Nations Unies

CCPR/C/112/D/2165/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2165/2012

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Natalya Pinchuk (représentée par un conseil, Antoine Bernard)

Au nom de:

Le mari de l’auteur, Aleksander Belyatsky

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

12 avril 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 juin 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

24 octobre 2014

Objet:

Condamnation du mari de l’auteur à quatre ans et demi de prison en raison d’activités menées pour le compte d’une association non enregistrée; allégations de détention provisoire en violation de la procédure pénale interne et jugement par un tribunal non indépendant; jugement in absentia

Question(s) de fond:

Détention arbitraire; droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial; droit de toute personne d’être présente à son procès; liberté d’association; recours utile

Question ( s ) de procédure:

Non-épuisement des recours internes; recevabilité ratione personae

Article(s) du Pacte:

2, 9, 14 et 22

Article(s) du Protocole facultatif:

1, 2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no2165/2012 *

Présentée par:

Natalya Pinchuk (représentée par un conseil, Antoine Bernard)

Au nom de:

L’époux de l’auteur, Aleksander Belyatsky

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

12 avril 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2165/2012 présentée par Natalya Pinchuk en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.La communication, datée du 12 avril 2012, est soumise par Natalya Pinchuk, de nationalité bélarussienne, au nom de son mari, Aleksander Belyatsky, lui aussi de nationalité bélarussienne. L’auteur affirme que son mari est victime de violations par le Bélarus des droits qu’il tient des articles 2, 9, 14 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représentée par un conseil, Antoine Bernard.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que son mari est le président et l’un des membres fondateurs du Centre pour les droits de l’homme Viasna. Le 28 octobre 2003, la Cour suprême du Bélarus a ordonné la dissolution de l’association en raison de «graves violations des lois électorales». Le mari de l’auteur a présenté une communication au Comité des droits de l’homme, lequel a constaté, le 24 juillet 2007, une violation de l’article 22 du Pacte. Le Comité a demandé à l’État partie de fournir un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation et du réenregistrement de l’association.

2.2Le 24 août 2007, le Ministère de la justice a refusé d’enregistrer l’association, en justifiant sa décision par les motifs ci-après: les membres fondateurs avaient, pour la majorité d’entre eux, été déclarés coupables de violations de règles administratives; les statuts de l’association contenaient seulement la liste de ses buts principaux, ce qui laissait supposer qu’elle exercerait aussi d’autres activités non énumérées dans les statuts; il était indiqué dans les statuts que l’objet principal de l’association consisterait à «garantir les droits et libertés de chacun, sur la base de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Constitution de la République du Bélarus», alors qu’en vertu de l’article 20 de la loi relative aux associations publiques, les associations civiques ne sont autorisées qu’à défendre les droits et intérêts juridiques de leurs propres membres; le nouveau nom de l’association − Association civique nationale Viasna − était essentiellement le même que celui de l’association dissoute sur ordre de la Cour suprême dans sa décision du 23 octobre 2003, ce qui était contraire à l’article 12 de la loi relative aux associations publiques; tous les documents énumérés à l’article 13 de la loi précitée comme étant nécessaires aux fins de l’enregistrement n’étaient pas joints (en particulier, un reçu était intitulé «droit d’enregistrement», au lieu de «droits dus à l’administration», et il n’y était pas précisé à quoi correspondait le paiement).

2.3Le 24 septembre 2007, le mari de l’auteur et ses associés ont formé un recours contre la décision du Ministère de la justice devant la Cour suprême, en faisant valoir que cette décision était contraire à la loi relative aux associations publiques et violait leurs droits garantis par la Constitution. Ils ont aussi présenté à la Cour les constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme à propos de la communication no 1296/2004. Ils ont déclaré que l’enregistrement de la nouvelle association, l’Association civiquenationale Viasna, serait une réparation suffisante pour la violation de leurs droits. Le 26 octobre 2007, la Cour suprême a confirmé le refus du Ministère de la justice d’enregistrer l’association, au motif que le nom de celle-ci contrevenait aux dispositions de l’article 12, paragraphe 5, de la loi relative aux associations publiques et que, contrairement aux prescriptions de l’article 13 de la loi, les documents bancaires relatifs au paiement des droits dus à l’administration n’avaient pas été communiqués aux bureaux de l’enregistrement. La Cour n’a formulé aucun commentaire sur les constatations du Comité.

2.4Le 26 janvier 2009, le mari de l’auteur et d’autres membres fondateurs ont soumis au Ministère de la justice une demande d’enregistrement de l’association civique pour les droits de l’homme Nasha Viasna. Le 2 mars 2009, le Ministère de la justice a refusé de procéder à l’enregistrement, pour les motifs suivants: lors de leur réunion initiale, les fondateurs n’avaient pas procédé à l’élection d’un commissaire aux comptes; la réunion initiale des fondateurs était désignée par le terme «rencontre» alors que selon la loi relative aux associations publiques, elle aurait dû être dénommée «conférence» ou «congrès»; la liste des membres fondateurs comportait des renseignements erronés ou incomplets; il y avait des raisons de croire, soit que la réunion initiale des fondateurs n’avait tout simplement pas eu lieu, soit que les individus présents à la réunion initiale des fondateurs n’étaient pas ceux dont le nom figurait sur la liste des membres fondateurs; les documents relatifs au paiement des droits dus à l’administration pour l’enregistrement ne comportaient pas de renseignements sur le nom de l’association; 35 des membres fondateurs étaient des personnes qui avaient dû répondre dans le passé à des accusations de nature pénale ou administrative; le procès-verbal de la réunion initiale des fondateurs ne mentionnait pas qu’il avait été procédé à l’élection d’un président et d’un secrétaire de séance.

