Nations Unies

CCPR/C/111/D/1942/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 août 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1942/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7‑25 juillet 2014)

Communication présentée par:

T.L.N. (représenté par un conseil, Steinar Thomassen)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Norvège

Date de la communication:

11 décembre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 mai 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

16 juillet 2014

Objet:

Défaut de motivation d’un jugement rendu en appel par un jury à la suite du recours exercé par l’auteur contre sa condamnation au pénal

Question ( s ) de fond:

Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Question(s) de procédure:

Néant

Article(s) du Pacte:

14 (par. 5)

Article(s) du Protocole facultatif:

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 1942/2010 *

Présentée par:

T.L.N. (représenté par un conseil, Steinar Thomassen)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Norvège

Date de la communication:

11 décembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 1942/2010présentée par T.L.N. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

L’auteur de la communication est T.L.N., né en 1974 au Viet Nam. Il affirme être victime d’une violation par la Norvège des droits qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 9 mai 2008, le parquet des comtés de Vestfold et de Telemark a engagé des poursuites pénales contre l’auteur devant le tribunal de district de Sandefjord pour infractions aux articles 192, 195, 199, 201 et 219 du Code civil et pénal général norvégien. Le chef d’accusation le plus grave concernait une infraction à l’article 192 du Code pénal, à savoir le viol par l’auteur de son beau-fils pendant la période comprise entre 2004 et 2006, alors que la victime était âgée de 11 à 13 ans.

2.2L’affaire a été entendue sur le fond en première instance par le tribunal de district de Sandefjord, entre le 17 et le 19 septembre 2008. Par un jugement rendu le 19 septembre 2008, l’auteur a été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre lui et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans. Il lui a également été ordonné de verser à la partie lésée une indemnisation d’un montant de 200 000 couronnes norvégiennes.

2.3Le 26 septembre 2008, l’auteur a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel d’Agder. Son recours a été examiné à Tønsberg entre le 12 et le 15 janvier 2009. La cour d’appel siégeait avec un jury, qui a répondu par l’affirmative à toutes les questions qui lui avaient été posées, et elle a confirmé ce verdict. Par sa décision, rendue le 16 janvier 2009, la cour a reconnu l’auteur coupable de tous les chefs d’accusation et l’a condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement. L’auteur s’est en outre vu ordonner de verser 225 000 couronnes norvégiennes à la partie lésée à titre d’indemnisation.

2.4Le 19 janvier 2009, l’auteur a introduit un recours auprès de la Cour suprême par lequel il invoquait des vices de procédure et contestait sa peine. Il invoquait, parmi d’autres moyens, le fait que le jury n’ait pas motivé son verdict, en violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. La Cour suprême a décidé d’examiner l’affaire dans le cadre d’une audience plénière réunissant 17 juges, et de la joindre à une autre affaire qui soulevait des questions similaires. Le recours a été examiné à Oslo, en mai 2009. Le 12 juin 2009, la Cour suprême a rendu sa décision dans les deux affaires. Elle a conclu à l’unanimité que l’absence de motivation de sa décision par le jury ne constituait pas une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ni une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’absence de motivation par le jury de sa décision dans l’arrêt de la Cour d’appel l’ayant privé d’un jugement écrit dûment motivé.

3.2Il explique que le Code de procédure pénale prévoit que les affaires dont la cour d’appel est saisie sont jugées par un jury lorsque le recours vise à contester l’appréciation des preuves relatives à la culpabilité et qu’il porte sur la peine prononcée au titre d’une infraction pouvant donner lieu en vertu de la loià une peined’emprisonnement supérieure à six ans (art. 352).

3.3Le jury est composé de 10 membres (élus). À l’issue de la présentation des preuves relatives à la culpabilité, le Président de la cour d’appel formule les questions qui seront posées au jury et les soumet aux parties. Les questions portent sur les points auxquels se rapporte l’acte d’accusation. Une question donnée ne doit porter que sur un seul accusé, et, dans la mesure du possible, sur un seul point de l’acte d’accusation et ne viser qu’une seule disposition pénale. Les questions sont formulées de manière à ce que le jury puisse y répondre par «oui» ou par «non».

