Nations Unies

CCPR/C/112/D/1906/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1906/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Vasily Yuzepchuk (représenté par un conseil, Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

2 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 octobre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

24 octobre 2014

Objet:

Torture; condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable

Question(s) de fond:

Torture et mauvais traitements; détention; privation arbitraire de la vie; droit d’être traduit dans le plus court délai devant unjuge; droit à un procès équitable mené par un tribunal indépendant et impartial; droit à la présomption d’innocence; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi‑même ou de s’avouer coupable; droit à une égale protection de la loi sans discrimination

Question ( s ) de procédure:

Défaut de coopération de l’État partie; non‑respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité; fondement insuffisant des griefs; non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

6 (par. 1), 7, 9 (par. 3), 14 (par. 1, 2 et 3 e) et g)) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 1906/2009 *

Présentée par:

Vasily Yuzepchuk (représenté par un conseil, Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

2 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1906/2009 présentée par Vasily Yuzepchuk en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Vasily Yuzepchuk, de nationalité bélarussienne, né en 1975, qui, au moment de la soumission de la communication, se trouvait dans le quartier des condamnés à mort à Minsk après avoir été condamné, le 29 juin 2009, à la peine capitale par le tribunal régional de Brest. L’auteur se déclare victime de violations des droits garantis aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3), 14 (par. 1, 2 et 3 e) et g)) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil, Roman Kislyak.

1.2Lorsque la communication a été enregistrée, le 12 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Yuzepchuk tant que la communication le concernant serait à l’examen. Le Comité a renouvelé cette demande le 13 novembre 2009.

1.3Le 23 mars 2010, le Comité a été informé que l’auteur avait été exécuté malgré la demande de mesures provisoires. Le même jour, il a demandé à l’État partie d’apporter sans tarder des éclaircissements à ce sujet, attirant son attention sur le fait que le non-respect par les États parties d’une demande de mesures provisoires constituait une violation de l’obligation qui leur est faite de coopérer de bonne foi au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Aucune réponse n’a été reçue. Le 30 mars 2010, le Comité a publié un communiqué de presse dans lequel il condamnait cette exécution.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 9 janvier 2008, l’auteur a été arrêté et placé en garde à vue au poste de police du district de Drogichinsky. Le 19 janvier 2008, il a été placé en détention avant jugement. Il a été inculpé du meurtre de quatre femmes et de vols, commis dans le district de Drogichinsky et d’actes de brigandage, commis dans la région de Grodno. L’auteur affirme que le procureur a ensuite ordonné son maintien en détention jusqu’au 8 avril 2009, date à laquelle il a été présenté à un juge pour la première fois, près d’un an et trois mois après son arrestation. L’auteur fait observer qu’il aurait dû être traduit devant un juge «dans le plus court délai», ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

2.2L’auteur affirme que, pendant sa détention avant jugement, il a été torturé par des policiers, qui voulaient le forcer à s’avouer coupable des meurtres, des vols et des actes de brigandage. Il a été maintenu en isolement cellulaire pendant des périodes prolongées et privé de nourriture. Il affirme aussi que les policiers lui ont fait avaler des pilules qui lui étaient inconnues et de l’alcool, qui ont réduit sa capacité à penser clairement. Les policiers l’ont aussi menacé d’incarcérer ses proches parents.

2.3L’auteur ajoute que les actes de torture et les mauvais traitements ont été confirmés par un médecin-expert qui a conclu que ses blessures pouvaient avoir été causées de la manière décrite par l’auteur. L’enquête menée à la suite de la plainte qu’il a adressée aux services du procureur a conclu que l’auteur s’était infligé lui-même ses blessures et que celles-ci n’avaient pas été causées par les policiers.

2.4L’auteur affirme qu’une enquête a finalement été menée mais qu’elle n’a pas été conduite comme il se doit puisque les services du procureur n’ont pas interrogé les témoins ni même ordonné d’examen médical. De plus, les enquêteurs n’ont pas obtenu de copies des images prises par la caméra de surveillance vidéo de la cellule et n’ont pas vérifié le registre des admissions du service médical du centre de détention.

