Communication présentée par :

J. N.G. P. (représenté par Mme Rosanna Gavazzo)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Uruguay

Date de la communication :

16 mars 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 novembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2015

Objet :

Déroulement de la procédure dans une affaire pénale

Question(s) de fond :

Droit à la vie; interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; détention arbitraire; procédure pénale irrégulière; principe ne bis in idem; interdiction de la discrimination et égalité devant la loi

Question(s) de procédure :

Incompatibilité avec les dispositions du Pacte; défaut de fondement des griefs

Article(s) du Pacte :

2, 3, 6, 7, 9, 14, 15 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (114e session)

concernant la

Communication no 2395/2014 *

Présentée par :

J. N.G. P. (représenté par Mme Rosanna Gavazzo)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Uruguay

Date de la communication :

16 mars 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2395/2014, présentée par J. N.G. P. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est J. N.G. P., de nationalité uruguayenne, né en 1942. Il se déclare victime de violations par l’Uruguay des droits qu’il tient des articles 2, 3, 6, 7, 9, 14, 15 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur rappelle que le 27 juin 1973, dans le cadre d’un conflit interne, le Président de l’Uruguay a dissous les deux chambres du Parlement avec le soutien des forces armées et a institué un régime « civilo-militaire » qui est resté au pouvoir jusqu’au 28 février 1985. En novembre 1975, quelques États de la région, dont l’État partie, ont adopté une stratégie concertée de défense connue sous le nom de « Opération Condor » pour lutter, d’après l’auteur, contre des mouvements guérilleros et terroristes. Lieutenant-colonel dans la marine, l’auteur avait été chargé de mettre en œuvre et d’exécuter en Uruguay les opérations prévues dans le cadre du plan.

2.2En 1984, afin d’établir un régime démocratique, les forces armées, les partis politiques et le Mouvement de libération nationale-Tupamaros (MLN-T) ont conclu un accord appelé le « Pacte du Club naval » qui prévoyait l’adoption de dispositions qui ont été concrétisées plus tard par l’adoption de la loi no 15737 du 8 mars 1985, loi d’amnistie, et de la loi no 15848 relative à l’extinction de l’action publique, du 22 décembre 1986.

2.3La loi no 15737 prévoyait « l’amnistie de tous les délits politiques, des délits de droit commun et des délits militaires connexes, commis à compter du 1er janvier 1962 ». La loi no 15848 disposait que « l’action publique [était] éteinte pour les crimes commis avant le 1er mars 1985 par des membres de l’armée et de la police pour des motifs politiques ou dans l’exercice de leurs fonctions et dans l’accomplissement d’actions ordonnées par des personnes qui occupaient des postes de commandement à l’époque ». La loi no 15848 conférait au pouvoir exécutif la faculté de déterminer si une affaire entrait dans le champ d’application de cette loi et prévoyait, si tel était le cas, que le juge devait classer l’affaire.

2.4L’auteur affirme que, entre 1985 et 2005, les deux lois ont été appliquées et que la Cour suprême a confirmé constamment la constitutionnalité de la loi no 15848. De surcroît, deux referendums ont été organisés en 1986 et en 2009 sur cette loi et la majorité des votants s’est prononcée contre son abrogation lors du premier referendum, et contre son annulation lors du deuxième.

2.5L’auteur affirme qu’à partir de 2005 le pouvoir exécutif était dominé par un parti politique composé de membres des groupes que le régime au pouvoir entre 1973 et 1985 avait combattus et qu’à partir de cette date les autorités du Gouvernement ont utilisé la faculté que la loi elle-même leur conférait pour ouvrir des enquêtes et des actions pénales concernant les infractions commises par des membres des forces armées et de la police entre 1973 et 1985; ces infractions n’étaient pas couvertes par la loi no 15848. L’auteur souligne que d’un autre côté les autorités de l’État partie ont correctement appliqué les dispositions de la loi no 15737 qui, à son avis, est favorable aux membres des groupes que le régime « civilo-militaire » avait combattus.

2.6Dans ce contexte une procédure pénale a été engagée contre l’auteur. Le 11 septembre 2006 il a été inculpé, avec une autre personne, de privation de liberté illégale et a été placé en détention provisoire à l’unité no 8 de la prison Domingo Arena, sur ordre du tribunal pénal de première instance no 19. Au procès, le ministère public a requis la condamnation de l’auteur pour la disparition forcée de 28 personnes, infraction qui aurait été commise en 1976 en Argentine, dans le cadre de l’Opération Condor. La défense a soutenu que l’auteur n’était pas coupable du chef de privation de liberté illégale ni du chef de disparition forcée. Concernant le deuxième chef, elle a fait valoir qu’il s’agissait d’une qualification pénale introduite dans la législation de l’État partie trente ans après les faits qui étaient jugés et que par conséquent son application portait atteinte à des principes de droit pénal comme la sécurité juridique et la non-rétroactivité de la loi pénale. La défense avait également fait valoir que la prescription s’appliquait puisque les faits qui étaient jugés s’étaient produits plus de trente ans auparavant, ou vingt ans si l’on ne tenait pas compte de la période allant jusqu’au 1er mars 1985. Concernant le calcul du délai de prescription, la défense avait également soutenu qu’on ne pouvait pas admettre une prorogation du délai à raison de la dangerosité supposée de l’auteur puisque celui-ci était déjà à la retraite en 1978, qu’il n’occupait plus aucune fonction militaire et qu’il avait 69 ans. Elle avait également soulevé une objection à la position du ministère public et affirmé notamment que les témoins se contredisaient et que l’accusation n’était pas dûment fondée sur des preuves, et qu’en tout état de cause la responsabilité pénale pour les faits jugés devait incomber aux personnes qui avaient capturé les supposées victimes en Argentine.

