Nations Unies

CAT/OP/TUN/2

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 août 2017

Original : français

Anglais, arabe, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Visite en Tunisie menée du 11 au 14 avril 2016 : observations et recommandations adressées au Mécanisme national de prévention

Rapport établi par le Sous-Comité * , **

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Cadre normatif du Mécanisme national de prévention4

III.Fonctionnement provisoire et à long terme du Mécanisme national de prévention5

IV.Cohérence du système de prévention8

V.Relations avec la société civile9

VI.Mesures de sensibilisation et visibilité du Mécanisme national de prévention10

VII.Considérations finales11

Annexe

Liste des personnes rencontrées par le Sous-Comité12

I.Introduction

1.Le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après « le Sous-Comité ») a effectué sa première visite en Tunisie du 11 au 14 avril 2016, en vertu des dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après « le Protocole facultatif »).

2.La délégation était composée des membres suivants du Sous-Comité : Hans-Jörg Viktor Bannwart (chef de la délégation), Suzanne Jabbour et Gnambi Garba Kodjo. Les membres du Sous-Comité ont bénéficié de l’assistance de trois membres du personnel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, dont un agent de sécurité, ainsi que de deux interprètes locaux.

3.La visite avait pour objectif principal d’accompagner la mise en place de l’Instance nationale pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui est le mécanisme national de prévention (ci-après « le Mécanisme »), et d’offrir des avis et une assistance technique au Gouvernement tunisien et aux membres désignés du Mécanisme, en vue de garantir son fonctionnement effectif et indépendant dans les meilleurs délais. Le présent rapport contient des observations et des recommandations à l’intention du Mécanisme, formulées dans le cadre du mandat fixé par les sous-alinéas ii) et iii) de l’alinéa b) de l’article 11 du Protocole facultatif.

4.Lors de sa visite, le Sous-Comité a tenu deux réunions privées, les 13 et 14 avril 2016, avec des membres du Mécanisme élus par l’Assemblée des représentants du peuple, au cours desquelles il a examiné des questions relatives à la mise en place effective du Mécanisme, son fonctionnement provisoire et à long terme, ses mandats, son indépendance, sa visibilité, ses relations avec les autres acteurs nationaux et internationaux engagés dans la prévention et la lutte contre la torture, et les objectifs de prévention tels que les modalités de visites et les recommandations formulées à l’issue de celles-ci. Le Sous-Comité tient à les remercier pour leur coopération ainsi que pour les informations précieuses qu’ils lui ont communiquées.

5.En outre, le Sous-Comité s’est entretenu avec des représentants du Gouvernement tunisien, notamment du Ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme, du Ministère de la justice, du Ministère des affaires sociales, du Ministère de l’intérieur, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la défense et du Ministère de la santé ; le Président de la Commission électorale de l’Assemblée des représentants du peuple, le premier Président de la cour d’appel de Tunis et les représentants des magistrats et des avocats tunisiens ; des représentants du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui est l’institution nationale des droits de l’homme, de l’Instance Vérité et Dignité et du Médiateur administratif auprès de la présidence ; des représentants d’organisations internationales, notamment de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et du Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées ; le responsable du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à Tunis ; ainsi que des membres des organisations de la société civile.

6.Dans le présent rapport, le Sous-Comité expose ses conclusions et recommandations au Mécanisme concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté dans l’État partie. L’expression « mauvais traitements » est utilisée au sens générique et vise toutes les formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.En application du mandat conféré par le sous-alinéa iv) de l’alinéa b) de l’article 11 du Protocole facultatif, le Sous-Comité a transmis aux autorités de l’État partie un rapport confidentiel distinct du présent contenant des recommandations à son intention.

II.Cadre normatif du Mécanisme national de prévention

8.Le Sous-Comité prend acte avec satisfaction du cadre législatif instituant l’Instance nationale pour la prévention de la torture. Il se félicite également de ce que la définition de la privation de liberté et celle des lieux de détention prévues à l’article 2 de la loi organique no 2013-43 du 23 octobre 2013 sont conformes à l’article 4 du Protocole facultatif. En outre, il note avec satisfaction les dispositions donnant à cette instance le droit, entre autres, d’effectuer des visites régulières et inopinées dans les lieux de détention, de procéder à des entrevues en privé avec les détenus et d’émettre des recommandations concrètes à l’intention du Gouvernement. Le Sous-Comité demeure néanmoins préoccupé par un certain nombre de lacunes et d’imperfections présentes dans ladite loi. Il relève notamment :

