Nations Unies

CAT/C/BOL/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

29 décembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de l’État plurinational de Bolivie *

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de l’État plurinational de Bolivie à ses 1867e et 1869e séances, les 25 et 26 novembre 2021, et a adopté les présentes observations finales à sa 1875e séance, le 2 décembre 2021.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du troisième rapport périodique de l’État partie, mais constate avec regret que ce rapport a été soumis avec du retard et qu’il n’est qu’en partie conforme aux directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Le Comité sait gré à l’État partie de ses réponses écrites à la liste de points, ainsi que des renseignements complémentaires fournis à l’occasion de l’examen du rapport périodique.

3.Le Comité apprécie l’occasion qui lui a été offerte d’engager un dialogue constructif, sous forme hybride, avec la délégation de l’État partie, mais constate avec regret que certaines questions posées à l’État partie sont restées sans réponse.

B.Aspects positifs

4.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié, le 12 juillet 2013, le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

5.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour modifier sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’adoption de la loi no 1397 du 29 septembre 2021, en vertu de laquelle le Bureau du Défenseur du peuple est désigné comme mécanisme national de prévention de l’État plurinational de Bolivie ;

b)L’adoption de la loi no 1173 du 3 mai 2019 visant à accélérer la procédure pénale et à renforcer la lutte globale contre la violence à l’égard des enfants, des adolescents et des femmes, dans le but de limiter le recours à la détention provisoire ;

c)L’adoption de la loi no 458 du 19 décembre 2013 sur la protection des plaignants et des témoins ;

d)L’adoption de la loi no 463 du 19 décembre 2013 portant création du Service plurinational de défense publique ;

e)L’adoption du décret présidentiel no 4571 du 28 octobre 2021 portant abrogation du décret présidentiel no 4461 du 18 février 2021, qui accordait une amnistie ou une grâce générale aux personnes faisant l’objet de poursuites pénales à raison d’infractions commises pendant la crise de 2019‑2020 ;

f)L’adoption du décret suprême no 4087 du 28 novembre 2019 portant abrogation du décret suprême no 4078 du 14 novembre 2019, qui accordait aux forces armées des pouvoirs discrétionnaires aux fins du rétablissement de l’ordre interne et les exonérait de toute responsabilité pénale ;

g)L’adoption du manuel définissant l’organisation et les fonctions de la Direction nationale de la sécurité pénitentiaire et de la Direction des établissements pénitentiaires, en application de la décision administrative no 242/15 du 14 juillet 2015 ;

h)L’adoption du Protocole de prévention de la violence physique, psychologique et sexuelle dans les établissements éducatif et de prise en charge des plaintes pour de tels faits, en application de l’arrêté ministériel no 2412/2017 du 20 juillet 2017 ;

i)La publication de la directive MG‑DGRP no 025/2017 du 20 septembre 2017, qui ordonne aux directeurs des directions départementales du système pénitentiaire et les directeurs des établissements pénitentiaires de faire respecter l’interdiction absolue de toute action ou omission donnant lieu à des actes de torture ou des mauvais traitement ;

j)La publication de la directive MG‑DGRP no 026/2017, en application de laquelle les directeurs des directions départementales du système pénitentiaire et les directeurs des établissements pénitentiaires sont tenus de faire cesser immédiatement le recours aux cages, trous, cachots et autres cellules dites « de punition » ;

k)La publication de la directive FGE/RJGP no 176/2017 du 16 octobre 2017, qui régit l’application des recommandations du Sous‑Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et prévoit l’élaboration d’un guide aux fins de l’application du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

6.Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et ses procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et d’appliquer les dispositions de la Convention, notamment de :

a)L’autorisation donnée de publier le rapport sur la visite effectuée par le Sous‑Comité pour la prévention de la torture à l’État plurinational de Bolivie en 2017, ainsi que de la réponse donnée, en date du 24 juillet 2018, aux recommandations formulées par le Sous‑Comité ;

b)La création de la Commission de la vérité, en application de la loi no 879 du 23 décembre 2016, afin de faire la lumière sur les graves violations des droits de l’homme, notamment les actes de torture, commises entre le 4 novembre 1964 et le 10 octobre 1982. Cette loi prévoit également la déclassification des archives militaires portant sur cette période ;

c)La présentation, à la fin du mandat de la Commission de la vérité en décembre 2019, d’un compte rendu historique et d’un rapport final concernant les graves violations des droits de l’homme sur lesquelles il a été enquêté.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Dans ses précédentes observations finales, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite qu’il aurait donnée aux recommandations concernant : a) la tenue de registres officiels des personnes privées de liberté (par. 9 b)) ; b) l’ouverture de poursuites contre les auteurs présumés d’actes de torture ou de mauvais traitements (par. 11 d)) ; c) l’accès aux archives, à la fois civiles et militaires, pouvant contenir des documents utiles pour les enquêtes sur les violations graves des droits de l’homme commises sous les gouvernements militaires, entre 1964 et 1982 (par. 13 c)) ; d) les mesures qu’il aurait adoptées pour prévenir les violences sexuelles contre les enfants dans les établissements éducatifs et apporter une réponse appropriée aux cas qui se produisent (par. 16 a)). Le Comité regrette que bien que le Rapporteur spécial chargé du suivi des observations finales ait envoyé un rappel à l’État partie le 7 juillet 2014, il n’a reçu aucune réponse de celui-ci dans le cadre de la procédure de suivi des observations finales. Au vu des renseignements figurant dans le troisième rapport périodique de l’État partie concernant la suite donnée à ses précédentes recommandations, le Comité estime que ces recommandations n’ont été que partiellement appliquées (voir les paragraphes 5 h), 6 b), 12 c) et 16 b) du présent document).

