Nations Unies

CCPR/C/112/D/2137/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2137/2012

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session (7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Bakhytzhan Toregozhina (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

30 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 mars 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

21 octobre 2014

Objet:

Arrestation et déclaration de culpabilité pour infraction administrative et condamnation à une amende pour un art-mob

Question(s) de fond:

Détention arbitraire; liberté de circulation; liberté d’expression; liberté d’association

Question(s) de procédure:

Fondement des griefs

Article(s) du Pacte:

9, 12, 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2137/2012 *

Présentée par:

Bakhytzhan Toregozhina (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

30 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2137/2012présentée par Mme Bakhytzhan Toregozhina en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Bakhytzhan Amangalivna Toregozhina, née le 23 mars 1962, de nationalité kazakhe. Elle dit être victime de violations par le Kazakhstan des droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 12, ainsi que des articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur dirige l’organisation non gouvernementale «Ar. Rukh. Khak». Le 11 mars 2010, pour commémorer la «Journée de la désobéissance civile», l’organisation a tenu au monument du Mahatma Gandhi un art-mob (mobilisation artistique) dont le but était d’attirer l’attention de la population sur des qualités, telles que l’humanisme, l’esprit démocratique, la justice sociale et la moralité, dont devraient faire preuve les dirigeants. Les autorités ne sont pas intervenues au cours de la manifestation, mais le 16 mars 2010 à midi, 20 policiers ont fait irruption dans le bureau de l’auteur et l’ont arrêtée. On lui a expliqué qu’elle serait retenue pendant quarante-huit heures en application de l’article 620 du Code de procédure administrative, qui autorise la détention administrative dans le but de faire cesser une infraction administrative. L’auteur soutient que son arrestation était illégale car elle n’était en train de commettre aucune infraction dans son bureau quand elle a été arrêtée. Elle dit avoir envoyé le 2 avril 2010 une plainte au sujet de la légalité de son arrestation au bureau du Procureur général, qui l’a transmise au département des services de sécurité du Ministère de l’intérieur.

2.2Le 16 mars 2010, par une décision du tribunal administratif interrégional spécialisé d’Almaty, l’auteur a été reconnue coupable d’avoir organisé une manifestation publique sans autorisation, et condamnée à payer une amende de 56 520 tenge. L’auteur indique que la décision du tribunal fait état d’une réunion non autorisée de personnes; or l’art-mob ne figurant pas à l’article 2 de la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques dans la République du Kazakhstan, elle n’avait pas à demander l’aval des autorités pour organiser une telle manifestation.

2.3Le 26 mars 2010, l’auteur a fait appel de la décision de première instance devant la Cour d’appel d’Almaty, qui l’a déboutée le 6 avril 2010. Le 17 mai 2010, elle a déposé auprès du bureau du Procureur général une demande visant à obtenir l’ouverture d’une procédure de contrôle, qui a été rejetée le 21 juin 2010.

2.4L’auteur indique également que le 12 janvier 2010 son organisation avait soumis à l’approbation du vice-akim d’Almaty un calendrier des activités qu’elle avait l’intention de mener. Dans une lettre du 21 janvier 2010, le Département de la politique de la jeunesse d’Almaty avait répondu que, selon l’article 4 de la loi sur les associations publiques, l’ingérence illicite des organes de l’État dans le travail des associations n’était pas autorisée. L’auteur soutient que l’Akimat d’Almaty n’a par conséquent pas autorité pour approuver les manifestations prévues par les organisations non gouvernementales. Elle avance qu’en sa qualité de responsable de l’organisation, elle avait le droit d’organiser des activités, conformément à la charte de l’organisation, sans demander d’autorisation officielle. L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui sont disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son arrestation et sa condamnation pour l’organisation d’un art-mob sont contraires aux droits qu’elle tient de la Constitution et des articles 9 (par. 1), 12, (par. 1), 19 et 21 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que son arrestation est contraire à l’article 9 du Pacte dans la mesure où il lui a été dit qu’elle était arrêtée en vertu de l’article 620 du Code de procédure administrative, qui autorise la détention administrative dans le but de faire cesser une infraction administrative, alors qu’au moment de son arrestation elle ne commettait aucune infraction.

