Nations Unies

CAT/C/BOL/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 juin 2013

Français

Original: espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique de l’État plurinational de Bolivie, adoptéespar le Comité à sa cinquantième session (6-31 mai 2013)

Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de l’État plurinational de Bolivie(CAT/C/BOL/2), à ses 1148e et 1151e séances (CAT/C/SR.1148 et 1151), les 16 et 17 mai 2013, et a adopté les observations finales ci-après à ses 1165e et 1166e séances (CAT/C/SR.1165 et 1166), les 29 et 30 mai 2013.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du deuxième rapport périodique de l’État plurinational de Bolivie, mais constate avec regret que ce rapport a été soumis avec sept ans de retard et qu’il n’est qu’en partie conforme aux directives générales du Comité concernant la forme et le contenu des rapports périodiques (CAT/C/14/Rev.1).

Le Comité sait gré à l’État partie des réponses écrites (CAT/C/BOL/Q/2/Add.2) que celui-ci a données en réponse à la liste des points à traiter (CAT/C/BOL/Q/2/Add.1), ainsi que des informations complémentaires fournies pendant l’examen du rapport périodique. Il se félicite aussi du dialogue qu’il a eu avec la délégation, mais constate avec regret que certaines questions posées à l’État partie sont restées sans réponse.

B.Aspects positifs

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 14 février 2006, et d’avoir ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le 23 mai 2006.

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie, depuis l’examen de son rapport initial en mai 2001, a adhéré aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme suivants ou les a ratifiés:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (3 juin 2003);

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (22 décembre 2004);

c)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (17 décembre 2008);

d)La Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant (16 novembre 2009).

Le Comité prend note avec satisfaction des réformes apportées par l’État partie à sa législation, dont:

a)La promulgation, le 9 février 2009, de la Constitution politique de l’État, qui établit le cadre général de la protection des droits de l’homme, fondamentalement sous son titre II (Droits fondamentaux et garanties);

b)La promulgation de la loi no 358 du 17 avril 2013 portant ratification du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort;

c)La promulgation de la loi générale no 348 du 27 février 2013 visant à garantir aux femmes une vie sans violence;

d)La promulgation de la loi générale no 263 du 31 juillet 2012 relative à la lutte contre la traite des personnes;

e)La promulgation de la loi no 251 du 20 juin 2012 relative à la protection des réfugiés, et l’adoption de son règlement d’application (décret suprême 1440 du 19 décembre 2012), et la promulgation de la loi no 370 du 8 mai 2013 relative aux migrations;

f)La loi no 073 du 29 décembre 2010 relative aux compétences juridictionnelles;

g)La loi no 045 du 8 octobre 2010 relative à la lutte contre le racisme et toutes formes de discrimination;

h)La loi no 025 du 24 juin 2010 relative à l’organe judiciaire;

i)La loi no 3760 du 7 novembre 2007 élevant au rang de loi la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones;

j)L’adoption de la loi no 2640 du 11 mars 2004 relative aux réparations exceptionnelles pour les victimes des violences politiques commises sous les gouvernements inconstitutionnels, modifiée par la loi no 238 du 30 avril 2012, et l’adoption de la loi no 3955 du 6 novembre 2008 intitulée «loi en faveur des victimes des événements de février, septembre et octobre 2003».

Le Comité salue aussi les efforts réalisés par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme et appliquer la Convention, en particulier l’adoption du Plan d’action national pour les droits de l’homme 2009-2013 (décret suprême no 29851 du 10 décembre 2008).

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Infraction de torture et définition

Le Comité note avec préoccupation que, malgré ses observations finales précédentes (A/56/44, par. 89 à 98), l’État partie n’a toujours pas introduit dans sa législation pénale une définition de l’infraction de torture qui soit conforme aux dispositions de la Convention. Il prend note de l’existence d’un avant-projet de réforme du Code pénal où il est envisagé de modifier l’article 295 (Tortures et mauvais traitements), mais constate que cet avant-projet présente des lacunes importantes dans sa rédaction actuelle, notamment en ce qui concerne la mention du caractère intentionnel dans la définition de base de l’infraction et les motivations de la torture en tant que circonstances aggravantes. De plus, tel qu’il est formulé, l’avant-projet n’envisage pas les actes de torture commis aux fins d’intimider une tierce personne ou de faire pression sur elle, ni les actes de torture infligés par celui qui, sans être fonctionnaire, agit à titre officiel (art. 1 et 4).

