C omité des droits de l ’ homme
Communication no 2009/2010
Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)
Communication présentée par: |
Timur Ilyasov (représenté par un conseil,Anara Ibrayeva) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Kazakhstan |
Date de la communication: |
21 juillet 2010 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er décembre 2010 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations: |
23 juillet 2014 |
Objet: |
Refus d’entrer sur le territoire de l’État partie au motif de menaces pour la sécurité nationale |
Question(s) de procédure: |
Non-épuisement des recours internes; pas de grief au titre du Pacte; ratione temporis |
Question(s) de fond: |
Protection juridique effective; liberté de circuler et de choisir sa résidence; procès équitable; droit d’obtenir des informations; droit à la vie de famille; non-discrimination |
Article(s) du Pacte: |
2 (par. 3 a)), 12, 14 (par. 1, 2 et 3 a)), 19 (par. 2), 23 et 26 |
Article(s) du Protocole facultatif: |
3 et 5 (par. 2 b)) |
Annexe
Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (111e session)
concernant la
Communication no2009/2010 *
Présentée par: |
Timur Ilyasov (représenté par un conseil,Anara Ibrayeva) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Kazakhstan |
Date de la communication: |
21 juillet 2010 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 juillet 2014,
Ayant achevé l’examen de la communication no 2009/2010, présentée au Comité des droits de l’homme par Timur Ilyasov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Timur Ilyasov, ressortissant de la Fédération de Russie, d’origine tchétchène, né en 1971. Il se déclare victime de violations par le Kazakhstan des droits consacrés à l’article 2, paragraphe 3 a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’article 12, à l’article 14, paragraphes 1, 2 et 3 a), à l’article 19, paragraphe 2, et aux articles 23 et 26. Le Comité note que les faits, tels que présentés par l’auteur, eu égard à l’article 23 semblent soulever également des questions au titre de l’article 17 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est arrivé au Kazakhstanpour la première fois en 1994 et il y a résidé depuis, avec des permis de séjour temporaires dans un premier temps et à partir de 2000 avec un permis de séjour permanent. Le 25 février 2003, il a épousé une ressortissante kazakhe dont il a eu un fils le 10 juin 2003, qui a lui aussi la nationalité kazakhe.
2.2Le 14 février 2008, l’auteur est allé avec son fils en Fédération de Russie rendre visite à ses parents. À son retour, le 24 août 2008, au poste de contrôle de l’aéroport d’Aktaou, des agents du service des frontières du Comité de la sécurité nationale (NSC) du Kazakhstan ont refusé de le laisser entrer dans le pays sans lui donner la moindre explication. La femme de l’auteur a dû faire plus de 1 000 kilomètres pour récupérer leur enfant, qui est ensuite resté avec elle au Kazakhstan. Par la suite, la police des frontières a informé l’auteur que son entrée au Kazakhstan avait été interdite.
2.3La femme de l’auteur a sollicité l’assistance du Kazakhstan International Human Rights and Rule of law Bureau. Le Bureau a écrit au NSC pour demander quels étaient les motifs pour lesquels l’auteur n’avait pas été autorisé à entrer dans le pays. Le 23 septembre 2008, le Bureau a reçu une réponse du commandant adjoint du NSC indiquant que l’entrée était interdite en vertu de l’article 22 de la loi relative à la migration des populations du 13 décembre 1997, et ce, pour des raisons de sécurité nationale.
2.4Le 17 novembre 2008, le Bureau a déposé plainte au nom de l’auteur au tribunal d’Astana, contre l’interdiction d’entrer au Kazakhstan. Le 21 novembre 2008, le tribunal a refusé d’examiner la plainte, au motif que le représentant du Bureau n’avait pas l’autorisation de l’auteur nécessaire pour porter plainte. Le Bureau a interjeté appel de cette décision devant le tribunal régional de Sarsk, qui a fait droit à l’appel et, par une décision du 13 janvier 2009, a renvoyé l’affaire devant le tribunal d’Astana. Le 27 février 2009, le Bureau a complété la plainte, faisant valoir en particulier des violations du droit de l’auteur d’être informé des raisons de l’interdiction d’entrer dans le pays, de sa liberté de circuler et sa liberté de choisir sa résidence, de ses droits en matière de mariage et de famille ainsi que de la présomption d’innocence.
2.5Le 2 mars 2009, le tribunal d’Astana a rejeté la plainte, au motif que les actions contestées des autorités étaient conformes à la loi, que le NSC avait agi dans le cadre des compétences à lui conférées par la loi, et que les droits de l’auteur n’avaient pas été violés. Invoquant l’article 5, paragraphe 2, de la loi relative aux organes de sécurité nationale, selon lequel les droits des citoyens peuvent être limités au nom de la sécurité nationale, le tribunal a argué de la participation alléguée de l’auteur à des activités illégales en Fédération de Russie, sans entrer dans le détail.
2.6Comme le refus d’interdiction d’entrer dans le pays était fondé sur des renseignements confidentiels que les autorités de la Fédération de Russie avaient communiqués au NSC, en mai 2007, le KIHRB a demandé, le 4 mars 2009, à cet organisme de déclassifier l’information en question et de la communiquer à l’auteur. Le NSC a répondu que «[…] les informations données par les autorités compétentes de la Fédération de Russie au sujet de Timur Ilyasov sont “classées secrètes”, conformément aux textes réglementaires de la Fédération de Russie.».
2.7Le 16 mars 2009, le Bureau a déposé un recours contre la décision du tribunal d’Astana auprès du tribunal régional de Sarsk qui l’a rejeté, le 21 avril 2009 et a confirmé la décision de première instance. Le 18 mai 2009, le Bureau a adressé une demande de contrôle de la décision au conseil de contrôle de la légalité du tribunal régional de Sarsk, mais la demande a été rejetée en date du 11 juin 2009. Le Bureau a alors adressé une demande de contrôle de la décision au Procureur général du Kazakhstan (le 16 juillet 2009) et à la Cour suprême (le 11 septembre 2009), qui ont été rejetées (respectivement le 16 août 2009 et le 15 octobre 2009). L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se dit victime de violations par le Kazakhstan des droits consacrés à l’article 2, paragraphe 3 a), à l’article 12, à l’article 14, paragraphes 1, 2 et 3, à l’article 19, paragraphe 2, à l’article 23 et à l’article 26 du Pacte.
3.2L’auteur affirme qu’il n’a bénéficié d’aucun dispositif efficace de protection juridictionnelle dans la mesure où aucun des organes judiciaires qu’il a saisis n’a examiné son affaire au fond, ce qui constitue une violation de l’article 2, paragraphe 3 a), du Pacte. Il fait en outre valoir que tous les jugessont nommés par le Président du Kazakhstan, ce qui démontre que le pouvoir judiciaire est dépendant du pouvoir exécutif.
