Nations Unies

CCPR/C/118/D/2569/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 décembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2569/2015 * , **

Communication p résentée par:

B. M. I. et N. A. K. (représentés par un conseil, Hannah Krog)

Au nom de:

Les auteurs et leurs deux enfants mineurs

État partie:

Danemark

Date de la communication:

6 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 février 2015 (non publiée sous la forme d’un document)

Date de s constatations:

28 octobre 2016

Objet:

Expulsion du Danemark vers la Bulgarie

Question ( s ) de procédure:

Degré de fondement des griefs

Question ( s ) de fond:

Risque de torture et de mauvais traitements

Article (s) du Pacte:

7

Article (s) du Protocole facultatif:

2

1.1Les auteurs de la communication sont B. M. I., né le 1er janvier 1982, et N. A. K., née le 1er août 1988. Ils soumettent la communication en leur nom propre et au nom de leurs deux filles mineures : P., née le 9 octobre 2012 en République arabe syrienne, et B., née le 3 juillet 2014 au Danemark. Les auteurs sont des Kurdes de République arabe syrienne, de confession musulmane. Ils font l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Bulgarie à la suite du rejet par la Commission danoise de recours des réfugiés, le 20 janvier 2015, de leur demande de statut de réfugié. Ils affirment que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation par le Danemark des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil, Hannah Krog.

1.2La communication a été enregistrée le 13 février 2015. Le Comité, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie, à titre de mesure provisoire, de ne pas expulser les auteurs vers la Bulgarie tant que l’affaire était à l’examen. Le 23 février 2015, à la demande du Comité, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ des auteurs du Danemark.

1.3Le 4 août 2015, l’État partie a demandé au Comité de reconsidérer sa demande de mesures provisoires en l’espèce, au motif que les auteurs n’avaient pas montré qu’il était probable que, s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie, ils seraient exposés à un risque de préjudice irréparable. Le 15 mars 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires de l’État partie.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 5 novembre 2013, B. M. I., N A. K. et leur fille P. ont fui la guerre civile en République arabe syrienne et ils sont arrivés en Bulgarie le 14 novembre 2013. Le 30 juin 2014, ils sont entrés au Danemark sans documents de voyage valides et y ont demandé l’asile. À l’appui de sa demande, B. M. I. a invoqué sa crainte d’être appelé comme réserviste dans l’armée syrienne s’il était renvoyé en République arabe syrienne. Il a aussi mentionné le fait que les autorités syriennes lui avaient demandé de travailler pour leur compte comme informateur. Les auteurs n’ont jamais été membres d’associations ou d’organisations politiques ou religieuses, quelles qu’elles soient, ni n’ont mené d’autres activités politiques. Ils n’ont pas de liens familiaux au Danemark.

2.2Lorsqu’il vivait en République arabe syrienne, B. M. I. possédait une cafétéria qui, en raison de sa situation à proximité d’une université, était fréquentée par des étudiants. Aussi les autorités syriennes lui ont-elles demandé de leur transmettre des renseignements sur les manifestations qui se préparaient, ce qu’il a refusé de faire. En conséquence, il a été arrêté en 2012, puis de nouveau en septembre 2013. Il a en outre été convoqué à trois ou quatre reprises par les autorités. À l’appui de sa demande d’asile, N. A. K. a invoqué le conflit de son mari avec les autorités syriennes, ainsi que la situation générale en République arabe syrienne.

2.3À leur arrivée en Bulgarie, les auteurs, qui étaient entrés illégalement dans le pays, ont été appréhendés par la police et placés dans un centre de rétention pendant environ onze jours. Ils ont été transférés dans le camp pour demandeurs d’asile de Harmanli, où on leur a remis un matelas, un oreiller et une tente. C’était l’hiver ; la tente était en très mauvais état et le sol humide. Les conditions sanitaires dans le camp étaient très mauvaises, l’accès aux toilettes et aux douches étant limité. La fille des auteurs pleurait toutes les nuits parce qu’elle avait peur et très froid, et N. A. K. était malade. Les auteurs sont restés deux mois dans ce camp. Ils ont payé un avocat pour qu’il défende leur dossier et leur obtienne notamment un permis de séjour.

2.4Dans le camp, un médecin a dit à N. A. K. qu’elle avait un problème à l’estomac qui nécessitait un examen approfondi, mais qu’elle ne pouvait pas subir l’examen prescrit car elle n’avait pas d’assurance médicale.

2.5L’une des conditions à remplir pour obtenir un permis de séjour étant d’avoir une adresse, B. M. I. s’est rendu à Sofia pour louer un appartement tandis que les autres membres de la famille sont restés vivre dans le camp. À une date non précisée, les auteurs ont obtenu un permis de séjour et ont été informés qu’ils ne pouvaient pas rester dans le camp. Ils n’ont pas reçu de carte d’assurance maladie mais les autorités les ont informés qu’ils pourraient obtenir une aide médicale avec le permis de séjour.