Le Comité rappelle sa recommandation antérieure (par. 97, al.  a ), tendant à ce que l ’ État partie intègre dans sa législation pénale la définition de la torture énoncée à l ’ article premier de la Convention. La législation pénale devrait mentionner clairement l ’ intention de l ’ infraction, préciser les circonstances aggravantes, inclure la tentative de torture, ainsi que les actes commis aux fins d ’ intimider une personne ou une tierce personne ou de faire pression sur elle, et les actes infligés par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son Observation générale n o  2 (2007), relative à l ’ application de l ’ article 2 par les États parties, dans laquelle il souligne que la définition distincte de l ’ infraction de torture a une valeur préventive (CAT/C/GC/2, par. 11).

De plus, l ’ État partie devrait prévoir des peines appropriées qui prennent en considération la gravité des infractions, c onformément aux dispositions du  paragraphe 2 de l ’ article 4 de la Convention.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité prend note des informations données par la délégation de l’État partie au sujet des textes qui régissent les droits reconnus aux détenus pendant les premiers stades de la détention. Néanmoins, il regrette le manque d’informations sur les mesures adoptées et les procédures existantes qui permettent, dans la pratique, de garantir ces droits à toute personne privée de liberté. L’État partie n’explique pas non plus pour quelle raison il lui a été difficile d’appliquer la recommandation antérieure relative à la création de registres publics de toutes les personnes privées de liberté, dans lesquels doivent être indiqués l’autorité qui a ordonné le placement en détention, les motifs de cette décision et l’état de la procédure concernant l’intéressé (A/56/44, par. 97, al. c). À cet égard, le Comité note avec préoccupation que l’article 296 du Code de procédure pénale exige seulement des membres de la police qu’ils consignent dans le registre le lieu, le jour et l’heure du placement en détention (art. 2).

L’État partie doit:

a) Adopter des mesures efficaces pour garantir que toute personne placée en détention dispose, dans la pratique et dès le début de la privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales, dont le droit d ’ être informée des motifs de sa détention, de consulter un avocat, de prévenir des proches ou d ’ autres personnes de son choix, et d ’ être rapidement soumise à un examen médical indépendant. Le Comité engage l ’ État partie à redoubler d ’ effor ts pour étendre et améliorer la  couverture du Service national de défense publique;

b) Vérifier systématiquement, par des contrôles et des inspections, le respect de l ’ obligation de tenir un registre des privations de liberté conforme aux dispositions de l ’ Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d ’ emprisonnement (résolution 43/173 de l ’ Assemblée générale en date du 9 décembre 1988).

Plaintes pour torture et mauvais traitements

D’après les données fournies par l’État partie, entre 2001 et 2012 la police bolivienne a traité 42 affaires de «tortures et mauvais traitements» (art. 295 du Code pénal) concernant 28 hommes et 14 femmes, tandis que le ministère public a enregistré 36 plaintes, déposées par 31 hommes et 5 femmes, de mars 2006 à février 2013. Pour sa part, la Direction générale de l’administration pénitentiaire n’a eu connaissance que de quatre cas individuels de torture ou mauvais traitements infligés sur des mineurs de sexe masculin dans le centre de réadaptation de Qaluama (Viacha) au cours de la période considérée. Ces données contrastent avec les renseignements donnés par le Bureau du Défenseur du peuple qui, dans son rapport au Comité, indique qu’il a examiné, de 2007 à 2012, 3 784 plaintes pour torture ou mauvais traitements, qui ont donné lieu à l’adoption de 91 décisions de sa part (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie doit établir un mécanisme indépendant spécifiquement chargé de recevoir les plaintes pour torture et mauvais traitements, afin que celles-ci puissent être examinées promptement et de manière impartiale. Il doit aussi revoir l ’ efficacité du mécanisme interne de plaintes à la disposition des personnes privées de liberté.