a)Le fait que les lieux de détention placés sous la juridiction ou le contrôle du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la défense, en particulier les commissariats de police et les prisons militaires, ne sont pas explicitement mentionnés à l’article 2 de la loi organique, ce qui est susceptible de donner lieu à des interprétations restrictives des pouvoirs du Mécanisme et de nuire directement à son mandat et à son travail ;

b)Le fait que le cadre normatif actuel ne garantit pas la pleine indépendance du Mécanisme, conformément aux dispositions de l’article 18 du Protocole facultatif, les critères relatifs à l’indépendance et à l’impartialité des membres du Mécanisme, tels que mentionnés à l’article 6 de la loi organique, demeurant peu clairs et mal définis ; et les éventuels conflits d’intérêt que pourrait engendrer la nomination au sein du Mécanisme d’agents de la fonction publique, notamment d’une juge en activité et d’une déléguée à la protection de l’enfance du Ministère de la femme, de la famille et de l’enfance ;

c)Les informations selon lesquelles le processus de sélection et de nomination des membres ne s’est pas déroulé de manière suffisamment transparente et participative ;

d)Le fait que les critères d’éligibilité énumérés à l’article 6 de la loi organique ne font pas référence à l’expertise et aux compétences des membres du Mécanisme dans le domaine de la prévention de la torture, ce qui aurait conduit à l’élection d’un certain nombre de candidats ne possédant pas les capacités et les connaissances requises pour exercer leurs fonctions de manière efficace ;

e)Le fait que les autorités puissent, en vertu de l’article 13 de la loi organique, refuser les demandes d’accès à un lieu de détention en invoquant les intérêts de la défense nationale et de la sécurité, ou l’existence d’une catastrophe naturelle ou de « graves troubles » dans le lieu de détention en question.

9.Le Sous-Comité engage le Mécanisme, conformément à l’article 3 (5) de la loi organique no 2013-43 du 23 octobre 2013 et à l’alinéa c) de l’article 19 du Protocole facultatif lui donnant mandat d’émettre des avis au sujet de la législation en vigueur ou des projets de loi portant sur la prévention de la torture, à plaider en faveur d’un renforcement du cadre juridique l’instituant. Ce faisant, le Mécanisme devrait adresser des recommandations pour amender la loi organique de manière à ce qu’elle soit pleinement conforme au Protocole facultatif, aux directives concernant les mécanismes nationaux de prévention (CAT/OP/12/5) et aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

10. Plus spécifiquement, le M écanisme devrait encourager les autorités compétentes de l ’É tat partie à  :

a) Apporter les modifications nécessaires à la loi organique afin de se conformer pleinement aux dispositions des articles 4 et 20 du Protocole facultatif et de garantir le libre accès du M écanisme à tous les lieux de détention, y compris ceux placés sous la juridiction du Ministère de l ’i ntérieur et du Ministère de la d éfense  ;

b) S ’ assurer qu ’ à l ’ avenir, les membres du M écanisme seront nommés selon une procédure totalement transparente, participative et suivant des critères rendus publics et conformes aux dispositions de l ’ article 18 du Protocole facultatif ;

c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l ’ indépendance du M écanisme et sa crédibilité auprès du public et, plus particulièrement, des victimes, notamment en s ’ assurant que tous ses membres, y compris ceux issus de la société civile, puissent exercer leurs fonctions à plein temps de manière à éviter tout conflit d ’ intérêt réel ou perçu ;

d) Mettre à disposition les moyens nécessaires pour élaborer et mettre en œuvre au plus vite des programmes de formation initiale et continue afin de s ’ assurer que les membres du M écanisme possèdent les compétences et les connaissances nécessaires en matière de prévention de la torture pour leur permettre d ’exercer leurs fonction s de manière efficace, individuellement et collectivement. À cet égard, le S ous ‑ Comité et le H aut-Commissariat aux droits de l’homme se tiennent à dispo sition pour fournir tout le soutien nécessaire en vue de renforcer les capacités desdits membres ;

e) Abroger l ’ article 13 de la loi organique afin de s ’ assurer que cette disposition ne sera pas interprétée de manière à entraver l ’ accès de s membres du Mécanisme à certains lieux de détention et à l es empêcher ainsi de s ’ acquitter efficacement de leur mandat.

