Nations Unies

CCPR/C/111/D/2055/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 octobre 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 2055/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:Paul Mitonsou Zinsou (représenté par Serge Roberto Prince Agbodjan)

Au nom de:L’auteur

État partie:Bénin

Date de la communication:2 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:18 juillet 2014

Objet:Obligation pour un prévenu d’apparaître à son procès menotté et portant un gilet indiquant son lieu de détention

Questions de fond:Interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et droit à la présomption d’innocence

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Articles du Pacte:7 et 14, par. 2

Article du Protocole facultatif:-

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 2055/2011 *

Présentée par:Paul Mitonsou Zinsou (représenté par Serge Roberto Prince Agbodjan)

Au nom de:L’auteur

État partie:Bénin

Date de la communication:2 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2055/2011 présentée par Paul Mitonsou Zinsou en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Paul Mitonsou Zinsou, citoyen béninois né à Cotonou en 1971. Il fait état de violations par le Bénin de l’article 7 et 14, paragraphe 2, du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 12 juin 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est mécanicien et chauffeur de profession. Suite à son implication, à une date non spécifiée, dans un accident de la circulation, il a été mis sous mandat de dépôt pour homicide involontaire et défaut de maîtrise.

2.2Durant son séjour en tant que prévenu à la maison d’arrêt de Cotonou, du 14 août au 5 septembre 2008 (date de sa libération), l’auteur a été soumis à une règle imposée à toutes les personnes incarcérées dans les prisons béninoises, qui oblige les détenus, y compris les prévenus, à être vêtus d’un gilet portant mention de leur lieu de détention lorsqu’ils se rendent au tribunal et durant leurs audiences. Ce faisant, les détenus passent devant le public et, ainsi vêtus, font l’objet de railleries et de moqueries.

2.3L’auteur a été soumis à cette pratique chaque fois qu’il s’est rendu au tribunal, notamment pour son audience du 5 septembre 2008. Il soutient qu’il a dû se rendre au tribunal vêtu d’un gilet portant la mention «Prison civile de Cotonou» et menotté. L’auteur ajoute que, durant sa détention, il a également dû recevoir toutes ses visites vêtu de ce gilet. Il a ainsi été l’objet de railleries et de moqueries, ce qu’il a vécu comme une humiliation. De plus, en raison de toutes ses protestations contre cette pratique, il a subi des sévices corporels ainsi que des réprimandes et autres railleries.

2.4Le 8 décembre 2009, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle du Bénin d’une requête en vue de voir déclarer les pratiques subies contraires aux articles 17 et 18 de la Constitution du Bénin, qui garantissent respectivement la présomption d’innocence et le droit de ne pas subir de traitements inhumains, humiliants et dégradants. Dans sa décision du 13 juillet 2010, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête de l’auteur, considérant que l’obligation faite aux détenus de porter, à l’occasion des procès, une tenue réglementaire relève des mesures de sécurité qu’il appartient aux seules autorités pénitentiaires de prendre en mesure d’éviter que les prévenus aient la possibilité de se fondre dans le public pour échapper à la surveillance des gardes, et contribue ainsi à freiner toute velléité d’évasion éventuelle. La Cour en a conclu que le port, par les prévenus, d’une tenue réglementaire ne saurait être analysé comme un traitement dégradant ni comme une atteinte à leur droit à la présomption d’innocence.

2.5L’auteur ajoute que les décisions de la Cour constitutionnelle n’étant, aux termes de l’article 124 de la Constitution du Bénin, «susceptibles d’aucun recours», il a en l’état épuisé tous les recours internes qui lui étaient offerts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte, au motif que le fait de devoir porter quotidiennement un gilet portant l’indication «Prison civile de Cotonou» lors de sa détention préventive dans cet établissement du 14 août au 5 septembre 2008 l’a exposé aux moqueries et aux railleries du public, notamment lorsqu’il a reçu des visites de l’extérieur, ce qu’il a vécu comme une humiliation et a constitué selon lui un traitement dégradant à son encontre.

3.2L’auteur allègue également une violation de l’article 14, paragraphe 2, du Pacte, en ce qu’il considère que l’obligation de comparaître à son audience du 5 septembre 2008 menotté et vêtu comme un prisonnier – c’est-à-dire portant un gilet indiquant le lieu de sa détention – alors même qu’il n’était pas encore condamné constituait une violation de son droit à la présomption d’innocence.

3.3L’auteur fait référence aux observations finales du Comité relatives à l’examen du rapport initial de l’État partie en 2004, dans lesquelles le Comité a considéré que l’obligation faite aux prévenus et aux condamnés de porter un gilet indiquant le lieu de leur détention constitue un traitement dégradant, et que l’obligation faite aux prévenus d’apparaître ainsi vêtus à leur procès est de nature à porter atteinte au principe de la présomption d’innocence (articles 7 et 14 du Pacte).

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

4.1Le 5 avril 2012, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication.

4.2L’État partie se réfère à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, dont l’article 33, consacré aux moyens de contrainte, dispose que:

«Les instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions. Les chaînes et les fers ne doivent pas non plus être utilisés en tant que moyens de contrainte. Les autres instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans les cas suivants:

a) Par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu’ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative».

