures prises pour tenir compte des conclusions et recommandations précédemment formulées par le Comité.

B. Aspects positifs

125.Le Comité prend note des faits nouveaux positifs ci‑après:

a)La déclaration par la délégation de l’État partie de l’intention du pouvoir exécutif, au plus haut niveau, ainsi que du pouvoir législatif, d’appliquer la Convention, qui est d’applicabilité directe au Maroc, et d’adopter des mesures institutionnelles, normatives et éducationnelles, en consultation avec des associations locales et internationales, de développer la coopération technique en matière de droits de l’homme avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et avec des organisations non gouvernementales (ONG); cette volonté politique s’est aussi manifesté par la libération de prisonniers politiques, dont un groupe de 56, en novembre 2002, et par l’indemnisation de victimes;

b)L’élargissement du mandat du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), la création d’un «médiateur», le Diwan Al Madhalim, chargé d’examiner les cas de violations des droits de l’homme qui lui sont soumis, de présenter aux autorités compétentes les propositions et recommandations qui s’imposent; la création de la Fondation Mohamed VI pour la réinsertion des détenus, qui est présidée par le Roi lui‑même; la création du Centre de documentation, d’information et de formation en droits de l’homme; la réforme des prisons, notamment par l’adoption de mesures en faveur des personnes soumises à toute forme de détention ou d’emprisonnement, notamment au profit des mineurs dans les Centres de sauvegarde de l’enfance, et par la mise en place de mesures garantissant des soins médicaux et une formation pour les détenus et prisonniers;

c)La réforme importante de la législation pertinente engagée par l’État partie, notamment du Code de procédure pénale et le projet de réforme du Code pénal, en consultation avec le CCDH et les associations compétentes en matière de droits de l’homme, en ce qu’elle consacre la présomption d’innocence, le droit à un jugement équitable, le droit de faire appel et la prise en considération de besoins spécifiques des femmes et des mineurs;

d)Des efforts remarquables de développement de la formation et de l’éducation en matière de droits de l’homme, notamment l’organisation par le Centre de documentation, d’information et de formation en droits de l’homme de formations à l’intention de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, ainsi que de professionnels en charge de la médecine carcérale et de la médecine légale;

e)L’accès accordé aux ONG locales indépendantes pour visiter les détenus et prisonniers;

f)Le versement d’indemnités, suite aux recommandations de la Commission d’arbitrage indépendante pour l’indemnisation des préjudices matériel et moral subis par les victimes de disparition et de détention arbitraire et leurs ayants droit, instituée auprès du CCDH;

g)L’assurance que l’État partie donnera suite aux recommandations et préoccupations formulées par le Comité.

C. Sujets de préoccupation

126.Le Comité est préoccupé par les questions suivantes:

a)L’absence d’information sur l’application complète de l’article 2 de la Convention, notamment dans les hypothèses prévues par les alinéas 2 et 3 relatifs à des circonstances exceptionnelles et à l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique, comme cause d’exonération de la responsabilité pénale;

b)L’extension considérable du délai de garde à vue, période pendant laquelle le risque de torture est le plus grand, tant dans le droit pénal général que dans la loi antiterroriste, qui est intervenue postérieurement à l’examen du deuxième rapport périodique;

c)L’absence, pendant la période de garde à vue, de garanties assurant un accès rapide et approprié à un avocat et à un médecin, ainsi qu’à un membre de la famille des personnes gardées à vue;

d)L’accroissement, selon certaines informations, du nombre d’arrestations pour des motifs politiques pendant la période examinée, ainsi que l’accroissement du nombre de détenus et de prisonniers en général, y compris de prisonniers politiques, et l’accroissement du nombre d’allégations de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, impliquant la Direction de la surveillance du territoire (DST);

e)Le manque d’information sur les mesures prises par les autorités judiciaires, administratives et autres pour donner suite aux plaintes et procéder à des enquêtes, inculpations, procès et jugements contre des auteurs d’actes de torture, notamment dans le cas des actes de torture vérifiés par la Commission d’arbitrage indépendante pour l’indemnisation des préjudices matériel et moral subis par les victimes de disparition et de détention arbitraire et leurs ayants droit;

f)L’application aux actes de torture du délai de prescription prévu par le droit commun, qui priverait les victimes de leur droit imprescriptible à engager une action;

g)L’absence d’une disposition de droit pénal interdisant que toute déclaration obtenue sous la torture soit invoquée comme un élément de preuve dans une procédure;

h)Le nombre de morts en prison;

i)Le surpeuplement dans les prisons et les allégations de coups et de violences entre prisonniers.

D. Recommandations

127. Le Comité recommande à l’État partie:

a) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, de prévoir une définition de la torture strictement conforme aux dispositions des articles 1 et 4 de la Convention;

b) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, de prohiber clairement tout acte de torture, même en cas de circonstances exceptionnelles ou si un ordre a été reçu d’un supérieur ou d’une autorité publique;

c) De limiter au strict minimum le délai de garde à vue et de garantir le droit des personnes gardées à vue d’avoir rapidement accès à un avocat, un médecin et un membre de leur famille;

d) D’inclure dans le Code de procédure pénale des dispositions organisant pour toute personne victime d’un acte de torture son droit imprescriptible à engager une action contre tout tortionnaire;

e) De prendre toutes mesures effectives nécessaires pour éliminer l’impunité des agents de l’État responsables de tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants;

f) De veiller à ce que toutes les allégations de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies, notamment les allégations portant sur des cas et situations vérifiés par la Commission d’arbitrage indépendante précitée, et les allégations impliquant la DST dans des actes

de torture; de veiller à ce que des sanctions appropriées soient appliquées aux coupables et que des réparations justes soient accordées aux victimes;

g) D’informer le Comité des résultats des enquêtes impartiales menées à la suite de toute mort en garde à vue, détention ou prison, en particulier celles dont il est allégué qu’elles sont le résultat de tortures;

h) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, d’intégrer une disposition interdisant que toute déclaration obtenue sous la torture soit invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, conformément à l’article 15 de la Convention;

i) De lever la réserve faite à l’article 20 et de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention;

j) De consacrer une partie de son prochain rapport périodique aux mesures prises pour tenir compte des conclusions et recommandations formulées par le Comité;

k) De fournir dans son prochain rapport périodique des informations statistiques ventilées, notamment par type d’infraction, âge et sexe de la victime, et qualité de l’auteur de l’infraction, sur les plaintes pour actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par des agents de l’État, et les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires qui s’en sont suivi. L’État partie devrait également fournir des informations sur les résultats de toute inspection de tout lieu de détention, et sur les mesures prises par les autorités pour trouver des solutions aux problèmes du surpeuplement des prisons et les suites données aux allégations de violence entre prisonniers.

128. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, soient largement diffusés dans le pays dans les langues appropriées.

129. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui ‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux alinéas  c , f et g du paragraphe 127 ci ‑dessus.

NOUVELLE ‑ZÉLANDE *

130.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de la Nouvelle‑Zélande (CAT/C/49/Add.3) à ses 604e, 607e et 616e séances, tenues les 11, 12 et 19 mai 2004 (voir les documents CAT/C/SR.604, 607 et 616), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

131.Le Comité se félicite du troisième rapport périodique de la Nouvelle‑Zélande, qui a été établi conformément à ses directives. Il note cependant que le rapport a été présenté avec trois ans de retard.

132.Le Comité prend acte avec satisfaction des renseignements complémentaires fournis par écrit et oralement ainsi que de la présence d’une délégation de haut niveau, qui montre que l’État partie est disposé à poursuivre un dialogue franc et fructueux avec le Comité.

B. Aspects positifs

133.Le Comité note avec satisfaction:

a)L’adoption de la loi sur l’extradition de 1999 en réponse aux recommandations faites précédemment par le Comité;

b)Les activités de coopération entreprises avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et la volonté de l’État partie de se conformer à ses directives et recommandations;

c)Le fait que le Centre d’accueil de Mangere peut être considéré davantage comme un centre ouvert qu’un centre de détention;

d)Le plan d’assistance juridique aux personnes en garde à vue qui permet de fournir une aide juridique initiale gratuite à ces personnes;

e)Les changements d’ordre législatif et administratif qui renforcent le respect des dispositions de la Convention, en particulier l’adoption du Protocole de 2000 conclu entre le Département pénitentiaire et le Bureau du Médiateur, de l’amendement de 1998 à la loi sur l’entraide en matière pénale et de la loi sur les crimes internationaux et la Cour pénale internationale de 2000;

f)Les mesures prises pour améliorer l’efficacité et renforcer l’indépendance de l’autorité chargée des plaintes contre la police;

g)Les efforts entrepris pour promouvoir de bonnes relations entre la police et les Maoris;

h)Les efforts entrepris pour mettre en place de nouveaux établissements pour les enfants, les jeunes et les familles;

i)L’élaboration en cours d’un plan d’action national sur les droits de l’homme par la Commission des droits de l’homme;

j)L’intention déclarée de retirer les réserves à la Convention contre la torture et à la Convention relative aux droits de l’enfant et de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

C. Sujets de préoccupation

134.Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait que la législation relative à l’immigration n’incorpore pas l’obligation de non‑refoulement prévue à l’article 3 de la Convention;

b)La baisse sensible du pourcentage de demandeurs d’asile qui sont immédiatement libérés sans restriction dans la société à leur arrivée et le placement de plusieurs demandeurs d’asile dans des centres de détention provisoire où ils ne sont pas séparés des autres détenus;

c)Le processus de délivrance d’un certificat en ce qui concerne le risque en matière de sécurité au titre de la loi sur l’immigration qui pourrait conduire à une violation de l’article 3 de la Convention dans la mesure où les autorités peuvent renvoyer ou expulser une personne qui est considérée comme présentant un risque pour la sécurité nationale sans avoir à motiver leur décision ou à divulguer des informations classées aux personnes concernées, sachant que les possibilités de recours utile sont limitées et que le Ministre de l’immigration doit décider dans un délai de trois jours ouvrables s’il y a lieu de renvoyer ou d’expulser l’intéressé;

d)Les cas de ségrégation forcée prolongée en détention (mise à l’isolement), les conditions draconiennes imposées en la matière pouvant dans certaines circonstances constituer des actes interdits par l’article 16 de la Convention;

e)L’âge trop bas de la responsabilité pénale et le fait que les détenus mineurs ne sont parfois pas séparés des adultes et qu’ils sont détenus dans des locaux de la police en raison du manque d’établissements pour les enfants, les jeunes et les familles;

f)Les conclusions du Médiateur concernant les enquêtes sur les actes d’agression qu’auraient commis des membres du personnel pénitentiaire sur la personne de détenus, en particulier la réticence à instruire rapidement ces allégations, et la qualité, l’impartialité et la crédibilité des enquêtes.

D. Recommandations

135. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’incorporer dans sa législation relative à l’immigration l’obligation de non ‑refoulement visée à l’article 3 de la Convention et de songer à mettre en place une procédure unique de détermination du statut de réfugié dans laquelle il y a d’abord un examen fondé sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié tels qu’ils figurent dans la Convention de 1951 relative aux statuts des réfugiés, suivi par un examen axé sur les autres critères éventuels pour l’octroi de formes complémentaires de protection, notamment au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture;

b) De faire en sorte qu’en aucun cas la lutte contre le terrorisme ne conduise à des violations de la Convention et n’ait pour effet d’imposer indûment aux demandeurs d’asile des conditions draconiennes, et de fixer la durée maximale de la période pendant laquelle des demandeurs d’asile peuvent être détenus et soumis à des restrictions;

c) De prendre immédiatement des mesures pour revoir la législation relative aux certificats concernant les risques pour la sécurité afin d’instituer des recours utiles contre les décisions tendant à détenir, renvoyer ou expulser une personne, de prolonger le délai imparti au Ministre de l’immigration pour adopter une décision et assurer le plein respect de l’article 3 de la Convention;

d) De réduire la durée de la ségrégation forcée (mise à l’isolement) dont peuvent faire l’objet des demandeurs d’asile, des prisonniers et d’autres détenus et en améliorer les conditions;

e) D’appliquer les recommandations formulées par le Comité des droits de l’enfant dans le document CRC/C/15/Add.216 (par. 30 et 50);

f) De faire rapport en ce qui concerne la stratégie visant à faire en sorte que les mineurs ne soient pas soumis à des fouilles arbitraires;

g) De procéder à une enquête sur les faits qui ont conduit à la décision de la Haute Cour dans l’affaire Taunoa et consorts ;

h) D’informer le Comité des résultats des mesures prises en réponse aux préoccupations exprimées par le Médiateur au sujet des enquêtes sur les agressions commises par des membres du personnel pénitentiaire sur des détenus.

136. Le Comité note avec satisfaction que l’État partie est disposé à ratifier la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, et lui recommande de ratifier ces deux instruments dans les meilleurs délais.

137. Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les conclusions et recommandations du Comité dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

138. Le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations figurant dans les alinéas  b c , d et h du paragraphe 135 ci ‑dessus.

139. Sachant que le troisième rapport périodique de la Nouvelle ‑Zélande inclut son quatrième rapport périodique demandé pour le 8 janvier 2003, le Comité invite l’État partie à présenter son cinquième rapport périodique le 8 janvier 2007.

YÉMEN *

140.Le Comité a examiné le rapport initial du Yémen (CAT/C/16/Add.10) à ses 583e et 586e séances, les 17 et 18 novembre 2003 (CAT/C/SR.583 et 586), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

141.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Yémen et l’occasion qu’il offre d’ouvrir un dialogue avec l’État partie. Il regrette cependant que ce rapport, qui devait être présenté le 4 décembre 1992, ait été soumis avec près de 10 ans de retard.

142.Le rapport, qui fournit des renseignements abondants sur les dispositions juridiques mais ne rend pas compte de façon détaillée de la mise en œuvre de la Convention dans la pratique, ni des difficultés rencontrées à cet égard, n’est pas pleinement conforme aux directives générales adoptées par le Comité pour l’établissement des rapports. Toutefois, le Comité se félicite de la volonté manifestée par la délégation d’engager un dialogue franc et ouvert.

B. Aspects positifs

143.Le Comité se félicite des efforts que fait l’État partie pour réformer son système juridique, réviser sa législation et défendre les valeurs démocratiques, et il accueille avec satisfaction en particulier les faits suivants:

a)La création en 2003 du Ministère des droits de l’homme, qui a pour but de promouvoir les droits de l’homme et d’en garantir le respect, y compris par l’examen de plaintes individuelles;

b)La permission accordée à de nombreuses organisations non gouvernementales d’exercer librement leur activité dans le pays;

c)Les dispositions de lois promulguées en matière de protection des droits de l’homme, notamment: l’article 149 de la Constitution; l’article 6 du Code de procédure pénale no 3 de 1994; l’article 21 du Code des infractions militaires et de leurs sanctions de 1998; l’article 9 de la loi no 15/2000 sur les forces de police; l’article 35 du Code pénal et la loi no 36 de 1983, portant ratification de la Convention arabe d’entraide judiciaire;

d)L’intention déclarée de l’État partie de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et les mesures prises au niveau national à cet égard;

e)La ratification des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et l’incorporation de leurs dispositions dans l’ordre juridique interne;

f)Les activités d’éducation et de formation en matière de droits de l’homme et l’attitude ouverte de l’État partie à l’égard de la coopération internationale, que traduit l’accord conclu avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme;

g)Les assurances reçues de la délégation concernant l’intention du pays d’établir des institutions spéciales pour accueillir les femmes vulnérables à leur sortie de prison;

h)L’accès aux personnes détenues accordé au Comité international de la Croix‑Rouge par le Département de la sécurité politique.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

144.Le Comité, bien que conscient des difficultés que rencontre l’État partie dans la lutte de longue haleine qu’il mène contre le terrorisme, rappelle qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Il souligne en particulier que les réactions de l’État partie aux menaces terroristes doivent être compatibles avec le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention et s’inscrire dans les limites de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité.

D. Sujets de préoccupation

145.Le Comité s’inquiète des éléments suivants:

a)L’absence en droit interne d’une définition complète de la torture reprenant celle de l’article premier de la Convention;

b)La nature de certaines sanctions pénales, en particulier la flagellation et l’amputation, qui peuvent constituer des violations de la Convention;

c)Les informations selon lesquelles les fonctionnaires du Département de sécurité politique auraient souvent pour pratique de garder les détenus au secret et les informations concernant des cas d’arrestation et de détention en masse pendant de longues périodes sans procès;

d)Le fait que, dans la pratique, les personnes détenues ne puissent pas communiquer avec un avocat ou un médecin de leur choix, ou avec leur famille, dès le début de leur détention;

e)Le fait que, apparemment, les nombreuses allégations de torture et violations de l’article 16 de la Convention ne fassent pas l’objet d’enquêtes promptes, impartiales et indépendantes et que leurs auteurs présumés ne soient pas poursuivis;

f)Les informations faisant état de l’expulsion d’étrangers qui n’ont pas auparavant été mis en mesure de contester juridiquement ces mesures; si ces informations sont vraies, ces mesures d’expulsion peuvent constituer une violation des obligations imposées par l’article 3 de la Convention;

g)Le fait que l’État partie n’a pas donné de renseignements détaillés concernant les modalités d’indemnisation et de réadaptation des victimes de mauvais traitements infligés par l’État;

h)La situation des femmes qui, ayant terminé leur peine d’emprisonnement, restent en prison pendant de longues périodes;

i)Le Comité s’inquiète de ce que l’âge de la responsabilité pénale soit bas, et de ce que des délinquants juvéniles de 7 ans à peine soient détenus dans des hôpitaux ou les instituts de protection sociale spécialisés.

E. Recommandations

146. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments de celle qui figure à l’article premier de la Convention, et de modifier sa loi pénale en conséquence;

b) De prendre toutes les mesures utiles pour que les sanctions pénales soient pleinement conformes à la Convention;

c) De veiller à ce que toutes les personnes détenues aient immédiatement accès à un médecin et un avocat, et puissent communiquer avec leur famille à tous les stades de la détention, et à ce que les personnes détenues par le Département de la sécurité politique soient promptement présentées à un magistrat;

d) De prendre toutes les mesures utiles pour abolir la détention au secret de fait;

e) De prendre immédiatement des mesures pour que l’arrestation et la détention se déroulent sous supervision judiciaire indépendante et impartiale;

f) De s’assurer de la pleine conformité de toutes les mesures antiterroristes avec la Convention;

g) De veiller à ce que l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre État se fasse en conformité avec l’article 3 de la Convention;

h) De prendre des mesures pour mettre en place un système efficace, fiable et indépendant d’examen des plaintes, pour entreprendre des enquêtes promptes et impartiales sur les allégations de mauvais traitements ou de torture par la police et d’autres agents publics, et pour punir les coupables;

i) De redoubler d’efforts pour diminuer le nombre des cas de torture ou autres mauvais traitements de la part de la police et d’autres agents publics, et de recueillir les données concernant ces actes;

j) De veiller à ce que les victimes de la torture aient le droit de recevoir de l’État une indemnisation équitable et adéquate, et de mettre sur pied des programmes pour la réadaptation physique et psychologique des victimes;

k) De poursuivre et de développer les efforts pour créer des établissements spéciaux pour les femmes, de manière à éviter qu’elles restent en prison après la fin de leur peine;

l) De revoir l’âge de la responsabilité pénale et de veiller à ce que tous les établissements de protection et lieux de détention répondent aux normes internationales en matière de justice des mineurs, y compris celles de la Convention;

m) De songer à faire les déclarations prévues par les articles 21 et 22 de la Convention et à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention;

n) En consultation étroite avec le Haut ‑Commissariat aux droits de l’homme, les mécanismes indépendants des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et les programmes de pays, d’établir des programmes appropriés d’éducation et de formation concernant, notamment, les procédures de présentation de rapports et les programmes des organes des Nations Unies créés par les instruments relatifs aux droits de l’homme qui visent à faire respecter l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.

147. Le Comité recommande à l’État partie d’établir son prochain rapport de manière conforme aux principes du Comité relatifs à l’établissement des rapports, et d’y faire figurer, entre autres:

a) Des renseignements détaillés sur l’application pratique de sa législation et des recommandations du Comité;

b) Des statistiques détaillées, ventilées par infraction, région, origine ethnique et sexe, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements commis par des responsables de l’application de la loi, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes.

148. Le Comité recommande que l’État partie diffuse largement les rapports présentés par le Yémen au Comité ainsi que les conclusions et recommandations de celui ‑ci, dans les langues appropriées, par les sites Internet officiels, les médias et les organisations non gouvernementales.

149. Le Comité invite la délégation à présenter par écrit des renseignements complémentaires sur les questions qui ont été soulevées pendant le dialogue et qui restent sans réponse.

150. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité contenues dans les paragraphes 146 d) et f) ci ‑dessus.

Note

1 Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-huitième session, Supplément n o  48(A/58/48, par. 93 à 100).

IV. ACTIVITÉS MENÉES PAR LE COMITÉ EN APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA CONVENTION

A. Informations générales

151.En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention, s’il reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications fondées attestant que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie, le Comité invite ledit État à coopérer à l’examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet.

152.Conformément à l’article 69 du règlement intérieur du Comité, le Secrétaire général porte à l’attention du Comité les renseignements qui sont ou semblent être présentés pour examen par le Comité au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention.

153.Le Comité ne reçoit aucun renseignement concernant un État partie qui, conformément au paragraphe 1 de l’article 28 de la Convention, a déclaré, au moment où il a ratifié la Convention ou y a adhéré, qu’il ne reconnaissait pas la compétence accordée au Comité aux termes de l’article 20, à moins que cet État n’ait ultérieurement levé sa réserve conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention.

154.Le Comité a poursuivi ses travaux en application de l’article 20 de la Convention pendant la période couverte par le présent rapport. Conformément aux dispositions de l’article 20 de la Convention et des articles 72 et 73 du règlement intérieur, tous les documents et tous les travaux du Comité afférents aux fonctions qui lui sont confiées en vertu de l’article 20 de la Convention sont confidentiels et toutes les séances concernant ses travaux au titre de l’article 20 sont privées. Toutefois, conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention, le Comité peut, après consultations avec l’État partie intéressé, décider de faire figurer dans son rapport annuel aux États parties et à l’Assemblée générale un compte rendu succinct des résultats desdits travaux. On trouvera ci‑après un résumé des activités du Comité concernant la Serbie‑et‑Monténégro.

155.Dans le cadre de ses activités de suivi, le Comité a chargé, à sa trente et unième session, un de ses membres, M. Rasmussen, d’activités visant à encourager les États parties, au sujet desquels ont été menées des enquêtes dont les résultats ont été publiés, à prendre des mesures pour donner suite aux recommandations du Comité. M. Rasmussen a pris contact avec les États concernés en vue d’obtenir des informations au sujet des mesures qu’ils ont prises jusqu’à présent.

B. Résumé des résultats de l’enquête concernant la Serbie ‑et ‑Monténégro

I. INTRODUCTION

156.Le 19 décembre 1997, le Humanitarian Law Center (HLC), organisation non gouvernementale basée à Belgrade, a présenté au Comité des informations où figuraient des allégations de recours systématique à la torture sur le territoire de la Serbie‑et‑Monténégro et a prié le Comité d’examiner la situation au titre de l’article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En mai 1998, le Comité a invité le HLC à lui communiquer des renseignements supplémentaires corroborant les faits allégués. En novembre 1998, les informations fournies par le HLC ont été transmises à l’État partie, qui a été prié de communiquer ses observations. Compte tenu de la situation politique qui prévalait alors dans le pays, le Comité a ensuite décidé de reporter l’examen de la situation. En mai 2000, le Comité a décidé de demander une nouvelle fois à l’État partie de lui communiquer ses observations sur les allégations reçues. Les observations ont finalement été présentées le 23 août 2000.

157.En novembre 2000, le Comité a décidé d’ouvrir une enquête confidentielle, étant donné que les informations qui lui avaient été communiquées contenaient des éléments bien fondés indiquant que la torture était systématiquement pratiquée dans le pays. Dans le même temps, le Comité a prié le Gouvernement d’accepter que les membres du Comité chargés de l’enquête se rendent sur place. Le Gouvernement a accepté de recevoir la mission, et la visite s’est déroulée du 8 au 19 juillet 2002.

II. VISITE EN SERBIE‑ET‑MONTÉNÉGRO DU 8 AU 19 JUILLET 2002

158.La visite a été entreprise par M. Peter Burns, M. Andreas Mavrommatis et M. Ole Vedel Rasmussen. Les membres du Comité se sont rendus à Belgrade où ils ont eu des discussions avec le Ministre des affaires étrangères, des représentants du Ministère fédéral de la justice, le Vice‑Ministre serbe de la justice, le Ministre serbe de l’intérieur et son premier secrétaire privé, le Procureur général serbe, le Directeur de l’administration pénitentiaire serbe, des membres de la Cour suprême serbe, le Président du tribunal de district de Belgrade, le chef du Département de la sécurité publique (chef de la police) du Ministère serbe des affaires intérieures, le Procureur militaire suprême et le Coordonnateur de la Commission Vérité et réconciliation. Ils ont également rencontré des représentants de la Mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Serbie‑et‑Monténégro, du Conseil de l’Europe et d’organisations non gouvernementales (ONG). Les membres du Comité sont également allés à Novi Pazar, où ils ont rencontré le procureur de district et des représentants d’ONG. Ils ont en outre visité un certain nombre de commissariats et de prisons à Belgrade et dans d’autres régions de Serbie.

159.Par ailleurs, les membres du Comité se sont rendus à Podgorica, au Monténégro, où ils ont rencontré le Ministre des affaires étrangères par intérim et Vice‑Premier Ministre, le Ministre de la justice, le Vice‑Ministre des affaires intérieures et le Procureur général. Au Monténégro, ils ont également rencontré des représentants d’ONG et visité deux commissariats et la prison de Spuž (voir chap. V). Étant donné que les autorités yougoslaves n’avaient aucun pouvoir sur le territoire du Kosovo depuis que la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) s’y était établie en 1999, le Comité a estimé qu’il était préférable de ne pas inclure le Kosovo dans la visite.

160.Les autorités fédérales et républicaines, qui approuvaient la visite, se sont montrées très coopératives. Les membres du Comité ont visité des prisons et d’autres lieux de détention à l’improviste et se sont entretenus en privé avec des détenus. La seule difficulté qu’ils ont rencontrée concernait les entretiens avec les prévenus en détention provisoire. Conformément à la loi, ces entretiens devaient être approuvés par les juges d’instruction concernés, règle applicable quelle que soit la personne souhaitant rencontrer le prévenu. Malheureusement, les membres du Comité n’avaient pas été informés de cette condition avant leur arrivée dans le pays. Finalement, les autorisations nécessaires ont été délivrées. Néanmoins, les membres du Comité auraient souhaité que l’État partie prenne des dispositions à l’avance pour éviter que leur travail ne soit retardé.

III. CONSTATATIONS DU COMITÉ CONCERNANT LA SERBIE

161.Le recours systématique à la torture sous le régime du Président Slobodan Milosevic a été abondamment décrit par des ONG nationales et internationales, les Rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans le territoire de l’ex‑Yougoslavie et l’OSCE. Les témoignages directs et les renseignements émanant de sources gouvernementales et non gouvernementales qui ont été communiqués aux membres du Comité avant leur séjour en Serbie et durant celui‑ci ont confirmé la fiabilité des informations figurant dans ces rapports et la conclusion selon laquelle la torture avait été systématiquement pratiquée sous le régime de Milosevic, essentiellement pour des raisons politiques. Les dossiers du Comité contiennent un volume considérable d’informations à ce sujet, dont une partie a été transmise à l’État partie.

162.Les informations recueillies par les membres du Comité durant leur séjour en Serbie‑et‑Monténégro montrent que les caractéristiques et la fréquence des actes de torture ont totalement changé après octobre 2000, sous le nouveau régime politique. Leurs constatations à ce sujet sont principalement fondées sur des témoignages recueillis auprès de personnes en liberté qui affirment avoir été torturées ou maltraitées, de détenus, de membres d’ONG, de médecins de prison, d’agents de la force publique, de fonctionnaires gouvernementaux et de membres de l’appareil judiciaire.

A. Informations recueillies lors d’entretiens avec des victimes présumées et dans le cadre de visites de lieux de détention

163.Les membres du Comité ont interrogé deux personnes qui affirmaient avoir été torturées avant d’être remises en liberté. Ils se sont également entretenus en privé avec 40 personnes privées de liberté. Ces personnes avaient été choisies parmi les dernières arrivées dans les lieux de détention visités, certaines sur la base d’antécédents médicaux consignés dans les archives de l’établissement au cours des mois précédant la visite. Dix des personnes interrogées ont déclaré avoir été traitées d’une manière qui, selon les membres du Comité, pouvait correspondre à la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention.

164.À chaque commissariat et à chaque prison visités, les membres du Comité ont examiné les registres qui, en général, étaient bien tenus. Dans les commissariats, ils ont inspecté les locaux utilisés pour les interrogatoires et les cellules où étaient placés les détenus. Bien que le but principal de leur visite n’était pas d’examiner les conditions matérielles de détention, ils n’ont pu s’empêcher d’être frappés par certains aspects. Par exemple, dans la plupart des commissariats, les cellules n’avaient pas d’éclairage, pas de ventilation, pas de mobilier ni d’installations d’assainissement convenables1. Quant aux conditions régnant dans les prisons, les membres du Comité ont noté que le temps quotidien d’exercice à l’air libre alloué aux personnes mises en détention provisoire était bien trop court (environ une demi‑heure). Le reste de la journée, les détenus restaient dans leur cellule sans qu’on leur propose une seule activité digne de ce nom. Certains restaient même au régime cellulaire durant de longues périodes. En outre, il ne semblait pas y avoir de système d’inspection des conditions de détention par des experts indépendants. Les détenus qui souhaitaient déposer une plainte n’avaient d’autre possibilité que d’écrire au Ministère de la justice. Le Comité d’Helsinki pour les droits de l’homme, qui avait été autorisé récemment à visiter quelques prisons, a déclaré aux membres du Comité que la plupart de ces plaintes restaient sans réponse.

165.Dans l’ensemble, les membres du Comité ont eu l’impression que la situation dans les prisons s’était considérablement améliorée depuis octobre 2000, et que les autorités étaient parvenues à modifier le comportement du personnel, ne retenant que les personnes décidées à se conduire de manière appropriée. Cette impression a été confirmée par les témoignages des détenus.

1. Prisons

Prison centrale de Belgrade

166.Un membre du Comité ayant des compétences en médecine a examiné les dossiers médicaux de 70 personnes placées en détention provisoire qui relevaient du tribunal de district de Belgrade. Cinquante‑cinq d’entre eux ne contenaient aucune indication de mauvais traitements ou d’agression physique de la part de la police. Dans les 15 dossiers restants (soit 21 %), il était consigné que les détenus avaient affirmé avoir été frappés par la police. Dans 6 dossiers (soit environ 9 % du nombre total de dossiers examinés), les détenus présentaient des marques décrites par le médecin ayant pratiqué l’examen. De plus, le médecin de la prison a dit aux membres du Comité qu’environ un tiers des détenus souffraient de lésions à leur arrivée, même si elles ne résultaient pas nécessairement de mauvais traitements infligés par la police. Les détenus qui affirmaient avoir été battus par la police (environ 10 %) présentaient généralement des lésions mineures, des ecchymoses, par exemple. Leurs allégations étaient toujours consignées dans leur dossier médical. Le médecin a par ailleurs indiqué qu’il n’y avait pas de cas de détenu frappé par un gardien, alors que cela était chose courante dans le passé.

167.Les membres du Comité ont également interrogé 21 personnes placées en détention provisoire, certaines d’entre elles ayant été sélectionnées sur la base des dossiers médicaux examinés. Toutes étaient accusées de délits de droit commun. Neuf ont affirmé que la police les avait battues ou soumises à d’autres formes de torture en vue de leur extorquer des aveux.

Prison de Sremska Mitrovica

168.À la prison de Sremska Mitrovica, la plus grande du pays avec plus de 1 000 détenus, les membres du Comité ont été informés que la nouvelle direction avait opéré des changements importants. Jusqu’à la fin de 2000, aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée aux gardiens accusés de mauvais traitements dont la culpabilité avait été établie. Néanmoins, le directeur a affirmé que tous les gardiens qui posaient problème avaient été transférés. Depuis lors, il n’y avait pas eu de conflit entre les détenus et le personnel ni d’incident violent entre détenus. Le médecin de la prison a confirmé qu’il n’y avait pas eu de tortures ni de mauvais traitements dans cet établissement.

169.Parmi les cinq détenus interrogés dans cette prison, aucun n’a indiqué avoir été torturé avant ou pendant sa détention. Quatre ont déclaré que la situation avait complètement changé au cours des deux années précédentes, depuis l’arrivée du nouveau directeur et le renvoi de certains gardiens. Un détenu, qui avait été placé dans une cellule disciplinaire après avoir tenté de s’évader, ne s’est plaint d’aucun mauvais traitement de la part du personnel de la prison.

Pénitencier pour femmes de Pozarevac

170.Les membres du Comité ont interrogé individuellement six détenues dans la section fermée. Aucune n’a affirmé avoir été torturée ou maltraitée par la police ou les gardiens de prison. Dans les sections ouverte et semi‑ouverte, un groupe de détenues a fait état de mauvais traitements dans le passé. Elles ont toutefois estimé que la situation actuelle était très bonne. L’une d’entre elles a rapporté un incident au cours duquel un garde en colère l’avait frappée sur la paume de la main tandis qu’elle travaillait à l’extérieur. Le garde aurait été relevé de ses fonctions et une procédure disciplinaire serait en cours. Le médecin du pénitencier a confirmé qu’elle n’avait entendu parler d’aucun cas de torture ou de mauvais traitements au cours des trois années précédentes.

Prison militaire de Belgrade

171.Un détenu a été interrogé dans cette prison. Il avait été arrêté pour désertion. Il n’a rapporté ni tortures ni mauvais traitements.

2. Commissariats de police

172.Les membres du Comité ont visité neuf commissariats de police, à savoir ceux situés dans les rues de Bozidura Adzije, de Rakovica, de Vozdovac, de Palilula, du 29 Novembre, de Stari Grad et Milan Rakic à Belgrade, le commissariat de police principal de Smederevo et le commissariat de police central de Novi Sad. Il y avait à ce moment‑là deux détenus au commissariat de Vozdovac, un à celui de la rue Milan Rakic et un autre à celui de Smederevo. Aucun n’a affirmé avoir été torturé ou maltraité. Au commissariat de police de la rue du 29 Novembre, seul un vieil homme se trouvait dans les locaux de détention, et il n’a signalé aucun mauvais traitement. Un membre du Comité s’est entretenu avec deux supposés immigrants illégaux qui attendaient d’être présentés au tribunal correctionnel. Ils ont indiqué qu’ils étaient bien traités.

B. Renseignements fournis par des organisations non gouvernementales

173.Les représentants d’ONG que les membres du Comité ont rencontrés leur ont fourni des renseignements concernant des cas de torture qui avaient été portés à leur attention par les victimes présumées. De leur avis, il n’y avait pas eu de violations massives du droit de ne pas être soumis à la torture depuis le changement de gouvernement. Néanmoins, le nombre de cas de recours excessif à la force par des agents du maintien de l’ordre dans l’accomplissement de leurs fonctions demeurait un sujet de préoccupation. Selon les représentants d’ONG, il restait beaucoup à faire en ce qui concernait la formation du personnel de maintien de l’ordre aux droits de l’homme et d’autres changements sur le plan du personnel devaient être effectués afin de rompre clairement avec les pratiques du régime précédent et de rétablir la confiance du public à l’égard des forces de l’ordre. La torture était fréquemment utilisée pour obtenir des renseignements. Toutefois, dans de nombreux cas, elle traduisait la mentalité qui prédominait chez les policiers, pour qui l’usage excessif de la force avait toujours fait partie de leur travail quotidien. En outre, les ONG ont fait observer que, depuis le changement de gouvernement, seul un petit nombre d’auteurs présumés d’actes de torture commis sous le régime précédent avaient fait l’objet d’une enquête ou avaient été traduits en justice.

174.Le HLC a fourni des renseignements sur 12 cas spécifiques concernant 21 victimes présumées qui se seraient produits entre le 1er décembre 2000 et mars 2002 à Belgrade, Smederevo, Becej (Voïvodine), Presevo, Novi Sad, Smederevska Palanka, Srbobran (Voïvodine), Vladicin Han, Kragujevac et Backa Palanka. Toutes les victimes affirmaient avoir été rouées de coups; l’une disait avoir reçu des décharges électriques et une autre, asthmatique, n’avait pas été autorisée à utiliser son inhalateur lors d’une forte crise d’asthme survenue au commissariat de police. Six des victimes présumées étaient roms.

175.Le Comité des juristes yougoslaves pour les droits de l’homme a fourni des renseignements sur 16 cas, dont quatre s’étaient produits en Serbie après le 5 octobre 2000. Les récits faisaient état de passages à tabac à l’aide de matraques, de coups assénés sur la plante des pieds, de refus de soins médicaux à une victime inconsciente, d’agression sexuelle (peut‑être un viol) et de coups de feu tirés près de la tête. Les incidents auraient eu lieu dans la rue ou lors d’interrogatoires dans des commissariats de police. Dans un de ces cas, la victime aurait été frappée par des gardiens de prison et, dans un autre, par des soldats. Parmi les lieux cités figuraient Belgrade, Leskovac, Tutin, Sjenica (tous deux dans le Sandjak), Surdulica, Prokuplje et Vranje.

176.Le Minority Rights Centre, ONG qui surveille la situation des Roms, a indiqué que les membres de cette minorité étaient particulièrement exposés aux violences policières et a cité quelques exemples figurant dans un rapport intitulé «Abuses of Roma Rights in Serbia»2. Après la visite des membres du Comité, d’autres ONG ont également fourni des renseignements, notamment le Comité pour les droits de l’homme de Leskovac, le Comité pour les droits et les libertés du Sandjak et le Comité pour les droits de l’homme de Bujanovac. Les cas cités concernaient la plupart des régions de la Serbie.

C. Renseignements fournis par des fonctionnaires gouvernementaux

177.Presque tous les fonctionnaires gouvernementaux que les membres du Comité ont rencontrés ont reconnu que la torture avait été largement pratiquée sous le régime précédent. Ils ont toutefois affirmé que la situation avait totalement changé avec le nouveau gouvernement, en particulier en ce qui concernait l’attitude de la police.

178.Le Ministre des affaires intérieures a déclaré que la torture ne faisait plus partie des méthodes utilisées par la police. Quelques cas de recours excessif à la force s’étaient produits depuis octobre 2000, mais les mesures nécessaires avaient été prises. Il y avait eu notamment l’ouverture d’enquêtes disciplinaires, voire criminelles si la situation l’exigeait, et les auteurs présumés avaient été suspendus de leurs fonctions pour la durée de l’enquête. Il a ajouté que tous les hauts fonctionnaires du Ministère avaient changé et que le processus de renouvellement du personnel était presque achevé dans toutes les régions. Presque les deux tiers des chefs des commissariats de police de toute la Serbie avaient changé.

179.Le Directeur des prisons au Ministère de la justice a affirmé que la torture dans les prisons avait été éliminée, principalement en changeant les directeurs de prison et leurs adjoints. De nombreux membres du personnel pénitentiaire avaient été renvoyés et beaucoup avaient été accusés d’infractions pénales. Néanmoins, le Directeur ne disposait pas de statistiques relatives au nombre de personnes concernées. Les cas de recours excessif à la force par des gardiens de prison étaient rares désormais, et ils aboutissaient généralement au renvoi des coupables. Le Ministère n’avait pas davantage de statistiques sur ces affaires. Tous les détenus étaient examinés par un médecin à leur arrivée. S’ils affirmaient avoir été torturés ou maltraités par la police, cette information était consignée dans leur dossier médical et communiquée au juge d’instruction. Le Ministère a reconnu qu’il n’y avait pas de système d’inspection des prisons par un organe indépendant. C’était pour cela qu’il avait invité le Comité d’Helsinki pour les droits de l’homme à visiter des lieux de détention. Des efforts avaient toutefois été entrepris en vue de créer un mécanisme de surveillance avec la participation d’experts extérieurs au Ministère.

D. Garanties légales pour la prévention de la torture et des mauvais traitements

180.Entré en vigueur le 28 mars 2002, le nouveau Code de procédure pénale apporte des améliorations importantes en matière de procédures d’application des lois durant la phase préparatoire au procès. Certaines de ces améliorations sont directement en rapport avec la prévention de la torture, par exemple celles qui portent sur la durée maximale de la garde à vue ou le droit de consulter un avocat. Néanmoins, le nouveau Code de procédure pénale n’est pas applicable aux personnes soupçonnées d’avoir commis un délit correctionnel. Conformément à la loi relative aux délits correctionnels, la police peut détenir un suspect 24 heures au maximum avant de le présenter à un juge. Les suspects placés en garde à vue n’ont pas le droit d’avoir accès à un avocat. Les membres du Comité ont noté que les délits correctionnels présumés figuraient souvent parmi les motifs de détention dans les commissariats de police. Selon des informations que leur a communiquées le Ministère des affaires intérieures, durant la période allant de janvier à juin 2002, 1 918 personnes ont été arrêtées et 1 865 privées de liberté. Parmi ces dernières, 1 104 personnes ont été détenues dans des locaux de police pour le seul motif de trouble à l’ordre public. D’après ces statistiques, il semble qu’un grand nombre de personnes arrêtées par la police ne bénéficient pas de la protection prévue dans le nouveau Code de procédure pénale.

181.Le principe général concernant le droit à l’assistance d’un conseil figure à l’article 5 du nouveau Code de procédure pénale, selon lequel une personne privée de liberté doit être immédiatement informée qu’elle a le droit d’être assistée du conseil de son choix et de demander que les membres de sa famille ou d’autres personnes de son entourage soient avisés de sa détention.

182.L’article 226 du nouveau Code de procédure pénale dispose que la police peut convoquer un individu en vue de recueillir des informations mais qu’elle ne peut pas l’interroger pendant plus de quatre heures. Elle n’est pas autorisée à recourir à la force pour obtenir des renseignements de la part des citoyens. Une note officielle ou un procès‑verbal en question doit être rédigé sur‑le‑champ et lu à l’intéressé. Celui‑ci peut émettre des objections, que les autorités de police sont tenues de consigner dans la note officielle ou le procès‑verbal. En vertu du même article, lorsque la police recueille des informations auprès d’un individu dont il y a tout lieu de croire qu’il a commis une infraction pénale, celui‑ci peut être convoqué en tant que suspect; la convocation doit contenir des informations indiquant que l’intéressé a le droit d’être assisté d’un conseil. Si, tandis qu’elle recueille des informations, la police juge que l’individu convoqué est un suspect, elle doit immédiatement l’informer de l’infraction pénale dont il est accusé, de son droit d’être assisté d’un conseil qui sera présent lors des futurs interrogatoires et du fait qu’il n’est pas obligé de répondre aux questions qui lui sont posées en l’absence de son conseil. L’article 226 dispose en outre que lorsqu’elle interroge un suspect, la police doit en informer le procureur, qui peut assister à l’interrogatoire.

183.En vertu de l’article 5 du nouveau Code de procédure pénale, toute personne arrêtée sans ordonnance judiciaire doit être présentée immédiatement au juge d’instruction compétent. Selon le paragraphe 3 de l’article 227, si la personne privée de liberté est présentée au juge plus de huit heures après son arrestation pour raison de force majeure, le fonctionnaire de police compétent doit exposer le motif de ce retard dans une déclaration qui sera adressée au juge d’instruction. En outre, l’article 229 dispose qu’une personne privée de liberté ne peut être détenue par la police, en vue d’obtenir des renseignements, plus de 48 heures avant d’être présentée à un juge3.

184.Selon les renseignements fournis aux membres du Comité, il semble que les principes susmentionnés soient généralement respectés dans les cas qui relèvent du nouveau Code de procédure pénale. Néanmoins, la torture semble encore être pratiquée pendant les 48 heures qui précèdent la présentation du suspect au juge et avant que l’intéressé n’ait eu la possibilité d’entrer en contact avec son avocat. Il arrive que le suspect ne soit pas autorisé à appeler son avocat ou bien qu’il ne connaisse pas d’avocat, auquel cas il est tenu d’accepter l’un de ceux que lui propose la police. Dans certains cas que les membres ont examinés, les victimes présumées se plaignaient de ce que l’avocat n’avait joué qu’un rôle purement formel ou n’avait prêté aucune attention au fait que son client avait été maltraité.

185.Certains fonctionnaires de police que les membres du Comité ont rencontrés ont avancé que la police n’avait aucun intérêt à obtenir des aveux sous la contrainte puisque de tels aveux ne pouvaient servir de preuve dans une procédure judiciaire. À cet égard, l’article 89 du nouveau Code de procédure pénale dispose qu’il est interdit de recourir à la force pour extorquer à un suspect une déclaration ou des aveux et qu’en cas de violation le tribunal ne pourra fonder sa décision sur la déclaration ou les aveux en question. Néanmoins, les membres du Comité sont convaincus que, même si la condamnation ne peut être fondée exclusivement sur des aveux, la police utilise les renseignements qu’elle a obtenus des détenus pour continuer son enquête. D’ailleurs, certains policiers interrogés dans des commissariats ont affirmé qu’ils manquaient de matériel moderne de recherche criminelle et qu’ils devaient utiliser des outils très rudimentaires.

186.Lors de sa rencontre avec les membres du Comité, le Procureur général a souligné les efforts qui avaient été entrepris pour modifier la mentalité des policiers. De son avis, cette évolution devait aller de pair avec les changements en cours concernant le personnel et la réorganisation interne de la police. Les policiers devaient aussi modifier leur façon de recueillir des éléments de preuve. Ils devaient comprendre que les preuves d’un crime ne pouvaient être obtenues que par des moyens légaux. Tout cela était très important pour son Bureau car en vertu des lois yougoslaves, les procureurs généraux ne dirigeaient pas les enquêtes policières et ne pouvaient donner à la police des instructions concernant la manière de recueillir ce type de preuves.

187.La nécessité d’un changement de mentalité dans la police a été soulignée par plusieurs interlocuteurs, ainsi que dans un rapport publié en octobre 2001 par l’OSCE, intitulé «Study on Policing in the Federal Republic of Yugoslavia». Selon ce rapport, la raison pour laquelle un si grand nombre de situations s’accompagnent de violences, de résistance et de ressentiment est que non seulement les policiers n’agissent pas, mais ils ne comprennent pas que c’est leur devoir d’agir, conformément à la déontologie. En l’absence de code d’éthique ou de principes relatifs au maintien de l’ordre, il semble que cet état de choses peu satisfaisant prédomine dans toute la Yougoslavie. C’est pourquoi il est proposé d’introduire dans tout le pays, à l’intention des policiers, un grand programme de formation aux droits de l’homme qui soit crédible et directement en rapport avec les situations auxquelles ils sont confrontés sur le terrain4.

E. Enquêtes sur les responsables d’actes de torture et sanctions

1. Procédures disciplinaires

188.Le chef de la sécurité publique de Serbie, qui est responsable du contrôle interne de la police au Ministère des affaires intérieures, a expliqué aux membres du Comité que chaque direction régionale de la police comprenait un service de contrôle interne chargé d’évaluer et de superviser chaque policier. Si l’un de ces services reçoit des informations relatives à des exactions commises par la police, quelle qu’en soit la source, il peut ouvrir une enquête et porter l’affaire devant les tribunaux disciplinaires compétents établis par le Ministère. Les mesures disciplinaires peuvent consister en une diminution du salaire mensuel pouvant atteindre 30 % sur une période allant de un à six mois ou le retour à un salaire de niveau inférieur durant une période donnée. En dernier recours, l’intéressé peut être relevé de ses fonctions. Une procédure disciplinaire peut être conduite, qu’une procédure pénale soit en cours ou non. Par la suite, le Ministère a informé les membres du Comité qu’entre janvier et juin 2002, 392 plaintes avaient été déposées contre la police, dont 43 avaient été déclarées fondées et avaient abouti à l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Néanmoins, il n’a pas précisé le nombre de plaintes qui faisaient état de tortures ou de mauvais traitements ni indiqué si des poursuites pénales avaient été engagées.

189.Les membres du Comité ont noté qu’en vertu du décret sur les responsabilités disciplinaires au Ministère des affaires intérieures5, qui régit les procédures disciplinaires internes, la décision d’ouvrir ou non ce type de procédure incombe au supérieur direct du fonctionnaire contre lequel une plainte a été déposée. Le supérieur détermine si les éléments du dossier donnent à penser qu’une violation a pu être commise et renvoie l’affaire au procureur du tribunal disciplinaire. Il a donc la possibilité de bloquer toute procédure contre un membre de son service. En outre, les membres du Comité ont entendu des allégations selon lesquelles ni le décret ni la pratique suivie par la police ne garantissaient que la partie lésée soit dûment informée de l’évolution et de l’aboutissement de la procédure.

190.En ce qui concerne le fonctionnement des tribunaux disciplinaires, les ONG ont indiqué que si les policiers étaient désormais bien plus attentifs aux plaintes et observations émanant des organisations de défense des droits de l’homme, ils essayaient fréquemment de nier qu’un cas spécifique de torture s’était produit ou, si cela leur était impossible en raison de l’existence de preuves indiscutables (telles que rapports médicaux, photographies ou déclarations de témoins oculaires), ils disaient au public qu’il y aurait enquête et que les coupables devraient rendre des comptes, mais cela ne se passait pas toujours ainsi. Dans les cas graves de torture, même si les preuves sont claires, les tribunaux disciplinaires accordent généralement plus de crédit aux déclarations des policiers qu’à celles des victimes. En outre, il semble que certains fonctionnaires siégeant dans des tribunaux disciplinaires aient eux‑mêmes été accusés d’avoir commis des actes de torture.

191.Dans son étude sur le maintien de l’ordre mentionnée ci‑dessus, l’OSCE a affirmé qu’il était nécessaire de vérifier la qualité du travail accompli par tous les services de contrôle interne d’une manière acceptable par le public et qu’afin de répondre aux préoccupations du public, il fallait créer un organe indépendant doté de réels pouvoirs de contrôle et d’intervention. Dans ce rapport, l’OSCE ajoutait que, si l’on souhaitait que la police soit dûment tenue pour responsable, il fallait instaurer un contrôle externe et totalement indépendant sur les enquêtes qu’elle mènerait à l’avenir en cas de plainte, mais que l’autorité qui en serait chargée devrait être investie de solides pouvoirs afin d’exiger l’accès aux documents, pièces et dossiers ayant trait à la plainte, et être en outre habilitée à ordonner une enquête complémentaire si nécessaire6.

2. Poursuites pénales

192.Les membres du Comité ont relevé un certain nombre d’insuffisances dans la législation relative à l’interdiction de la torture et dans le fonctionnement des institutions chargées d’enquêter sur les plaintes.

193.Dans ses conclusions et recommandations sur le rapport initial de la Yougoslavie, le Comité s’est dit préoccupé par l’absence dans le droit pénal yougoslave de dispositions définissant la torture en tant que crime spécifique conformément à l’article premier de la Convention, et a recommandé que l’expression «crime de torture» soit incorporée à la lettre dans les codes pénaux yougoslaves7. Or, la situation n’a pas changé. Il en résulte que les auteurs d’actes de torture ne peuvent être accusés qu’en vertu de dispositions pénales relatives à l’«extorsion d’aveux»8 ou au «préjudice civil»9. Cependant, ces dispositions couvrent un champ plus restreint que la définition figurant à l’article premier. Par exemple, elles ne semblent pas inclure les cas où la torture est infligée «à l’instigation d’un agent de la fonction publique ou avec son consentement exprès ou tacite». De plus, il semble que la plupart des juges ne soient pas pleinement informés des obligations internationales de la République fédérative de Yougoslavie en matière de droits de l’homme et, en particulier, de celles qui découlent de la Convention, comme l’ont confirmé des membres de la Cour suprême serbe avec lesquels les membres du Comité se sont entretenus. Selon eux, il arrivait fréquemment que les juges découvrent ces obligations et la jurisprudence des organes internationaux au moment même où les ONG les portaient à leur attention.

194.De manière générale, il semble que les juges et les procureurs n’ouvrent une enquête que s’ils reçoivent une plainte officielle de la victime ou de son avocat. Interrogés au sujet de la réaction des juges d’instruction face à une plainte pour torture, les membres de la Cour suprême ont déclaré qu’en théorie les juges devaient en informer le procureur général, auquel il incombait d’engager des poursuites. Ils ont toutefois ajouté que, dans la pratique, les procureurs généraux n’intervenaient que lorsqu’un avocat déposait une plainte et portait l’affaire à la connaissance du public.

195.L’inaction du parquet était encore plus flagrante dans le passé et dans des régions telles que le Kosovo et le Sandjak10. Lorsque les membres du Comité ont soulevé cette question auprès du Procureur général de la Serbie, en particulier à propos de cas qui s’étaient produits avant octobre 2000, il a déclaré que certains procureurs étaient en train d’examiner des affaires mais qu’il ne pouvait fournir des informations à ce sujet sur‑le‑champ. Son Bureau s’était aussi occupé de crimes de guerre. Cependant, il était difficile d’enquêter sur de tels crimes car les preuves devaient être fournies par la police, qui n’était pas toujours disposée à coopérer11.

196.Lorsque des victimes déposent une plainte, l’un des premiers obstacles auxquels elles se heurtent est la pression que la police exerce sur elles pour les en empêcher, en les menaçant de porter plainte elle‑même contre elles. Si les victimes persistent malgré tout, la police porte systématiquement plainte contre elles pour entrave à un fonctionnaire de police dans l’exercice de ses fonctions (art. 213 du Code pénal serbe) ou pour trouble à l’ordre public. Les membres du Comité ont eu connaissance d’un cas de ce type, où la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, prétendument pour entrave (insulte à fonctionnaires de police), était presque aussi lourde que celle prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire de police pour dommages corporels. En outre, il a été affirmé à plusieurs reprises que la plainte déposée par la police était généralement examinée très rapidement alors que celle déposée par la victime l’était très lentement, voire pas du tout. Les membres de la Cour suprême serbe ont dit aux membres du Comité qu’ils ne pouvaient ni confirmer ni infirmer cette allégation, mais le Procureur général a déclaré être au courant de la situation.

197.S’agissant du rôle des procureurs dans l’examen des plaintes, plusieurs interlocuteurs, y compris le Procureur général lui‑même, ont souligné que dans la pratique les procureurs n’avaient aucun contrôle sur la police lorsqu’il s’agissait de recueillir des éléments de preuve12. Les membres du Comité notent avec préoccupation que cela est contraire aux dispositions de l’article 46 du Code de procédure pénale, conformément auquel le Procureur général est habilité à demander l’ouverture d’une enquête et à diriger l’instruction. L’article 46 dispose également que la police et les autres autorités de l’État compétentes en matière d’enquêtes sur les infractions pénales sont tenues d’enquêter dès lors que le procureur concerné leur en fait la demande.

198.Les ONG ont indiqué que très souvent les procureurs ne poursuivaient pas les auteurs présumés d’actes de torture et n’informaient même pas la victime présumée de la suite donnée à sa plainte. Or, l’absence de notification peut constituer un obstacle important au déroulement de la procédure. En vertu de l’article 61 du Code de procédure pénale, lorsque le procureur rejette une plainte ou décide de retirer les charges, la partie lésée peut elle‑même engager des poursuites et ouvrir une procédure judiciaire huit jours au plus tard après avoir été notifiée de la décision du procureur. Si la partie lésée ne reçoit aucune notification, le Code prévoit pour cela une période de trois mois commençant à la date à laquelle la plainte a été rejetée ou les charges retirées. Les membres de la Cour suprême ont confirmé que même en l’absence de notification, qui était très courante, les juges autorisaient la partie lésée à engager elle‑même des poursuites et à ouvrir une procédure judiciaire.

199.Des ONG ont fourni des renseignements concernant un certain nombre de cas dans lesquels des policiers avaient été déclarés coupables d’actes en rapport avec la torture. Elles ont toutefois affirmé que seul un petit nombre d’affaires étaient portées devant les tribunaux et que les responsables d’actes de torture se voyaient très rarement infliger des peines proportionnelles à la gravité du crime commis. Les peines allaient rarement au‑delà de six mois d’emprisonnement et étaient fréquemment prononcées avec sursis, ce qui permettait aux policiers concernés de conserver leur emploi13. Les ONG ont également indiqué que les policiers n’étaient généralement pas suspendus de leurs fonctions le temps de l’enquête. Les membres de la Cour suprême étaient eux aussi d’avis que seul un petit nombre d’affaires de torture étaient portées devant les tribunaux. Le Vice‑Ministre serbe de la justice a déclaré que les victimes de torture ne portaient plainte que dans un très petit nombre de cas et qu’il était encore plus rare que l’on aboutisse à une condamnation. En outre, les juges prononçaient généralement des peines très légères, voire conditionnelles.

200.Les ONG ont également affirmé que les procès devaient très souvent être reportés, parfois plusieurs fois dans la même affaire, parce que les policiers accusés ne se présentaient pas aux audiences. Les membres de la Cour suprême ont confirmé ces allégations. Apparemment, les juges confrontés à cette situation s’en plaignaient auprès du chef de police compétent mais leur démarche n’aboutissait pas toujours à une réponse appropriée14.

201.Les représentants du Comité du Sandjak pour la protection des droits de l’homme ont parlé aux membres du Comité de certaines difficultés auxquelles ils se heurtaient lorsqu’ils déposaient des plaintes relatives à des incidents qui s’étaient produits quelques années auparavant. En 2001 et 2002, ils avaient déposé 33 plaintes portant sur des actes relevant des articles 65 et 66 du Code pénal serbe qui avaient été commis au Sandjak, principalement dans les années 90. Or, deux plaintes seulement étaient en cours d’examen, toutes les autres ayant été rejetées. Selon eux, les avocats avaient beaucoup de mal à fournir des preuves médicales étant donné qu’entre 1992 et 1997 les établissement médicaux n’étaient pas autorisés à établir un dossier médical concernant les victimes de violences policières. Les preuves documentaires fournies à l’appui des plaintes consistaient essentiellement en des témoignages, des noms de témoins et des photographies. De leur avis, le procureur de district faisait une interprétation erronée de l’article 65 du Code pénal serbe. Selon lui, il y avait crime uniquement si les actes incriminés avaient causé des blessures graves. Une autre difficulté à laquelle ils se heurtaient était que certaines affaires concernaient des crimes soumis à la prescription15.

202.Lorsque les membres du Comité ont rapporté ces allégations au procureur de district de Novi Pazar, celui‑ci a fait observer que le délai imparti pour porter plainte en vertu des articles 65 et 66 était de cinq ans et que, par conséquent, de nombreuses affaires étaient touchées par la prescription. Il a ajouté qu’outre les 33 cas mentionnés ci‑dessus, son Bureau et les juges municipaux avaient examiné beaucoup d’autres affaires au cours des 10 années précédentes, et il a promis de collecter des données et quelques statistiques à ce sujet et de les transmettre au Comité. Cependant, ces renseignements n’ont jamais été reçus.

IV. CONSTATATIONS DU COMITÉ CONCERNANT LE MONTÉNÉGRO

203.Seul un petit nombre de cas signalés au Comité par des ONG depuis 1997 se sont produits au Monténégro. Durant la visite, des ONG du Monténégro ont fourni aux membres du Comité des renseignements concernant certaines affaires. L’une d’elles a affirmé que ses avocats avaient déposé 20 plaintes qui, au moment de la visite, se trouvaient à différents stades de la procédure pénale. Aucun des interlocuteurs du Comité n’a déclaré que le recours à la torture était systématique dans la République, ni dans le passé ni actuellement.

204.Durant leur séjour au Monténégro, les membres du Comité ont visité la prison de Spuž. Le Comité n’avait été informé d’aucune allégation de torture ou de mauvais traitements dans cet établissement. Le directeur de la prison a expliqué qu’au cours des trois années précédentes, il avait participé à un vaste programme de réforme incluant la formation du personnel. L’accent avait largement été mis sur l’établissement des meilleures relations possibles entre le personnel et les détenus. En 2002, seulement deux cas de recours excessif à la force ont été signalés. Le premier incident concernait un détenu malade mental qui avait été frappé par un garde pour avoir refusé de quitter sa cellule. Le deuxième concernait un détenu qui avait agressé physiquement un témoin au tribunal; on avait recouru à la force pour le maîtriser alors qu’il avait déjà commencé à obtempérer. La sanction imposée aux gardes impliqués dans ces deux affaires a consisté à ne leur verser que la moitié de leur salaire pendant trois mois. Si les détenus concernés avaient été gravement blessés, ces incidents auraient été assimilés à des voies de fait et auraient donc fait l’objet de poursuites pénales.

205.Le directeur a en outre expliqué que tous les détenus étaient examinés par un médecin à leur arrivée. Toute blessure était constatée par écrit. Les rapports médicaux étaient communiqués à l’avocat du détenu, à la famille de celui‑ci, au Ministre de l’intérieur et au juge d’instruction. Par ailleurs, le médecin de garde a dit aux membres du Comité qu’environ cinq ans auparavant les détenus qui arrivaient à la prison se plaignaient fréquemment d’avoir été torturés ou maltraités et qu’il y avait eu certains cas graves. Depuis lors, la situation avait beaucoup changé, bien que certains détenus signalent encore avoir été frappés et présentent des lésions mineures. Les membres du Comité ont examiné les dossiers médicaux des détenus qui étaient arrivés depuis janvier 2002. Il y avait 167 hommes et 8 femmes. Parmi eux, 39 hommes avaient affirmé avoir été battus; 24 présentaient des blessures que les médecins avaient qualifiées de «non graves» et 3 avaient des blessures «graves».

206.À Spuž, les membres du Comité ont interrogé trois détenus. L’un d’entre eux, arrivé récemment, prétendait que la police l’avait battu devant sa famille à Berhane. Selon son dossier médical, il avait trois côtes cassées. Le deuxième détenu interrogé, qui avait été accusé de trafic de drogues, a déclaré que lorsqu’il avait été arrêté, en 1998, il avait été placé en garde à vue pendant trois jours sans être présenté à un juge. Il a affirmé que, pendant ces trois jours, il avait été frappé et menacé avec un revolver placé dans la bouche dans le but de le contraindre à livrer des informations au sujet de vendeurs de drogues opérant au Monténégro. Avant d’être présenté au juge, il n’avait pas eu accès à un avocat. Le troisième détenu interrogé avait été arrêté environ trois jours avant que les membres du Comité n’arrivent à Spuž, à la frontière hongro‑yougoslave, pour tentative de vol et pour avoir tiré sur deux employés d’une station‑service, qu’il avait blessés. Il a affirmé que, pendant environ une journée, il avait été privé d’eau et de nourriture, qu’il n’avait pas été autorisé à se rendre aux toilettes et qu’il avait eu les mains très solidement liées dans le dos.

207.Au Monténégro, les membres du Comité ont également visité le commissariat de Danilovgrad, où il n’y avait alors aucun détenu. Ils ont également visité le commissariat central de Podgorica, où se trouvait un détenu qui venait d’être arrêté. Ils ont insisté pour s’entretenir avec lui en privé, mais on le leur a refusé pour des motifs obscurs.

208.En ce qui concerne le droit de porter plainte et de voir sa plainte examinée, la situation au Monténégro ne semble pas très différente de celle qui prévaut en Serbie. Très souvent, les victimes qui portent plainte sont elles‑mêmes poursuivies pour entrave à un fonctionnaire de police dans l’exercice de ses fonctions, et les juges d’instruction ne communiquent pas aux procureurs toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements faites par les détenus. Les autorités monténégrines, qui ne reconnaissent pas encore l’applicabilité du nouveau Code de procédure pénale dans la République, continuent à appliquer le Code de 1976 en vertu duquel une personne arrêtée par la police doit être présentée à un juge d’instruction dans les 24 heures suivant son arrestation. Néanmoins, dans certains cas, l’article 196 permet qu’une personne soit placée en garde à vue 72 heures avant d’avoir accès à un avocat et d’être présentée à un juge d’instruction. En outre, la torture n’est pas définie dans le Code pénal du Monténégro, qui contient des dispositions semblables à celles énoncées dans les articles 65 et 66 du Code pénal serbe.

209.Les fonctionnaires gouvernementaux que les membres du Comité ont rencontrés ont affirmé leur volonté de protéger les droits de l’homme et ont expliqué certaines des initiatives que le Gouvernement monténégrin prenait dans ce domaine, comme l’élaboration d’une loi portant création d’un poste de médiateur, des mesures visant à améliorer le fonctionnement du système de justice pénale et la réforme de la police. Ils ont également déclaré qu’ils étaient disposés à coopérer avec les organisations internationales. Le Vice‑Ministre de l’intérieur a dit que des lignes téléphoniques d’urgence avaient été établies et que leurs numéros étaient régulièrement publiés dans le journal afin que chaque citoyen victime d’abus de pouvoir de la part d’agents de l’État puisse en faire usage. En outre, des programmes de formation dans le domaine des droits de l’homme étaient élaborés à l’intention des forces de police. En 2001, le Ministère de l’intérieur avait reçu neuf plaintes faisant état d’actes de torture, qui avaient abouti à la révocation de 18 fonctionnaires de police.

210.S’agissant des poursuites pénales, le Procureur général du Monténégro a affirmé que, bien que la loi autorise les procureurs à procéder d’office, cette possibilité n’était utilisée que dans des circonstances exceptionnelles. Il a également déclaré que son Bureau préconisait une réforme qui permettrait aux procureurs généraux de superviser et de diriger les enquêtes réalisées par la police.

V. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ

211.Depuis le début de l’enquête, le Comité a examiné un grand nombre d’informations émanant de sources fiables concernant le recours à la torture en Serbie et au Monténégro avant octobre 2000. Ces informations ont été corroborées par des témoignages que des victimes, des témoins et des fonctionnaires gouvernementaux ont apportés devant les trois membres du Comité qui se sont rendus sur place. Sur la base de ces renseignements, le Comité a conclu que la torture était pratiquée de manière systématique en Serbie avant octobre 200016. En outre, le Comité a noté avec consternation que, malgré la gravité des accusations portées, aucune mesure importante n’avait été prise pour enquêter sur les faits en question, en punir les auteurs et dédommager les victimes. Néanmoins, le Comité s’est félicité de la création de la Commission Vérité et réconciliation17, chargée d’encourager et d’organiser les recherches sur les atteintes aux droits de l’homme et les violations du droit international, du droit humanitaire et du droit de la guerre qui ont été commises sur le territoire de l’ex‑Yougoslavie, afin d’établir la vérité et de contribuer à la réconciliation générale en Serbie‑et‑Monténégro ainsi qu’avec les pays voisins. Le Comité a noté que la Commission comptait recueillir le plus grand nombre de témoignages possible et dresser la liste des victimes, mais pas nécessairement celle des auteurs car elle n’était pas juridiquement compétente pour s’occuper de ceux‑ci.

212.Contrairement à la situation qui prévalait dans le pays avant octobre 2000, le Comité a constaté que, sous le nouveau régime politique, les cas de torture avaient considérablement diminué et que la torture n’était plus pratiquée de manière systématique18. Cependant, des cas de torture continuaient manifestement à se produire, en particulier dans les commissariats, et les réformes de la police et de la magistrature n’avaient pas encore pleinement démontré leur efficacité en matière de prévention et de répression. S’ils souhaitaient mettre un terme à cette apparente culture de l’impunité, les hauts fonctionnaires de police, les juges et les procureurs qui paraissaient sensibles au problème de la torture devaient agir au lieu de réagir. Pour le moment, leur attitude semblait dépendre grandement de la pression de l’opinion publique qui les poussait à intervenir dans certaines affaires, du dépôt de plaintes par des particuliers ou par des ONG les représentant, ou encore de l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’initiative de particuliers. Le Comité souhaite rappeler à ce propos que l’État partie est tenu de ne ménager aucun effort pour enquêter sur tous les cas de torture, dédommager les victimes de la perte ou du préjudice qu’elles ont subi et traduire les responsables en justice. Par ailleurs, conformément à la résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité et au Statut du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY), l’État partie est également tenu de coopérer pleinement avec le Tribunal en matière d’enquête et pour ce qui a trait au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit humanitaire international, y compris des actes de torture.

213.Compte tenu de ces conclusions, le Comité juge approprié de formuler les recommandations ci‑après:

a)Les plaintes faisant état d’actes de torture commis par des agents de l’État sous le régime précédent devraient faire l’objet d’une enquête complète et impartiale; les auteurs devraient être traduits en justice et les victimes dédommagées. Les résultats de ces enquêtes devraient être rendus publics;

b)L’État partie devrait apporter sa pleine coopération au TPIY, notamment en arrêtant et en transférant les personnes accusées qui sont toujours en liberté, ainsi qu’en permettant au Tribunal d’accéder librement aux documents nécessaires et aux témoins potentiels;

c)La Commission Vérité et réconciliation devrait être habilitée à enquêter sur toutes les allégations de torture concernant le régime précédent, à rendre ses constatations publiques et à recommander des mesures correctives, y compris le jugement de certaines personnes, si cela se justifie. Elle devrait être dotée des pouvoirs et des moyens nécessaires pour s’acquitter de son mandat dès que possible;

d)La loi devrait prévoir des garanties pour protéger de la torture toutes les personnes placées en garde à vue, qu’elles soient soupçonnées de délits graves ou non, et leur permettre d’aviser leur famille et d’avoir accès à un médecin et au conseil de leur choix;

e)L’État partie devrait assurer pleinement l’indépendance des magistrats du siège et du parquet;

f)L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que les membres des minorités ethniques et religieuses ne soient pas maltraités par les agents du maintien de l’ordre pour des raisons de discrimination;

g)Un système d’inspection des conditions de détention par des experts indépendants devrait être établi; les ONG devraient pouvoir continuer à visiter les prisons;

h)Le crime de torture, tel que défini dans la Convention, devrait être incorporé dans le droit interne. Il est rappelé à l’État partie que la torture est considérée comme un crime international au regard du droit international coutumier et en vertu de la Convention. Le crime de torture ni aucun autre crime international ne devraient pouvoir être touchés par la prescription. Parallèlement, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate devrait être garanti tel qu’il est énoncé dans la Convention;

i)Conformément à l’article 12 de la Convention, les procureurs et les juges devraient ouvrir des enquêtes sur toute allégation de torture portée à leur attention, que la victime ait déposé une plainte formelle ou non. En particulier, tout juge d’instruction apprenant qu’un détenu affirme avoir été soumis à la torture devrait ouvrir sans délai une enquête efficace à ce sujet;

j)Étant donné qu’il existe apparemment une culture de l’impunité, les enquêtes sur les cas de torture devraient être rapides, impartiales et efficaces. Elles devraient comprendre un examen médical effectué conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants faisant partie du Protocole d’Istanbul;

k)Les responsables de l’application des lois devraient disposer de tous les moyens théoriques et pratiques modernes et bénéficier de la formation professionnelle nécessaire pour procéder à des enquêtes criminelles efficaces et équitables;

l)Tous les responsables de l’application des lois devraient être formés aux normes internationales relatives à la détention et au traitement des détenus, conformément à la Convention et au Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois;

m)Un examen médical devrait être effectué sur tous les détenus de toutes les prisons dans les 24 heures suivant leur arrestation. Tout certificat attestant l’examen médical d’un détenu devrait comporter: i) un compte rendu des déclarations pertinentes faites par l’intéressé, y compris sa description de son état de santé et toute allégation de mauvais traitements; ii) un exposé d’observations médicales objectives fondées sur un examen approfondi; iii) la conclusion du médecin compte tenu de i) et ii). En outre, les résultats de l’examen médical susmentionné devraient être communiqués à l’intéressé et à son avocat;

n)Les juges, les procureurs et les avocats devraient être pleinement informés des obligations internationales de la Serbie‑et‑Monténégro dans le domaine des droits de l’homme, en particulier celles qui découlent de la Convention;

o)L’État partie devrait instituer un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur toutes les violations des droits de l’homme portées à son attention, où qu’elles se produisent;

p)Les personnes accusées d’avoir commis des actes de torture devraient être suspendues de leurs fonctions le temps qu’une enquête soit menée sur ces allégations. Celles qui sont déclarées coupables devraient être exclues de la fonction publique quelle que soit la sanction qui leur est imposée par ailleurs;

q)Des mesures devraient être prises pour faire en sorte que les mécanismes de contrôle interne de la police soient rapides, indépendants et efficaces. Une autorité indépendante chargée d’examiner les plaintes, dotée de pouvoirs de contrôle et d’action étendus, devrait être instituée dans la police;

r)L’État partie devrait mettre au point des programmes d’indemnisation appropriés en faveur des victimes de la torture;

s)L’ État partie devrait élaborer des programmes officiels de réadaptation des victimes de la torture. Jusqu’à présent, seules des institutions privées ont conçu de tels programmes;

t)L’État partie devrait demander instamment à l’État du Monténégro d’adopter les garanties figurant dans le nouveau Code de procédure pénale qui sont utiles à la prévention de la torture et des mauvais traitements.

VI. ADOPTION DU RAPPORT PAR LE COMITÉ ET TRANSMISSIONÀ L’ÉTAT PARTIE

214.À sa vingt‑neuvième session, le Comité a adopté le rapport sur son enquête et a décidé de le transmettre à l’État partie conformément au paragraphe 4 de l’article 20 de la Convention. Le Comité a invité l’État partie, en vertu du paragraphe 2 de l’article 83 de son règlement intérieur, à l’informer des mesures qu’il prendrait en réponse aux conclusions et recommandations du Comité.

VII. RÉSUMÉ DE LA RÉPONSE DE L’ÉTAT PARTIE

215.Le 13 octobre 2003, l’État partie a fait savoir au Comité que ses recommandations étaient très importantes dans le contexte de la promotion des droits de l’homme qui serait réalisée au titre des programmes d’assistance technique qu’allait entreprendre le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et en application du Mémorandum d’accord signé par le Ministère des affaires étrangères de la Serbie‑et‑Monténégro et le Haut‑Commissariat.

Garanties contre la torture et autres formes de peines inacceptables

216.En son article 12, la Charte des droits de l’homme, des droits des minorités et des libertés civiles, publiée dans le Journal officiel de la Communauté étatique de Serbie‑et‑Monténégro no 6/2003, prohibe non seulement la torture mais aussi, expressément, les traitements ou punitions inhumains ou dégradants. En ce sens, elle représente un progrès par rapport à la Constitution de la République fédérative de Yougoslavie et aux Constitutions des Républiques de Serbie et du Monténégro.

217.Le Code pénal de base de la Serbie‑et‑Monténégro et les codes pénaux des États membres érigent en crime l’arrestation illégale, l’extorsion de déclarations et les mauvais traitements dans l’exercice de fonctions officielles. Lorsque les amendements au Code pénal de la République fédérative de Yougoslavie (devenu le Code pénal de base) ont été adoptés, en 2001, il a été considéré que les obligations internationales découlant de la Convention étaient incorporées dans les articles 190 et 191, ainsi que dans les articles 65 et 66 du Code pénal de la République de Serbie et les articles 47 et 48 du Code pénal de la République du Monténégro. En outre, l’article 12 du Code de procédure pénale de 2001 dispose que toute violence à l’encontre d’une personne en état d’arrestation ou dont la liberté est restreinte de même que toute extorsion d’aveux ou de toute autre forme de déclaration d’un accusé ou de toute autre personne participant à la procédure sont prohibées et passibles de sanctions. D’autres dispositions du Code relatives aux interrogatoires, à l’interdiction du recours à la force, à l’obligation faite au juge de ne pas prendre en compte des déclarations faites sous la torture et de retirer du dossier toute déclaration obtenue en violation des interdictions, etc., sont également mentionnées.

218.Les lois des États membres relatives à l’exécution des sanctions pénales ne prohibent pas expressément la torture ni les autres traitements similaires. Néanmoins, elles disposent que les personnes déclarées coupables doivent être traitées avec humanité. Les États membres ont en outre pris des mesures en vue de réformer leur législation afin de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à l’exécutif. En République de Serbie, la loi sur les juges a été amendée en mars 2003 et alignée sur les normes internationales. Le Code pénal devrait bientôt être modifié pour ériger la torture en infraction pénale.

219.Le Gouvernement de la République du Monténégro a établi un groupe de travail chargé d’élaborer une loi pénale, une loi de procédure pénale et une loi sur le parquet. Il est envisagé que la loi pénale érige la torture en infraction pénale. Le Code de procédure pénale devrait prévoir la vérification des allégations faites par les suspects durant l’enquête et la phase préalable au procès dans les cas de torture et autres peines ou traitements inhumains.

Accusations et procès en lien avec des cas de torture ou de mauvais traitements durant la période 1992 ‑2002

220.Du 1er janvier 1992 au 30 septembre 2002, le Ministère de l’intérieur de la République de Serbie a engagé 32 actions en justice contre 43 fonctionnaires de police soupçonnés d’avoir commis les infractions pénales ci‑après: mauvais traitements (21), arrestations illégales (6), rapports sexuels forcés (3), rapports sexuels contre nature avec abus d’autorité et extorsion de déclaration (3) et rapports sexuels sous la contrainte ou rapports sexuels contre nature avec abus d’autorité (1). La majorité des poursuites ont été engagées en 2001 et 2002.

221.Entre le 1er janvier 2000 et le 31 octobre 2002, 4 625 plaintes ont été déposées par des particuliers contre des fonctionnaires de police. Au total, 523 plaintes ont été jugées fondées et, par conséquent, des mesures disciplinaires ont été prises à l’encontre de 158 fonctionnaires pour faute professionnelle grave et de 111 fonctionnaires pour faute professionnelle légère. En attendant la fin de la procédure, 32 fonctionnaires ont été relevés de leurs fonctions. Les chefs d’accusation correspondaient à 10 infractions pénales et 14 infractions mineures, et 4 fonctionnaires ont eu leur contrat de travail résilié à l’amiable. Il a été établi que 2 929 plaintes étaient non fondées; 1 173 autres sont encore examinées. Le plus grand nombre d’affaires examinées (32 actions en justice contre 43 fonctionnaires de police) concernait le recours inapproprié ou excessif à la force associé à l’utilisation de moyens de coercition. Trois personnes sont décédées et cinq ont été gravement blessées au cours de ces incidents. À la fin de la procédure, 12 fonctionnaires ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 80 jours à six ans.

222.Des mesures disciplinaires ont été prises à l’encontre de 32 fonctionnaires. Quatre fonctionnaires ont été destitués, 10 ont reçu une amende et 5 ont été mutés. Les poursuites engagées contre 2 fonctionnaires ont été abandonnées, celles engagées contre 6 autres sont encore en cours et 5 fonctionnaires ont été acquittés.

223.Outre les mesures judiciaires prises d’office par le Ministère de l’intérieur, 1 076 accusations ont été portées directement auprès du Procureur général, par des particuliers, contre 1 578 fonctionnaires. Il s’agissait essentiellement de mauvais traitements dans l’exercice de fonctions officielles (930 accusations), d’extorsion de déclaration (124) et d’arrestation illégale. Jugées non fondées, la plupart des poursuites ont été abandonnées.

224.En matière d’indemnisation des victimes, les juges ont commencé à appliquer directement la Convention contre la torture.

225.Au Monténégro, durant la période allant du 1er juillet 2001 au 1er septembre 200219, 258 fonctionnaires de police ont fait l’objet de mesures disciplinaires. Ces derniers temps, l’accent a été mis sur la réglementation et la limitation des pouvoirs conférés à la police, y compris en ce qui concerne le recours à la force et l’utilisation d’armes à feu, l’arrestation, le traitement des détenus et l’attribution d’un avocat dès le premier interrogatoire en garde à vue.

226.Pour ce qui est de la recommandation du Comité concernant les Roms de Danilovgrad, le Gouvernement monténégrin a autorisé le Procureur général à obtenir un règlement judiciaire indemnisant les victimes des dommages matériels et autres qu’elles ont subis à hauteur de 985 dinars.

Garanties visant à protéger de la torture les personnes détenues ou reconnues coupables

227.En Serbie, les personnes détenues ou reconnues coupables sont autorisées à déposer une plainte auprès du Directeur du Département de l’exécution des sanctions pénales et de son unité administrative, le Service de surveillance.

228.Chaque établissement est systématiquement inspecté une fois par an. En sus de cette surveillance interne, des représentants du Comité international de la Croix‑Rouge visitent les lieux de détention. Entre 1999 et décembre 2002, ils ont effectué 215 visites de ce type.

229.Une longue série de difficultés économiques dans le pays a considérablement affecté le fonctionnement des institutions chargées de l’exécution des sanctions pénales. Au cours des deux années précédentes, des efforts ont été entrepris en vue d’améliorer la situation financière du personnel pénitentiaire et de l’encourager davantage à bien travailler. En conséquence, le traitement des personnes déclarées coupables s’est lui aussi amélioré. Des efforts ont également été accomplis pour assurer de meilleures conditions de détention.

Formation des responsables de l’application des lois

230.Les fonctionnaires de police des deux États membres de la Communauté suivent une formation visant à prévenir la torture. En République de Serbie, les nouvelles lois sur la police et la formation de la police qui sont actuellement élaborées devraient être prêtes pour l’adoption à l’automne 2003. Le Ministère de l’intérieur a décidé de créer un poste d’inspecteur général qui sera chargé de veiller à ce que les procédures policières soient conformes à la loi. Les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur sont sensibilisés aux instruments relatifs aux droits de l’homme, en particulier ceux qui interdisent la torture, au droit humanitaire et au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois durant leurs études dans les écoles secondaires et supérieures de police et à la faculté de police et dans le cadre de séminaires.

231.En République du Monténégro, un nouveau projet de loi sur la police a été présenté au Parlement. Il exprime une nouvelle conception de l’administration et de ses relations avec le public fondée sur une transparence, une ouverture et une coopération totales. Un code de conduite est en outre élaboré. En 2003, plusieurs conférences et séminaires sur les droits de l’homme et le maintien de l’ordre ont été organisés. Avec l’assistance du HLC, un cours spécialisé sur le droit humanitaire international a été dispensé à l’intention des juges, des procureurs, des praticiens du droit et des inspecteurs de police judiciaire. Des séminaires ont été consacrés au rôle de la police de proximité.

Coopération avec le TPIY

232.La Serbie‑et‑Monténégro attache beaucoup d’importance à sa coopération avec le Tribunal, régie par la loi sur la coopération avec le TPIY. Le Conseil de coopération nationale créé en application de cette loi a mis au point des procédures de coopération à plusieurs niveaux. La coopération s’illustre dans le transfert d’accusés, la communication de documents, l’audition de témoins et de suspects, les procès devant des tribunaux nationaux et l’application de mesures de protection. À ce jour, neuf accusés ont été arrêtés et remis au Tribunal et 12 accusés qui résidaient dans le pays se sont livrés aux autorités.

233.Le TPIY a transmis aux autorités 17 mandats d’arrêt concernant d’autres accusés, notamment Radovan Karadzic, ancien dirigeant serbe bosniaque, le général Ratko Mladic, ancien commandant serbe bosniaque, Vladimir Kovacevic, ancien membre des forces armées de la Serbie‑et‑Monténégro, et 14 soldats de l’armée serbe bosniaque. Des avis de recherche ont été lancés pour la plupart de ces personnes, sauf deux d’entre elles pour lesquelles cela ne saurait tarder. Du début de 2001 à mai 2003, l’État partie a répondu à 99 demandes de documents émanant du Bureau du Procureur du Tribunal. Dans huit cas seulement, la réponse a été qu’il n’avait pas été possible de satisfaire la requête ou que les documents demandés n’existaient pas. De plus, il a été répondu partiellement à 14 demandes, c’est‑à‑dire qu’une partie des documents demandés a été fournie.

234.En ce qui concerne les témoins, la coopération consiste à les rechercher, à les notifier, à communiquer des documents d’audience ou à délivrer des dérogations pour témoigner sur des informations classifiées ou privilégiées. Entre le début de 2001 et le début de mai 2003, 115 demandes ont été déposées par le Bureau du Procureur ou la Chambre de première instance. Dans 10 cas seulement, les personnes recherchées n’ont pas pu être identifiées. La Serbie‑et‑Monténégro répond même à d’autres demandes du Tribunal concernant l’organisation de réunions avec les responsables gouvernementaux ou la présence d’enquêteurs du TPIY lors des exhumations.

235.Par ailleurs, plusieurs autres affaires ont été ou sont portées devant les tribunaux nationaux. En juillet 2003, une loi a été adoptée sur l’organisation et la compétence des pouvoirs publics en matière de poursuites contre les auteurs de crimes de guerre, y compris ceux qui relèvent de l’article 5 du Statut du TPIY. En vertu de cette loi, les autorités serbes sont habilitées à poursuivre les auteurs de crimes de guerre commis sur le territoire de l’ex‑Yougoslavie, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime. La loi prévoyait la création d’un bureau du Procureur spécial pour les crimes de guerre, qui a déjà été désigné. Elle dispose également que le tribunal compétent pour les crimes de guerre est le tribunal de district de Belgrade.

