Communication présentée par:

X. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur, Y., Z. et A.

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

4 janvier 2010

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 août 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

2 avril 2015

Objet:

Restitution d’un bien

Question(s) de procédure:

Justification des griefs; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Procès équitable; discrimination; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3) et 14 (par. 1) lu séparément et conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (113e session)

concernant la

Communication no1961/2010 *

Présentée par:

X. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur, Y. , Z. et A.

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

4 janvier 2010

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 avril 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no1961/2010présentée par X. en son nom et au nom de Y., Z. et A. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 4 janvier 2010, est X., né le 20 octobre 1935, de nationalité allemande. Il présente la communication en son nom et au nom de sa mère, Y., et de ses sœurs, Z. et A., également de nationalité allemande. L’auteur affirme que, ne pouvant prétendre, en raison de leur nationalité allemande, à bénéficier d’une indemnisation pour la nationalisation en 1946 de l’usine de tricot que possédait son père, en vertu de la législation tchèque relative à la restitution, sa mère, ses sœurs et lui-même sont victimes d’une violation par la République tchèque des droits qu’ils tiennent de l’article 2 (par. 3) et de l’article 14 (par. 1), lu séparément et conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26, du Pacte. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits

2.1Le père de l’auteur, J., possédait une usine de tricot située à Rožnov pod Radhoštěm, ville qui fait aujourd’hui partie de la République tchèque. Il est décédé le 9 mars 1979, et ses héritiers sont sa veuve, Y., et ses enfants (l’auteur, Z. et A.). En 1946, l’usine a été nationalisée en vertu du décret no100/1945 parce qu’elle comptait plus de 400 travailleurs et qu’elle appartenait à un secteur donné de l’économie. Selon l’article 8 du décret, le propriétaire d’un bien nationalisé avait droit à être indemnisé. Néanmoins, l’article 7 du même décret disposait qu’aucune indemnité ne serait accordée aux personnes de nationalité allemande, sauf si elles prouvaient qu’elles étaient restées loyales à la République tchécoslovaque, qu’elles n’avaient jamais commis aucune infraction contre les nations tchèque ou slovaque, qu’elles avaient activement participé à la lutte pour la libération du pays, ou qu’elles avaient été victimes du nazisme ou de la terreur fasciste. Lorsque l’usine de tricot a été nationalisée, aucune indemnité n’a été ni payée, ni refusée. Privatisée en 1992, l’entreprise existe maintenant sous le nom de S.

2.2Le 24 juillet 2003, l’auteur et sa famille (sa mère et ses sœurs) ont engagé une action civile contre la société S. devant le tribunal de district de Vsetin, en faisant valoir qu’ils étaient les propriétaires de l’entreprise ou, tout au moins, que J. en était le propriétaire à son décès. Ils étayaient leur prétention en arguant que le décret no100/1945 n’avait pas été appliqué dans les formes de la loi parce que la décision portant nationalisation de l’entreprise ne portait pas la signature du ministre compétent. Tout en reconnaissant que l’auteur et sa famille étaient effectivement les héritiers de J. et qu’ils avaient un intérêt juridique substantiel à intenter une action, le tribunal de district les a déboutés le 20 septembre 2006, au motif que l’annonce de la nationalisation de l’entreprise dans le Journal officiel constituait une application procédurale correcte du décret. Le 20 octobre 2006, l’auteur et sa famille ont déposé un recours auprès du tribunal régional d’Ostrava qui a confirmé le 12 octobre 2007 la décision du tribunal de district, quoique sur des fondements juridiques différents. Le tribunal régional n’a pas retenu l’existence d’un intérêt juridique substantiel et a fondé sa décision sur l’avis que la Cour constitutionnelle tchèque avait rendu le 1er novembre 2005 au sujet des biens confisqués par l’État avant 1948. Dans cet avis, la Cour avait confirmé l’applicabilité des lois de 1991 relatives à la restitution, selon lesquelles il n’est pas possible de faire valoir des droits sur des biens confisqués avant le 25 février 1948, ni de demander réparation, totale ou partielle, du préjudice subi en raison de la confiscation de biens avant ladite date.