3.3L’auteur affirme qu’il n’a jamais enfreint les règles relatives au séjour sur le territoire du Kazakhstan et qu’aucun tribunal n’a prononcé son exclusion du territoire du Kazakhstan. Il fait valoir que l’État partie a violé sa liberté de circuler et de choisir sa résidence en lui interdisant arbitrairement d’entrer dans le pays, et en invoquant comme prétexte la nécessité de protéger la sécurité de l’État, sans toutefois préciser le texte qu’il avait enfreint et l’infraction qu’il avait commise, ce qui est une violation de l’article 12 du Pacte. L’auteur fait valoir qu’il s’agit là d’une violation continue étant donné que, bien que l’interdiction ait été faite en 2008, lorsqu’il a présenté sa communication au Comité il n’était toujours pas autorisé à entrer au Kazakhstan. L’auteur affirme que les autorités ont invoqué un texte législatif à portée générale pour lui interdire d’entrer dans le pays, et qu’elles n’ont pas démontré en quoi cette interdiction était nécessaire dans une société démocratique. Il soutient également que l’on ne sait pas exactement quels intérêts sont protégés par l’interdiction, et que la restriction apportée à ses droits est disproportionnée au regard des intérêts protégés.
3.4L’auteur affirme que ses arguments n’ont pas été équitablement examinés par le juge, en violation de l’article 14, paragraphes 1 et 3 a), du Pacte, étant donné que: le pouvoir exécutif joue un rôle déterminant dans le système judiciaire et influence fortement le processus de désignation des juges; l’indépendance des juges est compromise par le rôle dominant du ministère public dans l’ensemble du processus pénal. L’auteur affirme que son affaire n’a pas été examinée de manière équitable, et que la publicité des débats n’a pas été assurée puisque l’audience en première instance s’est déroulée à huis clos afin de préserver le secret des pièces du dossier; le juge qui a examiné l’affaire n’a pas autorisé l’enregistrement audio de certaines parties des audiences; au cours du procès en seconde instance, le tribunal a également débattu à huis clos tout en autorisant un membre du NSC à rester dans la salle; quelques-unes des pièces présentées par le NSC sont restées confidentielles, ce qui n’a pas permis à l’avocat de l’auteur de préparer correctement sa défense.
3.5L’auteur fait valoir que son droit à l’information a été violé, étant donné que quand on lui a interdit d’entrer dans le pays on ne lui a donné aucune explication sur le motif de l’interdiction. Les tentatives ultérieures pour obtenir des renseignements ont également été vaines car les lettres du NSC se limitaient à indiquer que l’interdiction était imposée au nom de la sécurité nationale. Même au cours de la procédure judiciaire, l’auteur n’a pu obtenir aucune information concernant les activités illégales dont il était accusé, l’accès de son avocat à des pièces «classifiées» étant refusé, en violation de l’article 20 de la Constitution du Kazakhstan et de l’article 20 de la loi relative à la procédure d’examen des recours de personnes physiques et morales, ainsi que de l’article 19 du Pacte. Actuellement la violation continue.
3.6D’après l’auteur l’interdiction d’entrer au Kazakhstanreprésente une violationdu droit à la vie de famille, consacré à l’article 23 du Pacte, puisqu’elle met en danger sa vie de famille en l’empêchant de vivre avec sa femme et son fils. Actuellement la violation continue.
3.7L’auteur affirme qu’il lui a été interdit d’entrer dans le pays parce qu’il est d’origine tchétchène, que son lieu de résidence en Fédération de Russie était Grozny, en République tchétchène, et qu’il était soupçonné d’être impliqué dans des activités terroristes, sans que ces suspicions soient précisées. Il affirme avoir été victime de discrimination du fait de son origine ethnique car le droit lui a été dénié de vivre dans le pays avec sa famille à raison de son origine ethnique en violation de l’article 26 du pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1En date du 2 février 2011, l’État partie a fait savoir qu’il avait constitué un «groupe de travail spécial», composé de représentants du ministère public, du Ministère des affaires étrangères et d’autres autorités compétentes, qui a pour mission d’examiner les plaintes mettant en cause le Kazakhstan adressées au Comité des droits de l’homme et d’y répondre «de manière adéquate».
4.2En date du 6 mai 2011, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.
4.3L’État partie indique qu’en mai 2008 le NSC a pris la décision de refuser l’entrée de l’auteur sur son territoire sur la base d’informations classifiées reçues de la Fédération de Russie. Il maintient qu’en raison des obligations internationales qui lui incombent, il ne peut pas divulguer ces informations à des tiers sans l’accord écrit de la Fédération de Russie. L’État partie fait en outre valoir que l’auteur n’a pas précisé s’il avait saisi les autorités de la Fédération de Russie afin d’obtenir les informations. Il fait remarquer que l’auteur n’a pas engagé de recours juridique en Fédération de Russie, recours qui aurait pu servir de fondement à un réexamen de la décision des autorités kazakhes de refuser l’entrée, au vu de nouveaux éléments.
4.4L’État partie maintient de plus que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes au Kazakhstan, dans la mesure où il n’a pas formé de recours contre la décision de classifier les documents et le refus de l’autoriser à y avoir accès, conformément à l’article 30, paragraphe 3, de la loi relative aux secrets d’État.
4.5En outre, l’État partie indique que le NSC a été informé, le 14 mars 2011, que l’auteur avait renoncé à ses activités illégales. Par conséquent, celui-ci a été autorisé à entrer de nouveau au Kazakhstan et, le 4 avril 2011, le ministère public a écrit à l’auteur et à son représentant pour les informer de cette situation. L’État partie fait valoir que ces nouveaux éléments mettent un terme à l’incident et que la communication doit être jugée irrecevable.
4.6En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’État partie souligne que l’auteur s’est vu refuser l’entrée dans le pays sur le fondement de l’article 22 de la loi relative à la migration des populations, ce qui est conforme à l’article 21 de la Constitution et à l’article 12, paragraphe 3, du Pacte. Selon des témoignages d’agents du NSC, en mai 2007, des informations ont été reçues des autorités de police de la Fédération de Russie, conformément aux traités internationaux en vigueur entre les deux pays, informations selon lesquelles l’auteur était impliqué dans des activités illégales «sur le territoire de l’État susmentionné».
4.7Conformément à l’article 13, paragraphe 3, de la loi relative aux organes de sécurité nationale, ces organes décident, conjointement avec d’autres organismes de l’État compétents, s’il convient de refuser l’entrée à des personnes qui constituent un danger pour la sécurité de la société et de l’État, ou risquent d’y porter atteinte. D’après les informations reçues de la Fédération de Russie, l’auteur présentait un danger pour le Kazakhstan et c’est pourquoi les tribunaux ont considéré que les actes du NSC étaient licites et conformes aux traités internationaux auxquels le Kazakhstan est partie. Si les informations en question avaient été la propriété du Kazakhstan, les organes compétents auraient accepté de les communiquer à toute personne concernée. Dans le cas d’espèce, le NSC a décidé d’accorder une habilitation de sécurité à la représentante de l’auteur et de l’autoriser à examiner les renseignements, mais l’auteur n’a pas accepté cette proposition. Toutefois, en vertu des traités en vigueur entre les pays de la Communauté d’États indépendants, des informations classées ne peuvent être utilisées qu’avec l’autorisation de l’État qui les possède; comme la Fédération de Russie n’avait pas donné cette autorisation, le Kazakhstan n’était pas habilité à les divulguer.
