Nations Unies

CCPR/C/111/D/2049/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 août 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2049/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Z. (représenté par un conseil, Frances Milne, Balmain for Refugees)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

15 avril 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

18 juillet 2014

Objet:

Expulsion vers la Chine

Question ( s ) de fond:

Risque de préjudice irréparable dans le pays d’origine

Question(s) de procédure:

Bien-fondé des griefs

Article(s) du Pacte:

7, 18 et 19

Article(s) du Protocole facultatif:

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 2049/2011 *

Présentée par:

Z. (représenté par un conseil, Frances Milne, Balmain for Refugees)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

15 avril 2011(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2049/2011 présentée au nom de Z. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu comptede toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Z., ressortissant chinois né en 1953 et résidant en Australie. Suite au rejet de sa demande d’asile, il a été sommé de quitter l’Australie. L’auteur fait valoir que l’Australie, en le renvoyant en Chine contre son gré, commettrait une violation des droits qu’il tient des articles 7, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte»). Il est représenté par un conseil, Frances Milne.

1.2Le 18 octobre 2011, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, leComité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers la Chine tant que la communication serait à l’examen. L’auteur se trouve toujours en Australie. Le 12 juin 2013, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément dufond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur résidait et travaillait dans son village natal de Xujiadian, dans la province de Shandon en Chine. En juillet 2004, il s’est mis à pratiquer le Falun Gong pour soulager une blessure au dos consécutive à des travaux agricoles. Lui-même et son ami et professeur L. S. pratiquaient le Falun Gong chez eux en secret.

2.2Un soir d’août 2005, vers 21 heures, l’auteur et L. S. venaient de terminer leurs exercices de Falun Gong quand des gardes de sécurité du comité de voisinage du village de Xujiadian ont fait irruption au domicile de l’auteur et ont arrêté les deux hommes. Ils les ont attachés dos à dos et les ont emmenés au bureau de sécurité du village, où ils ont passé la nuit en détention. Tôt le lendemain matin, des policiers du district de Laishan, du bureau de la sécurité publique de la ville de Jiejiazhang, sont arrivés et ont interrogé l’auteur et son ami sur leur adhésion au Falun Gong. Au cours de cet interrogatoire, l’auteur a admis être adepte du Falun Gong. Les policiers leur ont dit qu’ils avaient enfreint les règles de sécurité et allaient être conduits au poste de police du district pour être «rééduqués». L’auteur et son ami en sont alors venus aux mains avec les policiers, et l’auteur a été jeté à terre et s’est coupé profondément en tombant sur des morceaux de verre, ce qui lui a laissé deux importantes cicatrices sur l’avant-bras gauche, et une autre sous le menton.

2.3Ce matin-là, alors que l’auteur était en détention, son père, qui jouissait d’une certaine reconnaissance au sein de la communauté, a adjuré les policiers de ne pas l’emmener au poste de police du district. Les policiers ont consenti à cette demande, mais ont infligé à l’auteur une amende de 5 000 yuan et lui ont imposé, ainsi qu’à L. S., de se livrer à un défilé humiliant. La famille de l’auteur ayant juste de quoi verser un cinquième de l’amende, le comité du village a confisqué les deux tiers des terres familiales pour compléter son montant. Le défilé a eu lieu le matin de la libération de l’auteur. L’auteur et L. S. ont été exhibés dans les rues de Xujiadian coiffés de hauts chapeaux portant l’inscription suivante: «éléments d’un culte diabolique». Ce défilé était organisé par deux policiers du district et quatre ou cinq agents de sécurité du village.

2.4.Ne disposant plus que d’un tiers de ses terres, l’auteur ne pouvait plus subvenir à ses besoins ni à ceux de sa famille. Il a en outre été sommé de renoncer à la pratique du Falun Gong. En août 2005, juste après sa remise en liberté, l’auteur a pris la fuite et est resté caché, se déplaçant d’un endroit à un autre à la recherche de travail. Sa femme l’a informé que leur maison était surveillée la nuit par deux agents de sécurité du village. Elle s’est également plainte d’avoir été harcelée et interrogée à maintes reprises au sujet de l’endroit où il se trouvait. En février 2006, elle a à son tour quitté Xujiadian pour aller habiter avec la fille de l’auteur et sa famille. Le fils de l’auteur a quant à lui été renvoyé de l’école à cause de l’adhésion de ce dernier au Falun Gong. En 2007, craignant une escalade des persécutions contre les adeptes du Falun Gong, l’auteur et sa famille se sont mis à économiser de l’argent pour qu’il puisse partir pour l’Australie.

