Comité des droits de l’homme
Communication no 2098/2011
Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)
Communication présentée par: |
Tahar Ammari (représenté par Nassira Dutour du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie) |
Au nom de: |
Toufik Ammari (fils de l’auteur) et l’auteur |
État partie: |
Algérie |
Date de la communication: |
8 juin 2011 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 septembre 2011 (non publiée sous forme de document) |
Date de l’adoption des constatations: |
30 octobre 2014 |
Objet: |
Disparition forcée |
Questions de fond: |
Droit à un recours utile; interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; et droit de faire entendre sa cause devant un tribunal impartial |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3), 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 16 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Annexe
Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (112e session)
concernant la
Communication no 2098/2011 *
Présentée par: |
Tahar Ammari (représenté par Nassira Dutour du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie) |
Au nom de: |
Toufik Ammari (fils de l’auteur) et l’auteur |
État partie: |
Algérie |
Date de la communication: |
8 juin 2011 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 2014,
Ayant achevé l’examen de la communication no 2098/2011 présentée par Tahar Ammari en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication datée du 8 juin 2011 est Tahar Ammari, écrivain public né le 22 décembre 1932 à Bordj Bou Arreridj en Algérie. Il fait valoir que son fils, Toufik Ammari, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation des articles 2 (par. 3), 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte. L’auteur soutient, quant à lui, être victime de violations des articles 2 (par. 3), 7 et 14 du Pacte. Il est représenté par Nassira Dutour du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie.
1.2Le 26 octobre 2011, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond de la communication.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Né le 20 novembre 1966 dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj, Toufik Ammari était marié, père d’un enfant et enseignait au collège de la commune de Hasnaoua. Le dimanche 27 août 1995 vers 8 h 30, il est sorti de chez lui et sa famille ne l’a plus jamais revu. Quelques heures plus tard, des agents en uniforme de la police judiciaire de la wilaya de Bordj Bou Arreridj ont pénétré au sein du domicile de la famille Ammari. Après avoir fouillé toutes les pièces du domicile, les agents de la police judiciaire ont notamment saisi le certificat de travail de Toufik Ammari, des photos et d’autres documents lui appartenant, ainsi que son livret de famille, qui a été restitué à son épouse quatre mois plus tard. Les policiers n’ont pas cherché à justifier leurs actes; ils ne possédaient pas de mandat de perquisition. Cette perquisition illégale a eu lieu alors que l’auteur était au travail au marché couvert du centre-ville. Au même moment, deux agents de la police judiciaire se sont présentés armés auprès de l’auteur et l’ont ramené à son domicile alors que la perquisition était en cours. Il a pu voir qu’un groupe d’une vingtaine de policiers avait encerclé le domicile familial. Avant de repartir, l’un des agents a demandé à l’auteur de signer le procès-verbal de la perquisition dont le constat indiquait: «recherches infructueuses: Néant».
2.2Le lendemain, l’auteur s’est rendu au commissariat de Bordj Bou Arreridj pour tenter de savoir où se trouvait son fils, mais il n’a obtenu aucune information. Le 11 décembre 1995, l’auteur a été convoqué au bureau de la police judiciaire de la sécurité de la wilaya de Bordj Bou Arreridj et il a demandé sans succès des renseignements sur ce qu’il était advenu de son fils. Depuis la disparition de Toufik Ammari, sa famille a tenté à maintes reprises d’obtenir des renseignements sur ce qui s’était passé le 27 août 1995. Quelques années plus tard, des rumeurs ont circulé selon lesquelles aux alentours de septembre 1998, Toufik Ammari aurait été détenu et incarcéré dans la wilaya de Sétif.
