Nations Unies

CCPR/C/112/D/2123/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

17 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2123/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 112esession (7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Olga Tonenkaya (non représentéepar un conseil)

Au nom de:

La sœur décédée de l’auteure, Lyudmila Golosubina

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 décembre 2011 (non publiéesous forme de document)

Date de la décision:

28 octobre 2014

Objet:

Enquête insuffisante sur la cause du décès de la sœur de l’auteure

Question(s) de fond:

Droit à la vie, procès équitable

Question(s) de procédure:

Non‑épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

6 (par. 1); 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2; 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2123/2011 **

Présentée par:

Olga Tonenkaya (non représentée par un conseil)

Au nom de:

La sœur décédée de l’auteure, Lyudmila Golosubina

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2123/2011 présentée par Mme Olga Tonenkaya au nom de sa sœur décédée, Mme Lyudmila Golosubina, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

L’auteure de la communication est Olga Tonenkaya, de nationalité ukrainienne, née le 9 février 1967. Elle présente la communication au nom de sa sœur décédée, Lyudmila Golosubina (Holoshubina), née le 5 juillet 1963. L’auteure affirme que les autorités de l’État partie ont violé les articles 6, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1, du Pacte, au motif que le décès de sa sœur serait dû à un traitement médical inadéquat. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 6 novembre 2006, la sœur de l’auteure a voulu se faire soigner à l’unité de traumatologie de l’hôpital central de district de Storozynets (Ukraine), parce qu’elle se plaignait d’une douleur à la jambe gauche. Une fracture fermée du tibia gauche a été diagnostiquée. Le même jour, le membre fracturé a été traité sous anesthésie et un plâtre a été posé. Le 8 novembre 2006, une opération visant à remettre en place les fragments de l’os fracturé a été effectuée sous anesthésie. Hormis ce problème, la patiente était en bonne santé.

2.2Le 10 novembre 2006, l’état de santé de la patiente a été jugé satisfaisant. Elle se plaignait de ce que le plâtre était trop serré mais elle a été autorisée à quitter l’hôpital avec une prise en charge ambulatoire.

2.3Le 27 novembre 2006, au cours d’un contrôle, Mme Golosubina s’est plainte à nouveau que le plâtre était trop serré et il a été prévu de remplacer celui-ci le 4 décembre 2006. Le 30 novembre 2006, son état de santé s’étant détérioré, la patiente a été transportée à l’hôpital de district de Storozynets. L’examen cardiaque auquel il a alors été procédé ne présentant aucune anomalie, le personnel médical a estimé qu’il n’y avait pas de raison de l’hospitaliser.

2.4Le 4 décembre 2006, Mme Golosubina s’est rendue à l’hôpital pour faire remplacer son plâtre comme cela était prévu. Toutefois, aucun traitement ne lui a été dispensé car le personnel médical dans son ensemble était en formation. L’unité de traumatologie de l’hôpital de district a refusé de traiter la patiente parce qu’il ne s’agissait pas d’une urgence. L’intéressée s’est alors adressée à une clinique locale qui ne lui a administré aucun traitement et lui a recommandé de faire un examen médical une semaine plus tard.

2.5Le 5 décembre 2006, son état de santé s’étant encore aggravé, Mme Golosubina a été à nouveau transportée à l’hôpital de district de Storozynets. Selon un membre du personnel qui était de garde, elle se trouvait dans un état grave résultant d’après lui d’une neurasthénie. Elle a été hospitalisée au service de chirurgie de la tête et du cou le jour même; cependant, ce n’est que le 6 décembre qu’un traitement lui a été administré, lorsque son transfert à l’hôpital psychiatrique régional de Cernivitsi a été demandé.

2.6Le 6 décembre 2006, Mme Golosubina a été transférée à l’hôpital psychiatrique régional de Cernivitsi, où elle est décédée le 7 décembre sans qu’un diagnostic ait été établi. L’autopsie effectuée le même jour a révélé une thrombophlébite des veines de la jambe gauche.

