Nations Unies

CCPR/C/112/D/1989/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 décembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1989/2010

Décision adoptée par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

E. V. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

29 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 septembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

30 octobre 2014

Objet:

Droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant; droit à un procès équitable

Question(s) de fond:

Traitement inhumain ou dégradant; procès équitable

Question(s) de procédure:

Défaut de coopération de l’État partie; épuisement des recours internes; fondement des griefs

Article(s) du Pacte:

10 (par. 1) et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 189/2010*,**

Présentée par:

E. V. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

29 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2014,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est E. V., de nationalité bélarussienne, né en 1987. Il se dit victime de violations par le Bélarus des droits qui lui sont reconnus par les articles 10 (par. 1) et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 25 mars 2008, vers 18 heures, l’auteur est passé près d’une manifestation pacifique qui se déroulait dans le centre de Minsk. La police a encerclé les manifestants et en arrêté plusieurs. L’auteur a lui aussi été arrêté. À 19 heures, il a été présenté au Département des affaires intérieures du district de Sovetsky où a été établi un procès‑verbal indiquant qu’il avait commis une infraction administrative (participation à un rassemblement non autorisé). Le 26 mars 2008, vers 17 heures, il a été transféré dans un centre de détention avant jugement. Ensuite, vers midi, il a été emmené au tribunal de district de Zavodskoy. L’audience a eu lieu le même jour, entre 13 h 45 et 14 h 10. Depuis sa mise en détention, le 25 mars 2008, jusqu’à sa libération le lendemain après l’audience vers 14 heures, l’auteur n’a reçu ni eau ni nourriture.

2.2Pendant le procès devant le tribunal du district de Zavodskoy, les deux policiers qui avaient arrêté l’auteur le 25 mars 2008 ont attesté l’avoir arrêté pendant la manifestation. D’après l’auteur, aucun des deux ne pouvait témoigner l’avoir effectivement vu participer à la manifestation, mais seulement attester qu’il leur avait été «remis» par d’autres policiers pour qu’ils l’emmènent au poste de police. Pourtant, le 26 mars 2008, le tribunal de district a reconnu l’auteur coupable d’infraction administrative au titre du paragraphe 1 de l’article 23.34 du Code des infractions administratives pour avoir participé à une manifestation collective non autorisée et l’a condamné à une amende de 700 000 roubles bélarussiens.

2.3L’auteur affirme qu’il a demandé au tribunal de district d’assurer la présence d’un représentant, car il était étudiant et n’avait pas les moyens d’en rémunérer un. Le tribunal a rejeté sa demande en invoquant l’article 4.3 du Code de procédure administrative et d’application des mesures administratives, indiquant que l’auteur n’entrait pas dans la catégorie des personnes dont la loi exigeait qu’elles soient représentées par un «représentant légal». L’auteur a également demandé au tribunal d’interroger un témoin précis mais sa demande a été rejetée au motif que le témoin en question était détenu pour la même infraction.

2.4Le 3 avril 2008, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district en date du 26 mars 2008 auprès du tribunal de Minsk, arguant que la décision du tribunal de district était illégale et faisant observer, entre autres choses, que la présence de son représentant n’avait pas été assurée pendant l’audience. Son appel a été rejeté le 15 avril 2008. Le tribunal de Minsk a considéré que la culpabilité de l’auteur avait été établie sur la base d’éléments de preuve et de témoignages. Il a aussi conclu que, selon l’article 4.3 du Code de procédure administrative et d’application des mesures administratives, l’auteur n’entrait pas dans la catégorie des personnes dont la loi exigeait qu’elles bénéficient des services d’un représentant légal, et a relevé que l’auteur n’avait pas demandé la présence de son représentant légal, à savoir un avocat, comme le prévoyait pourtant l’article 4.5 du Code. L’auteur explique qu’il n’a pas fait appel de cette décision dans le cadre de la procédure de contrôle parce qu’au Bélarus, ce contrôle est effectué par un seul agent qui n’examine même pas le dossier et que, par conséquent, cette procédure ne constitue pas un recours utile.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se dit victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte au motif qu’il a été arrêté puis détenu pendant dix‑neuf heures sans eau et sans nourriture.

3.2L’auteur se dit également victime d’une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, car le tribunal de première instance a refusé qu’il soit assisté d’un «représentant» et n’a pas voulu interroger un témoin précis qui aurait pu déposer en sa faveur.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie fait notamment part, en ce qui concerne la présente communication ainsi que d’autres dont le Comité est saisi, de sa préoccupation au sujet de l’enregistrement non justifié de communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui, estime-t-il, n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et, en particulier, n’ont pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il ajoute que la présente communication ainsi que d’autres ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’aucun motif de droit ne l’oblige à les prendre en considération et que toute décision prise par le Comité au sujet de ces communications sera considérée nulle et non avenue. L’État partie ajoute que les références, de ce point de vue, à la pratique établie du Comité n’ont pour lui aucun caractère contraignant.