2.5Le 20 mars 2009, le mari de l’auteur et d’autres membres fondateurs ont formé un recours contre la décision susvisée du Ministère de la justice au motif qu’elle contrevenait à la loi relative aux associations publiques, et ont demandé que la décision soit annulée et qu’il soit ordonné au Ministère de la justice d’enregistrer l’association. Le 22 avril 2009, la Cour suprême a confirmé la légalité de la décision du Ministère de la justice.

2.6Le 25 avril 2009, le mari de l’auteur et d’autres membres fondateurs ont de nouveau soumis au Ministère de la justice une demande d’enregistrement de l’association civique pour les droits de l’homme Nasha Viasna, en produisant de nouveaux documents dans lesquels les lacunes des documents initiaux visées par la Cour avaient été prises en considération. Le 25 mai 2009, le Ministère de la justice a de nouveau refusé de procéder à l’enregistrement pour des motifs de forme. Le 18 juillet 2009, le mari de l’auteur et ses associés ont formé un recours devant la Cour suprême laquelle, le 12 août 2009, a de nouveau confirmé la décision du Ministère de la justice.

2.7L’auteur indique que le 16 février 2011, le substitut du Procureur général a adressé à son mari un avertissement officiel l’informant qu’une enquête avait permis au parquet général de découvrir la preuve des activités qu’il avait entreprises pour le compte d’une organisation non enregistrée, y compris l’affichage de publications sur le site de l’organisation et d’autres actions et commentaires à l’occasion desquels il apparaissait comme l’administrateur de l’organisation. Il était averti que, pour le cas où il persisterait à enfreindre la loi, il pourrait avoir à répondre de ses actes. Le mari de l’auteur a formé un recours à propos de l’avertissement devant le Procureur général qui, dans une lettre datée du 18 mars 2011, a confirmé la légalité de l’avertissement. Le mari de l’auteur a saisi le tribunal du district central de Minsk, en faisant valoir que les actions particulières menées par le parquet général violaient la Constitution et l’article 22 du Pacte. Le 3 juin 2011, il a été débouté par le tribunal. Dans les attendus de sa décision, communiquée le 20 juin 2011, le tribunal indiquait que le requérant ne lui avait fourni aucune preuve que Nasha Viasna avait une structure organisationnelle différente de celle d’une association civique selon la loi relative aux associations publiques. Le tribunal n’a pas répondu au grief de violation de la Constitution et du Pacte. Cette décision a fait l’objet d’un appel devant le Tribunal de la ville de Minsk. Le 11 août 2011, celui-ci a estimé que les moyens selon lesquels l’avertissement officiel violait la Constitution et le Pacte étaient inopérants en l’espèce. Le Tribunal de la ville de Minsk a fait observer que le mari de l’auteur avait reçu un avertissement officiel en raison des actions qu’il menait pour le compte d’une organisation non enregistrée, mais n’a pas abordé la question des violations alléguées de l’article 5 de la Constitution et de l’article 22 du Pacte.

2.8Le 4 août 2011, le mari de l’auteur a été inculpé d’évasion fiscale en vertu de l’article 243 du Code pénal du Bélarus. Le parquet général lui reprochait de s’être soustrait au paiement de l’impôt sur le revenu concernant des fonds déposés dans deux comptes bancaires ouverts en Pologne et en Lituanie. Selon l’auteur, ces fonds n’appartenaient pas personnellement à son mari, mais étaient destinés aux activités de l’association. Le mari de l’auteur a été arrêté le 4 août 2011. Le lendemain, il a été placé en détention provisoire en vertu d’une ordonnance du procureur adjoint de la ville de Minsk. Le 9 août 2011, il a fait appel de l’ordonnance de mise en détention devant le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk, lequel l’a débouté le 16 août 2011 à l’issue d’une audience où il n’était pas présent. Un autre recours a été rejeté par le Tribunal de la ville de Minsk le 19 août 2011. Le mari de l’auteur a déposé de nouvelles demandes de remise en liberté, le 2 novembre 2011 devant le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk et le 24 janvier 2012 devant le Tribunal de la ville de Minsk. Les demandes ont été rejetées et le mari de l’auteur est resté incarcéré tout au long de l’instruction et du procès.

