Nations Unies

CED/C/19/3

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

15 octobre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des disparitions forcées

Rapport sur le suivi des communications émanant de particuliers *

A.Introduction

1.Le présent rapport a été établi en application de l’article 79 du Règlement intérieur du Comité, qui prévoit que le Rapporteur spécial ou le groupe de travail chargé de vérifier que les États parties ont pris des mesures pour donner effet aux constatations du Comité rend régulièrement compte à celui-ci des activités de suivi menées.

2.On trouvera dans le présent rapport les renseignements que le Comité a reçus au sujet de la suite donnée aux constatations concernant la communication no 1/2013 (Yrusta c. Argentine), qu’il a adoptées à sa dixième session, ainsi que les décisions qu’il a adoptées à cet égard en séance plénière, conformément aux critères d’évaluation ci-après.

Critères d ’ évaluation

Application

A

Les mesures prises sont satisfaisantes dans l’ensemble

Mesures partiellement satisfaisantes

B

Des mesures concrètes ont été prises mais des renseignements supplémentaires sont nécessaires

Non-application

C

Une réponse a été reçue mais les mesures prises ne permettent pas de donner effet aux constatations ou aux recommandations

Pas de réponse

D

Aucune réponse n’a été reçue concernant une ou plusieurs recommandations ou certaines parties des recommandations.

B.Communication no 1/2013, Yrusta c. Argentine

Constatations adoptées le :

11 mars 2016

Date limite initiale pour la soumission par l’État partie de son rapport de suivi :

21 septembre 2016.

Réponses de l’État partie :

22 septembre, 24 octobre et 15 décembre 2016 : demandes de prolongation du délai.

Décisions du Comité :

22 septembre, 24 octobre et 15 décembre 2016.

Le Comité a accordé deux prolongations de délai. Lorsqu’il a accordé la seconde prolongation, il a informé l’État partie que s’il n’avait pas reçu le rapport de suivi à la date indiquée, il procéderait à l’évaluation des mesures prises pour mettre en œuvre ses recommandations en se fondant sur les informations à sa disposition. Le 15 décembre 2016, l’État partie a renouvelé sa demande de prolongation. Le Comité a rejeté cette demande et a indiqué à l’État partie qu’il allait procéder à l’évaluation sur la base des renseignements en sa possession, comme indiqué dans sa note du 24 octobre 2016.

Commentaires des auteures :

18 décembre 2016.

Les auteures ont réaffirmé qu’aucune mesure n’avait été prise pour donner effet aux constatations du Comité et ont fourni des informations sur les démarches entreprises par les proches de la victime pour donner suite aux recommandations du Comité et obtenir leur mise en œuvre.

Mesures prises par le Comité :

25 avril 2017.

Lettre de suivi adressée à l’État partie par le Rapporteur spécial au nom du Comité, rappelant que conformément au paragraphe 14 des constatations adoptées par le Comité, l’État partie était prié « de lui faire parvenir, dans un délai de six mois à partir de la date de transmission des présentes constatations, des renseignements sur les mesures qu’il aura[it] prises pour donner suite aux recommandations […] ».

Le Comité a souligné que :

a)Plus d’un an après la transmission des constatations, l’État partie n’avait toujours pas fourni d’informations au titre du suivi ;

b)D’après les informations disponibles sur la suite donnée aux constatations, l’État partie n’avait pas adopté de mesures pour donner effet à celles-ci et, par conséquent, l’atteinte aux droits des auteures perdurait et s’aggravait.

Au vu de ce qui précède, le Comité a informé l’État partie de sa décision de faire état dans son rapport à l’Assemblée générale de l’application insatisfaisante, à cette date, de ses recommandations, et de réexaminer la suite donnée à ses constatations à sa session suivante.

Commentaires supplémentaires des auteures :

13 juin 2017.

Les auteures ont demandé des renseignements sur l’état d’avancement de la procédure de suivi. Elles ont fait savoir qu’il n’avait pas encore été donné suite aux constatations du Comité.

