Nations Unies

A/HRC/45/15/Add.1

Assemblée générale

Distr. générale

5 août 2020

Français

Original : anglais

Conseil des droits de l’homme

Quarante-cinquième session

14 septembre-2 octobre 2020

Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Visite en Suisse

Rapport du Rapporteur spécial sur le droit au développement *

Résumé

Le Rapporteur spécial sur le droit au développement, Saad Alfarargi, s’est rendu en Suisse du 23 septembre au 2 octobre 2019. Sa visite avait pour principal objectif d’évaluer les progrès qui avaient été accomplis dans la mise en œuvre du droit au développement en Suisse et de recenser les problèmes auxquels il devait encore être remédié, en vue d’adresser des recommandations au Gouvernement et à d’autres parties prenantes qui s’emploient à atteindre les objectifs de développement durable.

Dans le présent rapport, le Rapporteur spécial formule des observations concernant les cadres juridique, stratégique et institutionnel et l’exercice du droit au développement dans certains domaines et aborde certaines questions touchant à l’inclusion et à la participation qui suscitent des préoccupations et fait des recommandations à cet égard.

Annexe

Rapport du Rapporteur spécial sur le droit au développement sur sa visite en Suisse

I.Introduction

1.Le Rapporteur spécial sur le droit au développement, Saad Alfarargi, s’est rendu en Suisse du 23 septembre au 2 octobre 2019, à l’invitation du Gouvernement. Sa visite avait pour principal objectif d’évaluer les progrès qui avaient été accomplis dans la mise en œuvre du droit au développement en Suisse et de recenser les problèmes auxquels il devait encore être remédier, en vue d’adresser des recommandations au Gouvernement et à d’autres parties prenantes qui s’emploient à atteindre les objectifs de développement durable.

2.Au cours de sa visite de dix jours, le Rapporteur spécial s’est rendu dans la capitale et dans les cantons de Berne, du Tessin et de Zoug, et a pu s’entretenir avec un grand nombre de représentants des pouvoirs publics, d’organisations de la société civile et des milieux universitaires.

3.Le Rapporteur spécial exprime sa gratitude au Gouvernement pour son excellente coopération, et sait gré aux organisations de la société civile, aux milieux universitaires et aux autres parties prenantes de leur précieuse contribution.

4.La visite en Suisse était la deuxième visite que le Rapporteur spécial effectuait dans un pays depuis la création du mandat, en 2016, et sa nomination, en 2017.

5.La mandat que le Conseil des droits de l’homme a confié au Rapporteur spécial est extrêmement large. Compte tenu de la brièveté d’une visite de pays, il était nécessaire d’en limiter la portée, en se concentrant sur la mise en œuvre du droit au développement dans quelques domaines de développement humain seulement. Le Rapporteur spécial regrette de ne pas avoir pu évaluer, faute de temps, tout ce qui était fait pour promouvoir, protéger et réaliser le droit au développement dans le contexte de la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), du Programme d’action d’Addis-Abeba issu de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement et de l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Il estime néanmoins que des enseignements constructifs peuvent être tirés des domaines auxquels il s’est intéressé et que ses conclusions et recommandations aideront le Gouvernement et d’autres parties prenantes à mieux mettre en œuvre les objectifs de développement durable et les autres éléments du cadre de développement pour l’après-2015 conformément aux documents d’orientation précités, dans le respect des droits de l’homme, notamment du droit au développement. Le Rapporteur spécial a accordé une attention particulière aux questions de genre et a ainsi examiné les difficultés que les femmes et les filles rencontraient en matière de développement. Il s’est également penché sur la situation des groupes sociaux les plus défavorisés et, ayant présent à l’esprit l’article premier de la Déclaration sur le droit au développement, a prêté une attention particulière aux problèmes que les personnes handicapées rencontraient pour ce qui est de participer au développement économique, social, culturel et politique en Suisse et d’en bénéficier.

II.Contexte général

6.La Suisse est un État fédéral qui applique de longue date une politique de neutralité. Elle est devenue Membre de l’ONU en 2002 et participe aux activités d’un grand nombre d’organismes des Nations Unies et d’entités internationales.

7.L’appareil exécutif se compose du Conseil fédéral. Les sept membres du Conseil fédéral et le Chancelier de la Confédération sont élus par l’Assemblée fédérale, formée du Conseil national et du Conseil des États, pour un mandat de quatre ans. L’Assemblée fédérale élit le Président de la Confédération parmi les membres du Conseil fédéral, pour un mandat d’un an. Le Conseil fédéral est l’autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération. Le Chancelier fédéral dirige l’état-major du Conseil fédéral (Chancellerie fédérale).

8.Chacun des membres du Conseil fédéral dirige l’un des sept départements de l’administration fédérale (Département fédéral des affaires étrangères, Département fédéral de l’intérieur, Département fédéral de justice et police, Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, Département fédéral des finances, Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche et Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication).

9.L’appareil législatif se compose d’une assemblée fédérale bicamérale, comprenant le Conseil des États (46 sièges) et le Conseil national (200 sièges).

10.La Suisse est formée de 26 cantons, qui diffèrent beaucoup les uns des autres en population et en taille. Les gouvernements cantonaux (exécutifs cantonaux) sont élus par le peuple dans leurs cantons respectifs. Ils sont élus pour quatre ans dans tous les cantons, sauf dans les cantons de Fribourg, de Genève, du Jura et de Vaud, où ils sont élus pour cinq ans. Ils se composent de cinq à sept membres, en fonction du canton. Les domaines d’activité des administrations cantonales sont les suivants : travaux publics et environnement ; éducation ; finances ; justice ; sécurité ; affaires sociales ; santé ; économie. Le gouvernement cantonal est la plus haute autorité directoriale et exécutive d’un canton.

11.Les parlements cantonaux (législatifs cantonaux) sont élus par le peuple pour quatre ans. Le nombre de députés varie actuellement de 50 dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures à 180 dans le canton de Zurich. Dans la plupart des cantons, les députés sont élus au scrutin proportionnel. En plus d’adopter les lois et les ordonnances, le parlement cantonal exerce une surveillance sur le gouvernement cantonal et l’administration et sur la gestion des tribunaux cantonaux.

12.Les exécutifs communaux sont élus par les habitants de leurs communes respectives qui ont le droit de voter, et se composent en général de 3 à 9 membres. Le conseil communal est généralement dirigé par un président ou une présidente de commune. Un cinquième environ des communes ont leur propre parlement. Dans les autres communes, les habitants ayant le droit de voter prennent les décisions concernant les affaires communales, en assemblée communale.

13.L’organisation complexe des pouvoirs publics et le mode de répartition des compétences posent des difficultés particulières de mise en œuvre des obligations qui incombent à la Suisse au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. La structure fédérale de l’État fait aussi que les différents éléments de la mise en œuvre des droits de l’homme et les questions de développement ne relèvent pas des mêmes niveaux de gouvernement. Des projets et des règlements, ainsi que tout un éventail de mécanismes d’application, existent aux niveaux fédéral, cantonal et communal, mais les autorités fédérales n’assurent pas toujours la coordination des actions et des résultats.

14.La Suisse se distingue des autres démocraties modernes en ce qu’elle fonctionne sur le modèle de la démocratie semi-directe, c’est-à-dire qu’elle pratique la démocratie directe parallèlement à un régime représentatif. Tout citoyen peut contester toute loi adoptée par le Parlement, ainsi que proposer une modification de la Constitution fédérale. Au niveau fédéral, sont organisés les scrutins suivants : l’élection de l’Assemblée fédérale ; des référendums obligatoires (portant sur les modifications apportées à la Constitution par l’Assemblée fédérale) ; des référendums facultatifs (portant sur les lois adoptées par l’Assemblée fédérale) ; des initiatives populaires fédérales (portant sur des modifications constitutionnelles proposées par des citoyens). Le peuple est appelé aux urnes plusieurs fois par année, notamment pour se prononcer sur des initiatives et des référendums, auquel cas il vote directement sur des politiques, et pour élire ses représentants. Les objets fédéraux, cantonaux et communaux sont soumis au vote simultanément, et les scrutins se tiennent essentiellement par correspondance. En Suisse, le régime de gouvernance se caractérise aussi par une forte autonomie locale, dont il résulte que bon nombre de questions relèvent de la compétence des cantons. Ce régime constitue une pratique remarquable du point de vue du droit au développement, qui est défini à l’article premier de la Déclaration sur le droit au développement comme étant un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement.

