Nations Unies

CCPR/C/119/D/2668/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 octobre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2668/2015 * , **

Communication présentée par :

Tiina Sanila-Aikio (représentée par un conseil, Martin Scheinin)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Finlande

Date de la communication :

2 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Droit de vote aux élections du Parlement sâme

Question(s) de procédure :

Qualité de victime ; épuisement des recours ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à l’autodétermination ; non‑discrimination ; droits politiques ; droits des minorités

Article(s) du Pacte :

1er, 25, 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

1er et 2

1.1L’auteure de la communication est Tiina Sanila-Aikio, de nationalité finlandaise, née le 25 mars 1983. Elle soumet la communication en son nom et au nom du peuple sâme de Finlande, en sa qualité de Présidente du Parlement sâme de Finlande et avec l’autorisation du comité exécutif de cet organe. Elle avance que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 1er, 25, 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 2012. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 2 novembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la requête de l’auteure tendant à ce qu’il demande en urgence à l’État partie de surseoir à nommer les nouveaux membres du Parlement sâme tant qu’il n’aurait pas examiné la communication au fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1La Constitution finlandaise de 1999 contient deux dispositions concernant les Sâmes. Le paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution dispose que les Sâmes, en tant que peuple autochtone, ainsi que les Roms et les autres groupes, ont le droit de préserver et de développer leur langue et leur culture. Le paragraphe 3 de l’article 121 prévoit que les Sâmes disposent d’une autonomie linguistique et culturelle dans leur région d’origine, dans les conditions fixées par la loi.

2.2Les fonctions et pouvoirs du Parlement sont définis dans la loi no 974/1995 sur le Parlement sâme (la « loi sur le Parlement »). Selon l’article 5, 1) le Parlement a pour mission de protéger la langue et la culture sâmes et de s’occuper des questions liées au statut de peuple autochtone des Sâmes ; et 2) il peut, dans le cadre de son mandat, prendre des initiatives, proposer des mesures aux autorités et faire des déclarations. Le Parlement compte 25 membres (21 membres ordinaires et 4 suppléants). Les candidats qui recueillent le plus de voix sont élus, selon certains quotas alloués aux municipalités.

2.3Les élections législatives ont lieu tous les quatre ans. Selon l’article 21 de la loi sur le Parlement, tout Sâme âgé de 18 ans révolus peut voter. Selon l’article 23, la commission électorale du Parlement établit la liste électorale sur la base de la liste précédente et des données contenues dans le système de recensement de la population. Tout Sâme ayant le droit de vote peut demander à être inscrit sur la liste électorale s’il ne l’est pas déjà. L’article 26 dispose que toute personne qui présente une décision de la Cour administrative suprême (« la Cour ») lui accordant le droit de vote, soit à la Commission électorale avant le dépouillement des bulletins, soit au bureau de vote le jour des élections, peut obtenir les documents requis pour voter. La loi sur le Parlement offre en outre un droit de recours contre les décisions de la commission électorale et du comité exécutif en disposant que la Cour, plus haute juridiction de l’ordre administratif, statue en dernier ressort.

2.4Aux termes de l’article 3 de la loi sur le Parlement, aux fins de l’obtention du droit de vote aux élections législatives, est Sâme toute personne qui se considère comme telle, pour autant : 1) que le sâme soit sa langue maternelle ou celle d’au moins un de ses parents ou grands-parents ; 2) qu’elle descende d’une personne inscrite sur les registres fonciers, fiscaux ou démographiques en tant que Lapon des montagnes, Lapon des forêts ou Lapon vivant de la pêche ; ou 3) qu’au moins un de ses parents ait été, ou ait pu être, inscrit sur les listes électorales pour le Parlement sâme ou la délégation sâme.

2.5L’article 3 a suscité la controverse entre l’État finlandais et le peuple autochtone sâme. Selon l’auteure, il découle clairement de la formulation de cet article et de l’interprétation qui en a été faite par la Cour que l’élément subjectif énoncé dans le chapeau et les éléments objectifs énoncés dans les paragraphes 1 à 3 sont cumulatifs, c’est-à-dire qu’une personne ne peut être inscrite sur les listes électorales que si elle se considère comme Sâme et satisfait à au moins un des trois critères objectifs. Des non-Sâmes des régions septentrionales de la Finlande ont toutefois fait campagne pour être inscrits sur les listes électorales, dans l’objectif d’influencer la composition et les opinions du Parlement. Le comité exécutif du Parlement a examiné toutes les demandes dont il a été saisi et, ce faisant, a cherché à adopter une démarche cohérente respectant à la fois le droit à l’autodétermination du peuple sâme dans son ensemble et les droits individuels des demandeurs.

2.6En 2011, la Cour a rendu plusieurs décisions controversées dans lesquelles le souhait d’une personne d’être inscrite sur les listes électorales primait à la fois sur le respect des critères objectifs permettant de conclure à une réelle appartenance au peuple autochtone sâme et sur la reconnaissance d’une telle appartenance par les autres membres du groupe. En conséquence, le Gouvernement a créé une commission chargée de réviser la loi sur le Parlement afin de supprimer toute incertitude découlant de l’interprétation faite par les tribunaux de la définition de l’identité sâme. En 2013, en collaboration avec les Sâmes, la commission a décidé d’une réforme, qui a été présentée au Parlement finlandais en 2014 sous la forme d’un projet de loi. Toutefois, ce projet étant politiquement lié au projet de ratification par la Finlande de la Convention (no 169) de l’Organisation internationale du Travail concernant les peuples indigènes et tribaux, 1989, ses chances d’être adopté étaient faibles, et le Gouvernement a décidé de le retirer en mars 2015.

2.7Dans les mois précédant les élections au Parlement sâme, qui ont eu lieu entre le 7 septembre et le 4 octobre 2015, des centaines de personnes ont demandé à être inscrites sur les listes électorales. La commission électorale et le comité exécutif du Parlement, agissant en tant qu’organes de premier recours, ont débouté la plupart d’entre elles, estimant qu’elles ne satisfaisaient pas aux critères de l’appartenance au peuple sâme. Toutefois, 182 demandeurs ont interjeté appel auprès de la Cour. Le 30 septembre 2015, celle-ci a accueilli 93 demandes, autorisant de ce fait leurs auteurs à voter.

