Nations Unies

CCPR/C/111/D/2003/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 octobre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2003/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Zilkija Selimović et consorts (représentés par un conseil, Track Impunity Always (TRIAL))

Au nom de:

Les auteurs et leurs proches disparus

État partie:

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication:

4 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décisions prises par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquées à l’État partie le 16 novembre 2010

Date des constatations:

17 juillet 2014

Objet:

Disparition forcée et recours utile

Question(s) de fond:

Droit à la vie; interdiction de la torture et des mauvais traitements; liberté et sécurité de la personne; droit d’être traité avec humanité et dignité; reconnaissance de la personnalité juridique; droit à un recours utile; droit de chaque enfant aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur

Question ( s ) de procédure:

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10, 16 et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 2003/2010 *

Présentée par:

Zilkija Selimović et consorts (représentés par un conseil, Track Impunity Always (TRIAL))

Au nom de:

Les auteurs et leurs proches disparus

État partie:

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication:

4 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2003/2010 présentée par Zilkija Selimović et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication, datée du 4 mai 2010, sont 25 proches de Rasim Selimović, Mensud Durić, Safet Hodžić, Himzo Hadžić, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Emin Jelećković, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Esad Fejzović et Đemo Šehić, 12 nationaux de Bosnie-Herzégovine qui ont été détenus le 4 mai 1992 et ont ensuite disparu. Les auteurs présentent leur communication en leur nom et au nom de leurs proches disparus. Ils affirment que la Bosnie-Herzégovine a violé les droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 9, 10 et 16, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Neuf des auteurs, qui étaient mineurs au moment de l’arrestation et de la disparition de leurs proches, affirment que l’État partie a violé leur droit, en tant que mineurs, à une protection spéciale jusqu’à ce qu’ils atteignent la majorité. Ils font donc valoir une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 24. Les auteurs sont représentés par Track Impunity Always (TRIAL).

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les événements ont eu lieu pendant le conflit armé qui a marqué l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Le 4 mai 1992, les victimes et leur famille ont été arbitrairement privés de liberté à Svrake, avec la plupart des habitants de ce village (environ 850 personnes), par des membres de l’armée de la Republika Srpska (Vojska Republike Srpske (VRS)). Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić avaient tous été enrôlés dans l’armée depuis le début du conflit. Toutefois, au moment des événements, ils étaient tous chez eux avec leur famille respective et ne prenaient part à aucune opération militaire. Ils ont été emmenés par des membres de la VRS puis transférés dans un camp de concentration appelé «Kasarna JNA», à Semizovac, où se trouvaient les baraquements de l’Armée nationale yougoslave (Jugoslavenska Narodna Armija(JNA)). Les survivants à ces événements ont reconnu d’anciens voisins parmi les soldats.

2.2Le 14 mai 1992, des hommes âgés et les femmes et les enfants, dont certains des auteurs, ont été autorisés à quitter le camp avec l’aide de la Croix-Rouge locale de la ville de Visoko. Certains ont pu rentrer chez eux et le 23 mai 1992, ils ont été transportés à Visoko, qui était sous le contrôle de l’armée bosnienne.

2.3Pendant ce temps, les hommes du village étaient emmenés au camp de concentration appelé «Nakina Garaža». Après avoir passé vingt et un jours dans ce camp, Rasim Selimović, Safet Hodžić, Himzo Hadžić, Abdulah Jelašković, Idriz Alić, Emin Jelećković, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Esad Fejzović et Đemo Šehić ont été relâchés et autorisés à rentrer chez eux à condition de se présenter deux fois par jour à des membres de la VRS. Au bout de trois jours, ils ont été priés de se présenter trois fois par jour au camp de concentration «Planjina Kuća», situé à Svrake, où ils étaient également contraints de dormir. Selon les survivants, les hommes devaient accomplir des travaux forcés − reconstruire leurs maisons pour que d’autres les utilisent, creuser des tranchées, travailler dans une usine voisine, etc. − et ils étaient battus et torturés. Des témoins oculaires ont rapporté que le 16 juin 1992, Mensud Durić, Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Idriz Alić, Hakija Kanđer et Emin Jelećković ont été emmenés avec d’autres prisonniers (12 personnes au total) vers une destination inconnue par un membre de la VRS, Dragan Damjanović. C’est la dernière fois qu’ils ont été vus. Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Hasan Abaz et Esad Fejzović ont été vus pour la dernière fois dans le même camp de concentration le 18 juin 1992, jour où ils ont eux aussi été emmenés dans un camion, avec un groupe d’autres prisonniers, par des soldats de l’armée de la Republika Srpska. Đemo Šehić était présent lorsque le premier groupe d’hommes a été emmené, le 16 juin 1992, vers une destination inconnue. Il a immédiatement pris la décision de s’enfuir vers le village de Paljevo, qui était sous le contrôle de la JNA. Sa famille pense qu’il a été capturé et arbitrairement exécuté par des membres de la JNA, mais ses restes n’ont jamais été localisés et on ignore toujours quel a été son sort et où il se trouve. Sinan Salkić a été relâché le 14 mai 1992, à condition de se présenter trois fois par jour à Planjina Kuća. Un garde du camp nommé Z. L. a informé l’auteur Nijaz Salkić de ce qu’il avait entendu dire au sujet de la mort de son père: trois ou quatre hommes armés s’étaient présentés au domicile de Sinan Salkić le 10 juin 1992, l’avaient arrêté sans lui dire de quoi il était accusé puis l’avaient exécuté arbitrairement sur le pont à l’entrée du village de Svrake et avaient jeté son corps dans la Bosna. Sa dépouille n’a jamais été retrouvée.

2.4Le conflit armé a pris fin en décembre 1995 avec l’entrée en vigueur de l’Accord‑cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (Accord de Dayton).

2.5Plus de dix-huit ans après la disparition des 12 victimes, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie, indépendante et efficace n’a été menée d’office par les autorités de l’État. Alors que des éléments mettaient en cause les responsables de l’interpellation et de la disparition forcée des victimes, personne n’a été convoqué, mis en accusation ni condamné pour ces crimes, ce qui favorise la persistance d’un climat d’impunité.