III.Fonctionnement provisoire et à long terme du Mécanisme national de prévention

11.Le Sous-Comité ne peut qu’exprimer un avis positif sur le fait que le Mécanisme ait été créé par voie législative, ce qui lui donne une certaine garantie de stabilité et d’indépendance. Il se félicite également de la nomination, les 29 et 30 mars 2016, des 16 membres de l’Instance nationale pour la prévention de la torture par l’Assemblée des représentants du peuple, faisant de la Tunisie le premier pays de la région à se doter d’un mécanisme national de prévention de la torture. À ce titre, le Sous-Comité accordera une attention toute particulière à la mise en place effective du Mécanisme et au démarrage de ses activités, et pourrait envisager une prochaine visite pour assurer le suivi des mesures prises par le Mécanisme pour mettre en œuvre les recommandations formulées.

12.Le Sous-Comité note avec satisfaction que les principales missions confiées au Mécanisme, définies à l’article 3 de la loi organique, sont conformes aux normes établies par l’article 19 du Protocole facultatif. Ses membres sont chargés, entre autres, d’effectuer des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de détention, de formuler des recommandations aux autorités concernées afin de prévenir la torture, de donner des avis concernant les textes de projets de loi et de règlement se rapportant à la prévention de la torture, de mener des campagnes de sensibilisation, d’organiser des programmes de formation, de réaliser et publier des recherches, études et rapports relatifs à leur domaine de compétence, et de recevoir et d’examiner les plaintes et les notifications concernant d’éventuels cas de torture. Le Sous-Comité salue également la composition variée du Mécanisme qui est constitué de six membres représentant la société civile, deux professeurs universitaires, un spécialiste de la protection de l’enfance, deux avocats, deux juges (dont un retraité) et trois médecins (dont un psychiatre).

13.Le Sous-Comité note avec satisfaction que les formalités prévues par la loi organique no 2013-43 ont été mises en œuvre, notamment la tenue de la première séance du Mécanisme pour élire son président (art. 8), la nomination par décret des membres par le biais d’une publication dans le journal officiel de la République et la prestation de serment devant le Chef du Gouvernement (art. 9).

14. Le M écanisme devrait pouvoir se doter de ses structures organisationnelles et de son règlement intérieur, conformément à l ’ article 17 de la loi organique, et adopter sa stratégie et son plan d ’ action de manière autonome afin que son indépendance fonctionnelle et opérationnelle soit garantie. Dans cette optique, le M écanisme devrait inciter le Gouvernement tunisien à adopter dans les plus brefs délais les décrets d ’ application y relatifs.

15. Le S ous-Comité engage le M écanisme à faire un état des lieux des lacunes en matière de prévention de la torture, notamment au regard du cadre législatif et du suivi de la situation dans les lieux de privation de liberté, et à formuler une stratégie de réponse à cet état des lieux dans le cadre de son mandat. Cette stratégie devrait arrêter les critères de priorisation des lieux de privation de liberté qui feront l ’ objet d ’ inspections périodiques, en fonction du type et de la taille des établissements, de la gravité des allégations de violations des droit s de l ’ homme dont le M écanisme aura eu connaissance, ainsi que de l ’ accessibilité des établissements par d ’ autres mécanismes de surveillance.

16. Sur la base de cette stratégie, le M écanisme devrait établir un programme de travail et de collaboration qui couvre progressivement tous les lieux de privation de liberté ainsi que les lieux où pourraient se trouver des personnes privées de liberté, conformément aux dispositions des articles 4 et 29 du Protocole facultatif, tout en s ’ assurant qu ’ aucun type d ’ établissement ni aucune zone géographique ne soit exclu.

17. Dans cette optique, le M écanisme devrait, en accord avec l ’ article 3 ( 8) de la loi organique, constituer une base de données sécurisée des lieux de privation de liberté en Tunisie afin de pouvoir planifier ses visites de manière indépendante et s ’ acquitter pleinement de son mandat. La base de données devrait inclure, entre autres, les caractéristiques physiques de chaque établissement, tels que le plan des quartiers et l ’ agencement des lieux ainsi que les dimensions des locaux, cours et cellules, et être alimentée par les informations recueillies au fur et à mesure des visites.

18. En outre, le S ous-Comité recommande au M écanisme de maintenir confidentiel le programme de ses visites, estimant que les visites inopinées permettent de se faire une idée de la réalité des conditions qui prévalent dans un lieu de privation de liberté, y compris les lieux de garde à vue, et d ’ observer son fonctionnement normal.

