NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/QAT/CO/125 juillet 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-sixième session1er-19 mai 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

QATAR

1.Le Comité a examiné le rapport initial du Qatar (CAT/C/58/Add.1) à ses 707e et 710e séances, les 9 et 10 mai 2006 (CAT/C/SR.707 et CAT/C/SR.710), et a adopté les conclusions et recommandations suivantes à sa 722e séance, le 18 mai 2006 (CAT/C/SR.722).

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Qatar ainsi que la possibilité d’engager un dialogue constructif avec les représentants de l’État partie. Il regrette toutefois que ce rapport, attendu le 10 février 2000, ait été soumis avec plus de quatre ans de retard. En outre, il note que le rapport n’est pas pleinement conforme aux directives du Comité relatives à l’élaboration des rapports initiaux, et qu’il manque à la fois le document de base et les informations sur la façon dont les dispositions de la Convention sont appliquées concrètement dans l’État partie. Ce rapport initial consiste essentiellement en une présentation des dispositions légales plutôt qu’en une analyse de la mise en œuvre de la Convention étayée par des exemples et des statistiques.

B. Aspects positifs

3.Le Comité prend acte des efforts considérables déployés actuellement par l’État partie pour réformer son système judiciaire et ses institutions et accueille avec satisfaction l’affirmation de la délégation selon laquelle les autorités politiques de l’État, au plus haut niveau, ont la volonté de promouvoir et de protéger les droits de l’homme, en particulier ceux garantis par la Convention.

4.Le Comité se félicite en outre de l’adoption de la nouvelle Constitution, entrée en vigueur le 9 juin 2005, qui contient des garanties en matière de droits de l’homme et dont on notera qu’elle énonce, dans son article 36, que nul ne peut être soumis à la torture ou à un traitement dégradant et que la torture est un délit punissable par la loi.

5.Le Comité prend note avec intérêt de la création, par le décret-loi no 38 de 2002, de la Commission nationale des droits de l’homme, chargée de promouvoir et de garantir le respect des droits de l’homme, d’enquêter sur les éventuelles violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales en vue d’y remédier, et de collaborer avec les organisations internationales et régionales œuvrant dans le domaine des droits de l’homme.

6.De plus, le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour lutter contre la traite des êtres humains, notamment la loi no 22 de 2005 qui interdit de recruter des enfants en tant que jockeys pour les courses de chameaux, et pour garantir la réadaptation et l’indemnisation des victimes.

7.En outre, le Comité prend acte de la création en 2003 d’une institution nationale de protection de la mère et de l’enfant et de la mise en place de plusieurs permanences téléphoniques à l’intention des victimes d’actes de violence.

8.Le Comité se félicite de la coopération de l’État partie avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et de la création du Centre de formation et de documentation des Nations Unies sur les droits de l’homme pour l’Asie du Sud-Ouest et la région arabe.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité est préoccupé par le caractère général et imprécis de la réserve émise par l’État partie à propos de la Convention, dans laquelle il fait globalement référence à son droit national sans en préciser le contenu et sans indiquer clairement dans quelle mesure il a accepté la Convention, ce qui soulève des questions quant à la mesure dans laquelle il honore, d’une manière générale, les obligations qui en découlent.

Tout en accueillant avec satisfaction la déclaration du représentant de l’État partie, selon laquelle la réserve émise au sujet de la Convention ne nuira pas au plein exercice de l’ensemble des droits qui y sont garantis, le Comité recommande à l’État partie d’envisager de réexaminer sa réserve en vue de la lever.

10.Il n’existe pas de définition complète de la torture dans le droit interne qui corresponde à celle qui est donnée à l’article premier de la Convention. Les références à la torture dans la Constitution ou aux actes de cruauté et aux actes qui causent un préjudice dans d’autres textes du droit interne, notamment le Code pénal et le Code de procédure pénale, sont imprécises et incomplètes.

L’État partie devrait adopter, dans sa législation pénale, une définition de la torture qui soit conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention, y compris en ce qui concerne les motifs qui y sont énoncés, et devrait veiller à ce que tous les actes de torture soient érigés en infractions pénales et que des sanctions appropriées soient prévues pour leurs auteurs.