2.6Les auteurs déclarent que, dès qu’ils ont reçu un permis de séjour pour la Bulgarie, ils ont été expulsés du camp et sont allés à Sofia dans un appartement en location. À une date non précisée, pendant leur séjour à Sofia, leur fille est tombée malade et a eu une forte fièvre. Ils se sont alors rendus au service des urgences de trois hôpitaux différents qui les ont renvoyés en leur expliquant que les hôpitaux n’admettaient pas les réfugiés et que, en outre, ils n’avaient pas de carte d’assurance maladie. Les auteurs ont dû alors solliciter l’aide de leurs voisins qui les ont conduits chez leur propre médecin.

2.7Les auteurs disposaient de ressources limitées et étaient préoccupés par leur situation économique et leur manque d’accès aux soins et à la sécurité, alors que N. A. K. était enceinte. Ils ont donc décidé de quitter la Bulgarie le 28 juin 2014. Ils sont arrivés au Danemark avec 20 euros seulement. Le 2 juillet 2014, N. A. K. a accouché dans un hôpital danois, deux jours seulement après leur arrivée au Danemark. On lui a dit que sa fille était faible et devait rester à l’hôpital en observation. N. A. K. a alors sombré dans la dépression et a exprimé à plusieurs occasions la volonté de se suicider. Les auteurs affirment que leur fille aînée a des difficultés respiratoires et qu’elle est suivie par une infirmière tous les quinze jours au Danemark.

2.8Le 14 juillet 2014, le Service danois de l’immigration a demandé aux autorités bulgares de réadmettre les auteurs et leurs enfants conformément au règlement Dublin III. Le 30 juillet 2014, les autorités bulgares ont informé le Service danois de l’immigration que les auteurs avaient obtenu le statut de réfugié en Bulgarie le 17 mars et le 14 avril 2014, respectivement. Le 9 octobre 2014, le Service danois de l’immigration a refusé l’asile aux auteurs, arguant que la Bulgarie était le pays de premier asile. Les auteurs considèrent que, étant donné que le règlement Dublin III ne régit pas la situation des personnes qui ont obtenu une protection internationale, leur demande d’asile ne devrait pas être rejetée au Danemark puisque la sûreté de leur séjour ne peut pas être garantie en Bulgarie. Le 20 janvier 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration déboutant les auteurs de leur demande d’asile au Danemark, indiquant que les auteurs pourraient résider en Bulgarie en tant que pays sûr de premier asile. Les auteurs ont été sommés de quitter le Danemark dans les quinze jours à compter de la date de la décision de la Commission de recours des réfugiés.

2.9Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles et utiles puisque la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 20 janvier 2015 est définitive et non susceptible d’appel. Ils n’ont pas saisi d’autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Ils affirment que la Commission de recours des réfugiés s’est fondée, pour rejeter leur demande, sur le fait qu’ils avaient obtenu le statut de réfugié et un permis de séjour en Bulgarie, qu’ils ne risquaient pas d’être refoulés de ce pays, qu’ils pouvaient légalement y entrer et y résider (en tant que pays de premier asile) et qu’ils pouvaient aussi y vivre dans des conditions socioéconomiques satisfaisantes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le Danemark violerait les obligations qui lui incombent au titre de l’article 7 du Pacte en les renvoyant de force, eux et leurs enfants mineurs, en Bulgarie, où ils seraient exposés à un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, car ils risqueraient de se trouver sans abri, dans le dénuement, privés de soins de santé et dans l’insécurité totale, étant donné qu’ils ne trouveraient pas en Bulgarie de solution humanitaire durable. B. M. I. craint aussi pour le bien-être de sa famille car sa femme souffre de tendances suicidaires à cause de sa dépression, et il redoute qu’elle se suicide s’ils sont renvoyés en Bulgarie. Il affirme en outre que leur fille aînée souffre de problèmes psychologiques à cause de ce qu’elle a vécu en République arabe syrienne et en Bulgarie, qu’elle a des difficultés respiratoires, qu’elle a peur et est suivie régulièrement par une infirmière, et qu’ils sont donc vulnérables et devraient être traités en conséquence.

3.2 Les auteurs renvoient d’autre part aux différents rapports établis par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Base de données sur l’asile concernant la situation en Bulgarie. D’après ces rapports, il n’existe pas de programme d’intégration digne de ce nom pour les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie, et ces personnes risquent de se retrouver dans la pauvreté, sans abri, privées de soins et d’éducation si elles sont renvoyées en Bulgarie. Ces rapports indiquent également que la Bulgarie connaît actuellement de graves problèmes de violence et de harcèlement xénophobes et que les autorités ne font rien pour y remédier. Les demandeurs d’asile et les réfugiés courent de ce fait un risque sérieux de subir des actes de racisme et de violence xénophobe, puisqu’ils ne peuvent pas réellement solliciter de protection auprès des autorités bulgares compétentes.