Le Comité renouvelle sa recommandation antérieure (par. 97, al.  e ), dans laquelle il priait instamment l ’ État partie de mettre en place un registre centralisé et public des plaintes pour torture et mauvais traitements, permettant de consigner des informations sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les sanctions pénales ou disciplinaires prises.

Enquêtes et poursuites judiciaires

Le Comité est préoccupé par les retards pris dans l’instruction et l’examen des affaires pénales dans la plupart des cas individuels de mauvais traitements, torture, usage excessif de la force et décès en détention qui ont été portés à l’attention de l’État partie dans la liste des points à traiter (CAT/C/BOL/Q/2/Add.1, par. 22 et 27). Le Comité fait sienne la préoccupation du Bureau du Défenseur du peuple au sujet de la prescription qui pourrait toucher certaines de ces infractions. De plus, il constate avec regret qu’il n’a pas reçu de renseignements détaillés sur le résultat des enquêtes et des procédures pénales ou disciplinaires connexes, ni sur les condamnations et sanctions disciplinaires imposées aux auteurs d’actes de torture au cours de la période considérée. Faute de disposer de ces informations, le Comité se voit dans l’impossibilité d’apprécier les initiatives de l’État partie à la lumière des dispositions de l’article 12 de la Convention (art. 2, 12 et 16).

L’État partie doit:

a) Garantir la conduite d ’ une enquête prompte et impartiale chaque fois qu ’ une plainte est déposée pour torture ou mauvais traitements;

b) Ouvrir d ’ office une enquête prompte, exhaustive et efficace chaque fois qu ’ il y a des motifs raisonnables de croire que des tortures ou des mauvais traitements ont été infligés;

c) Veiller à ce que les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements soient suspendus de leurs fonctions immédiatement et pendant toute la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ ils risquent d ’ entraver l ’ enquête ou de continuer de se livrer aux actes qui ont fait l ’ objet de la plainte;

d) Poursuivre les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, si leur culpabilité est avérée, faire en sorte que les peines imposées soient à la mesure de la gravité des actes commis et qu ’ une réparation suffisante soit accordée aux victimes. L ’ État partie doit donner des in formations statistiques mises à  jour à ce sujet.

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les actes de torture constituent une infraction imprescriptible.

Juridiction militaire

Le Comité salue le contenu de l’arrêt 2540/2012 du 21 décembre 2012 dicté par la Cour constitutionnelle plurinationale, qui tranche en faveur de la juridiction ordinaire le conflit de compétence dans l’affaire concernant le sous-lieutenant Grover Beto Poma Guanto. Il relève que, dans sa décision, cette haute juridiction exhorte l’Assemblée législative plurinationale à remplacer les lois pénales militaires adoptées par le décret-loi no 13321 du 22 janvier 1976, de façon à respecter les normes énoncées dans la Constitution et dans les instruments du droit international des droits de l’homme, qui imposent à l’État partie l’obligation d’exclure de la compétence des juridictions militaires les affaires de violations des droits de l’homme (art. 2, par. 1 et 3, et art. 12, 13 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à modifier son Code pénal militaire et son Code de procédure pénale militaire ainsi que la loi relative à l ’ organisation de la justice militaire, afin d ’ exclure la compétence de la juridiction militaire à l ’ égard des affaires de violations des droits de l ’ homme, y comp ris les actes de torture et les  mauvais traitement s infligés par des membres des f orces armées.

L ’ État partie doit garantir que l es agissements des membres des f orces armées soupçonnés d ’ avoir infligé des mauvais traitements ou des actes de torture à des personnels militaires fassent l ’ objet d ’ enquêtes exhaustives, et que les auteurs de tels actes soient poursuivis devant la justice ordinaire et, s ’ ils sont déclarés coupables, punis de peines à la mesure des actes qu ’ ils ont commis.