Elles ont indiqué avoir rencontré des représentants du Secrétariat d’État aux droits de l’homme à Buenos Aires à la suite de la décision du Comité. À cette occasion, les autorités s’étaient engagées à œuvrer à la mise en œuvre de la décision, en particulier à faire progresser l’enquête et à veiller à ce que l’affaire soit renvoyée devant les juridictions fédérales compétentes en matière de disparition forcée. Elles s’étaient en outre engagées à prendre des mesures de réparation en faveur des victimes. Cependant, aucune mesure n’avait été adoptée à cet effet.

Les auteures ont également précisé qu’elles avaient été en contact permanent avec le département du Secrétariat d’État aux droits de l’homme chargé des différends internationaux, mais ont ajouté que la réticence du gouvernement provincial avait empêché toute avancée.

17 juillet 2017.

Les auteures ont indiqué n’avoir reçu aucune réponse de la part de l’État partie, qui n’avait toujours pas publié la décision, ni mené une enquête en bonne et due forme ni appliqué la recommandation du Comité tendant à ce qu’il leur accorde une réparation et les indemnise rapidement, équitablement et de manière adéquate, conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 24 de la Convention.

Réponse de l’État partie :

8 septembre 2017 :

L’État partie a formulé des observations sur les mesures prises en ce qui concernait chacune des recommandations du Comité (paragraphe 12 des constatations).

a)Reconnaître la qualité de victime aux auteures, afin qu’elles puissent participer effectivement aux enquêtes conduites sur la mort et la disparition forcée de leur frère ;

L’État partie a indiqué que les sœurs de Roberto Agustín Yrusta n’avaient pas qualité pour se constituer partie civile dans la procédure pénale dans le cadre de laquelle il était enquêté sur les causes du décès de Roberto Agustín Yrusta car, en vertu de l’article 93 du Code de procédure pénale de la province de Santa Fe, seule la personne lésée par une infraction entraînant la mise en mouvement de l’action publique, ou ses héritiers réservataires, avaient qualité pour se constituer partie civile dans la procédure pénale. En conséquence, le 24 juin 2015, la chambre pénale de la Cour d’appel de la première circonscription judiciaire de Santa Fe avait rejeté le recours en inconstitutionnalité et confirmé la décision du juge d’instruction de rejeter la demande des sœurs de M. Yrusta de se constituer partie civile.

L’État partie a également indiqué que les auteures n’avaient pas non plus qualité pour agir en tant que partie civile dans l’enquête menée par les juridictions fédérales.

Toutefois, en tant que victimes, les auteures avaient le droit de participer aux enquêtes conformément aux dispositions de l’article 80 du Code de procédure pénale de la province de Santa Fe. C’était bien ce qu’elles faisaient, par l’intermédiaire de leur représentant, qui avait demandé en leur nom que soient mises en œuvre toute une série de mesures d’administration de la preuve.

b)Veiller à ce que l’enquête menée dans l’affaire ne se limite pas aux causes de la mort de M. Yrusta mais comporte aussi une enquête approfondie et impartiale sur sa disparition lors de son transfert de Córdoba à Santa Fe.

L’État partie a indiqué que deux enquêtes étaient menées dans le cadre de l’affaire concernant M. Yrusta : une enquête sur le décès de M. Yrusta, menée par les tribunaux ordinaires de la province de Santa Fe, et une enquête sur sa disparition forcée, menée par les juridictions fédérales après le renvoi de l’affaire ordonné par la Cour suprême de justice de Santa Fe le 18 octobre 2016. L’État partie a décrit les mesures d’enquête qui avaient été prises tout au long de la procédure et indiqué que, selon la Cour suprême de justice de Santa Fe, l’infraction de disparition forcée avait cessé avant le décès de M. Yrusta, étant donné que celui-ci avait déjà repris contact avec sa famille, qui avait connaissance de l’endroit où il se trouvait. Le tribunal fédéral a fait appel au parquet chargé de la lutte contre la violence institutionnelle, qui relève du Bureau du Procureur général de la nation et dont la mission consiste à engager les procédures pénales et à diriger les enquêtes et les procès dans les affaires concernant des infractions commises en usant de violence institutionnelle, dont les victimes sont essentiellement des personnes en situation de vulnérabilité.

c)Poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises.