2.7Le 26 mars 2009 le tribunal no 19 a condamné l’auteur à un emprisonnement de vingt-cinq ans pour homicide spécialement aggravé, en concours réel, de 28 victimes. Le tribunal a conclu que le fait que les corps des victimes n’aient pas été retrouvés et qu’il était impossible de déterminer exactement les circonstances des disparitions n’empêchait pas de conclure que les victimes avaient été assassinées et étaient mortes. D’un autre côté l’accusation de disparition forcée présentée par le ministère public ne pouvait aboutir parce que cette infraction avait été qualifiée très récemment par l’article 21 de la loi no 18026 du 25 septembre 2006, laquelle ne pouvait pas s’appliquer à des faits survenus avant son entrée en vigueur, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Néanmoins le tribunal a noté que les faits, « commis sous le gouvernement de facto dans un contexte de terrorisme d’État et de façon systématique, massive et planifiée, comme la disparition forcée, les homicides […] comportent des pratiques considérées en droit international comme des crimes contre l’humanité, qui sont imprescriptibles et qui doivent être impérativement jugés par tous les États »; que les dispositions relatives à la prescription qui visent à empêcher les enquêtes sur les violations graves des droits de l’homme et le jugement et la sanction des responsables étaient irrecevables en droit international, de sorte que l’État ne pouvait pas les invoquer pour s’exonérer de l’obligation de juger et de punir les responsables. De plus, même en vertu des dispositions pénales internes, la prescription ne s’appliquait pas aux infractions dont l’auteur était inculpé puisque le délai de prescription aurait dû commencer à courir à partir du 1er mars 1985 vu que, pendant les années où le régime était en place, entre 1973 et 1985, il était impossible d’exercer la moindre action en justice en cette matière; que le délai de prescription devait être prorogé d’un tiers, conformément à l’article 123 du Code pénal, en raison de la dangerosité de l’auteur qui ressortait de la gravité des faits et de la nature des mobiles; que l’auteur avait déjà fait l’objet de poursuites judiciaires, ce qui avait interrompu le délai de prescription. Enfin, le tribunal a conclu qu’il y avait des preuves suffisantes pour établir la responsabilité pénale de l’auteur.

2.8L’auteur a fait appel de sa condamnation devant le tribunal d’appel en matière pénale no 2 (tribunal d’appel). L’auteur avançait les mêmes arguments que précédemment et faisait valoir que les infractions dont il avait été inculpé étaient prescrites en vertu de la loi no 15848, comme la Cour suprême l’avait conclu dans une autre affaire et pour d’autres faits, et qu’il fallait donc comprendre que le pouvoir et l’obligation de l’État de juger des faits déterminés avaient cessé avec des effets identiques à une loi d’amnistie et que par conséquent l’affaire était passée en chose jugée; que l’infraction d’homicide était prescrite, que l’on fasse commencer le délai de prescription en 1976 ou en 1985; que l’application de l’article 123 du Code pénal à son cas n’était pas raisonnable eu égard à son âge et à son état de santé; que les dispositions relatives à l’imprescriptibilité de certains crimes contenues dans les instruments internationaux ratifiés par l’État partie ne pouvaient pas être invoquées pour un homicide; que tout ce que l’auteur avait fait pendant la période en question s’inscrivait dans le cadre de l’obéissance aux ordres des supérieurs dans une institution militaire; qu’il existait une irrégularité de procédure dans l’appréciation des preuves apportées pour l’infraction d’homicide; que les déclarations des témoins étaient contradictoires; que l’existence d’un lien de causalité entre les faits et sa culpabilité n’avait pas été démontrée.

2.9L’auteur affirme que le 19 octobre 2009, dans un autre procès auquel il n’était pas partie, la Cour suprême a déclaré pour la première fois l’inconstitutionnalité de l’article 1er et des articles 3 et 4 de la loi no 15848 et a conclu qu’ils n’étaient pas applicables dans l’affaire en question. Depuis lors, appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de ces articles, la Cour suprême a statué dans les deux sens. L’auteur affirme que la déclaration d’inconstitutionnalité d’une règle de droit par la Cour suprême dans un cas concret n’a pas un effet général.

