NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/PRT/CO/419 février 2008

Original: FRANCAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-neuvième sessionGenève, 5 – 23 novembre 2007

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Portugal

Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Portugal (CAT/C/67/Add.6) à ses 795ème et 798ème séances, les 14 et 15 novembre 2007 (CAT/C/SR. 795 et 798), et a adopté les conclusions et recommandations suivantes à sa 805ème séance, le 21 novembre 2007 (CAT/C/SR. 805).

A. Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Portugal, les réponses écrites exhaustives apportées à la liste des points à traiter, ainsi que les renseignements complémentaires forts détaillés fournis oralement lors de l’examen du rapport. Enfin, le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et la remercie des réponses franches et précises apportées aux questions posées (CAT/C/PRT/Q/4/Add.1).

B. Aspects positifs

Le Comité se félicite des progrès réalisés par l’État partie en matière de protection et de promotion des droits de l’homme depuis l’examen du troisième rapport périodique en 2000 (CAT/C/44/Add.7). 

Le Comité prend note avec satisfaction de l’entrée en vigueur des lois suivantes :

La loi 23/2007 du 4 juillet 2007, selon laquelle l’expulsion d’un étranger ne peut être effectuée vers aucun pays où celui-ci risque d’être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

La loi 59/2007, du 4 septembre 2007 approuvant la révision du Code pénal, et la loi 48/2007 du 29 août 2007 approuvant celle du Code de procédure pénale ;

La loi 63/2007 du 6 novembre 2007 approuvant la restructuration de la Garde nationale républicaine (GNR), ainsi que l’a annoncé la délégation de l’État partie.

GE.08-40558

Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures suivantes :

La création en 2000 de l'Inspection générale des services judiciaires ;

L’élaboration du Code déontologique du Service de police approuvée par la résolution du Conseil des ministres nº 37/2002 du 28 février 2002 ;

La diffusion des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention ») à travers la traduction en portugais de la série « Fiches d’information » des Nations Unies.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

Tout en prenant note des explications de la délégation de l’État partie selon lesquelles la discrimination est sanctionnée par l’article 240 du nouveau Code pénal, le Comité reste néanmoins préoccupé par le fait que la définition de la torture contenue à l’article 243 du Code pénal n’inclut pas la discrimination parmi les mobiles d’actes de torture et, par conséquent, ne semble pas couvrir tous les aspects relatifs à la finalité de la torture, telle que définie à l’article premier de la Convention. (art. 1er)

L’État partie devrait envisager de prendre les mesures législatives nécessaires pour amender l’article 243 du Code pénal de manière à inclure la discrimination comme mobile possible d’actes de torture, conformément à l’article premier de la Convention.

Arrestation pour vérification d’identité

Tout en prenant note des indications apportées par la délégation portugaise selon lesquelles il s’agirait d’une procédure exceptionnelle, le Comité regrette que l’État partie ait recours à la détention aux fins d’identification pouvant, dans certaines situations, donner lieu à des arrestations collectives. Le Comité est préoccupé par le fait que le temps passé en détention aux fins d’identification (6 heures au maximum) ne soit pas déduit de la durée totale de la garde à vue qui pourrait s’en suivre (48 heures). Le Comité est aussi préoccupé par le fait que la législation portugaise ne contienne pas de disposition obligeant expressément le ministère public à ordonner une expertise médico-légale dans tous les cas où il aurait connaissance d’une situation de mauvais traitements sur une personne détenue en garde à vue. (art. 2)

L’État partie devrait prendre les mesures adéquates pour :

S’assurer que toute arrestation, y compris à des fins d’identification, ne cible pas des groupes de personnes, mais se fasse de manière individuelle;

Garantir que le temps passé en détention aux fins d’identification (6 heures au maximum) soit déduit de la durée de la garde à vue si celle-ci est décidée (48 heures);

Inclure dans sa législation une disposition obligeant expressément le ministère public à ordonner une expertise médico-légale dans tous les cas où il aurait connaissance de mauvais traitements sur une personne détenue.

Détention préventive

Tout en prenant note des explications de la délégation portugaise, notamment sa référence à l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

(« Convention européenne des droits de l’homme »), le Comité regrette que, selon la terminologie utilisée par l’État partie, la détention préventive ne se réfère pas uniquement aux personnes détenues en attente de jugement, mais également aux personnes jugées en première instance dont la sentence n’a pas encore été confirmée ou invalidée par une Cour d’appel. Cette terminologie peut engendrer une certaine confusion quant à la durée réelle de la détention préventive, au sens où l’entend le Comité, et au nombre de personnes détenues en attente de jugement. (art. 2 et 16)

L’État partie devrait envisager de prendre les mesures nécessaires pour distinguer la détention avant jugement de celle des personnes jugées en première instance ayant interjeté appel de la sentence, afin d’éviter toute confusion qui pourrait être interprétée par le Comité comme une violation de la Convention.