2.3L’auteur et sa famille ont formé un recours extraordinaire sur des points de droit auprès de la Cour suprême. Celle-ci a rejeté le recours le 24 mars 2009, au motif que le tribunal régional avait correctement appliqué la loi. Le 29 juin 2009, l’auteur et sa famille ont déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle. Ils ont notamment fait valoir que le tribunal régional n’avait pas permis à leur avocat de vérifier :1) si la nationalisation de l’entreprise avait eu lieu en 1946 sans indemnisation; ou 2) si la nationalisation était encore en cours en 1946, dans l’attente d’une décision sur la question de savoir si J. avait droit à une indemnisation (selon qu’il pouvait être considéré comme un Allemand au sens du décret no100/1945 ou s’il bénéficierait de l’exception prévue à l’article 7 (pour loyauté envers la République tchèque pendant la Deuxième Guerre mondiale). Le 2 septembre 2009, la Cour constitutionnelle a rejeté la plainte pour défaut de fondement manifeste et a déclaré qu’elle était liée par son avis antérieur de 2005.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits que sa mère, ses sœurs et lui-même tiennent de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu séparément et conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26. Selon lui, la loi no87/1991 sur la réhabilitation extrajudiciaire, qui prévoit la restitution de biens dans certains cas, exclut la possibilité de réparer les injustices (notamment celles visant des personnes n’ayant pas la nationalité tchèque) commises avant le 25 février 1948, et les biens acquis avant cette date appartiennent à l’État et ne peuvent pas être récupérés par une demande de restitution faite en application des règles générales de procédure civile. L’auteur fait valoir qu’en raison de l’avis constitutionnel de 2005, qui a validé les conditions de citoyenneté et de résidence énoncées dans la loi no87/1991, il est devenu impossible pour ceux qui n’avaient pas la nationalité tchécoslovaque à l’époque de la confiscation de terrains (et pour leurs héritiers) de faire une demande de restitution ou d’indemnisation devant les tribunaux. L’auteur soutient que la Cour constitutionnelle, depuis qu’elle a publié son avis, a interprété les lois relatives à la restitution d’une manière telle qu’elle en a fait « des instruments d’expropriation des biens que l’État avait usurpés en les occupant physiquement ». Il affirme que les tribunaux ne leur ont laissé, à sa famille et à lui-même, aucune possibilité de donner la preuve que les biens en question leur appartenaient. Il affirme également qu’en raison de l’interprétation faite par la Cour constitutionnelle, les lois relatives à la restitution établissent clairement une discrimination à l’égard des personnes qui n’ont pas la nationalité tchèque, puisqu’« une expropriation générale a eu lieu en 1991, et que seuls certains biens ont été rendus, et uniquement à des citoyens tchèques ». L’auteur affirme que le type de discrimination que sa famille a subi est totalement différent de la notion de discrimination qui sous-tend la position du Comité dans l’affaire Drobek c. Slovaquie. Plus précisément, il renvoie aux conclusions du Comité dans cette affaire, à savoir que « la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour dédommager les victimes de ce régime ne semble pas à première vue discriminatoire au sens de l’article 26 simplement parce que [...] elle ne dédommage pas les victimes des injustices qui auraient été commises par des régimes antérieurs ». L’auteur affirme que, dans son cas, l’expropriation illégale a eu lieu en 1991 et que « l’injustice n’a donc pas été commise par des régimes antérieurs mais par le régime actuel ». Il ajoute que, n’ayant pas donné lieu à l’indemnisation des victimes non tchèques, l’expropriation de 1991 constitue un traitement discriminatoire incompatible avec les dispositions du Pacte.

3.2L’auteur soutient aussi que l’État partie a violé l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu isolément, parce que les juridictions tchèques ont de fait « classé » l’affaire concernant sa famille. Il fait observer qu’après que ses proches et lui-même eurent engagé une action civile contre la société S. en 2003, la Cour constitutionnelle, dans son avis de 2005, a conclu qu’en vertu de la loi no87/1991 il n’était pas possible de faire protéger au moyen des procédures ordinaires des droits de propriété retirés avant le 25 février 1948. L’auteur fait valoir qu’à cause de l’avis de la Cour, sa famille n’a pas pu présenter de nouveaux éléments de preuve dans des procédures civiles, ce qui revenait à voir ses prétentions classées sans suite.

3.3L’auteur affirme que sa famille et lui ont droit à un recours utile et exécutoire en vertu de l’article 2 (par. 3, al. a)) du Pacte. Plus précisément, il demande une indemnisation pour la perte de la société S. aujourd’hui privatisée, à calculer sur la base de la valeur des biens (terrain et bâtiments) en 1991, augmentée des intérêts courus. À cette fin, il fournit un rapport d’évaluation provenant de la procédure de privatisation, qui indique que la valeur en question est de 36 290 055 couronnes tchèques, qu’il convient d’augmenter des intérêts courus.