2.10Le 4 février 2010, le tribunal d’appel a pris note en détail des preuves produites au procès et a confirmé la culpabilité de l’auteur pour homicide spécialement aggravé en concours réel. Il a relevé que la loi no 15848 n’accordait pas d’amnistie mais portait simplement sur l’extinction de l’action publique, qui ne s’appliquait pas ipso jure mais exigeait une décision du pouvoir exécutif. Concernant le commencement du délai de prescription pour l’infraction d’homicide, il a établi que le délai courait à partir du 1er mars 1985 puisque avant cette date le ministère public, titulaire de l’action publique, ne pouvait pas exercer celle-ci librement et que dans la pratique une enquête sur ces faits ne pouvait pas être menée sous le régime en place dans l’État partie entre 1973 et 1985. À ce sujet le tribunal a rappelé les dispositions adoptées par le régime, qui avait ainsi restreint les compétences de l’autorité judiciaire et, entre autres mesures, avait déclaré que tous les magistrats étaient nommés à titre provisoire et pouvaient donc être révoqués par le pouvoir exécutif. Il a également conclu que la prorogation du délai de prescription d’un tiers conformément à l’article 123 du Code pénal était applicable.

2.11L’auteur s’est pourvu en cassation auprès de la Cour suprême et a formulé les mêmes griefs. En date du 6 mai 2011 la Cour suprême a rejeté le pourvoi. L’auteur affirme qu’avec cette décision tous les recours internes ont été épuisés.

2.12Le 27 octobre 2011, le Sénat et la Chambre des représentants ont adopté la loi no 18831 qui a rétabli le plein exercice de l’action publique « pour les infractions commises dans le contexte du terrorisme d’État jusqu’au 1er mars 1985, visées à l’article premier de la loi no 15848 ». La loi disposait également qu’il n’y aurait pas « de délai de prescription ni d’extinction de l’action publique pour la période comprise entre le 22 décembre 1986 et la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi en ce qui concerne les infractions visées à l’article premier » et affirmait que ces infractions étaient « des crimes contre l’humanité, conformément aux instruments internationaux » auxquels l’Uruguay était partie.

2.13L’auteur a aussi formé plusieurs recours et appels pour demander à exécuter la peine prononcée par le tribunal no 19 sous le régime de l’assignation à domicile, conformément aux articles 131 et 326 du Code de procédure pénale, en raison de son âge avancé et de sa santé fragile. Il faisait valoir qu’il courait un risque de mort subite et que les conditions dans l’établissement où il était incarcéré n’étaient pas adaptées à son état et ne pouvaient pas assurer une prise en charge médicale rapide et adéquate. Le 4 mars 2013, le tribunal no 19 a rejeté la demande d’assignation à domicile et a ordonné que l’auteur soit maintenu dans l’unité no 8 de la prison Domingo Arena. Le tribunal a souligné que l’établissement avait les équipements nécessaires pour répondre aux besoins de l’auteur et que des dispositions avaient été prises pour que, en cas d’appel d’urgence, il soit transporté rapidement dans un centre hospitalier, ce qui s’était effectivement passé plusieurs fois puisqu’il avait été transféré à l’hôpital militaire où il était resté du 30 août au 6 novembre et du 12 au 30 novembre 2012, puis de nouveau du 3 décembre 2012 au 4 mars 2013; malgré son âge avancé et ses multiples pathologies, le rapport complémentaire d’un médecin légiste indiquait que les syncopes répétées étaient survenues dans le centre de détention aussi bien qu’à l’hôpital, ce qui montrait qu’elles n’étaient pas liées au lieu de détention.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il est victime de violations par l’État partie des articles 2, 6, 7, 9, 14, 15 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur se réfère à l’article premier de la loi no 15848, applicable à son cas, qui dispose que « l’action publique est éteinte » et il affirme que les droits qu’il tient du Pacte ont été violés du fait que les procédures judiciaires dans l’État partie sont conduites sans que soient respectés des principes élémentaires du droit pénal, comme la prescription pénale, la non-rétroactivité de la loi pénale, la chose jugée et le principe ne bis in ídem. Dans son cas, les preuves produites au procès n’étaient pas solides et il a été condamné sur la base des déclarations de témoins qui étaient partiaux et d’informations contenues dans des enquêtes journalistiques et des publications également partiales, en violation du droit à une procédure régulière et du droit d’être jugé par un tribunal impartial. Les preuves avaient été recueillies sans que les garanties judiciaires soient respectées, sans que son avocat puisse prendre connaissance de ces preuves et sans qu’il y ait de certitude sur leur authenticité ou leur provenance. L’auteur affirme qu’à toutes les audiences les mêmes témoins ont comparu, qui avaient tous été détenus par les forces armées. Il ajoute qu’il a été poursuivi comme un « ennemi de l’État » pour des infractions commises dans d’autres pays et qui avaient fait l’objet d’enquêtes dans ces pays mais sur le fondement de considérants factuels différents et dont la responsabilité avait été attribuée à d’autres personnes. Les autorités judiciaires n’ont pas pris en considération la disposition de l’article 29 du Code pénal, qui porte sur le devoir d’obéissance et exclut la responsabilité pénale d’un individu dans une structure militaire. De surcroît, dans la majorité des procès conduits contre des militaires et des policiers, le procureur était M. G., qui avait exprimé ouvertement son hostilité à l’égard de l’armée.