2.3L’auteur a effectué plusieurs démarches: il a déposé une première plainte, le 1er septembre 1999, auprès du Procureur de la République près du tribunal d’Ain Oulmane, wilaya de Sétif. Il a ensuite déposé 10 autres plaintes auprès des procureurs de toutes les wilayas des régions avoisinantes. Certaines autorités ont accusé réception de ses plaintes mais seuls les services des Procureurs près des tribunaux de Bordj Bou Arreridj et de Bordj Zemmourah ont diligenté des enquêtes qui n’ont rien donné. L’auteur a été convoqué et entendu par le Procureur de Mansourah qui a prononcé un jugement de non-lieu, ainsi que par la gendarmerie de Bordj Bou Arreridj qui lui a affirmé que des recherches allaient être entreprises, mais n’a rien fait. Entre 1998 et 2001, l’auteur a également écrit au siège de la wilaya de Bordj Bou Arreridj et aux plus hautes instances de l’État partie, à savoir le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministère de la justice. Dans ces courriers, l’auteur demandait à avoir accès à des informations susceptibles de l’éclairer sur le sort de son fils, notamment pour savoir s’il avait été détenu et, si oui, dans quel lieu. L’auteur demandait également l’ouverture d’une enquête. Il n’a jamais obtenu de réponse.
2.4Le cas de Toufik Ammari a été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires en septembre 2007.
Teneur de la plainte
3.1.L’auteur estime que la disparition forcée de son fils depuis le 27 août 1995 est imputable aux autorités de l’État partie et constitue une violation des articles 7, 9, 10, 14 et 16, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de Toufik Ammari et d’une violation des articles 7 et 14, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de l’auteur.
3.2Selon l’auteur, la disparition de Toufik Ammari fait suite à son arrestation par la police judiciaire de Bordj Bou Arreridj. Il fonde sa certitude sur le fait que les policiers ont déployé un dispositif important afin de procéder à une perquisition du domicile de la famille Ammari dans les heures qui ont suivi la disparition de son fils, sans fournir d’explication ou présenter de mandat de perquisition. De plus, les policiers ont emmené et conservé pendant quatre mois le livret de famille de Toufik Ammari ainsi que d’autres documents et effets lui appartenant. Finalement, l’auteur a eu vent d’une rumeur selon laquelle Toufik Ammari aurait été vu quelques années plus tard en détention dans la wilaya de Sétif.
3.3Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur considère que la disparition forcée de son fils constitue une violation de l’article 7 du Pacte puisque les circonstances entourant sa disparition, ainsi que le secret le plus total maintenu sur le lieu de sa détention et sur son état de santé sont reconnus pour constituer en eux-mêmes une forme de traitement inhumain ou dégradant. L’auteur soutient également que la prolongation d’une détention au secret est propice à la pratique de la torture et de traitements inhumains ou dégradants pour la personne mise au secret et que, conformément à la jurisprudence du Comité, la disparition d’un proche constitue une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de sa famille.
3.4L’auteur, qui n’a plus eu d’informations sur le sort de son fils depuis le 27 août 1995, est persuadé que son fils a été arrêté arbitrairement ce jour-là par des agents de la police judiciaire, sans que les raisons de son arrestation ne soient notifiées à sa famille, ni sans doute à lui-même. Son arrestation s’est faite sans base légale et sa détention n’a pas été régularisée ni enregistrée dans les registres de garde à vue. Il n’existe aucune trace officielle de cette arrestation et de la détention au secret qui en a résulté. Toufik Ammari s’est donc vu privé de toutes les garanties fondamentales relatives à la privation de liberté prévues par l’article 9 du Pacte.
3.5Faisant référence à la jurisprudence du Comité, l’auteur relève que la disparition forcée de son fils suivie de sa détention au secret constituent une violation de son droit à être traité avec humanité et respect lors de sa privation de liberté, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
3.6L’auteur invoque également une violation de l’article 14 du Pacte car il estime que Toufik Ammari n’a pas pu faire entendre sa cause par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi. Il n’a jamais été informé de l’accusation portée contre lui dans un délai raisonnable. Comme son arrestation n’a jamais été reconnue par les autorités de l’État partie, il a été privé de l’ensemble de droits prescrits par l’article 14 du Pacte qui lui auraient permis de prouver son innocence et d’être relaxé. L’auteur considère qu’il a lui‑même été privé de la possibilité de faire valoir ses droits de caractère civil relatifs à l’arrestation de son fils, devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi.
3.7L’auteur soutient également que le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique de son fils a été violé comme le Comité l’a reconnu dans des circonstances similaires, puisqu’en tant que personne disparue, il a été privé de sa capacité d’exercer ses droits garantis par la loi et d’accéder à un quelconque recours, ce qui constitue une violation de l’article 16 du Pacte.