3.3Les auteurs renvoient à l’observation générale no 20 (1992) du Comité concernant l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il est dit que l’État partie a le devoir d’assurer à toute personne une protection contre les actes prohibés par l’article 7 du Pacte, que ceux-ci soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé. Les auteurs renvoient aussi aux rapports selon lesquels le principe du pays de premier asile n’est applicable que si, renvoyés dans le pays de premier asile, les demandeurs d’asile sont autorisés à y rester et s’ils sont traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues jusqu’à ce qu’une solution durable leur soit offerte.

3.4Les auteurs font valoir en outre que, d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les États parties sont tenus de diligenter une enquête chaque fois qu’une personne expulsée court un risque réel de subir des actes de torture ou un traitement inhumain ou dégradant. Ils font aussi observer que, d’après la jurisprudence de la Cour, les enfants ont des besoins particuliers et sont extrêmement vulnérables et les structures d’accueil pour les enfants doivent être adaptées à leur âge, de sorte qu’elles ne puissent engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes .

3.5Les auteurs affirment que, dans les circonstances actuelles, étant donné qu’ils ont fui la guerre civile en République arabe syrienne et compte tenu des conditions de vie déplorables des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié en Bulgarie, ils courent un risque réel d’être soumis, eux et leurs enfants, à un traitement inhumain et dégradant contraire à l’intérêt supérieur des enfants s’ils sont renvoyés en Bulgarie. Ils font valoir qu’en cas de renvoi, ils n’auront plus la possibilité de louer un appartement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 4 août 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication et demandé au Comité de lever les mesures provisoires. L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable, les auteurs n’ayant pas démontré que leurs griefs étaient à première vue recevables. Les auteurs n’ont pas invoqué de motifs sérieux montrant qu’ils risqueraient d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. La Commission de recours des réfugiés a constaté que les auteurs étaient en possession d’un permis de séjour en Bulgarie et n’auraient aucun problème avec les Bulgares et les autorités du pays. De plus, s’ils étaient renvoyés en Bulgarie, ils ne risqueraient pas d’être refoulés en République arabe syrienne.

4.2L’État partie fait valoir également que, si le Comité considérait que les griefs des auteurs sont recevables, il devrait estimer qu’ils ne sont pas étayés car les auteurs n’ont pas démontré que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. À cet égard, l’État partie fait observer que les auteurs n’ont fourni aucune nouvelle information essentielle sur leur situation personnelle au-delà des informations qui avaient déjà été invoquées dans le cadre de la procédure d’asile et dont la Commission de recours des réfugiés a tenu compte dans sa décision du 20 janvier 2015. L’État partie fait valoir que, tout au long de la procédure d’asile, ses autorités ont considéré : a) que les auteurs relevaient du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers parce qu’ils avaient des raisons légitimes de craindre qu’une forme de persécution précise, d’une certaine gravité, les viserait individuellement s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine ; et b) que les auteurs avaient obtenu le statut de réfugié en Bulgarie. La Commission a refusé d’accorder l’asile aux auteurs au titre du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers étant donné que la Bulgarie pouvait être considérée comme leur pays de premier asile. Si un demandeur d’asile a obtenu ou peut obtenir une protection dans le pays de premier asile, sa demande de permis de séjour peut être rejetée au Danemark. Pour déterminer si un pays peut être considéré comme pays de premier asile, la Commission vérifie si le demandeur d’asile y est protégé contre le refoulement et s’il pourra y entrer et y résider légalement et si son intégrité et sa sécurité y seront protégées. La notion de protection comprend aussi certains éléments sociaux et financiers, compte tenu des chapitres II à V de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Mais il ne peut être exigé que les demandeurs d’asile aient exactement les mêmes conditions sociales et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil. La notion de protection suppose que la sécurité personnelle des intéressés soit garantie au moment de leur entrée et au cours de leur séjour dans le pays considéré comme pays de premier asile. Lorsqu’elle détermine si la Bulgarie pourrait être considérée comme un pays de premier asile, la Commission vérifie, au minimum, si le demandeur d’asile y est protégé contre tout renvoi dans le pays de persécution.

