Nations Unies

C C PR/C/117/D/2124/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. : générale

29 mars 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2124/2011 *, **, ***

Communication présentée par :

Mohamed Rabbae, A. B. S. et N. A.(représentés par les conseils Ettina Prakken et Michiel Pestman)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

15 novembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 décembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

14 juillet 2016

Objet :

Incitation à la haine raciale ou religieuse par un homme politique

Question(s) de procédure :

Statut de victime ; exclusion ratione materiae; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement ; incitation à la haine raciale ou religieuse ; droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi sans discrimination ; protection des minorités

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 14 (par. 1), 17, 20 (par. 2), 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Mohamed Rabbae, A. B. S. et N. A., tous trois de double nationalité néerlandaise et marocaine. Ils se déclarent victimes de violations par les Pays-Bas des droits qu’ils tiennent du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et des articles 17, 20, 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays-Bas le 11 mars 1979. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Entre 2006 et 2009, des centaines de personnes et des organisations ont porté plainte auprès de la police contre M. Geert Wilders, député et fondateur du Parti pour la liberté, un parti politique d’extrême droite, pour dénoncer des injures et des incitations à la discrimination, à la violence et à la haine. Le ministère public a néanmoins décidé de ne pas engager de poursuites contre M. Wilders, faisant valoir que les déclarations visées n’étaient pas des infractions mais s’inscrivaient dans l’espace qu’offre la liberté d’expression dans le débat public. Le procureur a adressé une lettre à tous les plaignants expliquant qu’aucune poursuite ne serait engagée parce que les faits dénoncés n’étaient pas réprimés par le Code pénal.

2.2En droit interne, les citoyens qui se considèrent victimes d’une infraction n’ont pas le droit de mettre l’action publique en mouvement. Ils dépendent de la décision du ministère public. Cependant, un particulier ayant un intérêt direct à ce que des poursuites soient engagées peut attaquer une décision de ne pas poursuivre devant la cour d’appel. C’est ce qu’ont fait en l’occurrence plusieurs victimes et parties intéressées. C’est ainsi que la Cour d’appel d’Amsterdam a, le 21 novembre 2009, ordonné au procureur d’engager des poursuites contre M. Wilders devant le Tribunal de district d’Amsterdam et que M. Wilders a été cité à comparaître pour répondre du délit d’injure envers un groupe de personnes à raison de leur race ou de leur religion, réprimé par l’article 137 c) du Code pénal, et du délit d’incitation à la haine et à la discrimination à raison de la race ou de la religion, réprimé par l’article 137 d) du Code pénal.

2.3En vertu des articles 51 a) et 51 f) du Code de procédure pénale, quiconque a subi un préjudice direct du fait d’une infraction pénale peut se constituer partie civile et demander des dommages-intérêts. La partie civile est informée de la procédure et a accès au dossier. Aux termes de l’article 334 du Code de procédure pénale, elle peut présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande civile mais ne peut pas citer de témoins ni donner son avis sur le fond de l’instance pénale.

2.4Les auteurs et plusieurs autres personnes ainsi que des organisations de musulmans et d’immigrés se sont constitués parties civiles en demandant chacun 1 euro symbolique de dommages-intérêts, dans le but d’influer sur la décision judicaire en soutenant que les déclarations de M. Wilders entraient dans la définition du délit. Il s’agissait pour eux de clarifier les limites de ce qui peut être dit dans le cadre du débat politique et d’établir la signification concrète de leur droit d’être protégés contre les incitations à la haine, à la discrimination et à la violence. Leur demande de dommages-intérêts visait à convaincre le juge que M. Wilders avait franchi la limite entre ce qui était acceptable dans une société démocratique et ce qui était punissable parce qu’un préjudice avait été causé à la société dans son ensemble, à des minorités ethniques et religieuses et aux auteurs personnellement. Un procès civil n’aurait pas permis au tribunal de se prononcer à cet égard.

2.5À l’audience, le procureur a plaidé le rejet de la demande des auteurs, au motif qu’ils n’avaient pas subi de préjudice direct du fait d’une violation des articles 137 c) et 137 d) du Code pénal. M. Wilders a cité plusieurs experts, dont certains ont été récusés par le tribunal et d’autres entendus par un juge d’instruction. Les avocats des auteurs n’ont pas été autorisés à assister à leur audition. Le tribunal voulait dans un premier temps limiter strictement les plaidoiries des avocats des auteurs à l’explication des préjudices subis, mais il les a finalement autorisés à aborder la question de savoir si les faits visés par l’accusation étaient punissables, puisqu’il s’agissait du fondement, en droit de la responsabilité civile, de leur action civile en dommages-intérêts, qui suppose la commission d’une infraction. Les avocats ont plaidé que les déclarations de M. Wilders constituaient une violation des articles 137 c) et 137 d) mais n’ont pas été autorisés à évoquer la réticence du procureur à engager des poursuites, ni à plaider la condamnation. Ultérieurement, après que la composition du tribunal eut été modifiée, les auteurs n’ont pas été autorisés à plaider sur l’illégalité des déclarations de M. Wilders.

2.6Par jugement du 23 juin 2011, le tribunal, après avoir examiné chacune des charges formulées dans les réquisitions, a décidé que la preuve ne pouvait en être rapportée et a relaxé M. Wilders de tous les chefs de la poursuite. En conséquence, les demandes des auteurs en tant que parties civiles ont été déclarées irrecevables. Ni le procureur ni M. Wilders n’ont fait appel du jugement. Les auteurs n’avaient pas le droit d’interjeter appel et ils n’ont donc pas d’autres recours internes à épuiser.

2.7Les griefs formulés par les auteurs devant la juridiction nationale et devant le Comité concernent des déclarations de M. Wilders qui, pour les auteurs, vont au-delà de l’injure et constituent une incitation à la haine, à la discrimination et à la violence. Ces déclarations ne sont pas dirigées contre l’islam en tant que religion mais contre les musulmans en tant qu’êtres humains, bien qu’il soit difficile de distinguer une attaque contre l’islam d’une attaque contre les musulmans ou les immigrés non occidentaux. Les déclarations en cause sont les suivantes :

a)Dans une interview publiée le 7 octobre 2006 par le journal De Volkskrant, M. Wilders, interrogé sur ce qu’il changerait s’il arrivait au pouvoir le lendemain, a répondu :

i)« Les frontières seront fermées le jour même à tous les résidents non occidentaux ».

« La composition démographique est le plus gros problème aux Pays-Bas. Je parle de ce qui vient aux Pays-Bas et ce qui s’y multiplie. Si l’on regarde les chiffres et leur évolution […]. Les musulmans vont quitter les grandes villes pour s’installer dans les campagnes. Nous devons arrêter le tsunami de l’islamisation. Il nous frappe en plein cœur, dans notre identité et dans notre culture. Si nous ne nous défendons pas, tous les autres objectifs de mon programme seront inutiles. »

ii)Lorsqu’on lui a demandé si l’islam et la délinquance étaient liés, il a répondu :

« Absolument. Les chiffres le prouvent. Un jeune Marocain sur cinq a un casier judiciaire. Leur comportement découle de leur religion et de leur culture. On ne peut pas voir les choses séparément. Le pape a totalement raison lorsqu’il déclare que l’islam est une religion violente. L’islam signifie soumission et conversion des non‑musulmans. C’est ainsi qu’il est entendu dans les foyers de ces délinquants et dans les mosquées. Cette conception est au cœur des communautés elles-mêmes. »

iii)« Tout le monde adoptera notre culture dominante. Ceux qui ne le feront pas ne seront plus là dans 20 ans. Ils seront expulsés. »

iv)« Ces Marocains sont vraiment violents. Ils frappent les gens en raison de leur orientation sexuelle. »

b)Dans un article publié en ligne le 6 février 2007 sur www.geenstijl.nl ou www.pvv.nl, le site Web de son parti, M. Wilders a déclaré :

« Le Nederlands Dagblad de samedi dernier cite le professeur Raphael Israeli qui prédit une “troisième invasion islamique de l’Europe” par “pénétration, propagande, conversion et modification démographique”. Selon lui, les Européens se suicident démographiquement avec la progression de l’islam. La première invasion islamique fut arrêtée en l’an 732 à Poitiers après qu’elle eut conquis l’Espagne, le Portugal et le sud de la France, et la deuxième tentative d’invasion fut repoussée aux portes de Vienne, où les Turcs ottomans furent vaincus en 1683 et purent ainsi, heureusement, être éliminés. Selon le professeur Israeli, la troisième tentative, qui est en cours en Europe, a beaucoup plus de chances de réussir. Il a parfaitement raison. »

c)Dans le journal De Pers du 13 février 2007, M. Wilders a déclaré :

i)« On en a assez. On ferme les frontières, on ne laisse plus entrer d’islamiques aux Pays-Bas, on expulse beaucoup de musulmans des Pays-Bas, on dénaturalise les délinquants islamiques [...]. »

ii)« L’ancien chef du Mossad, Efraim Halevy, dit que la Troisième Guerre mondiale a commencé. Je n’emploie pas ces termes, mais c’est exact. »

iii)« Mes intentions sont bonnes. Nous laissons quelque chose se produire qui entraîne une transformation totale de la société. Je sais très bien que les islamiques ne seront pas majoritaires dans une vingtaine d’années. Mais leur nombre augmente. Avec des éléments agressifs, impérialistes. Allez marcher dans la rue pour voir jusqu’où ça va. On a l’impression de ne plus vivre dans son propre pays. Un conflit est en cours et nous devons nous défendre. Un jour, il y aura plus de mosquées que d’églises ! »

d)Dans le journal De Volkskrant du 8 août 2007, M. Wilders a déclaré :

i)« Comme j’ai honte pour tous ceux qui, au Gouvernement, au Parlement ou ailleurs, refusent d’arrêter l’invasion islamique aux Pays-Bas ! Comme j’ai honte pour les hommes politiques néerlandais qui tolèrent jour après jour la surreprésentation des étrangers parmi les délinquants et les criminels et n’ont aucune solution à apporter à ce problème. »

ii)« La Haye est pleine de lâches. De gens apeurés qui sont nés lâches et mourront lâches. Ils estiment et promeuvent l’idée que la culture néerlandaise doit reposer sur une tradition juive-chrétienne-musulmane. Ils pardonnent aux menteurs et aux criminels. »

iii)« Ils se contrefichent des intérêts des Néerlandais et contribuent à transformer les Pays-Bas en Néerlarabie, province du super-État islamique Eurarabie. »

iv)« J’en ai assez de l’islam aux Pays-Bas : plus d’immigrés musulmans ! »

e)Un film intitulé Fitna, sur l’islam et les musulmans, a été produit par M. Wilders et est décrit comme suit :

Le film est décrit dans les réquisitions. Il associe des images des attentats perpétrés contre les tours jumelles à New York et la gare d’Atocha à Madrid à des images de musulmans ordinaires qui marchent dans la rue et des images d’immeubles avec des antennes paraboliques. L’idée semble être que plus il y aura de musulmans et d’antennes paraboliques aux Pays-Bas, plus le pays sera victime d’attentats terroristes. Ces images s’accompagnent d’une musique agressive.

2.8M. Rabbae est arrivé aux Pays-Bas en 1966 en qualité de réfugié et il a été député du Parti écologiste de 1994 à 2002. Il préside le conseil consultatif national des Marocains aux Pays-Bas. Il s’est plaint à la police des déclarations de M. Wilders. Devant le tribunal, il a évoqué les résultats de recherches sur l’intolérance et le racisme et sur la place des Marocains dans la société néerlandaise.

2.9A. B. S. est fille d’immigrés marocains. Elle a témoigné devant le tribunal et indiqué qu’en 2010, pendant la campagne électorale, alors qu’elle marchait dans la rue, un jeune homme à vélo l’a heurtée volontairement en criant : « Wilders a raison, fichez le camp ! ».

2.10N. A. est née aux Pays-Bas de mère néerlandaise et de père marocain. Elle a décrit au tribunal, dans sa première composition, les conséquences des propos de M. Wilders pour ceux qu’ils concernent. Ses déclarations lui ont valu un grand nombre de courriels et tweets agressifs et menaçants et d’autres messages haineux, ce qui l’a dissuadée de témoigner devant le tribunal dans sa seconde composition. Elle s’est bornée à lui adresser une lettre, dans laquelle elle signale que les expressions utilisées par M. Wilders, comme « kopvoddentax » (taxe pour le port du foulard), et la comparaison entre le Coran et Mein Kampf étaient reprises dans les messages haineux qu’elle recevait.