3.8L’auteur rappelle qu’il a tenté tous les recours judiciaires disponibles en soumettant des plaintes aux bureaux des procureurs de toutes les wilayas des environs, mais qu’aucune enquête effective n’a été diligentée. Les deux enquêtes qui ont été ouvertes par deux procureurs distincts n’ont pas abouti. L’auteur a également écrit aux Ministères de l’intérieur et de la justice et au bureau du Président de la République et du Premier Ministre, sans obtenir de réponse sur ce qu’il était advenu de son fils. L’auteur estime que l’État partie a violé les obligations positives qui lui sont imposées par le Pacte de donner suite à toute plainte concernant des violations graves des droits garantis pas le Pacte et de mener des enquêtes rapides, impartiales, approfondies et effectives et d’informer l’auteur des résultats des recherches. L’auteur estime ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif devant les autorités de l’État partie en violation de l’article 2 (par. 3), lu en conjonction avec les articles 7, 9, 10 (par. 1), 14 et 16 du Pacte. Suite à la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale par l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006, aucune action ne peut être intentée en droit interne. Si les recours étaient jusqu’ici inefficaces, ils sont devenus indisponibles depuis la promulgation de cette ordonnance.
3.9L’auteur demande au Comité d’ordonner à l’État partie de: a) remettre Toufik Ammari en liberté si ce dernier est encore en vie; b) de mener une enquête prompte, approfondie et efficace sur sa disparition; c) de rendre compte à l’auteur et à sa famille des résultats de cette enquête; d) d’engager des poursuites à l’encontre des personnes responsables de la disparition de Toufik Ammari, de les traduire en justice et de les punir conformément aux engagements internationaux de l’État partie; et e) d’offrir une réparation appropriée aux ayants droit de Toufik Ammari, pour les graves préjudices moraux et matériels qu’ils ont subis depuis sa disparition. En ce sens, l’auteur requiert des mesures d’indemnisation appropriées et proportionnées à la gravité de la violation et couvrant le dommage moral et le préjudice physique et psychologique soufferts, ainsi que des mesures de réadaptation comprenant une prise en charge médicale et psychologique et des garanties de non-répétition.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 4 octobre 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en soumettant une copie de son Mémorandum de référence dans lequel il considère que la présente communication, qui met en cause la responsabilité d’agents de l’État ou d’autres personnes agissant sous l’autorité des pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée pendant la période de 1993 à 1998, doit être examinée «selon une approche globale» et doit être déclarée irrecevable. L’État partie considère que les communications de ce genre devraient être replacées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre une forme de terrorisme dont l’objectif était de provoquer «l’effondrement de l’État républicain». C’est dans ce contexte, et conformément aux articles 87 et 91 de la Constitution, que le Gouvernement algérien a pris des mesures de sauvegarde et notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, conformément au paragraphe 3 de l’article 4 du Pacte.
4.2L’État partie souligne que, dans certaines zones où prolifère l’habitat informel, les civils avaient du mal à distinguer les actions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre, auxquelles ils attribuaient souvent les disparitions forcées. D’après l’État partie, un nombre important de disparitions forcées doivent être considérées dans ce contexte. La notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie en réalité à six cas de figure distincts. Le premier est celui de personnes déclarées disparues par leurs proches alors qu’elles étaient entrées dans la clandestinité de leur propre chef pour rejoindre les groupes armés, en demandant à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité pour «brouiller les pistes» et éviter le «harcèlement» par la police. Le deuxième cas concerne les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité, mais qui ont en fait profité de leur libération pour entrer dans la clandestinité. Le troisième concerne des personnes qui ont été enlevées par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant l’uniforme ou les documents d’identification de policiers ou de militaires, ont été assimilés à tort à des agents des forces armées ou des services de sécurité. Le quatrième cas de figure concerne les personnes recherchées par leur famille qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches, et parfois même de quitter le pays, en raison de problèmes personnels ou de litiges familiaux. Le cinquième cas est celui de personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient, en fait, des terroristes recherchés qui ont été tués et enterrés dans le maquis à la suite de combats entre factions, de querelles doctrinales ou de conflits autour des butins de guerre entre groupes armés rivaux. L’État partie évoque enfin un sixième cas de figure qui concerne les personnes portées disparues qui vivent sur le territoire national ou à l’étranger sous une fausse identité, obtenue grâce à un réseau de falsification de documents.