Définition et incrimination de la torture

8.Le Comité constate avec regret que la législation de l’État partie ne comporte toujours pas de définition de l’infraction de torture qui soit conforme à celle énoncée à l’article premier de la Convention. En particulier, le Comité note que l’article 295 du Code pénal (mauvais traitements et torture) ne décrit pas les actes constitutifs de mauvais traitements, de sévices et de torture, et ne précise pas les fins auxquelles sont commis les actes délictueux. Il ne vise pas non plus les actes commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Le Comité est également préoccupé par le fait que le Code pénal ne prévoit pas de sanctions proportionnées à la gravité de l’infraction : un fonctionnaire qui inflige de mauvais traitements à un détenu, ou autorise ou ordonne pareil traitement, encourt une peine de prison de six mois à deux ans et les sévices ou les actes de torture sont passibles d’une peine d’emprisonnement de deux à quatre ans ; les peines peuvent aller jusqu’à six ans en cas de blessure et jusqu’à dix ans en cas de décès. Le Comité regrette également que l’État partie applique encore un régime de prescription à l’infraction de torture (art. 1er et 4).

9. Le Comité renouvelle ses précédentes recommandations et engage l’État partie à modifier la définition de l’infraction de torture qui est donnée à l’article 295 du Code pénal de sorte qu’elle couvre tous les éléments visés par l’article premier de la Convention. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  2 (2007) sur l’application de l’article 2 par les États partie s , dans lequel il est souligné que, si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité. En outre, l’État partie devrait faire en sorte que les infractions de torture soient passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément aux dispositions de l’article 4 (par. 2) de la Convention. Enfin, le Comité recommande à l’État de veiller à ce que l’infraction de torture soit imprescriptible afin de prévenir toute impunité en garantissant que les actes de torture font l’objet d’une enquête et que les auteurs de ces actes sont poursuivis et sanctionnés.

Juridiction militaire

10.Le Comité se dit préoccupé par les informations faisant état de torture et de mauvais traitements au sein des forces armées, ainsi que par le manque de transparence des enquêtes menées suite aux plaintes. À cet égard, le Comité constate avec préoccupation que la loi organique sur les forces armées de la nation (loi no 1405 du 30 décembre 1992) n’est pas conforme à la Constitution de 2009 en ce qui concerne les droits de l’homme. En outre, le Comité a reçu des informations selon lesquelles les personnes qui prônent une réforme de la loi organique sur les forces armées ont fait l’objet de représailles (art. 12 et 13).

11. Le Comité engage l’État partie à mettre les dispositions de la loi organique sur les forces armées en conformité avec celles de la Constitution et aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, ainsi qu’à protéger contre les représailles les personnes qui œuvrent en faveur de cette réforme. En outre, le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les enquêtes sur les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements au sein des forces armées progressent et à ce que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et sanctionnés.

Garanties juridiques fondamentales

12.Si le Comité prend note des dispositions de la Constitution, du Code de procédure pénale et de la loi relative au suivi et à l’exécution des peines qui prévoient des garanties visant à prévenir la torture et les mauvais traitements, il demeure préoccupé par les informations dénonçant : a) les difficulté rencontrées par les personnes privées de liberté, y compris les mineurs, lorsqu’elles veulent avertir leur famille ou un tiers de leur détention ; b) l’impossibilité de se faire examiner immédiatement par un médecin indépendant, en particulier dans les postes de police ; c) l’absence de dispositif approprié d’enregistrement des personnes privées de liberté, le Comité prenant toutefois note de ce que le Système d’information de l’administration pénitentiaire est dans sa phase initiale de mise en œuvre ; d) le fait qu’il est difficile d’avoir accès à une aide juridique gratuite en cas de besoin, que les défenseurs publics sont en nombre insuffisant, qu’ils sont mal rémunérés, que leurs qualifications professionnelles sont insuffisantes et qu’ils sont peu présents dans les zones rurales. En outre, le Comité regrette de ne pas avoir suffisamment d’informations sur les mesures prises par l’État partie pour assurer le respect des garanties juridiques fondamentales et sur les sanctions disciplinaires infligées aux agents des forces de l’ordre qui n’ont pas respecté ces garanties (art. 2).

13. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures efficaces pour garantir que toute personne placée en détention bénéficie, dans la pratique et dès le début de la privation de liberté, de toutes les garanties fondamentales, dont le droit d’être informée des motifs de sa détention et de la nature des accusations portées contre elle ; le droit d’informer rapidement un parent ou une tierce personne de son arrestation et du lieu de sa détention ; le droit de demander à voir immédiatement un médecin indépendant et d’être examiné par lui, indépendamment de tout examen médical qui pourrait être réalisé à la demande des autorités ; le droit de bénéficier sans délai de l’assistance d’un avocat et d’une aide juridique gratuite de qualité, en cas de besoin. L’État partie devrait aussi :

a) Renforcer le Service plurinational de défense publique afin de garantir un nombre suffisant de défenseurs publics correctement formés et rémunérés, une présence accrue de défenseurs publics dans les zones rurales et des services de défense technique spécialisée pour les enfants et les adolescents ;

b) Instaurer un système uniforme d’enregistrement des personnes privées de liberté et d’alertes informatiques signalant la fin d’une période de détention provisoire et de l’exécution d’une peine, et donner pour instruction aux directeurs des établissements pénitentiaires d’appliquer la loi n o  2298 en tenant à jour les registres. Le Comité recommande en outre de veiller, au moyen de contrôles et d’inspections, à ce que les personnes détenues dans des postes de police et des établissements pénitentiaires soient dûment enregistrées ;

c) Veiller au respect des garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté et sanctionner les agents des forces de l’ordre qui ne les respectent pas.

Mécanisme national de prévention

14.Le Comité se félicite de la désignation du Bureau du Défenseur du peuple comme mécanisme national de prévention, lequel reprend les fonctions du Service de prévention de la torture. Le Comité estime toutefois que son fonctionnement et son indépendance pourraient être compromis par le fait que le Bureau du Défenseur du peuple est placé sous une direction intérimaire, et par le manque de transparence des processus de sélection et de désignation des directeurs et membres de cette institution, ainsi que par le départ du personnel du Service de prévention de la torture (art. 2).

15. L’État partie devrait :

a) Garantir l’indépendance de fonctionnement et l’autonomie financière du mécanisme national de prévention et faire en sorte que les procédures de sélection des directeurs et membres du Bureau du Défenseur du peuple soient menées en toute indépendance et transparence, comme le prévoit le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention  ;

b) Renforcer le cadre institutionnel du Bureau du Défenseur du peuple et garantir la transparence des procédures de sélection de ses directeurs et membres ;

c) Faire en sorte que le mécanisme national de prévention dispose des ressources techniques, financières et humaines nécessaires pour s’acquitter efficacement de son mandat, en faisant fond sur les travaux du Service de prévention de la torture et l’expérience qu’il a acquise.

Commission de la vérité

16.Le Comité se félicite de la création de la Commission de la vérité et de la présentation de son compte rendu historique sur les diverses circonstances qui ont conduit à des violations des droits de l’homme et à la commission de crimes contre l’humanité entre 1964 et 1982 ; il salue également son rapport final concernant les graves violations des droits de l’homme sur lesquelles il a été enquêté, notamment les affaires de torture concernant 5 405 personnes. Le Comité est toutefois préoccupé par ce qui suit :

a)La diffusion insuffisante du rapport final de la Commission de la vérité et l’absence de mécanisme permettant de contrôler la mise en application des recommandations qu’il contient ;

b)L’insuffisance des informations concernant la responsabilité pénale de certains des 1 498 auteurs de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits de l’homme commis pendant la période susmentionnée. Le Comité prend note des difficultés que peuvent poser les enquêtes sur les cas de torture, telles que les contraintes matérielles, l’absence de preuve autre que le témoignage de la victime et le fait que les victimes peuvent avoir peur de porter plainte ;

c)Les lacunes du programme de réparation et le retard pris par celui-ci, qui compte à l’heure actuelle 1 714 bénéficiaires, même si, selon les informations reçues, des victimes attendent encore de se voir accorder le statut de bénéficiaire. Le Comité est également préoccupé par de ce que seuls 20 % du montant total des réparations accordées à 1 567 victimes auraient été versés (art. 2, 12, 13 et 14).

17. L’État partie devait :

a) Prendre les mesures nécessaires pour diffuser largement le rapport de la Commission de la vérité et pour contrôler l’application effective des recommandations qu’il contient ;

b) Faire en sorte que les enquêtes sur les graves violations des droits de l’homme commises entre 1964 et 1982 progressent, veiller à ce que les forces armées apportent un concours total à ces enquêtes, et poursuivre et sanctionner les responsables présumés ;

c) Veiller à ce que toutes les victimes figurent dans les registres pertinents et renforcer le programme de réparation en le dotant des ressources nécessaires pour garantir que les victimes obtiennent une réparation complète et que ces indemnisations soient effectivement octroyées dans les plus brefs délais ;

d) Étoffer et élargir autant que possible le mandat de la Commission de la vérité eu égard au rôle déterminant qu’elle joue dans les efforts de réconciliation et la réalisation des droits des victimes.

Violations des droits de l’homme commises pendant la crise de 2019-2020

18.Le Comité est profondément préoccupé par les informations reçues selon lesquelles des actes de violence et de graves violations des droits de l’homme − actes de torture, mauvais traitements et usage excessif de la force ayant entraîné la mort − ont été commis pendant la crise sociopolitique que le pays a traversée entre septembre et décembre 2019. Il continue également de s’inquiéter du peu de progrès accomplis dans les enquêtes et les poursuites concernant les allégations de torture et de mauvais traitements infligés dans ce contexte, ainsi que des agressions dont sont victimes les membres du personnel du Bureau du Défenseur du peuple (art. 2, 12, 13 et 16).

19. L’État partie devrait :

a) Mener rapidement des enquêtes indépendantes, efficaces et approfondies sur les cas de torture, de mauvais traitements et d’usage excessif de la force qui se sont produits pendant la crise de 2019 - 2020 ; traduire en justice les responsables et, s’il y a lieu, les sanctionner ; veiller à ce que les victimes obtiennent une réparation complète et proportionnée au préjudice subi ;

b) Instaurer un mécanisme de suivi des recommandations du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants, qui a été créé en vertu d’un accord conclu avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour qu’il apporte un concours aux enquêtes sur les cas susmentionnés ;

c) Prendre les mesures nécessaires pour réglementer l’action de la police et des forces armées selon des normes déontologiques strictes et pour garantir que celles ‑ci sont responsables devant les autorités civiles. Le Comité recommande à l’État partie de mettre en place des protocoles efficaces qui réglementent l’action des forces de l’ordre face aux mouvements de contestation sociale ;

d) Enquêter sur les agressions et actes de représailles visant les membres du personnel du Bureau du Défenseur du peuple et en sanctionner les auteurs ;

e) Veiller à ce que le Haut ‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme soit à nouveau représenté dans l’État partie afin qu’il accompagne la mise en application des recommandations des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme.

Violence à motivation raciale

20.Le Comité est préoccupé par les actes de violence à motivation raciale recensés pendant la crise de 2019-2020, et notamment par les agressions, menaces et mauvais traitements dont des femmes autochtones ont été victimes suite aux actions de groupes organisés. Le Comité prend également note avec préoccupation d’informations signalant la répression policière exercée contre la population mobilisée et visant dans la majorité des cas des autochtones et des agriculteurs, notamment à Betanzos, Yapacaní, Montero, Sacaba et Senkata (art. 2, 12, 13 et 16).

21. L’État partie devrait :

a) Enquêter systématiquement sur toutes les formes d’infractions motivées par la haine, dont les actes de violence à motivation raciale, en poursuivre les auteurs et, s’ils sont reconnus coupables, leur infliger des peines qui soient proportionnées à la gravité de l’infraction ;

b) Dispenser une formation sur les crimes de haine aux agents des forces de l’ordre afin de prévenir les actes de torture, les mauvais traitements et l’usage excessif de la force ;

c) Renforcer les travaux du Comité national de lutte contre le racisme et toute forme de discrimination, créé en application de la loi n o  45 du 8 octobre 2010 (loi sur la lutte contre le racisme et toute s les formes de discrimination).

Obstacles à la justice : impunité et manque d’indépendance du système de justice

22.Le Comité constate avec préoccupation que les actes de torture donnent lieu à peu d’enquêtes et de poursuites, notamment parce que les fonctionnaires de justice n’ont pas la formation nécessaire pour enquêter sur ce type d’infractions ni sur les actes visant à intimider des victimes. Il note que le Bureau du Défenseur du peuple a enregistré 3 017 cas de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants pour l’ensemble du pays entre 2013 et août 2021. Le Comité est également préoccupé par :

a)Les dispositions des articles 123 et 133 du Code pénal, qui définissent en des termes extrêmement vagues les infractions de sédition et de terrorisme, respectivement ;

b)Le manque d’indépendance et d’autonomie du pouvoir judiciaire et du ministère public, dont témoignent les procédures judiciaires engagées contre des opposants politiques à raison d’infractions de sédition et de terrorisme. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le chapitre 4, partie A., du rapport du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants, qui a enquêté sur les graves violations des droits de l’homme commises entre septembre et décembre 2019 ;

c)Les carences institutionnelles du système de justice, au sein duquel la plupart des juges et procureurs occupent leurs fonctions à titre temporaire et ne relèvent pas de la fonction publique. Le pouvoir judiciaire manque de ressources et les services de justice sont mal répartis sur le territoire (art. 2, 12, 13 et 16).

23. L’État partie devrait :

a) Procéder à une révision de sa législation antiterroriste et, en particulier, modifier les définitions des infractions de sédition et de terrorisme énoncées dans la législation, afin qu’elles soient conformes au principe de légalité et aux normes internationales relatives aux droits de l’homme ;

b) Veiller à ce que des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales soient menées rapidement sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, en particulier celles qui concernent des faits survenus entre 1964 et 1982 et pendant la crise postélectorale de 2019 - 2020, que les auteurs soient poursuivis et sanctionnés, quelle que soit leur affiliation politique, et que les victimes aient accès aux informations pertinentes, participent aux procédures et obtiennent une réparation complète  ;

c) Réformer d’urgence le système de justice afin d’assurer son indépendance et le respect des garanties d’une procédure régulière, notamment adopter une loi sur la carrière judiciaire qui garantisse la stabilité de l’emploi et modifier les procédures de sélection, d’évaluation et de révocation des juges et procureurs pour qu’elles répondent à des critères accessibles au public, objectifs et fondés sur le mérite, et accorder aux organes judiciaires les ressources dont ils ont besoin pour fonctionner efficacement  ;

d) Renforcer la formation dispensée aux procureurs et aux juges afin d’améliorer la qualité des enquêtes et de garantir une qualification correcte des faits, conformément au Protocole d’Istanbul et au Protocole type pour les enquêtes judiciaires concernant les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires (Protocole du Minnesota) ;

e) Garantir que les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements sont suspendus de leurs fonctions immédiatement et pendant toute la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque que, dans le cas contraire, ils soient en mesure de récidiver, d’exercer des représailles contre la victime présumée ou d’entraver l’enquête ;

f) Mettre en place un système de protection et d’assistance en faveur des personnes privées de liberté qui sont victimes ou témoins d’actes de torture afin de les protéger contre toute forme de représailles et prendre rapidement des mesures disciplinaires et pénales contre les agents de l’État qui ont proféré des menaces ou exercé des représailles à l’encontre de victimes et de témoins d’actes de torture.

Migrants, réfugiés et demandeurs d’asile

24.Le Comité s’inquiète de la situation de la Commission nationale des réfugiés suite aux fréquents changements apportés à sa composition et à son secrétariat, ainsi que du fait que les autorités ne suivent pas de formation sur les questions relatives à l’asile, et ce malgré les dispositions de l’arrêt rendu le 25 novembre 2013 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Familia Pacheco Tineo vs . Estado Plurinacional de Bolivia, par lequel elle ordonnait que soit dispensée une formation continue aux fonctionnaires travaillant auprès de migrants ou de demandeurs d’asile. En outre, le Comité regrette que les fonctionnaires chargés des migrations et des frontières ne disposent pas de protocole d’action. Le Comité est également préoccupé par :

a)L’absence de données statistiques actualisées sur les demandeurs d’asile et les réfugiés vivant dans le pays, ventilées par nationalité et par lieu de la demande d’asile, même s’il existe des informations ventilées par sexe et par âge ;

b)Les mesures supplémentaires prises en matière d’immigration pour limiter l’accès des ressortissants vénézuéliens au territoire bolivien, compte tenu de la fermeture de la frontière ; les allégations selon lesquelles les demandeurs d’asile sont victimes d’abus et d’extorsion de la part d’agents des postes frontière boliviens à leur arrivée à la frontière, en particulier à la frontière avec le Pérou (Desaguadero). Le Comité constate également avec préoccupation que le traitement des demandes d’asile aux frontières pose des difficultés et qu’il n’est pas possible de soumettre ces demandes à la Commission nationale des réfugiés à Santa Cruz de la Sierra ;

c)Le caractère restrictif des lois sur l’immigration, qui n’offrent pas de possibilité de régularisation et ne prévoient pas de modalités souples de protection ou de séjour temporaire (art. 3).

25. L’État partie devrait :

a) Adopter des protocoles à l’intention des fonctionnaires de l’immigration et des gardes frontière en vue de garantir que les personnes arrivant aux frontières et ayant besoin d’une protection internationale soient repérées et intégrées dans le système d’asile, et renforcer la formation dispensée à ces fonctionnaires sur le droit international des réfugiés, y compris le principe de non ‑refoulement ;

b) Tenir à jour des données statistiques complètes et ventilées par sexe, âge et pays d’origine sur les demandeurs d’asile, les réfugiés, les apatrides et les migrants qui vivent dans l’État plurinational de Bolivie, y compris sur les procédures d’expulsion et de l ’expulsion et les « retours volontaires » ;

c) Faire en sorte que le contrôle migratoire et les procédures d’expulsion ou d’éloignement soient effectués dans le respect des normes relatives aux droits de l’homme et qu’ils offrent des garanties procédurales adaptées à la situation des demandeurs d’asile et des personnes ayant besoin d’une protection internationale ;

d) Veiller à ce que nul ne puisse être expulsé, refoulé ou extradé vers un autre État lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible d’y être soumis à la torture.

Violence fondée sur le genre

26.Le Comité se félicite des progrès accomplis en ce qui concerne la législation et les politiques publiques visant à lutter contre la violence fondée sur le genre, notamment de la création de la Commission nationale de suivi des affaires de féminicide, et il prend note de la mise en œuvre partielle de l’arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire I.V. vs . Estado Plurinacional de Bolivia. Toutefois, il exprime sa préoccupation concernant :

a)La hausse de la violence fondée sur le genre dans l’État partie, et en particulier le nombre élevé de féminicides et d’actes de violence sexuelle qu’on y recense, et la grande impunité qui y règne ;

b)La définition de la violence sexuelle donnée dans le Code pénal, qui est fondée sur la notion de force, ne précise pas ce qui s’entend par l’expression « consentement » et ne prévoit pas de justes présomptions ;

c)L’application incomplète de l’arrêt rendu dans l’affaire I.V. vs . Estado Plurinacional de Bolivia, notamment en ce qui concerne la formation du personnel de santé au principe du consentement éclairé et sur la violence fondée sur le genre et l’obligation de fournir des services gratuits en matière de santé sexuelle et reproductive, ainsi que de santé mentale ;

d)Le nombre d’affaires très élevé dont doivent traiter les 27 cours et tribunaux spécialisés dans la violence à l’égard des femmes et la lutte contre la corruption, ainsi que le fait que seules les capitales des départements comptent des procureurs spécialisés dans les infractions fondées sur le genre, la traite des personnes et le trafic illicite d’êtres humains ;

e)Le nombre insuffisant de foyers d’accueil et de refuges pour les victimes de violence fondée sur le genre, même si celui-ci a augmenté ;

f)Les informations selon lesquelles des travailleuses du sexe ont été victimes d’arrestations arbitraires et de mauvais traitements de la part d’agents des forces de l’ordre ;

g)L’absence d’évaluation de l’efficacité des activités de sensibilisation et de prévention menées à l’intention des fonctionnaires concernant la violence à l’égard des femmes (art. 2 et 16).

27. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que tous les cas de violence fondée sur le genre, et en particulier ceux impliquant des actes ou des omissions de la part des autorités de l’État ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie au regard la Convention, fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés, et que les victimes obtiennent une réparation complète, y compris une indemnisation adéquate et des moyens de réadaptation ;

b) Tenir à jour des données ventilées par âge, origine ethnique ou nationalité des victimes, ainsi que des informations sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites, de déclarations de culpabilité et de peines auxquelles ont donné lieu des actes de violence fondée sur le genre ;

c) Modifier la définition du viol (art. 308 du Code pénal) ;

d) Dispenser une formation obligatoire aux juges, aux procureurs et au personnel de santé sur la poursuite des faits de violence fondée sur le genre ;

e) Étoffer la loi générale n o  348 du 9 mars 2013 visant à garantir aux femmes une vie sans violence et renforcer la capacité des services de prise en charge des femmes victimes de violence en les dotant de l’infrastructure, des équipements, du personnel spécialisé et du budget nécessaires à cette fin  ;

f) Créer des tribunaux spécialisés ayant une compétence exclusive en matière de violence fondée sur le genre et désigner des procureurs provinciaux ou mettre en place des équipes mobiles de procureurs spécialisés ;

g) Veiller à ce que les victimes d’actes de violence fondée sur le genre bénéficient des soins médicaux, du soutien psychologique et de l’aide juridique dont elles ont besoin.

Avortements clandestins

28.Le Comité note que les femmes qui souhaitent interrompre volontairement leur grossesse lorsque celle-ci résulte d’un viol, d’atteintes sexuelles sur mineure, d’un inceste ou d’un enlèvement, ou lorsqu’elle met en danger leur vie ou leur santé, ne sont plus tenues d’obtenir une autorisation judiciaire, mais doivent présenter une copie de la plainte déposée (en vertu de l’arrêt no 0206/2014 du Tribunal constitutionnel plurinational). Il prend également note du Guide de prise en charge des victimes de violences sexuelles, qui vise à garantir l’application de cet arrêt. Le Comité regrette toutefois que l’accès à un avortement sécurisé ne soit toujours pas garanti en raison, entre autres facteurs, de la méconnaissance de la réglementation, des obstacles à l’obtention d’une copie de la plainte ou du manque de solutions de substitution en cas d’objection de conscience du personnel de santé (art. 2 et 16).

29. Compte tenu de l’arrêt n o  0206/2014 du Tribunal constitutionnel plurinational, le Comité invite l’État partie à poursuivre la révision de sa législation pénale afin de garantir un accès effectif à une interruption volontaire de grossesse légale et sécurisée lorsque le fait de mener la grossesse à terme pourrait causer un préjudice ou une souffrance grave à la femme ou à la jeune fille enceinte, en particulier dans les cas où la grossesse n’est pas viable. En outre, le Comité engage instamment l’État partie à garantir que les femmes qui recourent à cette pratique ne soient pas tenues responsables pénalement et que toutes les femmes et adolescentes aient accès à des services d’interruption volontaire de grossesse en temps opportun et en toute sécurité, en particulier dans les zones pauvres et rurales.

Maltraitance et violence sexuelle à l’égard des enfants

30.Le Comité est alarmé par les informations reçues selon lesquelles l’État partie connaîtrait de nombreux cas de violence sexuelle à l’égard des enfants et des adolescents. Le Comité regrette également que la législation de l’État partie continue de prévoir l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur, car les faits qui en sont constitutifs portent atteinte à l’intégrité des adolescents et cette qualification contribue à l’impunité des auteurs desdits faits puisque les peines qu’ils encourent sont inférieures à celles applicables au viol. Le Comité est également préoccupé par le nombre élevé de filles et d’adolescentes qui sont victimes d’unions ou de mariages forcés et précoces, notamment parce qu’elles sont enceintes (art. 2 et 16).

31. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Supprimer l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur (art .  309 du Code pénal) ;

b) Prendre les mesures nécessaires, notamment en revoyant les cadres juridiques pertinents, pour prévenir et éradiquer les mariages et unions précoces ainsi que les grossesses chez les adolescentes ;

c) Renforcer le Système plurinational intégral de protection des enfants et des adolescents et garantir que les actes de violence sexuelle dont ceux-ci sont victimes donnent lieu à des enquêtes et des sanctions en bonne et due forme.

Traite des personnes

32.Le Comité se félicite des progrès accomplis sur le plan de la législation et des politiques en matière de traite, notamment des accords conclus avec certains pays, et remercie l’État partie des informations fournies, selon lesquelles il a recensé 1 687 victimes de la traite entre 2018 et 2021, ainsi que des données ventilées sur les plaintes déposées à ce sujet. Il regrette toutefois l’absence de données ventilées sur le nombre de victimes prises en charge et l’insuffisance des informations sur les mesures mises en place pour qu’elles bénéficient d’un hébergement, sans conditions restrictives de liberté, et aient accès à une assistance médicale et psychologique adaptée pendant toute la procédure d’identification et de signalement. En outre, le Comité est préoccupé par les informations faisant état de corruption au sein des autorités chargées de mettre en œuvre les mesures de lutte contre la traite (art. 2 et 16).

