Nations Unies

CCPR/C/111/D/1882/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 août 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1882/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:Al Jilani Mohamed M’hamed Al Daquel (représenté par Alkarama for Human Rights)

Au nom de:Abdelhamid Al Jilani Mohamed Al Daquel (fils de l’auteur); Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime); Hamza Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Abdelmoutaleb Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Saghira Jilani Mohamed Al Daquel (sœur de la victime); Ousama Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Khaoula Jilani Mohamed Al Daquel (sœur de la victime); Mohamed Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); et en son nom propre (en tant que père de la victime)

État partie:Libye

Date de la communication:5 mai 2009 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 25 juin 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:21 juillet 2014

Objet:Disparition forcée; décès survenu durant une détention au secret

Questions de fond:Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; droit à un recours utile

Questions de procédure:Absence de coopération de l’État partie; examen de la même question devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Articles du Pacte:2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 a)

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 1882/2009 *

Présentée par:Al Jilani Mohamed M’hamed Al Daquel (représenté par Alkarama for Human Rights)

Au nom de:Abdelhamid Al Jilani Mohamed Al Daquel (fils de l’auteur); Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime); Hamza Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Abdelmoutaleb Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Saghira Jilani Mohamed Al Daquel (sœur de la victime); Ousama Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); Khaoula Jilani Mohamed Al Daquel (sœur de la victime); Mohamed Jilani Mohamed Al Daquel (frère de la victime); et en son nom propre (en tant que père de la victime)

État partie:Libye

Date de la communication:5 mai 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1882/2009 présentée au nom d’Abdelhamid Al Jilani Mohamed Al Daquel en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication datée du 5 mai 2009 est Al Jilani Mohamed M’hamed Al Daquel, né à Beni Walid (Libye) en 1940. Il allègue que son fils, Abdelhamid Al Jilani Mohamed Al Daquel (ci-après «Abdelhamid Al Daquel»), né le 22 mars 1963, a été victime d’une violation des articles 2, paragraphe 3; 6, paragraphe 1; 7; 9, paragraphes 1 à 4; 10, paragraphe 1; et 16 du Pacte par la Libye. Il soutient en outre que sa femme, Rabiia Mhamed Fredj, née en 1947, ses six autres enfants, ainsi que lui-même ont été victimes de violations des articles 2, paragraphe 3, et 7 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Abdelhamid Al Daquel est un ancien pilote de l’armée de l’air libyenne, né le 22 mars 1963 à Beni Walid. Le 26 janvier 1989, il a été arrêté à Foum Molghat, près de Tarhouna, par plusieurs agents de la sécurité intérieure libyenne (al amn addakhili). Lors de son arrestation, il se trouvait dans un véhicule en compagnie de trois autres personnes: le chauffeur du véhicule, un instituteur à Beni Walid et un lieutenant pilote de la même unité de l’armée de l’air que lui. Ces trois personnes ont été arrêtées en même temps que la victime. Les deux premières ont été détenues au secret pendant quinze jours dans les locaux de la sécurité intérieure à Tripoli, puis finalement libérées. Quant à la troisième personne (le lieutenant pilote), elle a été détenue au secret plusieurs années avant d’être libérée de la prison d’Abou Salim, près de Tripoli, en mars 1995.

2.2Malgré les nombreuses démarches de l’auteur auprès de différentes autorités pénitentiaires, politiques et judiciaires, celles-ci n’ont jamais reconnu la détention de son fils. Dès l’arrestation d’Abdelhamid Al Daquel, l’auteur s’est rendu à la caserne militaire où son fils était affecté, pour tenter d’obtenir des informations de la part de ses collègues. Aucun d’entre eux n’a accepté de l’informer ou de l’orienter, ce dont l’auteur a déduit que l’arrestation de son fils était motivée par des considérations politiques.

2.3Ce n’est qu’en 1995, suite à la libération du pilote de l’air qui avait été arrêté en même temps qu’Abdelhamid Al Daquel, que la famille de la victime, qui n’avait plus de nouvelles de lui depuis son arrestation six années auparavant, a appris pour la première fois que ce dernier était vivant et se trouvait détenu au secret dans la prison d’Abou Salim. La famille apprit également que la victime n’avait jamais fait l’objet d’une procédure judiciaire; l’auteur obtint par la suite quelques autres informations indirectes, lui confirmant que son fils se trouvait toujours dans la prison d’Abou Salim, mais sans jamais cependant en avoir une confirmation officielle, ni obtenir l’autorisation de lui rendre visite.