4.3L’État partie fait valoir que, dans sa décision du 20 janvier 2015, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte du fait que les auteurs avaient réussi à obtenir des soins médicaux pour leur fille aînée et pour l’auteure, et qu’ils avaient aussi pu louer un appartement à Sofia. La majorité des membres de la Commission ont également fait observer qu’aucune précision médicale n’avait été fournie au sujet de la fille cadette et que, compte tenu des informations de référence disponibles, il était généralement admis que les personnes ayant obtenu le statut de réfugié et une protection en Bulgarie avaient les mêmes droits que les Bulgares. Après avoir examiné attentivement les déclarations des auteurs concernant leur séjour et leurs conditions de vie en Bulgarie, les informations générales de référence disponibles sur les conditions de vie dans ce pays, ainsi que la jurisprudence internationale applicable, la Commission a considéré que les auteurs jouiraient des droits sociaux voulus s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. À cet égard, l’État partie affirme que les déclarations des auteurs concernant les conditions d’accueil en Bulgarie ne sont pertinentes que pour les personnes relevant de la procédure Dublin et pas pour ce qui est de déterminer si un pays peut être considéré comme le pays de premier asile des auteurs.

4.4En ce qui concerne les conditions de vie en Bulgarie, et aussi la référence faite par les auteurs au rapport Trapped in Europe ’ s q uagmire : t he s ituation of a sylum s eekers and r efugees in Bulgaria , l’État partie relève qu’un nouveau programme d’intégration a été rendu public le 25 juin 2014. Ce programme doit être mis en œuvre à partir de 2015. Ses bénéficiaires seront beaucoup plus nombreux et la formation linguistique beaucoup plus accessible que dans le cadre du précédent programme. L’État partie souligne que le fait que les auteurs n’aient pas forcément accès à un programme d’intégration digne de ce nom en Bulgarie ne peut pas conduire en soi à une appréciation différente de la Bulgarie comme pays de premier asile.

4.5S’agissant de l’allégation des auteurs qui affirment risquer de se retrouver sans abri parce que les autorités cessent de verser une allocation mensuelle aux demandeurs d’asile dès lors que ceux-ci ont obtenu un permis de séjour, l’État partie fait valoir que les réfugiés acquièrent les droits et les obligations des Bulgares, sauf le droit de participer aux élections et d’occuper des postes pour lesquels la nationalité bulgare est requise. La Bulgarie, qui a enregistré 1 000 demandeurs d’asile par an au cours de la dernière décennie, a vu plus de 11 000 personnes déposer une demande d’asile en 2013, et elle n’était pas préparée à traiter un tel nombre de dossiers. Cela dit, les conditions dans les centres d’accueil se sont apparemment améliorées. L’État partie relève aussi que, d’après le HCR, la qualité de l’hébergement des demandeurs d’asile et la protection des personnes ayant le statut de réfugié après leur départ des centres d’enregistrement et d’accueil dépendent de leur emploi et de leur revenu, mais aussi de leur situation familiale. D’une façon générale, les familles réfugiées, en particulier celles qui ont de jeunes enfants, sont mieux acceptées par les propriétaires. À ce jour, aucune famille n’a jamais été obligée de quitter un centre d’enregistrement ou d’accueil sans avoir obtenu au préalable un logement, ou au moins des ressources pour pouvoir en louer un. Dans le même ordre d’idées, l’État partie conteste les allégations des auteurs qui affirment que, s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie, ils n’auraient aucun moyen d’accéder à un niveau de vie minimum faute de logement, ce qui signifie qu’ils se retrouveraient très probablement à la rue avec leurs enfants.

4.6Au sujet de l’accès aux services de santé et à des soins médicaux, l’État partie affirme que, d’après les informations de référence disponibles, les réfugiés en Bulgarie ont accès aux services de santé dans les mêmes conditions que les Bulgares, et que les soins médicaux sont gratuits si les demandeurs d’asile ou les réfugiés s’inscrivent auprès d’un médecin généraliste. Il considère par conséquent comme un fait que les auteurs auront accès aux services de santé et aux traitements dont ils ont besoin en Bulgarie. Il fait valoir également que, d’après la déclaration faite par N. A. K. devant la Commission de recours des réfugiés, les auteurs avaient été informés par un médecin que leur fille était en bonne santé physique mais qu’elle ne se sentait pas bien psychologiquement, et que N. A. K. elle‑même était dans un état satisfaisant. Il ressort en outre du dossier médical joint à la communication des auteurs en date du 6 février 2015 que les deux enfants avaient été suivies par une visiteuse de santé, qui les a jugées en bonne santé.

4.7S’agissant des griefs des auteurs concernant l’accès insuffisant de leurs enfants à l’éducation, l’État partie affirme que les bénéficiaires d’une protection internationale et les demandeurs d’asile de moins de 18 ans ont accès à l’éducation dans les mêmes conditions que les Bulgares. Cependant, avant de pouvoir s’inscrire dans une école municipale bulgare, les enfants réfugiés et demandeurs d’asile doivent avoir suivi avec succès un cours de langue. L’enseignement primaire est gratuit.

4.8Quant aux griefs des auteurs qui affirment que les réfugiés ne sont pas suffisamment protégés contre les actes de racisme, l’État partie note que les autorités bulgares ont condamné les agressions et les discours racistes et pris des mesures pour les réprimer. Il considère par conséquent que les auteurs peuvent solliciter une protection auprès des autorités bulgares s’ils subissent de tels actes.