4.3L’État partie souligne également que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, à la suite du référendum populaire sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, a préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global à travers la prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», un soutien pour toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes de disparition et leurs ayants droit. Selon des statistiques élaborées par les services du Ministère de l’intérieur, 8 023 cas de disparition ont été déclarés, 6 774 dossiers ont été examinés, 5 704 ont été acceptés aux fins d’indemnisation, 934 ont été rejetés et 136 sont en cours d’examen. Un montant total de 371 459 390 dinars algériens a été versé à l’ensemble des victimes concernées à titre d’indemnisation, auquel s’ajoutent 1 320 824 683 dinars algériens versés sous forme de pensions mensuelles.
4.4L’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il insiste sur l’importance de faire une distinction entre les simples démarches auprès d’autorités politiques ou administratives, les recours non contentieux devant des organes consultatifs ou de médiation, et les recours contentieux exercés devant les diverses juridictions compétentes. L’État partie fait remarquer qu’il ressort de la plainte de l’auteur que celui-ci a adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet (procureurs généraux ou procureurs de la République) sans avoir à proprement parler engagé une procédure de recours judiciaire et l’avoir menée jusqu’à son terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel et en cassation. Parmi toutes ces autorités, seuls les représentants du ministère public sont habilités par la loi à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système judiciaire algérien, le procureur de la République est celui qui reçoit les plaintes et qui, le cas échéant, met en mouvement l’action publique. Cependant, pour protéger les droits de la victime ou de ses ayants droit, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime et non le procureur qui met en mouvement l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours visé aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait permis à l’auteur de déclencher l’action publique et d’obliger le juge d’instruction à informer, même si le parquet en avait décidé autrement.
4.5L’État partie note en outre que, selon l’auteur, l’adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01, rend impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de victimes de disparition. Sur cette base, l’auteur a cru qu’il était dispensé de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or l’auteur ne peut invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la «croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes».
4.6L’État partie souligne ensuite la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application. Il affirme qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix, qui est devenu un droit international à la paix, le Comité devrait accompagner et consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États touchés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État partie a adopté la Charte, dont l’ordonnance d’application prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peine pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou bénéficiant des dispositions relatives à la discorde civile, à l’exception de celles ayant commis, comme auteurs ou complices, des actes de massacre collectif, des viols ou des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Cette ordonnance prévoit également une procédure de déclaration judiciaire de décès, qui ouvre droit à une indemnisation des ayants droit des disparus en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socioéconomique ont été mises en place, parmi lesquelles des aides à la réinsertion professionnelle et le versement d’indemnités à toutes les personnes ayant la qualité de victimes de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne ayant contribué dans le passé à la «tragédie nationale» en instrumentalisant la religion et dispose qu’aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.
4.7Outre la création du fonds d’indemnisation pour toutes les victimes de la «tragédie nationale», le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale, seul moyen de cicatriser les plaies générées. L’État partie insiste sur le fait que la proclamation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale s’inscrit dans une volonté d’éviter les confrontations judiciaires, les déballages médiatiques et les règlements de compte politiques. L’État partie considère, dès lors, que les faits allégués par l’auteur sont couverts par le mécanisme interne global de règlement induit par le dispositif de la Charte.
4.8L’État partie demande au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrits par l’auteur avec ceux décrits par les auteurs des communications antérieures visées par le Mémoire original daté du 3 mars 2009 et de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire dans lequel ils s’inscrivent. Il demande également au Comité de conclure que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications en cause selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer l’auteur à mieux se pourvoir.
Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité
5.1Le 4 octobre 2011, l’État partie a également transmis au Comité un mémoire additif au Mémorandum principal, dans lequel il s’interroge sur la finalité de la série de communications individuelles présentée au Comité depuis le début de l’année 2009, qui aux yeux de l’État partie relève plutôt d’un détournement de la procédure visant à saisir le Comité d’une question historique globale, dont les causes et circonstances échappent au Comité. L’État partie remarque que toutes ces communications «individuelles» s’arrêtent sur le contexte général dans lequel sont survenues les disparitions. L’État partie note que les plaintes portent exclusivement sur les agissements des forces de l’ordre, sans jamais évoquer ceux des divers groupes armés qui ont adopté des techniques criminelles de dissimulation pour en faire endosser la responsabilité aux forces armées.
5.2L’État partie indique qu’il ne se prononcera pas sur les questions de fond relatives auxdites communications avant qu’il ne soit statué sur la question de leur recevabilité. Il ajoute que l’obligation de tout organe juridictionnel ou quasi juridictionnel est d’abord de traiter les questions préjudicielles avant de débattre du fond. Il considère que la décision d’examiner de manière conjointe et concomitante les questions de recevabilité et celles se rapportant au fond dans les cas de l’espèce, outre qu’elle n’a pas été concertée, préjudicie gravement à un traitement approprié des communications soumises, tant dans leur nature globale que par rapport à leurs particularités intrinsèques. Se référant au règlement intérieur du Comité, l’État partie note que les sections relatives à l’examen par le Comité de la recevabilité de la communication et celles relatives à l’examen au fond sont distinctes et que ces questions pourraient dès lors être examinées séparément. S’agissant particulièrement de l’épuisement des recours internes, l’État partie souligne que les plaintes ou demandes d’informations formulées par l’auteur n’ont pas été présentées par des voies qui auraient permis leur examen par les autorités judiciaires internes.
5.3Rappelant la jurisprudence du Comité concernant l’obligation d’épuiser les recours internes, l’État partie souligne que de simples doutes sur les perspectives de succès ainsi que la crainte de retards ne dispensent pas l’auteur d’une communication d’épuiser ces recours. S’agissant du fait que la promulgation de la Charte rend impossible tout recours en la matière, l’État partie répond que l’absence de toute démarche de l’auteur pour soumettre ses allégations à examen a empêché les autorités algériennes de prendre position sur l’étendue et les limites de l’applicabilité des dispositions de cette Charte. En outre, l’ordonnance requiert de ne déclarer irrecevables que les poursuites engagées contre des «éléments des forces de défense et de sécurité de la République» pour des actions dans lesquelles elles ont agi conformément à leurs missions républicaines, à savoir la protection des personnes et des biens, la sauvegarde de la nation et la préservation des institutions. En revanche, toute allégation d’action imputable aux forces de défense et de sécurité dont il peut être prouvé qu’elle serait intervenue en dehors de ce cadre est susceptible d’être instruite par les juridictions compétentes.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
6.1Le 7 mars 2012, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.
6.2L’auteur souligne que l’État partie s’est contenté des soumettre des observations générales et stéréotypées pour contester la recevabilité de la communication. Il rappelle toutes les démarches qu’il a entreprises en vain afin qu’une enquête soit diligentée sur la disparition de son fils. Il réitère son argumentation développée dans sa plainte initiale selon laquelle il a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles et que tous les autres recours se sont révélés indisponibles ou inefficaces, surtout depuis la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il ajoute que le dépôt de plainte avec constitution de partie civile prévu par les articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’est pas un recours approprié puisqu’il revient aux autorités d’enquêter sur les allégations de violations graves des droits de l’homme, comme en l’espèce la disparition forcée de son fils, dont elles avaient été informées par l’auteur à de multiples reprises.
6.3L’auteur rappelle également que la mise en œuvre des dispositifs de ladite Charte ne peut entraîner l’irrecevabilité de la présente communication. Il se réfère à la jurisprudence du Comité dans laquelle il est rappelé à l’État partie qu’il ne devrait pas invoquer les dispositions de la Charte contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Le Comité rappelle tout d’abord que la décision du Rapporteur spécial de ne pas séparer la recevabilité du fond (voir par. 1.2) n’exclut pas la possibilité d’un examen séparé de ces deux questions par le Comité. Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans un pays ou territoire, ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Toufik Ammari par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.