15.Au cours de sa visite, le Rapporteur spécial a pris connaissance du mandat et des activités du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), ainsi que du débat que suscite de longue date la création en Suisse d’une institution nationale des droits de l’homme. Le CSDH est un projet pilote élaboré sur mandat de la Confédération ; il a pour tâche de promouvoir la mise en œuvre des obligations internationales de la Suisse en matière de droits de l’homme, ainsi que de conseiller et de soutenir les autorités, la société civile et les milieux économiques dans ce domaine. Le mandat du CSDH, qui courait initialement de 2011 à 2015, a été prolongé par le Conseil fédéral le 1er juillet 2015, de façon que le CSDH puisse poursuivre ses activités jusqu’à ce qu’une nouvelle institution soit mise en place pour lui succéder. Le Rapporteur spécial souligne que les institutions nationales des droits de l’homme sont particulièrement bien placées pour examiner les questions et les plaintes relatives à la mise en œuvre concrète du droit au développement, et pour favoriser la participation à la prise des décisions concernant la promotion et la réalisation des droits économiques et sociaux ainsi que l’élaboration des politiques et projets de développement.

16.La Suisse est partie à la plupart des instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le paragraphe 2 de l’article 54 de la Constitution dispose que la Suisse contribue à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles.

III.Exercice du droit au développement dans certains domaines

A.Politique de coopération internationale

17.Conformément à la Constitution fédérale et à la législation pertinente, le Conseil fédéral et le Parlement définissent tous les quatre ans l’orientation stratégique de la coopération internationale, qui permet à la Suisse de soulager les populations dans le besoin et de lutter contre la pauvreté dans le monde. En 2019, le Département fédéral des affaires étrangères et le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche ont élaboré un projet de stratégie de coopération internationale pour 2021-2024, qu’ils ont soumis à la consultation publique du 2 mai au 23 août 2019. Ce projet a suscité 249 contributions de la part de différents secteurs de la société. Il s’articule autour des priorités thématiques suivantes : création d’emplois au niveau local ; lutte contre les changements climatiques ; réduction des causes de la migration irrégulière et des déplacements forcés ; promotion de la paix et de l’état de droit. Il définit quatre régions prioritaires pour la coopération bilatérale au service du développement, à savoir l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, l’Afrique subsaharienne, l’Asie et l’Europe de l’Est. Le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche poursuivra ses activités de coopération économique pour le développement dans un nombre limité de pays dans les quatre régions prioritaires et dans certains pays émergents d’Amérique latine.

18.Il est indiqué dans le projet de stratégie de coopération internationale 2021-2024 que, dans le cadre de la coopération internationale, la Suisse continuera de concentrer ses efforts sur l’aide humanitaire, la promotion de la paix et des droits de l’homme et les activités visant à répondre à des problèmes mondiaux (changements climatiques et environnement, eau, migrations et développement, sécurité alimentaire et santé). Lors de la présentation de ladite stratégie, il a été réaffirmé que la Suisse poursuivrait son étroite collaboration avec plusieurs organisations multilatérales, dont l’ONU et des banques multilatérales de développement. Les critères retenus pour définir l’orientation stratégique de la coopération internationale sont énoncés dans le projet de stratégie. Il s’agit des critères suivants : les besoins des populations touchées dans les pays en développement (compte tenu, tout particulièrement, du niveau de pauvreté et des problèmes qui se posent en matière de développement durable) ; l’intérêt à long terme de la Suisse (ordre international juste et pacifique, cadre économique, migrations et développement durable au niveau mondial) ; la valeur ajoutée potentielle de la coopération internationale de la Suisse (notamment en matière de connaissances, de compétences et d’innovation).

19.Au moment de la visite du Rapporteur spécial, un financement d’un montant maximum de 11,25 milliards de francs suisses était prévu pour la période 2021-2024 (contre 11,11 milliards de francs pour la période 2017-2020). Le montant de ce financement est déterminé par le Parlement dans le cadre des débats annuels sur le budget. Selon les prévisions les plus récentes, l’aide publique au développement (APD) de la Suisse se monterait à 0,46 % du revenu national brut. Ce pourcentage est en deçà de l’objectif de 0,5 % approuvé par le Parlement en 2011 et de l’objectif de 0,7 % fixé dans le Programme 2030. Le Parlement devrait débattre de la stratégie de coopération internationale 2021-2024 à ses sessions d’été et d’automne 2020.

20.Le Rapporteur spécial est préoccupé par la stagnation de l’APD pour la période 2021-2024. Il juge aussi préoccupant que le montant correspondant englobe les coûts de l’aide apportée aux demandeurs d’asile en Suisse, ce qui réduit encore davantage le montant réel des fonds à destination des pays en développement, pour le ramener à environ 0,4 % du produit national brut.

21.S’agissant de la dimension internationale du droit au développement, le Rapporteur spécial note que l’approche de la Suisse en matière de coopération internationale jouit depuis longtemps d’une excellente réputation, car elle a toujours été orientée vers l’aide aux populations les plus défavorisées dans les pays les plus pauvres et a permis de soulager bien des souffrances et d’apporter des changements positifs dans les sociétés où elle a été déployée. La loi fédérale de 1976 sur la coopération pour le développement et l’aide humanitaire internationales a pour principal objet la lutte contre la pauvreté ; elle est mise en œuvre dans le cadre d’un engagement à long terme et en toute impartialité. Compte tenu de ce qui précède, le Rapporteur spécial a été préoccupé d’apprendre qu’il est explicitement proposé, dans le projet de stratégie de coopération internationale 2021-2024, de retenir comme critère applicable à toute action liée à l’aide humanitaire, à la coopération pour le développement et à la promotion de la paix et de la sécurité humaine la nécessité de tenir compte de l’intérêt à long terme de la Suisse (voir par. 18 ci-dessus). Cet accent mis sur l’intérêt à long terme de la Suisse suscite un certain nombre de préoccupations au sein de la société civile car il semble être à l’opposé de l’approche précédente et pourrait réduire la portée des engagements que la Suisse a pris au titre du Programme 2030, notamment.

22.Le Rapporteur spécial s’est félicité d’apprendre que la Suisse applique un système généralisé de préférences en faveur des pays en développement, si bien que les produits agricoles provenant de ces pays peuvent être importés à un taux de droit moindre. Les biens issus des pays les moins avancés peuvent être importés en franchise de droits. Cela étant, seul 1 % des importations suisses proviennent de tels pays. Les systèmes généralisés de préférences commerciales ne suffisent pas à eux seuls pour stimuler les importations en provenance des pays les moins avancés. En particulier, il est difficile pour les petits producteurs d’obtenir le certificat d’origine voulu. La Suisse a indiqué qu’elle s’employait à simplifier encore l’utilisation des systèmes généralisés de préférences commerciales.

23.Au cours de sa visite, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des représentants d’organisations de la société civile s’occupant de coopération internationale, qui ont exprimé diverses préoccupations. Ils ont évoqué notamment le fait que, malgré les recommandations formulées par des organes conventionnels et des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales de l’ONU, la Suisse n’avait pas mené d’études sur les effets qu’ont les accords de commerce et d’investissement sur les droits de l’homme.

24.Un autre problème a été évoqué, à savoir le fait que le chapitre concernant le développement durable des accords de libre-échange conclus par la Suisse avec d’autres pays est souvent de portée limitée et traite non pas des droits de l’homme en général, mais des seuls droits du travail. De plus, le chapitre de ces accords concernant le développement durable ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect. Le suivi de l’application des accords commerciaux est assuré par des comités mixtes composés de seuls représentants des deux gouvernements concernés, ce qui limite encore davantage les options envisageables pour faire appliquer le principe de responsabilité.