3.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur indique que l’action civile engagée par sa famille a été examinée par la Cour suprême et par la Cour constitutionnelle, sans résultat positif. Il affirme que l’affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 28 janvier 2011 et du 24 août 2012, l’État partie complète le contexte factuel de la communication. Il indique que, dans la procédure engagée auprès du tribunal de district, la partie défenderesse (la société privée S.) avait fait des observations et avait souligné qu’elle n’était pas propriétaire de certains des biens visés et qu’elle ne pouvait donc pas être poursuivie à leur sujet, qu’elle avait acquis les autres biens dans le cadre d’un projet de privatisation dûment approuvé en 1992, et qu’elle en était devenue propriétaire dès le 8 décembre 1992. La société S. faisait observer qu’elle utilisait ces biens de bonne foi en tant que propriétaire depuis plus de dix ans et que par conséquent, même si la propriété desdits biens était entachée de vices juridiques, elle l’avait acquise par prescription acquisitive à l’expiration de la période de dix ans. En réponse à ces arguments, l’auteur et les autres victimes présumées avaient retiré leur plainte concernant certains des biens et simultanément présenté une nouvelle plainte aux fins de faire déclarer que J. était propriétaire des autres biens à la date de son décès. À l’issue d’une audience, le tribunal de district avait reconnu que les plaignants avaient, d’une manière générale, un « intérêt juridique » à demander la déclaration de propriété, au sens de la section 80 c) du Règlement de procédure civile, parce qu’ils réclamaient une déclaration de titre de propriété qui devait être enregistré au cadastre, et que, s’ils l’obtenaient, l’inscription au cadastre serait modifiée. Néanmoins, le tribunal avait aussi noté que le transfert de la propriété de l’usine de tricot de J. à l’État, qui s’était produit à la date où le décret no100/1945 était entré en vigueur, avait eu lieu en application de textes faisant partie du système juridique, et que ces textes ne pouvaient pas être remis en cause par un tribunal. Le tribunal de district avait également estimé qu’en raison de la date à laquelle la propriété du bien foncier en question avait été transférée à S., la réglementation relative à la restitution n’était pas d’application, et une procédure civile ne pouvait servir à élargir ou remplacer le champ d’application de cette réglementation. Le tribunal avait aussi estimé que ni la nationalité ou la citoyenneté des plaignants ou de leur prédécesseur légal, ni leur comportement dans les années 1930 et 1940 n’étaient des « faits décisifs ». Dans le recours formé auprès de la Cour constitutionnelle, l’auteur et sa famille avaient déclaré que selon leur point de vue l’avis rendu par la Cour constitutionnelle en formation plénière ne s’appliquait pas à leur cas. Ils avaient également déclaré ce qui suit :

« Le décret no100/1945 visait les propriétaires d’entreprises, indépendamment de leur nationalité, citoyenneté ou attitude pendant l’occupation […]. Les plaignants acceptent la décision de la Cour constitutionnelle en formation plénière selon laquelle les droits de propriété des propriétaires actuels, acquis de bonne foi, ne peuvent pas être contestés sans bonne raison. Néanmoins, ils estiment qu’ils sont en droit d’exiger une indemnisation pour les biens nationalisés, et pour les droits de propriété acquis comme indiqué précédemment, y compris et en particulier conformément au décret no100/1945 dans son application correcte. Si une telle indemnisation n’a pas été déterminée et versée dans les six mois suivant la nationalisation, cette nationalisation par étatisation n’est pas réputée achevée. ».