2.9Le 24 novembre 2011, le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk a déclaré le mari de l’auteur coupable d’évasion fiscale, pour absence de déclarations fiscales et soumission en connaissance de cause de faux renseignements dans des déclarations fiscales, en vertu de l’article 243.2 du Code pénal. Les accusations portées contre lui étaient fondées sur les faits ci-après: il avait ouvert deux comptes bancaires dans des banques étrangères en Lituanie et en Pologne, des fonds avaient été versés durant la période 2008‑2010 sur ces comptes en provenance d’organisations étrangères et internationales; et il avait utilisé les fonds déposés dans ces comptes. Selon l’accusation, ces fonds constituaient ses revenus personnels, sur lesquels il était tenu de payer l’impôt sur le revenu au Bélarus. Le mari de l’auteur a soutenu qu’il avait agi en qualité de président du Centre pour les droits de l’homme Viasna et que, dès lors qu’en 2003 l’organisation avait été privée du bénéfice de son enregistrement national par la décision de la Cour suprême, et que trois demandes ultérieures d’enregistrement en 2007 et 2009 avaient été rejetées, l’organisation n’avait plus aucun statut juridique au Bélarus et ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire. En conséquence, il avait ouvert des comptes bancaires étrangers à son nom, dans lesquels il recevait des fonds de partenaires étrangers (le Comité suédois d’Helsinki pour les droits de l’homme, le Comité norvégien d’Helsinki, la Fédération internationale des droits de l’homme, etc.) lui permettant de financer des activités de défense des droits de l’homme. Ces fonds étaient utilisés par Viasna aux fins suivantes: suivre la situation des droits de l’homme au Bélarus, surveiller les élections, publier de la documentation, mener des activités pédagogiques, organiser des bureaux d’information et aider les victimes de la répression politique. Dans son jugement, le tribunal a considéré que durant la période 2008‑2010, le mari de l’auteur avait bénéficié de revenus sous la forme de fonds reçus de l’étranger, et s’était soustrait au paiement de l’impôt direct sur ces revenus, causant ainsi des pertes particulièrement importantes pour le budget fédéral. Le mari de l’auteur a été condamné à quatre ans et six mois d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire à régime sévère et à la confiscation de ses biens; il a aussi été condamné à verser une amende de 721 454 017 roubles bélarussiens et à restituer à l’État une somme de 36 072 700 roubles bélarussiens.

2.10Le 29 novembre 2011, le mari de l’auteur a fait appel du jugement devant le Collège de juges chargé des affaires pénales du Tribunal de la ville de Minsk (la cour d’appel). Le 16 et le 20 janvier 2012, lui-même et son avocat ont soumis des conclusions additionnelles à la cour, invoquant entre autres des violations du droit à un procès équitable. Le 24 janvier 2012, la cour d’appel a confirmé l’intégralité du jugement. Le mari de l’auteur n’était pas présent à l’audience. Les moyens relatifs aux violations de la liberté d’association n’ont pas été examinés par le collège de juges, qui n’a pas pris position quant à la violation alléguée de l’article 22 du Pacte. L’auteur soutient que son mari a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

2.11Le 2 avril 2012, des organisations non gouvernementales internationales ont soumis le cas du mari de l’auteur à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie, en refusant d’enregistrer l’association, a violé le droit garanti à son mari par l’article 22 du Pacte. Elle affirme que le droit de son mari de s’associer librement avec d’autres a été limité par le refus d’enregistrement de l’association dès lors que, selon la législation interne du Bélarus, il est interdit aux associations civiques non enregistrées d’exercer des activités sur le territoire du pays. De plus, les personnes prenant part à l’organisation d’associations civiques non enregistrées ou participant aux activités de telles associations s’exposent à des poursuites pénales (art. 193.1 du Code pénal). L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, qui considère que le droit à la liberté d’association non seulement comprend le droit de constituer une association mais garantit aussi le droit de cette association de mener à bien librement les activités prévues dans ses statuts. L’auteur maintient que les refus d’enregistrement des associations Viasna et Nasha Viasna ont imposé des restrictions incompatibles avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

3.2Selon l’auteur, il est impossible de prétendre que ces restrictions étaient prévues par la loi, car cela reviendrait en l’espèce à s’appuyer sur une disposition législative contraire au Pacte, à savoir l’article 193.1 du Code pénal. L’auteur renvoie aux observations finales sur le Bélarus adoptées en 1997 par le Comité (CCPR/C/79/Add.86) dans lesquelles celui-ci s’était déclaré préoccupé par les difficultés découlant des procédures d’enregistrement des organisations non gouvernementales au Bélarus, et avait recommandé à l’État partie d’examiner sans tarder les lois, règlements et pratiques administratives touchant l’enregistrement et les activités de ces organisations. Or, ni les pratiques ni les lois n’ont été modifiées. Pour refuser l’enregistrement des associations civiques pour les droits de l’homme Viasna et Nasha Viasna, le Gouvernement a imposé des conditions excessivement rigoureuses, énoncées dans la loi relative aux associations publiques, en particulier celle exigeant que les membres fondateurs fournissent des renseignements détaillés d’ordre privé (art. 13 de la loi). L’auteur soutient que même si les renseignements fournis par son mari et les autres requérants ne remplissaient pas intégralement les conditions fixées par les lois internes, dans ce cas particulier, le fait de restreindre le droit à la liberté d’association en refusant l’enregistrement a constitué une mesure exagérément rigoureuse. Depuis 2003, l’association fonctionne sans enregistrement officiel. L’auteur ajoute que puisque les refus d’enregistrement étaient exclusivement fondés sur la législation interne de l’État partie, qui est contraire au Pacte, ces refus violent également les obligations incombant à l’État partie en vertu de l’article 2 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que selon la loi relative au parquet général de la République du Bélarus, le Procureur général est habilité à délivrer des avertissements officiels, auxquels il convient de se conformer. Toute personne qui mène des activités au nom d’une organisation non enregistrée au Bélarus s’expose à la mise en cause de sa responsabilité pénale en vertu de l’article 193.1 du Code pénal. Conformément à l’article 34.4 du Code de procédure pénale, tout procureur est habilité à engager une action pénale. En conséquence, l’avertissement officiel adressé par le substitut du Procureur général au mari de l’auteur aurait vraisemblablement pu précéder l’engagement de poursuites pénales contre lui. L’auteur soutient que le risque de faire l’objet de poursuites pénales constitue une restriction de la liberté d’association de son mari. De plus, l’action du parquet général, exigeant du mari de l’auteur qu’il cesse ses activités pour le compte de l’association non enregistrée sous peine de s’exposer à des poursuites pénales, ne vise aucun des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Même si le Gouvernement apportait la preuve du caractère nécessaire de ces restrictions, il ne pourrait jamais être admis que le risque de poursuites pénales en raison de telles activités constitue une mesure proportionnelle. C’est pourquoi l’avertissement officiel du parquet général, fondé sur la législation interne qui envisage des poursuites pénales pour la conduite d’activités au nom d’une organisation non enregistrée, violait également les droits garantis au mari de l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