25.Au cours de la visite du Rapporteur spécial, la société civile s’est également dite préoccupée par l’absence de stratégie concernant l’inclusion des personnes handicapées dans le cadre de la coopération internationale de la Suisse.

B.Exécution du Programme 2030 et prise en compte du droit au développement

26.En Suisse, la culture de participation à la prise des décisions concernant les questions économiques, politiques, sociales et culturelles est bien établie et institutionnalisée. Les mécanismes de consultation à caractère participatif sont nombreux et sont utilisés aussi bien par le Gouvernement que par une société civile dynamique, ainsi que par le secteur privé. À titre d’exemple concret, on peut citer l’examen national volontaire pour 2018 de l’exécution du Programme 2030, que la Suisse a présenté au forum politique de haut niveau pour le développement durable. Outre les autorités fédérales et cantonales, un large éventail de parties prenantes ont participé à l’élaboration du rapport.

27.Le Rapporteur spécial salue le rôle de premier plan que la Suisse a joué dans le cadre des travaux préparatoires et des négociations ayant abouti à l’adoption du Programme 2030. La Suisse a beaucoup contribué à l’inscription dans celui-ci des objectifs en matière de droits de l’homme et du principe de participation. En ce qui concerne la réalisation des 17 objectifs de développement durable et de leurs cibles, le Rapporteur spécial constate que la structure fédérale de l’État, où les responsabilités dans les différents domaines d’action sont réparties entre les autorités fédérales et les autorités cantonales et entre les différents organismes publics sectoriels, rend difficile l’élaboration d’une stratégie globale et cohérente. Plusieurs parties prenantes ont exprimé leur inquiétude s’agissant de la nécessité d’avoir une politique cohérente pour l’exécution du Programme 2030, et devant le fait qu’aucun mécanisme institutionnel centralisé n’est expressément chargé de cette tâche.

28.L’Office fédéral du développement territorial et le Département fédéral des affaires étrangères assurent conjointement la direction des opérations pour l’exécution du Programme 2030 en Suisse. Le Comité directeur Agenda 2030 a été mis en place, lequel réunit des organismes fédéraux relevant de tous les départements et la Chancellerie fédérale, et assure la mise en œuvre de l’Agenda 2030 au niveau fédéral. Le Rapporteur spécial accueille avec satisfaction la création de ce Comité, où les différents départements de l’administration fédérale sont représentés par des hauts fonctionnaires relevant des principaux organismes compétents.

C.Sécurité sociale

29.En Suisse, le système de sécurité sociale est complexe. Il se compose de différents éléments, qui relèvent de la compétence de trois organismes fédéraux (Office fédéral de la santé publique, Office fédéral des assurances sociales et Secrétariat d’État à l’économie) et des cantons. Il englobe tout un ensemble de prestations.

30.Le système d’assurance vieillesse, survivants et invalidité s’articule autour de trois piliers, comme décrit ci-après.

31.Le système de rentes de base (premier pilier) vise à couvrir les besoins vitaux ; elle est obligatoire pour toutes les personnes qui travaillent et/ou sont domiciliées en Suisse. Le système est financé par des cotisations prélevées sur le revenu (environ 10 % du revenu de l’assuré) et par une participation des pouvoirs publics ; salariés et employeurs cotisent à part égale à hauteur d’un pourcentage du revenu, sans plafonnement du montant correspondant ; les travailleurs indépendants versent une part de leur revenu. Les personnes sans activité lucrative cotisent à hauteur d’un montant fixe, qui est fonction de leur situation sociale (au minimum 461 francs en 2019). Le montant des rentes correspondantes est de 1 185 à 2 370 francs par mois. L’assuré peut aussi prétendre à des prestations complémentaires, qui sont non contributives et correspondent à l’excédent des dépenses de l’intéressé par rapport à ses revenus. Ces prestations sont destinées à couvrir les besoins vitaux d’une personne vivant à domicile : au moment de la visite du Rapporteur spécial, elles s’élevaient à 19 450 francs par an, auxquelles s’ajoutaient 13 200 francs maximum par an pour les frais de loyer. La rente de vieillesse est versée aux hommes dès l’âge de 65 ans et aux femmes dès l’âge de 64 ans ; pour y avoir droit, il faut avoir cotisé pendant au moins une année complète ; les ressortissants étrangers doivent être domiciliés en Suisse. Toute personne qui ayant un ou plusieurs enfants a droit, le cas échéant, à une rente de veuf ou de veuve ; une veuve n’ayant pas d’enfant a également droit à une rente si elle est âgée de plus de 45 ans et a été mariée pendant au moins cinq ans. Les enfants dont la mère ou le père est décédé ont droit à une rente d’orphelin ; ceux dont les deux parents sont décédés ont droit à une rente double. Les personnes ayant une incapacité qui les empêche d’exercer une activité rémunérée ou d’effectuer des tâches ménagères ont droit à une rente d’invalidité, correspondant à un quart de rente, une demi‑rente, trois quarts de rente ou une rente entière selon le taux d’invalidité (pour un taux allant de 40 % à 70 %). Pour être admis au bénéfice d’une rente d’invalidité, la personne doit compter trois années au moins de cotisations ; si elle est de nationalité étrangère, elle doit être domiciliée en Suisse.

32.La prévoyance professionnelle (deuxième pilier) consiste en une assurance, obligatoire pour les salariés qui perçoivent un revenu annuel d’au moins 21 330 francs. Elle vise à permettre aux assurés de maintenir leur niveau de vie après leur départ à la retraite. Tout employeur occupant des salariés soumis à l’assurance obligatoire doit être affilié à une institution de prévoyance inscrite dans le registre de la prévoyance professionnelle. Les cotisations sont calculées conformément à la réglementation relative aux institutions du deuxième pilier. Quant aux rentes, elles sont calculées en pourcentage de l’avoir de vieillesse accumulé par l’assuré.

33.La prévoyance individuelle liée (troisième pilier) correspond à un complément d’assurance à caractère facultatif. Elle peut prendre la forme de versements effectués sur un compte bancaire bloqué ou sur une police d’assurance bloquée ; les montants ainsi versés sont déductibles du revenu imposable jusqu’à concurrence de 6 826 francs par an. Ils sont bloqués jusqu’à la réalisation du risque (vieillesse, invalidité ou décès).

34.L’assurance maladie est obligatoire pour toutes les personnes domiciliées en Suisse. Le choix de l’assureur se fait librement parmi une cinquantaine de compagnies d’assurances. Les primes individuelles sont fixées par celles-ci, mais doivent être approuvées par les autorités. Elles doivent être moindres pour les enfants et les jeunes adultes (âgés de moins de 25 ans) et peuvent être échelonnées en fonction des différences de coûts entre les régions. L’assurance maladie couvre un large éventail de prestations de santé et de maternité. Il y a toutefois des exceptions, parmi lesquelles les soins dentaires, les accidents professionnels et non professionnels et les maladies professionnelles couverts par l’assurance accidents et les mesures de réadaptation couvertes par l’assurance invalidité.

35.L’assurance accident et maladies professionnelles est obligatoire pour tous les salariés. Elle couvre les accidents aussi bien professionnels que non professionnels et les maladies professionnelles. Parmi les prestations qui sont fournies, on peut citer les suivantes : prestations pour soins médicaux ; indemnités journalières ; rente d’invalidité (qui correspond, en cas d’invalidité totale, à 80 % du gain assuré) ; rente de survivant.

36.Il y a aussi les allocations pour perte de gain en cas de service militaire ou civil et de maternité. Les personnes qui effectuent un service dans l’armée suisse ou un service civil ont droit à une allocation s’élevant à 80 % du revenu moyen acquis avant le service (maximum 245 francs par jour). Les salariées et les indépendantes ont droit à une allocation de maternité, qui leur est versée pendant quatorze semaines et équivaut à 80 % du revenu moyen obtenu avant le début du droit à l’allocation (maximum 196 francs par jour). En outre, la législation fédérale fixe respectivement à 200 francs et à 250 francs par mois le montant minimum de l’allocation pour enfant et de l’allocation de formation professionnelle. Les cantons sont libres de verser des allocations plus généreuses. Le Rapporteur spécial a aussi été informé de la tenue de discussions, encore en cours au moment de sa visite, sur la mise en place d’un congé de paternité d’un mois. Il est préoccupé, toutefois, par le fait qu’il n’y ait pas de congé parental qui puisse être réparti entre les deux parents et qui permettrait de rendre plus équitable le partage des responsabilités dans la famille et dans la société.