Régime d’incommunicabilité

Tout en accueillant avec satisfaction le fait que le régime d’incommunicabilité absolue ou relative ne soit plus appliqué dans le cadre de la détention préventive, le Comité note qu’en vertu de l’article 143 4) du nouveau Code de procédure pénale, le ministère public peut ordonner, dans les cas de terrorisme, de criminalité violente ou hautement organisée, qu’un détenu soit soumis au régime d’incommunicabilité absolue avant la comparution devant le juge, tout en ayant accès à l’avocat. (art. 2)

L’État partie devrait s’assurer que le régime d’incommunicabilité avant la comparution devant un juge, dans les cas de terrorisme ou de violence organisée, soit expressément et rigoureusement réglementé par la loi et soumis à un contrôle judiciaire strict.

Compétence universelle

Tout en accueillant avec satisfaction le fait que l’article 5 du nouveau Code pénal permette à l’État partie d’excercer la compétence universelle pour des actes de torture commis en dehors de son territoire, le Comité note avec préoccupation que cette compétence est exercée par le Procureur général de la République qui, quoiqu’autonome, reste lié au pouvoir exécutif. (art. 5)

L’État partie devrait envisager de confier l’exercice de la compétence universelle en matière de violations graves du droit international à une juridiction indépendante.

Conditions carcérales

Le Comité se félicite de la réforme législative en cours, annoncée par la délégation portugaise, relative aux établissements pénitentiaires visant à rendre la loi sur l’exécution des peines conforme aux Règles pénitentiaires européennes. Il note également  l’amélioration substantielle du taux d’occupation des établissements carcéraux, ainsi que les efforts réalisés en matière de santé. Le Comité demeure néanmoins préoccupé par les informations reçues faisant état de la persistance de la violence entre prisonniers, y compris la violence sexuelle, et du nombre encore élevé de morts en détention, dues en grande partie, au VIH/sida et au suicide. Le Comité s’inquiète, par ailleurs, des informations faisant état de tortures, et de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les établissements pénitentiaires, notamment le cas de M. Albino Libânio, qui aurait été victime de blessures multiples suite à un passage à tabac en 2003. (art. 11 et 16)

L’État partie devrait poursuivre les efforts initiés visant à améliorer les conditions carcérales, notamment en maintenant un taux d’occupation adéquat des

établissements pénitentiaires. Il devrait également renforcer les mesures prises pour prévenir la violence entre prisonniers, notamment la violence sexuelle, et le suicide des détenus.

L’État partie devrait, en outre, prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que l’intégrité physique et psychologique des détenus soit respectée en toute circonstance.

Enquêtes promptes et impartiales et réparation

Le Comité s’inquiète de ce que l’article 4 de la loi 21/2000 du 10 août 2000 n’intègre pas la torture comme crime relevant de la compétence réservée de la police judiciaire parmi les trente infractions énumérées dans le texte de loi, ce qui pourrait constituer un obstacle au déclenchement d’enquêtes promptes et impartiales dans les cas d’allégations de torture survenus sur le territoire de l’État partie. (art. 12 et 14)

L’État partie devrait prendre les mesures idoines pour intégrer la torture à la liste des crimes relevant de la compétence réservée de la police judiciaire et veiller à ce qu’une enquête prompte et impartiale soit toujours déclenchée dans les cas où il y aurait motif de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction.

L’État partie devrait également s’assurer que les auteurs présumés de ces actes soient jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et que les victimes soient convenablement indemnisées, y compris à travers la prise en charge de leur réadaptation physique et psychologique.

Le Comité prend note de la restructuration des différents corps de police, notamment la Police de sécurité publique (PSP) et la Garde nationale républicaine (GNR), ainsi que de l’information selon la quelle l’usage d’armes à feu par la GNR dans le cadre de poursuites motorisées est interdite depuis 2005 « sauf dans les cas clairement protégés par la loi » (CAT/C/67/Add.6, par. 117). Il demeure néanmoins préoccupé par des allégations concernant l’usage excessif de la force par les corps de police, faisant état de blessures par balles, de menaces avec armes, d’abus de pouvoir et d’un cas de décès. (art. 11, 12 et 14)

L’État partie devrait poursuivre les efforts entrepris pour sensibiliser les corps de police au respect des dispositions de la Convention au moyen de formations continues et ciblées. Il devrait par ailleurs s’assurer que toute plainte mettant en cause les corps de police pour des actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants soit immédiatement suivie d’une enquête, que les auteurs présumés soient poursuivis et que les victimes soient indemnisées de manière adéquate.