4.8De plus, l’État partie soutient que l’auteur a eu toute latitude pour défendre ses droits en justice et qu’il ne l’a pas empêché de vivre avec sa famille, dans la mesure où celle-ci avait la possibilité, sans aucune entrave, de le rejoindre en Fédération de Russie.
4.9Pour ce qui est des allégations au titre de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, l’État partie souligne que l’article 3, paragraphe 2, de la Constitution dispose que toute personne a le droit de faire protéger ses droits et libertés en justice, et il maintient que l’auteur avait accès à toutes les instances judiciaires, qu’il a déposé un recours en annulation et une demande de contrôle et que son affaire a été examinée conformément aux normes prévues dans le Pacte et aux lois internes. L’État partie réfute les allégations de l’auteur qui affirme que le pouvoir exécutif exerce une grande influence sur les décisions des tribunaux, que la procédure n’est pas transparente, juste ou impartiale, et que l’indépendance des juges est influencée par le ministère public. Il affirme que les principes de l’indépendance et de l’inamovibilité des juges sont inscrits dans la Constitution et que les juges obéissent à la seule Constitution.
4.10L’État partie conteste l’allégation de l’auteur qui affirme que les juridictions supérieures n’ont pas examiné le fond de l’affaire. Il souligne que, conformément aux articles 345 à 347 du Code de procédure civile, la juridiction d’appel vérifie la légalité de la décision du tribunal de première instance et si elle se fonde bien sur les éléments de preuve présentés en première instance. Dans le cas d’espèce, la juridiction d’appel a estimé que la décision du tribunal de première instance était licite et fondée et elle a donc rejeté le recours de l’auteur. L’État partie soutient que le droit à un procès équitable n’a pas été violé.
4.11En ce qui concerne les griefs de l’auteur qui affirme que le droit à un procès équitable a été violé notamment parce que les audiences en première instance se sont déroulées à huis clos, l’État partie objecte que la plupart des audiences étaient publiques, et il explique ensuite dans quels cas la législation interne autorise des audiences à huis clos. En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui dit que, au cours d’une audience à huis clos, le juge avait demandé à un observateur de quitter la salle mais autorisé un agent du NSC à rester, l’État partie répond que l’agent du NSC représentait l’institution. L’État partie fait également valoir que, conformément à l’article 27 du Code de procédure pénale, même lorsqu’une affaire a été examinée à huis clos, le tribunal prononce sa décision en public.
4.12À l’allégation selon laquelle le représentant du NSC ne pouvait pas désigner la source ayant fourni les renseignements sur la base desquels l’auteur n’a pas été autorisé à entrer dans le pays parce qu’ils étaient classifiés, l’État partie répond que l’auteur a eu la possibilité de contester le fait que les renseignements étaient classifiés, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de la loi relative aux secrets d’État. Comme il ne l’a pas fait il ne peut à aucun titre mettre en cause le bien‑fondé de la décision de classer les renseignements en question. L’État partie ajoute que le classement des renseignements relatifs à l’auteur était licite, vu que leur contenu ne relève pas de l’article 17 de la loi relative aux secrets d’État, qui énumère les types de données ne pouvant être soumises à classification. Selon l’article 30 de cette loi, on peut refuser de communiquer des informations à des individus quand la «vérification» a révélé que leurs activités mettaient en danger la sécurité nationale. L’État partie soutient que, dès lors que l’avocat de l’auteur l’a représenté et que des informations attestaient qu’il était impliqué dans des activités illégales, le refus de l’autoriser à accéder aux données classifiées était justifié.
4.13En ce qui concerne le grief de violation de la liberté de l’auteur de circuler et de choisir une résidence, l’État partie indique que, conformément à l’article 16 de la loi relative à la situation juridique des étrangers et aux règles applicables à l’entrée sur le territoire de la République du Kazakhstan et à la sortie de ce territoire, les étrangers peuvent se déplacer librement au Kazakhstan et choisir leur lieu de résidence. Des limitations à cette liberté peuvent être imposées par décret du Ministère de l’intérieur et du NSC lorsqu’il est nécessaire de protéger la sécurité de l’État, l’ordre public, la santé ou la moralité de la population ainsi que de sauvegarder les droits et les intérêts licites des citoyens et d’autres personnes. L’État partie réaffirme que l’auteur a été interdit d’entrée sur la base d’informations signalant qu’il était impliqué dans des activités illégales en Fédération de Russie. L’État partie renvoie en outre aux Principes de Syracuse (E/CN.4/1985/4, annexe) concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations. Il maintient que l’article 22 de la loi relative à la migration des populations est conforme au point 10 de ces Principes et que les informations reçues de la Fédération de Russie étaient suffisantes pour justifier la restriction imposée à la liberté de l’auteur de circuler au Kazakhstan, conformément au point 29 des Principes.
4.14Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 19, paragraphe 2, du Pacte, l’État partie réaffirme qu’il ne pouvait pas communiquer à l’auteur les renseignements sur la base desquels l’entrée lui avait été refusée. Il précise en outre la teneur de ses accords avec la Fédération de Russie concernant le traitement des informations classifiées. Il affirme que l’article 5 de l’accord relatif à la protection mutuelle d’informations classifiées, du 7 juillet 2004, prévoit que les États parties sont tenus de protéger des informations sensibles transmises par l’autre partie ou découlant du processus de coopération entre les Parties et de ne pas donner à un tiers accès à des informations classifiées sans l’autorisation préalable par écrit de l’autre Partie. L’accès à des informations classifiées est autorisé aux seules personnes disposant du niveau d’habilitation de sécurité voulu. De plus, l’article 10 4) de la loi relative aux secrets d’État prévoit que les organes de la sécurité nationale doivent assurer la protection de telles informations, et l’article 29 de cette même loi dispose que les personnes qui souhaitent avoir accès à de telles informations doivent obtenir l’autorisation correspondante. Tout ce qui précède a été expliqué à l’auteur, lequel n’a pas prié le NSC de demander à la Fédération de Russie l’autorisation de divulguer les informations.
4.15L’État partie affirme que, par l’intermédiaire de sa représentante, l’auteur a présenté une demande écrite au NSC tendant à l’autoriser à avoir accès à l’information et qu’il a reçu une réponse par écrit. L’État partie maintient qu’avec cette réponse, il a respecté les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19, même si l’auteur prétend que l’information était incomplète, puisque le paragraphe 3 de l’article 19 autorise certaines restrictions à la liberté d’accès à l’information si celles-ci sont prévues par la loi et sont nécessaires à la protection de la sécurité nationale.
4.16Concernant les allégations de violation de l’article 23 du Pacte, l’État partie objecte que l’auteur est un ressortissant russe, et que son droit d’épouser une Kazakhe n’a pas été violé puisque son mariage a été enregistré au Kazakhstan. Il ajoute que la femme et le fils de l’auteur, qui ont la nationalité kazakhe, peuvent librement, comme la loi les y autorise, quitter le Kazakhstan pour le rejoindre en Fédération de Russie.