2.7L’auteure a porté plainte pour faute médicale auprès du Bureau du Procureur de district de Storozynets, lequel a décidé, le 12 février 2007, de ne pas engager de procédure pénale. Le 3 avril 2007, le Bureau du Procureur régional de Cernivitsi a rejeté la demande de l’auteure visant à faire annuler la décision négative du Procureur de district. Le 28 avril 2007, le tribunal de district de Storozynets, région de Cernivitsi, a refusé d’annuler les décisions des bureaux des procureurs et rejeté les demandes de l’auteure. Le 1er juin 2007, le tribunal régional de Cernivitsi a rejeté le recours intenté par l’auteure, rendant ainsi la décision du tribunal de district définitive. Compte tenu de la nature et du nombre de recours qu’elle a exercés pour obtenir l’ouverture d’une procédure pénale, ainsi que du fait que la décision du tribunal régional ne contenait aucune indication quant aux recours ouverts, l’auteure soutient que tous les recours internes utiles ont été épuisés.

2.8Le 21 juin 2007, l’auteure a adressé une plainte à la Cour européenne des droits de l’homme, enregistrée sous le numéro 27433/07, pour violation alléguée des articles 2, 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme). Toutefois, le 22 septembre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme, par décision d’un juge unique, a estimé que la requête ne relevait pas de sa compétence et qu’elle était donc irrecevable conformément aux articles 34 et 35 de la Convention, sans qu’aucune motivation particulière ne soit avancée.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les articles 6, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1, du Pacte ont été violés à raison du décès de sa sœur résultant d’un traitement médical inapproprié puis du refus d’ouvrir une enquête pénale sur l’affaire.

3.2Selon l’auteure, le refus d’engager une procédure pénale a empêché qu’une enquête approfondie sur les causes du décès de sa sœur soit menée, notamment sur le type exact de traitement médical dispensé et jette le doute sur la protection générale du droit à la vie, tout en interdisant d’établir la responsabilité du personnel médical pour négligence ou d’obtenir une indemnisation adéquate.

3.3Outre les violations des articles susmentionnés, l’auteure affirme également que les graves manquements aux procédures médicales habituelles ont eu pour effet que les signes d’une thrombose potentielle n’ont pas été détectés, ni soignés, ce qui, ajouté au fait que Mme Golosubina n’a pas été placée à l’unité de traumatologie de l’hôpital régional et a été finalement admise dans une clinique psychiatrique, a conduit au décès de sa sœur.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note en date du 19 juillet 2013, l’État partie a objecté que la communication devait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif car l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles. L’État partie fait valoir en particulier que l’auteure avait la possibilité d’engager un recours en annulation contre la décision de la cour d’appel du 1er juin 2007, conformément aux articles 383 et 384 du Code de procédure pénale ukrainien. Il explique que la juridiction de cassation vérifie la légalité et la validité des décisions des juridictions inférieures en se fondant sur les pièces du dossier et les éléments de preuve supplémentaires, dès lors que la décision a été contestée. Les juridictions de cassation sont tenues de corriger les violations de la loi qu’auraient pu commettre les juridictions au cours des instances antérieures. Elles peuvent modifier la décision d’une juridiction inférieure, ou l’annuler et ordonner que l’affaire soit rejugée pour les motifs suivants: violation fondamentale des règles de la procédure pénale et application erronée de la loi pénale.

4.2Pour ce qui est du fond de l’affaire, l’État partie explique que, le 29 décembre 2006, le Bureau du Procureur de la région de Cernivitsi a reçu la plainte de l’auteure, qui demandait qu’une enquête pénale soit ouverte sur les actes du personnel médical de l’hôpital central de district de Storozynets pour soins médicaux inadéquats, ayant conduit au décès de la sœur de l’auteure. Le Bureau du Procureur a ouvert une enquête conformément à l’article 97 du Code de procédure pénale (1960) et décidé de ne pas ouvrir une enquête pénale contre les médecins de l’hôpital «en l’absence de corpus delicti». Le 28 avril 2007, le tribunal de district de Storozynets a examiné le recours formé par l’auteure contre cette décision, en se fondant sur la déposition d’un expert qui avait affirmé que les médecins n’avaient commis aucune faute en posant le diagnostic de la sœur de l’auteure, ni en déterminant les soins qui avaient été dispensés. Le tribunal a donc rejeté le recours. Le 1er juin 2007, la cour d’appel de la région de Cernivitsi a examiné le nouveau recours de l’auteure et l’a rejeté. Il a estimé que, d’après les résultats de «l’étude anatomique-pathologique no 47 du 7 décembre 2006, la cause directe du décès de Holoshubina L. D. était une embolie pulmonaire par thrombose». L’État partie affirme en outre que, selon les conclusions d’un médecin légiste commis le 7 février 2007, le décès de la sœur de l’auteure était inévitable et «se serait produit indépendamment de la nature et de l’intensité des soins médicaux prodigués».

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 11 décembre 2013, l’auteure affirme que l’examen postmortem pratiqué le 7 décembre 2006 a révélé une seconde fracture fermée, vieille d’un mois, d’un os du talon, qui n’avait pas été détectée par les médecins et qui aurait pu provoquer la thrombophlébite.

5.2L’auteure indique en outre que le 19 décembre 2011 elle a engagé une action au civil devant le tribunal de district de Storozynets, afin de demander une indemnisation pour le préjudice moral causé par la mort d’une personne en raison de négligences dans l’établissement du diagnostic et dans le traitement administré. Au cours de la procédure judiciaire, l’auteure a demandé à plusieurs reprises une expertise médicale indépendante postmortem, mais ses demandes ont été rejetées. Le 20 mars 2013, le bureau central de médecine légale du Ministère de la santé a effectué un examen médico‑légal qui n’a été ni complet ni objectif, et qui d’après l’auteure était «suspect». Cette expertise ne pouvait pas apporter de réponses complètes au sujet du décès de la sœur de l’auteure car le tribunal n’avait pas fourni le dossier médical initial de l’intéressée. L’auteure ajoute que le Bureau du Procureur avait saisi tous documents du dossier médical initial en 2007, et que celui‑ci avait ensuite disparu. Elle soutient que ses demandes d’indemnisation ont été rejetées à chaque instance judiciaire et demande au Comité d’examiner sa communication au fond.

Observations complémentaires de l’auteure

6.1Dans une lettre du 13 janvier 2014, l’auteure réaffirme que le 19 décembre 2011, elle et la mère de la victime ont engagé une action au civil devant le tribunal de district de Storozynets, afin de demander une indemnisation pour le préjudice moral causé par le décès d’une personne en raison de négligences dans l’établissement du diagnostic et dans le traitement administré. Après le rejet de leur action par le tribunal de première instance et la juridiction d’appel, elles ont engagé un recours en annulation. Malgré les nombreuses violations procédurales qu’elles avaient soulevées dans le recours, la Haute Cour spécialisée d’Ukraine a refusé d’ouvrir un dossier. Pour ces raisons, l’objection de l’État partie qui affirme que les juridictions supérieures ont examiné et corrigé toutes les violations commises par les juridictions inférieures ne correspond pas à la réalité, comme le prouve le résultat du recours en annulation. L’auteure soutient que le recours en annulation n’est pas un recours utile et qu’elle a épuisé tous les recours utiles disponibles.

6.2À propos des observations de l’État partie sur le fond de l’affaire, l’auteure réaffirme ce qu’elle a déjà dit sur les démarches qu’elle a faites pour obtenir l’ouverture d’une procédure pénale concernant le décès de sa sœur; elle souligne que le dossier médical original a été perdu, et maintient qu’en 2007 le Bureau du Procureur et les tribunaux ont fait tout leur possible pour «cacher les infractions commises par les médecins». Elle conteste l’objectivité de l’expertise médico‑légale et réaffirme que les médecins n’ont pas découvert la seconde fracture que sa sœur avait au talon et n’ont pas correctement soigné la thrombophlébite.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note des griefs de violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, mais il relève que l’auteure n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, de quelle manière les faits tels qu’elle les a présentés peuvent constituer une atteinte à l’article 14, et il considère par conséquent que ce grief est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Concernant la question de l’épuisement des recours internes, eu égard aux autres griefs, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteure n’a pas formé contre la décision de la cour d’appel du 1er juin 2007 le recours en annulation prévu aux articles 383 et 384 du Code de procédure pénale. Le Comité note l’objection de l’auteure qui affirme que le recours en question aurait été sans effet; il rappelle toutefois que de simples doutes quant à l’efficacité des voies de recours internes n’exonèrent pas l’auteur d’une communication de l’obligation d’épuiser ces recours et que les auteurs sont tenus de respecter les règles de procédure, sous réserve qu’elles soient raisonnables. Il s’ensuit que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes, comme l’exigent l’article 2 et le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.