Comité des droits de l ’ homme
Communication no 2037/2011
Décision adoptée par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)
Communication présentée par: |
M. R. R.(représenté par un conseil, José Luis MazónCosta) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
30 septembre 2005(date de la lettre initiale) |
Date de la décision: |
21 juillet 2014 |
Objet: |
Portée du réexamen d’une condamnation pénale dans une procédure en cassation |
Question(s) de fond: |
Droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure |
Question(s) de procédure: |
Grief insuffisamment étayé |
Article(s) du Pacte: |
14 (par. 5) |
Article(s) du Protocole facultatif: |
2 |
Décision concernant la recevabilité *
1.1L’auteur de la communication est M. R. R., de nationalité espagnole, né le 9 août 1964, qui affirme être victime d’une violation par l’Espagne de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Lorsqu’il a envoyé sa communication initiale, l’auteur exécutait une peine d’emprisonnement à la prison de Villena (Alicante). Il est représenté par un conseil.
1.2Le 8 avril 2011, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé que celui-ci pouvait se prononcer sur la recevabilité de la présente communication sans qu’il soit nécessaire que l’État partie présente ses observations.
Exposé des faits
2.1L’auteur était l’administrateur et l’un des propriétaires d’une entreprise du nom de Legumex S. L. À un moment donné, il a été accusé d’escroquerie au détriment d’une coopérative de production d’huile (Cooperativa del Campo Santa Agueda de Escatrón), Legumex S. L. n’ayant pas réglé des dettes contractées envers ses fournisseurs entre mars et mai 1996, pour un montant total de 11 517 480 pesetas.
2.2Le 20 février 2001, l’auteur a été reconnu coupable d’escroquerie par l’Audiencia Provincial de Saragosse. Il a été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, assortie d’une amende et de l’obligation de verser environ 218 750 euros à la coopérative à titre d’indemnisation.
2.3Le 31 mai 2001, l’auteur s’est pourvu en cassation. Il a fait valoir entre autres que le tribunal s’était fondé sur des témoignages qui se contredisaient sur les comptes et sur les faits. Il estimait aussi que les demandes qu’il avait formulées en vue de procéder à des contre-interrogatoires, de citer d’autres témoins et de produire d’autres éléments de preuve avaient été rejetées arbitrairement pendant la procédure. En conséquence, il n’avait pas pu démontrer qu’il n’était pas l’auteur des faits qui lui étaient reprochés.
2.4Le 28 avril 2003, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur. Dans son arrêt, il déclare avoir examiné chacune des allégations portées par l’auteur contre le jugement de l’Audiencia Provincial de Saragosse, y compris les contradictions qui auraient entaché les comptes et les faits considérés comme étant avérés par cette juridiction. Il rappelle que le droit de se défendre n’est pas un droit absolu attendu qu’un tribunal peut rejeter des éléments de preuve et récuser des témoins qu’il ne considère pas comme pertinents, utiles, nécessaires et possibles, et conclut qu’aucune pièce justificative soumise par l’auteur n’a été rejetée, et que si la comparution de certains témoins demandée par celui-ci a été jugée inutile, c’est parce que les faits avaient d’ores et déjà été attestés par d’autres moyens. S’agissant de l’appréciation des déclarations des témoins, le Tribunal suprême a jugé que l’évaluation de leur crédibilité dépendait en grande partie de l’impression que le tribunal de première instance en avait eue directement, aussi n’était-il pas possible, de manière générale, de réexaminer l’évaluation de leur crédibilité en appel. Il reste que la juridiction de cassation a bien examiné d’autres aspects des déclarations des témoins afin de déterminer si l’appréciation du tribunal de première instance avait été ou non arbitraire. Enfin, le Tribunal suprême a pris en considération les autres éléments de preuve soumis dans le cadre de la procédure, y compris les pièces justificatives, avant de parvenir à la conclusion que la participation de l’auteur au délit était avérée.
2.5L’auteur a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le 25 janvier 2005, celui-ci a déclaré la requête irrecevable. Dans sa décision, il prenait acte du jugement de l’Audiencia Provincial et de l’arrêt du Tribunal suprême, et concluait qu’il n’avait pas vocation à réévaluer ou réexaminer les éléments de preuve produits dans une procédure judiciaire.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas eu accès à une voie de recours utile lui permettant de contester la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation. Bien qu’il ait tenté de contester la crédibilité des témoins et des éléments de preuve sur la base desquels il a été jugé coupable par l’Audiencia Provincial de Saragosse, le Tribunal suprême a refusé d’apprécier à nouveau ces éléments de preuve et a déclaré en particulier qu’il ne pouvait réexaminer la crédibilité des témoins en appel. Il y a donc là une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui affirme que le Tribunal suprême, dans le cadre de la procédure de cassation, a refusé d’apprécier à nouveau les éléments de preuve qui avaient motivé sa condamnation, en violation du droit qui lui est reconnu au paragraphe 5 de l’article 14. Le Comité observe cependant que, dans son arrêt du 28 avril 2003, le Tribunal suprême a examiné tous les motifs de cassation soulevés par l’auteur, y compris le rejet de ses demandes de contre-interrogatoire et de comparution de nouveaux témoins. Le Tribunal suprême n’a pas limité son examen aux aspects formels du jugement de l’Audiencia Provincial. Au contraire, il a passé en revue tous les éléments de preuve produits pendant la procédure, qui avaient amené l’Audiencia Provincial à la conclusion que l’auteur était coupable du délit d’escroquerie. En conséquence, le Comité considère que le grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.