Nations Unies

CCPR/C/116/D/2409/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 juin 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2409/2014 * , **

Communication présentée par :

Abdilafir Abubakar Ali et Mayul Ali Mohamad (représentés par le Conseil danois pour les réfugiés)

Au nom de :

Les auteurs et leurs deux enfants

État partie :

Danemark

Date de la communication :

28 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Réfé rences :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations :

29 mars 2016

Objet :

Expulsion du Danemark vers l’Italie

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) du Pacte :

7

Article (s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont Abdilafir Abubakar Ali (âgé de 27 ans au moment où la communication a été soumise) et Mayul Ali Mohamad (âgée de 24 ans au moment où la communication a été soumise), Somaliens originaires de Mogadiscio. Ils ont deux enfants, Ali Abdilafir Abubakar (âgé de 2 ans au moment où la communication a été soumise) et Abdi Rahman Abdilafir Abubakar Ali (âgée de 6 mois au moment où la communication a été soumise). Les auteurs et leurs enfants font l’objet d’une mesure d’expulsion vers l’Italie après le rejet par les autorités danoises de leur demande de statut de réfugié au Danemark. Ils affirment qu’en les expulsant avec leurs enfants vers l’Italie, le Danemark commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. Ils sont représentés par le Conseil danois pour les réfugiés. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976.

1.2Le 2 juin 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs et leurs enfants vers l’Italie tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 4 février 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie.

Exposé des faits

2.1Les auteurs sont originaires de Mogadiscio. Ils sont musulmans et appartiennent au clan hawie. Ayant reçu des menaces émanant des Chabab, ils ont fui la Somalie pour la Libye, où ils se sont rencontrés alors qu’ils étaient en détention pour entrée illégale dans le pays. Ils ont donc présenté leur demande d’asile séparément et pour des motifs différents. Abubakar Ali s’est enfui en Libye en 2008. Son frère était soldat dans l’armée somalienne et a été tué par les Chabab en 2007. Après la mort de son frère, Abubakar Ali a été menacé par les Chabab qui le soupçonnaient d’être un espion du Gouvernement. Mayul Ali Mohamad a fui la Somalie pour la Libye après avoir donné à la radio, début 2009, un entretien dans lequel elle avait déclaré que son frère et son mari avaient été tués par les Chabab parce qu’ils avaient travaillé pour le Gouvernement. Elle affirme que, à la suite de cet entretien, des membres des Chabab l’avaient menacée et cherchée à son domicile à plusieurs reprises.

2.2Les auteurs ont été détenus en Libye pendant une année environ, au cours de laquelle Mayul Ali Mohamad a donné naissance à une fille. En 2011, ils se sont rendus en Italie par bateau. Pendant le voyage, ils ont été séparés et leur fille s’est noyée. Ils ont demandé l’asile en Italie en avril et juin 2011, respectivement. Une fois en Italie, ils se sont retrouvés et ont vécu ensemble dans un centre pour demandeurs d’asile. Des organismes caritatifs, en particulier une église, leur donnaient à manger. Le 21 décembre 2011, Mayul Ali Mohamad a donné naissance à leur fils, Ali Abdilafir Abubakar, dans un hôpital en Italie. Le bébé n’allait pas bien mais les auteurs affirment que personne ne les a écoutés ou ne s’est occupé d’eux quand ils ont demandé une aide médicale.

2.3Lorsqu’ils vivaient encore dans le centre pour demandeurs d’asile, les auteurs ont reçu un permis de séjour temporaire. Comme ils ne parlent pas italien, ils n’ont pas compris quelle était la durée de validité du permis. En janvier 2012, on leur a demandé de quitter le centre pour demandeurs d’asile. Ils ont vécu dans la rue pendant quatre mois environ, de janvier à juin 2012. On ne leur a offert aucune aide pour trouver un abri, un logement permanent ou du travail, et ils ont perdu leurs titres de séjour. Ils dormaient dans les gares avec leur fils et les églises leur donnaient à manger. La santé de leur bébé s’est détériorée à cause d’une malformation cardiaque congénitale qui n’avait pas encore été diagnostiquée. Les auteurs affirment en outre qu’ils étaient exposés à la violence. En février ou mars 2012, par exemple, Abubakar Ali a été attaqué par trois personnes qui l’ont frappé jusqu’à ce qu’il tombe par terre. La police est intervenue mais n’a pris aucune mesure contre les agresseurs. Elle a juste dit aux auteurs de ne pas dormir à la gare. Les auteurs n’ont pas déposé plainte parce qu’ils ne parlaient pas italien.