3.3L’auteur fait valoir qu’en organisant l’art-mob elle exprimait son opinion, ce qui est son droit en vertu de l’article 19 du Pacte. Elle avance que les poursuites engagées contre elle étaient motivées en droit par une violation des règles concernant l’organisation et la tenue de réunions, mais motivées en fait par son intervention publique sur une question politique, plus particulièrement celle de savoir dans quelle mesure la population kazakhe fait confiance aux hommes politiques. L’auteur fait valoir que la liberté d’expression est protégée par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, que cette protection comprend le droit des individus d’émettre des critiques ou de porter des appréciations ouvertement et publiquement à l’égard de leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression, et qu’elle a été sanctionnée pour avoir exercé sa liberté d’expression sous une forme artistique. Il s’ensuit que sa détention illégale motivée par son intervention publique, sa condamnation et sa peine, ainsi que la menace de voir réprimer de la même façon toute expression future d’une opinion, sont autant d’atteintes à sa liberté d’expression.

3.4L’auteur fait valoir que les restrictions décrites ci-dessus ne sont pas compatibles avec le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, selon lequel, si l’exercice du droit à la liberté d’expression peut faire l’objet de certaines restrictions, celles-ci doivent toutefois être prévues par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou de la santé ou la moralité publiques. Elle rappelle que dans l’interprétation de ces exceptions le Comité a noté que de telles restrictions ne pouvaient «en aucun cas porter atteinte au droit lui-même», et devaient «être rigoureusement justifiée[s]». D’après la jurisprudence du Comité, une restriction du droit à la liberté d’expression doit, pour être légitime: a) être prévue par la loi; b) avoir pour objet la protection de l’une des fins énumérées; et c) être nécessaire pour atteindre cette fin. L’auteur ajoute que le Comité a toujours estimé que «l’État partie doit démontrer de manière spécifique la nature précise de la menace que la conduite de l’auteur [d’une communication] représente pour l’une quelconque des fins spécifiées», et que, dans son cas, la limitation imposée au droit à la liberté d’expression n’était motivée ni par les besoins de la sécurité nationale ni par la protection des droits et de la réputation d’autrui. Si la restriction découlait d’une menace pour la sécurité nationale, l’État partie aurait dû fournir une justification détaillée et exposer la nature précise de la menace. L’auteur affirme en outre que son intervention publique avait trait à la méfiance que la population kazakhe est susceptible d’éprouver envers les responsables politiques, que la question faisait l’objet de débats publics constants au Kazakhstan et que, par conséquent, le Gouvernement ne pouvait pas prétendre que la restriction de son droit à la liberté d’expression avait pour but de protéger les droits ou la réputation d’autrui. L’auteur soutient enfin que, même s’il établit l’existence d’une fin légitime justifiant la limitation, l’État partie doit aussi démontrer que les mesures prises étaient nécessaires pour servir cette fin. Elle fait valoir que le Comité a toujours observé que «le critère de nécessité implique la proportionnalité, c’est-à-dire que l’ampleur des restrictions imposées à la liberté d’expression doit être en rapport avec la valeur que ces restrictions visent à protéger». L’État partie n’ayant pas clairement expliqué, à travers les décisions de justice, quelle valeur il cherchait à protéger en imposant des restrictions à la liberté d’expression de l’auteur, les sanctions administratives infligées à cette dernière constituent une limitation de son droit à la liberté d’expression tel qu’il est protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. L’auteur affirme qu’étant donné que les exceptions étroites énoncées au paragraphe 3 du même article ne s’appliquent pas à son cas, les restrictions en question constituent une violation du Pacte.

3.5L’auteur affirme que, dans son cas, la déclaration de culpabilité et les sanctions administratives découlaient du fait qu’elle avait organisé une réunion publique non autorisée par les autorités locales. Dans de telles circonstances, sa condamnation et le risque que toute réunion puisse à l’avenir faire l’objet de sanctions similaires constituent des restrictions à la liberté de réunion. Elle soutient que les restrictions mentionnées sont contraires à l’article 21 du Pacte.