2.6En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs indiquent que bien que des groupes familiaux entiers aient été touchés par la disparition de ceux qui leur étaient chers, chaque famille a décidé qu’une seule personne (généralement la conjointe ou la mère du disparu et, dans d’autres cas, les fils ou les filles) représenterait officiellement la famille devant les autorités locales afin d’éviter les confusions ou les démarches redondantes.

2.7Conformément à la loi fédérale relative à la procédure administrative, les proches de personnes disparues devaient obtenir, à l’issue d’une procédure non contentieuse, une décision des tribunaux locaux déclarant que les intéressés étaient décédés. En outre, l’article 21 de la loi relative aux droits des soldats démobilisés et des membres de leur famille disposait que «les droits visés au paragraphe 1 du présent article pourront également être invoqués par les membres de la famille du demandeur disparu jusqu’à ce qu’il soit déclaré décédé mais pas au-delà d’un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi si, pendant cette période, ils n’engagent pas une procédure pour que le demandeur disparu soit déclaré décédé». Bien qu’une telle procédure aggrave encore leur détresse, Zilkija Selimović, Mejra Durić, Nada Hadžić, Rabija Hodžić, Nijaz Salkić, Aiša Jelečović (épouse de Emin Jelečović), Servedina Abaz, Emina Kanđer, Mediha Alić, Habiba Fejzović et Ajnija Šehić ont déclaré le décès de leurs proches respectifs, car c’était le seul moyen pour eux d’améliorer une situation matérielle particulièrement difficile. Les décisions correspondantes du tribunal municipal de Sarajevo ont été rendues entre 1993 et septembre 2005, et ces 11 auteurs ont obtenu une pension mensuelle. Cette pension étant une forme de prestation sociale, elle ne saurait être considérée comme une mesure de réparation appropriée pour les violations subies. Admir Selimović, Aida Abađija, Munevera Zahirović, Suljo Durić, Muhamed Hadžić, Nijaz Salkić, Halida Podžić, Nermin Kanđer et Amra Alić ne bénéficient même pas de cette prestation sociale et n’ont reçu aucune indemnisation pour le préjudice subi.

2.8Le 16 août 2005, les auteurs et d’autres membres de l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća ont signalé l’«enlèvement» de 98 personnes, dont leurs proches disparus, au poste de police no 5 de Vogošća. Le 9 septembre 2005, ils ont porté plainte auprès du procureur du canton de Sarajevo contre des membres non identifiés des forces de la VRS pour la disparition de leurs proches. Ils n’ont reçu aucune réponse. Les 12 victimes sont enregistrées comme personnes disparues dans la base de données de la Commission d’État pour la recherche des personnes disparues et dans la base de données du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

2.9Entre septembre et octobre 2005, les auteurs ont soumis à la Commission des droits de l’homme de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine des requêtes dans lesquelles ils faisaient état d’une violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et du paragraphe 3 b) et f) de l’article II de la Constitution de Bosnie-Herzégovine. La Cour a décidé de joindre toutes ces requêtes à celles d’autres membres de l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća et de les traiter comme une requête collective. Le 23 février 2006, elle a adopté une décision concluant que, dans cette requête collective, les requérants étaient dispensés de l’obligation d’épuiser les recours internes devant les tribunaux ordinaires étant donné qu’ucune institution spécialisée dans les disparitions forcées en Bosnie-Herzégovine ne semblait fonctionner de manière efficace. Elle a en outre conclu à une violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme compte tenu de l’absence d’informations sur le sort des proches disparus des requérants. Elle a ordonné aux autorités compétentes de Bosnie-Herzégovine de donner «toutes les informations accessibles et disponibles sur les membres des familles des requérants qui ont été portés disparus pendant la guerre, […] d’urgence et sans délai et au plus tard trente jours à compter de la réception de la décision». elle a également ordonné aux parties visées à l’article 15 de la loi relative aux personnes disparues d’assurer le fonctionnement opérationnel des institutions créées en vertu de ladite loi, à savoir l’Institut des personnes disparues, le Fonds de soutien aux familles de personnes disparues en Bosnie-Herzégovine et le Registre central des personnes disparues en Bosnie-Herzégovine, immédiatement et sans délai et sous trente jours au plus tard; les autorités compétentes ont été priées de fournir à la Cour, dans un délai de six mois, des informations sur les mesures prises pour donner effet à la décision de la Cour.

2.10La Cour constitutionnelle n’a pas adopté de décision sur la question de l’indemnisation, considérant que celle-ci était couverte par les dispositions de la loi relative aux personnes disparues concernant le «soutien financier» et par la mise en place du Fonds de soutien aux familles de personnes disparues. Les auteurs font valoir que les dispositions concernant le soutien financier mentionnées par la Cour n’ont pas été appliquées et que le Fonds n’a toujours pas été créé.

2.11En juillet et août 2006, certains des requérants (Aida Abađija, Zilkija Selimović, Aiša Jelečović, Servedina Abaz, Mediha Alić, Habiba Fejzović) ont reçu une lettre type du Bureau de recherche des personnes disparues du Gouvernement de la Republika Srpska, les informant que leurs proches avaient été inscrits sur le registre des personnes disparues du CICR. Cette lettre type a été la dernière reçue dans le contexte de l’application de la décision de la Cour constitutionnelle. Aucun des autres auteurs n’a reçu la moindre lettre du Bureau. Aucune information pertinente sur le sort des proches des auteurs et l’endroit où ils se trouvent n’a été donnée à la Cour constitutionnelle ni aux auteurs avant l’expiration du délai fixé par la Cour dans sa décision du 16 juillet 2007 (voir note 14).