2.4En raison des très mauvaises conditions dans lesquelles ils vivaient, les auteurs ont décidé de partir pour le Danemark, où ils sont arrivés le 20 juin 2012 et ont demandé l’asile. Le 24 avril 2013, le Service danois de l’immigration a décidé que, même s’ils avaient besoin d’une protection subsidiaire, les auteurs devaient être transférés en Italie puisque c’était leur premier pays d’asile. Le 7 octobre 2013, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration, estimant que le cas des auteurs relevait du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers et que, par conséquent, il s’agissait de déterminer si l’Italie pouvait être considérée comme leur premier pays d’asile aux fins du paragraphe 3 de l’article 7 de cette loi. La Commission a indiqué que, pour qu’un pays soit considéré comme le premier pays d’asile, il fallait, au minimum, que les auteurs y soient protégés contre le refoulement, qu’ils puissent y entrer et y séjourner légalement et que leur intégrité personnelle et leur sécurité y soient protégées. Compte tenu des renseignements fournis par les autorités italiennes et par les auteurs, la Commission a considéré comme établi que les deux auteurs avaient obtenu un permis de séjour en Italie en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés. La Commission a par ailleurs déclaré que la notion de protection englobait certains aspects sociaux et financierspermettant aux demandeurs d’asile de jouir de droits essentiels et que les auteurs seraient en mesure de trouver de telles conditions socioéconomiques en Italie, leur premier pays d’asile.

2.5Le 21 mai 2013, le fils des auteurs a été opéré du cœur au Danemark après que les médecins ont diagnostiqué une malformation cardiaque congénitale. Selon les auteurs, les médecins ont également conclu que le bébé n’avait pas été suffisamment examiné à l’hôpital en Italie à sa naissance. En novembre 2013, Mayul Ali Mohamad a donné naissance à Abdilafir Abubakar Ali, au Danemark.

2.6Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles, car la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 7 octobre 2013 est définitive et ne peut pas être contestée. Ils indiquent que la Commission de recours des réfugiés a fondé sa décision négative sur le fait qu’ils avaient reçu un permis de séjour temporaire en Italie, où ils pouvaient entrer et résider légalement et qu’ils pouvaient trouver des conditions socioéconomiques appropriées là-bas aussi.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les expulsant, eux et leurs enfants, vers l’Italie, les autorités danoises commettraient une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. Ils affirment que, après qu’on leur a demandé de quitter le centre pour demandeurs d’asile au début de 2012, ils ne sont pas parvenus à trouver un logement, un emploi ou une forme de solution humanitaire durable en Italie. En outre, ils font valoir que, s’ils sont renvoyés en Italie, ils risquent de se retrouver sans abri ou d’être obligés de vivre dans des camps de fortune, qui sont surpeuplés et où les conditions de vie sont très mauvaises – en effet, comme ils ont obtenu une protection et bénéficié du système d’accueil quand ils sont arrivés la première fois en Italie, ils n’ont plus le droit d’être logés dans des centres d’accueil.