2.4Le 8 novembre 2008, soit près de vingt ans après son arrestation, la famille d’Abdelhamid Al Daquel a reçu la visite d’agents de la sécurité intérieure de Beni Walid, qui l’ont informée du décès de la victime. Ces agents ont refusé de communiquer à la famille tout détail concernant la date et les circonstances du décès. Ils se sont contentés de demander à la famille d’«annoncer publiquement ce décès», en ajoutant qu’ils lui délivreraient prochainement un certificat officiel y relatif.

2.5Quelques jours plus tard, les mêmes agents se sont effectivement présentés de nouveau au domicile familial et ont remis à la famille une attestation datée du 6 novembre 2008, établissant qu’Abdelhamid Al Daquel était décédé à Tripoli le 23 juin 1996, décès enregistré sur les registres de l’état civil de l’année 2008 sous le numéro 200/2008. Les agents de la sécurité ont de nouveau refusé de donner à l’auteur des précisions sur les circonstances du décès de son fils, et même de lui dire où celui-ci était inhumé. C’est pourquoi l’auteur a fait part aux autorités de son refus d’annoncer publiquement le décès de son fils, tant que ces dernières ne restituaient pas à la famille la dépouille de la victime et ne lui communiquaient pas les causes exactes du décès, après qu’une autopsie ait été effectuée.

2.6L’auteur note que la date alléguée du décès, soit le 23 juin 1996, correspond au massacre d’Abou Salim, l’un des plus grands massacres de prisonniers de l’histoire contemporaine, au cours duquel au moins un millier de détenus ont été tués à l’intérieur de la prison par les services de sécurité libyens. Après ces événements, les autorités n’ont jamais publié de listes de victimes, et ont laissé les familles des victimes dans l’angoisse et l’incertitude quant au sort de leurs proches.

2.7L’auteur soutient qu’il a entrepris toutes les démarches possibles auprès des autorités compétentes afin de connaître le sort de son fils. Après la libération des deux premières personnes qui avaient été arrêtées en même temps qu’Abdelhamid Al Daquel et libérées quinze jours plus tard – ce qui lui a permis de déduire que ce dernier était probablement détenu dans les locaux de la sécurité intérieure –, il s’est rendu à Tripoli pour tenter d’obtenir des renseignements de la part de ces services, en vain. Ces autorités n’ont pas reconnu détenir la victime. L’auteur s’est alors adressé à plusieurs reprises aux comités populaires locaux pour leur demander d’intervenir auprès des autorités supérieures, toujours sans résultat. Après avoir appris en 1995 qu’Abdelhamid Al Daquel était encore en vie et qu’il était détenu à la prison d’Abou Salim (voir par. 2.3), l’auteur s’est rendu en ce lieu pour tenter de rendre visite à son fils, mais les autorités l’ont renvoyé, en niant que celui-ci était détenu dans cet établissement.

2.8L’auteur a également tenté de se faire assister d’un avocat pour introduire une procédure judiciaire de plainte pour la disparition de son fils, mais aucun des avocats sollicités n’a accepté d’engager une telle procédure contre l’État. Pendant de longues années, l’auteur a continué inlassablement ses démarches auprès de différentes autorités, mais elles sont toujours restées sans réponse.

2.9L’auteur ajoute qu’il lui a été matériellement impossible d’engager une procédure judiciaire devant une juridiction nationale pour tenter de faire ouvrir une enquête sur la disparition de son fils, vu le refus de tous les avocats sollicités de l’assister dans une procédure en tout état de cause vouée, selon lui, à un échec certain. En l’espèce, selon l’auteur, les recours internes dans l’État partie sont à la fois non disponibles et inefficaces, et il ne devrait par conséquent pas être tenu de poursuivre plus longtemps ses démarches et les procédures internes pour que sa communication soit recevable devant le Comité.

2.10L’auteur a soumis le cas de son fils au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, au Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et au Rapporteur spécial sur la question de la torture. Cependant, le Gouvernement libyen n’a jamais apporté d’information susceptible d’éclaircir le sort de la victime.