19. S ’ agissant de la présentation de recommandations d ’ ordre législatif et réglementaire, le M écanisme est encouragé à œuvrer au renforcement du cadre normatif et institutionnel pour la prévention de la torture et la lutte contre l ’ impunité, en étroite collaboration avec l ’ État partie et ses institutions, en tenant compte des recommandations formulées par le S ous-Comité au terme de sa visite en Tunisie et en priorisant les observations et les recommandations formulées par le Comité contre la torture dans le cadre de ses observations finales adressées au Gouvernement tunisien (CAT/C/TUN/CO/3).

20.Le Sous-Comité note l’engagement pris par le Gouvernement tunisien de fournir au Mécanisme les ressources financières nécessaires, évaluées sur la base des besoins exprimés par ce dernier, pour lui permettre de s’acquitter pleinement de son mandat, conformément aux paragraphes 8, 11 et 12 des directives concernant les mécanismes nationaux de prévention établies par le Sous-Comité. Il note également que lesdites ressources financières doivent être « constituées de fonds annuels imputés sur le budget de l’État » et qu’elles doivent être directement gérées par le Mécanisme, conformément aux articles 15 et 16 de la loi organique et aux dispositions du Protocole facultatif. Le Sous‑Comité exprime toutefois son inquiétude face au fait que les fonds mis à la disposition du Mécanisme ne sont pas suffisants pour lui permettre de remplir ses fonctions de manière adéquate et face à l’absence d’une ligne budgétaire indépendante dans le budget global de l’État pour l’année 2017, ce qui est de nature à nuire à son autonomie administrative et financière telle que stipulée dans l’article premier de la loi organique, et donc à son bon fonctionnement.

21. Le S ous-Comité recommande au M écanisme de poursuivre son plaidoyer auprès du Gouvernement tunisien pour qu ’ il le dote d ’ un budget stable, adéquat, distinct de celui des autorités et disponible au début de chaque année afin de garantir son bon fonctionnement et son indépendance financière et opérationnelle, conformément aux paragraphes 1 et 3 de l ’ article 18 du Protocole facultatif. Dans cette optique, il encourage le M écanisme à utiliser les moyens à sa disposition pour faire valoir l ’ importance d ’ une allocation budgétaire plus substantielle pour l ’ année 2017, sur la base d ’ un budget détaillé des dépenses nécessaires à l ’ établissement et à la mise en œuvre de son programme annuel de visites sur l ’ ensemble du territoire national  ; à la conduite de ses activités de suivi , le cas échéant  ; à la mobilisation et au développement de partenariat s avec les acteurs concernés par la prévention de la torture  ; et à la prise en charge de tous les besoins logistiques et infrastructurels indispensables à son bon fonctionnement, y compris les frais d ’ installation, les salaires d u personnel, la publication des rapports et la dissémination des outils de sensibilisation .

22. Le S ous-Comité recommande au M écanisme de prendre les dispositions nécessaires pour recruter directement s on personnel de manière à garantir l a pleine indépendance de ce dernier vis-à-vis du Gouvernement tunisien, conformément au paragraphe 1 de l ’ article 18 du Protocole facultatif, et disposer d ’ un nombre suffisant de personnes qualifié e s et diversifié e s pour pourvoir les postes des différents départements de son administration ou du secrétariat permanent et lui permettre de remplir les divers mandats et fonctions qui lui incombent. En ce sens, le S ous-Comité suggère au M écanisme d ’ étudier des mesures créatives pour développer ses ressources humaines, telles que des programmes de stage ou des partenariats avec des universités et des organisations de la société civile.

23.Le Sous-Comité est préoccupé par l’absence de fonds alloués au Mécanisme pour sa mise en œuvre en 2016 et par l’insuffisance des ressources matérielles mises à sa disposition pour l’année 2017. Il note également que l’adoption des décrets gouvernementaux fixant le règlement intérieur et l’organigramme du Mécanisme, ainsi que la mise à disposition des ressources humaines, techniques et financières nécessaires à son démarrage pourraient prendre encore du temps, ce qui nuirait à sa prompte mise en place et à son fonctionnement effectif.