3.3L’auteur fait valoir que les actions engagées contre lui étaient prescrites en vertu des articles 117 et 119 du Code pénal et que le juge aurait dû s’abstenir de les connaître et le procureur aurait dû demander le non-lieu. Or les tribunaux ont arbitrairement décidé que le délai de prescription devait commencer à courir le 1er mars 1985 alors qu’il n’existait aucune disposition établissant cette règle. Contrairement à l’avis du tribunal pénal no 19 l’auteur affirme qu’avant cette date les tribunaux étaient libres d’examiner toute affaire dans l’État partie. Il ajoute que même si l’on prend la date du 1er mars 1985 comme commencement du délai de prescription, l’infraction d’homicide pour laquelle il a été jugé était prescrite en 2005. Or les tribunaux ont retenu pour lui la notion de dangerosité définie à l’article 123 du Code pénal, afin de proroger le délai de prescription pour cette infraction. L’application de cet article à son cas est illégale et arbitraire compte tenu de son âge et de son état de santé et du fait qu’il ne s’est jamais soustrait à la justice.

3.4L’auteur affirme que la Constitution de l’Uruguay consacre le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale et que par conséquent la loi no 18026, du 25 septembre 2006, ne peut pas être lui appliquée puisque les faits pour lesquels il a été jugé s’étaient produits une trentaine d’années auparavant.

3.5Pour certains des faits qui lui ont valu d’être condamné en 2009 une décision judiciaire avait déjà été rendue et passée en force jugée. L’auteur signale que dans le cadre du procès de J. G. pour la privation de liberté et l’homicide de M. C. G., la Cour suprême avait rejeté le recours en inconstitutionnalité relatif à l’article 3 de la loi no 15848 et avait ordonné l’arrêt des procédures engagées. Plus tard toutefois, sans tenir compte de cet arrêt de la Cour suprême, le tribunal a jugé l’auteur pour des infractions dont la victime était M. C. G., en violation de la règle de la chose jugée et du principe ne bis in idem. De surcroît la Cour suprême est allée contre sa propre jurisprudence, constante entre 1985 et 2005, confirmant la constitutionnalité de la loi no 15848. Cette loi avait même fait l’objet par deux fois d’un referendum dont le résultat avait été favorable.

3.6Le placement de l’auteur en détention en 2006 était illégal, arbitraire et motivé par un esprit de vengeance. Dans ce contexte le juge a décidé arbitrairement de ne pas appliquer la loi no 15848, qui était encore en vigueur.

3.7De façon arbitraire et déraisonnable les tribunaux ont refusé que l’auteur exécute sa peine sous le régime de l’assignation à domicile. Dans son cas, ce refus équivaut à un traitement contraire aux droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. L’auteur maintient que, âgé de plus de 72 ans, il est de santé très fragile, qu’il a besoin de soins en permanence, qu’il a été admis plusieurs fois à l’hôpital militaire et qu’il a failli mourir de trois syncopes, parce qu’il n’a pas été pris en charge immédiatement et que les équipements médicaux étaient insuffisants. En ce qui concerne son état de santé, l’auteur affirme qu’il souffre de plusieurs pathologies : une cardiopathie ischémique, une prostatite, des infections urinaires hautes, une insuffisance rénale, une hépatopathie chronique, la maladie de Parkinson, un mélanome du tronc, un scotome à l’œil gauche, une pathologie musculaire, une diverticulose du colon, une pathologie du rachis au niveau cervical et lombaire, le syndrome du canal carpien et une pansinusite. Il ajoute enfin que compte tenu de son âge la condamnation à vingt-cinq ans d’emprisonnement équivaut dans la pratique à la réclusion à perpétuité.

3.8En ce qui concerne l’article 15 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’il a été inculpé pour des actes qui n’étaient pas considérés comme des infractions à l’époque où ils ont été commis. Il souligne que l’imprescriptibilité des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité est établie par la loi no 18026 qui est entrée en vigueur le 25 septembre 2006. Par conséquent ce texte ne pouvait pas être appliqué à des faits qui s’étaient produits avant cette date.

3.9Enfin l’auteur affirme que l’État partie applique différemment les lois no 15737 et no 15848, en violation des droits consacrés par l’article 26 du Pacte. Il considère que la loi no 15848, même si elle ne s’appelle pas ainsi, doit être considérée comme une loi d’amnistie, d’application générale. Toutefois, à la différence de la loi no 15737, qui est appliquée sans exception, la loi no 15848 n’est pas considérée comme une loi d’amnistie et il faut que le pouvoir exécutif détermine pour tous les faits visés dans la procédure s’ils entrent ou non dans le champ d’application de cette loi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une lettre du 24 juillet 2014, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité de la communication. Il affirme que celle-ci doit être déclarée irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement et constitue un abus du droit de présenter une communication ratione materiae.