L’État partie a indiqué que les affaires pénales pertinentes étaient en cours. Il a également indiqué que, le 18 mars 2014, les services compétents de la Cour suprême de justice de Santa Fe (Secretaría de Gobierno) avaient ordonné la conduite d’une enquête administrative sur la manière dont le premier magistrat et le procureur chargés de l’enquête sur le décès de M. Yrusta s’étaient acquittés de leurs fonctions. Dans un arrêt de septembre 2016, la quatrième chambre pénale de la Cour d’appel de Santa Fe avait conclu que tant le magistrat que le procureur avaient commis des irrégularités au cours de l’instruction. Le 16 mai 2017, il a été demandé au magistrat et au procureur en cause de fournir des éléments à leur décharge qu’ils considéraient pertinents s’agissant des fautes qui leur étaient imputées. Les affaires étaient en cours.

d)Accorder aux auteures une réparation et les indemniser rapidement, équitablement et de manière adéquate, conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 24 de la Convention :

Un dialogue avait été engagé avec les auteures en vue de convenir des modalités d’une réparation adéquate.

e)Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect effectif des garanties de non-répétition prévues à l’alinéa d) du paragraphe 5 de l’article 24, notamment en mettant en place et en tenant à jour des registres conformément aux prescriptions de la Convention, et en garantissant l’accès à l’information à toutes les personnes ayant un intérêt légitime conformément aux articles 17 et 18 de la Convention.

L’État partie a indiqué qu’il existait deux registres des faits de violence institutionnelle : celui de l’Unité de l’enregistrement, du traitement systématique et du suivi des plaintes pour actes de torture et autres formes de violence institutionnelle, qui était placé sous la responsabilité de la Direction nationale des politiques de lutte contre la violence institutionnelle, qui relevait du pouvoir exécutif, et celui du Programme de lutte contre la violence institutionnelle, qui était placé sous l’autorité du Bureau du Défenseur général de la nation, « organe indépendant du pouvoir doté d’une autonomie de fonctionnement ».

f)Rendre publiques les présentes constatations et en diffuser largement le contenu, en particulier, mais pas exclusivement, auprès des membres des forces de sécurité et du personnel pénitentiaire chargés de s’occuper des personnes privées de liberté (par. 13 des constatations).

L’État partie a indiqué que des démarches avaient été entreprises en ce sens avec les autorités provinciales.

Commentaires des auteures :

17 septembre 2017.

Les auteures considèrent que l’interprétation qui a été faite de l’article 93 du Code de procédure pénale de Santa Fe est arbitraire et que le fait de restreindre la participation aux héritiers réservataires de la victime n’est pas conforme à l’esprit de la loi. La participation active des proches de la victime à l’établissement de la vérité n’était pas une question de terminologie. En outre, les auteures ont indiqué que la mère de M. Yrusta, sa seule héritière, était sous leur garde, et que son état de santé était fragile depuis un certain temps. Cela avait été signalé aux autorités de l’État partie, mais n’avait pas été pris en compte.

Les auteures estimaient que la loi donnait qualité aux membres de la famille pour se constituer partie civile. Les héritiers réservataires pouvaient par conséquent être partie civile à la procédure pénale de plein droit et non en tant qu’héritiers d’un droit de la victime. En l’espèce, les dispositions du droit successoral qui avaient motivé le rejet de la demande des auteures de se constituer partie civile établissaient un ordre de préférence pour la transmission des droits et obligations découlant de la succession d’un défunt. Or la capacité d’ester en justice reconnue par le Code de procédure pénale pour se constituer partie civile dans le cas d’infractions entraînant la mise en mouvement de l’action publique n’avait aucun rapport avec l’application du droit successoral. Les auteures estimaient par conséquent que bien que n’étant pas intéressées à la succession, elles devaient pouvoir se constituer partie civile pour exercer leur droit à la vérité.