4.3L’État partie soutient qu’en application de l’alinéa a) de l’article 33 précité, les camisoles des détenus sont enlevées lors de leur présentation devant une autorité judiciaire ou administrative. Il ajoute que le port du gilet dans les prisons civiles du Bénin, loin de constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant ou une violation de la présomption d’innocence, doit être analysé comme un impératif de sécurité. Selon l’État partie, l’auteur commet une erreur d’appréciation, dans la mesure où cette pratique a toujours été appliquée de manière non discriminatoire à tous les détenus des prisons civiles du Bénin, sans aucune intention d’infliger une souffrance aiguë, physique ou morale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Le 21 mai 2012, l’auteur a présenté des commentaires relatifs aux observations de l’État partie, dans lesquels il a réitéré l’ensemble de ses allégations initiales. L’auteur réaffirme que malgré la recommandation adoptée en 2004 par le Comité lors de ses observations finales concernant le rapport initial du Bénin (voir par. 3.3 du présent document), au Bénin, les prévenus continuent de porter un gilet indiquant publiquement leur lieu de détention lorsqu’ils se rendent à des audiences devant les tribunaux, et apparaissent ainsi vêtus à leur procès, en violation des articles 7 et 14, paragraphe 2, du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations, dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles 7 et 14, paragraphe 2, du Pacte, et que les critères de recevabilité ont été remplis. Il déclare donc la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Port du gilet au sein de l’établissement pénitentiaire

7.2Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur, selon laquelle, durant toute sa détention à la maison d’arrêt de Cotonou, du 14 août au 5 septembre 2008, il devait être vêtu d’un gilet portant la mention «Prison civile de Cotonou», y compris lorsqu’il recevait des visites. Le Comité a également pris note de l’argument de l’État partie, qui a soutenu qu’une telle mesure répondait à un impératif de sécurité. Le Comité observe que les arguments avancés par l’auteur, qui a simplement affirmé s’être senti humilié par le port d’un tel gilet en prison, n’ont pas permis au Comité de conclure que les effets de cette mesure avaient été d’une gravité telle qu’il avait été porté atteinte à la dignité de l’auteur, au point de constituer un déni de ses droits au titre de l’article 7 du Pacte.

Port du gilet et de menottes durant l’audience publique du 5 septembre 2008

7.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas répondu à l’allégation de l’auteur, selon laquelle il a été porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence dans les circonstances évoquées plus haut. Le Comité rappelle que toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Ainsi, toutes les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès. Les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux. En l’espèce, et en l’absence de justification de la part de l’État partie, le Comité considère que le port d’un gilet indiquant son lieu de détention et de menottes durant son audience publique ont porté atteinte au droit de l’auteur à la présomption d’innocence, au titre de l’article 14, paragraphe 2, du Pacte.

7.4L’auteur a soutenu qu’il avait dû comparaître devant le tribunal, le 5 septembre 2008, vêtu d’un gilet portant la mention «Prison civile de Cotonou». Son passage devant le public avait occasionné des railleries et des moqueries (voir par. 2.3). Le Comité observe que bien que l’État partie ait affirmé, dans ses observations, que les «camisoles» des détenus étaient enlevées lors de leur présentation devant une autorité judiciaire ou administrative (voir par. 4.3), il n’a pas apporté d’explication, dans le cas d’espèce, quant à la raison pour laquelle l’auteur avait dû porter un tel gilet durant son audience. Le Comité a également pris note de l’allégation de l’auteur selon laquelle il avait été conduit et présenté à son audience menotté, ce que l’État partie n’a pas contesté.

7.5Le Comité observe que l’État partie s’est contenté de justifier, de manière générale, sur un plan sécuritaire, la nécessité d’une telle mesure, mais n’a pas démontré que, dans les circonstances, le port d’un tel gilet et de menottes était nécessaire à la comparution de l’auteur du 5 septembre 2008. Le Comité ne discerne rien dans le dossier qui puisse laisser supposer que l’absence de ce gilet et de menottes pouvait faire craindre un risque de violence ou de fuite, ou tout autre danger pour la sécurité du public. Dès lors, et même s’il ne ressort pas des faits que la mesure en cause avait pour but d’humilier ou d’avilir l’auteur, le Comité accepte que ce dernier ait pu ressentir, au vu du caractère public de l’audience, un sentiment d’humiliation qui dépasse celui que comporte inévitablement une comparution devant un tribunal.Le Comité en conclut que les mesures imposées à l’auteur ont constitué un traitement incompatible avec l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7, et 14, paragraphe 2, du Pacte à l’égard de l’auteur.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à l’indemniser de manière appropriée pour la violation subie. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

Appendice

[Original: anglais]

Opinion individuelle (concordante) de Yuval Shany et de Walter Kälin

Nous sommes d’accord avec le Comité qui a constaté une violation de l’article 14 du Pacte constituée par le fait d’obliger l’auteur à comparaître à l’audience publique menotté et vêtu d’un gilet indiquant son lieu de détention, mais nous ne pensons pas que l’auteur a étayé le grief de violation de l’article 7 du Pacte, constituée par l’humiliation qu’il a subie à l’audience publique. Au paragraphe 7.5 de ses constatations, le Comité a accepté qu’il ne ressortait pas des faits que l’État partie avait eu pour but «d’humilier ou d’avilir» l’auteur, et si l’auteur a pu se sentir humilié par la façon dont il avait été traité publiquement, il n’a pas montré qu’il en était résulté une souffrance mentale allant très au-delà de la souffrance inhérente à sa condition de défendeur dans un procès pénal comparaissant en audience publique, souffrance qui était d’une intensité atteignant le niveau minimal nécessaire pour constituer un traitement dégradant. Nous ne sommes donc pas convaincus que l’État partie a commis une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur.