Nations Unies

CCPR/C/112/D/2085/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 novembre 2014

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2085/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Emilio Enrique García Bolívar (représenté par ses avocats Luis Rondón et Omar García Valentiner)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication:

18 mars 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partiele 14 mars 2012

Date des constatations:

16 octobre 2014

Objet:

Conduite du procès dans une affaire relevantdu droit du travail

Question(s) de fond:

Droit à ce que sa cause soit entendue dans une procédure publique et équitable, dans des délais raisonnables

Question ( s ) de procédure:

Épuisement des recours internes, fondement de la plainte, irrecevabilité ratione materiae, incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 14 (par. 1 et 3), 15 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 a) et b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2085/2011 *

Présentée par:

Emilio Enrique García Bolívar (représenté par ses avocats, Luis Rondón et Omar García Valentiner)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication:

18 mars 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2085/2011présentée au Comité des droits de l’homme par Emilio Enrique García Bolívar en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Emilio Enrique García Bolívar, de nationalité vénézuélienne, né le 21 juillet 1975. Il se déclare victime de violations par la République bolivarienne du Venezuela des droits qu’il tient desarticles 2 (par. 3), 14 (par. 1 et 3), 15 et 26 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 21 juillet 1997, l’auteur a commencé à travailler dans un cabinet d’avocat (ci‑après «la société»). La société comptait parmi ses membres la fille d’un haut fonctionnaire de la République bolivarienne du Venezuela. L’auteur a présenté sa démission le 27 septembre 2000 et son contrat de travail a pris fin le 27 octobre.

2.2Le 13 novembre 2000, la société ne lui ayant pas versé les indemnités qui lui étaient dues, l’auteur a déposé une demande de versement d’indemnités, dommages‑intérêts et réparation du préjudice moral, pour un montant total de 97 601 125 bolivars. Le 21 novembre 2000, le huitième tribunal prud’homal de première instance de la circonscription judiciaire de la zone métropolitaine de Caracas a accueilli la demande et ordonné la comparution de la partie défenderesse pour que celle‑ci présente sa défense.

2.3Le 20 novembre 2000, l’Assemblée nationale a désigné trois juges appelés à siéger à la chambre sociale du Tribunal suprême, parmi lesquels se trouvait le père de l’avocate qui allait représenter plus tard la société défenderesse.

2.4Le 22 novembre 2000, la société a mandaté pour la représenter une avocate qui se trouvait être la fille du vice‑président de la chambre sociale du Tribunal suprême.

2.5Le 12 décembre 2000, le tribunal prud’homal de première instance a déclaré irrecevable une partie des preuves présentées par l’auteur. Le 14 décembre, l’auteur a fait appel de cette décision.

2.6En janvier, février et mars 2001, le neuvième tribunal prud’homal de première instance a repoussé à trois reprises l’audition des conclusions au motif que toutes les mesures d’instruction n’avaient pas été exécutées. Entre janvier et février 2001, l’auteur a récusé à deux reprises le juge du huitième tribunal prud’homal de première instance pour les motifs ci-après: violation des règles d’une procédure équitable et du droit à la défense, erreurs et omissions injustifiées et violations importantes des règles de procédure.

2.7En avril 2001, l’auteur a signalé à deux reprises au tribunal que la présentation des conclusions avait été différée et qu’il n’avait toujours pas été statué sur l’appel formé en décembre 2000. Le 16 mai 2001, l’avocate de la société défenderesse a présenté ses conclusions. Le jour même, l’auteur s’est opposé à cet acte de procédure, invoquant une violation de son droit à la défense puisqu’il avait formé un recours sur lequel le tribunal ne s’était pas encore prononcé. Le 1er juin, le cinquième tribunal prud’homal a fixé la date à laquelle la décision devait être rendue. Or le 8 juin 2001, l’auteur a présenté une déclaration écrite dénonçant un déni de justice et la violation de son droit à la défense au motif qu’aucune décision n’avait encore été rendue sur l’appel formé en décembre 2000.

