Nations Unies

CCPR/C/111/D/1860/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 septembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1860/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session

Communication présentée par:

Mufteh Younis Muftah Al-Rabassi (représenté par l’organisation des droits de l’homme Al‑Karama)

Au nom de:

Abdenacer Younes Meftah Al-Rabassi (frère de l’auteur) et l’auteur

État partie:

Libye

Date de la communication:

16 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 janvier 2009

Date des constatations:

18 juillet 2014

Objet:

Détention du frère de l’auteur

Question(s) de fond:

Disparition forcée; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; droit de toute personne privée de liberté à être traitée avec humanité et dignité; droit à un procès équitable; droit à la liberté d’expression; reconnaissance de la personnalité juridique; droit à un recours utile

Question(s) de procédure:

Défaut de coopération de l’État partie; examen de la même question par une autre instance internationale

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 3), 16 et 19

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 a))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 1860/2009 *

Présentée par:

Mufteh Younis Muftah Al-Rabassi (représenté par l’organisation des droits de l’homme Al‑Karama)

Au nom de:

Abdenacer Younes Meftah Al-Rabassi (frère de l’auteur) et l’auteur

État partie:

Libye

Date de la communication:

16 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1860/2009présentée au nom de Mufteh Younis Muftah Al-Rabassi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mufteh Younis Muftah Al-Rabassi, un ressortissant libyen né en 1959. Il affirme que son frère, Abdenacer Younes Meftah Al‑Rabassi, un ressortissant libyen né en 1965, est victime de violations par la Libye du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 et des articles 16 et 19 du Pacte. L’auteur affirme également être lui-même victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 et de l’article 7 du Pacte. Il est représenté.

1.2Le 28 janvier 2009, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé, au nom du Comité, à l’État partie d’adopter toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie, la sécurité et l’intégrité personnelle du frère de l’auteur de façon à éviter qu’un préjudice irréparable ne lui soit infligé, et d’informerdans les trente jours le Comité des mesures qu’il aurait prises pour donner suite à cette demande.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Abdenacer Younes Meftah Al-Rabassi, travailleur social et ancien employé du Bureau de la sécurité sociale de Bani Walid, a été arrêté le 3 janvier 2003 par des agents des services libyens de la sécurité intérieure. Il n’a pas été informé des raisons de son arrestation. Il a été emmené au Bureau de la sécurité intérieureà Bani Walid et transféré à Tripoli le 5 janvier 2003. Il a été détenu au secret, dans un lieu tenu secret, pendant six mois, période durant laquelle sa famille n’a pas su où il se trouvait. Au cours de toute cette période, M. Al-Rabassi a été soumis à la torture, à des mauvais traitements et à des conditions de détention inhumaines, puisqu’il a notamment été détenu dans une cellule d’isolement qu’il n’a jamais été autorisé à quitter.

2.2L’auteur pense que l’arrestation de M. Al-Rabassi est liée à un message que ce dernier avait envoyé par courrier électronique en juin 2002 à l’Arab Times, journal en ligne arabo-américain, message dans lequel il critiquait les dirigeants politiques de la Libye et sollicitait l’assistance du journal pour la publication d’un ouvrage sur la situation politique et économique du pays. Il demandait également que son message demeure confidentiel.

2.3Le 26 juin 2003, M. Al-Rabassi a été inculpé par le Tribunal populaire, une juridiction d’exception, et accusé d’«avoir porté atteinte au prestige du guide de la Révolution» en violation de l’article 164 du Code pénal libyen. Le 28 juillet 2003, il a été condamné à un emprisonnement de quinze ans. À la date de la lettre initiale, M. Al‑Rabassi poursuivait l’exécution de sa peine à la Prison Abou Salim de Tripoli.

2.4À aucun moment lors de sa détention au secret ou de la procédure devant le Tribunal populaire M. Al-Rabassi n’a été autorisé à communiquer avec un avocat. Son procès s’est tenu à huis clos, et ses parents proches n’ont pas eu l’autorisation d’y assister.

