Nations Unies

CCPR/C/112/D/2117/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 2117/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Halima Louddi (représentée par Philippe Grant de l’organisation Track Impunity Always (TRIAL), association suisse contre l’impunité)

Au nom de:

Hacen Louddi (fils de l’auteure) et l’auteure

État partie:

Algérie

Date de la communication:

19 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 septembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 octobre 2014

Objet:

Disparition forcée

Questions de fond:

Droit à un recours utile; droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; et protection de la vie familiale

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Articles du Pacte:

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par.1), 16 et 23 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2117/2011 *

Présentée par:

Halima Louddi (représentée par Philippe Grant de l’organisation Track Impunity Always (TRIAL), association suisse contre l’impunité)

Au nom de:

Hacen Louddi (fils de l’auteure) et l’auteure

État partie:

Algérie

Date de la communication:

19 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2117/2011 présentée par Halima Louddi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteure de la communication datée du 19 septembre 2011 est Halima Louddi, née le 16 janvier 1934 à Bordj el Kifane en Algérie. Elle fait valoir que son fils, Hacen Louddi, né le 1er septembre 1960, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16 et 23 (par. 1) du Pacte. L’auteure allègue également qu’elle-même et sa famille sont victimes de violations des articles 2 (par. 3), 7 et 23 (par. 1) du Pacte. Elle est représentée par Philippe Grant de l’organisation TRIAL.

1.2Le 19 septembre 2011, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’accorder les mesures de protection sollicitées par l’auteure et a demandé à l’État partie de ne pas invoquer la législation nationale, notamment l’ordonnance no 06-01, du 27 février 2006, portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contre l’auteure et les membres de sa famille, en raison de la présente communication.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le fils de l’auteure, Hacen Louddi, éducateur de profession, a été interpellé par des policiers une première fois aux environs du 20 mars 1995. À cette occasion, il a été emmené au Commissariat d’El-Harrach pour interrogatoire puis a été libéré sans aucune inculpation. Peu de temps après, le 9 avril 1995 à 14 h 15, des policiers vêtus en civil et circulant à bord de deux véhicules banalisés se sont présentés au lycée de Boumati El‑Harrach, où Hacen Louddi travaillait. Ils ont demandé au proviseur du lycée de convoquer ce dernier dans son bureau, ils ont contrôlé son identité, puis ils l’ont conduit vers leurs véhicules à l’extérieur de l’établissement. Le lendemain, le proviseur a informé par courrier le Directeur de l’Académie d’Alger de l’arrestation de Hacen Louddi.

2.2Selon divers témoins, les deux voitures utilisées lors de l’arrestation de Hacen Louddi appartenaient à la police, et plus particulièrement au Poste de commandement opérationnel (PCO) de Châteauneuf. Par la suite, plusieurs personnes détenues au PCO de Châteauneuf ont confirmé que Hacen Louddi y avait été détenu au secret pendant sept mois environ avant de disparaître. Il y a été vu pour la dernière fois dans la nuit du 18 novembre 1995 par un de ses codétenus, qui l’a vu être emmené hors de sa cellule.

2.3Depuis l’arrestation de Hacen Louddi le 9 avril 1995 et sa disparition subséquente, sa famille n’a jamais cessé d’effectuer des démarches en vue de le retrouver. En 1995, l’auteure et sa famille ont déposé une plainte auprès du Procureur général de Bir-Mourad-Raïs. Le 28 octobre 1995, l’auteure a envoyé une plainte au Procureur général de la cour de Tizi-Ouzou. Aucune de ces plaintes n’a donné lieu à l’ouverture d’une enquête. Le 4 février 1996, le père de Hacen Louddi a déclaré la disparition de son fils à des organisations non gouvernementales algériennes, ce qui a abouti à la publication de son profil sur le site Algeria-Watch. Le 28 mars 1996, l’auteure a écrit au Ministre de la justice. Elle n’a jamais reçu de réponse à cette correspondance.

2.4Le 19 octobre 1998, la famille a signalisé le cas de Hacen Louddi au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l’Organisation des Nations Unies. Malgré les démarches du Groupe de travail, l’État partie n’a apporté aucune clarification sur le sort de la victime.

2.5L’épouse de la victime, Lamia Louddi, a également entrepris des démarches pour retrouver son mari, en engageant le 29 octobre 1998 des poursuites contre X pour crime d’enlèvement auprès du ministère public de la cour d’Alger. Le 12 avril 1999, une instruction a été ouverte à la demande du Procureur de la République. Ce dernier a auditionné plusieurs témoins qui ont attesté avoir été détenus dans la même cellule que Hacen Louddi au PCO de Châteauneuf. Un de ces témoins, libéré le 3 juin 1995, affirme avoir laissé la victime au PCO de Châteauneuf à cette date. Un second détenu rapporte avoir vu Hacen Louddi en ce lieu jusqu’à sa propre libération le 15 novembre 1995. Dans une déclaration écrite, un troisième témoin affirme également avoir vu Hacen Louddi vivant à cette période et avoir partagé sa cellule au PCO de Châteauneuf durant un mois, entre le 17 octobre et le 18 novembre 1995, date à laquelle Hacen Louddi a été sorti de sa cellule et n’a plus jamais été revu.