2.8Le 17 janvier 2002, le juge du huitième tribunal de première instance s’est dessaisi du dossier pour cause d’inimitié avec l’auteur, en vertu du paragraphe 18 de l’article 82 du Code de procédure civile. Le 20 février 2002, le juge du quatrième tribunal s’est saisi de l’affaire et a fixé un délai de soixante jours pour le prononcé du jugement. Le 21 mai 2002, ce délai a été prorogé de trente jours par la juge du quatrième tribunal.

2.9Le 10 juin 2003, le Président de la République bolivarienne du Venezuela a nommé à la tête d’un organisme d’État le père d’une personne haut placée dans la société défenderesse.

2.10Le 13 août 2003, une nouvelle loi relative à la procédure prud’homale visant à restructurer le régime judiciaire est entrée en vigueur; elle instituait une procédure transitoire. C’est ainsi que le 15 mars 2004 le juge du troisième tribunal de première instance chargé des questions au régime de procédure transitoire s’est saisi de l’affaire. En vertu du paragraphe 4 de l’article 197 de la loi relative à la procédure prud’homale, consacré au régime transitoire, le tribunal disposait de trente jours pour statuer sur le fond.

2.11Le 16 juin 2004, l’auteur a demandé à la chambre sociale du Tribunal suprême de se saisir de l’affaire pour ce qui est du versement des indemnités, des dommages‑intérêts et de la réparation du préjudice moral. L’auteur faisait valoir qu’il y avait eu vice de procédure en première instance et que l’équité de la procédure n’avait pas été garantie, ce qui portait atteinte au droit à un recours judiciaire effectif. Selon lui, le droit de pétition, le droit à une procédure régulière et le droit d’exiger le versement immédiat des indemnités qui lui étaient dues, consacrés aux articles 49, 51 et 92 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, avaient été violés.

2.12Le 22 juin 2004, le troisième tribunal de première instance a relevé que les juridictions antérieures ne s’étaient pas prononcées sur l’appel formé par l’auteur de la décision relative à la recevabilité des preuves du 12 décembre 2000. Il a néanmoins déclaré partiellement recevable la demande relative au versement des indemnités qui lui étaient dues et condamné la société à verser à l’auteur la somme de 4 071 852,50 bolivars. L’auteur a fait appel de cette décision le 28 juin 2004.

2.13Le 29 juin 2004, le Président de la chambre sociale du Tribunal suprême, ainsi qu’un autre magistrat, le père de l’avocate qui avait représenté la société jusqu’au 14 juillet 2004, se sont dessaisis du dossier en vertu du paragraphe 12 de l’article 82 du Code de procédure civile, qui autorise des fonctionnaires de l’ordre judiciaire à se déporter «en cas de communauté d’intérêts ou d’amitié intime avec une des parties». Le Tribunal suprême a accepté le dessaisissement des magistrats, en date des 12 et 14 juillet 2004, respectivement, et il a désigné des suppléants. Conformément à l’article 8 de la loi portant organisation du Tribunal suprême, la désignation de deux magistrats appelés à siéger à la chambre a été publiée au Journal officiel du 14 décembre 2004. Les magistrats ont pris leurs fonctions le 17 janvier 2005.

2.14Une chambre sociale temporaire a été constituée le 1er juillet 2005. Le 10 novembre 2005, elle s’est prononcée sur le recours en évocation de l’auteur. Elle a considéré que les conditions étaient réunies pour que la justice établisse s’il y avait eu une éventuelle irrégularité de la procédure de nature à porter atteinte au droit de l’auteur à un recours juridictionnel effectif. Si tel était le cas, si la chambre le jugeait pertinent, le tribunal statuerait sur la demande concernant le versement de prestations sociales, de dommages‑intérêts et de réparation du préjudice moral de l’auteur.

2.15Le 15 mai 2007, la chambre sociale temporaire du Tribunal suprême s’est saisie du dossier. Elle a estimé que des irrégularités de procédure avaient retardé la décision quant au fond et justifiaient le recours en évocation devant le Tribunal suprême, qui déterminerait les actes de procédure requis pour mettre fin au préjudice. En vertu de l’article 163 de la loi relative à la procédure prud’homale, la chambre sociale du Tribunal suprême aurait dû fixer la date de l’audience dans un délai qui ne pouvait pas excéder vingt jours à compter de la date à laquelle elle avait décidé de se saisir de l’affaire. Or, aucune date n’avait été fixée.