4.2Par une lettre du 19 avril 2011, le Président du Comité a informé l’État partie, en particulier, qu’il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte que l’État partie doit fournir au Comité tous les renseignements qu’il détient. L’État partie a donc été prié de communiquer de nouvelles observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie a également été informé qu’en l’absence d’observations de sa part, le Comité examinerait la communication sur la base des informations dont il disposait.

4.3Dans une note verbale du 5 octobre 2011, l’État partie indique notamment, au sujet de la présente communication, qu’il estime qu’aucun motif de droit ne l’oblige à la prendre en considération vu qu’elle a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il maintient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il n’a pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur aux fins de la mise en œuvre de la procédure de contrôle.

4.4Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Il note, cependant, que cette compétence est reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs des communications et les critères de recevabilité, en particulier l’article 2 et l’article 5. Il affirme que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité, ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole, qui ne peut être valable que si elle est conforme à la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’État partie affirme qu’en ce qui concerne la procédure de plainte, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole. Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci, qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que toute décision prise par le Comité au sujet de communications ainsi rejetées sera considérée par ses autorités comme «non valide». L’État partie considère que la présente communication ainsi que d’autres dont le Comité est saisi ont été enregistrées en violation du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note des affirmations de l’État partie, à savoir qu’il n’existe pas de motif de droit justifiant l’examen de la communication présentée par l’auteur puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, que l’État partie n’est pas tenu d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui‑ci des dispositions du Protocole facultatif, et que toute décision adoptée par le Comité en l’espèce sera considérée par les autorités de l’État partie comme «non valide».

5.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait observer en outre que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre, en lui en donnant les moyens, d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il n’avait pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur aux fins de la mise en œuvre de la procédure de contrôle. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les procédures de contrôle juridictionnel de décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Quoi qu’il en soit, le Comité note néanmoins qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas soumis d’informations ou de documents tendant à démontrer qu’il s’est plaint au niveau interne des conditions prétendument inhumaines ou dégradantes dans lesquelles il a été détenu les 25 et 26 mars 2008 ni n’a donné d’indication sur l’issue de sa plainte. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute autre information dans le dossier, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.4Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés en ce qu’il a été reconnu coupable d’une infraction administrative et condamné à une amende en l’absence d’un représentant et que sa demande tendant à ce qu’un témoin précis soit interrogé a été rejetée par le tribunal, le Comité rappelle que le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial est garanti dans les procédures visant à décider soit du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé soit d’une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il rappelle également qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne. Toutefois, cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. À ce propos, le Comité note que la notion d’«accusation en matière pénale» a une signification autonome, indépendante des classifications utilisées par le système judiciaire des États parties, et doit être comprise au sens du Pacte. Laisser aux États parties la latitude de transférer aux autorités administratives la compétence pour rendre une décision concernant une infraction pénale, y compris pour imposer une sanction, en contournant ainsi l’obligation de garantir un procès équitable énoncée à l’article 14, pourrait aboutir à des résultats incompatibles avec l’objet et le but du Pacte.

6.5Le Comité doit donc déterminer si l’article 14 du Pacte est applicable dans la présente communication, c’est-à-dire si les sanctions imposées à l’auteur pour sa participation à une manifestation collective non autorisée le 25 mars 2008 se rapportent à «une accusation en matière pénale» au sens du Pacte. En ce qui concerne les conditions relatives à «la finalité et au caractère» des sanctions, le Comité note que, bien qu’elles soient administratives selon la législation de l’État partie, les sanctions prononcées contre l’auteur au titre de l’article 23.34 du Code des infractions administratives visaient à réprimer, par les peines infligées, les infractions qui lui avaient été imputées et à exercer un effet dissuasif sur autrui − objectifs analogues à la finalité générale du droit pénal. À ce sujet, le Comité note que l’article 23.34 du Code prévoit, parmi les sanctions, l’«arrestation administrative» (détention). Il note en outre que les règles de droit qui ont été enfreintes par l’auteur visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier − ce qui serait le cas par exemple d’un règlement disciplinaire − mais toute personne qui, en sa qualité de particulier, participe à une manifestation collective non autorisée. Ces règles prescrivent un certain type de comportement et rendent le non-respect de l’obligation qui en découle passible d’une sanction punitive. Par conséquent, le caractère général des règles et la finalité de la peine, qui est à la fois dissuasive et punitive, suffisent à montrer que l’infraction en question avait, au sens de l’article 14 du Pacte, un caractère pénal.

