Nations Unies

CCPR/C/113/D/1971/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

6 mai 2015

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1971/2010

Décision adoptée par le Comité à sa 113e session(16 mars-2 avril 2015)

Communication présentée par:

N. D. M.

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République démocratique du Congo

Date de la communication:

31 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 août 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de l a décision:

30 mars 2015

O bjet:

Mise à la retraite d’office d’un magistrat

Question(s) de procédure:

Griefs non étayés; compétence ratione materiae

Question(s) de fond:

Droit à un recours utile; droit à l’égalité d’accès à la fonction publique; interdiction de discrimination

Article(s) du Pacte:

2, 3, 4 (par. 3), 5, 6 (par. 1), 10, 14, 25 (al. c)) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (113e session)

concernant la

Communication no 1971/2010*

Présentée par:

N. D. M.

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République démocratique du Congo

Date de la communication:

31 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1971/2010 présentée par N. D. M. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit: …

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 31 octobre 2008 et complétée par les soumissions du 8 décembre 2008, 23 mars et 16 septembre 2009, est N. D. M., citoyen de la République démocratique du Congo, qui était avocat général de la République. Ayant fait l’objet d’une mesure de mise à la retraite, il se déclare victime de violations des articles 2, 3, 4, paragraphe 3, 5, 6, paragraphe 1, 10, 14, 25, alinéa c), et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de la part de la République démocratique du Congo qui a adhéré à cet instrument le 1er novembre 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Par les décrets présidentiels nos 08/10, 08/11 et 08/12 datés du 9 février 2008, 115 magistrats de la Cour suprême de justice, de la Cour d’appel, du parquet général près de la Cour suprême de justice et du parquet près de la Cour d’appel, dont l’auteur, ont été mis à la retraite. Selon les termes desdits décrets, la décision est justifiée par le fait que tous les magistrats désignés avaient «soit atteint l’âge de 65 ans, soit accompli une carrière de 35 ans de service ininterrompu». Comme «les circonstances exceptionnelles ne permett[ai]ent pas de réunir le Conseil Supérieur de la Magistrature non encore mis en place», étant donné «la nécessité et l’urgence» de la situation, le Conseil des Ministres a ordonné, «sur proposition du Ministre de la Justice et des Droits Humains», de les mettre à la retraite. Le même jour, d’autres ordonnances présidentielles ont porté nomination et promotion de magistrats, y compris à certaines fonctions occupées jusque-là par certains des magistrats mis à la retraite

2.2L’auteur conteste la légalité de l’ordonnance no 08/011 qui le concerne. Il affirme que ladite ordonnance ne lui a pas été notifiée personnellement et qu’il a appris sa mise à la retraite par les médias. Il ajoute que le statut en vigueur à l’époque prévoyait une retraite à l’âge de 65 ans pour tous les magistrats, sauf ceux de la Cour suprême de justice et du parquet général près de cette Cour, qui bénéficiaient d’une retraite soit à l’âge de 70 ans, soit après 35 ans de services ininterrompus. L’auteur précise que, étant né le 11 mars 1944, il n’avait pas atteint l’âge de 65 ans lors de sa mise à la retraite. Ayant été engagé dans la magistrature le 19 novembre 1970, puis révoqué le 6 novembre 1998 et réaffecté seulement le 12 février 2004, suite aux constatations du Comité des droits de l’homme qui avait estimé que la révocation massive de 315 magistrats était contraire au Pacte, il constate qu’il n’avait pas non plus atteint les 35 années de service ininterrompu dans la carrière de magistrat.

2.3L’auteur prétend que l’ordonnance a été adoptée par le Président de la République sur proposition du Ministre de la justice et des droits humains, prétendument en raison de conditions de nécessité et d’urgence, alors que seul le Conseil supérieur de la magistrature était compétent pour proposer une telle mesure. Il remarque qu’aucune loi ne permet au Ministre de la justice de se charger de la gestion de la carrière des magistrats, même en cas d’empêchement du Conseil supérieur de la magistrature. Il rappelle par ailleurs que tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature étaient en séminaire de formation à Kinshasa à la date à laquelle les décrets présidentiels ont été adoptés. L’auteur considère que sa mise à la retraite d’office résulte d’une interférence illégale et illégitime du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire, en violation du principe de séparation des pouvoirs consacré par la Constitution de l’État partie.

2.4Afin de contester sa mise à la retraite, l’auteur a introduit, le 17 février 2008, un recours gracieux auprès du Président de la République. N’ayant obtenu aucune réponse, il a présenté un autre recours, le 10 mars 2008, devant le Secrétaire permanent du Conseil supérieur de la magistrature, lequel est également demeuré sans suite. Suite à l’entrée en vigueur de la loi organique no 08/013 du 5 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, l’auteur a introduit un deuxième recours, le 10 décembre 2008, auprès de ce même Secrétaire permanent. Ce recours est également resté sans suite. Le 11 juillet 2008, l’auteur a soumis un recours en annulation de l’ordonnance no 08/011 auprès de la Cour suprême de justice.

2.5Parallèlement, le 11 février 2008, l’auteur et d’autres magistrats également mis à la retraite par les décrets présidentiels ont collectivement adressé un recours gracieux au Président de la République. Le 18 février 2008, le collectif a également adressé une requête auprès de la Cour suprême de justice pour que celle-ci déclare les ordonnances inconstitutionnelles. Le 19 juin 2009, le collectif a envoyé une lettre de suivi au Premier Président de la Cour suprême de justice, qui faisait fonction de Président du Conseil supérieur de la magistrature. D’après les informations fournies par l’auteur, tous les recours entamés sont restés vains.