2.16Le 17 octobre 2007, la société a formé un recours contre la décision de faire droit à la demande d’évocation, arguant que celle-ci faisait échec à la règle du double degré de juridiction. Le 13 août 2008, la chambre constitutionnelle a déclaré le recours irrecevable au motif que la décision d’accueillir la demande d’évocation était conforme aux principes inscrits dans la Constitution.

2.17Entre le 19 octobre 2007 et le 17 mars 2009, trois magistrats et une assesseur se sont successivement dessaisis du dossier. Ils ont été remplacés par un suppléant et trois assesseurs. Or, le 29 juillet 2010, la nouvelle loi portant organisation du Tribunal suprême est entrée en vigueur, et elle ne prévoit pas les assesseurs. En conséquence, seuls les magistrats suppléants désignés par l’Assemblée nationale pouvaient constituer une chambre. L’Assemblée nationale a désigné les magistrats suppléants de la chambre sociale du Tribunal suprême le 7 décembre 2010.

2.18Le 17 janvier 2011, en application de la loi de 2010 portant organisation du Tribunal suprême, la chambre sociale du Tribunal suprême a transmis le dossier à la chambre plénière pour qu’elle procède à la convocation des magistrats appelés à siéger à la chambre temporaire, suite à la déclaration d’incompétence de tous les magistrats de la chambre sociale. La décision a été prise par le Président de la chambre sociale, lequel s’était déporté en juin 2004.

2.19Comme la chambre sociale du Tribunal suprême n’avait pas statué sur sa demande contre la société, l’auteur a formé un recours en amparo, le 21 janvier 2011. Le recours a été rejeté le 26 juillet 2011, au motif que le paragraphe 6 de l’article 6 de la loi d’amparo sur les garanties et droits constitutionnels dispose que le recours en amparo ne peut pas être formé contre les décisions du Tribunal suprême. En outre, conformément à sa décision dans une affaire antérieure, la chambre a rappelé que cette disposition devait être comprise et interprétée comme signifiant «par analogie, que le recours ne pouvait être formé ni accueilli pour des omissions ou un défaut de décision du Tribunal suprême». La chambre constitutionnelle ajoutait que la seule possibilité de contrôle de la constitutionnalité des décisions du Tribunal suprême était le recours en révision. Le 27 juillet 2007, l’auteur a demandé par écrit à la Présidente de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême et aux autres magistrats qui la composaient de préciser et de développer la décision qui avait été rendue. Selon lui, l’article 6 de la loi organique d’amparo n’était pas d’application puisque le recours en amparo ne concernait pas une décision du Tribunal suprême mais l’absence de décision, laquelle pouvait constituer une violation des règles d’une procédure équitable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, et dans des délais raisonnables, garanti aux paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte a été violé. Il se dit victime d’un déni de justice de la part de la chambre sociale du Tribunal suprême, qui n’a pas statué sur une affaire relevant du droit du travail dont elle s’était saisie en mai 2007, ainsi que de la part de la chambre constitutionnelle qui n’a pas statué sur le recours en amparo qu’il avait formé contre le défaut de décision. L’auteur affirme que le retard excessif dans la procédure est d’autant plus grave que l’affaire n’est pas d’une importance ou d’une complexité particulière. Il affirme également que le renvoi du dossier à la chambre plénière du Tribunal suprême constitue une violation de l’article 14, puisqu’il existait une chambre composée de juges assesseurs chargée de statuer en l’espèce.

3.2L’auteur affirme que le retard dans la procédure est dû au manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, à l’influence des magistrats de la chambre sociale récusés dont des proches représentent la société défenderesse, et à l’influence d’agents de la fonction publique ayant des liens avec la société défenderesse. Il affirme que la société est dirigée par la fille d’un haut fonctionnaire du Gouvernement et que le cabinet est représenté dans cette affaire par la fille d’un magistrat du Tribunal suprême. Il considère qu’il est impossible d’être entendu par la justice dans l’État partie quand l’affaire touche aux intérêts de personnes qui ont un lien avec le Gouvernement. Il affirme que les faits de la cause font apparaître une violation par l’État partie des principes exposés par le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats.