4.17En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, l’État partie fait valoir que l’interdiction de discrimination est garantie à l’article 14 de sa Constitution, aux articles 13 et 21 du Code de procédure civile, à l’article 11 du Code des infractions administratives et à l’article 7 du Code du travail. L’article 54 du Code pénal prévoit que la discrimination est une circonstance aggravante et qu’elle est considérée comme telle pour un grand nombre d’infractions. Il fait en outre valoir que l’auteur ne s’est pas plaint de discrimination à son égard devant les juridictions kazakhes. Aussi, l’État partie considère‑t‑il que les allégations de violation de ses droits formulées par l’auteur sont dénuées de fondement.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1En date du 2 juillet 2011, l’auteur a réitéré sa requête initiale et commenté les observations de l’État partie.
5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas engagé une action en justice en Fédération de Russie, l’auteur fait valoir qu’il s’est vu refuser l’entrée au Kazakhstan sans être informé des motifs de ce refus et que sa communication était par conséquent dirigée contre le Kazakhstan. La décision de lui refuser l’entrée a été prise en novembre 2007, mais l’auteur n’en a pris connaissance que le 24 août 2008, lorsqu’il retournait au Kazakhstan après avoir rendu visite à ses parents. C’est l’État partie qui avait classifié les informations le concernant et l’auteur s’est donc logiquement adressé au NSC, à qui il a demandé que lesdites informations soient déclassifiées pour être présentées aux juridictions internes. L’auteur conteste l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas engagé de recours en vertude l’article 30 de la loi relative aux secrets d’État et maintient qu’il a demandé à avoir accès à son dossier et à ce que les renseignements y figurant soient déclassifiés dans tous ses recours adressés au NSC et aux différentes juridictions. Il maintient que, dans le cas d’espèce, l’accès au dossier est équivalent à l’accès aux informations classifiées. L’auteur maintient que dans tous les recours qu’il a formés il a souligné que les informations le mettant en cause étaient classifiées et qu’il devait pouvoir y accéder afin d’assurer sa défense, parce qu’il ne savait pas pour quels motifs l’entrée dans le pays lui avait été refusée.
5.3L’auteur fait valoir qu’entre le 24 août 2008 et le 26 février 2009, il a été informé uniquement que l’entrée lui était refusée pour des raisons de sécurité nationale. Toutefois, le 26 février 2009 un agent du NSC a déclaré à l’audience du tribunal de première instanceque le refus était motivé par la participation de l’auteur à des activités illégales dans la Fédération de Russie. La décision du tribunal− qui est un document public accessible à tous − précise que l’auteur s’est vu refuser l’entrée dans le pays parce qu’il était impliqué dans des activités illégales. En l’absence de jugement contre l’auteur, une telle affirmation viole la présomption d’innocence. L’auteur souligne qu’aucun jugement n’avait été prononcé contre lui, ni au Kazakhstan ni en Fédération de Russie, et qu’aucune action pénale n’avait été engagée contre lui dans l’un ou l’autre pays.
5.4L’auteur affirme que, bien qu’il ait été autorisé à entrer sur son territoire après qu’il eut présenté la communication au Comité, l’État partie pouvait aisément lui refuser de nouveau l’entrée étant donné que sa législation interne n’est pas conforme au Pacte,que le Pacte n’est pas appliqué par les juridictions nationales ni par les autres organes de l’État et qu’il n’existe pas de recours juridique utile dans l’État partie.
5.5L’auteur dit que les articles 21 et 39, paragraphe 1, de la Constitution de l’État partie sont contradictoires. Il ajoute que conformément aux Principes de Syracuse, la sécurité nationale peut effectivement constituer un motif pour limiter certaines libertés mais que ces limitations doivent répondre au principe de nécessité, poursuivre un objectif légitime et être proportionnées à cet objectif.Il souligne que les motifs justifiant les limitations doivent être énoncés clairement et qu’ils ne doivent pas être interprétés de manière à compromettre l’essence même du droit concerné. L’auteur renvoie en outre aux paragraphes 11 à 13 de l’Observation générale no 27 du Comité, relative à la liberté de circulation, et fait valoir que, si l’article 22 de la loi relative à la migration des populations prévoiteffectivement des restrictions à la liberté de circulation au nom de la sécurité nationale, il ne précise cependant pas les conditions dans lesquelles les droits peuvent être limités. L’auteur fait également valoir que les agents du NSC ont un pouvoir discrétionnaire absolu pour appliquer cette loi dans la mesure où celle-ci n’énonce pas de critères clairs pour l’application des restrictions. Il rappelle que le NSC savait dès le mois de mai 2007 que son nom figurait sur la liste des personnes dont l’entrée au Kazakhstan était interdite, mais que le NSC ne l’a pas informé et n’a procédé à aucune enquête pour vérifier s’il était véritablement impliqué dans des activités illégales, pas plus qu’il n’a essayé de l’accuser d’une infraction quelconque ou de l’extrader vers la Fédération de Russie. Il affirme que ces restrictions ont été appliquées de manière arbitraire, qu’elles étaient inappropriées et disproportionnées et qu’elles pouvaient lui être de nouveau imposées à tout moment.
5.6L’auteur affirme en outre qu’il n’existe pas de recours utile pour les violations quelles qu’elles soient des droits consacrés dans le Pacte, puisque les juridictions appliquent uniquement le droit interne. Il avance que le fait qu’il ait été autorisé à entrer de nouveau dans le pays ne «clôt pas l’incident», puisqu’il n’existe pas de recours utile pour les violations des droits qu’il tient du Pacte. Il répète qu’aucune des juridictions saisies n’a examiné au fond ses allégations portant sur les violations de ses droits, que la dernière décision de la Cour suprême − refusant de procéder à un contrôle des décisions − était datée du 15 octobre 2009, soit après l’entrée en vigueur du Pacte pour le Kazakhstan, et il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Dergachev c. Bélarus, communication no 921/2000, dans laquelle le Comité a constaté une violation de l’article 19 du Pacte même après que l’État partie eut annulé le verdict de culpabilité.
5.7L’auteur souligne que, selon les propres dires de l’État partie, le Kazakhstan accorde la priorité aux obligations qui lui incombent en vertu du traité bilatéral conclu avec la Fédération de Russie au détriment de ses obligations au titre du Pacte. Il renvoie à l’article 26 de la Convention de Vienne et objecte que l’État partie devrait accorder la priorité aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte.