2.12Le 18 novembre 2006, la Cour constitutionnelle a constaté que sa décision du 23 février 2006 n’avait pas été entièrement exécutée. Si la Republika Srpska avait communiqué toutes les informations en sa possession, la Fédération de Bosnie-Herzégovine, l’État et le district de Brčko ne l’avaient pas fait. En outre, l’Institut des personnes disparues, le Registre central des personnes disparues et le Fonds de soutien aux familles de personnes disparues n’étaient pas encore opérationnels. La décision a été notifiée aux auteurs le 18 décembre 2006 et, étant donné que la non-exécution des décisions de la Cour constitutionnelle constitue une infraction pénale, elle a été soumise au Procureur d’État. À la connaissance des auteurs, le Bureau du Procureur n’a pris aucune mesure pertinente pour engager des poursuites pénales contre ceux qui n’avaient pas appliqué la décision de la Cour constitutionnelle. L’arrêt de la Cour étant définitif et exécutoire, les auteurs ont épuisé tous les recours utiles.

2.13Dans le contexte de la procédure en cours, nombre des auteurs ont également rempli des questionnaires ante mortem et fourni des échantillons de leur ADN au CICR, à la Société de la Croix-Rouge de Bosnie-Herzégovine et à la Croix-Rouge de la Fédération de Bosnie-Herzégovine afin de faciliter l’identification des restes exhumés par des experts légistes locaux. À ce jour, aucun des auteurs n’a reçu d’information en retour sur cette initiative. Aucun des auteurs ne sait avec certitude quel a été le sort de ses proches ni où ils se trouvent et aucun n’a pu procéder à l’enterrement des dépouilles mortelles de ses proches conformément à ses croyances et à ses coutumes.

2.14Le 15 décembre 2006, la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine a condamné M. Dragan Damjanović à vingt ans de prison pour crimes contre l’humanité. D’après l’acte d’accusation, M. Damjanović était allé plusieurs fois au camp de Planjina Kuća et, avec l’aide de gardiens du camp, il avait utilisé un grand nombre de prisonniers comme boucliers humains, ce qui avait entraîné des blessures graves et même la mort de quelques-uns. Il n’a cependant été ni cité à comparaître ni condamné pour les actes de torture et la disparition forcée subis par les proches disparus des auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs déclarent que, bien que les événements se soient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, les disparitions forcées de personnes sont en elles-mêmes une violation continue de plusieurs droits de l’homme. Ils mentionnent: a) l’absence d’information sur les causes et les circonstances de la disparition de leurs proches; b) le fait que les autorités de Bosnie-Herzégovine n’ont pas procédé d’office à une enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante sur l’arrestation arbitraire et la disparition forcée de leurs proches; c) le fait que les autorités n’ont pas identifié, poursuivi et puni les responsables; d) le fait que les autorités n’ont pas offert de recours utile aux familles respectives des disparus. Ils font valoir que ces violations de leurs droits continuent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif et constituent une violation des articles 6, 7, 9, 10 et 16 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2Les auteurs estiment que la responsabilité de faire la lumière sur le sort de leurs proches disparus incombe à l’État partie. Ils renvoient à un rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires selon lequel l’exécution des tâches nécessaires pour prouver les décès, à savoir l’exhumation des fosses communes et l’identification de toutes les dépouilles mortelles, incombe au premier chef aux autorités sous la juridiction desquelles se trouve l’emplacement d’une fosse commune présumée. Les auteurs ajoutent que l’État partie a l’obligation de mener une enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante sur les violations flagrantes des droits de l’homme, comme les disparitions forcées, la torture ou les exécutions arbitraires. En général, l’obligation d’enquêter s’applique également dans les cas d’homicide ou d’autres actes portant atteinte à l’exercice des droits de l’homme qui ne sont pas imputables à l’État. Dans de tels cas, l’obligation d’enquêter découle du devoir de l’État de protéger toutes les personnes relevant de sa juridiction contre les actes commis par des personnes privées ou groupes de personnes, qui entraveraient l’exercice des droits de l’homme qui leur sont reconnus. Dans le cas d’espèce, bien que les auteurs ou leur famille aient porté plainte rapidement auprès des autorités locales et de la Croix-Rouge, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie, indépendante et efficace n’a été menée d’office pour localiser Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić ni pour faire la lumière sur leur sort et le lieu où ils se trouvent. Bien qu’il existe de solides éléments de preuve et des témoignages concordants quant à l’identité des responsables de la privation arbitraire de liberté, des sévices, des travaux forcés et de la disparition forcée ou de l’exécution arbitraire dont ont été victimes les 12 hommes, à ce jour personne n’a été cité à comparaître, ni mis en accusation, jugé ou condamné pour les crimes visés.

3.3En ce qui concerne l’article 6, les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité, qui a indiqué que c’est aux États parties qu’il incombe au premier chef de prendre des mesures appropriées pour protéger la vie d’une personne. Dans les cas de disparition forcée, l’État partie a l’obligation d’enquêter et de traduire les responsables en justice. En ne le faisant pas, il continue de violer le droit des victimes à la vie, ce qui est contraire à l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En l’espèce, les 12 victimes ont été détenues illégalement et sont portées disparues depuis le 10 juin 1992 (Sinan Salkić), le 16 juin 1992 (Mensud Durić, Safet Hodžić, Himzo Hadžić, Hakija Kanđer, Idriz Alić, Emin Jelečković et Đemo Šehić) et le 18 juin 1992 (Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Hasan Abaz et Esad Fejzović). Bien que l’on ait des raisons de penser qu’ils ont tous été arbitrairement exécutés, leurs dépouilles mortelles n’ont toujours pas été localisées, exhumées, identifiées et rendues aux familles. Les autorités nationales et les organismes internationaux tels que le CICR considèrent que les 12 hommes sont des «personnes disparues»: les autorités de l’État restent donc soumises à l’obligation de rechercher les personnes disparues et de les identifier, ainsi que d’élucider les circonstances et la cause de leur décès et de remettre leurs dépouilles mortelles aux familles.