4.2L’État partie considère que l’auteur et sa famille n’ont pas épuisé les recours internes, parce qu’ils n’ont pas engagé d’action en indemnisation pour la nationalisation de l’usine. L’auteur et sa famille avaient et ont encore la possibilité de saisir à cette fin le Ministère des finances, qui doit, en droit, statuer sur les demandes d’indemnisation concernant les biens nationalisés en vertu du décret no100/1945. L’État partie considère donc que l’auteur et sa famille ont utilisé la mauvaise procédure pour faire valoir leurs prétentions. Concernant le grief soulevé au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu avec les articles 2 (par. 1) et 26, l’auteur et sa famille auraient pu saisir les tribunaux ordinaires et faire valoir que les lois relatives à la restitution étaient discriminatoires en ce qu’elles excluaient la restitution de biens confisqués avant 1948, et qu’elles étaient donc inconstitutionnelles, mais ils ne l’ont pas fait. Ils auraient pu former un recours constitutionnel à ce sujet, mais ne l’ont pas fait. Dans leur recours constitutionnel du 1er juillet 2009, ils n’ont pas invoqué une discrimination. Concernant l’argument de l’auteur selon lequel l’avis de la Cour constitutionnelle de 2005 modifie l’interprétation juridique de la législation relative à la restitution, l’État partie relève que l’auteur et sa famille ont attendu jusqu’à 2003 avant d’engager leur action, et fait observer qu’à son avis, s’ils avaient demandé une déclaration de propriété des biens dans la première moitié des années 1990, leurs perspectives de succès auraient pu être meilleures.

4.3L’État partie considère également que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) lu isolément est irrecevable parce qu’il n’est ni étayé ni fondé. L’auteur fait valoir que l’affaire présentée par sa famille a été classée par les tribunaux, mais l’État partie considère qu’il n’a pas été officiellement mis fin à la procédure et que, selon l’interprétation judiciaire des lois applicables, la famille ne remplissait pas la « condition fondamentale » de l’intérêt juridique à demander une déclaration de de propriété. L’État partie rappelle que le tribunal de district et le tribunal régional ont tous deux considéré que les lois relatives à la restitution, en raison des limites de leur champ d’application temporel et matériel, excluaient l’action engagée par l’auteur et sa famille. De plus, l’État partie considère que la société S. n’aurait pas pu être tenue de verser une indemnisation pour les biens nationalisés, parce que, « dans l’ordre juridique interne, rien ne soutient une telle interprétation, et que les auteurs n’ont même pas cité de dispositions allant dans ce sens ». L’État partie considère que la communication est fondée sur l’insatisfaction de la famille de l’auteur face au rejet de son action par les tribunaux, et fait observer qu’en aucun cas le droit à un procès équitable n’implique le droit à un résultat favorable. Il estime que l’auteur et sa famille ont eu accès à une procédure équitable, parce que des tribunaux indépendants et impartiaux ont statué sur leur affaire; les procédures engagées devant lesdits tribunaux étaient équitables et les auteurs ont eu la possibilité d’y participer pleinement. L’État partie considère en outre qu’aucune loi n’a été modifiée pendant que les procédures étaient en cours. En application de la section 80 du Règlement de procédure civile, une action peut être engagée pour obtenir une décision, au sujet, notamment, d’une déclaration sur l’existence d’un droit ou d’un lien juridique. Dans son avis de 2005, la Cour constitutionnelle a précisé que, pour avoir un intérêt juridique à engager une action en application de la section 80 du Règlement de procédure civile, le plaignant devait avoir « des attentes légitimes ». La Cour a également indiqué que :

« Le sens et l’objet de la législation relative à la restitution ne doivent pas être contournés au moyen d’une demande de déclaration de droit de propriété. Il n’est pas possible non plus de demander, en application de la réglementation générale, la protection d’un droit de propriété qui s’est éteint avant le 25 février 1948 alors qu’aucun élément distinct de la législation relative à la restitution n’a prévu de moyen de réparer, totalement ou partiellement, cette injustice concernant la propriété. ».

Dans cet avis, la Cour constitutionnelle n’a établi aucune nouvelle règle concernant la législation relative à la restitution, mais a plutôt interprété les lois en la matière qui étaient en vigueur avant que l’auteur et sa famille n’engagent une action. L’interprétation de la Cour n’est arbitraire en aucune façon et ne constitue pas un déni de justice, particulièrement si l’on tient compte des circonstances, dans lesquelles le passage du temps était un facteur important. L’État partie relève qu’en application de la section 134 du Code civil, le possesseur d’un bien immeuble en acquiert la propriété s’il l’a possédé de manière continue depuis dix ans, et souligne que la Cour constitutionnelle a complété son argumentation en invoquant la « prescription acquisitive » du bien immeuble au bénéfice de S..