37.En Suisse, l’assurance chômage est obligatoire pour tous les salariés soumis au système de rentes de base. Une personne remplit les conditions requises pour percevoir des prestations de chômage si elle compte douze mois au moins de cotisations, est sans emploi ou partiellement sans emploi et est domiciliée en Suisse. En principe, l’assuré a droit à 400 indemnités journalières au plus, correspondant à 70 % ou 80 % du gain assuré (maximum 12 350 francs par mois). Est définie comme étant sans emploi toute personne qui n’est pas partie à un rapport de travail et qui cherche à exercer une activité à plein temps. Est réputé partiellement sans emploi celui qui n’est pas partie à un rapport de travail et cherche à exercer une activité à temps partiel ou qui occupe un emploi à temps partiel et cherche à le remplacer par une activité à plein temps ou à le compléter par une autre activité à temps partiel. Tous les salariés qui sont soumis à l’assurance-pensions de base, qui n’ont pas encore atteint l’âge donnant droit à une rente de vieillesse et qui ne perçoivent pas de rente de vieillesse anticipée sont soumis à l’assurance chômage. Parmi les prestations auxquelles peuvent prétendre les assurés figurent notamment des indemnités de chômage, des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, des indemnités en cas d’intempéries et des indemnités en cas d’insolvabilité de l’employeur.

D.Éducation

38.Au cours de sa visite, le Rapporteur spécial s’est aussi intéressé au système éducatif suisse, car l’accès à un enseignement approprié, en plus d’être un droit en soi, est une condition préalable pour que toute personne puisse participer et contribuer au développement économique, social, culturel et politique et en bénéficier. Le Rapporteur spécial a beaucoup appris sur ce système, en particulier sur les possibilités de formation professionnelle, qui sont très larges, et a pu voir bon nombre d’exemples concrets montrant en quoi celui-ci permet de doter les jeunes des outils indispensables à leur autonomisation économique et à leur participation effective à la vie en société sous tous ses aspects. Parmi ces exemples figure un programme de transition sur deux ans conçu à l’intention des jeunes réfugiés du canton de Berne, qui permet aux jeunes âgés de 15 à 24 ans arrivés récemment en Suisse de combler les lacunes dans leurs connaissances et d’intégrer l’enseignement ordinaire en vue d’obtenir une qualification et de pouvoir être bien placés sur le marché du travail. Le Rapporteur spécial entend poursuivre son examen de cette pratique et des autres bonnes pratiques qui pourraient être encouragées et appliquées dans d’autres pays.

39.Le Rapporteur spécial s’est félicité d’apprendre que des efforts étaient déployés pour donner effet au droit des enfants issus des communautés yéniche, sinti/manouche et rom à l’éducation, tout en tenant compte du mode de vie itinérant de ces communautés. Il a aussi jugé encourageantes les mesures visant à faciliter l’intégration des jeunes demandeurs d’asile en leur fournissant des services de suivi personnalisé et de formation linguistique et en leur donnant accès au marché du travail, tout comme les programmes de formation et d’accompagnement à l’intégration des réfugiés plus âgés et d’autres résidents de longue date de nationalité étrangère qui sont en place dans certains cantons.

40.Le Rapporteur spécial est toutefois préoccupé par les informations qu’il a reçues sur la situation des enfants handicapés en ce qui concerne l’éducation. La Suisse a indiqué au Rapporteur spécial que 53,2 % des enfants qui bénéficient d’un appui éducatif spécialisé sont scolarisés dans les mêmes classes que celles qui accueillent les autres enfants. Six pour cent des enfants bénéficiant d’un appui éducatif spécial sont scolarisés dans des classes séparées des écoles ordinaires, et 40,8 % d’entre eux fréquentent des écoles spécialisées. Selon des organisations de personnes handicapées, cependant, dans bon nombre de cantons, ce sont les autorités scolaires qui décident de l’octroi de ressources supplémentaires et du « lieu principal de prise en charge » de ces enfants. En particulier, les enfants qui présentent un handicap intellectuel, des troubles du spectre autistique ou un handicap psychosocial sont encore régulièrement orientés vers un enseignement séparé dispensé en établissement spécialisé. Dans les structures qui intègrent les enfants et les jeunes handicapés, ceux-ci sont souvent séparés des autres élèves en classe, et l’accompagnement professionnel individualisé dont ils ont besoin ne leur est pas systématiquement fourni, pas même durant la transition vers la formation professionnelle. Le bénéfice des aménagements voulus (y compris, en particulier, de la compensation des désavantages) ou le financement de ces aménagements est dans bien des cas refusé aux intéressés à tous les niveaux du système éducatif. De plus, des défenseurs de la cause des personnes handicapées ont soulevé le problème du manque de supports pédagogiques accessibles. Que ce soit dans l’enseignement ordinaire ou dans l’enseignement spécialisé, l’accompagnement assuré aux enfants et aux jeunes qui présentent un handicap intellectuel est souvent jugé insuffisant par les parents, tout particulièrement au regard des objectifs d’apprentissage cognitif. Le droit constitutionnel de ces enfants à un enseignement spécialisé suffisant jusqu’à l’âge de 20 ans se trouve souvent restreint. À titre d’exemple, les enfants sourds sont la plupart du temps instruits par des enseignants incapables de s’exprimer en langage des signes, si bien que leurs compétences en lecture et en écriture sont inférieures à la moyenne.

41.Le Rapporteur spécial a jugé encourageant l’exemple du canton du Tessin, où la grande majorité des enfants handicapés sont scolarisés dans le système ordinaire et y bénéficient d’un accompagnement. Le Rapporteur spécial rappelle que, de l’avis du Comité des droits des personnes handicapées, seule l’éducation inclusive peut offrir aux personnes handicapées à la fois un enseignement de qualité et la possibilité d’améliorer leur situation sociale, et garantir l’universalité et la non‑discrimination dans le droit à l’éducation.

IV.Droit au développement et mise en œuvre de l’engagement consistant à ne laisser personne de côté

42.Dans le cadre de l’exécution de son mandat, le Rapporteur spécial accorde une attention particulière à l’inclusion des groupes les plus défavorisés dans toutes les prises de décisions et les initiatives de développement durable qui s’y rapportent. Il s’intéresse aussi tout particulièrement aux dimensions de genre en examinant les difficultés que les femmes et les filles rencontrent dans la plupart des sociétés pour ce qui est d’exercer leur droit au développement. Aussi, dans la présente section, il fait part de ses observations sur la situation des femmes, des personnes handicapées, des personnes vivant dans la pauvreté et d’autres groupes vulnérables de la population.

A.Les femmes et le droit au développement

43.La Suisse est partie à plusieurs instruments internationaux qui comprennent des dispositions sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle est partie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes depuis 1997 et au Protocole facultatif s’y rapportant depuis 2008. Elle est aussi partie à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), qui est en vigueur depuis le 1er avril 2018, à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (depuis 1994) et à la Convention relative aux droits de l’enfant (depuis 1997).

44.L’article 8.3 de la Constitution fédérale dispose que l’homme et la femme sont égaux en droit, que la loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. La loi sur l’égalité entre femmes et hommes, entrée en vigueur en juillet 1996, vise à promouvoir une véritable égalité entre les sexes et à garantir l’accès à la justice en cas de discrimination dans l’emploi. Elle est axée sur l’égalité dans les relations de travail et s’applique à toutes les relations de travail privées et publiques, quelle que soit la taille de l’entreprise ou le nombre d’employés, aux ménages ordinaires, aux sociétés multinationales, aux communes, aux institutions publiques, telles que les hôpitaux et les écoles, à l’administration fédérale et aux grandes entités publiques. La loi interdit la discrimination directe et indirecte et prévoit expressément que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination fondée sur le sexe.