3.4Les auteurs affirment en outre que leurs proches disparus ont été détenus illégalement par des membres de la VRS, dans trois camps de concentration différents, sans communication avec le monde extérieur, et qu’ils ont été soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants, notamment le travail forcé. Leur disparition forcée constitue en soi une forme de torture, laquelle n’a fait l’objet d’aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante menée d’office par l’État partie en vue d’identifier les responsables, de les poursuivre, de les juger et de les punir. En conséquence, les auteurs considèrent que cela constitue une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Ils rappellent en outre la jurisprudence du Comité, qui a reconnu que la disparition forcée constitue en elle-même une violation de l’article 10 du Pacte. Étant donné que la torture et les traitements inhumains et dégradants subis par les victimes en détention n’ont jamais fait l’objet d’une enquête, les auteurs considèrent que l’État partie a également violé l’article 10 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.5Les victimes ont été arrêtées sans mandat le 4 mai 1992 par des membres de la VRS; leur détention n’a été consignée dans aucun registre officiel et aucune action n’a été engagée devant un tribunal pour en contester la légalité. Étant donné qu’aucune explication n’a été donnée et que rien n’a été fait pour élucider le sort des victimes, les auteurs considèrent que l’État partie a violé l’article 9 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.6Les auteurs renvoient en outre à la jurisprudence du Comité, qui a indiqué que la disparition forcée peut constituer un refus de reconnaître la personnalité juridique de la victime si celle-ci était entre les mains des autorités de l’État lorsqu’elle a été vue pour la dernière fois et si les efforts faits par ses proches pour avoir accès à des recours utiles se sont systématiquement heurtés à des refus. En l’espèce, 11 des victimes, lorsqu’elles ont été vues pour la dernière fois, étaient entre les mains de membres de la VRS tandis que Đemo Šehić a été vu pour la dernière fois dans une zone sous le contrôle de la JNA. Les efforts inlassables déployés par les auteurs pour faire la lumière sur le sort de leurs proches ont été entravés depuis que ceux-ci ont disparu. L’État partie serait donc également responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.7Les auteurs affirment en outre être eux-mêmes victimes d’une violation par la Bosnie-Herzégovine de l’article 7 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en raison de la grave détresse morale et de l’angoisse profonde causées par: a) la disparition de leurs proches; b) l’obligation de facto qui leur est faite de déclarer leur décès pour avoir droit à une pension; c) l’incertitude persistante concernant le sort des disparus et l’endroit où ils se trouvent; d) l’absence d’enquête et d’accès à un recours utile; e) le peu d’attention portée à leur affaire comme en témoigne, par exemple, l’utilisation de lettres types pour répondre à leurs demandes d’informations concernant le sort de leurs êtres chers et l’endroit où ils se trouvent; f) l’inexécution de diverses dispositions de la loi relative aux personnes disparues, notamment celles concernant la création du Fonds de soutien aux familles des personnes disparues; g) l’inexécution par l’État partie de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Les auteurs considèrent par conséquent avoir été victimes d’une violation distincte de l’article 7 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.8Enfin, neuf des auteurs, Mirza Hadžić, Muhamed Hadžić, Amra Alić, Samra Alić, Jasmin Abaz, Eldijana Džogić, Nermin Kanđer, Eldina Kanđer et Berina Šehić, ajoutent qu’ils étaient mineurs quand ils ont été détenus et maltraités et ont assisté à la disparition forcée de leurs proches. Le fait de ne pas connaître la vérité sur le sort des victimes les laisse en proie à une angoisse constante. Ils n’ont jamais reçu d’indemnisation pour le préjudice subi du fait de la disparition de leurs proches. Ils font valoir par conséquent que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et du même article, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, puisqu’ils étaient mineurs et devaient à ce titre bénéficier d’une protection spéciale, jusqu’au 17 janvier 2010, 15 décembre 2001, 26 janvier 2003, 24 avril 2005, 3 février 2003, 24 avril 2000, 24 février 2002, 16 juillet 2003 et 23 mai 2005, respectivement.

Observations de l’État partie

4.1L’État partie a soumis ses observations le 27 avril 2011. Il renvoie au cadre juridique mis en place après la guerre, en décembre 1995, en vue de poursuivre les auteurs de crimes de guerre. Il fait savoir au Comité qu’il a adopté, en décembre 2008, une stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre dans le but de juger les auteurs des crimes de guerre les plus complexes dans un délai de sept ans et les auteurs des «autres crimes de guerre» dans un délai de quinze ans à compter de l’adoption de la stratégie. Il fait en outre référence à l’adoption de la loi relative aux personnes disparues portant création de l’Institut des personnes disparues et rappelle que près de 32 000 personnes ont été portées disparues pendant la guerre et que les restes de 23 000 personnes, dont 21 000 ont été identifiées, ont été retrouvés.

4.2Dans ses observations, l’État partie fait valoir qu’un bureau régional a été créé à Istočno Sarajevo, et qu’un bureau extérieur et des unités ont été mis en place à Sarajevo. L’État partie considère que ces initiatives créent les conditions propices à des recherches plus rapides et plus efficaces concernant les personnes disparues sur le territoire de Sarajevo. Les enquêteurs se rendent chaque jour sur le terrain pour recueillir des informations sur d’éventuelles fosses communes et pour prendre contact avec des témoins. L’État partie indique en outre que les corps de Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić pourraient se trouver dans la région de Vogošća ou dans un secteur de la municipalité de Centar Sarajevo (Nahorevska Brda). Il note que, de 1996 à ce jour, les corps de 135 victimes ont été trouvés et exhumés, et que 120 personnes disparues ont été identifiées. Il garantit que l’Institut des personnes disparues continuera, avec le soutien des autorités compétentes, de prendre toutes les mesures nécessaires pour trouver plus rapidement les personnes disparues et pour faire la lumière sur le sort des 12 hommes portés disparus à Svrake, dans la commune de Vogošća.

4.3L’État partie transmet également un rapport du maire de la commune de Vogošća, dans lequel celui-ci fait savoir qu’un mémorial a été construit en hommage aux victimes de disparitions forcées, que le jour de leur disparition est commémoré chaque année et que les autorités municipales n’épargnent aucun effort pour contribuer aux recherches des personnes disparues.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie le 30 mai 2011. Ils renvoient à l’Observation générale no 9 (2010) du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires sur la disparition forcée en tant que crime continu (A/HRC/16/48, par. 39). Ils estiment que les observations de l’État partie corroborent le fait que les 12 victimes restent enregistrées en tant que personnes «dont on est sans nouvelles» et indiquent qu’aucune information n’a pu être trouvée au moyen de l’outil de recherche en ligne créé par la Commission internationale des personnes disparues. La procédure de recherche reste donc ouverte sous la responsabilité des autorités de l’État partie.