2.11En tant que Marocains et musulmans, les auteurs se sentent personnellement et directement atteints par les discours haineux de M. Wilders et en subissent les effets dans leur vie quotidienne. Ils ont été agressés personnellement ou menacés et humiliés via Internet. Ils sont aussi lésés par le fait que l’État partie n’a pas condamné M. Wilders pour ses propos haineux et a, de ce fait, donné à penser au public que son comportement n’était pas illégal − ce qui fait que les auteurs craignent pour leur avenir aux Pays-Bas.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que la relaxe de M. Wilders est contraire au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte et que le jugement fait notamment apparaître, dans ses attendus, les erreurs suivantes : a) il envisage les différentes déclarations séparément et non dans leur effet cumulatif. L’infraction pénale d’incitation ne peut être jugée qu’en évaluant les déclarations successives considérées dans leur ordre et leurs rapports. L’essence même du délit d’incitation doit comprendre un élément d’agitation ; b) le tribunal a distingué artificiellement entre critique de l’islam et humiliation des musulmans. Critiquer l’islam tout en qualifiant les musulmans d’indésirables, comme il le fait lorsqu’il déclare qu’il en a assez de l’islam aux Pays-Bas et qu’il ne veut plus d’immigrés musulmans, est fréquent chez M. Wilders et il est donc impossible de séparer l’un de l’autre ; c) les chefs d’incitation à raison de la race ont été rejetés au motif que « les Marocains et les immigrés non occidentaux » ne sont pas des races ; et d) le jugement consacre une sorte d’exception générale et absolue (« le débat public ») à l’infraction d’incitation à la discrimination ou à la haine. En ce qui concerne le film Fitna, le tribunal a considéré que « dans son ensemble, le film n’incite pas à la haine, dans le contexte du débat public, dans le cadre duquel, de l’avis du prévenu, une mise en garde est nécessaire contre l’islam en tant que religion ». Le tribunal a formulé cette conclusion alors même que le film dépeignait les Pays-Bas comme un pays où, à l’avenir, des gens seraient pendus parce qu’ils sont homosexuels et des femmes tuées parce qu’elles désobéissent aux lois d’Allah.

3.2La relaxe a privé de son sens et de son efficacité l’article 137 d) du Code pénal, bien que celui-ci vise à donner effet à l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et à l’article 20 du Pacte. Elle est en outre incompatible avec d’autres décisions des tribunaux néerlandais relatives aux discours de haine. Étant donné la qualité d’homme politique de M. Wilders et le rôle qu’il joue dans le débat public, le tribunal a donné la priorité à la liberté d’expression et n’a pas protégé les auteurs contre les manifestations croissantes de racisme et de haine visant les musulmans. Même si l’article 20 du Pacte est rédigé en termes d’obligations de l’État et non de droits de l’individu, cela ne signifie pas que ces questions relèvent de la juridiction interne des États parties et ne soient pas, à ce titre, susceptibles d’être examinées au regard du Protocole facultatif. Si tel était le cas, le régime de protection établi par le Pacte serait considérablement affaibli.

3.3Compte tenu du lien existant entre l’article 20 et les articles 26 et 27 du Pacte, les auteurs, en tant que membres d’une minorité aux Pays-Bas, sont également victimes d’une violation de ces dispositions, étant donné qu’ils ont été, en raison de l’augmentation des manifestations d’intolérance, de racisme et de xénophobie et des violences contre les musulmans, privés du droit de vivre en paix en tant que membres de la communauté musulmane. Le tribunal, dans sa décision, n’a pas réalisé l’équilibre voulu entre leurs intérêts et la liberté d’expression de M. Wilders.

3.4En droit interne, la place des victimes dans le procès pénal est juridiquement restreinte. Les victimes n’ont le droit ni de citer des témoins ni de plaider sur les éléments de fait et de droit de l’instance pénale. Elles ne peuvent que faire valoir leur demande de dommages-intérêts. Étant donné qu’en l’espèce la question était de savoir si les déclarations de M. Wilders constituaient un discours haineux au sens de la loi, et que les auteurs n’ont pas pu participer à son examen à l’audience, ils n’ont pas disposé d’un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ni pu défendre équitablement leur cause concernant leur demande de dommages-intérêts dans le cadre de l’instance pénale conformément au paragraphe 1 de l’article 14. Les auteurs soutiennent que la violation de leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement est aggravée par le fait que le procureur a requis la relaxe de M. Wilders et n’a donc pas plaidé à charge.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité les 24 février et 28 mai 2015. Il fait valoir que la communication est irrecevable parce que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, parce qu’ils ne sont pas victimes d’une violation du Pacte, et ratione materiae.

4.2Le 31 mars 2008, M. Rabbae a porté plainte contre M. Wilders mais le procureur a décidé de ne pas poursuivre. Le 21 septembre 2009, sur plainte d’autres parties (dont aucune n’est parmi les auteurs de la présente communication), la Cour d’appel d’Amsterdam a ordonné au ministère public d’engager des poursuites contre M. Wilders pour discrimination et incitation à la haine. Le 21 février 2010, les auteurs se sont constitués parties civiles. Le 23 juin 2011, M. Wilders a été relaxé. Les plaintes des auteurs ont donc été déclarées irrecevables.

4.3L’article 20 du Pacte est formulé non sous la forme d’un droit de l’homme mais sous celle d’une obligation faite aux États de mettre en place une législation interdisant la conduite qu’il vise. D’autres articles utilisent les termes « toute personne » et « chacun ». Lire l’article 20 sous l’angle d’un droit de l’homme opposable en justice créerait, en substance, un droit de l’homme à une législation spécifique ; or aucun droit de ce type n’est reconnu. Les dispositions du paragraphe 2 ont été dûment appliquées aux Pays-Bas au moyen d’une législation interdisant tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence. La jurisprudence du Comité indique également que le paragraphe 2 de l’article 20 ne peut être invoqué dans l’application du Protocole facultatif.

4.4Le fait pour les auteurs de se joindre à l’action pénale engagée contre M. Wilders en qualité de parties lésées revient à se constituer parties civiles dans le cadre du procès pénal. Puisque M. Wilders n’a pas été reconnu coupable, la demande civile n’a pu être examinée. Les auteurs auraient néanmoins pu intenter une action civile distincte contre M. Wilders sur le fondement de l’article 6:162 du Code civil. Aux termes de cet article, toute personne qui commet un acte illégal engage sa responsabilité si elle est en faute, s’il y a préjudice matériel ou moral et s’il y a un lien de causalité entre l’acte et le préjudice. Il y a action ou omission illégale lorsqu’un droit est violé, et lorsque l’action ou l’omission est contraire à une obligation légale ou à une règle de droit non écrite concernant le comportement en société. Les dispositions conventionnelles d’application directe, notamment la plupart des dispositions du Pacte, relèvent des obligations légales. Une procédure civile dirigée contre une action illégale peut produire un effet même en cas de relaxe au terme d’une instance pénale, et des actions engagées pour déterminer si des propos étaient conformes à la loi ont été couronnées de succès. Même si les auteurs ne demandent pas à être indemnisés, engager une action civile leur permettrait de demander qu’il soit interdit à M. Wilders de faire des déclarations analogues à l’avenir, ou que soit rendu un jugement déclaratoire constatant l’illégalité des propos de celui-ci. Les décisions d’un tribunal civil sont susceptibles d’appel. Les auteurs conservent la possibilité d’engager une action civile contre M. Wilders.

4.5M. Rabbae n’a pas démontré qu’il était victime d’une violation du Pacte. Il se borne à indiquer qu’il préside un organe consultatif national de Marocains et qu’il a pris la parole lors du procès de M. Wilders. Les deuxième et troisième auteures allèguent avoir été empêchées de vivre en paix, en tant que membres de la communauté musulmane, sans bénéficier de la protection de l’État partie. Elles n’ont toutefois pas démontré que les déclarations en question avaient eu pour elles des conséquences spécifiques ni que de telles conséquences étaient imminentes et les toucheraient personnellement et qu’elles avaient besoin d’une protection de l’État. Si elles avaient eu besoin de cette protection, elles auraient pu porter plainte au pénal. Le statut de victime tel que l’envisage le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale n’est pas comparable à la définition qu’en a donné le Comité des droits de l’homme, compte tenu en particulier du fait que les auteurs de la communication présentée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en l’affaire Communauté juiv e d ’ Oslo et al. c. Norvège ne pouvaient être parties à l’instance pénale et ne disposaient d’aucun recours dans l’État partie en cause. En l’espèce, la participation des auteurs à l’instance pénale en qualité de parties civiles n’implique pas que le tribunal interne leur a reconnu le statut de victimes. Dans le cadre de cette instance, leur statut de victimes n’aurait pu être apprécié que si le prévenu avait été déclaré coupable. Le tribunal n’a donc pas eu la possibilité de déterminer s’ils étaient des victimes au regard du droit interne.

4.6La communication est dans son essence une actio popularis, car les auteurs n’ont pas démontré que les déclarations en cause leur étaient personnellement préjudiciables. Ils n’ont réclamé chacun que 1 euro de dommages-intérêts et tenté d’obtenir une décision déclaratoire de portée générale et non une indemnisation à raison d’une violation précise. Selon sa jurisprudence, le Comité n’examine pas des violations hypothétiques ou potentielles du Pacte.

4.7La communication ne relève pas du Pacte, puisqu’il ressort de la jurisprudence du Comité qu’un particulier ne peut contraindre l’État à exercer l’action publique ou à prononcer une peine contre un tiers.

4.8L’État partie a noté qu’en décembre 2014, le ministère public avait engagé des poursuites pénales contre M. Wilders pour injure à l’égard d’un groupe de personnes et incitation à la discrimination et à la haine contre des personnes en raison de leur race, à la suite de déclarations faites par lui à La Haye les 12 et 19 mars 2014 à propos de personnes d’origine marocaine.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Les 20 mars 2012 et 30 novembre 2015, les auteurs ont présenté des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. S’agissant de l’épuisement des recours internes, ils font valoir qu’une action civile doit être considérée comme inutile. Les Pays-Bas ont donné effet au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte au moyen de l’article 137 d) du Code pénal. Les auteurs ne demandent pas à être indemnisés ; ils souhaitaient obtenir d’une juridiction pénale un jugement contre M. Wilders en raison de l’autorité considérable et particulière que revêt auprès du public une reconnaissance de culpabilité ou d’innocence.

5.2M. Rabbae affirme qu’il est directement victime du discours haineux de M. Wilders en tant que musulman, en tant que Marocain et, subsidiairement, en tant que président d’un organe consultatif national. À propos des conséquences de ce discours haineux dans leur vie personnelle, les auteurs réaffirment que N. A. et A. B. S. ont décrit leur expérience dans le cadre du procès, et que M. Rabbae a dénoncé à la police les propos haineux dont il avait été la cible. La communication n’est pas une actio popularis.

5.3La communication n’est pas irrecevable ratione materiae. Les auteurs ont invoqué les articles 20 (par. 2), 26 et 27 du Pacte. La communication entre donc clairement dans le champ d’application du Pacte.

5.4Le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte non seulement oblige les États à légiférer contre les discours haineux mais confère également aux individus le droit d’être protégés contre de tels discours. L’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale énonce lui aussi des obligations incombant aux États et non des droits individuels, mais ceci n’a pas empêché le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de déclarer recevables des communications invoquant des violations de cette disposition. Si le Comité considère néanmoins qu’une telle protection individuelle n’est pas accordée par l’article 20, il devrait considérer qu’elle l’est par l’article 17. Les auteurs font valoir qu’ils ont insisté sur leur droit collectif à l’identité en invoquant l’article 20 conjointement avec les articles 26 et 27. Or l’atteinte à l’identité individuelle d’une personne, par exemple par diffamation raciale, influe également sur la capacité et la liberté de cette personne de jouir de son identité collective, et vice versa. En conséquence, les actions de l’État partie constituent également une violation de l’article 17, interprété à la lumière du paragraphe 2 de l’article 20.

5.5En ce qui concerne la procédure engagée contre M. Wilders en décembre 2014, le procureur n’a décidé d’engager de nouvelles poursuites qu’après que le comportement de l’intéressé eut suscité un tollé général.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1L’État partie a présenté ses observations le 28 mai 2015. Il rejette l’affirmation des auteurs au titre de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte selon laquelle, du fait de la relaxe de M. Wilders, la législation n’a pas été effectivement appliquée. Les auteurs ont en effet eu la possibilité de contester la décision du procureur de ne pas ouvrir d’enquête, et les différents arguments juridiques concernant le caractère délictueux des déclarations de M. Wilders ont été longuement examinés au cours de la procédure. Les auteurs affirment que leur objectif était de clarifier les limites du droit, et le jugement rendu par le tribunal montre qu’en cela ils ont réussi. Le fait que la conclusion de l’appréciation effectuée par le tribunal ne leur a pas été favorable ne signifie pas que l’application de la législation n’a pas été effective. L’article 2, paragraphe 3, ne garantit pas aux auteurs une issue favorable du recours disponible, encore moins un droit à condamnation. Toute garantie de condamnation serait incompatible avec le principe fondamental du droit à un procès équitable. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 2, paragraphe 3.