45.La loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes a été modifiée en 2018 pour remédier au problème de la discrimination salariale. En vertu de cette modification, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2020, toute entreprise de 100 employés ou plus a l’obligation de procéder, tous les quatre ans, à une analyse de l’égalité salariale. Le Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes a conçu le logiciel Logib, qui permet aux entreprises d’effectuer un autocontrôle de l’égalité salariale. Cet outil gratuit peut être utilisé pour aider à combattre les écarts de salaires inexpliqués et injustifiés. L’analyse doit être examinée par un tiers indépendant, tel qu’un cabinet d’audit, et les résultats doivent être communiqués aux employés et, le cas échéant, aux actionnaires.

46.Parmi les autres textes de loi et mesures pertinentes, on peut citer : la réforme du droit matrimonial, en 1988 ; l’instauration, en 1997, d’une bonification pour tâches éducatives aux fins du calcul de la rente de vieillesse dans le cadre de système de rentes de base ; la réforme du droit du divorce en 2000 ; l’institution du droit à l’avortement légal pendant les douze premières semaines de grossesse, en 2002 ; la poursuite d’office des faits de violence domestique, depuis 2004 ; l’instauration d’un congé de maternité de quatorze semaines, à partir de 2005 ; la protection contre la violence, les menaces et le harcèlement, instaurée par le Code civil en 2007 ; l’interdiction, par le Code pénal, des mutilations génitales féminines, en 2012 ; la révision de la législation sur les noms et la citoyenneté, en 2013, l’interdiction, par le Code pénal, du mariage forcé et l’adoption de mesures pour lutter contre ce type de mariage, en 2013 ; l’instauration de l’autorité parentale conjointe sur les enfants, devenue la règle de droit applicable aux parents divorcés et aux parents non mariés, en 2014.

47.Des dispositions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes et aux droits des femmes figurent dans le programme de la législature 2019-2023 et dans les objectifs annuels du Conseil fédéral ; dans la Stratégie pour le développement durable 2016-2019 ; dans la Stratégie de politique étrangère 2016-2019. La principale institution compétente en la matière est le Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes, dont les responsabilités sont définies dans la loi sur l’égalité entre femmes et hommes. Le Bureau, qui relève de l’administration fédérale, est un centre d’expertise reconnue sur les questions d’égalité. Cet organe de décision s’efforce de promouvoir les changements structurels. Il n’agit pas seul, mais en collaboration avec un vaste éventail de parties prenantes : autres organismes fédéraux, bureaux de l’égalité entre femmes et hommes, organisations d’hommes et de femmes, partenaires sociaux et entreprises.

48.La plupart des cantons et certaines communes ont créé des bureaux de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces bureaux s’occupent principalement de questions telles que la violence à l’égard des femmes, l’égalité sur le marché du travail et dans l’éducation, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée et l’intégration des femmes immigrées, fournissent des conseils aux particuliers et définissent des grandes orientations. On dénombre actuellement 23 bureaux de ce type aux niveaux fédéral, cantonal et municipal. Les organisations de la société civile ont toutefois fait part de leurs préoccupations quant au fait que les diverses institutions qui promeuvent l’égalité entre les femmes et les hommes au niveau national ou cantonal ont vu leurs capacités réduites, voire ont été dissoutes, et que le Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes ne dispose pas de fonds suffisants.

49.La Commission fédérale pour les questions féminines est une autre institution d’importance. En tant que commission extraparlementaire permanente, elle examine les questions d’actualité en matière d’égalité des sexes et conseille les autorités fédérales, en mettant l’accent sur la participation des femmes et leur représentation équitable dans les sphères politique et économique.

50.Les informations que le Rapporteur spécial a reçues concernant la situation de l’emploi des femmes en Suisse ont révélé une absence d’égalité. Environ 88 % des hommes et 80 % des femmes sont employés ou à la recherche d’un emploi. En 2017, près de 45 % des femmes employées en Suisse travaillaient trente heures ou moins par semaine, contre seulement 11,2 % des hommes. Les organisations de la société civile ont fait part de leurs préoccupations concernant la ségrégation professionnelle, qu’elle soit horizontale (entre les professions) ou verticale (au sein d’une profession particulière), soutenant que les femmes étaient sous-représentées dans les emplois de cadres et surreprésentées dans les emplois peu qualifiés et à faible revenu.

51.La participation des femmes à la prise de décisions dans les entreprises en Suisse est un autre domaine où des améliorations sont nécessaires. Dans les 100 plus grandes entreprises suisses, seuls 9 % des membres du comité de direction sont des femmes et 51 % de ces entreprises ne comptent pas une seule femme au sein de leur comité de direction ; seuls 21 % des membres de conseils d’administration de ces entreprises étaient des femmes. Les deux chambres du Parlement fédéral ont accepté en juin 2019 un projet de loi prévoyant que d’ici à 2030, au moins 30 % des membres de conseils d’administration et au moins 20 % des membres des comités de direction devront être des femmes. Les entreprises sont tenues de respecter ces dispositions ou d’expliquer pourquoi elles ne s’y conforment pas. Il reste à voir si ce projet sera adopté et si les mesures prévues constitueront des incitations suffisantes pour améliorer la situation.

52.L’écart de rémunération entre les sexes reste considérable : en 2016, les salaires des femmes étaient en moyenne inférieurs de 1 455 francs suisses par mois à ceux des hommes. Environ 56 % de la différence pourrait s’expliquer par des facteurs objectifs tels que le statut professionnel, les années d’expérience ou les niveaux de qualification. Cependant, environ 44 % de l’écart de rémunération reste inexpliqué et pourrait être le résultat d’une discrimination salariale liée au sexe. Même si l’écart de rémunération diminue lentement depuis les années 1970, en 2016, il s’élevait à 16,7 % dans le secteur public ; dans le secteur privé, il était de 19,6 %.

53.Les signataires de la Charte pour l’égalité salariale dans le secteur public, lancée en septembre 2016, ont convenu d’effectuer des contrôles réguliers pour garantir le respect de l’égalité salariale au sein de l’administration publique, au sein des entités proches des pouvoirs publics et dans les entreprises qui répondent aux marchés publics ou qui bénéficient de subventions. En septembre 2019, l’administration fédérale, 16 cantons et 79 communes avaient signé la Charte.

54.Le Rapporteur spécial a pris connaissance avec satisfaction des mesures susmentionnées et de celles que la Suisse prévoit de prendre pour combler l’écart salarial. Convaincu que ces mesures sont susceptibles de donner de bons résultats, il suivra avec grand intérêt leur mise en œuvre.

55.Au cours de la visite, des organisations de la société civile ont fait part au Rapporteur spécial de préoccupations liées au genre, notamment les inégalités et la discrimination que continuaient de subir les gens au quotidien et qui posaient des problèmes juridiques et structurels. La Suisse n’a pas encore de stratégie nationale d’égalité des chances, et les stéréotypes fondés sur le genre restent très répandus.

56.Le Rapporteur spécial a été informé que le choix de carrière dépendait encore grandement de normes socialement établies. Bien que la loi sur la formation professionnelle, dont l’un des objectifs déclarés est l’égalité des chances, soit en vigueur depuis de nombreuses années, l’administration fédérale n’a pas encore mis en œuvre de projet en faveur de l’égalité des sexes à tous les niveaux d’enseignement. De même, de nombreux cantons n’ont toujours pas intégré cette question dans leurs lois relatives à l’éducation.

57.Parmi les obstacles qui empêchent les femmes de participer au marché du travail dans des conditions d’égalité avec les hommes, il convient de citer le manque de services d’accueil de la petite enfance et le coût élevé de ces services. L’OCDE estime que les dépenses que le secteur public alloue à l’éducation et à l’accueil des jeunes enfants en Suisse ne représentent que 0,2 % du produit intérieur brut, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 0,6 %. Selon une organisation, les parents paient eux-mêmes entre 38 % et 66 % des frais de garde d’enfants. Certaines femmes considèrent qu’il est plus coûteux de travailler que de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants.