2.8L’auteure soutient que dans la majorité de ses décisions, la Cour a expressément reconnu que le demandeur ne satisfaisait à aucun des critères objectifs prévus à l’article 3. Procédant à une appréciation générale de la situation de l’intéressé, la Cour a estimé que le sentiment d’appartenance au peuple sâme était suffisamment fort pour qu’elle fasse abstraction de l’obligation expresse de satisfaire à au moins un critère objectif. Elle a justifié ce raisonnement en expliquant qu’il participait d’une interprétation de la loi respectueuse des droits constitutionnels et des droits de l’homme, sans toutefois préciser quels droits elle entendait protéger.

2.9Selon l’auteure, le fait que la Cour se soit ainsi écartée de la loi constitue une violation des articles 17 et 121 de la Constitution et des dispositions du Pacte. La Cour n’a pas respecté l’autonomie que la Constitution accorde aux Sâmes, ni le droit à l’autodétermination que leur garantit le droit international. S’arrogeant un pouvoir discrétionnaire, elle a réduit à néant la capacité du Parlement sâme d’exercer un attribut essentiel de l’autonomie et du droit à l’autodétermination des Sâmes, à savoir le droit de contribuer, dans le cadre défini par la loi, à décider qui est Sâme. En s’écartant du texte, la Cour a créé une situation d’illicéité, de discrimination et d’arbitraire.

2.10Un examen des décisions rendues par la Cour révèle les faits suivants :

a) Dans aucune de ses 93 décisions la Cour n’a conclu que la décision de ne pas inscrire le demandeur sur les listes électorales était discriminatoire ou arbitraire ;

b) Dans au moins 53 de ses 93 décisions, la Cour a expressément dit qu’elle se fondait sur une appréciation générale de la situation plutôt que sur la question de savoir si le demandeur satisfaisait au critère subjectif et à au moins un des critères objectifs d’appartenance au peuple sâme prévus par la loi sur le Parlement. Dans 29 autres décisions, elle s’est prononcée sur le fondement du point 3 de l’article 3, provoquant ainsi un « effet domino » : l’inscription d’une personne sur les listes électorales à la suite d’une appréciation générale a permis aux membres de la famille de l’intéressé d’être eux aussi inscrits sur les listes, même lorsque le demandeur ne satisfaisait à aucun des trois critères objectifs. Dans neuf autres décisions encore, bien que ce ne soit pas précisé, c’est la logique de l’appréciation générale qui a été suivie, la Cour s’étant fondée sur l’article 3 de la loi sur le Parlement sans pour autant préciser auquel des critères objectifs il était satisfait. Aucune requête n’a été accueillie sur le fondement du critère 2, et seules deux l’ont été sur le fondement du critère 1 (le critère principal), à savoir que le sâme soit la langue maternelle de l’intéressé. Dans ces deux cas, la Cour s’est écartée, dans son appréciation des faits, de l’appréciation faite par les organes du Parlement sâme ;

c)Ces décisions montrent que la Cour ne comprend pas l’identité, la culture et le mode de vie sâmes. Nombre d’entre elles reposent en effet sur l’idée selon laquelle l’existence d’un fort sentiment d’appartenance au peuple sâme peut être prouvée par des éléments révélateurs de l’identité sâme, alors qu’en réalité, ces éléments ne sont guère parlants pour ce qui est de déterminer les liens éventuels de la personne avec la culture et le mode de vie sâmes ;

d)Comparées aux 89 décisions dans lesquelles la Cour a confirmé la décision des organes du Parlement sâme de ne pas inscrire le demandeur sur les listes électorale, les 93 décisions dans lesquelles elle a infirmé la décision contestée sont discriminatoires et arbitraires. Il est arrivé, par exemple, que deux membres d’une fratrie fassent l’objet de décisions contraires. Dans la municipalité d’Enontekiö, toutes les personnes nommées Vieltojärvi ont obtenu gain de cause tandis que toutes celles nommées Keskitalo ont été déboutées, alors même que les unes et les autres font partie de la même famille et que certaines ont acquis leur nom par mariage et non par naissance.

2.11Les résultats des élections ont été annoncés par la commission électorale le 6 octobre 2015. C’est dans la municipalité d’Enontekiö que la proportion de personnes inscrites sur les listes électorales par suite d’une décision de la Cour était la plus forte, et cela a eu un effet sur les résultats des élections. Ainsi, N. V., militante bien connue des droits fonciers et du droit à l’autodétermination des Sâmes, n’a recueilli que 68 voix, ce qui ne lui a pas permis d’être élue. Le siège a été remporté, avec 77 voix, par un autre candidat qui ne s’était pas autant distingué dans la défense des droits des Sâmes. Cette situation montre clairement que l’inscription de 93 personnes sur les listes électorales a influé sur la composition du nouveau Parlement, dont le centre de gravité s’est décalé et qui sera moins enclin à mener des politiques défendant la spécificité des Sâmes et de leur culture et à promouvoir l’autodétermination du peupe sâme par rapport à l’État finlandais et par-delà les frontières nationales. Du fait de leur parenté avec ces nouveaux électeurs, des centaines de personnes pourront invoquer l’article 3 pour demander leur inscription sur les listes électorales pour les prochaines élections, ce qui sera un pas de plus vers l’assimilation forcée des Sâmes à la population générale puisque des membres de la population majoritaire (finlandaise) des municipalités les plus septentrionales du pays, où les Sâmes sont minoritaires bien qu’ils soient reconnus comme étant le peuple autochtone, prendront progressivement le contrôle du Parlement sâme. Une telle situation constituerait une atteinte irréparable aux droits que les Sâmes tiennent du Pacte en ce qu’elle mettrait en cause l’autonomie culturelle et linguistique garantie dans la Constitution, ainsi que les droits d’avoir leur propre culture, de participer à la vie politique et d’exercer l’autodétermination reconnus par le droit international.