Les auteures indiquaient que la qualité de victime, telle que reconnue dans le système procédural de Santa Fe, avait un caractère limité et restrictif. La victime n’avait pas la faculté de demander que soient mises en œuvre des mesures d’administration de la preuve, ou d’engager une procédure. Les auteures soulignaient qu’il n’avait été fait droit à aucune de leurs demandes en matière de preuve. Elles faisaient valoir que les dépositions enregistrées dans le cadre de l’enquête n’avaient pas pu être contrôlées par les victimes puisque celles-ci ne disposaient pas d’informations sur le déroulement de l’enquête. Les auteures réitéraient par conséquent leur demande tendant à ce que leur soit reconnue la qualité pour se porter partie civile dans le cadre de l’enquête menée dans l’affaire concernant leur frère.

Décisions prises en séance plénière :

18 avril 2019.

[B] : l’État partie avait pris des mesures additionnelles, mais des mesures et des renseignements supplémentaires étaient nécessaires. Le Comité a décidé d’adresser une lettre de suivi à l’État partie.

Mesures prises par le Comité :

10 mai 2019.

Le Comité a envoyé une lettre de suivi à l’État partie dans laquelle il le remerciait pour ses rapports de suivi des 15 février et 7 mars 2018 et lui faisait part de ses conclusions et recommandations au titre du suivi.

Le Comité a souligné que les mesures prises par l’État partie n’étaient pas satisfaisantes au regard des recommandations formulées dans les constatations et répétées dans le cadre de la procédure de suivi le 6 octobre 2017. En particulier, le Comité a recommandé à l’État partie de prendre les mesures ci-après :

a)Qualité des deux sœurs de M. Yrusta pour se porter partie civile (par. 12 a) des constatations).

Le Comité a mis en relief les préoccupations suivantes :

i)Les deux sœurs de M. Yrusta ne s’étaient toujours pas vu reconnaître la qualité de partie civile, qui leur permettrait de participer pleinement à l’enquête, conformément aux dispositions de l’article 24 de la Convention. Le Comité prenait note de ce que selon l’État partie, les auteures n’avaient pas épuisé les recours internes disponibles pour faire annuler le rejet de leur demande de se porter partie civile. L’État partie affirmait en particulier que les auteures auraient dû former un recours extraordinaire au niveau fédéral contre l’arrêt de la Cour suprême de justice de la province de Santa Fe, dans la mesure où leur droit de se porter partie civile relevait de la compétence fédérale et où le fait que la réglementation provinciale ne leur reconnaissait pas la qualité pour agir était en contradiction avec les droits constitutionnels et les instruments internationaux. Le Comité a également pris note du fait que, selon l’État partie, la loi du 13 juillet 2017 relative aux droits et garanties reconnus aux victimes d’une infraction permettait aux auteures, en tant que sœurs de la victime directe d’une infraction ayant entraîné la mort, de se porter partie civile et qu’à ce titre, celles-ci étaient en droit d’engager une procédure ;

ii)Le parquet fédéral no 1 de Córdoba avait demandé au tribunal fédéral no 1 de Córdoba, par une lettre officielle en date du 31 octobre 2017, d’autoriser les deux sœurs à se constituer partie civile. Or le Comité constatait qu’un an plus tard, il n’avait toujours pas été donné suite à cette demande ;

iii)Bien que les sœurs de M. Yustra aient qualité de victimes en vertu du système procédural de la province de Santa Fe, les autorités compétentes n’avaient pas donné suite à quatre des demandes de mesures d’enquête les plus importantes qu’elles avaient formulées au titre de l’enquête sur la mort de celui-ci, à savoir : l’exhumation du corps ; une nouvelle autopsie, qui soit réalisée par un agent extérieur aux forces de sécurité provinciales ; une nouvelle analyse des objets retrouvés dans l’anus et dans l’estomac de M. Yrusta ; la communication des résultat des clichés radiographiques) ;