2.5L’auteur est arrivé à Sydney le 26 mai 2008. Le 17 juin 2008, il a déposé une demande de visa de protection auprès du Département de l’immigration et de la citoyenneté. Cette demande a été rejetée par le Département le 18 septembre 2008. Le 30 septembre 2008, l’auteur a fait appel de la décision auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (le «Tribunal») mais a été débouté de son recours le 25 novembre 2008. Le 2 avril 2010, l’auteur a déposé une demande d’intervention ministérielle en vertu de la loi de 1958 relative aux migrations, demande qui a été rejetée le 28 mai 2010 au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux dispositions de la loi en question. Le 13 août 2010, l’auteur a déposé une deuxième demande d’intervention ministérielle en alléguant l’existence de nouveaux éléments dont ne disposait pas le Tribunal au moment où il avait rendu sa décision en 2008. Le 9 novembre 2010, la deuxième demande d’intervention ministérielle a été elle aussi rejetée pour la même raison que celle énoncée dans la décision concernant la demande du 2 avril 2010.

2.6Depuis son arrivée en Australie, l’auteur connaît de graves problèmes cardiaques qui l’ont conduit à plusieurs reprises à l’hôpital (il a subi trois opérations, respectivement les 2 et 4 décembre 2010 et le 10 février 2011). On lui a également diagnostiqué des troubles de stress post-traumatique chroniques et des niveaux élevés de stress et d’angoisse, concordant avec ses allégations de persécution. L’auteur continue de pratiquer le Falun Gong.

2.7Le 15 février 2011, l’auteur a déposé une troisième demande d’intervention ministérielle au motif qu’il y avait de nouveaux éléments concernant sa santé dont le Tribunal ne disposait pas au moment où il avait pris sa décision ni au moment des deux premières demandes. Dans sa troisième demande, l’auteur déclare qu’il a récemment été hospitalisé en raison de douleurs thoraciques après une angioplastie coronarienne et qu’il prend plusieurs médicaments pour le cœur. Il affirme en outre que, du fait de ses problèmes cardiaques, il ne survivrait pas en Chine parce qu’il n’aurait pas les moyens de se faire soigner, serait incapable de continuer à travailler comme agriculteur et ne serait pas en mesure d’échapper à une surveillance policière constante. L’auteur fournit une déclaration de sa sœur, datée du 18 août 2010, indiquant qu’«il souffre de problèmes cardiaques parce qu’il vit dans la crainte permanente d’être renvoyé à tout moment en Chine». L’auteur joint également le témoignage d’un ami, daté du 5 juillet 2010, indiquant que l’auteur est un «adepte véritable du Falun Gong». L’auteur fournit aussi une déclaration datée du 29 décembre 2010 d’un psychiatre qui l’a examiné alors qu’il était en centre de rétention. Le rapport du psychiatre indique que l’auteur est sujet à des troubles dépressifs majeurs caractérisés par une profonde tristesse, de l’insomnie, de l’anorexie et une perte de poids. La troisième demande d’intervention ministérielle de l’auteur a été rejetée le 14 avril 2011. L’auteur affirme qu’il a épuisé les recours internes disponibles.