33. L’État partie devrait :

a) Mettre à jour et appliquer de manière effective le Protocole unique de prise en charge spécialisée des victimes de la traite et du trafic illicite d’êtres humains afin d’offrir une véritable protection aux victimes ;

b) Veiller à ce que les affaires de traite fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à une peine appropriée, et faire en sorte que les victimes obtiennent une réparation complète, y compris une indemnisation adéquate et des moyens de réadaptation ;

c) Mettre en place des mécanismes efficaces permettant de repérer rapidement les demandeurs d’asile et les migrants qui sont victimes d’actes de torture et de la traite.

Conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et recours excessif à la détention provisoire

34.Le Comité regrette que la surpopulation carcérale reste l’un des principaux problèmes du système pénitentiaire. Il apprécie donc les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions matérielles dans les lieux de détention et réduire la surpopulation, notamment l’organisation de journées destinées à désengorger la justice, la tenue d’audiences à distance, l’augmentation de la capacité d’accueil des prisons de Cochabamba et de Tarija, la construction de nouvelles prisons ou d’extensions à Riberalta, Beni, San Pablo, La Paz et Palmasola, entre autres, et l’octroi d’amnisties et des grâces dans le cadre des mesures adoptées pour lutter contre la pandémie de maladie à coronavirus (COVID‑19). Le Comité est toutefois préoccupé par :

a)L’augmentation de la population carcérale, qui est passée de 10 150 détenus en 2007 à 18 630 détenus en 2021, ainsi que du taux d’occupation, qui serait de 264 % selon les informations fournies par le Sous‑Comité pour la prévention de la torture, même si, selon la délégation de l’État partie, le taux d’occupation serait à l’heure actuelle de 176 %. À cet égard, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations ventilées sur le système de quotas qui a été mis en place pour réduire la surpopulation, et dans quels établissements il l’a été, mais relève toutefois que 10 006 personnes privées de liberté auraient bénéficié de grâces ou d’amnisties entre 2012 et 2021 ;

b)Le recours excessif et général à la détention provisoire, puisque 64,10 % des personnes détenues sont incarcérées sous ce régime ;

c)La diminution du budget consacré au système pénitentiaire ;

d)Le peu d’informations sur les mesures prises ou les protocoles adoptés pour répondre aux besoins particuliers des femmes, des mineurs, des autochtones, des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes privés de liberté (art. 2, 11 et 16).

35. L’État partie devrait :

a) Redoubler d’efforts pour réduire la surpopulation carcérale, principalement en introduisant des mesures de substitution aux peines privatives de liberté, et continuer d’améliorer les installations pénitentiaires et les conditions générales de vie dans les prisons. L’État devrait également veiller à répondre aux besoins particuliers des groupes vulnérables susmentionnés et élaborer des protocoles à cette fin. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et sur les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) ;

b) Garantir que le placement en détention provisoire ne soit ordonné qu’à titre exceptionnel et pour une période aussi brève que possible, et garantir la séparation des détenus provisoires et des condamnés dans tous les lieux de détention ;

c) Garantir que le système pénitentiaire dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires pour fonctionner efficacement.

Décès en détention

36.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu de données statistiques complètes, ventilées par lieu de détention, par sexe, âge, origine ethnique du détenu et par cause du décès, pour la période comprise entre 2014 et 2020, ni aucune information détaillée sur les résultats des enquêtes concernant ces décès et sur les mesures concrètes prises pour éviter que des cas similaires ne se produisent. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’absence de telles informations compte tenu de la pandémie de COVID‑19 (art. 2, 11 et 16).

37. Le Comité invite instamment l’État partie à :

a) Veiller à ce que tous les décès en détention fassent rapidement l’objet d’une enquête impartiale, menée par un organisme indépendant, dans le respect du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux ;

b) Évaluer l’efficacité des programmes de prévention, de dépistage et de traitement des maladies infectieuses en prison.

Instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire

38.Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations sur les protocoles que doivent suivre les autorités de police et autres agents des forces de l’ordre lorsqu’ils mènent des entretiens et des interrogatoires, sur la manière dont ces agents sont formés et sur la fréquence à laquelle ces protocoles sont révisés (art. 2, 11, 15 et 16).

39. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les forces de l’ordre, les juges et les procureurs reçoivent une formation obligatoire sur les techniques d’interrogatoire non coercitives, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et l’obligation faite aux instances judiciaires de rejeter les aveux et autres éléments de preuve obtenus par la torture.

Régime disciplinaire

40.Le Comité se félicite de la fermeture des cellules de punition, tels que cages, trous, cachots et autres. Il constate toutefois avec préoccupation que, selon les règles en vigueur, les détenus qui commettent une infraction très grave peuvent être punis d’une sanction allant jusqu’à vingt jours d’isolement et jusqu’à trente jours sans visite. Le Comité est également préoccupé par le fait que les résultats du projet Alternatives à la violence n’ont été l’objet d’aucune évaluation jusqu’en 2017 et par les actes de violence perpétrés en 2018 dans la prison de Palmasola, qui ont causé la mort de six détenus et fait plus de 20 blessés (art. 2, 11 et 16).