4.4L’État partie considère aussi que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte lu avec les articles 2 (par. 1) et 26 est irrecevable parce qu’il n’est ni étayé ni fondé. Il fait observer que la présente affaire diffère des affaires examinées précédemment par le Comité, dans lesquelles les prétentions des auteurs à une restitution avaient été rejetées au motif de leur incapacité de remplir la condition de la résidence permanente ou de la citoyenneté. En l’espèce, les auteurs n’ont engagé aucune procédure en restitution et leur cas ne relève pas du champ d’application des lois relatives à la restitution. L’usine a été nationalisée en vertu du décret no100/1945 avant la période d’applicabilité des lois relatives à la restitution (c’est-à-dire avant 1948). Le décret no100/1945 ne prévoit aucun critère de nationalisation fondé sur la nationalité; la nationalisation est déterminée par la taille de l’entreprise ou la nature de ses activités. Dans le présent cas, l’usine a été nationalisée parce qu’elle appartenait à une certaine catégorie du secteur textile et qu’elle employait plus de 400 personnes pendant la période visée par le décret. Cependant, en application du même décret, l’indemnisation pour nationalisation ne pouvait être octroyée aux ressortissants allemands, sauf s’ils remplissaient les conditions précisées par l’auteur dans sa communication (voir par. 2.1). L’auteur et sa famille n’ont toutefois pas entrepris de procédure en indemnisation et l’action civile qu’ils ont engagée pour demander une déclaration de propriété contre S. ne peut être utilisée pour obtenir une indemnisation. L’État partie considère donc que l’auteur et sa famille n’ont pas été traités différemment de quiconque dont la propriété, ou celle de ses prédécesseurs légaux, a été nationalisée avant 1948 en application du décret no100/1945 sans donner lieu à indemnisation. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a conclu que la législation relative à la restitution adoptée dans l’ancienne Tchécoslovaquie après la chute du régime communiste pour dédommager les victimes de ce régime ne semblait pas à première vue discriminatoire au sens de l’article 26 simplement parce qu’elle ne dédommageait pas les victimes des injustices qui auraient été commises par des régimes antérieurs.

4.5L’État partie considère aussi que l’examen par le Comité de la question de l’indemnisation pour un bien nationalisé serait contraire au principe de subsidiarité qui sous-tend le Protocole facultatif. Le droit de propriété n’est pas protégé par le Pacte et le Comité n’a pas compétence pour connaître de griefs fondés sur ce droit, « même s’ils sont sous-jacents à des allégations de violation d’autres droits » protégés par le Pacte. Le Comité n’est pas en mesure de faire octroyer une indemnisation par un État partie au Pacte. Par conséquent, l’État partie considère que la demande d’indemnisation formulée par l’auteur ne relève pas de la compétence du Comité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires en date du 14 mars 2011, du 15 septembre 2012 et du 20 juin 2013 relatifs à la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que sa famille et lui ont engagé une action contre la société S. pour accroître leurs chances d’obtenir une indemnisation lors de négociations ultérieures avec les autorités tchèques. L’auteur souligne que leurs chances de succès auraient été considérablement meilleures s’ils avaient obtenu un jugement établissant que le bien en question appartenait à sa famille. Il ajoute qu’il aurait été inutile d’attaquer le décret lui-même et qu’il a donc fait valoir que le décret n’avait pas été appliqué correctement en l’espèce puisque la signature du Ministre de l’industrie manquait sur le texte portant nationalisation. L’auteur indique qu’il a porté ce grief précis devant toutes les juridictions, jusqu’à la Cour suprême. Il affirme que sa famille ne pouvait engager qu’une action déclaratoire, parce que le cadastre tchèque refusait d’enregistrer des titres de propriété sur la base de décisions judiciaires concernant la restitution d’un bien. L’auteur qualifie aussi de cynique l’argument de l’État partie, qui dit qu’il aurait dû engager une action avant que la Cour constitutionnelle n’émette son avis de 2005, et maintient que son grief est précisément fondé sur le refus des tribunaux internes d’examiner le fond de l’affaire en raison de ce même avis.

5.2Concernant le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte lu isolément, l’auteur réaffirme que l’avis de la Cour constitutionnelle de 2005 excluait toute possibilité de réexamen de la procédure de confiscation de l’usine de tricot. Il maintient donc que cet avis a empêché que sa cause soit entendue équitablement, car ni lui ni sa famille ne pouvaient plus contester la décision du tribunal de district, qui avait estimé que l’absence de signature n’était pas un argument pertinent.