2.12Le 21 octobre 2015, plusieurs Sâmes (soit des candidats qui n’avaient pas été élus, soit des électeurs qui avaient voté pour eux) ont déposé plainte auprès de la commission électorale, arguant que les décisions de la Cour constituaient une intervention de l’État dans l’exercice des droits politiques et du droit à l’autodétermination des Sâmes et étaient donc contraires à la Constitution et à divers traités ratifiés par la Finlande, notamment le Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure soutient que les dispositions de l’article 1 du Pacte, lu seul ou conjointement avec les articles 25, 26 et 27, ont été enfreintes. La décision de la Cour d’accorder le droit de vote à 93 personnes qui, selon les organes compétents du Parlement sâme, ne pouvaient en bénéficier, constitue une intervention directe d’un organe judiciaire de l’État partie dans un domaine essentiel de l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple autochtone sâme. Cette violation lèse personnellement l’auteure, ainsi que tous les membres du peuple sâme de Finlande.

3.2Cette intervention d’un organe de l’État finlandais dans les affaires du Parlement sâme porte atteinte aux droits que l’auteure, les autres candidats aux élections et leurs électeurs tiennent de l’article 25 du Pacte, à savoir les droits de participer à la conduite des affaires publiques, d’être élu dans le cadre d’élections régulières et honnêtes, d’avoir accès, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de la communauté sâme de Finlande, et d’exercer ces fonctions au niveau national.

3.3L’intervention de la Cour empêche l’auteure et d’autres Sâmes de Finlande d’exercer le droit d’employer leur langue et d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. L’un des principaux éléments de la controverse que suscite la définition de l’identité sâme est l’importance que revêt la compréhension d’une des langues sâmes, bien plus grande aux yeux des Sâmes qu’à ceux de la Cour, qui privilégie aussi d’autres critères. Le changement attendu dans la composition du Parlement sâme réduira les moyens dont celui-ci dispose pour défendre efficacement les droits que les Sâmes tiennent de l’article 27 du Pacte.

3.4En ce qui concerne les griefs de violation des articles 25 et 27, l’auteure se réfère aux fonctions que la loi sur le Parlement donne à ce dernier. L’article 1 reconnaît les Sâmes comme le peuple autochtone de Finlande et leur Parlement comme le principal instrument de leur autonomie culturelle et linguistique. L’article 5 définit en termes généraux les pouvoirs du Parlement, organe de représentation politique auprès de l’État finlandais. L’article 6 dispose que le Parlement sâme représente le peuple sâme aux niveaux national et international. L’article 9 crée pour toutes les autorités l’obligation de négocier avec le Parlement sâme pour ce qui est de diverses questions concernant les Sâmes en leur qualité de peuple autochtone et les nouveaux projets envisagés sur le territoire sâme. Ces articles et bien d’autres encore montrent à quel point le bon fonctionnement du Parlement et sa capacité de représenter fidèlement l’opinion du peuple sâme sont essentiels au respect, par la Finlande, des articles 25 et 27 du Pacte. Le Parlement est un instrument important pour l’exercice individuel et collectif, par les Sâmes, des droits garantis par ces dispositions. Les décisions de la Cour constituent donc une violation des articles 25 et 27 du Pacte.

3.5L’auteure soutient que, dans son appréciation des différents critères permettant de déterminer l’appartenance d’une personne au peuple sâme, la Cour s’est appuyée sur des éléments isolés dont la prise en compte l’a amenée à traiter de manière différente des cas identiques et de manière identique des cas différents, ce qui a abouti à une situation d’arbitraire. La Cour a ainsi porté atteinte non seulement aux droits des demandeurs déboutés, mais aussi au droit de chaque Sâme à l’égalité devant la loi, garanti par l’article26 du Pacte. Les décisions arbitraires de la Cour ont empêché le Parlement de représenter avec intégrité le peuple sâme et chacun de ses membres. De surcroît, la majorité des 93 personnes dont la Cour a autorisé l’inscription sur les listes électorales sont des hommes, et la plupart ont plus de 50 ans. Les décisions de la Cour auront donc vraisemblablement pour effet de contrer la tendance à élire de plus en plus de femmes sâmes relativement jeunes au Parlement, notamment à des postes clefs.

3.6L’auteure soutient qu’en enfreignant les dispositions des articles 25, 26 et 27, l’État partie a aussi enfreint le droit du peuple sâme à l’autodétermination, qui est protégé par l’article 1 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Les 4 et 27 janvier 2016, l’État partie a formulé des observations sur la recevabilité de la communication. Il indique que les Sâmes sont le seul peuple autochtone de Finlande. Les Sâmes ont leurs propres langue, culture, usages, traditions et moyens de subsistance. Il existe trois langues sâmes en Finlande − le sâme inari, le sâme skolt et le sâme du nord − et autant de cultures associées. Selon le paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution, les Sâmes, en tant que peuple autochtone, ont le droit de préserver et de développer leur langue et leur culture. Le paragraphe 4 de l’article 121 de la Constitution garantit aux Sâmes l’autonomie linguistique et culturelle sur le territoire sâme. L’exercice de cette autonomie est régi par la loi sur le Parlement, qui prévoit que le peuple sâme élit son parlement, constitué de Sâmes. Il y a environ 10 000 Sâmes en Finlande, dont quelque 6 000 sont inscrits sur les listes électorales. Le Parlement n’est pas une autorité ; c’est une institution indépendante et une personne morale de droit public. Il ne défend pas l’intérêt général en tant que tel, mais promeut les intérêts du peuple sâme.

4.2Au moment où elle a soumis la communication, l’auteure était la Présidente par intérim du Parlement, et donc sa représentante légitime. Son mandat a pris fin le 31 décembre 2015. L’auteure soutient que, sur autorisation du comité exécutif du Parlement, la communication est aussi soumise au nom du peuple autochtone sâme, mais ne présente aucun document écrit prouvant qu’elle agit au nom d’autres personnes.