6.2En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 14, la législation pénale néerlandaise permet à quiconque a subi un préjudice direct du fait d’une infraction pénale de se constituer partie civile à l’instance pénale pour demander réparation. L’article 14 n’implique pas que les droits d’une partie civile dans une instance pénale doivent être plus étendus que ceux que reconnaît le droit interne. En droit néerlandais, ces droits incluent le droit de produire des preuves du préjudice subi, le droit d’interroger les témoins et les experts au sujet de l’indemnisation demandée et le droit d’expliquer la demande. L’objectif des auteurs était d’influer sur la procédure pénale et de convaincre le tribunal que M. Wilders avait outrepassé les limites de ce qui est autorisé dans le débat public. Or la norme que le législateur a voulu protéger dans le cadre de cette procédure était le droit à indemnisation pour le préjudice subi. En droit néerlandais, les auteurs n’étaient autorisés à jouer aucun autre rôle, notamment pas à influencer l’instance pénale.

6.3Les auteurs affirment à tort qu’aucun argument en faveur d’une condamnation n’a été présenté au tribunal et méconnaissent le rôle central du tribunal dans le procès pénal. Celui-ci s’efforce d’établir la vérité de façon indépendante et il lui appartient de garantir un examen exhaustif de tous les éléments lors du procès. Les plaidoiries de l’accusation et de la défense ne sont pas déterminantes. Le juge préside l’audience, interroge le prévenu, entend les témoins, dialogue avec les parties et prend l’ensemble de ces éléments en considération dans le jugement.

6.4En 2008, trois professeurs de droit ont remis des rapports sur le fondement juridique des poursuites en l’espèce afin d’aider le ministère public à décider de l’opportunité de poursuivre. Ces rapports ont été versés au dossier. Un examen approfondi a ensuite eu lieu lors du procès et des témoins ont été interrogés. Toutes les prétentions des auteurs ont été soumises au tribunal. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14.

6.5En ce qui concerne le grief soulevé au titre de l’article 20, il n’est pas contesté que cet article a été correctement appliqué par le biais de l’article 137 d) du Code pénal. L’objet de l’article 20 du Pacte et de l’article 137 d) du Code pénal est de réprimer l’incitation à la haine, mais c’est aux juridictions nationales qu’il appartient de décider s’il y a effectivement eu incitation à la haine. L’article 20 a suscité beaucoup de controverses parmi les États et il a été appliqué de manières très différentes selon les pays. Les juridictions nationales sont les mieux placées pour apprécier si certains propos sont punissables car elles disposent de l’intégralité du dossier et peuvent apprécier pleinement le caractère délictueux des actes en cause. Si le Comité peut examiner la question, un tel examen doit être limité. Il n’appartient pas au Comité de réévaluer les conclusions du tribunal sur le point de savoir si les actes et les déclarations de M. Wilders sont ou non passibles d’une sanction pénale. Ceci est d’autant plus vrai que l’article 20 ne crée pas de droits individuels.

6.6Le paragraphe 2 de l’article 20 n’interdit pas toutes les déclarations négatives concernant des groupes nationaux, races ou religions mais uniquement celles qui incitent à la discrimination, l’hostilité ou la violence. Cette disposition est controversée, certains craignant qu’une interdiction étendue soit utilisée abusivement par les États ou décourage les citoyens de participer au débat démocratique légitime. La distinction entre les articles 19 et 20 réside dans le fait que les États parties ne sont tenus d’interdire expressément par une loi que les formes d’expression spécifiques indiquées à l’article 20. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la liberté d’expression, même des déclarations qui peuvent offenser, choquer ou perturber sont autorisées. En principe, un poids important doit être accordé aux déclarations des hommes politiques, parlementaires, dirigeants syndicaux et autres personnalités publiques, mais il est également vital que les représentants élus évitent de faire des déclarations publiques qui risquent de favoriser l’intolérance. Inciter à l’exclusion des étrangers porte fondamentalement atteinte aux droits de l’homme et c’est pourquoi chacun, y compris les parlementaires, doit être extrêmement prudent dans ses propos. Dans le même temps, ceux qui choisissent de manifester leur religion ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à être exempts de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses, voire la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi.

6.7L’Organisation des Nations Unies, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Organisation des États américains ont indiqué que nul ne devrait être puni pour avoir diffusé des discours haineux, à moins qu’il n’ait été prouvé qu’il agissait ainsi dans l’intention d’inciter à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe considère que les actes qui troublent intentionnellement et gravement l’ordre public et appellent à la violence publique en invoquant des questions religieuses doivent être interdits selon que de besoin dans une société démocratique, conformément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme). Pour qu’il soit possible de les restreindre, il ne suffit pas que des expressions troublent l’ordre public ; elles doivent aussi appeler à la violence publique.

6.8Déterminer les actes relevant de l’article 20 n’est pas facile. On ne peut distinguer clairement la critique − même si elle est jugée offensante – de l’incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence. Il n’y a pas non plus de définition universellement acceptée des discours haineux. Chaque ensemble de faits est particulier et ne peut être évalué et jugé qu’en tenant compte des circonstances et du contexte. C’est cette tâche difficile que le tribunal a accomplie. Les auteurs ont tort d’affirmer que les déclarations de M. Wilders relèvent de l’article 20 quasiment par définition. C’est au tribunal d’en décider pour chacune d’elles. Toute autre approche empiéterait sur le droit du prévenu à un procès équitable.

6.9Les travaux préparatoires de l’article 137 d) du Code pénal montrent que l’intention était d’incriminer l’incitation à la haine ou à la discrimination contre les personnes, non contre les religions. La critique des convictions les plus profondes d’un adepte d’une religion, de la foi elle-même et des institutions et organisations fondées sur une religion ou des convictions est acceptable. La liberté d’expression a joué un rôle dans la décision de soustraire une telle critique à l’application de l’article 137 d), car il convient d’accorder un champ aussi large que possible à la critique de la religion ou des convictions, même lorsque cette critique vise les convictions les plus profondes des croyants et des institutions ou organisations fondées sur la religion ou les convictions. La critique constitue par contre une infraction pénale lorsqu’elle vise de manière non équivoque les personnes elles-mêmes et pas seulement leurs opinions, convictions et comportements. Une attaque insultante contre une croyance ne constitue pas automatiquement une attaque contre ceux qui y adhèrent ; en droit, la description insultante d’une croyance n’est insultante pour des personnes que si elle implique des conclusions les concernant. Cette distinction ne vaut que pour la religion ou la croyance, et non pour la race ou l’origine ethnique. Les travaux préparatoires attestent également que le législateur, en interprétant les termes « incitation à », a voulu établir un lien avec l’infraction définie à l’article 131 du Code pénal, à savoir un comportement incendiaire incitant à la commission d’infractions pénales ou d’actes de violence.

6.10L’article 137 d) du Code pénal a été rédigé en conformité avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. L’élément de discrimination figurant dans cet article repose sur la définition de ce terme énoncée comme suit à l’article 90 : « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence qui a pour but ou peut avoir pour effet d’anéantir ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social ou culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ». La discrimination est un comportement bien défini. Contrairement à l’incitation à la haine (un sentiment extrême), l’incitation à la discrimination ne comprend pas nécessairement un élément d’agitation.

6.11On ne peut pas dire que le jugement se soit écarté de la jurisprudence interne. Celle‑ci montre que les poursuites pour discrimination exigent un examen au cas par cas des déclarations en cause et de leur contexte. Les poursuites aboutissent souvent à des condamnations mais aussi régulièrement à des relaxes. Dans son jugement, le tribunal a décidé d’« apprécier les différentes déclarations compte tenu de leurs termes mêmes, de leurs liens avec le reste de l’interview ou de l’article dans lequel elles figurent, des autres déclarations faites par le prévenu sur la question et versées au dossier, et du contexte dans lequel elles ont été faites ». Chacune des déclarations n’a pas fait l’objet d’un chef d’accusation distinct. Les deuxième et troisième chefs, pris ensemble, visaient 28 déclarations. Par conséquent, c’est à tort que les auteurs affirment que le tribunal n’a pas examiné ces déclarations en tenant compte de leurs contexte et effet cumulatif.

6.12Le tribunal n’a pas opéré une distinction artificielle entre critique de l’islam et critique des musulmans. Qu’il s’agisse d’incitation à la haine ou à la discrimination, l’article 137 d) exige que la déclaration vise de manière non équivoque un groupe spécifique de personnes caractérisées par leur religion et se distinguant des autres par leur religion. Il ressort également du jugement que la distinction entre la critique de l’islam et la critique des musulmans ne doit pas être interprétée littéralement dans chaque cas.

6.13Les auteurs critiquent le fait que M. Wilders a été relaxé du chef d’incitation à la haine et à la discrimination raciales parce que le tribunal a jugé que le motif de « race » ne pouvait s’appliquer aux Marocains et immigrés non occidentaux. Le tribunal a effectivement considéré que l’élément du chef d’accusation relatif à la « race » ne pouvait pas être prouvé. Mais cela ne signifie pas qu’il pensait que ce motif ne peut jamais s’appliquer aux Marocains et aux immigrés non occidentaux. En outre, une telle conclusion ne correspondrait pas à la jurisprudence néerlandaise, selon laquelle la définition de la « race » englobe l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.

6.14Pour certaines déclarations, l’importance du débat public a influé sur la décision du tribunal de considérer que la preuve de l’« incitation à la discrimination » n’avait pas été rapportée. Cette appréciation est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne, selon laquelle il est essentiel de permettre le débat politique et des restrictions ne peuvent être imposées au discours politique que pour des raisons extrêmement impérieuses.

6.15Le tribunal a considéré qu’à l’époque où les déclarations ont été faites, le multiculturalisme et l’immigration étaient au centre du débat public. Plus le débat est vif, plus le champ de la liberté d’expression doit être étendu, et dans de telles circonstances des déclarations peuvent même offenser, choquer ou perturber. Le tribunal a considéré que les déclarations de M. Wilders n’étaient pas de nature à être jugées délictueuses parce qu’excessives, et donc à être exclues du débat public. Ainsi, il n’a pas fait du débat public une exception absolue, mais a indiqué en termes généraux la limite au-delà de laquelle il pouvait y avoir incitation à la haine et la discrimination. De plus, les auteurs ne décrivent pas correctement le film Fitna.

6.16Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que la communication ne fait pas apparaître de violation de l’article 20 du Pacte. Étant donné le lien étroit existant entre les références faites par les auteurs aux articles 26 et 27 et à l’article 20, et étant donné que les auteurs n’ont pas présenté d’arguments distincts concernant les articles 26 et 27, l’État partie limite ses observations à l’article 20.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Les auteurs ont présenté des commentaires le 30 novembre 2015. Ils font valoir que dans son rapport daté du 20 juin 2013 sur les Pays-Bas, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a constaté avec satisfaction que lors du procès de M. Wilders le Tribunal de district d’Amsterdam avait évoqué la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la liberté d’expression politique, mais a souligné que dans l’affaire Féretc. Belgique, la Cour européenne avait indiqué que, en principe, limiter les expressions de haine justifiant l’intolérance pouvait être jugé nécessaire dans les sociétés démocratiques si les restrictions étaient proportionnées au but légitime poursuivi. Un appel aurait donc été justifié dans l’affaire Wilders pour tenir dûment compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

7.2En ce qui concerne les articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1), les auteurs contestent revendiquer un droit à faire condamner M. Wilders. Ils dénoncent l’absence de poursuites effectives. Le procureur a peu fait pour que les poursuites soient effectives, comme le montre sa décision de confier celles-ci aux magistrats ayant initialement décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre. Cela, outre le peu de zèle déployé pour obtenir une condamnation et la faiblesse de la situation juridique des victimes dans la procédure pénale néerlandaise, a conduit à un alignement de facto de la position du procureur sur celle de la défense. Dans la procédure pénale néerlandaise, la victime dépend totalement du juge et du procureur. Le fait que le procureur ait sollicité les avis de trois professeurs de droit pour décider s’il fallait ou non poursuivre M. Wilders illustre cette dépendance. Les auteurs n’étaient pas d’accord avec la plupart des avis des intéressés, mais ils n’ont été autorisés ni à faire des observations ni à citer leurs propres experts.

7.3Les auteurs admettent que l’État partie a correctement donné effet au paragraphe 2 de l’article 20 dans sa législation. Le problème réside dans l’application de celle-ci en l’espèce. Le jugement s’écarte de la jurisprudence nationale, moins tolérante à l’égard des discours haineux.