58.En outre, plus de la moitié des femmes travaillent à temps partiel, ce qui les désavantage sur les plans de la carrière, de la formation et de la sécurité sociale et les conduit à recevoir des rentes moins élevées une fois à la retraite. Si la possibilité de travailler à temps partiel peut contribuer à favoriser l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, il est préoccupant de constater que ce sont presque exclusivement les femmes qui profitent de ces possibilités, perpétuant ainsi des stéréotypes néfastes liés au genre concernant le rôle des femmes dans la vie économique. En outre, de nombreuses femmes occupent des emplois mal rémunérés dans des secteurs précaires. Cela est particulièrement vrai pour les femmes victimes de discrimination multiple et pour les femmes handicapées.

59.Des organisations ont indiqué avec préoccupation que les femmes migrantes occupent le plus souvent des emplois peu qualifiés et mal rémunérés parce que les compétences ou les qualifications obtenues dans leur pays d’origine ne sont pas reconnues. De plus, ces femmes ont souvent affaire à la justice, pour des problèmes de violence domestique ou en raison de leur statut au regard de la législation relative au séjour. Contrairement à l’avortement, les coûts des moyens de contraception et des soins de santé procréative ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, ce qui fait des femmes migrantes un groupe particulièrement vulnérable. Un faible degré d’instruction, des situations professionnelles stressantes et un statut migratoire parfois irrégulier ou peu clair sont autant de facteurs qui peuvent contribuer à une dégradation de l’état de santé des mères et des enfants issus de l’immigration.

B.Personnes vivant dans la pauvreté et autres groupes vulnérables de la population

60.Le Rapporteur spécial constate avec satisfaction que la protection sociale est fondée sur un cadre juridique bien établi en Suisse. La Constitution jette les bases d’une sécurité sociale solide, de conditions de travail équitables, d’un soutien et d’une protection pour les familles et les enfants, d’un logement convenable à des conditions raisonnables et de droits à l’éducation, à l’assistance et aux soins. Les institutions de la protection sociale sont bien développées et fonctionnelles.

61.Néanmoins, selon l’Office fédéral de la statistique, en 2018, environ 7,9 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté et 13,9 % était menacée de pauvreté. La plupart des personnes touchées par la pauvreté sont des parents célibataires, des familles de trois enfants ou plus et des personnes ayant un faible degré d’instruction ou de formation. Le coût élevé de l’assurance maladie et du logement sont pour une part dans leur situation très difficile. En outre, il a été indiqué au Rapporteur spécial qu’au cours des quinze dernières années, les prestations de chômage avaient été réduites.

62.Le Rapporteur spécial a été informé de ce qu’à la suite d’un certain nombre de demandes émanant du Parlement et d’une conférence sur la pauvreté, l’administration fédérale avait institué le Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, mis en œuvre conjointement avec les cantons, les villes, les communes et les organisations du secteur privé de 2013 à 2018. Dans le cadre de ce programme, des approches innovantes de lutte contre la pauvreté ont été testées, des instruments pratiques ont été mis à disposition et les acteurs sur le terrain ont été encouragés à échanger leurs vues et leurs données d’expérience. Le Gouvernement a investi 9 millions de francs suisses sur cinq ans. En avril 2018, le Conseil fédéral a décidé de poursuivre ses efforts visant à prévenir la pauvreté jusqu’en 2024, par la mise en place d’une plateforme nationale de lutte contre la pauvreté, mais a réduit le financement à 500 000 francs par an. Des organisations ont noté avec préoccupation qu’on n’avait toujours pas fixé d’objectifs contraignants en matière d’élimination de la pauvreté.

63.Le Rapporteur spécial a également été informé de ce que la politique de faible imposition menée dans de nombreux cantons se traduisait par une baisse des recettes fiscales et par des mesures de réduction des coûts, ce qui exerçait une pression croissante sur l’aide sociale. Des organisations travaillant auprès de personnes pauvres ont fait observer avec préoccupation qu’au cours des années précédentes, l’aide matérielle avait diminué et que les jeunes adultes et les familles, en particulier, recevaient moins d’argent pour subvenir à leurs besoins quotidiens, ce qui les empêchait souvent de participer à la vie de la société, même à un très faible niveau. L’aide sociale relève de la compétence des cantons et la fourniture de cette aide est généralement déléguée aux communes. En conséquence, les règles en matière d’aide sociale varient d’un canton à l’autre et les personnes touchées par la pauvreté reçoivent différents niveaux de soutien selon l’endroit où elles vivent. D’après les informations disponibles, les primes d’assurance maladie représenteraient une part de plus en plus importante du budget des ménages : elles ont plus que doublé au cours des vingt dernières années et les familles qui se situent juste au-dessus du seuil de pauvreté se trouvent dans une situation de plus en plus difficile.

C.Personnes handicapées

64.La Suisse est devenue partie à la Convention relative aux droits des personnes handicapées assez récemment, soit en 2014. Elle n’a pas encore ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et les particuliers ne peuvent pas adresser au Comité des droits des personnes handicapées des communications concernant des violations présumées de la Convention.

65.Sur le plan institutionnel, le principal organe fédéral chargé de garantir le respect des droits des personnes handicapées est le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées, qui a été créé en 2004, avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, également connue sous le nom de loi sur l’égalité pour les handicapés. Le Bureau a pour mandat de promouvoir l’égalité entre les personnes handicapées et le reste de la population et de prendre des mesures pour éliminer la discrimination à leur égard. Il relève du Secrétariat général du Département fédéral de l’intérieur.

66.Le 9 mai 2018, le Conseil fédéral a publié un rapport sur la politique nationale en faveur des personnes handicapées. Dans ce rapport, le Conseil axe sa réflexion sur la promotion de la coordination à l’échelle fédérale et de la collaboration entre la Confédération et les cantons, sur les impulsions à donner dans trois domaines prioritaires (égalité et travail, autonomie et accessibilité et numérisation), sur l’élaboration d’un rapport national et sur le suivi.

67.En dépit de ces nouvelles avancées, les organisations de personnes handicapées ont indiqué avec préoccupation que la Suisse ne dispose toujours pas d’une politique générale pour les personnes handicapées, ni d’un plan global pour la mise en œuvre des obligations découlant de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. La politique relative aux personnes handicapées repose toujours dans une large mesure sur une approche médicale du handicap, qui met l’accent sur les déficiences. Par conséquent, la question du handicap est principalement traitée, tant sur le fond que sur le plan institutionnel, sous l’angle de la politique et des prestations sociales, en particulier de l’assurance sociale. La Constitution fédérale fait référence non seulement aux déficiences et aux personnes handicapées (art. 8, al. 2 et 4), mais aussi à l’invalidité (art. 41, al. 2). La Suisse a indiqué au Rapporteur spécial que, s’agissant des risques couverts par la sécurité sociale, sa législation utilise le terme « invalidité », dans le droit fil de la Convention de 1952 concernant la sécurité sociale (norme minimum) (no 102) et la Convention de 1967 concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants (no 128) de l’Organisation internationale du Travail. Des organisations de personnes handicapées ont fait valoir, cependant, que le terme « invalidité » était fondé sur une approche médicale du handicap qui est axée sur les déficiences. De même, dans la loi fédérale de 1946 sur l’assurance vieillesse et survivants (art. 43 bis), l’expression « allocation pour impotent » est employée pour parler des personnes handicapées. Le Rapporteur spécial souligne que la Suisse a l’obligation, en application de l’article 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, de supprimer tout terme discriminatoire de sa législation.

