Communication présentée par :

Svetlana Mikhalchenko (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

27 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 septembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

22 juillet 2015

Objet :

Condamnation de l’auteure à une amende pour avoir distribué des tracts d’un parti politique

Question(s) de procédure :

Recevabilité – épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté d’expression; droit à un procès équitable – droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat

Article(s) du Pacte :

14 [par. 3 d)], et 19 lu conjointement avec l’article 2 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (114e session)

concernant la

Communication no 1982/2010 *

Présentée par :

Svetlana Mikhalchenko (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

27 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le22 juillet 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1982/2010, présentée par Svetlana Mikhalchenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteure de la communication est Svetlana Mikhalchenko, de nationalité bélarussienne, née en 1945. Elle se déclare victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’elle tient de l’article 14 [par. 3 d)] et de l’article 19 lu conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteure indique qu’elle était secrétaire à la branche locale du Parti communiste du Bélarus dans le district de Svetlogorsk de la ville de Gomel. Le 3 octobre 2009, elle distribuait des tracts de son parti dans la rue Zavodskaya à Gomel. L’auteure précise que les tracts étaient intitulés « Marche de gauche » et qu’elle en avait 299 exemplaires en sa possession.

2.2Alors qu’il lui restait 25 exemplaires, l’auteure a été arrêtée par plusieurs policiers. Ceux-ci l’ont conduite au poste de police local, ont confisqué ses tracts et établi un procès-verbal pour infraction administrative au titre du paragraphe 2 de l’article 22.9 du Code des infractions administratives, qui interdit la publication de documents imprimés n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable. L’auteure précise que la loi relative aux médias contient des dispositions s’appliquant aux publications imprimées à plus de 300 exemplaires, dont le non-respect constitue une violation de la disposition susmentionnée du Code des infractions administratives.

2.3L’auteure fait valoir qu’elle n’avait pas en sa possession le nombre d’exemplaires requis (300) pour que ces dispositions s’appliquent et que, par conséquent, l’arrestation et les poursuites dont elle a fait l’objet étaient arbitraires. Le 29 octobre 2009, le tribunal du district de Svetlogorsk a condamné l’auteure à une amende administrative d’un montant de 1 225 000 roubles bélarussiens; les 25 tracts confisqués devaient être détruits.

2.4L’auteure affirme qu’elle n’a pas pu se faire assister par un avocat de son choix. Elle indique en outre qu’elle ne comprend pas pourquoi il était nécessaire de restreindre sa liberté d’expression en l’arrêtant et en confisquant les tracts restés en sa possession.

2.5L’auteure indique qu’elle a fait appel de la décision rendue par le tribunal du district de Svetlogorsk devant le tribunal régional de Gomel, qui, le 25 novembre 2009, a rejeté son appel et confirmé dans son intégralité la décision de la juridiction inférieure. Une demande au titre de la procédure de contrôle a été rejetée par la Cour suprême du Bélarus le 11 février 2010. L’auteure soutient que les recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision sont « inutiles » car ces procédures sont discrétionnaires et ne donnent pas lieu à un réexamen complet de l’affaire. En se référant à la jurisprudence bien établie du Comité, l’auteure fait valoir que les recours internes ne doivent être épuisés que s’ils sont utiles.

2.6L’auteure soutient en outre que le tribunal régional de Gomel et la Cour suprême du Bélarus n’ont pas examiné ses griefs fondés sur les dispositions du Pacte ou les ont ignorés. En premier lieu, l’auteure a fait valoir devant ces juridictions que les dispositions de la loi relative aux médias ne s’appliquaient pas dans son cas étant donné qu’il y avait moins de 300 exemplaires du tract. Même si les dispositions en question devaient s’appliquer, les tribunaux n’ont pas expliqué quelles restrictions au titre du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte étaient applicables à son cas.

2.7Enfin, l’auteure fait observer qu’en signant le Pacte, le Bélarus a accepté de veiller à l’application de ses dispositions, y compris du paragraphe 2 de l’article 2, selon lequel l’État partie est tenu de prendre les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures, d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme qu’en l’arrêtant et en la condamnant à une amende administrative, l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 19, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

3.2Elle estime en outre que les droits qui lui sont garantis par le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés en ce qu’elle n’a pas pu se faire assister par l’avocat de son choix.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie a exprimé, eu égard à la présente communication et à plusieurs autres dont le Comité était saisi, sa préoccupation quant à l’enregistrement injustifié de communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui, estime-t-il, n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et, en particulier, n’ont pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée, en violation de l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie affirme que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (avocat, conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui allèguent la violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité ainsi que du droit de présenter des communications et qu’un tel enregistrement est contraire à l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait valoir qu’en tant que partie au Protocole facultatif, il reconnaît la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais qu’il n’a pas consenti à l’élargissement du mandat du Comité, en particulier en ce qui concerne l’interprétation que fait celui-ci des dispositions de la Convention et du Protocole facultatif (préambule et art. 1er), qui ne peut être valable que si elle est strictement conforme aux articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il considère que la présente communication et plusieurs autres ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif et qu’aucun motif de droit ne l’oblige à les prendre en considération, et indique que toute décision prise par le Comité au sujet de ces communications sera considérée nulle et non avenue. L’État partie ajoute que les références de ce point de vue à la pratique bien établie du Comité n’ont pour lui aucun caractère contraignant.

4.2Dans une note verbale datée du 25 janvier 2012, l’État partie ajoute qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait accepté, en vertu de l’article premier de cet instrument, de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation par l’État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Il note cependant que cette compétence était reconnue sous réserve de l’application d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles établissant les critères de recevabilité et les conditions à remplir par les auteurs, en particulier les articles 2 et 5. L’État partie soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif, laquelle ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il affirme qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. L’État partie ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec le Protocole facultatif et qu’il la rejettera sans faire la moindre observation sur la recevabilité ni sur le fond, et que toutes décisions du Comité concernant les communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme « nulles et non avenues ». L’État partie considère que la présente communication, ainsi que d’autres dont le Comité est saisi, ont été enregistrées en violation du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 1er septembre 2011, l’auteure fait valoir qu’en ratifiant le Protocole facultatif se rapportant au Pacte, les États parties reconnaissent que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte (« adopter des constatations ») et, conformément au paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte, pour adopter tous les rapports et les observations générales qu’il jugerait appropriés. Se référant à l’Observation générale no 33 (2008) sur les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’auteure fait observer que le paragraphe 13 se lit comme suit : « Les constatations du Comité au titre du Protocole facultatif constituent une décision qui fait autorité, rendue par l’organe institué en vertu du Pacte lui-même et chargé d’interpréter cet instrument. Ces constatations tiennent leur caractère, et l’importance qui s’y attache, du fait que le rôle conféré au Comité en vertu du Pacte et du Protocole facultatif forme un tout. ».

5.2L’auteure considère que, compte tenu de ce qui précède, l’État partie doit respecter non seulement les décisions du Comité, mais également son règlement intérieur, ses pratiques et ses méthodes de travail, conformément au principe « pacta sunt servanda », selon lequel les États parties doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international.

5.3Concernant l’argument de l’État partie selon lequel les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, en particulier la procédure de contrôle devant la Cour suprême, l’auteure fait valoir que cette procédure est discrétionnaire et ne peut être considérée comme utile. Elle fait observer que l’État partie a lui-même reconnu l’inefficacité de cette procédure, qui est telle qu’une personne condamnée à la peine capitale a été exécutée alors que la procédure de contrôle qu’elle avait introduite devant la Cour suprême du Bélarus était encore en cours d’examen.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’aucun motif de droit ne justifie l’examen de la communication présentée par l’auteure puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif et que, si une décision est adoptée par le Comité en l’espèce, elle sera considérée par les autorités comme « nulle et non avenue ».

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il ajoute que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre, en lui en donnant les moyens, d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure quelle qu’elle soit qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité relève que l’État partie a initialement contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, vu que l’auteure n’avait pas saisi le Bureau du Procureur général aux fins de la procédure de contrôle des décisions. Il relève en outre que, pour ce motif, l’État partie a contesté l’enregistrement de la communication puisqu’il avait eu lieu avant l’épuisement de « tous les recours internes ». Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle de l’État partie devant le Bureau du Procureur général, qui permet le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.4Le Comité prend note du grief de l’auteure, qui affirme que les droits qu’elle tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés en ce qu’elle n’a pu se faire représenter par l’avocat de son choix durant la procédure administrative. Toutefois, faute d’explications complémentaires ou d’autres éléments à l’appui de ce grief, le Comité considère que celui-ci n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et le déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, puisqu’il n’a pas adopté de mesures, d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus à l’article 19 du Pacte. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Le Comité considère également que les dispositions de l’article 2 ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la personne qui se dit lésée. Le Comité note toutefois que l’auteur a déjà invoqué une violation de ses droits au titre de l’article 19 due à l’interprétation et à l’application des lois en vigueur dans l’État partie. Le Comité ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, serait différent de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre de l’article 19. En conséquence, le Comité considère que les griefs de l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6À la lumière des informations dont il est saisi, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé les griefs soulevés au titre de l’article 19 du Pacte aux fins de la recevabilité, les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si l’arrestation de l’auteure pour distribution de tracts et la saisie des tracts restés en sa possession constituent une restriction injustifiée des droits qui lui sont garantis par l’article 19 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite ou imprimée. Il renvoie à son Observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il indique que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique.Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.