2.5Pendant deux ans (2006-2007) et sans qu’il ne lui ait été donné aucune explication, la famille de M. Al-Rabassi n’a pas été autorisée à lui rendre visite en prison. L’auteur affirme que, pendant cette période, M. Al-Rabassi n’a pas été autorisé à établir le moindre contact avec sa famille ou avec le monde extérieur. Pendant sa détention, il n’a bénéficié d’aucune protection du système juridique, car les seules personnes au courant de sa détention étaient les agents pénitentiaires. En 2008, elle a pu le faire à deux occasions, après avoir appris des familles d’autres détenus que les visites étaient permises.

2.6Le cas de M. Al-Rabassi a été porté à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui, le 30 août 2005, a rendu l’avis no 27/2005. Le Groupe de travail a déploré l’absence de coopération de l’État partie; il a conclu que la privation de liberté de M. Al-Rabassi était arbitraire et a demandé à l’État partie de remédier à la situation, de manière à la rendre conforme aux dispositions du Pacte.

2.7L’auteur soutient que les recours internes ne sont ni disponibles ni utiles en Libye pour les victimes de violations des droits de l’hommedu fait du manque d’indépendance de l’appareil judiciaire. Le Tribunal populaire a été mis en place pour connaître des infractions politiques en dehors du système judiciaire ordinaire et s’est rendu célèbre pour ses procès fondés sur des considérations politiques et partiaux. En outre, dans les cas de violences à motivation politique, la peur des représailles empêche tout recours juridictionnel utile. Le fait que M. Al-Rabassi a été jugé par une juridiction d’exception démontre que les autorités libyennes ont estimé que son affaire était de nature politique. Du fait de leur engagement politique, ceux qui sont tenus pour des opposants au régime ainsi que les membres de leur famille sont souvent victimes d’actes de harcèlement, de pressions, de menaces, de privations de liberté, d’actes de torture ou de meurtres. Compte tenu du caractère inopérant des recours internes et de l’indisponibilité de fait de tels recours (en raison d’une peur généralisée des représailles auxquelles s’expose toute personne considérée comme liée à des prisonniers politiques), l’auteur estime qu’il devrait être dispensé d’épuiser les recours internes.

2.8En dépit de ce qui précède, l’auteur et sa famille ont contesté la légalité de la détention de M. Al-Rabassi par d’autres voies, non judiciaires. Ils ont ainsi soumis son cas au Groupe de travail sur la détention arbitraire, dont ils ont transmis l’avis par courrier au Président de la Fondation mondiale Kadhafi pour les associations caritatives, courrier qui est resté sans réponse. En 2005 et en 2006, ils ont pris contact à Bani Walid et au niveau national avec la «Direction du peuple», (organisations locales œuvrant dans le domaine de la protection sociale) pour solliciter de l’aide concernant la détention de M. Al-Rabassi, mais ces démarches n’ont rien donné.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a enfreint l’article 6 du Pacte en soumettant son frère à une détention non reconnue et au secret entre janvier et juin 2003. Ce dernier était totalement à la merci des agents de détention, ce qui lui a valu de subir de graves violences et a sérieusement mis en danger sa vie.

3.2L’auteur affirme également qu’en soumettant son frère à des disparations forcées, à la torture et à des traitements inhumains en détention, l’État partie a enfreint l’article 7 du Pacte. M. Al-Rabassi a été soumis à la disparition forcée à deux reprises: une première fois durant les six mois qui ont suivi son arrestation, où il a été privé de toute communication avec sa famille ou avec un avocat, ainsi que de tout contrôle judiciaire de sa détention; et une seconde fois, durant la période 2006‑2007, où on lui a interdit tout contact avec ses proches ou le monde extérieur. En outre, selon les témoignages d’anciens codétenus, M. Al‑Rabassi a été soumis à la torture, ce qui constitue également une violation de l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteur avance que son frère a aussi été victime de violations de l’article 9 du Pacte. Des agents de la sécurité intérieure ont arrêté M. Al-Rabassi sans aucun fondement légal, ni référence à une autorité judiciaire ou justification de leur action au regard de la loi. L’intéressé a ensuite été placé et maintenu en détention avant jugement bien plus longtemps que la durée maximale autorisée par la législation libyenne. Les articles 122 et 123 du Code libyen de procédure pénale disposent que cette durée est de quinze jours au plus et ne peut être portée à quarante-cinq jours que si le juge d’instruction l’estime nécessaire. La détention de plus de six mois dont a fait l’objet M. Al-Rabassi avant d’être inculpé et condamné était donc elle aussi illicite, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