Teneur de la plainte

3.1.L’auteur prétend que les ordonnances en question sont illégales et ont un caractère discriminatoire et arbitraire. Aucun des magistrats mis à la retraite ne répond aux conditions requises en vertu de l’article 70 de la loi organique no 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats (avoir plus de 65 ans ou 35 ans de service ininterrompu), alors que certains magistrats qui remplissent ces critères ont été maintenus dans leurs fonctions, et ont même parfois été promus. Selon l’auteur, la mise à la retraite de ces magistrats, qui n’est justifiée par aucune urgence et semble contradictoire avec le déficit reconnu du nombre de magistrats en République démocratique du Congo, ne s’explique que par la volonté du Gouvernement de mettre à l’écart les magistrats qu’il juge gênants. L’auteur maintient qu’en le mettant à la retraite pour promouvoir des personnes proches du pouvoir, l’État partie a violé les articles 25 et 26 lus conjointement avec l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur affirme par ailleurs que les ordonnances ont été adoptées en violation des procédures prévues par la Constitution et le régime statutaire des magistrats de l’État partie pour régir la mise à la retraite ou la révocation des magistrats. Selon les articles 82, 149 et 152 de la Constitution, le Président de la République peut nommer, relever de leurs fonctions et, le cas échéant, révoquer par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, mais pas sur proposition du Ministre de la justice. L’auteur demande au Comité de déclarer que les ordonnances présidentielles en question sont inconstitutionnelles et illégales.

3.3L’auteur maintient que sa mise à la retraite forcée a été faite en violation de l’article 3 du Pacte, puisque l’État partie ne lui a pas permis de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le Pacte à égalité avec les autres citoyens. Il affirme avoir été remplacé par de jeunes magistrats qui, selon lui, ont accédé prématurément au grade d’avocat général de la République sans l’avoir mérité. Il a en outre été privé de la possibilité d’accéder à l’éméritat et l’honorariat prévus en fin de carrière pour les magistrats de la Cour suprême de justice et du Parquet général auprès de cette Cour, et les privilèges y relatifs.

3.4L’auteur soutient que l’État partie prétend justifier l’ordonnance no 08/011 du 9 février 2008 par des circonstances exceptionnelles d’urgence dont les autorités n’ont jamais précisé la teneur et au sujet desquelles l’État partie n’a fait aucune notification, contrairement à ce qui est requis par l’article 4, paragraphe 3, du Pacte. Selon l’auteur, cela constitue une violation de l’article 5 du Pacte.

3.5En outre, l’auteur soutient que sa mise à la retraite forcée, qui l’a privé d’une grande partie de ses revenus alors que le pays est en crise, constitue une violation des articles 6 et 10 du Pacte.

Défaut de coopération de l’Etat partie

4.1Malgré les demandes et rappels adressés par le Comité à l’État partie, les 28 juin 2011, 2 novembre 2011 et 19 avril 2012, afin que ce dernier réponde aux allégations de l’auteur, le Comité n’a reçu aucune réponse.

4.2Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, un État partie est tenu de coopérer en soumettant au Comité, en toute bonne foi et dans les délais impartis, tous les renseignements dont il dispose afin de permettre au Comité d’examiner la communication en tenant compte de tous les éléments de l’espèce et des arguments des deux parties. Le Comité regrette que l’État partie ait manqué à cette obligation découlant du Protocole facultatif qui engage l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur a contesté à plusieurs reprises sa mise à la retraite auprès des autorités compétentes, mais que l’État partie n’a donné suite à aucun des recours entamés par l’auteur. Le Comité conclut par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

5.4Le Comité estime cependant que la plainte de l’auteur selon laquelle les faits tels qu’il les a décrits constitueraient une violation des articles 3, 4, 5, 6, 10 et 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Cette partie de la plainte est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité rappelle par ailleurs qu’il n’est pas compétent pour contrôler la conformité d’une législation nationale avec les dispositions législatives ou constitutionnelles du droit interne de l’État partie. Dans le cas présent, le Comité n’est donc pas compétent ratione materiae pour contrôler la conformité de l’ordonnance présidentielle décidant de la mise à la retraite de l’auteur avec les dispositions du droit interne congolais.

5.6Concernant les allégations relatives à la violation des articles 25 c) et 26 lus conjointement avec l’article 2 du Pacte, le Comité observe que l’article 25 c) confère un droit d’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité, qui vaut a fortiori pour les personnes déjà en poste, ce qui fait que, en principe, la plainte est couverte par cette disposition. Il constate toutefois que l’auteur n’a fourni aucun détail sur les éléments qui lui permettent d’affirmer que sa mise à la retraite d’office ne s’explique que par la volonté du Gouvernement de mettre à l’écart les magistrats qu’il juge gênants et de promouvoir des personnes proches du pouvoir. De même, le Comité relève l’absence de toute information sur tout motif de discrimination prohibé pour lequel l’auteur aurait été mis à la retraite d’office. Le Comité constate que l’auteur n’a pas étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. Il en conclut que les griefs formulés par l’auteur au titre des articles 25 c) et 26 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.7Le Comité rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué que conjointement avec un grief de violation d’un autre droit précis protégé par le Pacte. Le Comité rappelle également que l’article 2 n’assure une protection aux victimes présumées que si leur plainte est suffisamment fondée pour être défendable en vertu du Pacte. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs tirés des articles 25 c) et 26, le Comité conclut que son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.