Nations Unies

CCPR/C/112/D/2126/2011*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2126/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Kesmatulla Khakdar (représenté par des conseils, Mme Tsytlina et M. Golubok)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

7 décembre 2011(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 décembre 2011(non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

17 octobre 2014

Objet:

Possible renvoi de l’auteur vers l’Afghanistan après retrait de l’asile

Question(s) de fond:

Torture; droit d’être protégé contre des immixtions illégales dans sa vie privée et sa famille

Question ( s ) de procédure:

Non-épuisement des recours internes; abus du droit de soumettre une communication

Article(s) du Pacte:

7 et 17

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2126/2011 **

Présentée par:

Kesmatulla Khakdar (représenté par des conseils, Mme Tsytlina et M. Golubok)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

7 décembre 2011(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2126/2011présentée par Kesmatulla Khakdar en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Kesmatulla Khakdar, de nationalité afghane, né en 1962 et anciennement réfugié en Fédération de Russie. En 2009, le Service fédéral des migrations lui a retiré son statut de réfugié et, au moment où la communication a été présentée, il était menacé d’expulsion vers l’Afghanistan. Il fait valoir que la Fédération de Russie, en le renvoyant en Afghanistan contre son gré, commettrait une violation des droits qu’il tient des articles 7 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par deux conseils, Mme Tsytlina et M. Golubok.

1.2Le 22 décembre 2011, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que de 1981 à 1985 il a servi dans l’armée prosoviétique d’Afghanistan contre les moudjahidin et qu’il était membre du Parti démocratique populaire d’Afghanistan alors au pouvoir, soutenu par l’Union soviétique. Il a ensuite quitté l’Afghanistan, à une date non spécifiée, pour entreprendre des études universitaires en Union soviétique. En 1990, il a épousé Valentina Smolnyar, de nationalité russe, qui le 12 décembre 1993 a donné naissance à leur fille Leyla, également de nationalité russe. De 1991 à 1997, il a étudié le journalisme à l’université d’État de Saint-Pétersbourg et de 1997 à 2002 il a suivi des études universitaires supérieures en relations internationales à la même université. Pendant cette période, il résidait dans le pays avec un visa d’étudiant.

2.2Le 28 janvier 2003, le tribunal du district de l’île Vasilyevskiy de Saint-Pétersbourg a déclaré l’auteur coupable de violation des règles relatives à l’enregistrement des étrangers, l’a condamné à une amende et lui a ordonné de quitter le pays dans le délai d’un mois. L’auteur a fait appel devant le tribunal municipal qui, le 19 février2003, l’a partiellement débouté mais a retiré de la décision rendue en première instance l’injonction de quitter le pays dans le délai d’un mois. L’auteur a payé l’amende et il est resté dans le pays.

2.3À une date non spécifiée, l’auteur a demandé l’asile en Fédération de Russie. La Direction du Service fédéral des migrations de Saint-Pétersbourg ayant rejeté sa demande, il a fait appel devant le tribunal du district Kuybushevskiy qui, le 25 mai 2006, a statué en sa faveur. Les recours introduits par la suite par le Service fédéral des migrations ont été rejetés et, en 2006, l’auteur a obtenu l’asile temporaire.

2.4En octobre 2009, alors que la décision du tribunal était toujours applicable, le Service fédéral des migrations a révoqué l’asile temporaire accordé à l’auteur. L’auteur a fait appel devant le tribunal du district Dzerzhinskiy, faisant valoir qu’il risquerait d’être persécuté en raison de son passé militaire et politique et qu’il avait fondé une famille dans le pays. Il a été débouté de son appel le 1er avril 2010. Son recours en cassation devant le tribunal municipal et sa demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême ont également été rejetés, le 9 décembre 2010 et le 14 mars 2011 respectivement. L’auteur a continué de résider avec sa famille à Saint-Pétersbourg, mais il n’a pas de permis de résidence valide et il pourrait être expulsé à tout moment.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son renvoi en Afghanistan l’exposerait au risque de subir des traitements interdits en vertu de l’article 7 du Pacte. Il soutient que s’il était renvoyé en Afghanistan, il courrait un risque sérieux, en tant qu’ancien combattant au service du régime prosoviétique ayant lutté contre les moudjahidin, d’être attaqué par les milices talibanes, qui haïssent toute personne liée à l’ancien régime. Le fait qu’il ait passé plus de vingt ans en Fédération de Russie, pays vu comme peuplé d’infidèles et soutenant les opérations de l’OTAN en Afghanistan, aggraverait la menace pour sa vie. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité qui considère que le droit consacré à l’article 7 du Pacte impose aux États parties de «prendre avec diligence les mesures voulues pour éviter» toute menace de torture émanant de tierces parties comme des groupes armés illégaux ou d’autres acteurs non étatiques. Il affirme qu’il courrait un risque réel d’être soumis à des mauvais traitements par ces acteurs s’il était renvoyé en Afghanistan compte tenu du climat général de violence et d’indigence régnant dans le pays et en raison de ses circonstances personnelles. Il fait référence aux récents rapports du Secrétaire général de l’ONU et de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), qui citent de nombreux cas d’atteinte à la sécurité et d’exécutions ciblées s’inscrivant dans le cadre d’une vaste campagne systématique d’intimidation des civils par des éléments antigouvernementaux.