11.Le Comité s’inquiète en outre des menaces qui pèsent dans la pratique sur l’indépendance des juges, dont une large proportion sont des ressortissants étrangers. Le fait que les permis de séjour des juges étrangers soient délivrés par les autorités civiles exerce une certaine pression sur les juges en créant un sentiment de malaise quant à la sécurité de leur emploi et l’impression de devoir indûment dépendre du bon vouloir de ces autorités. Par ailleurs, bien qu’en vertu de la Constitution toutes les personnes soient égales devant la loi, il existe tout un ensemble de protections qui ne s’appliquent qu’aux citoyens. En outre, l’État partie ne précise pas le nombre de femmes travaillant dans la magistrature, ni la nature de leurs compétences.

L’État partie devrait adopter des mesures efficaces pour garantir la pleine indépendance de sa magistrature, conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature. Il devrait également prendre des mesures destinées à garantir que les femmes juges puissent siéger et intervenir dans les mêmes juridictions que leurs homologues masculins.

12.Certaines dispositions du Code pénal autorisent les autorités judiciaires et administratives à infliger des peines comme la flagellation et la lapidation en guise de sanction pénale. Or ces pratiques violent les dispositions de la Convention. Le Comité note avec intérêt que les autorités compétentes envisagent actuellement de modifier la loi sur les prisons en vue d’abolir la flagellation.

L’État partie devrait revoir les dispositions du Code pénal qui autorisent les autorités judiciaires et administratives à recourir à ces pratiques interdites à titre de sanctions pénales, en vue de les abolir sans délai.

13.Le Comité s’inquiète de l’absence de dispositions légales interdisant expressément l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. En outre, il n’existe pas non plus dans le droit interne de dispositions prévoyant d’accorder l’asile ou le statut de réfugié et donc une protection aux personnes concernées.

L’État partie devrait veiller au respect, en droit et dans la pratique, des obligations énoncées à l’article 3 de la Convention en toute circonstance, et incorporer pleinement dans son droit interne des dispositions régissant l’asile et le statut de réfugié.

14.En ce qui concerne leur droit à ne pas faire l’objet de pratiques violant les dispositions de la Convention, les nationaux et les étrangers se voient appliquer des régimes différents, en droit comme dans la pratique, notamment en ce qui concerne le droit fondamental de dénoncer ces pratiques.

L’État partie devrait veiller à ce que la Convention et ses dispositions s’appliquent à tous les actes portant atteinte à la Convention, commis sur tout territoire sous sa juridiction, dispositions qui garantissent que toutes les personnes bénéficient, dans la même mesure et sans discrimination, des droits qui y sont énoncés.

15.Il n’y a apparemment ni action éducative ni information sur l’interdiction de la torture et les agents de l’État ont une connaissance insuffisante des dispositions de la Convention.

L’État partie devrait faire en sorte que des formations et des programmes soient organisés à l’intention des agents des forces de l’ordre, des personnels civils, militaires et médicaux, des agents de l’État et autres personnes susceptibles d’intervenir pendant la garde à vue, les interrogatoires ou le traitement de tout individu privé de liberté, afin de les sensibiliser aux conséquences physiques de la torture, de leur donner les moyens de respecter l’interdiction absolue de pratiquer la torture et de s’attacher à mener des enquêtes rapidement et efficacement sur toute plainte dénonçant de tels actes. Le Comité engage aussi l’État partie à tenir compte des questions liées aux différences entre les sexes et à veiller à l’organisation de programmes de formation à l’intention des personnels médicaux qui interviennent dans le processus de réadaptation.

16.Des détenus font l’objet de restrictions quant à leur droit de communiquer avec un avocat, de consulter un médecin indépendant et/ou d’entrer en contact avec leur famille. Par exemple, malgré les dispositions du Code de procédure pénale exigeant que la personne interpellée soit inculpée ou libérée dans les 48 heures, il existe des cas de placement en détention pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire parfois jusqu’à deux ans, au titre de la loi sur la protection de la société qui ne prévoit pas le droit de communiquer avec un avocat ou avec sa famille pendant cette longue période. De plus, des allégations de traitement inégal des non‑ressortissants au moment de leur arrestation et pendant leur détention suscitent des inquiétudes.

L’État partie devrait faire en sorte que, en droit et dans la pratique, toutes les personnes placées en détention ou en garde à vue aient la possibilité de communiquer sans délai avec un avocat et avec un médecin indépendant, et d’informer un membre de leur famille de leur placement en détention, ces dispositions importantes étant des garanties contre les actes de torture et les mauvais traitements.