4.9L’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré que pour apprécier s’il y avait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour se devait d’appliquer des critères rigoureux et ne pouvait éviter d’apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de cette disposition de la Convention. La Cour a en outre déclaré que les non‑nationaux qui étaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion ne pouvaient en principe revendiquer le droit de rester sur le territoire d’un État et de continuer à bénéficier de l’assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par l’État qui expulsait et qu’en l’absence de considérations humanitaires exceptionnellement impérieuses militant contre l’expulsion, le fait qu’en cas d’expulsion, le requérant connaîtrait une dégradation importante de ses conditions de vie matérielles et sociales n’était pas suffisant en soi pour donner lieu à une violation de l’article 3 de la Convention. La Cour a aussi rappelé que l’article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction et qu’il ne saurait non plus être tiré de l’article 3 un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie.

4.10En outre, l’État partie fait valoir qu’on ne saurait déduire de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c.  Suisseque des garanties individuelles doivent être obtenues auprès des autorités bulgares en l’espèce, avant qu’il soit possible de transférer les auteurs. La Commission de recours des réfugiés, après avoir évalué la situation particulière des auteurs et les informations de référence disponibles, a considéré que les auteurs n’avaient pas montré qu’il était probable qu’ils risqueraient de subir des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. À cet égard, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque. L’État partie fait de plus observer que les auteurs n’ont pas fait la preuve d’une quelconque irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni montré qu’il existait un facteur de risque dont les autorités de l’État partie n’auraient pas dûment tenu compte.

4.11L’État partie fait observer qu’en l’espèce, toutes les garanties d’une procédure régulière ont été appliquées aux auteurs. Il considère que les auteurs contestent simplement l’évaluation que la Commission de recours des réfugiés a faite, dans leur cas, de leur situation particulière et des informations de référence, et qu’ils cherchent à utiliser le Comité comme un organe de recours pour obtenir que les circonstances factuelles invoquées à l’appui de leur demande soient réexaminées. L’État partie rappelle donc que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission qui, en l’espèce, est mieux placée pour apprécier les faits.

4.12L’État partie affirme en outre que l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés n’était pas arbitraire et ne constitue pas un déni de justice, et donc qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute son appréciation des faits selon laquelle les auteurs n’ont pas établi qu’ils risquaient de subir des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. À la lumière de ce qui précède, l’État partie soutient que l’expulsion des auteurs vers la Bulgarie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires en date du 19 novembre 2015, les auteurs soutiennent que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Ils affirment qu’ils feraient l’objet d’un traitement inhumain et dégradant en ce qu’ils seraient forcés de vivre dans la rue et privés de logement, de nourriture ou d’installations sanitaires, sans perspective de trouver des solutions humanitaires durables.

5.2S’agissant de savoir si la Bulgarie peut être considérée, dans leur cas, comme le pays de premier asile, les auteurs font valoir que les informations de référence les plus récentes concernant les réfugiés détenteurs d’un permis de séjour temporaire montrent que la Bulgarie ne peut pas offrir aux réfugiés des conditions humanitaires élémentaires. Ils prétendent que, au minimum, un réfugié doit se voir offrir un logement et l’accès à un travail rémunéré ou à une allocation en attendant qu’un tel travail soit trouvé. Ils disent que ce minimum vital n’est pas accessible en Bulgarie.

5.3En ce qui concerne les conditions de vie en Bulgarie, les auteurs font valoir que l’État partie se trompe lorsqu’il considère que les résidents des centres d’accueil sont autorisés à rester dans ces centres plus longtemps après avoir obtenu le statut de réfugié ou une protection humanitaire. Ils réaffirment que les personnes titulaires d’un statut de protection valide rencontrent de sérieuses difficultés en Bulgarie pour ce qui est de trouver un abri élémentaire, d’accéder à des installations sanitaires et de se nourrir. Les auteurs renvoient à un rapport établi par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la suite de sa visite en Bulgarie, d’après lequel le système destiné à promouvoir l’intégration dans la société bulgare des réfugiés et autres bénéficiaires d’une protection internationale souffre toujours de graves déficiences. Dans son rapport, le Commissaire indique ensuite que plusieurs centaines de personnes reconnues comme réfugiées continuent de vivre dans des centres d’accueil parce qu’elles n’ont pas les moyens de vivre d’une façon autonome. Les autorités les autorisent à rester dans les centres ouverts jusqu’à six mois après l’obtention du statut de réfugié. Les auteurs citent également un rapport d’Amnesty International, où il est dit que les personnes reconnues comme réfugiées ont des problèmes d’accès à l’éducation, au logement, aux soins et à divers autres services publics. Ils affirment donc que les conditions de vie des réfugiés reconnus comme tels sont nettement insuffisantes et que les réfugiés font face à de graves problèmes d’intégration qui compromettent l’exercice de leurs droits sociaux et économiques, les exposant notamment à un risque sérieux de devenir sans abri, à des taux de chômage élevés, à être privés d’un véritable accès à l’éducation et à des difficultés d’accès aux services de santé publique. De plus, les auteurs déclarent que leurs conditions de vie en Bulgarie à leur retour seraient pires encore qu’avant leur départ pour le Danemark car ils seraient exclus des centres d’accueil du fait qu’ils y ont déjà été hébergés.

