NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1576/2007

29 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quinzième session16 mars-9 avril 2009

DÉCISION

Communication n o 1576/2007

Présentée par:

Yussuf N. Kly (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

16 février 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 juillet 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

27 mars 2009

Objet: Mise à la retraite forcée de l’auteur pour des motifs considérés comme discriminatoires

Questions de procédure: Épuisement des recours internes; recours d’une durée déraisonnable; griefs non étayés

Question s de fond: Discrimination fondée sur l’âge et la race

Article s du Pacte: 2 (par. 1 et 3), 5, 7, 14 (par. 1 et 3 c), d) et e)), 20 et 26

Article s du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quinzième session

concernant la

Communication n o 1576/2007 **

Présentée par:

Yussuf N. Kly (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

16 février 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2009,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication, datée du 16 février 2007 et du 26 novembre 2007, est M. Yussuf N. Kly, de nationalité canadienne. Il se déclare victime de violations par le Canada de l’article 2, de l’article 5, de l’article 7, des paragraphes 1 et 3 c), d) et e) de l’article 14, de l’article 20 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’auteur est né le 25 octobre 1935 et a eu 65 ans le 25 octobre 2005. À cette époque, il était professeur à l’Université de Regina (Saskatchewan). En application de la Convention collective de l’Université et bien qu’il ait essayé de rester en service deux ans de plus, il a été obligé de prendre sa retraite le 30 juin 2001, au bout de douze années de service. Il fait valoir qu’il a été obligé de prendre sa retraite, contre son gré, ce qui représente une discrimination fondée sur l’âge, ainsi que sur l’ascendance, le lieu d’origine et la nationalité.

2.2Le 23 avril 2003, l’auteur a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan (SHRC) en faisant valoir que, en tant que minorité visible, il lui a fallu plus de dix ans après avoir obtenu son doctorat (PhD) pour avoir un emploi et qu’il avait donc besoin de travailler au-delà de l’âge de la retraite obligatoire de 65 ans. Une fois en poste à l’Université de Regina, il a obtenu le titre de professeur émérite, ce qui montre que ce n’était pas parce qu’il était incompétent qu’auparavant il ne pouvait pas trouver de travail. Dans sa réponse à la SHRC, l’Université de Regina a objecté que le Code des droits de la personne de la Saskatchewan définissait l’âge comme «tout âge supérieur à 18 ans mais inférieur à 65 ans». À son avis, par conséquent, l’âge de la retraite de 65 ans ne représentait pas une discrimination interdite par le Code et par l’article 3 («non-discrimination») de la Convention collective de l’Université de Regina. L’Université de Regina a fait valoir en outre que la politique de la mise à la retraite obligatoire s’appliquait à tous les membres visés par la Convention collective et que rien ne permettait de penser que l’auteur avait été obligé de prendre sa retraite en raison de son ascendance, de son lieu d’origine ou de sa nationalité.

2.3Le 22 juin 2004, la SHRC a fait savoir à l’auteur que son enquête était achevée et elle l’a informé le 24 mars 2005 que le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan était saisi d’une affaire (Louise Carlson c. Saskatoon Public Library Board and the Canadian Union of Public Employees, Local 2669) qui portait sur la question de la retraite obligatoire. En ce qui concerne la décision dans l’affaire de l’auteur, l’Université de Regina a indiqué à la SHRC qu’elle préférait attendre l’issue de l’affaire Carlson. Le 18 juillet 2005, la Commission a informé l’auteur que son dossier resterait en suspens jusqu’à ce que le tribunal rende sa décision dans l’affaire Carlson. Le 14 octobre 2005, un groupe de professeurs de l’Université de Regina opposés à la discrimination fondée sur l’âge, Mona Acker et l’auteur lui-même ont demandé à intervenir dans l’affaire Carlson. Ils ont obtenu un statut limité, leur permettant de participer au procès en présentant un mémoire écrit dans lequel ils exposeraient les effets que la décision sur le fond de l’affaire aurait pour l’organisation.