3.2Les auteurs affirment que les conditions d’accueil et de vie en Italie pour les réfugiés détenteurs d’un permis de séjour en cours de validité ou venu à expiration ne sont pas conformes aux normes humanitaires fondamentales et aux obligations internationales en matière de protection. Ils soutiennent que leur expérience dénote des défaillances systémiques en matière d’assistance apportée aux demandeurs d’asile et aux réfugiés en Italie, en particulier les membres de groupes vulnérables. Ils soutiennent en outre qu’ilsse retrouveraient probablement sans abri, dans le dénuement et avec un accès très limité aux soins médicaux en Italie. Ils considèrent donc que l’Italie ne satisfait pas actuellement aux critères humanitaires requis pour l’application du principe de renvoi vers le premier pays d’asile et que, s’ils étaient renvoyés en Italie, ils courraient un risque réel de subir un traitement inhumain et dégradant. Ils appellent l’attention sur le fait qu’ils ont deux enfants en bas âge. Ils considèrent aussi que leur fils aîné, Ali, risquerait de ne pas recevoir de traitement médical et de suivi appropriés de sa maladie cardiaque en Italie, où il n’a pas reçu l’assistance médicale voulue à la naissance, et où sa maladie cardiaque congénitale n’a pas été décelée. Ils font observer en outre que, après qu’on leur avait dit de quitter les centres d’accueil italiens début 2012, ils n’avaient pas été en mesure de trouver un logement, d’obtenir des soins médicaux et de trouver un emploi ou une solution humanitaire durable pour eux-mêmes et leurs enfants, alors qu’on leur avait accordé une protection subsidiaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1En date du 2 décembre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Dans le cas où le Comité estimerait que la communication est recevable, l’État partie considère que le Comité devrait déclarer que le renvoi des auteurs en Italie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte. Plus spécifiquement, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont donné aucune nouvelle information essentielle concernant leur affaire devant le Comité au-delà de celles déjà fournies dans le cadre de la procédure d’asile. Il considère que les renseignements communiqués ont déjà fait l’objet d’un examen approfondi par la Commission de recours des réfugiés dans sa décision du 7 octobre 2013. L’État partie note que la Commission a constaté que le cas des auteurs relevait de l’article 7 (par. 2) de la loi danoise relative aux étrangers (protection). Or, les auteurs avaient déjà bénéficié d’une protection subsidiaire en Italie et pouvaient y rentrer et y séjourner légalement avec leurs enfants. L’Italie est considérée comme le « premier pays d’asile », ce qui justifie le refus des autorités danoises de leur accorder l’asile, conformément à l’article 7 (par. 3) de la loi relative aux étrangers.

4.2L’État partie précise en outre que, lorsqu’elle applique le principe du pays de premier asile, la Commission de recours des réfugiés exige au minimum que le demandeur d’asile soit protégé contre le refoulement et qu’il soit en mesure d’entrer et de s’établir légalement dans le pays concerné. Selon l’État partie, une telle protection comprend certains éléments sociaux et économiques, puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément aux normes humanitaires fondamentales et que leur intégrité personnelle doit être protégée. L’élément essentiel d’une telle protection est que l’intéressé a droit au respect de sa sécurité personnelle, aussi bien au moment de son entrée qu’au cours de son séjour dans le pays de premier asile. L’État partie considère toutefois qu’il n’est pas possible d’exiger que le demandeur d’asile ait exactement les mêmes conditions sociales et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil.

4.3En réponse aux allégations des auteurs relatives à la situation humanitaire en Italie, l’État partie renvoie à la décision d’irrecevabilité prononcée en 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie. Dans cette affaire, la Cour, tenant compte des rapports établis par des organisations tant gouvernementales que non gouvernementales, a considéré que « malgré certaines lacunes, il n’a pas été démontré que la situation générale et les conditions de vie en Italie des demandeurs d’asile, des réfugiés acceptés et des étrangers ayant obtenu un permis de résidence à des fins de protection internationale ou pour considérations d’ordre humanitaire présentait un quelconque manquement systématique à l’obligation d’héberger les demandeurs d’asile et de leur fournir d’autres formes d’assistance en tant que membres d’un groupe de population particulièrement vulnérable, comme cela avait été le cas dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce ». La Cour a estimé que les griefs de la requérante dans cette affaire étaient manifestement infondés et irrecevables, et que l’intéressée pouvait être renvoyée en Italie. Dans la présente affaire, l’État partie considère que, bien que les auteurs se soient appuyés sur les conclusions de la Cour dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (2011), la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein (2013) est plus récente et traite spécifiquement de la situation en Italie. Il fait valoir en outre que, comme l’a fait observer la Cour, une personne qui obtient une protection subsidiaire en Italie se voit accorder un permis de séjour de trois ans renouvelable qui lui permet de travailler, d’obtenir un document de voyage pour étrangers, de bénéficier du regroupement familial et d’avoir accès aux prestations générales en matière d’assistance sociale, de soins de santé, de logement social et d’éducation.