3.2L’auteur affirme également qu’après avoir passé vingt ans en dehors du pays, n’ayant plus de famille ni d’autres relations en Afghanistan, il est privé de tout réseau de soutien et sera exposé au risque de subir des attaques. Il fait état de renseignements selon lesquels la zone dont il est originaire, la province de Paktya dans l’est de l’Afghanistan près de la frontière pakistanaise, serait de plus en plus aux mains des Talibans et échapperait au contrôle du gouvernement central. Il renvoie en outre à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans des cas similaires, a déclaré que la situation de violence généralisée dans le pays de destination lui permettait de conclure que toute personne renvoyée dans ce pays risquerait de subir des mauvais traitements. Il renvoie également à la jurisprudence de la Cour affirmant que la situation dans laquelle un demandeur d’asile est contraint de vivre dans la rue, sans ressources ni accès à des sanitaires et sans aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels, est incompatible avec l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’auteur note que les tribunaux russes ont fondé leurs décisions sur la conclusion que l’auteur avait quitté l’Afghanistan pour l’Union soviétique non par crainte d’être persécuté mais pour suivre des études. Il fait valoir que même si cela pouvait être vrai en 1987, la chute violente du régime Najibullah en 1992 et l’accession au pouvoir des islamistes fondamentalistes ont fait de lui un réfugié sur place en rendant impossible son retour dans son pays d’origine.

3.3L’auteur affirme en outre qu’un renvoi en Afghanistan anéantirait sa vie de famille puisque sa fille et son épouse ne pourraient pas l’accompagner, vu que la situation de violence généralisée qui existe dans ce pays équivaut à une violation de l’article 7 du Pacte. De plus, elles seraient spécifiquement prises pour cibles en tant que femmes non musulmanes qui ne parlent pas la langue du pays et ne connaissent pas les coutumes locales, notamment religieuses. L’auteur affirme par conséquent que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 17 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 16 avril 2012, l’État partie indique que l’auteur est arrivé sur le territoire de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (Union soviétique) en 1987, dans le cadre d’un accord international, pour y étudier dans une école de médecine. De 1989 à 1997, il a étudié à la faculté de journalisme de l’université d’État de Saint-Pétersbourg. En 1991, il a rendu visite à des membres de sa famille en Afghanistan pendant deux semaines. De septembre 1998 à mars 2001, il a suivi des études de troisième cycle à l’université d’État de Saint-Pétersbourg et était alors enregistré comme résident temporaire à Saint-Pétersbourg. À la fin de ses études, son permis de résidence a été prolongé jusqu’au 10 janvier 2002. Il est cependant resté sur le territoire de la Fédération de Russie après l’expiration de son permis et le 28 janvier 2003 le tribunal du district de l’île Vasilyevskiy de Saint‑Pétersbourg l’a déclaré coupable de l’infraction administrative visée à l’article 18.8 du Code des infractions administratives et condamné à une amende et une expulsion administrative devant être mise à exécution le 23 février 2003 au plus tard. Le 30 janvier 2003, l’auteur a reçu un visa de sortie pour l’Afghanistan, mais il n’a pas quitté le territoire de la Fédération de Russie.