2.5L’auteur affirme en outre que, pendant l’enquête préliminaire, son frère, S. L., a témoigné contre lui. S. L. a notamment déclaré aux policiers que l’auteur lui avait avoué avoir étranglé une vieille femme et lui avait montré des dollars des États-Unis et des roubles bélarussiens qu’il aurait pris à cette femme. Les policiers n’ont pas dit au frère de l’auteur qu’il avait le droit de ne pas témoigner contre son propre frère. En outre, le tribunal n’a pas accédé à la demande de l’auteur de citer S. L. comme témoin à l’audience. En tout, plus de 30 témoins, à charge et à décharge, ne se sont pas présentés au tribunal. Ils ont donné diverses raisons justifiant leur non-comparution, comme des problèmes de santé ou de transport. L’auteur fait observer que ces motifs n’auraient pas dû être considérés comme valables, compte tenu de la gravité des charges qui pesaient sur lui. L’auteur indique, par exemple, qu’il n’a pas été en mesure de faire comparaître des témoins qui auraient confirmé son alibi.

2.6L’auteur affirme que sa condamnation a été principalement fondée sur le témoignage d’un certain S. F., qui a ensuite déclaré qu’on l’avait torturé pour obtenir de lui qu’il témoigne contre lui-même et contre l’auteur. L’auteur fait observer qu’un tel témoignage n’aurait pas dû être examiné par le tribunal, puisqu’il avait été obtenu par la contrainte. En outre, le tribunal n’a pas pris en considération les déclarations de l’auteur, qui affirmait avoir été torturé et forcé de s’avouer coupable.

2.7Le 29 juin 2009, le tribunal régional de Brest a déclaré l’auteur coupable des quatre meurtres, ainsi que de vols et d’actes de brigandage, l’a condamné à la peine capitale et a ordonné la confiscation de ses biens. Les 7 et 10 juillet 2009, l’auteur, par l’intermédiaire de son avocat, a formé deux recours en annulation et, le 23 septembre 2009, a déposé un mémoire de recours complémentaire contenant de nouveaux arguments, notamment des références aux articles du Pacte. Le 27 septembre 2009, son avocat a présenté un autre recours en annulation, demandant au tribunal de réexaminer la condamnation de l’auteur à la peine capitale. Le 2 octobre 2009, la Cour suprême du Bélarus a rejeté tous les recours formés par l’auteur et ses avocats. Elle a conclu que la condamnation de l’auteur était pleinement fondée. Elle n’a pas tenu compte des déclarations de l’auteur, qui affirmait avoir été contraint de s’avouer coupable. L’auteur maintient par conséquent qu’il a épuisé tous les recours internes.

2.8L’auteur affirme que, de manière générale, il a été victime de discrimination,a été torturé et soumis à des mauvais traitements et a fait l’objet d’un procès inéquitable parce qu’il est rom. Il affirme aussi que, du fait de son origine ethnique, il a été présumé coupable dès le début de la procédure engagée contre lui. En outre, l’auteur est analphabète; il ne sait ni lire ni écrire. Il ajoute qu’il a du mal à retenir les heures et les dates.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme qu’il a été victime de violations par l’État partie des droits consacrés aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3), 14 (par. 1, 2 et 3 e) et g)) et 26 du Pacte, étant donné qu’il a été arrêté arbitrairement, soumis à la torture et à de mauvais traitements après son arrestation et condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur les mesures provisoires

4.1Dans une note du 9 novembre 2009, l’État partie indique qu’il considère comme inacceptable l’examen de la communication de l’auteur par le Comité car il n’existe pas de fondement juridique à l’engagement d’une procédure devant le Comité au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, l’auteur n’ayant pas épuisé les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas soumis de demande de réexamen aux fins de contrôle auprès de la Cour suprême. L’État partie affirme aussi que la requête de l’auteur constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif car il n’a pas déposé de demande de réexamen aux fins de contrôle auprès de la Cour suprême. L’État partie ajoute qu’au moment de la rédaction de la note, l’auteur avait déposé un recours en grâce auprès du Président du Bélarus.

4.2L’État partie soutient en outre que les allégations de violations des droits de l’auteur ne sont pas étayées par des preuves et ne correspondent pas à la réalité. Il affirme que la culpabilité de l’auteur concernant «le meurtre cruel de femmes âgées et seules» et d’autres crimes graves a été établie de manière incontestable, en application des dispositions de la loi pénale et du Code de procédure pénale. Il fait valoir que les griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte sont infondés puisque cet article autorise la peine de mort, et précise qu’une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. L’État partie souligne que sa législation restreint davantage l’application de la peine de mort que ne le fait le Pacte puisque cette peine ne peut être imposée que pour le crime le plus grave, à savoir le meurtre avec circonstances aggravantes, et qu’elle ne peut pas être prononcée contre une femme, un mineur ou un homme de plus de 65 ans. Il affirme que, lorsqu’il a condamné l’auteur, le tribunal a tenu compte de la personnalité de l’intéressé, ainsi que de la cruauté des meurtres et des autres crimes graves qu’il avait commis.