Lutte contre l’impunité et mesures de réparation s’agissant des violations des droits de l’homme commises par le passé

Le Comité prend note avec intérêt de l’existence d’un avant-projet de loi concernant la création d’une commission de la vérité, qui serait chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises en Bolivie de 1964 à 1982. Néanmoins, il constate avec préoccupation les retards et les rares progrès enregistrés dans la conduite des enquêtes relatives aux violations graves des droits de l’homme commises sous les gouvernements militaires (1964-1982), ainsi que dans la traduction en justice des auteurs de ces actes. Il est également préoccupé par le fait que, malgré la création en 2003 du Conseil interinstitutionnel pour l’établissement de la vérité au sujet des disparitions forcées, le sort d’un grand nombre des personnes disparues entre 1980 et 1982 n’est toujours pas élucidé. Il est particulièrement préoccupé par le refus des forces armées de divulguer le contenu d’archives qui pourraient contribuer à établir la vérité sur le sort de ces personnes (art. 1, 4, 12, 13 et 16).

L’État partie doit:

a) Garantir que les ressources nécessaires soient allouées pour mener à bien ces enquêtes avec impartialité et efficacité, ainsi que pour traduire en justice, le cas échéant, les auteurs présumés des actes commis;

b) Progresser vers l ’ achèvement des travaux d ’ exhumation et d ’ identification des restes des personnes disparues;

c) Prendre les mesures nécessaires pour faciliter l ’ accès à toutes les archives, civiles ou militaires, pouvant contenir des documents nécessaires aux enquêtes en cours et à l ’ établissement de la vérité concernant le sort des personnes disparues.

Le Comité se dit préoccupé par le pourcentage élevé des demandes d’indemnisation présentées pour des actes de torture infligés entre 1964 et 1982 qui ont été rejetées. D’après les informations données par l’État partie, 558 demandes seulement, sur 3 306 présentées, ont été jugées recevables. À ce sujet, le Comité prend note avec préoccupation des rapports des organisations non gouvernementales dénonçant l’existence d’entraves administratives qui, dans la pratique, empêchent les victimes d’obtenir une réparation suffisante, effective et complète. Le Comité relève de plus que les 488 paiements effectués à ce jour ne représentent que 20 % du montant total des indemnisations prévues, le reste étant en attente de paiement, en fonction des donations reçues du «secteur privé ou étranger et d’organismes internationaux», selon les dispositions de l’alinéa b de l’article 16 de la loi no 2640 (art. 14).

L ’ État partie doit prendre les mesures nécessaires pour garantir une réparation aux victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements, dont une indemnisation juste et appropriée et une réadaptation la plus complète possible. Il appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son Observation générale n o  3 (2012) relative à l ’ application de l ’ article 14 de la Convention par les États parties (CAT/C/GC/3) et, en particulier, sur le contenu des paragraphes 37 à 43 relatifs aux obstacles au droit à réparation, où il est indiqué que les États ont l ’ obligation de garantir que le droit à réparation soit effectif, et qu ’ un État partie qui n ’ offre pas à une victime de torture une réparation individualisée ne peut pas se justifier en invoqua nt son niveau de développement.

Violence à l’égard des femmes

Tout en prenant note des progrès accomplis récemment au niveau législatif, le Comité relève avec inquiétude que, selon les informations qu’il a reçues, la violence sexiste persiste dans l’État partie et, en particulier, la violence intrafamiliale et sexuelle qui, trop souvent encore, ne fait pas l’objet de plaintes. Le Comité constate avec regret que, malgré les informations faisant état de nombreux actes de violence sexiste, y compris des féminicides, l’État partie n’a pas fourni les données statistiques demandées sur le nombre de plaintes déposées, de condamnations prononcées et de peines imposées au cours de la période considérée, ni sur l’incidence de ces pratiques sur les femmes autochtones et afro‑boliviennes (art. 1, 2, 4, 12, 13 et 16).