4.2L’État partie affirme que l’auteur a été jugé dans le respect de toutes les garanties d’une procédure régulière et par des tribunaux pénaux indépendants et impartiaux, selon les règles de l’état de droit.

4.3L’auteur a été privé de liberté par une décision judiciaire rendue par un juge compétent, conformément à la loi; il a été défendu par l’avocat de son choix et a bénéficié de toutes les facilités nécessaires pour préparer et exercer sa défense, produire des preuves et étudier les preuves présentées par l’accusation. Il a également pu former tous les recours prévus par la loi.

4.4Pour ce qui est de la condamnation, l’État partie souligne qu’alors que le parquet avait requis la qualification de disparition forcée, le tribunal no 19 a condamné l’auteur uniquement du chef d’homicide spécialement aggravé en concours réel d’infractions pour la mort de 28 personnes. Ce jugement a ensuite été confirmé par la juridiction d’appel. De plus, la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur car elle n’avait constaté aucun vice de forme et aucune application erronée des règles de droit dans l’affaire. La Cour suprême a également considéré que l’ensemble de preuves produites avait « dûment démontré la participation des inculpés dans les actions coordonnées de répression, d’enlèvement, de torture commis contre des citoyens uruguayens et dans les 28 homicides spécialement aggravés, faits d’une extrême gravité montrant clairement le degré élevé de dangerosité des inculpés ». Toutes les juridictions saisies ont conclu que l’infraction de disparition forcée ne pouvait pas être retenue en l’espèce.

4.5L’État partie informe le Comité que l’auteur avait été poursuivi pour d’autres faits d’homicide par le tribunal de première instance de Paso de los Toros et par le tribunal pénal de première instance no 2, et avait été acquitté à l’issue du premier procès. On ne peut donc pas dire que l’auteur a subi une discrimination ou n’a pas bénéficié des garanties judiciaires dans ces procès.

4.6L’auteur a été condamné par le tribunal no 19 pour homicide spécialement aggravé, mais le parquet avait requis la qualification de disparition forcée en se fondant sur la doctrine et la jurisprudence les plus récentes en droit international des droits de l’homme, qui considère que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et doivent obligatoirement être jugés par tous les États. Il ajoute que les États ont l’obligation d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme, au nom du droit à la vérité, à la mémoire et à la justice.

4.7Compte tenu des considérations exposées dans le paragraphe précédent, l’État partie affirme que la prescription pénale ne peut pas s’appliquer à des moments où les individus ne peuvent pas exercer leurs droits et ne bénéficient pas des garanties judiciaires. L’État partie souligne que dans le cas de l’auteur il ne s’agit pas seulement d’infractions de droit commun mais d’un homicide spécialement aggravé étant donné qu’à l’époque des faits la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées n’était pas encore en vigueur. Toutefois, comme l’ont établi les tribunaux saisis de l’affaire, l’auteur a commis les violations les plus graves et les plus systématiques des droits de l’homme, constituées par des disparitions forcées, des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires et illégales commises dans le cadre d’une dictature civilo-militaire qui sévissait dans l’État partie entre 1973 et 1985.

4.8L’État partie affirme que l’auteur ne peut pas utiliser sa communication au Comité pour obtenir un examen en quatrième instance.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1En date du 15 août 2014, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il reprend ses allégations et affirme qu’il y a eu violation de l’article 2 du Pacte parce que les lois pénales étaient appliquées différemment dans l’État partie, pour des raisons politiques.

5.2L’auteur affirme que vu son âge et son état de santé un emprisonnement de vingt-cinq ans équivaut à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort et constitue une atteinte aux droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte.

5.3L’auteur souligne qu’il n’a pas été condamné pour des crimes contre l’humanité et qu’il faut donc lui appliquer les délais de prescription fixés pour l’homicide.

5.4L’auteur informe le Comité que depuis deux ans il est en permanence à l’hôpital militaire et qu’avant cela il avait été transféré plusieurs fois du centre de détention à l’hôpital militaire en raison de ses graves problèmes de santé.

5.5L’auteur affirme que l’État partie n’a pas appliqué la prescription pour les infractions dont il était inculpé, que le principe ne bis in idem et la règle de la chose jugée n’ont pas été respectés non plus et qu’il n’a pas été traité devant la loi à égalité avec d’autres citoyens, en violation des articles 9, 14, 15 et 26 du Pacte.

5.6L’auteur informe le Comité qu’il avait été jugé par le tribunal pénal de première instance no 2 et non pas condamné (voir par. 4.5 ci-dessus).

5.7L’auteur affirme qu’il n’a pas eu accès au dossier dans la procédure conduite par le tribunal no 19 et à l’issue de laquelle il a été condamné pour homicide aggravé, que la défense n’a pas eu véritablement la possibilité d’examiner les preuves et que la procureure, M. G., n’était pas impartiale parce qu’elle avait été liée aux mouvements opposés au régime qui était au pouvoir dans l’État partie dans les années 1970.