3.4En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’il y a eu violation de cette disposition, car les agents qui ont procédé à l’arrestation de son frère ne lui ont présenté aucun mandat, ni ne lui ont précisé les raisons de son arrestation. M. Al-Rabassi n’a été informé officiellement des accusations portées contre luique six mois plus tard. En outre, le délai de défèrement de l’intéressé devant une autorité judiciaire à la suite de son arrestation ainsi que le fait qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable ou libéré constituent une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

3.5M. Al-Rabassi a été privé de la possibilité de contester la légalité de sa détention en justice et n’a pu communiquer ni avec un avocat, ni avec un membre de sa famille ou une autre personne, qui aurait pu engager en son nom une procédure judiciaire. Ces faits constituent une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

3.6Ayant été soumis à la torture ainsi qu’à des traitements cruels, inhumains et dégradants pendant sa détention en violation de l’article 7 du Pacte, M. Al-Rabassi n’a manifestement pas été traité avec humanité et avec le respect de sa dignité. Il y a donc également violation de l’article 10 du Pacte.

3.7L’État partie a violé le droit de M. Al-Rabassi à un procès équitable. Son procès s’est tenu devant une juridiction d’exception extérieure au système judiciaire ordinaire et ne se justifiait par aucun motif objectif et raisonnable, ce qui en soi constitue une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux. De plus, il n’y avait pas de séparation des pouvoirs en Libye, et les tribunaux étaient aux mains du colonel Kadhafi, qui pouvait se mêler des décisions de justice et les modifier ou même de siéger dans une juridiction d’appel. Ainsi que le démontrent clairement l’absence de démarcation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire dans le système judiciaire libyen et les ingérences politiques flagrantes dans les décisions de justice, le tribunal qui a jugé M. Al-Rabassi ne pouvait satisfaire à l’exigence d’indépendance que consacre le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Qui plus est, le procès s’est tenu à huis clos, et la famille de l’intéressé n’a pas été autorisée à y assister. En outre, selon l’auteur, le fait que son frère n’a pas pu se prévaloir de l’assistance d’un avocat constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

3.8L’auteur affirme que le droit de son frère à la reconnaissance de sa personnalité juridique, consacré par l’article 16 du Pacte, a été violé du faitdes disparitions forcées auxquelles il a été soumis.

3.9L’auteur évoque l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui indique que le courriel adressé par M. Al-Rabassi à l’Arab Times en juin 2002, dans lequel l’intéressé exprime apparemment une opinion critique sur le dirigeant politique suprême de la Libye, ne dépasse pas les limites de la liberté d’expression. M. Al-Rabassi ne fait que solliciter l’assistance du journal pour la publication d’un livre. L’auteur soutient donc que son frère a été privé de liberté du fait d’avoir exercé son droit à la liberté d’expression, ce qui constitue une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte. Il n’y a aucune justification des actes de l’État partie au titre du paragraphe 3 dudit article.

3.10L’auteur soutient également que sa famille et lui-même n’ont pas pu obtenir d’informations concernant le sort de leur proche et ont craint pour sa sécurité durant les périodes où il avait disparu, ce qui leur a causé une profonde souffrance affective et psychologique. L’État partie a donc également violé l’article 7 du Pacte.