24. Le S ous-Comité recommande au M écanisme de renforcer son plaidoyer auprès du Gouvernement tunisien pour qu ’ il lui fournisse d’ urge nce des ressources humaines, matérielles et financières provisoires afin de faciliter sa mise en place et le démarrage rapide de ses activités. Plus concrètement, le M écanisme devrait utiliser tous les moyens à sa disposition pour inciter le Gouvernement tunisien à lui fournir des effectifs adéquat s pour former un secrétariat ou une administration temporaire, un local fonctionnel et adapté aux exigences de sécurité et de confidentialité pour accueillir les premières réunions, ainsi qu ’ un budget suffisant pour assurer son fonctionnement dans les plus brefs délais.

IV.Cohérence du système de prévention

25.Le Sous-Comité note avec satisfaction la mise en place de différentes institutions intégrant dans leur mandat la prévention et la lutte contre la torture, en particulier le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Médiateur administratif auprès de la présidence et l’Instance Vérité et Dignité. Il reconnaît toutefois les défis qu’une telle variété d’acteurs pose en matière de cohérence et souligne qu’il est nécessaire que leur travail soit coordonné avec celui du Mécanisme pour réduire le risque de confusion chez les parties prenantes, les bénéficiaires des services offerts par ces institutions et les autorités. Il note également qu’une bonne coordination et coopération entre ces institutions limiteraient le risque de conflits négatifs de compétence et d’interventions contradictoires de leur part.

26. Le S ous-Comité engage le M écanisme à formuler, dans le cadre de son mandat, une stratégie qui devrait identifier les lignes directrices d ’ action et de collaboration lui permettant d ’ utiliser ses ressources le plus rationnellement possible et de garantir une coopération et une coordination effective avec les différentes institutions ayant dans leur mandat la prévention et la lutte contre cette pratique, en particulier le Comité supérieur des droits de l ’ homme et des libertés fondamentales , le Médiateur administratif auprès de la présidence et l ’ I nstance Vérité et Dignité , afin de réduire le risque de confusion chez les parties prenantes, les bénéficiaires et les autorités, et d ’ éviter d ’ éventuelles interventions contradictoires qui pourraient affaiblir le système de prévention national. Le M écanisme devrait ainsi prendre toutes les mesures nécessaires pour promouvoir une division adéquate des tâches entre les acteurs concernés et mettre l ’ accent sur la complémentarité de leur action de façon à éviter les chevauchements et doublons dans l ’ exercice de leur s mandat s respectif s . À ce tte fin, le S ous-Comité encourage le M écanisme à prioriser ses fonctions préventives et à engager le dialogue avec ces institutions afin de favoriser la mise en place d ’ un cadre de concertation qui faciliterait les échanges d ’ informations et la synergie d ’ action.

27.Le Sous-Comité note l’élaboration d’un projet de loi établissant une nouvelle institution nationale des droits de l’homme indépendante qui sera pleinement conforme aux Principes de Paris et équipée pour remplir les fonctions qui lui ont été assignées par l’article 128 de la Constitution de 2014, à savoir, notamment, la promotion et la protection des libertés et des droits de l’homme, la formulation de propositions en vue du développement du système des droits de l’homme, l’émission d’avis législatifs sur des projets de loi se rapportant à son domaine de compétence, et la conduite d’enquêtes sur les cas de violation des droits de l’homme en vue de les régler ou de les soumettre aux autorités compétentes. Le Sous-Comité note toutefois que les articles 11 et 12 du projet de loi sur l’établissement de l’institution nationale des droits de l’homme autorisent cette institution à effectuer des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de détention et demandent à toutes les autorités concernées de faciliter l’exercice de son mandat préventif. Bien que les articles 4 et 21 dudit projet soulignent l’importance de la coopération et de la coordination entre l’institution nationale des droits de l’homme et les autres institutions des droits de l’homme, en particulier le Mécanisme, le Sous-Comité demeure préoccupé par le chevauchement des mandats des deux instances (qui héritent chacune d’une double fonction de prévention et de traitement des plaintes relatives à la torture) et le risque de confusion et d’interventions contradictoires qui pourrait en résulter.

28. Le S ous-Comité encourage le M écanisme à explorer les différentes modalités de coopération et de coordination possibles avec l ’institution nationale des droits de l’homme afin de garantir la cohérence et la complémentarité de leur action et d ’ éviter le s double s emploi s , de clarifier leur s mandat s respectif s aux yeux des parties prenantes, des bénéficiaires et des autorités, et de renforcer l ’ efficacité et la crédibilité des institutions concernées et, plus généralement, du système national de prévention de la torture. Plus particulièrement, le S ous-Comité recommande au M écanisme de donner la priorité à son mandat préventif en laissant à l ’institution nationale des droits de l’homme le soin de recevoir et de traiter les plaintes relatives à la torture. Le M écanisme devrait également pouvoir participer à l ’ élaboration des textes de loi portant sur cette instance . Le S ous-Comité souhaite aussi attirer l ’ attention du M écanisme sur la possibilité de signer un mémorandum d ’ accord ou d ’ établir un système de référencement entre les deux entités (à travers lequel le M écanisme pourrait renvoyer les cas de torture à l ’institution nationale des droits de l’homme ), ou encore de mettre en place une base de données commune.

