NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/TUN/CO/19

23 mars 2009

Original : FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quatorzième session

16 février- 6 mars 2009

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

TUNISIE

1.Le Comité a examiné les dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de la Tunisie, présentés en un seul document (CERD/C/TUN/19), à ses 1904e et 1905e séances (CERD/C/SR.1904 et 1905), tenues les 16 et 17 février 2009. À ses 1926ème et 1927ème séances (CERD/C/SR.1926 et 1927), tenues les 3 et 4 mars 2009, il a adopté les observations finales suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation des dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de l’État partie dans les délais prescrits, ainsi que du dialogue ouvert qu’il a eu avec la délégation et des réponses écrites à la liste des points à traiter (CERD/C/TUN/Q/19/Add.1). Le Comité se félicite de la régularité avec laquelle l’État partie soumet ses rapports.

3.Le Comité apprécie les efforts faits par l’État partie pour se conformer à ses principes directeurs concernant la présentation des rapports, mais regrette l’absence de renseignements sur la mise en œuvre concrète de la Convention et de réponses portant sur des problèmes évoqués dans ses observations finales précédentes.

GE.09-41256

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite du fait que, pour l’État partie, conformément à l’article 32 de sa Constitution, les instruments internationaux qui ont été ratifiés et promulgués par lui, dont la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, font partie de sa législation nationale, ont la primauté sur les normes de cette législation et peuvent être invoqués directement devant les tribunaux.

5.Le Comité note avec intérêt que, suite aux recommandations du Conseil des droits de l’homme (A/HRC/8/21 et Corr.1, par. 83, recommandation nº 4) et du Comité des droits de l’homme (CCPR/C/TUN/CO/5, par. 8), le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, institution nationale créée en 1991, a fait l’objet en 2008 d’une réforme de ses attributions, de sa composition et de ses méthodes de travail, en vue d’accroître son efficacité et son indépendance, conformément aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale). Le Comité se félicite des démarches entreprises par l’État partie en vue de soumettre la demande d’accréditation du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales au Comité international de coordination des institutions nationales et encourage l’État partie à respecter effectivement l’indépendance du Comité supérieur susmentionné.

6.Le Comité accueille favorablement les diverses mesures prises pour promouvoir, à tous les niveaux de l’enseignement, le principe de tolérance et la culture des droits de l’homme. Le Comité note avec intérêt l’enseignement des droits de l’homme à l’Institut supérieur de la magistrature, à l’École supérieure des agents de l’administration pénitentiaire et à l’École d’agents de la sûreté nationale.

7.Le Comité se félicite de la poursuite des efforts entrepris par l’État partie pour favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre les peuples, les civilisations et les religions. Il relève notamment la formation académique assurée à l’université d’Ezzitouna qui met l’accent sur l’histoire des religions, les droits de l’homme dans les textes sacrés et le dialogue interreligieux.

8.Le Comité loue la poursuite des efforts consentis par l’État partie pour réduire la pauvreté et promouvoir les zones les moins favorisées de Tunisie, lutter contre l’analphabétisme et assurer l’égalité des hommes et des femmes dans la société tunisienne.

9.Le Comité accueille favorablement la ratification en 2008 par l’État partie du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

10.Le Comité prend note de nouveau de l’écart existant entre l’appréciation de l’État partie selon laquelle la société tunisienne serait homogène et des informations fournies par l’État partie lui-même au sujet de l’existence de populations différentes, telles que les populations berbérophones et d’Afrique subsaharienne vivant dans le pays.

Eu égard à l’absence de données statistiques précises sur la composition ethn ique de la société tunisienne, le Comité recommande à l’État partie de fournir dans ses rapports ultérieurs des estimations concernant la composition ethnique de sa population comme il est recommandé au x paragraphe s 10 et 12 des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention (CERD/C/2007/1) , et il appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale 8 (1990) concernant l’auto ‑identification des membres des groupes raciaux et ethniques.

11.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles la population amazigh de Tunisie, qui ne constituerait pas plus de 1 % de la population totale, serait parfaitement intégrée dans l’unité plurielle tunisienne et ne souffrirait d’aucune forme de discrimination.