4.3Les griefs soulevés par l’auteure devant le Comité concernent des violations indirectes, voire hypothétiques, des droits du peuple sâme en général. L’auteure ne soutient pas que ses droits individuels ont été enfreints, ne démontre pas avoir été touchée directement par la violation des articles 1er, 25, 26 et 27 du Pacte, et ne fournit pas de preuves écrites à l’appui de ses allégations. L’État partie estime donc qu’elle n’a pas étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

4.4L’État partie avance que l’auteure n’était pas partie aux procédures engagées devant la Cour par 182 personnes dont l’inscription sur les listes électorales avait été refusée et que sa saisine du Comité constitue une actio popularis. L’auteure n’a donc pas épuisé tous les recours internes, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.5L’État partie soutient que la Cour a examiné de manière approfondie le statut spécial et les droits particuliers des Sâmes en tenant compte des obligations mises à la charge de la Finlande par le Pacte, et qu’il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits qui ont mené un tribunal national à prendre une décision plutôt qu’une autre ou de mettre en cause les constatations et les conclusions des tribunaux finlandais.

4.6La Cour étant la plus haute juridiction d’appel de l’ordre administratif, ses décisions ne sont pas susceptibles d’appel. Il est toutefois possible, par recours extraordinaire, de lui demander d’annuler une de ses décisions.

4.7Le 18 novembre 2015, le comité exécutif du Parlement a accueilli des demandes visant à corriger les résultats des élections, estimant que c’était à tort que la Cour avait autorisé les 93 personnes à voter. Partant, il a décidé d’organiser de nouvelles élections en 2016 sur la base des listes électorales qui avaient été approuvées le 20 août 2015. Cette décision a fait l’objet de plusieurs recours devant la Cour. Le 13 janvier 2016, celle-ci a cassé et annulé la décision du comité exécutif, estimant qu’il n’était pas compétent pour connaître d’une affaire qu’elle avait déjà jugée et qu’il était de surcroît lié par les décisions qu’elle rendait, en conséquence de quoi sa décision d’organiser de nouvelles élections était illicite. Enaccueillant les demandes dont il était saisi, le comité exécutif avait en fait réexaminé la question du droit de vote de personnes qui avaient saisi la Cour, faisant fi de de la décision rendue le 30 septembre 2015. Le comité exécutif n’avait pas non plus tenu compte de la décision par laquelle la commission électorale avait confirmé les résultats des élections.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 16 mars 2016, l’auteure fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne le fait qu’elle dit agir au nom de l’ensemble du peuple sâme, l’auteure indique qu’elle était Présidente de l’ancien Parlement jusqu’au 23 février 2016, date de l’ouverture de la nouvelle législature. À cette occasion, elle a été réélue Présidente pour la période 2016-2019. Elle a donc toujours été, sans interruption, la représentante légitime du Parlement. L’auteure soumet de surcroît au Comité une copie des minutes de la réunion du 2 octobre 2015 à laquelle le Comité exécutif du Parlement a décidé de saisir le Comité et d’autoriser l’auteure à représenter le peuple sâme devant lui.

5.2L’auteure soutient que l’observation selon laquelle ses griefs sont infondés car elle n’a pas démontré qu’elle avait été personnellement touchée par les violations alléguées du Pacte est superficielle et, contrairement aux apparences, concerne le fond de la demande et non sa recevabilité. Elle rappelle ses arguments initiaux, ajoutant qu’en tant que Présidente du Parlement sâme, elle a reçu de nombreuses plaintes concernant les résultats des élections et l’influence que les décisions rendues par la Cour le 30 septembre 2015 avaient eue sur ceux-ci. Le simple fait que de nombreux Sâmes aient formellement contesté les résultats des élections montre l’effet clivant que l’intervention de l’État peut avoir sur la communauté sâme. En réponse aux plaintes reçues, l’auteure et ses collègues du comité exécutif ont décidé d’organiser de nouvelles élections. Cette décision a ensuite été cassée par la Cour, qui a de surcroît ordonné au Parlement de verser 500 euros à chacune des 27 personnes qui avaient contesté la tenue des nouvelles élections. Cette sanction économique a diminué la capacité du Parlement de consacrer ses maigres ressources à défendre au mieux les droits et intérêts des Sâmes.

5.3La première session de la nouvelle législature a été marquée par des dissensions internes et par de vives protestations de jeunes Sâmes contre la menace de l’assimilation forcée par l’État finlandais et la population finlandaise dominante. Ce type d’événements affaiblit de l’intérieur le Parlement en tant qu’instrument de l’autodétermination et de l’autonomie des Sâmes et porte atteinte à la capacité individuelle de l’auteure et à la capacité collective des Sâmes d’exercer, de protéger et faire valoir les droits qu’ils tiennent des articles 1er, 25, 26 et 27 du Pacte.

5.4En sa qualité de Présidente du Parlement, de parlementaire et de membre du peuple autochtone sâme, l’auteure est personnellement touchée par les conséquences d’actions extérieures auxquelles un Parlement plus divisé et moins déterminé devra faire face. Le Parlement finlandais étudie actuellement un projet de loi (no 132 de 2015) sur l’Agence nationale de la foresterie. Lorsque le texte lui a été présenté, en décembre 2015, le Gouvernement en avait supprimé toutes les dispositions visant à protéger les Sâmes contre la foresterie et les autres activités commerciales menées en territoire sâme et la privatisation des terres domaniales et étendues d’eau situées sur ce territoire. Si la Cour n’était pas intervenue, par ses décisions du 30 septembre 2015, dans les élections du Parlement sâme, celui-ci serait plus uni et en meilleure posture pour contrer cette évolution négative, voire y mettre un terme.