iv)L’État partie avait donné suite à d’autres mesures d’enquête demandées par les sœurs de M. Yrusta, mais le résultat de celles-ci n’avaient pas été communiquées aux auteures (analyse du registre de garde du Service pénitentiaire provincial pour les jours qui avaient précédé le décès de M. Yrusta ; analyse du dossier médical et du registre d’entrée et de sortie du personnel ; communication de la teneur des dépositions du personnel infirmier) ;

v)L’État partie n’avait pas indiqué aux auteures s’il avait requis les autres mesures d’enquête qu’elles avaient demandées (notamment se faire communiquer les dépositions des agents pénitentiaires) ;

vi)Les auteures n’avaient pas non plus été informées que la plainte concernant le décès de M. Yrusta avait été classée et elles n’avaient pas eu accès au dossier puisqu’elles n’étaient pas partie civile, en dépit des droits que leur reconnaissait le Code de procédure pénale en tant que victimes.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité a renvoyé l’État partie au paragraphe 12 a) de ses constatations du 11 mars 2016 et lui a demandé une nouvelle fois de reconnaître aux sœurs de M. Yrusta la qualité de partie civile et, conformément aux droits qui étaient les leurs en qualité de victimes et de partie civile, de leur permettre d’engager une procédure et de participer effectivement à l’enquête concernant la disparition forcée et la mort de leur frère.

b)Enquête approfondie et impartiale sur la disparition et la mort de M. Yrusta (par. 12 b) des constatations).

Le Comité a pris note du fait que, dans le cadre de l’enquête menée au sujet de la présumée disparition forcée de M. Yrusta, les auteures avaient été entendues, que des dispositions avaient été prises pour recueillir des éléments de preuve, notamment des documents administratifs auprès du Service pénitentiaire de Córdoba et des rapports et d’autres éléments du dossier relatif à l’exécution des peines auprès du juge d’application des peines chargé du cas de M. Yrusta, et que des rapports et d’autres pièces concernant M. Yrusta avaient été demandés au juge de Coronda (province de Santa Fe). Le Comité a toutefois regretté que l’enquête sur la disparition en soit toujours au stade préliminaire.

Le Comité a relevé que, dans le cadre de l’enquête administrative ouverte en mars 2014 sur les irrégularités reprochées au procureur et au premier magistrat chargés d’enquêter sur les causes de la mort de M. Yrusta, le Procureur général aurait suspendu ceux-ci de leurs fonctions pour une durée de cinq jours, compte tenu de l’absence d’antécédents disciplinaires de l’un et de l’autre.

Le Comité a également relevé que le 27 octobre 2017, S., procureure no 7 du parquet no 5, avait fait appel de l’ordonnance de classement rendue le 20 octobre 2017 par la septième chambre du tribunal pénal de première instance et demandé la réouverture du dossier portant sur la mort de M. Yrusta, et que l’affaire avait été renvoyée devant la Cour d’appel de Santa Fe en décembre 2017. Le Comité a en outre relevé que, le 26 décembre 2017, le Procureur général près la Cour suprême de justice de la province de Santa Fe avait demandé au procureur n° 1 près la Cour d’appel de Santa Fe de se prononcer sur l’utilité de procéder à une nouvelle autopsie « compte tenu de son pouvoir d’appréciation technique », et de procéder à un examen des appels téléphoniques que M. Yrusta avait passés aux membres de sa famille avant son décès.

Dans sa note, le Comité a salué ces initiatives et a demandé à l’État partie de lui fournir des renseignements additionnels sur les mesures prises pour rouvrir l’enquête sur la mort de M. Yrusta et mener une enquête approfondie et impartiale sur sa disparition, conformément au paragraphe 12 b) de ses constatations du 11 mars 2016.

c)Poursuite, jugement et punition des responsables de la disparition et de la mort de M. Yrusta (par. 12 c) des constatations)

Le Comité a constaté que depuis la date du dernier rapport de l’État partie concernant la suite donnée aux constatations du Comité en date du 11 mars 2016, la mise en œuvre de la recommandation formulée au paragraphe 12 c) desdites constatations n’avait pas progressé. En conséquence, le Comité a engagé une nouvelle fois l’État partie à poursuivre, à juger et à punir les responsables de la disparition et de la mort de M. Yrusta.

d)Octroi rapide aux auteures d’une réparation et d’une indemnisation équitables et adéquates (par. 12 d) des constatations).