5.2Les auteurs considèrent que les observations de l’État partie ne remettent pas en cause leurs allégations et que celui-ci ne mentionne aucune enquête en cours visant à déterminer les responsables, ni les éventuelles mesures prises pour élucider le sort des 12 victimes et les localiser. Ils font savoir qu’à ce jour aucun d’entre eux et aucun des témoins des différentes affaires n’a été joint par le bureau régional d’Istočno Sarajevo ou le bureau extérieur de Sarajevo auxquels l’État partie a fait référence, alors qu’ils ont indiqué être en mesure de fournir à ces autorités des informations qui pourraient permettre de localiser Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić.

5.3Les auteurs affirment que six ans après leur plainte initiale à la police pour l’enlèvement de 98 personnes, ils n’avaient toujours pas reçu de réponse à la question de savoir si une enquête était en cours et si leur affaire avait été enregistrée sous un numéro spécifique. En conséquence, Mme Ema Čekić, en sa qualité de Présidente de l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća, a adressé une lettre à l’Institut des personnes disparues pour s’enquérir de l’état de l’enquête correspondante. Elle a reçu le 29 avril 2011 une réponse du Bureau du procureur du canton, indiquant qu’après les vérifications nécessaires des poursuites avaient été engagées contre Drago Radosavljevićet d’autres personnes pour crimes de guerre contre la population civile, conformément à l’article 142 du Code pénal de la République socialiste fédérale de Yougoslavie. Le 1er mars 2011, un procureur a été chargé de l’affaire. Tout en accueillant cette nouvelle avec satisfaction, les auteurs notent avec préoccupation que le procureur a l’intention d’engager des poursuites sur le fondement du Code pénal de la République socialiste fédérale de Yougoslavie et non du Code pénal de 2003 de la Bosnie-Herzégovine. Ils relèvent que l’État partie n’a pas signalé cet élément important dans ses observations sur la recevabilité et le fond et qu’ils ont dû s’adresser directement aux autorités pour pouvoir en être informés.

5.4En outre, les auteurs affirment que le fait que les autorités de l’État partie doivent encore enquêter sur un grand nombre de crimes de guerre ne les dispense pas de l’obligation qui leur incombe de mener des enquêtes diligentes, impartiales, indépendantes et approfondies sur les violations graves des droits de l’homme et d’informer régulièrement les proches des victimes des progrès enregistrés ainsi que des résultats obtenus dans le cadre de ces enquêtes. Depuis 1992, la disparition forcée de Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić a été signalée auprès de différentes autorités, y compris la police de Vogošća. Pourtant, personne n’a pris contact avec les auteurs, qui n’ont pas non plus reçu de réponse des autorités compétentes.

5.5Les auteurs estiment que l’application de la Stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre laisse à désirer et que l’État partie ne peut opposer l’existence de cette stratégie aux plaintes concernant l’absence d’information sur les progrès faits et les résultats obtenus dans le cadre des enquêtes ni s’en prévaloir pour justifier l’inaction des autorités compétentes. Ils affirment également que l’adoption d’une stratégie de justice transitionnelle ne saurait remplacer l’accès à la justice et à la réparation pour les victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et leurs proches.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 12 septembre 2011, l’État partie a soumis au Comité les réponses complémentaires de différentes autorités, répétant les informations communiquées et mettant l’accent sur les efforts déployés pour élucider le sort de toutes les personnes disparues et localiser celles-ci. Il a aussi indiqué qu’aucun fait nouveau pertinent n’avait été découvert au sujet de Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić et qu’il n’y avait aucun élément de preuve concernant les circonstances de leur mort ou de leur disparition.

6.2En réponse à l’affirmation des auteurs qui disent n’avoir reçu aucune information sur l’état d’avancement de l’affaire concernant les 12 victimes, l’État partie indique que la base de données centrale recensant toutes les affaires pendantes de crimes de guerre prévue par la Stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre est désormais opérationnelle. Il mentionne les poursuites engagées contre Drago Radosavljević et 10 autres suspects pour crimes de guerre contre des civils en vertu de l’articles 142 du Code pénal de la République socialiste fédérale de Yougoslavie. Il indique qu’«en septembre, le Bureau du Procureur rendra une ordonnance demandant au service chargé des crimes de guerre, au Ministère fédéral des affaires intérieures, de recueillir les informations et les éléments de preuve dans cette affaire, c’est-à-dire de procéder à l’audition des témoins [et] des membres de la famille des personnes disparues pour qu’ils disent ce qu’ils savent sur l’enlèvement illégal et la disparition de civils de la commune de Vogošća».

Commentaires complémentaires des auteurs

7.1Le 14 octobre 2011, les auteurs ont envoyé des commentaires portant sur les observations communiquées par l’État partie le 12 septembre 2011. Ils estiment que le seul élément d’information nouveau contenu dans cette réponse complémentaire est la mention de l’ordonnance que le Bureau du Procureur devait rendre en septembre pour demander au Ministère des affaires intérieures de recueillir les informations et les éléments de preuve dans l’affaire de l’enlèvement illégal et de la disparition de civils à Vogošća. Ils insistent sur le fait qu’ils sont disposés et prêts à témoigner devant le Service chargé des crimes de guerre et qu’ils désirent être tenus informés de la procédure.

7.2Les auteurs indiquent en outre que, le 11 octobre 2011, l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća a envoyé une lettre au Bureau du procureur du canton pour demander si l’ordonnance mentionnée ci-dessus avait été rendue et, dans l’affirmative, quelles activités avaient été menées. Dans cette lettre, l’Association réaffirmait aussi qu’il était de la plus haute importance que l’affaire soit traitée conformément au Code pénal de 2003 et non au Code pénal de la République socialiste fédérale de Yougoslavie, lequel ne prévoyait pas les crimes contre l’humanité ni le crime de disparition forcée. À cet égard, les auteurs se réfèrent au Rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires concernant sa mission en Bosnie-Herzégovine, dans lequel le Groupe de travail souligne que la disparition forcée étant une infraction continue, elle peut être punie sur la base d’une législation ex post sans violer le principe de non-rétroactivité, dès lors que la lumière n’a pas été faite sur le sort de la personne disparue ou l’endroit où elle se trouve (A/HRC/16/48/Add.1, par. 56).