2.8Le 18 avril 2011, l’auteur a déposé une quatrième demande d’intervention ministérielle, qui a été rejetée le 8 juillet 2011.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir que son expulsion vers la Chine constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 7, 18 et 19 du Pacte. Il affirme que la Chine a violé les droits garantis par ces articles en restreignant sa liberté de religion, de pensée, de conscience et d’expression en lui infligeant des violences et des humiliations constitutives de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et en réprimant sa pratique du Falun Gong. L’auteur soutient qu’à la lumière de ces violations, et compte tenu de la campagne actuellement menée en Chine contre les adeptes du Falun Gong, il courrait un risque réel de subir des violations comparables s’il était renvoyé en Chine. Il fait valoir que, conformément à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire A. R. J. c. Australie, les droits énoncés dans le Pacte ont une portée extraterritoriale. L’auteur affirme en outre que s’il était renvoyé en Chine, il ne recevrait pas les soins dont il a besoin et qui ont pour lui une importance vitale étant donné les graves complications de son état de santé, qui mettent sa vie en péril.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1Dans une note du 20 décembre 2011, l’État partie considère tout d’abord que les griefs tirés par l’auteur des articles 7, 18 et 19 sont irrecevables parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. En particulier, l’auteur n’a pas, comme l’exige l’article 477 de la loi relative aux migrations, demandé un contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal par la juridiction fédérale de première instance (Federal Magistrates Court) dans les trente‑cinq jours suivant la date de cette décision et, le 14 janvier 2011, il a retiré sa requête aux fins de prorogation du délai de soumission d’une demande de contrôle juridictionnel. L’État partie affirme en outre qu’à sa connaissance, l’auteur n’a pris aucune disposition pour présenter une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de la décision. Étant donné que si un tel contrôle avait une issue favorable, la demande de visa de protection de l’auteur serait réexaminée par le Tribunal, ce qui pourrait au bout du compte régler les griefs de l’auteur au titre du Pacte, l’auteur devrait être prié d’épuiser le recours disponible utile que constitue le contrôle juridictionnel de la décision.

4.2L’État partie estime par ailleurs que les allégations de l’auteur au titre des articles 7, 18 et 19 sont irrecevables parce que l’auteur n’a pas étayé ses griefs concernant son adhésion supposée au Falun Gong. Pour rejeter les affirmations de l’auteur selon lesquelles il avait pratiqué le Falun Gong en Chine ou attiré l’attention des autorités chinoises, le Tribunal s’est fondé sur les communications écrites de l’auteur et sur les informations qu’il a fournies oralement, en constatant qu’il connaissait mal les principes du Falun Gong et que ses réponses semblaient en grande partie apprises. Le Tribunal a également constaté que, sur des points essentiels de son témoignage, l’auteur n’avait pas dit la vérité. Par exemple, le Tribunal n’a pas admis les allégations de l’auteur concernant son arrestation et les mesures d’humiliation qu’il aurait subies en 2005 en Chine. L’auteur a en outre présenté des éléments confus et contradictoires sur le fait qu’il aurait continué de pratiquer le Falun Gong après les événements de 2005, et l’État partie considère que s’il a participé à des activités liées au Falun Gong en Australie, c’est uniquement dans le but d’étayer sa demande de protection. Le Tribunal n’a pas jugé plausible le reniement par l’auteur de sa déclaration antérieure selon laquelle son souhait de rester en Australie s’expliquait entre autres par son intention de gagner de l’argent. Les quatre demandes d’intervention ministérielle ont été soigneusement examinées, et il a été établi que les nouveaux documents joints par l’auteur à sa première et sa quatrième demandes (notamment le rapport d’expertise psychologique) n’avaient pas augmenté ses chances d’obtenir un visa de protection. L’auteur avait la possibilité de demander un contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal, mais il ne s’en est pas prévalu. L’auteur n’a fourni au Comité aucun nouvel élément concernant le risque de préjudice irréparable que son adhésion au Falun Gong lui ferait courir.

4.3L’État partie considère en outre que les griefs tirés par l’auteur de l’article 7 sont irrecevables parce que l’auteur n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles il risque personnellement d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements s’il est renvoyé en Chine. Il a déclaré qu’il avait pu quitter la Chine en 2008 parce que les autorités ne possédaient pas d’informations contre lui et qu’il n’avait pas de casier judiciaire, et les autorités chinoises ne l’ont jamais importuné du fait de sa participation au Falun Gong après les événements de 2005. L’État partie n’a connaissance d’aucun mandat d’arrêt ni d’aucune autre information pouvant laisser penser que la personne de l’auteur intéresserait les autorités chinoises. En outre, l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle, vu son état de santé, son expulsion vers la Chine emporterait une violation de l’article 7, puisque l’International Health and Medical Services, entreprise indépendante dispensant des soins de santé dans les centres de rétention pour immigrés en Australie, a constaté que l’état de santé de l’auteur était stable et n’empêchait pas son renvoi, et que ses problèmes cardiaques et sa dépression pouvaient être traités en Chine. Une éventuelle détérioration de son état ne serait pas grave au point d’entraîner une violation de l’article 7. En outre, l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il ne pourrait pas gagner sa vie en Chine, étant donné qu’il a pu subsister dans ce pays avant son départ et réunir les fonds nécessaires à son voyage vers l’Australie, et il n’a pas montré en quoi les difficultés financières qu’il pourrait rencontrer en Chine représenteraient un traitement contraire aux dispositions de l’article 7 du Pacte.