29.Tout en saluant l’adoption de la loi organique no 2013­53 de décembre 2013 relative à la justice transitionnelle et à son organisation, le Sous-Comité attire l’attention sur l’ampleur du mandat de l’Instance Vérité et Dignité. Il constate avec préoccupation que la loi ne lui accorde que cinq ans pour faire la vérité sur les violations commises pendant près de soixante ans, et qu’elle a déjà reçu près de 30 000 plaintes, dont environ 20 000 relatives à des cas de torture et mauvais traitements. Le Sous-Comité est aussi préoccupé par le fait que le budget qui lui a été alloué demeure insuffisant pour lui permettre de s’acquitter de son mandat.

30. Le S ous-Comité encourage le M écanisme à faire un plaidoyer auprès du Gouvernement pour le sensibiliser au fait que les plaintes pour torture et mauvais traitement reçues par l ’ I nstance Vérité et Dignité devront être transférées, lorsque son mandat sera terminé, aux chambres criminelles spécialisées dans le domaine de la justice transitionnelle créées par le décret n o 2014-2887 du 8  août 2014, de manière à ce que tous les auteurs d ’ actes de torture commis pendant la période couverte par la loi de justice transitionnelle soient traduits en justice et que les victimes puissent accéder à des réparations adéquates.

V.Relations avec la société civile

31.Le Sous-Comité note avec satisfaction les accords conclus entre le Gouvernement tunisien et différents organismes au niveau national et international pour renforcer la surveillance des lieux de détention, notamment ceux conclus avec le Comité international de la Croix-Rouge et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, en 2005 et 2011 respectivement, ainsi que l’adoption, en décembre 2012, de neuf mémorandums d’accord avec plusieurs organisations nationales des droits de l’homme sur les visites de prison. Le Sous-Comité note également avec satisfaction l’élection au sein du Mécanisme de quatre membres de l’équipe nationale de surveillance des lieux de détention appartenant à la société civile. Il est néanmoins préoccupé par les informations fournies par le Gouvernement tunisien selon lesquelles les mémorandums d’accord entre le Ministère de la justice et les organisations de la société civile concernées prendraient fin une fois le Mécanisme mis en place, ce qui pourrait sérieusement limiter leur accès aux lieux de détention et compromettre leur rôle de veille en matière de prévention de la torture.

32. Le Sous-Comité souligne l ’ importance de la pluralité d ’ acteurs dans la prévention et la lutte contre la torture et la multiplicité des mécanismes de contrôle et de surveillance à différents niveaux. Il rappelle toutefois qu’il faut examiner les modalités de coopération et de coordination possibles entre ces divers organismes afin d ’ assurer la cohérence et la complémentarité de leur action et d ’ éviter le s double s emploi s . En ce sens, le S ous-Comité considère que le travail du M écanisme devrait compléter celui effectué par les mécanismes de veille déjà en place dans le pays, y compris ceux établis par la société civile, plutôt que de s ’ y substituer. À ce titre, il encourage le M écanisme à soutenir les organisations internationales et nationales des droits de l ’ homme dans leur plaidoyer auprès du Gouvernement tunisien pour qu ’ il leur garantisse un accès continu aux lieux de détention et leur permette de poursuivre leur travail de contrôle et de surveillance, notamment en renouvelant les mémorandums d ’ accord entre le Ministère de la j ustice et lesdites organisations.

33. Le M écanisme devrait collaborer étroitement avec les organisations de la société civile dans la réalisation de ses missions, en s ’ assurant notamment que les visites des lieux de détention couvrent l ’ intégralité du territoire national, mais aussi en organisant des campagnes de sensibilisation et des formations en matière de prévention de la torture.