4.4L’État partie renvoie au rapport de 2013 sur l’Italie, cité par les auteurs, qui indique que certains demandeurs d’asile qui n’avaient pas accès aux centres d’accueil étaient contraints de vivre dans des « camps de fortune » souvent surpeuplés. Il fait valoir que, dans la mise à jour de ce rapport en date de novembre 2013, il est indiqué qu’il s’agissait des conditions d’accueil en Italie des demandeurs d’asile, et non des étrangers qui, comme les auteurs, avaient déjà obtenu un permis de séjour. En ce qui concerne la maladie cardiaque du fils des auteurs et leurs affirmations selon lesquelles il aura besoin de soins médicaux et d’un suivi qui ne seront pas disponibles en Italie, l’État partie fait valoir que le traitement de l’enfant s’est achevé avec succès grâce à une opération chirurgicale effectuée au Danemark. Il estime aussi que, selon les informations générales disponibles, le fils des auteurs aura accès à un traitement médical en Italie.

4.5L’État partie renvoie à une autre décision de la Cour européenne des droits de l’homme, rendue en l’affaire Tarakhel c.  Suisse, dans laquelle la Cour a jugé qu’il y aurait une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) si les autorités suisses renvoyaient une famille afghane de Suisse vers l’Italie en vertu du Règlement Dublin avant d’avoir obtenu de la part des autorités italiennes des garanties individuelles quant au fait que les requérants seraient pris en charge d’une manière adaptée à l’âge des enfants et que les membres de la famille ne seraient pas séparés. L’État partie estime que cette décision ne s’écarte pas de la jurisprudence de la Cour concernant des individus et des familles titulaires d’un permis de séjour en Italie, car il s’agit d’une affaire de demandeurs d’asile. Il fait valoir qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les États parties obtiennent des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant de renvoyer des personnes ou des familles ayant besoin de protection qui avaient déjà obtenu un permis de séjour en Italie.

4.6L’État partie conclut que les auteurs n’ont pas étayé le grief selon lequel ils risqueraient de subir un préjudice irréparable en Italie, et que l’expulsion vers l’Italie des auteurs et de leurs enfants ne constituerait pas une violation de l’article 7.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1En date du 28 janvier 2015, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils affirment que les conditions de vie en Italie des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection (subsidiaire) internationale sont analogues, dans la mesure où il n’existe dans ce pays aucun dispositif d’intégration efficace. Les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire font souvent face aux mêmes grandes difficultés pour trouver un abri minimum, accéder à des installations sanitaires et se nourrir. Les auteurs renvoient au rapport pour 2013 du Service jésuite des réfugiés, dans lequel il est indiqué que le véritable problème concerne ceux qui sont renvoyés en Italie et qui bénéficiaient déjà d’une certaine forme de protection, vu  qu’ils ne peuvent plus prétendre à être hébergés dans les centres publics d’accueil pour demandeurs d’asile s’ils ont déjà séjourné dans au moins une des solutions d’hébergement disponibles à leur arrivée et ont quitté le centre de leur plein gré avant le délai fixé. La plupart des personnes qui occupent des bâtiments abandonnés à Rome appartiennent à cette dernière catégorie. Il ressort des études menées que le manque de lieux d’hébergement est un problème de taille, en particulier pour les personnes renvoyées en Italie qui, pour la plupart, bénéficient d’une protection internationale ou humanitaire.

5.2Les auteurs contestent aussi l’interprétation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme mentionnée par l’État partie. Ils soutiennent que la décision rendue dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie se fondait sur l’hypothèse que les autorités italiennes offriraient une solution appropriée pour accueillir la famille de la requérante en Italie. Ils font valoir que rien ne permet de supposer que les autorités italiennes prépareront leur retour dans le pays dans le respect des normes fondamentales relatives aux droits de l’homme.