3.4L’auteur affirme que la condamnation et la peine prononcées pour des activités liées à l’exercice du droit à la liberté d’association consacré au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte constituent une restriction de ce droit et, à ce titre, doivent remplir les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22. La question est de savoir si la peine infligée personnellement au dirigeant de l’association pour ne pas avoir payé d’impôt sur les fonds reçus et dépensés pour les buts de l’association constitue une violation du droit à la liberté d’association. L’association Viasna a été privée de la possibilité d’ouvrir des comptes bancaires, d’y accumuler des ressources financières et de payer des impôts (ou d’être exemptée d’impôt) par suite de la privation de tout statut juridique en raison de sa dissolution illégale en 2003 et du refus d’enregistrement par l’État en 2007 et 2009. Par ailleurs, même si une association est enregistrée par l’État, elle n’a pas le droit d’ouvrir un compte dans une banque étrangère. De plus, la législation bélarussienne comporte une interdiction de facto de recevoir des fonds de l’étranger aux fins de mener des activités en faveur des droits de l’homme, en assimilant tous les dons provenant de l’étranger à une assistance humanitaire qui ne peut être reçue et utilisée que pour un petit nombre d’objectifs, lesquels n’incluent pas les activités de défense des droits de l’homme. Ainsi, le Gouvernement n’a laissé aucun autre moyen à l’association ou à ses membres, pour obtenir un financement de l’étranger destiné à des activités de défense des droits de l’homme, que l’utilisation de comptes personnels ouverts à l’étranger pour recevoir les fonds. C’est précisément pour cette activité que le mari de l’auteur a été condamné à une longue peine d’emprisonnement. Les poursuites pénales engagées contre lui et sa condamnation visent à intimider tous ceux qui œuvrent ou désirent œuvrer en faveur des droits de l’homme. En vertu de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’adopter toutes les mesures d’ordre administratif ou législatif propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. L’État partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non‑exécution d’un traité. De plus, en l’espèce, les organes judiciaires de l’État n’ont pas expliqué lequel des motifs énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte rendait nécessaire une condamnation pénale du mari de l’auteur en raison de ses activités liées au financement de l’association. Enfin, l’auteur soutient que la peine infligée à son mari n’était proportionnelle à aucun des buts énoncés par l’État partie, c’est-à-dire qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

3.5Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle les droits que tient son mari du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés, l’auteur fait valoir que des institutions internationales ont à plusieurs reprises constaté l’absence d’indépendance systémique des tribunaux bélarussiens, qui tient au contrôle absolu exercé par l’exécutif et le Président du Bélarus sur la nomination des juges, la durée de leur mandat, les procédures de sanction et de révocation, ainsi que leur rémunération. Ces institutions ont également constaté concrètement l’ingérence des organes de l’exécutif dans les activités des tribunaux et la partialité des tribunaux en faveur de l’accusation. L’auteur affirme que le premier jour du procès de son mari devant le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk, le procureur s’est adressé au prévenu en ces termes: «Je vous recommande de répondre honnêtement et sincèrement à toutes les questions, et je vous suggère de réfléchir à votre déclaration et à la manière dont vous répondrez aux questions; si vous répondez honnêtement et, surtout, si vous acceptez de verser les sommes en cause, la mesure de contrainte pourra être modifiée.». Selon l’auteur, il ressort clairement de ces propos que la mesure de privation de liberté du prévenu dépendait des déclarations qu’il ferait et que le procureur public se disait certain qu’une modification de cette mesure ne tenait qu’à lui. En dépit des objections de la défense, le tribunal n’a pas réagi à cette déclaration du procureur. Cela démontre clairement le manque d’indépendance du tribunal, qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.6L’auteur renvoie aussi à l’Observation générale no 32 (2007) du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle le Comité indique clairement que toutes les parties à une procédure judiciaire ont les mêmes droits procéduraux, les seules distinctions possibles étant celles qui sont prévues par la loi et fondées sur des motifs objectifs et raisonnables n’entraînant pas pour le défendeur un désavantage ou une autre inégalité. Dans le cas du mari de l’auteur, il s’agissait de déterminer à quelles fins les fonds étrangers étaient versés, et à quelles fins ils étaient utilisés. Le parquet soutenait que ces fonds étaient des revenus personnels du mari de l’auteur sur lesquels il avait l’obligation de payer des impôts. La défense soutenait que les fonds étaient fournis et dépensés aux fins d’activités en faveur des droits de l’homme menées par l’association. L’auteur affirme que lors du procès, le tribunal n’a pas prêté une attention égale aux moyens de preuve présentés par l’accusation et par la défense, puisqu’il a accepté des documents non authentifiés présentés par l’accusation et n’a pas mentionné les documents produits par la défense, comme des attestations officielles de donateurs certifiant avoir fourni des fonds pour les activités de l’association. Elle maintient aussi que le refus de la cour d’appel de solliciter d’autres preuves directement auprès des organisations étrangères concernant la destination des dons et les comptes rendus des dépenses correspondantes témoigne là encore d’une inégalité procédurale.

3.7L’auteur affirme que la présomption d’innocence a été violée à l’égard de son mari lorsque les organes de presse et chaînes de télévision appartenant à l’État ont diffusé des informations proclamant sa culpabilité avant que sa condamnation devienne définitive. Cela a contribué à convaincre la société de sa culpabilité et à influencer des juges qualifiés, en violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. De plus, le 2 décembre 2011, après la lecture du jugement mais avant l’achèvement de la procédure d’appel, Alexander Loukachenko, Président du Bélarus, en réponse aux questions de journalistes relatives à l’affaire, a déclaré: «Je pense que le tribunal a agi de façon très humaine à l’égard de cet “opposant activiste”, quel que soit le nom que vous lui donniez.». Cette déclaration du Président ne laisse aucun doute quant à sa position sur la culpabilité du mari de l’auteur et son avis sur la clémence de la peine prononcée contre lui. Étant donné que conformément aux lois du Bélarus, le Président exerce un contrôle absolu sur la procédure de nomination et de révocation des juges, il y a lieu de craindre qu’en exprimant son opinion, il ait influencé les décisions rendues ensuite par la cour d’appel, ce qui constitue aussi une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Enfin, durant tout le procès de première instance, le mari de l’auteur a été maintenu dans une cage. C’est menotté qu’il a été amené au tribunal puis ramené en détention, et entre le moment où les menottes lui ont été retirées et celui où elles lui ont été remises, il a été placé dans une cage. Ces scènes ont été montrées de façon répétée à la télévision bélarussienne. Incarcérer des individus dans une cage et les menotter est une pratique courante devant les juridictions bélarussiennes. Dans ce cas particulier cependant, rien ne justifiait raisonnablement de recourir à de telles mesures de sécurité. Le maintien du prévenu en cage et menotté donnait de lui l’image, dans l’opinion publique, d’un dangereux criminel, ce qui constitue une autre violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.8L’auteur fait aussi valoir que le droit garanti à son mari par le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte d’être présent à son procès a été violé puisque la requête écrite qu’il avait adressée à la cour d’appel afin d’être présent à l’audience d’appel a été rejetée par la cour, sur la base des dispositions de la législation interne (art. 382.2 et 382.4 du Code de procédure pénale) qui n’obligent pas la cour à assurer la participation du prévenu aux audiences. En l’espèce, la cour d’appel a examiné non seulement des questions de droit, mais aussi les circonstances mêmes de l’affaire et la question de la culpabilité du mari de l’auteur. Ainsi, le fait de dénier à celui-ci le droit d’être présent à son procès et d’être entendu par la cour constitue une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14, ainsi que de l’article 2 du Pacte, puisque l’État partie n’a pas inscrit ce droit dans sa législation interne.

3.9L’auteur soutient que les droits que son mari tient de l’article 9 du Pacte ont été violés, parce que la décision du 5 août 2011 concernant sa mise en détention provisoire a été prise par un organe d’enquête et que ni cette décision, ni les décisions rendues après réexamen par le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk ne comportaient aucune justification du caractère nécessaire, raisonnable et proportionné de la mesure de privation de liberté, en violation des prescriptions de l’article 126.2 du Code de procédure pénale. Les raisons indiquées dans les décisions visent, soit des formules abstraites tirées de textes juridiques, par exemple, le risque que le prévenu «s’évade des locaux du ministère public et du tribunal», «entrave le cours de l’enquête préliminaire ou l’examen du dossier pénal par le tribunal» ou «dissimule ou falsifie des éléments importants pour l’affaire», soit des motifs totalement étrangers à la loi, par exemple, «aux fins d’assurer un examen correct du dossier pénal». Il n’y a aucune analyse d’éléments concrets démontrant un risque réel que le prévenu puisse échapper à la justice, détruire des moyens de preuve ou enfreindre la loi. En outre, les décisions rendues par les tribunaux sur la question de la légalité du placement en détention étaient fondées sur l’article 126.1 du Code de procédure pénale, selon lequel les mesures de contrainte sous forme d’une mise en détention peuvent être appliquées à des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves uniquement sur la base du niveau de l’infraction. L’auteur maintient que cette disposition ne respecte pas les normes internationales, dans la mesure où cette approche ne repose pas sur une évaluation individuelle du risque de comportement illégal du prévenu durant l’enquête et l’examen de l’affaire par le tribunal. L’auteur soutient que dans ces conditions, la détention de son mari a constitué une détention arbitraire en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.10L’auteur indique que conformément au Code de procédure pénale, un placement en détention repose sur une décision de l’enquêteur et est sanctionné par le procureur ou d’autres organes du parquet (art. 126.4 du Code de procédure pénale). Elle relève que, dans sa jurisprudence, le Comité a affirmé que le Procureur de la République n’a pas l’indépendance et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considéré comme «une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires», au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, car la bonne administration du pouvoir judiciaire ne peut être exercée que par un organe indépendant, objectif, impartial et neutre à l’égard des questions à l’examen. Elle souligne que non seulement son mari a été placé en détention sur ordre du procureur adjoint le 5 août 2011, mais qu’il n’a comparu devant un tribunal que le 2 novembre 2011. Elle soutient que le délai de trois mois doit être déclaré incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