5.8L’auteur conteste l’argument de l’État partie qui affirme que son représentant n’a pas souhaité demander une habilitation de sécurité. Le 23 février 2009, au cours d’une audience préliminaire, le juge a demandé au NSC de fournir, dans les trois jours, une attestation indiquant si le représentant de l’auteur disposait d’une habilitation de sécurité. Le NSC n’a pas produit l’attestation. La principale audience devant la juridiction de première instance s’est déroulée les 26 et 27 février 2009, et la décision du tribunal a été rendue publique le 2 mars 2009. En si peu de temps le représentant de l’auteur ne pouvait pas solliciter ou recevoir une habilitation de sécurité. Le 4 mars 2009 l’auteur, par l’intermédiaire de son représentant, a demandé que les informations soient déclassifiées, mais sa requête a été rejetée.
5.9Pour ce qui est de la situation de sa famille, l’auteur indique que, même s’ils n’ont pas besoin de visa pour se rendre en Fédération de Russie, les ressortissants kazakhs ne peuvent y séjourner que pendant trois mois au maximum. De surcroît, l’État partie semblait suggérer que sa famille le rejoigne en Tchétchénie où actuellement de graves violations des droits de l’homme sont commises. L’auteur fait en outre valoir que lorsque les conjoints vivent séparés, en particulier dans des pays différents, la probabilité de dissolution du mariage est très élevée. Il ajoute que l’État partie exerce une discrimination contre son fils qui a le droit de vivre avec ses deux parents et devrait jouir des mêmes droits que les enfants dont les parents sont des nationaux kazakhs.
5.10L’auteur réaffirme que le système judiciaire kazakh n’est pas indépendant, que les tribunaux inférieurs dépendent des juridictions supérieures, qui elles‑mêmes dépendent de l’exécutif. Il signale que les juridictions supérieures ont pour pratique d’adresser des lettres circulaires aux juridictions inférieures, en donnant des instructions sur la façon de régler certains types d’affaires.
5.11En ce qui concerne les arguments de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas épuisé les recours internes, l’auteur fait valoir que l’État partie soutient d’une part qu’il n’a pas engagé de recours pour contester le fait que l’information le concernant était classifiée et d’autre part que ladite information était classifiée de manière licite conformément à l’article 17 de la loi relative aux secrets d’État. L’auteur rappelle également l’argument de l’État partie qui affirme que son représentant n’a pas été autorisé à accéder aux données classifiées parce qu’il était un ressortissant étranger qui aurait été impliqué dans des activités illégales. Selon lui, cette affirmation prouve que tout recours aurait été vain. L’auteur soutient en outre que, dans son recours adressé à la juridiction de deuxième instance, il a fait expressément référence à une violation des droits consacrés à l’article 26 du Pacte, et souligné qu’il faisait l’objet de discrimination car il était d’origine tchétchène. Il fait également valoir que la législation interne n’interdit pas directement la discrimination.
5.12L’auteur affirme que lorsque l’État partie a tenté de justifier les limitations imposées à sa liberté de circuler, il n’a pas tenu compte de la proportionnalité des restrictions, qui étaient excessives.
5.13L’auteur maintient que le fait d’avoir annoncé publiquement la décision du tribunal ne suffit pas pour que la règle de la publicité soit satisfaite en espèce, étant donné que les audiences en première instance étaient à huis clos, qu’au milieu de la procédure en seconde instance, la Cour a fait sortir un observateur indépendant de la salle d’audience, et que l’affaire reposait sur des documents classifiés.
5.14L’auteur réaffirme qu’il n’a jamais été condamné pour une infraction quelconque, ni au Kazakhstan ni en Fédération de Russie, et que l’extrait de casier judiciaire vierge délivré par le Ministère de l’intérieur de la République tchétchène en témoigne. L’auteur a présenté un extrait de casier judiciaire à la juridiction de seconde instance, mais celle-ci ne l’a pas pris en considération.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité note que l’auteur fait valoir que, en violation de l’article 2 du Pacte, il n’a pas bénéficié de moyens efficaces de protection juridictionnelle de ses droits parce que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur le fond de ses plaintes et que les juges n’étaient pas indépendants. Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2, qui énonce des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément et ne peuvent pas donner lieu à un grief dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Il considère que les prétentions de l’auteur au titre de cet article sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité prend note de l’allégation de violation des droits garantis par l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, mais il fait observer que la procédure judiciaire en question s’est déroulée entre le 17 novembre 2008 et le 21 avril 2009, soit avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité note en outre que ces questions n’ont pas été soulevées dans la demande de contrôle de l’auteur datée du 11 septembre 2009, sur laquelle la Cour suprême s’est prononcée le 15 octobre 2009. Le Comité estime donc que cette allégation est irrecevable ratione temporis, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
6.5Le Comité note que l’auteur allègue une violation des droits consacrés à l’article 14, paragraphes 2 et 3 a), du Pacte mais il fait observer que l’auteur n’a jamais été accusé d’une infraction pénale. Par conséquent, le Comité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.6Le Comité prend note du grief de l’auteur qui se dit victime de discrimination parce qu’il est d’origine tchétchène; en effet, alors que les ressortissants kazakhs sont autorisés à vivre dans le pays avec leur famille, ce droit lui a été dénié du fait de son origine ethnique, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité considère cependant que le grief de l’auteur est insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et qu’il est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
6.7Le Comité note que l’auteur allègue des violations continues des droits consacrés aux articles 12, 19, paragraphe 2, et 23 du Pacte. Il fait observer que, bien que l’incident à l’origine de ces griefs, c’est‑à‑dire le refus d’autoriser l’entrée de l’auteur dans le pays, se soit produit le 24 août 2008, ce n’est que le 11 avril 2011 que l’auteur a été autorisé à entrer à nouveau dans le pays, soit plus d’un an et demi après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. En outre, le Comité constate que les questions ci‑dessus ont été soulevées dans la demande de contrôle présentée par l’auteur en date du 11 septembre 2009, que la Cour suprême a rejetée en date du 15 octobre 2009, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité conclut par conséquent qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.
6.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui rappelle que l’auteur a été autorisé à entrer de nouveau au Kazakhstan en avril 2011, et que la communication doit être déclarée irrecevable de ce fait. De l’avis du Comité l’auteur a établi, aux fins de la recevabilité, que l’action de l’État partie a durablement porté atteinte à ses droits. Il prend également note de l’allégation de l’auteur qui affirme que les restrictions qui lui ont été imposées étaient arbitraires, inopportunes et disproportionnées, et pourraient lui être à nouveau imposées à tout moment. Le Comité considère par conséquent que la communication est recevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
6.9Le Comité note que l’État partie objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, étant donné qu’il n’a pas engagé de recours en justice contre le refus de l’autoriser à avoir accès aux documents classifiés, et qu’il n’a pas contesté la décision de classifier ces documents, alors qu’il avait la possibilité de le faire conformément aux articles 15, paragraphe 4, et 30, paragraphe 3, de la loi relative aux secrets d’État. Le Comité relève que l’auteur a demandé à plusieurs reprises au NSC et aux tribunaux l’autorisation d’accéder auxdites informations. Le Comité observe en outre que l’auteur ne voulait pas que l’information le concernant soit déclassifiée pour le public, mais qu’il souhaitait simplement y avoir accès afin de défendre ses droits. Il note en outre que, d’après la lettre de l’État partie, ni sa législation interne ni le traité bilatéral qu’il avait conclu avec la Fédération de Russie ne l’autorisait à déclassifier les informations sans l’aval des autorités de la Fédération de Russie. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.