2.4En date du 1er novembre 2007, la SHRC a informé l’auteur de la décision rendue le 24 octobre 2007 par le tribunal dans la précédente affaire Carlson sur la retraite obligatoire. La plainte avait été déclarée irrecevable au motif que la Cour suprême du Canada avait déjà statué sur la question de la retraite obligatoire, et qu’il appartenait donc maintenant au pouvoir législatif de décider s’il y avait lieu de modifier la loi. Le 17 novembre 2007, des modifications aux dispositions relatives à l’âge du Code des droits de la personne de la Saskatchewan sont entrées en vigueur. Le 7 août 2008, le Banc de la Reine pour la Saskatchewan a rejeté l’appel formé par la SHRC dans l’affaire Carlson, considérant qu’il n’avait plus de raison d’être.

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur explique qu’il a décidé de ne pas porter l’affaire devant la justice parce que la SHRC lui a dit que la décision dans l’affaire dite affaire Carlson serait rendue rapidement et également faute de moyens financiers. Il souligne que cela fait plus de six ans qu’il attend une décision de la SHRC et qu’il n’a pas eu la possibilité d’être entendu. Il fait valoir que la longueur de la procédure devant la Commission fait que ce recours est inefficace et ne permet pas aux victimes de discrimination fondée sur l’âge et de discrimination systémique d’obtenir réparation. L’auteur souligne en particulier qu’il est âgé, en mauvaise santé et dans une situation financière difficile et avance qu’il ne devrait pas être tenu d’épuiser les recours internes.

3.2L’auteur fait valoir que sa mise à la retraite forcée de l’Université de Regina a constitué une discrimination fondée sur l’âge et une discrimination systémique parce que, en tant que membre d’une minorité visible, il lui a fallu attendre plus longtemps que d’autres pour obtenir un emploi. Il se déclare victime de violations du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte.

3.3L’auteur affirme qu’en laissant l’examen de son affaire de côté jusqu’à ce que la décision de principe dans l’affaire Carlson soit rendue, la SHRC a commis une violation du droit à un procès ou à une audience équitable, en particulier en raison du retard excessif dans l’examen de son affaire et de l’absence de toute audience pendant plus de six ans. Il se déclare victime d’une violation de l’article 5 du Pacte et des paragraphes 1 et 3 c), d) et e) de l’article 14.

3.4D’après l’auteur, le retard excessif et le jugement inéquitable rendu dans l’affaire Carlson font que le recours devant la SHRC est inefficace, ce qui représente une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. De surcroît, l’auteur affirme que dans le procès Carlson le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan a semblé ignorer les obligations internationales relatives aux droits de l’homme et que «le juge» semblait ne pas avoir respecté les règles d’impartialité et d’indépendance, ce qui peut constituer une violation des articles 5 et 20 du Pacte.

3.5L’auteur fait valoir qu’en refusant l’application rétroactive des nouvelles dispositions relatives à l’âge du Code des droits de la personne de la Saskatchewan aux affaires pendantes de retraite obligatoire, le tribunal a violé son droit à l’indemnisation ou à la restitution, et violé par là même l’article 2 du Pacte.

3.6L’auteur fait valoir aussi que le temps qui s’est écoulé avant que la SHRC ne prenne une décision dans son affaire, joint à la discrimination systémique, représente un traitement cruel, inhumain et dégradant en violation de l’article 7 du Pacte.

3.7Enfin, l’auteur fait valoir que dans l’affaire Carlson jugée par le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan, «le juge» semble avoir été grandement influencé par le souhait de l’Union canadienne des employés de la fonction publique et de l’Université de Regina qui voulaient économiser de l’argent dans les affaires de droits de l’homme. Il affirme que les principes d’indépendance et d’impartialité ont été violés par le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan. Il fait valoir que la SHRC ressemble davantage à un médiateur au service du Gouvernement et n’applique pas les droits de l’homme universels, ce qui peut constituer une violation non intentionnelle des paragraphes 1 et 2 de l’article 2 du Pacte.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 28 février 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. En complément des faits présentés par l’auteur, l’État partie précise que celui-ci avait été engagé par l’Université de Regina le 1er juillet 1993 et qu’il avait été promu professeur le 1er juillet 1998. Après sa mise à la retraite, le 30 juin 2001, l’auteur a obtenu un contrat de six mois, jusqu’au 31 décembre 2001. Du 31 décembre 2001 au 31 octobre 2004, il a occupé des fonctions non rémunérées de professeur adjoint et en février 2002 on lui a décerné le titre de professeur émérite.