Le Comité appelle l’ É tat partie à prendre en considération la façon dont les Amazighs eux-mêmes se perçoivent et se définissent. Le Comité invite instamment l’ É tat partie à reconsidérer la situation des Amazighs à la lumière des accords internationaux relatifs aux droits de l’homme, en vue de garantir aux membres de cette communauté l’exercice de s droits qu’ils revendiquent, notamment le droit à leur propre culture et à l’usag e de leur langue maternelle, à la préservation et au développement de leur identité.

12.Le Comité note qu’en dépit des recommandations faites en 2003 (CERD/C/62/CO/10, par. 9) l’État partie a réaffirmé dans son rapport périodique que la discrimination raciale n’existe pas en Tunisie. Il croit comprendre que l’État partie entend par là que, même si des incidents de discrimination raciale peuvent se produire, il ne commet lui-même aucune discrimination raciale systématique.

É tant donné que les actes de discrimination raciale souvent échappent à la politique officielle des gouvernements, l e Comité recommande à l’État partie d’entreprendre des études en vue d’apprécier et d’évaluer concrètement l’existence de discrimination raciale exercée de facto par des personnes, des groupes ou des organisations .

13.Le Comité note que la loi n° 2003-75 de l’État partie ne répond pas entièrement aux exigences de spécificité de l’article 4 de la Convention.

Rappelant s es recommandation s générale s 7 (1985) and 15 (1993) , l e Comité recommande à l’État partie d’adopter une législation spécifique sur le délit de discrimination raciale et la propagation de la haine raciale satisfaisant à toutes les exigences de l’article 4 de la Convention et prévoyant des sanctions proportionnelles à la gravité des infractions.

14.Le Comité regrette que les informations fournies sur la mise en œuvre de l’article 5 de la Convention relatif à l’obligation des États parties de garantir la jouissance des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et des libertés fondamentales sans discrimination raciale soient incomplètes.

Le Comité recommande à l’État partie de traiter de façon plus précise la question de la non ‑discrimination dans les informations concernant la jouissance des droits énoncés à l’article 5 de la Convention et de fournir des informations concrètes sur l’exercice de ces droits par les migrants d’Afrique subsaharienne et les A mazighs relevant de sa juridiction.

15.Le Comité est préoccupé par l’absence de législation spécifique sur les réfugiés et par des mesures de refoulement qui auraient été prises à leur encontre. Il note également des informations faisant état de retards dans l’émission et le renouvellement des cartes de séjour des réfugiés.

Le Comité invite l’État partie à élaborer un cadre législatif pour la protection des réfugiés conformément aux normes internationales, à poursuivre sa collaboration avec le Haut Commissariat des N ations Unies pour les réfugiés ( HCR ) et à protéger les personnes qui se sont réfugiées en Tunisie . Le Comité recommande également à l’État partie, conformément à l’article 5, paragraphe b de la Convention, de veiller à ce que personne ne soit renvoyé de force dans un pays où l’on peut raisonnablement penser que sa vie ou son intégrité physique peut être mise en danger. Le Comité invite l’ É tat partie à s’ assurer que d es cartes de séjour sont émises et renouvelées sans délais à tous les réfugiés , quelle que soit leur nationalité et sans exiger la présentation d’un passeport valable .

16.Tout en prenant acte des informations fournies par l’État partie, le Comité reste préoccupé par certaines informations faisant état de pratiques administratives interdisant l’inscription au registre de l’état civil des prénoms amazighs.

Le Comité recommande à l’ É tat partie de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer l’abandon effectif de cette pratique sur l’ensemble de son territoire.

17.Le Comité prend note de la position de l’État partie mais se dit préoccupé par des informations selon lesquelles les Amazighs n’ont pas le droit de créer des associations à caractère social ou culturel.

Le Comité engage l’ É tat partie à prendre en considération les recommandations formulées par le Comité des droits de l’homme dans ses observations finales concernant la Tunisie ( CCPR/C/TUN/CO/5 , par. 21 ) visant à ce qu’ell e veille à l’enregistrement des associations et à ce qu’un recours efficace et dans les plus brefs délais contre tout refus d’enregistrement soit garanti à toutes les associations concernées.

18.Le Comité note que, d’après certaines informations, les Amazighs sont empêchés de préserver et d’exprimer leur identité culturelle et linguistique en Tunisie.