5.3Les auteurs considèrent que, contrairement à l’interprétation que fait l’État partie, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme la plus pertinente en l’espèce est l’affaire Tarakhel c.  Suisse, car, comme il est indiqué plus haut, les conditions de vie et les difficultés pour trouver un abri, avoir accès à des soins médicaux et se nourrir sont similaires pour les demandeurs d’asile et les personnes qui ont déjà obtenu une protection. Ils relèvent que, dans l’affaire en question, la Cour a déclaré que la présomption selon laquelle un État participant au système de Dublin respecterait les droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme était irréfragable. La Cour a également conclu que, vu la situation actuelle en Italie, « l’on ne saurait écarter comme dénuée de fondement l’hypothèse d’un nombre significatif de demandeurs d’asile privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence ». Elle a invité les autorités suisses à obtenir de leurs homologues en Italie des garanties concernant une prise en charge des requérants (une famille) dans des installations et des conditions adaptées à l’âge des enfants ; faute de quoi, la Suisse commettrait une violation de l’article 3 de la Convention européenne en transférant les requérants en Italie. Les auteurs font valoir que, au vu de cette conclusion, l’absence criante de logements pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire renvoyés en Italie relève de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 7 du Pacte. En conséquence, ils réaffirment que leur expulsion vers l’Italie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs qui disent avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4 Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte sont manifestement dénués de fondement. Il considère cependant que l’argument invoqué par l’État partie à l’appui de la non-recevabilité est intimement lié au fond de l’affaire et devrait donc être examiné à ce stade.

6.5 Le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 7 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui affirment que leur expulsion avec leurs deux enfants mineurs vers l’Italie, sur la base du principe du « pays de premier asile » du Règlement Dublin, les exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. Les auteurs se fondent, notamment, sur le traitement qu’ils ont effectivement subi après avoir reçu un permis de séjour en Italie, ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés qui entrent en Italie, telles qu’elles sont décrites dans différents rapports.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

7.4Le Comité relève que, d’après leurs déclarations qui n’ont pas été contestées, les auteurs ont vécu dans un centre d’accueil de juin 2011 à janvier 2012, date à laquelle on leur a demandé de partir sans leur fournir un autre hébergement, avec leur fils (né le 21 décembre 2011). Par la suite ils ont vécu dans la rue et dans les gares, et dépendaient pour se nourrir des denrées alimentaires données par les églises. Ils ont donc été laissés sans abri et sans moyens de subsistance. Le Comité note également les observations des auteurs qui affirment que leur fils nouveau-né n’a pas reçu les soins médicaux dont il avait besoin à la naissance malgré les demandes adressées aux autorités compétentes. Craignant d’être incapables de subvenir aux besoins de leur enfant et faute de perspective de trouver une solution humanitaire à leur situation en Italie, les auteurs ont quitté le pays et sont allés au Danemark, où ils ont demandé l’asile en juin 2012. Les auteurs, demandeurs d’asile avec deux enfants mineurs, se retrouvent à présent dans une situation de grande vulnérabilité.

7.5Le Comité prend note des différents rapports soumis par les auteurs, mettant en évidence le manque de places disponibles dans les structures d’accueil en Italie pour les demandeurs d’asile et les personnes renvoyées en application du Règlement Dublin. Il note en particulier l’affirmation des auteurs qui font valoir que les personnes renvoyées en Italie ayant déjà reçu une forme de protection et bénéficié des structures d’accueil quand elles se trouvaient dans ce pays ne peuvent en fait pas prétendre à un hébergement dans les centres pour demandeurs d’asile.

7.6Le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a conclu que l’Italie devrait être considérée en l’espèce comme « pays de premier asile », et que la position de l’État partie est que le pays de premier asile est tenu de garantir aux demandeurs d’asile le respect des droits fondamentaux, mais pas d’offrir à ces personnes les mêmes conditions sociales et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil (voir par. 4.2). Il relève que l’État partie a aussi fait référence à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme indiquant que, malgré certaines lacunes, la situation en Italie ne présentait pas de « manquement systématique à l’obligation d’héberger les demandeurs d’asile et de leur fournir d’autres formes d’assistance ».

7.7Le Comité considère néanmoins que l’État partie n’a pas tenu suffisamment compte dans sa conclusion des renseignements fournis par les auteurs, fondés sur leur expérience personnelle, montrant que, bien qu’ils aient obtenu un permis de séjour en Italie, ils y avaient des conditions de vie intolérables. À ce sujet, le Comité relève que l’État partie n’explique pas comment, en cas de renvoi en Italie, les permis de séjour les protégeraient effectivement, ainsi que leurs deux enfants dont l’un a besoin d’un suivi médical, de la précarité et du dénuement exceptionnels qu’ils ont déjà connus dans ce pays.