68.Des organisations de la société civile ont également exprimé leur préoccupation quant au fait que la notion d’inclusion n’a pas été systématiquement prise en compte et mise en œuvre aux niveaux fédéral, cantonal ou municipal. Depuis son entrée en vigueur en 2000, la Constitution fédérale exige que les législateurs fédéraux et cantonaux prennent des mesures pour éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées (art. 8, par. 4). Des parties prenantes se sont dites préoccupées par le fait qu’en dépit de cela, la plupart des lois et des stratégies politiques sont promulguées et révisées à tous les niveaux sans que les personnes handicapées soient associées et sans que leurs préoccupations et besoins soient pris en considération. La Suisse a informé le Rapporteur spécial de ce qu’un programme intitulé « Vie autodéterminée », mené conjointement par la Confédération et les cantons, mettrait un accent croissant, au cours des années à venir, sur la question de la participation, notamment à la vie politique, des personnes handicapées et des organisations de personnes handicapées.

69.Le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées prévoit que la Confédération et les cantons prennent les mesures que requièrent la prévention, la réduction ou l’élimination des inégalités et qu’ils tiennent compte des besoins spécifiques des femmes handicapées. Toutefois, les organisations de personnes handicapées ont signalé avec inquiétude que l’obligation qu’a l’État de prendre en compte les besoins des femmes handicapées n’a pas été renforcée et que ni le Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes ni le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées ne sont dotés d’un mandat clair et officiel concernant les droits des femmes handicapées.

70.Les femmes et les filles handicapées, en particulier, sont fréquemment victimes de discrimination multiple, comme en témoignent leur situation défavorisée en matière de sécurité sociale, les stéréotypes intégrés par la population et ceux qui concernent leurs choix de carrière, leur taux d’emploi plus faible et les emplois plus précaires qu’elles occupent par rapport aux femmes et aux hommes sans handicap, la plus grande probabilité qu’elles soient victimes de violences, la discrimination dont elles font l’objet en matière de sexualité et de planification familiale et le manque de possibilités d’autonomisation et de participation à la vie politique auquel elles se heurtent. Selon les défenseurs des droits des personnes handicapées, les femmes et les filles handicapées rencontrent des difficultés particulières en ce qui concerne leurs droits à la sécurité sociale, à l’emploi, à la santé, à la protection contre la violence et à la participation à la vie politique et publique. Ils affirment que seulement 46 % des femmes handicapées ont un emploi à temps plein, contre 81 % des hommes handicapés, que les femmes handicapées reçoivent une aide financière beaucoup moins importante pour la formation professionnelle et qu’elles doivent également combattre un nombre particulièrement élevé de stéréotypes.

71.Les organisations de personnes handicapées ont également relevé avec préoccupation que, depuis 2010, aucune statistique distincte n’a été publiée au niveau fédéral sur les enfants handicapés. Elles ont toutefois signalé que le nombre d’enfants et d’adolescents de moins de 19 ans qui vivent dans des établissements pour personnes handicapées est en augmentation depuis 2012 et qu’il semble disproportionné. On manque de données statistiques utiles sur la scolarisation des enfants et des jeunes handicapés portant sur l’ensemble de la Suisse. Il est manifeste, cependant, que la part de la scolarité obligatoire qui est assurée dans des environnements ségrégués varie d’un canton à l’autre. Il n’existe pratiquement pas de travaux de recherche sur la violence à l’égard des enfants et des jeunes handicapés. D’autres problèmes ont été soulevés, notamment le manque de participation, de conseils sur les établissements préscolaires inclusifs, de ressources pour le dépistage précoce et le soutien et de soins psychiatriques et psychothérapeutiques, et le fait que la Suisse n’adopte pas systématiquement des approches pédagogiques plutôt que pharmaceutiques pour aider les enfants qui présentent des troubles tels que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.

72.Le Rapporteur spécial estime que des données ventilées sont nécessaires pour évaluer précisément une situation, mettre en évidence les inégalités et identifier ceux qui ont été laissés pour compte. Ce n’est qu’en partant de telles données que l’on sera en mesure de concevoir des politiques objectives qui ciblent précisément les plus démunis. Des données ventilées sont importantes également pour l’application, le suivi et l’évaluation des politiques et des programmes de développement, ainsi que pour le suivi global des progrès dans la concrétisation du droit au développement, dans des conditions d’égalité, pour tous les secteurs de la société. Les organismes nationaux de statistique doivent se voir doter des moyens voulus pour leur permettre de recueillir ces données, notamment par le renforcement de leur capacité d’utiliser des indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur les droits de l’homme lorsqu’ils analysent les inégalités. Le Rapporteur spécial rappelle que dans le Programme 2030, le handicap est considéré comme une question transversale à prendre en compte dans la mise en œuvre de tous les objectifs de développement durable. Le Programme 2030 comprend 7 objectifs et 11 indicateurs faisant expressément référence aux personnes handicapées et couvrant l’accès à l’éducation et à l’emploi, l’éducation inclusive et tenant compte des étudiants handicapés, l’inclusion et l’autonomisation des personnes handicapées et le renforcement de la capacité des pays de ventiler les données par handicap. En outre, les États devraient évaluer systématiquement et de manière cohérente les progrès qu’ils accomplissent dans la réalisation des objectifs de développement durable 5 et 10 et d’autres cibles concernant la progression vers l’égalité.

73.Les organisations de personnes handicapées se sont également inquiétées de ce que la Suisse ne s’est dotée ni d’une stratégie globale visant la mise en œuvre des obligations découlant de l’article 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ni des bases juridiques nécessaires pour garantir l’inclusion de ces personnes dans la formation professionnelle et sur le lieu de travail. En outre, les personnes handicapées sont, dans certains cas, gravement désavantagées. En 2017, le taux d’emploi dans la population générale était de 84 %. Il était de 68,1 % chez les personnes handicapées et de 42 % chez les personnes présentant un handicap sévère. En outre, selon une source, le nombre de personnes handicapées travaillant dans des établissements de travail protégés (actuellement environ 25 000) a augmenté régulièrement de 2007 à 2013. La source indique également que ces travailleurs sont payés quelques centaines de francs suisses par mois et qu’ils bénéficient d’un certain nombre de prestations d’assurance sociale. Il est rare que ces travailleurs passent du marché du travail protégé au marché du travail général. Les mécanismes fédéraux d’assurance invalidité existants (accompagnement professionnel pour une période déterminée, services d’assistance limités et placement) n’apportent pas aux bénéficiaires l’appui nécessaire pour leur garantir un emploi sur le marché du travail général. Les mesures dissuasives prévues par la loi sur l’assurance sociale compliquent encore la situation.

74.En outre, les personnes handicapées qui travaillent sur le marché du travail général rencontrent des problèmes liés au financement d’aménagements raisonnables. Des personnes handicapées ont dit qu’elles craignaient de perdre leur pension d’invalidité si elles travaillaient plus d’un certain nombre d’heures. Ces personnes recevant souvent le salaire minimum, cette crainte les dissuade de chercher du travail. Le Rapporteur spécial est en outre préoccupé de constater que la législation fédérale sur la non-discrimination ne protège pas suffisamment les personnes handicapées contre la discrimination exercée par des personnes privées dans les domaines des relations de travail et des services accessibles au public.

75.Les personnes handicapées qui travaillent sur le marché du travail général sont aussi fréquemment désavantagées, par exemple à l’embauche et en cas de licenciement, en raison de facteurs tels que le refus de procéder à des aménagements raisonnables sur le lieu de travail. La loi sur l’égalité pour les personnes handicapées n’est pas applicable aux relations de travail régies par le droit privé et n’offre donc pas aux personnes handicapées un recours judiciaire contre la discrimination.

76.Le Rapporteur spécial a été informé que les employeurs étaient peu, voire pas incités à embaucher des personnes handicapées, par exemple au moyen de quotas dans le secteur privé ou d’incitations fiscales, et que seule l’administration fédérale devait atteindre des objectifs concernant l’emploi des personnes handicapées.

77.Le Rapporteur spécial a pris connaissance de l’engagement pris par la Suisse d’utiliser le marqueur relatif à l’inclusion et à l’autonomisation des personnes handicapées conçu par le Comité d’aide au développement de l’OCDE.

