Présentée par:

M. Errol Pryce (représenté par un conseil, M. Hugh Dives, avocat)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamaïque

Date de la communication:

30 mai 1997 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 janvier 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

15 mars 2004

Le 15 mars 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 793/1998 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingtième session

concernant la

Communication n o 793/1998**

Présentée par:

M. Errol Pryce (représenté par un conseil, M. Hugh Dives, avocat)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Jamaïque

Date de la communication:

30 mai 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 mars 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 793/1998 présentée par M. Errol Pryce en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, qui est datée du 30 mai 1997, est Errol Pryce, de nationalité jamaïcaine, né le 28 septembre 1971. Il se déclare victime de violations par la Jamaïque de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont tous deux entrés en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’État partie a dénoncé le Protocole facultatif le 23 octobre 1997, avec effet à compter du 23 janvier 1998.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Selon l’accusation, l’auteur vivait avec sa compagne. La nuit du 24 juin 1992, au cours d’une querelle avec sa compagne, il s’est approché d’elle armé d’un pic à glace. La jeune fille a appelé sa mère; celle‑ci est arrivée sur les lieux et lui a proposé d’aller chez elle. C’est alors que l’auteur s’est attaqué à la mère, lui causant des blessures qui l’ont rendue infirme.

2.2Le 8 août 1994, l’auteur a été jugé et reconnu coupable par la Home Circuit Court de Kingston de coups et blessures avec préméditation. Il a été condamné à quatre ans de travaux forcés et à recevoir six coups de verge de tamarin. L’auteur a demandé l’autorisation spéciale de faire recours devant la Cour d’appel, affirmant que la peine à laquelle il avait été condamné était manifestement excessive au vu des circonstances de la cause. La Cour, tenant compte de l’ampleur de la criminalité violente dans la société, en particulier à l’encontre des femmes, a rejeté cette demande. L’auteur signale qu’il est sans ressources et qu’il n’a pas droit à l’aide juridictionnelle pour présenter une requête constitutionnelle.

2.3Comme il est indiqué dans la déclaration sous serment qu’il a soumise, l’auteur a été libéré le 1er mars 1997, après une remise de peine pour bonne conduite.

2.4Les coups de verge de tamarin ont été administrés à l’auteur le 28 février 1997, la veille de sa libération. Selon le récit fait par l’auteur dans sa déclaration sous serment, on lui a bandé les yeux et on lui a ordonné de baisser son pantalon et son caleçon. On lui a soulevé les pieds et on les a placés dans des encoches faites dans le sol devant un tonneau renversé. Ses bras ont été tirés vers l’avant de façon qu’il soit couché en travers du tonneau. Un gardien lui a inséré le pénis dans une fente percée sur le côté du tonneau. Les poignets et les chevilles ont été attachés à la plate‑forme. Selon l’auteur un médecin et environ 25 gardiens de prison ont assisté à l’exécution de la peine. Le médecin ne l’aurait même pas examiné après la flagellation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il fait valoir que l’administration de coups de verge de tamarin constitue un châtiment cruel, inhumain et dégradant contraire à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. En l’absence de règles plus détaillées que celles énoncées dans le texte d’homologation et des directives (prévus à l’article 4 de la loi sur la lutte contre la criminalité), la procédure appliquée serait largement laissée à la discrétion des autorités pénitentiaires chargées d’appliquer la peine.

3.2De plus, l’auteur affirme que l’administration de coups de verge de tamarin sur les fesses est une forme de châtiment intrinsèquement cruelle, inhumaine et dégradante. À cet égard, il se réfère à la décision de la Cour suprême zimbabwéenne dans l’affaire S v. Ncube and Others  dans laquelle la Cour a statué ce qui suit: «La raison d’être [de l’interdiction des châtiments inhumains et dégradants] n’est rien de moins que la protection de la dignité de l’homme…».

3.3L’auteur note que le juge qui a prononcé la condamnation a souligné que la flagellation visait à «prévenir la criminalité», ce qui a été aussi confirmé par la Cour d’appel. À cet égard, l’auteur affirme qu’il n’y a aucune preuve attestant que l’administration de coups de verge puisse avoir un effet dissuasif sur les crimes graves, tant en général que dans le cas particulier de la Jamaïque. Il cite le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tyrer c. Royaume ‑Uni, dans laquelle la Cour a noté ce qui suit «l’article 3 [de la Convention européenne des droits de l’homme] énonce une prohibition absolue [des peines et traitements inhumains et dégradants] et d’après le paragraphe 2 de l’article 15, les États contractants ne peuvent y déroger, fût‑ce en cas de guerre ou d’autres dangers publics menaçant la vie de la nation. Nulle nécessité locale touchant au maintien de l’ordre public ne saurait non plus, aux yeux de la Cour, donner à l’un de ces États le droit d’user d’une peine contraire à l’article 3».