4.2L’État partie relève en outre que le 27 août 2003 la plainte de l’auteur a été consignée officiellement et adressée à la fois à l’Université de Regina et à l’Association des professeurs de l’Université, malgré certaines réserves dues à la définition de l’âge figurant dans le Code des droits de la personne de la Saskatchewan et à l’absence d’éléments étayant le grief de discrimination systémique. Le 22 juin 2004, la SHRC a fait savoir qu’elle préférait attendre pour se prononcer que la décision ait été rendue dans l’affaire Carlson. L’Université de Regina et l’Association des professeurs de l’Université ont accepté que la décision soit ajournée et l’auteur lui‑même n’a pas soulevé d’objection.

4.3L’État partie signale que la SHRC a fait savoir qu’au début elle était optimiste et pensait que l’affaire Carlson serait tranchée rapidement et que son optimisme avait peut‑être été communiqué à l’auteur. La SHRC a souligné toutefois qu’elle avait expliqué à l’auteur que la procédure de plainte serait longue.

4.4L’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles comme l’exigent l’article 2 et le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, n’a pas montré que l’application des recours était d’une durée déraisonnable et n’a pas étayé ses griefs.

4.5L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas engagé d’action en justice quand il le fallait, ce qui lui aurait permis de contester la validité constitutionnelle de la définition de l’âge figurant dans le Code des droits de la personne de la Saskatchewan. Il souligne en particulier que deux autres professeurs de l’Université de Regina ont porté une affaire analogue en justice (Leeson c. University of Regina), devant la Cour du Banc de la Reine pour la Saskatchewan et qu’après le rejet de leur plainte ils avaient fait appel. L’État partie ajoute que l’auteur ne s’est pas non plus prévalu de la Convention collective de l’Université de Regina pour invoquer une discrimination. Cette procédure n’aurait certes pas pu modifier la Convention collective mais elle aurait permis de traiter des divergences liées au sens, à l’interprétation ou à l’application des dispositions de la Convention. L’État partie invoque également la jurisprudence du Comité dans l’affaire J. S. c. Canada, et fait valoir que dans la présente affaire, les griefs de l’auteur sont toujours pendants devant la SHRC et que les recours internes n’ont donc pas été épuisés. Il relève aussi que, comme l’a noté le Comité dans les affaires A et S. N. c. Norvège et Adu c. Canada, les doutes que peut avoir l’auteur au sujet de l’utilité des recours internes ne le dispensent pas de l’obligation de les former et de les épuiser. De plus, l’État partie conteste toute similitude entre la situation de l’auteur et le cas de l’auteur de la communication Ramirez c. Uruguay, dans laquelle l’État partie ne donnait qu’une description générale des recours disponibles sans préciser quels étaient ceux qui étaient ouverts à l’auteur.

4.6En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui fait valoir que le recours devant la SHRC était d’une durée déraisonnable, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il s’était présenté pour la première fois devant le bureau de la Commission le 12 décembre 2002 alors que la date de sa retraite était le 30 juin 2001 et que son contrat de six mois à l’Université avait expiré le 31 décembre 2001. L’État partie fait valoir en outre que l’auteur tablait uniquement sur sa plainte auprès de la SHRC et n’a donc pas utilisé d’autres voies de recours possibles, sans montrer pourquoi la procédure en vertu de ces recours aurait été d’une durée excessive. De plus, l’auteur n’a pas soulevé d’objection quand il a appris que sa plainte serait laissée en suspens jusqu’à ce que l’affaire Carlson soit tranchée, alors qu’il aurait pu demander à la SHRC de l’examiner. L’État partie estime qu’il faudrait appliquer à la présente communication le principe retenu dans la communication Dupuy c. Canada étant donné que l’auteur n’a pas porté devant une autorité officielle ses griefs concernant les retards dans la plainte au titre du Code des droits de la personne de la Saskatchewan.