V.Conclusions et recommandations

78.Le Rapporteur spécial rappelle que le droit au développement est défini dans l ’ article premier de la Déclaration sur le droit au développement comme étant un droit inaliénable de l ’ homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l ’ homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement. Conformément au paragraphe 3 de l ’ article 2 de la Déclaration, les États sont tenus de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l ’ amélioration constante du bien-être de l ’ ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. L ’ article 3 de la Déclaration prévoit que les États ont le devoir de coopérer les uns avec les autres pour assurer le développement et éliminer les obstacles au développement. Ces grands principes ont été réaffirmés dans le Programme 2030, qui reconnaît la nécessité d ’ édifier des sociétés pacifiques, justes et inclusives, qui offrent à tous un accès à la justice dans des conditions d ’ égalité et qui soient fondées sur le respect des droits de l ’ homme (y compris le droit au développement), sur un e véritable primauté du droit et une bonne gouvernance à tous les niveaux et sur des institutions transparentes, efficaces et responsables.

79.Le Rapporteur spécial a évalué certains aspects des lois, des politiques et des pratiques de la Suisse en se fondant sur les principes ci-dessus. Comme indiqué dans le présent rapport, il a recensé de nombreuses bonnes pratiques qui pourraient aider d ’ autres États à parvenir à un développement durable fondé sur les droits de l ’ homme. En particulier, les traditions du pays en matière de processus participatifs, consultatifs et décisionnels sont conformes à l ’ esprit de la Déclaration sur le droit au développement.

80. Le Rapporteur spécial a recensé certains problèmes qui subsistent et présente au Gouvernement et à toutes les parties prenantes concernées ses recommandations sur les moyens d ’y remédier .

81.Le Rapporteur spécial invite la Suisse à honorer son engagement d ’ allouer 0,7 % de son revenu national brut à l ’ aide publique au développement, comme prévu dans le Programme d ’ action d ’ Addis-Abeba issu de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement et dans le Programme 2030. Il lui recommande d ’ élargir la portée des chapitres des accords commerciaux qui concerne le développement durable pour y inclure un plus large éventail de questions relatives aux droits de l ’ homme et de renforcer les formules exécutoires de ces dispositions dans les accords. Il recommande également au Gouvernement suisse de mener des études d ’ impact sur les droits de l ’ homme parallèlement aux négociations, afin de s ’ assurer que les accords commerciaux conclus n ’ ont pas d ’ effets négatifs sur les droits de l ’ homme.

82. En ce qui concerne l a mise en œuvre concrète de l ’ aide au développement dans divers pays en développement, le Rapporteur spécial invite instamment les autorités suisses à envisager d ’ utiliser des études pour évaluer les incidences que peuvent avoir sur les droits de l ’ homme les programmes et les projets qu ’ elles financent. Ces études ne doivent pas avoir pour effet d ’ imposer des conditions aux partenaires bénéficiaires, mais de s ’ assurer que les programmes n ’ ont pas d ’ incidences négatives sur les droits de l ’ homme, y compris le droit au développement.

83. En ce qui concerne les mécanismes institutionnels créés pour faciliter la mise en œuvre du Programme 2030, le Rapporteur spécial encourage la Suisse à créer une unité opérationnelle centralisée chargée d’appuyer et de coordonner de manière cohérente l ’ élaboration de plans de mise en œuvre pour les différents secteurs au niveau fédéral et d ’ aider les cantons et les communes à exécuter leurs propres plans d ’ action pour la mise en œuvre du Programme 2030.

84. Le Rapporteur spécial recommande à la Suisse d e concevoir et d ’utiliser de manière systématique des indicateurs portant spécifique ment sur le handicap lorsqu ’ il s ’ agit de définir des objectifs de développement et de mesurer les progrès réalisés vers leur réalisation, et de tenir compte des indicateurs liés au handicap du Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable et du bref questionnaire du Groupe de Washington sur les situations de handicap . Il demande instamment au Gouvernement de veiller à ce que les personnes handicapées et les organisations qui les représentent participent activement à toutes les initiatives politiques et autres processus relatifs aux stratégies, à la planification, à la mise en œuvre et au suivi.

85. Le Rapporteur spécial prie instamment le Gouvernement d ’utilis er dès que possible le marqueur relatif à l ’ inclusion et à l ’ autonomisation des personnes handicapées afin de pouvoir suivre les dépenses qu ’ il engage en faveur des personnes handicapées dans les pays bénéficiaires.

86. Le Rapporteur spécial recommande également à la Suisse d ’ inclure systématiquement les personnes handicapées dans la mise en œuvre de la stratégie de coopérat ion internationale 2021-2024 . En outre, il encourage vivement les organismes chargés de l ’ exécution des programmes de coopération internationale sur le terrain (la Direction du développement et de la coopération et le Secrétariat d ’ État à l ’ économie) à réviser leurs directiv es opérationnelles en vue de consulter v éritablement les personnes handicapées et les organisations qui les représentent dans les pays concernés.

87. Le Rapporteur spécial recommande à la Suisse d ’ élaborer une stratégie visant spécifiquement à inclure les personnes handicapées dans la coopération internationale et l ’ action humanitaire, y compris la réduction des risques de catastrophe, et de veiller à ce que le handicap soit intégré dans toutes les autres stratégies du Département fédéral des affaires étrangères dans ce domaine.

88. Le Rapporteur spécial recommande à la Suisse d ’ envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et d ’ainsi reconnaître la compétence du Comité des droits des personnes handicapées pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d ’ une violation des dispositions de la Convention.

89. Le Rapporteur spécial encourage les autorités éducatives suisses cantonales et fédérales à consulter les personnes handicapées, y compris les enfants, par la voie des organisations qui les représentent, et à les associer activement à tous les volets de la planification, de la mise en œuvre, du suivi et de l ’ évaluation des politiques et programmes relatifs à l ’ éducation inclusive.

90. Le Rapporteur spécial encourage vivement les autorités fédérales et cantonales à prendre des mesures concrètes pour combattre la conception que l’on a des rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes dans la famille et dans la société, afin de favoriser l ’ égalité des chances dans l ’ emploi. Il demande instamment aux autorités de promouvoir une plus grande représentation des femmes à tous les niveaux de l ’ administration publique, et en particulier aux postes de décision, ainsi qu ’ à des postes de direction dans le secteur privé.

91. Il lui recommande également de revoir le système de congé parental réparti entre les deux parents et de le modifier afin de rendre plus équitable le partage des responsabilités dans la famille et la société.

92. Le Rapporteur spécial encourage les autorités cantonales à développer les structures d ’ accueil de la petite enfance et à augmenter le montant de l ’ allocation pour enfant, et à utiliser pleinement les programmes et financements fédéraux qui peuvent être mis en place à cet effet, en particulier dans les zones rurales.

93. Le Rapporteur spécial recommande de renforcer les bureaux et commissions de l ’ égalité existants au niveau cantonal et de veiller à ce qu ’ ils soient dotés, ainsi que le Bureau fédéral de l ’ égalité entre les femmes et les hommes, des ressources humaines et financières nécessaires à leur fonctionnement. Il engage les autorités fédérales et cantonales à élaborer et à mettre en œuvre des mesures visant à parvenir à l ’ égalité réelle entre les femmes et les hommes dans tous les domaines par l a mise en place d ’ incitations, le recrutement ciblé et l ’ établissement d ’ objectifs et de quotas assortis de délais dans les domaines où les femmes sont sous-représentées ou défavorisées, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

94. Rappelant les recommandations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Rapporteur spécial recommande à la Suisse d ’ adopter une stratégie nationale de prévention et d ’ élimination de la pauvreté, en veillant à ce qu ’ elle soit axée sur les individus et les groupes les plus touchés et mise en œuvre selon une approche fondée sur les droits de l ’ homme et avec la participation des personnes concernées, que des ressources suffisantes soient consacrées à son exécution et que des mécanismes de coordination efficaces soient établis au niveau fédéral afin de prévenir les disparités entre les cantons.

95. Le Rapporteur spécial invite instamment la Suisse à mettre en place une institution nationale des droits de l ’ homme indépendante dotée d ’ un mandat étendu en matière de protection des droits de l ’ homme et de ressources financières et humaines suffisantes, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris).