Nations Unies

CCPR/C/112/D/2114/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 2114/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Leonid Sudalenko(non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 octobre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

22 octobre 2014

Objet:

Droit à la liberté d’expression

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Droit à la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations

Article(s) du Pacte:

2 et 19

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2114/2011 *

Présentée par:

Leonid Sudalenko (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2114/2011 présentée par Leonid Sudalenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Leonid Sudalenko, de nationalité bélarussienne, né en 1966. Il se déclare victime de violations par le Bélarus du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que le 30 novembre 2010, alors qu’il rentrait de Lituanie, il a été fouillé par des agents du poste de douane d’Oshmyansky au point de passage «Kamenny Log» au Bélarus. Il indique qu’à l’époque il se préparait à participer en tant qu’observateur aux élections présidentielles qui devaient se dérouler le 19 décembre 2010 au Bélarus. Lors de la fouille, les douaniers ont saisi 10 brochures intitulées «Instructions à l’intention des observateurs temporaires des élections présidentielles au Bélarus». L’auteur fait valoir que, ce faisant, les autorités voulaient les empêcher, lui et les autres observateurs, de surveiller la situation pendant les élections.

2.2L’auteur indique que la saisie des documents par les douaniers se fondait sur l’article 14 de la loi relative à la lutte contre l’extrémisme en date du 4 janvier 2007 (ci‑après dénommée «la loi»). Sur la base de cette loi, le Gouvernement a adopté le règlement intitulé «Instructions aux fins de la coopération des autorités nationales dans la lutte contre l’extrémisme» en date du 28 juillet 2008 (ci-après «les instructions»). L’auteur indique que, bien que la loi prévoie la saisie du matériel d’information constituant une incitation à l’extrémisme ou faisant la propagande de l’extrémisme, dans la pratique les instructions permettent la saisie arbitraire de tout document imprimé «pour examen complémentaire».

2.3Le 1er décembre 2010, l’auteur a contesté la saisie des brochures auprès du chef du Comité des douanes, demandant la restitution immédiate des documents, dont on avait besoin avant et pendant l’élection. Il indique qu’en vertu de l’article 49 de la loi électorale, il aurait dû recevoir une réponse dans un délai de trois jours à compter du dépôt de sa plainte. N’ayant pas reçu de réponse du Comité des douanes, il a, le 7 décembre 2010, déposé auprès du tribunal de district d’Oshmyansky une plainte indiquant que, le 30 novembre 2010, les douaniers avaient porté atteinte à son droit de rechercher et de répandre des informations, tel que garanti par les articles 23 et 34 de la Constitution bélarussienne.

2.4Le tribunal de district d’Oshmyansky a rejeté son recours le 5 janvier 2011, arguant que les douaniers avaient suivi tous les règles et règlements applicables et avaient à juste titre «retenu» des imprimés. Les brochures ont alors été soumises à une «analyse par des experts» destinée à vérifier si leur contenu était «extrémiste». Le tribunal a indiqué que, si l’analyse ne révélait aucun contenu extrémiste, les brochures seraient restituées à l’auteur.

2.5L’auteur a fait appel de cette décision le 14 janvier 2011 auprès du tribunal régional de Grodno, affirmant que la saisie des brochures relatives à l’élection était arbitraire. L’auteur fait valoir que, si les douaniers ont le droit de saisir n’importe quel document, alors le règlement viole les dispositions de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans sa décision du 2 mars 2011 par laquelle il a débouté l’auteur, le tribunal régional de Grodno confirme la décision de la juridiction inférieure et indique que les autorités douanières ont restitué les brochures une fois qu’il avait été vérifié qu’elles ne contenaient aucun propos extrémiste.

2.6L’auteur indique que les brochures en question lui ont été restituées le 13 janvier 2011 seulement, soit après l’élection présidentielle du 19 décembre 2010. Il fait valoir qu’à ce moment-là il n’en avait plus besoin, et que la saisie temporaire des brochures avait pour objectif d’entraver ses activités de surveillance avant et pendant l’élection.

2.7L’auteur indique également que, le 11 avril et le 23 mai 2011, il a déposé deux demandes de révision auprès du Président du tribunal régional de Grodno et du Président de la Cour suprême du Bélarus, mais que ses demandes ont été rejetées le 16 mai et le 27 juin 2011 respectivement. Il fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes utiles et disponibles et fait observer qu’il aurait été inutile de former un nouveau recours, comme il ressort également de la jurisprudence de longue date du Comité concernant les demandes au titre de la procédure de contrôle adressées au Procureur général du Bélarus.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que l’incohérence entre l’article 14 de la loi et l’article 2 des instructions a entraîné la saisie arbitraire de ses brochures électorales en violation du droit à la liberté d’expression, en particulier de la liberté de répandre des informations sous quelque forme que ce soit, concernant l’élection présidentielle, conformément au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que, outre qu’elle constitue une violation des articles 34 et 23 de la Constitution, la saisie des documents en application de l’article 2 des instructions a constitué une restriction du droit à la liberté d’expression qui ne satisfaisait pas au critère de nécessité énoncé au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il estime que l’application de la législation nationale sans prise en considération des obligations contractées au titre du Pacte a aussi entraîné une violation des articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). En outre, l’auteur fait valoir que la non-conformité des instructions avec la loi a entraîné une violation du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 23 décembre 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, arguant que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes, puisqu’il n’avait pas formé de recours auprès du Procureur général en vue du contrôle de la décision.