3.11L’auteur affirme que son frère et lui-même sont victimes d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte dans la mesure où ils n’ont pu obtenir aucune réparation de l’État partie pour les violations mentionnées. De plus, durant les périodes où il a été soumis à la disparition forcée, M. Al-Rabassi s’est trouvé dans une position où il lui était de fait impossible d’exercer un quelconque recours contre la violation de ses droits. L’État partie non seulement n’a pas enquêté sur celle-ci, mais il a aussi continué de bafouer les droits de l’intéressé notamment en persistant à le priver arbitrairement de sa liberté, ce qui constitue également une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En outre, les violations qu’a subies M. Al-Rabassi se sont produites dans un contexte plus large de violations similaires auxquelles l’État partie n’a pas remédié, telles que les nombreuses disparitions forcées ainsi que les arrestations arbitraires, les détentions au secret et les longues détentions avant jugement dont des informations persistantes font état.

3.12Enfin, l’absence de protection des droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10, 14, 16 et 19 du Pacte constitue en soi une violation distincte desdits articles lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le 28 janvier 2009, le Comité a demandé à l’État partie de soumettre dans les six mois ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. En dépit des rappels envoyés les 16 octobre 2009, 24 août 2010 et 31 janvier 2011, les informations demandées n’ont pas été reçues. Le Comité regrette que l’État partie n’ait communiqué aucune information concernant la recevabilité et le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu à celles des allégations de l’auteur qui ont été dûment étayées.

Informations complémentaires communiquées par l’auteur

5.Le 10 avril 2014, l’auteur a informé le Comité que M. Al-Rabassi avait été libéré de prison le 8 mars 2010. Il n’avait pas d’autres informations à fournir et souhaitait que le Comité examine la présente communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité constate que dans l’avis no 27/2005, adopté le 30 août 2005, le Groupe de travail sur la détention arbitraire juge arbitraire la détention de M. Al-Rabassi. Il rappelle que le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif s’applique uniquement lorsque la même question que celle qui lui est soumise est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Groupe de travail ayant achevé l’examen de l’affaire avant que la présente communication ne soit soumise au Comité, celui-ci ne s’interrogera pas sur le point de savoir si l’examen d’un cas par le Groupe de travail sur la détention arbitraire constitue une procédure devant «une autre instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication au titre de cette disposition.

6.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité se déclare de nouveau préoccupé par le fait qu’alors qu’il lui a fait parvenir la communication, puis trois rappels, l’État partie ne lui a adressé aucune information ou observation sur la recevabilité ou le fond de la communication. Dans ces conditions, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est du grief de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte, le Comité considère que les informations limitées que contient le dossier ne lui permettent pas de conclure que l’arrestation de M. Al-Rabassi et sa condamnation subséquente sont liées au message qu’il a fait parvenir à l’Arab Times en 2002. Il estime par conséquent que ce grief est insuffisamment étayé et le déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses autres griefs concernant les violations des droits que tientM. Al-Rabassi du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 et de l’article 16 du Pacte, tout comme les griefs concernant la violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2 et de l’article 7. Il déclare donc la communication recevable et procède à l’examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la détention et la disparition forcée de son frère ainsi que son jugement subséquent par le Tribunal populaire et son incarcération à la Prison Abou Salim. Il constate aussi que l’État partie n’a pas communiqué d’observations sur ces allégations. Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.3Le Comité note que M. Al-Rabassi a été arrêté par des agents de la sécurité intérieure le 3 janvier 2003 et détenu dans un lieu tenu secret, sans possibilité de communication avec le monde extérieur pendant environ six mois. Il note également que lorsque l’intéressé exécutait sa peine à la prison Abou Salim, sa famille s’est vu refuser l’autorisation de lui rendre visite pendant près de deux ans, en 2006 et en 2007, période durant laquelle elle n’a pu avoir non plus aucun contact avec lui. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie deM. Al-Rabassi pendant les six mois qui ont suivi son placement en détention le 3 janvier 2003 et la période où il a été privé de contact avec sa famille lorsqu’il exécutait sa peine à la Prison Abou Salim. De plus, le Comité sait que dans des affaires dont il a été saisi précédemment, d’autres personnes détenues dans des circonstances semblables ont en fait été tuées ou ne sont jamais réapparues. En conséquence, il conclut que l’État partie a manqué à son devoir de protéger la vie de M. Al-Rabassi, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.4Le Comité est conscient du degré de souffrance qu’implique une détention sans aucun contact avec le monde extérieur. Il rappelle son Observation générale no 20 sur l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Il note qu’en l’espèce, M. Al-Rabassi a été arrêté le 3 janvier 2003, puis détenu au secret six mois durant dans un lieu tenu secret, sans possibilité de communiquer avec un avocat ni d’avoir de contacts avec sa famille ou quiconque du monde extérieur, et a été maintenu à l’isolement dans une cellule qu’il n’était pas autorisé à quitter. Le Comité note également qu’après qu’il a été condamné, les visites familiales à la prison Abou Salim où M. Al-Rabassi était incarcéré ont été suspendues pendant deux ans, période durant laquelle il n’a eu aucun contact avec le monde extérieur. L’État partie n’ayant apporté aucune information susceptible de contredire ces renseignements, le Comité conclut que les faits décrits constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs concernant la violation de l’article 10 en raison de ces mêmes faits.