3.11En ce qui concerne la violation alléguée des droits que tient le mari de l’auteur du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, l’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité qui estime que l’examen de la légalité de la détention par les tribunaux implique la possibilité d’ordonner la libération de l’intéressé et ne doit pas se limiter à déterminer si les motifs formels de la détention sont conformes aux dispositions de la législation interne régissant l’application de cette mesure. Le contrôle judiciaire de la légalité de la détention doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si la détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. L’auteur soutient que le tribunal du district Pervomaiskiy de Minsk et le Tribunal de la ville de Minsk n’ont pas respecté ces conditions lorsqu’ils ont examiné les recours contre la mise en détention de son mari. Les décisions des tribunaux confirment simplement la légalité de la détention, en l’absence de violation de la législation interne. Elles ne visent pas l’examen d’éventuels éléments propres à établir le caractère nécessaire, raisonnable et proportionné du recours à cette mesure en ce qui concerne la personne particulière dans les circonstances particulières. De plus, le réexamen judiciaire a été conduit en l’absence du mari de l’auteur; celui-ci a donc été privé de la possibilité de fournir des explications sur les circonstances particulières le concernant. L’auteur affirme donc qu’il y a eu violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.Le 25 juillet 2012, l’État partie a fait valoir l’absence de fondements juridiques pour l’examen de la communication, sous l’angle tant de la recevabilité que du fond. L’État partie soutient que le Comité des droits de l’homme a été saisi de la communication par des tiers au lieu de l’intéressé lui-même. De plus, la question a été portée à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire et est en cours d’examen par celui-ci. L’État partie ajoute que l’intéressé n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’État partie renvoie à certaines de ses observations sur d’autres communications, en date du 6 janvier 2011 et du 25 janvier 2012, et indique que selon lui, la présente communication a été enregistrée en violation des articles 1, 2 et 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif. Il déclare avoir mis fin aux procédures concernant la communication no 2165/2012 et «se dissocier des constatations qui pourraient être adoptées à ce sujet par le Comité des droits de l’homme».

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 22 octobre 2012, en réponse aux observations de l’État partie, l’auteur précise avoir soumis la communication sur la base d’une lettre établie le 27 janvier 2012 par son mari par laquelle celui-ci l’autorisait à représenter ses intérêts devant le Comité. Sur ce fondement, l’auteur a autorisé M. Bernard à l’assister et à la représenter durant la procédure relative à la communication no 2165/2012. Cela est conforme à la pratique et au règlement intérieur du Comité. De plus, le mandat de représentation existe aussi dans le système juridique du Bélarus, et emporte le pouvoir de soumettre une plainte au nom d’une personne qui prétend être victime d’une violation de ses droits et libertés.

5.2S’agissant du fait que la même question a été portée à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire et est en cours d’examen, l’auteur avance que c’est la Commission des droits de l’homme qui a établi le mandat du Groupe de travail; que le Groupe de travail n’est pas habilité à rendre des décisions qui ont un caractère contraignant pour le Gouvernement et qui mettent en évidence une violation par celui-ci d’un droit précis garanti par le Pacte, et qu’il ne peut pas non plus obliger le Gouvernement à prendre des mesures pour remédier à la violation. Ainsi, cet organe ne saurait être considéré comme une autre «instance internationale d’enquête ou de règlement» définie au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. De plus, la communication porte non seulement sur des allégations de violation des droits garantis par l’article 9 du Pacte, mais aussi sur des violations des articles 14 et 22 dont l’examen échappe à la compétence du Groupe de travail sur la détention arbitraire.