5.5Les arguments de l’État partie selon lesquels la communication relève d’une actio popularis et les recours internes ne sont donc pas épuisés prêtent à confusion. Premièrement, l’objectif de la communication n’est pas de représenter les 182 personnes qui ont cherché à se faire inscrire sur les listes électorales en formant un recours devant la Cour. Deuxièmement, l’État finlandais est intervenu par l’intermédiaire de la plus haute instance de l’ordre administratif. Aucun recours interne n’est donc disponible. Quant au réexamen par la Cour, cette démarche n’est pas un recours ordinaire et elle n’a aucune chance d’aboutir hormis dans les cas exceptionnels dans lesquels la Cour reconnaît avoir fait une erreur. Or, celle-ci a déjà refusé de revenir sur ses décisions du 30 septembre 2015, comme le montre la décision du 13 janvier 2016.

5.6Contrairement à l’État partie, l’auteure ne pense pas que la Cour ait tenu compte des obligations mises à la charge de la Finlande par le droit international, et en particulier des obligations qui découlent du Pacte. Lorsqu’elle a refusé de prendre en considération les observations finales formulées par les organes conventionnels de l’ONU concernant la Finlande et, notamment, la définition de l’identité sâme, la Cour s’est fondée sur des décisions qu’elle avait rendues en 2011 et sur l’opinion d’un organe politique interne, la Commission constitutionnelle du Parlement finlandais.

5.7En ce concerne les déclarations de l’État partie selon lesquelles il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits examinés par un tribunal national, l’auteure précise que le litige ne porte pas sur les faits, mais sur le manquement de la Cour à son obligation de tenir compte des droits garantis par le Pacte. Or, il appartient au Comité d’examiner la compatibilité des actions d’un organe étatique, fût-il un organe judiciaire, avec le Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 4 mai 2016, l’État partie a présenté des observations sur le fond. Il fait savoir que la loi sur le Parlement contient une définition de l’identité sâme. En 2012, le Ministère de la justice a créé un groupe de travail chargé d’élaborer un projet de réforme de cette loi. Selon le mémorandum du groupe de travail, il s’agissait de créer des conditions pratiques plus propices à l’autonomie culturelle des Sâmes et au bon fonctionnement du Parlement sâme. Le 25 septembre 2014, le Parlement a été saisi d’un projet de loi fondé sur les propositions du groupe de travail dans lequel était formulée une nouvelle définition de l’identité sâme. Cette définition a recueilli l’approbation du Parlement sâme, mais pendant les débats en commission parlementaire, il est apparu que le Parlement finlandais ne l’accepterait pas. La question de la définition étant au cœur du projet de loi, le 12 mars 2015 le Gouvernement a décidé de retirer le texte. Le Ministère de la justice compte présenter un nouveau projet de loi, mais on ignore si celui-ci comportera une nouvelle définition de l’identité sâme.

6.2L’État partie indique que, dans ses observations finales sur le rapport de la Finlande valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques présenté en application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a rappelé qu’il jugeait trop restrictive la définition des personnes considérées comme Sâmes et tombant donc sous le coup de la législation applicable aux Sâmes retenue par l’État partie, telle qu’elle ressortait de la loi sur le Parlement et de l’interprétation de la Cour (CERD/C/FIN/CO/19, par. 13). Dans ses observations finales sur le rapport de la Finlande valant vingtième à vingt‑deuxième rapports périodiques, tout en notant que la Cour administrative suprême s’était fondée sur les précédentes observations finales du Comité dans sa décision du 26 septembre 2011 relative aux critères sur la base desquels un Sâme est habilité à élire les membres du Parlement sâme, le CERD s’est déclaré préoccupé de ce que la définition adoptée par la Cour ne prenait pas suffisamment en considération les droits que le peuple sâme tient de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment leur droit à l’autodétermination (art. 3), leur droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions (art. 33) et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture (art. 8) (art. 5 de la Convention). Le CERD a recommandé à l’État partie de prendre dûment en considération, dans le choix des critères sur la base desquels un Sâme est habilité à voter pour élire les membres du Parlement sâme, le droit des Sâmes à l’autodétermination concernant leur statut en Finlande, le droit de décider eux-mêmes de leur appartenance au peuple sâme et le droit de ne pas subir d’assimilation forcée (CERD/C/FIN/CO/20-22, par. 12).

6.3En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 1, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, notamment l’observation générale no 23 (1994) sur les droits des minorités et les constatations adoptées dans l’affaire Bande du lac Lubikonc.Canada , le droit à l’autodétermination ne peut être invoqué dans le cadre du Protocole facultatif. Il ressort en effet de cette jurisprudence que l’article 1 ne peut pas être invoqué seul dans les procédures engagées au titre du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne la définition de l’identité sâme, le Gouvernement reconnaît que le sentiment d’appartenance est un critère fondamental pour ce qui est de déterminer quelles personnes et quels groupes sont autochtones, ainsi qu’il est prévu, notamment, au paragraphe 2 de l’article 1 de la Convention concernant les peuples indigènes et tribaux. Le Gouvernement respecte en outre le droit du Parlement sâme de choisir ses membres selon les coutumes et les traditions sâmes. En conséquence, des mesures ont été prises pour protéger l’identité des Sâmes et leur droit de préserver et de développer leur culture et leur langue en commun avec les autres membres de leur groupe.

6.5L’État partie rappelle l’observation générale no 25 (1996) du Comité sur la participation aux affaires publiques et le droit de vote, où il est dit que les droits reconnus aux citoyens par l’article 25 sont liés au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, mais en sont néanmoins distincts. Le paragraphe 1 de l’article 1 donne aux peuples le droit de déterminer librement leur statut politique et de choisir la forme de constitution ou de gouvernement qu’ils souhaitent, tandis que l’article 25 traite du droit qu’ont les citoyens, à titre individuel, de participer aux processus qui représentent la direction des affaires publiques. En tant que droits individuels, ces droits peuvent être invoqués au titre du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte (par. 2).