4.3L’État partie indique également que toutes les affaires dans lesquelles une condamnation à mort est prononcée font l’objet d’un examen supplémentaire de la part de la Commission présidentielle des grâces puis du Président lui-même.

4.4Dans une note du 21 avril 2010, en réponse au communiqué de presse publié par leComité le 30 mars 2010, l’État partie affirme que le Comité a rendu publiques des informations sur l’affaire en violation du paragraphe 3 de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie affirme qu’il n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et du Protocole facultatif car la peine capitale n’est pas interdite par le droit international et il n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif, visant à abolir la peine de mort. Il ajoute que, s’il a reconnu la compétence du Comité au titre de l’article premier du Protocole facultatif, «les tentatives [du Comité] de faire passer ses règles de procédure pour des obligations internationales souscrites par les États parties […] sont totalement inadmissibles». Il réaffirme qu’il n’a pas commis de violation du Protocole facultatif puisqu’il reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant directement de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation, mais pas d’un tiers, et qu’il a coopéré avec le Comité dans un esprit de bonne volonté et lui a fourni tous les renseignements relatifs à l’affaire. Il fait en outre valoir que sa législation interne fait obligation aux tribunaux d’exécuter immédiatement les décisions passées en force de chose jugée et que le Protocole facultatif ne comporte pas de disposition obligeant les États parties à surseoir à l’exécution de la peine de mort jusqu’à ce que le Comité ait achevé l’examen de la plainte de la personne condamnée. L’État partie soutient que la position du Comité selon laquelle les exécutions devraient être suspendues en de tels cas n’a pas force obligatoire et a seulement «valeur de recommandation». Il souligne que cette question pourrait être résolue par la modification duProtocole facultatif. L’Étatpartie précise également que la peine capitale n’est que très rarement prononcée et exécutée et que la question est actuellement débattue par le Parlement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 14 mars 2012, le conseil de l’auteur affirme, au nom de l’auteur, que ni la demande de grâce présidentielle ni la procédure de réexamen aux fins de contrôle par la Cour suprême du Bélarus ne peuvent être considérées comme des recours internes utiles au sens du Protocole facultatif. En ce qui concerne la grâce présidentielle, le conseil représentant l’auteur fait valoir que celle-ci ne constitue pas un recours interne utile qui doit être épuisé avant la soumission d’une communication au Comité des droits de l’homme carelle constitue une mesure de caractère humanitaire et non une voie de recours judiciaire. Ilfait en outre valoir que, selon la jurisprudence bien établie du Comité, la procédure de réexamen aux fins de contrôle ne constitue pas un recours interne utile qui doit être épuisé en vertu du Protocole facultatif et ajoute qu’un recours formé dans le cadre de cette procédure ne débouche pas automatiquement sur un examen au fond. De fait, un agent public, généralement le président d’un tribunal, examine la question de manière unilatérale, et il peut rejeter la demande. Le conseil représentant l’auteur soutient qu’un tel examen unilatéral, qui ne donne pas lieu à une audience publique, ne saurait permettre de considérer la procédure de réexamen aux fins de contrôle comme un recours utile.

5.2Le conseil représentant l’auteur affirme également que, bien que la législation prévoie la possibilité de faire une demande de réexamen aux fins de contrôle et une demande de grâce présidentielle, elle n’édicte pas de règle concernant la longueur de ces procédures et ne prévoit pas non plus de mécanisme pour informer le demandeur du résultat de sa demande. En pratique, dans les affaires de condamnation à la peine de mort, la personne concernée n’est informée du rejet de sa demande que quelques minutes avant son exécution. L’avocat et la famille des condamnés qui font une telle demande ne sont pas informés non plus de son issue. Le conseil représentant l’auteur ajoute qu’au Bélarus la peine de mort est administrée de manière secrète et que ni le condamné ni son avocat ou sa famille ne sont informés au préalable de la date de l’exécution. Aussi, un condamné à mort n’a pas de réelle possibilité de soumettre une communication au Comité après que ses demandes de réexamen aux fins de contrôle et de grâce présidentielle ont été rejetées.