Teneur de la plainte

3.1Il est soutenu qu’Abdelhamid Al Daquel a été victime d’une disparition forcée à la suite de son arrestation le 26 janvier 1989 par des agents de la sécurité intérieure libyenne, son arrestation ayant été suivie d’un déni de reconnaissance de sa privation de liberté et de la dissimulation du sort qui lui était réservé. En tant que victime de disparition forcée, Abdelhamid Al Daquel était de facto empêché d’exercer son droit à recourir pour contester la légalité de la détention qui lui était imposée, en violation de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte. Ses proches ont utilisé tous les moyens légaux pour connaître la vérité sur son sort, mais aucune suite ne fut donnée à leurs démarches par l’État partie, pourtant tenu d’assurer un recours utile et qui a notamment le devoir de mener une enquête approfondie et diligente.

3.2L’auteur ajoute que la disparition forcée et la détention au secret d’Abdelhamid Al Daquel constituaient une grave menace pour son droit à la vie, constitutive d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, dans la mesure où l’État partie ne s’est pas acquitté de son devoir de protéger le droit fondamental à la vie. Cela est d’autant plus vrai que l’État partie n’a déployé aucun effort pour enquêter sur ce qui est en fait arrivé à Abdelhamid Al Daquel. L’auteur ajoute que l’annonce du décès à la famille par les autorités le 8 novembre 2008 équivalait à une reconnaissance explicite de ce que la victime était bien disparue du fait d’actions d’agents de l’État, et établissait que son droit à la vie n’avait pas été protégé par les autorités de l’État partie. Son décès annoncé, intervenu dans des circonstances non déterminées et qui continuent d’être cachées par l’État partie, constitue une violation par celui-ci de l’article 6, paragraphe 1, du Pacte à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel.

3.3Au titre de l’article 7 du Pacte, l’auteur fait valoir que le seul fait d’être soumis à une disparition forcée est constitutif de traitement inhumain ou dégradant.L’auteur exprime de plus des doutes quant à la date réelle du décès de son fils, qui a été enregistré en 2008 sur les registres de l’état civil de Tripoli, alors que l’attestation indique que le décès est survenu le 23 juin 1996. L’auteur craint que le décès soit plus récent que la date figurant sur l’acte de décès d’Abdelhamid Al Daquel, et que les autorités utilisent le prétexte des événements de la prison d’Abou Salim (voir par. 2.6) pour faire croire au décès de son fils lors de ces événements, alors que ce dernier est probablement décédé suite à des tortures et/ou des mauvais traitements durant sa détention au secret. Le refus des autorités de faire droit à sa demande d’investigation le conforte dans cette certitude. L’auteur en conclut qu’il est probable que la victime ait subi des tortures physiques dès son arrestation, cette pratique étant connue et particulièrement répandue dans l’État partie.

3.4Pour la famille de la victime, sa disparition a constitué, et continue d’être une épreuve paralysante, douloureuse et angoissante, dans la mesure où ses proches ont tout ignoré de son sort pendant dix-neuf ans, et continuent d’être maintenus dans l’ignorance des circonstances de son décès.L’auteur allègue par conséquent que le traitement subi par Abdelhamid Al Daquel constitue une violation de l’article 7 à son propre égard, ainsi qu’à l’égard de tous les membres de sa famille.

3.5Concernant l’article 9, l’auteur rappelle qu’Abdelhamid Al Daquel a été arrêté par les services de sécurité intérieure sans mandat de justice, et sans qu’il ne soit informé des raisons de son arrestation, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il a ensuite été détenu arbitrairement et au secret depuis son arrestation jusqu’au jour de son décès. En violation du paragraphe 2 de l’article 9, on ne lui a jamais communiqué les motifs de son arrestation, ni notifié une quelconque charge pénale contre lui. Abdelhamid Al Daquel n’a jamais été présenté devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, en violation du paragraphe 3 de l’article 9. Par ailleurs, l’auteur rappelle que selon la jurisprudence du Comité, la détention au secret peut en soi entraîner une violation de l’article 9.D’autre part, en tant que victime d’une disparition forcée, Abdelhamid Al Daquel ne pouvait matériellement pas introduire un recours pour contester la légalité de sa détention, ni demander à un juge sa libération. En conséquence, l’auteur soutient que le paragraphe 4 de l’article 9 a également été violé à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel.