6.6Étant donné que l’article 25 traite du droit des citoyens de participer à titre individuel aux processus qui représentent la direction des affaires publiques, l’État partie souligne que le droit de vote aux élections du Parlement sâme est prévu par la loi et que des mesures ont été prises pour que toutes les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs aient la possibilité d’exercer ce droit.

6.7Pour voter aux élections, il faut en principe être inscrit sur les listes électorales. Cela étant, la loi sur le Parlement prévoit que toute personne qui estime que c’est à tort qu’elle ne figure pas sur les listes peut présenter une demande de rectification en vue d’y être inscrite, et la décision rendue peut faire l’objet d’un recours devant la Cour. L’article 26 d) de la loi sur le Parlement dispose que toute personne qui fait état d’une décision de justice confirmant qu’elle a le droit de vote, soit au comité exécutif avant le dépouillement, soit au bureau de vote le jour des élections, est autorisée à voter. Pour pouvoir être inscrit sur les listes, l’intéressé doit fournir à la commission électorale ou au personnel du bureau de vote l’original de la décision ou une copie certifiée.

6.8L’État partie réaffirme ses arguments concernant la recevabilité et rappelle que la Cour a procédé à un examen complet et approfondi de toutes les demandes dont elle a été saisie, qu’elle a consulté le comité exécutif du Parlement et les appelants, notamment en ce qui concerne les droits particuliers des Sâmes, et qu’elle a tenu compte des obligations mises à la charge de la Finlande par le droit international des droits de l’homme, notamment celles qui découlent du Pacte et de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. L’État partie conclut qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de violation du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Le 28 novembre 2016, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Reprenant ses précédents arguments, elle souligne qu’après un examen attentif, il apparaît que les 182 décisions du 30 septembre 2015 par lesquelles la Cour a accueilli 93 demandes d’inscription sur les listes électorales et rejeté les autres ont créé une situation d’illicéité et d’arbitraire. Ces décisions portent préjudice non seulement aux personnes qui, en raison d’une différence de traitement, ont été déboutées, mais aussi à l’ensemble des Sâmes, ce qui constitue une violation de l’article26 et empêche le Parlement de représenter comme il se doit le peuple autochtone sâme et chacun de ses membres.

7.2L’auteure renvoie aux grands principes inscrits dans la loi sur le Parlement, qui montrent à quel point le bon fonctionnement du Parlement et sa capacité de dûment faire entendre l’opinion du peuple autochtone sâme sont essentiels au respect, par l’État partie, des dispositions des articles 25 et 27 du Pacte. Le Parlement est un instrument important qui permet aux Sâmes de faire valoir individuellement et collectivement les droits qu’ils tiennent des articles 25 et 27 du Pacte et d’exercer ces droits. L’article 9 de la loi sur le Parlement, en particulier, impose à toutes les autorités l’obligation de négocier avec le Parlement au sujet de diverses questions concernant le peuple autochtone sâme et les nouveaux projets qu’il est envisagé de mener sur le territoire sâme. Les décisions que la Cour a récemment rendues constituent donc une violation des dispositions de cet article. De surcroît, en enfreignant les articles 25, 26 et 27, l’État partie a aussi porté atteinte au droit du peuple autochtone sâme à l’autodétermination, qui est protégé par l’article 1 du Pacte.

7.3Dans sa composition actuelle, le Parlement continue de défendre les droits et les intérêts des Sâmes, mais est souvent ralenti ou entravé dans son travail par des dissensions internes qui ne peuvent être réglées qu’au prix de beaucoup de temps et d’efforts et qui concernent dans bien des cas les relations avec l’État finlandais et la réponse à apporter aux interventions continues de celui-ci sur le territoire sâme, interventions qui ont un effet sur les moyens de subsistance des habitants. Par conséquent, le Parlement sâme n’a pas pu empêcher le Gouvernement et le Parlement finlandais d’agir au mépris des préoccupations exprimées par les Sâmes et sans que ceux-ci aient voix au chapitre en adoptant une nouvelle loi sur l’Agence gouvernementale de la foresterie.

7.4Le nouveau projet de traité entre la Finlande et la Norvège sur la frontière qui longe le fleuve Teno pose le même type de problème. Les Sâmes ont été dans une large mesure écartés des négociations entre les deux Gouvernements alors qu’ils pêchent le saumon dans ce fleuve depuis des temps immémoriaux. La pêche au saumon constitue, et a toujours constitué, le principal moyen de subsistance de la population locale, et fait partie de sa culture et de son mode de vie. C’est autour de cette activité que tournent l’organisation sociale, le cycle de travail hebdomadaire et annuel, la coopération de part et d’autre de la frontière, l’artisanat, l’art et le folklore. Le projet est présenté comme visant à garantir la viabilité des stocks de saumon, alors qu’en réalité il aboutirait à priver le peuple autochtone sâme de son droit ancestral de pêcher dans ce fleuve. Il empêcherait définitivement une grande partie des Sâmes de continuer de pratiquer la pêche traditionnelle tout en permettant aux vacanciers de prendre une quantité excessive de poissons. C’est là un autre exemple concret des conséquences que les décisions rendues par la Cour le 30 septembre 2015 ont, non seulement sur la vie de l’auteure et des autres membres du Parlement sâme, mais aussi sur celle de tous les Sâmes de Finlande.

7.5L’auteure fait à nouveau valoir qu’elle a fourni au Comité une preuve de la décision du 2 octobre 2015 par laquelle le comité exécutif du Parlement sâme l’a autorisée à représenter les Sâmes devant le Comité. Elle rappelle les arguments précédemment formulés concernant l’observation de l’État partie selon laquelle la communication constitue une actio popularis et elle n’a pas épuisé tous les recours internes.