7.8Le Comité rappelle que les États parties doivent accorder une attention suffisante au risque réel et personnel qu’encourt une personne si elle est expulsée et considère que l’État partie devait effectuer une évaluation personnalisée du risque que les auteurs courraient en Italie et non se fonder sur des informations d’ordre général et sur l’hypothèse que, puisqu’ils ont bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, les auteurs auraient en principe le droit à la même protection aujourd’hui. Le Comité estime que l’État partie n’a pas dûment pris en considération la vulnérabilité particulière des auteurs qui, même s’ils ont droit à une protection subsidiaire, risquent de se retrouver sans abri et ne peuvent pas subvenir à leurs besoins en l’absence de toute assistance des autorités italiennes, y compris les soins médicaux nécessaires pour leur fils nouveau-né. L’État partie n’a pas non plus demandé aux autorités italiennes des assurances suffisantes que les auteurs et leurs deux enfants mineurs seraient pris en charge dans des conditions compatibles avec leur situation de demandeurs d’asile ayant droit à une protection temporaire et avec les garanties prévues à l’article 7 du Pacte, en demandant à l’Italie de s’engager : a) à réémettre ou à renouveler leurs permis de séjour, à délivrer des permis de séjour à leurs enfants et à ne pas les expulser d’Italie ; b) à accueillir les auteurs et leurs enfants dans des conditions adaptées à l’âge de ces derniers et à la situation de vulnérabilité de la famille, leur permettant ainsi de rester en Italie.

7.9En conséquence, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, le renvoi des auteurs et de leurs deux enfants mineurs en Italie en application de la décision initiale de la Commission danoise de recours des réfugiés constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

8 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion des auteurs et de leurs deux enfants vers l’Italie constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, selon lequel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, notamment sous la forme d’un réexamen complet de leur demande, compte tenu des obligations incombant à l’État partie en vertu du Pacte, des présentes constatations du Comité et de la nécessité d’obtenir des assurances de la part de l’Italie, comme indiqué au paragraphe 7.8 ci-dessus, si nécessaire. L’État partie est prié de ne pas expulser les auteurs vers l’Italie tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les faire traduire dans sa langue officielle et les diffuser largement.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de M. Yuval Shany, M. Konstantine Vardzelashvili et Sir Nigel Rodley

Nous sommes en désaccord avec la conclusion du Comité selon laquelle les faits de l’espèce donnent à penser qu’il y aurait violation par le Danemark de l’article 7 du Pacte si les auteurs et leurs deux enfants étaient expulsés vers l’Italie.

Selon la jurisprudence bien établie du Comité, les États parties sont tenus de ne pas expulser une personne de leur territoire « s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que ceux envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite ». Cependant, l’exposition à des difficultés personnelles dans le pays de renvoi ne relève pas dans tous les cas des obligations de non‑refoulement incombant à l’État qui expulse.

Les personnes qui sont susceptibles, après avoir été expulsées, de se retrouver dans l’indigence et de subir des conditions de vie inappropriées peuvent avoir des revendications légitimes à faire valoir auprès du pays de renvoi en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et, peut-être, en vertu également du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Néanmoins, à l’exception, éventuellement, du cas des personnes en proie à des difficultés particulières du fait d’une vulnérabilité spécifique rendant leur situation particulièrement grave et sans remède, le fait qu’une aide sociale ne soit pas disponible ne constitue pas un motif de non‑refoulement. L’interprétation inverse, qui consisterait à considérer toute personne se retrouvant dans l’indigence comme une victime potentielle d’une violation de l’article 7 du Pacte, n’est étayée ni par la jurisprudence du Comité ni par la pratique des États et étendrait les protections offertes par l’article 7 et par le principe de non-refoulement (qui sont de nature absolue) au-delà du raisonnable.