7.3Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. L’auteur a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de son fils, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur cette disparition. En outre, l’État partie n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible est ouvert, l’ordonnance no 06-01 continuant d’être appliquée bien que le Comité ait recommandé qu’elle soit mise en conformité avec le Pacte. Le Comité conclut par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication.
7.4Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations relatives à la violation de l’article 14 du Pacte, mais que les allégations qui soulèvent des questions au regard des articles 2 (par. 3), 7, 9, 10 (par. 1), et 16, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte sont suffisamment étayées. Le Comité procède donc à l’examen de la communication sur le fond concernant les violations alléguées des articles 2 (par. 3); 7, 9; 10 (par. 1) et 16 du Pacte.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties.
8.2L’État partie s’est contenté de faire une référence à ses observations collectives et générales qui avaient été transmises antérieurement au Comité en relation avec d’autres communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.
8.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la règle relative à la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.
8.4Le Comité note que le fils de l’auteur a été vu pour la dernière fois lorsqu’il a quitté son domicile dans la matinée du 27 août 1995. Dans les heures qui ont suivi son départ, un important dispositif policier a été mis en place afin de procéder à la perquisition du domicile familial de l’auteur et de son fils et des documents de Toufik Ammari ont été saisis; son livret de famille a été conservé par les autorités pendant près de quatre mois. Le Comité note que même si les autorités de l’État partie n’ont jamais reconnu avoir arrêté et détenu Toufik Ammari, la simultanéité entre la disparition de Toufik Ammari et la perquisition du domicile familial ne peut pas être une simple coïncidence. En l’absence d’explication de l’État partie sur cette question et étant donné que la présente affaire s’inscrit dans un contexte de pratique systématique de disparitions forcées au sein de l’État partie à cette période, le Comité considère qu’il est probable que Toufik Ammari ait été arrêté par les policiers dans la matinée du 27 août 1995 et qu’il ait disparu alors qu’il était placé sous la responsabilité de l’État partie.
8.5Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. En l’espèce, il considère que Toufik Ammari a été arrêté par les policiers le matin du 27 août 1995 et que l’on ignore ce qu’il est ensuite devenu. En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Toufik Ammari.
8.6Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
8.7Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de son fils cause à l’auteur et à sa famille. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à leur égard.
8.8En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que son fils a été arrêté arbitrairement sans mandat, que ni lui ni sa famille n’ont été informés des raisons de son arrestation, que Toufik Ammari n’a pas été inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications satisfaisantes de la part de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 à l’égard de Toufik Ammari.
8.9S’agissant du grief de violation de l’article 16, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa disparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (art. 2 (par. 3) du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication sur ce qu’est devenu Toufik Ammari ni sur le lieu où lui-même (ou sa dépouille) se trouverait, malgré les multiples demandes que l’auteur a faites en ce sens. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Toufik Ammari depuis plus de dix-neuf ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.
8.10L’auteur invoque l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, la famille de Toufik Ammari a alerté les autorités compétentes de la disparition de ce dernier, notamment les procureurs de la République auprès des tribunaux de toutes les wilayas de la région, mais l’État partie n’a pas procédé à une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition du fils de l’auteur. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale continue de priver Toufik Ammari, l’auteur et sa famille, de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité en conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 7, 9 et 16 à l’égard de Toufik Ammari et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 7 à l’égard de l’auteur.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 7, 9 et 16, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de Toufik Ammari. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de l’auteur.
10.Conformément à l’article 2, paragraphe 3 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa famille un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Toufik Ammari et fournir à l’auteur et à sa famille des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; b) libérer immédiatement Toufik Ammari s’il est toujours détenu au secret; c) dans l’éventualité où Toufik Ammari serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; d) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; e) indemniser de manière appropriée l’auteur pour les préjudices moraux et matériels subis, ainsi que Toufik Ammari s’il est en vie et f) garantir à l’auteur et à sa famille l’accès à des mesures de réhabilitation appropriées. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.
Appendice
[Original: espagnol]
Opinion individuelle (concordante) de Fabián Omar Salvioli
J’ai souscrit à la décision dans l’affaire Ammaric. Algérie (communication no 2098/2011) dans laquelle le Comité a établi que l’État partie était responsable au plan international d’une violation des articles 7, 9 et 16 du Pacte, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 et 16, au préjudice de Toufik Ammari. J’approuve également la constatation d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7, au préjudice de Tahar Ammari.