4.2Le 5 février 2003 et le 16 juin 2006, l’auteur a déposé des demandes de protection temporaire aux Départements des migrations des Directions des affaires intérieures des régions de Saint-Pétersbourg et Leningrad. En vertu de l’article 7.1.3 de la loi fédérale no 115-FZ sur la situation juridique des ressortissants étrangers en Fédération de Russie, le fait d’avoir été condamné pour une infraction administrative faisait obstacle à l’octroi d’un permis de résidence temporaire d’une durée de cinq ans. Toutefois, le 23 octobre 2006, le tribunal du district Kuybushevskiy a déclaré que la décision du Service des migrations était illégale et a accordé à l’auteur l’asile temporaire, qui a ensuite été prolongé d’un an à deux reprises, le 29 octobre 2007 et le 23 octobre 2008 respectivement.

4.3Le tribunal du district Kuybushevskiy a rendu cette décision pour des raisons humanitaires, conformément au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le tribunal a ainsi autorisé l’auteur à exercer ses droits, y compris le droit à la vie familiale. Après s’être vu accorder l’asile temporaire, l’auteur avait la possibilité, en vertu des paragraphes 3.4 et 3.62 de l’article 6 de la loi fédérale no115, de présenter une demande de permis de résidence temporaire, en dehors du quota approuvé par le Gouvernement, étant donné qu’il était marié à une ressortissante de la Fédération de Russie qui disposait d’un logement dans la région de Kirovsky, et que le couple avait un enfant mineur à élever. En vertu du paragraphe 1.3 de l’article 7 de la loi fédérale no 115, un permis de résidence temporaire ne peut pas être délivré à un étranger si celui-ci est sous le coup d’une expulsion administrative, et ce pendant une période de cinq ans. Pour l’auteur, cette période prenait fin le 28 janvier 2008, ce qui signifie qu’à compter du 29 janvier 2008 il avait le droit de présenter une demande de permis de résidence temporaire au Département des migrations de la région de Kirovsky. Or, il n’a pas exercé ce droit. Il a expliqué au tribunal qu’il n’avait pas l’intention de vivre dans la région de Kirovsky pour des raisons économiques et qu’il souhaitait vivre et travailler à Saint-Pétersbourg.

4.4Le 28 septembre 2009, l’auteur a demandé la prolongation de l’asile temporaire mais sa demande a été rejetée. Il a fait appel de la décision du Service fédéral des migrations auprès du tribunal du district Dzerzhinsky de Saint-Pétersbourg. L’article 2.2 de la loi sur les réfugiés dispose que cette loi ne protège pas les personnes qui ont quitté leur pays pour des raisons économiques. Sur la base de cette disposition, le tribunal du district Dzerzhinsky a rejeté l’appel de l’auteur le 1er octobre 2010. L’option qui s’offre actuellement à l’auteur est d’utiliser ses «droits personnels et familiaux» et, après un court séjour volontaire en dehors de la Fédération de Russie, de préparer un «dossier d’immigration primaire». Une fois obtenu un permis de résidence temporaire, il aura aussi le droit de demander la nationalité dans le cadre d’une procédure simplifiée.

4.5L’État partie affirme qu’au moment où la communication a été présentée, il n’existait pas de risque d’expulsion forcée de l’auteur. En vertu de l’article 31.9 du Code des infractions administratives, une sanction administrative ne peut plus être exécutée si elle ne l’a pas été dans les deux ans qui suivent son entrée en vigueur. Aucune décision n’a été rendue concernant l’expulsion de l’auteur en Afghanistan. L’État partie affirme donc qu’il n’y a pas eu violation des droits de l’auteur sur le territoire de la Fédération de Russie.

4.6L’État partie affirme que les allégations de l’auteur selon lesquelles les autorités de la Fédération de Russie auraient ordonné son expulsion et il aurait épuisé tous les recours internes utiles conformément aux articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont sans fondement et peu plausibles. L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable, entre autres pour abus du droit de présenter une communication.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1Le 10 juin 2012, l’auteur a fait valoir que l’État partie n’indiquait pas les recours internes utiles qui auraient dû être épuisés par l’auteur et ne donnait aucun autre motif valable d’irrecevabilité en vertu des articles 2 et 5 du Protocole facultatif.

5.2En ce qui concerne les faits de la cause, l’auteur note que la décision du tribunal du district Kuybushevskiy, qui a annulé la décision du Service des migrations de ne pas lui accorder l’asile temporaire et qui était fondée sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, est ultérieurement devenue «caduque» en raison du refus du Service des migrations de prolonger l’asile temporaire de l’auteur.

5.3L’auteur convient qu’il ne pourrait pas être expulsé sur la base de la décision rendue le 28 janvier 2003 par le tribunal du district de l’île Vasilyevskiy. Toutefois son grief porte essentiellement sur le fait que, vu qu’il n’a aucun droit formel de rester en Fédération de Russie, il pourrait être expulsé à tout moment en vertu de l’article 31 de la loi fédérale no115 rapproché de l’article 13 de la loi sur les réfugiés. Une telle décision peut être prise par les responsables du Service des migrations à tout moment et l’unique raison pour laquelle cela n’a pas été fait tient à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. L’auteur affirme en outre qu’il n’existe pas de procédure de réexamen judiciaire d’une décision d’expulsion qui aurait automatiquement un effet suspensif. S’il était expulsé, l’auteur ne pourrait plus rendre visite à sa famille en Fédération de Russie pendant cinq ans au moins. De plus, étant donné qu’il n’a aucun statut dans la Fédération de Russie, il ne peut pas légalement travailler, et n’a aucun droit à une assurance ou une assistance médicale ou sociale ni la faculté de se déplacer à son gré. La situation de l’auteur est demeurée inchangée depuis qu’il a soumis sa communication au Comité.

5.4L’auteur est préoccupé par la suggestion qui lui est faite par l’État partie de quitter le pays et d’y entrer de nouveau afin de régulariser son séjour. Il n’a aucune garantie d’être autorisé à entrer de nouveau dans le pays s’il quitte le territoire. Il n’a pas de documents lui permettant de quitter le pays légalement. L’auteur trouve surprenant que les autorités lui suggèrent un moyen de contourner leur propre réglementation en matière d’immigration sans lui expliquer pourquoi, si l’État partie admet qu’il a de réels liens familiaux dans le pays, il n’est pas possible de lui délivrer les documents nécessaires alors qu’il se trouve en Fédération de Russie.

5.5L’auteur maintient qu’il n’a en rien abusé du droit de soumettre une communication et note que l’État partie ne renvoie à aucune affaire dans la jurisprudence du Comité pour étayer son affirmation. Selon la doctrine juridique russe dominante, fondée sur l’article 10 du Code civil russe, l’abus de droit est le fait d’exercer un droit dans la seule intention de porter atteinte aux «intérêts légitimes» d’un tiers. L’auteur soutient que, même dans le cadre de cette doctrine, la saisine d’un organe juridictionnel ou quasi juridictionnel ne peut pas être considérée comme un abus de droit lorsqu’elle ne vise pas à porter atteinte aux «intérêts légitimes» de tiers. Il affirme qu’il a soumis sa communication au Comité afin de solliciter la protection de ses droits au niveau international.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.1Le 17 août 2012, l’État partie a réitéré les observations qu’il avait faites sur la recevabilité de la communication (voir par. 4.1 à 4.6).

6.2L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas exercé d’autres recours, notamment auprès de la Cour suprême de la Fédération de Russie. Selon l’article 126 de la Constitution de la Fédération de Russie, l’article 19 de la loi constitutionnelle fédérale sur le système juridictionnel et l’article 9 de la loi constitutionnelle fédérale sur les tribunaux de droit commun, la Cour suprême est la plus haute autorité juridictionnelle pour les affaires administratives. L’État partie affirme en outre que l’auteur a laissé passer plusieurs occasions de régulariser son séjour sur le territoire de la Fédération de Russie. Il ajoute que les allégations de l’auteur, qui affirme que les autorités de la Fédération de Russie ont décidé de l’expulser et qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles conformément à l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, ne sont pas fondées et sont peu crédibles. L’État partie maintient que la communication devrait être déclarée irrecevable, entre autres pour abus du droit de présenter une communication.

Nouveaux commentaires de l’auteur sur la recevabilité

7.1En date du 19 octobre 2012, l’auteur note que les observations de l’État partie sont fondamentalement identiques à celles qu’il a soumises le 16 avril 2012, et renvoie à ses propres commentaires, soumis le 10 juin 2012.

7.2L’auteur affirme en outre qu’une demande de contrôle juridictionnel, que propose l’État partie, ne constitue pas un recours utile qu’il serait tenu d’exercer. Il ajoute que par ailleurs, après la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, il s’est vu refuser une nouvelle fois l’asile temporaire en Fédération de Russie. Par conséquent, il maintient qu’il court un risque réel et imminent d’être expulsé. S’il était expulsé, l’auteur ne pourrait pas entrer de nouveau en Fédération de Russie (art. 26 de la loi sur les modalités de sortie de la Fédération de Russie et d’entrée en Fédération de Russie) et serait séparé de sa famille pendant de nombreuses années.

Nouveaux commentaires de l’auteur

8.Le 13 juillet 2013, l’auteur indique qu’il est toujours dépourvu de papiers et «n’a aucun titre valable» pour rester en Fédération de Russie et que, par conséquent, en vertu de la législation nationale sur le statut des étrangers, il peut être expulsé à tout moment sur la base d’une décision administrative du Service fédéral des migrations. Il réaffirme que sa dernière demande d’asile temporaire, soumise après qu’il a présenté sa communication au Comité, a été rejetée. Il ajoute que le recours qu’il a formé contre cette décision a aussi été rejeté et il fournit des copies des décisions de justice correspondantes.

Nouvelles observations de l’État partie

9.Le 18 octobre 2013, l’État partie confirme que le recours de l’auteur contre la décision rejetant sa demande d’asile temporaire a été examiné et rejeté par le tribunal du district Dzerzhinskiy dans un jugement rendu le 23 janvier 2013 et que le tribunal municipal de Saint-Pétersbourg a rejeté l’appel formé contre ce jugement le 15 mai 2013. Il ajoute que la Cour suprême n’a pas examiné un recours en cassation concernant la décision rendue par le tribunal du district Dzerzhinskiy. Selon l’État partie, il ressort des décisions de justice que, dans sa demande et ses recours, l’auteur a présenté les mêmes arguments qu’en 2009, à savoir que le tribunal de première instance avait confirmé la décision du Service fédéral des migrations et n’avait pas trouvé de motifs pour la déclarer illégale. En conséquence, au moment où l’État partie a soumis ses observations, il n’y avait pas de motif d’accorder l’asile temporaire à l’auteur sur le territoire de la Fédération de Russie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’y a pas eu de décision d’expulsion visant l’auteur et que, par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Cet argument soulève la question de savoir si l’auteur de la communication peut être considéré comme une «victime» aux fins des articles1 et 2 du Protocole facultatif. À cet égard, le Comité prend note de l’explication fournie par l’auteur selon laquelle, sur la base de la loi fédérale no 115 rapprochée de l’article 13 de la loi sur les réfugiés, les responsables du Service des migrations pourraient prendre à tout moment une décision d’expulsion à son égard et l’unique raison pour laquelle cela n’a pas été fait tient à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. L’auteur affirme aussi qu’il n’existe aucune procédure de réexamen judiciaire d’une telle décision d’expulsion qui permettrait de surseoir à son exécution. Le Comité note quel’État partie n’a pas réfuté ces affirmations. Le Comité note en outre que l’auteur a affirmé que s’il était renvoyé en Afghanistan, il courrait un risque réel et personnel d’être soumis à la torture. Le Comité observe que les faits, tels qu’ils sont présentés, soulèvent des questions au regard de l’article 7 du Pacte et estime qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions de l’article2 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles en ce qu’il s’est abstenu de demander un permis de résidence fondée sur le fait qu’il est marié à une ressortissante de la Fédération de Russie. Le Comité relève que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi le dépôt d’une demande de permis de résidence fondée sur le fait qu’il est marié à une ressortissante de la Fédération de Russie et qu’il a un enfant, qui est aussi de nationalité russe, n’aurait pas constitué un recours utile pour la protection des droits qu’il tient de l’article 17 du Pacte. Le Comité déclare donc que le grief de violation de l’article 17 est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être considérée comme irrecevable en ce qu’elle constituerait un abus du droit de présenter une communication, étant donné que durant et après la période pour laquelle l’asile temporaire lui avait été accordé, l’auteur s’est abstenu de demander un permis de résidence fondée sur le fait qu’il est marié à une ressortissante de la Fédération de Russie et qu’il a un enfant, issu de ce mariage, à élever. Le Comité observe toutefois que l’essentiel de la communication porte sur les questions qui se poseraient au regard de l’article 7 du Pacte si l’auteur était expulsé vers l’Afghanistan, et estime qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles en ce qu’il s’est abstenu de demander un permis de résidence fondée sur le fait qu’il est marié à une ressortissante de la Fédération de Russie et qu’il dispose encore de cette possibilité s’il quitte volontairement le pays et soumet un «dossier d’immigration primaire» (voir supra, par. 4.4). Toutefois, le Comité prend note des explications de l’auteur précisant qu’il n’a pas de documents valides lui permettant de quitter légalement la Fédération de Russie et qu’il n’a aucune garantie d’être autorisé à entrer de nouveau dans le pays s’il quitte le territoire. Le Comité relève que s’il quittait la Fédération de Russie, l’auteur, en tant qu’immigrant sans papiers, aurait pour seule destination possible son pays d’origine, l’Afghanistan. Le Comité note aussi que le risque que court l’auteur d’être soumis à la torture ne serait pas évalué par les autorités de l’État partie dans le cadre d’une procédure d’examen d’une demande de permis de résidence fondée sur les liens familiaux. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché d’examiner le grief de violation de l’article 7 du Pacte par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité prend note de l’autre argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles en ce qu’il n’a pas formé de recours devant la Cour suprême de la Fédération de Russie, qui est la plus haute autorité juridictionnelle en ce qui concerne les affaires administratives. Le Comité observe toutefois que la décision du tribunal du district Dzerzhinskiy en date du 1er octobre 2010, qui a confirmé le refus de prolongation de l’asile temporaire de l’auteur, reposait sur l’idée que la loi sur les réfugiés ne protège pas les personnes comme l’auteur qui, de l’avis du tribunal, ont quitté leur pays pour des raisons économiques. Le Comité observe en outre que l’auteur a soulevé des questions au regard de l’article 7 du Pacte et que l’État partie n’a pas fourni d’explications sur le point de savoir si le recours qu’il suggère auprès de la Cour suprême permettrait de déterminer si l’auteur courrait le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé contre son gré en Afghanistan. Le Comité fait remarquer que dans le contexte de l’article 7 du Pacte, le principe de l’épuisement des recours internes implique que l’auteur est tenu d’utiliser des voies de recours qui sont directement en rapport avec l’évaluation du risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché d’examiner le grief de violation de l’article 7 du Pacte par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, déclare ce grief recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