Le Comité invite instamment l’État partie à:

a) Conduire des enquêtes sur ces actes et en poursuivre et punir les auteurs;

b) Prendre des mesures efficaces pour aider les victimes à formuler et déposer une plainte;

c) Offrir une protection effective aux victimes, en leur garantissant l ’ accès à des centres d ’ accueil et à des services d ’ assistance sanitaire;

d) Accélérer la création de chambres d ’ instruction chargées des affaires de violence sexiste, en application de la loi générale n o  348;

e) Renforcer les activités de formation et de sensibilisation au problème de la violence sexiste, tant à l ’ intention des fonctionnaires qui ont un contact direct avec les victimes que pour le grand public;

f) Donner des informations détaillées sur les affaires de violences infligées aux femmes survenues pendant la période considérée, y compris des données ventilées sur le nombre de plaintes déposées, d ’ enquêtes conduites, de poursuites engagées, de décisions judiciaires rendues et de mesures de réparation accordées aux victimes.

Maltraitance et violence sexuelle à l’égard des enfants

Le Comité dispose d’informations qui mettent en évidence la gravité du problème des mauvais traitements et des sévices sexuels infligés aux enfants dans les établissements éducatifs de l’État partie. Il prend note de la déclaration faite par la délégation, qui a affirmé qu’il s’agissait de cas isolés, mais il est préoccupé par l’absence de statistiques officielles permettant d’évaluer ces pratiques. Il regrette aussi le peu d’informations données par la délégation sur les obstacles à l’accès à la justice auxquels se heurtent les victimes et leurs familles. Il suivra avec attention la suite donnée à la requête déposée auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme au sujet de la mineure Patricia Flores (art. 2 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à prendre des mesures pour prévenir les sévices sexuels infligés à des enfants dans les écoles et apporter un e réponse appropriée aux  cas qui se produisent, et en particulier à:

a) Exiger des autorités compétentes qu ’ elles enquêtent sur les actes de cette sorte et en poursuivent les auteurs présumés;

b) Établir des mécanismes de plainte efficaces et des services de prise en cha rge complète des victimes et de leurs proches, afin de leur garantir protection, accès à la justice et réparation du préjudice subi;

c) Garantir aux victimes l ’ accès à des services d ’ assistance sanitaire spécialisés dans la planification familiale et dans la prévention et le diagnostic des maladies sexuellement transmissibles;

d) Mettre au point des programmes de sensibilisation et de formation continue sur ces questions à l ’ intention du personnel enseignant et des autres fonctionnaires intervenant dans la protection des victimes;

e ) Publier davantage de données sur ce sujet.

L ’ État partie doit aussi faire en sorte que les responsables présumés du décès de la mineure Patricia Flores soient jugés et, s ’ ils sont déclarés coupables, punis d ’ une peine appropriée. Il doit également s ’ assurer que les proches de la victime reçoivent une réparation pleine et effective.

Réfugiés, non-refoulement

Le Comité reconnaît que l’État partie s’est efforcé de se doter d’un cadre juridique et institutionnel à même de garantir la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile présents sur son territoire. Il constate néanmoins, ainsi qu’il l’a indiqué dans sa liste de points à traiter (CAT/C/BOL/Q/2/Add.1, par. 11), que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no 251, en 2012, l’État partie a parfois eu des pratiques contraires au principe de non‑refoulement. Le Comité note également que la disposition provisoire unique du décret suprême no 1440 prévoit que les demandes concernant l’apatridie seront, de manière provisoire, traitées par la Commission nationale du réfugié (art. 2 et 3).

Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a faite à l ’ État partie (par. 97, al.  i ) d ’ adopter les mesures voulues pour garantir que nul ne puisse être expulsé, refoulé ou extradé vers le territoire d ’ un autre État lorsqu ’ il y a des motifs sérieux de croire que l ’ intéressé court personnellement un risque prévisible d ’ être soumis à la torture. En particulier, l ’ État partie devrait donner des instructions claires aux fonctionnaires des services de l ’ immigration et aux autres autorités chargées de faire respecter la loi, étendre la formation obligatoire en matière d ’ asile et de protection des réfugiés, et veiller à ce que la Commission nationale du réfugié intervienne opportunément, conformément à ses compétences, pour faire respecter le principe de non-refoulement.