4.7En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme avoir été victime d’une discrimination systémique en donnant à entendre que parce qu’il appartient à une minorité visible il lui a fallu attendre plus longtemps que d’autres pour obtenir un emploi, l’État partie objecte que l’auteur n’a donné aucun renseignement sur les démarches qu’il avait faites pour obtenir un emploi après avoir obtenu son doctorat et qu’il n’a apporté aucun élément permettant d’établir un lien entre son statut de minorité visible et la situation qu’il dit avoir connue en ce qui concerne son travail. L’État partie fait valoir que le grief de discrimination systémique ou de conséquences négatives (art. 2 du Pacte) est une simple allégation qui n’est pas étayée et qui devrait donc être déclarée irrecevable en application de l’article 96 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.8L’État partie fait valoir que les griefs de violation des articles 2 et 14 du Pacte ne sont pas étayés et devraient donc être déclarés irrecevables également. Il estime que l’auteur n’a pas montré pourquoi la SHRC aurait empêché que sa cause soit entendue dans un procès ou une audience équitable, se limitant à affirmer que la SHRC l’a mis dans une situation qui lui a fait croire qu’il ne lui était pas possible d’engager une action en justice après avoir attendu si longtemps sa décision. L’État partie relève que, malgré les difficultés créées par la définition de l’âge qui figure dans le Code des droits de la personne de la Saskatchewan, la SHRC a fait preuve de réceptivité à l’égard des griefs des particuliers qui s’estimaient lésés par les dispositions concernant la retraite obligatoire, en avançant l’affaire Carlson. Il ajoute que la SHRC a informé l’auteur de ces difficultés. Pour l’État partie, le grief de violation non intentionnelle des paragraphes 1 et 2 de l’article 2 du Pacte tiré de la nature de cette commission des droits de la personne et de son inadéquation pour protéger les droits de l’homme internationalement reconnus est dénué de fondement.

4.9En ce qui concerne l’allégation de manque d’indépendance ou d’impartialité du «juge» du tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan dans l’affaire Carlson, l’État partie objecte que l’auteur n’a donné aucun élément à l’appui de cette allégation. Le grief de l’auteur qui affirme que le tribunal a été influencé par ce qu’il appelle la volonté de l’Auditeur général d’économiser et la volonté de l’Union canadienne des salariés de la fonction publique et de l’Université de Regina de ne pas dépenser d’argent pour les affaires de droits de l’homme n’est pas fondé et l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dans l’affaire Robinson c. Jamaïqueoù le Comité a affirmé qu’il ne pouvait examiner la conduite d’un procès que s’il y avait de toute évidence arbitraire ou déni de justice ou violation manifeste de l’obligation d’impartialité de la part du juge. L’auteur fait une allégation très générale et ne donne aucun élément qui pourrait laisser penser que le tribunal ait été influencé par des préjugés, qu’il ait eu des idées préconçues au sujet de l’affaire Carlson, qu’il ait agi d’une manière favorable aux intérêts de l’une des parties ou encore qu’un observateur raisonnable puisse le qualifier de partial.

4.10Pour ce qui est du fond, l’État partie note que le grief de discrimination systémique n’est pas suffisamment étayé étant donné que l’auteur ne donne aucun élément pour montrer que la retraite obligatoire a eu des conséquences négatives plus graves pour lui parce qu’il est d’ascendance africaine-américaine. En ce qui concerne le grief relatif à la discrimination fondée sur l’âge, l’État partie rappelle l’Observation générale no 18 du Comité et sa jurisprudence relative à la discrimination fondée sur l’âge et fait valoir que la définition de l’âge, telle qu’elle était donnée dans le Code des droits de la personne de la Saskatchewan avant la modification législative de novembre 2007, reposait sur des critères raisonnables et objectifs. En ce qui concerne la durée de la procédure devant la SHRC, l’État partie objecte que la complexité de l’affaire ainsi que le comportement des parties expliquent la durée de cette procédure. Il fait valoir que l’auteur avait été informé des obstacles juridiques importants qui se présentaient, en particulier la définition de l’âge figurant dans le Code, l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Mc Kinney et le fait que l’examen de son affaire dépendait de l’issue de l’affaire Carlson. Enfin, l’État partie fait valoir que l’anxiété tenant à la durée d’une procédure ne suffit pas à représenter une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1En ce qui concerne les recours internes, l’auteur réaffirme que le recours devant la SHRC était d’une durée excessive et explique qu’avant sa mise à la retraite forcée il avait sollicité une audience devant l’Association des professeurs de l’Université de Regina pour expliquer sa situation, en particulier la discrimination dont il avait déjà été victime en tant que minorité visible pour obtenir un emploi qui lui donnerait droit à une pension de retraite. Il affirme que cette audience lui a été refusée trois fois. Pour ce qui est du temps écoulé avant qu’il ne se présente au bureau de la SHRC, l’auteur fait valoir que jusqu’à la fin de son contrat de six mois, il espérait un emploi à l’Université de Durban Westville avec laquelle il avait négocié un accord d’échange avec une contribution financière de l’Université de Regina. Quand il s’était rendu compte qu’il n’avait aucune chance d’obtenir une prolongation de son contrat, il dit qu’il a essayé, mais en vain, de trouver un avocat pratiquant des tarifs abordables afin de porter l’affaire devant la justice canadienne; il travaillait comme consultant en vertu d’un contrat de courte durée au Département de la justice de la Saskatchewan, il avait rassemblé des éléments à l’appui de son grief de discrimination systémique et il avait besoin d’être hospitalisé. L’auteur explique aussi que selon les estimations une action devant les tribunaux ordinaires lui aurait coûté plus du tiers de sa pension. L’argument financier conjugué à l’appréciation optimiste de la SHRC l’ont conduit à porter sa plainte uniquement devant cette dernière. L’auteur souligne que les autorités n’ont pas agi avec la diligence nécessaire, ce qui a considérablement retardé le règlement de son affaire.