5.4En ce qui concerne la décision prise par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et consorts c.  les Pays-Bas et l ’ Italie, les auteurs font valoir que le problème n’est pas que les conditions de vie matérielles et sociales sont moins bonnes mais que les conditions de vie en Bulgarie sont inférieures aux normes humanitaires minimales fixées dans la conclusion no 58 du Comité exécutif du HCR sur le problème des réfugiés et des demandeurs d’asile quittant de façon irrégulière un pays où la protection leur a déjà été accordée. Les auteurs affirment qu’ils ont déjà vécu et connu la vie de réfugiés en Bulgarie, où ils n’ont pas reçu la moindre assistance financière ou médicale. C’est seulement parce que leur famille restée en République arabe syrienne les a aidés qu’ils ne se sont pas retrouvés sans abri.

5.5Les auteurs font observer que la décision adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse est pertinente dans leur cas puisque la Cour a considéré qu’en l’absence de structure d’accueil adaptée aux enfants, « les conditions en question atteindraient le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Les auteurs considèrent que des garanties individuelles, visant en particulier à préserver les enfants expulsés de la misère et de conditions d’hébergement éprouvantes, sont nécessaires comme l’a estimé la Cour.

5.6Les auteurs renvoient d’autre part aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Jasin et consortsc. Danemark, dans lesquelles le Comité a souligné que les États parties devaient accorder une attention suffisante au risque réel et personnel que court une personne si elle est expulsée. Cela supposait de procéder à une évaluation personnalisée du risque encouru par l’intéressée plutôt que de se fier à des rapports à caractère général et à l’hypothèse que l’intéressée, puisqu’elle avait bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, aurait en principe le droit de travailler et de recevoir des prestations sociales.

5.7Les auteurs soutiennent donc que leur grief est recevable et qu’ils ont fourni des raisons suffisantes pour justifier leur crainte d’être renvoyés en Bulgarie car ce pays ne peut pas être considéré comme pays de premier asile. Ils affirment que la Commission de recours des réfugiés n’a pas accordé un poids suffisant au risque réel et personnel auquel ils seraient exposés s’ils étaient renvoyés en Bulgarie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations complémentaires du 17 mai 2016, l’État partie renvoie à ses observations en date du 4 août 2015. S’agissant de la référence faite par les auteurs au rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’État partie fait observer que ce rapport fait partie des documents de référence de la Commission de recours des réfugiés depuis le 2 septembre 2015 et qu’il a donc été pris en compte dans l’appréciation que la Commission a faite du dossier.

6.2En ce qui concerne le chapitre consacré à la Bulgarie dans le rapport publié en 2015 par Amnesty International, La situation des droits humains dans le monde, l’État partie indique de même que les informations figurant dans le paragraphe mentionné par les auteurs ont également été prises en compte dans l’appréciation que la Commission de recours des réfugiés a faite du dossier.

6.3Quant à la référence faite par les auteurs aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, selon lesquelles les États parties doivent accorder une attention suffisante au risque réel et personnel que court une personne si elle est expulsée, l’État partie considère que cette jurisprudence exige que l’on effectue une évaluation personnalisée du risque encouru par l’auteur au lieu de se fier à des rapports à caractère général et à des hypothèses.

6.4À cet égard, le Gouvernement danois considère que l’affaire Jasin et consorts c.  Danemark diffère de l’affaire à l’examen sur des points essentiels : cette affaire concernait l’expulsion vers l’Italie d’une mère célibataire avec des enfants mineurs, dont le permis de séjour en Italie avait expiré, alors que l’affaire à l’examen porte sur l’expulsion vers la Bulgarie d’un couple marié avec des enfants mineurs. De plus, le permis de séjour détenu par l’auteur adulte dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark avait expiré lorsque celle-ci avait demandé l’asile au Danemark, alors que, dans l’affaire à l’examen, les auteurs étaient en possession de permis de séjour valides en Bulgarie lorsqu’ils avaient déposé leur demande d’asile, et possèdent toujours ces permis. L’État partie fait observer en outre que les autorités bulgares ont informé les autorités danoises que les auteurs avaient obtenu, le 17 mars 2014, le statut de réfugié en Bulgarie. De l’avis du Gouvernement, les deux affaires ne sont donc pas comparables.