5.3Le conseil représentant l’auteur affirme que celui-ci a soumis une demande de grâce présidentielle le 16 octobre 2009 avec l’assistance de son avocat. Le 23 mars 2010, l’avocat, agissant au nom de l’auteur, a saisi le Président de la Cour suprême du Bélarus d’une demande de réexamen aux fins de contrôle, qui a été rejetée le 26 avril 2010.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demandede mesures provisoires du Comité

6.1Le Comité prend note des observations de l’État partie, qui objecte qu’il n’existe pas de fondement juridique pour examiner la présente communication, celle-ci ayant été enregistrée en violation des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif puisque la victime présumée ne l’a pas présentée elle-même et n’a pas épuisé les recours internes, qu’il n’est nullement tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité et l’interprétation des dispositions du Protocole facultatif donnée par le Comité, et qu’il n’est nullement tenu de respecter la demande de mesures provisoires formulée par le Comité.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait en outre observer que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé. Un État partie contrevient aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif s’il adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.

6.3En l’espèce, le Comité fait observer que l’auteur, lorsqu’il lui a soumis la communication le 2 octobre 2009, l’a informé qu’il était condamné à mort et que la peine pouvait être exécutée à tout moment. Le 12 octobre 2009, le Comité a transmis à l’État partie une demande le priant de ne pas procéder à l’exécution de l’auteur tant que son cas serait à l’examen. Le 13 novembre 2009, le Comité a réitéré sa demande. Le 23 mars 2010, il a été informé que l’auteur avait été exécuté, malgré la demande de mesures provisoires de protection. Le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’exécution en question a eu lieu bien qu’une demande de mesures provisoires de protection en bonne et due forme ait été adressée à l’État partie puis renouvelée.

6.4Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur a affirmé que les droits qu’il tenait de plusieurs articles du Pacte avaient été violés. Ayant été notifié de la communication et de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, l’État partie a contrevenu aux obligations qui lui incombaient en vertu du Protocole facultatif en exécutant la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen de la communication à bonne fin.

6.5Le Comité rappelle en outre que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime de la violation présumée. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréversible comme, en l’espèce, l’exécution de M. Yuzepchuk, compromet la protection des droits consacrés par le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note de l’observation de l’État partie, qui affirme que le Comité a rendu publiques des informations sur l’affaire en violation du paragraphe 3 de l’article 5 du Protocole facultatif par son communiqué de presse du 30 mars 2010, dans lequel il déplorait que la victime ait été exécutée malgré la demande de mesures provisoires. Le Comité note que le paragraphe en question dispose que le Comité tient ses séances à huis clos lorsqu’il examine les communications. Ce paragraphe n’empêche pas le Comité de rendre publiques des informations concernant le défaut de coopération des États parties dans l’application du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise par un tiers et non par la victime présumée elle-même. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur prévoit qu’une communication doit normalement être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. Dans le cas présent, le Comité fait observer que la victime présumée était détenue dans le quartier des condamnés à mort au moment où la communication a été soumise en son nom par son conseil, et que celui-ci a présenté une procuration dûment signée lui permettant de représenter l’intéressé devant le Comité. Le Comité n’est donc pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner cette communication.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel M. Yuzepchuk n’avait pas épuisé tous les recours internes au moment où la communication a été soumise, puisqu’il n’avait pas déposé de demande de réexamen aux fins de contrôle auprès de la Cour suprême. L’État partie soutient aussi que la communication constitue un abus du droit de soumettre une communication. Le Comité considère que les demandes de réexamen aux fins de contrôle de décisions judiciaires passées en force de chose jugée portées devant le président d’un tribunal et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge constituent un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes offrent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Toutefois, l’État partie n’a pas indiqué si, dans des affaires concernant le droit à un procès équitable, les demandes de réexamen aux fins de contrôle adressées au Président de la Cour suprême avaient abouti et, dans l’affirmative, dans combien d’affaires. En outre, le 23 mars 2010, l’avocat de M. Yuzepchuk, agissant au nom de celui-ci, a introduit une demande de réexamen aux fins de contrôle auprès du Président de la Cour suprême, mais cette demande a été rejetée le 26 avril 2010. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.5Le Comité prend aussi note des allégations de l’auteur qui affirme qu’il a été victime de discrimination en raison de son origine rom, en violation des droits consacrés au paragraphe 2 de l’article 14 et au paragraphe 26 du Pacte. Toutefois, faute d’explications complémentaires ou d’autres éléments à l’appui de ces griefs, il considère que ceux-ci ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et les déclare donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité considère que les autres griefs de violation des articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1 et 3 e) et g)) du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité prend note des griefs tirés des articles 7 et 14 (par. 3 g)) du Pacte par l’auteur, qui affirme qu’il a été soumis à des pressions physiques et psychologiques visant à lui faire avouer sa culpabilité et que ses aveux ont ensuite servi de fondement à sa condamnation. Le Comité constate que ces griefs n’ont pas été réfutés par l’État partie. À ce sujet, il rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Il rappelle en outre que la garantie énoncée au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé visant à obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le Comité note que, bien que l’auteur ait affirmé à de nombreuses reprises qu’il avait été privé de nourriture, qu’il avait été maintenu en isolement cellulaire pendant des périodes prolongées et qu’on lui avait fait avaler des pilules qui lui étaient inconnues et de l’alcool, l’État partie n’a fourni aucun renseignement indiquant qu’il avait enquêté sur ces allégations précises. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut en conséquence que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’auteur au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui indique qu’il a été arrêté le 9 janvier 2008 mais n’a été présenté à un juge pour que celui-ci réexamine la mesure de placement en détentionque le 8 avril 2009, soit près d’un an et trois mois après son arrestation, le Comité constate que l’État partie n’ a pas fait d’observation. Le sens de l’expression «dans le plus court délai» utilisée au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte doit certes être apprécié au cas par cas, mais le Comité rappelle son Observation générale no 8 (1982) sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi que sa jurisprudence, conformément auxquelles les délais ne devraient pas être supérieurs à quelques jours. LeComité rappelle en outre qu’il a recommandé à maintes occasions, lors de l’examen derapports soumis par des États parties au titre de l’article 40 du Pacte, que la durée de détention d’une personne par la police avant sa présentation à un juge ne devait pas dépasser quarante‑huit heures. Une période plus longue nécessiterait une justification spéciale compatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Aussi le Comité considère-t-il que la période de près d’un an et trois mois qui s’est écoulée avant que l’auteur ne soit présenté à un juge est incompatible avec l’exigence de célérité énoncée au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Par conséquent, les droits garantis à l’auteur par cette disposition ont été violés.