Le Comité a souligné que, bien que l’État partie ait affirmé dans son rapport de suivi du 8 septembre 2017 qu’un accord avait été trouvé avec les auteures en ce qui concernait la réparation et l’indemnisation, les dernières informations qu’il avait reçues indiquaient le contraire.

Le Comité a pris note de ce que selon l’État partie, les auteures et leur mère avaient la possibilité d’engager une action civile pour obtenir une réparation financière du préjudice subi. Toutefois, il ressortait des informations disponibles que l’exercice des droits à indemnisation ou à compensation était lié au résultat de la procédure pénale, et que les auteures ne pourraient donc faire valoir leur droit à réparation devant une juridiction civile qu’en cas de condamnation pénale. Le Comité a également souligné que, d’après les informations dont il disposait, l’estimation financière du préjudice que les auteures avaient remise aux autorités à la demande de celles-ci était restée sans suite, les auteures n’ayant obtenu aucune forme de réparation ou d’indemnisation.

Par conséquent, conformément au paragraphe 12 d) de ses constatations du 11 mars 2016, le Comité a à nouveau demandé à l’État partie d’accorder une réparation aux auteures et de les indemniser rapidement, équitablement et de manière adéquate.

e)Mise en place et tenue de registres des personnes privées de liberté pouvant être consultées par toutes les personnes ayant un intérêt légitime, conformément aux dispositions des articles 17 et 18 de la Convention (par. 12 e) des constatations)

Le Comité a noté que, d’après les informations communiquées par l’État partie, le Service pénitentiaire fédéral disposait d’une base de données numérique dans laquelle était consigné le dossier personnel unique de toute personne placée dans un établissement relevant de ce service, et que s’il n’existait pas encore de registre national unifié des personnes privées de liberté, en avril 2017, la Chambre des députés avait commencé à travailler sur un projet de loi portant création d’un registre unique des détenus. Le Comité a cependant constaté avec regret que plus de trois ans après l’adoption de ses constatations, les provinces ne disposaient toujours pas de registres des détenus.

En conséquence, conformément au paragraphe 12 e) de ses constatations, le Comité a renouvelé sa recommandation tendant à ce que l’État partie prenne toutes les mesures nécessaires pour mettre rapidement en place des registres des personnes privées de liberté qui puissent être consultés par toutes les personnes ayant un intérêt légitime.

f)Publication et diffusion des constatations.

Le Comité a pris note des informations communiquées par l’État partie selon lesquelles la Direction du suivi des affaires de violence institutionnelle et des infractions relevant de la compétence fédérale, organe qui relève du Ministère de la sécurité de la nation, avait transmis les constatations aux forces de sécurité fédérales pour information et diffusion. Le Comité a également pris note de ce qu’en 2018, l’étude de ce cas aurait été inscrite dans deux programmes de formation organisés par le campus virtuel du Secrétariat aux droits de l’homme et au pluralisme culturel, l’un ouvert au public et l’autre destiné aux agents des forces de police et des services pénitentiaires.

Le Comité a pris note avec satisfaction de ces mesures, mais a estimé qu’elles ne constituaient qu’une mise en œuvre partielle de la recommandation formulée au paragraphe 13 de ses constatations. Compte tenu de ce qui précède, le Comité a à nouveau engagé l’État partie à rendre publiques lesdites constatations et à en diffuser largement le contenu.

Réponse de l’État partie :

10 septembre 2019.

L’État partie a fait des observations sur les mesures prises en ce qui concernait trois des recommandations du Comité.