6.5L’État partie relève d’autre part que les informations générales de référence dont dispose la Commission de recours des réfugiés proviennent de sources très diverses et sont confrontées aux déclarations faites par les demandeurs d’asile, notamment aux expériences qu’ils ont vécues. En l’espèce, les auteurs ont eu l’occasion de présenter des observations, par écrit et oralement, à plusieurs organes, et la Commission de recours des réfugiés a soigneusement examiné leur cas en tenant compte de façon détaillée de toutes les informations disponibles.

6.6L’État partie note que les auteurs n’ont fourni aucun nouveau renseignement sur la santé de N. A. K. Il se réfère donc une nouvelle fois aux informations générales évoquées précédemment, dont il ressort que l’intéressée pourra recevoir en Bulgarie les soins médicaux dont elle a besoin.

6.7L’État partie fait observer ensuite que le fait que les auteurs n’aient pas réussi à trouver du travail pendant les trois ou quatre mois qu’ils ont passés en Bulgarie après avoir obtenu un permis de séjour ne justifie pas une appréciation des faits différente. Il note que, d’après les informations fournies, les auteurs n’ont pas sollicité l’assistance des autorités. De plus, il n’est pas raisonnable d’exiger que tout le monde obtienne un emploi dans un délai aussi bref.

6.8L’État partie fait observer que, d’après les renseignements qu’ils ont fournis, les auteurs ont réussi à subvenir à leurs besoins dans les circonstances où ils étaient en Bulgarie car ils avaient des économies et étaient aidés financièrement par leur famille en République arabe syrienne. Ils ont aussi pu trouver un logement privé avant de quitter la Bulgarie de leur propre gré. En conséquence, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas fourni d’informations particulières quant aux droits dont ils n’auraient pas pu jouir en tant que réfugiés détenteurs d’un permis de séjour.

6.9L’État partie fait valoir d’autre part qu’il n’a aucune obligation juridique de contacter les autorités bulgares pour garantir l’entrée et le séjour des auteurs en Bulgarie. À cet égard, il fait observer que l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse concernait une famille ayant demandé l’asile en Italie. Cet arrêt s’inscrit donc dans le droit fil de la jurisprudence concernant les personnes et les familles bénéficiaires d’un permis de séjour italien, notamment de la décision d’irrecevabilité adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et consorts c. les Pays-Bas et l ’ Italie. Partant, l’État partie maintient qu’on ne saurait déduire de l’arrêt Tarakhel que les États parties sont tenus d’obtenir des garanties individuelles auprès des autorités bulgares avant d’expulser vers la Bulgarie une personne ou une famille nécessitant une protection qui est déjà titulaire d’un permis de séjour bulgare.

6.10L’État partie soutient que les auteurs n’ont pas démontré à première vue que leur communication était recevable au regard de l’article 7 du Pacte et estime que la communication devrait être déclarée irrecevable. Il réaffirme que les auteurs n’ont pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Par conséquent, l’État partie prie le Comité de réexaminer la demande de mesures provisoires.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il relève également que les auteurs ont déposé une demande d’asile qui a été rejetée par la Commission de recours des réfugiés le 20 janvier 2015. Les décisions de la Commission de recours des réfugiés n’étant pas susceptibles d’appel, les auteurs n’ont aucun autre recours à leur disposition. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Il considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont correctement expliqué pourquoi ils craignent que leur retour forcé en Bulgarie engendre un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que leur expulsion avec leurs deux enfants mineurs vers la Bulgarie, en tant que pays de premier asile, les exposerait à un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Il note que les auteurs se fondent, entre autres, sur la situation socioéconomique dans laquelle ils se trouveraient, notamment le fait qu’ils n’auraient pas accès à une aide financière ou sociale ni à des programmes d’intégration pour réfugiés et demandeurs d’asile, comme ils en ont fait l’expérience en tant que demandeurs d’asile et après avoir obtenu le statut de réfugié et un permis de séjour, ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie. Il prend note également des arguments des auteurs qui affirment que, puisqu’ils ont déjà bénéficié du dispositif d’accueil lorsqu’ils sont arrivés en Bulgarie et ont obtenu le statut de réfugié, ils n’auraient pas accès aux centres d’accueil à leur retour en Bulgarie, qu’ils ne seraient pas en mesure de trouver un logement et un emploi et que, en conséquence, ils se retrouveraient sans abri et seraient obligés de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle en outre sa jurisprudence, dont il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et qu’il appartient généralement aux organes des États parties au Pacte d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