3.6Au titre de l’article 10 du Pacte, l’auteur fait valoir que dès lors qu’il a été établi qu’Abdelhamid Al Daquel avait fait l’objet d’une violation de l’article 7, on ne saurait soutenir qu’il a bénéficié d’un traitement humain et respectueux de la dignité due à toute personne humaine. En conséquence, l’auteur soutient que l’État partie a également violé l’article 10, paragraphe 1, à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel.

3.7Étant victime d’une détention non reconnue et, à ce titre, soustrait de la protection de la loi, Abdelhamid Al Daquel a, selon l’auteur, également été réduit à l’état de non personne, et par conséquent privé de la capacité d’exercer ses droits garantis par le Pacte, en violation de l’article 16 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 25 juin 2009, 6 mai 2010, 24 janvier 2011 et 7 mars 2011, l’État partie a été invité à soumettre ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note que ces informations n’ont pas été reçues. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucune information sur la recevabilité ou sur le fond des griefs soulevés par l’auteur. Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et d’indiquer les éventuelles mesures prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs qui sont suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas d’Abdelhamid Al Daquel a été porté à la connaissance du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et du Rapporteur spécial sur la question de la torture. Toutefois, le Comité rappelle que les procédures ou les mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et qui ont pour mandat d’examiner la situation des droits de l’homme dans des pays ou territoires déterminés ou des cas de violations généralisées des droits de l’homme dans le monde, et de faire rapport publiquement sur ces situations, ne constituent pas en règle générale une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent le Comité considère qu’il n’est pas empêché par cette disposition d’examiner la communication.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité se déclare de nouveau préoccupé par le fait que, malgré les trois rappels qui lui ont été envoyés, l’État partie ne lui a adressé aucune information ou observation sur la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité et procède à l’examen quant au fond des griefs formulés au nom d’Abdelhamid Al Daquel au titre du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et de l’article 16 du Pacte, et au nom de l’auteur lui-même, de sa femme, Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime), et de leurs six autres enfants au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées. L’État partie n’ayant pas répondu aux allégations de l’auteur, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de ce dernier, dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.

6.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, qui n’a pas été contestée, qui indique qu’Abdelhamid Al Daquel a été arrêté le 26 janvier 1989 à Foum Molghat par des membres des forces de la sécurité intérieure, et emmené vers une destination inconnue, en présence de trois autres individus appréhendés en même temps que lui. Bien que la famille ait pu apprendre en 1995, de source non officielle, qu’Abdelhamid Al Daquel était toujours en vie et détenu à la prison d’Abou Salim, ce n’est qu’en novembre 2008, soit près de vingt ans après sa disparition, que les autorités de l’État partie ont informé la famille du décès d’Abdelhamid Al Daquel, qui serait survenu le 23 juin 1996 à Tripoli.

6.3Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune réponse aux allégations de l’auteur concernant la disparition forcée de son fils, et rappelle que, d’après sa jurisprudence, la charge de la preuve ne peut pas incomber seulement aux auteurs de la communication, en particulier lorsque les auteurs et l’État partie n’ont pas les mêmes possibilités d’accès aux éléments de preuve et que, fréquemment, l’État partie est seul à détenir les informations pertinentes, telles que celles concernant la détention d’Abdelhamid Al Daquel, et les circonstances ayant entouré son décès.

6.4Le Comité rappelle en outre que, dans les affaires de disparition forcée, la privation de liberté suivie du refus de reconnaître la privation de liberté ou de donner des informations sur le sort de la personne disparue soustrait la personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, ce dont l’État doit rendre compte. En outre, au vu du décès d’Abdelhamid Al Daquel durant sa détention prolongée au secret, alors qu’il était en tout temps entre les mains de l’État partie, dans des circonstances qui restent à éclaircir, le Comité ne peut que conclure que l’État partie a violé le droit à la vie d’Abdelhamid Al Daquel, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

6.5Concernant l’article 7, le Comité reconnaît le degré de souffrance causé par le fait d’être privé indéfiniment de contact avec le monde extérieur. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Il rappelle en l’espèce qu’Abdelhamid Al Daquel a été arrêté le 26 janvier 1989 et emmené vers un lieu tenu secret par des agents de la sécurité de l’État; qu’il a ensuite été privé de toute communication avec sa famille; que malgré de nombreuses tentatives, sa famille n’a pas pu obtenir d’informations sur le lieu où il se trouvait; que la famille de la victime a été informée de son décès près de vingt ans après son arrestation, sans qu’on lui remette la dépouille d’Abdelhamid Al Daquel, ni qu’on lui fournisse d’information sur les circonstances de son décès, ni sur le lieu de son inhumation. En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que ce dernier a violé l’article 7 du Pacte à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel.