4.2Dans une note verbale datée du 25 janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en devenant partie au Protocole facultatif, il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, qui se déclarent victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte. Cette compétence est reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs et les critères de recevabilité des communications, en particulier les articles 2 et 5. L’État partie maintient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que fait celui-ci des dispositions du Protocole. L’État partie fait valoir qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des communications, les États parties au Protocole facultatif doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions de ce Protocole et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, «ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci, qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que les décisions prises par le Comité au sujet de communications ainsi «rejetées» seront considérées par ses autorités comme «non valides».

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1Le 25 janvier 2012, commentant la contestation par l’État partie de la recevabilité de sa plainte, l’auteur a indiqué qu’il n’avait pas demandé au Procureur général de procéder à un contrôle de la décision de la juridiction inférieure parce que la procédure de contrôle par le Procureur général était une procédure purement discrétionnaire et ne pouvait être considérée comme un recours utile, ce qu’avait déjà confirmé le Comité dans sa jurisprudence.

5.2Dans une lettre du 21 mars 2012, l’auteur réaffirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles et disponibles. Il souligne que le Comité a déjà examiné la question de la procédure de contrôle et conclu que, pour être pris en considération aux fins de l’épuisement des recours disponibles, un recours doit être utile. En ce qui concerne les arguments de l’État partie mettant en cause la compétence du Comité pour établir son propre règlement intérieur, l’auteur fait valoir qu’en devenant partie au Pacte et au Protocole facultatif s’y rapportant, l’État partie a contracté l’obligation de respecter la compétence qu’a le Comité pour formuler des constatations, établir son règlement intérieur et élaborer des observations générales.

5.3Dans une lettre du 14 septembre 2012, l’auteur indique que, pour montrer l’inutilité de la procédure de contrôle du Procureur général, il a déposé une plainte auprès de son bureau le 24 mai 2012. Dans une lettre datée du 6 septembre 2012, le Procureur général a rejeté la plainte de l’auteur et a indiqué que les douaniers avaient agi en totale conformité avec les lois et règlements en vigueur.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.Le 4 janvier 2013, l’État partie a fait valoir que l’auteur avait formulé «un nouveau recours au titre de la procédure de contrôle» seulement après que sa communication avait été enregistrée auprès du Comité. Il déclare que cela constitue une violation de l’article 2 du Protocole facultatif, car l’auteur doit avoir épuisé tous les recours utiles avant de soumettre sa plainte au Comité.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

7.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisque celle-ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif et que toute décision adoptée par le Comité en l’espèce sera considérée par les autorités comme «non valide».

7.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait en outre observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1 du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre, en lui en donnant les moyens, d’examiner les communications reçues et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure quelle qu’elle soit qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de cette communication, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, au motif que l’auteur n’avait pas sollicité l’ouverture d’une procédure de contrôle auprès du Bureau du procureur. Il relève également que l’État partie a contesté l’enregistrement de la communication, parce qu’elle a été enregistrée avant l’épuisement de «tous les recours internes disponibles». Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la procédure de contrôle de l’État partie, qui permet le réexamen de décisions de justice passées en force de chose jugée, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, le fait que l’auteur ait sollicité l’ouverture d’une procédure de contrôle auprès du Bureau du procureur après avoir soumis la présente communication ne change rien à l’avis du Comité selon lequel une procédure de contrôle ne peut pas être considérée comme un recours interne utile. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

8.4Le Comité note que l’auteur affirme que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent au titre du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, car il n’a pas adopté les mesures d’ordre législatif ou autre propres à donner effet aux droits reconnus à l’article 19. Le Comité considère également que les dispositions de l’article 2 ne peuvent être invoquées dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif en conjonction avec d’autres articles du Pacte, sauf lorsque le non‑respect par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité note toutefois que l’auteur a déjà allégué une violation des droits consacrés à l’article 19, résultant de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et estime que l’examen d’une violation des obligations générales de l’État partie au titre du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, n’est pas différent de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre de l’article 19 du Pacte. Le Comité considère donc que les griefs de l’auteur à cet égard ne sont pas compatibles avec l’article 2 du Pacte et sont irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.5À la lumière des informations dont il est saisi, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs soulevés au titre de l’article 19 du Pacte aux fins de la recevabilité. En conséquence, il les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit d’abord déterminer si la saisie des brochures électorales qui étaient en possession de l’auteur constitue une violation des droits qui sont reconnus à l’auteur au titre de l’article 19 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite ou imprimée. Il renvoie à son Observation générale no34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il indique que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire (par. 22).