8.4Le Comité relève que les faits suivants n’ont pas été contestés : la Bulgarie a accordé aux auteurs le statut de réfugié en mars et avril 2014, respectivement ; les auteurs ont obtenu des permis de séjour, et ils ont pu séjourner dans un camp pour demandeurs d’asile pendant plusieurs mois après avoir obtenu le statut de réfugié jusqu’à ce qu’ils louent un appartement choisi par leurs soins. Le Comité relève aussi que la Commission de recours des réfugiés a considéré que les auteurs n’avaient aucun problème avec les autorités bulgares ni avec des particuliers en Bulgarie, et qu’ils jouiraient des droits sociaux voulus s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. Le Comité relève en outre que les auteurs ont cité, à l’appui de leurs arguments, des rapports sur la situation générale des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie, dont il ressort que la durée de l’hébergement social (six mois) ne suffit pas à permettre aux intéressés de subvenir à leurs besoins, qu’il est extrêmement difficile pour les personnes protégées renvoyées en Bulgarie de trouver un logement et un emploi, et que les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie se retrouvent dans la pauvreté, sans abri et avec un accès limité aux soins de santé et à l’éducation si elles sont renvoyées dans ce pays. Néanmoins, le Comité prend aussi note des observations de l’État partie qui indique que, lorsqu’ils étaient en Bulgarie, les auteurs sont parvenus à obtenir des soins médicaux pour leur fille aînée et l’épouse du couple, même si c’était par des moyens détournés, que, dans la présente communication, aucun nouveau renseignement n’a été fourni sur la santé de N. A. K. et que celle-ci aura le droit, en tant que réfugiée, de recevoir le traitement médical dont elle a besoin si elle est renvoyée en Bulgarie. Il note en outre que, selon la Commission, les auteurs pouvaient louer un appartement à Sofia, et qu’il était généralement admis que les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection en Bulgarie avaient les mêmes droits que les Bulgares. Le Comité relève de plus que la Commission a considéré que les auteurs avaient des ressources suffisantes pour couvrir leurs besoins en Bulgarie, grâce à l’argent qu’ils avaient emporté de République arabe syrienne.

8.5Le Comité note que l’État partie a tenu en 2014des consultations avec les autorités bulgares, lesquelles ont confirmé que les auteurs avaient obtenu le statut de réfugié et avaient un permis de séjour valide en Bulgarie et qu’ils ne risquaient donc pas d’être refoulés en République arabe syrienne.

8.6Le Comité relève que le dossier dont il est saisi et les informations générales disponibles publiquement sur la situation des réfugiés et des demandeurs d’asileen Bulgariefont apparaître que le nombre de places disponibles dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et personnes renvoyées est sans doute insuffisant et que les conditions sanitaires dans ces centres sont souvent mauvaises. Il note aussi que, selon les informations dont il dispose, les personnes renvoyées qui, comme les auteurs, ont déjà bénéficié d’une forme de protection et des centres d’accueil lorsqu’elles étaient en Bulgarie, ne peuvent prétendre à un hébergement dans les camps au-delà de six mois après l’obtention du statut de protection. Il note en outre que, bien que les bénéficiaires d’une protection aient le droit de travailler et jouissent de droits sociaux en Bulgarie, le système social du pays ne permet généralement pas de prendre en charge toutes les personnes dans le besoin. Le Comité relève néanmoins que les auteurs n’étaient pas sans abri avant leur départ de Bulgarie et ne vivaient pas dans le dénuement. Le Comité note aussi que, d’après les déclarations qu’ils ont faites devant la Commission de recours des réfugiés, les auteurs avaient accès aux soins médicaux pendant leur séjour en Bulgarie. De même, les auteurs n’ont fourni aucun renseignement qui expliquerait pourquoi ils ne pourraient pas trouver du travail en Bulgarie ou solliciter la protection des autorités bulgares en cas de chômage. Dans ce contexte, le Comité note que les auteurs n’ont pas étayé leur grief relatif au risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel ils seraient personnellement exposés en cas de retour en Bulgarie. Le Comité estime que le simple fait que les auteurs puissent rencontrer des difficultés à leur retour en Bulgarie ne signifie pas en soi qu’ils seraient placés dans une situation de vulnérabilité particulière − et sensiblement différente de celle à laquelle nombre d’autres familles font face.

8.7Le Comité considère en outre que, bien que les auteurs contestent la décision des autorités de l’État partie de les renvoyer en Bulgarie en tant que pays de premier asile, ils n’ont pas expliqué pourquoi cette décision était manifestement déraisonnable ou arbitraire. Ils n’ont pas non plus fait valoir une quelconque irrégularité dans les procédures engagées devant le Service danois de l’immigration ou la Commission de recours des réfugiés. En conséquence, le Comité ne saurait conclure que le renvoi des auteurs en Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi des auteurs en Bulgarie ne constituerait pas une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte. Il ne doute pas, toutefois, que l’État partie informera dûment les autorités bulgares du renvoi des auteurs de sorte que ceux-ci et leurs enfants demeurent ensemble et soient pris en charge d’une manière adaptée à leurs besoins, compte tenu notamment de l’âge des enfants.