Nations Unies

CCPR/C/111/D/1986/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 août 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1986/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7‑25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Pavel Kozlov (représenté par un conseil, Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

26 juin 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 septembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

24 juillet 2014

Objet:

Droit de répandre des informations; procès équitable

Question ( s ) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond:

Droit à la liberté d’expression; droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial

Article(s) du Pacte:

14 et 19

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 1986/2010 *

Présentée par:

Pavel Kozlov (représenté par un conseil, Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

26 juin 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1986/2010, présentée par Pavel Kozlov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Pavel Kozlov, né en 1936 et de nationalité bélarussienne. Il affirme être victime de violations, par le Bélarus, des droits qui lui sont reconnus par les articles 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, aujourd’hui à la retraite, occupait les fonctions d’expert judiciaire dans le domaine des automobiles et autres véhicules de transport. En 2004 et 2005, il a adressé à différents organismes publics bélarussiens des courriers dans lesquels il reprochait aux dirigeants de la Société publique d’assurance «Promtransinvest», société anonyme fermée (ci-après «Promtransinvest»), d’être irresponsables et de ne pas exercer un contrôle suffisant, les accusait de dépenser à l’excès les primes d’assurance et les soupçonnait d’être corrompus et de porter atteinte aux droits des accidentés de la route.

2.2L’auteur indique que dans l’un de ces courriers, daté du 18 janvier 2005 et adressé au Ministre des finances bélarussien, il avait critiqué Mme T., directrice adjointe de Promtransinvest, la qualifiant notamment «d’écervelée, dénuée de sens des affaires, ayant globalement le niveau d’instruction d’une élève de huitième année et les connaissances d’un assureur». Le 11 mars 2005, le tribunal du district de Lénine de la ville de Brest l’a reconnu coupable, pour avoir tenu ces propos, de l’infraction administrative de diffamation prévue par l’article 156.2 du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende administrative de 24 000 roubles (soit environ 12 dollars des É.-U. au moment de la rédaction de la lettre).

2.3Dans sa décision, le tribunal a estimé que les allégations de l’auteur, qui affirmait que Mme T. avait globalement le niveau d’instruction d’une élève de huitième année et les connaissances d’un assureur, étaient désobligeantes et sans fondement, et le qualificatif «écervelée» humiliant. Le tribunal a fondé ses conclusions sur un courrier, produit par Mme T., dans lequel l’employeur de celle-ci énumérait les qualités professionnelles de l’intéressée et précisait qu’elle était diplômée de l’université.

2.4Le 12 octobre 2006, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district auprès du Président du tribunal régional de Brest. Il a ensuite déposé une requête supplémentaire, en date du 20 octobre 2006, dans laquelle il indiquait expressément que le jugement rendu en première instance portait atteinte aux droits qui lui étaient reconnus par l’article 19 du Pacte. Le 30 octobre 2006, le tribunal régional l’a débouté et a confirmé la décision du tribunal de district, jugeant que les termes employés par l’auteur dans sa lettre étaient effectivement «désobligeants et humiliants» à l’égard de Mme T. Le 8 novembre 2006, l’auteur a formé un recours contre la décision du tribunal de district auprès du Président de la Cour suprême du Bélarus. Le 26 janvier 2007, l’un des Vice-Présidents de la Cour suprême a rejeté le recours, estimant que l’auteur «diffusait des informations controuvées, qui portaient atteinte à l’honneur et à la dignité de Mme T.».

2.5L’auteur soutient qu’il a épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts pour ce qui est du grief qu’il tire de l’article 19 du Pacte, et qu’il n’existe aucun recours pour ce qui est du grief qu’il tire de l’article 14 du Pacte (voir par. 3.2 ci-dessous).

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que les termes employés dans sa lettre, que les tribunaux ont jugés diffamatoires, représentaient simplement son opinion, son point de vue, et qu’ils constituaient uniquement une critique visant une responsable d’un organisme public. Les tribunaux ne pouvant justifier les restrictions imposées à son droit à la liberté d’expression, l’amende qui lui a été infligée constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 19 du Pacte.