Utilisation d’armes «  TaserX26  »

Le Comité est vivement préoccupé par l’acquisition récente par l’État partie d’armes électriques « TaserX26 » devant être distribuées au Commandement métropolitain de Lisbonne, au Corps d’intervention, au Groupe d’opérations spéciales et au Corps de sécurité personnelle. Le Comité s’inquiète de ce que l’usage de ces armes provoque une douleur aigüe, constituant une forme de torture, et que dans certains cas, il peut même causer la mort, ainsi que l’ont révélé des faits récents survenus dans la pratique. (art. 1er et 16)

L’État partie devrait envisager de renoncer à l’usage des armes électriques « TaserX26 » dont les conséquences sur l’état physique et mental des personnes ciblées serait de nature à violer les articles premier et 16 de la Convention.

Violences au sein de la famille, notamment contre les femmes et les enfants

Le Comité s’inquiète des informations reçues faisant état de nombreux cas de violence au sein de la famille affectant les femmes et les enfants, ainsi que du nombre élevé de femmes décédées, suite à ces violences. Par ailleurs, le Comité est vivement préoccupé par la décision du 5 avril 2006 de la Cour Suprême selon laquelle « les châtiments corporels modérés administrés à un mineur par une personne habilitée à le faire, et dans un but exclusivement éducatif et adéquat à la situation, ne sont pas illégaux » dans le cadre familial. (art. 16)

L’État partie devrait renforcer ses efforts pour mettre sur pied une stratégie au niveau national visant à prévenir et à combattre la violence au sein de la famille à l’égard des femmes et des enfants. Il devrait prendre les mesures nécessaires pour interdire dans sa législation les châtiments corporels administrés à des enfants au sein de la famille. L’État partie devrait garantir l’accès des femmes et des enfants victimes de violence à des mécanismes habilités à recevoir des plaintes ; sanctionner les auteurs de ces actes de manière appropriée, et faciliter la réadaptation physique et psychologique des victimes.

L’État partie devrait également s’assurer que les agents de la force publique reçoivent une formation continue et ciblée sur la question de la violence à l’égard des femmes et des enfants.

Traite des personnes, y compris celles qui séjournent au Portugal

Le Comité note avec satisfaction qu’en vertu de la loi 23/2007 du 4 juillet 2007, les victimes de la traite des personnes peuvent bénéficier d’un permis de séjour, et se félicite de la campagne de sensibilisation lancée par l’État partie pour lutter contre ce phénomène. Le Comité demeure néanmoins préoccupé par l’ampleur de la traite des personnes qui affecte un nombre très élevé de femmes à des fins d’exploitation économique et sexuelle.(art. 16)

L’État partie devrait poursuivre ses efforts pour lutter contre la traite des personnes et adopter les mesures nécessaires pour sanctionner les auteurs à des peines appropriées.

Discrimination

Le Comité note que l’article 240 du nouveau Code pénal relatif à la non-discrimination couvre désormais non seulement la discrimination basée sur la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale, la religion, mais aussi la discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle. Il est néanmoins préoccupé par des informations faisant état de nombreux actes de violence à caractère discriminatoire à l’encontre de certaines minorités. Le Comité est également préoccupé par le fait que la composition des forces de l’ordre ne reflète pas l’ensemble des minorités résidant au Portugal.(art. 16)

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les actes de violence basée sur toute forme de discrimination et en sanctionner les auteurs de manière appropriée. L’État partie devrait également s’efforcer d’inclure dans les forces de l’ordre des représentants des minorités résidant sur son territoire.

L’État partie est encouragé à envisager la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux traités des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auquel il n’est pas encore partie.

L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Portugal au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, en langue nationale, au moyen des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales. L’État partie est également encouragé à faire circuler ses rapports aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme au niveau national, avant de les soumettre au Comité.

Le Comité invite l’État partie à soumettre son Document de base conformément aux exigences du Document de base commun contenues dans les directives harmonisées pour l’établissement de rapports, adoptées par les organes de traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, et contenues dans le document HRI/GEN/2/Rev.4.

Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les suites qu’il aura données aux recommandations du Comité, telles qu’exprimées dans les paragraphes 11 à 14 ci-dessus.

Le Comité, ayant conclu qu'une quantité d'informations suffisante lui avait été communiquée lors de l'examen du rapport de l’État partie pour combler le retard accumulé dans la soumission de son quatrième rapport, a décidé de demander à cet État de lui soumettre son sixième rapport périodique au plus tard le 30 décembre 2011.

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