5.2L’auteur réaffirme que l’optimisme de la SHRC, qui avait estimé que l’affaire Carlson serait tranchée rapidement, et l’estimation du coût d’une action devant les juridictions canadiennes ordinaires l’ont empêché de déposer une plainte en justice. Cela, joint à la lenteur de la procédure dans l’affaire Carlson devant le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan et à l’absence d’audience consacrée à sa plainte, a constitué une violation du droit à un procès ou à une audience équitable. D’après l’auteur, l’État partie n’a pas donné au Comité une explication satisfaisante pour justifier le retard pris à traiter son affaire.

5.3L’auteur maintient en outre que la SHRC ne semble pas avoir été créée pour vérifier le respect de la Constitution quand elle est saisie de plaintes pour violations des droits de l’homme. Il dit que la Commission ne lui a pas demandé d’autres preuves pour étayer son grief de discrimination systémique et ne s’est occupée que du grief relatif à la discrimination fondée sur l’âge. Il a suivi les conseils de l’enquêteur de la SHRC et n’a donc pas insisté sur la plainte pour discrimination systémique car il avait l’impression que la plainte pour discrimination fondée sur l’âge donnerait lieu à réparation. Il ajoute que la SHRC a manqué à son obligation d’informer correctement les victimes de toutes les options que la loi leur offre.

5.4En ce qui concerne le grief de discrimination systémique, l’auteur avance que des données statistiques confirment que les personnes appartenant à une minorité visible attendent beaucoup plus longtemps que les autres avant d’obtenir un emploi. Il fait valoir qu’il a reçu plus d’une centaine de lettres de refus de la part d’universités canadiennes; quand on lui a refusé un poste à l’Université de Windsor, il a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de l’Ontario et l’affaire s’est soldée par un règlement à l’amiable en vertu duquel l’Université promettait que sa candidature serait prise en considération à la première occasion, ce qui toutefois ne s’est jamais concrétisé.

5.5L’auteur maintient que le retard excessif pris à traiter son affaire, l’absence d’audience équitable et le sentiment d’être de nouveau victime d’une discrimination systémique fondée sur son appartenance à une minorité sont à l’origine d’une souffrance psychique, d’une grande anxiété, d’un sentiment de peur ce qui, avec l’issue négative de l’affaire Carlson, l’a plongé dans un désarroi complet et au total, équivaut à un traitement cruel, inhumain et dégradant.

5.6L’auteur affirme en outre que le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan manquait d’indépendance et d’impartialité et semblait avoir été guidé par la volonté de trancher des affaires de droits de l’homme sans qu’il y ait d’incidences financières. L’auteur rapporte une rumeur selon laquelle des membres du personnel du bureau de l’Auditeur général auraient dit que, dans une affaire différente, il fallait faire durer le procès jusqu’au décès de la victime.