4.4L’État partie considère en outre que les allégations de l’auteur au titre des articles 18 et 19 sont irrecevables ratione materiae car les obligations de non-refoulement incombant à l’État partie en vertu du Pacte s’appliquent uniquement aux situations où il existe un risque réel de préjudice irréparable, comme celles envisagées aux articles 6 et 7, et ne s’étendent pas aux cas de violation potentielle des articles 18 et 19.

4.5L’État partie considère également que la communication est dénuée de fondement, pour les raisons déjà indiquées ainsi que pour les raisons suivantes: le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 7 ne correspond pas au strict critère de préjudice irréparable défini par le Comité dans l’affaire Ng c. Canada, à savoir qu’un État ne sera responsable d’une violation des droits d’une personne dans la juridiction d’un autre État que si un traitement contraire au Pacte «serait certainement infligé [à cette personne] ou constituerait le but même de sa remise». L’auteur lui-même déclare qu’il est un adepte occasionnel du Falun Gong qui pratique les exercices en privé, principalement pour des raisons de santé. L’État partie considère que, dans ces circonstances, son renvoi n’aurait pas nécessairement comme conséquence prévisible une violation de ses droits garantis aux articles 7, 18 et 19.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 13 mars 2012, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que s’il a retiré sa requête aux fins de prorogation du délai de soumission d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision négative du Tribunal, c’est parce qu’il avait reçu un avis de deux pages d’un avocat désigné dans le cadre du dispositif de consultations juridiques du Tribunal, d’où il ressortait que la décision du Tribunal ne contenait aucune erreur de droit pouvant permettre à la juridiction fédérale d’ordonner un réexamen par le Tribunal de la demande de l’auteur, et que rien n’indiquait que le Tribunal avait exercé de façon erronée son pouvoir d’appréciation des faits. L’auteur cite la conclusion de l’avis, qui se lit ainsi: «Je considère que les questions soulevées [par votre conseil] ne constituent pas une erreur de droit de la part du Tribunal. Si vous décidez de ne pas poursuivre la procédure en justice, vous devez remplir un formulaire de désistement auprès de la juridiction fédérale de première instance.». L’auteur indique que, compte tenu de cet avis, il a décidé de renoncer à sa requête dans un souci d’économie et pour éviter une perte de temps à la juridiction fédérale. Il ajoute qu’il est illégal d’encourager un demandeur d’asile qui n’a aucune chance de voir sa demande aboutir à poursuivre une procédure judiciaire. Quant à la raison pour laquelle il avait demandé une prorogation du délai de soumission d’une demande de contrôle juridictionnel, l’auteur indique qu’il avait décidé de soumettre une telle demande lorsque le Département de l’immigration et de la citoyenneté avait estimé que l’analyse des vices entachant la décision du Tribunal dans sa demande d’intervention ministérielle datée du 13 août 2010 «ne satisfaisait pas aux dispositions des articles 417 et 48B de la loi relative aux migrations régissant le dépôt d’une nouvelle demande». L’auteur affirme qu’il a soumis une demande de prorogation parce que les vices qui entachaient la décision du Tribunal «étaient tels qu’ils infirmaient les constatations défavorables [du Tribunal] sur la question de la crédibilité».