5.3En ce qui concerne le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte lu avec les articles 2 (par. 1) et 26, l’auteur affirme que les arguments formulés par l’État partie à ce sujet ne sont pas pertinents. Il réaffirme qu’en 1991, l’État partie a procédé à l’expropriation des biens en cause et n’a pas autorisé de restitution aux personnes qui n’étaient pas tchèques ou slovaques, ce qui constituait « un acte manifeste de discrimination ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu avec les articles 2 (par. 1) et 26, au motif que la Cour constitutionnelle, dans son avis de 2005, aurait interprété erronément une loi de 1991 relative à la restitution, qui ne s’applique qu’aux personnes dont les biens ont été confisqués après 1948 et qui exclut donc du bénéfice de la réparation les biens confisqués aux Allemands de souche par un décret de 1945 antérieur au régime communiste. Le Comité note que ce grief concerne l’examen de l’application du droit interne par la Cour constitutionnelle tchèque. Il rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation ou cette application a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou a constitué un déni de justice, ou que le tribunal a d’une autre façon manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité.

6.4Dans ses constatations concernant la communication no516/1992 (Simunek et consorts c. République tchèque), le Comité a considéré que l’application de la loi de 1991 était contraire au Pacte parce qu’elle excluait de son champ d’application les personnes dont les biens avaient été confisqués après 1948, au seul motif qu’elles n’étaient pas des nationaux ou des résidents du pays après la chute du régime communiste en 1989. La présente affaire est cependant différente, en ce que ce n’est pas un traitement discriminatoire concernant des biens confisqués après 1948 qu’invoque l’auteur. Ce qu’il prétend, c’est que la Cour constitutionnelle, dans son avis de 2005, donne une interprétation discriminatoire de la loi de 1991, en considérant que celle-ci ne prévoit pas aussi l’indemnisation des victimes, y compris si elles ne sont pas de nationalité tchèque, de confiscations décrétées en 1945 par le régime antérieur au régime communiste. Le Comité considère qu’en l’espèce, la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour dédommager les victimes de ce régime ne semble pas à première vue discriminatoire au sens de l’article 26 simplement parce que comme le prétend l’auteur, elle ne dédommage pas les victimes des injustices qui auraient été commises par des régimes antérieurs. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel ce raisonnement, qui a aussi été appliqué dans l’affaire Drobek c. Slovaquie, ne s’applique pas dans son cas parce que l’injustice qu’il veut voir réparer est celle découlant de la loi de 1991 relative à la restitution, qui a donné lieu à une « expropriation générale » sans indemnisation pour les victimes non tchèques. Le Comité note cependant que la loi de 1991 ne s’applique pas à l’auteur et à sa famille, à cause de la date à laquelle leurs biens ont été confisqués. Il constate par conséquent que les biens en question ne relèvent pas du champ d’application de la loi de 1991 mise en cause, en raison de restrictions temporelles qui étaient applicables de manière égale à tous, comme c’était le cas dans l’affaire Drobek c. Slovaquie. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief qu’il soulève au titre de l’article 14 (par. 1) lu avec les articles 26 et 2 (par.1) au motif que l’avis de la Cour constitutionnelle était clairement arbitraire ou manifestement entaché d’erreur ou avait constitué un déni de justice.

6.5Le Comité prend note également du grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) lu isolément, au motif que l’action civile qu’il avait engagée contre le propriétaire privé des biens en cause a été classée de fait à la suite de l’application de l’avis de 2005 de la Cour constitutionnelle, de sorte qu’il n’a pas pu présenter de nouveaux éléments de preuve devant les tribunaux à l’appui de son grief selon lequel le bien n’avait pas été nationalisé dans les règles puisqu’il manquait la signature requise sur la décision de nationalisation. Le Comité note que l’auteur conteste la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, mais qu’il n’a pas démontré en quoi l’application de cette jurisprudence dans son cas était arbitraire. Ladocumentation dont le Comité est saisi ne montre pas que la procédure judiciaire en question présentait le moindre défaut à cet égard, et l’auteur n’a pas présenté suffisamment d’arguments propres à démontrer, aux fins de la recevabilité, que l’issue de la procédure civile n’était pas équitable au sens de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Cette partie de la communication est donc aussi irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Enfin, le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel sa famille et lui-même ont droit à être indemnisés pour la nationalisation de leurs biens, en vertu de l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il rappelle que cet article du Pacte ne peut être invoqué par des particuliers qu’en relation avec d’autres articles du Pacte et ne peut motiver en soi une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il rappelle aussi que le droit de propriété n’est pas protégé par le Pacte, et qu’il n’est donc pas compétent ratione materiae pour examiner une violation présumée de ce droit. Il en conclut que les articles 2 et 3 du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner cette partie de la communication.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Appendice