5.7Enfin, l’auteur souligne qu’en modifiant la disposition discriminatoire du Code des droits de la personne de la Saskatchewan, le Gouvernement a reconnu que la discrimination fondée sur l’âge était incompatible avec les obligations internationales relatives aux droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que la plainte de l’auteur est toujours pendante devant la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan (SHRC). Il prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas engagé d’action devant les tribunaux ordinaires et qu’il ne s’est pas non plus prévalu de la procédure de plainte prévue par la Convention collective de l’Université de Regina. Il note en outre que l’auteur fait valoir qu’il a décidé de ne pas porter l’affaire devant les tribunaux ordinaires parce que la SHRC était optimiste quant à une décision rapide dans l’affaire Carlson et parce qu’il n’avait pas les moyens financiers. Le Comité note également que l’auteur dit qu’il a demandé, en vain, à être entendu par l’Association des professeurs de l’Université de Regina.

6.4En ce qui concerne les allégations de violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que des considérations financières ou des doutes quant à l’efficacité d’un recours interne ne dispensent pas l’auteur d’une communication d’épuiser les voies de recours. Il conclut que, tant que la plainte est pendante devant la SHRC et eu égard à la décision de l’auteur de ne pas engager d’action devant les tribunaux ordinaires, les recours internes pour faire valoir un grief de discrimination fondée sur l’âge et de discrimination systémique, en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte, n’ont pas été épuisés. De plus, les auditions de la SHRC n’ont pas le caractère d’un «recours judiciaire». Le Comité conclut en outre que, même si la SHRC a manifesté au départ un certain optimisme quant à une décision rapide dans l’affaire Carlson, l’État partie ne peut pas être tenu pour responsable du manquement de l’auteur qui n’a pas engagé d’action devant les tribunaux ordinaires et que, conformément à la jurisprudence du Comité, le fait de ne pas respecter le délai légal pour le dépôt d’une plainte signifie que les recours internes ne sont pas épuisés. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que le droit à un procès ou à une audience équitable et le droit à un recours utile ont été violés, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas montré quels autres recours ont eu une durée excessive et qu’il n’a pas soulevé d’objection quand la SHRC a décidé de laisser son affaire en suspens en attendant la décision dans l’affaire Carlson. Le Comité relève également des faits incontestés: l’auteur s’est présenté pour la première fois à la SHRC le 12 décembre 2002, et le 22 juin 2004 il n’a pas soulevé d’objection quand celle‑ci a annoncé qu’elle n’examinerait l’affaire que quand la décision dans l’affaire Carlson serait rendue. Le Comité note aussi que la SHRC a tenu l’auteur en permanence informé de l’état d’avancement de l’affaire Carlson.

6.6L’auteur n’a pas soulevé d’objection quand la Commission a décidé d’attendre l’issue de l’affaire Carlson, alors qu’elle l’avait informé qu’une décision définitive ne serait pas rendue avant très longtemps. L’auteur ne semble pas non plus avoir demandé à la Commission de l’entendre et il n’a pas davantage fait de démarches auprès des autorités nationales pour se plaindre de la lenteur de la procédure menée par la Commission. Le Comité en conclut que l’auteur avait donné son assentiment à la prolongation de la durée de la procédure engagée devant la SHRC. Il ne peut donc pas conclure que les recours internes qui, d’après les deux parties, sont en cours, ont été d’une durée excessive au point de dispenser l’auteur de l’obligation de les épuiser. Le Comité constate ainsi que les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 14, le Comité note que les dispositions de cet article ne s’appliquent qu’à une action pénale, qui n’est pas en jeu dans la présente affaire. Ce grief est incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, et est donc irrecevable ratione materiae.

6.8Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, en quoi l’anxiété causée par la durée de la procédure devant la SHRC pourrait être équivalente à une torture ou à un traitement inhumain ou dégradant. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Enfin, en ce qui concerne les griefs relatifs au procès Carlson mené par le tribunal des droits de la personne de la Saskatchewan et à la nature de la Commission des droits de la personne que l’État partie a instituée dans la province de la Saskatchewan, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, le grief de partialité et de manque d’indépendance du tribunal qui a jugé l’affaire Carlson. Il n’a pas davantage étayé le grief de violation non intentionnelle des paragraphes 1 et 2 de l’article 2 du Pacte à cet égard. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----