3.4Une fois que les parties ont présenté leurs conclusions concernant la culpabilité, le Président de la Cour donne des instructions au jury, lesquelles comprennent une présentation générale des règles de fond et de procédure applicables. C’est au Président de décider s’il souhaite faire des observations sur les éléments de preuve. Après avoir pris connaissance des instructions du Président, le jury se retire pour délibérer. Sept voix au moins sont nécessaires pour que l’accusé soit reconnu coupable. Si le jury rend un verdict de culpabilité, la détermination de la peine se fonde sur ledit verdict (art. 376 b) du Code de procédure pénale). S’engagent alors des négociations pour déterminer quelle est la peine appropriée, laquelle est fixée par les trois juges dûment qualifiés de la cour d’appel, le président du jury et trois jurés désignés par tirage au sort. Si la cour d’appel estime que les preuves sont insuffisantes pour établir la culpabilité de l’accusé, elle rejette le verdict du jury (art. 376 c)).

3.5L’auteur fait valoir que les garanties prévues au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte comprennent l’obligation d’indiquer les motifs de la décision de manière à pouvoir s’assurer qu’il a été procédé à un examen complet. Il s’ensuit que, le jury n’ayant pas motivé sa décision, l’auteur n’a pas bénéficié d’un examen de sa cause dans les règles, car le fait que la réponse aux questions posées se limite à un simple «oui» l’a privé de la possibilité de s’assurer qu’il avait été entendu, à savoir que ses arguments avaient été pris en considération et que les moyens soulevés dans ses conclusions avaient été dûment examinés. Les réponses aux questions posées au jury ne permettaient pas non plus d’assurer l’exercice par le public d’un contrôle de l’administration de la justice.

3.6L’auteur affirme en outre que ni les questions posées au jury, ni les réponses données par celui-ci ne lui ont permis de contester la manière dont la loi avait été appliquée, car les instructions données au jury n’ont pas été consignées. Il lui a donc été impossible de s’assurer qu’il avait été fait une application correcte de la loi. En conséquence, il a été privé du droit d’avoir un accès effectif à la Cour suprême, qui, en vertu de l’article 306 du Code de procédure pénale, n’examine que les recours portant sur un vice de procédure, l’application faite de la loi ou la condamnation prononcée, sauf si le recours est fondé sur le caractère erroné de l’explication par le Président des principes juridiques applicables, laquelle a été consignée.

3.7L’auteur fait également valoir que le droit à un examen de l’appréciation des éléments de preuve, de questions de procédure et de la manière dont la loi a été appliquée est inhérent au droit de faire examiner la déclaration de culpabilité. Il soutient que, même si des dispositions du droit interne prévoient que la portée du droit de recours est limitée aux questions de procédure et d’application de la loi, une telle restriction ne saurait avoir pour conséquence qu’une personne condamnée se voit privée du droit à un examen effectif de ces deux moyens dans le cadre d’un recours.

3.8L’auteur fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles, la Cour suprême ayant statué sur son affaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 15 novembre 2010, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond.

4.2L’État partie indique qu’il ne voit aucune raison de contester la recevabilité de la communication. En ce qui concerne le fond, il affirme qu’il n’y a eu aucune violation des droits de l’auteur car il ne découle nullement du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte que le jury avait l’obligation de motiver ses réponses. En outre, les faits ne font pas apparaître de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.3L’État partie rappelle que le procès avec jury est une institution importante, prévue de longue date par les règles de procédure pénale applicables dans de nombreux pays, dans la plupart desquels le jury est chargé d’établir les faits de la cause, tandis que le juge détermine quelles sont les dispositions applicables et fixe la peine. En général, le jury ne motive pas son verdict et se borne à répondre par «oui» ou par «non» aux questions qui lui ont été soumises.

4.4L’État partie ajoute que, compte tenu de ce que le procès avec jury est un élément essentiel de la procédure pénale de plusieurs États parties au Pacte, le fait qu’il n’y soit pas fait référence dans le paragraphe 5 de l’article 14 constitue en soi une réfutation convaincante de l’affirmation de l’auteur, qui dit avoir été victime d’une violation de cette disposition. L’État partie souligne également qu’il ressort de la jurisprudence du Comité que celui-ci n’a jamais conclu que la procédure du procès avec jury était contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.5L’État partie affirme de surcroît que la procédure pénale norvégienne est pleinement conforme au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et indique, en particulier, qu’il existe divers mécanismes permettant de garantir la possibilité de contrôler l’appréciation à laquelle s’est livré le jury. Dans le cadre de l’affaire Bhatti, la Cour suprême a expliqué en détail comment le Code de procédure pénale garantissait la possibilité pour le défendeur comme pour le grand public de contrôler l’examen auquel il avait été procédé, rappelant que le paragraphe 1 de l’article 40 du Code de procédure pénale disposait qu’un jugement de la cour d’appel fondé sur un verdict rendu par un jury «ne consiste, en ce qui concerne la question de la culpabilité, qu’en une référence audit verdict». Les questions posées au jury doivent comporter des renseignements sur les faits. Les principales questions posées commencent par les mots «Le prévenu est-il coupable?». Il n’est pas demandé au jury si les diverses conditions particulières d’engagement de la responsabilité pénale sont remplies. Le fait qu’un jury rende un verdict de culpabilité signifie qu’il a conclu que toutes les conditions nécessaires pour déclarer le défendeur coupable étaient remplies. Le cas échéant, certaines questions non encore tranchées (portée de l’infraction, degré de culpabilité, par exemple) sont traitées lors de la détermination de la peine.

4.6La peine est fixée par trois juges professionnels et quatre jurés, à savoir le président du jury et trois autres jurés (art. 376 e) du Code de procédure pénale). La peine doit être motivée, et la pratique établie veut que les juges professionnels et les jurés qualifient conjointement l’acte duquel le défendeur est reconnu coupable, cette qualification constituant la base sur laquelle est déterminée la peine. Cette qualification de l’acte criminel doit, notamment, préciser quels éléments ont été considérés comme prouvés aux fins de l’établissement de la culpabilité subjective, et si les questions posées au jury comportaient deux propositions introduites par les mots «et/ou», elle doit également indiquer laquelle de ces deux propositions est considérée comme ayant été prouvée. Ainsi, les motifs donnés pour justifier la peine fixée comportent des renseignements détaillés sur les faits que les quatre jurés et les trois juges professionnels ont considérés comme prouvés. En principe, ces motifs sont également réputés refléter l’opinion du jury.

4.7Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie affirme qu’il a été procédé à un examen au fond de la déclaration de culpabilité de l’auteur et de sa condamnation. La déclaration de sa culpabilité et sa condamnation par le tribunal de district de Sandefjord ont été examinées par la cour d’appel d’Agder, conformément à l’article 352 (par. 3.2) du Code de procédure pénale. Cette cour d’appel est sans conteste une «juridiction supérieure» au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. La procédure qu’elle doit suivre est énoncée dans le Code de procédure pénale, de sorte qu’il a été satisfait à la prescription du paragraphe 5 de l’article 14 voulant qu’il soit procédé à l’examen «conformément à la loi».

4.8L’État partie renvoie à l’article 331 du Code de procédure pénale, qui prévoit que la cour d’appel rejuge intégralement l’affaire si le procès en appel doit donner lieu à une appréciation des preuves relatives à la culpabilité. Conformément à cette disposition, ce n’est qu’après avoir tenu un nouveau procès, dans le cadre duquel tous les aspects de l’affaire touchant à la procédure pénale ont été examinés à nouveau tant par le jury que par la Cour, que la cour d’appel d’Agder a rejeté l’appel de l’auteur. L’État partie renvoie également à l’article 362 in fine du Code de procédure pénale, qui dispose que les arrêts de la cour d’appel sont fondés exclusivement sur les faits examinés pendant l’audience sur le fond tenue par cette juridiction, et que tant que le jury n’a pas rendu son verdict il n’est donné lecture que des seules conclusions du jugement rendu en première instance.

4.9L’État partie établit une distinction entre l’affaire Aboushanif, où la décision contestée ne comportait absolument aucune raison de fond la motivant, et l’affaire de l’auteur, où, au contraire, les faits ont été rejugés. Il souligne que l’article 306 du Code de procédure pénale prévoit que les arrêts de la cour d’appel peuvent faire l’objet d’un nouveau recours devant la Cour suprême, le paragraphe 2 de ce même article précisant qu’une erreur d’appréciation des preuves relatives à la culpabilité ne peut pas être invoquée pour motiver un tel recours. Le recours formé par l’auteur auprès de la Cour suprême portait sur la procédure et sur la détermination de la peine.

4.10Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie fait valoir que, dans les affaires ayant donné lieu à un examen complet par la première juridiction d’appel, un jugement doit être considéré comme étant «dûment motivé» s’il est suffisant pour servir de fondement à un nouveau recours, à savoir, si la personne condamnée dispose des éléments juridiques nécessaires pour former un tel recours. En l’espèce, l’auteur disposait du texte écrit des jugements du tribunal de district et de la cour d’appel, lesquels étaient dûment motivés. Son recours devant la Cour suprême ne visait que la procédure et la détermination de la peine, et il ne prétend pas que ces moyens n’ont pas fait l’objet d’un examen approfondi par cette juridiction. Aussi, l’État partie rappelle les conclusions de la Cour suprême, qui a estimé que la procédure d’appel qui s’était déroulée devant la cour d’appel d’Agder constituait un examen complet de la déclaration de culpabilité de l’auteur et de sa condamnation au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 31 janvier 2011, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y reprend la plupart de ses allégations, soulignant qu’il a été privé de la possibilité de se prévaloir utilement de la faculté de former un recours devant la Cour suprême car, le jugement dont il a fait l’objet n’ayant pas été dûment motivé, il n’a pas été en mesure de présenter des contre-arguments dans le cadre de ce recours.

5.2L’auteur ajoute que le jury a répondu par l’affirmative aux cinq questions posées, et que la cour d’appel a accepté ces réponses. Aucun autre raisonnement n’a été exposé. Si la cour d’appel, dans son arrêt ultérieur, a fourni un motif pour justifier la peine, elle n’a pas précisé comment la loi avait été appliquée ni les faits sur lesquels le jury avait fondé ses conclusions. L’auteur fait donc à nouveau valoir qu’il n’avait plus aucune possibilité de former un recours car il ne disposait d’aucun élément sur lequel fonder son pourvoi, ce qui a amené la Cour suprême à le rejeter. Il réaffirme également que, de ce fait, l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 ou, subsidiairement, le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 9 mars 2011, l’État partie a communiqué une copie de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Taxquet c. Belgique, qui portait sur l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État partie a souligné que ses observations sur le fond de l’affaire en date du 15 novembre 2010 précédaient cette décision, laquelle confirmait sa position. L’État partie renvoie à l’enquête sur les pratiques des États membres du Conseil de l’Europe réalisée par la Cour européenne des droits de l’homme, évoquée dans l’arrêt Taxquet, dont il ressort que «[l]a non-motivation des verdicts rendus par les jurys traditionnels semble être la règle générale. Elle s’applique dans tous les pays, à l’exception de l’Espagne et de la Suisse (canton de Genève)».

6.2L’État partie indique en outre que la Cour européenne des droits de l’homme, dans ce même arrêt, souligne que la Convention européenne des droits de l’homme «[…] ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public, et au premier chef l’accusé, doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu». La Cour a également relevé que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme exigeait «de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation […], [telles que] des instructions ou éclaircissements donnés par le Président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits […] et […] des questions précises, non équivoques, soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury […]. Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours».

6.3L’État partie estime donc que ces conclusions renforcent sa position selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne fait pas obligation aux États parties de garantir que les verdicts des jurys soient motivés. Il ajoute que cette disposition peut aussi être interprétée comme comportant des garanties de procédure similaires à celles exigées par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. En tout état de cause, l’auteur a pleinement bénéficié de telles garanties dans le cadre de l’affaire le concernant.

Nouvelles observations de l’État partie

7.Dans une note en date du 16 août 2012, l’État partie a renvoyé le Comité à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Shala c. Norvège, dans lequel la Cour, dans le cadre d’un examen spécifique du système du jury en Norvège, arepris le raisonnement suivi dans l’affaire Taxquet. Elle a conclu que le fait que le jury n’avait pas exposé le raisonnement suivi pour rendre son verdict ne rendait pas le procès inéquitable aux fins du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il constate également que tous les critères de recevabilité sont remplis et décide donc de procéder à l’examen de la communication au fond, laquelle semble soulever des questions au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité note que l’auteur affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ont été violés car le jury n’a pas motivé sa décision dans le cadre de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Agder le 16 janvier 2009. L’auteur fait valoir que, de ce fait, il a été privé d’un jugement écrit dûment motivé. Le Comité rappelle que le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation fait obligation à l’État partie de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Les États parties peuvent choisir les modalités de ce réexamen par une juridiction supérieure, compte tenu de la tradition juridique à laquelle ils se rattachent et de la législation applicable, pour autant qu’un examen sur le fond soit effectué.

9.3En l’espèce, le Comité doit déterminer si la procédure tenue devant la cour d’appel d’Agder le 16 janvier 2009 et l’arrêt qu’elle a rendu sont conformes aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il constate que le tribunal de district de Sandefjord a reconnu l’auteur coupable de plusieurs infractions au Code pénal (straffeloven) et a rendu, le 19 septembre 2008, une décision écrite dûment motivée sur laquelle l’auteur a fondé le recours qu’il a formé auprès de la cour d’appel d’Agder. En vertu de l’article 331 du Code de procédure pénale, l’auteur a vu son affaire intégralement rejugée par la cour d’appel d’Agder, tous ses éléments ayant été réexaminés dans le cadre de ce nouveau procès, y compris les faits et le droit applicable. Il ressort des éléments d’information dont le Comité est saisi que: la cour d’appel était composée de trois juges professionnels; le jury a été constitué conformément aux règles pertinentes du Code de procédure pénale, et il a reçu des instructions du Président de la cour d’appel; les questions posées au jury − qui ont été formulées conformément à la loi et dont il a été donné lecture en audience − étaient précises et détaillées sur le plan des faits; la cour d’appel, en se fondant sur les conclusions du jury, qui a répondu aux questions par l’affirmative, a reconnu l’auteur coupable de diverses infractions visées par le Code pénal; comme suite au verdict de culpabilité rendu par le jury, et eu égard aux réponses données par celui-ci, la cour d’appel a qualifié les faits et les infractions pénales visées par la législation applicable; la peine a été expliquée dans le jugement, en se fondant sur la législation applicable, et l’ordonnance d’indemnisation comportait une description des circonstances aggravantes retenues et de la législation applicable. Le Comité constate en outre que rien dans les éléments dont il est saisi n’indique que l’auteur n’était pas en mesure de former un recours dûment motivé auprès de la Cour suprême norvégienne, qui a examiné l’arrêt de la cour d’appel d’Agder conformément à l’article 306 du Code de procédure pénale quant à des questions de procédure et à la condamnation. Dans ces conditions, le Comité ne peut accueillir l’argument de l’auteur selon lequel il a été privé de la possibilité de faire examiner la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure.

10.En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des dispositions du Pacte.