5.8L’auteur affirme que les restes de deux des victimes des homicides pour lesquels il avait été condamné ont été retrouvés en Argentine ce qui d’après lui démontre qu’il a été condamné sans preuves suffisantes.

5.9La plainte ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication puisque l’auteur a épuisé les recours internes et que les conditions de recevabilité définies dans le Protocole facultatif et le règlement intérieur du Comité sont réunies.

5.10L’auteur signale que des représentants de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de Brasilia, parmi lesquels il y avait un médecin, lui ont rendu visite le 23 juillet 2014 à l’hôpital militaire et que le CICR a recommandé aux autorités de l’État partie de le placer immédiatement en régime d’assignation à domicile.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1En date du 15 janvier 2015, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond de la communication et a affirmé de nouveau que celle-ci devait être déclarée irrecevable.

6.2Pour ce qui est des articles 2 et 26 du Pacte, l’État partie objecte que le procès pénal de l’auteur n’avait aucune motivation politique et qu’il a été conduit conformément à la législation pénale ordinaire, c’est-à-dire aux dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale et à d’autres règles applicables à son cas, et dans le respect de la Constitution, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et du Pacte.

6.3Les lois qui ont assuré de façon transitoire l’impunité à ceux qui avaient commis de graves violations des droits de l’homme sous le régime au pouvoir entre 1973 et 1985 ont été révisées afin que l’action de la justice puisse reprendre, que la mémoire soit préservée et que les responsables soient punis. L’auteur était parmi les militaires les plus actifs sous ce régime et avait fait partie des commandos qui avaient exécuté les opérations de l’opération Condor; il a donc été accusé de violations graves et systématiques des droits de l’homme.

6.4L’auteur a été condamné à un emprisonnement de vingt-cinq ans en toute légitimité et dans le respect des lois en vigueur et des normes internationales et à la mesure de la gravité des crimes commis et des préjudices causés. Dès son placement en détention provisoire et jusqu’à aujourd’hui, l’État partie a pris les mesures nécessaires pour assurer la protection de sa vie, de sa sécurité personnelle et de son intégrité physique et psychique et l’a toujours traité dans le respect de sa dignité. Par conséquent, l’État partie maintient que ni la peine prononcée ni les conditions dans lesquelles elle est exécutée ne constituent une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

6.5En ce qui concerne les allégations de violation des articles 9 et 14 du Pacte, l’État partie affirme que la procédure judiciaire a été menée à bien dans le respect des garanties d’une procédure régulière et conformément aux dispositions législatives en vigueur, et s’est achevée dans des délais raisonnables eu égard à la complexité de l’affaire. L’auteur a pu exercer son droit à la défense et tous les actes judiciaires ont été réalisés par les autorités compétentes, en toute indépendance et impartialité.

6.6En ce qui concerne la demande d’assignation à domicile, l’État partie dit que la décision est soumise à la discrétion d’un juge et qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle, prise en cas de danger de mort ou de problème de santé extrêmement grave. Le refus d’accéder à la demande de l’auteur est fondé sur le rapport de médecins légistes régulièrement désignés par le tribunal saisi de la demande, rapport où il est dit que « en raison de l’âge et de la pathologie cardiovasculaire, le patient présente un risque de mort subite en toutes circonstances de temps et de lieu », ce qui signifie que la détention dans un établissement pénitentiaire où se trouvent exclusivement des militaires ne diminue ni n’aggrave le risque de décès du fait des pathologies de l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Par une lettre du 5 mars 2015, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur le fond de la communication et a soulevé de nouveau les griefs qu’il avait déjà formulés.

7.2L’auteur réaffirme que, à cause de sa santé fragile et de son âge avancé, il se trouve en permanence à l’hôpital central des forces armées et que l’État partie n’a pas suivi la recommandation du CICR tendant à le placer immédiatement sous le régime d’assignation à domicile, malgré plusieurs demandes présentées par lui-même et bien que ces recommandations aient été portées à la connaissance du juge de l’exécution des peines no 1. De l’avis de l’auteur, ce refus démontre le manque d’impartialité des autorités de l’État partie.

7.3Contrairement à d’autres condamnés, l’auteur n’a jamais eu de permission spéciale de sortir depuis qu’il a été incarcéré, pas même au décès de parents proches.

7.4L’auteur dénonce une violation de l’article 2 du Pacte, faisant valoir que le procès pénal et l’adoption de certaines dispositions législatives comme la loi no 18831 s’inscrivent dans le cadre d’une persécution politique de la part du Gouvernement de l’État partie. Celui-ci prétend ainsi ignorer les règles élémentaires du droit pénal comme la prescription, le principe ne bis in idem et la non-rétroactivité de la loi pénale.