6.10Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs tirés des articles 12, 19, paragraphe 2, et 23 du Pacte, et que les faits, tels qu’ils sont présentés par l’auteur, soulèvent aussi des questions au regard de l’article 17 du Pacte.
6.11À la lumière de ce qui précède, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 12, 17, 19, paragraphe 2, et 23 du Pacte, et il procède à son examen au fond.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité note que l’auteur argue que l’État partie a mis en danger sa vie de famille en l’empêchant arbitrairement d’entrer dans le pays et de vivre avec sa femme et avec son fils. Il rappelle que l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et que l’article 17 prévoit que nul ne sera l’objet d’immixtions illégales ou arbitraires à l’égard de ce droit. Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence, selon laquelle dans certains cas, le refus d’un État partie d’autoriser un membre d’une famille à demeurer sur son territoire peut entraîner une immixtion dans la vie de famille de cette personne, en violation des articles 17 et 23. Le Comité fait aussi observer que le simple fait que les membres de la famille résident sur le territoire d’un État partie ne garantit pas nécessairement le droit de l’auteur d’entrer de nouveau sur le territoire de cet État. En vertu de ses lois sur l’immigration, l’État partie peut refuser le droit d’entrer de nouveau pour un motif légitime. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité et ne doit pas être exercé de façon arbitraire. Le Comité rappelle que, pour être autorisée au titre de l’article 17, toute immixtion vis-à-vis de la famille doit remplir plusieurs conditions cumulatives, énoncées au paragraphe 1, à savoir: être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, buts et objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce.
7.3Le Comité note que l’auteur a résidé de manière licite sur le territoire de l’État partie à partir de 1994, que depuis 2000 il était titulaire d’un permis de séjour permanent qui n’avait jamais été annulé, qu’il a épousé une ressortissante de l’État partie et que son fils est également ressortissant de cet État, et qu’ils ont eu une vie privée et une vie de famille dans l’État partie pendant quatorze ans, jusqu’à ce que l’entrée soit refusée à l’auteur. Le Comité considère que le fait non contesté que l’auteur se soit vu refuser l’entrée dans l’État partie, où il avait vécu de façon permanente avec sa femme et son fils, constitue une immixtion dans la vie de famille de l’auteur. La question se pose donc de savoir si cette immixtion est arbitraire et contraire aux articles 17 et 23 du Pacte.
7.4Le Comité rappelle que la notion d’«arbitraire» englobe des éléments inappropriés, injustes, imprévisibles et contraires à la légalité. Dans le cas d’espèce, le Comité doit déterminer si la décision de refuser à l’auteur le droit d’entrer sur le territoire de l’État partie était fondée sur une évaluation correcte des circonstances et l’évaluation d’un risque pour la sécurité nationale de l’État partie, l’ordre public, la santé publique ou la moralité, ou sur les droits et libertés d’autrui.
7.5Le Comité relève que l’État partie a fait de nombreuses références aux informations en sa possession, d’où il ressortait que l’auteur avait participé à certaines «activités illégales» non précisées, probablement sur le territoire de la Fédération de Russie qui lui avait fourni les informations en question, et qu’il en a tiré la conclusion que ces «activités illégales» rendaient l’auteur dangereux pour la sécurité de la société et de l’État du Kazakhstan. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs formulés par l’auteur ont été examinés par les autorités kazakhes. Il observe toutefois qu’aucun élément de preuve n’a été avancé pour indiquer que, tant le NSC que les juridictions nationales avaient examiné les circonstances pertinentes, ou interrogé ou questionné l’auteur sur les circonstances de l’affaire. Il apparaît que la décision de refuser l’entrée a été prise sur le seul fondement des informations reçues d’un autre État et en l’absence de toute procédure formelle tendant à en vérifier la crédibilité. Le Comité note que l’auteur n’a pas été autorisé à entrer dans son propre pays pendant plus de trois ans. Il n’a pas été informé des raisons précises de cette décision et n’a pas eu non plus la possibilité d’accéder à l’information (le dossier) afin de la contester. Qui plus est, l’État partie a autorisé l’auteur à entrer de nouveau dans le pays en se fondant sur des informations des services du renseignement selon lesquelles il avait renoncé à ses activités illégales. Le Comité relève en outre qu’aucune enquête pénale n’a été engagée contre l’auteur, ni dans l’État partie ni en Fédération de Russie, et que la liberté de circulation de l’intéressé a été limitée uniquement sur la base des informations que l’État partie avait reçues des services du renseignement d’un autre État.
7.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il n’avait pas empêché la famille de l’auteur de rejoindre celui-ci en Fédération de Russie. Il prend acte également de l’affirmation non contestée de l’auteur, qui indique que sa famille n’est autorisée à séjourner sur le territoire de la Fédération de Russie que pendant des périodes limitées. Le Comité rappelle que l’auteur résidait légalement au Kazakhstan depuis 1994 et que c’est là qu’il avait sa vie de famille. La possibilité d’une installation temporaire de la famille de l’auteur en Fédération de Russie ne saurait donc être considérée, dans le cas d’espèce, comme une solution viable.
7.7Le Comité relève que dans aucune des procédures juridiques contestées, il n’a été établi que l’auteur représentait une menace quelconque pour la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques dans l’État partie, ou pour les droits et libertés d’autrui. Le Comité considère par conséquent que l’État partie n’a pas justifié son immixtion dans les droits de l’auteur protégés par les articles 17 et 23 du Pacte, et que la décision injustifiée de lui refuser le droit d’entrer sur son territoire constitue une immixtion arbitraire dans la vie de famille, contraire aux articles 17 et 23 du Pacte à l’égard de l’auteur.
7.8Le Comité ayant conclu à une violation des articles 17 et 23 du Pacte, il ne se prononcera pas sur d’éventuelles violations des articles 12 et 19 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par le Kazakhstan des droits que l’auteur tient des articles 17 et 23 du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et approprié, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate. Il est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.
Appendice
Opinion individuelle (concordante) de Gerald L. Neuman, Yuji Iwasawa et Walter Kälin
Nous approuvons entièrement l’analyse et les conclusions du Comité sur le fond de cette communication. Nous voulons exprimer ici notre désaccord avec un aspect de la décision de la majorité concernant la recevabilité. Au paragraphe 6.10, le Comité (la majorité) affirme que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs tirés de l’article 12 du Pacte et procède à leur examen quant au fond; toutefois, au paragraphe 7.8 il indique qu’il ne se prononcera pas sur une éventuelle violation de cet article. C’est là une tactique que le Comité utilise parfois pour éviter d’avoir à traiter un grief quand les fondements juridiques sont hautement incertains. Nous pensons que le Comité aurait dû adopter une position claire et déclarer ce grief irrecevable ratione materiae. La situation de l’auteur sort du champ d’application du paragraphe 4 de l’article 12 parce que ses allégations démontrent que le Kazakhstan n’est pas «son propre pays».