7.5Pour ce qui est du grief de violation des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des informations communiquées par l’auteur, qui font état des faits suivants: M. Al-Rabassi a été emmené sans s’être vu présenter de mandat d’arrêt, ni avoir été informé des raisons de son arrestation; il a été détenu au secret pendant six mois, soit pendant une durée considérablement supérieure à la durée maximale de détention avant jugement autorisée par la législation libyenne; durant cette période, il n’a pas été en mesure de contester la légalité ou le caractère arbitraire de sa détention, et n’a pas eu accès à un avocat ou à un membre de sa famille qui aurait pu le faire en son nom. En l’absence de toute explication pertinente de l’État partie, le Comité estime que les faits décrits constituent une violation de l’article 9 du Pacte.

7.6En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 14, le Comité note ce qui suit: M. Al‑Rabassi a été condamné à un emprisonnement de quinze ans par une juridiction d’exception qui n’est pas indépendante du pouvoir exécutif; son procès s’est tenu à huis clos de sorte que pas même ses proches parents n’ont pu y assister; et il n’a pas pu se prévaloir de l’assistance d’un avocat. En l’absence de toute information de la part de l’État partie, le Comité conclut que le procès et la condamnation de M. Al-Rabassi, dans les conditions qui ont été décrites, font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 du Pacte.

7.7Pour ce qui est de l’article 16, le Comité réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer la négation de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris de nature juridictionnelle (par. 3 de l’article 2 du Pacte), sont systématiquement entravés. En l’espèce, l’auteur fait valoir que les autorités de l’État partie n’ont fourni aucune information à la famille de M. Al-Rabassi sur son sort ou sur le lieu où il se trouvait pendantde longues périodes, et que l’État partie entretenait à l’époque un climat de peur généralisée de représailles auxquelles s’exposait toute personne considérée comme liée à des prisonniers politiques. L’État partie n’a fourni aucune preuve réfutant ces allégations. Le Comité estime par conséquent que, durant les périodes où il a disparu, M. Al-Rabassi a été soustrait à la protection de la loi en violation de l’article 16 du Pacte.

7.8L’auteur invoque également le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait aux États parties obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits consacrés dans le Pacte. Le Comité réaffirme l’importance qu’il attache à la mise en place par l’État partie de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violation des droits en droit interne. Il renvoie à son Observation générale no 31, selon laquelle le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les informations dont dispose le Comité indiquent que M. Al-Rabassi n’a pas eu accès à un recours utile, en conséquence de quoi le Comité conclut à une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, les articles 7 et 9, les paragraphe 1 et 3 b) de l’article 14 et l’article 16.

7.9Le Comité note l’angoisse et la détresse que la détention au secret et la disparition de son frère ont causées à l’auteur. Rappelant sa jurisprudence, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte à son égard.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violationpar l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 9, des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 et de l’article 16, ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, les articles 7 et 9, les paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 et l’article 16 du Pacte, à l’égard de M. Al-Rabassi. Enfin, le Comité constate une violation de l’article 7, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Al-Rabassi un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur sa détention, sa disparition et son procès inéquitable; b) lui fournir des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; c) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et d) indemniser de manière appropriée l’auteur et M. Al-Rabassi pour les violations subies. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et ayant force exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.