[Original : français]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de M. Olivier de Frouville, M. Mauro Politi et M. Víctor Manuel Rodríguez-Rescia

Nous rejoignons les conclusions que le Comité exprime dans les paragraphes 6.5 et 6.6. de sa décision concernant l’affaire X., Y., Z. et A.. Les griefs présentés au titre de l’article 14 lu isolément sont manifestement mal fondés. Quant au grief présenté au titre de l’article 2, paragraphe 3, il est irrecevable car l’article 2 ne peut être invoqué isolément, mais toujours en lien avec un droit reconnu dans le Pacte.

Nous tenons en revanche à exprimer respectueusement notre désaccord avec le raisonnement du Comité et la conclusion à laquelle il est parvenu au sujet du grief que l’auteur adresse à l’interprétation faite en 2005 par la Cour constitutionnelle de la loi no 87/1991. Le fait est que ce grief est formulé de manière confuse par l’auteur. Nous ne sommes pas certains notamment qu’il ait eu raison d’invoquer l’article 14 lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26. À notre avis, le problème est moins lié à l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle de la loi de 1991 qu’à la limitation temporelle fixée par cette loi, qui restreint le droit à restitution aux biens confisqués ou expropriés après 1948. L’auteur aurait sans doute été plus avisé, comme dans l’affaire B. et C.a, d’invoquer l’article 26 car, au fond, son grief tient essentiellement à cette limite temporelle, à sa réitération par la Cour constitutionnelle, et aux effets discriminatoires qu’il prête à une telle limite. Sur ce point, nous sommes d’accord avec la reformulation du grief opérée par le Comité au début du paragraphe 6.4 et avec la conclusion qu’il en tire, à savoir qu’en l’espèce, la jurisprudence Simunek et consorts c. République tchèque n’est pas applicable, puisque l’affaire Simunek concernait des personnes qui entraient dans le champ d’application temporel de la loi de 1991, mais qui subissaient une discrimination à raison de leur nationalité du fait de dispositions de cette loi. On pourrait noter qu’en dépit de cette reformulation du grief, le Comité reprend, en fin de paragraphe, la formulation initiale de l’auteur pour déclarer le grief manifestement mal fondé. On pourrait s’interroger sur l’interpolation, au paragraphe 6.3, d’un passage dans lequel le Comité « rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée ». Or, à notre avis, ce que les auteurs mettaient en cause, ce n’était nullement une opération d’application du droit ou d’appréciation des faits, mais une pure opération d’interprétation du droit, à savoir l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle des limitations temporelles de la loi de 1991. On pourrait également relever que le Comité ne semble pas estimer utile de répondre au moyen de l’État partie selon lequel la famille de l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes (voir par. 4.2) Mais là n’est pas l’essentiel.

En déclarant irrecevable le grief de l’auteur au paragraphe 6.4, le Comité a repris le raisonnement qu’il avait tenu dans l’affaire Drobek c. Slovaquie. Il a considéré que « la loi de 1991 ne s’applique pas à l’auteur et à sa famille, à cause de la date à laquelle leurs biens ont été confisqués » et que « les biens en question ne relèvent pas du champ d’application de la loi de 1991 mise en cause, en raison de restrictions temporelles qui étaient applicables de manière égale à tous ». Dans l’affaire Drobek, le Comité avait déjà considéré « qu’en l’espèce, la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour dédommager les victimes de ce régime ne semble pas à première vue discriminatoire au sens de l’article 26 simplement parce que, comme le prétend l’auteur, elle ne dédommage pas les victimes des injustices qui auraient été commises par des régimes antérieurs. » (voir la communication no 643/1995, décision du 14 juillet 1997, par. 6.5)b.

Le raisonnement du Comité sur ce point nous paraît doublement critiquable. Sur le plan formel, il semble opérer une confusion entre l’absence de violation prima facie et le caractère manifestement mal fondé du grief. Il est possible que l ’ existence d ’ une violation n’apparaisse pas de manière manifeste, à première vue, cela ne veut pas dire pour autant que l ’ absence de violation soit, elle, manifeste, ou encore que les éléments apportés par l’auteur à l’appui de son grief soient tellement peu convaincants qu’il faille déclarer le grief manifestement mal fondé. Or, en l’espèce, le Comité se fonde sur cette appréciation prima facie pour couper court à la procédure.