7.4Quant au lien entre les articles 19 et 20 du Pacte, les auteurs soutiennent que la liberté d’expression ne peut être utilisée pour légitimer les discours haineux. Dans des cas très similaires, la Cour européenne des droits de l’homme a établi des limites claires lorsque la liberté d’expression était utilisée pour tenir des propos haineux.

7.5Le tribunal n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif des déclarations de M. Wilders, bien qu’il ait pris note des arrêts de la Cour suprême qui soulignent l’importance du contexte pour se prononcer sur le caractère délictueux de certains propos.

7.6En principe, la critique d’une religion ne doit pas être sanctionnée pénalement car elle ne constitue pas une diffamation à l’égard d’un groupe. Le tribunal n’a pas reconnu la distinction entre diffamation et discours haineux, alors que souvent M. Wilders associe l’une à l’autre. Par exemple, s’agissant de la déclaration citée au paragraphe 2.7 c) iii) ci‑dessus, le tribunal a admis qu’elle visait les musulmans et que l’emploi des termes « nous défendre » était provocateur. Il a même considéré que M. Wilders était à la limite du délit, avant de noter : « le défendeur dit dans l’interview qu’il n’est pas contre les musulmans mais contre l’islam ». Le tribunal a donc décidé qu’il n’y avait pas incitation à la haine raciale. Le fait que M. Wilders ait visé l’islam par opposition aux musulmans montre qu’il a bénéficié des conseils d’un juriste, mais cela ne change en rien la substance et l’effet de ses propos.

7.7M. Wilders a employé à plusieurs reprises les termes « Marocains » et « immigrés non occidentaux ». La décision du tribunal concluant que l’élément racial ne pouvait être prouvé indique que le tribunal a appliqué une définition de la race contraire à la jurisprudence de la Cour suprême et à la définition utilisée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance.

7.8Les auteurs dénoncent l’invocation du débat public pour excuser les discours haineux, ainsi que le fait que le tribunal a insisté sur l’importance du débat public sans mentionner les responsabilités qui incombent aux hommes politiques quant à l’intégrité de ce débat. Pour savoir si des propos sont haineux, il est essentiel d’apprécier la manière dont ils sont perçus par le citoyen moyen, car le discours haineux constitue une infraction faisant intervenir à la fois un énonciateur et un destinataire.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Le 2 février 2016, l’État partie a formulé des observations complémentaires. Il indique que la première audience dans la seconde action pénale intentée en 2014 contre M. Wilders se tiendra en mars 2016.

8.2S’agissant de la présente affaire, le procureur s’est conformé pleinement et sans réserve à l’ordonnance de la Cour d’appel d’Amsterdam, a présenté des arguments juridiques et factuels détaillés, a fondé son avis sur des motifs strictement juridiques et ne s’est pas aligné sur la défense de M. Wilders. La décision de la Cour d’appel figurait également au dossier. Ce n’est pas parce que les poursuites ont été menées par le Service des poursuites en partie par le truchement d’un procureur ayant pris part à la décision initiale de ne pas poursuivre que la décision de la Cour d’appel d’ordonner les poursuites aurait été suivie à contrecœur. Le procureur représente le Service des poursuites. Le juge des référés a considéré que le procureur s’était pleinement conformé à l’ordonnance de la Cour d’appel. La relaxe n’a pas fait l’objet d’un appel parce que le Procureur général a conclu qu’un appel n’était pas justifié en l’espèce.

8.3Dans la procédure pénale néerlandaise, la victime n’a pas le même statut que le défendeur et elle n’est pas partie à l’instance pénale. Le Pacte n’oblige pas à conférer aux victimes le statut de parties à l’instance pénale. Accorder aux victimes le droit d’engager des poursuites pénales compromettrait le monopole du procureur en la matière et l’objectif des poursuites, à savoir défendre l’intérêt général. C’est pourquoi les victimes ne peuvent pas citer de témoins, ni interroger ou faire interroger les témoins. Elles peuvent toutefois faire part de leurs vues au ministère public avant le procès et demander que tel ou tel témoin soit cité.

8.4Il n’y a pas de démarcation claire entre la critique sociale et l’incitation à la violence, à l’hostilité et à la discrimination. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek c. Suisse, il convient, pour décider si certaines déclarations constituent ou non une incitation à la haine ou à la violence, de procéder à un examen au cas par cas en se fondant sur la nature et les effets potentiels des déclarations et sur le contexte dans lequel elles sont faites. Les déclarations faites dans le contexte du débat public doivent bénéficier d’une large protection.

8.5L’appréciation d’une déclaration doit être objective et ne peut être fonction de la perception ou du degré du préjudice puisque ceux-ci diffèrent d’une personne ou d’un groupe à l’autre. Cette appréciation est fondée sur le sens des termes utilisés et sur le sens de la déclaration à la lumière du reste des propos. Les destinataires potentiels du message sont également pris en considération parce qu’il peut être nécessaire, pour interpréter les déclarations, de les considérer dans le cadre des circonstances de l’espèce et à la lumière des associations qu’elles évoquent.

8.6La distinction entre les déclarations visant des personnes et celles visant une religion est essentielle, notamment pour que la liberté d’expression puisse permettre la critique des religions ou du comportement des individus. En outre, bien que le Tribunal de district n’ait pas autrement motivé sa décision selon laquelle l’élément de « race » de l’accusation n’avait pu être prouvé, cela ne signifie pas qu’il a méconnu la définition utilisée par la Cour suprême, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, sur laquelle le procureur s’est fondé. Il est probable que le tribunal a conclu que l’élément « en raison de leur race » n’était pas prouvé.

8.7Les auteurs n’ont pas étayé leurs griefs de violation de l’article 17. L’avis des auteurs selon lequel l’article 17 protège le droit à l’identité collective n’est pas fondé. Les auteurs n’ont pas non plus démontré que les propos de M. Wilders les ont empêchés de jouir de leur religion ou de leurs coutumes et traditions culturelles en communauté avec d’autres.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3S’agissant de l’obligation d’épuiser les recours internes énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, puisque M. Wilders n’a pas été reconnu coupable, les prétentions civiles soulevées par les auteurs dans le cadre de la procédure pénale ne pouvaient pas être examinées. De plus, il n’est pas contesté que les auteurs peuvent encore engager une action civile distincte devant une juridiction civile contre M. Wilders pour acte illicite en vertu de l’article 6:162 du Code civil, même s’ils ne demandent pas d’indemnisation. Engager une action civile permettrait aux auteurs de demander qu’il soit interdit à M. Wilders de faire des déclarations analogues à l’avenir ou que soit rendue une décision déclaratoire constatant l’illégalité des propos de celui-ci. Le Comité prend note également des arguments des auteurs selon lesquels une telle action civile ne constitue pas en l’espèce un recours utile parce que leur but était d’obtenir non une indemnisation mais une décision sur le point de savoir si une infraction visée à l’article 137 d) du Code pénal avait été commise.

9.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en application du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur d’une communication doit faire usage de tous les recours judiciaires ou administratifs lui offrant des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. Il relève qu’une action civile engagée en vertu de l’article 6:162 du Code civil aurait permis aux auteurs de demander réparation, sous forme de dommages-intérêts ou sous une forme non pécuniaire, du préjudice causé par les actes illicites de M. Wilders, ainsi qu’un jugement déclaratoire. Mais il relève aussi que ce n’est pas la réparation civile du préjudice que leur aurait causé M. Wilders que les auteurs recherchaient. Leur objectif, en participant à l’instance devant la juridiction nationale, était d’obtenir d’une juridiction pénale un jugement contre M. Wilders en raison de l’autorité considérable et particulière que revêt auprès du public une reconnaissance de culpabilité ou d’innocence au regard de l’article 137 d) du Code pénal, une disposition visant à donner effet à l’obligation que le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte impose à l’État partie. C’est pourquoi les auteurs ont choisi la voie de recours offerte par l’État partie qui répondait le mieux à leur objectif. Le Comité considère qu’une telle décision ne pouvait être obtenue de façon appropriée que dans le cadre d’une instance pénale. Il estime donc qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 d’examiner la communication.

9.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité aux motifs que les auteurs n’auraient pas le statut de victimes et que la communication serait par essence une actio  popularis, les auteurs n’ayant pas démontré que les déclarations de M. Wilders leur étaient personnellement préjudiciables. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle « une personne ne peut se prétendre victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif que s’il est effectivement porté atteinte à ses droits. L’application concrète de cette condition est une question de degré. Toutefois, aucun individu ne peut, dans l’abstrait, par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique qu’il affirme être contraire au Pacte ». En conséquence, toute personne se disant victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer soit qu’un acte ou une omission de l’État partie a déjà eu un effet néfaste sur l’exercice de ce droit, soit qu’un tel effet est imminent, par exemple en se fondant sur la législation en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. En appliquant ce principe, le Comité a reconnu « qu’un individu qui entre dans une catégorie de personnes dont les activités sont mises hors la loi par la législation pertinente peut être considéré comme une “victime” ». De plus, dans l’affaire Toonen c. Australie, bien que les dispositions législatives qu’il contestait n’aient pas été appliquées par les autorités depuis un certain nombre d’années, l’auteur dénonçait, entre autres, des remarques malveillantes et insultantes et une « campagne de haine officielle et non officielle » dirigée contre les homosexuels, et faisait valoir que, de par sa seule existence, la législation entretenait la discrimination, le harcèlement et la violence à l’égard de la communauté homosexuelle. Le Comité a conclu que l’auteur avait « avancé suffisamment d’arguments pour démontrer que le maintien de dispositions − qui risquaient à tout moment d’être appliquées et influaient en permanence sur les pratiques administratives et l’opinion publique − lui avait été et continuait de lui être préjudiciable », ce qui suffisait à établir sa qualité de victime.

9.6Dans la présente affaire, le Comité note que les auteurs n’ont pas soulevé des griefs abstraits en tant que membres de l’ensemble de la population de l’État partie. Les auteurs sont musulmans et de nationalité marocaine et ils soutiennent que les déclarations de M. Wilders visent expressément les musulmans, les Marocains, les immigrés non occidentaux et l’islam. Les auteurs appartiennent donc à la catégorie des personnes qui étaient expressément la cible des déclarations de M. Wilders. Ils affirment en outre qu’ils se sentent personnellement et directement atteints par les propos haineux de M. Wilders et qu’ils en subissent les effets dans leur vie quotidienne, notamment sous la forme d’attaques via Internet, et que la relaxe de M. Wilders, en donnant à penser au public que la conduite de ce dernier n’était pas délictueuse, leur a causé un préjudice. Les auteurs sont intervenus dans l’instance pénale en qualité de parties civiles en vertu de l’article 51 a) du Code pénal. Le Comité note en outre que M. Rabbae préside le conseil consultatif national des Marocains, qu’il s’est plaint à la police des déclarations de M. Wilders et que devant le tribunal il a évoqué, données à l’appui, l’intolérance, le racisme et la place des Marocains dans l’État partie. A. B. S. a témoigné devant le tribunal qu’en 2010 elle avait été heurtée volontairement par un cycliste qui l’avait invectivée en se référant explicitement aux propos de M. Wilders. La troisième auteure, N. A., après avoir témoigné devant le tribunal pour expliquer l’impact des déclarations de M. Wilders, a reçu de nombreux messages menaçants, ce qui l’a dissuadée de témoigner de nouveau. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les auteurs sont membres du groupe expressément visé par les déclarations de M. Wilders et sont donc des personnes que le paragraphe 2 de l’article 20 a pour objectif de protéger, et que les déclarations de M. Wilders ont eu des conséquences spécifiques pour elles, notamment en suscitant dans la société des attitudes discriminatoires à l’égard d’un groupe et des auteurs en tant que membres de ce groupe. En conséquence, le Comité considère que les auteurs ont suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que leurs griefs ne sont pas seulement hypothétiques.

9.7Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’article 20 du Pacte n’est pas formulé en termes de droit opposable en justice. Il considère cependant que, lorsqu’il stipule que « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi », le paragraphe 2 de l’article 20 garantit la protection des personnes en tant qu’individus et en tant que membres de groupes contre ce type de discrimination. Cet article entend reconnaître expressément l’interdiction de la discrimination énoncée à l’article 26 du Pacte en définissant une limite que les États parties doivent imposer aux autres droits applicables en vertu du Pacte, notamment le principe de la liberté d’expression consacré à l’article 19. Par conséquent, le Comité considère que le paragraphe 2 de l’article 20 n’impose pas seulement aux États parties une obligation formelle d’adopter une législation interdisant les comportements discriminatoires. Une telle loi serait sans effet si elle n’était pas assortie de procédures de plaintes et de sanctions appropriées. L’invocation du paragraphe 2 de l’article 20 par des particuliers lésés s’inscrit donc dans la logique de protection qui sous‑tend l’ensemble du Pacte.