3.6L’auteur note que, selon la jurisprudence du Comité, les restrictions imposées au droit à la liberté de réunion doivent s’inscrire dans les limites autorisées par l’article 21 du Pacte. Elle fait valoir que l’exigence d’une autorisation préalable par les autorités locales pour le déroulement de toute manifestation publique constitue une telle restriction. Elle explique aussi que la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques dans la République du Kazakhstan prévoit que, pour tenir toute réunion dans un lieu public en plein air, une demande préalable doit avoir été adressée aux autorités locales (Akimat) au moins dix jours avant la date prévue et une autorisation obtenue au moins cinq jours avant cette même date. L’auteur fait valoir en outre que les décisions de justice n’ont donné aucune justification concernant les valeurs protégées par l’imposition de restrictions à la liberté de réunion et que par conséquent les sanctions administratives prononcées constituent une limitation du droit à la liberté de réunion tel qu’il est protégé par l’article 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 31 mai 2012, l’État partie indique que le 16 mars 2010 l’auteur a été reconnue coupable d’une infraction administrative relevant du paragraphe 3 de l’article 373 du Code des infractions administratives de la République du Kazakhstan et condamnée à une amende de 56 520 tenge par le tribunal administratif spécialisé d’Almaty, dont la décision a été confirmée en appel le 6 avril 2010 par le tribunal municipal d’Almaty. L’État partie rappelle brièvement le contenu des décisions de justice.

4.2L’État partie rappelle les dispositions de l’article 19 (par. 3) et de l’article 21 du Pacte. Il soutient que les allégations de l’auteur selon lesquelles les droits qu’elle tire du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 2 de l’article 19 et du paragraphe 1 de l’article 21 du Pacte ont été violés ne sont pas fondées. Il explique que la manière dont peuvent être exprimés les intérêts de la société, d’un groupe ou de personnes dans les lieux publics, ainsi que la forme que peut revêtir cette expression et les restrictions qui peuvent y être imposées sont définies par la loi no 2126 du 17 mars 1997 relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques dans la République du Kazakhstan. Conformément à l’article 2 de cette loi, une demande doit être présentée aux autorités exécutives locales pour l’organisation d’une assemblée, d’une réunion, d’un cortège, d’un piquet ou d’une manifestation. Conformément à l’article 3, la demande doit contenir tous les éléments requis par la loi et être soumise au plus tard dix jours avant la date prévue de l’événement. L’auteur n’avait pas adressé de demande aux autorités exécutives et n’avait pas reçu de réponse positive. Par conséquent, le grief de l’auteur qui prétend que ses droits au titre des articles 19 et 21 ont été violés est dépourvu de fondement, l’intéressée ayant exercé ces droits en violation des restrictions prévues par la loi.

4.3L’État partie fait valoir en outre que, conformément à l’article 618 du Code de procédure administrative, afin de garantir qu’une procédure se déroule correctement et dans les délais prescrits et que la décision rendue soit exécutée, certaines mesures, y compris le placement en détention administrative, peuvent être prises à l’égard de personnes physiques. La détention administrative de l’auteur a eu lieu conformément à la loi et dans le but d’assurer le déroulement de la procédure en l’espèce. L’État partie considère dès lors que les allégations de l’auteur qui affirme que les droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés ne sont pas fondées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre en date du 4 juillet 2012, l’auteur relève que l’État partie, pour contester ses griefs de violation de l’article 19 du Pacte, cite les dispositions du paragraphe 3 de ce même article. Or elle maintient que ces dispositions ne lui sont pas applicables car l’État partie n’a pas expliqué de quelle manière elle aurait violé les droits ou la réputation d’autrui, ou mis en danger la sécurité nationale ou l’ordre public, ou la santé ou la moralité publiques. Elle affirme qu’elle n’a offensé aucun représentant de l’État, étant donné qu’aucun terme offensant pouvant nuire à la réputation n’a été employé à l’égard de l’un d’eux personnellement, et que l’art-mob, qui a duré dix minutes, avait un caractère pacifique et ne menaçait pas l’ordre public ou la sécurité nationale du Kazakhstan. Elle souligne qu’elle n’a pas été déclarée coupable d’atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, à la sécurité nationale, à l’ordre public ou à la santé ou la moralité publiques, mais de la tenue d’une manifestation publique sans l’aval des autorités.