7.5L’auteur ajoute que la procureure qui a conduit la procédure avait été démise de ses fonctions par le régime au pouvoir dans l’État partie entre 1973 et 1985 et que son mari avait été arrêté à cette époque, raison pour laquelle elle aurait dû se déporter et ne pas participer à ce procès pour manque d’impartialité.

7.6L’auteur ajoute que l’État partie ne peut pas ignorer les lois no 15737 et no 15848, qui ont permis de rétablir la démocratie et la paix dans le pays. De plus, la non-abrogation de la loi no 15737, qui avait accordé l’amnistie pour un groupe de personnes, lesquelles ont échappé ainsi au procès pour des infractions graves, entraîne une inégalité de traitement entre les personnes qui ont pu commettre des infractions pendant la période comprise entre 1973 et 1985, en violation de l’article 3 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur a été condamné par le tribunal no 19, qu’il a fait appel du jugement de condamnation devant le tribunal d’appel, et qu’ensuite, le 6 mai 2011, la Cour suprême a rejeté son pourvoi en cassation. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas soulevé d’objection en ce qui concerne l’épuisement des recours internes. Par conséquent, il conclut que rien ne s’oppose à l’examen de la communication au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note des griefs de violation de l’article 2 du Pacte avancés par l’auteur, qui affirme que son procès pénal, ainsi que la façon dont la législation pénale a été appliquée et l’adoption par l’État partie de nouvelles dispositions juridiques, comme la loi no 18831, répondaient à des considérations politiques. Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que les dispositions de l’article 2, qui définissent les obligations générales des États parties, ne peuvent être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Il considère par conséquent que les griefs de l’auteur à ce sujet ne sont pas recevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Concernant les articles 3 et 26 du Pacte, le Comité prend note des griefs de l’auteur qui affirme que les lois no 15737 et no 15848 ont été appliquées différemment parce que la loi no 15848 n’a pas été considérée comme une loi d’amnistie d’application générale et exigeait une décision du pouvoir exécutif qui devait déterminer si les faits instruits tombaient ou non sous le coup de cette loi; l’auteur ajoute que la non-abrogation de la loi no 15737 entraîne également une inégalité de traitement entre ceux qui peuvent avoir commis des infractions analogues dans la période comprise entre 1973 et 1985. Le Comité note que les lois no 15737 et no 15848 sont différentes dans leur nature et dans leur champ d’application et que l’auteur ne dénonce pas une discrimination par rapport au traitement accordé aux femmes, par exemple, ou une discrimination faite dans la loi en question à l’égard d’autres personnes qui se trouvent dans une situation analogue à la sienne. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note des griefs relatifs à l’article 9 soulevés par l’auteur qui affirme que son placement en détention, en 2006, était illégal, arbitraire et motivé par une volonté de vengeance, et que le tribunal no 19 a décidé arbitrairement de ne pas appliquer la loi no 15848. Il prend note également des arguments de l’État partie qui objecte que l’auteur a été privé de liberté sur ordre d’un juge compétent, conformément à la loi, qu’il a bénéficié de toutes les garanties judiciaires et a eu la possibilité de former tous les recours prévus par la loi et qu’il a été jugé dans des délais raisonnables eu égard à la complexité de l’affaire. Le Comité relève que l’auteur s’est borné à présenter des allégations générales et estime que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif; il déclare par conséquent cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne l’article 15 du Pacte, le Comité note que l’auteur affirme avoir été inculpé de disparition forcée de personnes alors que cette infraction a été introduite par l’État partie dans la loi no 18026, entrée en vigueur le 25 septembre 2006 seulement. Le Comité note que l’État partie fait observer que l’auteur a été condamné uniquement pour homicide spécialement aggravé et que malgré l’appel interjeté par le ministère public cette condamnation a été confirmée par les juridictions supérieures, ce qui signifie qu’il n’a jamais été jugé et condamné pour disparition forcée de personnes. Par conséquent le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité note que l’auteur affirme que, en violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, certains des actes pour lesquels il a été condamné en 2009 avaient déjà fait l’objet d’une décision judiciaire passée en force jugée. Le Comité relève toutefois que l’auteur se réfère à un autre procès pénal, qui concernait une personne qui n’était pas parmi les victimes pour lesquelles le procès pénal visé dans la communication avait été engagé et que rien dans les éléments versés au dossier ne permet de conclure que l’auteur a été jugé deux fois pour les actes commis contre les 28 victimes de l’affaire jugée par le tribunal no 19. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas pu exercer son droit à la défense parce que les preuves à charge avaient été recueillies sans que les garanties judiciaires soient respectées, sans que la défense puisse les étudier et sans qu’il y ait la moindre certitude au sujet de leur authenticité ou de leur provenance, et qu’il n’a pas pu consulter le dossier. Le Comité note que l’auteur n’a pas expliqué en quoi son droit à la défense avait été restreint pendant le procès pénal et que ses griefs ne sont étayés par aucun document qui laisse présumer que le droit à la défense a été en effet restreint par les autorités de l’État partie. Le Comité estime donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité, et conclut que celle-ci est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.10Le Comité estime que les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7 ainsi que le reste de la plainte, qui soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare ces griefs recevables.

Examen de la communication au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que la peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement revient à une réclusion à perpétuité et qu'en raison de son âge avancé et de son mauvais état de santé le refus du placement en régime d’assignation à domicile, malgré la recommandation du CICR, constitue une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie qui objecte que, depuis le placement en détention provisoire et jusqu’à aujourd’hui, les mesures nécessaires ont été prises pour protéger la vie de l’auteur, sa sécurité et son intégrité physique et psychique, qu’il est traité dignement, et que l’assignation à domicile est une décision exceptionnelle prise quand la vie de l’intéressé est en jeu ou quand son état de santé est extrêmement grave.

9.3Le Comité constate que les autorités juridictionnelles ont fixé la peine de l’auteur conformément à la loi et en fonction de la gravité des infractions commises et du préjudice causé. D’un autre côté il relève que l’auteur présente plusieurs pathologies et a une santé fragile et que d’après des rapports médicaux il pourrait décéder de mort subite. Toutefois l’auteur n’est pas incarcéré dans un établissement pénitentiaire ordinaire et depuis trois ans il exécute sa peine à l’hôpital militaire. L’auteur ne s’est pas plaint au Comité de ce que les soins et les traitements administrés à l’hôpital militaire ne sont pas suffisants et n’a pas apporté de preuves convaincantes en ce sens; il n’a pas non plus expliqué pourquoi le risque pour sa vie ou son intégrité physique serait moindre s’il exécutait sa peine à domicile. L’auteur n’a pas signalé non plus que les autorités avaient l’intention de le transférer dans un établissement pénitentiaire. Par conséquent, et dans les circonstances particulières de l’affaire, le Comité ne dispose pas d’informations suffisantes pour constater une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

9.4En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteur qui met en cause l’impartialité des autorités judiciaires au motif qu’il a été reconnu coupable et condamné sur la foi de déclarations de témoins partiaux et d’informations contenues dans des enquêtes journalistiques et des publications partiales, et que dans la majorité des procès conduits contre des militaires et des policiers le procureur était M. G., qui avait exprimé ouvertement des opinions hostiles aux forces armées et avait été démise de ses fonctions précisément par le régime en place dans l’État partie entre 1973 et 1985. De plus, les tribunaux n’ont pas déclaré prescrit l’homicide pour lequel l’auteur a été jugé, conformément aux articles 117 et 119 du Code pénal, mais ont décidé arbitrairement que le délai de prescription commençait à courir le 1er mars 1985 et qu’il fallait appliquer à l’auteur la notion de dangerosité, conformément à l’article 123 du Code pénal, afin de proroger d’un tiers le délai de prescription pour cette infraction, sans tenir compte de l’âge de l’auteur, de son état de santé et du fait qu’il ne s’était jamais soustrait à la justice.

9.5Le Comité prend également note des réponses de l’État partie qui affirme que l’auteur a été jugé au pénal dans le respect de toutes les garanties judiciaires et par des tribunaux indépendants et impartiaux, que les tribunaux ont conclu à sa culpabilité après avoir examiné et apprécié tous les moyens de preuve qui démontraient cette culpabilité, et que les preuves apportées au procès pour l’infraction d’homicide aggravé montrent le degré élevé de dangerosité de l’auteur, ce qui justifiait la prorogation du délai de prescription prévue par l’article 123 du Code pénal. De plus, la décision de faire courir le délai de prescription à partir du 1er mars 1985 n’a pas été arbitraire et les preuves produites devant les tribunaux montraient que l’auteur était responsable de violations graves et systématiques des droits de l’homme, comme des disparitions forcées, des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires et illégales, commises dans l’État partie dans le cadre de la dictature civilo-militaire entre 1973 et 1985.

9.6Le Comité relève que pour cette partie de la communication, les allégations de l’auteur portent principalement sur l’appréciation des faits et des preuves et sur l’application de la loi interne par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité a examiné les documents présentés par l’auteur, notamment les décisions du tribunal no 19, du tribunal d’appel et de la Cour suprême, en date du 26 mars 2009, du 4 février 2010 et du 6 mai 2011, et considère que ces pièces ne montrent pas que les procédures conduites ont été entachées de telles irrégularités. Le Comité relève également que la décision de faire courir le délai de prescription à partir du 1er mars 1985 n’a pas été arbitraire puisqu’elle avait été prise compte tenu du fait que c’est à cette date que la démocratie avait été rétablie dans l’État partie, qu’avant cette date, dans la pratique, les autorités judiciaires ne pouvaient pas agir en bénéficiant de toutes les garanties et libertés et eu égard à la gravité des faits jugés, qui pouvaient constituer des violations graves des droits de l’homme reconnus dans le Pacte et dans d’autres instruments internationaux. Par conséquent, le Comité considère que le procès pénal en cause n’a pas constitué une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’un quelconque des articles du Pacte.