3.3L’auteur ajoute que le principe de non-rétroactivité de la loi, consacré à l’article 15 du Pacte, a été violé puisque la loi portant organisation du Tribunal suprême a été appliquée dans son affaire, avec effet rétroactif. Il considère que la suppression des assesseurs dans cette nouvelle loi a empêché qu’une décision soit rendue en l’espèce et n’a fait que retarder encore la procédure.

3.4L’auteur estime en outre que, en violation de l’article 26 du Pacte, il a fait l’objet d’une discrimination par rapport à d’autres justiciables qui ont été entendus équitablement et dans des délais raisonnables. Il fait valoir qu’après l’entrée en vigueur de la loi de 2010 portant organisation du Tribunal suprême, la chambre sociale du Tribunal suprême a statué dans diverses affaires analogues à la sienne, et que des assesseurs y siégeaient. En revanche, dans son cas la procédure a été paralysée et l’affaire a été renvoyée à la chambre plénière du Tribunal suprême qui n’a pas compétence pour connaître de ce genre d’affaires. À propos de la longueur de la procédure concernant son recours en amparo, l’auteur affirme que le Tribunal suprême a accueilli des recours en amparo pour des affaires présentées à des dates postérieures à sa demande.

3.5L’auteur affirme que l’ensemble des violations dont il dit avoir été victime ont abouti à une violation du droit à la sécurité sociale, puisque l’État partie ne lui a pas permis d’obtenir les indemnités que son ancien employeur lui devait.

3.6L’auteur affirme également que le droit à un recours utile, visé au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, a été violé et demande au Comité d’inviter l’État partie à faire en sorte que la chambre sociale rende une décision sur le fond de l’affaire conformément à la décision du 15 mai 2007. Au cas où la chambre ne rendrait pas de décision sur le fond, l’auteur demande qu’une indemnisation raisonnable lui soit accordée en compensation des préjudices subis suite au déni de justice.

3.7Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il n’existe ni recours juridictionnel ni tribunal ordinaire supérieur qu’il pourrait saisir pour obtenir que l’État partie s’acquitte de ses responsabilités en matière d’administration de la justice. En outre, la loi relative à la procédure prud’homale n’établit pas de procédure ordinaire pour les cas où la chambre sociale s’abstient de statuer sur une affaire dont elle s’est saisie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 21 août 2012, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il précise que la demande relative au versement d’indemnités et à des dommages-intérêts n’en était pas encore au stade du jugement définitif et qu’il restait à fixer une nouvelle date pour l’audience, conformément à la décision du 15 mai 2007 de la chambre sociale du Tribunal suprême. L’État partie ajoute que quand l’auteur a donné sa démission, il existait une loi du travail qui a été ensuite abrogée, ce qui a entraîné de multiples incidents de procédure. L’État partie estime que les délais et retards dus à cette réforme de la législation ne sauraient être imputés à l’appareil judiciaire.

4.2L’État partie souligne que l’auteur n’a pas saisi la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui est l’organe régional ayant compétence pour connaître de ses prétentions. Il rappelle en outre que la protection des instruments internationaux des droits de l’homme est complémentaire de celle qu’offre le droit interne des États.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 6 février 2013, l’auteur a envoyé une copie de la décision du Tribunal suprême du 22 janvier 2013. Le Tribunal rappelle que la chambre sociale temporaire a été constituée le 14 janvier 2013 et a décidé de suspendre l’audience en appel qui avait été prévue à l’origine pour le 30 janvier et de la différer de trente jours.

5.2Le 18 février 2014, l’auteur a fait savoir que l’appel qu’il avait formé le 14 décembre 2000 avait été examiné le 27 mai 2013. Le Président de la chambre avait proposé une procédure de conciliation que les deux parties avaient acceptée. À l’expiration du délai fixé pour parvenir à une conciliation, le 17 juin 2013, un jugement oral avait été rendu. Le Tribunal suprême avait estimé qu’en ne statuant pas la juridiction inférieure avait violé le droit à la défense de l’auteur et le principe de la régularité de la procédure. Il avait donc déclaré nuls tous les actes de procédure intervenus après le dépôt de l’appel formé en décembre 2000 et décidé de renvoyer l’affaire à la chambre sociale pour qu’elle se prononce sur la recevabilité du recours.