3.2L’auteur soutient aussi qu’il a été victime d’un déni de justice, car les tribunaux se sont montrés partiaux et ont pris le parti des autorités dès le début de la procédure, de sorte qu’ils n’ont pas examiné les faits de manière objective. Il fait valoir que les tribunaux sont de fait placés sous la tutelle du pouvoir exécutif. Il affirme également que plusieurs responsables du Ministère des finances et du Ministère de l’intérieur étaient présents lors du procès et que les tribunaux ont de toute évidence pris le parti des autorités à ses dépens. Il estime donc qu’il a été porté atteinte aux droits qui lui sont reconnus par l’article 14 duPacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1En date du 26 octobre 2010, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, arguant que celle-ci, contrairement aux dispositions de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, avait été présentée au Comité par un tiers et non par l’intéressé lui-même. Il a en outre demandé au Comité de «donner des éclaircissements sur les relations» entre l’auteur et son conseil.

4.2En date du 6 janvier 2011, l’État partie affirme qu’en ce qui concerne la présente communication, ainsi que d’autres dont le Comité a été saisi, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, notamment le «recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision ayant force de chose jugée». Il fait également valoir que, s’il est partie au Protocole facultatif, il ne reconnaît aucun élargissement du mandat du Comité, et considère donc que les communications susmentionnées ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif, que, de ce fait, aucune disposition ne l’oblige à les examiner et que «toute référence de ce point de vue à la pratique établie du Comité est illégitime».

4.3En date du 5 octobre 2011, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, arguant que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, car il n’a pas saisi le procureur d’une demande de contrôle de décisions devenues exécutoires.

4.4En date du 25 janvier 2012, l’État partie affirme, en ce qui concerne la présente communication et une soixantaine d’autres communications, que, lorsqu’il est devenu partie au Protocole facultatif, il a reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais que cette reconnaissance de compétence est liée à d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles fixant des critères relatifs aux personnes qui présentent des communications et à la recevabilité des communications, en particulier les articles 2 et 5. L’État partie soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation que fait le Comité des dispositions du Protocole facultatif, qui «ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités». Il affirme que, «en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif» et que «les références à la pratique établie du Comité, à ses méthodes de travail et à sa jurisprudence ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il affirme en outre que «toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques sera considérée par l’État partie comme incompatible avec le Protocole et sera rejetée sans commentaires sur la recevabilité ou sur le fond». Il déclare de plus que les décisions prises par le Comité sur de telles «communications rejetées» seront considérées par ses autorités comme «nulles et non avenues».

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisque celle-ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif et que, si une décision est adoptée par le Comité en l’espèce, elle sera considérée comme «nulle et non avenue» par les autorités de l’État partie.

5.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait en outre observer qu’en adhérant au Protocole facultatif tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure quelle qu’elle soit qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, car l’auteur n’avait pas saisi le Bureau du Procureur général pour demander l’ouverture d’une procédure de contrôle. Il renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une demande de procédure de contrôle soumise aux services du procureur, qui permet le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte ont été violés car les tribunaux de l’État partie ne sont pas indépendants, ont fait preuve de partialité et n’ont pas examiné les faits de manière neutre du fait de la présence de plusieurs représentants de l’État au cours de son procès. Toutefois, faute d’explications complémentaires ou d’autres éléments à l’appui de ce grief, il considère que celui-ci n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et le déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief soulevé au titre de l’article 19 du Pacte aux fins de la recevabilité, le déclare recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si l’amende administrative infligée à l’auteur le 11 mars 2005 pour avoir adressé au Ministre des finances, le 18 janvier 2005, une lettre dans laquelle il exprimait notamment son opinion au sujet de Mme T., constitue une violation du droit de l’auteur à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 du Pacte.

7.3Le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression. Le Comité rappelle que le droit à la liberté d’expression est d’une importance capitale dans toute société démocratique et que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit doit être justifiée en fonction de critères très stricts. Il rappelle à cet égard que ce n’est que sous réserve des conditions spécifiques énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte que des restrictions au droit à la liberté d’expression peuvent être imposées: les restrictions doivent être fixées par la loi; elles ne peuvent être imposées que pour l’un des motifs établis aux alinéas a et b du paragraphe 3; elles doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité.

7.4Le Comité constate que l’État partie n’a présenté aucune observation sur le fond de la présente communication et qu’il n’a donc pas cherché à préciser lequel de ces motifs était applicable, ni si les restrictions imposées étaient nécessaires en l’espèce. Il convient toutefois de noter que le tribunal de district de l’État partie a estimé que les propos de l’auteur étaient désobligeants et humiliants. Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 19, des restrictions, fixées par la loi, peuvent être imposées lorsqu’elles sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui. Cela étant, le Comité a toujours considéré que l’État partie devait démontrer de manière spécifique et individualisée en quoi telle ou telle mesure adoptée était nécessaire et proportionnée. Il rappelle également son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il a indiqué que les lois sur la diffamation doivent être conçues avec soin de façon à garantir qu’elles répondent au critère de nécessité énoncé au paragraphe 3 et qu’elles ne servent pas, dans la pratique, à étouffer la liberté d’expression.