En ce qui concerne la recommandation visant à reconnaître aux auteures la qualité de victimes et de partie civile, leur permettant ainsi de participer effectivement aux enquêtes relatives au décès et à la disparition forcée de leur frère, l’État partie a indiqué qu’il avait été demandé qu’il soit fait droit à la demande des auteures de se constituer partie civile dans l’enquête sur les causes du décès de M. Yrusta.

Pour ce qui est de la recommandation visant à garantir que l’enquête sur le cas de M. Yrusta ne se limite pas aux causes de sa mort mais comporte aussi une enquête approfondie et impartiale sur sa disparition à la suite de son transfert de Córdoba à Santa Fe, l’État partie a indiqué que le 16 août 2018, le parquet fédéral no 1 de Cordoue avait demandé le classement de l’affaire au motif que la disparition forcée n’avait pas pu être prouvée, puisqu’il n’y avait pas eu défaut d’informations ou refus de communiquer des informations sur le lieu où se trouvait la personne disparue. En particulier, le parquet a confirmé que les services pénitentiaires des provinces de Córdoba et de Santa Fe étaient pleinement informés du transfert de M. Yrusta de Córdoba a Santa Fe, que ce transfert s’était fait avec l’autorisation du juge de l’exécution des peines compétent et que l’une des premières mesures prises après la prise en charge de M. Yrusta par le Service pénitentiaire de Santa Fe avait été de lui permettre de communiquer avec sa famille ; M. Yrusta avait ainsi communiqué avec ses sœurs dans les 24 heures suivant son arrivée à l’établissement pénitentiaire de Coronda (Santa Fe), le 16 janvier, ainsi que les 22, 24, 29 janvier et 4 février 2013. Enfin, l’État partie affirme qu’il ne s’agissait pas d’un transfert clandestin, comme le prétendent les auteures.

Concernant l’enquête sur les causes du décès de M. Yrusta, l’État partie a également indiqué qu’il avait pris des dispositions pour citer les auteures à comparaître le 31 juillet 2019, mais que celles-ci n’avaient pas comparu car il n’avait pas été possible de déterminer le lieu où elles se trouvaient. Une audience avait également été fixée au 1er août 2019 pour recueillir le témoignage de deux autres personnes qui étaient privées de liberté dans le même secteur que M. Yrusta.

Le 7 août 2019, il a été procédé à une reconstitution de la scène des faits survenus dans l’unité no 1 de la prison de Coronda, afin de déterminer la hauteur de la fenêtre de la cellule et la hauteur à laquelle était attachée la toile trouvée sur les lieux. Cependant, la fenêtre d’où la photographie avait été prise lors de la reconstitution était placée à une distance inférieure à celle constatée sur la photographie prise le jour des faits, raison pour laquelle cette mesure avait été renouvelée et il avait été demandé de reconstituer la scène photographiée en tenant compte de la longueur de la toile. L’État partie a indiqué en conclusion que l’enquête était en cours.

En ce qui concerne l’enquête administrative sur les irrégularités commises par les magistrats qui ont pris part à l’examen de l’affaire, l’État partie a indiqué que le 26 juin 2019, le Bureau du Procureur général de la Cour suprême de justice de la province de Santa Fe avait décidé d’imposer au juge pénal de Sante Fe une sanction disciplinaire de cinq jours de suspension de ses fonctions.

Enfin, en ce qui concerne la recommandation tendant à ce que les constatations soient rendues publiques et leur contenu largement diffusé, l’État partie a indiqué que le rapport avait été transmis aux forces fédérales de sécurité pour information et diffusion, et que la Direction nationale chargée de l’éducation aux droits de l’homme, qui relève du Secrétariat aux droits de l’homme et au pluralisme culturel, avait inscrit l’affaire en tant qu’étude de cas au programme des cours « Violence institutionnelle, discours sociaux et droits de l’homme » et « Droits de l’homme et sécurité publique ».

Commentaires des auteures :

24 septembre 2019.