Nous avons appuyé les constatations adoptées par le Comité dans Jasin c. Danemark, mais dans cette affaire les faits étaient nettement différents de ceux de l’espèce et ne conduisaient pas à la même conclusion juridique. Dans Jasin c. Danemark, l’auteure se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulière qui la rendait pratiquement incapable d’assumer les difficultés exceptionnelles qu’elle aurait rencontrées si elle avait été expulsée vers l’Italie. Mère célibataire de trois enfants en bas âge, souffrant de problèmes de santé, elle avait perdu son statut d’immigrante en Italie et le système italien de protection sociale ne lui avait manifestement été d’aucun secours. Dans ces circonstances exceptionnelles, nous avions estimé que, faute d’assurances concrètes relatives à l’octroi d’une aide sociale, l’Italie ne pouvait être considérée comme un pays de renvoi sûr pour l’auteure et ses enfants (ce qui, en conséquence, créait la possibilité d’un refoulement de facto depuis l’Italie vers son pays d’origine).

Dans la présente affaire, les deux auteurs sont des adultes en bonne santé qui, grâce à la protection subsidiaire dont ils bénéficient en Italie, peuvent travailler légalement et subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs deux enfants mineurs. Les faits de l’espèce donnent également à penser que les autorités italiennes ont répondu dans le passé, au moins en partie, aux besoins sociaux des auteurs, qui ont séjourné dans un centre pour demandeurs d’asile pendant plusieurs mois. Bien que l’un des enfants des auteurs ait souffert dans le passé d’une anomalie cardiaque congénitale (communication interauriculaire), les éléments dont nous disposons donnent à penser que l’opération qu’il a subie au Danemark a été un succès, que le problème médical a été totalement réglé et que l’enfant n’a pas besoin d’un traitement ni d’une surveillance étroite (autre qu’un examen de suivi cinq ans après l’intervention), L’expulsion vers l’Italie pourrait placer les auteurs dans une situation plus difficile, mais aucune des informations disponibles ne laisse croire que cette situation serait exceptionnellement grave et irréparable et qu’elle constituerait de ce fait une violation de l’article 7.

Dans ces circonstances, nous ne saurions conclure que la décision des autorités danoises d’expulser les auteurs vers l’Italie était manifestement arbitraire et que son exécution constituerait une violation par le Danemark de l’article 7 du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) de M. Photini Pazartzis

Je suis en désaccord avec les constatations du Comité selon lesquelles, en l’espèce, il y aurait violation de l’article 7 du Pacte si les auteurs et leurs deux enfants étaient expulsés vers l’Italie.

Dans ses conclusions, le Comité rappelle (voir par. 7.3 des constatations) que les États parties ont l’obligation de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité rappelle également sa jurisprudence établie, dont il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf si le Comité constate que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Cela ne semble pas être le cas. Dans sa décision du 7 octobre 2013, la Commission danoise de recours des réfugiés a confirmé la nécessité d’une protection subsidiaire (qui avait déjà été accordée aux auteurs par l’Italie) et, compte tenu de tous les renseignements communiqués par les auteurs, a conclu qu’il n’y avait pas de motif sérieux de croire que ceux-ci subiraient un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés en Italie.

Indépendamment de la terrible situation de vulnérabilité dans laquelle les demandeurs d’asile peuvent se trouver, l’appréciation du risque de préjudice personnel et irréparable repose sur les éléments factuels propres à chaque cas. En l’espèce, les auteurs et leurs deux enfants avaient déjà reçu des autorités italiennes une protection subsidiaire et des permis de travail. Au Danemark, le fils a été opéré d’une anomalie cardiaque congénitale et son traitement s’est achevé avec succès. La présente affaire diffère donc de Jasin c. Danemark, où le Comité était parvenu à une conclusion différente en raison de la situation exceptionnelle de l’auteure, mère célibataire de trois enfants souffrant de problèmes de santé.

Le fait que les auteurs risquent d’avoir des difficultés à trouver un logement ou un travail s’ils sont expulsés vers l’Italie ne constitue pas, à mon avis, un risque réel de détresse, ou de détresse suffisamment grave pour équivaloir à un acte de torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant relevant de l’article 7 du Pacte.

Annexe III

Opinion individuelle (dissidente) de Mme Anja Seibert-Fohr, rejointe par M. Yuji Iwasawa

Nous déplorons les conditions de vie précaires que connaissent de nombreux réfugiés ayant droit à une protection subsidiaire en vertu d’un régime réglementaire adopté par une union d’États fondée sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité. Nous reconnaissons également la nécessité pour l’union d’agir pour remplir cet engagement.