5.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel le mari de l’auteur n’aurait pas épuisé tous les recours internes offerts par la législation bélarussienne, l’auteur rappelle qu’elle a mentionné toutes les voies de recours que son mari a tenté de suivre pour remédier aux violations constatées de ses droits au regard des articles 9, 14 et 22 du Pacte, ainsi que les décisions des juridictions bélarussiennes en réponse à ces recours. Elle rappelle les faits et les dates des différents recours (voir supra, par. 2.2 à 2.10). Elle rappelle aussi que, selon une jurisprudence établie de longue date, la procédure de contrôle (nadzor), qui consiste en une procédure de réexamen discrétionnaire de décisions rendues par les tribunaux, procédure courante dans les anciennes républiques soviétiques, n’est pas considérée par le Comité comme un recours juridique utile. La Cour européenne des droits de l’homme adopte la même position, en affirmant que cette procédure constitue un recours extraordinaire dont l’utilisation dépend du pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires chargés de superviser les tribunaux et le parquet, et qu’elle ne constitue donc pas un recours effectif. L’auteur affirme qu’à la date de présentation de la communication au Comité, son mari avait déjà épuisé toutes les voies de recours utiles disponibles en vertu de la législation du Bélarus. De plus, son mari a sollicité un contrôle du jugement rendu dans l’affaire pénale le concernant et de la décision de la cour d’appel auprès du Président du Tribunal de la ville de Minsk, puis auprès du Vice-Président de la Cour suprême; l’un et l’autre ont rejeté ses requêtes, le 17 mai 2012 et le 4 septembre 2012 respectivement. Dans leurs réponses, ces deux magistrats indiquent brièvement qu’ils considèrent comme légales les décisions rendues en première instance et en appel, sans toutefois préciser sur quoi ils se fondent ni avancer une analyse juridique des arguments présentés dans la requête soumise par le mari de l’auteur. L’auteur voit en cela une preuve supplémentaire de l’inutilité d’une requête aux fins de contrôle.

5.4Le 15 juillet 2014, l’auteur a indiqué que, le 21 juin 2014, son mari avait été remis en liberté à la suite d’une amnistie. Elle affirme que l’amnistie ne constitue pas une reconnaissance par l’État partie d’une violation des droits garantis par le Pacte, et prie le Comité de procéder à l’examen au fond de la communication. Elle maintient qu’il est toujours impossible de faire enregistrer ou légaliser les activités de groupes de défense des droits de l’homme au Bélarus et qu’une menace réelle de poursuites pénales pèse en permanence sur les défenseurs des droits de l’homme lorsqu’ils mènent des activités pour le compte d’organisations non enregistrées et cherchent des appuis financiers pour leurs activités. La décision du Comité devrait aussi viser la question de la réparation et celle de la non-répétition.

Délibérations du Comité

Absence de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de la position de l’État partie, à savoir qu’il considère que la présente communication a été enregistrée en violation des articles 1, 2 et 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif, qu’il a mis fin aux procédures concernant la communication et qu’il se dissociera des constatations qui pourraient être adoptées à ce sujet par le Comité des droits de l’homme.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Le Comité fait en outre observer que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui affirment être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé. Un État partie contrevient aux obligations découlant de l’article premier du Protocole facultatif s’il adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité prend note de l’observation de l’État partie faisant valoir que la communication avait été portée à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire et était en cours d’examen. Le Comité note que le cas de M. Belyatsky a été examiné par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a émis un avis le 31 août 2012 (A/HRC/WGAD/2012/39). Dès lors que la question n’est plus en cours d’examen par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par la disposition précitée d’examiner la communication.

7.3Concernant le grief de violation de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les prétentions de l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend note du grief de l’auteur au regard de l’article 14 du Pacte, qui se fonde sur la partialité des tribunaux dans le cas de son mari vu que la juridiction de première instance n’a pas fait objection à certaines déclarations de l’accusation, et s’appuie sur des informations générales relatives au système judiciaire de l’État partie. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, le Comité considère cependant que l’auteur n’a pas étayé suffisamment ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note du grief de l’auteur alléguant la violation du droit de son mari d’être présent à son procès, garanti par le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, en raison du rejet de la requête écrite qu’il avait adressée à la cour d’appel pour être présent à l’audience d’appel. Le Comité observe toutefois que l’avocat du mari de l’auteur était présent à l’audience d’appel. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut qu’il est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication a été soumise par des tiers et non par l’intéressé lui-même. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur prévoit qu’une communication doit normalement être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. Dans le cas présent, le Comité fait observer que la victime présumée, qui était en prison lorsque la communication a été présentée, avait établi une lettre d’autorisation pour sa femme et que celle-ci a à son tour autorisé le conseil à représenter la victime présumée devant le Comité. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner la communication.