6.6Ayant abouti à cette conclusion, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les griefs de l’auteur tirés de l’article 10 du Pacte.

6.7Le Comité note également l’angoisse et la détresse qu’ont causées à l’auteur et à sa famille la disparition d’Abdelhamid Al Daquel, puis la confirmation de son décès, qu’ils n’ont reçue que près de vingt ans plus tard, sans pour autant qu’on leur remette la dépouille de leur fils, ni qu’on leur apporte des clarifications sur les circonstances ayant entouré son décès, alors qu’il se trouvait en tout temps entre les mains des autorités de l’État partie, sans contact avec le monde extérieur. Au lieu d’informer immédiatement l’auteur et sa famille du décès d’Abdelhamid Al Daquel, qui serait survenu le 23 juin 1996, et d’ouvrir une enquête approfondie dans le but de poursuivre les responsables, les autorités de l’État partie ont laissé sa famille dans l’ignorance de ce qu’il était advenu de leur proche durant douze années supplémentaires, alors qu’elles ne pouvaient que savoir qu’il était décédé en détention, dans des circonstances qui restent à éclaircir. Le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur, de sa femme, Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime), et de leurs six autres enfants.

6.8En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle Abdelhamid Al Daquel a été arrêté sans mandat par des membres des forces de la sécurité intérieure, n’a pas été informé des motifs de son arrestation et a ensuite été maintenu en détention au secret, depuis son arrestation jusqu’à son décès présumé. Abdelhamid Al Daquel n’a pas été présenté à une autorité judiciaire, ce qui lui aurait permis de contester la légalité de sa détention, et aucune information officielle n’a été donnée à sa famille sur son lieu de détention ou sur son sort. Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence de toute explication de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 9 à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel.

6.9En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 16, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un déni de reconnaissance de la personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État quand elle a été vue pour la dernière fois et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les tribunaux, sont systématiquement entravés. Le Comité rappelle que, dès son arrestation, Abdelhamid Al Daquel a fait l’objet d’une détention que le Comité a jugée arbitraire compte tenu des circonstances. Il a ensuite été soumis à une disparition forcée, qui s’est poursuivie jusqu’à son décès, qui serait survenu le 23 juin 1996. Aucune enquête officielle n’a été conduite sur les circonstances de sa disparition et de son décès, ni aucune poursuite engagée. Le Comité estime que, dans ces circonstances, le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique d’Abdelhamid Al Daquel a été violé du fait qu’il a été intentionnellement soustrait à la protection de la loi, en violation de l’article 16 du Pacte.

6.10L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en vertu duquel les États parties ont l’obligation de garantir un recours utile à toutes les personnes dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, l’auteur s’est adressé aux autorités pénitentiaires d’Abou Salim, où son fils aurait pu être détenu, à divers comités populaires locaux et à des avocats, dans le but d’engager une procédure judiciaire, mais tous ses efforts se sont avérés vains. Bien que le décès en détention d’Abdelhamid Al Daquel ait été formellement consigné dans les registres de l’état civil, l’État partie n’a procédé à aucune enquête et n’a pas poursuivi les responsables. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, l’article 7, l’article 9 et l’article 16 du Pacte, à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel, et une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur, de sa femme, Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime), et de leurs six autres enfants.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9 et de l’article 16, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, l’article 7, l’article 9 et l’article 16 du Pacte, à l’égard d’Abdelhamid Al Daquel, et de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de l’auteur, de sa femme, Rabiia Mhamed Fredj (mère de la victime), et de leurs six autres enfants.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile consistant notamment: a) à mener sans délai une enquête approfondie et impartiale sur la disparition et la mort d’Abdelhamid Al Daquel; b) à fournir à sa famille des informations détaillées sur les résultats de l’enquête; c) à remettre la dépouille d’Abdelhamid Al Daquel à sa famille; d) à poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et e) à assurer aux auteurs une indemnisation à la mesure de la gravité des violations commises. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles de l’État partie.