L ’ État partie devrait aussi:

a) Réglementer la procédure de détermination du statut d ’ apatride ainsi que diverses questions concernant cette catégorie de personnes, notamment leur situation au regard de la législation relative à l ’ immigration, la délivrance de documents d ’ identité, et leur protection, afin de garantir le respect des engagements internationaux pris en vertu de la Convention relative au statut des apatrides (1954). De même, l ’ État partie devrait accorder, en conformité avec sa législation interne, la nationalité à toute personne qui n ’ est pas née sur son territoire mais qui autrement serait apatride, selon les conditions prévues dans la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie (1961). À cette fin, l ’ État partie pourrait, si besoin est, demander l ’ assistance technique du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);

b) Instituer des mécanismes efficaces pour identifier les demandeurs d ’ asile, les apatrides et les autres personnes ayant besoin d ’ une protection internationale, et confier leurs dossiers à la Commission nationale du réfugié et aux autres institutions compétentes. L ’ État partie devrait être particulièrement attentif aux éventuelles situations de reconduite indue à la frontière, et à la nécessité de repérer les victimes de la traite et les autres personnes qui ont besoin d ’ une protection internationale, spécialement dans le contexte des flux migratoires mixtes.

Conditions de détention dans les établissements pénitentiaires

Le Comité se dit préoccupé par l’ampleur de la surpopulation carcérale dans l’État partie. D’après les renseignements donnés par la délégation, le taux moyen de surpopulation dans les établissements du système pénitentiaire est évalué à 193 %, avec une population carcérale de 14 272 détenus pour 4 864 places. Le Comité prend note de la construction de nouveaux établissements et du décret de grâce no 1445 pris par le Président le 22 décembre 2012, mais il considère que l’effet de ces mesures sur le taux d’occupation des prisons est minime, étant donné l’importante augmentation de la population carcérale au cours des dernières années et la proportion élevée de détenus en attente de jugement (83,3 %). Le Comité constate avec regret qu’il n’a pas reçu les informations complémentaires qu’il avait demandées sur les progrès réalisés à cet égard dans l’application du Plan d’action national pour les droits de l’homme. Il n’a pas non plus reçu les informations demandées sur les mutineries et violentes émeutes qui éclatent fréquemment dans les prisons du pays, les détenus protestant contre le non-paiement de l’allocation alimentaire, des décisions adoptées par l’administration pénitentiaire, la limitation des horaires de visites ou encore le transfert de mineurs provenant de centres de réadaptation, ou réclamant des améliorations en ce qui concerne les soins médicaux ou le problème de la surpopulation. De plus, le Comité est préoccupé par des informations qui font état de cas d’extorsion et de mauvais traitements, de violences entre détenus, et de bandes organisées de détenus faisant la loi dans certains établissements pénitentiaires. Il est également préoccupé par le fait que les prévenus et les condamnés ne sont pas strictement séparés, ainsi que par l’existence de quartiers pénitentiaires mixtes où l’on a enregistré des cas de violences sexuelles infligées à des détenues, comme l’a reconnu la délégation de l’État partie (art. 2, 11 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à adopter les mesures nécessaires pour rendre les conditions de détention conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions  663 C (XXIV) du 31  ju illet 1957 et 2076 (LXII) du 13  mai 1977, et en  particulier à:

a) Redoubler d ’ efforts pour réduire la surpopulation carcérale, en  introduisant des peines de substitution à la privation de liberté, conformément aux dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liber té (Règles de Tokyo, résolution  45/110 de l ’ Assemblée générale en date du 14  décembre 1990) et des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok, résolution 65/229 de l ’ A ssemblée générale en date du 21  décembre 2010);

b) Augmenter d ’ urgence les ressources allouées à l ’ alimentation et à  l ’ assistance médicale et sanitaire des détenus;

c) Poursuivre les travaux d ’ amélioration et d ’ agrandissement des établissements pénitentiaires, en vue de rénover ceux qui ne satisfont pas aux normes internationales;

d) Rétablir la pleine autorité de l ’ État dans tous les établissements pénitentiaires;

e ) Adopter des mesures pour prévenir la violence entre détenus, dont la violence sexuelle, et enquêter sur tous les incidents de ce type, afin de poursuivre les  auteurs présumés de tels actes et de protéger les victimes;

f) Veiller à ce que les détenus appartenant à des catégories différentes soient placés dans des établissements différents, ou dans des quartiers différents à l ’ intérieur d ’ un même établissement, en fonction de leur sexe et de leur âge, de leurs antécédents, des motifs de leur détention et du traitement qu ’ il convient de leur réserver.