7.6L’auteure relève les déclarations de l’État partie selon lesquelles, avant de rendre ses décisions du 30 septembre 2015, la Cour a consulté le comité exécutif du Parlement. Elle soutient qu’en septembre 2015, le Parlement a reçu presque 200 demandes simultanées de personnes qui souhaitaient être inscrites sur les listes électorales et la Cour ne lui a donné que trois à cinq jours ouvrables pour se prononcer. Le comité exécutif a fait de son mieux pour évaluer chaque demande en s’efforçant de déterminer si les conditions de l’article 3 de loi sur le Parlement étaient remplies. La teneur des décisions prouve que la consultation du Parlement était une simple formalité. Les avis et arguments de cet organe n’ont pas eu d’influence sur les conclusions de la Cour qui, au lieu d’être fondées sur une appréciation correcte des faits et une bonne interprétation de la loi sur le Parlement, reposent dans la plupart des cas sur ce que la Cour a appelé une « appréciation générale » et « une interprétation de la loi respectueuse des droits de l’homme », ne sont justifiées par aucun élément de fait ni de droit et ne font référence ni au Pacte, ni aux droits des peuples autochtones, ni à aucun droit de l’homme en particulier.

7.7La présente affaire trouve son origine dans l’application abusive de l’article 3 de la loi sur le Parlement, en particulier par la Cour. Au moment des élections législatives de 2011, la Cour s’est écartée de la lettre de la loi, inscrivant sur les listes électorales des personnes qui ne satisfaisaient à aucun des critères objectifs énoncés à l’article 3 en sus du critère subjectif qu’est le sentiment d’appartenance à la communauté. En conséquence, dans leurs observations finales de 2012 et de 2013, respectivement, le CERD et le Comité des droits de l’homme ont engagé la Finlande à accorder plus de poids à l’autodétermination des Sâmes dans les décisions concernant l’inscription sur les listes électorales. Les décisions de la Cour ont en outre donné lieu à des négociations entre le Gouvernement et le Parlement sâme. En 2013, une solution satisfaisante pour les Sâmes a été trouvée et a été présentée au Parlement national dans le projet de loi no 167 de 2014. Toutefois, ce texte n’a pas reçu le soutien nécessaire, en grande partie à cause des pressions exercées par la majorité non sâme dans les régions les plus septentrionales de la Finlande, et la Cour a donc pu continuer d’interpréter et d’appliquer l’article 3 abusivement.

7.8L’auteure ne conteste pas que la Cour est en principe compétente pour contrôler l’application de l’article 3 de la loi sur le Parlement par les organes compétents du Parlement sâme. Elle souligne toutefois que, pour être compatible avec le Pacte, ce contrôle juridictionnel ne peut viser que des décisions arbitraires ou discriminatoires. Or, la Cour n’a établi dans aucun des 93 cas dont elle était saisie que le refus d’autoriser l’inscription des demandeurs sur la liste électorale était arbitraire ou discriminatoire.

7.9L’auteure soutient que la décision rendue par la Cour le 13 janvier 2016 constitue une nouvelle violation des droits qu’elle et les autres membres du peuple autochtone sâme tiennent des articles 25 et 27 du Pacte, lus individuellement ou conjointement avec l’article 1, car elle a diminué la capacité du Parlement de défendre les droits et les intérêts du peuple autochtone sâme, y compris le droit de l’auteure et des autres Sâmes d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. L’auteure ajoute que par suite de cette décision, le Parlement a dû s’acquitter des frais de justice des 27 personnes qui avaient contesté l’organisation de nouvelles élections, et cette dépense (11 645 euros) a lourdement grevé son budget, déjà très modeste.

7.10L’auteure réaffirme que les décisions rendues par la Cour le 30 septembre 2015 ont enfreint les droits qu’elle et les autres membres du peuple autochtone sâme tiennent de l’article 26 du Pacte, lu individuellement ou conjointement avec l’article 1. La Cour n’a tenu aucun compte des critères précis énoncés à l’article 3 de la loi sur le Parlement et s’est contentée d’une vague « appréciation générale », créant ainsi l’illicéité, l’imprévisibilité, l’arbitraire et, aussi, la discrimination, des situations identiques ayant été traitées de manière différente et des situations différentes, de manière identique.

7.11Si le Comité devait conclure que les décisions de la Cour constituent une violation de ses droits et de ceux des autres membres du peuple autochtone sâme, l’auteure lui demande d’ordonner à l’État partie d’offrir aux victimes une réparation effective sous la forme : a) d’excuses publiques pour avoir porté atteinte au droit du peuple autochtone sâme à l’autodétermination et à d’autres droits fondamentaux de ses membres, notamment les droits de ne pas faire l’objet de discrimination, de participer à la vie politique et d’avoir sa propre culture ; b) de l’interruption immédiate des processus législatifs et administratifs et des négociations de traité susceptibles d’avoir des incidences importantes sur les droits et les intérêts du peuple autochtone sâme et dans lesquels le consentement préalable, libre et éclairé de celui-ci n’a pas été obtenu ; c) d’un amendement immédiat à l’article 3 de la loi sur le Parlement, l’objectif étant de faire en sorte que les critères d’inscription sur la liste électorale du Parlement sâme respectent le droit à l’autodétermination du peuple sâme et de restreindre le contrôle juridictionnel des décisions des organes parlementaires par les tribunaux nationaux aux décisions arbitraires ou discriminatoires ; d) du remboursement des dépens auxquels le Parlement sâme a été condamné par la décision du 13 janvier 2016 ; e) du remboursement des frais de justice engagés par le Parlement sâme dans le cadre de la procédure engagée devant la Cour concernant les élections de 2015.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il constate que les décisions par lesquelles 93 personnes se sont vu reconnaître le droit de vote ont été rendues par la Cour administrative suprême, qui est la plus haute juridiction d’appel de l’ordre administratif. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles d’appel, mais peuvent, dans le cadre d’un recours extraordinaire, être annulées par la Cour elle-même. Il note de surcroît que, selon l’auteure, ce recours est justement extraordinaire et n’a aucune chance d’aboutir hormis dans les cas exceptionnels dans lesquels la Cour reconnaît avoir fait une erreur ; or, celle-ci a déjà refusé de revenir sur ses décisions du 30 septembre 2015, comme le montre la décision du 13 janvier 2016. Le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’un recours extraordinaire soit utile dans les circonstances de l’espèce. Il estime par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

8.4Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteure n’a pas qualité pour agir au nom de l’ensemble du peuple autochtone sâme, ne soutient pas que ses droits individuels ont été enfreints, ne démontre pas que la violation des articles 1er, 25, 26 et 27 du Pacte lui ont directement porté préjudice, et se plaint de violations indirectes, voire hypothétiques, des droits du peuple autochtone sâme en général.