5.2L’auteur réfute l’observation de l’État partie selon laquelle il n’aurait pas étayé ses griefs au titre des articles 7, 18 et 19. S’agissant de sa participation au Falun Gong, l’auteur renvoie à sa demande d’intervention ministérielle du 13 août 2010, dans laquelle il a présenté de nouveaux éléments afin de contester les constatations défavorables du Tribunal quant à la crédibilité de sa relation avec le Falun Gong. L’auteur affirme que ces nouveaux éléments répondaient systématiquement aux questions posées par le Tribunal, notamment son degré de connaissance du Falun Gong. L’auteur soutient en outre que, lors d’auditions précédentes, il avait déclaré qu’il pratiquait le Falun Gong chez lui durant la semaine et tous les dimanches avec le «mouvement Falun Gong» dans Belmore Park, et que ses réponses aux questions concernant l’enseignement du Falun Gong étaient «tout à fait satisfaisantes». L’auteur argue que si ses réponses avaient l’air d’être apprises, ceci n’avait rien de surprenant étant donné les conséquences potentiellement vitales des décisions du Tribunal. L’auteur affirme que pendant toute la durée de sa rétention en Australie, de mars 2010 à février 2012, il a fait partie du groupe de Falun Gong qui se réunissait deux fois par jour dans le centre de rétention de Villawood. Le groupe pratiquait les exercices tôt le matin et, le soir, étudiait et commentait l’ouvrage Zhuan Falun: The Complete Teachings of Falun Gong, de Li Hongzhi. L’auteur affirme qu’il «cherchait surtout à soulager son mal de dos chronique, puis les douleurs thoraciques de plus en plus fortes qu’il commençait alors à éprouver, mais qu’il partageait également les aspirations spirituelles du groupe appelant à cultiver son âme». L’auteur affirme qu’il a continué de pratiquer le Falun Gong après sa remise en liberté. S’agissant de son incapacité à subsister en Chine, l’auteur fait observer que le rapport d’expertise psychologique joint à sa quatrième demande d’intervention ministérielle, datée du 18 avril 2011, met en avant le risque élevé que l’auteur se suicide s’il est renvoyé en Chine. L’auteur déclare également que les éléments médicaux accompagnant sa troisième demande d’intervention ministérielle, datée du 15 février 2011, témoignent du diagnostic de coronaropathie tritronculaire ainsi que des cinq pontages coronariens qu’il a subis alors qu’il se trouvait en rétention. L’auteur affirme qu’il ne peut plus effectuer les lourds travaux physiques qu’il accomplissait autrefois pour gagner sa vie et qu’il ne possède pas d’autres compétences. Il ajoute que les membres de sa famille et son épouse en Chine ne sont pas en mesure de subvenir financièrement à ses besoins.

5.3L’auteur affirme que la procédure du Tribunal est inéquitable et qu’il n’existe pas en Australie de recours utile contre les vices entachant la décision de celui-ci à cause des limites du système judiciaire et des procédures d’intervention ministérielle. L’auteur soutient que le contrôle juridictionnel est une procédure limitée et que les juridictions ne sont pas habilitées à réexaminer les décisions du Tribunal sur le fond (leur examen ne peut porter que sur l’équité procédurale ou d’éventuelles erreurs de droit). De ce fait, l’auteur affirme que le contrôle juridictionnel ne permet pas aux juridictions de se prononcer sur l’équité des décisions du Tribunal concernant des allégations depersécution ni de remédier à des constatations défavorables en matière de crédibilité. L’auteur fait de plus valoir que les pouvoirs d’intervention du Ministre,discrétionnaires et non susceptibles de recours, sont rarement invoqués, même lorsque des problèmes d’équité procédurale sont en cause. Il affirme que dans son cas, il n’avait pas compris à quel point la procédure de demande d’intervention ministérielle était stricte et il avait gâché sa première demande en la soumettant lui-même sous une forme inappropriée. Cela avait joué contre ses demandes ultérieures, qui avaient été considérées comme de simples réitérations. Il précise également que c’est seulement après le dépôt de sa première demande d’intervention ministérielle qu’il a pu obtenir une traduction de la décision du Tribunal et en saisir toutes les complexités. Il ajoute que sa deuxième demande n’a pas été correctement appréciée, aucune raison n’ayant été donnée pour justifier la conclusion que cette demande ne soulevait pas de nouvellesquestions de fond.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans ses lettres datées du 17 octobre 2012 et du 24 mai 2013, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteur et fourni de nouvelles informations. L’État partie réaffirme que les éléments communiqués par l’auteur dans le cadre des procédures internes ont été dûment appréciés et réexaminés plusieurs fois. L’État partie considère aussi que les critiques de l’auteur à l’égard de la procédure de détermination du statut de réfugié ne sont pas fondées, puisque les personnes qui prennent les décisions à cet égard dans le pays sont spécialement qualifiées et reçoivent des instructions précises pour pouvoir apprécier correctement les éléments dont elles disposent, et que les responsables des décisions adoptées dans le cas de l’auteur se sont fondés sur les instructions pertinentes. La procédure d’intervention ministérielle n’a pas été conçue pour donner lieu à un nouvel examen exhaustif sur le fond, une telle fonction étant réservée aux juridictions. Elle a plutôt pour objet d’être un «filet de sécurité» en laissant au Ministre le pouvoir d’intervenir s’il le juge utile au nom de l’intérêt général. Ce pouvoir n’est généralement exercé que dans des circonstances exceptionnelles ou imprévues, et le Ministre a accordé des visas dans 35 % des cas dont il a été saisi au cours de la période 2011-2012. Le fait que les demandes d’intervention ministérielle de l’auteur n’ont pas abouti n’est pas le signe d’un vice de procédure mais signifie que le cas de l’auteur n’était pas suffisamment unique ni exceptionnel. Faute d’éléments prouvant une application erronée du droit interne, l’État partie se permet de suggérer respectueusement au Comité de s’en tenir à sa pratique consistant à s’abstenir de remettre en cause l’appréciation des faits par les cours et les tribunaux nationaux.