9.8L’État partie affirme que la communication échappe au champ d’application du Pacte puisqu’il ressort de la jurisprudence du Comité qu’un particulier ne peut, en vertu du Pacte, exiger d’un État qu’il engage des poursuites ou prononce une peine contre un tiers. Le Comité prend note des commentaires des auteurs à cet égard, à savoir que leur grief concerne l’absence de poursuites effectives. Le Comité prend également note de leurs allégations concernant la place restreinte qui était la leur, en qualité de parties civiles, dans l’instance pénale, puisqu’ils n’ont pas pu, par exemple, faire citer de témoins, participer à l’examen des faits et du fond de l’affaire ou plaider sur le point de savoir si les déclarations de M. Wilders constituaient des incitations à la haine, à la discrimination ou à la violence, ni faire appel du jugement. À cet égard, le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 20 et l’article 26.

9.9Pour ce qui est des allégations des auteurs au titre des articles 17 et 27 du Pacte, le Comité considère que les auteurs n’ont pas, à l’appui des griefs qu’ils tirent de ces dispositions, formulé d’arguments spécifiques distincts de ceux qu’ils avancent à l’appui de leurs griefs au titre du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 26. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.10Compte tenu de ce qui précède, le Comité décide que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 20 et l’article 26 du Pacte, et il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité prend note du grief des auteurs qui soutiennent que dans l’action pénale engagée contre M. Wilders en application de l’article 137 d) du Code pénal, une disposition visant à donner effet aux obligations que le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte impose à l’État partie, leurs droits n’ont pas été respectés en raison du rôle restreint qui était le leur en tant que parties civiles et de l’absence de poursuites effectives.

10.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 14 du Pacte ne donne pas aux individus le droit d’exiger d’un État qu’il poursuive un tiers au pénal ou lui inflige une sanction. Cependant, les individus peuvent, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, faire valoir leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement en cas de contestations sur leurs droits et obligations en matière civile. En l’espèce, les griefs soulevés par les auteurs en tant que parties lésées dans le cadre de la procédure pénale sont de nature civile et, par conséquent, leurs droits et obligations concernant leurs prétentions civiles d’indemnisation au cas où l’accusé est reconnu coupable doivent être protégés. À cet égard, le Comité observe que, devant le Tribunal de district d’Amsterdam, les auteurs ont choisi d’exercer leurs droits en se constituant parties civiles en vertu de l’article 51 du Code de procédure pénale, un mécanisme qui n’est pas requis par le Pacte mais est disponible en droit interne. Le Comité observe en outre que, dans le cadre de cette procédure, leurs avocats ont été autorisés à plaider sur la question de savoir si les faits retenus dans la prévention étaient punissables et à faire valoir que les déclarations de M. Wilders constituaient une violation de l’article 137 d). Le Comité relève en outre que les auteurs ont été autorisés à soumettre des documents et à témoigner devant le tribunal. En conséquence, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des droits garantis aux auteurs par le paragraphe 1 de l’article 14 en conjonction avec des contestations sur leurs droits et obligations en matière civile.

10.4S’agissant du grief des auteurs selon lequel la relaxe de M. Wilders a porté atteinte aux droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 3), 20 (par. 2) et 26, le Comité fait observer que le paragraphe 2 de l’article 20 garantit le droit des personnes en tant qu’individus et en tant que membres de groupes d’être protégés contre la haine et la discrimination en vertu de l’article 26 en faisant obligation aux États d’interdire certains comportements et certaines expressions par la loi. Les États parties ne sont tenus d’interdire expressément par une loi que les formes d’expression spécifiques indiquées à l’article 20. Le paragraphe 2 de l’article 20 est formulé en termes restrictifs de façon à ne pas porter atteinte aux autres droits non moins fondamentaux garantis par le Pacte, notamment la liberté d’expression consacrée par l’article 19. Le Comité rappelle à cet égard que la liberté d’expression s’applique aussi à des propos qui peuvent être considérés comme profondément offensants. En outre, la communication libre des informations et des idées concernant des questions publiques et politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants élus est essentielle à la promotion et à la protection de la liberté d’expression. Le Comité rappelle également sa jurisprudence selon laquelle les interdictions de manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte, sauf dans les circonstances spécifiques envisagées au paragraphe 2 de l’article 20. Ces interdictions ne doivent pas non plus servir à empêcher ou à réprimer la critique des dirigeants religieux ou le commentaire de la doctrine religieuse et des dogmes d’une foi. Le Comité rappelle également que les articles 19 et 20 sont compatibles l’un avec l’autre et se complètent. Une interdiction qui est justifiée par l’invocation de l’article 20 doit également être conforme aux exigences strictes du paragraphe 3 de l’article 19. Ainsi, dans tous les cas, les mesures d’interdiction visées au paragraphe 2 de l’article 20 doivent également être « fixées par la loi » ; elles ne peuvent être imposées que pour l’un des motifs établis aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 19, et doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Le Comité note en outre que le paragraphe 2 de l’article 20 ne requiert pas expressément l’imposition de sanctions pénales mais exige que les actes qu’il vise soient « interdit[s] par la loi ». Une telle interdiction peut s’accompagner de sanctions civiles et administratives mais aussi pénales.

10.5Le Comité relève que les auteurs n’ont pas contesté la manière dont l’État partie a donné effet aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 20 dans sa législation, mais qu’ils font valoir qu’en raison du manque de diligence de l’accusation, d’erreurs dans le raisonnement du tribunal et de l’impossibilité de faire appel, les poursuites pénales ont été ineffectives en l’espèce. Le Comité note que l’État partie a choisi de donner effet au paragraphe 2 de l’article 20 en adoptant l’article 137 d) du Code pénal, qui peut être appliqué en exerçant des poursuites pénales. Selon l’État partie, des recours sont également ouverts aux particuliers, qui peuvent engager une action civile dans le cadre de l’instance pénale en vertu de l’article 51 du Code de procédure pénale, sur la base de l’article 6:162 du Code civil. Selon l’État partie, le terme « incitation » utilisé à l’article 137 d) du Code pénal s’entend d’un « comportement incendiaire qui incite à la commission d’infractions pénales ou d’actes de violence ». Le Comité note que l’État partie fait valoir que l’article 137 d) incrimine l’incitation à la haine ou à la discrimination uniquement à l’égard des personnes, et non des religions, étant donné que la critique des convictions même les plus profondes des adeptes d’une religion est protégée par la liberté d’expression. L’État partie souligne également que, dans le domaine complexe des discours haineux, chaque ensemble de faits est particulier et doit être évalué par un tribunal ou une autre instance impartiale au cas par cas, en tenant compte des circonstances propres aux faits ainsi que du contexte.

10.6Le Comité observe que, dans la présente affaire, le droit interne de l’État partie a permis aux personnes concernées d’obtenir que la Cour d’appel d’Amsterdam ordonne au ministère public d’engager des poursuites contre M. Wilders. Ce dernier a été poursuivi du chef d’« injures envers un groupe de personnes à raison de leur race ou de leur religion » en application de l’article 137 c) du Code pénal, et du chef d’« incitation à la haine et à la discrimination à raison de la religion ou de la race » en application de l’article 137 d) pour l’ensemble des déclarations visées dans la communication des auteurs. En vertu de l’article 51 a) du Code de procédure pénale, les auteurs se sont constitués parties civiles et ont pu plaider que la conduite de M. Wilders violait l’article 137 d). Le Comité note également que l’État partie affirme que le procureur a représenté impartialement le ministère public et a exposé intégralement les aspects factuels et juridiques de l’affaire, qu’il appartenait au tribunal d’apprécier en toute indépendance les éléments de preuve et de droit et que le tribunal s’est prononcé après avoir évalué soigneusement, à la lumière du droit applicable, chacune des déclarations de M. Wilders dans leur contexte.

10.7L’État partie a choisi de mettre en place un cadre législatif qui réprime pénalement les déclarations visées au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte et qui autorise les victimes à déclencher des poursuites et à y prendre part. Dans la présente affaire, de telles poursuites ont été engagées et le tribunal a rendu un jugement circonstancié appréciant les déclarations de M. Wilders à la lumière du droit applicable. Le Comité considère par conséquent, à la lumière des arguments et des circonstances de l’affaire, que l’État partie a pris les mesures nécessaires et proportionnées visant à « interdire » les déclarations formulées en violation du paragraphe 2 de l’article 20 et à garantir le droit des auteurs à un recours utile en vue de les protéger contre les conséquences de telles déclarations. L’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 20 ne fait toutefois pas obligation à l’État partie de garantir qu’une personne poursuivie pour incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence sera invariablement reconnue coupable par un tribunal indépendant et impartial. Par conséquent, le Comité ne peut conclure que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26 et le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des dispositions du Pacte.

Annexe I

Individual opinion of Committee member Dheerujlall Seetulsingh

1.All actions or words which tend to advocate or stir racial hatred or which may offend the dignity of fellow human beings are objectionable, reprehensible and morally condemnable. But before being legally condemned, the advocates of such actions or words, if prosecuted, must benefit from due process in Courts. And for them to be found in breach of the Covenant, all the provisions of the Covenant and its Optional Protocol must be complied with. In the present case the authors allege that the State Party has violated articles 2(3), 14(1), 17, 20, 26 and 27 of the Covenant because the Amsterdam District Court failed to find the alleged perpetrator (Mr. Wilders) guilty on charges of “insult of a group for reasons of race or” under Section 137c of the Criminal Code and for “incitement to hatred and discrimination on grounds of religion or race” under Section 137d of the Criminal Code. As stated in paragraph 2.3 of the facts presented by the authors of the Communication they were allowed to join the criminal proceedings as an aggrieved party and to claim compensation.

2.On 23 June 2011 the District Court decided that the case against Wilders could not be proved and dismissed all the charges. This resulted in a dismissal of the authors’ claim as well. The prosecutor chose not to appeal against the decision. Under Dutch law the authors had no right to appeal in such proceedings.

3.Normally a complaint in a communication to the Human Rights Committee is directed at a State Party for not having taken action against a perpetrator of a violation of human rights or for having taken unjustified action against an author in violation of the Covenant. The present complaint is directed at a State Party because a Court of Law dismissed a criminal case against an alleged perpetrator. The authors took the calculated risk of joining their civil claim to the criminal action. Due to the joinder of actions the civil claim was completely dependent on the outcome of the criminal action and the conduct of such criminal action was under the control of the Prosecutor. Furthermore, the standard of proof required for a successful outcome of a criminal action was undoubtedly higher than that required for a tort action, which compounded the risk taken by the authors.

4.What the authors are now requesting the Committee to do is to enjoin the State Party to punish the perpetrator in spite of the decision reached by an independent Court of Law in the State Party. The latter is not the wrongdoer. It took the steps that it was required to take under its own Criminal Code by prosecuting the wrongdoer. The Committee cannot compel the State Party to punish the alleged wrongdoer in spite of an acquittal.

5.Reference has been made to the decision of the Committee in Anderse n v. Denmark (Communication No.  1868 of 2009) to justify a finding of admissibility of the authors’ communication. However their case can be easily distinguished from Andersen’s case. Ms. Andersen reported a case to the Danish authorities concerning racially discriminating statements in violation of a specific provision of the Danish Criminal Code. The Public Prosecutor General declined to prosecute and his decision could not be appealed. The State Party contended that Ms. Andersen could have entered a private prosecution under a different provision of the Criminal Code and that she had not thereby exhausted all available domestic remedies. The Committee considered that it would be unreasonable to expect the author to start separate proceedings under the Criminal Code on her own initiative and found the plaint admissible. In the present case, however, we are concerned with the failure of an action under criminal law and with the possibility of entering a difference case under civil law where rules of evidence may vary and where the authors would have greater latitude in substantiating their case.

6.The stand taken by the State Party is absolutely clear on this issue and is enunciated in paragraph 4.4 State Party’s Observations on admissibility. The authors still have the option of bringing a civil action in tort against Wilders pursuant to article 6:162 of the Civil Code. The State Party goes further in stating that a successful civil action would give the authors the opportunity to seek an injunction preventing Wilders from making future statements of the same nature and also to request a declaratory decision that Wilders’ statements were contrary to law. In taking this stand the State Party agrees that the authors may still claim victim status before a Civil Court. It is our view that the authors may well make out their case as victims and have a fair chance to secure the civil remedies available to them. They would even be able to appeal to higher courts should they fail to convince the Court at first instance.

7.In paragraph 4.8 of the State Party’s case it is mentioned that criminal proceedings have been instituted against Mr. Wilders for making similar statements in 2014. Thus an earlier independent civil action by the authors could have had a strong restraining effect on the subsequent conduct of Mr. Wilders.