Le Comité souligne que l’État partie est tenu, aux termes de l’article 5 d e la Convention, de respecter les droits des Amazighs de jouir de leur propre culture et de parler leur propre langue en privé et en public, librement et sans discrimination. Le Comité recommande à la Tunisie de considérer la possibilité d’autoriser l’usage du tamazight (langue amazigh) dans les démarches des berbérophones au sein des différentes administrations et juridictions . Il l’ invite à favoriser la protection et la promotion de la culture amazigh en tant que culture vivante et à prendre des mesures, en particulier dans le domaine de l’éducation, afin d’encourager la connaissance de l’histoire, de la langue et de la culture des Amazighs. Il recommande à la Tunisie d’envisager la possibilité de diffuser des émissions en tamazight dans les programmes des médias publics.

19.Tout en notant que le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales a reçu plus de 4 100 plaintes concernant des violations de droits de l’homme depuis les dernières observations finales, le Comité prend acte des informations fournies par la délégation sur l’absence de plainte pour discrimination raciale.

Le Comité demande à l’État partie d’inclure, dans son prochain rapport périodique, des données statistiques sur les poursuites engagées et les peines infligées dans les cas d’infractions en rapport avec la discrimination raciale ou les dispositions pertinentes de la législation interne ont été appliquées. Rappelant sa recommandation générale 31 (2005), le Comité rappelle que l’absence de plaintes et d’actions en justice de la part des victimes de discrimination raciale peut, dans une large mesure, être le signe d’absence de législation appropriée, de l’ignorance de l’existence de voies de recours ou d’un manque de volonté des autorités d’engager des poursuites. Le Comité demande à l’État partie de prévoir les dispositions nécessaires dans la législation nat ionale et d’informer le public de l’existence de voies de recours dans le domaine de la discrimination raciale.

20.Tout en gardant à l’esprit que, d’après la Constitution de l’État partie, la Convention a une autorité supérieure à celle des normes du droit interne, le Comité note que la Convention n’a jamais été directement invoquée devant les tribunaux nationaux.

Le Comité recommande à l' É tat partie d ’amplifier ses efforts pour assurer une formation en droit international des droits de l’homme suffisante à l’intention des juges et des avocats afin de les sensibiliser au contenu et à l’application directe de la Convention en droit interne.

21.Le Comité encourage l’État partie à envisager la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

22.Le Comité recommande à l’État partie de tenir compte des parties pertinentes de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (A/CONF.189/12, chap. I), lorsqu’il transposera la Convention dans son ordre juridique interne, en particulier les dispositions des articles 2 à 7 de la Convention. En outre, il exhorte l’État partie à inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements spécifiques sur les plans d’action adoptés et les autres mesures prises pour mettre en œuvre ces deux textes au niveau national. Le Comité encourage également l’État partie à participer activement au Comité préparatoire de la Conférence d’examen de Durban et à la Conférence d’examen de Durban de 2009.

23.Le Comité prend note de la mise à l’étude par l’État partie de la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention et l’encourage à la faire aboutir rapidement.

24.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties et approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992. À cet égard, il rappelle la résolution 63/243 du 24 décembre 2008 dans laquelle l’Assemblée générale a demandé instamment aux États parties de hâter leur procédure interne de ratification de l’amendement et d’informer par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation de cet amendement.

25.Le Comité recommande à l’État partie de mettre à la disposition du public ses rapports périodiques dès leur soumission et de faire connaître de la même manière les observations finales du Comité, dans la langue officielle et dans les autres langues utilisées dans l’État partie.

26.Le Comité recommande à l’État partie de consulter largement les organisations de la société civile lors de l’élaboration du prochain rapport périodique.

27.Le Comité invite l’État partie à mettre son document de base à jour conformément auxdirectives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés envertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier les instructionsrelatives au document de base commun, adoptées par la cinquième réunion intercomités desorganes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tenue en

juin 2006 (HRI/GEN/2/Rev.4).

28.Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de sonrèglement intérieur, tel qu’amendé, le Comité prie l’État partie de l’informer de la suite donnéeaux recommandations figurant aux paragraphes 13, 16et 17 ci-dessus dans un délai d’un an àcompter de l’adoption des présentes observations finales.

29.Le Comité recommande à l’État partie de soumettre sesvingtième, vingt et unième et vingt deuxième rapports périodiques en un seul document le 4 janvier 2012au plus tard,en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement àla Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), eten veillant à répondre à tous les points soulevés dans les présentes observations finales.

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