8.4Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou la moralité publiques. Le Comité souligne que si l’État partie impose une restriction aux droits garantis au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, c’est à lui qu’il incombe de prouver que cette restriction était nécessaire en l’espèce et que même si, en principe, un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à concilier la liberté d’un individu de répandre des informations et l’intérêt général qu’il y a à maintenir l’ordre public dans une zone déterminée, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’objet et le but de l’article 19 du Pacte.

8.5Le Comité relève que, d’après les informations versées au dossier, l’État partie n’a émis aucune observation sur le fond de la communication ni donné de justification ou raison expliquant en quoi, concrètement, l’arrestation de l’auteure, sa condamnation à une amende et la confiscation des tracts en sa possession étaient liées à l’un des motifs légitimes de restriction énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, même si ces trois mesures étaient autorisées par la loi. Le Comité relève que les autorités nationales n’ont pas expliqué pourquoi il était nécessaire de restreindre la liberté de l’auteure de rechercher, de recevoir et de répandre des informations pour garantir le respect des droits ou de la réputation d’autrui ou pour sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public ou encore la santé ou la moralité publiques.

8.6Compte tenu de ce qui précède et étant donné que l’État partie n’a communiqué aucune information pour justifier la restriction aux fins du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que l’auteure tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment en révisant sa législation nationale et l’application de celle-ci de manière à les rendre compatibles avec son obligation d’adopter des mesures propres à donner effet aux droits reconnus à l’article 19.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.

Appendice

Opinion individuelle (concordante) signée d’Anja Seibert-Fohr et de Yuji Iwasawa

Nous souscrivons aux conclusions tirées par le Comité au sujet de cette communication, mais nous sommes en désaccord avec une partie du raisonnement exprimé au paragraphe 7.5, où est examiné le grief de l’auteure qui fait valoir que l’État partie a manqué à ses obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, parce qu’il n’a pas adopté de mesures, d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus par cet article. Dans ce passage, le Comité laisse une nouvelle fois ouverte la possibilité qu’un individu puisse invoquer les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte conjointement avec une autre disposition du Pacte si le fait qu’un État partie manque à ses obligations découlant de ce paragraphe est « la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte touchant directement la personne qui affirme être victime ». Nous renvoyons à notre opinion conjointe dans l’affaire Kuznetsov et consorts c. Bélarus, dans laquelle nous exposons les raisons pour lesquelles le Comité aurait dû considérer que le grief de l’auteure au titre du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 19, était irrecevable au motif que les dispositions de ce paragraphe ne peuvent jamais être invoquées de la sorte, pas plus qu’elles ne peuvent être invoquées isolément. Le paragraphe 2 de l’article 2 ne confère pas à des individus le droit d’exiger d’un État partie qu’il adopte des mesures d’ordre législatif ou autre. Cette conclusion ne change pas lorsque ces dispositions sont lues conjointement avec un article protégeant un droit fondamental. Si des personnes sont lésées dans leurs droits par une loi qui viole un droit fondamental, ou par l’application d’une loi, ou encore par l’absence de loi, le Comité est compétent pour constater une violation des droits fondamentaux dans chacun de ces cas et recommander une mesure de réparation appropriée. Le fait d’ajouter une violation du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec une disposition de fond, n’accroîtrait en rien la protection de l’individu. Comme nous l’avions prédit dans la communication Kuznetsov et consorts c. Bélarus, le fait de laisser ouverte la possibilité de constater des violations conjointes au titre du paragraphe 2 de l’article 2 entraîne le Comité dans des discussions stériles qui absorbent un temps déjà limité qui serait plus utilement employé à examiner des questions plus importantes ou à rendre plus rapidement des décisions concernant un plus grand nombre de communications. Par conséquent, le Comité aurait dû reconnaître que le paragraphe 2 de l’article 2 ne peut pas être invoqué isolément ni conjointement pour faire valoir un grief dans une communication.