8.For the above mentioned reasons, the authors’ claim is inadmissible under article 5(2)(b) of the Optional Protocol as they have failed to show that they have exhausted the domestic remedies available to them.

Annexe II

Opinión disidente del miembro del Comité Fabián Omar Salvioli

1.El dictamen del Comité en la comunicación 2124/2011 Rabbae vs. Países Bajos es pertinente y adecuado en el análisis de la admisibilidad, con el que estoy plenamente de acuerdo. Sin embargo, no puedo compartir la valoración ni las conclusiones de la mayoría del Comité sobre el fondo del asunto. Me refiero a ambas cuestiones en los párrafos que siguen.

2.El Comité acierta al rechazar la excepción preliminar interpuesta por el Estado en torno a la falta de agotamiento de los recursos internos debido a que los autores no acudieron a la vía prevista en el artículo 6:162 del Código Civil. Dicho recurso no es el pertinente para remediar la violación alegada, y el Comité – de haber seguido la posición del Estado – habría generado un precedente penoso y una exigencia inédita para el acceso al plano internacional.

3.También estoy de acuerdo con lo expresado en los párrafos 9.5 y 9.6 del dictamen, en lo relativo a la condición de presunta víctima que debe acreditarse a los efectos de presentar un caso ante el Comité. Si en el presente caso el Comité hubiese negado la admisibilidad por no reconocer el status de posible víctima a los autores, se le quitaría el debido efecto jurídico al artículo 20 del Pacto, resultando consecuentemente una tutela más débil, o directamente nula, de dicha disposición.

4.Todos los derechos contenidos en el Pacto poseen una dimensión de respeto y otra de garantía; en este sentido, toda persona tiene derecho – conforme al artículo 20.2 – a que se le proteja debidamente contra la apología del odio nacional, racial o religioso, cuando dicha apología está dirigida a un colectivo del cual forma parte. Por ello los autores de la presente comunicación no incurren en actio popularis, y los discursos bajo análisis no se dirigían en contra de la sociedad en general sino respecto de un colectivo específico; la naturaleza del artículo 20 es, en dicho sentido, similar a la que posee el artículo 27 del Pacto.

5.El modo de protección a brindar a las personas pèrtenecientes a dichos colectivos lo elige el Estado, ya que el artículo 20 del Pacto Internacional de Derechos Civiles y Políticos no impone una forma determinada; en este caso, los Países Bajos optaron por sancionar la apología del odio a través de la vía criminal, tipificándola como delito en el artículo 137.d del Código Penal.

6.En el caso que nos ocupa, la insuficiente valoración conjunta de las declaraciones y hechos que fueron objeto de la querella, ha llevado al Tribunal local a emitir una decisión que dejó a los autores sin la protección debida frente a la apología del odio.

7.En efecto: si bien es cierto que la libertad de expresión engloba incluso declaraciones que puedan considerarse profundamente ofensivas, aquí se ha superado dicho umbral. Dichas expresiones, entendiendo como tales no solamente las declaraciones públicas sino también el contenido de la película Fitna, en su conjunto constituyen apología del odio, que debió ser sancionada para garantizar debidamente los derechos de los autores de la presente comunicación. A mi entender los autores contaron con un recurso que es eficaz en teoría pero que en la práctica no resultó efectivo.

8.Comparto el criterio del Comité respecto de que el Pacto no obliga a que toda persona acusada de apología del odio sea condenada penalmente, porque una acusación puede recaer sobre personas que resulten inocentes o culpables. Sin embargo, en caso de que efectivamente se haya incurrido en apología del odio la garantía no puede consistir en un mero enjuiciamiento, sino en la sanción efectiva de la conducta; ello es consistente con lo que ha señalado el Comité en diversas ocasiones.

9.Por eso, en el caso bajo análisis el Comité no debió limitarse a valorar en general si se habían cumplido los requisitos relativos al debido proceso, sino considerar los hechos denunciados para evaluar si quedaban comprendidos en la conducta que el artículo 20 del Pacto ordena prohibir.

10.Ello no significa funcionar como una cuarta instancia; el Comité en muchas ocasiones considera que los tribunales internos no han tenido en cuenta debidamente todos los elementos a su disposición, lo que les ha conducido a una valoración inadecuada de los hechos.

11.El Comité debió, en consecuencia, hacer lugar al reclamo de los autores, disponer que el dictamen representa en sí mismo una forma de reparación, y señalar como garantía de no repetición la capacitación de funcionarios de la justicia en materia de protección de las personas frente a la apología del odio, desde una perspectiva de derechos humanos.

12.Detrás del sano debate sobre las políticas públicas, que permite declaraciones ofensivas y las críticas más fuertes – incluso injustas – a quienes gobiernan en un Estado, no deben escudarse los discursos de odio nacional, racial o religioso. Los artículos 19 y 20 del Pacto son perfectamente compatibles, y tengo la esperanza de que en adelante las jurisdicciones nacionales de los Estados Partes actuarán de forma debida frente a la apología del odio, reaccionaando a tiempo y sancionando adecuadamente los discursos que derivaron – hace no demasiado tiempo – en la comisión de hechos atroces para la humanidad.

Annexe III

Individual opinion (partly concurring and partly dissenting) of Committee members Yuval Shany and Sir Nigel Rodley

1.We agree with the Committee that there is no basis to find a violation of the Covenant in the present case. The Committee does not serve as a court of final appeal, and has no reason to doubt the outcome of a criminal case, involving the application in good faith by an independent court of a criminal law provision, which the authors themselves consider to meet the requirements of article 20 of the Covenant.

2.We are, however, not persuaded that the Committee should have taken jurisdiction over the case to begin with, since the failure of the authors to bring civil proceedings against Mr. Wilders pursuant to article 6:162 of the Civil Code represents in our view a failure to exhaust domestic remedies.

3.The majority of members took the position that the authors sought that Mr. Wilders’ conduct be evaluated and characterised as criminal within the definition contained in section 137d of the Criminal Code, and that “that determination could be obtained only in criminal proceedings” (para. 9.4). As a result, they were of the opinion that the initiation of separate civil proceedings by the authors would not have constituted an effective remedy. This position stands, however, in marked contrast to the holding by the Committee on the merits (para. 10.4) that article 20 of the Covenant does not expressly require criminal penalties to accompany the prohibition of incitement to discrimination, hostility of violence, and that a legal prohibition effectively enforceable by administrative or civil remedies may also meet the requirements of article 20.

4.To our mind, the authors have not adequately explained why proceedings based on article 6:162 of the Civil Code, in which civil remedies for acts contrary to article 20 of the Covenant could be sought, would not offer them an effective remedy in the particular circumstances of the case. The authors have not contested the State party’s assertion that civil proceedings may result not only in the award of monetary compensation, but may also entail a legal ban on future statements by Mr. Wilders and a declaratory judgment proclaiming the illegality of his statements (para. 4.4). Such a set of remedies could be deemed, in principle, a reasonable way to implement the State party’s obligations under article 20, especially when complemented by the “chilling effect” achieved by the mere existence of a criminal law prohibition, which can be applied in suitable cases.

5.Thus, the question is not, as implied by the majority, what remedies the authors sought to achieve, but rather what effective remedies the State party made available to them for enforcing their rights under the Covenant. In the circumstances of the case, we do not consider it refuted that the remedies offered in civil proceedings were sufficiently robust to be regarded as effective to implement the State party’s article 20 obligations. In fact, the lower burden of proof applicable in civil proceedings (which falls short of the criminal “beyond reasonable doubt” standard) may render such proceedings more effective in curbing hate speech for aggrieved individuals than the “aggrieved parties” procedure pursued by the authors, which allowed them to join as civil parties the criminal case against Mr. Wilders.

6.Finally, we wish to register our position, according to which article 20(2) of the Covenant does not create an independent human right to be protected by legislation prohibiting hate speech. Instead, the article imposes an obligation on States parties to pass legislation in order to protect national, racial or religious groups against discrimination, hostility and violence – i.e., to prohibit an infringement of certain aspects of Covenant rights, such as articles 6 (right to life), 7 (prohibition of ill-treatment), 9 (right to security of person) and 26 (prohibition of discrimination).

7.Like in the case of article 2(2) of the Covenant, which lays out a general duty to implement the Covenant through laws or other measures, we consider the obligation to pass implementing legislation protecting Covenant rights a “second-order obligation” incapable of creating a right for individuals that is independent of the rights which the implementing legislation purports to protect. Thus, article 20(2) merely reinforces certain aspects of Covenant rights by requiring States parties to adopt specific legislative measures to prohibit their infringement. And it is only when these other rights have actually been put at risk of infringement or actually infringed – e.g., when hate speech had been in fact uttered – that the failure by the State party to pass prohibiting legislation may have contributed to a human rights violation occurring.

8.Consequently, we are of the view that victims of human rights violations should not be able to invoke article 20(2) separately, but only in conjunction with other Covenant rights, such as articles 6, 7, 9 and 26, which the prohibiting legislation was designed to protect.

Annexe IV

Individual opinion (concurring) of Committee members Sarah Cleveland and Mauro Politi

1.We support the Committee’s conclusion that the Netherlands did not violate its obligations under article 2(3) in conjunction with articles 20(2) and 26 in this case. As this is the first time the Committee has had occasion to address article 20(2) on the merits, we write separately to elaborate on the meaning of that provision.

2.Advocacy of hatred and incitement to violence, hostility and discrimination, including on grounds of race, ethnicity, religion, or nationality, has no place in a pluralistic and human rights respecting society, and should be vigorously countered. It is axiomatic, however, that a human rights protective society must also tolerate speech that deeply offends. In addition, societies have numerous positive and negative tools available to address hateful speech. To the extent that restrictions on speech are warranted, a State must employ the least restrictive means available to secure that legitimate end.

3.Article 20(2) obligates States to “prohibit by law” the “advocacy of national, racial or religious hatred that constitutes incitement to discrimination, hostility or violence.” This provision originally was drafted as one of the obligations imposed by article 19 regarding freedom of expression, and it thus relates closely to that article. Moreover, the obligation to prohibit conduct by law is not unique under the Covenant. Other articles likewise obligate States parties to prohibit certain conduct, including article 8(1) (obligating States parties to prohibit slavery and the slave trade), article 26 (obligating States parties to prohibit discrimination), and article 6(1) (requiring protection by law of the right to life). Article 20 is unique, however, in that it requires prohibition of conduct in an area that otherwise is highly protected freedom of expression under article 19.

4.For this reason, article 20(2) is narrowly circumscribed and sets a high bar for the expression that must be prohibited. On its face, Article 20(2) does not require legal prohibition of all “advocacy of national, racial or religious hatred,” but only of such advocacy that also “constitutes incitement to discrimination, hostility or violence.” In other words, advocacy of national, racial or religious hatred alone is not sufficient. It must also have the intention of inciting to discrimination, hostility or violence. Article 20(2) thus is distinctly more limited than article 4 of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (ICERD), which obligates States parties, inter alia, to punish “dissemination of ideas based on racial superiority or hatred”. Moreover, as this Committee correctly notes, not all the conduct that falls within the scope of article 20(2) must be criminalized. The obligation is to “prohibit by law,” and civil or administrative sanctions can suffice (para. 10.4).

5.It is uncontested in this case that both civil and criminal sanctions were available to address Mr. Wilders’ conduct under Dutch law. Indeed, the State party had established three means for sanctioning Mr. Wilders’ statements: criminal prosecution under articles 137c and d of the Criminal Code, as well as two forms of a civil remedies – a civil claim under article 6:162 of the Civil Code, and an action civile appended to a criminal prosecution under section 51(a) and (f) of the Code of Criminal Procedure. The authors in this case chose to attempt to support a criminal judgment against Mr. Wilders by appending an action civile to the criminal prosecution – a form of domestic remedy that the Committee makes clear is not required by the Covenant (para. 10.3). In so doing, the authors pursued the most difficult path to a potential remedy. Under the domestic law of the Netherlands, pursuit of an action civile is dependent on the success of the underlying criminal prosecution, and the parties to an action civile are circumscribed in their ability to participate in the criminal proceedings, for reasons the State party explains. Moreover, securing a criminal conviction requires a higher standard of proof – beyond a reasonable doubt or its equivalent – and generally a more demanding mens rea, than a civil proceeding. Finally, it is well established under the Committee’s jurisprudence that no individual is entitled to secure the prosecution of a particular person as a remedy for a violation of the Covenant. The Committee has made equally clear, ipso facto, that no person is entitled to secure the criminal conviction of another person.

6.The Committee has not defined what constitutes either “advocacy” of hatred or “incitement” to discrimination, hostility or violence. Nor has the Committee specifically addressed what conduct should be understood as potentially warranting criminal penalties under article 20(2). Dutch law, however, criminally implements the concept of “incitement” under article 20(2) by punishing “inflammatory behaviour that incites the commission of criminal offences or acts of violence” (para. 6.9). The authors do not contest this standard as a proper implementation of article 20(2).