L’auteur explique qu’il a la nationalité russe, qu’il est né en 1971, qu’il est arrivé pour la première fois au Kazakhstan, le pays voisin, en 1994, et qu’il a reçu un permis de séjour permanent en 2000. En 2008, il est allé dans son pays de nationalité pour voir ses parents et y est resté pendant plus de six mois; quand il a voulu retourner au Kazakhstan, il s’est vu refuser l’entrée sur le territoire. Il est clair d’après ces faits que «son propre pays» est la Fédération de Russie et non pas le Kazakhstan, indépendamment de la nationalité de sa femme et de son fils.
Le paragraphe 4 de l’article 12 vise à assurer une protection extraordinairement forte − qui va au‑delà du critère habituel de proportionnalité − au droit des nationaux d’un État de demeurer dans leur propre pays et d’y revenir après un voyage à l’étranger. La structure de l’article 12 indique (et les travaux préparatoires le confirment) que l’article a été rédigé de façon réfléchie de façon que le droit des citoyens ne soit pas soumis aux restrictions à la liberté de déplacement autorisées par le paragraphe 3 de l’article 12. Les travaux préparatoires montrent aussi que dans cette disposition les termes «son propre pays» ont été retenus plutôt que son «pays de nationalité» afin de protéger les individus contre une procédure en deux étapes consistant d’abord à leur retirer la nationalité et ensuite à leur appliquer les procédures pour l’expulsion des étrangers prévues par l’article 13 (A/C.3/SR.954, par. 35).
Le Comité a considéré que certaines autres situations devaient entrer dans cette marge de précaution. Dans son Observation générale no 27, il donne comme exemples supplémentaires les «personnes dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité nationale dont elles se verraient refuser la nationalité», ainsi que les «apatrides privés arbitrairement du droit d’acquérir la nationalité de leur pays de résidence» (par. 20). Mais le Comité n’a jamais étendu cette protection d’un niveau extrêmement élevé au très grand nombre de résidents étrangers qui ont déjà un pays de nationalité et maintiennent des liens avec celui‑ci. Ces résidents étrangers sont nombreux à avoir un membre de leur famille qui possède la nationalité du pays de résidence, notamment dans les pays où la naissance sur le territoire confère la nationalité. Les multiples liens de ces résidents étrangers sont protégés contre toute immixtion arbitraire par les articles 17 et 23 du Pacte, par une analyse de proportionnalité qui accorde le poids voulu autant à leurs intérêts qu’aux considérations habituelles d’ordre public et de sécurité nationale sur lesquels se fonde légitimement la législation des États parties relative aux migrations.
Le Comité n’aurait aucun fondement juridique légitime pour conférer à l’auteur une deuxième nationalité de facto en faisant entrer son cas dans le champ d’application du paragraphe 4 de l’article 12. De plus, cette lecture erronée de la disposition aurait des résultats négatifs pour les migrants − car les États parties seraient encore moins généreux qu’ils ne le sont actuellement dans l’accueil des étrangers sur leur territoire et dans la délivrance de permis de séjour − ce que le Pacte n’exige pas d’eux de toute façon.
En étendant à l’excès la portée du paragraphe 4 de l’article 12, on risque aussi d’amoindrir la protection essentielle que cette disposition vise à offrir. La fonction première du droit d’entrer dans son propre pays est d’imposer un garde‑fou extrêmement fort face au pouvoir de l’État d’exiler ses propres nationaux ou d’empêcher leur retour.
L’auteur de son côté fait valoir que le critère de proportionnalité énoncé au paragraphe 3 de l’article 12 est applicable dans son cas et l’État partie répond dans le même sens en invoquant les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte qui autorisent des restrictions ou des dérogations. Étant donné les préoccupations relatives à la sécurité nationale que l’État met en avant, la concession de l’auteur est compréhensible et la majorité étudie la question de savoir si les mesures prises par l’État partie sont raisonnables quand elle procède à l’analyse habituelle en vue de déterminer si l’État partie a violé les articles 17 et 23 en refusant l’entrée sur son territoire d’un étranger qui souhaitait y revenir. Or, cette analyse n’est pas celle que le Comité devrait faire si l’auteur était un ressortissant du Kazakhstan ou si son statut était assimilé à celui d’un national.
Pour les personnes qui peuvent véritablement prétendre à la protection du paragraphe 4 de l’article 12, le Pacte prévoit une protection beaucoup plus grande. Le Comité a souligné dans son Observation générale no 27 que «les cas dans lesquels la privation du droit d’une personne d’entrer dans son propre pays pourraient être raisonnables, s’ils existent, sont rares». La nationalité est une institution fondamentale du droit international, dont l’importance est également reconnue au paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte, et le droit des nationaux de rentrer dans leur propre pays est quasiment absolu.
L’extension du champ d’application du paragraphe 4 de l’article 12 à tous les étrangers au bénéfice de permis de séjour permanents ou aux résidents étrangers dont certains membres de la famille sont nationaux donnerait inévitablement lieu à une dilution du degré de protection. Comme l’affirme l’auteur, la question qui doit être posée est de savoir si le refus de le laisser entrer était disproportionné au regard de toutes les circonstances. Cette question est déjà tranchée en faveur de l’auteur au titre d’autres articles du Pacte. Démanteler la garantie particulière inscrite dans le paragraphe 4 de l’article 12 de façon à l’étendre à des personnes qui se trouvent dans la situation de l’auteur constituerait un recul dans le domaine des droits de l’homme.
Opinion individuelle (concordante) de Anja Seibert‑Fohr
J’écris la présente opinion individuelle pour expliquer pourquoi l’auteur de la communication ne doit pas bénéficier de la protection prévue au paragraphe 4 de l’article 12 et pour lever tous les malentendus que pourrait susciter la décision du Comité concernant la recevabilité.
La décision de déclarer la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 12 était une question de procédure: elle ne doit pas être comprise comme portant sur le fond et encore moins comme la confirmation d’une interprétation excessivement large du paragraphe 4 de l’article 12. Quand le Comité a décidé de procéder à l’examen au fond du grief de violation de l’article 12, il est parti de l’idée que pour déterminer si le paragraphe 4 de l’article 12 était applicable à la situation de l’auteur, il fallait procéder à une analyse au fond de la question de savoir si le Kazakhstan pouvait être considéré comme le pays de l’auteur au sens de cette disposition. Sur le fond, le Comité a ensuite décidé de ne pas se prononcer sur ce grief puisqu’il avait constaté une violation des articles 17 et 23 du Pacte (par. 7.8). Ainsi, la décision de ne pas se prononcer sur le grief de violation de l’article 12 ne signifie pas que de l’avis du Comité le séjour permanent dans l’État partie suffit pour protéger l’auteur en vertu du paragraphe 4 de l’article 12. Cette décision signifie que les questions essentielles soulevées dans cette affaire se rapportent aux articles 17 et 23.