J’estime toutefois que le Comité aurait dû conclure à une violation de l’article 6 du Pacte à l’égard de Toufik Ammari, victime d’une disparition forcée qui l’a placé et le place toujours dans une situation de risque grave menaçant sa vie, par conséquent, et indépendamment du fait que la victime soit ou non en vie, l’État partie ne s’est pas acquitté dûment de son obligation de protéger le droit à la vie.
Comme je l’ai indiqué dans mon opinion individuelle dans l’affaire Benazizac. Algérie, constater une violation de l’article 6 ne signifie pas affirmer que l’intéressé est mort. Le Comité manque de cohérence dans les affaires de disparition forcée; il a conclu certaines fois à une violation de l’article 6 et d’autres fois, les faits établis étant identiques, il a gardé le silence à ce sujet. Dans l’opinion individuelle motivée que j’avais jointe, j’ai également développé la question de l’obligation qu’ont les États de garantir les droits et la question de la relation entre une disparition forcée et l’article 6.
Le Comité avait, par le passé, une interprétation restrictive de la portée de l’article 6 du Pacte et, dans les affaires de disparition forcée, il constatait une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6. À partir de l’affaire Djebbar et Chihoub (communication no 1811/2008), tranchée en octobre 2011, le Comité a adopté une nouvelle position et a constaté une violation directe de l’article 6 dans les cas de disparition forcée, précisant bien que cette constatation ne signifiait pas qu’il supposait la mort de la personne disparue: le Comité a donc conclu que l’État partie était tenu de remettre en liberté les victimes si elles étaient vivantes.
Bien qu’il ait progressé dans la bonne direction, le Comité continue dans la majorité des cas à se prononcer en se fondant sur les argumentations juridiques des parties et non sur les faits établis. Cela conduit à de nombreuses incohérences et des affaires où les faits établis sont les mêmes sont réglées de façon différente.
Comme je l’ai signalé, avec cette façon de procéder incohérente (qui s’apparente davantage à celle d’un tribunal de common law qu’à celle d’un organe international de protection des droits de l’homme), le Comité limite lui-même ses compétences, de manière incompréhensible. La tâche de tout organe de protection des droits de l’homme consiste à appliquer dûment le droit face aux faits établis; j’ai déjà montré que c’est ainsi que travaillent tous les organes internationaux, juridictionnels ou quasi juridictionnels et que, dès lors que les parties ont la possibilité de contester les faits, les États ne se trouvent en aucune manière lésés dans leur droit de se défendre.
Le Comité ne peut pas réellement expliquer pourquoi certaines fois il n’applique pas le droit quand les parties n’invoquent pas expressément un article du Pacte et d’autres fois il le fait. Pour ne citer que quelques exemples parmi les nombreux cas qui existent, dans les communications suivantes le Comité a appliqué le droit indépendamment des argumentations juridiques des parties: communications no 1390/2005, Korebac. Bélarus, constatations adoptées le 25 octobre 2010; no 1225/2003, Eshonovc. Ouzbékistan, constatations adoptées le 22 juillet 2010, paragraphe 8.3; no 1206/2003, R. M. et S. I. c. Ouzbékistan, constatations adoptées le 10 mars 2010, paragraphes 6.3 et 9.2 (non-violation); no 1520/2006, Mwambac. Zambie, constatations adoptées le 10 mars 2010; no 1320/2004, Pimentel et consorts c. Philippines, constatations adoptées le 19 mars 2007, paragraphes 3 et 8.3; no 1177/2003, Wenga e t Shandwec. République démocratique du Congo, constatations adoptées le 17 mars 2006, paragraphes 5.5, 6.5 et 9; no 973/2001, Khalilovac. Tadjikistan, constatations adoptées le 30 mars 2005, paragraphe 3.7; et no 1044/2002, Shukurovac. Tadjikistan, constatations adoptées le 17 mars 2006, paragraphe 3.
Il faut espérer qu’à l’avenir le Comité sera cohérent et suive une ligne qui reflète une meilleure application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques aux faits dont il est saisi.