7.Requiring incitement of “criminal offences or acts of violence” for imposition of criminal penalties under article 20(2) is consistent with the article 19 jurisprudence of this Committee, which urges great caution in the imposition of criminal penalties that punish speech. The Committee accordingly has called on states to decriminalize defamation, and has concluded that, without more, “laws that penalize the expression of opinions about historical facts are incompatible” with Covenant obligations regarding freedom of opinion and expression. Limiting criminal penalties to speech that incites the commission of criminal offences or acts of violence is also consistent with the positions of other human rights bodies.

8.Such a restrictive standard for imposing criminal punishment is also appropriate. As the UN, OSCE, and OAS Special Rapporteurs have observed, “[i]n many countries, overbroad rules in this area are abused by the powerful to limit non-traditional, dissenting, critical, or minority voices, or discussion about challenging social issues”. Hate speech and similar laws ironically are often employed to suppress the very minorities they purportedly are designed to protect. Thus, while appropriately tailored laws addressing hate speech and hate crimes have an important role, around the world today, abuse of overbroad criminal provisions to suppress speech by journalists, human rights defenders, political opponents, and other social critics is a frequent concern of this Committee.

9.The State party in this case had a robust civil and criminal law framework in place to prohibit speech addressed by article 20(2), both through criminal prohibitions and civil remedies, and pursued a criminal prosecution against Mr. Wilders before an independent court. The authors pursued the remedy they preferred – an action civile that depended on the success of the criminal proceeding, with its heightened standard of proof and standard for criminal incitement – and did not pursue the independent avenue for civil remedies available to them. Criminal penalties are not mandated by article 20(2), and the authors had no personal entitlement under article 2(3) or any other provision of the Covenant to secure a successful criminal conviction. Under these circumstances, the authors have not demonstrated that the State party violated its obligation to “prohibit by law” the “advocacy of national, racial or religious hatred that constitutes incitement to discrimination, hostility or violence” under article 20(2) in conjunction with article 26. Nor have they demonstrated that it failed to provide them with a remedy for such violation.

Annexe V

Individual opinion of Committee members Anja Seibert-Fohr, Yuji Iwasawa and Konstantine Vardzelashvili

1.While we agree with the majority of the Committee that we cannot find a violation of the author’s rights under the Covenant in the present case, we are unable to agree, with respect to the admissibility of the communication. We would have found the communication inadmissible in the first place for the following reasons.

2.The authors of the Communication claim to be victims of a violation of their Covenant rights, inter alia because the authorities did not convict Mr. Wilders for hate speech. This claim is inadmissible rationae materiae. According to the long-established jurisprudence of the Committee, the Covenant does not provide a right for individuals to require that the State criminally prosecute and punish a third party. Neither does article 20 of the Covenant provide such a right nor can it be claimed under articles 14, 17, 26, 27 or 2(3). This claim of the authors is therefore incompatible with the provisions of the Covenant and inadmissible under article 3 of the Optional Protocol.

3.The authors effectively claim also that the State party has insufficiently protected them from threats to their physical integrity, from discrimination or advocacy of hatred that constitutes incitement to discrimination, hostility or violence. However, we consider that they have not sufficiently substantiated that the State party did not provide them with adequate protection in the present case. According to Dutch legislation, the authors could have brought a civil action against Mr. Wilders pursuant to article 6:162 of the Civil Code. They have declined to take this path; instead, they decided to resort exclusively to criminal proceedings by joining criminal proceedings against Mr. Wilders as an aggrieved party and claiming compensation. According to the State party’s uncontested submission, a successful civil action before a civil court pursuant to article 6:162 of the Civil Code would have enabled the authors to ask for a ban of future abusive statements or to request a declaratory decision that Mr. Wilder’s statements were unlawful. This avenue is still available. There is no reason to assume that these proceedings would not offer them the protection required under the Covenant. Article 20 of the Covenant which requires States parties to prohibit by law any advocacy of national, racial or religious hatred that constitutes incitement to discrimination, hostility or violence, does not strictly require the imposition of criminal penalties. Without having tried to seek protection in civil proceedings which were available to them, the authors cannot claim their inadequacy just on the basis that they are civil in nature. Thus, in the circumstances of the case, the authors have failed to demonstrate that the State party gave insufficient protection to the authors and that their right to protection under the Covenant was effectively impaired. For these reasons, this part of the author’s communication has been insufficiently substantiated for the purposes of admissibility and is inadmissible under article 2 of the Optional Protocol.

Annexe VI

Opinión parcialmente disidente de Víctor Manuel Rodríguez Rescia

1.La presente opinión coincide con la decisión de admisibilidad del Comité de Derechos Humanos, pero difiere de la decisión de fondo, como se desarrollará más adelante. En relación con la admisibilidad, es digno de destacar el avance realizado por el Comité para admitir el estudio del caso en el marco de una supuesta violación relacionada con el artículo 20.2 (la prohibición por ley de la apología del odio nacional, racial o religioso que constituya incitación a la discriminación, la hostilidad o la violencia), en conjunción con otros artículos del Pacto (Artículos 14.1; 2.3 y 26), y que el Comité considerara que el artículo 20.2 es un derecho justiciable que ofrece protección a personas individualmente y como miembros de grupos contra ese tipo de discriminación. De igual importancia resulta la declaración del Comité de que “el artículo 20.2, no se limita a imponer una obligación formal a los Estados partes para que aprueben leyes que prohíban la discriminación, pues una ley de ese tipo no tendría efecto alguno sin procedimientos de denuncia y sanciones apropiadas”. También es destacable que el Comité haya considerado que la vía más adecuada para la determinación del cumplimiento de las obligaciones que incumben al Estado parte en virtud del 20.2 del Pacto sea la vía penal en el caso concreto (artículo 137.d. del Código Penal), que fue por la que optaron los autores.

2.En relación con el fondo del caso, los autores basaron su reclamación en una supuesta falta de una acción penal eficaz y el papel limitado que les correspondió, como partes lesionadas, en los procedimientos penales, “puesto que no pudieron, por ejemplo, presentar testigos; participar o plantear argumentos durante el examen de los hechos y del fondo de la causa para determinar si las declaraciones del Sr. Wilders suponían una incitación al odio, la discriminación o la violencia; ni recurrir la sentencia del tribunal”. Al respecto considero importante desentrañar los alcances que en mi interpretación corresponden al artículo 20.2 del Pacto, y esto me ayudará a definir si existe o no una violación a alguno de los derechos contemplados en el artículo 14 del mismo.

3.El artículo 20.2 del Pacto no puede ser interpretado como una norma aislada. Si bien impone una obligación dirigida al Estado para que prohíba por ley la apología del odio nacional, racial o religioso que constituya incitación a la discriminación, la hostilidad o la violencia, tal obligación no es más que una manifestación específica de la obligación de garantizar los derechos de las personas que se encuentra contemplado en el artículo 2.1 del Pacto. Tampoco se puede olvidar que la finalidad esencial de la garantía de los derechos, como lo contempla el artículo 2.2. del Pacto, es la efectividad de los mismos. Consecuentemente con ello, el artículo 20.2 no contempla un derecho a la no existencia del discurso discriminatorio, hostil o violento, pero sí contempla un derecho a que no se incite la discriminación, hostilidad o violencia y ese derecho debe ser efectivo, y para ello, garantizado con medidas legislativas “o de otro carácter”.

4.Cuando el Pacto dispone medidas de otro carácter como una generalización de las medidas de garantía que se pueden adoptar, está buscando que se prevenga el discurso que haga aquella incitación. Entonces, lo que las autoridades judiciales debían analizar era si el discurso del señor Wilders incita discriminación, hostilidad o violencia. Deseo hacer hincapié en el hecho que no se trata de comprobar la efectiva producción de actos discriminatorios, hostiles o violentos, pues la prohibición del Pacto es que simplemente los incite.

5.La incitación es contextual. Si bien la libertad de expresión es piedra angular de la sociedad democrática, y se debe garantizar el más amplio flujo de información y opiniones, no se debe perder de vista que ese flujo está pensado para sostener una sociedad democrática, por tanto, diversa, con mayorías y minorías. Es claro que en el ámbito político la libertad de expresión es amplia, precisamente para poder transmitir ideas y generar convicción y seguidores. Pero esa libertad de expresión tiene un límite establecido por el Pacto. Cuando se ejerce un liderazgo político la libertad de expresión no es absoluta.

6.En ese punto es que toma mayor sentido el artículo 14 del Pacto. El artículo 24 del Pacto empuja a la construcción de la igualdad procesal entre víctimas y victimarios, al menos en lo que sea razonablemente equiparable. Las fallas procesales acreditadas en el presente caso no permitieron a las autoridades nacionales de naturaleza judicial contar con el material informativo y argumentativo de las partes para decidir si el discurso incitaba o no. Radica ahí, entonces, que el tratamiento procesal que recibieron las víctimas del presente caso, limitó la capacidad de pleno análisis. Por eso, mi conclusión, es que el Estado sí ha incumplido los artículos 14.1 en relación con el 20.2, y debería implementar reformas normativas para evitar que situaciones similares vuelvan a repetirse. Ello por cuanto el proceso civil ordinario no es el medio más idóneo para cumplir con la obligación de prohibir un acto tan calificado como la apología del odio, especialmente en el contexto de nuestros tiempos. Si así fuera, la prohibición sería una formalidad muy fácil de evadir con el pago de indemnizaciones civiles que no representan un obstáculo suficientemente prohibitivo para evitar su repetición. El impacto de una incitación al odio puede tener efectos inconmensurables en perjuicio de grupos de personas en condición de una vulnerabilidad particular, especialmente cuando se hace desde el podio de un personaje público que debiera extremar ciertos cuidados en el uso de su discurso para evitar repercusiones colectivas replicables con impunidad. La indemnización civil como contrapeso no es un medio que sea suficientemente prohibitivo en los términos del artículo 20.2 del Pacto.

Annexe VII

Opinion partiellement concordante, partiellement dissidente de Olivier de Frouville

1.Cette affaire présentait, au-delà du cas particulier de M. Wilders, des enjeux juridiques et sociétaux d’une importance fondamentale. Or le Comité n’a qu’en partie relevé le défi et semble être resté au milieu du gué. J’appuie généralement les conclusions du Comité sur la recevabilité. Je me rallie également à un certain nombre des motifs élaborés par le Comité sur le fond, mais je suis en désaccord avec la conclusion de non‑violation à laquelle il parvient au paragraphe 10.7, à savoir que l’État partie aurait pris « les mesures nécessaires et proportionnées visant à “interdire” les déclarations formulées en violation du paragraphe 2 de l’article 20 et à garantir le droit des auteurs à un recours utile en vue de les protéger contre les conséquences de telles déclarations ». J’aimerais dans cette opinion expliciter ces points d’accord et de désaccord.

Sur la recevabilité

2.Premièrement, j’appuie les motifs relatifs à l ’ invocabilité du paragraphe  2 de l ’article  20. Sur ce point, le Comité reprend à son compte l’opinion dissidente de M. Abdelfattah Amor dans l’affaire Vassilaric.Grèce. Dans cette affaire, le Comité avait refusé sans beaucoup d’explications de se prononcer sur l’applicabilité du paragraphe 2 de l’article 20 aux cas individuels. Cette « esquive » avait laissé M. Amor « perplexe ». Il était en effet incompréhensible sur le plan juridique que cet article se retrouve ainsi neutralisé quant à ses effets. Reprenant les termes mêmes de M. Amor, le Comité observe que « l’invocation du paragraphe 2 de l’article 20 par des particuliers lésés s’inscrit donc dans la logique de protection qui sous-tend l’ensemble du Pacte » (par. 9.7). Il reconnaît ainsi sa justiciabilité, y compris pris isolément. Aussi est-il étrange que le Comité estime nécessaire de déclarer la recevabilité des griefs des auteurs au titre du paragraphe 3 de l’article 2 « conjointement avec les articles 20 (par. 2) et 26 ». Le paragraphe 2 de l’article 20 fonde à lui seul un droit d’être protégé contre « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». Comme le précise par ailleurs le Comité, cette disposition « n’impose pas seulement aux États parties une obligation formelle d’adopter une législation interdisant les comportements discriminatoires. Une telle loi serait sans effet si elle n’était pas assortie de procédures de plaintes et de sanctions appropriées. » (par. 9.7). Elle constitue par conséquent une lex specialis tant à l’égard de l’article 26, qui fonde un droit d’être protégé contre toute forme de discrimination, qu’à l’égard du paragraphe 3 de l’article 2 qui fonde le droit à un « recours utile » en cas de violation des droits reconnus dans le Pacte.