VIII. RENSEIGNEMENTS RECUS PAR LE COMITÉ APRÈS SA VISITE EN SERBIE‑ET‑MONTÉNÉGRO

236.En 2003 et au début de 2004, des ONG ont communiqué au Comité des allégations selon lesquelles, entre autres, la police continuait à maltraiter les personnes soupçonnées d’infractions pénales, l’État partie ne coopérait pas pleinement avec le TPIY, les efforts en vue de poursuivre les criminels de guerre devant les tribunaux nationaux n’étaient pas appropriés et les procédures juridiques internes permettant de traduire en justice les responsables de crimes de guerre étaient inadéquates.

237.En particulier, il a été signalé qu’au cours de l’enquête sur l’assassinat du Premier Ministre Zoran Djindjic en mars 2003, environ 10 000 personnes ont été arrêtées. Elles ont été détenues sans autorisation d’un organe judiciaire compétent et sans avoir accès à un avocat ni aux membres de leur famille, parfois jusqu’à deux mois, en vertu de lois d’urgence adoptées après l’assassinat. Les renseignements communiqués donnent en outre à penser que beaucoup de ces personnes ont subi des mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture.

238.Un certain nombre de cas individuels, dont certains n’avaient aucun lien avec l’enquête sur l’assassinat du Premier Ministre, ont également été rapportés.

239.Le Comité a pris note avec préoccupation des information ci‑dessus.

IX. PUBLICATION DU COMPTE RENDU SUCCINCT

240.À sa trente et unième session, conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention et à l’article 84 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’inviter l’État partie à lui faire part de ses observations concernant la publication éventuelle d’un compte rendu succinct des résultats de l’enquête dans le rapport annuel du Comité. Le 1er mars 2004, l’État partie a indiqué qu’il acceptait cette publication. À sa trente‑deuxième session, le Comité a approuvé le compte rendu succinct et a décidé de l’inclure dans son rapport annuel.

Notes

1 Dans son rapport de 2001 sur le maintien de l’ordre en République fédérale de Yougoslavie, l’OSCE a recommandé d’entreprendre un examen complet et détaillé des lieux de détention (Recommandation no 48).

2 Petar Antic, Abuses of Roma Rights in Serbia, Belgrade, 2001.

3 Ce délai était de trois jours dans l’ancien Code de procédure pénale.

4 OSCE, op. cit., p. 24.

5 Décret du Gouvernement de la République de Serbie no 05 broj 011‑5742/74 en date du 23 septembre 1992.

6 OSCE, op. cit., p. 22 et 23.

7 Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante ‑quatrième session, Supplément n o  44 (A/54/44), par. 35 à 52.

8 L’article 65 du Code pénal serbe dispose ce qui suit:

«1)Quiconque, dans l’exercice de ses fonctions, a recours à la force, à la menace ou à d’autres moyens prohibés ou inadmissibles pour arracher un aveu ou d’autres formes de déclaration à l’accusé, aux témoins, aux experts ou à d’autres personnes est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois à cinq ans.

2)Si l’extorsion d’aveu ou de déclaration s’accompagne de violences graves ou a eu des conséquences graves pour une personne accusée dans une procédure pénale, l’auteur est passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins quatre ans.».

9 L’article 66 du Code pénal serbe dispose ce qui suit: «Quiconque, dans l’exercice de ses fonctions, soumet une autre personne à des sévices, des outrages ou des menaces d’une manière portant atteinte à la dignité humaine est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois à trois ans.». Les articles 190 et 191 du Code pénal yougoslave de 1976 contiennent des dispositions semblables à celles des articles 65 et 66.

10 Selon l’OSCE, la Mission de vérification au Kosovo avait des contacts fréquents avec les autorités, les chefs de police et les magistrats serbes à propos des allégations de torture ou de mauvais traitements. «De manière générale, la Mission recevait l’assurance que tous les cas de torture et de mauvais traitements seraient suivis et que le fonctionnaire concerné subirait toutes les conséquences disciplinaires et judiciaires prévues par la loi. Toutefois, cela … ne serait possible que si des allégations concrètes étaient faites, avec mention du nom du fonctionnaire et du lieu et de la date de l’infraction présumée. Lorsque la Mission a demandé au Procureur en chef de Pec et au Président du tribunal de district de Pec si des allégations de torture ou de mauvais traitements infligés par la police donneraient effectivement lieu à une enquête et à des poursuites, le Procureur a répondu par l’affirmative mais a ajouté qu’il n’avait eu connaissance d’aucune affaire de ce type. Il était difficile d’agir concrètement pour plusieurs raisons. Premièrement, les Albanais de souche et, d’ailleurs, quiconque avait été maltraité ou torturé par la police ne faisaient pas confiance aux institutions de l’État pour protéger leurs droits et leurs intérêts et faire valoir leur droit à réparation et indemnisation. Deuxièmement, dans la plupart des cas, les victimes ne connaissaient pas l’identité des auteurs et lorsqu’elles essayaient de les identifier, les fonctionnaires de police ordinaires ne les aidaient quasiment jamais. Troisièmement, même si la victime déposait une plainte auprès du chef de la police locale, le plus souvent avec le soutien actif du bureau local de la Mission …, les répercussions sur le fonctionnaire qui avait maltraité le plaignant n’étaient pas suffisamment fortes pour le dissuader de recommencer … Le fait que les autorités judiciaires ne répondaient quasiment pas à ces allégations contribuait à créer parmi les policiers un sentiment d’impunité propice à la persistance et à l’aggravation de ce type d’atteintes aux droits de l’homme.». Kosovo, As Seen, As Told, p. 52.

11 Le Procureur général a dit aux membres du Comité qu’il leur fournirait des statistiques relatives aux plaintes déposées en vertu de l’article 65 du Code pénal serbe. Au moment de l’établissement du présent rapport, il ne l’avait pas encore fait.

12 Le HLC a fourni au Comité des renseignements concernant le cas d’E. M., musulman originaire de Priboj, dans la région du Sandjak, qui aurait été emmené dans un commissariat de police local le 19 novembre 1999 et frappé durant plusieurs heures pendant qu’il était interrogé à propos d’une personne qu’il ne connaissait pas. Le 29 décembre 1999, le HLC a déposé une plainte criminelle contre des policiers non identifiés du commissariat de police de Priboj, les accusant d’avoir infligé des dommages corporels légers. À deux reprises, le HLC a demandé au procureur municipal de révéler l’identité des policiers et d’engager des poursuites pénales à leur encontre. Le procureur a répondu que, bien qu’il le leur ait demandé deux fois, les autorités de police de Priboj ne lui avaient pas fourni les informations nécessaires pour identifier les auteurs présumés.

13 Conformément à la législation du travail serbe, une personne condamnée à une peine d’emprisonnement de six mois au maximum peut être réintégrée dans ses fonctions.

14 Le cas de V. K. illustre ce type de comportement. Battu le 13 novembre 1996 par des fonctionnaires du commissariat de police de Pancevo, V. K. a souffert de lésions cérébrales et de fractures de l’occiput, de la mâchoire et du nez et a subi une perte d’audition irréversible. Le 12 décembre 1996, il a porté plainte contre deux policiers, les accusant de coups et blessures graves. Le 5 mars 1997, le Procureur a retiré les charges et V. K. a lui‑même engagé des poursuites. Sur les 12 audiences qui étaient prévues pour 2001, deux seulement ont eu lieu. Une audience a été reportée parce que les juges participaient à une conférence et neuf autres parce qu’un ou plusieurs inculpés ne s’étaient pas présentés. (Comité d’Helsinki pour les droits de l’homme en Serbie, Human Rights and Transition − Serbia 2001, 2002, p. 63 et 64.)

15 Conformément à l’article 95 du Code pénal de la République fédérative de Yougoslavie, pour les crimes passibles d’une peine d’emprisonnement de trois à cinq ans, le délai de prescription est de cinq ans.

16 Comme il l’a affirmé à plusieurs reprises, le Comité considère qu’il y a pratique systématique de la torture lorsqu’il apparaît que les cas de torture rapportés ne se sont pas produits fortuitement en un endroit ou à un moment donné, mais revêtent un caractère habituel, généralisé et délibéré, au moins dans une partie considérable du pays en cause. D’autre part, la torture peut avoir un caractère systématique sans qu’elle résulte de l’intention directe d’un gouvernement. En effet, celle‑ci peut être la conséquence de facteurs que le gouvernement peut avoir des difficultés à contrôler et son existence peut signaler un décalage entre la politique déterminée au niveau du gouvernement central et son application au niveau de l’administration locale. Une législation insuffisante qui laisse en fait la possibilité de recourir à la torture peut encore ajouter au caractère systématique de cette pratique.

17 Créée par la décision du Président de la République en date du 29 mars 2001.

18 Une grande partie des informations reçues porte sur des actes qui ne peuvent peut‑être pas être assimilés à la torture au sens de l’article premier de la Convention mais qui peuvent relever de l’article 16 et, par conséquent, se situer hors du champ d’application de l’article 20.

19 Il n’y a aucune indication sur les types de comportement en cause.

V. EXAMEN DE REQUÊTES REÇUES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

A. Informations générales

241.Conformément à l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les particuliers qui affirment être victimes d’une violation par un État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention ont le droit d’adresser une requête au Comité contre la torture pour examen, sous réserve des conditions énoncées dans cet article. Cinquante-six des 136 États qui ont adhéré à la Convention ou l’ont ratifiée ont déclaré qu’ils reconnaissaient la compétence du Comité pour recevoir et examiner des requêtes en vertu de l’article 22 de la Convention. La liste de ces États figure à l’annexe III. Le Comité ne peut recevoir aucune requête concernant un État partie à la Convention qui n’a pas reconnu sa compétence en vertu de l’article 22.

242.Les requêtes soumises en vertu de l’article 22 de la Convention sont examinées en séance privée (art. 22, par. 6). Tous les documents relatifs aux travaux du Comité dans le cadre de l’article 22 (observations des parties et autres documents de travail) sont confidentiels.

243.Conformément à l’article 107 révisé du règlement intérieur, afin de se prononcer sur la recevabilité d’une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l’article 98 ou au paragraphe 3 de l’article 106 s’assure que le requérant déclare être victime d’une violation par l’État partie intéressé des dispositions de la Convention, que la requête ne constitue pas un abus de la procédure devant le Comité et n’est pas manifestement dénuée de fondement, que la requête n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ou n’a pas déjà été examinée, que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et que le délai écoulé depuis l’épuisement des recours internes n’est pas excessivement long, au point que l’examen de la plainte par le Comité ou l’État partie en est rendu anormalement difficile.

244.Conformément à l’article 109 révisé du règlement intérieur, aussitôt que possible après son enregistrement, la requête est transmise à l’État partie qui est prié de soumettre une réponse écrite dans les six mois. À moins que le Comité, le groupe de travail ou le rapporteur n’ait décidé, du fait du caractère exceptionnel de l’affaire, de demander une réponse écrite qui porte exclusivement sur la question de la recevabilité, l’État partie soumet des explications ou des observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la requête ainsi que sur toute mesure qui peut avoir été prise pour accorder réparation. L’État partie peut demander, dans un délai de deux mois, que la requête soit déclarée irrecevable. Le Comité, ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, peut accepter ou non d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond. Lorsqu’une décision a été rendue sur la seule question de la recevabilité, le Comité fixe la date limite de la réponse sur le fond au cas par cas.

245.Le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s) peut demander à l’État partie ou au requérant de présenter par écrit des renseignements, éclaircissements ou observations supplémentaires et il fixe un délai pour ce faire. Dans le délai indiqué par le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s), l’État partie ou le requérant peut bénéficier de la possibilité de faire des commentaires sur toute réponse reçue de l’autre partie. Le fait de ne pas recevoir ces commentaires dans le délai fixé ne doit pas, en règle générale, retarder l’examen de la requête. Si l’état partie ou le requérant ne sont pas en mesure de fournir les renseignements demandés dans les délais impartis, ils sont exhortés à demander un prolongement du délai. En l’absence d’une telle demande le Comité, ou son Groupe de travail, peut décider d’examiner la recevabilité et/ou le fond de la requête en se fondant sur les renseignements figurant dans le dossier. À sa trentième session, le Comité a décidé d’inclure, dans toute note verbale ou lettre de transmission adressée à l’état partie/au requérant, un paragraphe standard à cet effet fixant un délai pour la présentation de commentaires sur les observations de l’autre partie. L’incorporation de ce paragraphe remplace l’ancienne pratique consistant à envoyer des rappels qui se traduisait par des retards dans l’examen des requêtes.

246.Le Comité prend une décision au sujet d’une requête à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été fournis par le requérant et par l’État partie. Ses constatations sont communiquées aux parties (art. 22, par. 7, de la Convention, et art. 112 du règlement intérieur) et sont ensuite rendues publiques. Le texte des décisions du Comité déclarant des requêtes irrecevables en vertu de l’article 22 de la Convention est également rendu public; si l’État partie est identifié, l’identité du requérant en revanche n’est pas révélée.

247.Conformément au paragraphe 1 de l’article 115 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’inclure dans son rapport annuel un résumé des requêtes examinées. Il inclut aussi dans son rapport annuel le texte de ses décisions en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

B. Mesures provisoires de protection

248.Il est fréquent que les requérants demandent une protection à titre préventif, en particulier quand ils sont sous le coup d’une mesure d’expulsion ou d’extradition imminente et qu’ils invoquent une violation de l’article 3 de la Convention. En vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité, son groupe de travail ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires peut, à tout moment après avoir reçu une requête, adresser à l’État partie une demande tendant à ce qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée. L’État partie est informé que la demande de mesures provisoires ne préjuge pas la décision qui sera prise en définitive sur la recevabilité ou sur le fond de la requête. Le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires vérifie que les demandes de mesures provisoires adressées par le Comité sont respectées. L’État partie peut informer le Comité que les raisons justifiant l’adoption de mesures provisoires ont cessé d’exister ou peut présenter des arguments pour expliquer pourquoi il pense que les mesures provisoires devraient être levées. Le rapporteur, le Comité ou son groupe de travail peut retirer la demande de mesures provisoires.

249.Au cours de la période considérée, le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a développé la méthode de travail concernant le retrait des demandes de mesures provisoires. Lorsque les circonstances donnent à penser qu’une demande de mesures provisoires peut être reconsidérée avant l’examen d’une requête quant au fond, il convient d’ajouter à la demande une phrase standard, disant que la demande est adressée à l’État partie compte tenu d’éléments d’information communiqués par le requérant dans sa requête mais qu’elle peut être reconsidérée, à l’initiative de l’État partie, à la lumière des renseignements ou observations reçus de sa part ou, le cas échéant, d’observations complémentaires fournies par le requérant.

250.Inversement, dans une affaire enregistrée au cours de la période considérée, il a été dans un premier temps décidé de ne pas demander de mesures provisoires au profit des requérants, en l’absence de renseignements suffisants justifiant la présentation d’une demande au titre du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur. Toutefois, par la suite, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a demandé à l’état partie de ne pas renvoyer les requérants dans leur pays d’origine eu égard à des renseignements complémentaires qu’ils avaient fournis.

251.Au cours de la période couverte par le présent rapport, le rapporteur a demandé aux États parties de surseoir à l’expulsion ou l’extradition dans un certain nombre d’affaires, afin de donner au Comité le temps d’examiner les requêtes selon la procédure applicable. Tous les États parties ainsi requis ont accédé à la demande du Comité. Dans neuf affaires d’expulsion enregistrées au cours de la période considérée, le rapporteur, après un examen minutieux des arguments présentés, n’a pas jugé nécessaire de demander aux États concernés de prendre des mesures provisoires pour éviter qu’un préjudice irréparable soit porté aux requérants à leur retour dans leur pays.

C. Travaux accomplis

252.Au moment de l’adoption du présent rapport, le Comité avait enregistré 249 requêtes concernant 23 pays. Sur ce nombre, 59 avaient été classées et 44 avaient été déclarées irrecevables. Le Comité avait adopté des constatations sur le fond dans le cas de 99 requêtes et avait établi que 25 d’entre elles faisaient apparaître des violations de la Convention. Il lui restait à examiner 47 requêtes au total.

253.À sa trente et unième session, le Comité a déclaré recevable une requête, qui devait être examinée au fond, et a déclaré irrecevable la requête no 236/2003 (A. T. A. c. Suisse).

254.à sa trente et unième session, le Comité a adopté des décisions quant au fond au sujet des requêtes nos 153/2000 (Z. T. c. Australie), 186/2001 (K .K. c. Suisse), 187/2001 (Thabti c. Tunisie), 188/2001 (Abdelli c. Tunisie), 189/2001(Ltaief c. Tunisie), 199/2001 (H. A.. c. Suède), 203/2002 (A. R.. c. Pays ‑Bas), 209/2002 (M. O. c. Danemark ), 210/2002 (V. R.. c. Danemark ), 213/2002 (E. J. V. M. c. Suède), 215/2002 (J. AG. V. c. Suède) et 228/2003 (T. M. c. Suède). Le texte de ces décisions est reproduit dans l’annexe VII du présent rapport.

255.Dans ses décisions sur les requêtes nos 153/2000 (Z. T. c. Australie), 186/2001 (K .K. c. Suisse), 203/2002 (A. R.. c. Pays ‑Bas), 209/2002 (M. O. c. Danemark ), 210/2002 (V. R. c. Danemark ), 213/2002 (E. J. V. M. c. Suède) et 215/2002 (J. A. G. V. c. Suède), le Comité a estimé que les requérants n’avaient pas prouvé qu’ils courraient personnellement un risque prévisible et réel d’être torturés à leur retour dans leur pays d’origine. Il a donc conclu, dans chaque cas, que le renvoi des requérants dans leur pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

256.Dans sa décision sur la requête no 199/2001 (H. A. c. Suède), la requérante a fait valoir que son expulsion en Égypte l’exposerait à un risque de torture car son époux avait été expulsé vers ce pays pour implication présumée dans des activités terroristes. Le Comité a conclu qu’étant donné les assurances fournies par l’état d’accueil, l’Égypte, quant au traitement de la requérante et de son époux à leur retour et comme l’état partie s’est lui‑même engagé à surveiller régulièrement la situation de la requérante au moyen de visites effectuées par son personnel consulaire, la requérante n’a pas prouvé que son expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

257.Dans sa décision sur la requête no 228/2033 (T. M. c. Suède), le Comité a conclu que l’expulsion du requérant vers le Bangladesh, où il aurait été torturé dans le passé en tant que membre d’un parti politique illégal, ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention dès lors que les tortures présumées dataient de six ans et que le parti politique du requérant était à présent au pouvoir au Bangladesh. En outre, le Comité a déclaré irrecevable ratione materiae l’affirmation selon laquelle le renvoi du requérant lui ferait courir le risque d’être maltraité au Bangladesh en violation des articles 2 et 16 de la Convention, et a noté que l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 ne s’appliquait pas aux situations de mauvais traitements visées par l’article 16. Il a également estimé que le requérant n’avait pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité que son renvoi rapide de Suède, en dépit de la maladie mentale dont il souffrait, constituait une violation de l’article 16 de la Convention; à cet égard, il a considéré que l’aggravation de l’état de santé physique ou mental d’une personne du fait de son expulsion ne constituait généralement pas un traitement dégradant au sens de cette disposition et que le requérant n’avait pas démontré qu’un traitement médical approprié n’était pas disponible au Bangladesh.

258.Dans ses décisions sur les requêtes nos 187/2001 (Thabti c. Tunisie), 188/2001 (Abdelli c. Tunisie) et189/2001(Ltaief c. Tunisie), le Comité a estimé que l’absence d’enquête de la part de l’état partie sur les allégations détaillées de torture faites par les requérants devant les autorités judiciaires dans le cadre de leur procès pour participation à une tentative de coup d’État ou pour soutien à une organisation illégale constitue une violation des articles 12 et 13 de la Convention. Il a souligné que l’obligation − énoncée à l’article 13 − d’examiner rapidement et de manière impartiale de telles allégations, notamment en effectuant un examen médical dès que les allégations de mauvais traitements étaient faites, n’était pas soumise au dépôt d’une plainte officielle pour torture dans le cadre des procédures nationales ou de la formulation d’une déclaration d’intention expresse à cet effet. Il suffisait à la victime présumée de porter les faits à l’attention de l’état partie.

259.à sa trente-deuxième session, le Comité a déclaré qu’une requête était recevable et devait faire l’objet d’un examen sur le fond et a déclaré irrecevables les requêtes nos 202/2002 (H. J. c. Danemark ), 225/2003 (R.. S. c. Danemark ), 229/2003 (H. S. V. c. Suède) et 243/2004 (S. A. c. Suède).

260.à sa trente-deuxième session, le Comité a adopté des décisions sur le fond concernant les requêtes nos 135/1999 (S. G. c. Pays ‑Bas), 148/1999 (A. K. c. Australie), 182/2001 (A .I. c. Suisse), 183/2001 (B. S. S. c. Canada), 196/2002 (M. A. M. c. Suède) et 214/2002 (M. A. K. c. Allemagne). Le texte de ces décisions est reproduit à l’annexe VII du présent rapport.

261.Dans ses décisions concernant ses requêtes nos 135/1999 (S. G. c. Pays ‑Bas), 148/1999 (A. K. c. Australie), 182/2001 (A .I. c. Suisse) et 196/2002 (M. A. M. c. Suède), le Comité a estimé que les requérants n’avaient pas prouvé qu’ils courraient personnellement un risque prévisible et réel d’être torturés à leur retour dans leur pays d’origine. Le Comité a donc conclu, dans chacune de ces affaires, que le renvoi des requérants vers ces pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

262.Dans sa décision concernant la plainte no 183/2001 (B.S.S. c. Canada), le Comité a conclu que l’expulsion du requérant en Inde, 13 ans après qu’il eut été, d’après ses affirmations, torturé par la police du Pendjab, ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention, dans la mesure où les éléments de preuve qu’il avait présentés portaient exclusivement sur le risque qu’il soit torturé au Pendjab. Il a estimé que le requérant n’avait pas étayé son allégation selon laquelle il lui serait impossible de mener une vie normale, à l’abri de la torture, ailleurs en Inde, notant que la réinstallation en dehors du Pendjab entraînerait certes des difficultés considérables pour le requérant, mais le simple fait qu’il ne puisse pas retrouver sa famille et son village natal n’était pas constitutif de torture au sens des articles 1 et 3 de la Convention. Le Comité a déclaré irrecevable l’allégation du requérant selon laquelle son renvoi forcé en Inde lui ferait endurer un traumatisme psychique grave en violation de l’article 16 de la Convention, et a noté que même si son expulsion en Inde pourrait susciter chez le requérant des craintes subjectives il ne s’agissait pas d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

263.Dans l’affaire no 214/2002 (M.A.K. c. Allemagne), le requérant, ressortissant turc d’origine kurde, a demandé la réouverture de la procédure après le rejet en dernier ressort de sa demande d’asile initiale par un tribunal allemand. Bien que sa demande de réexamen soit encore en instance devant les autorités judiciaires allemandes, le Comité a déclaré la requête recevable dans la mesure où une demande d’ordonnance provisoire faite par le requérant pour obtenir un sursis à son expulsion avait été rejetée de manière définitive et où la procédure principale n’avait pas d’effet suspensif. Cela dit, le Comité a conclu que l’expulsion du requérant en Turquie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention dans la mesure où il n’avait pas apporté la preuve de sa participation présumée au camp d’entraînement du PKK aux Pays‑Bas et parce que sa participation au barrage routier organisé par les partisans du PKK en 1994, pour laquelle il avait été condamné à une peine de prison avec sursis, ne constituait pas le type d’activité susceptible de le rendre particulièrement vulnérable au risque d’être torturé à son retour en Turquie. Dans le même temps, le Comité s’est félicité de la proposition de l’État partie de surveiller la situation du requérant après son retour en Turquie et a demandé à l’État partie de le tenir informé de cette situation.

D. Activités de suivi

264.À sa vingt‑huitième session, en mai 2002, le Comité contre la torture a modifié son règlement intérieur et institué la fonction de rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes présentées en vertu de l’article 22. Le Comité a décidé que le Rapporteur spécial aurait notamment pour mandat de:

a)Surveiller l’application des décisions du Comité, en envoyant des notes verbales aux États parties pour s’informer des mesures prises comme suite à ces décisions;

b)Recommander au Comité les mesures qu’il convient de prendre en cas d’absence de réponse de la part des États parties, comme suite à toutes les lettres reçues ultérieurement des requérants à propos de la non‑application des décisions du Comité par les États;

c)Rencontrer les représentants des États parties pour encourager l’application des décisions du Comité et déterminer si la fourniture de services consultatifs ou d’une assistance technique par le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme serait appropriée ou souhaitable;

d)Effectuer, avec l’approbation du Comité, des missions de suivi auprès des États parties;

e)Établir périodiquement à l’intention du Comité des rapports sur ses activités.

265.Le rapporteur chargé du suivi a présenté son premier rapport écrit au Comité à la trente‑deuxième session. Ce rapport contenait les renseignements reçus au 3 mai 2004 de requérants ou d’États parties au sujet de plusieurs décisions dans lesquelles le Comité avait conclu à l’existence de violations de la Convention. L’exposé pays par pays qui figure ci‑après contient un résumé succinct de ces décisions et des renseignements reçus dans le cadre du suivi.

Serbie-et-Monténégro

266.Hajrizi Dzemajl et consorts c. Yougoslavie, requête no 161/2000, décision adoptée le 21 novembre 2002. L’affaire concernait l’incendie et la destruction de maisons appartenant à des Roms par des non-Roms en avril 1995. Le Comité a constaté des violations du paragraphe 1 de l’article 16 et des paragraphes 12 et 13 de la Convention et recommandé qu’une enquête en bonne et due forme sur les faits soit menée, que les personnes responsables de ces actes soient poursuivies et punies, et qu’une réparation appropriée soit accordée aux requérants, sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate. Le Comité a demandé à l’État partie de l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la décision, c’est‑à‑dire le 13 mars 2003, des mesures qu’il aurait prises en réponse à ses constatations.

267.Le 4 août et le 24 septembre 2003, l’État partie a informé le Comité qu’il avait l’intention d’accorder une indemnisation d’un montant de 985 000 euros aux requérants. Le 2 février 2004, le rapporteur a écrit à l’État partie pour lui exprimer sa satisfaction à l’égard de son intention d’indemniser les victimes, mais a rappelé qu’afin de donner pleinement effet à la décision l’État partie était également tenu de poursuivre les responsables, et a demandé des renseignements à ce sujet. La même demande a été adressée à un représentant de l’État partie avec lequel le rapporteur s’est entretenu le 30 avril 2004. Le 6 mai 2004, l’État partie a répondu qu’il avait indemnisé les requérants et que par conséquent le Gouvernement monténégrin s’était acquitté de toutes ses obligations découlant de la décision.

268.Ristic c. Yougoslavie, requête no 113/1998, décision adoptée le 11 mai 2001. Cette affaire portait sur l’absence d’enquête sur des allégations de torture dans des circonstances où la cause du décès de la victime n’était pas claire. Le Comité a conclu à l’existence de violations des articles 12 et 13 de la Convention et a recommandé que les mesures de réparation voulues soient prises. À la suite de l’entretien avec le représentant de l’État partie le 30 avril 2004, le rapporteur a été informé le 3 mai 2004 que le Bureau du Procureur public à Sabac avait ordonné l’exhumation du corps de Milan Ristic et une nouvelle autopsie afin de déterminer s’il existait de nouveaux éléments justifiant la réouverture du procès. L’exhumation a eu lieu le 20 avril 2004 et les résultats seraient communiqués au Comité lorsque les examens nécessaires auraient été effectués.

Suède

269.Chedli Ben Ahmed Karoui c. Suède, requête no 185/2001, décision adoptée le 8 mai 2002. L’affaire portait sur le risque que courait le requérant d’être torturé en cas de renvoi en Tunisie. Le Comité a constaté une violation de l’article 3 de la Convention. Le 11 décembre 2002, l’État partie a informé le Comité qu’une nouvelle demande, notamment pour l’obtention d’un permis de résidence, avait été déposée par le requérant et sa famille auprès de la Commission d’appel des étrangers et que la décision du Comité avait été invoquée à l’appui de cette demande. Le 4 juin 2002, la Commission a annulé les arrêtés d’expulsion pris à l’encontre du requérant et de sa famille, qui ont par la suite obtenu un permis de résidence permanent.

Tunisie

270.M’Barek c. Tunisie, requête no 60/1996, décision adoptée le 10 novembre 1999. L’affaire portait sur l’absence d’enquête sur des allégations de torture dans des circonstances où la cause du décès de la victime n’était pas claire. Le Comité a constaté des violations des articles 12 et 13 de la Convention et a recommandé à l’État partie de l’informer dans un délai de 90 jours des mesures qu’il aurait prises en réponse à cette constatation. Dans une lettre datée du 15 avril 2002, l’État partie a contesté la décision et l’interprétation du dossier faite par le Comité dans celle‑ci.

271.Thabti c. Tunisie, requête no 187/2001, Abdelli c. Tunisie, requête no 188/2001, et Ltaief c. Tunisie, requête no 189/2001, décisions adoptées le 14 novembre 2003. Ces affaires avaient trait à des actes de torture qu’auraient subis les requérants. Le Comité a constaté des violations des articles 12 et 13 de la Convention, et a recommandé à l’État partie de mener une enquête sur les allégations et de l’informer dans un délai de 90 jours des mesures qu’il aurait prises.

272.Dans sa réponse datée du 26 mars 2004, l’État partie a contesté la décision du Comité et a réitéré les arguments avancés au cours de l’examen de la requête. Il a fait valoir que la requête constituait un abus de procédure, que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes, et que les ONG qui représentaient les auteurs n’étaient pas de bonne foi. En outre, l’État partie a demandé au Comité de «réexaminer» la requête.

VI. RÉUNIONS FUTURES DU COMITÉ

273.À la demande d’un de ses membres, le Comité a décidé que sa trente‑cinquième session aurait lieu du 14 au 25 novembre 2005 au lieu du 7 au 18 novembre 2005, dates qui avaient été fixées dans son précédent rapport annuel.

VII. ADOPTION DU RAPPORT ANNUEL DU COMITÉ SUR SES ACTIVITÉS

274.Conformément à l’article 24 de la Convention, le Comité présente aux États parties et à l’Assemblée générale un rapport annuel sur ses activités. Étant donné que le Comité tient chaque année sa seconde session ordinaire à la fin du mois de novembre, période qui coïncide avec les sessions ordinaires de l’Assemblée générale, il adopte son rapport annuel à la fin de sa session de printemps, de façon à pouvoir le transmettre à l’Assemblée générale pendant la même année civile. En conséquence, à sa 619e séance, tenue le 21 mai 2004, le Comité a examiné et a adopté à l’unanimité son rapport sur ses travaux à ses trente et unième et trente‑deuxième sessions.

Annexe I

LISTE DES ÉTATS AYANT SIGNÉ OU RATIFIÉ LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS, OU Y AYANT ADHÉRÉ, AU 21 MAI 2004

État

Date de la signature

Date de réception des instruments de ratification ou d’adhésion

Afghanistan

4 février 1985

1er avril 1987

Afrique du Sud

29 janvier 1993

10 décembre 1998

Albanie

11 mai 1984a

Algérie

26 novembre 1985

12 septembre 1989

Allemagne

13 octobre 1986

1er octobre 1990

Antigua-et-Barbuda

19 juillet 1993 a

Arabie saoudite

23 septembre 1997 a

Argentine

4 février 1985

24 septembre 1986

Arménie

13 septembre 1993 a

Australie

10 décembre 1985

8 août 1989

Autriche

14 mars 1985

29 juillet 1987

Azerbaïdjan

16 août 1996 a

Bahreïn

6 mars 1998 a

Bangladesh

5 octobre 1998 a

Bélarus

19 décembre 1985

13 mars 1987

Belgique

4 février 1985

25 juin 1999

Belize

17 mars 1986 a

Bénin

12 mars 1992 a

Bolivie

4 février 1985

12 avril 1999

Bosnie‑Herzégovine

6 mars 1992b

Botswana

8 septembre 2000

8 septembre 2000

Brésil

23 septembre 1985

28 septembre 1989

Bulgarie

10 juin 1986

16 décembre 1986

Burkina Faso

4 janvier 1999 a

Burundi

18 février 1993 a

Cambodge

15 octobre 1992 a

Cameroun

19 décembre 1986 a

Canada

23 août 1985

24 juin 1987

Cap‑Vert

4 juin 1992 a

Chili

23 septembre 1987

30 septembre 1988

Chine

12 décembre 1986

4 octobre 1988

Chypre

9 octobre 1985

18 juillet 1991

Colombie

10 avril 1985

8 décembre 1987

Comores

22 septembre 2000

Congo

30 juillet 2003 a

Costa Rica

4 février 1985

11 novembre 1993

Côte d’Ivoire

18 décembre 1995 a

Croatie

8 octobre 1991 b

Cuba

27 janvier 1986

17 mai 1995

Danemark

4 février 1985

27 mai 1987

Djibouti

5 novembre 2002 a

Égypte

25 juin 1986 a

El Salvador

17 juin 1996 a

Équateur

4 février 1985

30 mars 1988

Espagne

4 février 1985

21 octobre 1987

Estonie

21 octobre 1991 a

États‑Unis d’Amérique

18 avril 1988

21 octobre 1994

Éthiopie

14 mars 1994 a

ex‑République yougoslave de Macédoine

12 décembre 1994 b

Fédération de Russie

10 décembre 1985

3 mars 1987

Finlande

4 février 1985

30 août 1989

France

4 février 1985

18 février 1986

Gabon

21 janvier 1986

8 septembre 2000

Gambie

23 octobre 1985

Géorgie

26 octobre 1994 a

Ghana

7 septembre 2000

7 septembre 2000 a

Grèce

4 février 1985

6 octobre 1988

Guatemala

5 janvier 1990 a

Guinée

30 mai 1986

10 octobre 1989

Guinée‑Bissau

12 septembre 2000

Guinée équatoriale

8 octobre2002 a

Guyana

25 janvier 1988

19 mai 1988

Honduras

28 novembre 1986

5 décembre 1996 a

Hongrie

4 février 1985

15 avril 1987

Inde

14 octobre 1997

Indonésie

23 octobre 1985

28 octobre 1998

Irlande

28 septembre 1992

11 avril 2002

Islande 

23 octobre 1996

Israël

22 octobre 1986

3 octobre 1991

Italie

4 février 1985

12 janvier 1989

Jamahiriya arabe libyenne

16 mai 1989 a

Japon

29 juin 1999 a

Jordanie

13 novembre 1991 a

Kazakhstan

26 août 1998

Kenya

21 février 1997 a

Kirghizistan

5 septembre 1997 a

Koweït

8 mars 1996 a

Lesotho

12 novembre 2001 a

Lettonie

14 avril 1992 a

Liban

5 octobre 2000 a

Liechtenstein

27 juin 1985

2 novembre 1990

Lituanie

1er février 1996 a

Luxembourg

22 février 1985

29 septembre 1987

Madagascar

1er octobre 2001

Malawi

11 juin 1996 a

Maldives

20 avril 2004 a

Mali

26 février 1999 a

Malte

13 septembre 1990 a

Maroc

8 janvier 1986

21 juin 1993

Maurice

9 décembre 1992 a

Mexique

18 mars 1985

23 janvier 1986

Monaco

6 décembre 1991 a

Mongolie

24 janvier 2002

Mozambique

14 septembre 1999 a

Namibie

28 novembre 1994 a

Nauru

12 novembre 2001

Népal

14 mai 1991 a

Nicaragua

15 avril 1985

Niger

5 octobre 1998 a

Nigéria

28 juillet 1988

28 juin 2001

Norvège

4 février 1985

9 juillet 1986

Nouvelle‑Zélande

14 janvier 1986

10 décembre 1989

Ouganda

3 novembre 1986 a

Ouzbékistan

28 septembre 1995 a

Panama

22 février 1985

24 août 1987

Paraguay

23 octobre 1989

12 mars 1990

Pays‑Bas

4 février 1985

21 décembre 1988

Pérou

29 mai 1985

7 juillet 1988

Philippines

18 juin 1986 a

Pologne

13 janvier 1986

26 juillet 1989

Portugal

4 février 1985

9 février 1989

Qatar

11 janvier 2000 a

République de Corée

9 janvier 1995 a

République démocratique du Congo

18 mars 1996 a

République de Moldova

28 novembre 1995 a

République dominicaine

4 février 1985

République tchèque

1er janvier 1993 b

Roumanie

18 décembre 1990 a

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

15 mars 1985

8 décembre 1988

Saint‑Siège

26 juin2002 a

Saint-Vincent‑et‑les Grenadines

1er août 2001 a

Sao Tomé‑et‑Principe

6 septembre 2000

Sénégal

4 février 1985

21 août 1986

Serbie‑et‑Monténégro

12 mars 2001 b

Seychelles

18 mars 1985

5 mai 1992 a

Sierra Leone

25 avril 2001

Slovaquie

29 mai 1993 b

Slovénie

16 juillet 1993 a

Somalie

24 janvier 1990 a

Soudan

4 juin 1986

Sri Lanka

3 janvier 1994 a

Suède

4 février 1985

8 janvier 1986

Suisse

4 février 1985

2 décembre 1986

Swaziland

26 mars 2004 a

Tadjikistan

11 janvier 1995 a

Tchad

9 juin 1995 a

Timor-Leste

16 avril 2003

Togo

25 mars 1987

18 novembre 1987

Tunisie

26 août 1987

23 septembre 1988

Turkménistan

25 juin 1999 a

Turquie

25 janvier 1988

2 août 1988

Ukraine

27 février 1986

24 février 1987

Uruguay

4 février 1985

24 octobre 1986

Venezuela

15 février 1985

29 juillet 1991

Yémen

5 novembre 1991 a

Zambie

7 octobre 1998 a

Annexe II

ÉTATS PARTIES AYANT DÉCLARÉ, LORS DE LA RATIFICATION OU DE L’ADHÉSION, NE PAS RECONNAÎTRE LA COMPÉTENCE DU COMITÉ EN APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA CONVENTION, AU 21 MAI 2004 a

Afghanistan

Arabie saoudite

Chine

Guinée équatoriale

Israël

Koweït

Maroc

____________________

a Au total sept États parties.

Annexe III

ÉTATS PARTIES AYANT FAIT LES DÉCLARATIONS PRÉVUES AUX ARTICLES 21 ET 22 DE LA CONVENTION, AU 21 MAI 2004a

État partie Date d’entrée en vigueur

Afrique du Sud10 décembre 1998Algérie12 octobre 1989

Allemagne19 octobre 2001

Argentine26 juin 1987

Australie29 janvier 1993

Autriche28 août 1987

Belgique25 juillet 1999

Bosnie-Herzégovine4 juin 2003

Bulgarie12 juin 1993

Cameroun11 novembre 2000

Canada24 juillet 1987

Chili15 mars 2004

Chypre8 avril 1993

Costa Rica27 février 2002

Croatie8 octobre 1991

Danemark26 juin 1987

Équateur29 avril 1988

Espagne20 novembre 1987

Fédération de Russie1er octobre 1991

Finlande29 septembre 1989

France26 juin 1987

Ghana7 octobre 2000

Grèce5 novembre 1988

Hongrie26 juin 1987

Irlande11 avril 2002

Islande22 novembre 1996

Italie11 février 1989

Liechtenstein2 décembre 1990

Luxembourg29 octobre 1987

Malte13 octobre 1990

État partie Date d’entrée en vigueur

Monaco6 janvier 1992

Norvège26 juin 1987

Nouvelle-Zélande9 janvier 1990

Paraguay29 mai 2002

Pays-Bas20 janvier 1989

Pérou7 juillet 1988Pologne12 juin 1993

Portugal11 mars 1989République tchèque3 septembre 1996Sénégal16 octobre 1996

Serbie‑et‑Monténégro12 mars 2001Slovaquie17 avril 1995

Slovénie16 juillet 1993

Suède26 juin 1987Suisse26 juin 1987

Togo18 décembre 1987Tunisie23 octobre 1988

Turquie1er septembre 1988

Ukraine12 septembre 2003

Uruguay26 juin 1987Venezuela26 avril 1994

ÉTATS PARTIES AYANT FAIT UNIQUEMENT LA DÉCLARATION PRÉVUE À L’ARTICLE 21 DE LA CONVENTION, AU 21 MAI 2004

États‑Unis d’Amérique21 octobre 1994

Japon29 juin 1999

Ouganda19 décembre 2001

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord8 décembre 1988

ÉTATS PARTIES AYANT FAIT UNIQUEMENT LA DÉCLARATION PRÉVUE À L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION, AU 21 MAI 2004b

Azerbaïdjan4 février 2002

Burundi10 juin 2003

Guatemala25 septembre 2003

Mexique15 mars 2002

Seychelles6 août 2001

Annexe IV

COMPOSITION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE EN 2004

Membres

Pays de nationalité

Mandat expirant le 31 décembre

M. Guibril CAMARA

Sénégal

2007

M. Sayed Kassem EL MASRY

Égypte

2005

Mme Felice GAER

États-Unis d’Amérique

2007

M. Claudio GROSSMAN

Chili

2007

M. Fernando MARIÑO

Espagne

2005

M. Andreas MAVROMMATIS

Chypre

2007

M. Julio PRADO VALLEJO

Équateur

2007

M. Ole Vedel RASMUSSEN

Danemark

2005

M. Alexander M. YAKOVLEV

Fédération de Russie

2005

M. YU Mengjia

Chine

2005

Annexe V

RAPPORTEURS ET CORAPPORTEURS POUR CHACUN DES RAPPORTS DES ÉTATS PARTIES EXAMINÉS PAR LE COMITÉ À SES TRENTE ET UNIÈME ET TRENTE-DEUXIÈME SESSIONS

A. Trente et unième session

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Cameroun:troisième rapport périodique (CAT/C/34/Add.17)

M. Camara

M. Yu Mengjia

Colombie:troisième rapport périodique (CAT/C/39/Add.4)

M. Mariño

M. Rasmussen

Lettonie:rapport initial (CAT/C/21/Add.4)

M. El Masry

M. Rasmussen

Lituanie: rapport initial (CAT/C/37/Add.5)

M. Yakovlev

Mme Gaer

Maroc: troisième rapport périodique (CAT/C/66/Add.1)

M. Camara

Mme Gaer

Yémen: rapport initial (CAT/C/16/Add.10)

M. Burns

M. Mavrommatis

B. Trente ‑deuxième session

Allemagne: troisième rapport périodique (CAT/C/49/Add.4)

M. Yu Mengjia

M. Grossman

Bulgarie: troisième rapport périodique (CAT/C/34/Add.16)

Mme Gaer

M. Yakovlev

Chili: troisième rapport périodique (CAT/C/39/Add.5)

Mme Gaer

M. Rasmussen

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Croatie: troisième rapport périodique (CAT/C/54/Add.3)

M. Rasmussen

M. Yakovlev

Monaco: deuxième rapport périodique (CAT/C/38/Add.2)

M. Camara

M. Mariño

Nouvelle-Zélande: troisième rapport périodique (CAT/C/49/Add.3)

M. Mavrommatis

M. El Masry

République tchèque: troisième rapport périodique (CAT/C/60/Add.1)

M. El Masry

M. Grossman

Annexe VI

MÉTHODES DE TRAVAIL SUIVIES PAR LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE POUR L’EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Introduction

1.Adoptée en 1984, la Convention contre la torture est entrée en vigueur le 26 juin 1987. À sa première session, tenue à Genève en avril 1988, le Comité a adopté son règlement intérieur et défini ses méthodes de travail, conformément à l’article 18 de la Convention. Du fait du nombre croissant de ratifications et de la pratique qu’il a suivie pour s’acquitter de ses fonctions, le Comité a régulièrement révisé son règlement intérieur et ses méthodes de travail de manière à en améliorer l’efficacité et la coordination. Ainsi, le règlement intérieur en vigueur a été modifié pour la dernière fois en 2002a.

2.Selon l’article 19 de la Convention, tous les États parties sont tenus de présenter au Comité des rapports sur les mesures qu’ils ont prises pour donner effet à leurs engagements découlant de la Convention. Le rapport initial doit être présenté dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie intéressé. Par la suite, les États parties présentent des rapports complémentaires (rapports périodiques) tous les quatre ans sur toutes nouvelles mesures qu’ils auraient prises.

Directives concernant la présentation des rapports

3.Le Comité a adopté des directives pour aider les États parties à établir leur rapport initial et leurs rapports périodiquesb. Ces directives sont constamment révisées compte tenu de l’expérience accumulée par le Comité et des efforts d’harmonisation menés par tous les organes de surveillance de l’application des instruments relatifs aux droits de l’homme.

4.Le Comité tient beaucoup à ce que les rapports des États parties contiennent des renseignements sur l’application pratique de la Convention ainsi que sur les facteurs ou les difficultés qui en entravent l’application. Il préconise par ailleurs que les institutions nationales chargées de la protection et de la promotion des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales soient associées aux consultations qui précèdent l’élaboration des rapports par les gouvernements.

Liste des rapports à examiner et des points à traiter

5.À chaque session, le Comité choisit, parmi les rapports qu’il a reçus, ceux qu’il examinera lors des deux sessions suivantes. En procédant à ce choix, il suit généralement l’ordre chronologique dans lequel les rapports ont été soumis, tout en donnant la priorité aux rapports initiaux. Il désigne alors deux de ses membres qui feront office de rapporteur pour chaque rapport de pays. Chaque membre peut exercer des fonctions de rapporteur pour plus d’un rapport au cours de la même session.

6.À la session précédant celle à laquelle le rapport périodique sera examiné, le Comité établit la liste des points à traiter qu’il communique à l’État concerné au moins deux mois avant l’examen du rapport. La liste est établie, entre autres, en fonction des renseignements contenus dans le rapport, des recommandations que le Comité a adressées précédemment à l’État en question et des renseignements provenant de sources non gouvernementales.

7.Les listes de points à traiter ont pour objet d’axer le dialogue avec les États sur des questions qui présentent un intérêt particulier pour le Comité. Les réponses de l’État concerné sont fournies oralement lors de l’examen du rapport. L’État partie peut, s’il le souhaite, répondre également par écrit deux semaines avant l’examen de son rapport par le Comité pour que ses réponses puissent être distribuées aux membres du Comité. Les réponses écrites ne seront pas traduites. Les réponses écrites ne seront pas transmises. Elles seront rendues publiques sur le site Web du Haut-Commissariat dans la langue où elles ont été soumises.

Examen des rapports soumis par les États parties

8.Le Comité tient deux sessions par an, l’une en novembre, d’une durée de deux semaines, et l’autre en mai, d’une durée de trois semaines. De cinq à sept États parties sont invités à présenter leur rapport à chaque session.

9.L’examen d’un rapport prend généralement la forme d’un dialogue entre la délégation de l’État concerné et le Comité. Le Comité compte ainsi, à la faveur de ce dialogue, parvenir à une meilleure compréhension de la situation dans l’État partie au regard de la Convention et être en mesure de lui donner des conseils sur les moyens d’améliorer l’application de la Convention. À titre exceptionnel, le Comité peut examiner un rapport en l’absence de représentants de l’État partie si, après avoir été notifiés, lesdits représentants ne se présentent pas et ne justifient pas leur absence par des motifs sérieuxc.

10.Deux séances publiques, l’une se tenant le matin et l’autre l’après‑midi du jour suivant, sont généralement consacrées à l’examen d’un rapport. La première séance commence par un exposé des représentants de l’État partie qui évoquent généralement les points saillants du rapport, actualisent les renseignements qu’il contient et répondent aux questions figurant sur la liste des points à traiter que le Comité leur a communiquée au préalable. Cet exposé ne doit pas durer plus de 90 minutes. Par la suite, les rapporteurs de pays et les autres membres du Comité formulent des observations et demandent un complément d’information sur des questions qui, à leur sens, nécessitent des éclaircissements. Il leur est également loisible de soulever des questions qui ne sont pas évoquées dans la liste initiale des points à traiter.

11.Selon la pratique établie, les membres du Comité s’abstiennent de participer à quelque aspect que ce soit de l’examen des rapports de l’État partie dont ils sont ressortissants.

12.Le Service de l’information des Nations Unies publie des communiqués de presse en anglais et en français immédiatement après les séances consacrées à l’examen des rapports. Des comptes rendus analytiques sont également publiés en français ou en anglais pendant la session ou après sa clôture.

13.Les langues officielles du Comité étant l’anglais, l’espagnol, le français et le russe, l’interprétation dans ces langues est assurée pour toutes les séances officielles. Les rapports des États et d’autres documents pertinents sont également traduits dans les langues officielles. Les rapports des États présentés en arabe ou en chinois sont publiés comme documents officiels dans la langue originale. L’interprétation en arabe ou en chinois est assurée lorsque les représentants des États souhaitent s’exprimer dans l’une de ces langues.

Conclusions et recommandations

14.Après l’examen de chaque rapport, le Comité délibère à huis clos et les rapporteurs de pays rédigent leurs projets de conclusions et de recommandations sur la base de ces délibérations. Les projets sont ensuite débattus et adoptés en plénière, lors d’une séance privée. Les conclusions et les recommandations répondent à une présentation type: elles comportent une brève introduction, suivie par des sections consacrées aux aspects positifs, aux facteurs et difficultés entravant l’application de la Convention (le cas échéant).

15.Une fois adoptées, les conclusions et recommandations sont transmises à l’État partie intéressé et rendues publiques. Elles sont aussi diffusées sur le site Web du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme. Enfin, elles figurent dans le rapport annuel que le Comité présente à l’Assemblée générale des Nations Unies chaque année.

16.En réponse aux conclusions et recommandations du Comité, l’État partie concerné peut soumettre toute observation qu’il estime appropriée. Si l’État concerné le souhaite, le Comité peut rendre ses observations publiques en les publiant en tant que document officiel.

Suivi des conclusions et recommandations

17.Il arrive que le Comité indique qu’il souhaiterait recevoir des informations de l’État partie sur l’application de telle ou telle recommandationd. Le Comité désigne un rapporteur qui sera chargé d’examiner si l’État partie donne suite à ces demandes.

Stratégies visant à encourager les États parties à faire rapport

18.Deux fois par an, le Comité publie la liste des rapports en retard. Cette liste figure aussi dans le rapport annuel que le Comité présente à l’Assemblée générale. Le Comité peut aussi adresser à l’État partie intéressé un rappel concernant la présentation du ou des rapports en retard. En outre, il a chargé deux de ses membres de rester en contact avec les représentants des États défaillants pour les encourager à établir et à présenter les rapports voulus.

19.Aux termes de l’article 65 de son règlement intérieur, le Comité peut, le cas échéant, signifier à l’État défaillant qu’il entend examiner, à une date spécifiée dans la notification, les mesures prises par l’État partie pour protéger les droits reconnus dans la Convention ou leur donner effet, et formuler les observations générales qu’il juge appropriées dans les circonstances.

Interaction avec les organismes et les institutions spécialisées des Nations Unies ainsi qu’avec les organisations non gouvernementales

20.Conformément à l’article 62 de son règlement intérieur, le Comité invite les institutions spécialisées, les organismes des Nations Unies intéressés, les organisations intergouvernementales, régionales et les organisations non gouvernementales à lui communiquer tous renseignements se rapportant aux travaux qu’il entreprend en application de la Convention.

21.Le Comité attache une importance particulière aux renseignements qu’il reçoit des institutions spécialisées et des organisations non gouvernementales, car ils sont souvent recueillis à la faveur d’un suivi étroit sur le terrain. De plus, ces institutions et organisations peuvent jouer un rôle important dans l’application des recommandations du Comité au niveau national.

22.Les renseignements soumis par écrit par les ONG sont portés à l’attention de l’État concerné, sauf en cas d’objection des auteurs. Cette pratique permet à l’État partie de mieux se préparer à répondre aux questions que le Comité pourra lui poser sur la base de ces renseignements et facilite le dialogue. Si l’ONG ne souhaite pas que les renseignements qu’elle a présentés soient transmis à l’État partie, le Comité ne peut les prendre en considération au cours du dialogue avec cet État.

23.Les organisations non gouvernementales peuvent aussi demander à faire un exposé oral devant le Comité au cours de la session. Ces exposés, consacrés à un pays à la fois, sont donnée en présence des membres du Comité seulement.

Questions diverses

Coopération avec d’autres organes des Nations Unies chargés des droits de l’homme

25.Le Comité a des relations avec d’autres organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme, particulièrement sur des questions touchant les méthodes de travail, par le biais des réunions intercomités et des réunions des présidents d’organes conventionnels. Il reste aussi en contact, directement ou par l’intermédiaire du secrétariat, avec d’autres organes et mécanismes des Nations Unies spécifiquement chargés de la torture, à savoir le Rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l’homme et le Conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture. L’objet de ces contacts est d’échanger des informations, de coordonner les activités et d’éviter des doubles emplois.

Déclarations et observations générales adoptées par le Comité

25.Le Comité adopte des déclarations pour appeler l’attention sur des faits nouveaux et des facteurs qui influent sur l’application de la Convention et pour préciser sa position à ce propos. S’il le juge approprié, il peut publier une déclaration à lui seul ou avec d’autres organes des Nations Unies. Les déclarations conjointes sont généralement publiées à l’occasion de la Journée internationale des Nations Unies en faveur des victimes de la torture.

26.Le Comité peut aussi adopter des observations générales sur des dispositions précises de la Convention ou sur des questions ayant trait à leur application. Ainsi, il a adopté une observation générale en 1997 sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Conventione.

Notes

a CAT/C/3/Rev.4.

b CAT/C/4/Rev.2 pour les rapports initiaux et CAT/C/14/Rev.1 pour les rapports périodiques.

c Par. 2 de l’article 66 du règlement intérieur.

d Par. 1 de l’article 68 du règlement intérieur

e A/53/44, par. 258, ou Compilation des observations générales et des recommandations générales adoptée par les organes créés en vertu des instruments relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/1/Rev.6), p. 295 à 297.

Annexe VII

DÉCISIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

A. Décisions sur le fond

Communication n o 135/1999

Présentée par:

S. G. (représenté par un conseil, Mme Mariette Timmer)

Au nom de:

S. G.

État partie:

Pays‑Bas

Date de la requête:

19 juillet 1999

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 135/1999 présentée par M. S. G. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. S. G., ressortissant turc né en 1965, résidant actuellement aux Pays‑Bas et frappé d’une mesure d’expulsion. Il affirme que son renvoi en Turquie constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 18 août 1999, le Comité a transmis la requête à l’État partie; en application du paragraphe 9 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant en Turquie tant que sa requête serait en cours d’examen. Dans une note datée du 13 octobre 1999, l’État partie a accédé à la demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un ressortissant turc d’origine kurde, originaire de la ville de Batman dans l’est de la Turquie. En 1993, il a commencé à soutenir le Front national de libération du Kurdistan (ERNK), l’aile politique du PKK. En 1994, il est devenu membre du Parti démocratique populaire (HADEP). Il a participé à des réunions et a recueilli des fonds et des vivres pour les Kurdes qui étaient contraintsa de quitter leur village et de se réinstaller à Batman.

2.2Le 19 mars 1995, le requérant a été arrêté avec sept autres personnes, pour des raisons non spécifiées, et est resté détenu durant 15 jours. Il affirme que pendant sa détention il a été torturé à plusieurs reprises et qu’il en porte les cicatrices sur le dos et sur la jambe gaucheb.

2.3Le 10 mai 1997, le requérant a été arrêté par quatre policiers alors qu’il se rendait à une réunion de l’Association turque des droits de l’homme (IHD). On lui a bandé les yeux et on l’a emmené dans un champ, où les policiers ont menacé de le tuer s’il refusait de leur servir d’indicateur et ne leur fournissait pas des noms de sympathisants du PKK, de l’ERNK et de l’HADEP. Terrorisé, le requérant a accepté de coopérer et a donc été relâché. Il s’est ensuite caché et a pris la fuite pour Istanbul, le 14 mai 1997. Il a ensuite quitté la Turquie pour les Pays‑Bas, le 29 mai 1997, muni d’un faux passeport.

2.4Une fois arrivé aux Pays‑Bas, le requérant a appris de son père que les autorités le recherchaient, que la maison familiale était placée sous surveillance policière et que son père avait été interrogé plusieurs fois par la police qui voulait savoir où se trouvait son filsc. Il a également appris que la police avait demandé par écrit les mêmes renseignements à son père.

2.5Le 29 mai 1997, le requérant a demandé l’asile aux Pays‑Bas. Le Secrétaire d’État à la justice a rejeté sa demande le 13 août 1997. Le 25 août 1997, le requérant a demandé au Secrétaire à la justice de réexaminer sa décision, mais il s’est vu opposer un refus le 29 septembre 1997. Un recours formé contre le refus d’accorder l’asile a été rejeté par le tribunal de district de La Haye le 23 juillet 1998. Ensuite, le requérant a quitté les Pays‑Bas et s’est rendu au Danemarkd où il a demandé l’asilee.

2.6Le requérant a quitté le Danemark le 14 février 1999 et il est retourné aux Pays‑Bas le 15 février 1999. Peu de temps aprèsf, il a participé à une manifestation de protestation contre le rôle joué par le Gouvernement grec dans l’arrestation d’Abdullah Ocalan qui a abouti à l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye par environ 200 Kurdes, dont le requérant. Cette occupation a reçu une attention considérable sur le plan international. Les médias turcs l’ont décrite comme une «action du PKK» et ont qualifié les participants de «terroristes». Quand l’occupation a été terminée, le requérant a été arrêté en raison de sa participation à la manifestation et, le 20 février 1999, il a été placé en rétention puis inculpég.

2.7Le 23 février 1999, alors qu’il était encore en rétention, le requérant a déposé une deuxième demande d’asile auprès des autorités néerlandaises. Le 19 mars 1999, le Secrétaire à la justice a déclaré la demande irrecevableh. Le recours formé contre cette décision auprès du tribunal de district de La Haye a été rejeté le 7 mai 1999.

2.8Le requérant affirme qu’outre l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye il a participé à d’autres activités politiques kurdes. Aux Pays‑Bas, il a assisté à des réunions à La Haye et à Arnhem en 1997i, à une «célébration» le 15 août 1997 à Middelburg, à la «célébration du Newroz» le 21 mars 1998 à Middelburg, à la Fête internationale du travail le 1er mai 1998 à Rotterdam, et aux festivals de la jeunesse «Mazlum Dogan» en 1998, dans plusieurs villes des Pays-Bas. Au Danemark, il a participé à des réunions à Copenhague, où des prospectus dont le contenu n’est pas précisé ont été distribués, et à ce qu’il appelle «diverses activités en rapport avec Abdullah Ocalan»j. Il mentionne également sa participation à plusieurs «activités kurdes» en Allemagne, en France et en Belgique.

2.9Le requérant évoque la situation générale des droits de l’homme en Turquie et en particulier les rapports émanant de plusieurs organisations non gouvernementales, et de gouvernements concernant la pratique de la torture en Turquie. Il mentionne les rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch pour 1999, selon lesquels la torture en Turquie était «courante» et «répandue». Il cite un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants daté du 23 février 1999, dans lequel celui-ci évoque la visite qu’il a effectuée en Turquie en 1997 et note que l’existence et l’ampleur de la pratique de la torture en Turquie ont été établies sans qu’aucun doute ne soit possible. L’auteur mentionne en particulier un rapport publié en 1999 par l’Association suisse d’assistance aux réfugiés (Schweizerische Flüchtlingshilfe), qui décrit la «détérioration de la situation des droits de l’homme en Turquie en raison de l’arrestation du dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan», et note que parmi les groupes de personnes qui risquent d’être soumises à la torture si elles retournent en Turquie figurent les membres et les sympathisants de l’HADEP et les personnes en relation avec des partis ou organisations illégaux.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il risque d’être torturé s’il est renvoyé en Turquie et que son expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il dit que ce risque est réel parce qu’il est un jeune Kurde qui a déjà été torturé en Turquie et qu’il a participé à des activités politiques en Turquie et à l’étranger. À ce propos, il affirme qu’il est fort probable que sa participation à l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye soit connue des autorités turques.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 13 octobre 1999, l’État partie a fait savoir qu’il n’avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la requête; il a fait part de ses observations sur le fond dans une note datée du 18 février 2000.

4.2L’État partie fait valoir que l’expulsion du requérant ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Il décrit la procédure légale à suivre pour demander le statut de réfugié aux Pays‑Bas ainsi que les possibilités de recours administratifs et judiciaires. Le cadre législatif applicable à l’admission et à l’expulsion des étrangers est défini dans la loi sur les étrangers et les règlements connexes. Les demandeurs d’asile sont interrogés deux fois par les autorités d’immigration qui s’attachent, la deuxième fois, à connaître les raisons pour lesquelles le demandeur a quitté son pays d’origine. Un conseil peut assister aux entretiens. Le demandeur d’asile reçoit une copie du rapport rédigé après les entretiens et il a deux jours pour soumettre des rectifications ou des ajouts. Une décision est alors rendue par un agent du Département de l’immigration et de la naturalisation au nom du Secrétaire d’État à la justice. En cas de rejet, le demandeur d’asile peut formuler une objection et la demande est réexaminée par le Département. Dans certains cas, celui-ci doit consulter le Comité consultatif pour les étrangers. Une recommandation est transmise au Secrétaire d’État à la justice, qui tranche. Si l’objection est rejetée, un recours peut être formé auprès du tribunal de district.

4.3L’État partie rappelle que le Ministère des affaires étrangères publie régulièrement des rapports sur la situation dans les pays d’origine pour aider le Département de l’immigration et de la naturalisation à évaluer les demandes d’asile. Pour établir ces rapports, le Ministère utilise des sources publiées et des rapports d’organisations non gouvernementales ainsi que des informations fournies par les représentations diplomatiques néerlandaises. Dans son rapport du 17 septembre 1999, le Ministère a noté que, bien que la situation des droits de l’homme en Turquie soit «clairement déficiente», l’intensification de la surveillance internationale avait conduit à une amélioration dans plusieurs domaines. Il a indiqué que dans de nombreux cas les atteintes aux droits de l’homme étaient liées à la «question kurde» et qu’elles consistaient essentiellement en des restrictions du droit à la liberté d’expression et de réunion. Il est relevé dans le rapport que les Kurdes victimes de persécution peuvent en général s’établir dans une autre région de Turquie et que pour la plupart des pays européens la situation en Turquie n’est pas considérée comme un motif de ne pas renvoyer des demandeurs d’asile déboutés dans ce pays.

4.4L’État partie souligne que la situation des droits de l’homme en Turquie est suivie en permanence par le Gouvernement néerlandais et qu’en juillet 1999, à la suite d’informations selon lesquelles un ancien demandeur d’asile renvoyé en Turquie en avril 1999 serait mort, il a suspendu l’expulsion de Kurdes vers la Turquie. Dans une lette datée du 8 décembre 1999, le Secrétaire d’État à la justice a fait savoir que l’enquête effectuée par le Ministère des affaires étrangères permettait de reprendre les expulsions, ce qui avait été décidék.

4.5En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, l’État partie résume les informations fournies par ce dernier au Département de l’immigration et de la naturalisation au cours des deux entretiens qu’il a eus concernant ses activités en Turquie et le traitement que lui avaient réservé les autorités turques. Il note que dans ses décisions du 13 août et du 29 septembre 1997 le Secrétaire d’État à la justice a conclu que le requérant n’était pas un réfugié et que, s’il était renvoyé dans son pays, il ne courrait pas un risque réel d’être soumis à un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le tribunal de district de La Haye a rejeté le 23 juillet 1998 le recours formé par le requérant. La deuxième demande d’asile a été rejetée le 19 mars 1999 et cette décision a été confirmée en appel par le tribunal de district de La Haye le 7 mai 1999. L’État partie fait remarquer qu’à la suite des démarches entreprises par le requérant pour contester sa rétention, l’ordre de rétention le concernant a été annulé avec effet au 1er septembre 1999.

4.6L’État partie fait observer que l’existence de violations graves et systématiques des droits de l’homme dans un pays donné ne constitue pas, en soi, un motif suffisant de penser qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture si elle retourne dans ce pays; il doit y avoir des raisons spécifiques de penser que la personne concernée serait personnellement en dangerl. L’intéressé doit courir un risque réel, prévisible et personnel d’être torturé dans le pays vers lequel il doit être expulsém. D’après les propres rapports par pays de l’État partie, la situation générale en Turquie n’est pas telle qu’il y ait lieu de penser que les personnes originaires de Turquie, dont les Kurdes, risquent d’être soumis à la torture.

4.7L’État partie fait valoir que les activités politiques auxquelles le requérant affirme avoir participé en Turquie ne sont pas de nature à faire penser qu’il ferait l’objet d’une attention particulière de la part des autorités turques. Il s’agissait d’activités secondaires, telles que la collecte de fonds. Le requérant n’a pas affirmé connaître d’autres membres de l’ERNK ni avoir joué un rôle particulier au sein du groupe. En ce qui concerne l’HADEP, il s’est limité à participer à des réunions. Il n’a pas démontré que ces activités l’avaient signalé aux autorités turques. Ainsi, les autorités, ayant appris qu’il était membre de l’HADEP en mars 1995, l’avaient relâché sans condition en avril 1995n.

4.8L’État partie relève que le requérant a fait des déclarations contradictoires au sujet des circonstances de son arrestation le 10 mai 1997. En premier lieu, les rapports par pays de l’État partie indiquaient que toutes les antennes locales de l’IHD, comme celle à laquelle le requérant a dit qu’il se rendait lorsqu’il avait été arrêté, avaient été fermées. Le requérant n’avait pas été en mesure de dire où se trouvait le bureau de l’IHD. En deuxième lieu, il s’était contredit à propos de la chronologie des différents événements survenus la nuit du 10 mai 1997, affirmant qu’il avait été détenu jusqu’à minuit et qu’après un voyage de deux heures en voiture il avait été interrogé durant deux heures supplémentaires, ce qui ne concordait pas avec la précédente version selon laquelle il avait été relâché dans sa ville à 2 h 30. En outre, l’État partie estime qu’il n’est pas plausible, comme semble l’indiquer le récit du requérant, qu’une personne identifiée par les autorités comme un indicateur potentiel ne soit pas immédiatement sommée de donner des noms de membres du PKK et de l’HADEP. Il relève que les autorités n’ont donné au requérant aucune instruction spécifique sur ce qu’il devait faire en tant qu’indicateur et l’ont laissé seul dans les jours qui ont suivi le 10 mai 1997 et en conclut qu’elles ne le considéraient pas comme une figure importante de l’opposition. Dans son deuxième entretien avec les fonctionnaires du Département de l’immigration et de la naturalisation, le requérant a déclaré qu’il n’était qu’un membre passif de l’HADEP et ne connaissait aucun membre actif de l’ERNK. L’État partie ne pense donc pas qu’il soit considéré par les autorités turques comme un personnage important de l’opposition kurde. L’État partie ajoute que le fait que la police ait demandé au père du requérant où se trouvait son fils ne laissait rien présager de fâcheux et que l’on ne peut pas être certain que les autorités ont cherché à savoir où était son fils parce que le père ne peut pas être considéré comme une source d’information objective en ce qui concerne la requête déposée par son fils.

4.9Pour ce qui est des activités politiques du requérant hors de la Turquie, l’État partie note qu’aucune preuve n’a été apportée pour les étayer et qu’en tout état de cause les activités mentionnées ne sont pas de grande envergure. Il rejette comme étant infondé le grief tiré du risque réel que ces activités soient connues des autorités turques. En ce qui concerne la participation du requérant à l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye, les poursuites pénales engagées contre lui ont été abandonnées faute de preuves. Même si la participation du requérant à cet incident est connue des autorités turques, elle n’est pas suffisamment dissidente pour les inciter à s’en prendre à lui.

4.10L’État partie note que les mauvais traitementso que le requérant aurait subis lorsqu’il a été arrêté en mars 1995 ne sont pas déterminants pour la question à l’examen. Le fait qu’un requérant ait été auparavant soumis à la torture n’est qu’une des considérations à prendre en compte pour l’examen d’une requête fondée sur l’article 3 recensées par le Comité dans son observation générale. L’État partie fait valoir que les mauvais traitements subis par le requérant à la suite d’une descente de police qui ne le visait pas personnellement ne donnent pas à penser qu’il court personnellement le risque d’être torturé s’il est renvoyé dans ce pays. En outre, les tortures qu’aurait subies le requérant en 1995 ne peuvent être qualifiées de «récentes». Enfin, après sa libération en avril 1995, il n’a eu aucun problème avec les autorités jusqu’en 1997. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère qu’il n’y a pas violation de l’article 3 et que la plainte n’est pas fondée.

Commentaires du requérant

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 5 janvier 2003, le requérant conteste les arguments avancés par l’État partie pour mettre en doute sa crédibilité. Il affirme que les antennes locales de l’IHD n’étaient pas toutes fermées au moment de son arrestation en mai 1997 et qu’elles étaient à cette époque fermées et rouvertes périodiquement. Quant aux contradictions dans la chronologie des événements du 10 mai 1997, il réplique que les heures qu’il a indiquées aux autorités néerlandaises n’étaient que des estimations et qu’il avait tellement peur au moment de l’incident que sa perception des faits a été déformée. Il ajoute que ce n’est pas à lui qu’il faut demander pourquoi les autorités turques ne l’ont pas obligé à dire des noms avant de le relâcher. Enfin, il fait observer que l’État partie n’a pas contesté l’authenticité de la «convocation» que la police a adressée à son père pour lui demander où se trouvait son fils.

5.2Le requérant fait valoir que la Turquie est un pays où des violations des droits de l’homme sont systématiquement commises, qu’il a été torturé dans le passé par la police turquep, qu’il a participé, en Turquie et à l’étranger, à des activités politiques et autres qui l’exposent particulièrement au risque d’être soumis à la torture à son retour et que les récits qu’il a faits de ce qui lui était arrivé sont cohérents. Le Comité devrait donc conclure que le renvoi du requérant en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et qu’il n’y a aucun obstacle à la recevabilité de ce point de vue. Le Comité note que l’État partie ne soulève pas d’objections concernant la recevabilité de la requête. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen sur le fond.

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Turquie, l’État partie ne manquerait pas à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Conformément à la jurisprudence du Comité, l’existence d’un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. À l’inverse, l’absence d’une telle situation ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité rappelle son observation générale concernant l’application de l’article 3, dans laquelle il a indiqué qu’il était tenu de déterminer «s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture» s’il est renvoyé et que l’existence d’un tel risque «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». Il n’est pas nécessaire que le risque soit «hautement probable» mais il doit être encouru «personnellement et actuellement»q. À cet égard, la jurisprudence constante du Comité est de conclure que le requérant doit courir «personnellement un risque réel et prévisible» d’être soumis à la torturer.

6.4En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité relève que le requérant affirme avoir déjà été emprisonné et torturé par les autorités turques. Toutefois, les actes présumés de torture remontent à 1995. Le Comité note que, conformément à son observation générale concernant l’article 3, les éléments à prendre en compte pour évaluer le risque de torture comprennent la question de savoir si le requérant a été torturé dans le passé et, dans l’affirmative, s’il s’agit d’un passé récent. Les incidents mentionnés ont eu lieu neuf ans auparavant et ne peuvent donc être qualifiés de récents.

6.5Le Comité doit également examiner si le requérant se livrait, à l’intérieur ou à l’extérieur de son pays, à des activités politiques ou autres de nature à l’exposer à un risque particulier d’être soumis à la torture s’il rentre en Turquie. À l’intérieur de la Turquie les activités du requérant ont consisté à recueillir des fonds et des vivres pour les villageois kurdes déplacés. Bien qu’il affirme avoir été arrêté à deux reprises, le requérant n’a pas démontré qu’il était une figure importante de l’opposition kurde ou qu’il était considéré comme tel par les autorités turques. Il ne prétend pas non plus assumer un rôle spécial dans les organisations concernées. En ce qui concerne ses activités à l’étranger, le requérant a donné plusieurs exemples de sa participation à des activités et à des réunions politiques. Certaines sont évoquées en termes très généraux mais il cite en particulier sa participation à l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye en 1999. Il n’est pas démontré toutefois que les autorités turques soient au courant de la participation du requérant à cet incident ni des autres éléments cités. Le Comité note à cet égard que les poursuites engagées contre le requérant après l’occupation de la résidence de l’Ambassadeur de Grèce à La Haye ont été abandonnées par manque de preuves. Il n’a pas non plus été démontré que si réellement les autorités turques étaient au courant de ces actes le requérant courrait un risque particulier d’être torturé à son retour en Turquie.

6.6Les éléments pertinents concernant les antécédents du requérant en Turquie ainsi que ses activités à l’intérieur et à l’extérieur du pays ont été pris en considération par les autorités néerlandaises. Le Comité n’est pas en mesure de contester les conclusions de celles-ci sur les faits, ni de résoudre la question de savoir s’il y a des contradictions dans le récit du requérant. Conformément à la jurisprudence du Comité, le crédit voulu doit être accordé aux conclusions du Gouvernement sur les faits.

6.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le requérant n’a pas montré qu’il courait personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé s’il était renvoyé en Turquie, au sens de l’article 3 de la Convention.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Turquie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

a Aucun détail n’est fourni.

b Il est fait référence à un rapport médical très succinct en néerlandais (non traduit), qui est de nouveau mentionné dans les commentaires du requérant aux observations de l’État partie. Une description de la teneur du rapport médical y est donnée en anglais (voir dossier, p. 3 des commentaires, sous la rubrique «Ad 2&3»).

c Il ressort de la réponse de l’État partie que le requérant avait dit aux fonctionnaires des services de l’immigration que son père avait été arrêté, fait qui n’est pas mentionné dans la communication initiale.

d Aucune date n’est précisée.

e Aucun détail n’est donné.

f Aucune date n’est précisée.

g Rien n’est dit du chef d’inculpation ni d’une éventuelle déclaration de culpabilité ou condamnation.

h Aucun détail n’est donné.

i Aucun détail n’est donné.

j Aucun détail n’est donné.

k Aucun détail n’est donné sur la nature ni sur les résultats de l’enquête.

l L’État partie renvoie aux constatations du Comité concernant les communications nos 91/1997, A. c. Pays ‑Bas (13 novembre 1998), et 28/1995, E. A. c. Suisse (10 novembre 1997).

m L’État partie renvoie à l’Observation générale du Comité à propos de l’article 3.

n Cette information ne figure pas dans la communication initiale, mais il est possible qu’elle soit fournie dans les pièces jointes, qui sont en néerlandais.

o Ce détail ne figure pas dans la requête, mais l’État partie note que le requérant aurait été plongé dans de l’eau froide et frappé à coups de poing, de bâton et de couteau.

p Note: il affirme ici qu’il a été torturé en 1995 et en 1997, alors que la requête initiale ne mentionne que 1995. Il semble que la torture qui aurait eu lieu en 1997 correspond aux menaces de mort que les autorités lui auraient adressées pour le contraindre à leur servir d’indicateur.

q Observation générale no 1 (1996).

r Constatations du Comité concernant la communication no 204/2002, H. K. H. c. Suède (28 novembre 2002).

Communication n o  148/1999

Présentée par:A. K.

Au nom de:A. K.

État partie:Australie

Date de la requête:13 octobre 1999 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 148/1999 présentée par A. K. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. A. K., de nationalité soudanaise, actuellement détenu au Centre de rétention de la Nouvelle‑Galles du Sud. Il affirme que son renvoi au Soudan constituerait une violation par l’Australie de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au début, le requérant était représenté par un conseila.

1.2Le 1er novembre 1999, le Comité a prié l’État partie, en application du paragraphe 9 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait examinée par le Comité. Le 20 janvier 2000, l’État partie a confirmé qu’il accéderait à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant dit qu’il est Ansari et membre du parti Umma, l’un des deux partis traditionalistes du nord du pays qui s’opposent au gouvernement actuel. De 1990 à 1995, le requérant a fréquenté le département de Khartoum de l’Université du Caire, où il a obtenu un diplôme de droit. Le parti Umma comptait environ 100 membres à l’Université du Caire et le requérant est devenu le chef de ce groupe.

2.2Le requérant affirme avoir organisé des rassemblements et des manifestations contre le gouvernement en avril 1992. À la suite de l’un de ces rassemblements, il a été arrêté par des membres des forces de sécurité. Il a été menacé, obligé à s’engager par écrit à ne plus participer à des activités politiques, puis libéré. À la suite de cet incident, les forces de sécurité l’ont gardé sous surveillance.

2.3Le requérant affirme que les étudiants de l’université étaient obligés de s’enrôler dans les Forces populaires de défense (PDF), l’armée du parti au pouvoir, à savoir le Front islamique national (NIF). Pour éviter la conscription, le requérant est devenu agent de police et a travaillé de 1993 à 1995 au siège de l’administration pénitentiaire de Khartoum, et quelquefois à la prison Kober.

2.4En 1994, le gouvernement a envoyé les étudiants qu’il considérait comme des fauteurs de troubles et des opposants au régime se battre dans le sud du pays. Le 1er juin 1996, le requérant aurait reçu une convocation lui enjoignant de se présenter aux Forces populaires de défense dans les 72 heures parce qu’il avait été choisi pour «accomplir le jihad». Étant donné qu’il ne voulait pas se battre contre son propre peuple ni nettoyer des champs de mines, il a décidé de fuir le pays. Du fait de la convocation, il ne pouvait pas utiliser son passeport et s’est donc servi du passeport de son frère aîné. Après son départ, les militaires auraient perquisitionné son domicile.

2.5Le 10 décembre 1997, le requérant est arrivé en Australie sans documents de voyage valables et a été mis en détention en attendant qu’une décision définitive soit prise au sujet de sa demande d’asile. Le 12 décembre 1997, il a déposé une demande de visa de protection (statut de réfugié) auprès du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles (DIMA). À l’appui de sa demande, il a fourni notamment les documents suivants: une lettre émanant du parti Umma confirmant son appartenance à cette formation, une lettre adressée par le commandant des Forces populaires au directeur de l’administration pénitentiaire pour lui demander de libérer le requérant afin qu’il puisse se présenter en personne aux Forces populaires de défense et une déclaration d’un membre de la communauté soudanaise en Australie qui indiquait n’avoir aucun doute quant au fait que le requérant était un ressortissant soudanais et appartenait à une famille connue pour soutenir le groupe Ansar, qui est favorable au parti Umma.

2.6Le 5 janvier 1998, un représentant du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles a rejeté la demande de visa de protection déposée par le requérant, au motif qu’il n’était pas ressortissant soudanais et que ses allégations n’étaient pas crédibles. Le 5 février 1998, le requérant a déposé un recours administratif auprès de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal) contre la décision du représentant du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles. Le 7 juillet 1998, la Commission de contrôle a débouté le requérant de sa demande. Le requérant a déposé une demande de recours judiciaire auprès du Tribunal fédéral. Le 25 août 1998, le Tribunal a renvoyé la demande à la Commission de contrôle aux fins de réexamen.

2.7Le 25 novembre 1998, la nouvelle Commission de contrôle, qui venait d’être constituée, a débouté le requérant de sa demande. La décision a fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal fédéral, devant lequel le requérant n’était pas représenté par un conseil. Au cours de l’audience, le requérant a dit que l’interprète qui l’avait assisté lors de l’audience devant la Commission de contrôle n’était pas compétent et qu’il avait été mal compris. L’audience a été ajournée pour que le requérant puisse bénéficier d’une représentation juridique. Le 9 août 1999, le Tribunal fédéral a débouté le requérant. Plusieurs demandes d’intervention déposées par la suite auprès de ministres ont été rejetées.

2.8Le requérant décrit l’histoire politique récente du Soudan et affirme que des violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes et massives sont commises dans ce pays. Il mentionne notamment l’adoption par la Commission des droits de l’homme, en avril 1997, d’une résolution selon laquelle les violations des droits de l’homme au Soudan comportent notamment des «exécutions extrajudiciaires, [d]es arrestations arbitraires, [d]es détentions sans garantie d’une procédure régulière, [d]es disparitions forcées ou involontaires, [d]es atteintes aux droits des femmes et des enfants, l’esclavage et [d]es pratiques analogues à l’esclavage, [d]es déplacements forcés et la pratique systématique de la torture, ainsi que le déni de la liberté de religion, d’expression, d’association et de réunion pacifique».

2.9En janvier 1998, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Soudan a fait savoir que les autorités du pays, les forces de sécurité et les milices étaient responsables d’un grand nombre d’atteintes aux droits de l’homme. En avril 1998, la Commission des droits de l’homme a de nouveau exprimé sa vive préoccupation face aux violations graves et persistantes des droits de l’homme. Pour la quatrième année consécutive, la Commission a recommandé que des observateurs des droits de l’homme chargés de surveiller la situation soient déployés sur le terrain.

2.10Le requérant affirme que, même si l’essentiel des persécutions religieuses touche les non‑musulmans, le caractère fondamentaliste du régime actuel est tel que de nombreux musulmans, parmi lesquels les soufis, ne sont pas libres de pratiquer leur propre conception de l’islam sous le régime du Front islamique national.Les Ansar (qui comptent un grand nombre de soufis) sont soumis à une surveillance du gouvernement et ont vu leurs mosquées confisquées. De plus, les groupes musulmans qui critiquent le gouvernement continuent d’être victimes de harcèlementb. Sur le plan politique, le requérant affirme que les opinions islamistes dissidentes, dont celles professées par des partis musulmans centristes, tels que le parti Umma, ne sont pas tolérées.

2.11Selon le requérant, il est établi que les déserteurs risquent la torture et leur vie. Amnesty International a fait savoir en avril 1998 qu’un «très grand nombre d’étudiants appelés sous les drapeaux étaient morts alors que des centaines de jeunes gens cherchaient à s’évader d’un camp d’entraînement militaire situé à al‑Ayfun, près de Khartoum. Les autorités ont fait savoir que plus de 50 déserteurs s’étaient noyés en tentant de traverser le Nil Bleu. Toutefois, selon d’autres informations, plus d’une centaine ont été tués, dont beaucoup par balle. D’autres ont été battus à mort». Le requérant affirme également que le HCR comme Amnesty International ont fourni des informations sur les centres de détention au Soudan et sur le risque que l’on y court de subir des mauvais traitements et des tortures, en particulier au cours des interrogatoires menés dans les locaux de la sécuritéc. Selon le requérant, un soufi, membre du parti Umma, qui aurait échoué à obtenir l’asile et aurait passé beaucoup de temps en Occident, et qui serait diplômé en droit, serait confronté à des difficultés considérables à son retour au Soudan, qu’il ait ou non accompli son service militaire.

Teneur de la plainte

3.A. K. affirme que son retour forcé au Soudan constituerait une atteinte à ses droits en vertu de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour étayer cette affirmation, il fait valoir que sa religion, ses activités politiques antérieures et le fait qu’il soit déserteur lui font courir un risque réel et personnel d’être victime de torture. Le fait qu’il a fui le pays pour éviter la conscription le met en danger d’être exécuté à son retour. Enfin, il affirme que, s’il était renvoyé au Soudan, il serait obligé de s’enrôler dans les Forces populaires de défense et de prendre part contre son gré à la guerre civile.

Observations de l’État partie

4.1Dans une lettre datée du 7 novembre 2000, l’État partie conteste tous les aspects de la plainte quant à la recevabilité et au fond. S’agissant de la recevabilité, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas étayé ses affirmations, a mal interprété la portée de l’obligation de l’État partie au titre de l’article 3 et n’a pas établi qu’il courait un risque réel et personnel d’être soumis à la torture.

4.2L’État partie invite le Comité à déclarer qu’il acceptera les résultats de l’examen des faits par les instances nationales compétentes aux fins de l’évaluation des risques au titre de l’article 3, sauf à constater qu’il existe une preuve évidente d’arbitraire, d’injustice ou de violation de l’indépendance ou de l’impartialité des magistrats. Il fait valoir que l’interprétation et l’application des lois nationales relèvent essentiellement des tribunaux nationaux et que, d’une manière générale, il n’appartient pas au Comité de les examiner. Il affirme en outre que la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés est indépendante et est dotée d’une certaine expérience pour ce qui est d’examiner les demandes déposées par des citoyens soudanais, étant donné qu’elle a été saisie de 21 demandes de ce type en 1997 et 1998. Sur ce total, la Commission de contrôle s’est prononcée sur 8 demandes et a cassé la décision des autorités compétentes en matière d’immigration de refuser un visa de protection dans la majorité des cas (5), mais a confirmé ladite décision dans 3 cas. Dans le cas présent, le requérant a bénéficié de deux audiences séparées devant la Commission de contrôle. Son représentant légal était présent et le requérant était assisté d’un interprète professionnel lors des deux audiences. L’État partie note que le requérant n’a fourni au Comité aucune information sur son pays dont la Commission de contrôle n’ait pas eu connaissance et qu’elle n’ait prise en considération.

4.3L’État partie fait valoir que les preuves présentées à l’appui de l’allégation de torture manquent de crédibilité et que la plainte ne paraît donc pas justifiée. Lors de son interrogatoire par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le requérant a fait des déclarations contradictoires sur trois points importants. Premièrement, il a changé de manière significative ses déclarations au sujet de ses expériences précédentes avec les autorités soudanaises. À son arrivée à l’aéroport de Sydney, lorsqu’il lui a été demandé s’il avait été menacé de violences physiques par les autorités soudanaises, il a répondu par l’affirmative. Toutefois, lorsque la question «Sous quelle forme?» lui a été posée, il est revenu sur ses dires et a répondu «Non, je n’ai pas été menacé». Il s’est ensuite montré peu disposé à coopérer avec l’interprète.

4.4Lorsqu’il a été interrogé par le Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles, le requérant a affirmé avoir dit à l’interprète de l’aéroport qu’on l’avait menacé «de lui couper les ongles et de le frapper à la poitrine − et de le brûler ... et de lui arracher les ongles» mais qu’il n’avait pas été torturé. Il a également affirmé avoir été menacé de ces formes de torture dans la déclaration qu’il a établie avec l’aide de son représentant légal à l’appui de sa demande de visa de protection, entre l’interrogatoire de l’aéroport et celui du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles. Selon l’État partie, l’explication avancée par le requérant, selon laquelle l’interprétation ou la transcription de son interrogatoire à l’aéroport n’était pas de bonne qualité, n’est pas convaincante.

4.5Deuxièmement, le requérant a fait des déclarations contradictoires au sujet de l’acquisition du passeport qu’il a utilisé pour pénétrer en Australie et sur les passeports qu’il a utilisés d’une manière générale. Le requérant n’a cessé de faire des déclarations incohérentes à ce sujet tout au long de la procédure, à tel point que le représentant du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles n’a pu établir son identité ni sa nationalité. L’État partie décrit en détail les contradictions qui apparaissent dans les déclarations du requérant, notamment une déclaration selon laquelle il a obtenu son passeport, gratuitement, d’un homme qu’il ne connaissait pas, rencontré sur le marché; une autre déclaration selon laquelle il a utilisé le passeport de son frère pour quitter le Soudan et transiter par le Tchad, la Libye, Malte, la Malaisie et Singapour, périple qui aurait duré deux ans; et une troisième déclaration contradictoire selon laquelle il s’agissait d’un passeport officiel portant de fausses informations.

4.6Troisièmement, l’État partie invoque l’absence de crédibilité du requérant au sujet de ses prétendues activités politiques et de l’intérêt que les autorités soudanaises y porteraient. Les éléments avancés par le requérant au sujet du rapport entre son engagement politique et son emploi ne sont pas plausibles, sont contradictoires et sont devenus de plus en plus confus au fil du temps. Lors de son interrogatoire par le Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles, le requérant a indiqué que sa tâche principale consistait à monter la garde devant la prison ou le bâtiment de l’administration pénitentiaire et à s’assurer que personne n’y entre de façon illégale. Lors de la seconde audition par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés, il a affirmé avoir transmis des lettres entre des prisonniers politiques et leur famille, sans expliquer comment il était entré en contact avec des détenus alors que son travail consistait à monter la garde devant l’entrée extérieure des bâtiments. Il a également affirmé au cours de cette audience qu’il avait pu s’acquitter de cette tâche avec succès parce que les détenus avaient «senti instinctivement» qu’il poursuivait des objectifs politiques de même nature.

4.7L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas fourni de détails au sujet des mauvais traitements qu’il aurait subis aux mains des autorités soudanaises et qu’aucune source indépendante n’a corroboré cette affirmation. Une seule fois, le requérant a fourni des détails quant à l’incident mentionné au paragraphe 4.4, au cours duquel il aurait subi des sévices. À supposer même que ces allégations soient crédibles, de simples menaces de violences physiques proférées par les autorités soudanaises, une arrestation et un interrogatoire, une perquisition suivie d’une surveillance légère pendant une courte période ne constituent pas un préjudice équivalant à une douleur ou des souffrances aiguës. Il n’existe aucune preuve attestant que le requérant a réellement subi des atteintes physiques.

4.8S’agissant du rassemblement évoqué, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas été en mesure de trouver la moindre information relative à l’organisation d’un tel rassemblement en avril 1992. Étant donné qu’il s’agit de la seule manifestation politique publique à laquelle le requérant prétend avoir participé, le fait que ni son représentant ni l’État partie n’aient pu découvrir le moindre élément concernant cet événement met sérieusement en doute la véracité de cette allégation. Le requérant a tenté de minimiser l’importance de ce rassemblement lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer pourquoi il n’existait aucune information émanant de sources indépendantes prouvant qu’il avait bien eu lieu.

4.9Quant à l’élément de preuve avancé pour confirmer l’affirmation du requérant selon laquelle il était politiquement actif au sein du parti Umma, à savoir une télécopie émanant de la section londonienne dudit parti, il a été rejeté par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés en raison de sa faible valeur probante. La télécopie ne comprend aucun élément prouvant que le requérant est personnellement connu, et comporte simplement une indication de son appartenance au parti et des déclarations d’ordre général au sujet des persécutions dont les membres du parti sont victimes au Soudan. De même, une lettre datée du 5 février 1998, adressée «à qui de droit» par la section australienne de l’Alliance démocratique nationale (Soudan), manque d’éléments précis concernant la situation et le passé du requérant. Cette lettre ne mentionne le requérant qu’une seule fois, le décrivant comme un «militant politique engagé, opposant [sic] au Gouvernement soudanais depuis le 30 juin 1989, date à laquelle le gouvernement démocratique a été renversé». Comme l’a fait observer l’un des membres de la Commission de contrôle dans l’exposé des motifs de sa décision, le requérant n’avait jamais affirmé au Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles ou à la Commission de contrôle qu’il était un militant politique depuis le coup d’État. En fait, il a affirmé à la deuxième audience de la Commission de contrôle qu’il n’avait joué un rôle actif qu’en 1992 et 1993.

4.10L’État partie fait observer que les preuves données verbalement et par écrit à la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés par une femme membre de la communauté soudanaise locale, que le requérant a rencontrée pour la première fois à Sydney, ont une valeur probante tout aussi douteuse. Cette personne a déclaré à la première audience de la Commission de contrôle qu’elle n’avait pas connu le requérant au Soudan, mais qu’elle était allée à l’école avec deux de ses cousins et qu’elle avait téléphoné à la section londonienne du parti Umma pour avoir confirmation de l’appartenance du requérant au parti. Quand bien même ses déclarations seraient exactes, l’État partie considère que des informations de nature aussi générale que celles qu’elle a obtenues de la section londonienne du parti Umma sont moins concluantes que l’absence complète de preuves écrites qu’aurait pu produire le requérant lui‑même concernant son adhésion au parti Umma et son prétendu état de dissident politique. La déclaration de cette personne, pour autant qu’elle soit acceptée, peut uniquement être invoquée à l’appui de ce qu’affirme le requérant au sujet de son origine soudanaise.

4.11En ce qui concerne la prétendue objection de conscience du requérant, l’État partie fait valoir que les éléments présentés à la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés par le requérant au sujet du service militaire obligatoire sont contradictoires et peu convaincants et qu’aucun élément de source indépendante ne vient confirmer son objection de conscience à la guerre civile. L’État partie énumère en détail les éléments présentés par le requérant sur cette question à la première et à la deuxième audience de la Commission de contrôle, qui sont contradictoires à de nombreux égards. Ainsi, un membre de la deuxième Commission de contrôle n’a pas ajouté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été appelé sous les drapeaux, estimant que la lettre qu’il avait fournie pour prouver qu’il avait été appelé sous les drapeaux par les Forces populaires de défense n’était pas authentique. L’État partie fait valoir que le requérant n’a fourni aucune preuve qu’il serait traité comme un déserteur. À supposer même que le requérant soit objecteur de conscience et qu’il soit obligé de participer à la guerre civile à la suite d’une conscription non discriminatoire, une telle situation n’équivaudrait pas en tant que telle à un acte de torture au sens de la Convention.

4.12L’État partie fait valoir que même si l’on admet que le requérant s’est soustrait à la conscription ou a déserté, il ne semble guère établi que cela lui ferait courir le risque d’être soumis à la torture s’il était rapatrié au Soudan. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution soudanaise en 1998, la torture et les exécutions capitales sont illégales, en toutes circonstances, y compris en cas de désertion. Après avoir évalué soigneusement les informations disponibles, l’État partie estime que le requérant ne risque ni d’être torturé ni d’être exécuté pour s’être soustrait au service militaire. En admettant même que le requérant risque une sanction pour sa prétendue «désertion», les informations disponibles semblent indiquer qu’il serait considéré comme insoumis plutôt que comme déserteur et qu’il serait passible, à ce titre, d’une peine d’emprisonnement de trois ans au maximum.

4.13L’État partie admet que le Soudan ne présente pas un bilan positif en matière de droits de l’homme et que le gouvernement aussi bien que les forces non gouvernementales continuent à commettre des violations des droits de l’homme. Il note les conclusions de la Commission des droits de l’hommed selon lesquelles le fait que l’Autorité intergouvernementale unifiée pour le développement ait échoué à pérenniser la Déclaration de principes de 1994 dont étaient convenus le Gouvernement soudanais et les factions en guerre a entraîné la poursuite du conflit dans le sud du pays. Toutefois, il fait valoir que l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs spécifiques de penser que l’intéressé serait personnellement en danger d’être soumis à la torture en cas d’expulsion. Ces éléments ne doivent pas se limiter à de simples supputations ou soupçonse.

4.14À supposer même que l’État partie admette que le requérant est Soudanais et qu’il a été arrêté lors d’un rassemblement en avril 1992, il n’accepte pas l’affirmation selon laquelle il appartient à un groupe particulièrement visé. Le requérant n’a jamais exercé la profession d’avocat, n’est plus étudiant et n’a plus exercé d’activité politique depuis avril 1992. De plus, il a quitté le Soudan en 1996 et n’a rien fait depuis pour faire parler de lui dans son pays. Le requérant ne correspond pas à la description «d’un militant ordinaire ou d’un étudiant», ni à celle d’un jeune, d’un responsable estudiantin ou d’un avocat susceptible d’être considéré comme un opposant politique et donc d’être soumis à la torture par le gouvernementf. Selon un document mis à jour établi par le HCR en 1997 à propos du Soudan, le parti Umma et un autre parti d’opposition, à savoir le Parti unioniste démocratique, sont dépassés et la plupart des jeunes ne leur accordent plus aucune attention. Aucune de ces sources n’étaye la crédibilité des affirmations du requérant en ce qui concerne son appartenance au parti Umma ou ses craintes d’être soumis à la tortureg.

4.15Enfin, selon un avis émanant du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce, «il n’est pas rare que des ressortissants soudanais restent pendant de longues périodes à l’étranger, habituellement pour des raisons économiques»h. Selon les informations recueillies auprès d’autres pays sur la situation au Soudan et sur le profil des demandeurs d’asile soudanais, si les membres du parti Umma et les Ansari font parfois l’objet de persécutions au Soudan, de nombreuses personnes affirment être membres de ce parti. En conséquence, il est nécessaire de vérifier la véracité de ces déclarations et l’importance de l’engagement personnel des demandeurs d’asile.

4.16S’agissant de la question de savoir si le requérant risque d’être soumis à la torture pour avoir demandé l’asile en Australie, l’État partie fait valoir que cette éventualité ne semble guère établie. Selon les éléments avancés par le requérant lui-même, son propre frère a été arrêté à son retour au Soudan et interrogé sur l’endroit où il se trouvait et les activités qu’il avait menées en dehors du Soudan, mais il a été relâché sain et sauf cinq jours plus tard. Le représentant du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles au Caire a indiqué à l’État partie que des ressortissants soudanais, parmi lesquels des personnes qui avaient obtenu le statut de réfugié en Australie, qui étaient retournés au Soudan après l’avoir fui à la suite du coup d’État de 1989, n’avaient pas été inquiétés par les autorités à leur retour au pays. L’État partie mentionne également des renseignements émanant du Département australien des affaires étrangères et du commerce extérieur en date d’avril 2000, selon lesquels le parti Umma et le gouvernement soudanais tentaient d’aplanir leurs divergences.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés. L’État partie conteste la recevabilité de la plainte au motif que le requérant n’a pas établi qu’il y avait à première vue violation de l’article 3, mais le Comité est d’avis qu’il a reçu assez d’éléments pour examiner la plainte quant au fond. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

6.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture du fait de circonstances qui sont les siennes.

6.2En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité relève les incohérences importantes, mises en évidence par l’État partie, dans les éléments avancés par le requérant tout au long de la procédure, qui ont en l’espèce été examinés en détail à deux reprises par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Il observe également que le requérant n’a pas donné d’explication au sujet de ces incohérences et rappelle le paragraphe 8 de son Observation générale no 1, en vertu duquel les questions liées à la crédibilité du requérant et à la présence d’incohérences factuelles dans ce qu’il affirme peuvent avoir une incidence sur les délibérations du Comité quant à la question de savoir si le requérant risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays.

6.3Concernant les allégations relatives à l’engagement politique du requérant et aux mauvais traitements qu’il aurait subis dans le passé de la part des autorités soudanaises, sur lesquelles seraient fondées ses craintes d’être soumis à la torture à son retour dans son pays, le Comité relève que, même s’il ne tient pas compte des incohérences susmentionnées et qu’il considère que ces allégations sont fondées, le requérant ne dit pas qu’il a eu des activités politiques après 1992 et que, à aucun moment ni au cours des procédures engagées dans l’État partie ni dans la requête présentée au Comité il n’affirme avoir été torturé par les autorités soudanaises.

6.4Sur la question de la désertion du requérant, le Comité relève que l’État partie a bien examiné la lettre datée du 1er juin 1996, par laquelle le requérant aurait été enrôlé dans les Forces populaires de défense, mais a considéré qu’elle n’était pas authentique. Le Comité estime que tout le crédit voulu doit être accordé aux constatations de fait des organes nationaux, judiciaires ou autres, compétents sauf s’il peut être établi que ces constatations sont arbitraires ou injustifiées. En supposant même que le Comité considère que le requérant est un déserteur ou un insoumis, celui-ci n’a pas fait la preuve qu’il serait soumis à la torture à son retour au Soudan. Le Comité relève que l’État partie a tenu compte d’un grand nombre de renseignements émanant de plusieurs sources différentes avant d’aboutir à une conclusion.

6.5Le Comité note l’argument du requérant qui affirme qu’il serait obligé d’accomplir son service militaire s’il était renvoyé au Soudan, bien qu’il soit objecteur de conscience, et sa conclusion que cette situation serait assimilable à des actes de torture selon la définition de l’article 3 de la Convention. Le Comité estime que la lettre datée du 1er juin 1996, dont l’authenticité a été mise en doute, pas plus que l’argument du requérant qui affirme que les opposants au régime doivent aller se battre dans le cadre de la guerre civile, ne suffisent à prouver que le requérant est objecteur de conscience ou qu’il serait mobilisé à son retour au Soudan. En ce qui concerne les autres raisons invoquées pour expliquer la crainte d’être torturé à son retour au pays, l’appréciation des faits réalisée par l’État partie ne semble pas être injustifiée ou arbitraire.

6.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments vérifiables permettant de conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il encourrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture, au sens de l’article 3 de la Convention, s’il était renvoyé au Soudan.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

a Les conseils ont informé le Comité le 20 mars 2004 qu’ils ne représentaient plus le requérant.

b Le requérant renvoie au rapport annuel d’Amnesty de 1999, dans lequel il est indiqué que parmi les personnes détenues en 1997 figuraient cinq imams qui auraient émis des doutes quant à la légitimité religieuse de Hassan al‑Turabi, Secrétaire général du Congrès national et mentor idéologique du gouvernement.

c Il renvoie à l’Action urgente d’Amnesty International, du 21 janvier 1997.

d Rapport sur la situation des droits de l’homme au Soudan (E/CN.4/1999/38/Add.1), 17 mai 1999.

e L’État partie renvoie à l’Observation générale du Comité sur l’article 3 et la communication no 13/1993 (Motumbu c. Suisse).

f Selon les termes utilisés dans le rapport établi en 1999 par le Département d’État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de l’homme au Soudan.

g Gerard Prunier, «Sudan Update: War in North and South», UNHCR RefWorld-Country Information, p. 3.

h DFAT CA500922 du 22 janvier 1998, CX27237.

Communication n o 153/2000

Présentée par:Z. T. (représentée par Mme Angela Cranston)

Au nom de:R. T.

État partie:Australie

Date de la requête:4 janvier 2000 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 153/2000 présentée par Mme Z. T. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1La requérante, dans la requête datée du 4 janvier 2000, est Z. T. Elle présente l’affaire au nom de son frère, R. T., citoyen algérien né le 16 juillet 1967. Elle affirme que son frère est victime de violations par l’Australie de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.

1.2Le 26 janvier 2000, le Comité a adressé la requête à l’État partie en le priant de formuler ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il lui a demandé de ne pas renvoyer le frère de la requérante en Algérie tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a toutefois expulsé celui-ci le jour même sans avoir eu le temps d’examiner cette demande.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1Le 27 novembre 1997, R. T., détenteur d’un visa de tourisme, s’est rendu à La Mecque (Arabie saoudite). Il y est resté sept mois. Il a ensuite «acheté» un visa australien et s’est rendu en Afrique du Sud pour se faire délivrer ce visa australien.

2.2Le 21 août 1998, R. T. est arrivé en Australie en provenance d’Afrique du Sud. Il a détruit ses documents de voyage à l’aéroport d’arrivée. Il a immédiatement demandé le statut de réfugié à l’aéroport, où il a été interrogé par un agent du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles. N’ayant pas de document de voyage, il n’a pas obtenu l’autorisation d’entrer sur le territoire en vertu de l’article s172 de la loi sur l’immigration. Le même jour, il a été arrêté et escorté jusqu’au Centre de rétention de Westbridge.

2.3Le 26 août 1998, R. T. a présenté une demande de visa de protection. Il était conseillé par un avocat de la Commission de l’assistance juridique de la Nouvelle‑Galles du Sud. Le 16 octobre 1998, sa demande a été rejetée par le Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles. Le même jour, il a fait appel de cette décision auprès de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal). L’appel a été rejeté le 11 novembre 1998. Il a ensuite présenté un recours auprès du Tribunal fédéral d’Australie, qui l’a débouté le 10 mars 1999.

2.4R. T. n’a pas fait appel de la décision du Tribunal fédéral d’Australie auprès du Tribunal fédéral plénier car ses représentants estimaient que, compte tenu de la faiblesse des motifs de recours devant le Tribunal fédéral, un appel n’avait aucune chance d’aboutir et ne répondait donc pas aux critères déterminant l’octroi d’une aide juridique. Il affirme que, sans aide juridique, il n’aurait probablement pas été représenté pour cet appel.

2.5R. T. a présenté trois recours successifs au Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles le 17 mars 1999, le 6 juillet 1999 et le 26 août 1999. Il a demandé au Ministre de faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour l’autoriser à rester en Australie pour des raisons humanitaires. Le Ministre a rejeté la demande dans une lettre non datée, reçue par le conseil de l’intéressé le 22 juillet 1999, puis dans une nouvelle lettre datée du 23 août 1999. La décision du Ministre n’était pas susceptible d’appel. Le 29 octobre 1999, un agent de l’immigration du Service juridique (Immigration and Community Legal Service) de South Brisbane a demandé au Ministre d’autoriser R. T. à demeurer en Australie pour des raisons humanitaires. Le directeur d’Amnesty International Australie a également écrit au Ministre pour demander qu’il ne soit pas expulsé «dans un avenir proche».

2.6Le frère de la requérante et deux autres demandeurs d’asile ont entamé une grève de la faim en septembre 1999. Le 8 octobre 1999, ils ont été renvoyés de Westbridge. Ils n’ont pas été autorisés à contacter leurs conseillers juridiques et à prendre leurs effets personnels. Le 16 octobre 1999, ils ont déposé une plainte auprès du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles.

2.7R. T. affirme qu’il n’a pas été informé de la décision de l’expulser d’Australie. Il a été renvoyé vers l’Afrique du Sud le 26 janvier 2000.

2.8Dans une lettre supplémentaire datée du 12 avril 2000, Mme Z. T. donne des renseignements complémentaires sur son frère. Elle déclare qu’après son expulsion du territoire australien il a été retenu pendant un ou deux jours dans un hôtel de l’aéroport à Johannesburg. Il a ensuite été remis aux autorités sud‑africaines et détenu au centre de rétention de Lindela pendant plus de 30 jours pour entrée illicite sur le territoire.

2.9Le 7 février 2000, ou autour de cette date, le frère de la requérante a déposé une demande d’asile et a obtenu un visa temporaire, ce qui lui a permis d’être libéré.

2.10Le 30 janvier 2000, ou à une date proche, il a été prévenu de la visite prochaine de l’Ambassadeur d’Algérie en Afrique du Sud, qui devait lui fournir les documents nécessaires à son retour vers l’Algérie. Son avocat étant intervenu, la visite n’a pas eu lieu.

2.11R. T. affirme ne pas se sentir en sécurité en Afrique du Sud après son expulsion d’Australie. Il déclare que la loi sud‑africaine ne lui donne aucune garantie qu’il ne sera pas expulsé à n’importe quel moment. Il s’inquiète de certaines démarches faites par le Gouvernement sud‑africain, notamment le fait que l’Ambassadeur d’Algérie ait été prévenu de sa présence en Afrique du Sud, l’acceptation de sa demande d’asile puis l’annulation de cette décision et l’annulation de l’octroi d’un visa temporaire, et enfin sa rétention au centre de rétention de Lindela pour une période supérieure à la période autorisée de 30 jours. Il déclare craindre que sa demande ne soit rejetée pour des impératifs commerciaux, en raison du commerce d’armes entre les Gouvernements sud‑africain et algérien.

2.12Il est précisé que la requête n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1R. T. affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Algérie et que l’Australie commettrait donc une violation de l’article 3 de la Convention s’il était expulsé vers ce pays. Il dit craindre d’être poursuivi en Algérie pour ses opinions politiques et son appartenance au Front islamique du salut (FIS). Il craint également d’avoir à servir dans l’armée algérienne et affirme que des membres de sa famille ont été accusés par les autorités algériennes de soutenir des groupes islamiques armés. Par conséquent, lui et d’autres membres de sa famille sont devenus la cible de l’armée algérienne.

3.2Il est dit que le frère de la requérante risque personnellement d’être soumis à la torture en raison de son soutien au FIS et de ses liens familiaux étroits avec plusieurs personnes qui ont été inquiétées du fait de leur appartenance au FIS et, dans certains cas, de leur statut d’ex‑candidats du FIS.

3.3Enfin, il est dit que R. T. risque personnellement d’être soumis à la torture en raison de la publication de la décision du Tribunal fédéral. Cette décision fournit des renseignements sur lui‑même et sa famille, ses requêtes et sa demande de protection en Australie. Il affirme que cette publication lui fait courir un risque personnel s’il est renvoyé contre son gré en Algérie, les autorités algériennes étant probablement informées de la décision publiée et des détails de sa demande de protection.

3.4La requérante affirme que l’Algérie reste un État autoritaire où les violations graves et flagrantes des droits de l’homme sont systématiques. Elle dit que les personnes arrêtées pour atteinte à la sécurité nationale y sont couramment soumises à la torture et invoque des rapports de plusieurs organisations pour appuyer ses dires. Ces documents confirmeraient qu’il y a des «motifs sérieux de croire» que son frère risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Algérie.

3.5Le frère de la requérante souhaite convaincre le Comité que son expulsion du territoire australien dans des conditions où il n’a le droit ni de revenir en Australie ni de se rendre dans un pays autre que l’Algérie constitue une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Le 14 novembre 2000, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il explique qu’il n’a pu prendre les mesures provisoires demandées par le Comité car il n’avait reçu aucune demande écrite de sa part au moment de l’expulsion de l’intéressé du territoire australien, le 26 janvier 2000. L’État partie ajoute que le bureau du HCR en Australie a été informé de son expulsion imminente et n’a pas formulé d’objection, et que tous les risques que pouvaient présenter le retour de R. T. en Algérie avaient été soigneusement évalués sur la base des informations disponibles sur le pays en question.

4.2Pour l’État partie, la requête est irrecevable car elle est incompatible avec les dispositions de la Convention. En outre, l’État partie affirme que R. T. n’a présenté aucun commencement de preuve quant à l’existence de raisons sérieuses de croire qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé en Algérie. L’État partie ajoute que l’intéressé n’a pas apporté d’éléments plausibles justifiant ses craintes d’être torturé.

4.3L’État partie observe qu’il n’y a aucune preuve que les autorités algériennes aient jamais torturé R. T. par le passé et que les preuves de sa participation aux activités politiques du FIS sont très maigres. Il affirme que les déclarations de l’intéressé concernant ses activités contiennent de nombreuses incohérences, ce qui fait douter de leur crédibilité. Sur la base des éléments fournis, l’État partie refuse de croire qu’il est un sympathisant du FIS.

4.4S’agissant de l’éventualité selon laquelle R. T. pourrait être appelé à faire son service militaire à son retour en Algérie, l’État partie déclare qu’il est peu probable qu’il soit appelé sous les drapeaux, soit parce qu’il a déjà fait son service militaire, soit parce qu’il est trop âgé pour être enrôlé. L’État partie affirme que, en tout état de cause, l’obligation de faire son service militaire ne constitue pas une torture. En outre, il invoque les conclusions de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés selon lesquelles l’intéressé aurait inventé ne pas être libéré des obligations militaires. La Commission a estimé qu’il avait amplifié et exagéré ses griefs depuis ses premières déclarations à son arrivée en Australie.

4.5En ce qui concerne la publication du jugement du Tribunal fédéral, l’État partie nie que celle‑ci pourrait inciter les autorités algériennes à torturer le frère de la requérante à son retour en Algérie. Rien ne donne à penser que les autorités algériennes ont manifesté un intérêt quelconque pour les activités de R. T. depuis 1992, année où il déclare avoir été arrêté et détenu pendant 45 minutes. L’État partie note que les affirmations selon lesquelles les autorités algériennes examineraient les bases de données juridiques australiennes sur Internet pour déterminer où se trouve l’intéressé ne sont pas crédibles. Il est à son avis hautement improbable que la publication sur Internet d’une décision par laquelle un visa de protection lui a été refusé ait été portée à l’attention des autorités algériennes. Par conséquent, il n’y a aucune raison sérieuse de croire que R. T. risquerait d’être soumis à la torture pour ce motif.

4.6L’État partie reconnaît que le Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles a noté que les membres de la famille de R. T. qui ont subi des préjudices ou des mauvais traitements ont été des membres actifs du FIS ou des religieux musulmans mais, selon ses propres déclarations, l’intéressé n’est ni l’un ni l’autre et n’avait pas attiré l’attention des autorités, à l’exception d’une fois, en 1992, année où il dit avoir été détenu pendant 45 minutes. En outre, l’État partie cite les conclusions de la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés selon lesquelles R. T. a pu quitter l’Algérie à trois reprises et revenir deux fois sans problème, ce qui indique qu’il ne retient pas l’attention des autorités.

4.7En outre, l’État partie affirme que, lors de son audition, R. T. a admis qu’aucun de ses parents proches n’avait de problèmes avec les autorités (à l’exception de son beau‑frère, en 1995) et qu’il n’avait eu lui‑même aucun problème depuis son arrestation en 1992, ce qui indique une fois de plus qu’il n’est pas inquiété par les autorités algériennes.

4.8L’État partie observe que le frère de la requérante craint de manière générale les dangers découlant des troubles civils en Algérie. Cette crainte ne suffit cependant pas à le placer sous la protection de la Convention. L’État partie ajoute que le Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles a examiné des informations communiquées par les autorités françaises et britanniques où celles‑ci déclaraient ne pas avoir eu vent de cas où une personne renvoyée en Algérie sur leur décision ait subi des actes de violence à son retour dans le pays. L’État partie renvoie aussi à des rapports récents qui font état d’une amélioration de la situation des droits de l’homme en Algérie.

4.9L’État partie invoque également l’avis du Ministère de l’immigration et des affaires multiculturelles, dans lequel ce dernier note que les autorités algériennes sont conscientes que de nombreux ressortissants algériens qui se rendent à l’étranger présentent des demandes d’asile pour échapper aux troubles civils et à la situation économique défavorable qui prévalent en Algérie. Il souligne en outre qu’une simple demande d’asile déposée par un ressortissant algérien dans un autre pays ne saurait constituer une raison pour les autorités algériennes de tenter de persécuter ou de torturer cette personne.

4.10L’État partie note que dans une lettre datée du 25 janvier 2000, R. T. a été informé que des dispositions avaient été prises pour qu’il quitte l’Australie par le vol South African Airways SA281, partant de Sydney à destination de Johannesburg à 21 h 40 le 26 janvier 2000. Il était escorté par trois agents sur le vol à destination de l’Afrique du Sud. Enfin, l’État partie signale que les autorités australiennes ignorent où se trouve actuellement l’intéressé.

Délibérations du Comité

Considérations relatives à la recevabilité

5.1Le Comité a pris note des informations communiquées par l’État partie, selon lesquelles l’expulsion de R. T. n’a pas été suspendue, l’État partie n’ayant pas reçu à temps la demande du Comité concernant l’adoption de mesures provisoires en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur. L’intéressé a été renvoyé à Johannesburg le 26 janvier 2000. Il a séjourné quelque temps en Afrique du Sud, mais on ignore où il se trouve actuellement.

5.2Avant d’examiner une plainte figurant dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est ou n’est pas recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée ou n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes aient été épuisés. L’État partie affirme aussi que le frère de la requérante n’a pas étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. Il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire G.R.B. c. Suèdea, selon lesquelles «l’obligation de l’État partie de ne pas renvoyer contre son gré une personne dans un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture est directement liée à la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention». L’État partie note également que le Comité a déclaré qu’il incombait au requérant de présenter des arguments défendables. L’État partie explique que cela suppose que le requérant étaye sa position par des faits suffisamment solides pour justifier une réponse de sa part. Il affirme que les éléments qui lui ont été soumis concernant le frère de la requérante ne sont pas de nature à susciter une action de sa part et rappelle que selon le Comité, l’existence du risque de torture doit être appréciée en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Pour l’État partie, il n’existe pas de motifs sérieux de croire que l’intéressé sera soumis à la torture.

5.3En dépit des observations de l’État partie, le Comité estime avoir reçu des éléments suffisants de la part du frère de la requérante au sujet du danger qu’il affirme courir s’il rentre en Algérie pour examiner la plainte quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen quant au fond

6.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant R. T. en Algérie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, conformément à la jurisprudence du Comité et nonobstant les allégations de la requérante présentées au paragraphe 3.4 quant à la situation en Algérie, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être torturée dans ses circonstances particulières.

6.2Le Comité note que le frère de la requérante invoque la protection de l’article 3 au motif qu’il risque d’être arrêté et torturé en raison du soutien que lui‑même et des membres de sa famille ont manifesté au FIS. Ses prétendues relations avec le FIS remontent à 1992, époque à laquelle il a été arrêté et interrogé pendant 45 minutes. Il n’est pas affirmé que l’intéressé a été torturé ou poursuivi au motif de ses relations avec le FIS avant de quitter le pays pour l’Arabie saoudite. Le frère de la requérante n’a pas satisfait à l’obligation qui lui incombe d’étayer ses affirmations, selon lesquelles il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture et selon lesquelles l’Algérie est un pays où il existe un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

6.3Dans le cas d’espèce, le Comité note également que les activités politiques du beau‑frère de l’intéressé remontent à environ 10 ans et qu’elles pourraient ne pas entraîner en elles‑mêmes un risque pour R. T. d’être torturé s’il était renvoyé en Algérie. Il note en outre que sa crainte d’être rappelé sous les drapeaux ne peut être prise en considération.

6.4Le Comité rappelle que, pour que l’article 3 de la Convention s’applique, il doit exister pour la personne concernée un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle est renvoyée ou, comme c’est le cas en l’espèce, dans un pays tiers vers lequel il est prévisible qu’elle sera ultérieurement expulsée. Sur la base des considérations qui précèdent, le Comité estime que le frère de la requérante n’a pas apporté d’éléments suffisants pour le convaincre qu’il risquerait personnellement d’être victime de torture s’il retournait en Algérie.

6.5Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, estime que, sur la base des informations dont il est saisi, l’expulsion de R. T. vers l’Afrique du Sud ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

a Affaire no 83/1997, constatations adoptées le 15 mai 1998.

Communication n o  182/2001

Présentée par:A. I. (représenté par un conseil, M. Hans Peter Roth)

Au nom de: A. I.

État partie:Suisse

Date de la requête:5 mars 2001 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 182/2001 présentée par M. A. I. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. A. I., Sri‑Lankais d’origine tamoule, né en 1977, résidant actuellement en Suisse où il est frappé d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 25 avril 2001, le Comité a transmis la requête à l’État partie en lui demandant de lui faire part de ses observations. Le Comité note que l’État partie a décidé, de sa propre initiative, de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait en cours d’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est originaire de Chankanai, dans le nord de Sri Lanka. En juillet 1995, sa famille et lui ont fui la guerre civile et ont séjourné quelque temps dans un camp de réfugiés près de Navaly. Au cours du bombardement d’une église catholique par l’armée de l’air sri‑lankaise, il a assisté à la mort de nombreux réfugiés qui s’étaient abrités dans cette église, dont certains de ses parents éloignés. Le requérant et sa famille ont ensuite gagné Chavakachcheri, alors sous contrôle des LTTEa, organisation qu’avait rejointe son jeune frère, S.

2.2En janvier 1996, le requérant et sa mère se sont rendus à Colombo pour organiser son départ de Sri Lanka. Après un attentat à la bombe contre une banque à Colombo, dans lequel un voisin était impliqué, le requérant et sa mère ont été arrêtés par les forces de sécurité le 31 janvier 1996 et détenus au poste de police de Pettah. Les 8 et 16 février 1996, le requérant a reçu la visite d’une délégation du Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) et le 22 février 1996 sa mère et lui ont été libérés contre versement d’un pot‑de‑vin.

2.3Le 30 mars 1996, à l’occasion d’un contrôle d’identité, le requérant a été arrêté par une patrouille de l’armée qui l’a conduit à la prison de Welikade, où il a été interrogé sur ses liens avec les LTTE. Après sa libération le 1er janvier 1997, il est revenu à Chankanai. Entre‑temps, son jeune frère était mort, le 18 juillet 1996, au cours d’une attaque des LTTE contre un camp militaire près de Mullaitivu.

2.4Après le retour du requérant à Chankanai, lui et son deuxième frère, T., ont été arrêté six ou sept fois, entre avril et juin 1997, par les miliciens de l’EPRLFb et de la TELO c. Ils ont été conduits dans un camp près de Puttur, où ils ont été interrogés sur leurs liens avec les LTTE. Au cours des interrogatoires, ils auraient été battus. Une fois, on les a frappés avec une chaîne en fer et brûlés au dos avec un morceau de fer brûlant, afin d’obtenir des aveux. En juillet 1997, T. a de nouveau été arrêté par la milice; il n’a pas réapparu depuis.

2.5Par la suite, le requérant est reparti pour Colombo, qu’il a quitté le 22 août 1997, muni d’un faux passeport, pour la Suisse via la Turquie et l’Italie.

2.6Le 26 août 1997, le requérant a déposé une demande d’asile politique en Suisse. Après des entretiens conduits par l’Office fédéral des réfugiés (ODR) le 26 août 1997 et le 22 avril 1998 et par la police des étrangers le 14 octobre 1997, l’ODR a rejeté sa demande le 28 octobre 1998, lui ordonnant de quitter le pays avant le 15 janvier 1999. Cette décision se fondait sur les motifs suivants: a) le manque de crédibilité de ses affirmations concernant sa détention à la prison de Welikade et la disparition supposée de son deuxième frère, T., ainsi que les contradictions relevées dans sa description des mauvais traitements que son frère et lui auraient subis aux mains de l’EPRLF et de la TELO; b) l’absence de lien suffisant, dans le temps comme sur le fond, entre sa détention au poste de police de Pettah du 31 janvier au 22 février 1996 et son départ de Sri Lanka le 22 août 1997; c) l’insuffisance des éléments fournis à l’appui de ses déclarations selon lesquelles il risquait d’être torturé s’il retournait à Sri Lanka, où il pourrait se réinstaller dans une région non touchée par les hostilités entre les parties au conflit.

2.7Le 30 novembre 1998, le requérant a fait appel de la décision de l’ODR auprès de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) et a présenté deux rapports médicaux, datés du 6 janvier et du 5 septembre 1999, confirmant qu’il souffrait de troubles post‑traumatiques. Dans une communication datée du 10 octobre 1999, l’ODR a maintenu sa position, arguant que le requérant pouvait recevoir le traitement thérapeutique nécessaire au Centre de réadaptation familiale de Colombo ou dans une de ses 12 antennes à Sri Lanka. En outre, il a relevé une contradiction entre le rapport médical du 6 janvier 1999, qui indiquait que le requérant avait été détenu pendant 14 jours à Colombo avant son arrestation le 31 janvier 1996, et le fait que le requérant n’ait pas évoqué cet épisode au cours des entretiens.

2.8Le 30 novembre 2000, la CRA a rejeté le recours formé par le requérant. Elle a fait siennes les conclusions de l’ODR et a ajouté les éléments suivants: a) aucune des arrestations présumées du requérant n’avait débouché sur des poursuites judiciaires concernant sa collaboration avec les LTTE; b) le fait que le requérant ait été détenu deux fois à Colombo n’était pas pertinent aux fins de l’examen de sa demande d’asile; c) même si le requérant souffrait de troubles post‑traumatiques, il n’avait pas prouvé que ces troubles étaient le résultat d’une persécution de la part des autorités sri‑lankaises; d) le requérant n’avait pas fourni de documents fiables attestant son identité; e) le renvoi du requérant à Sri Lanka ne le placerait pas dans une situation excessivement difficile, puisque les éléments fournis ne permettaient pas de conclure qu’il serait soumis à la torture, que sa famille continuait de vivre dans la province du nord (Tellipalai) et qu’il pourrait bénéficier à Sri Lanka d’un traitement adapté pour les troubles post‑traumatiques dont il souffre.

2.9L’ODR a indiqué que le requérant devait quitter la Suisse le 5 février 2001 au plus tard.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention car il y a des motifs sérieux de croire qu’un jeune Tamoul qui a été arrêté et interrogé à plusieurs reprises par les autorités et les milices et dont le frère était connu pour être membre des LTTE risque d’être torturé à son retour à Sri Lanka.

3.2Le requérant fait valoir que les forces de sécurité sri‑lankaises procèdent chaque jour à des rafles et à des contrôles dans la rue contre les Tamouls qui, en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme, peuvent être arrêtés sans mandat et placés en détention pour une période allant jusqu’à 18 mois sans être informés des charges pesant contre eux. En vertu du règlement d’exception qui accompagne la loi, cette période peut être prolongée plusieurs fois pour une durée de quatre‑vingt‑dix jours par une commission judiciaire dont les décisions sont sans appel. Pendant cette période, les détenus sont fréquemment interrogés au sujet de leurs liens avec les LTTE et, souvent, ils subissent des actes de torture ou des mauvais traitements, quand ils ne sont pas victimes d’exécution extrajudiciaire.

3.3Se référant à plusieurs rapports sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, le requérant fait valoir que les risques de torture auxquels les Tamouls sont exposés n’ont pas diminué de manière notable au cours des dernières années.

3.4Le requérant affirme qu’il est impossible d’établir, comme le fait la loi suisse sur l’asile politique, une distinction claire entre les persécutions infligées par des organes de l’État et celles dues à des entités non gouvernementales dans des situations de guerre civile comme celle que connaît Sri Lanka et qui se caractérisent souvent soit par une absence totale de contrôle, soit par un contrôle simultané de certaines régions par différents groupes. Il indique que, dans certaines régions du pays, les milices tamoules comme l’EPRLF ou la TELO persécutent les sympathisants des LTTE en collaboration étroite avec l’armée sri‑lankaise et torturent fréquemment des suspects dans leurs propres camps de détention. Il s’agit donc bien de persécutions imputables à l’État.

3.5Le requérant fait valoir qu’à cause des troubles post‑traumatiques dont il souffre à la suite des actes de torture subis dans le camp de l’EPRLF/TELO et du bombardement de l’église à Navaly, il risque fort d’avoir des réactions incontrôlées dans des situations de danger telles que les rafles et les contrôles dans la rue et que, dès lors, il court davantage le risque d’être arrêté puis torturé par la police sri‑lankaise.

3.6Le requérant affirme qu’il est fréquent que les réfugiés victimes de persécutions politiques n’aient pas de papiers et qu’il a suffisamment prouvé son identité avec une photocopie de sa carte d’identité et de son certificat de naissance. On ne pouvait attendre de lui qu’il se présente aux autorités sri‑lankaises pour obtenir un passeport ou une nouvelle carte d’identité.

3.7Le requérant déclare que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes. En particulier, il affirme qu’il serait inutile de former un nouveau recours auprès de la CRA en l’absence d’éléments nouveaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 8 juin 2001, l’État partie a admis que la requête était recevable; le 29 novembre 2001, il a présenté ses observations sur le fond. Faisant siens les arguments invoqués par l’Office fédéral des réfugiés et la Commission suisse de recours en matière d’asile, il conclut que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.2L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas présenté de nouveaux éléments qui justifieraient une révision des décisions de l’ODR et de la CRA. De même, les éléments de preuve présentés pendant la procédure d’asile (articles de journaux, une lettre de sa mère et une carte d’identité du CICR) ne suffisent pas à étayer les allégations selon lesquelles il aurait été persécuté ou risque d’être torturé. Les rapports médicaux confirmant qu’il souffre de troubles post‑traumatiques sont fondés sur ses propres dires et passent sous silence les autres causes, plus probables, qui pourraient expliquer ces symptômes.

4.3L’État partie admet que le requérant a été détenu au poste de police de Pettah à Colombo du 31 janvier au 22 février 1996, mais ne voit pas en quoi cela montre qu’il risque d’être torturé s’il retourne à Sri Lanka. De même, il estime que les contrôles d’identité fréquents et les arrestations répétées de Tamouls à Sri Lanka ne permettent pas non plus d’établir l’existence d’un tel risque.

4.4L’État partie fait valoir que le fait qu’aucune procédure pénale n’ait été engagée contre le requérant montre qu’il ne court pas personnellement le risque d’être torturé par les forces de sécurité sri‑lankaises. Pour l’État partie, les milices de l’EPRLF et de la TELO, à supposer qu’elles aient été actives dans la région de Chankanai en 1997, n’ont jamais manifesté d’intérêt pour les activités du requérant lui‑même, mais l’auraient torturé pour obtenir des informations sur les liens de son frère décédé, S., avec les LTTE.

4.5Enfin, l’État partie indique que, s’il est renvoyé à Sri Lanka, le requérant pourrait prouver qu’il a vécu en Suisse à partir de 1997, ce qui dissiperait tout soupçon concernant son éventuelle collaboration avec les LTTE pendant cette période.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 22 décembre 2003 au sujet des observations de l’État partie sur le fond, le conseil fait valoir que les contradictions relevées dans les déclarations du requérant devant les autorités suisses s’expliquent par une «perte de la notion de réalité» et que les personnes ayant subi un traumatisme ont souvent des difficultés à se rappeler les détails et la chronologie de leur histoire.

5.2Le requérant conteste que l’EPRLF/TELO n’ait plus été actif dans la région de Chankanai entre avril et juin 1997, l’État partie n’ayant cité aucune source vérifiable à l’appui de cette affirmation.

5.3Le requérant réfute l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas suffisamment étayé ses affirmations. En effet, l’appartenance de son frère défunt aux LTTE a été prouvée et constitue un motif suffisant de penser que les autorités sri‑lankaises auraient des soupçons à son égard. En outre, les actes de torture sont généralement cachés par les organes gouvernementaux responsables et il n’y a donc souvent aucune preuve.

5.4Le requérant fait valoir qu’au lieu de critiquer les rapports psychiatriques qu’il a soumis, l’État partie aurait dû demander l’avis médical d’un expert nommé par l’État. S’ils ne prouvent pas ses allégations, les rapports de janvier et septembre 1999 confirment tout du moins que les troubles post‑traumatiques dont il souffre sont le résultat direct des actes de torture qu’il a subis.

5.5Enfin, le requérant indique que de nombreux cas de torture et de mauvais traitements infligés dans les prisons sri‑lankaises ont été signalés en 2003 et que, malgré les pourparlers de paix en cours, le respect de la légalité n’est toujours pas garanti dans le pays.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans la présente affaire, le Comité note également que tous les recours internes ont été épuisés et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il considère par conséquent que celle‑ci est recevable et procède à son examen sur le fond.

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme (par. 2 de l’article 3 de la Convention).

6.3Le Comité constate, d’après des rapports récents sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, que, bien que des efforts aient été déployés pour éliminer la pratique de la torture, des cas de torture continuent d’être signalés et qu’il est fréquent que les plaintes pour torture ne soient pas traitées efficacement par la police, les magistrats et les médecins. Cela étant, le Comité note également qu’un accord de cessez‑le‑feu a été conclu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002. L’évolution récente de la situation politique et le changement de gouvernement ont peut‑être entravé la poursuite du processus de paix, mais il reste que le processus n’a pas été abandonné. Le Comité rappelle en outre que les résultats de son enquête sur Sri Lanka au titre de l’article 20 de la Convention l’ont porté à conclure que la pratique de la torture n’était pas systématique dans l’État partie. Le Comité note enfin qu’un grand nombre de réfugiés tamouls sont rentrés à Sri Lanka ces dernières années.

6.4Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit pour lui de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, quand bien même il serait possible d’affirmer qu’il existe à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas nécessairement que le requérant ne peut pas être considéré comme risquant d’être soumis à la torture dans ces circonstances particulières.

6.5En ce qui concerne le risque que court personnellement le requérant d’être soumis à la torture par les forces de sécurité sri‑lankaises, le Comité a pris note de ses affirmations selon lesquelles il avait été torturé en 1997 par l’EPRLF et la TELO qui avaient agi en collaboration avec l’armée sri‑lankaise. À supposer, même que ces affirmations soient véridiques, le Comité estime qu’il n’en découle pas forcément que le requérant risquerait actuellement d’être torturé, compte tenu du processus de paix en cours à Sri Lanka et du fait que de nombreux réfugiés tamouls sont retournés dans ce pays ces dernières années.

6.6En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel les troubles post‑traumatiques dont il souffre l’amènent à avoir des réactions incontrôlées dans les situations de stress, ce qui accroît le risque pour lui d’être arrêté par la police sri‑lankaise, le Comité relève que l’absence de toute procédure pénale engagée contre l’intéressé par le passé et sa discrétion du point de vue politique peuvent à l’inverse être considérées comme des facteurs susceptibles de réduire le risque de conséquences graves s’il venait à être arrêté de nouveau.

6.7Le Comité estime qu’il est peu probable que les autorités sri‑lankaises ou les milices, qui agiraient avec leur consentement exprès ou tacite, continuent de s’intéresser à l’appartenance aux LTTE du jeune frère du requérant, décédé il y a près de huit ans.

6.8S’agissant de savoir si le requérant pourrait recevoir à Sri Lanka un traitement psychiatrique adapté aux troubles post‑traumatiques dont il souffre, le Comité rappelle que l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion vers Sri Lanka ne constituerait pas une torture au sens de l’article 3, lu conjointement avec l’article premier de la Convention, qui pourrait être attribuée à l’État partie lui‑même.

6.9En conséquence, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour lui permettre de conclure qu’il courrait, personnellement et actuellement, un risque sérieux d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

a Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

b Front révolutionnaire de libération du peuple de l’Eelam.

c Organisation tamoule de libération de l’Eelam.

Communication n o 183/2001

Présentée par:

B. S. S. (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

B. S. S.

État partie:

Canada

Date de la requête:

7 mars 2001

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 183/2001, présentée par M. B. S. S. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. B. S. S., de nationalité indienne, né en 1958, qui réside actuellement au Québec (Canada) et est frappé d’un arrêté d’expulsion vers l’Inde. Il affirme que son renvoi en Inde constituerait une violation par le Canada des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 4 mai 2001, le Comité a adressé la requête à l’État partie en lui demandant de lui faire parvenir ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant en Inde tant que sa requête serait en cours d’examen. Le 19 février 2004, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires, en application du paragraphe 7 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité ou, dans le cas contraire, de prendre une décision finale sur la requête dans les meilleurs délais. Dans une lettre du 2 mars 2004, le conseil a prié le Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires, en attendant que le Comité se soit prononcé sur la requête. Ces demandes sont devenues caduques le 12 mai 2004 lorsque le Comité a adopté ses constatations.

1.3Le 31 mars 2003, le requérant a prié le Comité de suspendre son examen de la plainte, en attendant l’issue de l’action engagée au titre d’une nouvelle procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi, mais de maintenir sa requête au titre du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur. Le 25 avril 2003, le Comité a fait savoir au requérant et à l’État partie qu’il avait décidé de suspendre l’examen de la requête, de même que la demande qu’il a adressée à l’État partie de ne pas expulser le requérant, dans la mesure où il serait automatiquement sursis à un ordre de renvoi en vertu de l’article 162 du règlement relatif à l’immigration et à la protection des réfugiés.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le requérant est originaire de la province indienne du Pendjab. Il est de religion sikh. Sa femme et ses trois enfants vivent toujours au Pendjab.

2.2D’après un «rapport d’enquête» en date du 12 mars 1993, établi par M. S. S., avocat défenseur des droits de l’homme à Patiala (Pendjab), qui se fonde principalement sur le témoignage du père du requérant, de sa fille et d’autres habitants du village, deux hommes armés sont arrivés au domicile de la famille du requérant en avril 1991 et ont demandé à manger en braquant leur fusil sur le requérant. Ils sont restés une demi-heure. Plus tard dans la nuit, la police a arrêté le requérant et l’a accusé d’héberger des terroristes. Il aurait été placé dans une cellule spéciale de torture où la police l’aurait interrogé et roué de coups. Il avait été libéré au bout de deux jours parce que son père avait versé un pot‑de‑vin.

2.3Toujours selon le même rapport, le requérant a été arrêté une deuxième fois en septembre 1991 après le meurtre dans un village voisin de six membres de la famille d’un policier. Il a été placé dans un lieu inconnu où une fois encore la police l’aurait torturé. Il a été remis en liberté à la suite de l’intervention d’un homme politique local, puis il est allé à Jaipur (Rajasthan) pour que la police du Pendjab ne le retrouve pas. D’après le rapport, la police a continué de harceler sa famille et a même arrêté le frère du requérant. Sur les conseils de son père, quand la police s’est mise à chercher à savoir où il se trouvait à Jaipur, le requérant a décidé de quitter le pays.

2.4Le 1er septembre 1992, le requérant est parti pour le Brésil, puis s’est rendu au Mexique et est entré aux États‑Unis le 22 septembre 1992. Le 30 octobre 1992, il est entré au Canada et a demandé le statut de réfugié. Il a été refoulé vers les États‑Unis et les autorités américaines d’immigration lui ont donné jusqu’au 29 novembre 1992 pour quitter le pays. Le requérant est resté illégalement sur le territoire américain. Il ne s’est pas présenté à la convocation qui avait été fixée au 17 août 1993 au poste frontière canadien de Lacolle pour examiner sa demande de statut de réfugié.

2.5Le 24 novembre 1993, le consulat d’Inde à New York a délivré un passeport au requérant.

2.6Le requérant est entré de nouveau au Canada le 4 août 1994 à Vancouver, et le 16 août 1994 il a déposé une nouvelle demande de statut de réfugié à Montréal. Le 13 octobre 1994, les autorités canadiennes d’immigration ont pris une décision d’expulsion. La section du statut de réfugié au sens de la Convention, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a rendu une décision négative le 4 novembre 1996, mais le requérant a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision, que la Cour fédérale du Canada a rejetée le 29 mai 1998.

2.7Entre‑temps, le requérant a déposé une demande tendant à obtenir d’être classé dans la «catégorie des demandeurs d’asile non reconnus». Il joignait à cette requête la copie d’un document qui ressemblait à un mandat d’arrestation et qui, selon les indications y figurant, avait été délivré contre lui par les autorités indiennes le 8 mai 1994. La demande a été rejetée par une lettre datée du 10 mars 1997, l’informant que l’arrêté d’expulsion était devenu exécutoire et qu’il devait avoir quitté le territoire avant le 16 avril 1997. Les Notes au dossier rédigées par le fonctionnaire qui a examiné l’affaire indiquent que la copie du mandat d’arrestation avait été fournie alors que la procédure avait déjà commencé depuis longtemps et que le requérant n’avait pas expliqué pourquoi ce mandat d’arrestation avait été délivré en 1994 pour des faits qui remontaient à 1991. La Cour fédérale a rejeté le 29 août 1997 la demande d’autorisation de se pourvoir devant les autorités judiciaires contre le rejet de sa demande.

2.8Le 2 octobre 1997, le requérant a demandé à bénéficier d’une exemption de l’application ordinaire de la loi sur l’immigration et le statut de réfugiéa pour des motifs humanitaires. La demande comportait de nouveaux éléments, notamment un article daté du 10 août 1997 d’un journal de Chandigarh (Pendjab) d’où il ressortait que la famille du requérant était toujours l’objet de harcèlement par la police du Pendjab et que sa vie serait en danger s’il était renvoyé en Inde; un rapport médical daté du 25 avril 1995 établi par un médecin indien confirmant qu’il avait traité le requérant pour une fracture de la jambe et des saignements d’oreille le 21 septembre 1991; un autre rapport médical, daté du 14 mars 1995, établi par un médecin de Montréal qui attestait un trouble de l’audition à l’oreille droite ainsi que la présence d’une cicatrice de 3 cm sur la jambe droite et concluait que ces symptômes correspondaient aux allégations de torture. La demande pour motifs humanitaires a été rejetée le 4 novembre 1997. Toutefois, pendant l’examen de la demande d’autorisation de faire recours de la décision, il est apparu que le fonctionnaire de l’immigration n’avait pas tenu compte de tous les éléments dont il avait été saisi. L’État partie a donc décidé de réexaminer la demande pour motifs humanitaires et la procédure judiciaire a été suspendue.

2.9Le 4 juin 1998, un autre fonctionnaire de l’immigration a procédé à une nouvelle appréciation des risques encourus et, malgré les éléments nouveaux, a conclu que le requérant ne risquait pas d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain s’il était renvoyé en Inde. Dans une lettre datée du 13 août 1998, le requérant a été notifié du rejet de sa deuxième demande pour motifs humanitaires. Il a déposé une demande d’autorisation de former recours devant les autorités judiciaires à laquelle la Cour fédérale a fait droit.

2.10Par une décision en date du 2 octobre 1998, la Cour fédérale a ordonné le sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion, statuant que le requérant avait soulevé une question grave qui appelait une décision interlocutoire et qu’il fallait déterminer s’il ne risquait pas de subir des dommages irréparables s’il était renvoyé en Inde. Par une décision du 24 novembre 1998, la Cour fédérale a fait droit à la demande de révision en rapportant la décision de rejet de la deuxième requête pour motifs humanitaires et en renvoyant l’affaire pour qu’elle soit réexaminée. Tout en rejetant l’argument selon lequel le système de révision mis en place par les services d’immigration du Canada était incompatible avec les articles 7b et 12c de la Constitution canadienne, la Cour a considéré que la décision du fonctionnaire de l’immigration était contestable car elle ne tenait pas dûment compte des nouveaux éléments présentés par le requérant et reposait sur des considérations qui ne se rapportaient pas à l’affaire.

2.11La demande pour motifs humanitaires a donc été réexaminée par un autre fonctionnaire de l’immigration qui avait également reçu une formation pour examiner les demandes après refus du statut; après une longue étude des faits et des éléments de preuve, celui‑ci a rejeté la requête le 13 octobre 2000 en motivant la décision par les éléments suivants notamment: a) l’authenticité douteuse du mandat d’arrestation étant donné sa forme et l’absence de tout élément permettant de le corroborer; b) l’absence de source identifiable ou le caractère périmé de la plupart des rapports et des articles de journaux produits par le requérant au sujet de la situation au Pendjab; c) la contradiction entre le fait que, d’après le témoignage de sa famille et de ses voisins dans son village, le requérant était innocent et le fait qu’il affirmait être toujours persécuté par la police; d) les doutes concernant la valeur probante de la traduction de l’article de journal daté du 11 juin tiré d’un hebdomadaire de Vancouver publié dans la langue du Pendjab où le cas du requérant était cité; e) le fait que le requérant ne se soit pas présenté lors de l’examen de sa première demande de statut de réfugié, qui était prévu le 17 août 1993 au poste frontière canadien, défaillance qui n’a jamais été justifiée; f) le fait que le consulat d’Inde à New York ait délivré le 24 novembre 1993 un passeport au requérant alors que celui‑ci était censé être recherché par les autorités indiennes; g) le fait que le conseil ait soulevé la question des troubles post‑traumatiques, dont des accès de panique, diagnostiqués dans le rapport du psychiatre daté du 30 août 1999 alors que la procédure était commencée depuis longtemps, que son état psychique ne l’avait pas empêché de travailler, depuis janvier 1999, et qu’il avait déclaré ne souffrir d’aucun trouble mental quand il avait rempli le dossier d’immigration en octobre 1997 et en septembre 2000; h) la très faible implication politique du requérant et le fait que d’une façon générale seuls les défenseurs des droits de l’homme ou les militants sikhs et leurs familles risquent d’être harcelés par la police du Pendjabd; i) le fait que la famille du requérant vit toujours au Pendjab; j) la protection dont le requérant bénéficie de par les bonnes relations politiques de son père; k) l’amélioration générale de la situation au Pendjab; l) le fait que le requérant ait pu trouver refuge dans la province voisine avant de quitter l’Inde, en 1991.

2.12Le 2 mars 2001, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de former recours auprès des autorités judiciaires présentée par le requérant.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil fait valoir que le requérant court le risque d’être torturé et que par conséquent le Canada commettrait une violation de l’article 3 de la Convention s’il l’expulsait vers l’Inde. De plus, étant donné que le requérant souffre de troubles post‑traumatiques, il endurerait un traumatisme psychique grave à son retour sans avoir la possibilité d’être soigné comme il convient, ce qui en soi constituerait un traitement inhumain et dégradant et donc une violation de l’article 16 de la Convention.

3.2Le conseil affirme que le requérant a épuisé tous les recours internes. Il ajoute que les recours prévus dans le cadre du système de réexamen des décisions d’immigration sont inefficaces au Canada car les fonctionnaires de l’immigration n’ont aucune formation dans le domaine des droits de l’homme ni dans les questions juridiques, que dans la plupart des cas ils ne tiennent pas compte de la jurisprudence de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ni de la Cour fédérale ou qu’ils ne font pas une appréciation réaliste de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile, qu’ils subissent souvent des pressions les incitant à décider le plus grand nombre possible d’expulsions et que d’une façon générale ils se montrent méfiants à l’égard des plaintes des demandeurs du statut de réfugié.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 novembre 2001, l’État partie a fait tenir ses observations sur la recevabilité et, subsidiairement, sur le fond de la requête.

4.2L’État partie reconnaît que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il estime toutefois que la requête est irrecevable parce que les éléments soumis par le requérant ne suffisent pas à démontrer l’existence à première vue d’une violation de la Convention.

4.3En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, l’État partie fait valoir que, d’après l’Observation générale no 1, c’est au requérant qu’il incombe de montrer qu’il risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Inde. D’après l’État partie, le comportement du requérant après le départ de son pays, en 1992, n’est pas celui de quelqu’un qui craint d’être torturé, comme le montre le fait qu’il n’ait pas demandé le statut de réfugié aux États‑Unis quand il y habitait, qu’il ne se soit pas présenté à la convocation des autorités canadiennes pour examiner sa première demande de statut de réfugié, le 17 août 1993, et que son passeport indien ait été renouvelé à New York en 1993, ce qui constitue de l’avis de l’État partie une preuve supplémentaire que le requérant n’a pas peur des autorités indiennes et que celles‑ci ne le recherchent pas et ne l’ont jamais recherchée. L’État partie conteste aussi la crédibilité du requérant à cause de l’authenticité douteuse du mandat d’arrestation: celui‑ci avait été délivré deux années après le départ de l’Inde, n’avait été présenté aux autorités canadiennes qu’en décembre 1996, était dactylographié et ne portait pas d’en‑tête officiel, et était le genre de document qui pouvait être aisément contrefait ou obtenu en Inde moyennant une somme modique.

4.4L’État partie fait valoir également que les rapports médicaux produits par le requérant confirment simplement l’existence d’anciennes blessures, sans apporter la preuve de leur origine. L’État partie émet également des doutes sur le rapport des psychiatres diagnostiquant des troubles post‑traumatiques dont il n’avait jamais été question avant 1999. Il conclut que, même si ces rapports corroboraient l’allégation de tortures subies dans le passé, il ne s’agit pas d’un passé récent, alors que la question décisive est de savoir si le risque de torture persiste. Se référant à la jurisprudence du Comitéf, l’État partie fait valoir que, même si des tortures subies dans le passé constituent un élément à prendre en considération quand une plainte pour violation de l’article 3 est examinée, le Comité doit déterminer si le requérant risque d’être torturé actuellement s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

4.5En se fondant sur plusieurs rapports consacrés à la situation des droits de l’homme en Inde et en particulier au Pendjab, l’État partie affirme qu’au Pendjab il n’y a pas d’ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives et que la situation dans cette province s’est améliorée au cours des quelques dernières années, comme le montre la réduction notable des actions armées sikhs ainsi que des opérations policières contre les Sikhs. L’État partie doute que le requérant ait jamais été personnellement la cible de répression policière et pense que la détention dont il aurait été l’objet s’inscrivait dans le cadre des pratiques passées de la police du Pendjab consistant à procéder à de fausses arrestations pour obtenir des pots‑de‑vin. L’État partie fait valoir en outre qu’il n’y a plus aujourd’hui que les militants sikhs connus qui risquent d’être maltraités; or le requérant n’a jamais été membre d’un parti politique ou d’un mouvement social quel qu’il soitg. Étant donné que le Comité a même déclaré non fondée une plainte pour violation de l’article 3 déposée par un militant sikh de grande notoriété, impliqué dans le détournement d’un avion de la compagnie Indian Airlines en 1981h, l’État partie estime que, dans les circonstances particulières de l’affaire, la torture ne peut pas être considérée comme une conséquence prévisible et nécessaire du renvoi du requérant en Inde.

4.6En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 16 de la Convention, l’État partie fait valoir que cette disposition ne s’applique pas à la situation du requérant parce qu’il ressort des travaux préparatoires de la Convention que les questions liées à l’expulsion sont couvertes de façon exhaustive par l’article 3. L’État partie ajoute, en reprenant une décision du Comité, que «l’aggravation de l’état de santé de l’auteur qui pourrait résulter de son expulsion ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l’État partie»i. Étant donné que, de l’avis de l’État partie, l’incapacité d’un État de prodiguer les meilleurs soins médicaux possibles ne constitue pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le renvoi du requérant en Inde ne peut pas constituer non plus un tel traitement, même si sa plainte concernant l’insuffisance des traitements médicaux assurés en Inde était étayée.

4.7Si toutefois la plainte était déclarée recevable, l’État partie demande au Comité de la rejeter sur le fond pour les motifs exposés plus haut.

4.8En ce qui concerne l’appréciation du risque par les autorités d’immigration canadiennes, l’État partie fait valoir que les fonctionnaires de l’immigration reçoivent une formation spéciale pour évaluer la situation dans le pays d’origine de la personne qui demande le statut de réfugié et pour appliquer la législation canadienne ainsi que les dispositions internationales relatives aux droits fondamentaux, dont la Convention contre la torture. L’État partie considère que la possibilité d’obtenir la révision judiciaire de la décision est une garantie suffisante pour le «manque relatif d’indépendance» des fonctionnaires de l’immigration.

4.9Enfin, l’État partie fait valoir que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions sur la question de savoir s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être exposé à la torture s’il est renvoyé en Inde étant donné que la procédure suivie devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ainsi que devant la Cour fédérale ne présente aucune erreur manifeste ni la moindre irrégularité et n’est pas davantage déraisonnable, l’appréciation des faits et des preuves relevant exclusivement des juridictions nationales.

Commentaires du requérant

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, en date du 30 mars 2002, le requérant réaffirme qu’il risque d’être torturé, voire exécuté, s’il est renvoyé en Inde. Certaines des preuves qu’il a produites ont été totalement ignorées ou considérées comme négligeables dans la réponse de l’État partie; il en est ainsi du rapport d’enquête de M. S. S., de plusieurs articles de journaux et de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Chahal tandis que pour d’autres pièces, comme le mandat d’arrestation et l’article du magazine de Vancouver mentionnant explicitement le requérant, l’État partie en a contesté l’authenticité. Étant donné que ce sont les originaux qui ont été produits aux autorités canadiennes, il aurait été aisé pour l’État partie de vérifier leur authenticité.

5.2Le requérant reproche à l’État partie de mettre en doute la crédibilité sur des points accessoires, comme la date du mandat d’arrestation et le fait qu’il ait tardé à déposer une demande de statut de réfugié, qu’il n’ait pas prétendu à un tel statut aux États‑Unis et que le consulat indien de New York lui ait délivré un passeport, motifs insuffisants pour réfuter le risque de torture pourtant bien étayé. Le requérant dit que, pour obtenir un titre prouvant son identité, il a versé 500 dollars à un certain M. S. qui est allé chercher son passeport au consulat d’Inde à New York. Pour ce qui est de la date du mandat d’arrestation, le requérant ne sait pas pourquoi il a été délivré deux ans après son départ et que l’explication réside peut‑être dans des événements survenus au Pendjab dont il n’a pas connaissance.

5.3En ce qui concerne les rapports médicaux et psychologiques, le requérant souligne que ces documents établissent clairement qu’il a subi des tortures, ce qu’au demeurant l’État partie n’a jamais sérieusement contesté. Il réfute l’allégation de l’État partie qui affirme que les rapports ont été présentés alors que la procédure était bien avancée, expliquant que le rapport médical de 1995 avait été soumis aux autorités canadiennes plus tôt.

5.4À titre de preuve supplémentaire, le requérant joint une déclaration sous serment d’un de ses amis, S. S. S., ancien officier de l’armée indienne, qui, après avoir été limogé, a rejoint les rangs des militants sikhs, a quitté le pays et a reçu en 1993 le statut de réfugié au Canada au titre de la Convention relative au statut des réfugiés. Cette personne affirme avoir vu plusieurs fois la famille du requérant pendant une visite de quatre mois effectuée en Inde en 1997 et avoir appris que la police du Pendjab continuait à la harceler et soupçonnait le requérant d’avoir des contacts avec des terroristes à l’étranger.

5.5Le requérant souligne que pour une bonne part les réponses de l’État partie ne sont que des répétitions des arguments énoncés dans la décision finale du fonctionnaire de l’immigration, datée du 13 octobre 2000, sans qu’il soit expliqué pourquoi la conclusion retenue dans deux arrêts de la Cour fédérale, qui avait établi que s’il était expulsé le requérant courrait un risque de préjudice irréparable, n’a pas été prise en considération. En ce qui concerne le refus de l’autoriser à se pourvoir devant les autorités judiciaires, le requérant explique que ce refus émane d’un nouveau juge qui avait intégré la Cour fédérale tout récemment, en mars 2001.

5.6D’après le requérant, le risque de torture auquel il est exposé s’il retourne en Inde est d’autant plus grand qu’il est considéré comme un sympathisant militant car la police du Pendjab l’a accusé de soutenir les militants sikhs. De plus, comme il est en mauvaise santé physique, les forces de sécurité seraient encore plus convaincues qu’il a été impliqué dans la lutte armée.

5.7En ce qui concerne les violations des droits fondamentaux commises actuellement en Inde et en particulier au Pendjab, le requérant dit que même si la situation s’est améliorée par rapport au début des années 90, la torture est encore largement pratiquée par la police et l’armée. Pour ce faire, il joint plusieurs rapports volumineux faisant état de violations persistantes au Pendjab ainsi que sur le système canadien de détermination du statut de réfugié.

5.8En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 16 de la Convention, le requérant fait valoir que ce grief n’est pas fondé exclusivement sur l’insuffisance des traitements médicaux disponibles en Inde; il repose aussi sur l’expérience traumatisante que constitue son renvoi dans un pays où il a été victime de torture.

5.9Le requérant affirme que les fonctionnaires canadiens de l’immigration ne reçoivent généralement pas de formation dans le domaine des droits de l’homme. Au contraire, on les forme à repérer les points qui peuvent faire douter de la crédibilité d’un demandeur d’asile. Le requérant réaffirme aussi que la révision judiciaire assurée par la Cour fédérale constitue un contrôle insuffisant des abus des autorités d’immigration et cite l’affaire à l’étude comme l’exemple même de l’insuffisance de ce recours.

Observations complémentaires de l’État partie et commentaires du requérant

6.1Dans une réponse complémentaire datée du 12 novembre 2002, l’État partie a fait valoir qu’outre le fait qu’elle est insuffisamment étayée, la requête est aussi irrecevable au titre du paragraphe 2 de l’article  22 parce qu’elle est incompatible avec l’article 3 de la Convention, étant donné qu’aucune décision de renvoi n’avait été prise à ce stade, ainsi qu’au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 e) du règlement intérieur du Comité, du fait que les recours n’avaient pas été épuisés dans le cadre de la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi. Subsidiairement, l’État partie maintient que la requête est infondée.

6.2L’État partie soutient qu’en vertu de la nouvelle loi sur l’émigration et la protection des réfugiés du 28 juin 2002, toute personne en instance d’expulsion a droit à une nouvelle évaluation du risque encouru, sur la base de nouveaux éléments de preuve, ce qui entraîne le sursis automatique de l’ordre de renvoi, si l’intéressé demande une telle évaluation dans les 15 jours suivant la date à laquelle il a été informé de la possibilité de se prévaloir de la protection de ladite loi. L’évaluation est effectuée par un fonctionnaire formé à l’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ainsi qu’à la Convention contre la torture. Lorsque l’issue de l’évaluation est négative, le requérant peut demander l’autorisation de saisir la Cour fédérale, qui peut annuler la décision sur la base d’une simple erreur du point de vue du droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation des faits. Les décisions de la section de première instance de la Cour fédérale peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale si le juge de première instance certifie que le dossier soulève une question grave d’importance générale. La décision de la Cour d’appel peut être portée devant la Cour suprême du Canada. Le requérant peut demander à la Cour fédérale d’ordonner à titre provisoire qu’il soit sursis au renvoi en attendant l’issue des requêtes et recours dont elle est saisie.

6.3L’État partie fait valoir que l’évaluation du risque préalable au renvoi constitue un recours efficace, au même titre que l’évaluation des risques pour les demandeurs d’asile non reconnus prévue par l’ancienne législationj. Le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme sont parvenus à la même conclusion concernant le recours en révisionk.

6.4De plus, l’État partie rejette l’argument du requérant selon lequel la Cour fédérale a reconnu par deux fois qu’il risquait d’être torturé s’il était renvoyé en Inde, au motif que l’ordre de suspension du 2 octobre 1998 et la décision du 24 novembre 1999 sur un de ses recours en révision ne peuvent être considérés comme une constatation judiciaire de l’existence d’un tel risque.

6.5L’État partie conteste les éléments de preuve documentaires produits par l’auteur aux motifs que: a) la déclaration de M. S. S. S., qui a passé quatre mois en 1997 au Pendjab alors que le statut de réfugié lui avait été octroyé au Canada, se fondait simplement sur les déclarations de la famille et des amis du requérant au Pendjab et qu’il s’agissait donc d’un argument tendancieux et sujet à caution; b) les rapports et les études sur les violations des droits de l’homme commises par le passé au Pendjab étaient insuffisants pour établir que l’intéressé courrait personnellement, à ce moment-là, le risque d’être torturé s’il était renvoyé en Inde; et c) les deux rapports médicaux de 1995 ne mentionnaient que des traces de blessures anciennes, passant sous silence les troubles post‑traumatiques qui ont été mentionnés pour la première fois dans le rapport de 1999, soit cinq ans après que le requérant a introduit sa demande d’asile.

7.1Dans ses commentaires datés du 31 mars 2003, le requérant réitère qu’il courait personnellement et actuellement le risque d’être torturé en Inde, comme l’ont confirmé les décisions de la Cour fédérale selon lesquelles il «subirait un préjudice irréparable» (ordre de suspension du 2 octobre 1998) ou «subirait un traitement inusité, non mérité ou disproportionné» (arrêt du 24 novembre 1999) s’il était renvoyé dans ce pays.

7.2Le requérant réfute l’argument selon lequel les obligations internationales du Canada en matière de droits de l’homme sont prises en considération lors de l’ERPR, cette procédure étant conçue pour refuser le statut de réfugié à «pratiquement tous les demandeurs», avec un taux de refus s’établissant entre 97 et 98 %.

Observations supplémentaires de l’État partie et commentaires du requérant

8.1Le 19 février 2004, l’État partie a informé le Comité de ce que la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi du requérant était achevée et lui demandait de lever la suspension prononcée quant à l’examen de l’affaire, de se prononcer sur la recevabilité et le fond de la requête dans les meilleurs délais ou, à défaut, de retirer sa demande de mesures provisoires, conformément au paragraphe 7 de l’article 108 de son règlement intérieur.

8.2L’État partie fait valoir que les éléments produits par le requérant ne suffisent pas à établir que, s’il était renvoyé, il subirait «un préjudice irréparable» au sens du paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur, étant donné son rôle effacé, le fait que les tortures qu’il aurait subies remontent à plus de 12 ans et que la situation des droits de l’homme au Pendjab s’est considérablement améliorée au cours des 11 années qui ont suivi son départ. L’absence de tout risque de torture a été confirmée dans le cadre de quatre évaluations successives menées par quatre fonctionnaires différents; de simples conjectures de la part du requérant ne devraient pas empêcher l’exécution d’un ordre de renvoi pris en toute légalité.

8.3L’État partie fait valoir que, le 14 mai 2003, le requérant a introduit une demande de résidence permanente pour raison humanitaire et que, le 10 septembre 2003, il a également demandé une évaluation du risque préalable au renvoi. Les deux demandes se fondaient sur les mêmes allégations que sa première demande de statut de réfugié et que les demandes de protection qu’il a introduites par la suite. Le 29 septembre 2003, le fonctionnaire chargé de l’évaluation du risque préalable au renvoi a rejeté la demande du requérant et a ordonné son renvoi immédiat, considérant qu’il ne serait pas exposé au risque d’être persécuté, torturé, tué ou victime d’une peine ou d’un traitement cruel ou inusité s’il retournait en Inde. De même, la demande de permis de séjour pour raison humanitaire déposée par le requérant a été rejetée le 30 septembre 2003, le risque de persécution n’ayant pas été suffisamment étayé.

8.4L’État partie précise qu’ayant à cœur de refermer le dossier, il ne conteste plus la recevabilité de la requête au motif du non‑épuisement des recours internes, bien que la demande d’autorisation de se pourvoir en révision soit encore pendante devant la Cour fédérale.

9.1Le 2 mars 2004, le requérant a soumis au Comité copie du dossier relatif à la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi et, le 20 avril 2004, il a présenté ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Les éléments figurant dans le dossier sont les suivants: a) plusieurs rapports sur la situation des droits de l’homme au Pendjab, dont un rapport d’Amnesty International daté de janvier 2003 sur l’impunité et la torture dans cette régionl, qui révèle que des membres de la police coupables d’actes de torture ne sont pas traduits en justice et fait état de décès de personnes détenues, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions qui se sont produites à l’époque du militantisme penjabi entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90, signe que les atteintes aux droits de l’homme perdurent au Pendjab; b) plusieurs déclarations sous serment, dont l’une de la main d’un réfugié, ex‑avocat défenseur des droits de l’homme au Pendjab, qui pratique actuellement le droit au Canada, confirmant que le requérant court un risque, dans la mesure où toute personne soupçonnée d’entretenir des liens avec des militants, comme c’est le cas du requérant, serait prise pour cible par la police et incapable d’obtenir la protection des tribunaux au Pendjab; c) la traduction d’un arrêté daté du 27 août 2003 émanant du conseil municipal («panchayat») du village du requérant, confirmant que sa vie serait en danger s’il rentrait et critiquant le harcèlement auquel la police locale soumettait sa famille; d) une lettre de M. S. S. datée du 3 octobre 2003 contenant les mêmes indications; et e) une lettre récente du fils du requérant datée du 10 avril 2004 selon laquelle sa famille est constamment harcelée par le Département des enquêtes criminelles et se trouve de ce fait socialement isolée et indiquant qu’il craint lui‑même pour sa viem.

9.2Le conseil retrace la chronologie des recours que le requérant a engagés au Canada et informe le Comité de ce que la Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation de se pourvoir en révision le 17 février 2004n. Il fait valoir qu’à l’instar de l’ancienne procédure d’évaluation des risques pour les demandeurs d’asile non reconnus, qui était constamment critiquée par les églises et les associations de soutien aux réfugiés au Canada, la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi est considérée comme manquant d’indépendance et d’impartialité par l’Association du barreau canadien et les groupes de défense des droits de l’homme, sa seule finalité étant de donner l’impression que l’État a évalué les dangers avant d’expulser un requérant. Ni le Comité contre la torture ni le Comité des droits de l’homme n’ont estimé que cette procédure constituait un recours utile; ils ont seulement fait observer que cette procédure devait être épuisée ou que le requérant devait en démontrer l’inefficacité.

9.3Le requérant conteste les résultats de l’évaluation du risque préalable au renvoi pour les motifs suivants: a) la décision ne se fonde que sur des événements ayant précédé son départ de l’Inde, sans tenir aucun compte du harcèlement dont est victime sa famille, des nouveaux éléments qu’il a invoqués ni des deux décisions de la Cour fédérale d’octobre 1998 et de novembre 1999; b) la décision repose sur l’affirmation erronée selon laquelle les arrestations arbitraires de personnes soupçonnées d’être des militants ou des sympathisants sikhs ont cessé au Pendjab, contrairement à ce qu’indiquent les services d’immigration danois et à ce qui ressort de l’évaluation de pays effectuée par le Royaume‑Uni; c) la décision procède enfin de l’idée fausse qu’il est possible au requérant de s’installer ailleurs en Inde en toute sécurité, alors que les observateurs des droits de l’homme considèrent qu’il est impossible qu’une personne prise pour cible par la police puisse mener une vie normale en Inde, puisque tous les nouveaux arrivants doivent se faire enregistrer au poste de police local et que les voisins informent la police de toute nouvelle arrivée.

9.4Le requérant réfute l’argument selon lequel la situation des droits de l’homme s’est récemment améliorée au Pendjab; bien au contraire, selon Amnesty International, le nombre de cas de torture y a augmenté. Le Centre canadien pour les victimes de la torture, basé à Toronto, et le Réseau pour les victimes de violences organisées, basé à Montréal, ont confirmé qu’ils continuaient à recevoir des victimes d’actes de torture graves venant de cette région. Depuis que le Parti du Congrès a pris le pouvoir au Pendjab en 2002, tous les membres de la police qui avaient été accusés d’actes de torture et de violation des droits de l’homme ont été amnistiés. La nouvelle législation antiterroriste a encore affaibli la position des victimes de la torture. L’argument selon lequel seuls des militants sikhs très connus courent le risque d’être torturés au Pendjab est rejeté par la plupart des observateurs et contredit par des informations selon lesquelles il arrive souvent que des personnes ayant déjà été victimes de torture et leur famille continuent d’être prises pour cible.

Délibérations du Comité

10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés. Aussi, la question de savoir si, comme l’affirme le conseil, les recours offerts par la procédure canadienne d’examen des demandes d’immigration ne sont pas utiles, ne se pose pas dans le cadre de l’examen de la recevabilité.

10.2En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle la décision de le renvoyer en Inde constituerait en soi une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation de l’article 16 de la Convention, le Comité relève que le requérant n’a pas apporté d’élément suffisant pour étayer cette allégation. Il rappelle en particulier que, selon sa jurisprudence, l’aggravation de l’état de santé d’un requérant par suite de son expulsion ne constitue pas une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Conventiono. Tout en reconnaissant que son expulsion en Inde peut susciter chez le requérant des craintes subjectives, le Comité estime qu’il ne s’agit pas d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention. Le Comité constate que l’allégation de violation de l’article 16 de la Convention n’est pas étayée par le minimum d’éléments qui pourraient rendre cette partie de la communication recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

10.3En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité estime qu’il n’y a pas d’obstacle à déclarer la requête recevable. Il procède donc à l’examen quant au fond.

11.1Le Comité doit évaluer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Inde. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme.

11.2À ce propos, le Comité prend acte du fait que les rapports soumis par le requérant, qui confirment que les cas de torture de personnes en garde à vue se sont poursuivis après la fin de la période de militantisme au Pendjab au milieu des années 90 et que les auteurs des tortures ont pour la plupart échappé à la justice. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel la situation des droits de l’homme s’est améliorée au Pendjab au cours des 11 années qui se sont écoulées depuis que le requérant a quitté l’Inde.

11.3Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture en Inde. Dès lors, même si l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays est établie, cela ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans ses propres circonstances particulières.

11.4Le Comité note que le requérant a soumis des éléments de preuve pour montrer qu’il avait été torturé pendant sa détention en 1991, sous la forme de rapports médicaux et psychiatriques, ainsi que de déclarations écrites de témoins corroborant cette allégation. Le Comité considère toutefois qu’à supposer même que le requérant ait été torturé par la police du Pendjab, il n’en découle pas automatiquement que, 13 ans après que les faits allégués ont eu lieu, il risque encore d’être torturé s’il est renvoyé en Inde.

11.5S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle il court toujours, à l’heure actuelle, un risque d’être torturé en Inde, le Comité note que, tout en confirmant que l’intéressé risque d’être soumis à la torture et que sa famille continue d’être harcelée par la police du Pendjab, les éléments produits par le requérant, y compris les déclarations sous serment, les lettres et un document qui contiendrait un arrêté du conseil municipal de son village natal attestent simplement le risque qu’il court d’être torturé au Pendjab. Le Comité considère que le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il lui serait impossible de mener une vie normale, à l’abri de la torture, ailleurs en Inde. Bien qu’une réinstallation en dehors du Pendjab entraînerait des difficultés considérables pour le requérant, le simple fait qu’il ne puisse pas retrouver sa famille et son village natal n’équivaut pas à la torture au sens de l’article 3, lu conjointement avec l’article 1 de la Convention.

11.6S’agissant de l’efficacité générale des recours judiciaires disponibles dans le cadre de la procédure d’examen prévue par la législation canadienne sur l’immigration, le Comité note que la décision finale concernant l’expulsion du requérant a été prise à l’issue d’un examen long et détaillé comportant quatre procédures successives, dans lequel le risque encouru par le requérant a été mesuré. Le Comité note aussi que, avant cette décision, l’État partie avait accepté de reconsidérer la situation du requérant pour des motifs humanitaires quand il était apparu que les éléments de preuve qu’il avait fournis n’avaient pas été dûment pris en considération. De même, le Comité relève que la Cour fédérale n’a pas hésité à renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée parce que la nouvelle décision concernant la requête pour motifs humanitaires avait été prise sans que les faits invoqués aient été dûment appréciés.

11.7À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté des éléments suffisants pour lui permettre d’établir qu’il courrait aujourd’hui et personnellement un risque prévisible d’être torturé s’il était renvoyé en Inde.

12.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de le renvoyer en Inde ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Notes

a La loi a été modifiée le 1er novembre 2001.

b «Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.».

c «Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.».

d Pour cette raison, il est indiqué dans les Notes au dossier que l’affaire n’a rien de semblable à l’affaire Chahal c. Royaume ‑Uni soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle avait statué que l’expulsion d’un défenseur connu du mouvement séparatiste sikh constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme étant donné que, du fait de son engagement dans le mouvement séparatiste sikh, il «serait vraisemblablement la cible privilégiée des éléments durs des forces de sécurité qui ont pourchassé sans merci les militants sikhs par le passé». Voir Cour européenne des droits de l’homme, affaire Chahal c. Royaume ‑Uni (requête no 00022414/93), arrêt du 15 novembre 1996, par. 98 et 106 à 108 (citation au paragraphe 106).

e L’État partie renvoie à ce sujet à la décision du Comité dans l’affaire E. A. c. Suisse, communication no 28/1995 (CAT/C/19/D/28/1995), décision du 10 novembre 1997, par. 11.4.

f X, Y et Z c. Suède, communication no 61/1996 (CAT/C/20/D/61/1996), décision du 6 mai 1998, par. 11.2; A. L. N. c. Suisse, communication no 90/1997 (CAT/C/20/D/90/1997), décision du 19 mai 1998, par. 8.3.

g L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité pour étayer son argument. Voir, par exemple, P. Q. L. c. Canada, communication no 57/1996 (CAT/C/19/D/57/1996), décision du 17 novembre 1997, par. 10.4.

h T. P. S. c. Canada, communication no 99/1997 (CAT/C/24/D/99/199), décision du 4 septembre 2000, par. 15.5.

i G. R. B. c. Suède, communication no 83/1997 (CAT/C/20/D/83/1997), décision du 15 mai 1998, par. 6.7.

j En ce qui concerne l’évaluation des risques pour les demandeurs d’asile non reconnus, l’État partie cite les décisions du Comité des droits de l’homme concernant la communication no 603/1994, Badu c. Canada, par. 6.2; communication no 604/1994, Nartey c. Canada, par. 6.2; communication no 654/1995, Adu c. Canada, par. 6.2.

k Outre les décisions susmentionnées du Comité des droits de l’homme, il est renvoyé aux décisions du Comité contre la torture concernant les requêtes nos 66/1997, P. S. S. c. Canada, par. 6.2; 86/1997, P. S. c. Canada, par. 6.2; 42/1996, R.. K. c. Canada, par. 7.2; 95/1997, L. O  c. Canada, par. 6.5; 22/1995, M. A. c. Canada, par. 3.

l Index AI ASA 20/002/2003.

m Le lettre est jointe aux éléments soumis par le requérant le 20 avril 2004.

n Copie de la décision est jointe à la lettre du requérant datée du 2 mars 2004.

o G. R. B. c. Suède, communication no 83/1997 (CAT/C/20/D/83/1997), décision du 15 mai 1998, par. 6.7.