5.3Le 19 septembre 2014, l’auteur a envoyé une copie de la décision rendue par la chambre constitutionnelle le 10 juillet 2013 déclarant irrecevable la demande de précision présentée par l’auteur le 27 juillet 2007 au sujet du rejet de son recours en amparo.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que l’auteur et l’État partie affirment que l’affaire n’a pas été soumise à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, ni à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En conséquence, le Comité considère qu’aucun obstacle ne s’oppose à la recevabilité de la présente communication au titre de cette disposition.

6.3Le Comité prend note des griefs de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et rappelle que selon sa jurisprudence les dispositions de l’article 2, qui définissent les obligations générales des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Il considère par conséquent que les griefs de l’auteur à ce sujet ne sont pas recevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 14et l’article 15 énoncent les garanties procédurales reconnues à toute personne accusée d’une infraction pénale.En l’espèce il s’agit d’un conflit du travail et après sa démission, l’auteur n’a été ni accusé ni «reconnu coupable d’un acte délictueux» au sens de l’article 15. Enconséquence, les griefs de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte et sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 26 du Pacte, le Comité fait observer que les éléments dont il dispose ne montrent pas que l’auteur a soulevé devant les tribunaux internes la question de la discrimination subie pendant la procédure avant de le faire dans la présente communication. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes.

6.6Le Comité note que le grief de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé son droit à la sécurité sociale n’entre pas dans le champ d’application du Pacte. En conséquence, ce grief est également irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7Concernant les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité fait observer que les éléments dont il dispose ne montrent pas que l’auteur a soulevé la question de l’impartialité des tribunaux devant les juridictions internes avant de les exposer dans la présente communication. De plus ces allégations n’ont pas été suffisamment étayées. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité considère en revanche que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14, concernant le droit d’être entendu équitablement et publiquement,dans un délai raisonnable. En conséquence, le Comité les considère recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, du fait que la décision relative à sa demande de versement d’indemnités, de dommages‑intérêts et de réparation du préjudice moral n’a pas été rendue dans des délais raisonnables et constitue un déni de justice, le Comité relève les arguments de l’État partie qui objecte que le retard dans la procédure ne saurait lui être imputé et que l’affaire a fait l’objet de multiples incidents de procédure dus au litige entre les parties. Le Comité rappelle que la demande de versement d’indemnités, de dommages‑intérêts et de réparation du préjudice moral a été accueillie à l’origine par le tribunal de première instance le 21 novembre 2000, et que la chambre sociale du Tribunal suprême s’est saisie de l’affaire le 15 mai 2007. Or la date de l’audience n’a pas été fixée et la chambre temporaire n’a été constituée que le 14 janvier 2013, soit cinq ans et huit mois après la décision du Tribunal suprême d’accepter de se saisir de l’affaire. De surcroît, le Tribunal suprême s’est enfin prononcé sur le recours de l’auteur le 17 juin 2013, soit douze ans et quatre mois après la demande initiale, et a renvoyé l’affaire au juge de la chambre sociale. En conséquence, à la date de la présente décision, il n’a toujours pas été statué sur l’appel formé contre le rejet de certains éléments de preuve par le tribunal de première instance, pas plus que sur la demande initiale relative au versement de prestations sociales, à des dommages‑intérêts et à réparation pour dommage moral, qui a été jugée recevable il y a plus de treize ans. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que les retards dans la procédure ne sont pas imputables à la conduite de l’auteur ni à la complexité de l’affaire, et sont principalement imputables à la conduite des autorités de l’État partie, notamment des autorités judiciaires.

7.3Le Comité rappelle qu’un élément important du procès équitable est la rapidité de la procédure, et que les retards dans un procès qui ne sont pas justifiés par la complexité de l’affaire ou la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de cette disposition. En conséquence, le Comité considère que le procès de l’auteur a subi des retards qui ne sont pas compatibles avec les dispositions du paragraphe 1 de l’article 14.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international des droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, et en particulier: a) veiller à ce que le procès soit assorti de toutes les garanties judiciaires prévues au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en particulier en ce qui concerne la nécessité de rendre une décision dans les plus brefs délais; b) lui accorder réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.