34. Le Sous-Comité recommande au M écanisme de prendre toutes les dispositions nécessaires pour développer son réseau avec les partenaires potentiels relevant de son mandat de prévention de la torture, notamment les acteurs de la société civile, afin de garantir une bonne coopération et coordination de leurs activités respectives. En outre, les organisations de la société civile pourraient jouer un rôle de veille auprès du M écanisme en surveillant et en évaluant régulièrement son travail afin de s ’ assurer qu ’ il rempli t dûment son mandat de prévention de la torture.

VI.Mesures de sensibilisation et visibilité du Mécanisme national de prévention

35.Le Sous-Comité est préoccupé par l’insuffisance des mesures de sensibilisation et des programmes de formation portant sur l’interdiction absolue de la torture destinés aux agents chargés de l’application de la loi et au personnel pénitentiaire, aux acteurs de la justice, aux gendarmes, aux professionnels de la santé, aux membres des forces armées, aux agents des institutions gouvernementales et non gouvernementales pertinentes, ainsi qu’au grand public. En outre, bien qu’il soit conscient que le Mécanisme est un organe récent parmi les institutions tunisiennes des droits de l’homme, le Sous-Comité craint que le possible manque de visibilité du Mécanisme ne compromette la mise en œuvre des recommandations de ce dernier par les autorités compétentes, comme le prévoit l’article 22 du Protocole facultatif.

36. Le Sous-Comité recommande au M écanisme de mener des campagnes de sensibilisation et de participer à la formation des agents chargés de l ’ application de la loi et du personnel pénitentiaire, des acteurs de la justice, des gendarmes, des professionnels de la santé, des membres des forces armées, des agents des institutions gouvernementales et non gouvernementales pertinentes, ainsi que du grand public pour réaffirmer sans ambiguïté le caractère absolu de l ’ interdiction de la torture et faire publiquement savoir que quiconque commet de tels actes, en est complice ou les autorise tacitement sera tenu personnellement responsable devant la loi. Le M écanisme devrait également encourager les plus hautes autorités de l ’ État à mener une campagne publique et globale de tolérance zéro envers la torture afin de rompre définitivement avec les pratiques du passé.

37. Le Sous-Comité recommande au M écanisme de faire un plaidoyer auprès de l ’ État partie afin de veiller à être reconnu comme un acteur clef du système de prévention de la torture en Tunisie et de recevoir la visibilité institutionnelle adéquate pour remplir ses fonctions. Il recommande également au M écanisme de prendre toutes les mesures nécessaires pour sensibiliser et informer le public de sa mise en place et de son rôle, notamment en diffusant des informations sur son mandat. Dans cette optique, le M écanisme est encouragé à produire des brochures à l ’ intention des personnes privées de liberté et de leurs proches présentant son mandat, ses méthodes de travail et les moyens de le contacter. La brochure devrait également expliquer ce qu ’ est le consentement éclairé et préciser que toute forme de représailles devrait être portée à son attention.

38. Le Sous-Comité encourage le M écanisme à mettre au point au plus vite une stratégie de communication qui devrait prévoir l ’ établissement de procédures simples et accessibles permettant au public de lui communiquer des renseignements pertinents. Il recommande aussi d ’ inclure dans cette stratégie la participation aux activités du Gouvernement tunisien relatives au mandat du Mécanisme , le renforcement des contacts avec les partenaires nationaux et la participation aux programmes de formation en lien avec son domaine de compétence.

39. Le Sous-Comité encourage le M écanisme à collaborer avec les autorités pour mettre en place au plus vite un mécanisme de suivi et d’ évaluation afin de garantir la prise en compte des recommandations formulées dans le cadre de ses fonctions.

40. Le M écanisme est encouragé à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses rapports annuels puissent être publiés et diffusés largement, comme prévu par la loi organique, et pour qu ’ ils soient présentés et débattus au Parlement, en plus d ’ être remis au P résident de la République.

VII.Considérations finales

41. Le Sous-Comité estime que le mandat de l ’ Instance nationale pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants lui confère un potentiel important en tant que mécanisme national de prévention. Dès lors, il encourage ses membres à examiner leurs méthodes de travail de manière régulière et à suivre des formations afin de renforcer leur capacité à s ’ acquitter de leurs responsabilités conformément au Protocole facultatif.

42. Le Sous-Comité encourage le M écanisme à solliciter l ’ assistance du Haut ‑ Commissariat aux droits de l ’ homme dans le suivi des présentes recommandations. Il l ’ encourage également à envisager la tenue d ’ un atelier au niveau national pour adopter un programme de mise en œuvre des recommandations formulées à l ’ issue de cette visite.