41. L’État partie devrait :

a) Garantir que le placement à l’isolement ne soit ordonné qu’en dernier ressort dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible (moins de quinze jours), sous contrôle indépendant et uniquement avec l’autorisation d’une autorité compétente, conformément aux règles 43 à 46 des Règles Nelson Mandela ;

b) Renforcer les mesures visant à prévenir et à réduire la violence et à lutter contre la corruption dans les établissements pénitentiaires, notamment grâce à des stratégies permettant de surveiller ces faits et de réunir des informations à leur sujet afin d’enquêter sur les plaintes et de sanctionner les responsables.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

42.Le Comité relève que le décret suprême no 4231 du 7 mai 2020 a été déclaré contraire à la Constitution en ce qu’il portait atteinte à la liberté d’expression. Il est toutefois préoccupé par les attaques, menaces et agressions dont font l’objet les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, ainsi que par le fait que la plupart des enquêtes menées dans ces affaires n’ont débouché sur aucun résultat. S’agissant de la crise de 2019-2020, le Comité est particulièrement préoccupé par les informations fournies par l’Association nationale de la presse, qui a recensé 94 cas d’agressions de journalistes et des travailleurs des médias et de dégradation volontaire de leurs locaux, et qui signale que des membres d’organisations de la société civile ont été pris pour cible et ont vu leurs activités entravées. Le Comité s’inquiète également de ce qu’il a été mis fin aux activités du Conseil plurinational des droits de l’homme, organe qui favorise la participation des organisations de la société civile à l’élaboration des politiques publiques (art. 2, 12, 13 et 16).

43. Le Comité recommande à l’État partie de :

a) Garantir que les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes peuvent mener à bien leur tâche sans crainte de subir des représailles ou des agressions ;

b) Veiller à ce que les responsables de tels actes fassent l’objet d’enquêtes, de poursuites et de sanctions en bonne et due forme et à ce que les victimes obtiennent une réparation complète ;

c) Faire en sorte que le Conseil plurinational des droits de l’homme reprenne ses activités.

Formation

44.Bien que l’État partie dispense périodiquement une formation aux droits de l’homme, le Comité est préoccupé par le fait que les fonctionnaires ne reçoivent pas de formation obligatoire portant spécifiquement sur la Convention et l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements (art. 10).

45. L’État partie devrait :

a) Organiser des programmes de formation obligatoires sur la Convention, portant en particulier sur l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements, à l’intention de tous les fonctionnaires, notamment les agents des forces de l’ordre, les procureurs, les juges, le personnel médical, le personnel pénitentiaire et les agents de l’immigration, et concevoir des mécanismes permettant d’évaluer l’incidence de ces programmes ;

b) Veiller à ce que l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements figure dans les règles et instructions relatives aux devoirs et fonctions des agents susmentionnés ;

c) Faire en sorte que l’ensemble du personnel concerné, y compris le personnel médical, reçoive une formation spécifique qui lui permette de détecter les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Réparation complète

46.C’est avec préoccupation que le Comité constate que les victimes ont un accès limité à des réparations, qui doivent être ordonnées par des tribunaux. De même, le Comité est préoccupé par l’absence de mécanisme garantissant l’octroi de réparations complètes, notamment le droit à réparation, et par le fait que l’État partie n’a pas donné les renseignements demandés sur les mesures de réparation et d’indemnisation qui ont été ordonnées par les tribunaux et dont les victimes d’actes de torture ou leur famille ont effectivement bénéficié depuis l’examen du précédent rapport de l’État partie. Il n’a pas non plus donné de renseignements sur les programmes de réparation en cours ni sur les ressources affectées à ces programmes pour garantir leur bon fonctionnement (art. 14).

47. Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour que les victimes de torture et de mauvais traitements obtiennent une réparation complète, y compris une indemnisation équitable et adéquate et les moyens nécessaires à leur réadaptation complète. Il appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  3 (2012) sur l’application de l’article 14 de la Convention.

Procédure de suivi

48. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir le 3 décembre 2022 au plus tard des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations tendant à ce qu’il mène rapidement des enquêtes indépendantes, efficaces et approfondies sur les cas de torture, de mauvais traitements et d’usage excessif de la force qui se sont produits pendant la crise de 2019-2020, traduise les responsables en justice et, s’il y a lieu, les sanctionne ; veille à ce que les victimes obtiennent une réparation complète ; instaure un mécanisme de suivi des recommandations du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants ; réforme d’urgence le système de justice afin d’assurer son indépendance et le respect des garanties d’une procédure régulière ; supprime l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur ; fasse en sorte que le Conseil plurinational des droits de l’homme reprenne ses activités (voir les paragraphes 19 a) et b), 23 c), 31 a) et 43 c) des présentes observations finales). L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre, d’ici la soumission de son prochain rapport, pour mettre en application tout ou partie des autres recommandations figurant dans les présentes observations finales.

Autres questions

49. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.

50. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, le 3 décembre 2025 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter d’ici au 3 décembre 2023 la procédure simplifiée d’établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique à l’État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.