Si le Comité avait décidé de prendre position sur le fond du grief tiré de l’article 12, j’aurais suivi l’opinion exprimée par MM. Neuman, Iwasawa et Kälin parce qu’effectivement la situation de l’auteur n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition. Bien que l’article 12 ne fasse pas référence à la nationalité, la mention du droit de chacun d’entrer «dans son propre pays» protège en premier lieu les nationaux d’un État. Le Comité a reconnu dans des affaires précédentes que l’application de la disposition n’était pas tout à fait limitée aux seuls nationaux mais pouvait viser aussi certaines catégories particulières de personnes qui, même si au sens strict elles ne sont pas ressortissantes, peuvent être comparées à des nationaux et qui pour des raisons particulières ont besoin du même degré de protection. Ainsi le Comité explique dans son Observation générale no 27 que cette protection s’étend aux cas dans lesquels une personne n’a pas la protection conférée par la nationalité du fait qu’elle n’a pas de nationalité effective. Le Comité donne comme exemple le cas de «nationaux d’un pays auxquels la nationalité aurait été retirée en violation du droit international», de personnes «dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité dont elles se verraient refuser la nationalité» et d’apatrides «privés arbitrairement du droit d’acquérir la nationalité de leur pays de résidence».
Aucun des exemples donnés dans l’Observation générale ne s’applique à la présente affaire. Il n’y a aucun doute non plus que l’auteur a une nationalité, celle de la Fédération de Russie. L’auteur vivait certes au Kazakhstan depuis 1994 mais il avait conservé sa nationalité russe. Le fait qu’il soit résident de longue date du Kazakhstan et qu’il ait des liens familiaux dans cet État ne fait pas du Kazakhstan «son propre pays» au sens du paragraphe 4 de l’article 12. C’est pourquoi quand il a voulu rentrer au Kazakhstan après avoir passé six mois dans sa famille, dans son pays de nationalité, il ne pouvait pas invoquer la protection assurée par cette disposition.
Néanmoins, l’auteur de la communication bénéficie de la protection du Pacte en ce que ses liens personnels et familiaux sont effectivement protégés par les articles 17 et 23. C’est pourquoi le Comité a constaté une violation de ces dispositions en l’espèce. Mais, pour les raisons exposées plus haut, le Comité ne pouvait pas aller au-delà et étendre davantage le champ d’application du paragraphe 4 de l’article 12 en se fondant uniquement sur la durée du séjour de l’auteur et ses liens personnels et familiaux dans l’État partie.
Opinion individuelle (concordante) de Yuval Shany
Je suis entièrement d’accord avec les constatations du Comité mais je voudrais préciser que si le Comité avait décidé d’examiner au fond les griefs tirés de l’article 12, j’aurais également approuvé une constatation de violation du paragraphe 4 de cet article pour les raisons exposées ci‑après.
Le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte dispose que «nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays». Le Comité a toujours compris l’expression «son propre pays» comme visant non seulement le pays de nationalité mais également un pays avec lequel un individu a «des liens particuliers» ou à l’égard duquel il a des «prétentions» particulières.
Dans les deux opinions individuelles concordantes jointes au texte des constatations sont citées des exemples d’application possible du paragraphe 4 de l’article 12 à des non‑nationaux tirés du paragraphe 20 de l’Observation générale no 27 qui font référence aux circonstances exceptionnelles de personnes qui ont été privées de leur nationalité, ou dont le pays a été intégré ou assimilé à un autre État, ou qui sont apatrides, mais cette énumération n’a jamais été considérée comme exhaustive. Au contraire, dans le paragraphe 20, il est expressément fait mention «d’autres catégories de résidents à long terme». De plus, les deux opinions individuelles soulignent l’importance de la norme juridique générale introduite par le paragraphe 20 de l’Observation générale no 27: l’expression «son propre pays» s’applique «pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut pas être considéré e dans ce même pays comme un simple étranger» (non souligné dans le texte). De fait dans le passé le Comité a considéré que quand un individu maintient des liens étroits et durables avec un pays, il ne doit pas être arbitrairement privé du droit de rentrer dans ce pays.
Je voudrais également faire part à ce sujet de mon désaccord avec la lecture proposée par les auteurs des opinions individuelles des travaux préparatoires du Pacte, qui laissent entendre que les rédacteurs du Pacte n’ont pas considéré que les intérêts des résidents permanents en ce qui concerne le droit de rentrer dans leur pays de résidence étaient des intérêts importants méritant la protection du paragraphe 4 de l’article 12. Au contraire, dans les travaux préparatoires il y a des indications très nettes montrant que la version originale du texte de ce paragraphe, qui ne visait que les nationaux, a été expressément modifiée afin de couvrir les intérêts de certaines catégories de résidents permanents (E/2256-E/CN.4/669, par. 195).
Étant donné l’intensité des liens et des prétentions de certaines personnes qui sont résidentes permanentes de longue date à l’égard du pays dans lequel elles exercent habituellement les droits fondamentaux, l’intérêt pour elles de retourner dans leur propre pays mérite un degré de protection élevé, similaire à celui dont bénéficient les nationaux; c’est-à-dire que pour que les immixtions dans le droit d’entrer dans son propre pays puissent être considérées comme n’étant pas arbitraires il faudrait qu’elles obéissent à un motif extrêmement grave. De fait, l’intérêt pour certains résidents permanents de longue date d’entrer dans leur propre pays peut même être plus important que pour certains nationaux qui maintiennent seulement des liens ténus avec leur État de nationalité; par conséquent, ces intérêts méritent au moins la même protection contre les immixtions arbitraires dans le droit de retourner dans son propre pays que celle dont bénéficient les nationaux.
S’il est vrai que dans certains cas (comme dans la présente communication), les articles 17 et 23 peuvent garantir à un résident permanent de longue date une protection adéquate et que la protection offerte par le paragraphe 4 de l’article 12 serait donc redondante (il en irait de même pour des nationaux), il est évident que dans certaines circonstances la protection assurée par les articles 17 et 23 ne suffirait pas pour protéger les intérêts légitimes d’individus qui n’ont pas de vie de famille établie.
En l’espèce, l’auteur est entré au Kazakhstan en 1994 et il y a obtenu un permis de séjour permanent en 2000. Il s’est marié et a eu un enfant au Kazakhstan. Donc quand, en 2008, on lui a refusé d’entrer au Kazakhstan après son séjour en Fédération de Russie pour voir ses parents, il était déjà un résident permanent de longue date au Kazakhstan ayant des liens étroits et durables avec ce pays. J’estime par conséquent qu’il ne peut pas être considéré comme «un simple étranger» dans ce pays et je n’aurai eu aucune difficulté à faire droit au grief de l’auteur qui affirme que le Kazakhstan est son propre pays − ce que l’État partie n’a pas contesté. Si le Comité avait décidé d’examiner sur le fond ce grief précis, j’aurais retenu également pour les droits consacrés au paragraphe 4 de l’article 12 la conclusion du Comité qui a constaté (par. 7.7), que l’immixtion dans les droits de l’auteur avait été arbitraire.