Nations Unies

CCPR/C/111/D/2390/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 novembre 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 2390/2014

Décision adoptée par le Comité à sa 111e session (7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:Elena Pronina (non représentée par un conseil)

Au nom de:L’auteure

État partie:France

Date de la communication:19 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:21juillet 2014

Objet:Ordonnance de non-lieu (refus de lancement d’une procédure pénale)

Questions de fond:Droit à un procès équitable et droit à un recours utile

Questions de procédure:Considération de la même question par une autre instance internationale, réserve de l’État partie; griefs insuffisamment étayés

Articles du Pacte:2 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:2 et 5 (par. 2 a))

Décision concernant la recevabilité *

1.1L’auteure de la communication est Elena Pronina, citoyenne russe née en 1955, qui se dit victime d’une violation, par la France, de ses droits au titre des articles 2 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 16 mai 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé qu’il n’avait pas besoin que l’État partie présente ses observations pour se prononcer sur la recevabilité de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 27 novembre 2002, l’auteure a déposé une plainte auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris prétendant être victime d’escroquerie et d’abus de confiance de la part de la banque BNP-Paribas. Elle a notamment reproché à la banque d’avoir réalisé des opérations boursières sur son compte-titres, effectuées pour certaines sans ordre préalable de sa part, et conduites pour d’autres en violation des instructions de l’auteure. Le 22 janvier 2003, elle a complété sa plainte aux termes d’une audition devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris. Le 20 mars 2003, le magistrat instructeur saisi de l’affaire a ordonné une commission rogatoire aux services de police afin de procéder à une enquête concernant ces allégations jusqu’au 1er août 2003.

2.2Le 17 septembre 2003, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a envoyé un rappel à la direction de la police qui avait demandé des documents auprès de la banque, le 20 août 2003. Le 11 octobre 2004, l’avocat de l’auteure a demandé au juge d’instruction d’ordonner une enquête complémentaire. Le 14 octobre 2004, le juge d’instruction a refusé la demande d’investigations complémentaires en constatant «qu’il apparaît que les usages en la matière ont été respectés» par la banque et «qu’enfin si la Partie Civile [l’auteure] estime qu’il a eu de la part de la BNP-PARIBAS un non-respect des stipulations de la convention les unissant, il s’agit d’une difficulté relevant d’un contentieux civil et non pénal». Le 10 février 2005, le juge d’instruction a procédé à une confrontation entre un employé de la banque et l’auteure, et a invité la banque à fournir des justificatifs, notamment l’historique du compte de l’auteure; cette dernière demande a été prétendument ignorée par la banque. Le 20 avril 2005, le juge d’instruction a informé les parties qu’en application des dispositions de l’article 175 du Code de procédure pénale, le dossier serait communiqué au parquet.

2.3Le 4 mai 2005, l’avocat de l’auteure a demandé au juge d’instruction d’ordonner une expertise, de demander l’audition des responsables de l’inspection générale de la banque, et de demander à la banque de produire divers documents, en vertu de l’article 175 du Code de procédure pénale. Cette demande a été rejetée par le juge d’instruction le 23 mai 2005, vu que «la demande d’actes sollicitée ne rentre pas dans la cadre d’une plainte pénale et n’apparaît pas utile à la manifestation de la vérité». Le 30 mai 2005, l’avocat de l’auteure a fait appel auprès de la cour d’appel de Paris contre cette ordonnance de rejet. Selon l’auteure, la cour d’appel n’a jamais statué sur cet appel. Le 1er juillet 2005, le juge d’instruction a adopté une ordonnance de non-lieu estimant «qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les délits d’abus de confiance et d’escroquerie». Le 6 juillet 2005, l’avocat de l’auteure a fait appel contre l’ordonnance de non-lieu. Le 3 février 2006, la cour d’appel a confirmé l’ordonnance de non-lieu, considérant que «l’information n’a pas permis de caractériser les infractions dénoncées par la partie civile et que ces faits ne sont pas susceptibles de recevoir aucune autre qualification pénale». Le 3 février 2006, l’auteure s’est pourvue en cassation. Le 27 septembre 2006, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, constatant«qu’il n’existe aucun moyen de nature à permettre l’admission de pourvoi». Le 10 février 2010, l’auteure a déposé une nouvelle déclaration de pourvoi sur la base d’un élément nouveau, à savoir l’audit, tel que commandé par l’auteure auprès de la société Britannia Accountancy Services, sur les investissements de l’auteure auprès de la banque. La société d’audit aurait constaté, de l’avis de l’auteure, des fraudes et des manipulations frauduleuses au sein de la banque. Le 12 février 2010, la Cour de cassation a refusé d’enregistrer cette déclaration.

2.4Le 29 mai 2009, l’auteure a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 15 septembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en un Comité de trois juges, a déclaré la requête irrecevable en soulignant qu’aucune apparence de violation des droits et libertés de l’auteure tels que garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après «Convention européenne des droits de l’homme») et ses Protocoles n’avait eu lieu dans ce cas. Le 2 juin 2010, l’auteure a déposé une deuxième requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 3 novembre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré la requête irrecevable pour les mêmes motifs.

Teneur de la plainte

3.L’auteure prétend être victime de violations de ses droits aux titre des articles 2 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1) du Pacte à cause de la violation de ses droits à un recours, en particulier vu que la cour d’appel n’a pas statué sur son appel du 30 mai 2005; que l’argumentation de l’ordonnance de non-lieu a été incorrecte; et que les autorités françaises ont ignoré ses demandes et celles de ses avocats et ont failli de motiver suffisamment leurs décisions négatives.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.2Le Comité note que le 15 septembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en un Comité de trois juges, a déclaré irrecevable la requête présentée par l’auteure contre la France et portant sur les mêmes faits que ceux évoqués dans la présente communication. Dans son raisonnement, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la requête ne révélait aucune apparence de violation des droits et libertés de la requérante tels que garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et ses Protocoles. Le Comité note également que, le 3 novembre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré irrecevable, pour ces mêmes raisons, une autre requête de l’auteure contre la France qui portait également sur les mêmes faits que le cas d’espèce. Le Comité note qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a émis la réserve suivante: «La France fait une réserve à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 en précisant que le Comité des droits de l’homme ne sera pas compétent pour examiner une communication émanant d’un particulier si la même question est en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.»

4.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle «la même question» concerne les mêmes auteurs, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. Dès lors que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête irrecevable non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant sur un examen quant au fond, il est considéré que la même affaire a été «examinée» au sens de la réserve sur l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif. En l’occurrence, la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité portant purement sur la forme, mais a estimé que la requête était irrecevable, parce qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.4 Le Comité fait en outre observer que, malgré certaines différences d’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte par les organes compétents, aussi bien la teneur que la portée de ces dispositions convergent largement. Compte tenu des importantes analogies existant entre ces deux textes et de la réserve émise par l’État partie, le Comité considère qu’il est empêché de réexaminer une conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en le remplaçant par sa jurisprudence concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, il considère cette partie de la communication comme irrecevable au titre de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif, car la même affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme.

4.5Pour ce qui est de la plainte présentée au titre des paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que cet article ne peut être invoqué que s’il est lu conjointement avec un article du Pacte protégeant un droit substantiel et seulement si une allégation de violation de ce droit est suffisamment bien fondée pour être défendable en vertu du Pacte. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que:

a)La communication est irrecevable au titre des articles 2 et 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.