6.2S’agissant des nouvelles informations communiquées par l’auteur affirmant qu’il serait dans l’incapacité de subsister parce que sa famille ne serait pas en mesure de subvenir financièrement à ses besoins et qu’il ne pourrait pas trouver de travail en Chine, l’État partie considère que l’obligation de non-refoulement découlant du Pacte n’autorise pas des non‑ressortissants à s’opposer à leur expulsion en arguant de difficultés socioéconomiques. La situation de l’auteur estloin d’êtrecomparable, par sa nature et sa gravité,aux difficultés qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme,permettent d’invoquer une obligation de non‑refoulement: il n’est pas en phase critique d’une maladie incurable; il connaît bien laChine et ses systèmes administratifs et réseaux sociaux et culturels; il parle la langue et a plusieurs amis et parents qui habitent dans ce pays et peuvent l’aider; et il aurait accès aux services publics. En ce qui concerne ses problèmes de santé, un examen médical réalisé le28 février 2013 a indiqué que l’auteur était apte à voyager à l’étranger, et l’auteur subira un dernier examen médical avant l’exécution de toute mesure de renvoi. En conséquence, l’État partie considère que l’auteur ne court aucun risque de préjudice irréparable s’il est renvoyé enChine.

6.3En réponse aux nouvelles informations communiquées par l’auteur concernant l’avis juridique qui l’a poussé à retirer sa demande de contrôle juridictionnel, l’État partie considère que, puisque cet avis indiquait que la décision du Tribunalde contrôle des décisions concernant les réfugiés ne faisait apparaître ni erreur de droit ni absence d’équité procédurale, le contrôle juridictionnel ne constituait pas pour l’auteur un recours àépuiser. L’État partie revient donc sur son argument selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable sur ce fondement. Il considère néanmoins que l’avis juridique − indiquant que la demande de contrôle juridictionnel de l’auteur n’avait pas de chance raisonnable de succès − conforte la position de l’État partie selon laquelle les griefs soumis au Comité par l’auteur sont irrecevables car insuffisamment étayés. L’État partie souligne que les juridictionspeuvent examiner toute une série de questions, notamment celles de savoir si les procédures correctes ont été suivies, si l’intéressé a eu la possibilité d’exposer ses arguments, et si le responsable de la décision a examiné toutes les prétentions, s’il a correctement interprété et appliqué le droit applicable et s’il a fait preuve d’impartialité.