8.5Le Comité note que l’auteure soumet sa communication en son nom propre et au nom du peuple autochtone sâme de Finlande en sa qualité de Présidente du Parlement sâme, comme elle a été autorisée à le faire par le comité exécutif du Parlement. Il rappelle que selon l’article 2 du Protocole facultatif, seuls les particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte peuvent lui présenter une communication. Il constate qu’en présentant la communication en son nom propre, l’auteure le saisit en sa qualité de membre du peuple autochtone sâme et de membre du Parlement sâme, dont elle est la Présidente. Il est d’avis qu’en tant que telle, elle pourrait être personnellement concernée par tous problèmes relatifs au fonctionnement du Parlement et aux élections législatives. En conséquence, il estime que rien n’empêche l’auteure de lui soumettre une communication au titre de l’article 1 du Protocole facultatif dès lors qu’elle allègue une violation de ses droits individuels.

8.6Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, un particulier ne peut pas invoquer le Protocole facultatif pour se dire victime d’une violation du droit à l’autodétermination consacré à l’article 1 du Pacte, cette disposition concernant les droits des peuples. Le Comité rappelle également que le Protocole facultatif permet aux particuliers de dénoncer une violation de leurs droits individuels, lesquels n’incluent pas les droits énoncés à l’article 1 du Pacte. Par conséquent, il estime que le grief de violation de l’article 1 du Pacte est irrecevable au regard de l’article 1 du Protocole facultatif. Cela étant, si le Protocole facultatif ne lui donne pas compétence pour examiner une communication concernant une violation alléguée du droit à l’autodétermination protégé par l’article 1 du Pacte, le Comité peut néanmoins interpréter cet article, en tant que de besoin, pour déterminer si les droits protégés par les dispositions des deuxième et troisième parties du Pacte ont été enfreints.

8.7Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel les décisions du 30 septembre 2015 par lesquelles la Cour a donné le droit de vote à 93 personnes enfreignent les droits qu’elle-même, les autres candidats aux élections et les électeurs tiennent de l’article 25 du Pacte, c’est-à-dire les droits de prendre part à la direction des affaires publiques, d’être élu au cours d’élections périodiques et régulières et d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de la communauté sâme de Finlande. L’auteure avance en outre que, pour déterminer si les demandeurs appartenaient ou non au peuple autochtone sâme, la Cour a agi de façon arbitraire, ce qui a porté atteinte au droit de chacun des membres du peuple sâme à l’égalité devant la loi, énoncé à l’article26 du Pacte, et que les décisions de la Cour l’ont empêchée d’exercer le droit d’utiliser sa propre langue et d’avoir sa propre vie culturelle en commun avec les autres membres de son groupe, garanti à l’article 27 du Pacte.

8.8Le Comité constate que l’auteure appartient au peuple autochtone sâme ; qu’à ce titre, elle a le droit d’avoir sa propre vie culturelle, en communauté avec les autres membres de son groupe ; et qu’il n’est pas contesté que le Parlement sâme est l’institution qui garantit aux Sâmes leur autonomie linguistique et culturelle au sein du territoire sâme et qu’il peut prendre des initiatives, proposer des mesures aux autorités et publier des déclarations. Le Comité estime donc que les décisions des institutions de l’État finlandais qui influent sur la composition du Parlement sâme et sur l’égalité de représentation des Sâmes peuvent avoir des répercussions sur le droit des membres de la communauté sâme d’avoir leur propre vie culturelle et d’utiliser leur langue avec les autres membres du groupe, ainsi que sur leur droit à l’égalité devant la loi. De ce fait, le Comité est d’avis que l’auteure, en tant que membre du peuple autochtone sâme et du Parlement sâme, dont elle est aussi la Présidente, peut être personnellement concernée par les décisions rendues par la Cour concernant l’inscription sur les listes électorales pour les élections au Parlement sâme. Partant, il estime qu’aux fins de la recevabilité, rien dans l’article 1 du Protocole facultatif ne l’empêche d’examiner la présente communication pour ce qui est des griefs que l’auteure tire des articles 25, 26 et 27 du Pacte.

9Le Comité estime que les griefs que l’auteure tire des articles 25, 26 et 27 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)D’examiner séparément la question de la recevabilité et celle du fond ;

b)De dire que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 25, 26 et 27 du Pacte ;

c)De prier l’État partie et l’auteure de lui présenter des informations complémentaires quant au fond des griefs et à la réparation souhaitée, ainsi que des renseignements au sujet du raisonnement suivi par la Cour dans ses 93 décisions, de l’interprétation faite par les tribunaux finlandais de la définition de l’identité sâme donnée dans la loi sur le Parlement, et des conséquences de cette interprétation sur la composition du Parlement issu de l’élection de 2015 et des élections antérieures et sur le fonctionnement de cette institution en tant que garant de l’autonomie sâme. Le Comité souhaite en outre que l’État partie lui fournisse des informations sur le point de vue du Parlement sâme quant à la foresterie et aux autres activités commerciales menées sur le territoire sâme et à la privatisation de terres domaniales ou d’étendues d’eau situées sur ce territoire, et qu’il lui fasse savoir si les décisions de la Cour ont effectivement empêché les Sâmes d’avoir voix au chapitre dans les négociations menées avec la Norvège concernant la pêche au saumon dans le fleuve Teno. Enfin, le Comité aimerait que les parties lui fassent part de leurs observations concernant l’effet que les décisions de la Cour ont eu sur les droits de l’auteure d’avoir sa propre vie culturelle et d’utiliser sa propre langue avec les autres membres du groupe ;

d)De dire que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.