7.5Le Comité note que l’auteur a été condamné à une amende pour avoir adressé au Ministère des finances une lettre dans laquelle il qualifiait Mme T. «d’écervelée, dénuée de sens des affaires, ayant globalement le niveau d’instruction d’une élève de huitième année et les connaissances d’un assureur». Pour déterminer si l’amende à laquelle il a été condamné pour avoir tenu de tels propos constitue une restriction justifiée dont l’objectif était de protéger les droits et la réputation de Mme T., le Comité tient compte de la forme et du contexte des propos en cause, ainsi que des moyens de diffusion utilisés et rappelle que l’intérêt que présente l’objet d’une critique pour la société dans son ensemble est un facteur à prendre en considération pour juger du bien-fondé d’une accusation de diffamation. Il note à cet égard que les termes employés par l’auteur étaient tirés d’un courrier appelant l’attention du Ministère des finances sur la gestion jugée irresponsable d’une société d’assurance publique, et visant aussi à appeler l’attention du Ministre, d’une part, sur le fait que les dirigeants de la société dépensaient «à l’excès» les primes d’assurance et, d’autre part, sur les atteintes portées aux droits des accidentés de la route. Dans sa lettre, l’auteur critiquait non seulement Mme T., mais aussi plusieurs autres personnes. Il doit donc être considéré que les termes employés par l’auteur, quoique virulents et insultants, s’inscrivaient dans un contexte dans lequel les critiques visant la société d’assurance, dont Mme T. est la directrice adjointe, étaient le principal sujet. Cette société étant publique, les critiques concernant l’irresponsabilité supposée de ses dirigeants et le manque de contrôles étaient une question d’intérêt public.

7.6Le Comité note également que l’auteur a adressé son courrier au seul Ministre des finances et qu’il ne l’a pas rendu public, notamment en le diffusant dans les médias, si bien que l’atteinte potentielle à la réputation de Mme T. était d’une gravité limitée. Le Comité fait observer, en outre, que l’État partie n’a invoqué aucun motif justifiant qu’en l’espèce, il était nécessaire de condamner l’auteur à une amende pour diffamation. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’y avait aucun autre moyen de répondre à la critique adressée par l’auteur et de préserver la réputation de Mme T. Il rappelle à ce sujet que pour qu’une restriction à la liberté d’expression, quelle qu’elle soit, visant à préserver la réputation d’autrui satisfasse au critère de nécessité, il faut démontrer qu’elle est appropriée pour remplir sa fonction de protection; cette restriction doit également constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et être proportionnée à l’intérêt à protéger. Compte tenu de la nature de la peine à laquelle l’auteur a été condamné en l’espèce, des incidences et du contexte des remarques jugées désobligeantes, ainsi que de l’intérêt que présentaient, pour la société dans son ensemble, les questions soulevées par l’auteur, il n’a pas été démontré que la restriction imposée à son droit à la liberté d’expression constituait une mesure proportionnée permettant de préserver l’honneur et la réputation d’autrui.

7.7Dans ces circonstances, et en l’absence de toute information de l’État partie justifiant la restriction aux fins du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, sous la forme notamment du remboursement de la valeur actuelle de l’amende et des frais de justice encourus, ainsi que d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que de telles violations ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les faire diffuser largement en biélorusse et en russe dans le pays.

Appendice

Opinion (dissidente) conjointe de Dheerujlall Seetulsingh et Walter Kälin

Si nous sommes d’accord pour conclure à une violation de l’article 19 du Pacte dans cette affaire, nous estimons que le Comité n’aurait pas dû, au paragraphe 7.5 et à la première phrase du paragraphe 7.6 des présentes constatations, s’efforcer de justifier la formulation choisie par l’auteur pour exprimer ses critiques. L’argument selon lequel l’auteur ne critiquait pas seulement Mme T. mais aussi plusieurs autres personnes, ou celui selon lequel l’emploi de ce que le Comité appelle un langage «virulent et insultant» vis‑à‑vis de supérieurs est nécessairement moins préjudiciable que l’utilisation d’un tel langage par un particulier dans les médias, ne sont pas entièrement convaincants. Le Comité aurait dû se contenter de souligner le fait que l’État partie n’a présenté aucun argument montrant pourquoi la condamnation de l’auteur à une peine d’amende administrative était nécessaire au regard du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.