7.3Le 15 juillet 2013, les auteurs ont soumis des informations actualisées concernant l’affaire. Ils ont indiqué au Comité que l’une des auteurs, Mme Mejra Durić, était décédée le 26 octobre 2011 sans avoir jamais appris la vérité sur le sort de son fils, Mensud Durić, ni où il se trouvait. Ils affirment en outre que l’arrêt rendu le 15 décembre 2006 par la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine ne saurait être considéré comme un verdict applicable à la disparition forcée de leurs proches étant donné que Dragan Damjanović a été accusé et condamné pour des crimes commis contre d’autres personnes.

7.4Les auteurs se disent satisfaits de la procédure engagée devant la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine contre Branko Vlačo, accusé de crimes contre l’humanité commis entre mai et octobre 1992, notamment dans les camps de Planjina Kuća et Nakina Garaža. Certains auteurs de la communication ont été appelés à témoigner devant le Bureau du Procureur. Toutefois, les auteurs estiment que cette procédure n’est pas suffisante pour affirmer que l’État partie s’acquitte de ses obligations internationales, étant donné que: a) les auteurs n’ont pas été officiellement avisés et ne savent donc pas avec certitude si Branko Vlačo a été inculpé pour la torture et la disparition forcée de leurs proches; b) d’autres personnes responsables des crimes commis contre leurs proches sont toujours libres et n’ont jamais été inculpées; c) on ne peut considérer que la procédure en question ait été diligente, approfondie, efficace et conforme aux normes établies par la jurisprudence internationale correspondante. Les auteurs rappellent qu’à ce jour personne n’a été condamné pour les crimes commis contre leurs proches et que la probabilité diminue que des éléments de preuve concernant ces crimes puissent être réunis. Ils réaffirment tous les griefs soumis au Comité depuis leur communication initiale, à la lumière de la jurisprudence récente du Comité.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.1Le 31 octobre 2013, l’État partie a donné de plus amples informations sur les enquêtes pénales en cours. Il précise que le Bureau du Procureur (Section spécialisée dans les crimes de guerre) conduit une enquête sur un certain nombre de personnes soupçonnées d’avoir participé à la planification et à l’organisation du déplacement forcé de milliers de civils non serbes; d’avoir créé, organisé et administré, sur le territoire des communes de Hadžići, Vogošća et Ilidža, des camps et prisons dans lesquels ils ont emprisonné des civils non serbes; d’avoir participé directement à l’interrogatoire des détenus et décidé de la durée de leur captivité; d’avoir classé les civils détenus par catégorie, décidant ainsi de leur sort.

8.2L’État partie se réfère à deux des affaires de crimes de guerre en instance devant la Section spécialisée dans les crimes de guerre. Dans la première affaire, le suspect, qui exerçait les fonctions d’adjoint du Ministre de la justice et de la gouvernance dans le gouvernement de la Republika Srpska de 1992 à 1994, est accusé des actes suivants: meurtre, torture, détention arbitraire, disparition forcée, blessures physiques graves et crimes contre l’humanité. Dans la deuxième affaire, le suspect est Branko Vlačo, qui est accusé des actes suivants: homicides, torture, sévices psychologiques, travaux forcés et disparition forcée, sur la personne de 27 prisonniers du camp de Planjina Kuća du 16 au 18 juin 1992. L’État partie rappelle qu’entre 1992 et 1994, dans le contexte du conflit armé, la police et les forces paramilitaires serbes ont lancé des attaques contre des civils non serbes et perpétré de graves violations des droits de l’homme.

8.3L’État partie affirme que le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine est en train de prendre les mesures d’enquête nécessaires, parmi lesquelles des mesures pour localiser les restes de personnes disparues, l’audition de témoins, la collecte de preuves matérielles et l’établissement de faits qui démontreront la responsabilité pénale des suspects. L’affaire de la disparition forcée des proches des auteurs en est au stade de l’«enquête active» et a été enregistrée sous les numéros suivants: KTRZ 55/06 et KTRZ 42/05. Dans l’affaire KTRZ 55/06, 16 «parties lésées» sont identifiées, dont certains proches des auteurs et certains des auteurs eux-mêmes. En ce qui concerne l’affaire KTRZ 42/05, l’État partie fournit une liste de 27 prisonniers considérés comme «parties lésées», où figurent les noms de certains des proches disparus des auteurs. Ces affaires sont considérées comme hautement prioritaires dans le cadre de la Stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre et devraient donc être réglées d’ici à la fin de 2015. Toutefois, en raison des difficultés rencontrées tout au long de l’enquête, notamment pour la collecte des preuves, le Bureau du Procureur n’est pas en mesure de fournir un calendrier précis pour le déroulement de la procédure pénale en cours.

8.4L’État partie indique en outre que des analyses d’ADN ont été effectuées pour les 12 proches disparus des auteurs, mais qu’il n’a été possible d’établir de concordance pour aucun d’entre eux. Le Ministère chargé des questions relatives aux anciens combattants et invalides de la Guerre défensive de libération affirme que les informations disponibles ne sont pas suffisantes pour vérifier si les auteurs sont bénéficiaires des prestations familiales. Enfin, les observations de la municipalité de Vogošća communiquées par l’État partie mettent en évidence certains des obstacles rencontrés dans les recherches visant à retrouver la trace des personnes disparues: apathie de certaines institutions; lenteur avec laquelle le Bureau du Procureur vérifie les informations concernant l’emplacement possible de fosses communes et individuelles; peu d’empressement du Bureau du Procureur à approuver l’exhumation une fois les fosses localisées; vérification insuffisante des informations émanant des sociétés, institutions et particuliers qui ont procédé à l’enlèvement des restes de certaines des victimes; manque de volonté politique d’établir un registre central des personnes disparues et d’unifier les procédures de recherche quelle que soit la nationalité des victimes; non-application de la loi relative aux personnes disparues.