8.4Le Comité prend en outre note de l’allégation de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas pu procéder au contre-interrogatoire d’un témoin essentiel pendant le procès et qu’en tout, une trentaine de témoins, à charge et à décharge, ne se sont pas présentés à la barre. L’auteur ajoute qu’il n’a pas pu interroger son frère S. L., qui avait été interrogé pendant l’enquête préliminaire mais ne s’est pas présenté au tribunal. L’auteur n’a par conséquent pas été en mesure, non plus, de procéder au contre-interrogatoire de ce témoin. L’auteur affirme en outre que l’un des témoins aurait pu présenter, s’il avait été interrogé, des éléments de preuve à décharge. À cet égard, le Comité rappelle son Observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, selon laquelle le droit d’obtenir la comparution de tout témoin demandé par l’accusé ou par son conseil n’est pas illimité, mais qu’il devrait y avoir «une possibilité adéquate d’interroger les témoins à charge et de les soumettre à un contre-interrogatoire à un stade ou un autre de la procédure». Le Comité considère que le fait de ne pas avoir assuré la présence d’un témoin essentiel, S. L., aux fins d’un contre-interrogatoire et le fait que 30 autres témoins ne se soient pas présentés aux audiences ont nui à l’équité du procès de l’auteur. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute réponse de l’État partie, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles ses droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés. Le Comité constate que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. Ayant conclu que l’État partie n’a pas respecté les garanties d’une procédure régulière prévues aux paragraphes 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité est d’avis que le procès de M. Yuzepchuk a été entaché d’irrégularités qui, considérées dans leur ensemble, équivalent à une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.6L’auteur dénonce en outre une violation de son droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte, puisqu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. Le Comité relève que l’État partie a fait valoir, en se référant au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, que M. Yuzepchuk avait été condamné à mort pour avoir commis des crimes graves, en application d’un jugement rendu par un tribunal, conformément à la Constitution, au Code pénal et au Code de procédure pénale du Bélarus, et que la sentence de mort prononcée n’était pas contraire au Pacte. À ce sujet, le Comité rappelle son Observation générale no 6 (1982) sur le droit à la vie, dans laquelle il a souligné que la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte, ce qui implique que «les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure». Dans le même contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence, réaffirmant que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Étant donné qu’il a établi une violation des paragraphes 1 et 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité conclut que la condamnation définitive de M. Yuzepchuk à la peine de mort et son exécution ne respectaient pas les prescriptions de l’article 14, et qu’il en est résulté une violation de son droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Yuzepchuk consacrés aux articles 6, 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1 et 3 e) et g)) du Pacte. L’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’accorder une indemnisation financière adéquate à la famille de l’auteur pour le fait que celui-ci ait perdu la vie, y compris le remboursement des frais de justice qu’elle a engagés. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas et, compte tenu des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, de coopérer de bonne foi avec le Comité, en particulier en se conformant à ses demandes de mesures provisoires.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire en biélorusse et en russe.