Nouveaux commentaires de l’auteur

7.Dans un document daté du 20 janvier 2013, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie datées du 17 octobre 2012. Selon l’auteur, l’État partie analyse à tort ses problèmes de santé et la question de son incapacité à subsister en Chine comme des arguments invoqués de façon autonome pour obtenir une protection au titre du Pacte, alors que la principale motivation de sa demande est la crainte d’être persécuté en Chine en raison de son adhésion au Falun Gong, et que ses problèmes de santé et de subsistance «découlent de son adhésion au Falun Gong». L’auteur considère aussi que l’État partie minimise la gravité de ses allégations concernant sa santé et ses perspectives de subsistance. Il fait observer que les informations jointes à sa demande d’asile et à ses demandes d’intervention ministérielle montrent que s’il était renvoyé en Chine, il subirait «un préjudice grave équivalant à une persécution», en violation des articles 7, 18 et 19 du Pacte. Il affirme aussi que l’avis juridique qu’il a reçu au sujet des chances d’aboutissement de sa demande de contrôle juridictionnel n’abordait pas la question de savoir si ses allégations de persécution étaient étayées au fond, mais portait plutôt sur d’éventuelles erreurs de droit susceptibles d’entacher la décision du Tribunal.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, pour qui les allégations de l’auteur concernant les articles 7, 18 et 19 du Pacte doivent être déclarées irrecevables faute d’être suffisamment étayées. Le Comité note que l’auteur a expliqué que sa crainte d’un renvoi en Chine découlait à la fois de la détention et du traitement qu’il y aurait déjà subis à cause de ses convictions religieuses, et des informations concernant la Chine selon lesquelles les adeptes du Falun Gong sont victimes de mauvais traitements. Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a produit suffisamment d’informations détaillées et de preuves documentaires pour démontrer qu’il risquerait personnellement d’être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en sa qualité d’adepte présumé du Falun Gong s’il était renvoyé en Chine, et il considère par conséquent que le grief tiré de l’article 7 est recevable. Quant aux allégations de violation des articles 18 et 19, le Comité considère qu’elles ne peuvent pas être dissociées de celles soumises par l’auteur au titre de l’article 7, qu’il convient d’examiner quant au fond.

8.4Le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 7, 18 et 19 du Pacte, et passe donc à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que, en tant qu’adepte du Falun Gong, il serait exposé à un risque de mauvais traitements s’il était renvoyé en Chine. Il prend note également des observations présentées par l’État partie, à savoir que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, dont les conclusions ont été acceptées dans le cadre de procédures ultérieures, n’a pas acquis la conviction que l’auteur était véritablement adepte du Falun Gong ni que les événements qu’il avait décrits comme étant survenus en Chine s’étaient réellement produits.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il vise l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer par d’autres moyens une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire que celle-ci court un risque réel de préjudice irréparable, tels que les préjudices envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité rappelle aussi qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque.

9.4Tout en relevant que, selon certaines informations, les adeptes du Falun Gong en Chine, en particulier ceux qui occupent une position importante au sein du mouvement, sont victimes de graves violations des droits de l’homme, le Comité constate que la demande de statut de réfugié déposée par l’auteur a été soigneusement examinée par les autorités de l’État partie, lesquelles ont conclu que l’intéressé n’avait pas témoigné d’un véritable engagement dans la pratique du Falun Gong. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a jugé que son récit des événements ayant précédé son départ de Chine comportait des contradictions et n’était pas crédible, et qu’il avait donné des réponses évasives et apprises d’avance à des questions portant sur les faits allégués. Le Tribunal a également considéré qu’iln’avait pas présenté suffisamment d’éléments prouvant qu’il pratiquait véritablement le Falun Gong en Australie, où il était libre de le faire. Le Tribunal a constaté que l’auteur n’avait eu aucune difficulté à obtenir un passeport et quitter la Chine, et rien n’indique qu’il intéresserait les autorités chinoises s’il rentrait dans le pays. Le Comité observe que l’auteur n’a relevé aucune irrégularité dans la procédure de prise de décision, ni aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte. L’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, mais il ne démontre pas qu’elles sont manifestement déraisonnables. Compte tenu de ce qui précède, leComité ne peut pas conclure que les informations dont il est saisi montrent que l’auteur courrait un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte en tant qu’adepte du Falun Gong s’il était renvoyé en Chine.

9.5En ce qui concerne l’état de santé de l’auteur, le Comité note que l’auteur souffre de problèmes cardiaques chroniques et pourrait avoir besoin à l’avenir d’une nouvelle opération. Il estime cependant qu’il ne ressort pas du dossier que l’état de santé de l’auteur a en soi un caractère suffisamment exceptionnel pour déclencher l’obligation de non‑refoulement de l’État partie en vertu de l’article 7.

9.6Pour les raisons évoquées plus haut, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie violerait l’article 7 du Pacte s’il expulsait l’auteur vers la Chine.

9.7Pour ce qui est des griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 18 et 19, le Comité renvoie à ses conclusions énoncées au paragraphe 9.4, et considère pour les mêmes raisons qu’il ne peut pas conclure que l’auteur courrait un risque réel de subir un traitement contraire à ces articles s’il était expulsé vers la Chine.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion de l’auteur vers la Chine n’emporterait pas une violation des droits qui lui sont garantis par les articles 7, 18 et 19 du Pacte.