8.5L’État partie affirme en outre qu’il est en contact direct avec l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća et qu’il informera régulièrement les auteurs de la communication du déroulement des activités entreprises ainsi que de leurs résultats.

Commentaires complémentaires des auteurs

9.1Le 4 décembre 2013, les auteurs ont formulé de nouveaux commentaires en réponse aux observations de l’État partie du 31 octobre 2013. Ils disent souscrire pleinement aux critiques émises par la municipalité de Vogošća au sujet de la procédure de recherche des personnes disparues. Ils relèvent avec préoccupation qu’ils ont été informés de l’enquête en cours dans l’affaire KTRZ 55/06 uniquement par la réponse de l’État partie au Comité et que l’identité du suspect n’est toujours pas établie. Ils estiment que cette situation constitue manifestement une violation de leur droit d’avoir accès aux informations sur l’enquête concernant les disparitions forcées. En outre, ils indiquent au Comité qu’ils n’ont jamais été informés personnellement et par voie officielle du renvoi des affaires de crimes de guerre devant le Bureau du Procureur et qu’ils l’ont appris uniquement par une lettre que l’Association des familles de personnes disparues de Vogošća a reçue en réponse à un courrier demandant des informations sur d’autres affaires sur lesquelles le Comité a déjà statué.

9.2Les auteurs regrettent le manque de clarté des listes de «parties lésées» fournies par l’État partie pour les affaires KTRZ 55/06 et KTRZ 42/05. À ce sujet, ils estiment tout d’abord qu’on ne voit pas bien pourquoi les personnes disparues et leurs proches sont définis les uns et les autres comme «parties lésées». Ils relèvent ensuite avec préoccupation que trois et deux de leurs proches, respectivement, ne figurent pas dans les listes de «parties lésées» pour les deux affaires, et que 18 des auteurs de la communication ne sont pas mentionnés parmi les «parties lésées» alors que les autres le sont. Ils font en outre valoir que l’orthographe de certains des noms mentionnés par l’État partie aggrave leurs doutes quant aux procédures en cours.

9.3Les auteurs se disent aussi préoccupés par les retards dans les enquêtes. Il leur semble qu’il n’y a eu aucune avancée notable dans les enquêtes relatives à leur affaire, alors que la Stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre prévoit que les crimes les plus complexes − tel que le crime de masse visé dans la présente affaire − seront traités à titre prioritaire dans un délai de sept ans (c’est-à-dire d’ici à la fin de 2015).

Observations supplémentaires de l’État partie

10.1Le 14 février 2014, l’État partie a communiqué des informations actualisées sur les enquêtes pénales en cours. Quant aux noms des victimes, il indique qu’ils ont été repris de leurs dossiers respectifs et ne peuvent être modifiés par les autorités chargées de répondre au Comité.

10.2L’État partie considère en outre que l’enquête menée dans l’affaire KTRZ 55/06 satisfait aux exigences d’efficacité, d’impartialité et d’indépendance et que, par conséquent, les articles 6, 7, 9 et 17 du Pacte n’ont pas été violés dans l’affaire à l’examen.

10.3L’État partie déclare que la loi de 2004 relative aux personnes disparues a été adoptée dans le but d’améliorer les recherches, d’identifier de façon efficace les dépouilles et de déterminer les circonstances et les causes du décès. Il réaffirme que l’Institut des personnes disparues a conscience de ses responsabilités et de l’importance que revêt sa mission. Pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, près de 35 000 personnes ont disparu; 23 000 corps ont été retrouvés, dont 21 358 ont été identifiés. Le 3 février 2011, le Registre central des personnes disparues a été créé. Les noms de 34 964 personnes y figurent. La mise à jour de la base de données est en cours et il a été fait appel à 13 personnes pour accélérer le processus. L’État partie regrette toutefois que le déroulement des opérations soit souvent freiné parce que le registre central est tributaire des réponses fournies par d’autres institutions.

10.4Quant aux arguments des auteurs concernant la non-application de la loi relative aux personnes disparues, l’État partie considère que seules quelques dispositions de cette loi n’ont pas été appliquées, comme celles qui ont trait au Fonds de soutien des familles de personnes disparues. D’autres ont été mises en œuvre avec succès et c’est sur elles que s’appuie l’Institut des personnes disparues pour fonctionner.

10.5L’État partie répète les informations données dans ses observations précédentes et rappelle qu’il portera à la connaissance des auteurs tout progrès survenu dans l’enquête sur la disparition forcée de leurs proches.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que les auteurs avaient épuisé tous les recours internes disponibles.

11.3Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication et que les allégations des auteurs faisant état de violations des articles 6, 7, 9, 10, 16 et 24 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et de l’article 7, lu séparément, ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

12.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

12.2Les auteurs affirment que Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić sont victimes de disparition forcée depuis leur arrestation illégale par la VRS le 4 mai 1992 et que, malgré les nombreux efforts de leur famille, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée par l’État partie pour faire la lumière sur le sort des victimes et l’endroit où elles pourraient se trouver ni pour traduire les responsables en justice. Le Comité rappelle son Observation générale no 31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquêtes sur des violations présumées ou de ne pas traduire en justice les auteurs de certaines violations (notamment la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, les exécutions sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées) pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

12.3Les auteurs n’affirment pas que l’État partie est directement responsable de la disparition forcée de leurs 12 proches. Le Comité fait observer que l’expression «disparition forcée» peut être utilisée au sens large pour désigner, outre les disparitions imputables à un État partie, les disparitions qui sont l’œuvre de forces indépendantes d’un État partie ou hostiles à celui-ci.