3.Deuxièmement, je suis également en accord avec les conclusions du Comité relatifs à la reconnaissance de la qualité de victime des auteurs de la communication. Je suis en particulier en accord avec les motifs énoncés au paragraphe 9.6, à savoir « que les auteurs, en tant que membres du groupe expressément visé par les déclarations de M. Wilders, sont des personnes que le paragraphe 2 de l’article 20 a pour objectif de protéger, et que les déclarations de M. Wilders ont eu des conséquences spécifiques pour elles, notamment en suscitant dans la société des attitudes discriminatoires à l’égard de ce groupe et à l’égard des auteurs en tant que membres du groupe ».

4.À partir de ces deux points, on peut conclure que sont généralement recevables au titre du Protocole facultatif les griefs a) fondés sur le paragraphe 2 de l’article 20 ; b) présentés par des personnes qui pourront suffisamment étayer leur allégation selon laquelle des déclarations à caractère discriminatoire ou incitant à la haine ont eu des « conséquences spécifiques » pour elles, notamment en tant que membres du groupe visé par de telles déclarations.

Sur le fond

5.Cette affaire présente une configuration inhabituelle. Le Comité, comme d’ailleurs les cours régionales de droits de l’homme, ont généralement à traiter d’affaires dans lesquelles l’auteur d’un discours de haine se plaint d’une restriction à sa liberté d’expression, notamment sous la forme d’une sanction pénale. Ici, des auteurs se plaignent, à l’inverse, de ce que les recours existant dans le droit national contre les discours de haine ne sont pas effectifs et en tout cas que la décision du tribunal qui a appliqué en l’espèce la loi nationale viole les obligations de l’État partie découlant du Pacte, et en particulier celles qui découlent du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. Autrement dit, est ici en cause non la restriction à l’exercice d’un droit, mais plutôt le manquement à une obligation positive de protection. De ce point de vue, la jurisprudence du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale au regard de l’article 4 de la Convention de 1965 est particulièrement pertinente et il est dommage que le Comité ne s’en soit pas davantage inspiré.

6.Tout d’abord, je dois dire que j’appuie un certain nombre des motifs développés par le Comité dans son raisonnement au fond. Le Comité rappelle avec justesse quelques points importants contenus dans son observation générale no 34, relatifs non seulement à la place cardinale de la liberté d’expression dans une société démocratique et à l’articulation entre l’article 20 et l’article 19 (par. 10.4). Il réaffirme avec force que la liberté d’expression s’applique aussi à des propos qui peuvent être considérés comme profondément offensants, y compris à l’égard des convictions religieuses ou politiques (id.). Le Comité aurait pu ajouter que si les bornes à la liberté d’expression doivent être encore plus largement entendues dans le débat public et politique, le fait qu’un propos soit tenu dans le contexte d’un tel débat ne lui confère pas une immunité totale et ne dispense en tout cas pas l’État partie de son obligation d’ouvrir une enquête pour déterminer si ces propos représentent un acte de discrimination raciale ou, en l’espèce, un propos tombant sous le coup du paragraphe 2 de l’article 20.

7.Enfin, comme je l’ai dit plus haut, j’estime que le Comité a bien interprété le paragraphe 2 de l’article 20, en considérant que cette disposition n’exigeait pas seulement des États parties qu’ils adoptent une loi, mais aussi qu’ils mettent en place des procédures de plaintes et de sanctions appropriées, sans quoi une telle loi serait « sans effet » (par. 9.7). Là encore, le Comité des droits de l’homme aurait pu s’appuyer utilement sur la jurisprudence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale.

8.Pour autant, je ne peux rejoindre le Comité lorsqu’il parvient à la conclusion « que l’État partie a pris les mesures nécessaires et proportionnées visant à “interdire” les déclarations formulées en violation du paragraphe 2 de l’article 20 et à garantir le droit des auteurs à un recours utile en vue de les protéger contre les conséquences de telles déclarations » (par. 10.7). Pour parvenir à cette conclusion, le Comité se borne à exercer un contrôle purement formel, en relevant l’existence d’une incrimination, de voies de recours et le fait qu’en l’espèce de tels recours ont été actionnés par les auteurs et que « le tribunal d’instance a rendu un jugement circonstancié appréciant les déclarations de M. Wilders à la lumière du droit applicable » (id.). Or un tel contrôle, que l’on pourrait qualifier de « restreint » ne répond pas à la question centrale de savoir si le jugement rendu par le tribunal national a violé les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 20.

9.Dans les affaires « classiques » de liberté d’expression, où sont en cause les restrictions apportées par l’État à l’exercice de cette liberté, le Comité ne se borne jamais à relever l’existence d’un cadre juridique interdisant les atteintes à la liberté d’expression et l’existence de recours utile, voire l’exercice par les auteurs de ces recours. Quand bien même les juridictions nationales auraient donné raison aux autorités qui ont en premier lieu adopté la mesure restrictive, le Comité ne s’interdit pas de livrer sa propre appréciation de la restriction au regard de la forme d’expression litigieuse ; et en fonction du résultat de cette appréciation, il est amené soit à valider l’interprétation des juridictions nationales et donc la restriction, soit à constater une violation de l’article 19 si cette restriction ne lui paraît finalement ni nécessaire ni proportionnée au regard du but légitime visé. Or dans la présente affaire, le Comité refuse d’exercer un contrôle de degré équivalent : il se borne à constater l’existence d’un recours et s’en remet totalement à l’appréciation du juge national.

10.Rien ne vient pourtant justifier ce self-restraint. Certes, selon une jurisprudence constante du Comité, « il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance ou d’impartialité ». Mais un tel principe vaut dans les affaires où les faits sont controversés ou font à tout le moins l’objet d’interprétations divergentes. Or ce n’est nullement le cas ici. M. Geert Wilders ne conteste pas avoir prononcé les paroles qui sont dénoncées par les auteurs comme tombant sous le coup du paragraphe 2 de l’article 20, bien au contraire. On ne peut pas non plus invoquer une quelconque « marge d’appréciation » laissée à l’État partie en la matière : le Comité a explicitement rejeté cette doctrine s’agissant notamment de la liberté d’expression. Il incombait par conséquent au Comité de déterminer si la qualification opérée par les auteurs était exacte et, dans l’affirmative, de rechercher si l’État partie avait manqué à son obligation positive d’« interdire » par la loi « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ».

11.En ne procédant pas de la sorte, le Comité introduit une distinction douteuse entre obligations négatives et positives de l’État partie en vertu du Pacte : seules les premières se verraient appliquer un contrôle « entier » de nécessité et de proportionnalité, tandis que pour les secondes, le Comité se bornerait à exercer un contrôle « restreint » limité à la vérification de l’existence d’une loi et de recours disponibles, mais s’interdisant de contrôler au cas par cas la décision adoptée par les juges nationaux.

12.Or en l’espèce, l’analyse des passages cités combinée à l’examen de la jurisprudence du Comité, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ou encore de la Cour européenne des droits de l’homme aurait dû conduire le Comité à la conclusion que ces propos relevaient effectivement du paragraphe 2 de l’article 20 et que le Tribunal national avait fait sur ce point une évaluation erronée. L’État partie avait indiqué que selon l’interprétation donnée par les juridictions nationales, une critique ne constituait au sens du droit national une infraction pénale que si elle visait « de manière non équivoque les personnes elles-mêmes et non simplement leurs opinions, convictions et comportements ». Or les propos de l’auteur n’étaient pas dirigés uniquement contre l’islam en tant que religion, mais aussi contre les Musulmans en tant que personnes, et plus généralement contre les « résidents non occidentaux ». Les auteurs ont raison de soutenir que le Tribunal de district qui a eu à connaître de l’affaire a de ce point de vue accentué, dans son appréciation des propos litigieux, la distinction entre la critique de la religion et l’incitation à la haine contre des personnes en raison de leurs convictions ou de leur appartenance à un groupe. Par exemple, des déclarations du type : « Un jeune Marocain sur cinq a un casier judiciaire. Leur comportement découle de leur religion et de leur culture », ou encore « Ces Marocains sont vraiment violents » ne relèvent nullement d’une critique à l’égard de l’islam, mais visent les Marocains et les Musulmans installés aux Pays-Bas dans leur ensemble. Ces déclarations procèdent par assimilations et glissements, en établissant des équivalences entre Marocains et délinquants, ou « islamique », Marocains et délinquants (« On ferme les frontières, on ne laisse plus entrer d’islamiques aux Pays-Bas, on renvoie beaucoup de musulmans des Pays-Bas, on dénaturalise les délinquants islamiques »), autant de réductions des personnes à des stéréotypes qui les réifient et en font par conséquent des objets à mépriser, voire à éliminer physiquement. On retrouve le même type de dynamique dans les discours génocidaires qui procèdent à la réification par assimilation à une identité elle-même décrite comme dangereuse, hostile, ou encore à un animal perçu comme invasif ou répugnant (« cafard », « vermine », etc.). Ces propos démontrent par conséquent une intention de la part de Geert Wilders de promouvoir publiquement la haine à l’encontre des « résidents non occidentaux ». Par ailleurs il est incontesté que ces propos ont eu une influence directe sur la conduite d’au moins une partie de la population aux Pays-Bas, conduisant à des manifestations de discrimination ou d’hostilité ou même de violence à l’encontre des personnes appartenant à ces groupes. Ces deux éléments auraient dû, selon moi, conduire le Comité à conclure que les propos litigieux relevaient bien du paragraphe 2 de l’article 20.

13.Dans les affaires classiques de liberté d’expression, le Comité examine les propos litigieux de l’auteur et le raisonnement de la Cour et en déduit si les restrictions apportées à la liberté d’expression de l’auteur étaient nécessaires et légitimes au regard du but légitime poursuivi (les droits d’autrui dans ce type d’affaire). Symétriquement, le Comité aurait dû ici s’interroger sur la question de savoir si l’acquittement de l’auteur était en l’espèce justifiée, autrement dit sur le caractère approprié et proportionné au regard de l’objectif légitime visé, de l’absence de réaction des juridictions nationales aux propos de l’auteur.

14.À mon sens, le Comité aurait dû arriver à la conclusion que l’acquittement pur et simple de l’auteur, compte tenu de la nature de ses propos, ne pouvait être considérée comme approprié au regard du but légitime visé, à savoir la protection du droit de toute personne d’être protégée contre l’appel à la haine raciale constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.

15.Il en résulte que l’État partie a, du fait de ce manquement de la juridiction nationale saisie à sanctionner un propos tombant clairement sous le coup de l’article 20, violé cet article. Subsidiairement, il était également loisible au Comité de constater une violation, sur cette même base, de l’article 26, lu seul et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3.

16.L’opinion qui précède est fondée exclusivement sur des considérations juridiques, portant sur l’appréciation des dispositions du Pacte, à la lumière de l’évolution de la jurisprudence d’autres organes de protection des droits de l’homme. Qu’il me soit permis toutefois d’ajouter un mot tenant au contexte dans lequel le Comité était appelé à rendre cette décision. Depuis un peu moins d’une dizaine d’années, dans les pays européens et sur d’autres continents, on a vu céder progressivement toutes les digues qui avaient été érigées après la Seconde Guerre mondiale pour préserver le débat public au sein des sociétés démocratiques des discours de haine et d’intolérance qui avaient accompagné la consolidation ou l’établissement des totalitarismes dans l’entre-deux guerre. Pas à pas, interventions après interventions, les démagogues et les populistes repoussent les bornes qui visaient à préserver le respect mutuel et l’intercompréhension et, pour tout dire, la possibilité même d’une communication à la fois libre et de nature à produire un accord rationnel au sein des sociétés sur des questions d’intérêt public. Aujourd’hui, nous voyons ces mêmes populistes s’appuyer sur la haine de l’autre et la politique du bouc-émissaire pour accéder au pouvoir. En Europe et ailleurs, la haine des migrants, de l’islam et des Musulmans constitue leur principal fonds de commerce. Leur discours conforte celui des groupes islamistes extrémistes qui prônent la violence et le djihad. En fait, les démagogues européens sont les alliés objectifs des djihadistes qui sèment la mort et la terreur à travers le monde, mais fascinent et attirent aussi une jeunesse déracinée, sans repère, et victime de discriminations multiples. Ces deux mouvances qui s’épaulent mutuellement poursuivent en fait un même projet qui est celui de la destruction des droits de l’homme universels comme projet des Lumières et de la modernité. Même si ce contexte ne doit pas à lui seul déterminer la solution à donner au cas d’espèce, il me semble qu’il doit néanmoins être pris en compte par le Comité dans son interprétation de l’article 20, qui avait notamment pour objet, dans l’esprit de ses rédacteurs, de prévenir autant que possible le retour des démons du passé.