Cependant, sur la base du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et pour les raisons expliquées ci-dessous, nous ne sommes pas en mesure de souscrire à la conclusion de la majorité du Comité en l’espèce, selon laquelle le Danemark enfreindrait l’obligation que lui fait l’article 7 de ne pas soumettre les auteurs à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’il les expulsait vers l’Italie.

Conformément à la jurisprudence établie du Comité, les États partie ont l’obligation « de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ». Au paragraphe 7.3 des présentes constatations, le Comité réaffirme ce principe, soulignant en outre que le risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à son existence.

L’existence d’un risque relevant de l’article 7 doit être déterminée au cas par cas. C’est aux auteurs d’une communication qu’il incombe de présenter des preuves suffisantes pour démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire que, si la mesure contestée était mise à exécution, ils seraient exposés à un risque réel de traitement contraire à l’article 7.

Dans la présente affaire, nous estimons que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé le grief qu’ils tirent de l’article 7.

Avant de partir pour le Danemark, les deux auteurs avaient bénéficié d’une protection subsidiaire en Italie et y avaient reçu un permis de séjour provisoire qui, d’après l’affirmation de l’État partie, laquelle n’a pas été contestée, leur permettait de travailler et leur donnait droit aux prestations générales en matière d’aide sociale, de soins de santé, de logement social et d’éducation. Rien n’indique qu’ils ne pourront pas faire renouveler leur permis de séjour lorsqu’ils retourneront en Italie.

Les auteurs font valoir qu’ils risquent de se retrouver sans abri et dans l’indigence et de n’avoir qu’un accès très limité aux soins médicaux ou d’être obligés de vivre dans des camps de fortune (par. 3.1). Ils fondent le grief qu’ils tirent de l’article 7 sur l’absence de dispositif d’intégration efficace en Italie (par. 5.1) et sur le fait que les autorités italiennes ne leur ont offert aucune aide pour trouver un logement ou un emploi dans le pays (par. 2.3).

Ces affirmations ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte. Comme norme de protection universellement acceptée, cet article dispose que nul ne sera soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les auteurs n’ont pas suffisamment démontré qu’ils seraient exposés à un risque réel d’être soumis à un tel traitement en Italie. Le fait qu’une aide sociale ne soit pas disponible ne constitue pas en soi une violation de l’article 7 Les difficultés et l’indigence que font valoir les auteurs n’atteignent pas un niveau tel que l’expulsion serait cruelle, inhumaine ou dégradante. Étant donné que, dans la présente affaire, les deux auteurs sont autorisés et aptes à travailler, les faits de l’espèce sont nettement différents de ceux de Jasin c. Danemark, parce que dans cette affaire, l’auteure − une mère célibataire de trois enfants en bas âge dont le permis de séjour était venu à expiration en Italie et qui souffrait de problèmes de santé − se serait retrouvée, si elle avait été expulsée, dans une situation constituant une menace pour sa vie et celle de ses enfants. En revanche, dans la présente affaire, la situation juridique des auteurs en tant que bénéficiaires d’une protection subsidiaire qui leur permet de travailler, et leur situation en tant que famille comptant deux adultes en bonne santé aptes au travail, ne justifient pas la conclusion radicale de la majorité du Comité selon laquelle ils ne peuvent subvenir à leurs besoins.

Les auteurs n’ont pas non plus étayé le grief selon lequel leur expulsion exposerait leur fils aîné au risque de ne pas recevoir des soins médicaux appropriés pour sa maladie cardiaque en Italie, puisqu’il n’est pas contesté que son traitement s’est achevé avec succès après l’intervention réalisée au Danemark.

Pour ces raisons, nous estimons que les auteurs n’ont pas démontré que, s’ils étaient renvoyés en Italie, leurs perspectives d’avenir feraient apparaître un risque réel de préjudice suffisamment grave pour relever du champ d’application de l’article 7. En l’absence de fondement suffisant de leurs allégations, il ne saurait être reproché au Danemark de ne pas avoir dûment tenu compte des informations fournies par les auteurs.