12.4Le Comité relève que l’État partie fait valoir qu’il a fait, globalement, des efforts considérables, étant donné le nombre de disparitions forcées − plus de 30 000 − survenues pendant le conflit. En particulier, la Cour constitutionnelle a établi que les autorités sont responsables de l’enquête sur la disparition des proches des auteurs (voir par. 2.9); des mécanismes internes ont été mis en place pour traiter les cas de disparitions forcées et autres crimes de guerre (voir par. 4.2); des échantillons d’ADN prélevés sur un certain nombre de corps non identifiés ont été comparés aux échantillons d’ADN des auteurs; une enquête criminelle sur la disparition des proches des auteurs a été ouverte; un monument à la mémoire de toutes les personnes disparues de Vogošća, dont les proches disparus des auteurs, a été érigé; le jour de leur disparition est commémoré chaque année (voir par. 4.3).

12.5Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’obligation d’enquêter sur les allégations de disparition forcée et de traduire les auteurs en justice n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens et qu’elle doit être interprétée d’une manière qui ne fait peser sur les autorités aucune charge impossible à supporter ou disproportionnée. Ainsi, même si l’on reconnaît la gravité des disparitions et la souffrance des auteurs, qui ignorent toujours ce que sont devenus leurs proches ou l’endroit où ils se trouvent et constatent que les responsables n’ont pas encore été traduits en justice, cela ne suffit pas à constituer une violation des obligations positives qui incombent à l’État partie au titre du Pacte dans les circonstances particulières de l’espèce.

12.6Cela étant, les auteurs affirment qu’au moment où ils ont déposé leur requête, soit dix-huit ans après la détention initiale de leurs proches disparus et plus de trois ans après l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, les autorités chargées de l’enquête n’avaient pas pris contact avec eux pour solliciter des informations concernant les personnes soupçonnées d’être responsables de ces disparitions, alors que certains des auteurs avaient été détenus en même temps que leurs proches disparus. Les auteurs affirment aussi qu’ils n’ont appris que pendant la procédure engagée devant le Comité que les autorités avaient pris des mesures importantes concernant leur affaire, notamment le fait qu’il avait été procédé à une identification de dépouilles dans des lieux situés sur le territoire de la commune de Vogošća et d’autres communes voisines. L’État partie ne conteste pas ces affirmations. De surcroît, dans ses propres observations, il met en évidence la lenteur avec laquelle le Bureau du Procureur vérifie les informations concernant l’emplacement possible de fosses communes et individuelles, le peu d’empressement du Bureau du Procureur à approuver l’exhumation une fois les fosses localisées; la vérification insuffisante des informations émanant de ceux qui ont procédé à l’enlèvement de dépouilles; le manque de volonté politique d’unifier les procédures de recherche des personnes disparues (voir par. 8.4). En outre, le Comité estime que les autorités chargées d’enquêter sur des disparitions forcées doivent donner en temps voulu aux familles la possibilité de contribuer à l’enquête en communiquant les informations dont elles disposent et que les familles doivent être rapidement informées des avancées de l’enquête. Il prend également note de l’angoisse et de la détresse causées aux auteurs par les incertitudes qui persistent quant à la disparition de leurs proches. Il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 en ce qui concerne les proches disparus, et une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne les auteurs.

12.7Le Comité note en outre que pour obtenir la prestation sociale qui leur était versée, les auteurs concernés avaient dû accepter de faire déclarer le décès de leurs proches disparus, alors qu’il n’y a aucune certitude quant à leur sort et à l’endroit où ils se trouvent. Il considère qu’obliger les familles de personnes disparues à faire déclarer le décès de leur parent pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation alors que l’enquête sur la disparition est en cours subordonne le droit à une indemnisation à une démarche pénible et constitue un traitement inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard des auteurs contraints d’obtenir un tel certificat de décès.

12.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs des auteurs tirés des articles 10, 16 et 24 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que l’État partie a violé les articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne les proches disparus des auteurs, l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne tous les auteurs, et l’article 7, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne les auteurs contraints d’obtenir un certificat de décès.

14.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, et notamment: a) de poursuivre les démarches visant à faire la lumière sur le sort de Himzo Hadžić, Safet Hodžić, Mensud Durić, Rasim Selimović, Abdulah Jelašković, Sinan Salkić, Idriz Alić, Hasan Abaz, Hakija Kanđer, Emin Jelećković, Esad Fejzović et Đemo Šehić et l’endroit où ils se trouvent, comme l’exige la loi de 2004 relative aux personnes disparues; b) de poursuivre les actions visant à traduire en justice les responsables de leur disparition sans retard injustifié, conformément à la Stratégie nationale concernant les poursuites pour crimes de guerre; c) d’assurer une indemnisation appropriée à tous les auteurs. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas et doit garantir en particulier que les familles des disparus aient accès aux enquêtes sur les allégations de disparition forcée et que le cadre juridique actuel ne soit pas appliqué de façon à ce que les prestations sociales et les mesures de réparation accordées aux proches de victimes de disparition forcée soient subordonnées à l’obligation d’obtenir un certificat de décès de la victime.

15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses trois langues officielles.

Appendice

Opinion individuelle (concordante) signée de Fabián Omar Salvioli et Víctor Manuel Rodríguez Rescia

1.Nous sommes d’accord avec la décision prise par le Comité dans l’affaire Selimović et consorts c. Bosnie-Herzégovine (communication no 2003/2010). Nous considérons cependant que la conclusion juridique aurait dû porter principalement sur une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7 et 9, car la violation qui engage la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine découle de l’absence de recours utile pour les cas de disparitions forcées et leurs conséquences. Ces disparitions ne peuvent pas être imputées à l’État de Bosnie-Herzégovine car elles ont été perpétrées par l’armée de la Republika Srpska (Vojska Republike Srpske).

2.Dans ses constatations concernant l’affaire Selimović et consorts, où il constate une violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité s’écarte de ses constatations antérieures concernant l’affaire Rizvanović c. Bosnie-Herzégovine (communication no 1997/2010), sans donner aucune explication.

3.Nous sommes cependant convaincus que le Comité a eu raison de conclure à une violation directe de l’article 7 en ce qui concerne les auteurs au motif que, pour bénéficier de certaines prestations sociales, ils avaient dû accepter de reconnaître le décès de leurs proches disparus, alors qu’ils n’avaient aucune certitude quant à leur sort et à l’endroit où ils se trouvent.