7.7Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui soutient que le mari de l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Il observe que l’État partie ne signale aucune voie de recours concrète qu’aurait pu exercer le mari de l’auteur. Le Comité note que, selon l’auteur, son mari a épuisé tous les recours internes disponibles et la procédure de contrôle ne constitue pas un recours interne utile. Il relève aussi que le mari de l’auteur a présenté des requêtes au Président du Tribunal de la ville de Minsk et au Vice-Président de la Cour suprême pour solliciter un contrôle du jugement rendu en matière pénale contre lui et de la décision de la juridiction d’appel, et que ces requêtes ont été rejetées le 17 mai 2012 et le 4 septembre 2012 respectivement. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une requête aux fins de contrôle adressée à un organe du parquet, en vue d’obtenir le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces conditions, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.8Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs au titre des articles 9, 14 (par. 2) et 22 (par. 1) du Pacte, aux fins de la recevabilité. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la détention provisoire de son mari, notamment le fait que la décision de mise en détention provisoire du 5 août 2011 a été prise par un procureur et non par un juge, et que cette décision et les décisions du tribunal saisi pour réexaminer l’ordonnance de mise en détention ne comportaient aucun raisonnement quant au caractère nécessaire, raisonnable et proportionné de la mesure de détention. Le Comité relève en outre l’allégation de l’auteur selon laquelle l’article 126.1, du Code de procédure pénale autorise la mise en détention provisoire sur le seul fondement de la gravité de l’infraction, et que la détention de son mari avait donc un caractère arbitraire. En l’absence de réponse de l’État partie sur ces questions, le Comité estime qu’il doit être accordé le crédit voulu aux allégations susvisées et que les faits relatés font apparaître plusieurs violations du droit du mari de l’auteur à la liberté de sa personne garanti par l’article 9 du Pacte. En conséquence, le Comité constate qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 9 du Pacte.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y aurait eu violation de la présomption d’innocence dans le cas de son mari, parce que les organes de presse et chaînes de télévision appartenant à l’État ont diffusé des informations proclamant sa culpabilité avant la confirmation de sa condamnation en appel; parce que le Président de la République a fait une déclaration publique indiquant clairement sa position quant à la culpabilité du mari de l’auteur; et parce que durant tout le procès, le mari de l’auteur a été menotté pour être amené au tribunal et ramené en détention, et maintenu dans une cage dans la salle d’audience, ces scènes étant elles aussi diffusées sur les médias d’État. En l’absence de réponse de l’État partie sur ces questions, le Comité estime qu’il doit être accordé le crédit voulu aux allégations susvisées et que les faits relatés font apparaître une violation de la présomption d’innocence en ce qui concerne le mari de l’auteur. Enconséquence, le Comité constate que le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte a été, enl’espèce, violé.

8.4Pour ce qui est des violations alléguées de l’article 22 du Pacte, le Comité doit déterminer si le refus des autorités bélarussiennes d’enregistrer l’association Viasna ou Nasha Viasna a constitué une restriction déraisonnable du droit du mari de l’auteur à la liberté d’association. Conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction du droit à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; et c) elle doit être nécessaire dans une société démocratique pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» dans le contexte de l’article 22 indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le Gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements de toute société démocratique.

8.5Dans la présente affaire, le Comité note que le mari de l’auteur était président d’une association dont il a demandé l’enregistrement, conjointement avec d’autres membres fondateurs, à trois reprises. Le Comité observe que l’État partie a refusé de permettre l’enregistrement de l’association en se fondant sur un certain nombre de motifs qu’il a exposés, dont certains semblent avoir un caractère éminemment technique et d’autres paraissent incompatibles avec le Pacte. Ces motifs doivent être appréciés à la lumière des conséquences qui en découlent pour le mari de l’auteur et sa liberté d’association. Le Comité note que même si les motifs de refus étaient énoncés dans la loi pertinente, l’État partie n’a avancé aucun argument montrant en quoi ils sont légitimes ou nécessaires, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le Comité note également que le refus d’enregistrement a été la cause directe du fonctionnement illégal de l’association non enregistrée sur le territoire de l’État partie et a directement empêché le mari de l’auteur d’exercer sa liberté d’association avec les autres membres de l’association. Par conséquent, le Comité constate que le refus d’enregistrement ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte à l’égard du mari de l’auteur. Les droits de M. Belyatsky visés au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte ont ainsi été violés.

8.6De plus, le Comité prend note des allégations de l’auteur qui expose qu’après que l’État partie eut fait obstacle de façon répétée à l’enregistrement de l’association, le parquet général a adressé un avertissement officiel à son mari l’informant qu’il risquait des poursuites pénales en raison des activités qu’il menait pour le compte d’une organisation non enregistrée; que le mari de l’auteur a ensuite été inculpé d’évasion fiscale; que cette inculpation résultait du fait qu’il possédait un compte bancaire à son propre nom pour le compte de l’association parce que le refus de l’État partie d’enregistrer l’association lui interdisait d’ouvrir des comptes au nom de l’association; que durant son procès, le tribunal n’a pas tenu compte d’éléments démontrant que les fonds étaient reçus et dépensés pour les buts légitimes de l’association; qu’il a été déclaré coupable et condamné à quatre ans et demi de prison ainsi qu’à des sanctions financières; et que les tribunaux n’ont pas expliqué en quoi ces mesures étaient compatibles avec son droit à la liberté d’association, en particulier en quoi la condamnation et la peine étaient proportionnelles à l’un ou l’autre des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22. En l’absence de réponse de l’État partie sur ces questions, le Comité estime qu’il doit être accordé le crédit voulu aux allégations susvisées. Dans le contexte des violations constatées au paragraphe 8.5, ainsi que des précédentes constatations du Comité, et en l’absence de toute explication convaincante de l’État partie, le Comité conclut que les faits relatés font apparaître une violation du droit du mari de l’auteur à la liberté d’association. En conséquence, le Comité constate que l’article 22 du Pacte a été, en l’espèce, violé.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Bélarus des droits garantis au mari de l’auteur par les articles 9, 14 (par. 2) et 22 (par. 1) du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer au mari de l’auteur un recours approprié, notamment sous la forme: a) du réexamen de la demande d’enregistrement de l’association Viasna selon des critères conformes aux prescriptions de l’article 22 du Pacte; b) de l’effacement de la condamnation pénale de son casier judiciaire; et c) d’une indemnisation adéquate, y compris le remboursement de ses frais de justice. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, l’État partie devrait revoir sa législation interne pour assurer sa conformité aux dispositions de l’article 22 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement sur son territoire en biélorusse et en russe.