Le raisonnement est également critiquable sur le fond, car le Comité adopte ici une interprétation inhabituellement étroite de l’article 26, en considérant que les effets d’une loi s’apprécient uniquement dans le chef des personnes qui relèvent de son champ d’application. Au moins depuis ses constatations dans l’affaire Althammer et consorts c. Autrichec, le Comité reconnaît pourtant qu’une violation de l’article 26 « peut également résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire ». Autrement dit, une loi dont le champ d’application est limité ratione temporis ou ratione personae peut avoir des effets discriminatoires – que ceux-ci soient voulus ou pas par le législateur – à l’encontre de personnes qui ne rentrent pas dans le champ d’application de la loi. Il nous semble par conséquent que, dans cette espèce, le Comité aurait dû considérer qu’il convenait d’examiner plus attentivement la question des effets de la loi de 1991 et de ses réitérations par les tribunaux nationaux et, par conséquent, d’admettre la recevabilité du grief.

En l’espèce, le père de l’auteur avait vu son usine nationalisée en vertu du décret no 100/1945. Or la loi no 87/1991 sur la réhabilitation extrajudiciaire prévoyait la restitution des biens confisqués à partir du 25 février 1948. Il était donc évident que le champ temporel de la loi excluait toute demande en restitution pour les confiscations intervenues en 1945. Certes, le motif de nationalisation n’était pas en soi discriminatoire comme le notent tant l’auteur que l’État partie, le critère de nationalisation était déterminé par la taille de l’entreprise ou la nature de ses activités (voir par. 2.1 et 4.4). Toutefois, si l’article 8 du décret prévoyait le droit à indemnisation du propriétaire du bien nationalisé, l’article 7 faisait exception à cette règle en disposant qu’aucune indemnisation ne serait accordée aux personnes de nationalité allemande, « sauf si elles prouvaient qu’elles étaient restées loyales à la République tchécoslovaque, qu’elles n’avaient jamais commis aucune infraction contre les nations tchèque ou slovaque, qu’elles avaient activement participé à la lutte pour la libération du pays, ou qu’elles avaient été victimes du nazisme ou de la terreur fasciste » voir par. 2.1) Il n’est pas établi clairement dans l’exposé des faits si le père de l’auteur a tenté de bénéficier de ces exceptions (comparer la version de l’auteur au paragraphe 2.1 et celle de l’État au paragraphe 4.4) Ce que l’on sait, c’est qu’« aucune indemnité n’a été ni payée, ni refusée (par. 2.1). »

Ce qui importe toutefois, c’est de constater que ce décret s’inscrivait dans une série plus générale de mesures, telles qu’examinées par exemple dans l’affaire Drobek, mais aussi dans l’affaire B. et C., qui avaient pour objet soit de confisquer les biens de personnes appartenant à un groupe national ou ethnique, soit de soumettre à des conditions spéciales, comme en l’espèce, l’indemnisation de telles confiscations, là où de telles conditions n’étaient pas imposées au reste de la population. C’est en partant de ces différences de traitement fondées sur l’origine nationale ou ethnique intervenues en 1945 qu’il faut s’interroger sur les effets potentiels indirects de la loi de 1991 et de ses réitérations par les juridictions nationales en fixant – de manière apparemment neutre – une limite temporelle interdisant toute restitution pour des confiscations intervenues avant 1948, la loi n’a-t-elle pas causé des effets « préjudiciables affectant exclusivement ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation »d?

Voilà une première question à laquelle le Comité aurait dû essayer de répondre en examinant la communication au fond et en appelant les parties à s’expliquer sur ce point la loi de 1991 et ses réitérations affectaient-elles de manière exclusive ou disproportionnée les personnes de nationalité allemande? Si le Comité était arrivé à une telle conclusion, l’État partie aurait encore eu la possibilité de montrer qu’une telle atteinte au droit à l’égalité devant la loi au sens de l’article 26 visait un but légitime et était bien fondée sur des motifs objectifs et raisonnables.

Nous pensons que le Comité aurait dû appliquer sa jurisprudence et aborder ces questions de fond, au lieu de s’en tenir à une conclusion relativement formaliste selon laquelle la loi de 1991 ne « s’applique pas » à l’auteur et à sa famille.