11.2Le Comité a pris note des arguments de l’auteur qui affirme qu’un renvoi en Afghanistan l’exposerait, en tant qu’ancien combattant au service du régime prosoviétique ayant lutté contre les moudjahidin, à un risque sérieux d’attaque par les milices talibanes; qu’il n’a plus de connaissances dans le pays après vingt ans d’absence et qu’il serait privé de tout réseau de soutien et risquerait de subir des violences; et que la zone dont il est originaire serait de plus en plus aux mains des Talibans et échapperait au contrôle du gouvernement central.

11.3Le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il vise l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités juridictionnelles des États parties au Pacte d’apprécier les faits dans de tels cas, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

11.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme qu’un renvoi en Afghanistan l’exposerait, en tant qu’ancien combattant au service du régime prosoviétique ayant lutté contre les moudjahidin, à un risque sérieux d’attaque par les milices talibanes et que le fait d’avoir passé plus de vingt ans en Russie aggraverait la menace pour sa vie. Le Comité considère que les allégations de l’auteur donnent à penser que celui-ci court un risque réel et personnel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Le Comité note, au vu du dossier dont il est saisi que, quand elles ont examiné les demandes de l’auteur, les autorités de l’État partie ont accordé un poids important au fait que l’auteur ne relevait pas de la législation interne régissant le statut de réfugié et que dans le cadre de la procédure d’examen de sa demande d’asile temporaire, il semble qu’il n’ait pas été tenu suffisamment compte des droits spécifiques que l’auteur tient du Pacte. Le Comité note que l’État partie se contente d’affirmer dans ses observations que l’auteur avait quitté son pays pour des raisons économiques, sans évaluer le risque actuel de torture auquel serait exposé l’auteur en cas de renvoi en Afghanistan. Malgré tout le respect dû aux autorités de l’immigration en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité considère que la présente affaire mériterait un examen plus approfondi. L’État partie n’ayant pas démontré qu’il serait procédé à un examen approfondi des allégations de l’auteur concernant le risque de torture auquel il serait exposé s’il était renvoyé de force en Afghanistan, le Comité considère que la délivrance et l’exécution d’un arrêté d’expulsion contre l’auteur constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que la délivrance et l’exécution d’un arrêté d’expulsion contre l’auteur violerait les droits qui sont garantis à celui-ci par l’article 7 du Pacte.