17.La Commission nationale des droits de l’homme a entamé la visite des lieux de détention, ce qui peut constituer une étape importante sur la voie d’un meilleur respect des obligations découlant de la Convention dans l’État partie. Le Comité s’interroge toutefois sur l’efficacité et la fréquence des visites, se demande si les plaintes font l’objet d’enquêtes approfondies engagées dans les meilleurs délais, si les membres de la Commission peuvent entrer en contact avec tous les détenus et si les rapports de la Commission sont rendus publics. En outre, dans la mesure où la majorité des membres de la Commission nationale des droits de l’homme sont de hauts fonctionnaires de l’État, on peut se demander si la Commission peut être totalement indépendante.

L’État partie devrait faire en sorte que toutes les activités de la Commission nationale des droits de l’homme soient totalement conformes aux principes régissant les institutions nationales de défense des droits de l’homme (Principes de Paris), notamment en matière d’indépendance.

18.Selon certaines informations, aucune indemnisation ne serait octroyée, dans la pratique, aux victimes d’actes de torture.

L’État partie devrait garantir que toutes les personnes ayant été victimes d’actes de torture bénéficient d’une indemnisation équitable et adéquate, y compris des moyens nécessaires à une réadaptation complète.

19.Dans son rapport, l’État partie ne donne pas d’informations sur les plaintes individuelles déposées, faisant état d’actes de torture ou de mauvais traitements, ni sur les résultats des enquêtes ou des poursuites liées à des dispositions de la Convention.

L’État partie devrait, dans son prochain rapport périodique, fournir des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, nationalité, appartenance ethnique et sexe, sur les plaintes liées à des actes de torture et à des mauvais traitements qui auraient été commis par des agents des forces de l’ordre ou autres, et sur les enquêtes, poursuites, sanctions pénales et disciplinaires auxquelles elles ont donné lieu, ainsi que des informations sur les mesures d’indemnisation et de réadaptation prises en faveur des victimes.

20.Le Comité est préoccupé par les violences subies par les travailleurs migrants et par l’absence de mesures de protection des employés à risque, en particulier des employées de maison qui affirment avoir été victimes de violences sexuelles et sont enfermées chez leur employeur et/ou empêchées de déposer des plaintes en vertu de dispositions de la Convention.

L’État partie devrait prendre des mesures visant à prévenir la violence à l’égard des travailleurs migrants sur son territoire, et plus particulièrement la violence sexuelle à l’égard des employées de maison, en donnant la possibilité à ces travailleurs de porter plainte et en veillant à ce que ces cas soient examinés et jugés dans les meilleurs délais et en toute impartialité.

21.Selon certaines informations, des personnes détenues ou privées de liberté subiraient des fouilles corporelles approfondies et humiliantes, en violation de la Convention.

L’État partie devrait prendre sans délai des mesures visant à garantir le respect des droits fondamentaux de toute personne faisant l’objet d’une fouille corporelle et veiller à ce que les fouilles soient menées conformément aux normes internationales, notamment la Convention.

22.Il n’existe pas de loi spéciale protégeant les femmes contre la violence familiale et, si de nombreux cas ont été rapportés en 2005, aucun n’a donné lieu à des arrestations publiques ou à des poursuites.

Compte tenu du Plan d’action national de prévention de la violence familiale de 2003, l’État partie devrait mettre en œuvre des mesures visant à prévenir et à sanctionner la violence à l’égard des femmes, notamment à établir des normes de preuve équitables.

23.Le Comité note qu’un grand nombre des questions qu’il a posées sont restées sans réponse et rappelle à l’État partie qu’il souhaite recevoir des informations supplémentaires par écrit dans les meilleurs délais.

24.Le Comité demande à l’État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, âge, sexe et nationalité, sur les plaintes se rapportant à des actes de torture et à des mauvais traitements et sur les enquêtes, poursuites, sanctions pénales et disciplinaires qui ont suivi. De plus, l’État partie devrait également lui fournir des informations sur les résultats des mesures prises pour détecter la violence sexuelle dans les lieux de détention ainsi que sur toute démarche visant à aider les personnes à déposer des plaintes confidentiellement. L’État partie est également invité à donner au Comité des renseignements sur les formations, les programmes et les évaluations mis en place.

25.Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

26.L’État partie devrait diffuser largement son rapport, ainsi que les conclusions et recommandations du Comité et les comptes rendus analytiques de celui-ci, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

27.Le Comité demande également à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12, 15, 16, 20 et 21 ci-dessus.

28.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique avant le 10 février 2008, date à laquelle est dû le deuxième rapport périodique.

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