6.6En conséquence, le Comité conclut que la procédure qui a conduit à reconnaître l’auteur coupable d’une infraction administrative pour avoir participé à une manifestation collective non autorisée le 25 mars 2008 entre dans le champ de «la détermination du bien-fondé» d’une «accusation en matière pénale» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.7En ce qui concerne le fait que l’auteur n’ait pas pu bénéficier des services d’un représentant pendant la procédure administrative devant le tribunal de district de Zavodskoy malgré sa demande, le Comité observe que le tribunal a examiné sa demande et a conclu qu’en vertu de l’article 4.3 du Code de procédure administrative et d’application des mesures administratives, l’auteur n’appartenait pas à l’une des catégories de personnes dont les intérêts devaient être défendus par un «représentant légal», et relève que l’auteur n’avait pas demandé la participation de son représentant comme l’y autorisait la procédure établie à l’article 4.5 du Code. Par conséquent, et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable pour défaut de fondement au titre de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.8Pour ce qui est du dernier grief de l’auteur, relatif au refus prétendument injustifié du tribunal d’interroger un témoin précis, le Comité note que l’auteur n’a pas fourni d’autres explications quant à la pertinence du choix de ce témoin. En particulier, il n’a pas indiqué de quelle manière ce témoin aurait pu prendre sa défense, et ce qu’il aurait dit exactement, ni en quoi l’interrogatoire de ce témoin aurait pu influer sur les conclusions du tribunal concernant sa culpabilité. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief qu’il soulève au titre de l’article 14 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie, pour information.

Appendice

[Original: anglais]

Opinion individuelle conjointe de Yuval Shany, Dheerujlall B. Seetulsingh et Fabián Omar Salvioli

Nous estimons que la conclusion de la majorité du Comité déclarant la communication irrecevable eu égard au grief de l’auteur selon lequel il a été privé du droit d’obtenir la comparution d’un témoin à décharge est erronée, ce pour les raisons suivantes.

L’auteur a été arrêté le 25 mars 2008 et reconnu coupable le lendemain d’une infraction administrative (participation à une manifestation non autorisée), ce qui s’inscrit dans le cadre de la détermination d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 4, paragraphe 1, du Pacte. Il a affirmé pour sa défense qu’il n’avait pas participé à la manifestation, mais qu’il était simplement passé à proximité. Il a été empêché de convoquer un témoin qui aurait pu déposer en sa faveur. Le tribunal de première instance a expliqué la décision de ne pas autoriser l’auteur à appeler son témoin par le fait que celui‑ci était détenu pour la même infraction. Le tribunal de deuxième instance a expliqué qu’il n’était pas nécessaire d’inviter le témoin à comparaître, puisque la culpabilité de l’auteur avait été établie par les témoignages des deux policiers qui l’avaient arrêté (lesquels ne l’avaient pas effectivement vu participer à la manifestation) et par des éléments de preuve.

Conformément à l’article 14, paragraphe 3 e), du Pacte, chacun a le droit «d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge». Bien que ce droit ne soit pas absolu et ne vise que des témoins dont le témoignage est «pertinent pour la défense», rien dans le dossier ne donne à penser que les tribunaux de l’État partie ont rejeté la demande de l’auteur d’appeler un témoin précis parce que le témoignage de celui-ci n’aurait pas été pertinent. Au lieu de cela, les deux tribunaux ont expliqué leur décision par d’autres raisons − à savoir le fait que le témoin était détenu pour la même infraction et que des preuves solides existaient contre l’auteur − raisons qui ne sauraient être justifiées au regard du Pacte.

La majorité a fondé sa décision de rejeter la communication sur le fait que l’auteur n’a pas étayé son grief de violation de l’article 14, paragraphe 3 e), du Pacte, vu qu’il «n’a pas fourni d’autres explications quant à la pertinence du choix de ce témoin. En particulier, il n’a pas indiqué de quelle manière ce témoin aurait pu prendre sa défense, et ce qu’il aurait dit exactement, ni en quoi l’interrogatoire de ce témoin aurait pu influer sur les conclusions du tribunal concernant sa culpabilité.». Nous sommes en désaccord avec cette approche, puisque nous sommes d’avis que, sauf si un défendeur cherche à faire comparaître un témoin dont le choix n’est manifestement pas pertinent, c’est à l’État partie qu’il incombe d’invoquer des raisons valables pour empêcher la convocation des témoins à décharge. Cette exigence n’a pas été satisfaite en l’espèce. Au lieu de cela, les raisons mentionnées ci-dessus, que le tribunal de deuxième instance a invoquées pour justifier son rejet de la demande de l’auteur, suggèrent fortement que la décision n’était pas fondée sur le manque de pertinence, mais sur d’autres considérations.

Même si l’on devait accepter l’approche de la majorité selon laquelle c’est à l’auteur qu’il incombe au premier chef de prouver la pertinence du témoin qu’il a choisi pour sa défense, le Comité aurait pu user de la possibilité que lui confère l’article 86, paragraphe 1 e), de son règlement intérieur, à savoir demander à l’auteur de préciser les moyens de fait (quelle que soit la peine imposée pour l’infraction en cause). Nous considérons qu’une telle voie procédurale aurait été particulièrement justifiée, vu que l’auteur n’était pas représenté par un conseil dans la présente affaire.