Communication n o  186/2001

Présentée par:K. K. (représenté par un conseil)

Au nom:K. K.

État partie:Suisse

Date de la requête:3 juillet 2001 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no 186/2001 présentée par M. K. K. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. K. K., Sri‑Lankais d’origine tamoule, né en 1976, actuellement en rétention à Zoug (Suisse) dans l’attente de son expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 8 août 2001, le Comité a adressé la requête à l’État partie en le priant de faire ses observations, et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il lui a demandé de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits

2.1Le requérant est originaire de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka. Lorsque, en octobre 1995, l’armée sri‑lankaise a bombardé la maison de ses parents, sa famille et lui‑même se sont réfugiés dans la ville de Killinochi, qui était alors contrôlée par les LTTEa, d’où il est parti pour Colombo, en mai 1996, en compagnie de sa mère. En cours de route, il a été séparé de celle‑ci et arrêté à un poste de contrôle de l’armée sri‑lankaise et du Front révolutionnaire de libération du peuple de l’Eelam (EPRLF) près de Vavuniya, en même temps que plusieurs autres hommes tamouls soupçonnés d’appartenir aux LTTE.

2.2Le requérant a ensuite été détenu dans un local scolaire, d’où il a été conduit au département de la police criminelle (CID) de Thandikulam pour y être interrogé sur ses liens avec les LTTE. Pendant cette période, il dit qu’il a été torturé par des membres tamouls de l’EPRLF, qui l’ont laissé nu, les mains liées derrière le dos et lui ont brûlé les parties génitales à la cigarette. Le requérant a également été frappé à coups de matraque et menacé d’être exécuté s’il refusait d’avouer son appartenance aux LTTE. Durant sa détention, on ne lui a donné à manger que du riz mal lavé et à boire que de l’eau nauséabonde ou de l’urine. Au bout de 12 jours, le requérant a été relâché à la suite des interventions répétées de sa mère et aussi parce qu’un parent éloigné de Colombo, M. J. S., s’était porté garant de lui.

2.3Peu après son arrivée à Colombo, où il vivait dans une pension [tamoule], le requérant a été appréhendé par l’armée, qui l’a remis à la police. Le lendemain de son arrestation, il a été traduit devant un juge qui, par une décision en date du 2 août 1996, l’a acquitté de toutes les accusations d’activités terroristes portées contre lui, faute de preuves. Malgré cela, il a été maintenu en détention au CID, dans une cellule qu’il partageait avec des toxicomanes et des alcooliques cingalais, qui l’auraient brutalisé. Au bout d’une semaine, il a de nouveau été présenté à un juge et a pu obtenir sa remise en liberté avec l’aide d’un avocat.

2.4Peu de temps après, le requérant a été arrêté une nouvelle fois par le CID, qui le soupçonnait d’être un militant des LTTE. D’après son récit, le fonctionnaire auquel il a eu affaire dans les bureaux du CID de Boralle lui a donné une demi‑heure pour passer aux aveux faute de quoi il menaçait de l’exécuter. Lorsqu’il a été interrogé ensuite en même temps que deux autres suspects, J. S. et sa sœur, K. S., il a été frappé à la tête avec un tuyau en plastique (tuyau de type «S‑Lon») rempli de sable. Après cela, il a passé sept jours en détention dans les locaux du CID avant que les deux autres suspects et lui‑même n’obtiennent leur libération contre paiement de 15 000 roupies.

2.5En septembre 1996, le requérant a de nouveau été arrêté par le CDI après qu’un attentat à la bombe eut été perpétré contre un train à Dehiwala (Colombo) et que des armes et des engins explosifs eurent été découverts à proximité du domicile de ses proches, J. S. et K. S., suspects eux aussi. Durant sa détention, au cours de laquelle il aurait été roué de coups et obligé à dénuder ses organes génitaux, et n’aurait reçu qu’une nourriture de mauvaise qualité, le requérant a reçu deux fois la visite de délégués du Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) (9 et 19 septembre 1996). J. S., sa sœur et lui‑même ont été remis en liberté au bout de 22 jours, après l’arrestation par la police du véritable auteur de l’attentat et le paiement par sa mère de 45 000 roupies; il a été prié de quitter Colombo dans un délai d’un mois.

2.6Le 29 octobre 1996, le requérant a quitté Sri Lanka à l’aide d’un faux passeport. Arrivé en Suisse, le 30 octobre 1996, il a déposé le jour même une demande d’asile. L’Office fédéral des réfugiés (ODR), après l’avoir entendu à deux reprises, le 14 novembre 1996 et le 6 mars 1997, et après qu’il eut été interrogé par la police des étrangers de Zoug, le 9 décembre 1996, a rejeté sa demande par une décision en date du 23 octobre 1998, et a ordonné en même temps son renvoi à Sri Lanka. Tout en tenant pour authentiques les pièces soumises à titre de preuveb par le requérant, l’Office fédéral a relevé dans les déclarations de celui-ci plusieurs contradictions qui le faisaient douter de sa crédibilité. Ainsi, tandis qu’il avait déclaré à la police des étrangers de Zoug que les délégués du CICR étaient venus le voir pendant sa deuxième détention à Colombo, il a indiqué, lors de sa seconde audition par l’Office, qu’il avait reçu ces visites au cours de sa troisième et dernière détention à Colombo. Au vu de cette incohérence, qu’il n’a pas pu expliquer, les autorités se sont demandé s’il avait véritablement été détenu trois fois à Colombo. Le récit qu’il a fait lors de sa seconde audience devant l’Office, selon lequel il avait quitté Colombo 12 jours seulement après sa remise en liberté définitive, avait été jugé invraisemblable, ce qui entamait encore davantage sa crédibilité. De plus, le fait que le requérant ait été acquitté par un tribunal sri‑lankais et remis en liberté à plusieurs reprises après avoir été détenu par la police attestait qu’il n’était pas véritablement menacé de persécution. Les actes de torture dont il déclarait avoir été victime ne pouvaient pas être attribués aux autorités sri‑lankaises, qui avaient déployé des efforts considérables pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays, mais étaient le fait de certains policiers coupables d’abus d’autorité. Les problèmes de santé dont le requérant affirmait souffrir (difficultés à uriner, maux d’estomac, pertes de mémoire) ne l’avaient pas empêché de voyager.

2.7Le 24 novembre 1998, le requérant a fait appel de la décision de l’Office fédéral des réfugiés auprès de la Commission suisse de recours en matière d’asile (Asylrekurskomission), affirmant que les apparentes contradictions quant au moment où les visites de délégués du CICR avaient eu lieu résultaient d’un malentendu. En effet, quand il avait été entendu la deuxième fois par l’Office, il avait parlé de sa deuxième arrestation par le CID et non de sa deuxième détention à Colombo. En ce qui concerne le peu de temps qu’il lui avait fallu pour organiser son départ de Colombo, il a expliqué que sa mère et son oncle avaient préparé ce voyage bien avant sa libération définitive, lorsqu’ils étaient arrivés à la conclusion qu’il n’était plus en sécurité à Sri Lanka. Par ailleurs, le requérant a contesté que les actes de torture commis par certains membres de la police ne puissent pas être attribués aux autorités sri‑lankaises et que la situation des droits de l’homme se soit notablement améliorée à Sri Lanka. Le fait qu’il ait été arrêté et torturé après avoir été acquitté par une décision judiciaire montrait bien que son acquittement ne le mettait pas à l’abri d’une arrestation ni de la torture.

2.8Ultérieurement, le requérant a présenté deux rapports médicaux. L’un, daté du 7 décembre 1998, indiquait qu’il avait sur les organes génitaux quatre marques de brûlure probablement causées par des cigarettes; l’autre, daté du 17 janvier 1999, était un rapport psychiatrique confirmant qu’il présentait des symptômes patents de troubles post‑traumatiques. Dans une communication datée du 29 janvier 1999, l’ODR a contesté la transparence, l’exactitude scientifique, la plausibilité et l’impartialité du rapport psychiatrique.

2.9Par une décision en date du 18 septembre 2000, la Commission suisse de recours en matière d’asile a rejeté le recours qui avait été formé, en raison essentiellement des contradictions déjà relevées par l’ODR. En outre, la Commission a exprimé des doutes quant à l’identité du requérant au motif que son frère avait antérieurement demandé l’asile en Suisse sous le même nom et que le requérant n’avait pas toujours donné la même date de naissance. La Commission a également exclu la possibilité que, lors de la deuxième audition par l’ODR, le requérant ait fait allusion à sa dernière période de détention lorsqu’il avait mentionné une détention d’une durée de sept jours (au lieu de 22) à propos des visites des délégués du CICR. De plus, l’affirmation selon laquelle il s’était présenté spontanément au CID lorsque sa mère l’avait informé qu’il était soupçonné d’être impliqué dans l’attentat à la bombe de Dehiwala n’était pas crédible s’il avait vraiment été torturé par des agents du CID durant sa détention précédente. Pour ce qui est des rapports médicaux présentés par le requérant, la Commission, tout en admettant que les brûlures dont il est fait état dans l’un d’eux pouvaient avoir été faites à la cigarette, jugeait improbable que ces lésions aient été infligées au requérant dans les circonstances que celui-ci avait décrites, sachant qu’il avait à l’évidence exagéré le nombre de brûlures lorsqu’il avait été entendu par la police des étrangers. De même, la Commission a observé que le rapport psychiatrique avait été soumis à un stade avancé de la procédure et a estimé qu’il ne permettait pas de conclure que le requérant avait été torturé. Sans exclure la possibilité que celui‑ci puisse être arrêté et frappé par la police à son retour à Sri Lanka, la Commission a conclu à l’absence de risque concret de torture car il était raisonnable d’attendre des autorités sri‑lankaises qu’elles répriment de tels incidents. La Commission a également considéré que les traitements médicaux disponibles à Sri Lanka étaient suffisants pour répondre aux besoins du requérant et a confirmé à la fois la décision et l’arrêté d’expulsion rendus par l’ODR.

2.10Le 23 juillet 2001, le requérant a été arrêté et placé en rétention par la police des étrangers de Zoug après avoir tenté de se soustraire à l’expulsion, prévue pour le 24 janvier 2001, en entrant dans la clandestinité.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention car il court un risque important d’être soumis à la torture, étant un jeune homme tamoul, célibataire, qui a déjà été arrêté et torturé à plusieurs reprises parce qu’il était soupçonné d’être un militant des LTTE.

3.2Le requérant indique que les forces de sécurité sri‑lankaises procèdent chaque jour à des rafles contre les Tamouls qui, en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme, peuvent être arrêtés sans mandat et placés en détention pour une période allant jusqu’à 18 mois sans être informés des charges pesant contre eux. En vertu du règlement d’exception qui accompagne la loi, cette période peut être prolongée plusieurs fois pour une durée de 90 jours par une commission judiciaire dont les décisions sont sans appel. Pendant cette période, les détenus sont fréquemment interrogés au sujet de leurs liens avec les LTTE et, souvent, ils subissent des tortures ou des mauvais traitements, quand ils ne sont pas victimes d’une exécution extrajudiciaire.

3.3Se référant à plusieurs rapports sur la situation des droits de l’homme à Sri Lankac, le requérant affirme que les risques de torture auxquels les Tamouls sont exposés n’ont pas diminué de manière notable au cours des dernières années.

3.4Le requérant fait valoir qu’en raison des troubles post‑traumatiques dont il souffre, il pouvait avoir des réactions incontrôlées dans des situations de danger telles que les rafles et les contrôles effectués dans la rue et que, dès lors, il courrait davantage le risque d’être arrêté puis torturé par la police. De plus, il n’existe pas à Sri Lanka de traitements médicaux et thérapeutiques appropriés pour les personnes ayant subi un traumatisme.

3.5Le requérant déclare qu’il a épuisé les recours internes et que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 18 septembre 2001, l’État partie a admis que la requête était recevable et, le 8 février 2002, il a présenté ses observations sur le fond. Faisant siens les arguments invoqués par l’Office fédéral des réfugiés et la Commission suisse de recours en matière d’asile, il en conclut que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka.

4.2L’État partie rappelle les importantes contradictions relevées dans les déclarations du requérant, qui donnent l’impression que celui‑ci n’a pas subi des tortures aussi graves qu’il le prétend, et ne s’expliquent pas simplement par le manque de précision dans la relation des faits couramment observé chez les victimes de la torture. Même si le requérant a subi des mauvais traitements par le passé, ce n’est que l’un des éléments à prendre en compte pour apprécier le risque qu’il court actuellement d’être torturé. On ne peut déduire automatiquement de faits qui se seraient produits antérieurement que le requérant court un risque sérieux d’être persécuté par les autorités sri‑lankaises. Par ailleurs, selon une évaluation du HCR, le risque encouru par les demandeurs d’asile sri‑lankais déboutés dans le cadre d’une procédure équitable était d’un niveau tolérable.

4.3Selon l’État partie, les Tamouls arrêtés au cours de rafles de la police étaient le plus souvent relâchés dans les 24 heures, après vérification de leur identité. Les seuls qui risquaient d’être maintenus en détention pour des périodes plus longues étaient ceux qui étaient soupçonnés, ou dont des proches étaient soupçonnés, d’appartenir aux LTTE. Normalement, les résidents des pensions tamoules n’étaient pas placés en état d’arrestation à condition qu’ils puissent faire la preuve de leur identité. Le requérant ayant déclaré qu’il n’avait jamais pris part à des activités politiques et qu’aucun membre de sa famille n’appartenait aux LTTE, on pouvait supposer que le risque qu’il soit arrêté par les forces de sécurité était relativement faible, d’autant qu’il lui était aisé de produire, lors des contrôles de police, la pièce établissant son acquittement par une autorité judiciaire sri‑lankaise qu’il avait en sa possession. De plus, le fait qu’il ait été relâché à deux reprises contre paiement d’une caution attestait qu’il n’était pas véritablement soupçonné d’appartenir aux LTTE.

4.4L’État partie affirme que la protection des détenus à Sri Lanka a été renforcée à la suite de la création d’une commission d’enquête sur les arrestations illégales et le harcèlement, à laquelle toutes les arrestations opérées en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme et du règlement d’exception doivent être notifiées et qui peut examiner des plaintes concernant des mauvais traitements commis par les forces de sécurité. La Commission a adopté le 7 septembre 1998 ses directives qui disposent que nul ne peut être arrêté sans être informé des charges pesant contre lui ni sans que sa famille ne soit informée de ces charges et de son lieu de détention, ou en l’absence de preuves à charge. Selon des sources gouvernementales, il en est résulté un respect plus rigoureux des droits de l’homme lors des contrôles d’identité et lors de la détention des personnes.

4.5En ce qui concerne la situation médicale du requérant, l’État partie fait observer qu’il existe à Sri Lanka plusieurs établissements équipés pour traiter les personnes ayant subi un traumatisme, tels que le Centre de réadaptation familiale qui a son siège à Colombo mais possède plusieurs antennes dans le pays, et qui propose à la fois un traitement médicamenteux adéquat et une prise en charge thérapeutique.

4.6Enfin, l’État partie indique que, le 14 février 2001, le requérant lui‑même avait accepté de bénéficier du programme de rapatriement proposé par l’Office fédéral des réfugiés.

Commentaires du requérant sur la réponse de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 16 juillet 2002, au sujet de la réponse de l’État partie sur le fond, le conseil a fait observer que les contradictions relevées dans les déclarations du requérant devant les autorités suisses s’expliquaient par une «notion diffuse de la réalité». Les personnes ayant subi un traumatisme ont souvent des difficultés à se rappeler les détails et la chronologie de leur histoire. Le fait que le requérant ait modifié sa relation des faits sur des points importants, par exemple la période à laquelle les visites des délégués du CICR avaient eu lieu, au cours d’une seule de ses deux auditions devant l’ODR, attestait simplement la gravité des troubles post‑traumatiques dont il souffrait. Une personne en pleine possession de ses moyens ayant l’intention de mentir aux autorités aurait présenté un récit plus cohérent.

5.2Les troubles psychologiques dont souffre le requérant l’exposeraient davantage au risque d’être arrêté, puis torturé, par les forces de sécurité sri‑lankaises car il panique et cherche à prendre la fuite dès qu’il voit un policier. Un tel comportement ne peut qu’être jugé suspect par la police, comme en témoigne l’incident survenu le 23 juillet 2002 à la gare de Zoug où le requérant, ayant reconnu un policier habillé en civil, avait tenté de prendre la fuite et avait été appréhendé. Une fois qu’il aurait été arrêté, les autorités sri‑lankaises pourraient fort bien prendre le requérant pour un activiste des LTTE à cause des cicatrices qu’il porte sur le corps.

5.3Le requérant fait remarquer que l’Office fédéral des réfugiés s’est borné à contester l’objectivité du rapport psychiatrique sans accomplir son devoir d’enquête en demandant une contre-expertise. De même, l’ODR s’est contenté d’émettre des doutes quant à l’origine des brûlures visibles sur ses parties génitales, sans chercher à en découvrir la cause.

5.4Se référant à un jugement du tribunal administratif de Dresde (Allemagne) en date du 12 décembre 2000, le requérant fait valoir que les moyens disponibles à Sri Lanka pour le traitement des personnes ayant subi un traumatisme ne suffisent pas à répondre aux besoins des dizaines de milliers de victimes de la torture. De l’aveu même du Centre de réadaptation familiale, les demandeurs d’asile tamouls souffrant de troubles post‑traumatiques qui rentrent au pays ont peu de chances de bénéficier d’un traitement adéquat et prolongé.

5.5Le requérant affirme que si, en février 2001, il a accepté de participer au programme de rapatriement, c’est uniquement parce qu’il souffrait à l’époque d’une dépression, due aux rejets répétés de sa demande d’asile par les autorités suisses.

5.6Le 23 juillet 2002, le requérant a présenté un autre rapport psychiatrique daté du 19 juillet 2002, établi par l’Institut de psychotraumatologie de Zurich (IPZ), faisant état de symptômes de désinsertion sociale associés à un abus d’alcool, à des symptômes dépressifs et, vraisemblablement, à des troubles post‑traumatiques liés à l’expérience que le requérant avait vécue à Sri Lanka. Le rapport confirme que les déclarations contradictoires faites par le requérant devant les autorités d’immigration ne devraient pas mettre en cause sa crédibilité car elles font partie intégrante des symptômes réactionnels des troubles post‑traumatiques dont il souffre.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également, dans la présente affaire, que tous les recours internes ont été épuisés et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il considère par conséquent que celle‑ci est recevable et procède à son examen sur le fond.

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme (par. 2 de l’article 3 de la Convention).

6.3Le Comité a pris note des rapports cités par le requérant ainsi que par l’État partie, qui nient ou confirment la réalisation de progrès notables en ce qui concerne la protection des droits des Tamouls lors des contrôles d’identité, ainsi que lors de l’arrestation et de la détention des personnes à Sri Lanka. Le Comité relève également dans des rapports récents sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka que, bien que des efforts aient été déployés pour éliminer la torture, des cas de torture continuent d’être rapportés et il est fréquent aussi que les plaintes pour torture ne soient pas traitées efficacement par la police, les magistrats et les médecins. Cela dit, le Comité note aussi le processus de paix en cours à Sri Lanka qui a conduit à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002 et les négociations qui ont eu lieu depuis lors entre les deux parties. Le Comité rappelle en outre que, sur la base des résultats de son enquête sur Sri Lanka au titre de l’article 20 de la Convention, il a conclu que la pratique de la torture n’était pas systématique dans l’État partied. Le Comité note enfin qu’un grand nombre de réfugiés tamouls sont rentrés à Sri Lanka en 2001 et 2002e.

6.4Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit pour lui de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, quand bien même il serait possible d’affirmer qu’il existe à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas nécessairement que le requérant ne peut pas être considéré comme risquant d’être soumis à la torture dans ses circonstances particulières.

6.5En ce qui concerne le risque que court personnellement le requérant d’être soumis à la torture par les forces de sécurité sri‑lankaises, le Comité a pris note des arguments que le requérant a avancés à cet égard: le fait qu’il ait été arrêté et torturé par le passé parce qu’il était soupçonné d’être un militant des LTTE ainsi que les séquelles des tortures qu’il a subies accroissent le risque qu’il court d’être de nouveau arrêté et torturé, sachant qu’il a des réactions incontrôlées dans les situations de stress, ce qui peut susciter des soupçons, et qu’il porte des cicatrices sur le corps. Le Comité a pris note des arguments de l’État partie au sujet des contradictions relevées dans les déclarations faites par le requérant devant les autorités suisses d’immigration, de son acquittement par une autorité judiciaire sri‑lankaise faute de preuves de son implication dans les activités des LTTE et des garanties juridiques instaurées en 1998 par la nouvelle Commission d’enquête sur les arrestations illégales et le harcèlement (voir par. 4.4).

6.6Le Comité considère que, dans l’hypothèse où les rapports médicaux et psychiatriques soumis par le requérant sont authentiques, il convient d’accorder un poids considérable à l’allégation selon laquelle il a été torturé pendant sa détention dans les locaux du CID. Toutefois il relève que les faits allégués ne sont pas récentsf.

6.7Dans la mesure où le requérant fait valoir que les troubles post‑traumatiques dont il souffre l’amènent à avoir des réactions incontrôlées dans les situations de stress, ce qui accroît le risque pour lui d’être arrêté par la police sri‑lankaise, le Comité observe que le fait que l’intéressé ait bénéficié d’une décision de justice par laquelle il a été acquitté des accusations d’activités terroristes dirigées contre lui ainsi que le fait qu’il ne soit guère connu pour une action politique quelconque, peuvent à l’inverse être considérés comme des facteurs susceptibles de réduire le risque qu’il court de subir des conséquences graves au cas où il serait de nouveau arrêté.

6.8En ce qui concerne l’absence de traitements psychiatriques adéquats à Sri Lanka pour les troubles post‑traumatiques dont souffre le requérant, le Comité estime que l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion vers Sri Lanka ne constituerait pas une torture au sens de l’article 3, lu conjointement avec l’article premier de la Convention, qui pourrait être attribuée à l’État partie lui‑mêmeg.

6.9En conséquence, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour lui permettre de conclure qu’il courrait personnellement et actuellement un risque sérieux d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Notes

a Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

b Les pièces en question sont la décision de l’autorité judiciaire sri‑lankaise en date du 2 août 1996 par laquelle le requérant a été acquitté et une fiche d’enregistrement du requérant comme prisonnier établie par le CICR.

c Il est fait référence notamment au rapport d’Amnesty International du 20 juillet 2000 (ASA 37/022/2000).

d Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-septième session, Supplément n o  44 (A/57/44), chap. IV.B, par. 181

e Voir la communication no 191/2001, S. S. c. Pays ‑Bas, décision adoptée le 5 mai 2003, par. 6.3.

f Voir Comité contre la torture, Observation générale no 1, par. 8 b).

g Voir, mutatis mutandis, la communication no 83/1997, G. R .B. c. Suède, décision adoptée le 15 mai 1998, par. 6.7.

Communication n o 187/2001

Présentée par:

Dhaou Belgacem Thabti (représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité‑Action)

Au nom du:

Requérant

État partie:

Tunisie

Date de la requête:

1er juin 2000

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 187/2001 présentée par M. Dhaou Belgacem Thabti en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.Le requérant est M. Dhaou Belgacem Thabti, ressortissant tunisien, né le 4 juillet 1955 à Tataouine (Tunisie), résidant en Suisse depuis le 25 mai 1998 où il bénéficie du statut de réfugié. Il affirme avoir été victime de violations par la Tunisie des dispositions de l’article premier de la Convention, du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 4, 5, 12, 13, 14, 15 et 16. Il est représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité-Action.

1.2La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant déclare avoir été un membre actif de l’organisation islamique ENNAHDA (ex‑MTI). À la suite d’une vague d’arrestations en Tunisie qui a débuté en 1990 et visait en particulier des membres de cette organisation, le requérant est entré dans la clandestinité à compter du 27 février 1991. Le 6 avril 1991, à une heure du matin, il a été arrêté par les forces de police, lesquelles l’ont violemment frappé (coups de matraque, de pied, de poing et gifles).

2.2Placé dans les geôles du sous-sol du Ministère de l’intérieur (DST) à Tunis et privé de sommeil, le requérant a été conduit le lendemain matin au bureau du Directeur de la sûreté de l’État, Ezzedine Jneyeh. Selon le requérant, ce responsable a ordonné en personne son interrogatoire sous la torture.

2.3Le requérant donne un descriptif détaillé et illustré par des croquis des différentes pratiques de torture qu’il a subies jusqu’au 4 juin 1991 dans les locaux du Ministère de l’intérieur(DST).

2.4Le requérant fait état de ce qu’on appelle communément la position du «poulet rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer placée derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables) et de coups, en particulier sur la plante des pieds, jusqu’à l’évanouissement. Le requérant ajoute que les policiers responsables de ces tortures le réveillaient en lui versant de l’eau froide sur le corps ainsi que de l’éther sur les zones sensibles (fesses et testicules).

2.5Le requérant déclare avoir également été victime de la pratique de la «position à l’envers» (nue, mains liées dans le dos, la victime est suspendue au plafond par une corde attachée à un seul pied ou les deux à la fois, la tête en bas) accompagnée de coups de pied, de bâton et de cravache jusqu’à l’évanouissement. Le requérant ajoute que ses tortionnaires lui ont attaché le pénis à un fil qu’ils tiraient, par coups successifs, comme pour l’arracher.

2.6Le requérant affirme avoir été soumis au bain d’immersion (attachée en position à l’envers à un palan, la victime est immergée dans un mélange d’eau, de savon en poudre, de javel, voire d’urine et de sel; elle ne peut respirer et est ainsi contrainte d’avaler ce mélange jusqu’à ce que son estomac soit plein) accompagné ensuite de coups de pied sur le ventre jusqu’à vomissement.

2.7Le requérant fait en outre état de la position du «scorpion» (nue, mains et pieds attachés derrière le dos, le ventre vers le bas, la victime est soulevée par les membres avec une chaîne de palan, et la colonne vertébrale est soumise à pression) accompagnée de coups de bâton et de fouet sur les jambes, les bras, le ventre et le sexe.

2.8Le requérant ajoute avoir subi le supplice de la table (nue, à plat sur une longue table, sur le dos ou le ventre, les quatre membres attachés, la victime est rouée de coups).

2.9Le requérant produit à l’appui de ses déclarations de torture et des séquelles en résultant une attestation d’un physiothérapeute suisse, un rapport d’un spécialiste en neurologie de Fribourg, et une attestation de traitement psychiatrique du service médical d’un organisme d’assurance suisse. Le requérant se réfère également à un rapport de mission d’observation de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) précisant que, lors de la procédure menée le 9 juillet 1992 contre des militants islamistes au nombre desquels était le requérant, l’ensemble des prévenus interrogés se sont plaints des sévices graves subis durant leur garde à vue.

2.10Le requérant fournit une liste des personnes ayant pratiqué la torture à son encontre au cours de cette période, à savoir de manière précise Ezzedine Jneieh (directeur de la DST), Abderrahmen El Guesmi, El Hamrouni, Ben Amor (inspecteur), Mahmoud El Jaouadi (service de renseignement de Bouchoucha), Slah Eddine Tarzi (idem), Mohamed Ennacer-Hleiss (idem). Il ajoute que ses tortionnaires étaient assistés de deux médecins et qu’il a été témoin de tortures pratiquées sur ses codétenus.

2.11Le 4 juin 1991, le requérant a comparu devant le juge d’instruction militaire, le commandant Ayed Ben Kayed. Il affirme qu’au cours de l’audition, il a nié les accusations à son encontre de tentative de coup d’état et il s’est vu refuser l’assistance d’un avocat.

2.12Le requérant affirme avoir ensuite été placé, du 4 juin au 28 juillet 1991, dans les locaux du Ministère de l’intérieur (DST), en isolement total (privation de visites et de courrier, de médicaments et des soins médicaux nécessaires) à l’exception de la visite, le 18 juillet 1991, du docteur Moncef Marzouki, président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Le requérant ajoute qu’il n’a pas eu une alimentation saine, qu’il a été interdit de pratiques religieuses, et qu’il a à nouveau, été soumis à la torture.

2.13À partir du 28 juillet 1991, date de la fin de sa garde à vue, le requérant a fait l’objet de plusieurs transferts parmi les établissements pénitentiaires du pays (à Tunis, Borj Erroumi à Bizerte, Mahdia, Sousse, Elhaoireb, Rejim Maatoug), selon lui dans le but d’empêcher les contacts avec sa famille.

2.14Le requérant fait état des mauvaises conditions de détention dans ces établissements, telles que le surpeuplement (60 à 80 personnes dans les petites cellules où le requérant a été placé), et le manque d’hygiène, facteur de maladies (le requérant déclare être ainsi devenu asthmatique, et avoir souffert d’allergies de la peau, et de déformations au pied). Il précise qu’il a été placé, à plusieurs reprises, en isolement, en raison d’une part de ses grèves de la faim afin de protester contre les conditions de détention et les mauvais traitements (en juillet 1992 à la Prison du 9 avril à Tunis durant 12 jours, à Mahdia en octobre 1995 durant 8 jours, et en mars 1996 durant 10 jours) et d’autre part de l’arbitraire des gardiens de prison. Le requérant souligne également qu’il a été battu, complètement nu, en public.

2.15Le 9 juillet 1992, le procès du requérant a eu lieu devant le tribunal militaire de Bouchoucha à Tunis. Le requérant précise qu’il n’a pu s’entretenir qu’une seule fois avec son avocat, le 20 juillet 1992, et ce sous la surveillance des gardiens de prison. Le 28 août 1992, le requérant a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans.

2.16Une fois purgée sa peine, le 27 mai 1997, comme indiqué dans le bulletin de sortie de prison produit par le requérant, ce dernier a été placé sous contrôle administratif pour une durée de cinq ans se traduisant dans les faits par une assignation à résidence, à Remada, à 600 km de Tunis, où vivaient sa femme et ses enfants. Après quatre mois, le requérant a fui la Tunisie pour la Libye le 1er octobre 1997, puis la Suisse où il a obtenu le statut de réfugié politique le 15 janvier 1999. Le requérant produit à l’appui de ses déclarations une copie du rapport en date du 10 mars 1996 du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie faisant état de la situation du requérant après sa libération ainsi qu’une attestation de l’Office fédéral des réfugiés de Suisse sur l’octroi de son statut de réfugié politique. Le requérant ajoute qu’après sa fuite il a été condamné par défaut à 12 ans de prison ferme.

2.17Le requérant affirme enfin que les membres de sa famille, en particulier sa femme et ses cinq enfants, ont été victimes de harcèlement (visites nocturnes, fouilles systématiques du domicile familial, intimidations, menaces de viol, confiscations de biens et d’argent, arrestations et interrogatoires, surveillance permanente) et de mauvais traitements (le fils du requérant Ezzedine a été arrêté, et violemment battu) de la part de la police pendant toute la période de sa détention et de sa fuite, jusqu’en 1998.

2.18Relativement à l’épuisement des voies de recours, le requérant précise qu’il s’était plaint des actes de torture à son encontre devant le tribunal militaire de Bouchoucha, en présence de la presse nationale et d’observateurs internationaux des droits de l’homme. Il soutient que le président du tribunal a tenté de l’ignorer, mais devant son insistance, a répondu qu’il n’avait rien constaté. Le magistrat s’est, en outre, ouvertement, opposé à la demande du requérant de contrôle médical.

2.19Le requérant ajoute qu’après l’audience et son retour en prison, il a été menacé d’être torturé s’il soulevait, à nouveau, ses plaintes de torture devant le tribunal.

2.20Le requérant déclare, par ailleurs, qu’à compter du 27 mai 1997, date de sa libération, son assignation à résidence ne lui a pas permis de porter plainte. Il explique que les policiers et la gendarmerie de Remada participaient à la continuité du processus de harcèlement et d’intimidation lors des visites quotidiennes du requérant pour le contrôle administratif. Selon le requérant, le simple fait de déposer une plainte aurait provoqué une accentuation de la pression à son encontre, voire même son retour en prison. De par cette assignation, le requérant ne pouvait, en outre, s’adresser aux autorités de son domicile légal à Tunis.

2.21Le requérant soutient que si le droit tunisien reconnaît la possibilité de se plaindre pour des actes de torture, dans la pratique toute victime déposant une plainte devient la cible d’un harcèlement policier insupportable, ce qui décourage tout recours. Selon le requérant, les voies de recours sont ainsi, dans les faits, inexistantes et inefficaces.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:

Article premier. Les pratiques ci-dessus exposées (position du «poulet rôti», position à l’envers, position du scorpion, bain d’immersion, supplice de la table, isolement, etc.) dont le requérant a été victime constituent des actes de torture.

Article 2, paragraphe 1. Non seulement l’État partie n’aurait pas pris des mesures efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.

Article 4. L’État partie n’aurait pas érigé en infraction pénale tous les actes de torture dont le requérant a été victime.

Article 5. L’État partie n’aurait pas engagé de poursuites à l’encontre des tortionnaires du requérant.

Article 12. L’État partie n’aurait pas diligenté une enquête sur les actes de torture commis à l’encontre du requérant.

Article 13. L’État partie n’aurait pas procédé à l’examen des plaintes de torture soulevées par le requérant au début de son procès, lesquelles au contraire ont été rejetées.

Article 14. L’État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte, et l’aurait ainsi privé de son droit à réparation et à réadaptation.

Article 15. Le requérant aurait été condamné le 28 août 1992 à une peine de prison sur la base d’aveux obtenus sous la torture.

Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (violation du droit aux soins médicaux et à des médicaments, à la correspondance, restriction du droit à la propreté, des visites de proches, d’avocats, assignation à résidence, harcèlement de la famille, etc.) utilisées par l’État partie à l’encontre du requérant constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Le 4 décembre 2001, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que le requérant n’avait pas utilisé, ni épuisé les recours internes disponibles.

4.2L’État partie soutient que le requérant peut exercer les voies de recours internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.

4.3L’État partie explique que sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris à partir de l’étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de son choix de déposer ladite plainte, ou demander à un avocat étranger de le faire avec le concours d’un confrère tunisien.

4.4Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d’instruction saisi de l’affaire entendra l’auteur de la plainte conformément à l’article 53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre les témoins, interroger les suspects, procéder à des constatations sur les lieux et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra ordonner les expertises et accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et à décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront à la juridiction du jugement à fonder sa décision.

4.5L’État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie civile devant le juge d’instruction en cours d’information pour demander une réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de l’infraction dont il a été victime.

4.6Si le juge d’instruction estime que l’action publique n’est pas recevable, que les faits ne constituent pas une infraction ou qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre l’inculpé, il déclare par ordonnance qu’il n’y a pas lieu à poursuites. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit passible d’une peine d’emprisonnement, il renvoie l’inculpé devant le juge compétent, en l’occurrence la chambre d’accusation lors d’un crime. Toutes les ordonnances du juge d’instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au procès, y compris au plaignant qui s’est constitué partie civile. Après notification dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration écrite ou orale est reçu par le greffier de l’instruction. S’il y a des présomptions suffisantes de culpabilité, la chambre d’accusation renvoie l’inculpé devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal de première instance), en statuant sur tous les chefs d’inculpation résultant de la procédure. Elle peut également ordonner, s’il échet, un complément d’information par l’un de ses conseils ou par le juge d’instruction, voire même des poursuites nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n’ayant pas encore fait l’objet d’une instruction. Les décisions de la chambre d’accusation sont immédiatement exécutoires.

4.7Après notification, les décisions de la chambre d’accusation peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile. Ce pourvoi est recevable lorsque l’arrêt de la chambre d’accusation estime qu’il n’y a pas lieu à poursuivre, a déclaré soit l’irrecevabilité de l’action de la partie civile, soit l’action publique prescrite, a prononcé l’incompétence de la juridiction saisie, ou a omis de statuer sur un chef d’inculpation.

4.8L’État partie souligne que, conformément à l’article 7 du Code de procédure pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction saisie de l’affaire (tribunal correctionnel ou chambre d’accusation près le tribunal de première instance) et, selon le cas, pourra interjeter appel, soit devant la cour d’appel si l’infraction poursuivie est un délit, soit devant la chambre criminelle près la cour d’appel s’il s’agit d’un crime. Le plaignant pourra également se pourvoir en cassation.

4.9L’État partie fait valoir que les recours internes sont efficaces.

4.10Selon l’État partie, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations sévères ont été infligées aux auteurs des abus et violations de la loi. L’État partie affirme que du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s’est prononcée sur 302 cas d’agents de la police ou de la garde nationale au titre de divers chefs d’accusation, dont 227 s’inscrivent dans le cadre de l’abus d’autorité. Les peines infligées varient de l’amende à l’emprisonnement pour plusieurs années.

4.11L’État partie affirme que les motivations considérées «politiques et partisanes» du requérant ainsi que ses propos considérés «insultants et diffamatoires» permettent de considérer que sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des requêtes.

4.12L’État partie explique que l’idéologie et le programme politique du «mouvement» dont le requérant était un membre actif se fondent exclusivement sur des principes religieux, épousant une vue extrémiste de la religion négatrice des droits démocratiques et des droits de la femme. Il s’agit d’un «mouvement» illégal prônant la haine religieuse et raciale et faisant usage de la violence. Selon l’État partie, ce «mouvement» s’est illustré par des attentats terroristes ayant causé des pertes humaines et matérielles durant la période 1990-1991. C’est pourquoi, et en raison du fait qu’il contrevient à la Constitution et à la loi sur les partis politiques, ce «mouvement» n’a pas été reconnu par les pouvoirs publics.

4.13L’État partie précise que le requérant porte des accusations graves et qui ne sont réellement étayées par aucune preuve, à l’égard des autorités judiciaires, en prétendant que les magistrats acceptent les aveux comme preuve et statuent sur leur base.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Par une lettre du 6 mai 2002, le requérant conteste l’argument de l’État partie sur sa prétendue absence de volonté de saisir la justice tunisienne afin d’user des voies de recours internes.

5.2Le requérant rappelle à cet effet ses déclarations sur la torture à son encontre et sa demande de contrôle médical auprès du juge du tribunal militaire qui les a ignorées et n’y a pas donné suite, ses informations au regard des violations des articles 13 et 14 de la Convention contre la torture; et son placement sous contrôle administratif qui a fait obstacle à la saisine de la justice. Selon le requérant, la pratique ci-dessus décrite des juges constitue la règle, surtout à l’encontre des prisonniers politiques. Le requérant produit à l’appui de ses arguments des extraits de rapports du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, de la FIDH et de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme. Il se réfère, en outre, aux rapports annuels d’organisations non gouvernementales telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, qui ont dénoncé les pratiques décrites par le requérant.

5.3Le requérant conteste, par ailleurs, les explications de l’État partie concernant la possibilité d’engager sans délai une action en justice, l’existence de recours effectif et la possibilité de se constituer partie civile.

5.4Le requérant estime que l’État partie s’est contenté de réciter la procédure décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d’être appliquée dans la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Le requérant cite à l’appui de son constat des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en France, et du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Le requérant se réfère également aux observations finales sur la Tunisie du Comité contre la torture en date du 19 novembre 1998. Le requérant souligne que le Comité contre la torture a recommandé entre autres que l’État partie a) garantisse aux victimes de torture le droit de porter plainte sans crainte de faire l’objet de représailles, de harcèlement, de traitements brutaux ou de persécutions de toute nature, même si les résultats de l’enquête ne confirment pas leurs allégations, et de demander et d’obtenir réparation si ces allégations s’avèrent justes; b) fasse en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations de violation et qu’une autopsie soit pratiquée dans tous les cas de décès en garde à vue; c) fasse en sorte que les résultats de toutes les enquêtes concernant les cas de torture soient rendus publics et que ces informations comprennent le détail des infractions commises, le nom des auteurs, les dates, lieux et circonstances des incidents et les sanctions imposées aux coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu’une grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n’était pas respectée en pratique. Il s’est également déclaré préoccupé par le large fossé qui existe entre le droit et la pratique en ce qui concerne la protection des droits de l’homme et particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratiques répandues de torture et d’autres traitements cruels et dégradants perpétrées par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées en garde à vue. Le requérant mentionne, par ailleurs, la décision du Comité contre la torture dans l’affaire Faisal Baraket c. Tunisie (requête no 60/1996). Le requérant considère que le discours de l’État partie sur la possibilité de garantir un recours effectif et efficace relève de la propagande politique sans aucune pertinence juridique. Le requérant précise que les cas cités par l’État partie (par. 4.10) concernent des citoyens tunisiens qui n’étaient pas arrêtés pour des affaires de nature politique alors que les autorités réservent un traitement spécial aux procès de prisonniers politiques.

5.5Le requérant conteste, d’autre part, l’argument de l’État partie sur la possibilité de charger un avocat tunisien de porter plainte à partir de l’étranger.

5.6Le requérant soutient que cette procédure demeure lettre morte et n’a jamais été respectée lors d’affaires politiques. Selon le requérant, les avocats qui osent défendre de telles causes sont victimes de harcèlement et autres formes d’atteintes graves à l’exercice libre et indépendant de leur profession, y compris des condamnations à des peines de prison.

5.7Le requérant soutient que sa situation de réfugié politique en Suisse ne lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des restrictions posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays. Il explique que la cessation de toute relation avec le pays d’origine est l’une des conditions de l’octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important lors de l’appréciation de la révocation de l’asile. Selon le requérant, il peut en effet être mis fin à l’asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément de la protection de son pays d’origine, par exemple, en entretenant des contacts étroits avec ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.

5.8Enfin, le requérant estime que les commentaires de l’État partie sur son appartenance au mouvement ENNADHA et à son encontre démontrent l’existence et la permanence d’une discrimination à l’encontre de l’opposition, toujours considérée comme illégale. Selon le requérant, par ses qualifications relatives au terrorisme dans le cas d’espèce, l’État partie prouve sa partialité et dès lors soutenir la garantie de recours internes et efficaces est une pure chimère. En outre, le requérant souligne que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est une garantie qui ne souffre d’aucune exception, y compris pour un terroriste.

5.9Finalement, au vu des explications précédentes, le requérant rejette le commentaire de l’État partie considérant la présente requête comme un abus de droit.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité de la requête

6.1Le du 8 novembre 2002, l’État partie a contesté à nouveau la recevabilité de la requête. L’État partie soutient, en premier lieu, que les prétentions du requérant relatives à la saisine de la justice tunisienne et à l’utilisation des voies de recours internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées par aucune preuve. L’État partie précise que l’action publique relative aux allégations soulevées dans la requête n’est pas prescrite car le délai de prescription dans le cas d’espèce est de 10 ans. Il estime que le requérant n’apporte aucune preuve étayant ses allégations selon lesquelles la pratique des autorités empêche l’engagement sans délai d’une action en justice et la possibilité de se constituer partie civile. Il ajoute que le statut de réfugié du requérant ne saurait le priver de son droit de porter plainte devant les juridictions tunisiennes. En troisième lieu, l’État partie affirme que contrairement aux allégations du requérant, celui-ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte depuis l’étranger. Finalement, l’État partie réaffirme que la requête ne se base sur aucun fait concret et ne fait état d’aucune preuve, et qu’elle constitue un abus du droit de soumettre des requêtes.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa vingt‑neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, déclaré qu’elle était recevable.

7.2Relativement à la question de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que l’État partie contestait la recevabilité de la requête au motif que les recours internes disponibles et utiles n’avaient pas été épuisés. Dans le cas d’espèce, le Comité a constaté que l’État partie avait fourni un descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant ainsi que des cas d’aboutissement de tels recours à l’endroit d’auteurs d’abus et de violations de la loi. Le Comité a considéré, néanmoins que l’État partie n’a pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les circonstances propres au cas du requérant, qui se dit victime de violations de ses droits. Le Comité a précisé qu’il ne mettait pas en doute les informations de l’État partie sur l’existence de poursuites et de condamnations visant les membres des forces de l’ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu’il ne saurait perdre de vue dans le cas d’espèce que les faits datent de 1991, et que si la prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question de la prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou suspension du délai de prescription, information que l’État partie n’avait pas fournie. Le Comité a noté en outreque les allégations du requérant avaient trait à des faits anciens dénoncés publiquement auprès des autorités judiciaires et en présence d’observateurs internationaux. Le Comité a indiqué ne pas avoir connaissance, à ce jour, d’enquêtes diligentées spontanément par l’État partie. En conséquence, il était d’avis que dans le cas présent il y avait très peu de chances que l’épuisement des recours internes donne satisfaction au requérant, et il a décidé de faire application de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

7.3Le Comité a en outre pris note de l’argument de l’État partie faisant valoir que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes. Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul l’examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l’engagement politique et partisan du requérant contesté par l’État partie ne s’opposait pas à l’examen de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

Observations de l’État partie quant au fond de la communication

8.1Dans ses observations en date du 3 avril 2003 et du 25 septembre 2003, l’État partie conteste le bien‑fondé des allégations du requérant et réitère sa position sur l’irrecevabilité de la requête.

8.2Au sujet des allégations se rapportant à la «complicité» et à l’inertie de l’État partie face aux «pratiques de torture», l’État partie explique qu’il a mis en place un dispositif préventif et dissuasif de lutte contre la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de la personne humaine.

8.3Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et «à l’impunité des auteurs de torture», l’État partie estime que le requérant n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses prétentions. Il souligne que, contrairement aux allégations du requérant, il a pris toutes les mesures sur le plan de la loi et dans la pratiques, au niveau des instances judiciaires et administratives, afin d’empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs, conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même, d’après l’État partie, le requérant n’a présenté aucun motif justifiant son inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives (voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l’État partie souligne que le requérant n’invoque pas seulement des «faits» remontant à 1991, mais des «faits» remontant aux années 1995 et 1996, c’est-à-dire au moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit interne tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend avoir fait l’objet lors de sa détention à «la prison civile de Mahdia». Les délais de prescription ne sont donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l’intéressé, d’interrompre ces délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit en faisant des actes interruptifs. L’État partie fait également état des possibilités de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise par un agent public lors de l’exercice de son service, étant précisé que le délai de prescription est de 15 ans. L’État partie rappelle que les tribunaux tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.10).

8.4Pour ce qui est du grief de non‑respect des garanties de procédure judiciaire, l’État partie les considère comme non fondées. D’après l’État partie, les autorités n’ont pas empêché le requérant de porter plainte devant la justice, et au contraire, le requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant «l’obligation» incombant aux juges de ne pas tenir compte des déclarations faites sous la torture, l’État partie se réfère à l’article 15 de la Convention contre la torture, et estime qu’il appartient au prévenu de présenter au juge au moins un commencement de preuve pouvant attester qu’il a fait ses dépositions dans des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir la preuve de ses allégations par la présentation d’un rapport médical ou d’une attestation prouvant qu’il aurait déposé une plainte auprès du ministère public, ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou de mauvais traitements. Or, l’État partie explique que, bien que le tribunal ait ordonné, dans l’affaire concernant M. Thabti, une expertise médicale pour tous les détenus qui le souhaitaient, le requérant a choisi délibérément de ne pas faire cette demande, préférant réitérer chaque fois devant le tribunal ses allégations de «mauvais traitements», et ce afin de focaliser sur lui l’attention des observateurs présents à l’audience. Le requérant prétexte son refus de se livrer à l’expertise médicale, ordonnée par le tribunal, par la «complaisance» dont feraient preuve les médecins à son encontre. L’État partie répond que ceux‑ci sont désignés par le juge d’instruction ou le tribunal parmi les médecins relevant de l’administration pénitentiaire et de médecins n’ayant aucun rapport avec cette administration, jouissant d’une réputation et d’une intégrité au‑dessus de tout soupçon. Finalement, selon l’État partie, le requérant n’a pas cru utile de présenter de plainte ni au cours de sa détention, ni lors de son procès, et son refus de se prêter à une expertise médicale illustre le caractère infondé de ses allégations et démontre une démarche s’inscrivant dans une stratégie adoptée par le mouvement illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer les institutions tunisiennes en alléguant des actes de torture et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.

8.5En ce qui concerne les allégations se rapportant au procès, selon l’État partie, bien que le requérant reconnaisse avoir bénéficié dans deux affaires précédentes en 1983 et 1986 d’un non‑lieu pour insuffisance de preuves, il continue néanmoins à accuser systématiquement les instances judiciaires de partialité. En outre, contrairement aux allégations du requérant selon lesquelles lors de son procès et au cours de son interrogatoire, le juge d’instruction près le tribunal militaire de Tunis lui aurait refusé l’assistance d’un avocat, l’État partie précise que M. Thabti lui‑même a refusé l’assistance d’un avocat. D’après l’État partie, le juge d’instruction, conformément à la législation en vigueur, a rappelé à l’intéressé son droit de ne répondre qu’en présence de son avocat, mais le prévenu a choisi de se passer de l’assistance de son conseil, tout en refusant de répondre aux questions du juge d’instruction. Face au silence de l’intéressé, le juge l’a averti, conformément à l’article 74 du Code de procédure pénale, qu’il procéderait à l’instruction de l’affaire, en faisant mention de cet avertissement au procès‑verbal. Concernant l’affirmation du requérant d’avoir été condamné sur la base de ses aveux comme seuls éléments de preuve, l’État partie précise que le dernier alinéa de l’article 69 et l’article 152 du Code de procédure pénale disposent que l’aveu de l’inculpé ne peut dispenser le juge de rechercher d’autres éléments de preuve et que l’aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges. Et sur cette base, la jurisprudence tunisienne en matière pénale considère constamment qu’il ne peut y avoir de condamnation uniquement sur la base des aveux. Dans le cas d’espèce, le tribunal s’est basé, outre les aveux que l’intéressé a faits tout au long de la procédure judiciaire, sur les affirmations des témoins, les témoignages de ses complices et sur les pièces à conviction.

8.6Au sujet des allégations relatives aux conditions carcérales, et en particulier au transfert d’une prison à une autre considéré comme une mesure abusive, l’État partie explique que le transfert, tel que régi par les textes en vigueur, est décidé en fonction des différentes phases du procès, du nombre des affaires et des instances judiciaires territorialement compétentes. Les prisons sont classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues avant jugement; celle d’exécution pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté; et celles semi‑ouvertes pour les personnes condamnées pour cause de délit, habilitées au travail agricole. D’après l’État partie, ayant passé du statut de détenu avant jugement à celui de détenu condamné à une peine privative de liberté et compte tenu aussi des besoins d’investigations dans l’affaire qui le concernait ou encore dans d’autres affaires similaires, le requérant a été transféré d’une prison à l’autre, conformément à la réglementation en vigueur. En outre, et quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient conformes à la réglementation relative à l’organisation des prisons régissant les conditions de détention en vue d’assurer l’intégrité physique et morale du détenu. L’État partie estime également non fondées les allégations du requérant assimilant abusivement ses conditions de détention à des traitements dégradants. L’État partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement protégés en Tunisie, sans aucune distinction et quelle que soit la situation pénale; ceci dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes internationales et à la législation tunisienne. Une prise en charge médicale et psychosociale est assurée ainsi que la visite des membres de la famille.

8.7Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre le requérant sont dues aux actes de torture, l’État partie soutient l’absence de lien de causalité. De plus, d’après l’État partie, le requérant a été pris en charge sur le plan médical pour des pathologies banales et a bénéficié des soins appropriés. Enfin, suite à un examen par le médecin de la prison, le requérant a été transféré au cabinet d’un ophtalmologue, lequel a prescrit une paire de lunettes, délivrée le 21 janvier 1997.

8.8Concernant les allégations de privation de visites, d’après l’État partie le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu régulièrement la visite de son épouse Aicha Thabti et de son frère Mohamed Thabti, comme cela est établi par les registres des visites des prisons où le requérant a été incarcéré.

8.9Pour ce qui est des allégations relatives au contrôle administratif et à la situation sociale de la famille de M. Thabti, d’après l’État partie, le requérant assimile le contrôle administratif auquel il a été soumis après avoir purgé sa peine d’emprisonnement à un mauvais traitement, alors qu’il s’agit d’une peine judiciaire complémentaire prévue par l’article 5 du Code pénal. L’État partie estime, dès lors, que la peine ne peut être considérée comme un mauvais traitement en vertu de la Convention contre la torture. Enfin, contrairement aux allégations du requérant, l’État partie affirme que la famille du requérant ne fait l’objet d’aucune forme de harcèlement ou de restriction et que son épouse et ses enfants disposent de leurs passeports.

Commentaires du requérant

9.1Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à chacun des points contenus dans les observations ci‑dessus exposées de l’État partie.

9.2Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’État partie se limite à une énumération d’un arsenal de lois et de mesures d’ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui, nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l’appui de son constat des rapports de l’organisation non gouvernementale «Conseil national pour les libertés en Tunisie» (CNLT).

9.3Au sujet de la mise en place d’un référentiel législatif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’article 101 bis du Code de procédure pénale a été adopté tardivement en 1999, en particulier suite aux préoccupations du Comité contre la torture du fait que la formulation de l’article 101 du Code pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d’usage de la violence en cours d’interrogatoires. Le requérant affirme également que ce nouvel article n’a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie entre 1991 et 1998 établie par l’organisation non gouvernementale «Vérité-Action». Il précise également que les cas invoqués par l’État partie pour prouver sa volonté d’agir contre la torture ne portent que sur des accusations d’abus de pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit commun, et non pas sur les cas de torture provoquant la mort et ceux concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.

9.4Concernant la pratique de la torture et l’impunité, le requérant maintient que l’impunité des tortionnaires subsiste, et qu’en particulier aucune enquête sérieuse n’a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture. Contrairement aux prétentions de l’État partie, le requérant déclare avoir essayé de porter plainte devant le tribunal militaire à plusieurs reprises, mais que le Président du tribunal a toujours ignoré ses déclarations relatives à la torture au motif de l’absence de rapport médical en sa possession. Selon les rapports du CNLT, «il a régné au sein de la cour un long récit des accusés et de leurs avocats des atrocités commises par les agents de la Division de la sûreté de l’État». Or, selon le requérant, les autorités pénitentiaires ont sélectionné seulement 25 détenus sur l’ensemble des personnes (170) devant être jugées devant le tribunal militaire de Bouchoucha afin de les soumettre à un contrôle médical par des médecins militaires. Le requérant affirme qu’il n’était pas informé de ce contrôle lors de sa détention avant jugement, et ne s’en est rendu compte que devant le tribunal. Selon le requérant, le Président a ignoré le fait que les autres accusés n’avaient pas d’expertises médicales et il est faux de prétendre que lui‑même a renoncé de son propre gré à les requérir. Informé de ce fait, le Président a simplement ignoré les contestations des avocats et des détenus, dont le requérant, en violation flagrante des dispositions légales relatives au droit du détenu à effectuer un rapport médical et de son droit constitutionnel à être entendu, tel que d’ailleurs relaté dans le rapport du CNLT. Selon le requérant, la preuve en est que l’État partie reconnaît que le requérant a soulevé au cours de l’audience des plaintes de mauvais traitements. Par ailleurs, selon le requérant, alors qu’un État de droit doit donner suite, et d’office, à toute dénonciation d’acte pénal qualifiable de crime, les autorités tunisiennes se sont toujours contentées de qualifier les dénonciations de «propos mensongers contradictoires et diffamatoires», sans se donner la peine d’ouvrir des enquêtes pour établir les faits conformément aux exigences de la procédure pénale tunisienne. Le requérant estime avoir rendu au moins vraisemblables ses allégations dans les détails (noms, lieux et traitements infligés) de la torture subie alors que l’État partie se contente de nier en bloc. Ce n’est pas pour leur appartenance aux forces de l’ordre que des tortionnaires ont été cités par le requérant, mais pour des violations concrètes et répétées dans le temps contre son intégrité physique et morale et sa vie privée et familiale. L’ouverture d’une enquête, afin de vérifier si une personne appartenant aux forces de l’ordre a commis des actes de torture ou autre, ne constitue pas une violation de la présomption d’innocence, mais une démarche juridique indispensable pour instruire un dossier et le soumettre, le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de le trancher. Relativement aux recours juridictionnels, le requérant estime que l’État partie se contente de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques offertes aux victimes contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre à la décision de recevabilité en son paragraphe 7.2, dernier alinéa. Le requérant réitère son argumentation sur l’inutilité des possibilités légales théoriques exposées par l’État partie, tout en exposant à l’appui de sa conclusion des cas pour lesquels les droits des victimes ont été négligés. Le requérant précise que la jurisprudence citée par l’État partie a trait à des cas de droit commun et non pas à des prisonniers d’opinion.

9.5Concernant l’inertie et l’inaction du requérant, ce dernier estime que l’État partie se contredit en avançant que les actes de torture sont qualifiés de crime en droit tunisien et donc poursuivis d’office, tout en attendant la dénonciation par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant rappelle ses démarches réelles ci‑dessus exposées pour exiger une expertise médicale et une enquête sur la torture subie. Il rappelle, en particulier sur la base d’un rapport du CNLT, les circonstances des expertises médicales de 25 détenus, ceci afin de donner un semblant de respect des garanties de procédure, et le manque d’intégrité des médecins désignés. Il précise que les audiences devant le tribunal militaire de Bouchoucha étaient enregistrées par vidéo, leur visionnement pouvant permettre la vérification des déclarations du requérant.

9.6Concernant les allégations se rapportant au procès, le requérant précise, tout d’abord que les non‑lieux dont il a bénéficié en 1983 et 1986 sont intervenus dans un contexte politique d’apaisement (1983-1984, libération par étapes des leaders du Mouvement de la tendance islamique devenue ENNAHDA en 1989) et de légitimation d’un nouveau pouvoir (amnistie présidentielle après le coup d’État de 1987), et qu’ils illustrent la dépendance de la justice au pouvoir exécutif (démontrée par des rapports d’organisations non gouvernementales). En second lieu, relativement au refus de l’assistance d’un avocat, le requérant apporte les rectifications suivantes et produit un rapport du CNLT. Devant le juge d’instruction Ayed Ben Gueyid, attaché au tribunal militaire de Tunis, le requérant a insisté sur sa demande d’être assisté d’un avocat d’office ou mandaté par sa famille. Le requérant a désigné Me Najib ben Youssef contacté par sa famille. Cet avocat a conseillé de consulter Me Moustafa El‑Gharbi, lequel n’a pu assister le requérant que dès la quatrième semaine du procès, et n’a pu lui rendre visite à la Prison du 9 avril qu’une ou deux fois, sous la surveillance rapprochée des gardiens de prison. En réponse à la demande du requérant de bénéficier d’un avocat, le juge d’instruction militaire a répondu «pas d’avocat», ce qui a conduit le requérant à déclarer «pas d’avocat, pas de parole». Suite à cette déclaration, le requérant précise avoir été violemment battu par les agents de police militaire, dans une chambre à côté du bureau du juge d’instruction militaire, lors d’une pause forcée et ordonnée par ce magistrat. Le requérant a été ensuite placé, durant deux mois, en isolement à la Prison du 9 avril à Tunis. Suite à cette sanction, le requérant a assisté à la première audience en l’absence du dossier du juge d’instruction, point sur lequel le requérant s’est expliqué devant le président du tribunal en rappelant ce qui s’était passé devant le juge d’instruction militaire.

9.7Concernant les allégations se rapportant aux aveux, le requérant maintient avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports du CNLT, déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques et parfois les affaires de droit commun. Eu égard au témoignage à charge du codétenu Mohamed Ben Ali Ben Romdhane, le requérant affirme ne pas connaître cette personne, que celle‑ci ne figurait pas parmi les 297 personnes jugées au tribunal de Bouchoucha, et demande à l’État partie de produire le procès‑verbal du témoignage de cette personne ainsi que le dossier judiciaire afin de vérifier si le tribunal a prononcé son jugement sur la base d’aveux obtenus sous la torture. D’après le requérant, la mention de ce témoin est une pure création des tortionnaires. À titre subsidiaire, le requérant fait valoir que, quand bien même un témoin à charge serait intervenu, l’accusé aurait dû avoir la possibilité de contester, voire d’être confronté à lui, ce qui n’a pas été le cas.

9.8Concernant les conditions de détention et les visites, le requérant estime que l’État partie s’est, à nouveau, limité à des observations brèves et générales en réponse à ses informations nombreuses, concrètes et circonstanciées. Le requérant explique que ses transferts avaient un caractère punitif et n’avaient aucun rapport avec les affaires pendantes devant la justice et fournit, à cet égard, le récapitulatif suivant:

6 avril 1991Arrestation et détention dans le sous‑sol du Ministère de l’intérieur; le 13 mai 1991 transfert à la prison de Mornag au secret;

4 juin 1991Transfert à la police politique pour signer les procès‑verbaux de l’interrogatoire, sans en connaître le contenu; transfert auprès du juge d’instruction militaire, puis vers 23 heures transfert à la Prison civile du 9 avril de Tunis, ce jusqu’à la fin novembre 1991 (dont deux mois en isolement);

1er décembre 1991Transfert à la prison de Borj Erroumi à Bizerte (à 70 km du domicile familial);

4 juillet 1992Transfert à la Prison du 9 avril à Tunis, jusqu’au 15 septembre 1992, période correspondant aux audiences des jugements;

28 août 1992Condamnation du requérant à six ans de prison ferme et cinq ans de contrôle administratif;

15 septembre 1992Transfert à la prison de Borj Erroumi à Bizerte, jusqu’au 4 juillet 1993;

4 juillet 1993Transfert à la prison de Mahdia (à 200 km du domicile), jusqu’au 19 septembre 1993;

19 septembre 1993Transfert à la prison de Sousse (à 160 km du domicile), jusqu’au 4 avril 1994;

4 avril 1994Transfert à la prison de Mahdia, jusqu’à la fin décembre 1994;

Fin décembre 1994Transfert à la Prison du 9 avril à Tunis; interrogatoire au Ministère de l’intérieur accompagné de tortures durant quatre jours consécutifs;

Fin décembre 1995Transfert à la prison de Mahdia; grève de la faim de la mi‑février à la fin février 1996 afin de réclamer l’amélioration des conditions de détention;

Fin février 1996Transfert à la prison El Houerib à Kairouan (à 250 km du domicile) suite à la grève de la faim;

20 mars 1996Transfert à la prison de Sousse; trois semaines de grève de la faim en janvier 1997 afin de réclamer l’amélioration des conditions de détention;

7 février 1997Transfert à Rejim Maatoug (à 600 km du domicile, en plein désert);

27 février 1997Transfert à la prison de Sousse;

27 mai 1997Libération, contrôle administratif de cinq ans et assignation à résidence à Nekrif-Remada (à 630 km du domicile familial);

1er octobre 1997Fuite de la Tunisie.

9.9Le requérant explique qu’à chaque transfert, sa famille devait rechercher durant deux à trois mois son nouveau lieu de détention, dans la mesure où l’administration pénitentiaire ne donnait de tels renseignements qu’au compte-gouttes. D’après le requérant, ces transferts avaient pour but de la priver du soutien psychique et moral de sa famille, et donc de le sanctionner. Le requérant précise que les registres d’entrées et de sorties des prisons peuvent prouver ses explications. Le requérant explique que le recours à la privation de visites constituait un moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu’il réclamait un droit et agissait à cet effet, notamment par des grèves de la faim. En outre, la famille du requérant rencontrait des difficultés à exercer le droit de visite en raison des multiples transferts, des lieux de détention éloignés et des conditions de la visite (l’épouse du requérant étant maltraitée afin de l’obliger à ôter son foulard); et la présence permanente de gardiens entre deux grillages distants d’environ un mètre entre l’épouse et le requérant).

9.10Concernant les allégations se rapportant aux soins, le requérant réitère avoir été privé de son droit de consulter un médecin afin de diagnostiquer ses séquelles de torture, et porte l’attention du Comité sur le certificat médical produit dans son dossier. Relativement au traitement invoqué par l’État partie, le requérant précise que ce contrôle médical est intervenu trois semaines après la grève de la faim; que des lunettes lui ont été prescrites sous peine de devenir aveugle et que ces lunettes ne lui ont été remises qu’après environ deux mois.

9.11Pour ce qui est du contrôle administratif, le requérant estime que toute peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d’inhumaine et dégradante, si l’objectif poursuivi n’est ni la «rééducation du délinquant» ni sa réconciliation avec son environnement social. Or, le requérant explique avoir été astreint à un contrôle administratif à 650 km de son domicile familial et donc assigné à résidence, ce qui n’était pas prévu par sa condamnation. Le requérant ajoute qu’à chaque fois qu’il se présentait au poste de police pour signature du registre de contrôle, il était maltraité (parfois même battu) et humilié par les policiers. D’après le requérant, qui produit d’ailleurs un rapport du CNLT, le contrôle administratif ne sert qu’à assurer la mainmise par la police du droit à la liberté de circulation de l’ex-détenu.

9.12Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance subie à travers le contrôle policier et l’intimidation sous diverses formes. Le requérant mentionne que son fils aîné a été giflé à maintes reprises devant ses frères et sa mère à la porte de la maison en rentrant du lycée et interrogé au poste de police de la région sur les moyens de survie de la famille. Les membres de la famille n’ont, par ailleurs, disposé de leur passeport qu’à la suite de l’arrivée du requérant, le 25 mai 1998, en Suisse où il a obtenu une demande d’asile. Et les premiers membres de sa famille n’ont reçu leur passeport que sept mois plus tard, soit le 9 décembre 1998.

9.13Eu égard au mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation est, contrairement aux explications de l’État partie, connue pour ses idéaux démocratiques et son opposition à la dictature et à l’impunité. En outre, le requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par l’État partie.

9.14Finalement, selon le requérant, l’État partie tente de mettre l’entier fardeau de la preuve sur la victime accusée d’inertie et d’inaction, se cache derrière une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes de porter plainte, et se dérobe de son devoir de veiller à la poursuite d’office des crimes dont celui de torture. Selon le requérant, l’État partie néglige ainsi sciemment que le droit et la jurisprudence internationale en matière de torture insistent plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre l’aboutissement d’une procédure. Or, le requérant constate que l’État partie porte la charge de la preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves à l’appui (dossiers de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.) sont uniquement détenus par l’État partie sans possibilité d’accès pour le requérant. Se référant à la jurisprudence européenne, le requérant rappelle que la Cour et la Commission européenne invitent les États parties, lors d’allégations de torture ou de mauvais traitements, à «mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements» et non à se contenter de citer l’arsenal théorique des voies ouvertes à la victime pour se plaindre.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la communication en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

10.2Le Comité a pris note des observations de l’État partie du 3 avril 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que les éléments mis en avant par l’État partie ne sont pas susceptibles de permettre un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier, de l’absence d’information nouvelle ou supplémentaire de l’État partie sur la question des enquêtes diligentées spontanément par l’État partie (voir par. 7.2). Le Comité estime donc qu’il n’a pas à revenir sur sa décision de recevabilité.

10.3Le Comité passe immédiatement à l’examen de la requête sur le fond et note que le requérant impute à l’État partie les violations de l’article premier, du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 4, 5, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.

10.4Le Comité note qu’en vertu des dispositions de l’article 12 de la Convention, les autorités ont l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une importance particulière.

10.5Le Comité constate que le requérant s’était plaint d’avoir subi des actes de torture devant le tribunal militaire de Bouchoucha lors de son procès à compter du 9 juillet 1992, en présence de la presse nationale et d’observateurs internationaux des droits de l’homme. Il note en outre que l’État partie reconnaît que le requérant a réitéré, à plusieurs reprises, ses allégations de mauvais traitements devant le tribunal afin, selon lui, de focaliser l’attention des observateurs présents à l’audience. Le Comité prend note également des informations détaillées et étayées du requérant faisant état de ses grèves de la faim en juillet 1992 à la Prison du 9 avril à Tunis durant 12 jours, à Mahdia en octobre 1995 durant 8 jours et en mars 1996 durant 10 jours, afin de protester contre les conditions de détention et les mauvais traitements. Il relève que ces informations n’ont pas été commentées par l’État partie et considère que l’ensemble de ces éléments aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n’a pas eu lieu contrairement à l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, prévue par l’article 12 de la Convention.

10.6Le Comité note que l’article 13 de la Convention n’exige pas qu’une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d’exercer l’action pénale; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui‑ci l’obligation de la considérer comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention.

10.7Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant s’est effectivement plaint de mauvais traitements auprès du tribunal militaire de Bouchoucha et a eu recours aux grèves de la faim afin de se plaindre de la condition qui lui était faite. Cependant, et contrairement à la jurisprudence au titre de l’article 13 de la Convention, le Comité note la position de l’État partie qui soutient que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de recours internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation soit d’une attestation prouvant le dépôt d’une plainte auprès du ministère public, soit de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal, soit d’un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter son attention, il ressort que d’un côté, le requérant soutient que le président du tribunal de Bouchoucha a ignoré ses déclarations de torture au motif de l’absence de rapport médical en sa possession; que le requérant n’a été informé qu’au cours de son procès des contrôles médicaux effectués lors de la détention préventive sur seulement certains accusés; et que le président du tribunal a ignoré ses contestations en vue du respect de son droit à un rapport médical. D’un autre côté, l’État partie affirme que le requérant a choisi délibérément de ne pas faire de demande d’expertise médicale alors que le tribunal avait ordonné de telles expertises pour tous les détenus qui le souhaitaient. Or, le Comité renvoie à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, à l’issue duquel il avait recommandé à l’État partie de faire en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations d’abus, et donc sans que la victime alléguée n’ait à formaliser une demande à cet effet.

10.8À la lumière des constatations ci‑dessus, le Comité estime que les manquements qui viennent d’être exposés sont incompatibles avec l’obligation faite à l’article 13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.

10.9Enfin le Comité estime ne pas être en mesure de se prononcer sur les griefs de violation d’autres dispositions de la Convention soulevés par le requérant, dans l’attente de disposer des résultats de l’enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements devant être diligentée par l’État partie.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

12.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant, et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci‑dessus.

Communication n o 188/2001

Présentée par:Imed Abdelli (représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité‑Action)

Au nom du:Requérant

État partie:Tunisie

Date de la requête:29 juin 2000

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 188/2001, présentée par M. Imed Abdelli en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. Imed Abdelli, ressortissant tunisien, né le 3 mars 1966 à Tunis, résidant en Suisse depuis le 7 juillet 1998 où il bénéficie du statut de réfugié. Il affirme avoir été victime de violations, par la Tunisie, des dispositions des articles 1, 2 (par. 1), 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention. Il est représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité‑Action.

1.2La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant déclare avoir été un membre actif de l’organisation islamique ENNAHDA (ex‑MTI). En juillet 1987, à 1 h 30 du matin, il a été arrêté à son domicile au motif qu’il appartenait à une association non autorisée. Il précise qu’au cours de l’arrestation, les policiers ont malmené sa mère et frappé, au moyen de matraques, deux de ses frères. Le requérant a été placé durant deux jours au poste de police du quartier, dans une cave sale et sans eau; 10 jours au centre d’incarcération d’El Gorjani avec des déplacements quotidiens au commissariat d’arrondissement de Jebel Jelloud pour interrogatoire; et un mois au centre de détention de Bouchoucha.

2.2Le requérant donne un descriptif détaillé des différents actes de torture qu’il a subis.

2.3Le requérant fait état de ce qu’on appelle communément la position du «poulet rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer introduite derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables et battue, en particulier sur la plante des pieds, les genoux et la tête). Le requérant précise qu’il a subi cette torture durant deux séances de plus d’une heure chacune. Il ajoute que ses tortionnaires ont procédé, au cours d’une séance, à sa masturbation afin de se moquer de lui et de l’épuiser.

2.4Le requérant affirme avoir, en outre, été soumis à la torture de la chaise (contrainte de s’asseoir sur les genoux et de porter une chaise avec les deux mains le plus haut possible, la victime est frappée de coups de fouet à chaque mouvement de relâche).

2.5Par la suite, et durant un mois, au centre d’incarcération de Bouchoucha, qui relève des renseignements généraux, le requérant a subi des interrogatoires sous la torture, à savoir la position du «poulet rôti» jusqu’à perte de conscience. Le requérant précise que, chaque jour, lors des déplacements de sa cellule aux bureaux, il recevait des gifles et des coups de matraque. En outre, selon le requérant, sa famille ne parvenait pas à obtenir de ses nouvelles, et sa mère a été détenue, durant un jour, dans les bâtiments du Ministère de l’intérieur pour avoir demandé à rencontrer son fils. Le requérant affirme avoir été témoin de scènes de torture sur d’autres détenus, tels Zoussef Bouthelja et Moncef Zarrouk, ce dernier étant décédé dans sa cellule le 13 août 1987 suite aux mauvais traitements subis.

2.6De la fin août au 25 octobre 1987, le requérant a été incarcéré à la prison de Tunis dans une cellule surpeuplée et sans installations sanitaires.

2.7Le 25 octobre 1987, le requérant a été placé dans la prison de Mornag après sa condamnation à deux ans de prison ferme. Un jugement de non-lieu lui a permis d’être libéré le 24 décembre 1987.

2.8Deux mois plus tard, le requérant a été interpellé par la police en possession d’une cassette vidéo sur les événements sanglants de l’année 1987 commis par la sûreté de l’État du gouvernorat de Sousse. Il a été détenu au siège du Ministère de l’intérieur durant 15 jours, et a subi des interrogatoires accompagnés de gifles et autres coups ainsi que d’actes d’intimidation. Le requérant a été libéré le 30 mars 1988.

2.9Après les élections d’avril 1989, le requérant explique avoir cessé de rentrer au domicile familial suite à une vague d’arrestations à l’encontre, en particulier, des membres et sympathisants des partis d’opposition. Selon le requérant, en 1990, sa famille a fait l’objet de harcèlements (visites nocturnes, convocations et confiscations de passeports). En mai 1991, les frères du requérant, Lofti et Nabil, ont été arrêtés et torturés afin d’obtenir des informations sur le requérant.

2.10Le 20 novembre 1991, à 7 heures du matin, le requérant a été arrêté par la sûreté de l’État. Durant 25 jours, le requérant affirme avoir été victime de plusieurs formes de torture. Le requérant fait état de la pratique du «balanco» (attachée la tête en bas, la victime est immergée dans une eau sale mélangée à de la Javel et autres substances chimiques jusqu’à ce qu’elle suffoque). Le requérant ajoute que ses tortionnaires ont attaché son pénis à un fil qu’ils tiraient, à coups successifs dans toutes les directions, jusqu’à l’écoulement d’un mélange de sang et de sperme.

2.11Le requérant a également été placé sur une table où il a été masturbé et frappé de coups sur le sexe en érection. Il déclare avoir subi des injections dans les testicules, lesquelles provoquaient, tout d’abord, une forte excitation, puis une douleur insupportable. Il ajoute avoir été soumis à des séances de gifles pratiquées par des spécialistes (gifles sur les deux oreilles, en même temps, jusqu’à l’évanouissement) dont il garde des séquelles au niveau de l’ouïe. Il affirme également que ses tortionnaires étaient assistés d’un médecin afin de doser les niveaux de torture adéquate.

2.12Selon le requérant, le vingt‑cinquième jour, le Directeur de la sûreté de l’État, Ezzedine Djmail, a éteint des cigarettes sur son corps, en particulier à proximité des organes génitaux.

2.13Le 13 janvier 1992, le requérant a été conduit à la prison centrale de Tunis.

2.14Après de brèves comparutions devant le juge, le 12 mars 1992, le requérant a été condamné à deux ans de prison ferme et à trois ans de contrôle administratif pour participation au maintien d’une association non reconnue, verdict confirmé en appel le 7 juillet 1992. Le requérant produit une attestation d’un représentant de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch présent lors d’une séance du tribunal et déclarant que son cas était troublant.

2.15Le requérant précise que l’on a refusé sa demande de contrôle médical et qu’en outre il a été menacé par un membre de l’administration pénitentiaire d’être à nouveau torturé s’il se plaignait de son traitement auprès du juge.

2.16Après six mois à la prison centrale de Tunis, le requérant a fait l’objet de plusieurs transferts entre les établissements pénitentiaires du pays (entre autres, prison civile du Kef du 19 juillet au 15 octobre 1992; de Kasserine du 15 au 18 octobre 1992; et ensuite de Gafsa, etc.), selon lui dans le but d’empêcher tout contact avec sa famille. Le requérant déclare avoir été traité comme un «intouchable», à savoir interdiction de parler et de s’aider entre détenus et obstacles au courrier et aux visites de la famille. Le requérant précise que sa mère était toujours maltraitée lors des visites en prison (foulard arraché et convocation pour interrogatoire après la visite).

2.17À sa sortie de la prison de Gafsa le 11 janvier 1994, le requérant a été conduit au siège du commandement général de la sécurité du gouvernorat afin de remplir une fiche d’information et de répondre à un interrogatoire sur les activités d’autres prisonniers et ses projets d’avenir. Il lui a été ordonné de contacter, dès son arrivée à Tunis, le commissariat de police de l’arrondissement de Gorjani.

2.18Le requérant a, en outre, été placé sous contrôle administratif deux fois par jour, à 10 heures et 16 heures, au poste de police du quartier, et quotidiennement au commissariat. Selon le requérant, ce contrôle s’apparentait dans la pratique à une assignation à résidence accompagnée d’une interdiction de travail. Par ailleurs, quelques semaines après sa libération, le requérant a dû se rendre aux convocations de différents organes de la sécurité (garde nationale de la route X, Bardo; centre d’investigations lié à la garde nationale, Bardo; renseignements généraux; sûreté de l’État; et caserne de la garde nationale de l’Aouina). Ceux-ci le soumettaient à un interrogatoire, et lui demandaient de collaborer pour le suivi d’opposants, sous peine du maintien du harcèlement à son encontre et contre sa famille (visites de nuit et convocations).

2.19Après avoir menacé de boycotter le contrôle administratif, le requérant affirme avoir pu reprendre ses études universitaires, lesquelles ont été cependant fortement perturbées par de multiples convocations au commissariat de Sijoumi en raison du refus de collaboration du requérant.

2.20Au printemps de l’année 1995, le requérant a de nouveau été arrêté au motif de tentative de fuite du pays. Il a été détenu durant 10 jours et soumis à des mauvais traitements (coups, gifles et menaces d’agression sexuelle) afin de l’obliger à collaborer. Sous la contrainte, le requérant a signé, le 12 avril 1995, un procès‑verbal attestant qu’il était un membre actif de l’organisation non autorisée ENNAHDHA.

2.21Le requérant a ensuite été condamné, le 18 mai 1995, par le tribunal de première instance de Tunis à une peine de prison ferme de trois ans et à un contrôle administratif de cinq ans; verdict confirmé en appel, le 31 mai 1996.

2.22Le requérant précise qu’il avait demandé au juge de première instance de Tunis de le protéger des sévices quotidiennement subis en prison, tout en l’informant qu’il poursuivait une grève de la faim depuis une semaine. Cependant, selon le requérant, la police l’a alors fait sortir de la salle devant le juge, lequel n’a pas réagi.

2.23Détenu à la prison centrale de Tunis du 13 avril 1995 au 31 août 1996, le requérant a été soumis à la torture, en l’occurrence la «falka» (les tortionnaires frappent sur la plante des pieds attachés à une barre et soulevés). Le requérant précise que le Sous-Directeur de la prison a personnellement participé aux séances de torture, par exemple en attachant le requérant à la porte de la cellule avant de le frapper à l’aide d’une matraque sur la tête jusqu’à l’évanouissement. À la fin du mois d’août et au début de septembre 1995, le requérant a été placé en isolement total et privé de bain. Le requérant a alors entamé une grève de la faim afin de bénéficier de soins médicaux et ne plus subir un traitement discriminatoire.

2.24Transféré à la prison de Grombalia, le requérant, poursuivant sa grève de la faim du 28 novembre au 13 décembre 1997, a de nouveau été battu sur ordre du Directeur.

2.25Le requérant précise que, durant ses années de détention, il n’a pu s’entretenir qu’une seule fois avec ses avocats, en présence d’un agent de la prison.

2.26Libéré le 12 avril 1998, le requérant a fait l’objet de harcèlements sous la forme notamment de convocations, d’interrogatoires et de contrôles quotidiens, jusqu’à sa fuite pour la Suisse le 22 juin 1998 où il a obtenu le statut de réfugié en décembre 1998.

2.27Le requérant précise que, depuis sa fuite, les membres de sa famille font l’objet d’interrogatoires et autres humiliations (y compris le refus de délivrer un passeport à sa mère).

2.28Le requérant a fourni une liste des personnes ayant pratiqué la torture à son encontre, à savoir, de manière précise, Ezzeddine Jnaieh (Directeur de la sûreté de l’État en 1991); Mohamed Ennaceur (Directeur des renseignements généraux en 1995); Moncef Ben Gbila (cadre supérieur à la sûreté de l’État en 1987); Mojahid Farhi (lieutenant-colonel); Belhassen Kilani (lieutenant de galant); Salim Boughnia (lieutenant de galant); Faouzi El Attrouss (commandant); Hédi Ezzitouni (lieutenant de galant); Abderrahman Guesmi (agent du Ministère de l’intérieur); Faycal Redissi (agent du Ministère de l’intérieur); Tahar Dlaiguia (agent du centre de détention de Bouchoucha); Mohamed Ben Amor (sûreté de l’État); Hassen Khemiri (adjudant-chef); Mohamed Kassem (Sous-Directeur de la prison de Messadine en 1997); Habib Haoula (chef de pavillon à la prison de Messadine); Mohamed Zrelli (chef de pavillon à la prison de Grombalia). Le requérant ajoute que le Ministre de l’intérieur de l’époque, Abdallah Kallel, porte une responsabilité dans le traitement qu’il a subi dans la mesure où ce dignitaire l’avait désigné comme responsable d’une campagne de terreur lors d’une conférence de presse tenue le 22 mai 1991.

2.29Le requérant fait état des séquelles résultant de la torture et de ses conditions de détention, en l’occurrence des problèmes d’audition (un certificat d’un spécialiste ORL suisse est produit par le requérant), de rhumatisme, de dermatologie, d’ulcère et des difficultés psychiques.

2.30Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le requérant fait valoir que de tels recours en Tunisie, bien que consacrés par le droit, sont impossibles dans la pratique du fait de la partialité des juges et de l’impunité accordée aux auteurs de violations. Le requérant ajoute que les organes ayant un rôle dans la défense des droits de l’homme, tels le Comité supérieur pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales et le Conseil constitutionnel, sont de par leur statut incapables de soutenir des plaintes de torture. Le requérant cite à l’appui de son argumentation des rapports d’organisations non gouvernementales telles qu’Amnesty International.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:

Article 1. Les pratiques ci-dessus exposées («falka», position du «poulet rôti», «balanco», «chaise», etc.) dont le requérant a été victime constituent des actes de torture.

Article 2, paragraphe 1. Non seulement l’État partie n’aurait pas pris des mesures efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.

Article 4. L’État partie n’aurait pas incriminé tous les actes de torture dont le requérant a été victime au regard du droit pénal.

Article 5. L’État partie n’aurait pas engagé de poursuites à l’encontre des tortionnaires du requérant.

Article 11. Les autorités n’auraient pas usé de leur pouvoir de surveillance pour empêcher la torture, cette dernière étant au contraire prescrite par des instructions à cet effet.

Article 12. L’État partie n’aurait pas diligenté une enquête sur les actes de torture commis à l’encontre du requérant.

Article 13. L’État partie n’aurait pas garanti, dans les faits, le droit du requérant de porter plainte devant les autorités compétentes.

Article 14. L’État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte, et l’aurait ainsi privé de son droit à réparation.

Article 15. Le requérant aurait été condamné en 1992 et 1995 à des peines de prison sur la base d’aveux obtenus sous la torture.

Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (isolement cellulaire, violation du droit aux soins médicaux et à des médicaments, à la correspondance, restriction des visites de proches, assignation à résidence, harcèlement de la famille, etc.) utilisées par l’État partie à l’encontre du requérant constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

3.2Le requérant se plaint également des atteintes portées à sa pratique religieuse lors de sa détention, à sa liberté de mouvement et à son droit au travail lors des mesures de contrôle administratif ainsi qu’à son droit de poursuivre des études. Le requérant demande réparation pour les préjudices dont il a été victime ainsi que sa famille et notamment l’arrêt du harcèlement quotidien de la police locale à l’encontre de ses proches et l’obtention de passeports pour ces derniers.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 4 décembre 2001, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que le requérant n’a ni utilisé ni épuisé les recours internes disponibles. Il soutient, en premier lieu, que le requérant peut exercer les voies de recours internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.

4.2L’État partie explique que, sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris à partir de l’étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de son choix de déposer ladite plainte ou demander à un avocat étranger de le faire avec le concours d’un confrère tunisien.