Décès en détention

D’après les informations données par l’État partie, 85 détenus sont décédés dans les locaux de la police entre janvier 2006 et mai 2010. Le Comité est préoccupé par le nombre élevé des décès en détention et relève avec inquiétude qu’il n’a pas reçu de renseignements sur les causes de ces décès ni sur les résultats des enquêtes menées à leur sujet. Il regrette également de ne pas disposer de données sur le taux de mortalité dans les centres de détention pendant la période 2010-2012 (art. 2, 11 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à conduire sans délai des enquêtes exhaustives et impartiales sur tous les cas de décès en détention, en procédant aux autopsies qui seraient nécessaires. L ’ État partie doit également évaluer toute responsabilité éventuelle des agents des forces de l ’ ordre et des fonctionnaires des établissements pénitentiaires et, le cas échéant, punir dûment les coupables et offrir une réparation appropriée aux familles des victimes.

L ’ État partie doit présenter des données détaillées sur les causes constatées de décès de détenus, ventilées par lieu de détention, sexe, âge, origine ethnique et cause du décès.

Surveillance et inspection des centres de détention

Le Comité note que, conformément à la législation en vigueur, les représentants du Bureau du Défenseur du peuple peuvent se rendre librement dans les établissements pénitentiaires et autres lieux d’internement, mais il n’a pas d’informations sur la pertinence des mesures que l’État partie aurait adoptées pour donner suite aux recommandations formulées par le Bureau à l’issue de ces visites, ni sur les dispositions qu’il aurait prises pour garantir une surveillance efficace et indépendante des centres de détention par d’autres organismes (art. 11 et 12).

L ’ État partie doit:

Adopter les mesures nécessaires pour appuyer l ’ action menée par le Bureau du Défenseur du peuple dans les centres de déte ntion, en veillant à ce que les  recommandations du Bureau soient pleinement appliquées;

Renforcer la capacité des organisations non gouvernementales qui exercent une surveillance et prendre toutes les mesures nécessaires pour leur permettre de réaliser des visites périodiques dans les lieux de détention.

Protocole facultatif et mécanisme national de prévention

Le Comité regrette que l’État partie n’ait toujours pas créé de mécanisme national de prévention de la torture, conformément aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. À ce propos, il prend note des informations fournies par la délégation au sujet d’un nouvel avant-projet de loi élaboré par le Ministère de la justice, qui prévoit que le Bureau du Défenseur du peuple soit désigné comme mécanisme national de prévention. Le Comité constate néanmoins que cet avant-projet ne définit pas le mandat ni les compétences du mécanisme, en confie la réglementation au Bureau du Défenseur du peuple et, en ce qui concerne son autonomie financière, se limite à indiquer que «le Ministère de l’économie et des finances publiques disposera des ressources nécessaires (…), dans le cadre des ressources disponibles» (art. 2).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à conclure le processus d ’ établissement ou de désignation du mécanisme national de prévention, conformément aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et compte tenu des Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention (CAT/OP/12/5, par. 7, 8 et 16). L ’ État doit veiller à ce que le mécanisme national de prévention dispose des ressources suffisantes pour mener à bien son action en toute indépendance et efficacité.

Le Comité engage l ’ État partie à autoriser la publication du rapport sur la visite en Bolivie effectuée par le Sous-Comité pour la prévention de la torture en 2008, ainsi que des réponses des autorités boliviennes, en date du 27 octobre 2011, aux recommandations formulées par le Sous-Comité.