5.2En ce qui concerne ses griefs au titre de l’article 21 du Pacte, l’auteur souligne que ses actions consistaient en un art-mob, réalisé avec l’aide de trois collègues, que cet art ‑ mob s’adressait aux visiteurs du parc «Mahatma Gandhi» qui se trouvaient à côté du monument dédié à cette personnalité. Une quinzaine de personnes, en majorité des journalistes et des policiers, y assistaient. Ce n’était ni un cortège ni un piquet ni une manifestation et elle n’avait donc pas besoin de l’aval des autorités pour l’organiser. Elle fait valoir en outre que les autorités kazakhes donnent de la notion de réunion pacifique une interprétation qui va au-delà du champ d’application prévu par la loi du 17 mars 1997, y incluant les art-mobs, les flash ‑ mobs et même les actes de protestation accomplis par une personne seule. En raison de cette interprétation élargie, toutes les actions menées en public sont considérées comme des réunions publiques illégales et les organisateurs sont déclarés coupables d’une infraction administrative pour avoir tenu une réunion publique sans l’aval des autorités, ce qui est contraire au Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité observe que l’État partie ne conteste pas la recevabilité et ne fournit pas d’informations sur les recours utiles disponibles. En conséquence, le Comité conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité relève que l’auteur invoque une violation des droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte, au motif qu’elle a été arrêtée pour une infraction administrative. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité considère néanmoins que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne le grief de l’auteur affirmant que les droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés du fait de son arrestation, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’arrestation était licite au regard de l’article 618 du Code des infractions administratives. Il observe, toutefois, que cela pose la question du caractère arbitraire de l’arrestation de l’auteur. Il considère donc que le grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9 a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et le déclare recevable. Le Comité considère en outre que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle soulève au titre des articles 19 et 21 du Pacte. En conséquence, il déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, le Comité observe qu’il y a désaccord entre les parties quant au fondement juridique de l’arrestation de l’auteur, mais que le fait que, le 16 mars 2010, la police a fait irruption dans le bureau de l’auteur et l’a arrêtée n’est pas contesté. Le Comité rappelle qu’une arrestation, pour être conforme au paragraphe 1 de l’article 9, doit être non seulement légale, mais également raisonnable et nécessaire en toutes circonstances. Le Comité observe que l’État partie n’a aucunement justifié en quoi l’arrestation de l’auteur en vertu du Code de procédure administrative était raisonnable et nécessaire. Le Comité considère que l’État partie n’a pas montré pourquoi il était nécessaire d’arrêter l’auteur. Dans ces conditions, le Comité estime que l’arrestation de l’auteur n’était pas raisonnable et a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.3Le Comité relève que l’auteur affirme que les autorités ont violé les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte. Il ressort des éléments d’information dont le Comité est saisi que l’auteur a été arrêtée puis déclarée coupable d’avoir organisé un art-mob et d’y avoir participé sans avoir demandé l’autorisation préalable des autorités exécutives locales, et a été sanctionnée d’une amende. De l’avis du Comité, ces mesures des autorités entravent l’exercice du droit de s’exprimer et de partager librement des informations et des idées de toute nature, droit qui est protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.4Le Comité doit ensuite déterminer si les restrictions apportées à la liberté de l’auteur de répandre des informations et des idées sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il renvoie à ce sujet à son Observation générale no 34, dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il note que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou de la santé ou la moralité publiques. Enfin, aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large: elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et doit être proportionnée à l’intérêt à protéger.

7.5Le Comité constate qu’en l’espèce l’arrestation de l’auteur et sa condamnation à une amende importante soulèvent des doutes sérieux quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions imposées à l’exercice de ses droits. Le Comité constate en outre que l’État partie n’a avancé aucun motif précis justifiant la nécessité des restrictions imposées à l’auteur, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus montré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins perturbateur d’obtenir le résultat recherché ou étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été démontré que les restrictions imposées à l’auteur, bien que fondées sur la législation interne, étaient justifiées et proportionnées au regard des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut par conséquent que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

7.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 21 du Pacte, le Comité considère de même que l’État partie n’a pas démontré que les restrictions imposées aux droits de l’auteur, à savoir son arrestation et sa condamnation à une amende importante, étaient nécessaires pour maintenir la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public ou pour protéger la santé et la moralité publiques ou sauvegarder les droits et libertés d’autrui. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi emportent également une violation des droits garantis à l’auteur par l’article 21 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Kazakhstan des droits que tient l’auteur des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’un réexamen de sa condamnation et d’une indemnisation adéquate comprenant le remboursement de ses frais de justice. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. L’État partie devrait réviser sa législation, en particulier la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et manifestations pacifiques dans la République du Kazakhstan telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, afin que les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.