Les auteures considèrent que les déclarations de l’État partie sont inexactes et incorrectes et que les recommandations du Comité ne sont toujours pas mises en œuvre.

Les auteures soulignent en particulier que l’État partie n’a toujours pas diffusé les constatations auprès du grand public et qu’il continue d’en limiter la diffusion aux organes de sécurité fédéraux, ce qui est insuffisant parce que les responsables directs ne font pas partie des forces fédérales mais des forces provinciales et parce qu’il importe qu’une décision selon laquelle l’État a engagé sa responsabilité internationale soit diffusée largement. Les auteures ont donc demandé à l’État partie de diffuser les constatations aux moyens des médias nationaux et provinciaux.

Les auteures affirment également qu’elles ne peuvent toujours pas prendre part à la procédure dans le but de faire en sorte qu’une enquête sérieuse soit menée sur les faits. Si elles constatent que le parquet a déployé des efforts pour recueillir des informations sur les causes du décès de M. Yrusta, elles affirment également qu’il n’a toujours pas été procédé à une répartition des responsabilités en la matière et que l’enquête reste insuffisante. Elles indiquent également que le bureau du procureur a écarté la qualification de disparition forcée, sans qu’elles aient été autorisées à participer à la procédure.

Les auteures soutiennent en outre que l’affirmation de l’État partie selon laquelle M. Yrusta avait communiqué avec elles dans les premières 24 heures suivant son transfert clandestin à Coronda est fausse, et qu’il importe peu qu’elles aient eu connaissance du lieu où il se trouvait 24, 48 ou 120 heures après.

Enfin, les auteures affirment que l’État partie ne leur a toujours pas offert réparation et qu’il n’a pas non plus mis en place des registres des personnes privées de liberté adéquats et accessibles.

Décisions prises en séance plénière :

18 septembre 2020.

Le Comité a remercié l’État partie pour son rapport de suivi en date du 10 septembre 2019. Il a conclu que les mesures prises par l’État partie n’étaient pas satisfaisantes au regard des recommandations formulées dans les constatations et renouvelées dans le cadre de la procédure de suivi le 6 octobre 2017 et dans la note du 19 mai 2019.

Le Comité formule en particulier les observations suivantes :

a)Paragraphe 12 a) des constatations : « Reconnaître la qualité de victime aux auteures, afin qu’elles puissent participer effectivement aux enquêtes conduites sur la mort et la disparition forcée de leur frère » : l’État partie a pris des mesures supplémentaires, mais d’autres mesures et des informations supplémentaires sont nécessaires [B] ;

b)Paragraphe 12 b) des constatations : « Veiller à ce que l’enquête menée dans l’affaire ne se limite pas aux causes de la mort de M. Yrusta mais comporte aussi une enquête approfondie et impartiale sur sa disparition à la suite de son transfert de Córdoba à Santa Fe » [B] ;

c)Paragraphe 12 c) des constatations : « Poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises » : après que des rappels ont été envoyés il n’a pas été reçu de réponse concernant une ou plusieurs recommandations ou certaines parties des recommandations [D] ;

d)Paragraphe 12 d) des constatations : « Accorder aux auteures une réparation et les indemniser rapidement, équitablement et de manière adéquate, conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 24 de la Convention » : il n’a pas été reçu de réponse concernant une ou plusieurs recommandations ou certaines parties des recommandations après que des rappels ont été envoyés [D] ;

e)Paragraphe 12 e) des constatations : « Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect effectif des garanties de non-répétition prévues à l’alinéa d) du paragraphe 5 de l’article 24, notamment en mettant en place et en tenant à jour des registres conformément aux prescriptions de la Convention, et en garantissant l’accès à l’information à toutes les personnes ayant un intérêt légitime conformément aux articles 17 et 18 de la Convention » : des mesures concrètes ont été prises, mais des renseignements supplémentaires sont nécessaires [B].

Compte tenu de ce qui précède, le Comité a décidé de maintenir ouverte la procédure de suivi des constatations et d’envoyer une nouvelle lettre de suivi à l’État partie.