43. Le Sous-Comité encourage le M écanisme à entreprendre des démarches pour se mettre en contact avec d ’ autres mécanismes nationaux de prévention de la torture afin d ’ identifier les bonnes pratiques en la matière.

44. Le présent rapport est transmis au M écanisme à titre confidentiel, conformément au paragraphe 1 de l ’ article 16 du Protocole facultatif, et la décision de le rendre public est laissée à sa discrétion. Toutefois, le Sous-Comité en recommande la publication et souhaite être informé de la décision que le M écanisme prendra à cet égard.

45. Le Sous-Comité encourage le M écanisme à lui transmettre ses rapports annuels et confirme sa disponibilité à apporter son assistance dans la mesure de ses possibilités en vue de la réalisation de l ’ objectif commun qu ’ est la prévention de la torture et des mauvais traitements et afin que les engagements pris se traduisent en actions concrètes.

Annexe

Liste des personnes rencontrées par le Sous-Comité

I.Gouvernement

Autorités gouvernementales

Kamel Jendoubi, Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme

Kameleddine Ben Hassen, Ministère de la justice

Naima Jelessi, Ministère des affaires sociales

Maher Kaddour, Ministère de l’intérieur

Habib Sbouii, Ministère de l’intérieur

Bechir Ferjani, Ministère de l’intérieur

Hatem Landolsi, Ministère des affaires étrangères

Rachid Rezgui, Ministère des affaires étrangères

Abdel Bou Dabous, Ministère des affaires étrangères

Saïda Wenich, Ministère de la santé

Parlement

Baderddine Abdelkafi, Président de la Commission électorale de l’Assemblée représentative du peuple

Justice

Hedi Guediri, premier Président de la cour d’appel de Tunis

Raoudha Karafi, Présidente de l’Association des magistrats tunisiens

Faysal Ben Slimi, Président du syndicat des magistrats tunisiens

Mourad Massaoudi, Président de l’Association des jeunes magistrats

Fadhel Mahfoudh, bâtonnier de l’ordre national des avocats tunisiens

Yosr Chebbi, membre du Conseil de l’ordre national des avocats tunisiens

Saboua Bra, Secrétaire générale de l’Association des jeunes avocats

Loubna Mejri, membre de l’Association des jeunes avocats

Mohammed Ikbel Chebbi, Vice-Président de l’Association des jeunes avocats

II.Instance nationale pour la prévention de la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Hamida Dridi, Présidente

Diaaddine Mourou, Secrétaire général

Massoud Romdhani

Lotfi Ezzedine

Afef Chaabane

Maroua Raddadi

Fathi Jarray

Radhia Halouani

Saïda M’barek

Touhami Hafi

Nbiha El-Kéfi

El-Taher Kedachi

Noura Kouki

Mohamed Yassine Binouss

Lamia Fathallah

Slim Annabi

III.Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Allaghi Abdelkrim

Souad Triki

Habiba ben Ramdhrane

Mustapha Tlili

Saïda Akremi

Nacera Kefi

Salem Fourati

IV.Instance Vérité et Dignité

Sihem Benali

Imene Fourati Hadj Taieb

V.Médiateur administratif auprès de la présidence

Fatima Ezzhra Benmahmoud

VI.Organisations internationales

Mazen Shaqoura, Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Ichrak Ben Ezzine, Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Abou Abass, Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Fiuppo Di Carrggna, Programme des Nations Unies pour le développement

Nabil Benbekthi, Bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés

William Massolin, Conseil de l’Europe

Marie-Hélène Enderlin, Union européenne

Jonathan Harder, Union européenne

Emma Ingemansson, Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées

VII.Société civile

Krissinasen Annali, Institut danois des droits de l’homme

Lamia Louise Chehabi, Dignity Danish Institute against Torture

Malek Lakhoua, Institut tunisien de réhabilitation des victimes de torture NEBRAS

Fethi Touzri, Institut tunisien de réhabilitation des victimes de torture NEBRAS

Anissa Bouasker, Institut tunisien de réhabilitation des victimes de torture NEBRAS

Charbi Rhiadh, Ligue tunisienne des droits de l’homme

Mokhtar Trifi, Organisation mondiale contre la torture

Gabriele Reiter, Organisation mondiale contre la torture

Mondher Cherni, Organisation mondiale contre la torture

Halim Meddeb, Organisation mondiale contre la torture

Rim Ben Ismail, Reprieve

Karim Abdessalem, Association pour la justice et la réhabilitation