13.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris en procédant à un réexamen complet de ses allégations concernant le risque de torture, eu égard aux obligations de l’État partie en vertu du Pacte. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans la langue officielle du pays.

Appendices

Appendice I

[Original: anglais]

Opinion conjointe (dissidente) de Christine Chanet, Yuval Shany et Konstantine Vardzelashvili

Nous ne pouvons nous associer à la majorité des membres du Comité qui a conclu à une violation de l’article 7 du Pacte dans les circonstances d’espèce.

Il ressort des éléments du dossier que les juridictions de l’État partie ont examiné à de multiples reprises (les 25 mai 2005, 6 septembre 2010, 9 décembre 2010, 14 mars 2011 et 23 janvier 2013) l’allégation de l’auteur selon laquelle sa vie serait menacée s’il était renvoyé en Afghanistan, et ont conclu que cette allégation était dépourvue de fondement. En conséquence, l’État partie a refusé d’accorder à l’auteur l’asile permanent et, en2009, a révoqué l’asile temporaire dont il bénéficiait, le rendant ainsi susceptible d’expulsion. L’État partie n’a pas contesté l’affirmation de l’auteur selon laquelle les juridictions saisies de son affaire n’avaient pas examiné son argument fondé sur sa qualité de réfugié sur place (c’est-à-dire le fait que bien qu’il ait quitté l’Afghanistan pour des raisons économiques, il courrait néanmoins un risque s’il était maintenant contraint de retourner dans ce pays). Nous souscrivons donc à la conclusion de fond de la majorité lorsqu’elle considère que si l’État partie devait expulser l’auteur maintenant sans examiner son argument relatif à sa qualité de réfugié sur place, il violerait les obligations de non-refoulement que lui impose le Pacte.

Nous nous interrogeons néanmoins sur la «maturité» de la communication, et pensons qu’elle aurait dû être déclarée irrecevable pour les raisons suivantes.

L’État partie a affirmé dans les observations qu’il a soumises au Comité qu’aucune décision d’expulsion n’avait été effectivement prise à l’égard de l’auteur. Il a en outre reconnu que, compte tenu de ses relations familiales avec des personnes de nationalité russe, l’auteur pouvait prétendre à une régularisation de son statut juridique en Fédération de Russie, et a offert à l’auteur la possibilité de demander un permis de résidence temporaire qui conduirait, par le biais d’une procédure simplifiée, à l’obtention d’un statut de résident permanent dans l’État partie. Ce droit a été reconnu par trois juridictions différentes − la Cour suprême de la Fédération de Russie (dans sa décision du 14 mars 2011 à l’issue d’une procédure de contrôle juridictionnel), le tribunal municipal de Saint-Pétersbourg (dans sa décision du 6 septembre 2010) et le tribunal de district de Saint-Pétersbourg (dans sa décision du 25 mai 2006). Il convient aussi de noter que le tribunal de district de Saint-Pétersbourg a spécifiquement affirmé que la Constitution de la Fédération de Russie, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme) et la Convention relative aux droits de l’enfant faisaient obstacle à une expulsion imminente de l’auteur. Le tribunal de district a donc accordé à l’auteur l’asile temporaire en l’invitant à demander le statut de résident permanent en Fédération de Russie. À ce jour, l’auteur n’a pas demandé la résidence permanente, invoquant le fait qu’il devrait alors déménager de Saint-Pétersbourg à Kirovsk (où sa femme est enregistrée comme résidente).

S’il est vrai que les conditions particulières auxquelles l’État partie subordonne le dépôt de demandes de résidence temporaire ou permanente − soumission d’une demande à Kirovsk ou brève sortie du territoire de la Fédération de Russie − peuvent être source de désagrément pour l’auteur et peuvent même susciter certaines inquiétudes justifiées de sa part, aucun élément parmi ceux dont est saisi le Comité ne permet de penser que l’État partie a décidé d’expulser l’auteur en violation de ses obligations de non-refoulement découlant du Pacte. Nous ne pouvons donc souscrire à la conclusion de la majorité lorsqu’elle affirme que l’État partie n’a pas réfuté l’argument de l’auteur selon lequel il court un risque d’expulsion imminente et «l’unique raison pour laquelle cela n’a pas été fait tient à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité» (voir par. 10.3 des constatations). Nous considérons au contraire que l’argument de l’auteur tenant à un risque d’expulsion imminente n’est pas étayé par les éléments du dossier, lesquels convergent tous vers la conclusion opposée − à savoir que l’État partie s’efforce de trouver les moyens de régulariser la situation de l’auteur en Fédération de Russie.