3.4En outre, il est stipulé à l’article 9 de la loi de 1903 portant réglementation de la flagellation qu’«une femme ne peut en aucun cas être condamnée à la flagellation…». À ce sujet, l’auteur affirme que si la dissuasion des crimes graves était l’objectif premier de la disposition, «une telle exception n’aurait pas de mise». Cette exception tend au contraire à mettre en évidence le caractère intrinsèquement inhumain et/ou dégradant de ce châtiment.

3.5L’auteur fait valoir que même à supposer que la flagellation ne soit pas une peine ou un traitement intrinsèquement cruel, inhumain ou dégradant, les circonstances particulières dans lesquelles elle est infligée à la Jamaïque sont contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il note que la législation jamaïcaine ne fixe pas la date à laquelle la peine doit être exécutée. À cet égard, il se réfère à la décision prise par la section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Pratt & Morgan v. Attorney General of Jamaica,    dans laquelle la section avait estimé que la durée passée en détention dans l’attente de l’exécution de la peine de mort constituait une peine ou un traitement inhumain et dégradant. Le même principe doit être appliqué à la flagellation. Il est affirmé que dans le cas de l’auteur, le fait qu’elle n’a été infligée que la veille de sa libération a constitué une peine ou traitement inhumain et dégradant. L’auteur fait valoir en outre que la non‑communication au prisonnier des modalités et de la date de l’exécution de la sentence a aggravé les effets de l’attente.

3.6L’auteur affirme en outre que la façon dont les coups de verge ont été donnés ainsi que l’identité des témoins de l’exécution de la peine et leur nombre, largement supérieur à ce qui était nécessaire pour assurer la sécurité, étaient humiliants en eux‑mêmes.

3.7Enfin, l’auteur affirme qu’en pratique cette peine est infligée, en plus de longues peines d’emprisonnement ou de travaux forcés, pour des crimes violents graves; dans ces circonstances, elle ne peut en aucun cas être dissuasive pour le détenu concerné. De plus, tout laisse à penser qu’elle n’a aucun effet dissuasif en général.

3.8L’auteur affirme que sa plainte telle qu’elle vient d’être formulée n’a été soumise à aucune autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.En dépit des rappels qui lui ont été adressés le 5 octobre 2000 et le 11 octobre 2001, l’État partie n’a fait aucune observation sur la recevabilité ou le fond de la communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que la communication a été soumise avant la date à laquelle la Jamaïque a dénoncé le Protocole facultatif le 23 octobre 1997, et qu’aucun obstacle ne s’oppose à la recevabilité à cet égard.

5.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui fait valoir que la flagellation au moyen d’une verge de tamarin constitue une peine cruelle, inhumaine et dégradante, le Comité relève que l’auteur affirme que, en pratique, il ne dispose d’aucun recours efficace et que même s’il disposait d’un tel recours en théorie il ne pourrait s’en prévaloir faute de ressources et parce que l’aide juridictionnelle n’est pas accordée pour les requêtes constitutionnelles. Le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il conclut donc qu’il n’y a aucun obstacle à ce qu’elle soit considérée comme recevable et procède à son examen quant au fond, en tenant compte des renseignements qui lui ont été fournis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en se fondant sur tous les renseignements qui lui ont été fournis par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation que l’État partie n’a communiqué aucune information pour clarifier les questions soulevées dans la communication. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie doit examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre lui et communiquer au Comité tous les renseignements dont il dispose. En l’absence de toute coopération de la part de l’État partie avec le Comité au sujet des questions soulevées, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées.

6.2Le Comité relève que l’auteur a formulé des allégations précises et détaillées au sujet du châtiment qui lui a été infligé. L’État partie n’y a pas répondu. Notant que l’auteur a été condamné à six coups de verge de tamarin, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle quel que soit le crime devant être puni et aussi violent qu’il puisse être, les châtiments corporels constituent un traitement ou une peine cruels, inhumains et dégradants contraires à l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut que le fait d’avoir prononcé une condamnation à la flagellation au moyen d’une verge de tamarin sur la personne de l’auteur a constitué une violation de ses droits garantis par l’article 7 du Pacte, de même que la façon dont la peine a été exécutée.

6.3L’auteur a invoqué le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte relativement au traitement qu’il a subi mais le Comité, ayant établi une violation de l’article 7 du Pacte (par. 6.2), n’a pas à examiner ce grief.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité estime que l’auteur a droit à un recours approprié sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se produisent plus et d’abroger les dispositions de la législation interne autorisant les châtiments corporels.

9.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication ayant été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Jamaïque du Protocole facultatif ne prenne effet − 23 janvier 1998 −, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie pour ce qui est de la présente affaire. En application de l’article 2 du Pacte, celui‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----