4.3Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d’instruction saisi de l’affaire entendra l’auteur de la plainte conformément à l’article 53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre des témoins, interroger des suspects, procéder à des constatations sur les lieux et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra également ordonner les expertises et accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et à décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront à la juridiction du jugement à fonder sa décision.

4.4L’État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie civile devant le juge d’instruction en cours d’information pour demander une réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de l’infraction dont il affirme être victime.

4.5Si le juge d’instruction estime que l’action publique n’est pas recevable, que les faits ne constituent pas une infraction ou qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre l’inculpé, il déclare par ordonnance qu’il n’y a pas lieu à poursuites. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit passible d’une peine d’emprisonnement, il renvoie l’inculpé devant le juge compétent, en l’occurrence la chambre d’accusation lors d’un crime. Toutes les ordonnances du juge d’instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au procès, y compris au plaignant qui s’est constitué partie civile. Après notification dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration écrite ou orale est reçu par le greffier de l’instruction. S’il y a des présomptions suffisantes de culpabilité, la chambre d’accusation renvoie l’inculpé devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal de première instance), en statuant sur tous les chefs d’inculpation résultant de la procédure. Elle peut également ordonner, s’il échet, un complément d’information par l’un de ses conseils ou par le juge d’instruction; voire même des poursuites nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n’ayant pas encore fait l’objet d’une instruction. Les décisions de la chambre d’accusation sont immédiatement exécutoires.

4.6Après notification, les décisions de la chambre d’accusation peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile. Ce pourvoi est recevable lorsque l’arrêt de la chambre d’accusation a dit qu’il n’y a pas lieu à poursuivre; a déclaré soit l’irrecevabilité de l’action de la partie civile, soit l’action publique prescrite; a prononcé l’incompétence de la juridiction saisie; ou a omis de statuer sur un chef d’inculpation.

4.7L’État partie souligne que, conformément à l’article 7 du Code de procédure pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction saisie de l’affaire (tribunal correctionnel ou chambre d’accusation près le tribunal de première instance) et, selon le cas, pourra interjeter appel, soit devant la cour d’appel si l’infraction poursuivie est un délit, soit devant la chambre criminelle près la cour d’appel s’il s’agit d’un crime. Le plaignant pourra également se pourvoir en cassation.

4.8L’État partie fait valoir, en second lieu, que les recours internes sont efficaces. Selon lui, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations sévères ont été infligées aux auteurs d’abus et violations de la loi. L’État partie affirme que, du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s’est prononcée sur 302 cas d’agents de la police ou de la garde nationale au titre de divers chefs d’accusation, dont 227 s’inscrivent dans le cadre de l’abus d’autorité. Les peines infligées varient de l’amende à l’emprisonnement durant plusieurs années.

4.9En troisième lieu, l’État partie affirme que les motivations «politiques et partisanes» du requérant ainsi que ses propos «insultants et diffamatoires» permettent de considérer que sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des communications.

4.10L’État partie explique que l’idéologie et le programme politique du «mouvement» dont le requérant était un membre actif se fondent exclusivement sur des principes religieux, épousant une vue extrémiste de la religion négatrice des droits démocratiques et des droits de la femme. Il s’agit d’un «mouvement» illégal prônant la haine religieuse et raciale et faisant usage de la violence. Selon l’État partie, ce «mouvement» s’est illustré par des attentats terroristes ayant causé des pertes humaines et matérielles durant la période 1990-1991. C’est pourquoi, et en raison du fait qu’il contrevient à la Constitution et à la loi sur les partis politiques, ce «mouvement» n’a pas été reconnu par les pouvoirs publics.

4.11L’État partie précise que le requérant émet des allégations infondées selon lesquelles «les autorités tunisiennes n’incriminent pas ces actes de torture...». Selon l’État partie, cette allégation est démentie par le fait que le législateur a, par la loi no 99-89 du 2 août 1999, modifiant et transposant certaines dispositions du Code pénal, transposé la définition de la torture telle qu’énoncée dans la Convention contre la torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Par lettre du 7 mai 2002, le requérant conteste l’argument de l’État partie sur sa prétendue absence de volonté de saisir la justice tunisienne afin d’user des voies de recours internes.

5.2Le requérant considère que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il rappelle, à cet égard, que la procédure d’appel de sa condamnation en 1995 s’est déroulée en 18 séances de juin 1995 à la fin mai 1996. Selon le requérant, ces délais ont résulté de la seule responsabilité des autorités, qui avaient à plusieurs reprises reporté l’examen de l’appel en raison de leur embarras à devoir condamner une personne, qui plus est un opposant politique, pour tentative de sortie illégale du territoire, une telle condamnation étant en soi préjudiciable à l’image du régime et ne permettant pas d’infliger de lourdes peines. Le requérant considère que ce retard pour une simple procédure d’appel démontre qu’un dépôt de plainte pour torture, si tant est qu’une telle plainte soit acceptée, aurait impliqué encore davantage de temps. Le requérant précise, en outre, qu’alors que son nom figurait dans divers rapports d’organisations non gouvernementales, notamment après sa condamnation de 1995, les autorités ont agi dans le sens d’une aggravation de ses conditions de détention (châtiments corporels et psychiques et transfert dans des prisons éloignées du domicile familial) et du harcèlement à l’encontre de sa famille soumise à davantage de contrôle. Le requérant cite également à l’appui de son argumentation le cas de M. Abderraouf Khémais Ben Sadok Laribi décédé dans les locaux de la police suite aux mauvais traitements subis. D’après le requérant, alors que la famille du défunt a déposé plainte, le 9 août 1991, contre le Ministre de l’intérieur pour homicide volontaire, et malgré la médiatisation de ce cas ayant conduit à une indemnisation matérielle de la famille, et à un entretien avec un conseiller du Président, le dossier a été clos sans réelle investigation et, depuis lors, avec une totale protection du régime à l’endroit du ministre de l’époque.

5.3Le requérant considère également que les procédures de recours ne lui donneraient pas satisfaction. Le requérant rappelle ses démarches entreprises, sans succès, en 1992 pour la demande d’une expertise médicale, et en 1995 auprès des autorités judiciaires afin d’obtenir une protection contre les sévices à son encontre. C’est pourquoi, il était alors paru improbable au requérant d’obtenir satisfaction devant les autorités judiciaires. Le requérant précise que son cas devant le juge ne représentait pas une exception et produit, à ce sujet, un extrait d’un rapport du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie. Le requérant soutient que l’appareil judiciaire n’est pas indépendant et ne lui a apporté aucune protection lors de ses deux condamnations en 1992 et 1995. Le requérant déclare être une victime de la «culture de la torture» en Tunisie et que le dépôt de sa plainte auprès du Comité contre la torture supposait de sa part un grand effort psychologique du fait de sa crainte de représailles à l’encontre de sa famille. Il ajoute, enfin, que malgré ses grèves de la faim afin de contester ses mauvais traitements, en dehors de quelques satisfactions matérielles, rien de plus n’a été obtenu. De même, ses quelques lettres adressées à l’administration générale des prisons suite à ses grèves n’ont donné aucune satisfaction au requérant. En outre, le passage des services pénitentiaires sous la tutelle du Ministère de la justice n’a apporté aucun changement à la complicité de ces services. Le requérant cite des extraits de rapports de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie à l’appui de son constat de non‑aboutissement des plaintes de torture et des pressions exercées par les autorités afin d’empêcher le dépôt de telles plaintes. Le requérant affirme, en outre, que dans le contexte du contrôle administratif auquel il était astreint et qui impliquait un contrôle permanent par huit autorités différentes accompagné d’actes d’intimidation, le dépôt d’une plainte l’aurait mis en danger.

5.4Le requérant conteste, en outre, l’argument de l’État partie sur la possibilité de charger un avocat tunisien de porter plainte à partir de l’étranger.

5.5Le requérant fait état des violations graves portées par les autorités à l’exercice libre et indépendant de la profession d’avocat. Selon le requérant, les avocats qui osent défendre des plaintes de torture sont victimes de harcèlements et autres atteintes, y compris des condamnations à des peines de prison. Le requérant cite, à titre d’exemple, les cas de Mes Néjib Hosni, Béchir Essid et Anouar Kosri ainsi que des extraits de rapports et de déclarations d’Amnesty International, de l’Observatoire mondial contre la torture (OMCT), de la FIDH et de la Commission internationale des juristes. Le requérant ajoute, toujours sur la foi de ces rapports non gouvernementaux, que les plaintes déposées par des victimes de torture depuis plusieurs années, particulièrement à la suite de la promulgation en 1988 de l’article 13 bis du Code de procédure pénale instituant la possibilité de la visite médicale, ont toutes été classées sans suite. Il précise également que, dans certains cas, des expertises médicales sont accordées après un long délai alors que les traces de sévices ont disparu, et qu’il arrive que des expertises soient faites par des médecins de complaisance qui ne relèveront aucune anomalie dans la condition physique des détenus même si des traces de torture peuvent être évidentes. Le requérant estime que, dans ces conditions, nommer un avocat n’aura pas une grande signification.

5.6Le requérant mentionne, par ailleurs, comme obstacle le fait que l’assistance judiciaire, non seulement n’est pas une pratique ancrée en Tunisie mais encore que son appréciation ne présente pas les garanties nécessaires.

5.7Le requérant souligne que le dépôt d’une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l’étranger est susceptible de tomber sous le coup de l’article 305, paragraphe 3, du Code de procédure pénale tunisien qui stipule que «peut être également poursuivi et jugé par les tribunaux tunisiens tout Tunisien qui commet, en dehors du territoire tunisien, l’une des infractions mentionnées à l’article 52 bis du Code pénal, alors même que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation de l’État où elles ont été commises». Le requérant considère qu’une plainte de sa part à partir de l’étranger pourrait être assimilée à une offense au régime, l’État partie l’ayant qualifié de terroriste.

5.8Le requérant explique, d’autre part, que sa situation de réfugié politique en Suisse ne lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des restrictions posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays. Le requérant explique que la cessation de toute relation avec le pays d’origine est l’une des conditions de l’octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important lors de l’appréciation de la révocation de l’asile. Selon le requérant, il peut en effet être mis fin à l’asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément de la protection de son pays d’origine, par exemple en entretenant des contacts étroits avec ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.

5.9Le requérant conteste également les explications de l’État partie quant à l’existence de recours disponibles. Il estime que l’État partie s’est contenté de réciter la procédure décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d’être appliquée dans la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Le requérant cite à l’appui de son constat des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de l’Organisation mondiale contre la torture, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en France et du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Il se réfère également aux observations finales sur la Tunisie du Comité contre la torture en date du 19 novembre 1998. Le requérant souligne que le Comité contre la torture a recommandé entre autres que l’État partie: 1) garantisse aux victimes de torture le droit de porter plainte sans crainte de faire l’objet de représailles, de harcèlement, de traitements brutaux ou de persécutions de toute nature, même si les résultats de l’enquête ne confirment pas leurs allégations, et de demander et d’obtenir réparation si ces allégations s’avèrent justes; 2) fasse en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations de violation et qu’une autopsie soit pratiquée dans tous les cas de décès en garde à vue; 3) fasse en sorte que les résultats de toutes les enquêtes concernant les cas de torture soient rendus publics et que ces informations comprennent le détail des infractions commises, le nom des auteurs, les dates, lieux et circonstances des incidents et les sanctions imposées aux coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu’une grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n’était pas respectée en pratique. Il s’est également déclaré préoccupé par le large fossé existant entre le droit et la pratique en ce qui concerne la protection des droits de l’homme et particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratique répandue de torture et d’autres traitements cruels et dégradants perpétrés par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées en garde à vue.

5.10Le requérant rappelle, en outre, le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire et des organes institués afin de contrôler l’application des lois. Le requérant souligne, enfin, que la réponse de l’État partie, dans le cas d’espèce, montre qu’aucune enquête interne n’a été entreprise sur les informations suffisamment précises apportées dans la présente requête.

5.11Le requérant conteste, d’autre part, l’argumentation de l’État partie sur l’efficacité des recours internes.

5.12Relativement aux 302 cas d’agents de police ou de la garde nationale ayant fait l’objet de décisions de justice selon l’État partie, le requérant soutient l’absence de preuve tangible de la véracité de ces cas non publiés et n’ayant pas été rendus publics; l’absence de pertinence des 277 cas évoqués par l’État partie au titre de l’abus d’autorité dans le cas d’espèce; ainsi que la référence par l’État partie à des cas ne portant pas atteinte à l’image de la Tunisie et donc ne couvrant aucun cas de traitement inhumain ou dégradant. Le requérant précise que les cas avancés par l’État partie se situent au cours de la période 1988-1995, et ont fait l’objet des observations finales du Comité contre la torture ci-dessus mentionnées.

5.13Enfin, le requérant estime que les commentaires de l’État partie sur son appartenance au mouvement ENNAHDA et à son encontre démontrent l’existence et la permanence d’une discrimination à l’encontre de l’opposition, toujours considérée comme illégale. Selon le requérant, par ses qualifications relatives au terrorisme dans le cas d’espèce, l’État partie prouve sa partialité et dès lors l’impossibilité d’introduire un recours en Tunisie. En outre, le requérant souligne que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est une garantie qui ne souffre d’aucune exception, y compris pour un terroriste.

5.14Finalement, au vu des explications précédentes, le requérant réfute le commentaire de l’État partie considérant la présente requête comme un abus du droit de soumettre des communications, argument que le requérant estime pertinent à l’endroit de l’État partie ayant décidé, dans le cas d’espèce, de se livrer à une manœuvre politique sans aucune pertinence juridique.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité de la requête

6.1Le 8 novembre 2002, l’État partie a contesté à nouveau la recevabilité de la requête. L’État partie soutient, en premier lieu, que les allégations du requérant relatives à la saisine de la justice tunisienne et à l’utilisation des voies de recours internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées par aucune preuve. L’État partie précise que les procédures de recours n’excèdent pas des délais raisonnables et que l’action publique relative aux allégations soulevées dans la requête n’est pas prescrite car le délai de prescription dans le cas d’espèce est de 10 ans. En second lieu, l’État partie estime que les allégations du requérant, selon lesquelles le dépôt d’une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l’étranger pourrait tomber sous le coup de l’article 305.3 du Code de procédure pénale permettant de poursuivre les auteurs d’actes terroristes, sont dépourvues de tout fondement. En troisième lieu, l’État partie affirme que contrairement aux allégations du requérant, celui-ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte depuis l’étranger. L’État partie ajoute que le statut de réfugié du requérant ne saurait le priver de son droit de porter plainte devant les juridictions tunisiennes. En quatrième lieu, l’État partie soutient que les recours internes devant les instances judiciaires tunisiennes sont non seulement possibles dans le cas d’espèce mais bel et bien efficaces tel qu’illustré par le fait que des victimes de violations en Tunisie ont obtenu satisfaction. Finalement, l’État partie précise que ses propos dans le cadre de sa réponse du 4 décembre 2001 ne visent pas à diffamer le requérant, lequel néanmoins fait un usage abusif du droit de soumettre des requêtes.

Décision du Comité sur la recevabilité

7.1À sa vingt-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, déclaré qu’elle était recevable.

7.2Relativement à la question de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que l’État partie contestait la recevabilité de la requête au motif que les recours internes disponibles et utiles n’avaient pas été épuisés. Dans le cas présent, le Comité a constaté que l’État partie avait fourni un descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant ainsi que des cas d’aboutissement de tels recours à l’endroit d’auteurs d’abus et de violations de la loi. Le Comité a considéré, néanmoins, que l’État partie n’avait pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les circonstances propres au cas du requérant qui se dit victime de violations de ses droits. Le Comité a précisé ne pas mettre en doute les informations de l’État partie sur l’existence de poursuites et de condamnations visant les membres des forces de l’ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu’il ne saurait perdre de vue dans le cas d’espèce que les faits datent de 1987, et que si la prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question de la prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou suspension du délai de prescription, information que l’État partie n’avait pas fournie. Le Comité a noté, en outre, que les allégations du requérant avaient trait à des faits anciens dénoncés publiquement auprès des autorités. Le Comité a indiqué ne pas avoir connaissance, à ce jour, d’enquêtes diligentées spontanément par l’État partie. En conséquence, le Comité a été d’avis que dans le cas présent il y avait très peu de chances que l’épuisement des recours internes donne satisfaction au requérant, et a décidé de faire application de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

7.3Le Comité a noté, en outre, l’argument de l’État partie faisant valoir que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes. Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul l’examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l’engagement politique et partisan du requérant contesté par l’État partie ne s’opposait pas à l’examen de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

Observations de l’État partie quant au fond de la communication

8.1Dans ses observations du 3 avril et du 25 septembre 2003, l’État partie conteste le bien‑fondé des allégations du requérant tout en réitérant sa position sur la recevabilité de la requête.

8.2Eu égard aux allégations se rapportant à la «complicité» et à l’inertie de l’État partie face aux «pratiques de torture», l’État partie explique avoir mis en place un dispositif préventif et dissuasif de lutte contre la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de la personne humaine.

8.3Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et «à l’impunité des auteurs de torture», l’État partie estime que le requérant n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses prétentions. L’État partie souligne que, contrairement aux allégations du requérant, il a pris toutes les mesures sur le plan de la loi et dans la pratique, au niveau des instances judiciaires et administratives, afin d’empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs, conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même, d’après l’État partie, le requérant n’a présenté aucun motif justifiant son inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives (voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l’État partie souligne que le requérant n’invoque pas seulement des «faits» remontant à 1987, mais des «faits» remontant aux années 1995, 1996 et 1997, c’est-à-dire au moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit interne tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend avoir fait l’objet lors de sa détention à «la prison centrale de Tunis» et à «la prison de Grombalia». Les délais de prescription ne sont donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l’intéressé, d’interrompre ces délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit en faisant des actes interruptifs. L’État partie fait également état des possibilités de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise par un agent public lors de l’exercice de son service, étant précisé que le délai de prescription est de 15 ans. L’État partie rappelle que les tribunaux tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.10).

8.4Eu égard aux allégations de non-respect des garanties de procédure judiciaire, l’État partie les considère comme non fondées. D’après l’État partie, les autorités n’ont pas privé le requérant de porter plainte devant la justice et, au contraire, le requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant «l’obligation» incombant au juge de ne pas tenir compte des déclarations faites sous la torture, l’État partie se réfère à l’article 15 de la Convention contre la torture, et estime qu’il appartient au prévenu de présenter au juge au moins un commencement de preuve pouvant attester qu’il a fait ses dépositions dans des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir la preuve de ses allégations, par la présentation d’un rapport médical ou d’une attestation prouvant qu’il aurait déposé une plainte auprès du ministère public, ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou de mauvais traitements. Or l’État partie explique que le requérant n’a pas cru utile de présenter de plainte, ni au cours de sa détention, ni lors de son procès, une telle démarche s’inscrivant dans une stratégie adoptée par le mouvement illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer les institutions tunisiennes en alléguant, de manière systématique, avoir fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.

8.5Concernant les allégations se rapportant aux aveux, l’État partie estime dépourvue de fondement l’affirmation du requérant d’avoir été condamné sur la base de ses aveux comme seuls éléments de preuve. L’État partie précise que le dernier alinéa de l’article 69 et de l’article 152 du Code de procédure pénale disposent que l’aveu de l’inculpé ne peut dispenser le juge de rechercher d’autres éléments de preuve et que l’aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges. Et sur cette base, la jurisprudence tunisienne en matière pénale considère constamment qu’il ne peut y avoir de condamnation uniquement sur la base des aveux. Dans le cas d’espèce, le tribunal s’est basé, outre les aveux que l’intéressé a faits tout au long de la procédure judiciaire, sur les témoignages de ses complices. L’État partie rejette également comme non fondée l’allégation du requérant selon laquelle il avait signé un procès‑verbal sans en connaître le contenu, ceci au motif que la loi exige la lecture du procès‑verbal au prévenu avant sa signature, ce qui fut d’après l’État partie le cas. Concernant les allégations du requérant sur son procès tantôt expéditif, tantôt long, l’État partie précise que la durée des procès est commandée par le respect du droit de la défense. En outre, afin d’éviter des manœuvres dilatoires de la part de l’avocat ou même du parquet pour le report d’audiences, l’État partie soutient que les décisions du juge sont toujours motivées, de même que celles de report des audiences relatives aux poursuites pénales contre le requérant.

8.6Eu égard aux allégations quant aux conditions carcérales et notamment à la comparaison des établissements pénitentiaires à des «centres de concentration», l’État partie les considère comme non fondées. S’agissant des mesures de transfert d’une prison à une autre, et considérées comme étant abusives par le requérant, l’État partie explique que le transfert, tel que régi par les textes en vigueur, est décidé en fonction des différentes phases du procès, du nombre des affaires et des instances judiciaires territorialement compétentes. Les prisons sont classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues à titre préventif; celles d’exécution pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté; et celles semi-ouvertes pour les personnes condamnées, pour cause de délit, habilitées au travail agricole. D’après l’État partie, ayant passé du statut de détenu à titre préventif à celui de détenu condamné à des peines privatives de liberté et compte tenu aussi des besoins d’investigation dans l’affaire qui le concernait ou encore dans d’autres affaires similaires, le requérant a été transféré d’une prison à l’autre, conformément à la réglementation en vigueur. En outre, et quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient conformes à la réglementation relative à l’organisation des prisons régissant les conditions de détention en vue d’assurer l’intégrité physique et morale du détenu. L’État partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement protégés en Tunisie, sans aucune distinction et quelle que soit la situation pénale, ceci dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes internationales et à la législation tunisienne. Une prise en charge médicale et psychosociale est assurée ainsi que la visite des membres de la famille.

8.7Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre le requérant sont dues aux pratiques de la torture, l’État partie soutient l’absence de lien de causalité. De plus, d’après l’État partie, contrairement aux allégations du requérant de refus de sa demande de contrôle médical (voir par. 2.15), ce dernier a bénéficié, tout au long de son séjour en prison, des soins appropriés et du suivi médical requis, tel que prévu par la réglementation des prisons.

8.8Concernant les allégations de privation de visites, d’après l’État partie, le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu régulièrement la visite de son frère Belhassen Abdelli, comme cela est établi par les registres des visites des prisons où le requérant a été incarcéré.

8.9Eu égard aux allégations se rapportant à l’article 11 de la Convention, l’État partie les rejette et fait valoir l’exercice d’une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées.

8.10Eu égard aux allégations quant au contrôle administratif et à la situation sociale de la famille de M. Abdelli, l’État partie explique que le contrôle administratif ne peut être assimilé à un mauvais traitement en vertu de la Convention contre la torture, puisqu’il s’agit d’une peine judiciaire complémentaire prévue par l’article 5 du Code pénal. D’après l’État partie, l’application de cette mesure n’a pas empêché le requérant de continuer à vivre normalement, et notamment de poursuivre des études suite à sa libération en 1994. Il est précisé que le fait que ces études n’aient pu être terminées ne peut constituer une preuve de prétendues restrictions imposées en vertu du contrôle administratif. D’après l’État partie, les allégations de pratiques abusives sont dénuées de fondement, et les convocations produites par le requérant ne constituent pas un mauvais traitement ou un abus de la procédure de contrôle administratif. En outre, l’État partie affirme que la convocation datant de 1998 constitue une preuve irréfutable du caractère mensonger des allégations du requérant. L’État partie soutient également que la famille du requérant ne fait l’objet d’aucune forme de harcèlement ou de restriction; que suite au décès de son époux, la mère de l’intéressé reçoit une pension, et que finalement la famille du requérant vit dans des conditions décentes.

Commentaires du requérant

9.1Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à chacun des points contenus dans les observations ci-dessus exposées de l’État partie.

9.2Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’État partie se limite à une énumération d’un arsenal de lois et de mesures d’ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui, nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l’appui de son constat un rapport de l’organisation non gouvernementale «Conseil national pour les libertés en Tunisie» (CNLT).

9.3S’agissant de la mise en place d’un référentiel législatif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’article 101 bis du Code de procédure pénale a été adopté tardivement en 1999, en particulier suite aux préoccupations du Comité contre la torture du fait que la formulation de l’article 101 du Code pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d’usage de la violence en cours d’interrogatoire. Le requérant affirme également que ce nouvel article n’a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie entre 1991 et 1998 établie par l’organisation non gouvernementale «Vérité-Action». Il précise également que les cas utilisés par l’État partie pour prouver sa volonté d’agir contre la torture ne portent que sur des accusations d’abus de pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit commun, et non pas sur les cas de torture ayant provoqué la mort et ceux concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.

9.4Concernant la pratique de la torture et l’impunité, le requérant maintient que l’impunité des tortionnaires subsiste, et qu’en particulier aucune enquête sérieuse n’a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture. Il estime que, dans son cas, l’État partie a opéré, dans ses observations, un choix sélectif des faits en passant de 1987 à 1996, alors que les violations les plus graves se sont déroulées en 1991. Par ailleurs, selon le requérant, alors qu’un état de droit doit donner suite, et d’office, à toute dénonciation d’acte pénal qualifiable de crime, les autorités tunisiennes se contentent d’accuser les victimes alléguées de terrorisme et de manipulation. Le requérant estime avoir rendu au moins vraisemblables ses allégations dans les détails (noms, lieux et traitements infligés) de la torture subie alors que l’État partie se contente de nier en bloc. Ce n’est pas pour leur appartenance aux forces de l’ordre que des tortionnaires ont été cités par le requérant, mais pour des violations concrètes et répétées dans le temps contre son intégrité physique et morale et sa vie privée et familiale. L’ouverture d’une enquête afin de vérifier si une personne appartenant aux forces de l’ordre a commis des actes de torture ou autre ne constitue pas une violation de la présomption d’innocence, mais une démarche juridique indispensable pour instruire un dossier et le soumettre, le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de le trancher. Relativement aux recours juridictionnels, le requérant estime que l’État partie se contente de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques offertes aux victimes contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre à la décision de recevabilité en son paragraphe 7.2, dernier alinéa. Le requérant réitère son argumentation sur l’inutilité des possibilités légales théoriques exposées par l’État partie, tout en exposant à l’appui de sa conclusion des cas dans lesquels on a fait fi des droits des victimes.

9.5Concernant l’inertie et l’inaction du requérant, le requérant estime que l’État partie se contredit en soutenant que les actes de torture sont qualifiés de crime en droit tunisien et donc poursuivis d’office, tout en attendant la dénonciation par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant souligne, à nouveau, ses démarches réelles pour exiger une expertise médicale et une enquête sur la torture subie.

9.6Concernant les allégations se rapportant au procès, le requérant estime que l’État partie passe sous silence les conditions du déroulement de son procès, et n’a entrepris aucune enquête afin de vérifier les déclarations de torture faites par le requérant devant le juge.

9.7Concernant les allégations se rapportant aux aveux, le requérant maintient avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports du CNLT, déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques et parfois les affaires de droit commun. Relativement à la durée des procès, le requérant précise que celui de 1992 fut expéditif car s’inscrivant alors dans une vague de procès visant à incarcérer un maximum de membres du mouvement ENNAHDA, alors que celui de 1995 fut long dans la mesure où les avocats ont insisté sur l’autorité de la chose jugée. Le requérant note également que l’État partie passe sous silence son arrestation, quelques mois après la grâce présidentielle de 1987.

9.8Concernant les conditions de détention, le requérant estime que l’État partie se réfugie derrière des textes de loi pour dénoncer ses informations circonstanciées. Il précise qu’il n’a jamais été question de transfert pour besoin d’investigation et il demande à l’État partie de prouver le contraire.

9.9Eu égard aux visites, le requérant explique qu’à chaque transfert, sa famille rencontrait des difficultés pour localiser le nouveau lieu de détention. Le requérant estime que le recours à la privation de visites constituait un moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu’il réclamait un droit et agissait à cet effet, notamment par des grèves de la faim. Le requérant précise que les registres d’entrées et de sorties des prisons peuvent prouver ses explications. En outre, la famille du requérant rencontrait des difficultés à exercer le droit de visite en raison des conditions de la visite (la mère du requérant étant maltraitée afin d’ôter son foulard et devait attendre de longues heures pour une visite de quelques minutes).

9.10Concernant les allégations se rapportant aux soins, le requérant porte l’attention du Comité sur le certificat médical produit dans son dossier. Relativement au traitement invoqué par l’État partie, le requérant demande la production de son dossier médical par l’État partie.

9.11S’agissant du contrôle administratif, le requérant estime que toute peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d’inhumaine et dégradante si l’objectif poursuivi n’est pas notamment sa réconciliation avec son environnement social. Or le requérant rappelle en particulier que la reprise de ses études s’est traduite par une aggravation du contrôle administratif telles l’obligation de se présenter deux fois par jour à la police, la surveillance pressante de la police universitaire et l’interdiction de contacts avec les étudiants. Concernant ses convocations, le requérant précise que les trois ans s’étant écoulés entre ses deux convocations de 1995 et 1998 correspondent à sa période d’emprisonnement suite à sa nouvelle arrestation en 1995. D’après le requérant, le contrôle administratif ne sert qu’à assurer la mainmise de la police sur le droit à la liberté de circulation de l’ex-détenu.

9.12Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance subie à travers le contrôle policier et l’intimidation sous diverses formes. Le requérant rappelle l’incarcération en vue de son arrestation de deux de ses frères (Nabil et Lofti) ainsi que la détention de sa mère durant toute une journée. De plus, selon le requérant, le choix délibéré des autorités de l’éloigner de sa famille a affecté le rythme des visites.

9.13Relativement à l’application de l’article 11 de la Convention, le requérant estime que l’État partie se contente, à nouveau, d’un exposé théorique de son arsenal juridique et d’une référence aux activités du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, institution non indépendante. Or, se référant à des documents d’organisations non gouvernementales, le requérant fait état des violations relativement au contrôle de la détention et de la garde à vue, telles la manipulation des dates de consignation des arrestations et la détention au secret. Le requérant constate que l’État partie ne répond pas à ses allégations précises de détention de plus d’un mois en 1987, de 56 jours en 1991 et de 18 jours en 1995.

9.14En ce qui concerne le mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation est, contrairement aux explications de l’État partie, connue pour ses idéaux démocratiques et son opposition à la dictature et à l’impunité. En outre, le requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par l’État partie et s’inscrivant en fait dans le cadre d’une affaire montée de toutes pièces.

9.15Finalement, selon le requérant, l’État partie tente de mettre l’entier fardeau de la preuve sur la victime accusée d’inertie et d’inaction, se cache derrière une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes de porter plainte, et se dérobe à son devoir de veiller à la poursuite d’office des crimes dont celui de torture. Selon le requérant, l’État partie néglige ainsi sciemment le fait que la jurisprudence et le droit internationaux en matière de torture insistent plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre l’aboutissement d’une procédure. Or le requérant constate que l’État partie porte la charge de la preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves à l’appui (dossiers de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.) sont uniquement détenus par l’État partie sans possibilité d’accès pour le requérant. Se référant à la jurisprudence européenne, le requérant rappelle que la Cour et la Commission européennes invitent les États parties, lors d’allégations de torture ou de mauvais traitements, à «mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements» et non à se contenter de citer l’arsenal théorique des voies ouvertes devant la victime pour se plaindre.

Examen quant au fond

10.1Le Comité a examiné la communication, compte dûment tenu de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

10.2Le Comité a pris note des observations de l’État partie du 3 avril 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que les éléments mis en avant par l’État partie ne sont pas susceptibles de permettre un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier, de l’absence d’information nouvelle ou supplémentaire de l’État partie quant à la question des enquêtes diligentées spontanément par l’État partie (voir par. 7.2). Le Comité estime donc ne pas devoir revenir sur sa décision de recevabilité.

10.3Le Comité passe donc à l’examen de la requête sur le fond et note que le requérant impute à l’État partie les violations des articles 1; 2, paragraphe 1; 4; 5; 11; 12; 13; 14; 15 et 16 de la Convention.

10.4Pour ce qui est de l’article 12 de la Convention, le Comité note qu’en vertu de cette disposition, les autorités ont l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une importance particulière.

10.5Le Comité constate que le requérant soutient s’être plaint d’actes de torture à son encontre devant le juge dans le cadre de ses procès en 1992 et en 1995. Le requérant précise avoir demandé en 1992 un contrôle médical, qui lui a été refusé, et, en 1995, la protection du juge de première instance de Tunis contre les sévices quotidiennement subis en prison. Le Comité note que l’État partie conteste l’affirmation du requérant de refus de contrôle médical sans pour autant se prononcer sur le traitement dénoncé par le requérant auprès du juge, ni fournir les résultats du suivi médical dont aurait bénéficié M. Abdelli lors de sa détention. Le Comité prend note également de l’absence de commentaires de l’État partie quant aux allégations précises ci‑dessus exposées pour l’année 1995. Enfin, le Comité constate l’existence d’informations détaillées et étayées du requérant faisant état de ses grèves de la faim en 1995 à la prison centrale de Tunis, et du 28 novembre au 13 décembre 1997 à la prison de Grombalia, ceci afin de bénéficier de soins médicaux et de contester les traitements subis. Le requérant fait, par ailleurs, état de lettres adressées à l’administration générale des prisons suite à ses grèves et n’ayant pas abouti. Le Comité constate que ces informations n’ont pas été commentées par l’État partie. Le Comité considère que l’ensemble de ces éléments aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n’a pas eu lieu, ceci contrairement à l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, faite à l’article 12 de la Convention.

10.6Le Comité note, en outre, que l’article 13 de la Convention n’exige pas qu’une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d’exercer l’action pénale; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci l’obligation de considérer cela comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention.

10.7Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant explique s’être effectivement plaint des traitements à son encontre auprès de magistrats en 1992 et 1995, avoir eu recours aux grèves de la faim et avoir adressé des lettres à ce sujet aux autorités chargées des prisons afin de se plaindre de la condition qui lui était faite. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas répondu ou apporté les clarifications nécessaires sur ces points. De plus, et contrairement à la jurisprudence au titre de l’article 13 de la Convention, le Comité note la position de l’État partie soutenant que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de recours internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation soit d’une attestation prouvant le dépôt d’une plainte auprès du ministère public, soit de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal, soit d’un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter son attention, il ressort que, d’un côté, le requérant soutient s’être vu refuser sa demande de contrôle médical en 1992 et que, de l’autre, l’État partie conteste cette allégation au motif que le requérant a bénéficié tout au long de son séjour en prison des soins appropriés et du suivi médical requis, tel que prévu par la réglementation des prisons. Le Comité constate qu’il s’agit de la part de l’État partie d’une réponse catégorique et générale qui ne recouvre pas nécessairement l’affirmation précise du requérant quant à sa demande de contrôle médical auprès du juge en 1992. Finalement, le Comité renvoie à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, lors duquel il avait recommandé à l’État partie de faire en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations d’abus.

10.8Eu égard à sa pratique concernant l’article 13 et à la lumière des constatations ci-dessus, le Comité estime que les manquements qui viennent d’être exposés sont incompatibles avec l’obligation faite à l’article 13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.

10.9Enfin, le Comité estime qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour se prononcer sur les griefs de violation d’autres dispositions de la Convention à la date de l’adoption de la présente décision.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

12.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant, et à informer le Comité, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.

Communication n o 189/2001

Présentée par:

Bouabdallah Ltaief (représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité‑Action)

Au nom du:

Requérant

État partie:

Tunisie

Date de la requête:

30 juin 2000

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 189/2001 présentée par M. Bouabdallah Ltaief en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.Le requérant est M. Bouabdallah Ltaief, ressortissant tunisien, né le 2 juin 1967 à Gabès (Tunisie), résidant en Suisse depuis le 18 mars 1999 où il bénéficie du statut de réfugié. Il affirme avoir été victime de violations par la Tunisie des dispositions de l’article premier de la Convention, du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16. Il est représenté par l’organisation non gouvernementale Vérité-Action.

1.2La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant déclare avoir été un membre actif de l’organisation islamique ENNAHDA (ex‑MTI). En juillet 1987, il a été arrêté alors qu’il faisait du camping avec des scouts. Il précise qu’il a demandé aux agents de la sûreté s’ils intervenaient sur la base d’une autorisation judiciaire, mais qu’il a été finalement contraint de se taire sous la menace des armes. Au cours de son interrogatoire, il aurait été privé de nourriture et de sommeil et intimidé en assistant à des scènes de torture. Le requérant précise que sa famille, malgré des demandes auprès de la police locale, n’a pu connaître le lieu de sa détention, et son père a en outre été détenu toute une journée en raison de ses démarches.

2.2Lors de sa détention dans les locaux du Ministère de l’intérieur, dans la caserne de la Garde nationale à Bouchoucha et au siège du Département de police du Gouvernorat de Gabès, le requérant déclare avoir subi huit séances de torture dont il donne un descriptif détaillé.

2.3Le requérant fait état de ce qu’on appelle communément la position du «poulet rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer placée derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables) accompagnée de coups, en particulier sur la plante des pieds. Il précise que ses tortionnaires soufflaient de la fumée de cigarette sur son visage afin de l’étouffer.

2.4Le requérant déclare avoir également été victime de la pratique de la «position à l’envers» (nue, mains liées dans le dos, la victime est suspendue au plafond par une corde attachée à un seul pied ou aux deux à la fois, la tête placée en bas) accompagnée de coups de pied, de bâton et de cravache jusqu’à l’évanouissement. Le requérant ajoute que ses tortionnaires lui ont attaché le pénis à un fil qu’ils tiraient, par coups successifs, comme pour lui arracher le pénis.

2.5Le requérant affirme qu’il a été soumis à «falka» (les tortionnaires frappent sur la plante des pieds attachés à une barre et soulevés).

2.6Le requérant affirme, d’autre part, avoir subi la torture de la «chaise» (nue, attachée à une chaise, les mains à l’arrière, la victime est battue sur le visage, la poitrine et le ventre). Ses tortionnaires essuyaient son sang à l’aide de papiers qu’ils enfouissaient, ensuite, dans sa bouche afin de taire ses cris.

2.7Le requérant était, par ailleurs, empêché de dormir et privé de toilettes et de douche.

2.8D’après le requérant, suite à ces tortures et mauvais traitements, il a été par deux fois conduit en urgence à l’hôpital de Gabès, mais n’a pu recevoir de visites ni contacter sa famille et son avocat.

2.9Dans ces conditions, le requérant déclare avoir été contraint à des aveux, et avoir été placé, au début du mois de septembre 1987, à la Prison du 9 avril dans une cellule individuelle, sans possibilité de contacts extérieurs.

2.10Le requérant a alors été présenté au juge d’instruction en la présence, pour la première fois, de ses avocats. Le juge d’instruction s’est cependant opposé à tout échange d’informations entre le requérant et ses avocats, a refusé de donner la parole aux avocats, a dicté à sa secrétaire les accusations à l’encontre du requérant, mais s’est heurté au refus de signature du procès‑verbal de la séance par le requérant et ses défenseurs.

2.11Le procès du requérant a, par la suite, été instruit devant la Cour de sûreté de l’État durant un mois, et selon le requérant, a fait l’unanimité de la presse internationale sur son caractère inique. Le requérant précise que préalablement au procès, le Directeur de la sûreté de l’État, Moncef Ben Gbila, a tenté sans succès de le convaincre de produire de faux témoignages sur d’autres détenus, notamment des responsables de ENNAHDA, en contrepartie de sa libération. Lors du procès, selon le requérant, le juge de la Cour de sûreté de l’État, Hechmi Zemmal, l’a contraint à répondre de manière succincte au détriment de ses droits à la défense. De plus, lors de la confrontation du requérant avec un témoin présumé avoir été victime d’un acte de violence de sa part, ce dernier a, selon le requérant, déclaré à plusieurs reprises que le requérant n’était pas la personne en question. Alors que les avocats de la défense ont demandé l’acquittement pour absence de preuves, le juge a retenu que le témoin était sous le choc de sa confrontation, une nouvelle fois, avec son agresseur, et a condamné, le 27 septembre 1987, le requérant à une peine de 10 ans de prison ferme et de travaux forcés et à un contrôle administratif de 10 ans.

2.12Le requérant souligne qu’à l’instar des victimes de torture, son instruction et son procès ne lui ont pas permis d’exprimer son expérience vécue de la torture ni d’en dénoncer les responsables. D’après le requérant, les juges interviennent brutalement afin d’interdire de parler de ce sujet, même à l’endroit des avocats, et la crainte d’être soumis à nouveau à la torture, au cas où le détenu invoque ce problème devant le juge, joue un rôle moteur dans la systématique d’intimidation.

2.13Le requérant a fait ensuite l’objet de plusieurs transferts dans et entre les établissements pénitentiaires du pays (prison de Borj Erroumi à Bizerte, de 1987 à 1992, détention en isolement avec trois prisonniers politiques (Fethi Jebrane, Mohamed Charrada et Faouzi Sarraj); de 1992 à 1993, transfert dans une cellule de droit commun; de 1993 à 1994, isolement total dans une petite cellule; et de 1994 à 1996, détention avec deux responsables de ENNAHDA, Habib Ellouz et Ajmi Lourimi; puis transfert à la prison d’El Kef et à la prison centrale de Tunis de 1996 à 1997).

2.14Le requérant déclare que les conditions de vie matérielle et le traitement réservé aux prisonniers par l’administration pénitentiaire ont fait de son emprisonnement une souffrance insoutenable. Il fait état du surpeuplement carcéral, de la saleté, des maladies contagieuses et du manque de soins. Selon lui, les cachots de la prison de Borj Erroumi étaient très exigus, sombres, non équipés en eau et en WC, et avec un taux élevé d’humidité; sa nourriture se limitait à un morceau de pain par jour et il était contraint de porter des habits sales et infectés de poux. Il insiste sur le traitement discriminatoire appliqué aux prisonniers politiques, ceci dans le cadre d’une politique de destruction physique et psychique. À l’appui de cette affirmation, le requérant explique qu’il a été interdit à plusieurs reprises de contacts et de prière commune. Il ajoute qu’il a été privé de soins malgré ses demandes successives, ses menaces de grève de la faim et son refus de sortir dans la cour de la prison. Selon le requérant, les visites de sa famille étaient restreintes à 10 minutes et les femmes étaient contraintes de quitter leur voile. Le requérant ajoute que dans le cachot no 2 de la prison de Borj Erroumi, il a été attaché, complètement nu, par les mains et les pieds à un lit durant trois jours. Le requérant déclare avoir subi à nouveau cette punition durant six jours, suite à sa demande de soins pour ses douleurs rénales. En outre, les agents de garde le giflaient et le frappaient de coups de poing et de pied. D’après le requérant, en février 1994, le directeur de la prison l’a violemment battu alors qu’il poursuivait une grève de la faim, était enchaîné, et lui a ainsi fracturé le bras droit. Au retour du requérant de l’hôpital, le directeur de la prison a ordonné son placement à nouveau en cellule de punition où il a été enchaîné durant huit jours sans habit et couverture, aggravant ainsi ses douleurs rénales. À la prison d’El Kef, placé durant 10 jours en cellule punitive, le requérant ne disposait d’une couverture que de 22 heures à 6 heures du matin malgré le froid de cette ville, de sorte qu’il ne parvenait plus à marcher lors des trois derniers jours. Enfin, quelques jours avant sa libération, le requérant a été placé dans une cellule de 3,5 m sur 2 m avec 24 autres prisonniers à la prison centrale de Tunis. Selon le requérant, la toute petite fenêtre située en haut de la cellule rendait la respiration difficile et le surpeuplement était tel que les détenus ne parvenaient pas à s’asseoir.

2.15Le requérant explique qu’afin d’atténuer ses supplices (dont l’isolement punitif, pour des durées s’étalant de trois jours à un mois et 13 jours), il a dû recourir à la grève de la faim au moins à 15 reprises, et pour des durées de cinq à 28 jours.

2.16Le jour de sa libération, le 24 juillet 1997, le requérant a été conduit au centre de détention de Bouchoucha où il a été interrogé sur ses projets d’avenir en tant que militant et sur ses codétenus. Selon le requérant, cette entrevue a été suivie d’une séance de harcèlement psychique et de menaces. Le requérant déclare avoir été libéré à 16 heures avec pour obligation de se présenter à la police locale dès son arrivée dans sa région (Gabès). Le requérant y a alors été soumis à un interrogatoire d’une durée de quatre heures. Il lui a été ordonné de se présenter deux fois par semaine au Département régional de la police et quotidiennement au poste de la police locale. D’après le requérant, ce contrôle administratif s’accompagnait de contrôles policiers, y compris nocturnes, à l’endroit de sa personne et de sa famille, de la privation du droit de travailler et d’étudier, et pour son père et son frère, respectivement, du refus de délivrance d’un passeport et de sa confiscation. Le requérant devait, en outre, obtenir l’autorisation de la police locale pour tout déplacement en dehors de sa zone de domicile, demande qui s’accompagnait d’un interrogatoire sur ses proches et sur ses rencontres. Le requérant ajoute avoir été arrêté durant 48 heures, en novembre 1998, lors de la visite du Président Ben Ali au Gouvernorat de Gabès. Le requérant affirme que tout contact avec les habitants du quartier l’exposait, ainsi que ses interlocuteurs, à des interrogatoires.

2.17De par cette situation, le requérant explique avoir alors fui la Tunisie pour la Suisse où il a obtenu le statut de réfugié.

2.18Le requérant a fourni une liste des personnes ayant pratiqué la torture et des mauvais traitements à son encontre.

2.19Le requérant fait état des séquelles résultant de la torture et des mauvais traitements à son encontre, à savoir, en 1988, une opération chirurgicale afin d’extraire une substance à base de graisse s’étant développée à l’arrière de la tête en raison des secousses violentes administrées sous la torture; des traces de cigarettes éteintes sur ses pieds; des douleurs rénales liées aux conditions d’isolement, et des problèmes psychiques (le requérant produit un certificat médical attestant une affection neuropsychiatrique et le suivi de traitements médicamenteux et psychothérapeutiques dans un centre psychiatrique suisse).

2.20Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le requérant fait valoir que de tels recours en Tunisie, bien que consacrés par le droit, sont impossibles dans la pratique du fait de la partialité des juges et de l’impunité accordée aux auteurs de violations. Le requérant ajoute que les organes ayant un rôle dans la défense des droits de l’homme, tels le Comité supérieur pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales et le Conseil constitutionnel, sont de par leur statut incapables de soutenir des plaintes de torture. Le requérant cite à l’appui de son argumentation des rapports d’organisations non gouvernementales telles qu’Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et Human Rights Watch.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:

Article premier. Les pratiques ci-dessus exposées («falka», position du «poulet rôti», «position à l’envers», «chaise», etc.) dont le requérant a été victime constituent des actes de torture.

Article 2, paragraphe 1. Non seulement l’État partie n’aurait pas pris des mesures efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.

Article 4. L’État partie n’aurait pas érigé en infractions pénales tous les actes de torture dont le requérant a été victime.

Article 5. L’État partie n’aurait pas engagé de poursuites à l’encontre des tortionnaires du requérant.

Article 11. Les autorités n’auraient pas usé de leur pouvoir de surveillance pour empêcher la torture, cette dernière étant au contraire prescrite par des instructions à cet effet.

Article 12. L’État partie n’aurait pas diligenté une enquête sur les actes de torture commis à l’encontre du requérant.

Article 13. L’État partie n’aurait pas garanti, dans les faits, le droit du requérant de porter plainte devant les autorités compétentes.

Article 14. L’État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte, et l’aurait ainsi privé de son droit à réparation et réadaptation.

Article 15. Le requérant aurait été condamné le 27 septembre 1987 à une peine de prison sur la base d’aveux obtenus sous la torture.

Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (isolement, violation du droit aux soins médicaux, à la correspondance, restriction des visites de proches, etc.) utilisées par l’État partie à l’encontre du requérant constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

3.2Le requérant se plaint également des atteintes portées à sa liberté de mouvement et à son droit au travail lors des mesures de contrôle administratif ainsi qu’à son droit de poursuivre des études.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Le 4 décembre 2001, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que le requérant n’avait ni utilisé ni épuisé les recours internes disponibles.

4.2L’État partie signale que le requérant est un activiste notoire du mouvement extrémiste illégal ENNAHDA prônant la haine religieuse et raciale et pratiquant la violence. L’État partie précise que le requérant a été condamné le 27 septembre 1987, par la Cour de sûreté de l’État, à 10 ans de prison ferme et travaux forcés pour avoir perpétré un attentat terroriste à l’encontre de Ali Bouhlila, en versant, le 21 mars 1987, de l’acide sulfurique sur son visage et son abdomen. Selon l’État partie, le requérant a également été reconnu coupable, dans ce même procès, de complicité dans d’autres actes terroristes.

4.3L’État partie soutient que le requérant peut exercer les voies de recours internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.

4.4L’État partie explique que sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris à partir de l’étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de son choix de déposer ladite plainte, ou demander à un avocat étranger de le faire avec le concours d’un confrère tunisien.

4.5Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d’instruction saisi de l’affaire entendra l’auteur de la plainte conformément à l’article 53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre les témoins, interroger les suspects, procéder à des constatations sur les lieux et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra également ordonner les expertises et accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et à décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront à la juridiction du jugement à fonder sa décision.

4.6L’État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie civile devant le juge d’instruction en cours d’information pour demander une réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de l’infraction dont il a été victime.

4.7Si le juge d’instruction estime que l’action publique n’est pas recevable, que les faits ne constituent pas une infraction ou qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre l’inculpé, il déclare par ordonnance qu’il n’y a pas lieu à poursuites. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit passible d’une peine d’emprisonnement, il renvoie l’inculpé devant le juge compétent, en l’occurrence la chambre d’accusation lors d’un crime. Toutes les ordonnances du juge d’instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au procès, y compris au plaignant qui s’est constitué partie civile. Après notification dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration écrite ou orale est reçu par le greffier de l’instruction. S’il y a des présomptions suffisantes de culpabilité, la chambre d’accusation renvoie l’inculpé devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal de première instance), en statuant sur tous les chefs d’inculpation résultant de la procédure. Elle peut également ordonner, s’il échet, un complément d’information par l’un de ses conseils ou par le juge d’instruction, voire même des poursuites nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n’ayant pas encore fait l’objet d’une instruction. Les décisions de la chambre d’accusation sont immédiatement exécutoires.

4.8Après notification, les décisions de la chambre d’accusation peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile. Ce pourvoi est recevable lorsque l’arrêt de la chambre d’accusation a dit qu’il n’y a pas lieu à poursuivre, a déclaré soit l’irrecevabilité de l’action de la partie civile, soit l’action publique prescrite, a prononcé l’incompétence de la juridiction saisie, ou a omis de statuer sur un chef d’inculpation.

4.9L’État partie souligne que, conformément à l’article 7 du Code de procédure pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction saisie de l’affaire (tribunal correctionnel ou chambre d’accusation près le tribunal de première instance) et, selon le cas, pourra interjeter appel, soit devant la cour d’appel si l’infraction poursuivie est un délit, soit devant la chambre criminelle près la cour d’appel s’il s’agit d’un crime. Le plaignant pourra également se pourvoir en cassation.

4.10L’État partie fait valoir, en second lieu, que les recours internes sont efficaces.

4.11Selon l’État partie, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations sévères ont été infligées aux auteurs des abus et violations de la loi. L’État partie affirme que du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s’est prononcée sur 302 cas d’agents de la police ou de la Garde nationale au titre de divers chefs d’accusation, dont 227 s’inscrivent dans le cadre de l’abus d’autorité. Les peines infligées varient de l’amende à l’emprisonnement pour plusieurs années.

4.12L’État partie affirme que les motivations politiques et partisanes du requérant ainsi que ses propos insultants et diffamatoires permettent de considérer que sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des communications.

4.13L’État partie explique que le mouvement extrémiste, dont le requérant est un membre actif, s’est illustré par plusieurs actes terroristes, dont un attentat dans un hôtel à Monastir, en août 1987, ayant causé l’amputation des deux jambes d’un touriste britannique. Ce «mouvement» n’est, en outre, pas reconnu au regard de la législation tunisienne en vigueur.

4.14L’État partie précise que les affirmations du requérant mettent en évidence ses buts politiques et confirment le caractère partisan et orienté de ses allégations. Il en est ainsi, selon l’État partie, lorsque le requérant affirme que, dans un État où le peuple n’a pas le droit de s’exprimer sur les grands choix de la vie publique, la légalité est de facto amoindrie par l’absence de moyens de contrôle démocratique. L’État partie estime, en outre, que la communication contient des propos diffamatoires et insultants à l’égard des institutions de l’État tunisien telle l’affirmation du requérant selon laquelle toute l’administration est au service de la machine policière qui fait de l’État un outil efficace de torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 juin 2002, le requérant a contesté l’argument de l’État partie sur son prétendu refus de saisir la justice tunisienne afin d’user des voies de recours internes. Il rappelle à titre introductif ses démarches entreprises, sans succès, afin de saisir les autorités judiciaires et pénitentiaires de ses plaintes de mauvais traitements, ayant résulté en une aggravation de sa situation, source de peur et de retenue. Le requérant mentionne, à nouveau, les contraintes insurmontables subies sous le régime du contrôle administratif, lequel représentait également un risque certain de représailles en cas de plainte du requérant.

5.2Le requérant considère que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il précise, à cet égard, qu’il avait fait part, en vain, au juge des tortures pratiquées à son encontre afin que ce dernier engage les mesures indispensables pour déterminer les responsabilités en ce domaine. Il ajoute que, depuis plusieurs décennies, des plaintes déposées pour des cas de décès intervenus suite à des tortures n’ont trouvé aucune réponse tandis que les tortionnaires continuent à jouir de la protection de l’État.

5.3Le requérant estime également que les procédures de recours ne donneraient pas satisfaction. Le requérant affirme qu’il s’était plaint du traitement infligé à sa personne devant le juge, et avait demandé, à cet égard, une expertise médicale, mais en vain. C’est pourquoi, il était alors paru improbable au requérant d’obtenir satisfaction devant les autorités judiciaires. Le requérant précise que son cas devant le juge ne représentait pas une exception et il produit, à ce sujet, un extrait d’un rapport du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie. Le requérant soutient que l’appareil judiciaire n’est pas indépendant et ne lui a apporté aucune protection lors de sa condamnation. Le requérant cite également des extraits de rapports de la FIDH et du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie à l’appui de son constat de non-aboutissement des plaintes de torture et des pressions exercées par les autorités afin d’empêcher le dépôt de telles plaintes. Le requérant affirme, en outre, que le contrôle administratif, auquel il était astreint et qui impliquait un contrôle permanent auprès de différentes autorités accompagné d’actes d’intimidations, ne constituait pas une condition encourageante pour le dépôt d’une plainte.

5.4Le requérant conteste, en outre, l’argument de l’État partie sur la possibilité de charger un avocat tunisien afin de porter plainte à partir de l’étranger.

5.5Le requérant fait état des violations graves portées par les autorités à l’exercice libre et indépendant de la profession d’avocat. Selon le requérant, les avocats qui osent défendre des plaintes de torture sont victimes de harcèlements et autres atteintes, y compris des condamnations à des peines de prison. Le requérant cite, à titre d’exemple, les cas de Mes Néjib Hosni, Béchir Essid et Anouar Kosri ainsi que des extraits de rapports et de déclarations d’Amnesty International, de l’OMCT, de la FIDH et de la Commission internationale des juristes. Le requérant ajoute, toujours sur la base de ces rapports non gouvernementaux, que les plaintes déposées par des victimes de torture depuis plusieurs années, particulièrement à la suite de la promulgation en 1988 de l’article 13 bis du Code de procédure pénale instituant la possibilité de la visite médicale, ont toutes été classées sans suite. Il est également précisé que, dans certains cas, des expertises médicales ont été accordées après un long délai alors que les traces de sévices avaient disparu; et qu’il arrive que des expertises soient faites par des médecins de complaisance qui ne relèveront aucune anomalie dans la condition physique des détenus même si des traces de torture peuvent être évidentes. Le requérant estime que, dans ces conditions, nommer un avocat n’aura pas une grande signification. Le requérant souligne, par ailleurs, que le dépôt d’une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l’extérieur est susceptible de tomber sous le coup de l’article 305, paragraphe 3, du Code de procédure pénale tunisien, qui stipule que «peut être également poursuivi et jugé par les tribunaux tunisiens, tout Tunisien qui commet en dehors du territoire tunisien l’une des infractions mentionnées à l’article 52 bis du Code pénal, alors même que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation de l’État où elles ont été commises». Le requérant considère qu’une plainte de sa part à partir de l’étranger pourrait être assimilée à une offense au régime, l’État partie ayant qualifié le requérant de terroriste. Enfin, le requérant explique que sa situation de demandeur d’asile, puis de réfugié politique en Suisse, ne lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des restrictions posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays. Il explique que la cessation de toute relation avec le pays d’origine est l’une des conditions de l’octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important lors de l’appréciation de la révocation de l’asile. Selon le requérant, il peut en effet être mis fin à l’asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément de la protection de son pays d’origine, par exemple en entretenant des contacts étroits avec ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.

5.6Le requérant conteste les explications de l’État partie quant à l’existence de recours disponibles.

5.7Le requérant estime que l’État partie s’est contenté de réciter la procédure décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d’être appliquée dans la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Il cite à l’appui de son constat des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de l’Organisation mondiale contre la torture, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en France, et du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Le requérant se réfère également aux observations finales sur la Tunisie du Comité contre la torture en date du 19 novembre 1998. Il souligne que le Comité contre latorturea recommandé entre autres que l’État partie: 1) garantisse aux victimes de torture le droit de porter plainte sans crainte de faire l’objet de représailles, de harcèlement, de traitements brutaux ou de persécutions de toute nature, même si les résultats de l’enquête ne confirment pas leurs allégations, et de demander et d’obtenir réparation si ces allégations s’avèrent justes; 2) fasse en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations de violation et qu’une autopsie soit pratiquée dans tous les cas de décès en garde à vue; 3) fasse en sorte que les résultats de toutes les enquêtes concernant les cas de torture soient rendus publics et que ces informations comprennent le détail des infractions commises, le nom des auteurs, les dates, lieux et circonstances des incidents et les sanctions imposées aux coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu’une grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n’était pas respectée en pratique. Il s’est également déclaré préoccupé par le large fossé existant entre le droit et la pratique en ce qui concerne la protection des droits de l’homme et particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratique répandue de la torture et d’autres traitements cruels et dégradants perpétrés par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées en garde à vue.Le requérant rappelle, en outre, le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire et des organes institués afin de contrôler l’application des lois. Le requérant souligne, enfin, que la réponse de l’État partie, dans le cas d’espèce, montre qu’aucune enquête interne n’a été entreprise sur les informations suffisamment précises apportées dans la présente requête.

5.8Le requérant conteste l’argumentation de l’État partie sur l’efficacité des recours internes.

5.9Relativement aux 302 cas d’agents de police ou de la Garde nationale ayant fait l’objet de décisions de justice d’après l’État partie, le requérant soutient l’absence de preuve tangible de la véracité de ces cas non publiés et n’ayant pas été rendus publics; l’absence de pertinence des 277 cas évoqués par l’État partie au titre de l’abus d’autorité dans le cas d’espèce; ainsi que la référence par l’État partie à des cas ne portant pas atteinte à l’image de la Tunisie et donc ne couvrant aucun cas de traitement inhumain ou dégradant. Le requérant précise que les cas avancés par l’État partie se situent au cours de la période 1988‑1995, et ont fait l’objet des observations finales du Comité contre la torture ci-dessus mentionnées. Enfin, se fondant sur des extraits de rapports en particulier du Comité national pour les libertés en Tunisie et d’Amnesty International, le requérant souligne l’immunité dont jouissent les fonctionnaires impliqués dans des actes de torture, voire même les promotions accordées à certains. Le requérant ajoute que la Tunisie a fourni son soutien à l’endroit de responsables tunisiens afin qu’ils échappent à des mandats d’arrêt à leur encontre délivrés à l’étranger sur la base de plaintes de victimes de torture.

5.10Enfin, le requérant rejette le commentaire de l’État partie considérant la présente requête comme un abus de droit. Selon le requérant, par ses qualifications relatives à l’engagement politique et au terrorisme dans le cas d’espèce, l’État partie prouve sa partialité et dès lors l’impossibilité d’introduire un recours en Tunisie. En outre, le requérant souligne que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est une garantie qui ne souffre d’aucune exception, y compris pour un terroriste. Le requérant estime que l’État partie se livre, dans sa réponse à la présente requête, à une manœuvre politique sans aucune pertinence juridique et constituant un abus de droit.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité de la requête

6.1En date du 8 novembre 2002, l’État partie a contesté de nouveau la recevabilité de la requête. Il soutient que les affirmations du requérant relatives à la saisine de la justice tunisienne et à l’utilisation des voies de recours internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées par aucune preuve. Il affirme que les procédures de recours n’excèdent pas des délais raisonnables et que l’action publique relative aux allégations soulevées dans la requête n’est pas prescrite car le délai de prescription dans le cas d’espèce est de 10 ans. L’État partie précise que contrairement aux allégations du requérant, celui‑ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte depuis l’étranger. L’État partie ajoute que les allégations du requérant selon lesquelles le dépôt d’une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l’étranger pourrait tomber sous le coup de l’article 305, paragraphe 3, du Code de procédure pénale permettant de poursuivre les auteurs d’actes terroristes sont dépourvues de tout fondement. L’État partie soutient que les recours internes devant les instances judiciaires tunisiennes sont non seulement possibles dans le cas d’espèce mais bel et bien efficaces tels qu’illustrés par le fait que des victimes de violations en Tunisie ont obtenu satisfaction. En quatrième lieu, l’État partie considère que le requérant fait un usage abusif du droit de soumettre des requêtes en cherchant à déformer et à dénaturer les arguments avancés dans la réponse de l’État partie du 4 décembre 2001.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa vingt‑neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, il a déclaré qu’elle était recevable.

7.2Relativement à la question de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que l’État partie contestait la recevabilité de la requête au motif que les recours internes disponibles et utiles n’avaient pas été épuisés. Dans le cas d’espèce, le Comité a constaté que l’État partie avait fourni un descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant ainsi que des cas d’aboutissement de tels recours à l’endroit d’auteurs d’abus et de violations de la loi. Le Comité a considéré néanmoins que l’État partie n’avait pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les circonstances propres au cas du requérant, qui se dit victime de violations de ses droits. Le Comité a précisé qu’il ne mettait pas en doute les informations de l’État partie sur l’existence de poursuites et de condamnations visant les membres des forces de l’ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu’il ne saurait perdre de vue dans le cas d’espèce que les faits datent de 1987 et que, si la prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question de la prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou suspension du délai de prescription, information que l’État partie n’avait pas fournie. Le Comité a noté en outreque les allégations du requérant avaient trait à des faits anciens dénoncés auprès des autorités. Le Comité a indiqué ne pas avoir connaissance, à ce jour, d’enquêtes diligentées spontanément par l’État partie. En conséquence, il était d’avis que, dans le cas présent, il y avait très peu de chances que l’épuisement des recours internes donne satisfaction au requérant, et il a décidé de faire application de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

7.3Le Comité a pris note en outre de l’argument de l’État partie faisant valoir que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes. Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul l’examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l’engagement politique et partisan du requérant contesté par l’État partie ne s’opposait pas à l’examen de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

7.4Enfin, le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie quant au fond de la communication

8.1Dans ses observations en date du 3 avril 2003 et du 25 septembre 2003, l’État partie conteste le bien‑fondé des allégations du requérant et réitère sa position sur l’irrecevabilité de la requête.

8.2Au sujet des allégations se rapportant à la «complicité» et à l’inertie de l’État partie face aux «pratiques de torture», l’État partie explique qu’il a mis en place un dispositif préventif et dissuasif de lutte contre la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de la personne humaine.

8.3Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et «à l’impunité des auteurs de torture», l’État partie estime que le requérant n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses prétentions. Il souligne que, contrairement aux allégations du requérant, la Tunisie a pris toutes les mesures sur le plan de la loi et dans la pratique, au niveau des instances judiciaires et administratives, afin d’empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs, conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même, d’après l’État partie, le requérant n’a présenté aucun motif justifiant son inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives (voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l’État partie souligne que le requérant n’invoque pas seulement des «faits» remontant à 1987, mais des «faits» remontant aux années 1994, 1996 et 1997, c’est-à-dire au moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit interne tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend avoir fait l’objet lors de sa détention à «la prison de Borj Erroumi», à la prison d’El Kef et à la prison de Tunis. Les délais de prescription ne sont donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l’intéressé, d’interrompre ces délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit en faisant des actes interruptifs. L’État partie fait également état des possibilités de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise par un agent public lors de l’exercice de son service, étant précisé que le délai de prescription est de 15 ans. L’État partie rappelle que les tribunaux tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.11). Selon l’État partie, le requérant s’est contenté d’avancer des propos considérés comme mensongers, contradictoires, voire diffamatoires.

8.4Pour ce qui est du grief de non‑respect des garanties de procédure judiciaires, l’État partie les considère comme non fondées. L’État partie fait état de l’inaction et de l’inertie du requérant. D’après l’État partie, les autorités n’ont pas privé le requérant de porter plainte devant la justice, et au contraire, le requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant «l’obligation» incombant aux juges de ne pas tenir compte des déclarations faites sous la torture, l’État partie se réfère à l’article 15 de la Convention contre la torture, et estime qu’il appartient au prévenu de présenter au juge au moins un commencement de preuve pouvant attester qu’il a fait ses dépositions dans des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir la preuve de ses allégations par la présentation d’un rapport médical ou d’une attestation prouvant qu’il aurait déposé une plainte auprès du ministère public, ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou de mauvais traitements. Or, l’État partie explique que le requérant n’a pas cru utile de présenter de plainte ni au cours de sa détention ni lors de son procès, une telle démarche s’inscrivant dans une stratégie adoptée par le mouvement illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer les institutions tunisiennes en alléguant, de manière systématique, avoir fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.

8.5En ce qui concerne les allégations se rapportant au procès, l’État partie soutient que l’affirmation du requérant de ne pas avoir apposé sa signature au procès‑verbal de son interrogatoire par le juge d’instruction est erronée. D’après l’État partie, son avocat est bel et bien intervenu sur le fond, après sollicitation du juge d’instruction, conformément aux règles de procédure pénale en vigueur. L’État partie rappelle que le requérant a été entre autres condamné pour avoir vitriolé sa victime, fait reconnu, d’après l’État partie, par l’inculpé devant le juge d’instruction et devant le tribunal auprès duquel il a exprimé ses regrets et affirmé que son acte lui avait engendré des troubles psychologiques dus au sentiment de culpabilité et à l’atrocité de son acte. Relativement à la déclaration du requérant d’avoir vainement entrepris des démarches afin de demander une expertise médicale, l’État partie signale que le fait de demander une expertise ne suffit pas en soi pour ordonner une expertise, mais requiert la présentation de signes justifiant le recours à cette expertise. C’est ainsi que le juge d’instruction a opposé une fin de non‑recevoir à la demande de l’expertise médicale du requérant car, selon l’État partie, l’intéressé ne présentait aucune trace apparente de violence.

8.6Concernant les allégations se rapportant aux aveux, l’État partie estime dépourvue de fondement l’affirmation du requérant d’avoir été condamné sur la base de ses aveux comme seuls éléments de preuve. Il précise que le dernier alinéa de l’article 69 et l’article 152 du Code de procédure pénale disposent que l’aveu de l’inculpé ne peut dispenser le juge de rechercher d’autres éléments de preuve et que l’aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges. Et sur cette base, la jurisprudence tunisienne en matière pénale considère constamment qu’il ne peut y avoir de condamnation uniquement sur la base des aveux. En outre, d’après l’État partie, l’allégation du requérant d’extorsion sous la torture de ses aveux d’appartenance au mouvement ENNAHDA est contredite par le certificat fourni par M. Ltaief aux autorités suisses pour l’obtention de l’asile politique, puisque ce certificat émane du «chef du mouvement ENNAHDA» et atteste l’appartenance à ce «mouvement».

8.7Au sujet des allégations relatives aux conditions carcérales, et en particulier aux mesures de transfert d’une prison à une autre considérées comme étant abusives par le requérant, l’État partie explique que le transfert, tel que régi par les textes en vigueur, est décidé en fonction des différentes phases du procès, du nombre des affaires et des instances judiciaires territorialement compétentes. Les prisons sont classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues à titre préventif; celles d’exécution pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté; et celles semi‑ouvertes pour les personnes condamnées pour cause de délit, habilitées au travail agricole. D’après l’État partie, étant passé du statut de détenu à titre préventif à celui de détenu condamné à des peines privatives de liberté et compte tenu aussi des besoins d’investigations dans l’affaire qui le concernait ou encore dans d’autres affaires similaires, le requérant a été transféré d’une prison à l’autre, conformément à la réglementation en vigueur. Quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient conformes à la réglementation relative à l’organisation des prisons régissant les conditions de détention en vue d’assurer l’intégrité physique et morale du détenu. L’État partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement protégés en Tunisie, sans aucune distinction et quelle que soit la situation pénale, ceci dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes internationales et à la législation tunisienne. Une prise en charge médicale et psychosociale est assurée ainsi que la visite des membres de la famille. L’État partie affirme que les conditions de détention du requérant ont été conformes à la réglementation tunisienne régissant les établissements pénitentiaires, qui est conforme aux normes internationales en la matière.

8.8Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre le requérant sont dues aux actes de torture, l’État partie soutient l’absence de lien de causalité. L’État partie note, en particulier, que le certificat médical attestant d’une affection neuropsychiatrique produit par le requérant date du 29 juillet 1999, c’est-à-dire une dizaine d’années après les «faits». L’État partie rappelle également les troubles psychologiques dont avait fait état le requérant devant les juges (par. 8.5). De plus, d’après l’État partie, contrairement à ses allégations, le requérant a bénéficié, durant son séjour à la prison civile de Borj Erroumi, d’une prise en charge médicale adéquate et de soins appropriés.

8.9Concernant les allégations de privation de visites, d’après l’État partie le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu régulièrement la visite de ses frères, de son oncle, de son père et de sa mère, comme cela ressort des registres des visites des prisons où le requérant a été incarcéré.

8.10L’État partie rejette les allégations se rapportant à l’article 11 de la Convention et fait valoir l’exercice d’une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées.

8.11Pour ce qui est des allégations relatives à la situation sociale de la famille de M. Ltaief, l’État partie soutient que celle‑ci ne fait l’objet d’aucune forme de harcèlement ou de restriction; et qu’elle vit dans des conditions décentes, le père de l’intéressé recevant une pension.

Commentaires du requérant

9.1Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à chacun des points contenus dans les observations de l’État partie ci‑dessus exposées.

9.2Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’État partie se limite à une énumération d’un arsenal de lois et de mesures d’ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui, nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l’appui de son constat un rapport de l’organisation non gouvernementale «Conseil national pour les libertés en Tunisie» (CNLT).

9.3Au sujet de la mise en place d’un référentiel législatif de lutte contre la torture, le requérant estime que l’article 101 bis du Code de procédure pénale a été adopté tardivement, en 1999, en particulier suite aux préoccupations du Comité contre la torture du fait que la formulation de l’article 101 du Code pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d’usage de la violence en cours d’interrogatoires. Le requérant affirme également que ce nouvel article n’a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie entre 1991 et 1998 établie par l’organisation non gouvernementale «Vérité-Action». Il précise également que les cas invoqués par l’État partie pour prouver sa volonté d’agir contre la torture ne portent que sur des accusations d’abus de pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit commun, et non pas sur les cas de torture provoquant la mort et les cas concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.

9.4Concernant la pratique de la torture et l’impunité, le requérant maintient que l’impunité des tortionnaires subsiste, et qu’en particulier aucune enquête sérieuse n’a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture. Le requérant estime que, dans son cas, l’État partie a opéré, dans ses observations, un choix sélectif des faits en concluant que les allégations de mauvais traitements remontent à 1987 alors que le requérant fait part de son «calvaire» en prison de 1987 à 1997. Par ailleurs, selon le requérant, alors qu’un État de droit doit donner suite, et d’office, à toute dénonciation d’acte pénal qualifiable de crime, les autorités tunisiennes se contentent d’accuser les victimes alléguées de terrorisme et de manipulation. Le requérant produit également une liste de plaintes de personnalités publiques tunisiennes récemment déposées et ignorées par les autorités. Le requérant estime avoir dressé un état détaillé de son cas particulier (noms, lieux, dates et traitements infligés) alors que l’État partie se contente de nier en bloc de tels traitements. Ce n’est pas pour leur appartenance aux forces de l’ordre que des tortionnaires ont été cités par le requérant, mais pour des violations concrètes et répétées dans le temps contre son intégrité physique et morale et sa vie privée et familiale. L’ouverture d’une enquête, afin de vérifier si une personne appartenant aux forces de l’ordre a commis des actes de torture ou autre, ne constitue pas une violation de la présomption d’innocence, mais une démarche juridique indispensable pour instruire un dossier et le soumettre, le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de le trancher. Relativement aux recours juridictionnels, le requérant estime que l’État partie se contente de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques offertes aux victimes contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre à la décision de recevabilité (par. 7.2, dernier alinéa). Le requérant réitère son argumentation sur l’inutilité des possibilités légales théoriques exposées par l’État partie.

9.5Concernant son inertie et son inaction, le requérant estime que l’État partie se contredit en avançant que les actes de torture sont qualifiés de crime en droit tunisien et donc poursuivis d’office, tout en attendant la dénonciation par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant rappelle ses démarches réelles ci‑dessus exposées pour exiger une expertise médicale et une enquête sur la torture subie (demande d’examen médical refusée par le juge d’instruction, attestation médicale d’affection neuropsychiatrique).

9.6Le requérant maintient que ses avocats ont refusé de signer le procès‑verbal de l’interrogatoire devant le juge d’instruction, prouvant ainsi les conditions anormales du déroulement de la procédure. Il constate, en outre, que de son propre aveu mais par un raisonnement juridique selon lui étrange, l’État partie reconnaît que le juge d’instruction a refusé sa demande d’expertise médicale en raison de l’absence de trace apparente de violence. Le requérant explique que le fait d’avoir gardé une personne en détention préventive au-delà des délais prescrits par la loi afin de cacher les marques de torture, puis de lui refuser le droit à une expertise médicale pour absence de traces apparentes de torture, s’inscrit dans la logique d’institutionnalisation de la torture. Enfin, d’après le requérant, l’État partie reconnaît ainsi l’avoir privé d’une démarche élémentaire et évidente afin de fournir le commencement de la preuve qu’il requiert. Le requérant ajoute que dans son affaire d’une extrême gravité, ayant entraîné sa présentation devant un tribunal d’exception (la Cour de sûreté de l’État), un tel refus l’a privé du dernier recours afin de pouvoir défendre ses intérêts. D’après le requérant, devant la lourde charge pesant alors sur lui, le moindre doute et la moindre allégation de mauvais traitement devaient donner lieu à une démarche de vérification. De plus, le refus du juge d’instruction d’accorder l’expertise médicale amoindrissait les chances de l’accusé de refaire la demande devant le juge (même si cela a bien été entrepris à nouveau).

9.7En ce qui concerne les allégations se rapportant aux aveux, le requérant maintient avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports du CNLT, déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques et parfois les affaires de droit commun. Eu égard à la tentative de l’État partie de déceler dans sa reconnaissance d’appartenance au mouvement ENNAHDA le signe d’une contradiction (par.8.6), le requérant s’étonne de ce raisonnement étrange, et explique qu’il a été condamné pour un prétendu acte d’agression au vitriol, et non pas pour son appartenance au mouvement ENNAHDA.

9.8Concernant les conditions de détention, le requérant estime que l’État partie se réfugie derrière des textes de loi afin de dénoncer ses informations nombreuses, concrètes et circonstanciées. Le requérant explique que ses transferts avaient un caractère punitif et n’avaient aucun rapport avec les affaires pendantes devant la justice. Il précise qu’il n’a jamais été question de transfert pour besoin d’investigation et il demande à l’État partie de prouver le contraire.

9.9Pour ce qui est des visites, le requérant estime que le recours à la privation de visites constituait un moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu’il réclamait un droit et agissait à cet effet, notamment par des grèves de la faim. Le requérant explique que les conditions mêmes des visites, à savoir les mauvais traitements infligés aux membres de sa famille sur le lieu de visite et par la police locale au retour, violent le cadre légal national et international.

9.10Concernant les allégations relatives aux soins, le requérant porte l’attention du Comité sur le certificat médical produit dans son dossier, et précise que ce document n’a été fourni que 10 ans après les faits puisqu’il s’agissait de la première occasion de le faire. Le requérant constate également que l’État partie, d’une part, accepte l’existence de troubles psychologiques, mais uniquement en raison du prétendu sentiment de culpabilité et non pas des tortures subies et, d’autre part, refuse de produire le dossier permettant de s’assurer de la portée des regrets rapportés devant le tribunal. Relativement au traitement invoqué par l’État partie, le requérant requiert la production de son dossier médical par l’État partie.

9.11Pour ce qui est du contrôle administratif, le requérant estime que toute peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d’inhumaine et dégradante si l’objectif poursuivi n’est pas notamment sa réconciliation avec son environnement social. Or, le requérant rappelle en particulier la privation arbitraire de continuer ses études, pendant mais surtout après ses 10 ans de prison. Le requérant déplore qu’en dehors d’une remarque sur la reprise des études, l’État partie se soit contenté de nier en bloc ses propos, sans investigation ni preuve à l’appui. D’après le requérant, le contrôle administratif ne sert qu’à assurer la mainmise de la police sur le droit à la liberté de circulation de l’ex‑détenu.

9.12Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance subie à travers le contrôle policier et l’intimidation sous diverses formes, la maltraitance lors des visites, et la privation des passeports durant des années, situation perdurant à ce jour.

9.13Relativement à l’application de l’article 11 de la Convention, le requérant estime que l’État partie se contente, à nouveau, d’un exposé théorique de son arsenal juridique et d’une référence aux activités du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, institution non indépendante. Or, se référant à des documents d’organisations non gouvernementales, le requérant fait état des violations relativement au contrôle de la détention et de la garde à vue, telles la manipulation des dates de consignation des arrestations et la détention au secret. Le requérant constate que l’État partie ne répond pas à ses allégations précises de détention de plus de deux mois.

9.14Pour ce qui est du mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation est, contrairement aux explications de l’État partie, connue pour ses idéaux démocratiques et son opposition à la dictature et à l’impunité. En outre, le requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par l’État partie et s’inscrivant en fait dans le cadre d’affaire montée de toute pièce.

9.15Enfin, selon le requérant, l’État partie tente de placer le fardeau de la preuve sur la victime accusée d’inertie et d’inaction, se protège derrière une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes de porter plainte, et se dérobe de son devoir de veiller à la poursuite d’office des crimes dont celui de torture. Selon le requérant, l’État partie néglige ainsi sciemment que le droit et la jurisprudence internationales en matière de torture insistent plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre l’aboutissement d’une procédure. Or, le requérant constate que l’État partie porte la charge de la preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves à l’appui (dossiers de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.) sont uniquement détenus par l’État partie sans possibilité d’accès pour le requérant. Se référant à la jurisprudence européenne, le requérant rappelle que la Cour et la Commission européenne invitent les États parties, lors d’allégations de torture ou de mauvais traitements, à «mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements» et non à se contenter de citer l’arsenal théorique des voies ouvertes à la victime pour se plaindre.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la communication en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

10.2Le Comité a pris note des observations de l’État partie du 3 avril 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que les éléments mis en avant par l’État partie ne sont pas susceptibles de permettre un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier, de l’absence d’information nouvelle ou supplémentaire de l’État partie sur la question des enquêtes diligentées spontanément par l’État partie (voir par. 7.2). Le Comité estime donc qu’il n’a pas à revenir sur sa décision de recevabilité.

10.3Le Comité procède donc à l’examen de la requête sur le fond et note que le requérant impute à l’État partie les violations de l’article premier, du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.

10.4Le Comité note qu’en vertu des dispositions de l’article 12 de la Convention les autorités ont l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une importance particulière.

10.5Le Comité constate que le requérant affirme s’être plaint, en 1987, d’actes de torture devant le juge d’instruction et lui avoir demandé une expertise médicale à ce sujet, mais en vain. Il note en outre que l’État partie reconnaît que le juge d’instruction a opposé une fin de non‑recevoir à la demande d’expertise du requérant dans la mesure où l’intéressé ne présentait aucune trace apparente de violence. Le Comité estime que la réponse de l’État partie faisant état de l’absence de trace apparente de violence ne répond pas forcément aux plaintes du requérant d’actes de torture, lesquels, conformément à la définition de la torture au titre de l’article premier de la Convention, résultent en «une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales» pouvant laisser des traces non apparentes, mais réelles de violence. Le Comité note, à cet égard, l’attestation d’affection neuropsychiatrique produite par le requérant. Le Comité prend note enfin des informations détaillées et étayées du requérant faisant état de ses grèves de la faim lors de sa détention de 1987 à 1997, au moins à 15 reprises, et pour des durées de cinq à 28 jours, ceci afin de contester les traitements subis. Le Comité constate que ces informations n’ont pas été commentées par l’État partie. Le Comité considère que l’ensemble de ces éléments aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n’a pas eu lieu, contrairement à l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, en vertu de l’article 12 de la Convention.

10.6Le Comité note, en outre, que l’article 13 de la Convention n’exige pas qu’une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d’exercer l’action pénale; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci l’obligation de la considérer comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention.

10.7Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant s’est effectivement plaint des traitements à son encontre auprès du juge d’instruction et a eu recours aux grèves de la faim afin de se plaindre de la condition qui lui était faite. Cependant, et contrairement à la jurisprudence au titre de l’article 13 de la Convention, le Comité note la position de l’État partie qui soutient que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de recours internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation soit d’une attestation prouvant le dépôt d’une plainte auprès du ministère public, soit de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal, soit d’un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter son attention, il ressort que le requérant soutient s’être vu refuser sa demande de contrôle médical par le juge d’instruction, et que l’État partie justifie cette décision au motif de l’absence de traces apparentes de violence. Le Comité rappelle qu’il s’agit de la part de l’État partie d’une réponse qui ne recouvre pas nécessairement l’affirmation précise du requérant qui dénonce des actes de torture ayant laissé des traces réelles, notamment neuropsychiatriques. Enfin, le Comité renvoie à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, à l’issue duquel il avait recommandé à l’État partie de faire en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d’allégations d’abus.

10.8À la lumière des constatations ci‑dessus, le Comité estime que les manquements qui viennent d’être exposés sont incompatibles avec l’obligation faite à l’article 13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.

10.9Enfin, le Comité estime ne pas être en mesure de se prononcer sur les griefs de violation d’autres dispositions de la Convention soulevés par le requérant, à la date de l’adoption de la présente décision.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

12.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements du requérant, et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci‑dessus.

Communication n o  196/2002

Présentée par:M. A. M. (représenté par un conseil, M. Ingemar Sahlström)

Au nom de:M. A. M.

État partie:Suède

Date de la requête:3 janvier 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 196/2002 présentée par M. M. A. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. M. A. M, de nationalité bangladaise, né le 1er janvier 1968 et résidant actuellement en Suède où il a demandé l’asile. Il affirme que son renvoi au Bangladesh, si le statut de réfugié lui est refusé, constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l’État partie le 7 janvier 2002 et, en application du paragraphe 9 de l’article 108 de son règlement intérieur (Rev.3), il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant au Bangladesh tant que sa requête serait en cours d’examen. Le 12 février 2002, l’État partie a informé le Comité qu’il suspendait l’exécution de la décision de renvoi du requérant au Bangladesh.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant appartient à une minorité au Bangladesh dont il a défendu les droits par l’intermédiaire d’une organisation politique, le Shanti Bahini. Au cours d’une réunion du Shanti Bahini en novembre 1989, à laquelle il participait, l’armée a lancé une attaque et plusieurs des personnes présentes ont été blessées ou tuées. Le 7 mai 1990, la police a arrêté le requérant et l’a emprisonné pendant six jours. Au cours des interrogatoires menés par la police, le requérant aurait été torturé à l’électricité, brûlé avec des cigarettes, piqué à coups d’aiguilles, frappé à coups de pied et tabassé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Le 19 novembre 1990, il a fui le pays pour la Suède où il a demandé l’asile. Le 4 octobre 1991, le Conseil des migrations a rejeté sa demande. Le requérant a fait appel de la décision auprès de la Commission de recours des étrangers qui, le 8 avril 1993, l’a débouté et a ordonné son renvoi au Bangladesh. Le requérant est alors entré dans la clandestinité si bien que la décision de l’expulser n’a pu être exécutée avant le 5 août 1995.

2.2À son retour au Bangladesh, le requérant a été arrêté et accusé d’activités politiques en Suède. Pendant les quatre jours de sa détention, il aurait été frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance et un policier lui aurait versé de l’eau chaude par le nez. Toujours selon le requérant, il aurait été torturé sur les parties génitales et forcé à boire de l’urine, et la police aurait menacé de le tuer avec un couteau.

2.3Le requérant est devenu membre de la section jeunesse du Parti national du Bangladesh (ci‑après dénommé BNP) en 1996. Il a distribué des brochures, organisé des manifestations et protesté de diverses autres manières contre la politique menée par le Gouvernement de la Ligue Awami. Il était également membre de l’aile Mirpur du BNP.

2.4Le requérant affirme qu’en raison de ses activités politiques pour le BNP, il a été accusé à tort de diverses infractions, traitement que le Gouvernement inflige couramment à ses opposants politiques. Le 10 novembre 1998, un affrontement s’est produit entre des partisans de la Ligue Awami et la police, d’une part, et des partisans du BNP, d’autre part. Le requérant a été arrêté et détenu pendant cinq jours pour avoir usé de violence contre la police et empêché les policiers de s’acquitter de leur tâche. Pendant l’interrogatoire, la police aurait attaché le requérant à une chaise, lui aurait donné des coups de pied et l’aurait frappé à coups de fusil et de bâton. Le requérant aurait perdu conscience plusieurs fois au cours de cet interrogatoire. Il a été libéré sous caution après avoir été entendu par un tribunal local. Le 18 août 1999, le requérant a été condamné à 20 mois d’emprisonnement et à une amende de 50 000 taka. Il s’est par la suite enfui en Suède où il a demandé l’asile au Conseil national de l’immigration (devenu depuis le Conseil des migrations et ainsi dénommé dans la suite du texte) le 4 novembre 1999.

2.5Le 18 octobre 2000, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant. Celui‑ci a fait appel auprès de la Commission de recours des étrangers qui, le 18 mai 2001, lui a refusé le statut de réfugié et a décidé de le renvoyer au Bangladesh, considérant que sa participation à des activités politiques et les persécutions politiques dont il aurait fait l’objet ne constituaient pas des motifs suffisants pour lui accorder l’asile étant donné que la liberté d’expression politique existait au Bangladesh et que le BNP était un parti politique légal. La Commission n’a pas contesté que le requérant ait été torturé en 1990, 1995 et 1998, mais elle a relevé qu’il résidait en Suède en 1992 et n’aurait donc pu être victime de torture à cette date, comme il le prétendait. Elle avait donc douté de sa crédibilité. En outre, si elle avait connaissance de cas où la police avait eu recours à la violence contre des détenus, elle considérait que le requérant ne courait pas un risque particulier d’être victime de violences dans le cadre de persécutions politiques et que le traitement des prisonniers en général ne justifiait pas l’asile.

2.6Le conseil a soumis d’autres informations dans deux nouvelles requêtes adressées à la Commission qui les a rejetées les 20 septembre et 29 octobre 2001, respectivement. Il a affirmé que le requérant serait arrêté immédiatement à son retour au Bangladesh étant donné que, selon une télécopie reçue de son avocat dans ce pays, il faisait l’objet d’une enquête pour meurtre et avait été condamné à l’emprisonnement à vie pour trahison et activités hostiles à l’État le 3 septembre 2001.

2.7Selon les services suédois de psychiatrie, le requérant présente des tendances suicidaires. Le certificat médical établi par le Centre pour les victimes de la torture (ci‑après dénommé CTD) indique qu’il souffre de troubles post‑traumatiques et que son corps porte plusieurs cicatrices corroborant la description que le requérant a faite des tortures qu’il aurait subies.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que s’il est renvoyé au Bangladesh il y a des raisons sérieuses de croire qu’il sera soumis à la torture, et que ce renvoi constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention. À l’appui de ce qu’il affirme, il invoque ses mises en détention précédentes et les tortures qu’il a déjà subies en raison de ses activités politiques au Bangladesh. Il se réfère en outre à l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme commises par les autorités bangladaises, en particulier contre des opposants politiques et des détenus.

Observations de l’État partie

4.1Le 13 mai 2002, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

4.2Concernant la recevabilité, l’État partie relève que tous les recours internes semblent avoir été épuisés, mais que le requérant peut à tout moment demander à nouveau un permis de séjour à la Commission de recours des étrangers qui est tenue d’examiner la demande, à condition qu’elle se réfère des circonstances nouvelles qui justifieraient une décision différente.

4.3L’État partie nie que le renvoi du requérant au Bangladesh entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. Si la situation générale des droits de l’homme dans ce pays n’est pas idéale et si des actes de torture commis par la police ont été signalés à diverses reprises, la Constitution bangladaise interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, et le pouvoir judiciaire manifeste un degré d’indépendance élevé puisqu’il a, par exemple, dénoncé des abus de pouvoir et des violations par la police des lois régissant la détention.

4.4Pour ce qui est du risque d’être soumis à la torture encouru personnellement par le requérant au Bangladesh, l’État partie appelle l’attention sur le fait que plusieurs dispositions de la loi sur les étrangers tiennent compte du principe énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, et que les autorités d’immigration suédoises utilisent, quand elles examinent les demandes d’asile, des critères du même type que ceux retenus par le Comité dans le cadre de la Convention. Tel fut le cas en l’espèce, comme l’illustre le fait qu’elles se sont référées à l’article 3 du chapitre 3 de la loi sur les étrangers et à l’article 3 de la Convention.

4.5L’État partie relève qu’il incombe au premier chef au requérant de rassembler et de présenter des éléments de preuve à l’appui de ses affirmations. L’évaluation d’une demande d’asile dépend avant tout de la crédibilité du demandeur. Les autorités suédoises de l’immigration ont interrogé le requérant pendant deux heures avant de prendre leur décision. Elles ont donc eu amplement le temps de faire d’importantes observations supplémentaires qui, associées aux faits et aux documents dont elles disposaient, leur ont donné des bases solides pour apprécier le besoin de protection du requérant en Suède.

4.6L’État partie rappelle que les certificats médicaux établissent que le requérant a été victime d’actes de torture, mais que l’examen de la requête par le Comité a pour but de déterminer si le requérant court le risque d’être torturé à son retour.

4.7L’État partie croit comprendre que la requête est fondée en particulier sur le grief de risque de tortures au Bangladesh en raison de l’accusation de meurtre qui pèserait contre lui et du jugement dont il aurait fait l’objet le 3 septembre 2001. Il note que le seul élément de preuve présenté à ce propos est une télécopie qui émanerait de l’avocat du requérant au Bangladesh. Sur la demande de l’État partie, son ambassade à Dhaka a chargé un avocat d’enquêter. Ce dernier a examiné les registres des cinq tribunaux de première instance de la capitale et des districts de Dhaka et n’a pas trouvé trace d’un jugement dont l’auteur aurait fait l’objet pendant l’année 2001 au motif de meurtre, de trahison ou d’activités hostiles à l’État, conclusion qui a été confirmée par l’ambassade des États-Unis au Bangladesh.

4.8L’ambassade de l’État partie à Dhaka a également tenté de prendre contact avec l’avocat du requérant, mais une personne disant être son frère a répondu qu’il avait provisoirement quitté la ville. Enfin, l’ambassade a été informée par le propriétaire de la maison du requérant qu’aucune personne de ce nom n’avait vécu à l’adresse indiquée dans la télécopie émanant de l’avocat. L’État partie conteste donc les affirmations du requérant qui concernent l’accusation de meurtre et le jugement pour trahison et activités hostiles à l’État dont il aurait fait l’objet. Il ajoute qu’au cas où un tel jugement aurait été rendu, le requérant pourrait faire appel devant une juridiction supérieure. De plus, ce dernier n’a fourni aucun élément concernant le jugement ou le mandat d’arrestation, ou le recours contre le jugement que son avocat aurait formé.

4.9L’État partie souligne que les événements qui auraient incité le requérant à quitter le Bangladesh semblent avoir été directement liés au soutien actif qu’il apporte au BNP. Il est donc d’une importance cruciale pour l’évaluation de l’affaire de savoir que le BNP est le parti au pouvoir au Bangladesh depuis le 1er octobre 2001. L’État partie considère que ce changement de régime politique signifie que le requérant n’est plus fondé à affirmer qu’il risquerait d’être torturé à son retour au Bangladesh et que la charge de la preuve lui incombe donc encore plus.

4.10L’État partie ajoute que les raisons pour lesquelles le requérant a été torturé précédemment n’existent plus, étant donné qu’il a été torturé pour la première fois en 1990 pour appartenance à une organisation dont il ne semble plus être membre et, les fois suivantes, pour avoir participé à l’action du BNP, qui est aujourd’hui le parti au pouvoir au Bangladesh.

4.11L’État partie relève plusieurs incohérences et lacunes dans les déclarations du requérant qui, à son avis, sont importantes pour en évaluer la crédibilité. Premièrement, pendant l’entretien qui a suivi la demande d’asile et en dépit du fait qu’il a été prié d’en donner les raisons, le requérant n’a pas parlé des mauvais traitements que la police bangladaise lui aurait infligés avant que la personne qui l’interrogeait n’ait soulevé la question de la torture, et il ne s’est alors exprimé qu’en termes vagues et généraux. Plus précisément, lorsqu’on lui a demandé s’il avait été arrêté à d’autres occasions que le 10 novembre 1998, il n’a pas dit avoir été arrêté et torturé lorsque la Suède l’avait renvoyé au Bangladesh en 1995.

4.12Deuxièmement, si le requérant a initialement indiqué qu’il avait été torturé à trois reprises, il a ensuite mentionné un quatrième incident qui se serait produit en 1992 à l’occasion d’un examen médical. Mais à cette époque, le requérant résidait en Suède.

4.13Troisièmement, le requérant a fourni des informations divergentes sur sa vie au Bangladesh après son retour de Suède en 1995. Selon les dossiers du centre médical de Rågsved datés du 11 janvier 2000, le requérant a déclaré avoir été emprisonné pendant six mois à son retour au Bangladesh en 1995 et avoir vécu ensuite dans la clandestinité, mais les dossiers de l’hôpital psychiatrique indiquent qu’il a travaillé dans un magasin pendant quatre ans, de 1995 à 1999. Les informations fournies par le requérant aux autorités suédoises ne contiennent pas trace des six mois qu’il aurait passés en prison.

4.14L’État partie conclut que le requérant n’a pas prouvé qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être torturé s’il retournait au Bangladesh, et que l’exécution de l’ordre d’expulsion ne constituerait donc pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant et observations supplémentaires de l’État partie

5.1Le conseil a fait parvenir les commentaires du requérant sur les observations de l’État partie, en date du 23 avril 2004. Il réitère les arguments précédents du requérant et ajoute que le requérant affirme qu’il est toujours militant actif du Shanti Bahini et qu’il est donc recherché par la police et les autorités bangladaises.

5.2Dans une note verbale datée du 29 avril 2004, l’État partie affirme que le requérant n’est pas fondé à invoquer son appartenance au Shanti Bahini en tant que fait nouveau. Premièrement, ce fait ne doit pas être pris en considération dans la mesure où le requérant ne l’a pas mentionné précédemment dans sa requête au Comité bien qu’il ait eu la possibilité de le faire. Deuxièmement, la présentation tardive de ce fait nouveau est une raison de mettre en doute la véracité des affirmations du requérant à ce propos. Troisièmement, le requérant n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses affirmations et, quatrièmement, l’État partie dispose d’informations au sujet d’un accord de paix entre le Shanti Bahini et le Gouvernement bangladais signé le 2 décembre 1997 et a aussi appris que le Shanti Bahini avait été officiellement dissous en 1999. En conséquence, le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle son appartenance au Shanti Bahini l’expose au risque d’être torturé s’il était renvoyé au Bangladesh.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que l’État partie ne conteste pas l’épuisement des recours internes bien qu’il fasse observer qu’un requérant a la possibilité d’adresser à tout moment une nouvelle demande de permis de séjour à la Commission de recours des étrangers, qui doit l’examiner à condition que soient évoquées des circonstances nouvelles qui pourraient entraîner une décision différente. Le Comité considère qu’en saisissant la plus haute instance d’appel suédoise en droit interne, le requérant a épuisé les recours internes disponibles et utiles. Il ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête et, par conséquent, il la déclare recevable et procède à l’examen de la question sur le fond.

Examen au fond

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Bangladesh l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Dès lors, conformément à la jurisprudence du Comité et nonobstant les allégations du requérant concernant la situation au Bangladesh qui figurent au paragraphe 3, l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

6.3Le Comité prend note des informations reçues du requérant en ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh, et en particulier les cas répétés de violences policières contre des prisonniers et des opposants politiques. Il note que l’État partie, tout en reconnaissant que des cas de torture par la police ont été signalés à maintes reprises, considère que le pouvoir judiciaire fait preuve d’un degré d’indépendance élevé.

6.4Le Comité relève que le requérant craint d’être torturé s’il retourne au Bangladesh essentiellement parce qu’il y a été torturé autrefois en raison de son appartenance au Shanti Bahini et au parti d’opposition BNP, et qu’il risque d’être incarcéré à son retour dans le pays pour exécuter la peine d’emprisonnement à vie à laquelle il aurait été condamné.

6.5Le Comité note également que les raisons pour lesquelles le requérant a été torturé jadis n’existent plus, étant donné qu’il a été torturé pour la première fois en 1990 pour appartenance à une organisation (Shanti Bahini) mais qu’il n’a soumis aucun élément montrant qu’il en est toujours membre, puis pour participation aux activités du BNP, qui était alors dans l’opposition et est aujourd’hui le parti au pouvoir au Bangladesh. Ce fait revêt une importance supplémentaire en l’espèce étant donné que les événements qui l’auraient incité à quitter le Bangladesh étaient directement liés au soutien qu’il apportait à ce parti. En outre, bien que les informations relatives aux droits de l’homme au Bangladesh fassent encore état de mauvais traitements généralisés des prisonniers par la police, le requérant n’a pas fourni d’informations ni présenté d’arguments prouvant qu’il risquait personnellement d’être maltraité s’il était emprisonné à son retour dans le pays. Le Comité n’est pas convaincu que le requérant risque d’être emprisonné à son retour étant donné que ce dernier n’a pas étayé ses affirmations concernant le jugement dont il aurait fait l’objet le 3 septembre 2001 ou l’accusation de meurtre qui pèserait sur lui.

6.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas montré que lui‑même courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

6.7Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant au Bangladesh par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  199/2002

Présentée par:Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia (représentée par M. Bo Johansson, du Swedish Refugee Advice Centre)

Au nom de:La requérante

État partie:Suède

Date de la requête:28 décembre 2001

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 199/2002, présentée par Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1La requérante est Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia, citoyenne égyptienne, née le 13 juillet 1964, qui se trouve actuellement en Suède. Elle affirme qu’en la renvoyant en Égypte, la Suède violerait l’article 3 de la Convention. Elle est représentée par un conseil.

1.2Le 14 janvier 2002, en application du paragraphe 9 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité, l’État partie a été prié de ne pas expulser la requérante vers l’Égypte tant que sa requête serait en cours d’examen devant le Comité. Il a été dit que cette demande pourrait être reconsidérée à la lumière des renseignements détaillés fournis par l’État partie sur le lieu où se trouvait le mari de la requérante et ses conditions de détention. Le 18 janvier 2002, comme suite à la demande du Comité, le Conseil suédois des migrations a décidé de surseoir à la décision d’expulsion jusqu’à nouvel avis; en conséquence, la requérante séjourne pour l’instant légalement en Suède.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1En 1982, le mari de la requérante, M. A., a été arrêté en raison de ses liens de parenté avec un de ses cousins qui avait été arrêté parce qu’il était soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat de l’ancien Président égyptien, Anouar Sadate. Avant d’être libéré en mars 1983, M. A. aurait été soumis à la «torture et d’autres formes de mauvais traitements physiques». M. A, qui militait activement au sein du mouvement islamique, avait achevé ses études en 1986 et épousé la requérante. Il avait échappé aux recherches de la police à plusieurs reprises mais connu des difficultés, comme l’arrestation de son avocat, lorsqu’il avait intenté une action civile en 1991 contre le Ministère des affaires intérieures pour les souffrances endurées pendant son séjour en prison.

2.2En 1992, M. A. a, pour des raisons de sécurité, quitté l’Égypte pour l’Arabie saoudite et de là pour le Pakistan où la requérante et ses enfants l’ont rejoint. N’ayant pu obtenir le renouvellement de leurs passeports, confisqués par l’ambassade d’Égypte au Pakistan, ils sont partis pour la Syrie sous des noms d’emprunt soudanais. Là, ils ont reçu la visite de parents d’Égypte, que les autorités ont arrêtés et dont ils ont confisqué les passeports à leur retour en Égypte pour essayer de savoir où se trouvait M. A. En décembre 1995, la famille s’est installée en Iran sous les mêmes identités soudanaises.

2.3En 1998, M. A. a été jugé par contumace pour activités terroristes par une juridiction militaire supérieure d’Égypte en même temps que 100 autres personnes. Il a été reconnu coupable d’appartenance à un groupe fondamentaliste islamique, le Jihad, visant à renverser le Gouvernement égyptien, et a été condamné, sans possibilité d’appel, à 25 ans d’emprisonnement. En 2000, craignant, en raison du rapprochement entre l’Égypte et l’Iran, d’être renvoyés en Égypte, M. A. et sa famille ont acheté des billets d’avion sous des noms d’emprunt saoudiens pour le Canada et ont demandé l’asile lors d’une escale à Stockholm (Suède), le 23 septembre 2000.

2.4Dans sa demande, M. A. a dit qu’il avait été condamné par contumace à la «réclusion à perpétuité» et que s’il était renvoyé en Égypte, il serait exécuté comme d’autres accusés, selon ses dires, l’avaient été. La requérante a affirmé que si elle était renvoyée, elle serait emprisonnée pendant de nombreuses années du fait qu’elle était mariée avec M. A. et serait jugée coupable par association. Le 23 mai 2001, le Conseil des migrations a invité le Conseil national de la police suédoise (Branche spéciale) à donner son avis sur la question, et celui‑ci, par l’intermédiaire de sa Branche spéciale, a donc interrogé par la suite M. A. Le 3 octobre 2001, le Conseil des migrations a procédé à une «audition» de M. A. et de la requérante qui étaient représentés par un conseil. Le 30 octobre 2001, le Conseil national de la police suédoise (Branche spéciale) a informé le Conseil des migrations que M. A. jouait un rôle de premier plan au sein d’une organisation coupable d’actes de terrorisme et était responsable des activités de cette organisation. Le cas de M. A. et de la requérante a donc été renvoyé, le 12 novembre 2001, au Gouvernement pour décision conformément à l’article 11, paragraphe 2.2, du chapitre 7 de la loi sur les étrangers. Pour le Conseil des migrations, d’après les informations dont il disposait, M. A. pouvait être considéré comme répondant aux conditions requises pour obtenir le statut de réfugié, mais selon l’évaluation de la Branche spéciale de la police, que le Conseil n’avait aucune raison de contester, il en allait tout autrement. Il appartenait donc au Gouvernement d’apprécier le besoin éventuel de protection de M. A. par rapport à l’évaluation faite par la Branche spéciale. Le 13 novembre 2001, la Commission de recours des étrangers à laquelle le dossier avait été transmis, a souscrit aux conclusions du Conseil des migrations sur le fond et a estimé également qu’il incombait au Gouvernement de trancher.

2.5Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a rejeté la demande d’asile de M. A. et de la requérante. Les raisons de ce rejet ne sont pas mentionnées dans le texte de la présente décision à la demande de l’État partie et avec l’assentiment du Comité. En conséquence, il a été ordonné d’expulser M. A. immédiatement et la requérante dès que possible. Le 18 décembre 2001, M. A. a été expulsé tandis que la requérante échappait à la police; on ne sait toujours pas où elle se trouve.

Teneur de la plainte

3.1La requérante fait valoir que sa situation est étroitement associée à celle de son mari, M. A., qui nie tout lien avec des terroristes. Elle affirme qu’elle présenterait un grand intérêt pour les autorités égyptiennes, celles-ci pensant qu’elle détient des informations précieuses sur son mari et ses activités. Il existe donc manifestement un risque qu’elle soit mise en détention et que les autorités égyptiennes essaient de lui soutirer des informations par la violence et la torture.

3.2La requérante critique le fait que l’on ne sache rien de la teneur et des sources des renseignements obtenus par la Branche spéciale sur M. A., faisant observer que de toute façon, il était clair que les autorités égyptiennes voulaient le placer en détention en raison de sa condamnation antérieure. La requérante conteste la valeur des garanties de sécurité fournies par les autorités égyptiennes. Elle n’en connaît ni le contenu ni l’auteur. En tout état de cause, les autorités égyptiennes chercheraient probablement davantage à poursuivre leurs propres objectifs qu’à respecter les assurances données à des États étrangers. Dans une communication ultérieure, la requérante se réfère à un document (action urgente) daté du 10 janvier 2002 émanant d’Amnesty International qui estimait que la requérante risquerait d’être torturée si elle retournait en Égypte en raison de ses liens familiaux. En outre, Amnesty International jugeait insuffisantes les garanties de sécurité données étant donné qu’on ne savait pas où se trouvait M. A. depuis son arrivée en Égypte le 18 décembre 2002 et qu’aucune information à ce sujet n’avait été donnée à sa famille, son conseil ou toute autre personne.

3.3La requérante fait valoir que contrairement à la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention contre la torture ne contient pas de clause d’exclusion pour motifs de sécurité et qu’elle confère donc une protection absolue. De plus, la décision d’expulsion n’est pas susceptible d’appel et une nouvelle demande ne peut être présentée que si les circonstances ont changé, ce qui n’est pas le cas.

3.4De manière générale, la requérante se réfère à des informations du Département d’État des États‑Unis datées de 2000 selon lesquelles les droits de l’homme fondamentaux ne sont pas pleinement respectés en Égypte. Elle soutient que les forces de sécurité maltraitent et torturent les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes terroristes et procèdent à des arrestations massives. Selon un rapport de 1997 d’Amnesty International, un certain nombre de femmes ont été victimes de violations des droits de l’homme, notamment de détention arbitraire, à cause de leurs liens familiaux avec de telles personnes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Dans des observations datées du 8 mars 2002, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le fond de la requête. Il considère que l’argument de la requérante selon lequel elle a des motifs sérieux de craindre d’être torturée en cas de retour en Égypte n’a pas été, compte tenu des garanties de sécurité données et des autres arguments avancés concernant le fond, suffisamment étayé pour qu’il soit possible de conclure que la requête est compatible avec l’article 22 de la Convention.

4.2S’agissant du fond, l’État partie expose les mécanismes particuliers de la loi sur les étrangers de 1989 applicables à des cas comme celui de la requérante. Bien que les demandes d’asile soient normalement traitées par le Conseil des migrations puis par la Commission de recours des étrangers, dans certaines circonstances, l’un ou l’autre de ces organes peut renvoyer le dossier de l’affaire au Gouvernement en y joignant son propre avis. Tel est le cas si la question est jugée importante pour la sécurité du Royaume ou la sécurité en général ou pour les relations de l’État avec une puissance étrangère (art. 11, par. 2.2, du chapitre 7 de la loi). Si le Conseil des migrations renvoie une affaire, il doit d’abord la soumettre à la Commission de recours des étrangers qui formule son propre avis.

4.3Un étranger nécessitant une protection en raison d’une crainte fondée de persécution de la part des autorités ou d’autres parties pour les raisons énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés (art. 2 du chapitre 3 de la loi) peut toutefois se voir refuser un permis de résidence dans certains cas exceptionnels, suite à une évaluation de ses activités antérieures et des besoins de sécurité du pays (art. 4 du chapitre 3 de la loi). Toutefois, aucune personne risquant d’être torturée ne peut se voir refuser un permis de résidence (art. 3 du chapitre 3 de la loi). En outre, si une personne s’est vu refuser un permis de résidence et fait l’objet d’une décision d’expulsion, sa situation doit être réévaluée avant que cette décision ne soit exécutée pour lui éviter tout risque notamment de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.4L’État partie rappelle la résolution 1373, en date du 28 septembre 2001, du Conseil de sécurité dans laquelle celui‑ci engage les États membres à refuser de donner asile à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes de terrorisme ou en recèlent les auteurs. Le Conseil a demandé aux États membres de prendre les mesures appropriées, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et au droit des réfugiés afin de s’assurer que les demandeurs d’asile n’ont pas organisé ou facilité la perpétration d’actes de terrorisme et n’y ont pas participé. Il a également demandé aux États membres de veiller, conformément au droit international, à ce que les auteurs ou les organisateurs d’actes de terrorisme ou ceux qui facilitent de tels actes ne détournent pas à leur profit le statut de réfugié. À cet égard, l’État partie se réfère à la déclaration du Comité en date du 22 novembre 2001, dans laquelle ce dernier a exprimé l’espoir que la riposte à la menace du terrorisme international adoptée par les États parties serait conforme aux obligations qu’ils ont contractées en vertu de la Convention.

4.5En ce qui concerne le cas d’espèce, l’État partie expose en détail les informations recueillies par ses services de sécurité qui l’ont conduit à considérer que M. A. posait une grave menace à la sécurité. À la demande de l’État partie, ces informations ont été transmises au conseil de la requérante dans le cadre de la procédure confidentielle prévue par l’article 22 de la présente Convention mais ne sont pas reproduites dans la présente décision qui sera rendue publique.

4.6L’État partie fait observer que le 12 décembre 2002, après le renvoi de l’affaire au Gouvernement par le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers, un secrétaire d’État du Ministère des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien au Caire (Égypte). À la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité, aucune information sur l’identité de l’interlocuteur n’est fournie dans le texte de la présente décision. Étant donné que l’État partie envisageait de ne pas assurer à M. A. la protection prévue par la Convention relative au statut des réfugiés, le but de cette visite était de déterminer s’il était possible, sans violer les obligations internationales de la Suède, y compris celles qui découlent de la Convention, de renvoyer M. A. et sa famille en Égypte. Après avoir examiné plusieurs options, notamment la possibilité de demander aux autorités égyptiennes des assurances quant au traitement qui leur serait réservé, le Gouvernement de l’État partie a conclu qu’il était à la fois possible et judicieux de demander si l’on pouvait lui donner des garanties que M. A. et sa famille seraient traités conformément au droit international à leur retour en Égypte. À défaut de telles garanties, ce retour ne serait pas envisageable. Le 13 décembre 2002, les garanties requises ont été données par l’interlocuteur officiel susmentionné.

4.7L’État partie expose ensuite en détail les raisons pour lesquelles il a rejeté, le 18 décembre 2001, la demande d’asile de M. A. et de la requérante. Ces raisons ne figurent pas dans le texte de la présente décision à la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité.

4.8En réponse à la demande d’information du Comité sur le lieu où se trouvait M. A. et ses conditions de détention (voir par. 1.2 ci‑dessus), l’État partie indique qu’il est actuellement incarcéré à la prison de Tora, au Caire, en détention provisoire en attendant un nouveau procès dont les préparatifs sont en cours. Il s’agirait d’un établissement d’assez haut niveau où il occuperait une cellule du type de celles qui sont normalement réservées aux personnes condamnées pour des infractions commises sans recours à la violence. Conformément à l’accord conclu avec les autorités égyptiennes, l’Ambassadeur de Suède en Égypte a rencontré M. A. le 23 janvier 2002 dans le bureau du directeur de la prison. Il n’avait ni menottes ni chaînes aux pieds. Il portait des vêtements ordinaires et avait les cheveux et la barbe taillés de près. Il semblait bien nourri et ne présentait pas de signes extérieurs de violence physique. Il n’avait, semble-t-il, aucune hésitation à parler librement et a dit à l’Ambassadeur qu’il n’avait pas à se plaindre de la façon dont il était traité en prison. En réponse à la question de savoir s’il avait subi des sévices, M. A. n’a fait aucune allégation en ce sens. Lorsqu’on lui a dit que les garanties données par les autorités égyptiennes excluaient qu’il puisse être condamné à mort ou exécuté, il a été visiblement soulagé.

4.9Le 10 février 2002, la radio nationale suédoise a rendu compte d’une visite de l’un de ses correspondants à M. A. dans le bureau d’un haut responsable de la prison de Tora. Il était vêtu d’une veste et d’un pantalon bleu foncé et ne portait pas de traces visibles de mauvais traitements physiques. Il avait bien quelques problèmes à se déplacer mais il mettait cela sur le compte d’un mal de dos ancien. Il s’est plaint de ne pas être autorisé à lire, de ne pas avoir de radio et de ne pas avoir la permission de faire de l’exercice.

4.10Le 7 mars 2002, l’Ambassadeur de Suède a de nouveau rendu visite à M. A. à la prison de Tora. Rien dans son apparence n’indiquait qu’il ait pu être soumis à la torture. Il a expliqué que son mal de dos le gênait considérablement et qu’on lui avait donné des médicaments pour le dos et pour un ulcère à l’estomac. Il avait récemment déposé une demande de transfert dans un hôpital de façon à être mieux soigné et espérait qu’elle serait accordée. À la demande de l’Ambassadeur, il a ôté sa chemise et son maillot de corps et s’est retourné; il ne portait pas de traces de torture.

4.11S’agissant de l’application de la Convention, l’État partie rappelle la jurisprudence constante du Comité selon laquelle un particulier doit montrer que le risque de torture est prévisible et encouru personnellement et réellement. L’existence d’un tel risque ne doit pas reposer sur de simples supputations ou soupçons et il n’est pas nécessaire qu’il soit hautement probable. Pour l’évaluation d’un tel risque, qui est prévue dans le droit suédois, les assurances données par le Gouvernement égyptien revêtent une grande importance. En l’absence de jurisprudence du Comité sur l’effet de telles assurances, l’État partie se réfère aux décisions pertinentes rendues par les organes européens en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.12Dans l’affaire Aylor-Davis c. France (décision du 20 janvier 1994), il a été estimé que les garanties obtenues du pays de destination, les États‑Unis, écartaient le risque d’une condamnation à mort de la requérante. La peine de mort ne pouvait être infligée que si elle était effectivement requise par le procureur. Par contre, dans l’affaire Chahal c. Royaume ‑Uni (arrêt du 15 novembre 1996), la Cour n’a pas été persuadée que les assurances données par le Gouvernement indien qu’un séparatiste sikh «jouir[ait] de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu’il n’a[vait] aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d’aucune sorte par les autorités indiennes» offriraient une garantie suffisante de sécurité. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement indien, la Cour a relevé que malgré les efforts de réforme déployés notamment par le Gouvernement indien et les tribunaux, les violations des droits de l’homme commises par des membres des forces de sécurité au Pendjab et ailleurs en Inde continuaient de poser un problème tenace. La jurisprudence donne à penser par conséquent que des garanties peuvent être acceptées lorsqu’on pense que les autorités du pays de destination maîtrisent la situation.

4.13Selon ce critère, le cas d’espèce ressemble davantage à l’affaire Aylor ‑Davis. Les garanties ont été données par un haut représentant du Gouvernement égyptien. L’État partie fait observer que pour être suivies d’effet, les assurances doivent être données par quelqu’un censé être en mesure de veiller à ce qu’elles soient appliquées comme c’est, selon l’État partie, le cas en l’espèce. De plus, lors de la rencontre de décembre entre le Secrétaire d’État suédois et le représentant du Gouvernement égyptien, il a été indiqué clairement à ce dernier quels étaient les enjeux pour la Suède: l’article 3 ayant un caractère absolu, on a expliqué longuement pourquoi il fallait que les garanties soient effectives. Le Secrétaire d’État a réaffirmé qu’il était important pour la Suède de respecter ses obligations internationales, y compris la Convention, et que de ce fait des conditions précises devaient être remplies pour qu’une expulsion soit possible. Il était donc nécessaire d’obtenir des garanties écrites que M. A. bénéficierait d’un procès équitable, qu’il ne serait pas soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains et qu’il ne serait pas condamné à mort ni exécuté. Le procès serait suivi par l’ambassade de Suède au Caire et M. A. devrait pouvoir recevoir régulièrement des visites, même après avoir été condamné. En outre, sa famille ne devait pas être l’objet de mesures de harcèlement sous quelque forme que ce soit. Il a été précisé que la Suède se trouvait dans une position difficile et que le fait pour l’Égypte de ne pas respecter les garanties données auraient des conséquences importantes dans l’avenir pour d’autres affaires concernant l’Europe.

4.14L’État partie donne des indications détaillées sur ces garanties, indications qui ne figurent pas dans le texte de la décision à la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité. L’État partie fait observer que les garanties en question sont nettement plus importantes que celles qui ont été données dans l’affaire Chahal et sont formulées de manière beaucoup plus ferme et en termes positifs. L’État partie souligne également que l’Égypte est partie à la Convention, que l’interdiction de la torture est énoncée dans la Constitution égyptienne et que le fait de commettre ou d’ordonner de commettre des actes de torture constitue une infraction majeure en droit pénal égyptien.

4.15L’État partie note que la requérante craint d’être soumise à un traitement interdit par la Convention parce qu’elle est l’épouse de M. A. Elle ne dit pas à titre personnel qu’elle exerce une activité politique ni qu’elle a été mise en détention ou maltraitée en Égypte. De ce fait et compte tenu des assurances données, il a été décidé qu’elle ne répondait pas aux conditions requises pour obtenir le statut de réfugié. Toutefois, étant donné ses liens étroits avec M. A., et la situation générale en Égypte, on peut considérer qu’elle a besoin de la protection que lui assurent les garanties obtenues. Pour évaluer les perspectives de respect de ces garanties, il est naturellement intéressant de savoir dans quelle mesure les garanties correspondantes données à propos de M. A. ont été respectées et au vu de ce qui s’est passé dans le cas de celui-ci, on peut supposer que les garanties seront aussi effectivement respectées en ce qui concerne la requérante. L’État partie fait observer à cet égard que les cas de M. A. et de la requérante ont bénéficié d’une large attention sur le plan international de même qu’en Suède. On peut considérer que, le sachant, les autorités égyptiennes seront suffisamment avisées pour faire en sorte que la requérante ne subisse pas de mauvais traitements.

4.16L’État partie conclut qu’il a agi dans cette affaire en pleine conformité avec ses obligations internationales en vertu des instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris de la Convention, tout en respectant ses engagements au titre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité. La requérante n’a pas, en l’espèce, démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’elle risquait d’être torturée si elle retournait en Égypte et son expulsion ne constituerait donc pas une violation de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Par une lettre datée du 20 janvier 2003, la requérante a répondu aux observations de l’État partie. Elle affirme que M. A. n’était impliqué dans aucune activité terroriste et que la résolution 1373 (2001) n’est donc pas applicable; de toute façon elle ne pouvait supplanter d’autres obligations internationales telles que celles qui découlent de la Convention. Au Pakistan, il avait été engagé par le Croissant‑Rouge koweïtien pour des missions humanitaires et, en Iran, il avait fait des études sur l’islam à l’université de façon à obtenir une bourse et à subvenir ainsi aux besoins de sa famille. Elle conteste ensuite certains aspects des informations de la Branche spéciale de la police suédoise concernant les activités présumées de M. A.

5.2D’après la requérante, le rapport de la Branche spéciale de la police suédoise ne prouvait pas que M. A. avait participé à des actes terroristes. En tout état de cause, rien n’indiquait qu’il avait commis de tels actes en Suède. Leur conseil n’avait pu prendre connaissance de ce rapport puisque tout le texte, à part la phrase d’introduction et la conclusion selon laquelle il constituait une menace pour la sécurité nationale, avait été masqué et qu’il était donc très difficile d’en réfuter les conclusions. De même, la décision du 18 décembre 2001 rejetant la demande d’asile et ordonnant l’expulsion, décision qui avait été exécutée le jour même dans le cas de M. A. et n’était parvenue à la requérante que le lendemain, ne contenait aucun détail sur les informations recueillies par la Branche spéciale de la police.

5.3S’agissant des assurances données par les autorités égyptiennes, la requérante soutient qu’elles ne sont pas suffisamment explicites et qu’on ne sait pas dans quelle mesure les Égyptiens ont fait en sorte qu’elles soient respectées compte tenu en particulier du fait qu’elles ont été données le lendemain du jour où elles ont été demandées. La requérante fait observer que la Suède n’a pas exigé des autorités égyptiennes qu’elles lui indiquent comment serait traité M. A. à son arrivée et par la suite ni qu’elles lui donnent l’assurance que des visites régulières d’inspection pourraient avoir lieu. La requérante fait observer par ailleurs que même si la torture est interdite par la Constitution et la loi, dans la pratique, les organes de sécurité y ont fréquemment recours.

5.4Quant au journaliste de la radio qui a rendu visite à M. A., il a informé le conseil de la requérante qu’il avait demandé à M. A. s’il avait été torturé et que ce dernier avait dit qu’il ne pouvait pas répondre. Selon le conseil, on peut donc supposer qu’il l’avait été et qu’il a pu le faire comprendre au journaliste alors qu’il avait l’impression que ce n’était pas possible avec l’Ambassadeur. De plus, le conseil de M. A. en Égypte serait d’avis qu’il a été torturé.

5.5La requérante conteste l’interprétation faite par l’État partie de la jurisprudence des organes européens. Elle estime que son cas ressemble davantage à l’affaire Chahal dans laquelle les garanties offertes par l’Inde n’ont pas été jugées suffisantes. Contrairement à l’Égypte, l’Inde est un État démocratique doté d’un système judiciaire efficace. Les organes de sécurité font l’objet d’un contrôle général et le risque de torture est limité au Pendjab, une petite région. En revanche, en Égypte, la torture est très répandue et pratiquée par de nombreux organes, en particulier par les services de sécurité. Si les garanties données par les autorités indiennes étaient insuffisantes, il en est a fortiori de même de celles des Égyptiens. En outre, selon la requérante, la position et les responsabilités du représentant qui a donné les assurances, amoindrit leur valeur. La requérante pense aussi que les assurances données par le Gouvernement égyptien sont comparables à celles fournies dans l’affaire chahal et non pas plus importantes.

5.6En ce qui concerne l’effet prophylactique de la publicité donnée à cette affaire, la requérante fait observer que cette médiatisation ne semble pas avoir entraîné une amélioration de la situation de M. A. et que de toute façon on ne sait pas très bien combien de temps peut durer un tel effet. On ne peut donc guère compter sur ce facteur pour protéger la requérante.

5.7La requérante en conclut que les garanties égyptiennes sont insuffisantes et inappropriées au vu de l’expérience de M. A. et de la surveillance exercée dans son cas ainsi que de la réalité des pratiques des services de sécurité égyptiens. Elle a toujours des motifs sérieux de croire qu’en sa qualité d’épouse d’un terroriste présumé, elle risquerait d’être soumise à la torture en Égypte, et ce dans le but d’obtenir des informations sur M. A. ou d’exercer une contrainte sur ce dernier.

Observations supplémentaires des parties

6.1Dans des observations supplémentaires datées du 27 septembre 2002, l’État partie a mis le Comité au courant de l’évolution de la situation de M. A. Après les deux visites déjà mentionnées, l’Ambassadeur de Suède lui a de nouveau rendu visite les 14 avril, 27 mai, 24 juin, 22 juillet et 9 septembre 2002, soit une fois par mois en principe. Lors de la troisième visite en avril, M. A. était correctement habillé et semblait aller bien compte tenu des circonstances. Il n’avait pas de difficultés à se déplacer et ne semblait pas avoir maigri. Lorsqu’on lui a demandé si les autorités égyptiennes avaient manqué à leur parole et si on l’avait maltraité, il s’est d’abord montré évasif, affirmant que son seul problème était l’absence d’informations concernant la réouverture de son procès. À une nouvelle question sur la façon dont il avait été traité, il a répondu qu’il n’avait pas subi de violences physiques ni été maltraité de toute autre façon. Il s’est seulement plaint de problèmes de sommeil dus à son mal de dos. Un médecin l’avait vu la veille et promis de lui faire passer un examen complet. Lorsqu’on lui a finalement demandé si l’atmosphère amicale dans laquelle se déroulait la visite était la preuve qu’il allait bien et qu’il était bien traité, il a fait signe que oui de la tête.

6.2La quatrième visite de l’Ambassadeur de Suède, en mai, s’est déroulée dans des conditions analogues à celles de la précédente; M. A. avait l’air d’aller bien et d’être en bonne santé. Il a dit au personnel de l’ambassade qu’on l’avait soigné pour une infection rénale. Ses problèmes de dos s’étaient apparemment améliorés et on lui avait promis de lui faire passer une radio. Il s’est plaint des conditions générales de détention, notamment de l’absence de lit digne de ce nom et de toilettes dans sa cellule. Des membres de sa famille pourraient bientôt lui rendre visite.

6.3Lors de la cinquième visite en juin, cette fois encore de l’Ambassadeur de Suède, M. A. avait l’air d’aller bien et pouvait se déplacer sans difficultés. Il ne semblait pas avoir maigri. Aucune nouvelle information n’a été donnée concernant son état de santé. Il a de nouveau évoqué ses problèmes de dos et le fait qu’on avait promis de le soigner. Des membres de sa famille étaient venus le voir la veille et il avait été convenu qu’il recevrait régulièrement des visites de sa famille et de son conseil tous les 15 jours. Il était conscient des tâches de l’ambassade et semblait apprécier les visites. Il comprenait ce que l’ambassade voulait savoir et il a répondu de manière simple et directe aux questions de l’Ambassadeur. Au moment du départ, on l’a vu discuter, semble‑t‑il, de manière décontractée avec deux surveillants.

6.4Lors de la sixième visite de l’Ambassadeur, en juillet, M. A. avait l’air d’aller bien; il était bien habillé et n’avait pas de difficultés à se déplacer. L’atmosphère était décontractée, les conditions de détention n’avaient apparemment pas changé. On n’a rien appris de nouveau sur son état de santé et les soins reçus. Il a dit qu’il n’était pas maltraité et qu’il attendait une visite de sa famille un peu plus tard dans la journée. La septième visite, en septembre, cette fois encore avec l’Ambassadeur, s’est à nouveau déroulée dans une atmosphère décontractée. L’état de santé de M. A. n’avait pas changé; il avait passé une radio au début du mois et en attendait les résultats. Les conditions de détention étaient toujours les mêmes. Il avait pu recevoir des visites de sa famille tous les 15 jours. Il avait été interrogé un mois auparavant mais n’avait rien appris de nouveau au sujet de la réouverture de son procès.

7.1Le 22 octobre 2002, la requérante a répondu aux observations supplémentaires de l’État partie. Le 23 janvier 2002, ses beaux-parents avaient rendu visite à M. A. à la prison de Tora, en compagnie d’un avocat égyptien. Sa belle‑mère affirme qu’il marchait avec difficulté et était soutenu par un surveillant. Il paraissait pâle, faible, apparemment en état de choc et prêt à s’effondrer. Il aurait eu les yeux, les joues et les pieds enflés, et le nez plus gros que d’habitude et ensanglanté. Il a dit qu’il avait été attaché et suspendu la tête en bas durant son transport à la prison puis qu’il avait eu les yeux constamment bandés et qu’on l’avait soumis à des méthodes d’interrogatoire sophistiquées, lui administrant notamment des décharges électriques. On lui avait dit que les garanties données au Gouvernement suédois n’avaient aucune valeur. Cette visite aurait été alors interrompue par l’arrivée de l’Ambassadeur de Suède.

7.2Les parents de M. A. ont rendu publics ses propos. Ils ont poursuivi en vain leurs efforts pour le voir et ont été informés que cela dépendrait de leur comportement. Le 16 avril, quasiment sans préavis, ils lui ont à nouveau rendu visite en prison. Il aurait dit à voix basse à sa mère qu’on lui avait de nouveau administré des décharges électriques après la visite du mois de janvier et qu’il avait été placé à l’isolement pendant environ 10 jours. Il avait les bras et les jambes attachés derrière le dos et il ne pouvait pas se soulager. Il a dit qu’il avait parlé à l’Ambassadeur de Suède de la torture et que des responsables de la prison l’avaient engagé à refuser toute nouvelle visite de l’Ambassadeur. Il a déclaré que certains d’entre eux lui avaient dit que sa femme serait bientôt de retour et avaient menacé de lui faire subir des violences sexuelles ainsi qu’à sa mère. Il avait été maintenu à l’isolement dans une cellule de 2 m2, sans fenêtre, ni chauffage ni lumière, et lorsqu’il n’était pas attaché, il ne pouvait aller aux toilettes qu’une fois par jour, ce qui lui avait provoqué des problèmes rénaux.

7.3À partir du mois d’avril, ses parents ont pu lui rendre visite tous les mois, et à partir de juillet tous les 15 jours, dans un lieu différent de celui où l’Ambassadeur l’avait rencontré. À plusieurs reprises, d’autres visites ont été refusées pour diverses raisons. On aurait engagé les parents à ne pas dévoiler d’informations sur M. A. et à encourager la requérante à revenir en Égypte. Les parents ne pouvaient apparemment pas fournir davantage d’informations de peur que M. A. ne subisse des représailles.

7.4Tout en reconnaissant qu’il y a des contradictions entre les comptes rendus des visites faits par l’État partie et ceux faits par les parents, la requérante fait observer qu’ils concordent sur certains points, par exemple pour ce qui est des conditions de détention et du caractère un peu évasif des réponses de M. A. Forcément, les contacts diplomatiques sont formels et il est normal que M. A. hésite à révéler certaines choses à portée de voix des surveillants pour risquer ensuite d’en subir les conséquences. Selon les normes internationales, en pareille situation, l’entretien avec un détenu doit se dérouler en privé et sans surveillance et un membre qualifié de la profession médicale doit pouvoir examiner un détenu en cas de soupçon de torture. Le fait que ces normes n’ont pas été respectées amoindrit la valeur des observations de l’État partie. D’après la requérante, les représentants diplomatiques de l’État partie ne sont pas médicalement qualifiés pour détecter des signes de torture et ils risquent d’interpréter ce qu’ils voient dans un sens favorable à leur Gouvernement. Par contre, les parents connaissent bien mieux la manière d’être de leur fils qui peut leur parler à voix basse hors de portée de voix des surveillants. Quant au correspondant de la radio suédoise, il n’a pu voir que le visage et les mains de M. A. Quoi qu’il en soit, celui-ci s’est plaint de douleurs dans le dos et se déplaçait avec difficulté et n’a fait aucun commentaire lorsqu’on lui a demandé directement s’il avait été torturé.

7.5En conséquence, la requérante affirme que l’État partie ne s’est pas acquitté de la responsabilité qui lui incombe d’apporter la preuve que M. A. n’a pas été torturé. En clair, l’intérêt des organes de sécurité de l’État à obtenir des informations, au besoin par la torture, l’emporte sur l’intérêt plus large en matière de politique étrangère à respecter leurs engagements internationaux. Étant donné que M. A. fait toujours l’objet d’une enquête, semble‑t‑il en rapport avec des attentats contre l’ambassade d’Égypte à Islamabad (Pakistan) en 1995 et contre un car de touristes à Louxor (Égypte) en 1997, il est probable, selon elle, qu’on l’arrêtera, qu’on l’interrogera et qu’on la torturera dans le but de lui soutirer des informations ou d’inciter son mari à coopérer avec les enquêteurs.

8.1Le 29 janvier 2003, la requérante a produit une note d’information datée de janvier 2003 émanant d’Amnesty International, dans laquelle cette organisation émettait l’avis que la requérante risquerait d’être torturée en cas de renvoi, et que les garanties fournies n’étaient pas effectives. Amnesty International mentionne également le cas de proches parents d’autres prisonniers politiques qui auraient été arrêtés et soumis à des mauvais traitements. La requérante se réfère également à un avis personnel de Thomas Hammarberg, Secrétaire général du Centre international Olof Palme, qui a estimé que le suivi de la situation de M. A. posait des problèmes.

9.1Le 26 mars 2003, l’État partie a donné des informations actualisées sur les contacts qu’il avait eus avec M. A. depuis ses précédentes observations. Après septembre 2002, l’ambassade de Suède avait continué à suivre sa situation, lui rendant visite en novembre 2002, janvier 2003 et mars 2003. Lors de la huitième visite de l’Ambassadeur et d’autres membres de l’ambassade, le 4 novembre 2002, M. A. n’avait pas de difficultés à se déplacer et donnait l’impression d’être en bonne santé, et il avait indiqué qu’on lui avait fait passer un examen du dos, ce matin-là. Il devait être examiné un peu plus tard par un spécialiste. D’après lui, il avait pu recevoir davantage de soins à la suite des visites de l’Ambassadeur. Il a confirmé qu’il n’avait pas été soumis à de mauvais traitements physiques, se plaignant simplement d’être détenu dans un quartier de la prison réservé aux prévenus alors qu’il était condamné. Il n’avait reçu aucune information concernant la réouverture de son procès. À l’issue de l’entretien, l’Ambassadeur a conclu que rien n’indiquait que les autorités égyptiennes n’aient pas tenu leur promesse tout en admettant que la détention était psychologiquement éprouvante.

9.2La neuvième visite de l’Ambassadeur et de ses collaborateurs a eu lieu le 19 janvier 2003. M. A. avait l’air d’aller bien et avait dans la mesure du possible observé le ramadan. Depuis le mois de décembre il n’était plus séparé des autres détenus. Ces derniers pouvaient circuler assez librement dans la journée et étaient enfermés dans leur cellule à partir de 16 heures jusqu’à 8 heures du matin. Il appréciait de pouvoir aller et venir dans la cour de la prison. Bien que sa cellule soit surpeuplée la nuit, sa situation s’était généralement améliorée. D’autres examens du dos avaient été prévus à l’hôpital de la prison. Aucune autre information n’avait été donnée concernant la réouverture de son procès et son avocat ne lui avait rendu visite qu’une seule fois. En revanche, sa famille venait le voir tous les 15 jours. L’Ambassadeur a trouvé qu’il était plus ouvert et plus détendu. Il semblait très tourmenté par l’incertitude concernant la réouverture future de son procès et une nouvelle condamnation.

9.3La dixième visite, cette fois d’un haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères de Stockholm ainsi que de l’Ambassadeur et de membres du personnel de l’ambassade, a eu lieu le 5 mars 2003; elle a duré une heure et s’est déroulée dans une atmosphère détendue. Le directeur de la prison a informé les visiteurs que M. A. était détenu dans le quartier de la prison réservé aux condamnés à des peines de 3 à 25 ans d’emprisonnement. M. A. paraissait content de recevoir une nouvelle visite. Il avait l’air d’aller bien et de pouvoir se déplacer sans problèmes. Il a dit qu’il avait été transféré en janvier 2003 à cause de ses problèmes de santé et qu’on lui avait fait passer un examen (IRM) du dos. Étant pharmacien, il pouvait s’administrer lui-même ses médicaments. Il a dit qu’il était traité comme les autres détenus. En ce qui concerne sa représentation en justice, il avait pris un nouvel avocat qui cherchait à lui obtenir une remise de peine.

9.4L’État partie décrit ensuite certaines allégations formulées par M. A. et les mesures qu’il a prises en guise de réponse et invite le Comité à tirer une série de conclusions des faits décrits. À la demande de l’État partie et avec l’accord du Comité, les détails fournis à ce sujet ne sont pas reproduits dans le texte de la présente décision.

9.5À propos de cette affaire, l’État partie appelle l’attention du Comité sur le rapport intérimaire sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants soumis par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, en application de la résolution 56/143 de l’Assemblée générale en date du 19 décembre 2001. Dans ce rapport, le Rapporteur spécial a demandé à tous les États «de veiller à ce qu’en aucun cas les personnes qu’ils ont l’intention d’extrader, pour qu’elles répondent du chef de terrorisme ou d’autres chefs, ne soient livrées, à moins que le gouvernement du pays qui les reçoit ne garantisse de manière non équivoque aux autorités qui extradent les intéressés que ceux-ci ne seront pas soumis à la torture ou à aucune autre forme de mauvais traitement lors de leur retour et qu’un dispositif a été mis en place afin de s’assurer qu’ils sont traités dans le plein respect de la dignité humaine» (par. 35). L’État partie affirme, à la lumière des informations présentées, qu’il a agi conformément aux recommandations du Rapporteur spécial. Avant de décider d’expulser M. A., des garanties ont été obtenues de la personne la mieux placée au sein de l’administration égyptienne pour faire en sorte qu’elles soient respectées. Les garanties fournies correspondent sur le fond aux conditions énoncées par le Rapporteur spécial. En outre, un mécanisme de contrôle a été mis en place et fonctionne depuis plus d’un an.

9.6L’État partie conclut que les garanties concernant M. A. ayant été respectées, on peut supposer que les assurances données à propos de la requérante protégeront cette dernière contre le risque de torture de la part des autorités égyptiennes. La requérante n’a donc pas étayé l’argument selon lequel il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Égypte. Par conséquent, l’exécution de la décision d’expulsion ne constituerait pas dans les circonstances actuelles une violation de l’article 3.

10.1Par une lettre du 23 avril 2003, la requérante, tout en reconnaissant que les visites évoquées ont bien eu lieu, soutient que la conclusion selon laquelle M. A. est bien traité n’est pas justifiée étant donné que les modalités de contrôle de sa situation n’ont pas été conformes aux normes internationales généralement acceptées. En particulier, les visites ne se sont pas déroulées en privé et il n’a été procédé à aucun examen médical; on pouvait donc s’attendre à ce qu’il hésite à s’exprimer librement. M. A. aurait dit à sa mère qu’en janvier 2003 il avait compris que les mauvais traitements continueraient, qu’il essaie ou non de le cacher, c’est pourquoi il en avait parlé. D’après la requérante, cet incident montre aussi que les parents de M. A. n’ont rien exagéré et que ce qu’ils ont dit reflète bien ses conditions réelles de détention. À l’appui de ces affirmations, la requérante se réfère aux questions soulevées par l’État partie au paragraphe 9.4 ci‑dessus.

10.2La requérante dit qu’on ne dispose d’aucune information sur le moment où un nouveau procès pourrait finalement avoir lieu. On ne sait toujours pas si les accusations portées contre M. A. peuvent être prouvées dans le cadre d’une action en justice présentant toutes les garanties d’une procédure régulière. De l’avis de la requérante, il n’est pas surprenant que les autorités égyptiennes nient que la torture ait été pratiquée. Mais, selon elle, l’on comprend difficilement pourquoi un détecteur de mensonges a été utilisé si la preuve ainsi obtenue n’est pas admissible devant un tribunal. L’État partie dit que des examens médicaux ont été effectués mais il n’en a pas fourni la preuve et leur objectivité serait contestable.

10.3En ce qui concerne les garanties non équivoques recommandées par le Rapporteur spécial, la requérante fait valoir que les renseignements qui ont été fournis concernant les mauvais traitements infligés démontrent que ces garanties n’ont pas été suffisantes comme le préconise le Rapporteur spécial. C’est pourquoi, la requérante, qui a des liens étroits avec son mari, a suivi ses activités en exil et y sera donc inévitablement associée, est fondée à croire qu’elle court un risque élevé d’être soumise à la torture. Son renvoi en Égypte constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

11.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas fait l’objet d’un examen et n’est pas en cours d’examen devant d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte n’est pas suffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, le Comité estime que la requérante a fourni assez d’éléments pour lui permettre d’examiner la plainte quant au fond. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la requête opposés par l’État partie, le Comité procède à l’examen de la communication sur le fond.

12.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en Égypte, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité rappelle sa pratique constante consistant à se prononcer sur cette question telle qu’elle se présentait au moment où la plainte a été examinée et non pas au moment où elle a été soumise. Il s’ensuit que les faits survenus entre le moment où une communication est soumise et celui où elle est examinée par le Comité peuvent présenter un intérêt et jouer un rôle dans la décision du Comité sur toute question soulevée au titre de l’article 3.

12.2 Le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture à son retour en Égypte. Cela signifie que le Comité n’a pas à déterminer si l’expulsion de M. A. a constitué une violation par la Suède de ses obligations en vertu de l’article 3 ou de tous autres articles de la Convention et encore moins s’il a subi des tortures aux mains des autorités égyptiennes. Pour évaluer le risque couru par la requérante, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence, dans le pays, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant qu’il s’agit de déterminer si la personne concernée risque personnellement d’être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle serait renvoyée. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle courrait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière.

12.3En l’espèce, le Comité relève que le mari de la requérante, M. A., a été renvoyé en Égypte en décembre 2001, soit près de deux ans avant que le Comité examine l’affaire. Le Comité note que sa détention a depuis fait l’objet d’une surveillance grâce aux visites régulières de l’Ambassadeur, du personnel de l’ambassade et de représentants de rang élevé de l’État partie ainsi que de la famille de M. A., qu’il aurait été bien soigné et que ses conditions de détention seraient convenables. Le Comité relève que la requérante fonde son allégation uniquement sur sa relation avec son époux et soutient qu’elle risque d’être torturée du fait de ce lien. Le Comité rappelle à cet égard une de ses décisions antérieures par laquelle il a rejeté des allégations faisant état d’un risque d’être torturé en raison de liens de parenté avec la direction d’une organisation terroriste présumée − en soi, ces liens familiaux sont généralement insuffisants pour fonder une plainte au titre de l’article 3. Au vu du temps écoulé, le Comité juge aussi satisfaisantes les garanties données contre tout traitement abusif, garanties qui couvrent aussi la requérante et dont les autorités de l’État partie vérifient régulièrement le respect sur place. Il est aussi utile de noter aux fins de l’examen de cette affaire par le Comité que l’Égypte, qui est partie à la Convention, a l’obligation de traiter convenablement les détenus relevant de sa juridiction et que tout manquement à cette obligation constituerait une violation de la Convention. Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité estime qu’il n’existe pas actuellement pour la requérante de risque sérieux d’être personnellement torturée si elle retournait en Égypte.

13.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que la requérante n’a pas étayé ses craintes d’être soumise à la torture si elle retournait en Égypte et conclut en conséquence que le renvoi de la requérante dans ce pays à l’heure actuelle ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  203/2002

Présentée par:

A. R. (représenté par M. R. Himja)

Au nom:

Du requérant

État partie:

Pays‑Bas

Date de la requête:

14 mars 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 203/2002 présentée par M. A. R. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. A. R., de nationalité iranienne, né le 30 juin 1966, résidant actuellement aux Pays‑Bas et frappé d’une mesure d’expulsion. Il affirme que son renvoi en Iran constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 22 mars 2002, le Comité a transmis la requête à l’État partie en le priant de formuler ses observations.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le conseil affirme qu’après la révolution iranienne de 1979, le requérant est devenu sympathisant d’un parti politique, le Fedayin Khalq‑Iran. Il a commencé à militer dans ce parti alors qu’il était au lycée. En janvier 1983, il a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir distribué des tracts illégaux et troublé l’ordre public, et détenu pendant 25 jours. Il dit avoir été sauvagement battu pendant sa détention. À sa libération, il a été expulsé de son établissement scolaire.

2.2Le requérant a poursuivi ses activités politiques, distribuant des tracts illégaux et participant à des rassemblements non autorisés. Il a de nouveau été arrêté en juillet 1983 et traduit devant un tribunal révolutionnaire, qui l’a condamné à deux ans d’emprisonnement. Au cours de ses deux premières semaines d’emprisonnement, il a été interrogé, torturé et maltraité. Il a été par deux fois soumis à un simulacre d’exécution, qui consistait à lui bander les yeux, dos au mur, avant de tirer des coups de feu. Il a ensuite été placé en isolement cellulaire pendant un mois et demi. À la fin de sa peine, on l’a obligé à signer une déclaration par laquelle il s’engageait à ne plus mener d’activités politiques, sous peine de mort.

2.3À sa sortie de prison, le requérant a été contraint d’effectuer son service militaire. Il affirme avoir été victime de discrimination pendant cette période en ce sens qu’il s’est vu confier des tâches dangereuses sur le front. Après son service militaire, il a entrepris des études supérieures dans une université privée, étant donné qu’il n’était pas autorisé à poursuivre ses études dans une université ordinaire, puis il a trouvé un emploi. En 1989, il a repris ses activités politiques au sein d’un groupe de personnes liées au Fedayin Khalq. Ce groupe distribuait des tracts et une revue politique, écrivait des slogans sur les murs et collectait des dons pour venir en aide aux familles de prisonniers politiques.

2.4Le soir du 30 avril 1994, le groupe a distribué des tracts et inscrit des slogans sur les murs de plusieurs quartiers de Téhéran. Le lendemain matin, le requérant a remarqué que certains des slogans n’étaient pas terminés, et il a appris que deux membres du groupe n’avaient pas prévenu leurs camarades qu’ils avaient terminé leur travail. Craignant que les activités du groupe n’aient été mises à jour, le requérant a fui Téhéran. Il a appris par la suite que les autorités avaient fouillé son appartement et emporté ses affaires, y compris des tracts illégaux et d’autres documents politiques. Il a aussi été informé que son père avait été arrêté et interrogé par les autorités, puis relâché à la condition qu’il informerait les autorités de l’endroit où se cachait le requérant. Ce dernier a fui l’Iran le 21 juin 1994.

2.5Après son arrivée aux Pays‑Bas, le requérant a pris part à un certain nombre d’activités politiques. Il a notamment participé à la création de Nabard, organisation regroupant des réfugiés iraniens qui suit la situation des droits de l’homme en Iran. Il a rédigé et publié des rapports pour cette organisation, sans que son nom n’apparaisse jamais. Nabard entretenait des liens étroits avec un groupe appartenant aux fedayins basé en France et des groupes d’opposition en Iran. En 1996, le requérant a été informé par son frère, qui avait obtenu l’asile en Suède, qu’une lettre adressée par le requérant à son père avait été interceptée par les autorités et que son père avait été arrêté pour ne pas avoir prévenu les autorités de la réception de cette lettre.

2.6Le 14 juillet 1994, le requérant a demandé l’asile aux Pays‑Bas. Sa demande a été rejetée par le Secrétaire d’État du Département de la justice le 30 août 1994. Un examen interne de cette décision, demandé par le requérant, a confirmé la première décision. Un recours formé auprès du tribunal de district de La Haye a été rejeté le 11 février 1997. Le tribunal a estimé que le requérant n’avait pas été inquiété par les autorités iraniennes entre 1985 et 1994 et qu’il n’existait aucune preuve objective que des membres de son groupe avaient effectivement été arrêtés en mai 1994.

2.7Le 16 juin 1997, le requérant a déposé une deuxième demande de statut de réfugié, accompagnée cette fois d’une lettre de son conseil et de documents iraniens datés de mai 1994, qui émaneraient du Bureau du Procureur du tribunal révolutionnaire, à savoir une ordonnance de citation et une copie d’un document censé établir que la résidence du requérant avait été placée sous scellés. Cette demande a elle aussi été rejetée car les autorités néerlandaises ont estimé que les documents iraniens n’étaient pas authentiques. Un examen interne a confirmé cette décision et un recours formé auprès du tribunal de district de La Haye a été rejeté le 23 février 2001. Le tribunal a estimé que la première demande d’asile avait reçu toute l’attention voulue et confirmé que les documents iraniens n’étaient pas authentiques, ce qui jetait le doute sur les dires du requérant. Il a également estimé qu’il n’y avait pas de lien entre les activités politiques menées par le requérant en Iran et celles qu’il a par la suite menées aux Pays‑Bas.

2.8Le 18 février 2002, la Police des étrangers a informé le requérant qu’il devait quitter les Pays‑Bas.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme craindre d’être torturé s’il est renvoyé en Iran par les autorités néerlandaises et estime que son expulsion vers l’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il dit qu’il a déjà été torturé pendant qu’il était en détention provisoire en raison de ses activités politiques en Iran et que, compte tenu des activités politiques qu’il a ensuite menées tant en Iran qu’aux Pays‑Bas, il risque d’être à nouveau torturé s’il retourne en Iran. À cet égard, il évoque également la situation générale des droits de l’homme en Iran, et en particulier les informations faisant état d’actes de torture.

3.2Le requérant déclare que les autorités néerlandaises se sont trompées en concluant qu’il n’avait pas eu de problèmes avec les autorités iraniennes entre 1985 et 1994 et qu’il n’y avait pas de lien entre ses activités politiques en Iran et celles qu’il a menées aux Pays‑Bas. Il affirme que sa première demande d’asile n’a pas reçu l’attention voulue de la part des autorités néerlandaises.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 6 mai 2002, l’État partie a informé le Comité qu’il n’avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la requête. Ses observations sur le fond ont été transmises sous couvert d’une note datée du 23 septembre 2002.

4.2L’État partie fait valoir qu’en expulsant le requérant il ne violerait pas ses obligations en vertu de l’article 3 de la Convention. Il fournit une description détaillée des voies juridiques par lesquelles une demande de statut de réfugié peut être déposée et des possibilités de recours administratifs et judiciaires. Le cadre législatif applicable à l’admission et à l’expulsion des étrangers est défini par la loi sur les étrangers de 1965 et par les décrets et règlements connexes. Les demandeurs d’asile sont interrogés deux fois par les autorités et, la deuxième fois, l’accent est mis sur les raisons qu’avait le demandeur de quitter son pays d’origine. Un conseil peut être présent lors de ces entretiens. Le demandeur d’asile reçoit une copie du rapport rédigé après les entretiens et il a deux jours pour proposer des modifications ou des ajouts. Une décision est alors rendue par un agent du Département de l’immigration et de la naturalisation au nom du Secrétaire d’État à la justice. Si la demande est rejetée, le demandeur d’asile peut formuler une objection. Si sa crainte de la persécution est suffisamment étayée, un Comité consultatif examine la décision en première instance et interroge le demandeur. Un représentant du HCR est invité à assister à l’entretien et à faire connaître les vues du Haut‑Commissariat. Une recommandation est transmise au Secrétaire d’État à la justice, qui tranche. Si l’objection est rejetée, un recours peut être formé auprès du tribunal de district. Aucun autre recours n’est possible.

4.3L’État partie indique que le Ministère néerlandais des affaires étrangères publie régulièrement des rapports sur la situation dans les pays d’origine pour aider le Département de l’immigration et de la naturalisation à évaluer les demandes d’asile. De 1994 jusqu’au début de 1995, sur la base d’un rapport de pays élaboré en 1991 indiquant que la situation des droits de l’homme était alarmante en Iran, les demandeurs d’asile iraniens pouvaient prétendre à une autorisation de séjour provisoire. Il a ensuite été mis fin à cette pratique, un nouveau rapport concluant que la situation générale de l’Iran s’était améliorée.

4.4En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, l’État partie résume les informations fournies par ce dernier au Département de l’immigration et de la naturalisation au cours des deux entretiens qu’il a eus à l’occasion de chacune de ses deux demandes de statut de réfugié, et donne un aperçu des procédures administratives et judiciaires pertinentes. En particulier, il note que les documents iraniens présentés par le requérant ont été soigneusement examinés par le Ministère des affaires étrangères et jugés non authentiques.

4.5L’État partie note que, s’agissant d’une plainte concernant l’article 3, le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que la personne concernée risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée dans son pays. L’expression «motifs sérieux» implique davantage qu’une simple possibilité de torture mais il n’est pas nécessaire que le risque couru soit hautement probable. L’État partie fait valoir que la situation générale des droits de l’homme en Iran n’est pas telle que toute personne qui serait renvoyée dans ce pays risquerait d’être torturée. S’agissant du requérant, il relève que, premièrement, son soutien à l’organisation politique interdite des fedayins n’est pas une raison suffisante pour affirmer qu’il risque d’être torturé à son retour en Iran. Les rapports consacrés au pays ne font pas état de condamnations récentes de membres de cette organisation. Deuxièmement, depuis sa sortie de prison, en 1985, le requérant n’a pas eu de problème notable avec les autorités iraniennes et ne se considérait apparemment pas lui-même en danger, puisqu’il est resté dans le pays jusqu’en 1994. L’État partie note que, à sa sortie de prison, le requérant a servi normalement dans les forces armées, ce qui laisse supposer qu’il ne faisait l’objet d’aucune suspicion de la part des autorités. L’État partie estime que les problèmes auxquels le requérant affirme avoir été confronté après sa libération sont relativement mineurs.

4.6En ce qui concerne les activités du requérant en mai 1994, l’État partie note que le requérant n’a fourni aucune preuve concrète de l’arrestation d’un ou de plusieurs membres de son groupe. De même, il n’a apporté aucune preuve objective de l’arrestation de son père. Les seuls éléments fournis à cet égard proviennent de membres de la famille.

4.7L’État partie fait valoir que les activités politiques menées par le requérant aux Pays‑Bas ne lui font pas courir personnellement le risque d’être torturé à son retour en Iran, puisque rien ne permet de dire ou de prouver que les autorités iraniennes sont au courant de ses activités aux Pays‑Bas.

4.8Enfin, l’État partie s’élève contre l’affirmation selon laquelle le requérant n’a pas eu la possibilité d’exposer pleinement son cas lors de sa première demande d’asile. Sa deuxième demande contenait simplement un récit plus détaillé des événements et non un récit différent. En tout état de cause, les nouveaux éléments, comme les documents produits par le requérant, ont été soigneusement examinés par les autorités. À cet égard, il s’est avéré que les documents iraniens n’étaient pas authentiques; en effet, ils ne sont pas conformes aux normes de présentation de ce type de documents en Iran.

4.9Selon l’État partie, il n’existe aucune raison de croire que le requérant court personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé s’il est renvoyé en Iran et son expulsion par les Pays-Bas vers l’Iran ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 2 janvier 2003, le requérant affirme qu’aucune de ses demandes n’a été examinée par le Comité consultatif auquel l’État partie fait référence dans ses observations. Pour lui, le ton du rapport du Gouvernement sur l’Iran en 2001 n’était pas le même que les années précédentes et était, de fait, très négatif. Il estime que le fait que l’État partie ne dispose d’aucune information concernant des condamnations récentes de membres des fedayins n’est pas pertinent et affirme qu’il ne faudrait pas en conclure que les personnes participant aux activités des fedayins ne courent pas de risques graves. Il déclare que les activités du groupe sont illégales en Iran et qu’il est donc difficile de les détecter et d’en poursuivre les auteurs.

5.2Le requérant affirme de nouveau qu’il a eu des problèmes entre 1985 et 1994 et que cela montre bien que les autorités iraniennes continuent de le considérer avec suspicion.

5.3La réponse du requérant est accompagnée d’une lettre de soutien d’Amnesty International qui met en évidence certains détails du Code pénal iranien, les risques encourus par quiconque mène des activités au nom d’organisations d’opposition interdites et les carences présumées de l’administration de la justice en Iran. La lettre cite aussi des cas d’exécution et de torture de membres de mouvements politiques d’opposition relevés ces dernières années, mais aucun cas récent concernant des membres des fedayins. Elle souligne que le requérant a été libéré en 1985 à condition de ne pas mener d’activités politiques et qu’il a été informé qu’il serait condamné à la peine de mort s’il n’obtempérait pas. Elle affirme que les documents iraniens présentés par le requérant, et jugés non authentiques par l’État partie, ont été examinés par un expert des documents juridiques iraniens qui a attesté de leur authenticité. Elle fait valoir enfin que les activités politiques menées par le requérant tant en Iran qu’aux Pays‑Bas ont été importantes et qu’aux Pays‑Bas son nom a été cité dans les médias nationaux à plusieurs reprises. Le requérant ne devrait pas avoir à prouver que ses activités aux Pays‑Bas sont connues des autorités iraniennes.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note datée du 14 avril 2003, l’État partie a transmis au Comité des observations supplémentaires. Il déclare qu’il n’existe aucune preuve que le requérant risque personnellement d’être torturé s’il est renvoyé en Iran et que ses arguments se fondent uniquement sur des supputations et des soupçons. Il réaffirme que, compte tenu des éléments disponibles, le requérant n’a pas joué un rôle de premier plan dans l’organisation Fedayin Khalq et qu’il n’a pas connu de problème particulier en Iran après 1985. Il rappelle que les démarches du requérant auprès des autorités judiciaires et des autorités d’immigration néerlandaises ont duré sept ans et que les tribunaux ont deux fois confirmé la légalité des décisions prises par les autorités concernées.

6.2L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité concernant la communication no 204/2002, H. K. H. c. Suède (28 novembre 2002), au sujet de laquelle il a noté que, pour qu’il y ait violation de l’article 3 de la Convention, «il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque».

6.3En ce qui concerne l’authenticité des documents iraniens, examinés par un expert au nom du requérant, l’État partie note que les documents cités par l’expert portent des dates différentes de celles des documents produits par le requérant, et que le nom de la personne à laquelle ces documents étaient adressés a été supprimé. Il affirme également qu’il a tenu compte de la situation générale en Iran pour évaluer les risques qu’encourrait personnellement le requérant s’il était renvoyé en Iran.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que l’État partie n’a pas soulevé d’objection concernant la recevabilité de la communication. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Conformément à la jurisprudence du Comité, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. À l’inverse, l’absence d’une telle situation ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale concernant l’application de l’article 3, selon laquelle le Comité est tenu de déterminer «s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture» s’il est renvoyé et que l’existence d’un tel risque «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». Il n’est pas nécessaire que le risque soit «hautement probable» mais il doit être encouru «personnellement et actuellement». À cet égard, dans des décisions antérieures, le Comité a indiqué que le requérant devait courir «personnellement un risque réel et prévisible» d’être torturé.

7.4En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité relève que le requérant affirme avoir été torturé et emprisonné précédemment par les autorités iraniennes en raison de sa participation aux activités de l’organisation Fedayin Khalq‑Iran, ce que ne conteste pas l’État partie. Toutefois, les actes présumés de torture remontent à 1983, soit à 20 ans environ. Le Comité note que, conformément à son Observation générale concernant l’article 3, les éléments à prendre en compte pour évaluer le risque de torture comprennent la question de savoir si le requérant a été torturé dans le passé et, dans l’affirmative, s’il s’agit d’un passé récent. Or cela n’est pas le cas en l’espèce.

7.5Le Comité précise en outre dans son Observation générale qu’il faut également vérifier si l’auteur de la communication s’est livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État intéressé, à des activités politiques qui font qu’il «court un risque particulier» d’être soumis à la torture. Dans le cas à l’examen, le requérant affirme avoir signé, lors de sa remise en liberté, un document par lequel il s’engageait à ne plus mener d’activités politiques et dit avoir été harcelé par les autorités après sa sortie de prison. Il soutient que, malgré cela, il a poursuivi ses activités politiques en Iran, qu’il avait de bonnes raisons de fuir l’Iran en 1994 et qu’il a continué ses activités politiques aux Pays‑Bas, activités dont les autorités iraniennes pourraient avoir eu vent. Le requérant fait en outre valoir qu’il a soumis aux autorités des documents iraniens, établis par le Bureau du Procureur du tribunal révolutionnaire, qui attestent de l’intérêt des autorités iraniennes à son égard et des dangers qui l’attendent en Iran.

7.6Le Comité note que les arguments du requérant et les preuves soumises à l’appui ont tous été examinés par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle il n’est pas un organe d’appel ou un organe juridictionnel ou administratif. Aux termes de son Observation générale, le Comité est habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, mais il doit accorder un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie. En l’espèce, le Comité ne peut établir que l’évaluation du cas du requérant par l’État partie a laissé à désirer de ce point de vue. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le requérant n’a pas démontré qu’il encourrait personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé s’il était renvoyé en Iran.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Iran ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 209/2002

Présentée par:M. O. (représenté par un conseil, Mme Birte Falkesgaard‑Larsen)

Au nom:Du requérant

État partie:Danemark

Date de la requête:24 mai 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 209/2002 présentée par M. M. O. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. M. O., de nationalité algérienne, résidant actuellement au Danemark et frappé d’une mesure d’expulsion vers l’Algérie. Il affirme que son retour forcé en Algérie constituerait une violation par le Danemark de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 5 juin 2002, le Comité a transmis la requête à l’État partie. Le 7 mars 2003, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité et comme suite à la demande formulée par le conseil le 7 février 2003, l’État partie a été prié de ne pas expulser le requérant vers l’Algérie tant que le Comité n’aurait pas achevé l’examen de la requête.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a servi dans l’armée algérienne entre 1991 et 1998, en tant que caporal dans un dépôt d’armes. Il affirme avoir été contacté en 1994 par des représentants du Groupe islamique armé (GIA), qui lui ont demandé de travailler pour eux, ce qu’il a refusé. Cette même année, pour des raisons non spécifiées, il a été envoyé dans une prison militaire. Rien n’indique s’il a été jugé ou condamné ni à quelle date exacte il a été remis en liberté.

2.2Le requérant affirme que les autorités ont appris qu’il avait été contacté par le GIA en 1996 et qu’il a de nouveau été arrêté et emprisonné en 1998 parce qu’il était soupçonné d’avoir fourni des armes, des munitions et de la nourriture au GIA. Il aurait été interrogé et torturé par des agents des forces de sécurité algériennes et aurait avoué sous la torture qu’il avait travaillé pour le GIA. Il aurait notamment reçu des coups de pied sur ses organes génitaux et des décharges électriques sur ses organes génitaux, ses épaules, ses mains et ses pieds. Il aurait également été menacé de représailles contre sa mère s’il refusait de coopérer. Son état est devenu tellement critique qu’il a dû être transféré dans un hôpital militaire, d’où il est parvenu à s’évader. Étant donné qu’il appartenait toujours aux forces armées au moment de son évasion, il est considéré comme un déserteur.

2.3Le requérant est arrivé au Danemark en 1999 et a présenté une demande d’asile aux services d’immigration danois le 28 décembre 1999. Sa demande a été rejetée le 2 mars 2001 et la Commission de recours des réfugiés (ci-après Commission de recours) a confirmé cette décision le 21 août 2001. La Commission a estimé que les déclarations du requérant concernant les motifs pour lesquels il demandait l’asile n’étaient pas fiables et que son récit comportait des incohérences. Elle a considéré qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments pour prouver qu’il avait été torturé en Algérie. Elle a pris note d’un rapport d’Amnesty International selon lequel le requérant ne présentait aucun signe de traumatisme psychique, bien que les marques trouvées sur son corps correspondent à certaines des tortures décrites. La Commission de recours a conclu que les éléments du dossier ne pouvaient justifier l’octroi de l’asile.

2.4Le requérant a ensuite subi un examen psychologique, qui a révélé qu’il souffrait de troubles post‑traumatiques et présentait des signes de dissociation mentale, souvent constatés chez les victimes de tortures. Le rapport indiquait que le requérant cessait de prendre part à la conversation lorsque les sujets abordés étaient d’ordre émotionnel et qu’il était sujet à des réminiscences. Le requérant ne parvenait pas à se concentrer sur certaines questions en raison de sa peur d’être torturé de nouveau et il supportait mal d’être interrogé par des hommes parce qu’il avait été torturé par des hommes. Le rapport concluait que les troubles post‑traumatiques dont il souffrait avaient une incidence sur son aptitude à relater des faits lorsqu’il était interrogé. Le 14 septembre 2002, compte tenu du rapport établi par le psychologue, le requérant a demandé à la Commission de recours de rouvrir son dossier. Sa demande a été rejetée le 24 janvier 2003.

2.5Le requérant attribue les incohérences de son récit à plusieurs facteurs. Tout d’abord, il affirme que l’interprète fourni parlait une forme «orientale» de l’arabe, qu’il ne comprenait pas bien. Sa première langue serait le français. Ensuite, il fait valoir qu’il souffre de troubles post‑traumatiques, comme le montre le rapport du psychologue, et affirme que le fait de raconter son histoire aux autorités danoises a provoqué chez lui des crises d’angoisse en lui faisant revivre les tortures qui lui avaient été infligées. Son maintien en détention par les autorités danoises l’aurait traumatisé et empêché de livrer un récit cohérent et convaincant. Il renvoie au rapport du psychologue, qui conclut que le manque de crédibilité apparent de ses déclarations pourrait être attribuable au phénomène de dissociation mentale.

2.6Enfin, le requérant mentionne le rapport de pays du HCR sur l’Algérie, en date des 11 et 12 juin 2001, qui indique que la torture est couramment pratiquée en Algérie et que les déserteurs comme le requérant risquent d’être soumis à des persécutions et à la torture s’ils sont renvoyés en Algérie.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il risque d’être torturé s’il est renvoyé en Algérie et que son renvoi constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Faisant valoir qu’il a déjà été soumis à la torture en Algérie, il déclare qu’il risque d’être de nouveau torturé s’il y retourne, compte tenu non seulement de ses faux aveux concernant son appui au GIA mais aussi de la situation générale des droits de l’homme en Algérie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 24 mars 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la requête et fait part de ses commentaires quant au fond. En ce qui concerne la recevabilité, il affirme que le requérant n’a pas fourni d’indices suffisants à l’appui de ses allégations de violation de l’article 3, et que sa requête devrait donc être déclarée irrecevable.

4.2Pour ce qui est du fond, l’État partie affirme que le renvoi du requérant en Algérie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Il rappelle que le 16 février 2000, celui‑ci a rempli en arabe un formulaire dans lequel il a indiqué les raisons pour lesquelles il demandait l’asile au Danemark. Il a été informé qu’il était essentiel de fournir des renseignements complets. Il a été interrogé par des agents des services d’immigration le 11 décembre 2000 avec l’assistance d’un interprète, qu’il a déclaré comprendre. Le rapport établi à l’issue de cet interrogatoire a été examiné en sa présence. Le 2 mars 2001, les services d’immigration ont rejeté sa demande, à la suite de quoi il a saisi la Commission de recours. En mai 2001, la Commission a accepté de suspendre la procédure afin qu’Amnesty International puisse prendre les dispositions nécessaires pour que le requérant subisse un examen médical. Les conclusions de cet examen ont été présentées le 20 juin 2001 (voir par. 2.3).

4.3La Commission a rejeté le recours le 21 août 2001, estimant que le requérant n’avait pas exposé ses motifs de façon cohérente et crédible. Elle a relevé diverses contradictions et inventions dans ses déclarations concernant son départ d’Algérie et la manière dont les autorités algériennes l’auraient traité, y compris dans les détails concernant son emprisonnement, sa condamnation, réelle ou non, et son service militaire. Pour toutes ces raisons, auxquelles s’ajoute le rapport d’Amnesty International, la Commission a décidé de rejeter le recours. Les éléments dont elle disposait ne lui permettaient pas de conclure que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Algérie.

4.4L’État partie fournit une description de la composition, des attributions et des procédures de la Commission de recours. Les décisions de cet organe sont sans appel et ne peuvent pas être soumises à un contrôle juridictionnel. Ceci découle d’un arrêt rendu par la Cour suprême en 1997, dans lequel la Cour soulignait que la Commission était un organe d’experts quasi judiciaire. Les décisions de la Commission reposent sur un examen individuel de chaque demande d’asile, compte tenu de la situation générale dans le pays d’origine. Pour obtenir l’asile, le demandeur doit craindre avec raison d’être persécuté, conformément aux dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, et doit pouvoir présenter des éléments objectifs à l’appui de ses affirmations. La Commission attache de l’importance à la crédibilité des déclarations des demandeurs. Elle étudie en outre des rapports sur la situation des droits de l’homme dans les pays concernés. Les renseignements collectés proviennent de diverses sources, gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que d’organismes des Nations Unies. La Commission tient compte de la possibilité qu’une personne ait déjà été soumise à la torture mais ce facteur n’est pas nécessairement déterminant dans sa décision d’accorder ou non l’asile.

4.5D’après l’État partie, le requérant souhaiterait que le Comité procède à un examen des éléments fournis à l’appui de sa demande d’asile, alors qu’il a été clairement établi que le Comité contre la torture n’est ni un organe d’appel ni un organe quasi juridictionnel ou administratif. La Commission de recours a pu interroger directement le requérant et examiner en détail les éléments de preuve fournis. Elle a conclu que ceux‑ci n’étaient pas crédibles et qu’il n’existait pas de raisons objectives de craindre que le requérant soit soumis à la torture s’il était renvoyé en Algérie. L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité concernant l’article 3, selon laquelle un poids considérable doit être accordé aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé.

4.6L’État partie fait valoir que, pour les requêtes présentées en vertu de l’article 3 de la Convention, c’est à l’auteur qu’il incombe de présenter des arguments défendables. Il renvoie à l’Observation générale no 1 du Comité, selon laquelle pour déterminer s’il y a des «motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture», il convient de s’appuyer sur «des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons», encore qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable». Le requérant doit prouver qu’il risque d’être soumis à la torture et que ce risque est «encouru personnellement et actuellement».

4.7L’État partie affirme que ces conditions ne sont pas remplies dans le cas présent. Il fait observer qu’il convient, conformément à l’Observation générale no 1 et à la jurisprudence du Comité, de prendre en compte la crédibilité du requérant et les incohérences éventuelles dans ses déclarations. Il passe en revue les diverses incohérences relevées dans les récits du requérant. Celui‑ci, par exemple, a tout d’abord déclaré qu’il avait pris l’avion pour Moscou, puis pour Berlin, et qu’il avait ensuite payé des amis pour qu’ils le cachent dans un camion transportant des marchandises jusqu’au Danemark. Plus tard, il a déclaré qu’après s’être rendu en Russie en avion, il avait pris un ferry pour l’Allemagne puis pour le Danemark. En ce qui concerne son service militaire, le requérant a indiqué dans son formulaire de demande d’asile qu’il avait servi dans l’armée de 1991 à 1994. Toutefois, lors de son entretien avec les agents des services d’immigration, il a déclaré avoir servi dans l’armée de 1990 à 1998. En outre, il a d’abord affirmé aux autorités danoises qu’il avait fui l’Algérie après avoir été remis en liberté et avoir réintégré l’armée, puis a ensuite déclaré avoir fui le pays en s’évadant directement de l’hôpital militaire. Pour l’État partie, ces incohérences ne peuvent pas être considérées comme mineures; il s’agit au contraire d’incohérences importantes que le Gouvernement est en droit de prendre en compte dans son évaluation de la crédibilité des déclarations du requérant.

4.8L’État partie ajoute qu’à aucun moment le requérant n’a signalé des problèmes de communication liés à la langue. Il a rempli son formulaire en arabe et aurait pu le faire en français s’il en avait manifesté le souhait. L’État partie fait en outre valoir que le rapport du psychologue a été pris en compte par la Commission de recours dans sa décision de ne pas rouvrir le dossier, et qu’il n’apportait aucun élément nouveau.

4.9L’État partie affirme que les éléments dont il disposait ne lui permettaient pas d’établir que le requérant avait été soumis à la torture et que, même s’il avait pu le faire, ceci n’aurait constitué qu’un seul des critères à prendre en compte. En l’occurrence, étant donné en particulier le manque de crédibilité du requérant, il n’existe pas de motifs sérieux de croire que celui‑ci risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Algérie.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, en date du 30 mai 2003, le requérant conteste l’interprétation faite du rapport d’Amnesty International par le Gouvernement. Il fait valoir que ce rapport, établi par des médecins et non par des psychologues, indiquait qu’il ne présentait aucun symptôme «immédiat» de troubles mentaux. L’examen auquel a procédé Amnesty International ne visait pas à évaluer son état psychique mais à déterminer si les marques trouvées sur son corps correspondaient aux tortures qu’il avait décrites, ce que les médecins ont confirmé. La Commission de recours a eu tort de conclure que le rapport du psychologue ne contenait aucun élément nouveau justifiant la réouverture du dossier. Les éléments de preuve figurant dans ce rapport sont non seulement nouveaux mais sont également les seuls qui concernent son état psychique. Le requérant réaffirme que les conclusions de ce rapport expliquent les incohérences de ses déclarations.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas déjà été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés. L’État partie conteste la recevabilité au motif que le requérant n’a pas à première vue étayé ses allégations de violation de l’article 3, mais le Comité est d’avis que l’auteur a fourni suffisamment d’éléments pour lui permettre d’examiner la plainte quant au fond. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

6.2Le Comité doit déterminer si le retour forcé du requérant en Algérie constituerait une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour ce faire, il doit prendre en compte toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence dans le pays concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, son but est de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait expulsé. Conformément à la jurisprudence du Comité, l’existence d’un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Inversement, l’absence d’une telle situation ne signifie pas qu’une personne ne doit pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité rappelle son Observation générale concernant l’article 3, en vertu de laquelle il est tenu de déterminer s’il y a des «motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture» s’il est renvoyé et d’«apprécier l’existence d’un tel risque selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». Le risque ne doit pas nécessairement être «hautement probable», mais il doit être encouru «personnellement et actuellement». Dans ses décisions antérieures, le Comité a toujours souligné qu’il devait déterminer si l’expulsion du requérant aurait comme «conséquence prévisible de l’exposer personnellement à un risque réel» d’être torturé.

6.4Dans le cas présent, le Comité note que le requérant affirme avoir déjà été torturé et emprisonné par les autorités algériennes. Les conclusions de l’examen médical concordent avec ses déclarations, bien qu’elles ne permettent pas d’écarter d’autres explications éventuelles pour les traces de blessures. Pour ce qui est du rapport du psychologue, le Comité note que celui‑ci indique que le requérant souffrirait de troubles post‑traumatiques, ce qui tendrait à confirmer ses allégations selon lesquelles il aurait été torturé dans le passé. Le rapport conclut également que les incohérences dans les récits du requérant pourraient s’expliquer par les tortures qu’il aurait subies. Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel ce rapport constitue le seul élément de preuve concernant son état mental. Il note également que ce rapport a été examiné par les autorités danoises comme suite à la demande du requérant tendant à ce que son dossier soit rouvert et que celles‑ci ont conclu qu’il ne contenait aucun élément nouveau.

6.5Les autorités danoises ont procédé à un examen exhaustif des éléments de preuve soumis en l’espèce; conformément à sa jurisprudence, le Comité est tenu de prendre dûment en considération les constatations de fait des organes de l’État partie. En l’occurrence, les déclarations du requérant aux autorités danoises contiennent de nombreuses incohérences. De l’avis du Comité, les conclusions des autorités danoises concernant la crédibilité du requérant étaient raisonnables et nullement arbitraires. À cet égard, le Comité renvoie au paragraphe 8 de son Observation générale no 1, en vertu duquel la crédibilité de l’auteur et la présence ou non d’incohérences factuelles dans ce qu’il affirme constituent des éléments à prendre en considération pour déterminer si le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour.

6.6Les observations initiales du requérant et les explications qu’il a fournies ultérieurement au sujet de ses incohérences telles que relevées par l’État partie ne permettent pas au Comité de se prononcer en connaissance de cause sur le risque qu’il soit torturé à son retour en Algérie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas montré qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

7.1Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Algérie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  210/2002 *

Présentée par:

V. R.

Au nom de:

V. R.

État partie:

Danemark

Date de la requête:

13 mai 2002 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 210/2002, présentée au Comité contre la torture par M. V. R. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.Le requérant est M. V. R., de nationalité russe, demeurant au Danemark à la date de la présentation de sa requête. Il affirme que son renvoi de force en Fédération de Russie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture par le Danemark. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 6 novembre 1992, le requérant et sa femme sont entrés au Danemark et ont immédiatement demandé asile. Le 5 novembre 1993, le Conseil danois pour les réfugiés a confirmé une décision antérieure de la Direction de l’immigration selon laquelle le requérant et sa famille devaient quitter le Danemark avant le 20 novembre 1993. Le requérant et sa famille ont quitté le Danemark et sont rentrés en Russie.

2.2Le requérant affirme que le 26 juillet 1994, à son retour du Danemark en Fédération de Russie, il a été arrêté et accusé de franchissement illégal de la frontière, de participation à des crimes de subversion et de diffamation de personnes représentant l’autorité publique. Il affirme avoir été détenu par les autorités du 26 juillet 1994 au 20 janvier 1998 et avoir été soumis à diverses formes de torture; on lui aurait notamment introduit du gaz dans la trachée jusqu’à en vomir et fait avaler de la soupe directement d’un bol alors qu’il avait les mains liées dans le dos. En janvier 1996, il aurait été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement pour avoir traversé illégalement la frontière et participé à des crimes de subversion. À sa libération, il est devenu membre de l’Union des citoyens, où il a mené des activités de défense des droits civils. Par suite de ces activités, il serait entré en conflit avec les autorités qui l’auraient de nouveau privé de sa liberté et soumis à la torture.

2.3Le 15 juillet 1999, le requérant, sa femme et son enfant sont entrés au Danemark pour la deuxième fois; le lendemain, ils ont demandé asile. Le 19 décembre 2001, le Service danois de l’immigration a rejeté leur demande. Le 21 mars 2002, le Conseil pour les réfugiés a confirmé cette décision et le requérant et sa famille ont été invités à quitter le Danemark. Le requérant a demandé au Conseil pour les réfugiés de rouvrir le dossier, affirmant qu’un avis du Département de médecine légale daté du 21 décembre 2000 («avis du 21 décembre 2000») était entaché d’irrégularité. Il a aussi déclaré que sa femme avait été soumise à la torture et qu’elle en avait eu des réminiscences au cours de l’audition du Conseil car l’un de ses membres lui rappelait un policier russe. Le 27 juin 2002, le Conseil pour les réfugiés a examiné la demande d’asile du requérant mais a refusé de rouvrir le dossier.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il existe un risque réel qu’il soit soumis à la torture à son retour en Fédération de Russie et que son renvoi de force constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir à l’appui de ses craintes qu’il aurait déjà été torturé, qu’il était un membre actif de l’Union des citoyens et qu’il a été reconnu coupable d’une infraction pénale.

3.2D’après le requérant, l’avis du 21 décembre 2000, sur lequel le Conseil pour les réfugiés a fondé pour une grande part sa décision de ne pas lui accorder l’asile, n’était pas rigoureux et laissait le champ libre à l’interprétation. Il affirme que cet avis ne dément pas le fait qu’il souffre de troubles post‑traumatiques chroniques dus aux effets de la torture. Il affirme aussi que cet avis mentionne la présence sur son corps de cicatrices résultant d’actes de torture qui lui auraient été infligés dans le passé.

3.3Il déclare en outre que, même souffrant de psychose paranoïaque (ainsi que cela est déclaré dans le même avis), à son retour en Fédération de Russie, il serait soit jeté en prison (où il est d’après lui courant que les autorités torturent les détenus), soit enfermé dans une institution psychiatrique.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur

4.1Par une note verbale datée du 12 septembre 2002, l’État partie a fait parvenir sa réponse sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que le requérant n’a pas établi à première vue le bien‑fondé de sa requête aux fins de la recevabilité. Si néanmoins le Comité décidait de ne pas rejeter la communication pour cette raison, l’État partie fait valoir qu’il ressort de l’examen de l’affaire au fond qu’aucune disposition de la Convention n’a été violée.

4.2L’État partie décrit de manière approfondie l’organisation et le processus de prise de décisions du Conseil pour les réfugiés et affirme notamment que, ainsi qu’il est normal de procéder, le requérant s’est vu désigner un avocat qui avait la possibilité, tout comme le requérant lui‑même, d’étudier le dossier de l’affaire et la documentation de base avant que le Conseil ne siège. Un interprète et un représentant du Service danois de l’immigration étaient également présents lors de l’audition.

4.3Pour ce qui est de l’application de l’article 3 de la Convention à l’examen de l’affaire au fond, l’État partie souligne que c’est à l’auteur qu’il incombe de présenter des arguments défendables, conformément au paragraphe 5 de l’Observation générale sur l’application de l’article 3 adoptée le 21 novembre 1997 par le Comité. Se référant à l’Observation générale susmentionnée, l’État partie souligne que le Comité contre la torture n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel ou administratif, mais un organe de surveillance. Il fait valoir que la communication ne contient pas d’informations qui n’aient pas déjà été examinées en détail par le Service danois de l’immigration et le Conseil pour les réfugiés. À son avis, l’auteur tente de se servir du Comité comme d’un organe d’appel afin d’obtenir le réexamen d’une demande que les autorités danoises de l’immigration ont déjà examinée de manière approfondie.

4.4Quant à savoir s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il retournait en Fédération de Russie, l’État partie renvoie à la décision du Conseil pour les réfugiés dans son intégralité. Dans sa décision du 21 mars 2002, ce dernier a estimé que le requérant et sa femme «n’avaient pas établi de manière convaincante et crédible qu’après leur retour en Russie en 1994 et jusqu’à leur départ en 1999, ils avaient été soumis à des actes de violence susceptibles de justifier l’octroi de l’asile, ni qu’à leur retour ils seraient en danger de subir de tels actes et qu’il y avait lieu de leur accorder des permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers».

4.5L’État partie estime que l’évaluation du Conseil pour les réfugiés est conforme à la pratique du Comité consistant à considérer la torture subie dans le passé comme l’un des éléments à prendre en compte lorsque l’on cherche à déterminer si un requérant risque d’être torturé à son retour dans son pays d’origine. À cet égard, le Conseil a attaché une importance décisive à l’avis du 21 décembre 2000 selon lequel, entre autres, aucune séquelle physique ou mentale manifeste de la torture qu’aurait subie le requérant n’a été constatée lors de son examen. C’est pourquoi le Conseil a écarté la déclaration du requérant selon laquelle il avait été soumis à la torture.

4.6Il n’a pas été fourni de traduction de l’avis du 21 décembre 2000 mais celui‑ci est interprété par l’État partie. Au cours de l’examen, l’auteur a affirmé avoir été soumis à diverses formes de torture. L’examen a conclu à l’absence de traces de violence récente. Pour ce qui est des traces de violence ancienne, on a relevé une petite cicatrice d’aspect banal sur son dos et une sur son pied gauche. Par ailleurs, des dépressions étaient présentes sur la face extérieure de ses dents de devant, qui pouvaient être dues à des brûlures corrosives, mais n’étaient pas d’aspect caractéristique. Il a été constaté que l’auteur souffrait d’une modification substantielle de la personnalité, ce que l’on pouvait considérer comme une suite chronique de troubles post‑traumatiques, mais le diagnostic le plus vraisemblable devait être celui de psychose paranoïaque (trouble mental caractérisé par le délire de persécution). Le Département de médecine légale a conclu qu’on ne constatait directement aucune séquelle physique ou mentale manifeste de la torture alléguée.

4.7Ayant écarté la déclaration de l’auteur selon laquelle celui‑ci avait été soumis à la torture, le Conseil a estimé que cela affaiblissait son dossier de manière décisive. Il a noté en outre que la déclaration de la femme de l’auteur était moins convaincante et que, bien qu’elle ait été interrogée à plusieurs reprises, elle n’avait pu expliquer que de manière imprécise pour quelle raison ils avaient finalement décidé de partir. Le Conseil a conclu qu’il ne pouvait accueillir ni la déclaration de l’auteur ni celle de sa femme concernant le motif de leur demande d’asile. Bien qu’il n’ait pas entièrement rejeté leurs déclarations selon lesquelles l’auteur avait mené des activités pour le compte de l’Union des citoyens en matière de défense des droits civils, l’auteur avait eu certains conflits avec les autorités et une perquisition avait été effectuée à leur domicile, le Conseil est parvenu, au terme d’une appréciation globale des informations fournies, à la conclusion que l’auteur et sa femme n’avaient pas établi de manière convaincante et crédible qu’après leur retour en 1994 et jusqu’à leur départ en 1999, ils avaient été soumis à des actes de violence susceptibles de justifier l’octroi de l’asile, ni qu’à leur retour ils risquaient d’en subir de nouveaux.

4.8L’État partie mentionne l’affirmation selon laquelle la demande d’asile du requérant a été rejetée alors que l’avis du 21 décembre 2000 n’excluait pas la possibilité qu’il souffre de troubles post‑traumatiques. Il affirme (comme cela est indiqué dans le paragraphe précédent) que lors de l’examen du requérant, il a été constaté que celui‑ci souffrait de troubles profonds de la personnalité qui pouvaient découler de troubles post‑traumatiques, mais que le diagnostic le plus vraisemblable était celui de psychose paranoïaque. Il n’existe donc selon lui aucune information médicale prouvant que le requérant a été soumis à la torture.

4.9D’après l’État partie, en demandant au Conseil pour les réfugiés de rouvrir son dossier, le requérant a déclaré, entre autres choses, qu’il était en désaccord avec l’avis du 21 décembre 2000, affirmant que son état mental résultait des effets de la torture et que l’examen réalisé par les médecins avant d’établir cet avis n’avait pas été suffisamment approfondi. L’État partie note qu’en refusant de rouvrir le dossier le 27 juin 2002, le Conseil pour les réfugiés a estimé qu’aucune information nouvelle n’avait été fournie qui puisse laisser penser que l’avis du 21 décembre 2000 était entaché d’irrégularité. Pour l’État partie, le simple fait que le requérant soit en désaccord avec la conclusion donnée dans cet avis n’y change rien.

4.10En écartant les allégations du requérant selon lesquelles celui‑ci avait été précédemment torturé, le Conseil pour les réfugiés n’a pas considéré que sa déclaration était crédible ni étayée. On peut en dire autant de la déclaration de la femme du requérant, qui, bien qu’elle ait été questionnée à de nombreuses reprises par le Conseil, n’a pu expliquer que de manière imprécise leur décision finale de partir. L’État partie mentionne aussi le fait que plusieurs aspects des déclarations du requérant et de sa femme n’étaient pas très convaincants. Ainsi, il se réfère à un mémorandum daté du 26 novembre 2001 émanant du Ministère des affaires étrangères qui est cité dans la décision du Conseil pour les réfugiés. Il avait été demandé au Ministère de faire des observations sur l’authenticité de l’expédition d’un jugement daté de janvier 1996, où le requérant aurait été condamné. Bien qu’il n’ait pas pu établir si l’expédition était ou non authentique, le Ministère y a relevé des anomalies. Il n’y avait aucune référence aux dispositions pénales applicables, la peine était infligée en parties d’année et non en années entières, ce qui est inhabituel, et elle consistait en une peine d’emprisonnement et non de camp de travail, ce qui aurait été normal dans une telle affaire. L’État partie évoque aussi l’allégation, faite par le requérant lorsqu’il a demandé au Conseil de réexaminer son affaire, selon laquelle sa femme avait été soumise à la torture et en avait eu des réminiscences au cours de l’audition car l’un des membres du Conseil lui rappelait un policier russe. Le Conseil a noté que la femme du requérant ne lui avait pas semblé être une personne «en état de choc» au cours de l’audition et que cet argument ne pouvait l’amener à revenir sur sa décision.

4.11Se référant à la déclaration du Conseil pour les réfugiés selon laquelle celui‑ci ne rejetterait pas entièrement la déclaration du requérant indiquant qu’il avait mené des activités pour le compte de l’Union des citoyens, qu’il avait eu certains conflits avec les autorités et que son domicile avait été perquisitionné, l’État partie rappelle que, selon la pratique du Comité, «un risque d’arrestation ne suffit pas en soi à déclencher la protection de l’article 3 de la Convention».

4.12En outre, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il est recherché par les autorités de son pays d’origine et risque d’être arrêté s’il y retourne.

4.13En conclusion, l’État partie souligne que la Fédération de Russie a ratifié la Convention le 3 mars 1987 et reconnu la compétence du Comité contre la torture pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers conformément à l’article 22 de la Convention. Ainsi, affirme‑t‑il, le requérant ne risque pas de retourner dans un État non partie à la Convention où il n’aurait pas la possibilité de demander la protection du Comité.

5.1En novembre 2002, le requérant a commenté les observations de l’État partie. Il a réitéré ses affirmations antérieures et contesté les conclusions du Conseil pour les réfugiés. Il a fourni des arguments détaillés dans le but de démontrer l’authenticité du jugement de janvier 1996 rendu contre lui et produit des certificats médicaux tendant à démontrer que sa femme est instable. Il a affirmé que le Conseil pour les réfugiés n’avait tenu aucun compte de son allégation selon laquelle elle avait été violée alors qu’elle se trouvait en garde à vue en 1995.

5.2Le requérant ne fournit aucun détail sur l’affaire concernant sa femme. Celle‑ci a donné des précisions sur les événements qui s’étaient produits après leur retour dans la Fédération de Russie en 1994 dans sa demande d’asile faite le 16 septembre 1999 et le 20 septembre 1999, puis dans un entretien qui a eu lieu le 9 novembre 1999. Elle a affirmé qu’après leur retour, elle avait été détenue pendant quatre jours au cours desquels elle avait été séparée de son enfant. Après être rentrée chez elle, elle avait été interrogée de nouveau et avait reçu un coup à la tête. Par la suite, elle avait été accusée d’avoir quitté la Fédération de Russie sans autorisation et condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis. Au cours de l’entretien du 9 novembre, elle a affirmé que, jusqu’en 1995, elle avait été convoquée toutes les semaines au commissariat de police pour y être interrogée. Toujours au cours de cet entretien de novembre 1999, elle a aussi affirmé qu’en novembre 1995, elle avait été violée par plusieurs policiers. En janvier 1999, au cours d’une perquisition à leur domicile, son mari et son fils ont tous les deux été battus.

5.3Le requérant affirme que si l’État partie ne rejette pas entièrement ses déclarations selon lesquelles il a mené des activités pour le compte de l’Union des citoyens, il a eu certains conflits avec les autorités et son domicile a été perquisitionné, il ne doit pas ignorer qu’il a probablement été soumis à la torture. À cet égard, il joint des informations provenant de diverses organisations non gouvernementales évoquant les tortures infligées à des militants des droits de l’homme et à des détenus dans la Fédération de Russie. Il affirme aussi que souvent les techniques employées par les tortionnaires ne laissent que peu de traces physiques, voire aucune. Enfin, il fait tenir copie d’un certificat médical d’un psychologue clinicien norvégien daté du 25 novembre 2002 dans lequel il est décrit comme une «victime de la torture».

5.4Par une lettre datée du 12 août 2003, le requérant a informé le Comité que bien qu’il ait passé avec sa famille quelque temps en Norvège après l’enregistrement de sa requête par le Comité de crainte d’être expulsé par les autorités danoises, il est depuis rentré avec sa famille au Danemark où ils habitent chez des amis (aucune date n’est donnée). Il joint aussi un certificat médical daté du 18 avril 2000, émanant d’un psychologue norvégien, dans lequel il est décrit comme souffrant de «graves symptômes de troubles post‑traumatiques (troubles du sommeil, stress, pathologie psychotraumatique) par suite de son emprisonnement et des tortures qu’il a subies dans son pays natal».

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si cette communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas déjà été examinée et n’est pas déjà en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés. L’État partie affirme que le requérant n’a pas établi, à première vue, que sa plainte était recevable, mais le Comité note qu’il n’a pas précisé les raisons sur lesquelles il se fonde pour parvenir à cette conclusion. En fait, le Comité ne peut trouver aucun motif visé à l’article 107 de son règlement intérieur pour juger cette communication irrecevable.

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant dans la Fédération de Russie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence, dans l’État où le requérant serait renvoyé, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière.

6.3Le Comité note que le principal argument du requérant a trait à la façon dont le Conseil pour les réfugiés est parvenu à sa décision de ne pas lui accorder l’asile, en particulier son interprétation de l’avis médical du 21 décembre 2000 traitant de la question de savoir si le requérant avait été soumis à la torture. Le Comité n’est pas convaincu par l’argumentation de l’auteur selon laquelle il court personnellement un risque réel et actuel d’être torturé s’il est renvoyé en Fédération de Russie.

6.4En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant dans la Fédération de Russie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  213/2002

Présentée par:

E. J. V. M.

Au nom du:

Requérant

État partie:

Suède

Date de la requête:

17 mai 2002 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué conformément à l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 213/2002, présentée au Comité par M. E. J. V. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. E. J. V. M., de nationalité costa‑ricienne, né en 1956, qui, à l’heure actuelle, réside clandestinement en Suède, sa demande d’asile ayant été rejetée le 19 février 2002. Il affirme que son expulsion au Costa Rica constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci‑après dénommée «la Convention»). Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2L’État partie a ratifié la Convention le 8 janvier 1986, date à laquelle il a également formulé la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention. La Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 26 juin 1987.

1.3Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 1er juillet 2002.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a adhéré aux Jeunesses du Parti (communiste) d’avant‑garde populaire (Juventud del Partido Comunista Vanguardia Popular) du Costa Rica en 1975, alors qu’il était étudiant en art dramatique à l’Université du Costa Rica. En tant que membre actif de cette section Jeunesses du Parti (JVC), il a participé à différentes activités politiques et culturelles étudiantines.

2.2Le requérant a été arrêté une première fois en 1975, au cours d’une réunion politique étudiantine. Avec les autres participants, il a été conduit dans une prison à San Juan de Tibás, où il affirme avoir été torturé physiquement et psychologiquement: insultes, menaces, coups de pied, cheveux tirés, coups de bâton dans les côtes et crachats.

2.3Le requérant a réussi à s’échapper et s’est rendu dans la province de Limón. Il affirme avoir été arrêté à plusieurs reprises, et avoir été emprisonné dans des conditions inhumaines, au milieu de rats, sans nourriture, ni couverture, ni endroit pour dormir, en compagnie de condamnés de droit commun. Il affirme avoir été arrêté et remis en liberté maintes fois, vu qu’on le laissait sortir pour l’arrêter de nouveau 50 mètres plus loin. Enfin, le requérant a réussi à s’échapper et à revenir à San José.

2.4À San José, le requérant a repris ses activités politiques en milieu universitaire. Il affirme avoir été arrêté à plusieurs reprises, menacé de mort, battu et brûlé à la cigarette lorsqu’il était en détention. Il a été conduit une fois au Centre de détention générale du Ministère de la sécurité publique, où il a été soumis à de nombreuses violences physiques et psychologiques; il a été entre autres frappé à coups de pied et battu violemment, plongé dans l’eau froide au petit matin, et contraint d’accomplir des actes sexuels avec ses gardiens.

2.5Le requérant affirme qu’on lui a interdit de travailler dans la Compagnie nationale de théâtre et qu’on l’a suspendu de ses cours d’art dramatique en raison de son appartenance au mouvement communiste. Il affirme également avoir été pris à parti publiquement en raison de sa bisexualité.

2.6Le requérant précise qu’il s’est enfui au Venezuela, où il a résidé pendant deux ans avant de rentrer au Costa Rica en 1982. De retour dans son pays, il a créé un théâtre clandestin dont les locaux servaient à émettre les messages clandestins de Radio Venceremos, l’organe officiel du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN). Il affirme qu’en 1985 des agents des services de sécurité ont fait irruption à son domicile, l’ont battu et l’ont conduit à la prison de San Juan de Tibás, où il a été torturé physiquement et psychologiquement.

2.7Le requérant affirme qu’un soir, au début des années 90, il a été de nouveau arrêté, battu et obligé de pratiquer une fellation sur l’un des gardes pendant qu’un autre l’insultait. Par la suite, un autre garde s’est mis à lui donner des coups de pied, lui infligeant de telles blessures sur le corps et au visage qu’il a dû être conduit à l’hôpital, sous menace de mort s’il racontait ce qui s’était passé. Une fois remis en liberté, il a porté plainte auprès du service du procureur de San Pedro de Montes de Oca ainsi qu’auprès du ministère public de San José. Il affirme que sa requête n’a pas été examinée.

2.8Entre 1992 et 1993, à la suite de sa participation au mouvement de défense des droits des paysans de Limón, qui faisaient l’objet de pressions pour vendre leurs terres à bas prix, le requérant affirme avoir été arrêté dans le cadre d’une opération coordonnée par des groupes paramilitaires antipaysans et par la police nationale. Il déclare avoir été conduit à la prison de Limón, placé dans une cellule souillée d’urine et d’excréments, battu et plongé dans l’eau froide. Une fois remis en liberté, le requérant a constaté que son domicile avait été fouillé et des effets personnels avaient été détruits.

2.9Selon le requérant, entre 1994 et 1997 il a été arrêté plus de 30 fois et traduit devant les tribunaux quatre fois, pour port illégal d’arme à feu, fabrication d’explosifs, occupation de terres, menaces aggravées et tentative d’homicide, entre autres chefs d’accusation.

2.10Le requérant indique aussi que sa vie et celle de son compagnon P. A. M., transsexuel, qui partageait ses activités politiques, étaient en danger. Il indique également que leur domicile a été à plusieurs reprises la cible de coups de feu et que leurs demandes de protection policière sont restées sans réponse. Il affirme que, par sécurité, ils ont dû installer une protection métallique à l’intérieur de la pièce principale du logement.

2.11Le requérant affirme avoir été victime, en 1995, d’une tentative d’homicide au cours de laquelle il a été blessé à la main gauche d’une balle tirée par un individu à qui un policier en uniforme avait remis un revolver.

2.12Le 17 mai 1997, le requérant a fui définitivement le Costa Rica, pour se rendre avec P. A. M. au Canada, où ils ont demandé l’asile. Là, le Centre canadien pour victimes de torture (Canadian Center for Victims of Torture) leur a apporté un soutien juridique, linguistique, thérapeutique et psychiatrique. Toutefois, les autorités canadiennes ont rejeté leur demande d’asile.

2.13Le 12 juillet 2000, le requérant s’est enfui avec P. A. M. pour la Suède, où ils ont immédiatement déposé une demande d’asile. Mais les autorités suédoises ont rejeté leur demande. Le requérant serait actuellement contraint de vivre caché en Suède afin de ne pas être expulsé, étant donné qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles dans l’État partie.

Teneur de la requête

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers le Costa Rica constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’il court le risque d’être soumis à de nouvelles tortures dans ce pays.

3.2Le requérant fait valoir que la décision des autorités suédoises a été prise de manière mécanique, que cette décision était empreinte de partialité, que les fonctionnaires ont manifesté une absence de souci humanitaire et n’ont pas pris en compte la totalité, mais seulement certaines parties, de la déclaration qu’il avait faite devant eux. Il allègue également que la procédure n’a pas été objective car elle s’est déroulée en suédois et qu’il a bénéficié seulement de manière épisodique de l’assistance d’interprètes peu compétents, ce qui l’a empêché de comprendre et de répondre dans sa langue maternelle aux décisions prises à son sujet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 15 octobre 2002, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Concernant la recevabilité et la règle énoncée au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, l’État partie a la conviction que le Comité s’assurera que la requête n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2En ce qui concerne le critère de recevabilité énoncé au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés en l’espèce. Le requérant a eu un premier entretien avec le Conseil des migrations suédois le lendemain de son arrivée en Suède; le deuxième entretien a eu lieu le 26 juillet 2000. Le 26 septembre 2000, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant et a ordonné son expulsion vers son pays d’origine. Le requérant a fait appel, mais la Commission de recours des étrangers a rejeté son appel le 19 février 2002.

4.3Néanmoins, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, au motif qu’elle ne présente pas le minimum de fondement requis pour être compatible avec l’article 22 de la Convention. L’État partie mentionne à titre d’exemple l’affaire Y. c. Suisse .

4.4Dans l’hypothèse où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie affirme, s’agissant du fond de la requête, que le retour du requérant au Costa Rica ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie rappelle que, conformément à la jurisprudence du Comité, pour appliquer l’article 3 de la Convention il faut prendre en compte: a) la situation générale des droits de l’homme dans le pays, et b) le risque pour le requérant d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il est renvoyé.

4.5En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme au Costa Rica, l’État partie affirme qu’il n’existe pas un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’État partie fonde cette affirmation sur des rapports concernant la situation des droits de l’homme dans ce pays, sur les observations finales du Comité relatives au rapport initial du Costa Rica formulées en 2001, sur le fait que les relations homosexuelles entre adultes consentants y sont légales, et sur le fait que le Costa Rica a ratifié plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie affirme que les tortures alléguées par le requérant se seraient produites il y a assez longtemps et que la situation des droits de l’homme au Costa Rica s’est considérablement améliorée depuis lors.

4.6Sur la question de savoir si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture, l’État partie affirme que les circonstances invoquées par le requérant ne suffisent pas à prouver qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture au Costa Rica. L’État partie rappelle à cet égard la jurisprudence du Comité concernant l’interprétation de l’article 3 de la Convention.

4.7L’État partie ajoute que la crédibilité du requérant a une importance capitale pour statuer sur la demande d’asile, et que les autorités nationales qui procèdent aux entretiens se trouvent évidemment en très bonne position pour évaluer cette crédibilité. À cet égard, l’État partie souligne que les déclarations du requérant contiennent plusieurs contradictions et obscurités qui affaiblissent la crédibilité de sa requête.

4.8En premier lieu, l’État partie affirme que les déclarations faites par le requérant devant le Conseil des migrations suédois, devant la Commission suédoise de recours des étrangers, et celles qui figurent dans la requête présentée au Comité varient en ce qui concerne les dates auxquelles il a été arrêté et torturé alors qu’il était au Costa Rica. Le requérant a déclaré au Conseil des migrations suédois ainsi qu’aux autorités canadiennes qu’il avait été poursuivi 33 fois par une organisation appelée Acaina, alors que devant la Commission de recours des étrangers suédoise et dans la requête présentée au Comité, il déclare avoir été arrêté plus de 30 fois. Enfin, en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles il a été blessé par balle en 1995, le requérant a déclaré devant le Conseil des migrations suédois et devant les autorités canadiennes qu’une personne avait menacé P. A. M. avec une arme à feu, mais que le requérant s’était interposé et avait de ce fait reçu le coup de feu. En revanche, devant la Commission suédoise de recours des étrangers et dans la requête présentée au Comité, le requérant déclare qu’il a reçu le coup de feu lorsque quelqu’un a tenté de l’assassiner.

4.9Au sujet des raisons pour lesquelles le requérant déclare courir le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Costa Rica, l’État partie indique que le requérant a participé avec des paysans à des conflits fonciers il y a assez longtemps déjà. L’État partie cite des rapports relatifs aux droits de l’homme indiquant que la situation s’est améliorée depuis 1999.

4.10L’État partie fait en outre valoir que, selon les informations fournies par le requérant lui‑même, l’incident le plus grave, à savoir le coup de feu, s’est produit en 1995, et fait observer que, néanmoins, le requérant n’a pas quitté le Costa Rica avant mai 1997. Il a quitté le pays légalement et, apparemment, sans aucune difficulté. Cela indiquerait que le requérant n’a pas eu besoin de protection d’urgence, même en 1997.

4.11L’État partie affirme que le requérant n’a pas apporté la preuve qu’il risquait d’être persécuté par les autorités costa‑riciennes et qu’en tout état de cause, si l’on devait considérer que le requérant risque d’être persécuté aujourd’hui, ce serait de la part d’organisations avec lesquelles il a été en conflit pour diverses raisons. Toutefois, l’État partie fait valoir que ce type de persécution n’entre pas dans le champ d’application de la Convention. Il ajoute que rien n’indique que le Costa Rica n’est pas en mesure d’apporter la protection voulue au requérant s’il faisait l’objet de telle persécution. En outre, le Costa Rica a ratifié la Convention et formulé la déclaration prévue à l’article 22, en vertu de laquelle le requérant pourrait bénéficier de la protection prévue par la Convention dans son pays d’origine.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 25 novembre 2002, le requérant a présenté des commentaires sur les observations de l’État partie, en mentionnant des faits qui ne figuraient pas dans sa lettre initiale, et a formulé de nouvelles allégations qui n’étaient pas non plus dans sa lettre initiale. Au sujet de la situation générale des droits de l’homme au Costa Rica, le requérant cite un communiqué de presse du 18 octobre 2002 émanant du Partido Vanguardista Popular (Parti d’avant‑garde populaire) du Costa Rica, qui dénonce des actes de persécution politique commis contre ses dirigeants par des agents de l’État. Le requérant cite également un document rédigé par lui‑même, qui peut être consulté sur son site Internet et concerne la situation des droits de l’homme au Costa Rica.

5.2Le requérant cite encore l’avis du Centro de Investigación y Promoción para América Central de Derechos Humanos (CIPAC/DDHH) qui concernerait la discrimination dont souffrent les homosexuels au Costa Rica, la violence dont ils sont victimes et l’impossibilité pour eux de contracter mariage avec une personne du même sexe.

5.3Au sujet du risque qu’il courrait personnellement d’être torturé s’il était renvoyé au Costa Rica, le requérant déclare que sa crainte est fondée sur le fait que les institutions gouvernementales n’offrent pas de moyens de protection effectifs. Il n’a reçu de protection des institutions en question ni avant ni après les actes de torture dont il a été victime, et les plaintes qu’il a déposées devant les tribunaux de justice contre les fonctionnaires de la police n’ont pas été examinées.

5.4En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles il a essuyé un coup de feu en 1995, le requérant réaffirme qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat sans donner d’éclaircissements sur la contradiction alléguée par l’État partie.

5.5Touchant les circonstances dans lesquelles le requérant a quitté le Costa Rica, il indique qu’il y est resté jusqu’en 1997 afin d’épuiser les recours internes disponibles. Il réaffirme aussi qu’il était en danger pendant cette période, raison pour laquelle il avait installé une protection métallique chez lui et changeait de région dans le pays pour se protéger.

5.6En ce qui concerne la procédure d’asile engagée en Suède, le requérant allègue qu’il n’a pas été autorisé à produire les documents qu’il voulait présenter à l’audience du 26 juillet 2000, parce que ceux‑ci étaient rédigés en espagnol, que la fonctionnaire de l’immigration et l’avocat de la défense commis d’office l’ont traité avec hostilité et grossièreté, que l’audience a été «montée de toutes pièces et manipulée du début à la fin» et que le compte rendu de ses déclarations dressé par la fonctionnaire susmentionnée manque de précision et passe sous silence certains faits que le requérant lui avait pourtant signalés. Il allègue également qu’en l’espace d’un an et huit mois il a pu s’entretenir avec son avocat pendant 2 heures et 15 minutes seulement. Le requérant allègue aussi que le refus par l’État partie de considérer dûment son cas constitue un acte discriminatoire.

5.7Le requérant signale qu’il poursuit actuellement ses activités politiques depuis l’étranger grâce à un site Internet sur lequel il enregistre des plaintes, ce qui fait qu’il y a toujours un risque pour sa sécurité.

Informations supplémentaires apportées par le requérant

6.Le 23 septembre 2003, le requérant a apporté des informations supplémentaires consistant, entre autres, en un rapport psychiatrique daté du 14 septembre 1998, établi par un psychiatre de Toronto, D. E. P., qui confirme que le requérant souffre de dissociation mentale post‑traumatique.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte faisant l’objet d’une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle‑ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés.

7.2En ce qui concerne les informations supplémentaires apportées par le requérant le 23 septembre 2003, le Comité note qu’elles ont été présentées après l’expiration du délai de six semaines, stipulé dans la lettre du Comité en date du 21 octobre 2001, conformément au paragraphe 6 de l’article 109 du règlement intérieur du Comité, où le requérant était invité à présenter ses commentaires sur les observations de l’État partie relatives à la recevabilité de la requête et quant au fond avant le 29 novembre 2002. Le Comité considère donc que les nouvelles allégations contenues dans les informations supplémentaires apportées par le requérant le 23 septembre 2003 ont été invoquées après l’expiration du délai fixé et qu’elles ne peuvent donc pas être prises en considération par le Comité.

7.3Le Comité ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête et procède par conséquent à l’examen de la question sur le fond.

8.1Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers le Costa Rica, l’État partie violerait l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Le Comité doit examiner s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Costa Rica. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, notamment l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle toutefois que l’objectif est de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il retournerait. Dès lors, l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires qui donnent à penser que cette personne particulière serait en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4Dans le cas à l’examen, le Comité prend note des observations de l’État partie sur la situation générale des droits de l’homme au Costa Rica, et du fait que le Costa Rica a fait une déclaration en vertu de l’article 22 de la Convention. Il prend note également des informations indiquant que la situation des paysans impliqués dans les conflits fonciers s’est améliorée. Le Comité observe que l’information fournie par le requérant pour étayer cette opinion provient essentiellement de documents qu’il a lui‑même rédigés.

8.5Le Comité prend note des contradictions et des obscurités que fait apparaître le récit du requérant, qui ont été signalées par l’État partie et n’ont pas été éclaircies par le requérant. Il observe également que le requérant n’a pas fourni de preuves suffisantes pour étayer ses affirmations selon lesquelles il a été soumis à la torture au Costa Rica.

8.6Le Comité prend note également des observations de l’État partie selon lesquelles l’incident le plus grave allégué par le requérant s’est produit en 1995, et que, malgré cela, le requérant n’a pas quitté le Costa Rica avant le mois de mai 1997. Le Comité observe aussi que la réponse du requérant sur ce point est vague et que, tout en affirmant que les institutions gouvernementales costa‑riciennes ne lui ont pas apporté de protection dans le passé, il n’a pas fourni d’éléments qui corroborent cette affirmation.

8.7Au sujet des prétendues difficultés que le requérant a connues au Costa Rica en raison de sa bisexualité, le Comité observe que le risque d’être à l’avenir soumis à des tortures au Costa Rica n’est pas fondé sur des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité est d’avis que les éléments d’information fournis par le requérant ne permettent pas d’établir qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant court personnellement et actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Costa Rica. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les informations fournies par le requérant ne permettent pas de conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être torturé s’il retournait au Costa Rica.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour étayer ses craintes d’être soumis à la torture s’il retournait au Costa Rica, et conclut en conséquence que son expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  214/2002

Présentée par:

M. A. K. (représenté par un conseil, M. Reinhard Marx)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Allemagne

Date de la requête:

10 septembre 2002 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 214/2002 présentée en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. M. A. K., ressortissant turc d’origine kurde, né en 1968, résidant actuellement en Allemagne et en attente d’expulsion vers la Turquie. Il affirme que son renvoi forcé en Turquie constituerait une violation par la République fédérale d’Allemagne de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 11 septembre 2002, le Comité a transmis la requête à l’État partie pour qu’il fasse connaître ses observations et lui a demandé, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant vers la Turquie tant que la requête de celui‑ci serait à l’examen devant le Comité. Le Comité a indiqué cependant qu’il pourrait reconsidérer sa demande à la lumière des observations que l’État partie lui soumettrait sur la recevabilité ou sur le fond. L’État partie a accédé à cette demande.

1.3Le 11 novembre 2002, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la requête, en priant le Comité, en vertu du paragraphe 7 de l’article 108 du règlement intérieur de ce dernier, de retirer sa demande de mesures provisoires. Dans ses commentaires, datés du 23 décembre 2002, relatifs aux observations de l’État partie sur la recevabilité, le conseil a prié le Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires jusqu’à ce qu’il ait rendu sa décision définitive sur la requête. Le 4 avril 2002, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de ne pas retirer sa demande de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est arrivé en Allemagne en décembre 1990 et a demandé l’asile politique le 21 janvier 1991, déclarant qu’en 1989 il avait été arrêté et détenu pendant une semaine et torturé par la police à Mazgirt parce qu’il avait contesté le comportement de ses supérieurs pendant son service militaire. En tant que sympathisant du PKK, il était persécuté et sa vie était en danger en Turquie. Le 20 août 1991, l’Office fédéral pour la reconnaissance des réfugiés étrangers (Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge) a rejeté la demande du requérant au motif que son récit présentait des contradictions.

2.2Le requérant a formé un recours contre la décision de l’Office fédéral devant le tribunal administratif de Wiesbaden, qui l’a débouté le 7 septembre 1999. Le 17 avril 2001, le tribunal administratif supérieur de la Hesse lui a refusé l’autorisation de faire appel de ce jugement.

2.3Le 7 décembre 2001, la ville de Hanau a pris un arrêté d’expulsion contre le requérant, en lui signifiant son expulsion imminente. Cet arrêté se fondait sur le fait que le requérant avait été condamné le 16 janvier 1995 par le tribunal de district de Grob‑Gerau à une peine d’emprisonnement avec sursis de quatre mois pour avoir participé à un barrage routier organisé par les sympathisants du PKK en mars 1994.

2.4Le 17 janvier 2001, le requérant a demandé à l’Office fédéral de rouvrir son dossier, en indiquant qu’il avait suivi en 1994 une formation du PKK dans un camp situé aux Pays‑Bas, en vue de son incorporation dans les forces armées du PKK dans le sud‑est de la Turquie, obligation dont il avait été exempté par la suite, à sa demande. Il a affirmé en outre que les autorités turques étaient informées de ses activités au sein du PKK, et en particulier de sa participation au barrage routier, suite à sa condamnation pour entrave à la circulation routière par contrainte exercée en réunion.

2.5Par une décision du 6 février 2002, l’Office fédéral a rejeté la demande de réouverture de la procédure de demande d’asile au motif que le requérant aurait pu faire valoir ces nouveaux arguments lors de la procédure initiale et que son récit manquait de crédibilité. Le 26 février 2002, le requérant a formé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Francfort, où la procédure à ce sujet était toujours pendante quand il a adressé sa lettre initiale.

2.6Le 21 mars 2002, le tribunal administratif de Francfort, sur la base de motifs identiques pour l’essentiel à ceux de l’Office fédéral, a rejeté une demande du requérant tendant à ce qu’il rende une ordonnance provisoire de non‑expulsion vers la Turquie.

2.7Le 16 avril 2002, entendu pour information à l’Office fédéral, le requérant a déclaré qu’avant de recevoir sa formation au camp néerlandais du PKK il avait été présenté au public du Festival kurde Halim‑Dener organisé en septembre 1994 aux Pays‑Bas comme faisant partie d’un groupe de 25 «candidats guérilleros». C’est par crainte de sanctions qu’il n’en avait pas parlé au cours de la procédure d’asile initiale, le PKK étant illégal en Allemagne.

2.8Le 18 juin 2002, le tribunal administratif de Francfort a rejeté la demande que lui avait faite le requérant de réexaminer sa décision de refus de mesure provisoire. Le tribunal a répété que la présentation tardive de son nouvel argument ainsi que plusieurs détails de la description des activités qu’il prétendait mener au sein du PKK nuisaient à sa crédibilité. Ainsi, on pouvait douter que le PKK vienne présenter en public ses candidats à la guérilla, sachant que des manifestations comme le Festival Halim‑Dener étaient observées par les services secrets turcs. De plus, après une formation politique et idéologique en Europe, les membres du PKK étaient généralement obligés d’aller suivre immédiatement un entraînement militaire dans le sud‑est de la Turquie.

2.9Le 22 juillet 2002, le requérant a saisi le Tribunal constitutionnel fédéral d’un recours constitutionnel contre les décisions du tribunal administratif de Francfort des 21 mars et 18 juin 2002, affirmant qu’elles portaient atteinte aux droits constitutionnels à la vie et à l’intégrité physique et à l’égalité devant la loi, ainsi qu’au droit d’être entendu par les tribunaux. Il l’a saisi en outre d’une demande en référé d’ordonnance provisoire qui le mettrait à l’abri de l’expulsion pendant la durée de la procédure engagée devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 30 août 2002 rendue par un collège de trois juges, le Tribunal constitutionnel fédéral a rejeté le recours constitutionnel ainsi que la demande en référé, au motif que «le requérant conteste uniquement l’appréciation des faits et des preuves par les juridictions inférieures, sans faire état d’aucune violation dont ses droits fondamentaux ou des droits équivalant à des droits fondamentaux» auraient été l’objet.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il court personnellement le risque d’être soumis à la torture en Turquie, et que l’Allemagne commettrait donc une violation de l’article 3 de la Convention si elle l’expulsait vers ce pays. À l’appui de cette affirmation, il fait valoir que le Comité a établi que la pratique de la torture était systématique en Turquie.

3.2D’après le requérant, l’Office fédéral et les tribunaux allemands ont attaché trop d’importance aux contradictions dans les déclarations qu’il avait faites pendant la procédure initiale de demande d’asile, qui n’ont pas de rapport, sur le fond, avec sa demande ultérieure de rouvrir la procédure sur la base d’informations nouvelles. Il reconnaît qu’il a omis de mentionner, au cours de la procédure initiale, son activité au sein du PKK. Mais il pouvait raisonnablement penser que le fait que les autorités turques connaissaient sa participation au barrage routier constituait des motifs suffisants pour lui reconnaître le statut de réfugié. Cette participation au barrage pouvait aisément être déduite de sa condamnation pour entrave à la circulation routière par contrainte exercée en réunion, puisque les extraits de casier judiciaire échangés entre les autorités allemandes et turques indiquent la date d’une infraction pénale. En l’absence de témoins de sa participation au cours de formation du PKK, laquelle devait demeurer secrète, il demande que le doute joue à son profit. Il renvoie le Comité à son Observation générale no 1, selon laquelle, aux fins de l’application de l’article 3 de la Convention, «il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable».

3.3Le requérant invoque en outre le témoignage écrit d’un certain F. S., daté du 6 juillet 2002, dans lequel le témoin déclare que, se rendant au festival kurde organisé aux Pays‑Bas en 1994, il a voyagé en compagnie du requérant, qui a publiquement déclaré faire partie du PKK.

3.4Le requérant indique que la contradiction apparente entre la politique de secret du PKK et la présentation publique de 25 candidats guérilleros devant 60 000 à 80 000 personnes assistant au Festival Halim‑Dener s’explique par la campagne lancée en mars 1994 par Abdullah Öcalan qui visait à démontrer que l’organisation était présente dans toute l’Europe et capable d’y faire appliquer sa politique partout. Il n’avait été exempté que temporairement de l’obligation de suivre l’entraînement militaire du PKK, dans l’attente d’une décision définitive devant être prise en mai 1995. En tout état de cause, les contradictions de la politique officielle du PKK ne sauraient être retenues contre lui.

3.5Pour ce qui est de la charge de la preuve dans les procédures nationales, le requérant affirme qu’en vertu de l’article 86 du Code de procédure administrative, les tribunaux administratifs sont tenus d’enquêter d’office sur les faits d’une affaire. Il n’avait donc aucune obligation procédurale de prouver sa qualité de membre du PKK. Le requérant estime qu’en déclarant avoir participé à un cours de formation du PKK de septembre 1994 à janvier 1995, il s’est acquitté de l’obligation de coopérer avec les tribunaux.

3.6En ce qui concerne la connaissance qu’ont les autorités turques de son appartenance au PKK, le requérant affirme qu’il ne fait aucun doute que les services secrets turcs ont observé la manifestation du Festival Halim‑Dener en 1994. Il affirme de plus avoir vu à la télévision turque l’un de ses officiers chargés de la formation au camp de Maastricht, appelé «Yilmaz», qui avait été arrêté par la police turque. «Yilmaz» aurait accepté de coopérer avec les autorités turques, faisant ainsi courir aux participants à cette formation le risque de voir leur identité révélée. En outre, aux dires d’un de ses voisins villageois, un autre participant à la formation, appelé «Cektar», avec qui il aurait eu des contacts étroits pendant la formation, a été capturé par l’armée turque. On peut raisonnablement supposer, selon le requérant, que «Cektar» a été remis à la police pour interrogatoire et qu’on l’a torturé pour lui extorquer des informations sur les membres du PKK.

3.7Le requérant conclut qu’à son retour en Turquie il serait appréhendé par la police turque de l’aéroport, livré aux autorités de police spéciales pour interrogatoire et sauvagement torturé par celles‑ci. Il déduit en effet de constatations précédentes du Comité que, selon ce dernier, lorsque les autorités sont informées de la collaboration d’un suspect avec le PKK, il y a lieu de craindre qu’il ne soit soumis à la torture par la police turque.

3.8Le requérant soutient que s’il a commis un délit au regard de la loi allemande en adhérant au PKK, cela ne saurait exonérer l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

3.9Le requérant affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles. Sa requête n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Le 11 novembre 2002, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité de la requête, demandant au Comité de déclarer celle‑ci irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en application du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

4.2L’État partie fait valoir que les recours internes qui doivent être épuisés incluent les recours constitutionnels, ainsi que l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs affaires concernant l’Allemagne. Même s’il a formé un recours constitutionnel le 22 juillet 2002, le requérant n’a pas épuisé les recours internes, dans la mesure où sa requête n’était pas suffisamment étayée pour être acceptée aux fins de décision. En particulier, le requérant n’indiquait pas en quoi les décisions contestées portaient atteinte à ses droits constitutionnels. Selon l’exposé des motifs de la décision du Tribunal constitutionnel fédéral du 30 août 2002, il «constest[ait] uniquement l’appréciation des faits et des preuves par les juridictions inférieures».

4.3L’État partie affirme que les recours internes ne sauraient être épuisés par le moyen d’une requête irrecevable qui ne satisfait manifestement pas aux critères de recevabilité établis par le droit procédural national. En l’espèce, l’État partie ne voit pas de circonstances qui puissent justifier une dérogation à la condition d’épuisement des recours internes, étant donné que le recours constitutionnel, conjugué à la demande de mesure provisoire en attendant la décision définitive du Tribunal constitutionnel fédéral, offrait au requérant un recours utile.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans sa réponse datée du 9 décembre 2002, le requérant conteste l’interprétation faite par l’État partie de la décision du Tribunal constitutionnel du 30 août 2002. Il fait valoir que la Cour n’a ni explicitement ni implicitement jugé son recours constitutionnel irrecevable, faisant remarquer qu’elle n’a pas distingué entre les aspects de la recevabilité et du fond. La requête satisfaisait toutefois aux critères de recevabilité établis par l’article 93 de la loi sur le Tribunal constitutionnel fédéral, dans la mesure où elle indiquait les droits fondamentaux dont la violation était alléguée ainsi que la manière dont les décisions des juridictions inférieures violaient ces droits: d’où il découle que le Tribunal constitutionnel fédéral ne l’a pas rejetée pour irrecevabilité «mais par référence au fond de l’affaire».

5.2Le requérant maintient que le recours constitutionnel ne constitue pas un recours supplémentaire mais un recours exceptionnel, qui permet au Tribunal constitutionnel de dire si les juridictions inférieures ont enfreint des droits fondamentaux, dans les cas où celles‑ci manquent à leur devoir d’assurer la jouissance de ces droits. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si l’obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles porte aussi sur ce recours spécifique et si l’on doit considérer que cette obligation n’est pas satisfaite quand le recours constitutionnel a été considéré comme irrecevable, ne se pose pas puisque le Tribunal constitutionnel fédéral n’a pas déclaré son recours constitutionnel irrecevable.

5.3Le requérant estime que le dépôt d’une requête au titre d’une procédure universelle fondée sur un traité, telle la procédure individuelle de présentation de requête visée à l’article 22 de la Convention, n’est pas subordonné à l’obligation de se conformer au préalable à des dispositions particulières de la Constitution allemande.

5.4Enfin, le requérant estime que la règle de l’épuisement des recours internes doit être appliquée avec une certaine souplesse et que seuls les recours utiles doivent être épuisés. N’ayant pas d’effet suspensif, le recours constitutionnel ne saurait être considéré comme un recours utile dans les cas d’expulsion imminente.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.1Le 10 mars 2003, l’État partie a fait part de ses observations complémentaires sur la recevabilité de la requête. Tout en admettant que le Tribunal constitutionnel fédéral n’a pas dit explicitement si le recours constitutionnel était irrecevable ou mal fondé, l’État partie réaffirme que la teneur du dispositif de la décision du Tribunal constitutionnel fédéral du 30 août 2002 permettait de conclure que le recours constitutionnel du requérant n’était pas étayé et qu’il était donc irrecevable. Par conséquent, le requérant n’a pas satisfait aux prescriptions de forme applicables à l’introduction d’un recours constitutionnel.

6.2L’État partie s’élève contre l’argument du requérant fondé sur l’absence d’effet suspensif du recours constitutionnel, faisant valoir qu’il peut y être suppléé par une demande en référé de mesures provisoires, au titre de l’article 32 de la loi sur le Tribunal constitutionnel fédéral.

Décision sur la recevabilité

7.1À sa trentième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et s’est assuré que la même question n’avait pas été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ni n’était en cours d’examen. L’État partie ayant affirmé que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes, au motif que son recours constitutionnel ne satisfaisait pas aux prescriptions de forme relatives aux éléments à fournir pour étayer ses demandes, le Comité a considéré qu’en tant qu’organe international chargé de surveiller l’observation par les États parties de leurs obligations en vertu de la Convention, il n’est pas en situation de se prononcer sur les conditions de forme spécifiques applicables à l’introduction d’un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel fédéral, dès lors que la requête n’est pas manifestement incompatible avecl’obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles énoncée au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité a noté que le requérant avait saisi le Tribunal constitutionnel fédéral d’un recours constitutionnel, le 22 juillet 2002, et que le Tribunal l’avait rejeté par une décision formelle datée du 30 août 2002. En l’absence de manquement manifeste à la condition du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité a donc considéré qu’il était établi à sa satisfaction, compte tenu des circonstances de l’affaire et conformément aux principes généraux du droit international, que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles.

7.3En conséquence, le Comité a décidé, le 30 avril 2003, que la requête était recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Par une note verbale datée du 24 février 2003, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond de la requête, faisant valoir que le requérant n’avait pas montré qu’il risquait personnellement d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers la Turquie.

8.2Se référant à l’Observation générale no 1 du Comité relative à l’interprétation de l’article 3 de la Convention, l’État partie souligne que c’est à l’auteur qu’il incombe de présenter des arguments défendables pour montrer qu’il court un risque personnel et actuel d’être soumis à la torture. Il considère que le fait que le requérant soit d’origine kurde ou qu’il soit un sympathisant du PKK ne sont pas des éléments suffisants à cette fin.

8.3L’État partie fait valoir que les différentes versions que le requérant a données de la gravité des tortures qu’il aurait subies quand il avait été arrêté en Turquie font douter de sa crédibilité. Il avait dit dans un premier temps devant l’Office fédéral qu’il avait été injurié et jeté dans de l’eau sale puis, plus tard, devant le Tribunal administratif de Wiesbaden, il avait complété son récit en affirmant qu’il avait été soulevé à l’aide d’un bâton placé sous les bras, les mains liées derrière le dos.

8.4Pour l’État partie, le requérant n’a pas prouvé qu’il était membre du PKK ni qu’il avait eu toute autre activité politique notable quand il était en exil. En particulier, la lettre de F. S. indiquait simplement que le requérant avait participé à des activités culturelles et politiques en Allemagne, sans en préciser la nature. De plus, l’État partie fait valoir qu’il ne suffit pas d’affirmer être membre du PKK pour étayer l’allégation de risque personnel d’être soumis à la torture, si le requérant n’a pas occupé une place importante dans cette organisation. Au cours de la campagne «d’auto‑incrimination» de 2001, 100 000 personnes se sont déclarées membres du PKK et pas un seul cas de persécution par les autorités turques n’a été ensuite signalé.

8.5Tout en reconnaissant que la participation à une formation en vue d’un rôle de dirigeant au PKK pourrait exposer personnellement un membre de ce parti à un danger s’il retourne en Turquie, l’État partie conteste que le requérant ait jamais suivi cette formation; il n’a pas avancé cet argument pendant l’audience devant le tribunal administratif de Wiesbaden en 1999. L’État partie estime peu vraisemblable le motif invoqué par le requérant qui a expliqué qu’il avait voulu garder secrète sa participation à cette formation parce que le PKK l’exigeait et parce que l’appartenance au PKK était punissable en droit allemand; il avance les raisons suivantes: a) la contradiction entre le prétendu secret de cette formation et le fait que le requérant ait été, d’après ses dires, présenté à une vaste communauté kurde lors du Festival Halim‑Dener; b) il est improbable que le requérant considère qu’un risque imminent de torture soit un moindre mal par rapport à une condamnation en Allemagne pour appartenance au PKK; c) malgré le rejet de sa demande d’asile par le tribunal administratif de Wiesbaden, le 7 septembre 1999, le requérant n’a pas révélé sa participation à la formation du PKK à l’audience en appel auprès du Tribunal administratif supérieur de la Hesse; d) le requérant avait évidemment besoin de compléter son argumentation pour étayer sa nouvelle demande d’asile quand l’arrêté d’expulsion pris le 7 décembre 2001 est devenu définitif et exécutoire.

8.6L’État partie fait valoir que, même à supposer que le requérant ait été présenté comme un «candidat guérillero» au festival de 1994, vu qu’ensuite il n’a pas poursuivi la formation et que de surcroît il n’est pas allé combattre dans le sud‑est de la Turquie il ne pouvait pas occuper une position importante au PKK.

8.7Sans exclure la possibilité que la condamnation prononcée contre le requérant pour «entrave à la circulation routière par contrainte exercée en réunion» ait été communiquée aux autorités turques en vertu de l’échange international de dossiers judiciaires, l’État partie objecte que le lieu où l’infraction a été commise pouvait seulement être déduit indirectement des renseignements identifiant le tribunal compétent. Même si la participation du requérant au barrage routier pouvait être connue grâce à ces renseignements, une activité aussi négligeable ne risquait pas de déclencher une action de la part des autorités turques.

8.8En ce qui concerne la charge de la preuve dans les procédures nationales, l’État partie fait valoir que l’obligation faite aux juridictions allemandes de mener des investigations sur les faits d’une cause ne porte que sur les faits vérifiables. L’Office fédéral et les tribunaux se sont acquittés de cette obligation en relevant les incohérences dans le récit des événements fait par le requérant et en lui donnant la possibilité de clarifier les choses lors de deux audiences devant l’Office fédéral et d’une audience devant le tribunal administratif de Wiesbaden.

Commentaires du requérant

9.1Par des lettres du 27 mars et du 10 mai 2003, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie relatives au fond, faisant valoir que la question soulevée dans la communication n’est pas de savoir si ses griefs tels qu’il les a énoncés pendant la première procédure de demande d’asile étaient crédibles mais si le fait que les autorités turques savent qu’il a pris part à l’entraînement du PKK l’expose personnellement à un risque prévisible de torture quand il se retrouvera en Turquie.

9.2Le requérant explique les contradictions entre son premier récit et ses autres relations des faits par le caractère préliminaire, conformément à la loi de 1982 relative à la procédure d’asile (modifiée en 1992), de sa première déclaration devant la police de l’immigration. D’après le traducteur de la police, cette première déclaration, qui devait exposer les motifs de la requête, devait tenir en une seule page manuscrite. Dans la lettre de son agent datée du 7 février 1991 ainsi que dans son interrogatoire du 5 mai 1991, le requérant a expliqué en détail que, à la fin de son service militaire, il était devenu sympathisant du PKK et avait été arrêté avec d’autres militants du PKK au cours d’une manifestation. Il est également indiqué dans la lettre que la police l’a torturé, de même que les autres manifestants, pour obtenir des renseignements sur d’autres sympathisants du PKK.

9.3Le requérant rappelle qu’une exactitude parfaite ne peut guère être attendue de victimes de la torture; les déclarations qu’il a faites au début de la procédure d’asile ne devraient pas servir à discréditer les griefs qu’il a soumis plus tard.

9.4En ce qui concerne la deuxième phase de la procédure d’asile, le requérant fait valoir que dans sa décision du 18 juin 2002 le tribunal administratif de Francfort a reconnu lui‑même le dilemme dans lequel il se trouvait car il ne pouvait pas révéler qu’il appartenait au PKK sans risquer d’être inculpé d’une infraction pénale en Allemagne. Le fait qu’il ait demandé le statut de réfugié en invoquant sa participation au barrage routier plutôt que son appartenance au PKK était donc plausible et correspondait à la jurisprudence dominante à l’époque de l’audience devant le tribunal administratif de Wiesbaden, selon laquelle le statut de réfugié était généralement accordé aux demandeurs kurdes qui avaient participé à des barrages routiers organisés par le PKK.

9.5Pour ce qui est du fait qu’il n’a pas continué l’entraînement du PKK après avoir achevé la formation aux Pays‑Bas, le requérant renvoie à une lettre de l’International Association for Human Rights of the Kurds (IMK), datée du 16 février 2003, qui confirme que le PKK a organisé des activités de formation aux Pays‑Bas à partir de 1989 et que, souvent, les participants à ces programmes recevaient l’ordre d’attendre chez eux de nouvelles instructions ou même étaient dispensés de suivre un entraînement militaire en Turquie.

9.6Le requérant n’ignore pas que le Comité exige normalement des preuves de l’appartenance au PKK mais il fait valoir que la règle de la preuve doit être appliquée de façon raisonnable, compte tenu de circonstances exceptionnelles. Il réaffirme qu’il n’est pas nécessaire pour un requérant de montrer que le risque encouru est hautement probable mais qu’il doit montrer que ce risque se situe entre un risque possible et un risque certain. Le requérant affirme que ses allégations sont confirmées par le témoignage écrit de F. S. et la déclaration sous serment datée du 4 avril 2003 faite en complément par ce dernier, qui expliquent qu’il a été présenté au Festival Halim‑Dener comme un candidat guérillero. Il conclut que ses déclarations sont suffisamment crédibles pour inverser la charge de la preuve qui doit désormais incomber à l’État partie.

9.7Le requérant cite plusieurs décisions de tribunaux allemands qui d’après lui reconnaissent que les suspects d’appartenance au PKK courent le risque d’être soumis à la torture quand ils sont renvoyés en Turquie. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas pris part aux combats armés du PKK que le risque est moins grand. Au contraire, la police turque essaiera, en particulier par la torture, de lui arracher des renseignements sur les autres participants au cours de formation et sur les responsables du PKK en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe.

9.8Le requérant réaffirme que les autorités turques savent qu’il a suivi l’entraînement du PKK étant donné que le groupe de candidats guérilleros auquel il appartenait était relativement peu nombreux. Il rappelle que le Comité a considéré dans un grand nombre d’affaires que l’appartenance à un mouvement d’opposition pouvait appeler l’attention du pays d’origine du requérant et l’exposer personnellement à un risque de torture.

9.9Se référant à des rapports émanant, entre autres, de la Human Rights Foundation of Turkey, le requérant affirme que, malgré les efforts du nouveau Gouvernement turc, qui veut adhérer à l’Union européenne, la torture est toujours généralisée et systématique dans ce pays, en particulier à l’égard de membres soupçonnés du PKK.

Commentaires complémentaires de l’État partie et du requérant

10.1Le 29 octobre 2003, l’État partie met en doute la crédibilité du requérant et nie qu’il risque d’être torturé en Turquie. Il affirme que le requérant n’a pas donné de détails quant à la sévérité des actes de torture qu’il aurait subis à l’Office fédéral pour la reconnaissance des réfugiés étrangers le 2 mai 1991, l’ayant fait seulement au cours de la procédure d’appel, huit ans et demi plus tard. Cela suscite de sérieux doutes quant à sa crédibilité, qui est de surcroît mise à mal par son incapacité d’expliquer la portée et l’importance de ses activités politiques en exil en faveur du PKK.

10.2L’État partie juge peu raisonnable que le requérant puisse s’attendre à être reconnu en tant que réfugié simplement parce qu’il a été condamné pour sa participation à un barrage routier. Il renvoie à deux jugements refusant le statut de réfugié dans des circonstances similaires.

10.3Pour ce qui est des normes de preuve, l’État partie affirme qu’un requérant est tenu de présenter les faits de la cause de manière crédible et cohérente, ce qui n’a pas été fait dans la présente affaire.

10.4Enfin, l’État partie fait valoir que la situation des droits de l’homme s’est considérablement améliorée. Le Gouvernement turc a démontré, en adoptant la loi sur la réintégration dans la société, le 29 juillet 2003, son intention de faciliter le retour sans problème des anciens membres ou partisans du PKK et de respecter leurs droits fondamentaux. Dans le même temps, le champ d’application de l’article 169 du Code pénal turc a été considérablement restreint, ce qui a conduit à l’abandon de nombreuses procédures pénales à l’encontre de partisans du PKK. Au cours des trois années passées, on n’a signalé aucun cas où un demandeur d’asile débouté renvoyé d’Allemagne en Turquie a été torturé «en raison de ses anciennes activités». L’État partie indique qu’il surveillera la situation du requérant après son retour.

11.1Le 30 janvier 2004, le requérant réaffirme que les incohérences figurant dans sa première demande d’asile sont sans objet pour l’évaluation des nouveaux faits dont il a fait état dans le cadre de la deuxième procédure. Dans sa deuxième demande d’asile, il invoquait sa participation à la formation organisée par le PKK ainsi que la connaissance qu’en avaient les autorités turques.

11.2Pour le requérant, l’État partie a reconnu que le fait de recevoir une formation en vue d’occuper un poste de dirigeant au sein du PKK pouvait mettre en danger un membre de cette organisation en cas d’expulsion en Turquie. Il doit donc accepter son affirmation selon laquelle ses activités en faveur du PKK et sa présentation en tant que candidat guérillero lui faisaient courir un tel risque.

11.3Pour ce qui est des raisons pour lesquelles il n’a révélé que tardivement sa participation à la formation organisée par le PKK, le requérant réaffirme que selon une jurisprudence unanime des tribunaux administratifs de la Hesse, où il réside, il était en droit de s’attendre à être reconnu en tant que réfugié du fait de sa participation au barrage routier. La jurisprudence divergente de tribunaux administratifs d’autres régions de l’État partie était soit récente soit inconnue du requérant au moment de la première procédure de demande d’asile.

11.4Le requérant affirme qu’en tout état de cause, la révélation tardive de ces activités n’enlève rien à la crédibilité de ses affirmations en général. Il demande le bénéfice du doute, affirmant qu’il a présenté suffisamment d’éléments de preuve attestant de manière crédible et cohérente sa participation à la formation organisée par le PKK.

11.5En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Turquie, le requérant déclare: a) que le conflit armé entre les forces turques et celles du PHH/Kadek se poursuit; b) que, selon la Human Rights Foundation of Turkey, le nombre de cas signalés de torture a augmenté en 2003, atteignant 770; c) que la durée maximale de la détention au secret a certes été ramenée à quatre jours mais la torture demeure massive et systématique, encore que des méthodes telles que le passage à tabac ou «la suspension par les bras» aient été remplacées par d’autres plus subtiles qui ne laissent aucune trace, telles que l’isolement cellulaire ou la privation d’eau potable et le refus de l’accès aux installations sanitaires; d) qu’aucune des 20 plaintes pour torture qui ont été déposées en 2003 par le groupe de prévention de la torture des avocats du barreau d’Izmir n’a fait l’objet d’une enquête; et e) que la loi de 2003 sur la réintégration dans la société exige que les anciens membres du PKK fournissent des informations sur d’autres membres de cette organisation, les personnes qui refusent de le faire étant souvent soumises à des mauvais traitements par les autorités.

11.6Le requérant conclut qu’il n’existe pas de garanties suffisantes pour qu’il ne soit pas torturé à son retour au cours des interrogatoires initiaux qui seraient effectués par la police ou en cas de refus de sa part de coopérer avec les autorités turques en leur fournissant des renseignements sur le PKK.

11.7L’examen de la demande de réouverture de la procédure d’asile faite par le requérant est en cours devant le Tribunal administratif de Francfort. En l’absence d’un effet suspensif, cet examen n’empêchera pas son expulsion si le Comité décide de retirer sa demande de mesures provisoires. Comme il est peu probable que le Tribunal administratif de Francfort ordonne la réouverture de la procédure d’asile après avoir rejeté la demande d’ordonnance provisoire du requérant, seule une décision finale du Comité concluant à l’existence d’une violation de l’article 3 permettrait d’empêcher son expulsion.

Observations complémentaires de l’État partie

12.1Le 15 mars 2004, l’État partie a confirmé que le Tribunal administratif de Francfort n’avait encore pris de décision sur le recours du requérant contre la décision de l’Office fédéral en date du 6 février 2002 de ne pas rouvrir la procédure d’asile et que ce recours n’avait pas d’effet suspensif. Bien que le requérant soit libre de formuler une autre demande d’ordonnance provisoire, une telle demande avait peu de chances d’aboutir si elle n’était pas fondée sur des faits nouveaux.

12.2L’État partie rappelle qu’il a fait droit à la demande du Comité de ne pas expulser le requérant tant qu’une décision finale n’aurait pas été prise sur sa requête, et ce en dépit du rejet définitif de sa première demande d’asile, du refus de l’Office fédéral de rouvrir la procédure d’asile et du rejet, par le Tribunal administratif de Francfort, de la demande d’ordonnance provisoire présentée par le requérant. Dans ces circonstances, l’État partie demande au Comité d’adopter dans les meilleurs délais une décision sur le fond de la requête.

Délibérations du Comité

13.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Turquie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

13.2Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 3 s’il existe des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Turquie. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. À cet égard, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le Gouvernement turc a pris des dispositions pour améliorer la situation des droits de l’homme, notamment en adoptant en 2003 la loi sur la réintégration dans la société et en mettant fin à de nombreuses procédures pénales à l’encontre de partisans du PKK. Il note également l’argument du requérant selon lequel les changements apportés récemment à la législation n’avaient pas réduit le nombre de cas signalés de recours à la torture en Turquie (770 en 2003), et rappelle en outre les conclusions et recommandations qu’il a adoptées à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique de la Turquie, dans lesquelles il s’est déclaré préoccupé par «les allégations nombreuses et concordantes indiquant que la torture et d’autres traitements cruels inhumains ou dégradants [étaient] apparemment largement pratiqués sur des personnes gardées à vue.».

13.3Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Même s’il existe en Turquie un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, cette situation ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs spécifiques donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans ses circonstances particulières.

13.4Dans la présente affaire, le Comité note que l’État partie appelle l’attention sur le manque d’éléments prouvant que le requérant a participé à un camp d’entraînement du PKK aux Pays‑Bas en 1994 et sur le fait qu’il n’a avancé cet élément que tard dans la procédure de demande d’asile. Il prend note également des explications du requérant qui évoque la difficulté qu’il y a à présenter des témoins du PKK et la crainte qu’il avait de révéler son appartenance présumée au PKK, punissable en droit allemand, ainsi que des documents et du témoignage qu’il a joints à l’appui de ses griefs.

13.5En ce qui concerne la charge de la preuve, le Comité rappelle que c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, le Comité considère que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisamment crédibles qui justifieraient un renversement de la charge de la preuve sur l’État partie. En particulier, il relève que la déclaration sous serment de F. S. corrobore seulement la partie du récit du requérant concernant sa présentation comme candidat guérillero au Festival Halim‑Dener, sans prouver la réalité de cette affirmation, sa participation au camp d’entraînement ni son appartenance au PKK. De même, la lettre de l’International Association for Human Rights of the Kurds, datée du 16 février 2003, montre qu’il n’est pas impossible que le requérant ait été provisoirement dispensé de formation militaire du PKK en Turquie, mais ne prouve en rien qu’il en a bien été ainsi. Le requérant n’ayant pas montré prima facie qu’il a bien participé au camp d’entraînement du PKK, le Comité conclut qu’il ne peut pas raisonnablement demander le bénéfice du doute en faveur de ces affirmations. De plus, le Comité relève qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur le niveau de preuve demandé par les tribunaux allemands.

13.6En ce qui concerne la condamnation du requérant pour avoir participé à un barrage routier organisé par des sympathisants du PKK en mars 1994, le Comité estime que, même si les autorités ont eu connaissance de ces faits, une telle participation ne constitue pas le type d’activité qui exposerait particulièrement le requérant au risque d’être soumis à la torture quand il retournera en Turquie.

13.7Concernant l’affirmation du requérant selon laquelle il a été torturé pendant sa garde à vue à Mazgirt (Turquie), le Comité relève que ces allégations portent sur des faits qui remontent à 1989 et donc à des événements qui ne se sont pas produits dans un passé récent. De plus, le requérant n’a soumis aucun élément de preuve d’ordre médical qui confirmerait d’éventuelles séquelles de torture ou étayerait d’une autre manière l’allégation de torture aux mains de la police turque.

13.8Le Comité souligne qu’il faut accorder un crédit considérable aux conclusions de fait des autorités et tribunaux allemands et note que la procédure devant le Tribunal administratif de Francfort concernant la demande de réouverture de la procédure d’asile est toujours en cours. Cependant, compte tenu de ce que le Tribunal administratif supérieur de la Hesse avait rejeté par un jugement final la première demande d’asile du requérant, les nouvelles allégations de ce dernier concernant sa participation présumée à une formation organisée par le PKK n’ont pas été suffisamment étayées (voir par. 13.5) pour justifier un nouveau report de la décision du Comité sur sa requête en attendant la décision du Tribunal administratif de Francfort. À cet égard, le Comité note que les deux parties lui ont demandé de rendre une décision finale sur la requête (voir par. 11.7 et 12.2) et souligne que le requérant a épuisé les recours internes dans le cadre de la procédure relative à sa demande d’ordonnance provisoire et que seule cette partie de la deuxième procédure de demande d’asile a un effet suspensif.

13.9Le Comité conclut que le requérant n’a pas montré, dans les circonstances particulières de la cause, qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé s’il était renvoyé en Turquie. Le Comité note avec satisfaction que l’État partie est prêt à surveiller la situation du requérant quand celui‑ci sera de retour en Turquie et lui demande de l’en tenir informé.

14.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de renvoyer le requérant en Turquie ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  215/2002

Présentée par:J. A. G. V (représenté par un conseil)

Au nom de:J. A. G. V.

État partie:Suède

Date de la requête:22 juillet 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 215/2002, présentée par M. J. A. G. V. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. J. A. G. V., de nationalité colombienne, né en 1962. Dans sa communication datée du 22 juillet 2002, il affirmait que son expulsion vers la Colombie constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci‑après dénommée «la Convention»). Il est représenté par un conseil.

1.2L’État partie a ratifié la Convention le 8 janvier 1986, date à laquelle il a également formulé la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention. La Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 26 juin 1987.

1.3Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l’État partie le 23 juillet 2002 en lui demandant de faire parvenir ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas expulser le requérant en Colombie tant que sa requête serait à l’examen. Toutefois, le Comité a indiqué qu’il pourrait revoir sa demande compte tenu des nouveaux arguments présentés par l’État partie ou des garanties et assurances fournies par les autorités colombiennes. Le requérant a été expulsé vers la Colombie le 23 juillet 2002. Dans sa réponse datée du 30 octobre 2002, l’État partie a fait savoir qu’il n’avait pu accéder à la demande du Comité car l’arrêté d’expulsion était déjà en cours d’exécution lorsque son Gouvernement a reçu la demande de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits

2.1Le requérant affirme qu’il était membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et de la Centrale unitaire des travailleurs (Central Unitaria de Trabajadores). Il soutient avoir été détenu et torturé à plusieurs reprises au cours des années 90 par des agents de la police colombienne qui, selon lui, l’ont frappé, lui ont administré des décharges électriques sur les parties génitales jusqu’à lui faire perdre connaissance et lui ont placé des sacs en plastique remplis d’eau sur la tête lui couvrant le nez et la bouche. Le requérant affirme qu’il s’est évadé de prison plusieurs fois.

2.2Le requérant indique qu’il est parvenu à sortir de Colombie en utilisant un faux passeport car il était recherché par la police et qu’il est arrivé en Suède le 25 mars 1998 sous une identité différente de la sienne.

2.3Le 26 mai 1998, le requérant a demandé un permis de séjour permanent en Suède sous le nom de Celimo Torres Romero. Le 24 juillet 1998, sous cette même identité, il a été arrêté en tant que suspect dans une affaire de trafic de drogue. Sa véritable identité a été révélée au cours de l’enquête policière.

2.4Le 24 septembre 1998, le tribunal du district de Sollentuna a condamné le requérant à six ans d’emprisonnement et à être expulsé du territoire de l’État partie car il l’a reconnu coupable du délit de trafic de drogue en Suède. Le requérant a formé un recours devant la Cour d’appel de Svea, qui l’a rejeté dans un arrêt daté du 26 février 1999. Ce même jour, le requérant a été conduit en prison. Il a été mis en liberté conditionnelle le 23 juillet 2002.

2.5Le 13 octobre 1998, le requérant a déposé une demande d’asile sous le nom de J. A. G. V. Le 25 mars 1999, le Conseil suédois des migrations a rejeté sa demande au motif qu’il avait demandé l’asile seulement après sa condamnation à être expulsé de Suède. Le requérant a fait appel de cette décision auprès de la Commission suédoise de recours des étrangers qui l’a débouté le 20 novembre 2000.

2.6Le 17 juillet 2002, le requérant a déposé une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a été retirée quelques jours plus tard.

Teneur de la requête

3.1Le requérant affirme dans sa lettre initiale que son expulsion vers la Colombie constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’il courait le risque d’être soumis à de nouvelles tortures dans ce pays.

3.2Le requérant estime que la décision de rejet de la demande d’asile par les autorités suédoises n’était pas fondée car celles‑ci ont simplement constaté que le Gouvernement colombien avait mis en place un programme de protection dont bénéficierait M. J. A. G. V., sans tenir compte du fait que le requérant avait été torturé en Colombie. Il affirme également que les autorités suédoises ont rejeté sa demande car elles n’accordaient pas suffisamment de crédit à ses affirmations alors qu’il avait présenté des certificats médicaux pour prouver qu’il avait été torturé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 30 octobre 2002, l’État partie note qu’il faut tenir compte du fait que la même affaire a été soumise à une autre instance internationale de règlement, le requérant ayant déposé plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Il ajoute que le requérant a décidé de retirer sa plainte car il n’a pas bénéficié de mesures provisoires, alors même que la plainte n’avait pas encore été formellement enregistrée.

4.2L’État partie reconnaît que tous les recours internes ont été épuisés mais affirme que la requête doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention au motif que la requête n’est pas suffisamment étayée.

4.3Dans l’hypothèse où le Comité déclarerait la requête recevable, l’État partie affirme, s’agissant du fond de la requête, que le retour du requérant en Colombie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Il rappelle que, conformément à la jurisprudence du Comité, pour appliquer l’article 3 de la Convention, il faut tenir compte: a) de la situation générale des droits de l’homme dans le pays et b) du risque pour le requérant d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il est renvoyé.

4.4L’État partie affirme être pleinement conscient de la situation générale des droits de l’homme en Colombie et juge inutile de s’y attarder. Il se contente donc d’examiner le risque que courrait personnellement le requérant d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Il affirme que les circonstances invoquées par le requérant ne suffisent pas à prouver qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé en Colombie. Il rappelle à cet égard la jurisprudence du Comité concernant l’interprétation de l’article 3 de la Convention.

4.5L’État partie ajoute que la crédibilité du requérant a une importance capitale pour statuer sur la demande d’asile, et que les autorités nationales qui procèdent aux entretiens se trouvent évidemment en très bonne position pour évaluer cette crédibilité. À cet égard, l’État partie souligne que les déclarations du requérant devant le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers ont fait douter l’un et l’autre organes de sa crédibilité. Il souligne que le requérant a déposé une demande d’asile quelques jours après que le tribunal du district de Sollentuna a ordonné son expulsion du territoire suédois parce qu’il s’était livré au trafic de drogue. Il ajoute que le requérant n’a pas révélé sa vraie identité, qui a été découverte plus tard lors de l’enquête judiciaire, et que tous ces faits ont conduit les autorités d’immigration à ne pas accorder de crédit aux affirmations du requérant selon lesquelles il risquait d’être torturé en Colombie s’il était expulsé vers ce pays.

4.6Selon l’État partie, il n’est pas logique qu’une personne qui sollicite la protection d’un pays compromette ses relations avec ce pays en commettant un délit. Il note en outre que cette infraction a été commise dans les trois mois suivant son arrivée en Suède. Les autorités judiciaires l’ont reconnu coupable et, d’après l’enquête policière, le requérant a acheté la cocaïne en Colombie avant de quitter ce pays et la drogue a été introduite en Suède par son beau‑frère. Selon l’État partie, cette conduite n’est pas celle que l’on pourrait attendre d’un demandeur d’asile.

4.7L’État partie note que le requérant n’a produit aucune preuve de ses supposées activités politiques en Colombie. D’après les informations fournies, le requérant a fait l’objet de poursuites judiciaires pour vols en Colombie et devant les autorités suédoises de l’immigration, il n’a donné aucun détail concernant les actes de torture qu’il aurait subis et les dates et lieux de ses détentions. L’État partie affirme que les seuls éléments de preuve présentés par le requérant étaient des certificats médicaux mais que ceux‑ci mentionnaient uniquement la possibilité que le requérant ait été victime de torture.

4.8Dans un autre courrier daté du 8 juillet 2003, l’État partie signale au Comité qu’il a reçu des informations des autorités colombiennes selon lesquelles, à son retour dans le pays, le requérant a été détenu pendant une brève période pour s’être évadé de prison et était soupçonné de plusieurs autres délits qui ne présentaient aucun caractère politique.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 17 avril 2003, le conseil du requérant a formulé des commentaires concernant les observations de l’État partie. Il affirme qu’il ne lui a pas été possible de recueillir des éléments de preuve concernant les activités politiques du requérant ou les actes de torture dont il a été victime en Colombie.

5.2Le requérant affirme que son épouse, Mme K. B., lui a rendu visite après qu’il a été expulsé et privé de liberté en Colombie. En outre, il présente une copie d’une déclaration écrite de Hector Mosquera devant une autorité judiciaire colombienne, dans laquelle il affirmait en 1994, avoir été victime de torture. Le conseil indique qu’il s’agit de la même personne que le requérant.

5.3Le requérant signale qu’il a été privé de liberté à son arrivée à l’aéroport de Bogotá et que le 30 juillet 1999, alors qu’il se trouvait en Suède, il avait été condamné à huit mois d’emprisonnement par le troisième tribunal pénal de la circonscription de Cartago pour s’être évadé de prison, ce qui prouve qu’il était persécuté. Il ajoute que, s’il voyageait sous une autre identité, c’était par crainte d’être arrêté par les autorités colombiennes, et qu’il n’avait pas commis le délit pour lequel il avait été jugé et condamné en Suède.

5.4Le requérant signale que selon la législation suédoise, si une instance internationale formule une demande de mesures provisoires, l’exécution de la mesure d’expulsion doit être suspendue. Il ajoute que son conseil a prévenu les autorités de l’État partie qu’il avait demandé au Comité de solliciter l’adoption de mesures provisoires, et que la procédure d’expulsion se poursuit jusqu’à ce que l’étranger soit accepté par les autorités du pays dans lequel il est renvoyé; par conséquent, l’expulsion aurait pu être suspendue lorsqu’il a fait escale à Madrid.

5.5Le requérant affirme que, lorsqu’il a été expulsé, il courait personnellement un risque réel d’être torturé en Colombie et que si cela ne s’était pas produit, c’était grâce à certaines circonstances telles que l’assistance intensive dont il a bénéficié ainsi que les mesures prises à l’échelon international pour appeler l’attention de l’État partie; c’est aussi pour ces raisons qu’il a été libéré relativement vite, mais il existe encore un risque qu’il soit persécuté. Il craint actuellement que les groupes paramilitaires le capturent et le torturent ou l’assassinent.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte présentée dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. À cet égard, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle la requête doit être déclarée irrecevable au motif qu’elle a déjà été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme. À ce sujet, le Comité relève que la plainte a été retirée avant d’avoir été examinée par cette instance. Par conséquent, il considère que les dispositions du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention n’empêchent pas l’examen de la requête.

6.2Le Comité observe également que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés. Par conséquent, il ne voit aucun autre obstacle à la recevabilité de la requête. Il déclare donc celle‑ci recevable et procède à l’examen de la question sur le fond.

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers la Colombie, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit examiner s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait personnellement d’être soumis à la torture à son retour en Colombie. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, notamment l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risquerait d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires qui donnent à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4En l’espèce, le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles le requérant n’a pas démontré qu’il se livrait à des activités politiques en Colombie, et selon lesquelles il ne court pas personnellement un risque réel d’être soumis à la torture; l’État partie a en effet été informé par les autorités colombiennes que le requérant a été détenu pendant une brève période, et il relève qu’aucun indice ne donne à penser qu’il a été torturé après son retour en Colombie. En outre, le Comité observe que le conseil a fait savoir que le requérant se trouve actuellement en liberté conditionnelle.

7.5Le Comité note également les circonstances qui ont fait douter les autorités de l’État partie de la nécessité d’accorder une protection au requérant. Il constate en outre que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants qui permettent d’établir qu’il a été victime de torture en Colombie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les informations fournies par le requérant ne permettent pas de conclure qu’il existait des motifs sérieux de croire que ce dernier risquait personnellement d’être torturé à son retour en Colombie.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour étayer ses craintes d’être soumis à la torture à son retour en Colombie, et conclut en conséquence que son expulsion vers ce pays n’a pas constitué une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication n o  228/2003

Présentée par:T. M. (représenté par Mme Gunnel Stenberg)

Au nom de:T. M.

État partie:Suède

Date de la requête:6 mars 2003 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 18 novembre 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 228/2003 présentée par M. T. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. T. M., de nationalité bangladaise, né en 1973, qui était en attente d’expulsion de Suède vers le Bangladesh au moment où la requête a été présentée. Il affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait, dans les circonstances de l’espèce, une violation par la Suède des articles 2, 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le requérant est entré en Suède le 26 septembre 1999 et a immédiatement demandé l’asile. Au cours de l’entretien qu’il a eu le même jour avec le Service de l’immigration, il a déclaré être devenu membre du Parti de la liberté du Bangladesh (ci‑après dénommé «BFP» pour Bangladesh Freedom Party) en 1991, parti politique qui serait illégal, et a commencé à militer activement pour ce parti en 1994, en organisant des meetings et des manifestations et en y participant. En 1997, après avoir été arrêté pour détention illégale d’armes puis remis en liberté sous caution, il affirme avoir vécu dans la clandestinité. Comme la situation politique empirait, il a payé un passeur pour qu’il le fasse sortir du Bangladesh.

2.2Le 29 septembre 1999, le Service de l’immigration a eu un second entretien avec le requérant, qui a déclaré avoir été secrétaire adjoint du parti entre 1994 et 1997 dans le district de la ville de Dhaka. Il a affirmé que les agents des pouvoirs publics soumettent des membres du parti à des tracasseries et à des brimades et que, étant une figure connue du parti, le requérant lui aussi a été persécuté. Il a déclaré avoir été accusé à tort de meurtre, de détention d’armes et de corruption passive en 1997. Il a déclaré avoir été torturé, pendant sa garde à vue, à coups de pied et de matraque, et déclare qu’il continue à souffrir des séquelles, à savoir une blessure au dos. Le parti a obtenu sa libération sous caution, après quoi il a quitté Dhaka pour vivre dans la clandestinité. Il affirme ignorer s’il a été déclaré coupable des délits dont on l’avait accusé. Le conseil du requérant, dans des courriers ultérieurs destinés à dissiper des «malentendus», a fait observer que le parti était légal mais qu’en raison des obstacles que le Gouvernement opposait à ses activités celles‑ci étaient «clandestines». Le conseil a déclaré que les accusations de corruption consistaient à accuser le requérant d’avoir extorqué de l’argent illégalement, accusations qui avaient été formulées par la police sous la pression du parti au pouvoir à l’époque, la Ligue Awami (Awami League).

2.3Le 8 octobre 1999, le Service de l’immigration a rejeté sa demande, invoquant divers problèmes de crédibilité liés aux documents soumis et au fait que le requérant n’avait pas pu prouver son identité. Concernant le fond de la requête, le Service de l’immigration a relevé que le BFP était un parti légal au Bangladesh et que le requérant n’avait eu aucune activité politique non autorisée. Reconnaissant que certaines accusations avaient des motivations politiques, le Service de l’immigration a considéré que le système de justice pénale du Bangladesh offrait au justiciable suffisamment de garanties d’un procès équitable en matière pénale. Le Service de l’immigration a observé que le requérant avait été remis en liberté après avoir passé trois jours en garde à vue, n’avait pas pu fournir de documents corroborant ses accusations portées contre lui et avait fourni des renseignements très vagues sur d’éventuelles procédures engagées après sa libération. Par conséquent, le Service de l’immigration a conclu que le requérant n’avait pas montré qu’il existait des raisons de croire qu’il courait un risque d’être sanctionné pour des raisons politiques.

2.4Le requérant a fait appel devant la Commission de recours des étrangers en présentant ce qu’il affirmait être des copies de quatre pièces de son dossier judiciaire envoyées par son avocat bangladais, ainsi qu’une déclaration de ce dernier datée du 16 octobre 1999. Selon cette déclaration, le requérant faisait toujours l’objet d’une procédure par défaut, dans laquelle l’auteur de ladite déclaration avait été désigné «avocat du défendeur». L’avocat déclarait également que la situation politique au Bangladesh était critique, que la police cherchait à arrêter le requérant, et que des membres de la Ligue Awami voulaient le tuer. Le requérant a présenté un document, daté du 14 octobre 1999, décrit comme étant un certificat du BFP émanant du «Secrétaire administratif» du Comité exécutif central du parti, qui déclarait que le requérant avait été arrêté et soumis à la torture pendant trois jours, que sa vie était en danger, et qu’il «pourrait être tué par les hommes de main du Gouvernement s’il rentrait dans son pays».

2.5Le 10 décembre 1999, la Commission de recours des étrangers a rejeté l’appel, en relevant que le fait d’être membre actif du BFP, parti légal qui était autorisé à fonctionner, ne constituait pas un motif pour demander et obtenir l’asile. La situation au Bangladesh n’avait pas non plus atteint le point où la persécution perpétrée par des particuliers était soutenue par les autorités ni le point où ces dernières, faute de volonté et de moyens, ne prenaient pas les mesures appropriées pour lutter contre une telle persécution. Touchant les accusations mensongères dont aurait fait l’objet le requérant, le Service de l’immigration a considéré qu’étant donné sa connaissance du système judiciaire bangladais l’intéressé pourrait obtenir que son cas soit jugé d’une manière juridiquement acceptable. Quant à l’allégation de brutalités subies après son arrestation, le Service de l’immigration a reconnu que ce type d’actes avaient pu être commis par la police, mais refusait l’allégation selon laquelle ils étaient cautionnés par le Gouvernement ou par les autorités, exposant le requérant à un risque quelconque de persécution ou de violence dans l’éventualité d’un retour. À la suite de la décision de la Commission de recours des étrangers, le requérant est passé dans la clandestinité, où il est resté jusqu’à ce qu’il soit retrouvé et arrêté le 4 mars 2003.

2.6Le 20 décembre 2002, le requérant a déposé une nouvelle demande auprès de la Commission de recours des étrangers, faisant valoir que, pendant sa détention en janvier 1997, il avait été soumis à différentes formes de torture grave ayant provoqué des lésions physiques et mentales. Selon lui, sa famille aurait été menacée par des membres de la Ligue Awami après son départ. S’il rentrait dans son pays, il serait arrêté, et vu que, selon lui, la torture était largement pratiquée pendant les enquêtes judiciaires, il était «très improbable» qu’il puisse échapper à ce type de traitement. À la suite des tortures qu’il aurait subies, il souffrait de troubles post‑traumatiques de sorte que, s’il était renvoyé dans son pays, il «risquait sérieusement» de mettre fin à ses jours. Il a présenté des expertises psychiatriques de son état de santé mentale ainsi que des rapports détaillés établis en Suède par des médecins légistes, attestant que le requérant avait subi des tortures en 1997.

2.7Le 16 janvier 2003, la Commission a rejeté la demande, en appliquant les normes énoncées à l’article 3 de la Convention et dans l’Observation générale du Comité sur son application. Elle a observé que le requérant avait attendu trois ans après l’arrêté d’expulsion définitif avant de se plaindre en premier lieu d’actes de torture subis pendant sa détention en 1997. Toutefois en appliquant un critère tolérant concernant la charge de la preuve, elle a constaté que le dossier médical justifiait l’allégation de torture. Quant à la question de savoir s’il courait actuellement un risque de torture, la Commission a conclu que, vu que six ans s’étaient écoulés, que le requérant ne pouvait pas prouver qu’il était encore recherché par les autorités bangladaises et que le parti l’ayant prétendument persécuté n’était plus au pouvoir, il n’y avait aucune raison de craindre aujourd’hui un tel traitement. Quant à la santé du requérant, la Commission a observé qu’il ne s’était jamais plaint auparavant des troubles psychologiques qu’il faisait brusquement valoir et qu’il n’avait pas démontré qu’il s’était adressé à des services de santé mentale en Suède. Par conséquent, la Commission a conclu que l’état de santé mentale du requérant était essentiellement dû à l’instabilité de sa vie en Suède résultant de son refus de respecter l’arrêté d’expulsion et de son statut de clandestin dans le pays.

2.8Le 4 mars 2003, le requérant a été arrêté après avoir été signalé à la police pour avoir mis le feu à un centre de soins psychiatriques où il avait demandé à être soigné. Le 7 mars 2003 au matin, le Comité a reçu la communication. Dans le courant de la même journée (7 mars 2003), le conseil a fait savoir que le requérant avait été expulsé de Suède l’après‑midi même et, selon elle, sans avoir pu prendre de médicaments pour ses troubles mentaux ni emporter ses vêtements. Elle a déclaré que le soir précédent le requérant avait tenté de se couper avec un couteau en plastique.

Teneur de la requête

3.1Le requérant affirme qu’il serait soumis à la torture s’il rentrait dans son pays et que son renvoi serait une violation des articles 2, 3 et 16 de la Convention. Il fait valoir qu’il serait arrêté à son retour et devrait affronter un long procès, et que cette situation n’était en rien modifiée par le changement de gouvernement, d’autant qu’aucune amnistie n’avait été prononcée. Le requérant cite le rapport sur les droits de l’homme pour 2001 du Département d’État des États‑Unis, des rapports non précisés d’Amnesty International, ainsi qu’un rapport récent du Ministère des affaires étrangères suédois, portant tous sur la situation des droits de l’homme en général au Bangladesh, à l’appui de l’affirmation selon laquelle la police utilise couramment la torture pendant les enquêtes, dans l’impunité, et qu’il serait par conséquent exposé à un «risque très élevé» de torture au cas où il serait renvoyé et arrêté. Selon lui, les policiers ne sont qu’exceptionnellement sanctionnés pour avoir utilisé la torture. Pour prouver «l’impunité presque totale» dont jouissent les policiers et le prétendu manque d’empressement que met son pays à respecter les obligations qu’il a contractées en vertu de la Convention, le requérant mentionne une ordonnance d’indemnisation prise pour des actes commis par les forces armées entre le 16 octobre [2002 probablement] et le 24 janvier 2003.

3.2Le requérant fait également valoir que son expulsion de Suède dans les circonstances décrites au paragraphe 2.8 ci‑dessus a constitué une violation de l’article 16 de la Convention.

3.3Le requérant déclare que la même question n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une lettre datée du 12 mai 2003, l’État partie a contesté la recevabilité et le bien‑fondé de la requête. Tout en reconnaissant que les recours internes avaient été épuisés, l’État partie fait valoir, compte tenu de ses observations sur le fond, que le requérant n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les allégations qu’il formule au titre de l’article 3. En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle son expulsion constituerait en outre une violation des articles 2 et 16, l’État partie note que l’article 2 requiert tout État partie de prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ne soient commis, et observe qu’une expulsion ne peut être considérée comme un acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës sont intentionnellement infligées à une personne à l’une des fins énoncées à l’article 1, au point que cet acte puisse relever de la définition de la torture énoncée dans ce même article. Cette allégation est par conséquent incompatible avec les dispositions de la Convention, elle est insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et le requérant n’a pas le statut de victime requis par la Convention pour présenter ce grief. Quant à l’article 16, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’obligation de non-refoulement ne s’applique pas aux situations pouvant présenter un risque de traitement cruel, inhumain ou dégradant, et considère par conséquent cette allégation comme incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.2En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les circonstances spécifiques qui ont entouré l’expulsion du requérant ont constitué une violation de l’article 16 vu son état de santé physique et mentale, l’État partie renvoie aux études d’auteurs qui considèrent que l’objectif de cet article est de protéger les personnes privées de liberté ou soumises de fait au pouvoir ou au contrôle de la personne responsable de la peine ou du traitement incriminés. En outre, cette allégation est insuffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, pour les raisons exposées plus loin.

4.3Sur le fond de la requête, l’État partie fait valoir que, s’agissant de la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh et des éléments de preuve avancés, le requérant n’a pas étayé l’existence d’un risque personnel et réel de torture, selon la définition de l’article premier, qui rendrait son expulsion contraire à l’article 3. En ce qui concerne la situation générale, l’État partie reconnaît qu’elle est problématique, mais souligne l’amélioration progressive observée sur une longue période. Depuis l’introduction d’un régime démocratique en 1991, il n’a pas été  fait état d’une oppression systématique des dissidents, et les groupements de défense des droits de l’homme sont en règle générale autorisés à poursuivre leurs activités. Le Bangladesh National Party (BNP) a repris le pouvoir (après l’avoir occupé de 1991 à 1996 puis avoir été dans l’opposition de 1996 à 2001, ayant cédé le pouvoir à la Ligue Awami) à la suite des élections du 1er octobre 2001, qui ont été déclarées libres et honnêtes. Toutefois, la violence est un élément permanent de la vie politique, avec des heurts entre partisans des différents partis lors des meetings et une police qui aurait souvent recours aux arrestations arbitraires et aux brutalités pendant les interrogatoires. Les actes de torture font rarement l’objet d’enquête, et la police, que le Gouvernement utiliserait à des fins politiques, est peu disposée à ouvrir des enquêtes contre des personnes ayant des liens avec le Gouvernement. Si les juridictions inférieures sont sensibles aux pressions du pouvoir exécutif, les juridictions supérieures en revanche sont dans l’ensemble indépendantes et rendent des jugements défavorables au Gouvernement dans les affaires concernant des personnalités très en vue. Il arrive que des personnes soient jugées en leur absence mais si la personne ainsi jugée rentre au Bangladesh elle ne peut pas bénéficier d’un nouveau procès.

4.4En 2002, des membres de la Commission suédoise de recours des étrangers se sont rendus au Bangladesh, ont rencontré des avocats, des membres du Parlement et du pouvoir exécutif ainsi que des représentants des ambassades et des organisations internationales, et n’ont pas constaté de persécution institutionnelle. S’il est vrai que des personnalités «très en vue» peuvent être arrêtées et brutalisées par la police, la persécution politique est rare dans la population en général. Les procès engagés sur de fausses accusations sont chose courante, mais visent essentiellement des cadres éminents des partis politiques. Il est possible d’éviter les brimades en changeant de domicile dans le pays. L’État partie fait observer que le Bangladesh est partie à la Convention et, depuis 2001, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.5En ce qui concerne le critère du risque réel, personnel et prévisible d’être soumis à la torture qui doit peser sur le requérant dans l’hypothèse d’un retour, critère requis par l’article 3, l’État partie souligne que les autorités suédoises ont explicitement appliqué les dispositions pertinentes de la Convention. De plus, les autorités compétentes sont particulièrement bien placées pour évaluer les demandes d’asile, compte tenu notamment de l’expérience acquise en faisant droit à 629 demandes fondées sur l’article 3 parmi les 1 427 émanant de requérants du Bangladesh que la Suède a reçues en l’espace de 10 ans. En conséquence, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux décisions du Service de l’immigration et de la Commission de recours des étrangers, dont l’argumentation est entérinée par l’État partie. L’État partie souligne, en se référant à la jurisprudence du Comité, que le fait d’avoir subi des tortures dans le passé n’est pas suffisant en soi pour conclure à l’existence d’un risque d’être à l’avenir soumis à la torture, en violation de l’article 3.

4.6L’État partie relève que, selon son propre récit, le requérant a fait l’objet de fausses accusations et de violences policières en raison de fortes pressions exercées par le Gouvernement. Les tortures dont il aurait fait l’objet lui auraient été infligées six ans auparavant, et le requérant n’a pas eu d’activité politique depuis janvier 1997. Étant donné que la situation politique au Bangladesh a sensiblement évolué depuis l’arrivée du requérant en Suède, notamment à la suite de la défaite du gouvernement de la Ligue Awami lors des élections de 2001 et de son remplacement par un gouvernement «anti‑Ligue Awami» composé du parti BFP (celui du requérant) et d’un autre parti, entretenant de bonnes relations entre eux, il n’y a actuellement aucune raison de soupçonner le Gouvernement de s’intéresser au requérant pour des raisons politiques. Même si d’anciens opposants ont cherché à le retrouver, les mauvais traitements dont le requérant pourrait éventuellement faire l’objet de leur part ne pourraient qu’être le fait de particuliers agissant sans le consentement ou l’aval de l’État et ne relèveraient donc pas de l’article 3.

4.7En ce qui concerne les «pièces du dossier» et les déclarations faites devant la Commission de recours des étrangers, l’État partie observe qu’il n’est pas en mesure de déterminer si ces pièces corroborent de façon crédible l’assertion selon laquelle une procédure judiciaire a été ouverte contre le requérant en 1997 et restait en instance en octobre 1999. Aucun élément de preuve n’a été produit qui donne à penser que cette procédure engagée à l’époque de la Ligue Awami reste encore ouverte. Même si c’était le cas, cela ne serait pas la preuve d’un risque réel et personnel pour le requérant d’être soumis à la torture, et la situation générale des droits de l’homme ne permet pas de penser que toutes les personnes susceptibles d’être arrêtées du chef d’accusation en matière pénale à leur retour au Bangladesh encourent automatiquement un risque sérieux d’être soumises à la torture. Compte tenu des changements considérables qu’il y a eu dans la situation personnelle du requérant et dans celle de son pays depuis 1997, par conséquent, le requérant n’a pas démontré qu’il réunissait les critères requis par la Convention pour que son expulsion soit une violation des droits énoncés à l’article 3.

4.8Au sujet des griefs tirés des articles 2 et 16, dans l’hypothèse où le Comité considérerait que ces dispositions sont applicables, l’État partie mentionne deux affaires dans lesquelles l’existence d’un état de stress post‑traumatique sévère était attestée par des certificats médicaux et où il était allégué que l’état de santé du requérant empêchait son expulsion. Dans l’affaire G.R.B. c. Suède, le Comité a considéré que l’aggravation de l’état de santé qui pourrait résulter de l’expulsion ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l’État partie au sens de l’article 16, tandis que, dans l’affaire S.V. c. Canada, le Comité a considéré l’allégation de traitements cruels, inhumains ou dégradants constitués par l’expulsion comme insuffisamment étayée. L’État partie cite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, sur des dispositions équivalentes, a établi que les mauvais traitements devaient atteindre un degré minimum d’intensité et que le seuil au-dessous duquel la responsabilité de l’État partie dans les sévices n’est pas engagée était élevé. L’affaire à l’examen ne présente aucune circonstance exceptionnelle permettant d’affirmer que l’exécution de l’arrêté d’expulsion soulève de telles questions.

4.9L’État partie note que les expertises médicales fournies par le requérant font état d’un diagnostic de troubles post‑traumatiques, un certificat daté du 16 décembre 2002, apparemment établi d’après un examen effectué le 31 juillet 2002, attestant que le requérant présentait les signes d’une profonde dépression avec un risque sérieux de suicide. Le 29 octobre 2002 toutefois, le risque de suicide a été décrit comme «très difficile à évaluer». L’État partie observe que les problèmes de santé mentale ont été invoqués pour la première fois dans une nouvelle demande de permis de séjour déposée en décembre 2002, trois ans après l’arrivée du requérant et deux ans après sa fuite, ce qui donne à penser que son état de santé mentale s’est détérioré à la suite du refus de sa demande d’admission en Suède et à cause de sa situation instable de clandestin. Selon les informations disponibles, le requérant n’a ni demandé ni reçu de traitement médical régulier et n’a pas non plus sollicité de traitement psychiatrique. Pour autant qu’on le sache, le type de soin et de traitement dont il aurait apparemment besoin ne serait pas indisponible non plus au Bangladesh. Même si la crainte d’un renvoi au Bangladesh qu’exprime le requérant du fait qu’il souffre de stress post‑traumatique sévère devait justifier une analyse dans le cadre de l’article 16, ce que l’État partie réfute, le requérant n’a pas fourni d’éléments suffisants pour étayer cette crainte.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Par une lettre du 15 mai 2003, le conseil du requérant a été prié de faire part de ses commentaires éventuels sur les observations de l’État partie dans un délai de six semaines, et a été informé qu’en l’absence de tels commentaires le Comité examinerait la requête sur la base des informations dont il disposait. Aucun commentaire n’a été reçu.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, le Comité s’est assuré que la même question n’avait pas été et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note en outre que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés.

6.2S’agissant de l’argument du requérant selon lequel l’État partie violerait les articles 2 et 6 en l’exposant à un risque de mauvais traitements au Bangladesh, le Comité constate que l’obligation de non ‑refoulement énoncée à l’article 3 n’englobe pas les cas de mauvais traitements visés à l’article 16. En conséquence, les griefs tirés des articles 2 et 16 concernant l’expulsion du requérant sont irrecevables ratione materiae car incompatibles avec les dispositions de la Convention. En outre, s’agissant du grief tiré de l’article 16 concernant les circonstances de l’expulsion du requérant, le Comité relève, en se référant à sa jurisprudence, que l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16. En l’absence de circonstances exceptionnelles et vu que le conseil n’a pas répondu à l’argument de l’État partie selon lequel il n’avait pas été démontré que le traitement médical nécessité par le requérant n’était pas disponible au Bangladesh, le Comité considère que ce dernier n’a pas suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité, et qu’elle doit par conséquent être déclarée irrecevable.

6.3S’agissant du grief du requérant tiré de l’article 3 concernant la torture, aux fins de la recevabilité, le Comité estime, vu en particulier la relation du requérant concernant les actes de torture subis précédemment, que l’intéressé a fait apparaître qu’il y a eu à première vue une violation de l’article 3 qui pourrait être établie si la requête était examinée quant au fond. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité va donc procéder à l’examen de la requête quant au fond.

7.1Le Comité doit déterminer en premier lieu si le renvoi forcé du requérant au Bangladesh a constitué une violation de l’obligation qu’impose à l’État partie l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.2Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture à son retour dans son pays. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé risquerait d’être personnellement soumis à la torture dans le pays dans lequel il retournerait. En conséquence, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. De même, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes, constantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière.

7.3En l’espèce, le Comité note que la Commission de recours des étrangers a accepté l’assertion (tardive) du requérant selon laquelle il avait été soumis à la torture en janvier 1997. Le Comité note toutefois que la requête était fondée sur l’affirmation selon laquelle, en tant que militant politique du BFP, le requérant avait fait l’objet de fausses accusations et avait subi des brutalités aux mains de la police, à la suite de pressions politiques exercées par le gouvernement au pouvoir à l’époque. Le Comité note que cette pratique a été confirmée par diverses sources. Toutefois, compte tenu des six années qui se sont écoulées depuis que les actes de torture allégués auraient eu lieu et, ce qui est plus pertinent, vu que le parti politique auquel appartient le requérant est l’une des composantes du gouvernement actuel au Bangladesh, le Comité considère que le requérant n’a pas démontré qu’il existait, au moment de son renvoi forcé, des motifs sérieux de croire qu’il courait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que le requérant n’a pas étayé l’affirmation selon laquelle il serait soumis à la torture à son retour au Bangladesh, et conclut par conséquent que son renvoi forcé vers ce pays n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

Appendice

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de M. Fernando Mariño

Je tiens à indiquer mon désaccord avec la décision du Comité déclarant cette plainte irrecevable ratione materiae au motif que l’allégation du requérant, selon laquelle son expulsion, si elle avait lieu, pourrait constituer une violation des articles 2 et 16 était compatible avec la Convention (art. 22, par. 2).

D’une part, le fait qu’une expulsion causant à l’intéressé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, pourrait constituer une torture au sens de l’article 1 de la Convention, si elle était par exemple appliquée dans le cadre de mesures discriminatoires, ne devrait pas être ignorée.

En tout état de cause, la manière correcte de répondre à l’allégation de violation de l’article 2 formulée dans la plainte à l’examen aurait été de la déclarer irrecevable au motif qu’elle était manifestement dénuée de fondement (règlement intérieur, art. 107 b)), si telle avait été l’intention du Comité.

D’autre part, une expulsion peut manifestement constituer une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, cas pour lequel la Convention impose également certaines obligations aux États parties.

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement en l’espèce d’examiner comment les États s’acquittent de leurs obligations en vertu de l’article 3 de la Convention mais comment ils s’acquittent de l’ensemble de leurs obligations en vertu d’un accord dont l’objectif ultime est (sixième alinéa du préambule) «d’accroître l’efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier».

Par ailleurs, le paragraphe 3 de l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités dispose que, aux fins de l’interprétation d’un traité, il sera tenu compte, en même temps que du contexte, de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties, disposition pertinente dans la mesure où elle vise toute règle générale éventuelle de droit international interdisant les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Conformément à la jurisprudence établie par le Comité dans l’affaire B.S. c. Canada (requête no 166/2000), décision adoptée le 14 novembre 2001 il aurait été, à mon avis, plus correct de décider que la requête soulevait des questions de fond concernant une violation éventuelle de l’article 16, qui devrait être traitée au stade de l’examen quant au fond et non de l’examen quant à la recevabilité.

(Signé) Fernando Mariño

B. Décisions concernant la recevabilité

Communication n o  202/2002

Présentée par:

Helle Jensen (représentée par un conseil, M. Tyge Trier, et M. Brent Sørensen)

Au nom de:

Helle Jensen

État partie:

Danemark

Date de la requête:

15 janvier 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 202/2002 présentée par Mme Helle Jensen en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.La requérante est Mme Helle Jensen, de nationalité danoise, qui réside actuellement dans le nord‑ouest du Sealand. Elle affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article premier et des articles 12 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 29 avril 1998, la requérante a été arrêtée à son domicile dans le nord‑ouest du Sealand et accusée de contrebande de cigarettes au titre de l’article 289 du Code pénal danois et du paragraphe 2 de l’article 73 (3) du Code danois de la douane. Elle a été ultérieurement inculpée, en application du paragraphe 1 de l’article 191 (2) et de l’article 21 du Code pénal, de «tentative de participation» pour avoir accepté de «recevoir et distribuer» du haschich.

2.2Le 30 avril 1998, la requérante a été présentée à un juge du tribunal de district de Kalundborg. À la demande du Directeur de la police, le tribunal a ordonné la détention et l’isolement cellulaire de la requérante en application des articles 762 1) iii) et 770 a) de la loi sur l’administration de la justice (ci‑après dénommée «la loi»). Le tribunal a prescrit l’isolement cellulaire parce qu’il y avait de sérieux motifs de croire que la requérante était coupable des infractions dont elle était accusée et tenterait d’entraver l’enquête en prenant contact avec d’autres personnes impliquées dans l’affaire. La période de détention provisoire devait, selon la décision du juge, prendre fin le 26 mai 1998 et l’isolement cellulaire le 12 mai 1998. Le 4 mai 1998, la Haute Cour de la région est du Danemark a confirmé la décision du tribunal de district en se fondant sur les motifs invoqués par le tribunal.

2.3Le 11 mai 1998, le tribunal de district a examiné la question de savoir s’il fallait prolonger l’isolement cellulaire de la requérante. Le conseil a fait valoir que la mesure était excessivement sévère étant donné que la requérante avait trois enfants − des jumeaux de 3 ans et un enfant de 7 ans. Le tribunal a décidé de proroger la mesure jusqu’au 26 mai 1998 car les craintes à la base de la décision persistaient. Le 13 mai 1998, se fondant sur les mêmes motifs, la Haute Cour a confirmé la décision du tribunal de district.

2.4Le 26 mai 1998, le tribunal de district a examiné la question de savoir s’il fallait prolonger la détention provisoire et l’isolement cellulaire. Le conseil a contesté la prorogation de la mesure au motif que «la santé de la détenue s’était nettement détériorée au cours de sa détention avant jugement depuis le 30 avril 1998, ce que [confirmaient] son état général et deux rapports médicaux». Le tribunal de district a ordonné la prorogation de la mesure jusqu’au 23 juin 1998 «au regard de la complexité de l’affaire et au motif que certaines personnes impliquées étaient encore en fuite…». Le 28 mai 1998, la Haute Cour a confirmé la décision du tribunal de district.

2.5Le 28 mai 1998, à la demande du conseil de la requérante, le médecin de la prison a présenté un rapport sur l’état de santé de la détenue. La requérante avait été soignée entre le 15 et le 28 mai 1998 par ce médecin et examinée le 22 mai 1998 par un thérapeute d’intervention en cas de crise, du service d’urgence. Il ressort du rapport que la requérante était dans un état proche de la dépression psychotique … On peut aussi y lire ce qui suit: «L’état de santé de la détenue peut être entièrement attribué à son incarcération et à son isolement cellulaire. Je recommande instamment de mettre rapidement fin à l’isolement cellulaire et d’étudier si un autre type de placement peut être trouvé afin de permettre à la détenue d’avoir plus de contacts avec ses enfants. La santé de la détenue est selon moi en danger et je la surveillerai de près.». Ce rapport a été présenté à la Haute Cour lorsqu’elle a examiné le recours de la requérante contre l’ordonnance du tribunal de district en date du 26 mai 1998. Le 29 mai 1998, la requérante a été admise à l’hôpital régional de Nykøbing (Sealand). Le lendemain, elle a quitté l’établissement parce qu’elle voulait être avec ses enfants.

2.6Le 18 juin 1998, il a été mis fin à l’isolement cellulaire de la requérante. Le 19 juin, le médecin de la prison a adressé un autre rapport au Directeur de la police de Kalundborg. Il y est noté ce qui suit: «… il importe au plus haut point de mettre fin à l’isolement cellulaire de Mme Jensen; pour des raisons de santé, cela aurait dû être déjà fait et je crois comprendre que la mesure n’a été levée qu’hier soir.». Le médecin se réfère enfin à un rapport de la même date émanant d’un psychothérapeute qui faisait observer ce qui suit: «… je tiens à dire clairement que Mme Jensen a besoin non seulement de sortir de son isolement cellulaire mais aussi d’être libérée en attendant le jugement final même si l’enquête doit se poursuivre. Faute de cela, il faut s’attendre à ce qu’elle sombre spontanément dans un état psychotique, actuellement encore évitable, dont elle souffrirait le restant de sa vie.». Ces rapports ont été présentés au cours d’une audience qui a eu lieu devant le tribunal de district le 22 juin 1998. Le tribunal s’est assuré que la requérante n’était plus en isolement cellulaire mais a ordonné la prorogation de la détention avant jugement jusqu’au 20 juillet 1998. Il a également ordonné, avec l’assentiment de la requérante, qu’elle soit examinée à l’extérieur de la prison par un psychiatre légiste pendant le reste de son incarcération.

2.7Le 9 juillet 1998, le consultant du département de psychiatrie légale de l’hôpital régional de Nykøbing (Sealand) a communiqué son évaluation de l’état de santé mentale de la requérante concluant que «le seul traitement efficace consisterait à ce que [la requérante] retrouve ses enfants le plus tôt possible chez ses parents ou dans un des établissements du service des prisons et de la probation et à lui assurer une psychothérapie convenable dans cet environnement». Le 14 juillet 1998, le rapport a été présenté au tribunal de district qui a décidé de prolonger la détention avant jugement de la requérante et de la placer, si elle y consentait, avec ses trois enfants à la Lyng Halfway House du service des prisons et de la probation. La requérante a été effectivement transférée dans ce lieu le 17 juillet 1998 et y est restée jusqu’à son jugement le 29 octobre 1998.

2.8Le 30 avril 2001, le représentant de la requérante, M. Brent Sørensen, expert spécialisé dans la reconnaissance des signes de torture et la recherche sur cette pratique, a écrit au Directeur du parquet pour demander d’enquêter sur la possibilité que la requérante ait subi des tortures psychologiques du fait de son placement en isolement cellulaire. Le 14 août 2001, le Directeur du parquet a répondu qu’il n’y avait selon lui aucune raison d’ouvrir une telle enquête dès lors que «rien ne [permettait] de penser que le recours à l’isolement cellulaire dans le cadre de la détention avant jugement visait à obtenir des informations ou des aveux de l’accusée ou d’une tierce partie, ce qui en aurait fait un acte de torture au sens de la définition figurant dans la Convention contre la torture». En dépit de deux autres demandes d’ouverture d’enquête, le Directeur du parquet a refusé de reconsidérer sa décision.

Teneur de la plainte

3.1Mme Jensen affirme que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article premier et l’article 16 de la Convention en lui faisant subir des tortures psychologiques et des actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du fait de l’avoir placée en isolement cellulaire entre le 29 avril et le 18 juin 1998, en dépit de rapports médicaux attestant les effets néfastes d’une telle mesure sur sa santé mentale.

3.2La requérante affirme également que l’État partie a violé l’article 12 de la Convention dans la mesure où le Directeur du parquet n’a pas enquêté de manière rapide et impartiale sur les allégations de torture psychologique comme le lui demandait son représentant.

3.3La requérante déclare qu’elle a épuisé les recours internes puisque, dans la dernière lettre qu’il avait adressée au Directeur du parquet, son représentant avait indiqué que, si ce dernier ne répondait pas à sa missive, il en déduirait que les recours internes avaient été épuisés. Le représentant de la requérante n’a reçu aucune réponse.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans sa lettre du 26 avril 2002, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la plainte. Il se réfère à l’article 762 du Code de procédure pénale qui, pendant la période durant laquelle la requérante était détenue, fixait les modalités de la détention avant jugement. En application des dispositions pertinentes du Code, les tribunaux décident, à la demande de la police, s’il y a lieu de placer l’inculpé en détention avant jugement. La décision du juge doit fixer la durée de la détention qui doit être aussi courte que possible et en tout cas de quatre semaines au maximum. Cette période peut être prolongée mais de quatre semaines seulement à la fois. Une ordonnance de mise en détention peut faire l’objet d’un appel devant une juridiction supérieure. Enfin, le Code stipule qu’il est mis fin à la détention avant jugement, si nécessaire sur décision du tribunal, lorsque les poursuites sont abandonnées ou que les circonstances qui avaient rendu la détention nécessaire n’existent plus. Si le tribunal constate que l’enquête n’est pas menée avec la diligence requise ou que le maintien en détention avant jugement n’est pas raisonnable, il doit y mettre fin.

4.2L’État partie joint le texte de l’article 770 de la loi sur l’administration de la justice qui fixe les modalités de l’isolement cellulaire. En application de cet article, il est nécessaire qu’il y ait des raisons sérieuses de penser que l’accusé a commis une infraction passible de poursuites et qui peut, en vertu de la loi, emporter une peine d’emprisonnement d’au moins 18 mois. Le principe de proportionnalité doit être pris en compte dans toute décision d’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement et pour la prorogation d’une telle mesure. L’État partie note que les dispositions relatives à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement ont été profondément modifiées par la loi no 428 du 31 mai 2000. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er juillet 2000. L’amendement avait pour but de restreindre le recours à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement et à en limiter la durée; il soumet à des critères plus précis le recours à l’isolement cellulaire ou la prolongation d’une telle mesure et prévoit des périodes d’isolement plus courtes.

4.3L’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Premièrement, la requérante aurait dû demander à la Commission des recours l’autorisation de faire appel des ordonnances de la Haute Cour et de la Cour suprême. En application de l’article 973 de la loi susmentionnée, la Commission peut accorder l’autorisation de faire appel «si le recours se rapporte à des questions fondamentales ou si des motifs précis le rendent opportun». À l’appui de sa demande, la requérante aurait pu faire valoir que sa détention avant jugement sous le régime de l’isolement cellulaire était contraire à la Convention. L’État partie note que la Cour européenne des droits de l’homme a statué qu’une demande d’autorisation de faire appel adressée à la Commission des recours est un moyen de droit qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité d’une requête au titre de la Convention européenne.

4.4Deuxièmement, bien que la requérante ait été déclarée coupable, elle aurait pu présenter une demande d’indemnisation au titre de l’article 1018 a) 2) ou h) de la même loi. En vertu de l’article 1018 a) 2), une personne arrêtée ou placée en détention avant jugement dans le cadre d’une procédure pénale a droit à une indemnisation pour préjudice occasionné pendant la détention si «la privation de liberté imposée dans le cadre de l’affaire est sans commune mesure avec le résultat de la procédure ou si elle est jugée non raisonnable pour d’autres motifs précis». L’allégation selon laquelle le recours à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement a porté préjudice à la requérante aurait été particulièrement pertinente dans le cadre d’une telle demande d’indemnisation. En vertu de l’article 1018 h), chacun peut demander une indemnisation dans le cadre d’une procédure pénale en se fondant sur les règles générales du droit des délits civils.

4.5Les demandes d’indemnisation au titre de l’article 1018 a) 2) sont examinées par le Procureur public régional et peuvent faire l’objet d’un recours auprès du Directeur du parquet; les demandes au titre de l’article 1018 h) sont examinées par le Directeur du parquet et peuvent faire l’objet d’un recours auprès du Ministère de la justice. Dans les deux cas, la requérante aurait eu la possibilité, en cas de rejet de son recours, de déposer une requête devant les tribunaux en application de l’article 1018 f) 1). Afin de démontrer qu’un tel recours est disponible et utile dans les circonstances de la cause, l’État partie cite l’exemple suivant qui se rapporte à une affaire similaire; il ressort d’un jugement prononcé par la Cour suprême le 5 septembre 2000 qu’une personne acquittée dans le cadre d’une procédure pénale avait déposé une demande d’indemnisation pour perte d’emploi et incapacité permanente résultant d’un isolement cellulaire pendant sa détention avant jugement qui lui avait causé une maladie mentale. À l’appui de sa demande, le requérant avait, entre autres, fait valoir qu’il avait été torturé en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour suprême a estimé que l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement était la principale cause de la maladie mentale dont souffrait le requérant et lui a octroyé une indemnisation.

4.6Sur le fond, l’État partie affirme que, pour qu’un acte soit qualifié de torture, il doit remplir toutes les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention. Il fait valoir que l’on ne peut pas déduire du libellé de l’article premier que la définition de la «torture» figurant dans cet article s’applique à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement. Bien que le Comité ait noté, dans les observations finales qu’il a adoptées à l’issue de l’examen du troisième rapport périodique du Danemark, sa préoccupation au sujet de «l’institution du régime cellulaire utilisé en guise de mesure préventive pendant la détention provisoire», il n’a pas estimé que l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement était couvert par la définition susmentionnée de la torture. Cela ne peut pas non plus être déduit de la jurisprudence du Comité.

4.7L’État partie affirme que l’isolement cellulaire ne vise pas en général et ne visait pas dans le cas d’espèce à obtenir de la requérante des renseignements ou des aveux, à la punir d’un acte qu’elle avait commis ou était soupçonnée d’avoir commis, à l’intimider ou à faire pression sur elle ou à intimider ou à faire pression sur une tierce personne, ou tout autre but fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. Selon les règles en vigueur, l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement présuppose qu’il existe «des raisons précises de penser que le suspect va chercher à entraver le cours de l’enquête, notamment en faisant disparaître des indices ou en prévenant d’autres individus ou en faisant pression sur eux» et qu’il «existe des raisons concrètes de penser que la détention avant jugement ne suffit pas en elle‑même pour empêcher le détenu de faire pression sur d’autres accusés par l’intermédiaire d’autres détenus ou de faire pression sur d’autres personnes par des menaces ou de toute autre manière». Si l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement était décidé dans un autre but, quel qu’il soit, il serait contraire aux dispositions de la loi et, partant, illégal.

4.8L’État partie nie que l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement soit, en principe, contraire à l’article 16 de la Convention. L’article 16 complète l’article premier, et les deux articles correspondent à la première phrase de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule ce qui suit: «Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.». Selon l’État partie, il est possible de déduire de l’Observation générale no 20 du Comité des droits de l’homme que l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement n’est pas en principe contraire à l’article 7 du Pacte dans la mesure où, selon les termes de l’Observation générale, l’emprisonnement cellulaire prolongé d’une personne détenue ou incarcérée peut être assimilé (non souligné dans le texte) aux actes prohibés par l’article 7, c’est‑à‑dire dans des cas précis, en fonction des circonstances.

4.9L’État partie reconnaît qu’il peut y avoir des cas où l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement constitue «une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant». Il se réfère à cet égard au principe adopté par la Cour européenne des droits de l’homme lors de l’examen d’une violation présumée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme («Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.»). Dans l’affaire Rasch c. Danemark, la Cour avait statué ce qui suit: «Toutefois, lorsqu’on examine une mesure d’isolement cellulaire, il faut mettre en balance les exigences de l’instruction et l’effet que l’isolement aura sur le détenu. S’il y a isolement, les autorités doivent s’assurer que la durée de la mesure ne devienne pas excessive.». En vertu de la Convention européenne, l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement peut, dans certaines circonstances, constituer un «traitement inhumain».

4.10En réponse aux allégations de violation du paragraphe 1 de l’article premier et de l’article 16, l’État partie décrit les conditions de détention de la requérante sous le régime de l’internement cellulaire. Les cellules de la prison mesurent environ 8 m2 et sont équipées de la télévision et de la radio. Il est possible d’emprunter des journaux, et des livres peuvent être commandés à la bibliothèque publique de Kalundborg. Les détenus peuvent faire de l’exercice pendant une demi‑heure deux fois par jour, le matin et l’après‑midi. Il est possible d’utiliser les installations d’une salle de fitness.

4.11L’État partie affirme que la requérante n’était pas totalement coupée de l’extérieur pendant les 50 jours d’isolement cellulaire. Elle avait quotidiennement des contacts avec le personnel de la prison; elle a vu ses parents et ses enfants neuf fois, un travailleur social deux fois, le médecin de la prison six fois, le médecin du service d’urgence deux fois, et un psychothérapeute trois fois. Elle avait la possibilité de contacter son conseil, un ministre de sa religion ou un des membres du service des prisons et de la probation. Du 29 au 30 mai 1998, elle a été soignée à l’hôpital régional de Nykøbing (Sealand); elle a comparu à trois reprises devant le tribunal de district lors de l’examen de la décision de prolonger son isolement cellulaire.

4.12Selon l’État partie, les charges de contrebande qui pesaient sur la requérante étaient particulièrement graves. À l’audience du 30 avril 1998, l’acte d’accusation portait sur la contrebande d’environ 1,1 million de cigarettes. Cette quantité a été par la suite revue à la hausse et la Haute Cour l’a déclarée coupable de complicité dans l’importation en contrebande de 6,6 millions de cigarettes. L’enquête était de vaste portée et complexe. Plusieurs personnes étaient impliquées, dont certaines étaient encore en fuite. Pour cette raison, on craignait que la requérante ne les prévienne ou ne les contacte, ce qui aurait entravé l’enquête. En outre, il a été mis fin à l’isolement cellulaire de la requérante dès que l’enquête s’est terminée, c’est‑à‑dire le 18 juin 1998, alors que la mesure pouvait être appliquée jusqu’au 23 juin 1998. Pendant les 50 jours qu’a duré l’isolement cellulaire, le tribunal de district et la Haute Cour ont examiné six fois − le 30 avril et les 4, 11, 13, 26 et 28 mai 1998 − la question de savoir si les circonstances qui avaient justifié cette mesure existaient encore. En conséquence, l’État partie affirme que les tribunaux ont continuellement mis en balance les impératifs de l’enquête et les besoins de la requérante.

4.13Pour ce qui est de la santé mentale de la requérante, l’État partie souligne que le tribunal de district n’avait reçu que des informations orales sur son état psychologique lorsqu’il a prononcé son ordonnance du 26 mai 1998. Auparavant, aucun renseignement oral ni écrit n’avait été présenté sur son état de santé mentale. Le rapport du 28 mai 1998 a été soumis à la Haute Cour à l’audience où elle a prononcé son ordonnance du même jour, mais la Cour n’a pas jugé que les renseignements qu’il contenait faisaient de la prolongation de l’isolement cellulaire de la requérante une mesure disproportionnée. Le rapport suivant, qui est daté du 19 juin 1998, a été soumis à l’audience du 22 juin 1998 alors qu’il avait déjà été mis fin à l’isolement cellulaire de la requérante. Toutefois, la Cour a prescrit un examen par un psychiatre légiste dont le rapport a été présenté à l’audience du 14 juillet 1998. La Cour s’est conformée à la recommandation contenue dans le rapport et a ordonné que la requérante soit placée à la Lyng Halfway House où elle serait avec ses enfants.

4.14Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 12, l’État partie a noté qu’il était significatif que, dans les requêtes examinées auparavant par le Comité au titre de cette disposition, les autorités concernées étaient des organes exécutifs qui s’étaient livrés à des actes qui pouvaient être qualifiés de torture ou de mauvais traitements lors d’une arrestation ou durant une détention. En revanche, l’État partie ne se rappelle d’aucune affaire dans laquelle l’article 12 a été invoqué à propos de décisions prises par des autorités judiciaires. Il affirme que la décision relative à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement a été prise par un tribunal indépendant et impartial dans le cadre d’une procédure au cours de laquelle le droit de la requérante à une procédure équitable a été pleinement protégé. Selon l’État partie, rien n’autorise à interpréter l’article 12 comme faisant obligation à une autorité administrative, en l’occurrence le Directeur du parquet, de mener une enquête dans une affaire dans laquelle une détenue n’est pas satisfaite des décisions prises par les tribunaux à son encontre. Une telle enquête serait manifestement contraire au principe de l’indépendance des tribunaux. Au cas où l’article 12 serait interprété comme s’appliquant à la présente requérante, l’État partie tient à réaffirmer les observations qu’il a faites plus haut sur le critère de la proportionnalité utilisé par les tribunaux pour décider du bien‑fondé d’une mesure d’isolement cellulaire.

Commentaires de la requérante

5.1Dans une lettre datée du 13 octobre 2003, la requérante fait valoir que la possibilité d’adresser une demande d’autorisation de faire appel à la Commission des recours est illusoire. Il ressort des dossiers de la Commission qu’aucune des demandes d’autorisation de faire appel d’une mesure d’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement présentées en 1996 (date de création de la Commission) et en 1999 n’a été satisfaite; pour qu’il soit fait droit à une demande de ce type, il est nécessaire de prouver l’existence de circonstances exceptionnelles, telles que la jeunesse du détenu ou des troubles mentaux antérieurs. Qui plus est, dans les rares cas où une demande d’autorisation de faire appel d’une mesure d’isolement cellulaire auprès de la Cour suprême est satisfaite, il y a peu de chances que la décision soit infirmée. En conséquence, la requérante affirme que l’épuisement des recours internes n’est pas nécessaire «si des procédures de recours … devaient excéder des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée».

5.2La requérante affirme que dans sa réponse sur le fond présentée plus loin il est démontré que la violation de ses droits n’est pas seulement attribuable aux autorités judiciaires danoises, mais aussi aux autorités pénitentiaires et aux services de police de Kalundborg qui n’ont pas mis fin à l’isolement cellulaire alors que, dès le 15 mai 1998, des experts médicaux avaient attesté les effets psychologiques dévastateurs de cette mesure sur elle. En outre, il appartient au Directeur du parquet de contrôler l’action des services de police locaux comme celui de Kalundborg.

5.3Pour ce qui est de l’argument selon lequel elle aurait dû demander une indemnisation, la requérante fait valoir que le but de sa requête au Comité n’est pas d’être indemnisée mais d’établir que l’État partie a violé des droits qui lui sont reconnus par la Convention. Le Danemark est un État «dualiste» qui a décidé de ne pas incorporer la Convention dans sa législation. En conséquence, les tribunaux danois ne sont pas habilités à connaître de plaintes présentées par des personnes au titre des dispositions de la Convention. Une plainte adressée aux tribunaux danois pour qu’ils se prononcent sur une violation présumée des droits consacrés par la Convention aurait été vaine, en sorte qu’une demande d’indemnisation au titre de l’article 1018 a) 2) serait un recours inefficace pour une violation présumée de la Convention. La requérante note également que les tribunaux danois ont toujours refusé de reconnaître que le fait de tomber malade pendant la garde à vue pouvait résulter d’une violation de la Convention et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

5.4Pour ce qui est de l’argument selon lequel ses allégations ne remplissent pas les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, la requérante affirme que des témoignages d’ordre médical consistant en des rapports établis par plusieurs médecins et thérapeutes au printemps de 1998 montrent qu’elle a enduré «une douleur et des souffrances aiguës» au sens dudit paragraphe. Les symptômes sévères constatés chez elle seraient courants chez les personnes soumises à l’isolement cellulaire. Elle se réfère aux études d’une ONG danoise (Isolations‑gruppen), qui a milité pour l’abolition de l’isolement cellulaire, pour montrer que les suicides sont fréquents parmi les personnes soumises à un tel régime. L’État partie était donc conscient de la «douleur et des souffrances aiguës» infligées aux personnes détenues sous le régime de l’isolement cellulaire, en particulier celles qui étaient dans la situation de la requérante. Qui plus est, il savait que la requérante avait trois jeunes enfants, ce qui ne pouvait qu’aggraver sa douleur et ses souffrances. Mme Jensen fait valoir que son affirmation, selon laquelle l’État partie était, au moment de son arrestation, au courant des lacunes de la législation régissant le recours à l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement, est corroborée par la modification ultérieure des dispositions de la loi relative à ce régime.

5.5La requérante convient que le but de la loi n’est pas d’obtenir des aveux ou des renseignements mais fait observer que la réalisation de la troisième condition de l’article premier de la Convention ne dépend pas du libellé ou de l’objet de la loi mais plutôt de son incidence dans le cas d’espèce. En questionnant la requérante les 4 et 5 juin 1998 en l’absence de son avocat, la police de Kalundborg a poussé l’interrogatoire au‑delà des limites qui ne devaient pas être dépassées en pareilles circonstances. Avant cet interrogatoire, plusieurs médecins et thérapeutes avaient attiré l’attention sur la détérioration de l’état mental de la requérante. Il est également affirmé que l’enquêteur de la police a essayé d’obliger la requérante à reconnaître sa complicité dans des activités de contrebande de haschich sans qu’une telle complicité ne soit attestée par le moindre indice. Dans ces circonstances, il est affirmé que la police de Kalundborg (en tant qu’autorité publique) s’est servie de l’isolement cellulaire pour obtenir des renseignements et des aveux d’une manière qui correspond aux critères requis pour qu’il soit possible de parler d’actes de torture au sens de l’article premier.

5.6La requérante se réfère aux observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du rapport de plusieurs États pour montrer que les articles premier et 16 peuvent être interprétés comme incluant une interdiction générale de l’isolement cellulaire pendant la détention avant jugement. C’est ainsi que, dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique du Danemark, le Comité a déclaré ce qui suit: «… c) l’État partie devrait continuer à étudier les effets du régime cellulaire sur les détenus et à noter les incidences du nouveau projet de loi diminuant le nombre de motifs pouvant conduire au placement en régime cellulaire et réduisant sa durée». Il ressort clairement des observations finales du Comité qu’il considère que l’isolement cellulaire, notamment en cas de détention avant jugement, a des effets extrêmement graves sur l’état mental et psychologique du détenu; les États parties sont encouragés à abolir cette pratique. Tout en déclarant l’abolition préférable, le Comité recommande de n’avoir recours à l’isolement cellulaire que dans des cas exceptionnels et pour des périodes courtes.

5.7La requérante se réfère, pour mettre en évidence les effets nocifs de l’isolement cellulaire, aux observations d’autres organes conventionnels, notamment le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) qui a rédigé plusieurs rapports sur cette question. Dans le rapport qu’il a présenté au Gouvernement danois, à l’issue de la visite qu’il avait effectuée au Danemark du 28 janvier au 4 février 2002, le CPT a, entre autres, déclaré ce qui suit: «L’isolement cellulaire peut constituer, dans certaines circonstances, un traitement inhumain et dégradant; en tout état de cause, la durée de l’isolement cellulaire, quelle qu’en soit la forme, doit être la plus courte possible.». Le Comité des droits de l’homme, qui s’est penché sur la question de l’isolement cellulaire en examinant des plaintes individuelles, des rapports de pays, ainsi que dans des observations générales, s’est déclaré préoccupé par cette pratique. Lors de l’examen du quatrième rapport périodique du Danemark, il a noté ce qui suit: «… l’isolement cellulaire est une peine sévère entraînant de graves conséquences psychologiques qui ne se justifie qu’en cas d’extrême nécessité; le recours au placement en isolement cellulaire hormis dans des circonstances exceptionnelles et pour des périodes limitées est contraire au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Le Danemark devrait réexaminer la pratique de l’isolement cellulaire et veiller à ce qu’il ne soit imposé qu’en cas d’extrême nécessité.».

5.8La requérante invoque également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier son jugement dans l’affaire McGlinchey et consorts c. Royaume ‑Uni ,dans laquelle la Cour a statué que l’article 3 [stipulait] que l’État partie [devait] faire en sorte qu’une personne soit détenue dans des conditions qui ne sont pas compatibles avec le respect de sa dignité en tant qu’être humain, que les modalités et la méthode d’exécution de la mesure ne lui causent pas de souffrances excédant les limites de ce qui n’est pas évitable dans toute détention et, étant donné les exigences pratiques de l’emprisonnement, que sa santé et son bien‑être soient convenablement assurés, entre autres, par la fourniture des soins médicaux nécessaires.

5.9Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le tribunal de district a uniquement reçu des témoignages oraux lorsqu’il a examiné la possibilité de prolonger l’isolement cellulaire, le 26 mai 1998, la requérante fait valoir que les autorités pénitentiaires auraient dû faire examiner d’office la requérante par un médecin et demander, après avoir pris connaissance du préjudice psychologique grave qu’elle aurait subi, au Procureur général de mettre fin à son isolement. De l’avis de la requérante, la responsabilité de l’État partie en ce qui concerne la violation des articles premier et 16 était engagée dès le 15 mai 1998 lorsque la police de Kalundborg n’a pas réagi au rapport du médecin de la prison qui contenait les observations suivantes: «La détenue a montré des signes clairs d’instabilité mentale qui peuvent être expliqués librement en fonction des connaissances générales sur la réaction d’une personne normale à l’incarcération et à ’isolement cellulaire. Je suis arrivé à la conclusion que sa condition risquait d’empirer et qu’il était important de régler le plus vite possible le problème.». Le 22 mai 1998, bien que le médecin du service d’urgence et le thérapeute de crise aient décrit la requérante comme étant «… mentalement très perturbée par l’isolement cellulaire» et «claustrophobe, proche de la psychose et très abattue», la police de Kalundborg n’a encore une fois fait aucun cas des effets nocifs de l’isolement sur la requérante.

5.10La requérante reconnaît la gravité de l’affaire pénale dans laquelle elle est impliquée, mais tient à souligner qu’elle n’y a joué qu’un rôle périphérique et mineur et ne connaissait donc pas le détail des opérations, qui étaient organisées par son ancien époux et ses complices. En outre, elle a coopéré avec les services de police et leur a donné le nom d’un suspect que la police n’a pas arrêté tout en affirmant qu’en mettant fin à l’isolement cellulaire de la requérante celle‑ci compromettrait l’enquête dès lors que la détenue aurait essayé de contacter des suspects qui n’avaient pas encore été appréhendés.

5.11En ce qui concerne ses conditions de détention en isolement cellulaire, la requérante note qu’elle a été incarcérée dans une cellule de 8 m2 sans fenêtre, qu’elle n’avait pas la radio, qu’elle ne pouvait avoir la télévision que moyennant paiement et qu’elle n’avait jamais été informée de la possibilité de se procurer certains livres à la bibliothèque locale. Elle a certes reçu des visites de sa famille mais la manière dont elles étaient organisées et leur brièveté ne lui permettaient pas de se débarrasser de ses frustrations, de sa souffrance et de son angoisse.

5.12Pour ce qui est des arguments invoqués par l’État partie en ce qui concerne l’article 12, la requérante affirme que la Convention est obligatoire pour toutes les autorités publiques danoises, y compris les autorités pénitentiaires et les procureurs. En conséquence, une enquête sur la manière dont la police de Kalundborg et les autorités pénitentiaires ont traité son cas − la soumettant maintes fois à un isolement cellulaire prolongé en dépit de rapports médicaux attestant les effets nocifs de cette mesure sur sa santé − n’aurait pas porté atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle pense donc que, lorsque son représentant, un expert spécialisé dans la reconnaissance des signes de torture et la recherche sur cette pratique, a donné son avis au Directeur du parquet et lui a demandé d’enquêter, une telle enquête aurait dû être effectuée comme l’exige l’article 12 de la Convention.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas déjà été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes et de l’argument initial de la requérante concernant l’absence de réponse à la lettre adressée par son représentant au Directeur du parquet, dans laquelle il déclarait que, s’il ne recevait pas de réponse, il considérerait que les recours internes ont été épuisés, le Comité souligne qu’il n’est pas du ressort du Directeur du parquet d’informer un conseil sur les recours possibles ou disponibles en cas de violation présumée et qu’il n’est pas possible de déduire de cette absence de réponse que les recours ont été épuisés.

6.3Le Comité note les arguments de l’État partie selon lesquels, faute d’avoir présenté une demande d’autorisation de faire appel à la Cour suprême ou d’indemnisation au titre de la loi sur l’administration de la justice, la requérante n’a pas épuisé les recours internes. Selon la requérante, les deux recours auraient été inefficaces dès lors qu’une demande d’autorisation de faire recours n’est qu’une possibilité théorique et que, dans une demande d’indemnisation, elle n’aurait pas pu invoquer les droits qui lui sont garantis par la Convention. Pour ce qui est de l’indemnisation, le Comité n’est pas convaincu que, dans les circonstances de l’affaire, une procédure d’indemnisation constituait un recours que la requérante aurait dû utiliser pour qu’il soit établi que les recours internes ont été épuisés. En ce qui concerne la demande d’autorisation de faire appel, le Comité fait observer que, même si la requérante pense qu’il ne s’agit que d’une possibilité théorique, elle admet qu’une telle autorisation a déjà été accordée dans plusieurs cas. Le Comité est d’avis que de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours ne libèrent pas la requérante de l’obligation d’épuiser ledit recours. Pour cette raison, le Comité estime que la requête est irrecevable parce que la requérante n’a pas épuisé les recours internes comme l’exige le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la décision pourra être reconsidérée en vertu de l’article 109 du règlement intérieur, si le Comité est saisi par l’auteur ou en son nom d’une demande contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ne sont plus applicables;

c)Que la présente décision sera communiquée à la requérante, à son conseil et à l’État partie.

Communication n o  225/2003

Présentée par:R. S. (représenté par M. Hans Mogensen, du cabinet d’avocats Henrik Christensen)

Au nom de:R. S.

État partie:Danemark

Date de la requête:19 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 19 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 225/2003 présentée par M. R. S. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Le requérant est M. R. S., de nationalité indienne qui, au moment de la présentation de sa requête initiale, résidait au Danemark, où il avait demandé l’asile. On ignore où il se trouve actuellement. Il affirme que sa reconduite en Inde après le rejet de sa demande d’asile constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par le Danemark. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 21 novembre 2002, le Comité a transmis la requête à l’État partie conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention.

Rappel des faits

2.1Le requérant a grandi à Bilga (Inde), dans la région de Philour (district du Pendjab), dans une ferme où il vivait avec ses parents et deux frères. Tous les membres de la famille sont sikhs. Le requérant est allé à l’école pendant sept ans, puis a commencé à travailler dans l’exploitation agricole familiale. Son oncle et son frère aîné sont devenus membres de la Fédération des étudiants sikhs et de la Khalistan Commando Force (KCF) mais lui-même n’a jamais fait partie d’aucune organisation politique ou religieuse. En 1994, l’oncle du requérant a été tué par la police. L’objectif avoué du KCF est d’obtenir l’indépendance du Pendjab.

2.2En 1995, le frère aîné du requérant est retourné en Inde depuis l’Allemagne, où il avait demandé l’asile. À son arrivée, la police l’a arrêté et emprisonné pendant 10 à 12 jours, et l’a de nouveau emprisonné à plusieurs reprises, avant qu’il ne disparaisse à une date non précisée. Le 15 septembre 1997, la police est entrée en contact avec le requérant et lui a demandé où se trouvait son frère. Il a répondu qu’il n’en savait rien et alors a été arrêté et emprisonné pendant 10 jours. Il affirme avoir été torturé pendant sa détention. En avril 1998, la police a de nouveau interrogé le requérant pour savoir où se trouvait son frère et aurait menacé de le tuer s’il ne leur livrait pas cette information.

2.3Par la suite, le requérant a été arrêté à plusieurs reprises par la police et torturé pendant sa détention. Il a notamment reçu des coups de bâton et des décharges électriques et a été suspendu par les pieds. D’après le requérant, ses démêlés avec la police étaient dus au fait qu’il avait transmis des messages entre son frère et des habitants d’un village voisin. Il a été arrêté 10 ou 12 fois en tout jusqu’à ce qu’il prenne la fuite pour le Danemark, en juin 1999, avec l’aide d’une personne qu’il avait rémunérée.

2.4Le requérant est arrivé au Danemark le 17 juillet 1999 sans documents de voyage valides. Il a demandé asile le lendemain. Un de ses frères vivait déjà au Danemark depuis 1998 et avait obtenu un permis de séjour en vertu du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur l’immigration. Le requérant a sollicité une autorisation de séjour en vertu de la même législation mais le Service de l’immigration danois a rejeté sa demande le 12 février 2001.

2.5Le requérant a ensuite formé auprès du Conseil pour les réfugiés un recours qui a été rejeté le 28 juin 2001. La majorité des membres du Conseil ne croyaient pas qu’il risquait d’être persécuté s’il retournait en Inde. Ils ont tenu compte du fait qu’il n’avait appartenu à aucune organisation politique en Inde et n’avait eu aucune activité politique d’envergure. En outre, ils ont jugé improbable qu’il ait été torturé en détention car son récit n’était pas clair et, dans un rapport daté du 16 novembre 2000, l’Institut danois de médecine légale n’avait pas confirmé ses allégations. Dans ce rapport, l’Institut concluait que le requérant présentait plusieurs blessures qui n’avaient pas de lien avec les sévices décrits mais que la douleur qu’il ressentait au bras gauche pouvait être la conséquence de ceux-ci. L’Institut a en outre conclu que le requérant avait des lésions cérébrales mais ne souffrait pas de troubles post-traumatiques. Cette conclusion a été appuyée par la clinique de psychiatrie légale dans un rapport daté du 30 octobre 2000.

2.6Quand il a présenté sa demande en révision, le conseil du requérant a fourni un autre rapport médical émanant du service médical d’Amnesty International et daté du 28 septembre 2001, selon lequel certains signes physiologiques étaient compatibles avec les tortures décrites par l’intéressé. Le Conseil danois pour les réfugiés ayant rejeté la demande en révision le 22 juillet 2002, le requérant n’est pas autorisé à rester légalement au Danemark.

Teneur de la plainte

3.Le requérant craint, s’il retourne en Inde, d’être arrêté et torturé ou maltraité en détention à cause des liens que lui-même et son frère entretiennent avec la Fédération des étudiants sikhs et la Khalistan Commando Force. Étant donné qu’il a été détenu et torturé à plusieurs reprises, il risque de l’être de nouveau à son retour en Inde et, en l’y renvoyant, le Danemark violerait l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie

4.1Le 19 mai 2003, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que la plainte en vertu de l’article 3 doit être déclarée irrecevable parce que le requérant n’a pas établi à première vue le bien-fondé de sa requête. Si tel n’était pas le cas, la plainte devrait être déclarée non fondée.

4.2Dans ses observations quant au fond, l’État partie fait valoir que le requérant a été interrogé en présence d’un interprète et qu’il avait eu la possibilité de demander l’asile dans sa langue maternelle. Après le rejet de sa demande, le requérant a adressé une requête au Comité contre la torture et, le jour même, a sollicité une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires auprès du Service de l’immigration danois, qui a transmis la demande au Ministre chargé des questions relatives aux réfugiés, à l’immigration et à l’intégration. Dans une lettre datée du 12 mars 2003, le Ministre a répondu qu’il ne voyait aucune raison de reporter l’expulsion du requérant. Néanmoins, à la date où l’État partie a communiqué ses observations, le requérant n’avait pas encore été expulsé, et le Ministre ne s’était pas encore prononcé sur sa demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires.

4.3En ce qui concerne les procédures relatives à l’immigration, l’État partie indique que lorsqu’elles examinent une demande d’asile, les autorités danoises compétentes évaluent la situation des droits de l’homme et le risque de persécution dans le pays d’origine. Le requérant utilise donc le Comité simplement comme une instance d’appel, afin d’obtenir le réexamen de sa demande, puisque les autorités danoises chargées de l’immigration ont déjà examiné la question de savoir s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture à son retour en Inde.

4.4En tout état de cause, le requérant n’a pas étayé sa crainte d’être soumis à la torture s’il retournait en Inde. Ses déclarations au sujet des tortures qui lui auraient été infligées sont confuses, et l’examen effectué par l’Institut de médecine légale dans un des principaux centres de réadaptation des victimes de la torture n’appuie pas sa version des faits. Quant au rapport daté du 28 septembre 2001 émanant du service médical d’Amnesty International, selon lequel les symptômes du requérant seraient compatibles avec les tortures qu’il dit avoir subies, l’État partie rappelle qu’il ressort de ce rapport qu’on ne peut exclure la possibilité que les symptômes en question aient d’autres causes que l’emprisonnement et la torture.

4.5Tout en estimant que les preuves des tortures infligées sont insuffisantes, l’État partie cite la jurisprudence du Comité et fait valoir qu’en tout état de cause le fait que le requérant ait déjà été torturé ne suffit pas pour conclure qu’il subirait le même sort s’il retournait en Inde.

4.6Enfin, l’État partie fait valoir qu’il est peu probable que le requérant soit persécuté en Inde puisque sa mère y vit sans aucun problème et que lui-même, après sa dernière remise en liberté, a pu mettre sa propriété en location avant de partir pour le Danemark.

Commentaires du requérant

5.Dans des notes datées des 23 et 29 octobre 2003, le conseil a informé le secrétariat, sans donner plus de détails, que son client avait «disparu», et que le Comité devait fonder sa décision sur les informations qu’il avait déjà reçues.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés.

6.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que le grief tiré de l’article 3 devrait être déclaré irrecevable au motif que le requérant n’avait pas avancé le moindre commencement de preuve, le Comité prend note des informations fournies par le requérant au sujet de ses activités politiques, du fait qu’il transmettait des messages que son frère, militant politique, échangeait avec des habitants d’un village voisin au Pendjab, et du fait qu’il a été arrêté et torturé par la police à cause de l’engagement politique de certains membres de sa famille et de ses propres activités. Il prend note également des rapports médicaux, qui ne permettent pas d’établir avec certitude la cause des symptômes physiques et psychologiques que présente le requérant, et ne peuvent donc pas être considérés comme une preuve convaincante à l’appui de ses griefs. Le requérant n’a pas apporté de pièces écrites ou autres preuves pertinentes montrant qu’il était actif sur le plan politique, et n’a pas fourni de preuve expliquant pourquoi le groupe politique pour le compte duquel il dit avoir transmis des messages était lui-même pris pour cible par la police. Même en considérant que le requérant a déjà été soumis à la torture dans le passé, le Comité ne voit aucune raison de penser qu’il risque personnellement d’être traité de la sorte par la police s’il est renvoyé en Inde.

6.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que, conformément à l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur révisé, la requête est manifestement dénuée de fondement et qu’elle est donc irrecevable.

7.En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et, pour information, à l’État partie.

Communication n o  229/2003

Présentée par:H. S. V. (représenté par un conseil, M. Bertil Malmlöf)

Au nom de: H. S. V.

État partie:Suède

Date de la requête: 24 avril 2003 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 mai 2004,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Le requérant est M. H. S. V., de nationalité iranienne, né en 1948, se trouvant actuellement en Suède et frappé d’une mesure d’expulsion vers l’Iran. Il affirme que son renvoi en Iran constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 25 avril 2001, le Comité a transmis la requête à l’État partie en le priant de formuler ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant en Iran tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits

2.1Le requérant était un officier de haut rang dans l’armée de l’ancien Chah d’Iran. Après la révolution iranienne de 1979, il s’est enfui en Turquie puis a vécu en Bulgarie. Entre 1993 et 1996, après l’arrivée de sa femme et de sa fille en Suède, il a déposé à plusieurs reprises auprès des autorités suédoises des demandes de permis de séjour, sans succès. Le 4 février 1997, il a finalement obtenu un permis de séjour et de travail provisoire. Le 1er juin 1999, il a obtenu un permis de séjour permanent.

2.2Par un jugement rendu le 17 mars 2000, le tribunal de district de Norrköping l’a déclaré coupable de plusieurs infractions à la législation sur les stupéfiants et l’a condamné à cinq ans de prison. Il a aussi ordonné son expulsion avec interdiction de revenir en Suède avant le 1er janvier 2015. Le tribunal a pris sa décision après avoir consulté le Conseil suédois de l’immigration, qui a conclu que rien n’empêchait l’exécution d’un arrêté d’expulsion. Le requérant n’a pas fait appel du jugement du tribunal de district.

2.3Le requérant a commencé à exécuter sa peine de prison le 6 avril 2000. Il a bénéficié d’une  libération assortie d’une mise à l’épreuve le 25 avril 2003. Au cours de cette période, l’Association pour les droits des enfants d’un parent condamné à être expulsé a présenté deux demandes priant le Gouvernement d’annuler l’arrêté d’expulsion en application de l’article 16 du chapitre 7 de la loi relative aux étrangers de 1989, au nom de l’unité de la famille. Ces demandes ont été rejetées respectivement le 25 octobre 2001 et le 15 août 2002. Le 24 avril 2003, se fondant sur une évaluation des risques faite par le Conseil suédois des migrations, le Gouvernement a rejeté une demande analogue présentée par le requérant.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi en Iran constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention, parce qu’il courrait un risque élevé d’être arrêté et torturé, voire exécuté, s’il retournait dans ce pays, à cause de ses anciennes fonctions militaires et du fait qu’il a exprimé ses opinions politiques en public.

3.2Il fait valoir, à l’appui de sa requête, que, d’après Amnesty International et d’autres organisations internationales de défense des droits de l’homme, les persécutions, les arrestations arbitraires, la torture et les mauvais traitements, les procès inéquitables et parfois secrets, l’emprisonnement et la condamnation à mort d’opposants politiques sont fréquents en Iran.

3.3Le requérant souligne qu’il n’a ni famille ni amis en Iran, ni aucun endroit où loger et qu’il n’est jamais retourné dans ce pays depuis qu’il l’a quitté, il y a 21 ans. Tous les membres de sa famille et ses amis vivent en Suède, notamment ses trois enfants, qu’il risque de ne plus revoir, étant donné qu’en 2015 il aura 67 ans.

3.4Le requérant déclare que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une réponse datée du 13 juin 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les allégations du requérant ne sont pas étayées.

4.2L’État partie décrit la législation interne pertinente comme suit: l’expulsion constitue une sanction spéciale pour les infractions pénales et peut être ordonnée par le tribunal si l’intéressé a été condamné à une peine plus sévère qu’une amende et si, compte tenu de la nature de l’infraction et d’autres éléments, il y a des raisons de penser qu’il continuera à commettre des infractions pénales en Suède, ou si l’infraction est si grave que l’expulsion de l’intéressé se justifie. Lorsqu’il examine l’opportunité d’expulser un étranger, le tribunal doit tenir compte de plusieurs éléments: situation familiale, temps passé en Suède et éventuels empêchements à l’exécution d’un arrêté d’expulsion, comme l’existence de raisons sérieuses de croire que l’intéressé risque la peine capitale, des tortures ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine. La décision du tribunal de première instance peut faire l’objet d’un recours (puis éventuellement d’un nouveau recours auprès de la Cour suprême, si l’autorisation de former recours a été accordée). En vertu de l’article 16 du chapitre 7 de la loi relative aux étrangers, le Gouvernement peut annuler une partie ou l’intégralité d’un jugement ou d’un arrêté d’expulsion pour infraction pénale et accorder un permis provisoire de séjour ou de travail, compte tenu de circonstances qui n’existaient pas au moment où l’arrêté d’expulsion a été pris.

4.3L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas épuisé les recours internes car il n’a pas fait appel du jugement rendu par le tribunal de district le 17 mars 2000. Au contraire, il s’est dit satisfait du jugement, autant pour ce qui est de la peine d’emprisonnement que de l’arrêté d’expulsion, un jour avant l’expiration du délai d’appel. Il a donc expressément renoncé à son droit d’appel.

4.4Se référant à la décision rendue par la Commission européenne des droits de l’homme dans une affaire analogue, l’État partie fait valoir qu’un recours devant la cour d’appel (ainsi qu’un éventuel nouvel appel auprès de la Cour suprême) aurait constitué un recours utile et raisonnablement rapide, qui ne pouvait être remplacé par le recours exceptionnel prévu à l’article 16 du chapitre 7 de la loi relative aux étrangers. Le requérant n’a pas montré pourquoi il n’aurait pas pu avancer devant une juridiction d’appel pénale le risque qu’il courrait d’être soumis à la torture et condamné à mort s’il retournait en Iran et pourquoi il lui fallait le faire dans le cadre d’une procédure extraordinaire.

4.5L’État partie affirme qu’en tout état de cause le requérant n’a pas étayé les allégations selon lesquelles il risquerait d’être soumis à la torture s’il retournait en Iran aux fins de la recevabilité. Il conclut que la communication est manifestement dénuée de fondement et, de ce fait, irrecevable en vertu de l’article 22 de la Convention ainsi que de l’article 107 b) du règlement intérieur révisé du Comité.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, en date du 29 juin 2003, le requérant fait valoir qu’il n’a pas fait appel du jugement du tribunal de district parce que le Procureur général l’avait averti que, s’il le faisait, lui‑même attaquerait le verdict acquittant l’épouse du requérant, qui avait été elle aussi jugée pour infraction à la législation sur les stupéfiants, et que le risque était grand qu’elle ne soit pas acquittée en appel. Ne voulant pas mettre en péril l’avenir de sa femme et de ses enfants, le requérant s’était senti obligé de renoncer à son droit de faire appel, appel qui de toute façon n’aurait selon toute probabilité pas abouti.

5.2Le requérant fait de nouveau valoir ses arguments concernant le risque qu’il courrait personnellement s’il rentrait en Iran et la situation des droits de l’homme en général dans ce pays. Il affirme que l’État partie ne pourrait pas garantir sa sécurité s’il était renvoyé en Iran.

Réponse complémentaire de l’État partie et commentaires supplémentaires du requérant

6.1Dans une réponse datée du 23 septembre 2003, l’État partie rejette les motifs avancés par le requérant pour expliquer pourquoi il avait renoncé à faire appel du jugement rendu par le tribunal de district de Norrköping, estimant que ses affirmations n’étaient pas suffisamment étayées, et affirme une nouvelle fois que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, puisque les recours internes n’ont pas été épuisés et, en tout état de cause, en vertu du paragraphe 2 de l’article 22, parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement.

6.2L’État partie joint la traduction d’une déclaration du Procureur général chargé de l’affaire qui affirme qu’il n’a jamais parlé avec le requérant de son intention de faire appel du jugement rendu par le tribunal de district, pour plusieurs raisons: a) le requérant ne parlait pas suédois; b) il n’a jamais contacté le conseil de la défense pour révéler ses intentions concernant un appel éventuel; c) bien qu’il ne puisse écarter la possibilité que le conseil du requérant l’ait contacté pour savoir s’il envisageait de former un recours de son côté, il ne s’en souvient pas; d) il était satisfait du jugement et de l’arrêté d’expulsion pris contre le requérant et, après réflexion, a décidé de ne pas attaquer le verdict d’acquittement rendu au bénéfice de la femme du requérant; e) il lui aurait été impossible de faire appel de ce verdict d’acquittement, si le requérant avait attendu le dernier jour du délai de trois semaines prévu pour faire appel du jugement et de l’expulsion, parce qu’une semaine supplémentaire n’est pas accordée à l’accusation pour déposer un recours contre un acquittement.

7.Dans une réponse datée du 9 octobre 2003, le requérant reprend les arguments exposés au paragraphe 5.1 ci-dessus et indique que c’est sans doute son avocat qui l’a informé de l’intention du Procureur de faire appel de l’acquittement de sa femme si lui‑même formait un recours. Bien que son avocat ne se rappelle pas s’il a ou non parlé au Procureur de cette question, le Procureur a indiqué dans sa déclaration au Comité qu’il n’excluait pas cette possibilité.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité a pris note de l’affirmation de l’État partie qui fait valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22, le requérant n’ayant pas épuisé les recours internes. Il a également pris note de l’explication fournie par le requérant et contestée par l’État partie, à savoir qu’il n’a pas fait appel de sa condamnation parce que le Procureur l’avait averti qu’il ferait appel de l’acquittement de sa femme si le requérant faisait appel de sa condamnation et de la décision d’expulsion prise par le tribunal de district.

8.3Toutefois, le Comité n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si le requérant devait épuiser les recours internes dans le cas d’espèce, puisque les affirmations selon lesquelles, s’il retournait en Iran, il risquerait d’être soumis à la torture en raison de son appartenance à l’armée du Chah avant la révolution de 1979 ne sont que pure spéculation de sa part et n’apportent pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité, en l’absence de tout moyen de preuve concordant. En conséquence, le Comité considère, en application de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur révisé, que la plainte est manifestement dénuée de fondement et qu’elle est de ce fait irrecevable.

9.En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

Communication n o 236/2003

Présentée par:

A. T. A. (représenté par un conseil, Me Klaus-Franz Rüst)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Suisse

Date de la requête:

23 septembre 2003

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 11 novembre 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Le requérant est M. A. T. A., de nationalité togolaise. Il affirme que si la Suisse l’expulse vers le Togo il risque d’être soumis à la torture et que son expulsion constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1996, le requérant, qui appartient à la minorité ethnique ewé, a adhéré à l’«Union des forces du changement» (UFC).

2.2Le 27 avril 2000, le requérant a disputé un match avec l’équipe de football de l’UFC contre l’équipe du parti politique au pouvoir. L’équipe de l’UFC a gagné grâce à un but décisif du requérant. Le soir même, deux militaires sont venus le chercher à son domicile. Cherchant à s’enfuir, il a dû, selon ses dires, éviter les coups de feu des soldats; il a toutefois réussi à s’échapper.

2.3Le requérant affirme que les forces de sécurité du Togo sont contrôlées par la majorité ethnique khabyé et qu’elles commettent fréquemment des violations des droits de l’homme, de la Constitution du Togo et des lois du pays qui protègent les droits et libertés de l’individu.

2.4Le requérant a quitté le Togo. Il est arrivé en Europe et a demandé l’asile en Suisse le 30 mai 2000. Le 11 octobre 2000, l’Office fédéral des réfugiés a rejeté sa demande et ordonné son expulsion du territoire suisse. Le 19 novembre 2001, la Commission de recours en matière d’asile a rejeté l’appel qu’il avait formé et, le 15 juillet 2003, a confirmé la décision de l’Office fédéral des réfugiés demandant son expulsion. Le 18 septembre 2003, la Commission de recours en matière d’asile a rejeté sa demande visant à ce qu’elle réexamine sa décision du 15 juillet 2003.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que, s’il était renvoyé au Togo, il serait arrêté et soumis à la torture pour avoir demandé l’asile dans un autre pays ainsi que pour avoir «ouvertement humilié le Gouvernement» au cours du match de football.

3.2Le requérant demande au Comité de bien vouloir solliciter l’adoption de mesures provisoires de protection afin de suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion pris par les autorités suisses.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

4.2Le Comité note que les informations présentées par le requérant à l’appui de sa réclamation sont générales et vagues, et qu’elles ne révèlent pas que le requérant courrait un risque personnel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Togo. Le simple fait d’affirmer qu’il appartient à un parti politique, en l’espèce l’UFC, et l’allégation vague selon laquelle on lui a tiré dessus alors qu’il tentait de s’enfuir sont insuffisants pour permettre au Comité de conclure à la recevabilité de la requête. Dans ces circonstances, le Comité constate que la requête telle qu’elle est formulée ne soulève pas de grief au regard de la Convention.

4.3 En conséquence, le Comité conclut, conformément à l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur révisé, que la plainte est manifestement dénuée de fondement, et qu’elle est, de ce fait, irrecevable.

5.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et, pour information, à l’État partie.

Communication n o  243/2004

Présentée par:S. A. (représenté par un conseil, M. Ingemar Sahlström)

Au nom de:S. A.

État partie:Suède

Date de la requête:4 janvier 2004

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 6 mai 2004,

Ayant achevé l’examen de la requête no 243/2004 présentée par M. S. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Le requérant est M. S. A., de nationalité bangladaise, né le 15 février 1966 et résidant actuellement en Suède, où il a demandé l’asile. Il affirme que son renvoi au Bangladesh, si le statut de réfugié lui est refusé, constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes a rejeté le 21 janvier 2004 la demande de mesures provisoires formulées par le requérant.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a exercé les fonctions de secrétaire adjoint du Parti national du Bangladesh (ci‑après dénommé BNP) dans le district de Sutrapur Dhaka. Il a organisé des réunions politiques, distribué des tracts et fait de la propagande pour le BNP. Ses activités politiques font qu’il est connu au Bangladesh. Son frère, qui faisait lui aussi de la politique, aurait été tué en janvier 1996 par des partisans d’un parti politique rival, la Ligue Awami.

2.2En 1997, M. S. A. a participé à une manifestation contre la Ligue Awami. Il a été arrêté avec plusieurs autres personnes et aurait été torturé pendant deux jours. En septembre 1999, alors qu’il participait à une réunion organisée par le BNP, il a été de nouveau arrêté, détenu pendant cinq jours et torturé. La police l’a menacé pour qu’il cesse toute activité politique.

2.3En février 2001, des agents de police et des partisans de la Ligue Awami auraient kidnappé le requérant. Bien qu’ayant les yeux bandés, il s’était rendu compte que ses ravisseurs l’avaient conduit au poste de police de Sutrapur à Dhaka. Pendant trois jours il a été torturé; on l’a sommé d’arrêter toute activité politique et de dire à sa mère de retirer ses accusations concernant le meurtre de son frère.

2.4Le requérant affirme qu’un groupe de policiers a tenté de l’abattre en mars 2001 et qu’il a été accusé à tort de meurtre le 17 octobre 2000. Il s’est ensuite enfui en Suède où il a déposé une demande d’asile auprès du Conseil des migrations le 11 avril 2001. Sa demande a été rejetée le 11 juin 2001 au motif que de l’avis du Conseil il ne courait aucun risque d’être persécuté ou torturé à son retour au Bangladesh et que les accusations fallacieuses de meurtre qui auraient été portées contre lui finiraient par être examinées dans le cadre d’une procédure équitable et objective. Le recours qu’il a déposé auprès de la Commission de recours des étrangers a été rejeté le 25 novembre 2002.

2.5Un certificat médical émanant du Centrum for Kris‑ och Traumacentrum (ci‑après dénommé CKT), daté du 19 février 2002, indique que les cicatrices constatées sur le corps du requérant correspondent à la description des actes de torture qu’il aurait subis et que les constatations faites corroborent ses allégations de torture. Un autre rapport du CKT indique que le requérant souffre de troubles post‑traumatiques. Le 14 mars 2002, le requérant a tenté de se suicider en se jetant sur la voie d’un métro. Il a été renversé par le train mais n’a été que légèrement blessé. Il a été ensuite transporté à l’hôpital où il a suivi un traitement psychiatrique jusqu’en mai 2002.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il y a des raisons sérieuses de croire que s’il était renvoyé au Bangladesh, il serait soumis à la torture et que son renvoi constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention. Pour étayer ses craintes, il invoque ses précédentes mises en détention, les tortures qu’il a subies dans le passé en raison de ses activités politiques et les accusations fallacieuses de meurtre portées contre lui. Il affirme en outre que des violations systématiques des droits de l’homme imputables aux autorités sont commises au Bangladesh, en particulier à l’encontre d’opposants politiques et de détenus.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2Le Comité note que si le requérant craint d’être torturé s’il est renvoyé au Bangladesh c’est essentiellement parce qu’il y a déjà été torturé dans le passé en raison de son appartenance au parti de l’opposition, le BNP. Il note en outre que les raisons pour lesquelles le requérant aurait été torturé n’existent plus puisque le BNP est aujourd’hui le parti au pouvoir au Bangladesh. En outre, le requérant n’a pas fourni d’informations ou d’arguments prouvant qu’il risque personnellement d’être torturé s’il est emprisonné à son retour au Bangladesh. Dans ces circonstances, le Comité constate que la requête telle qu’elle est formulée ne soulève pas de grief au regard de la Convention.

4.3En conséquence, conformément à l’article 22 de la Convention et à l’article 107 b) de son règlement intérieur révisé, le Comité conclut que la plainte est manifestement infondée parce que les faits avancés par le requérant, même s’ils étaient avérés, ne justifient pas à première vue leur examen au regard de la Convention. Le Comité conclut que la requête est irrecevable.

5.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et, pour information, à l’État partie.

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