Ainsi, bien que la présence de l’auteur en Fédération de Russie soit actuellement précaire, puisqu’il n’a pas voulu ou pas pu suivre les procédures aux fins de régularisation de son statut juridique, nous ne pouvons conclure qu’il existe actuellement un «risque réel»a qu’il soit expulsé vers l’Afghanistan (et y soit exposé à un préjudice irréparable). En conséquence, nous estimons qu’il ne peut pas encore prétendre à la qualité de «victime» d’une violation de l’article 7 du Pacte, et que la communication aurait donc dû être déclarée irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

7.Si une nouvelle décision était prise dans l’État partie de procéder effectivement à l’expulsion de l’auteur, cette décision serait régie par les dispositions des articles 7 et 13 du Pacte, et l’État partie serait alors tenu d’offrir à l’auteur la possibilité de contester la décision devant les mécanismes juridiques internes, ainsi que devant les mécanismes juridiques internationaux, dont le Comité des droits de l’homme.

Appendice II

[Original: anglais]

Opinion individuelle (dissidente) de Yuji Iwasawa

1.L’auteur a soumis la présente communication alors qu’aucun arrêté d’expulsion ne lui avait été délivré. Cela soulève donc la question de savoir si l’auteur est une «victime» aux fins du Protocole facultatif. L’auteur a affirmé que les responsables du Service des migrations pouvaient prendre à tout moment la décision de l’expulser. L’État partie a répondu en soulignant et en réaffirmant que «au moment où la communication a été présentée, il n’existait pas de risque d’expulsion forcée de l’auteur. … Aucune décision n’a été rendue concernant l’expulsion de l’auteur en Afghanistan» (par. 4.5 et 6.1). Étant donné qu’aucune décision n’a été prise de l’expulser en Afghanistan, j’estime que l’auteur n’est pas«victime» d’une violation de l’article 7 du Pacte et que la communication aurait dû être déclarée irrecevable. L’auteur affirme que l’unique raison pour laquelle une décision d’expulsion à son égard n’a pas été prise tient à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, et cette affirmation semble constituer la base de la conclusion du Comité lui reconnaissant la qualité de «victime» (voir par. 10.3). Or, le fait que le Comité admette l’opportunité de mesures provisoires ne saurait transformer une communication irrecevable en une communication recevable. Je ne peux souscrire à la position de la majorité qui considère que la communication est recevable et qui constate une violation sous une forme hypothétique, c’est‑à‑dire que si un arrêté d’expulsion étaitpris et exécuté contre l’auteur, cela constituerait une violation des droits garantis à celui-ci par l’article 7 du Pacte.

2.Il va sans dire que pour expulser une personne, les États parties sont obligés de respecter les dispositions du Pacte. En conséquence, si l’État partie devait prendre la décision d’expulser l’auteur, il devrait observer les dispositions du Pacte, dont celles de l’article 7. Si la décision est contraire au Pacte, il n’est pas interdit à l’auteur de soumettre une nouvelle communication au Comité assortie d’une nouvelle demande de mesures provisoires.

3.Le pouvoir qu’a le Comité de formuler une demande de mesures provisoires ne doit être exercé que lorsque de telles mesures sont requises d’urgence pour éviter qu’un «préjudice irréparable» ne soit causé aux droits garantis à l’auteur par le Pacte avant que le Comité ait eu la possibilité d’examiner l’affaire et d’adopter ses constatations. Le Comité doit s’assurer que ces conditions sont remplies, d’autant plus que selon lui, les États parties ont l’obligation en vertu du Protocole facultatif de se conformer à sa demande de mesures provisoires. Dans la présente affaire, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur tant que la communication serait à l’examen, alors qu’il n’y avait ni arrêté d’expulsion ni projet d’expulsion imminente. Cela soulève la question de savoir si la condition d’urgence à laquelle sont subordonnées des mesures provisoires était alors remplie.