9.4Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité souligne que si un État partie impose une restriction aux droits garantis au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, c’est à lui qu’il incombe de prouver que cette restriction était nécessaire en l’espèce, et que même si, en principe, un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à concilier la liberté d’un individu de répandre des informations et l’intérêt général qu’il y a à maintenir l’ordre public dans une zone déterminée, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’objet et le but de l’article 19 du Pacte.

9.5Le Comité relève que l’État partie n’a pas soumis d’observations sur le fond de la communication ni de justification ou raison expliquant en quoi, concrètement, la saisie des brochures électorales en question relevait de l’un des motifs légitimes de restriction énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, même si cette saisie était autorisée par la loi. Le Comité relève également que les autorités n’ont pas expliqué pourquoi il était nécessaire de restreindre la liberté de l’auteur de rechercher, de recevoir et de répandre des informations pour garantir le respect des droits ou de la réputation d’autrui ou pour sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public ou encore la santé ou la moralité publiques.

9.6Compte tenu de ce qui précède et étant donné que l’État partie n’a communiqué aucune information pour justifier la restriction du droit de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer une réparation effective à l’auteur, sous la forme notamment d’une indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.

Appendices

Appendice I

[Original: anglais]

Opinion individuelle (concordante) de Gerald L. Neuman

J’approuve entièrement les conclusions du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication, mais je joins la présente opinion individuelle afin d’exprimer ma préoccupation au sujet du raisonnement suivi par le Comité au paragraphe 8.4 de ses constatations. Dans ce paragraphe, la majorité reprend la formule dite Poliakov, qui rejette la recevabilité du grief de violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec un autre article protégeant un droit fondamental, mais laisse ouverte la possibilité que dans d’autres situations, un grief de violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec un article protégeant un droit fondamental soit recevable. Pour les raisons exposées dans de précédentes opinions individuelles, je crois que le Comité devrait conserver l’interprétation qu’il fait traditionnellement du paragraphe 2 de l’article 2 et affirmer sans ambiguïté que de tels griefs n’existent pas et sont toujours irrecevables. L’expérience, depuis juillet 2014, confirme que laisser cette possibilité ouverte entraîne le Comité dans des débats improductifs sans qu’il en ressorte aucune contribution concrète pour la protection des droits de l’homme. Je compte bien qu’un jour le Comité abandonnera cette formule.

Appendice II

[Original: espagnol]

Opinion individuelle (concordante) de Victor Manuel Rodríguez-Rescia

1.Bien que parfaitement d’accord avec les conclusions du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication pour ce qui est de la violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, je dois exprimer mon désaccord avec l’interprétation que fait le Comité du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, au paragraphe 8.4 de la présente communication ainsi que dans d’autres affaires reprenant la formule utilisée dans les constatations adoptées par le Comité concernant la communication no 2030/2011 (Poliakov c. Bélarus). À mon sens, l’application du paragraphe 2 de l’article 2 doit être la suivante: lorsqu’une loi nationale est contraire à un droit fondamental consacré dans le Pacte, comme c’est le cas en l’espèce en ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 19, alors cette loi doit être modifiée de telle manière qu’elle cesse de faire obstacle à l’exercice du droit de recevoir et de répandre des informations. Dans le cas d’espèce, l’article 14 de la loi bélarussienne relative à la lutte contre l’extrémisme en date du 4 janvier 2007 et son règlement d’application du 28 juillet 2008 prévoient la saisie de matériel d’information pouvant constituer une incitation à l’extrémisme ou faire la propagande de l’extrémisme. Ce terme, large et indéfini, se prête à ce qu’il en soit fait usage, au Bélarus, dans le but de restreindre arbitrairement l’accès à l’information, la diffusion d’idées et la liberté d’expression, en recourant de façon généralisée à la confiscation de tous types d’information au prétexte de réaliser un «examen complémentaire». C’est ce qui a été fait, dans le cas d’espèce, pour limiter l’exercice par l’auteur du droit consacré au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Parce qu’il est question d’un cas particulier dans lequel cette loi a été appliquée, et qu’il ne s’agit pas d’engager un débat général et abstrait sur l’existence et l’application de cette loi, le Comité aurait dû constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19.

2.Dans le cas d’espèce, tant l’existence que l’application directe de cette loi nationale dans un cas spécifique constituent une raison suffisante pour que le Comité modifie sa pratique restrictive consistant à ne pas constater de violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec un autre article protégeant un droit fondamental. Dans la présente affaire, l’auteur a invoqué cette violation et a démontré que l’application de la loi avait entraîné une violation des droits qu’il tenait du paragraphe 2 de l’article 19.