Formation

Le Comité note que les programmes de formation des forces armées comprennent un module consacré à la Convention, mais relève avec préoccupation que ceux qui sont destinés aux policiers ne traitent pas spécifiquement des dispositions de cet instrument. De même, la formation des juges, des procureurs et des personnels de santé qui s’occupent des détenus ne contient pas d’enseignements visant spécifiquement à améliorer la détection et l’attestation des séquelles physiques et psychologiques de la torture (art. 10).

L ’ État partie doit:

a) Revoir les programmes de formation de sorte que le personnel des forces de l ’ ordre et de l ’ administration pénitentiaire connaisse bien les dispositions de la Convention et sache que les infractions ne peuvent être tolérées, qu ’ elles doivent faire l ’ objet d ’ enquêtes et que les auteurs de tels actes doivent être poursuivis;

b) Inclure dans les programmes de formation destinés aux juges, aux procureurs, aux médecins légistes et aux personnels de santé qui s ’ occupent des détenus un enseignement spécifique sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul);

c) Élaborer et appliquer une méthode pour évaluer dans quelle mesure les programmes de formation contribuent à réduire le nombre de cas de torture et de  mauvais traitements.

Avortements clandestins

Le Comité prend note de ce que les droits liés à la sexualité et à la procréation sont explicitement reconnus à l’article 66 de la Constitution, et de ce que l’article 20.I.7 de la loi no 348 impose à l’État partie l’obligation de «respecter les décisions que les femmes en situation de violence prennent dans l’exercice de leurs droits liés à la sexualité et à la procréation, dans le cadre de la législation en vigueur». Néanmoins, le Comité observe avec préoccupation qu’en vertu de l’article 266 du Code pénal (avortement légal), les femmes victimes d’un viol qui veulent interrompre leur grossesse doivent obtenir une autorisation judiciaire. D’après les informations qu’il a reçues au sujet de l’objection de conscience judiciaire, cette condition représente souvent un obstacle insurmontable pour les femmes dans cette situation, qui se voient alors obligées de recourir à l’avortement clandestin et de s’exposer aux risques que cela suppose pour leur santé (art. 2 et 16).

L ’ État partie doit garantir que les femmes victimes de viol qui décident d ’ interrompre volontairement leur grossesse aient accès à des services pratiquant des avortements sans danger, et éliminer toute entrave indue à cette possibilité. Le Comité rappelle à cet égard la teneur des recommandations adressées à l ’ État partie par le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes (CEDAW/C/BOL/CO/4, par.  42 et 43). Il invite instamment l ’ État partie à évaluer les effets de la législation en vigueur, très restrictive en matière d ’ avortement, sur la santé des femmes.

Travail forcé et servitude

Le Comité regrette le peu d’informations reçues au sujet de l’application du Plan interministériel provisoire pour l’appui au peuple guarani et la lutte contre les situations de travail forcé et de servitude que celui-ci subit (art. 2 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour éliminer le travail forcé et la servitude, et à continuer de s ’ employer à faire appliquer les accords passés entre les autorités publiques et les représentants guaranis à ce sujet.

Autres questions

Le Comité invite l’État partie à déposer auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies son instrument de ratification du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, le 31 mai 2014 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations suivantes, figurant respectivement aux paragraphes 9 b), 11 d) et 13 c) du présent document: a) assurer ou renforcer les garanties juridiques fondamentales des détenus; b) mener à bien, sans délai, des enquêtes impartiales et efficaces; c) poursuivre les suspects d’actes de torture et de mauvais traitements et punir ceux qui seraient reconnus coupables. Le Comité demande aussi à l’État partie de lui communiquer des informations sur les mesures qu’il aura adoptées pour prévenir les sévices sexuels infligés à des enfants dans les établissements éducatifs et apporter une réponse appropriée aux cas qui se produisent, comme recommandé au paragraphe 16 a) du présent document.

Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 31 mai 2017 au plus tard. À ce sujet, il l’invite à accepter, avant le 31 mai 2014, la procédure facultative qui consiste pour le Comité à transmettre une liste de points à traiter à l’État partie avant que celui-ci ne soumette son rapport. Les réponses à cette liste constitueront le prochain rapport périodique de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.