2.6Malgré ces témoignages, le juge d’instruction a rendu le 27 octobre 1999 une ordonnance de non-lieu, au motif que les responsables de la disparition de Hacen Louddi étaient inconnus. Un recours interjeté par l’épouse de Hacen Louddi a abouti le 14 décembre 1999 à une décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger. Cette décision annule l’ordonnance de non-lieu et renvoie le dossier au juge d’instruction pour un complément d’enquête, avec instruction d’examiner le registre du PCO de Châteauneuf afin de déterminer quelles personnes y travaillaient à l’époque, et procéder à leur confrontation avec les témoins. Le 27 juin 2004, une commission rogatoire a été adressée au directeur des services de sécurité de la wilaya d’Alger afin d’établir l’identité des employés à la date des événements, mais cette demande est restée sans réponse. Le 25 décembre 2004, le Procureur a émis une seconde ordonnance de non-lieu, au motif que Hacen Louddi ne figurait pas dans le registre des prévenus du Service central de la répression du crime pour la sûreté nationale de l’année 1995. Le 29 décembre 2004, l’épouse de Hacen Louddi a fait appel de cette ordonnance. Le 1er février 2005, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger, considérant que «le juge d’instruction ne s’est pas acquitté de l’ensemble de ses obligations nécessaires à la clôture de l’affaire», a annulé l’ordonnance de non-lieu, et renvoyé une nouvelle fois le dossier au même juge d’instruction.

2.7Entre temps, afin de pouvoir bénéficier des indemnisations versées aux familles de victimes de la «tragédie nationale», l’épouse de Hacen Louddi a demandé un constat officiel de disparition de son mari, qui a été établi par la Direction générale de la sûreté nationale le 8 mai 2006. Un autre constat de disparition a été émis par la gendarmerie nationale le 18 octobre 2006 suite à la demande en ce sens déposée par le père du disparu.

2.8Le 27 mars 2007, une troisième ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge d’instruction qui s’est notamment basé sur le fait que suite à l’établissement des constats officiels de disparition de la victime, son épouse pouvait obtenir une indemnisation sans avoir besoin de poursuivre la procédure judiciaire. Le 29 avril 2007, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger a confirmé l’ordonnance de non-lieu. L’épouse du disparu a introduit une demande de pourvoi devant la Cour suprême algérienne. Celle-ci fut rejetée le 29 septembre 2009, au motif que l’ordonnance de non-lieu était correctement motivée en ce qu’elle concluait que les recherches étaient restées infructueuses puisque les responsables de la disparition de Hacen Louddi n’avaient pas pu être identifiés.

2.9Parallèlement à cette procédure judiciaire, le 21 octobre 2007, la section des affaires familiales de la cour d’Alger a officiellement reconnu la disparition de Hacen Louddi depuis le 9 avril 1995. Le 4 mars 2008, un récépissé de dépôt d’indemnisation a été établi au nom de l’épouse du disparu.

2.10L’auteure a par ailleurs adressé de nombreux courriers à l’Observatoire national des droits de l’homme et la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, mais ces lettres sont restées sans réponse.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue que son fils est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie telle que définie par l’article 7, paragraphe 2 i), du Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) et par l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En effet, sa disparition depuis le 9 avril 1995 fait suite à son arrestation par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions et à sa détention au PCO de Châteauneuf, institution placée sous l’autorité de l’État partie.

3.2L’auteure, qui ignore toujours si son fils est décédé pendant sa détention ou encore en vie, souligne que l’État partie était tenu de prendre des mesures en vue de garantir le droit à la vie de Hacen Louddi puisqu’il était placé sous sa responsabilité. Le fait que l’État partie ne soit pas en mesure de donner des informations exactes et cohérentes sur ce qu’il est advenu d’une personne placée sous son autorité indique que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires afin de la protéger pendant sa détention, en violation de l’article 6, paragraphe 1, du Pacte. L’auteure maintient par ailleurs que lorsqu’une disparition forcée s’inscrit sur une longue durée, comme dans le cas de Hacen Louddi, qui a maintenant disparu depuis presque vingt ans, elle constitue en elle-même une violation du droit à la vie garantit par l’article 6, paragraphe 1, du Pacte.

3.3L’auteure, se référant à la jurisprudence du Comité, maintient que la disparition forcée constitue en soi une violation de l’article 7 du Pacte puisque l’enlèvement et la disparition de son fils, qui a été empêché de communiquer avec sa famille et le monde extérieur, constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant. L’auteure insiste sur le fait que la disparition forcée est un crime complexe composé d’un large faisceau de violations des droits de l’homme, qui ne saurait être réduit à la seule détention au secret. Il considère que la détention au secret constitue une violation autonome de l’article 7 du Pacte et que le Comité ne devrait pas retenir ce seul aspect.

3.4Poursuivant ses références à la jurisprudence du Comité, l’auteure considère qu’elle-même et sa famille sont victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte en raison de l’incertitude qui règne autour des circonstances dans lesquelles Hacen Louddi a disparu et sur ce qui lui est arrivé, ce qui constitue une source d’angoisse et de souffrance profondes et continues.

3.5L’auteure soutient par ailleurs que l’arrestation et la détention au secret de son fils, qui n’ont toujours pas été reconnues par l’État partie, constituent une arrestation et une détention arbitraires en violation de l’article 9, paragraphes 1 à 5, du Pacte. En effet le disparu a été arrêté sans qu’un mandat ne soit présenté; il ne s’est pas vu notifier les raisons de son arrestation, ni les accusations dont il faisait l’objet. Il n’a jamais été présenté devant une autorité judiciaire et il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. De plus, aucune réparation pour son arrestation et sa détention arbitraires n’a été versée aux membres de sa famille.

3.6Selon l’auteure, son fils est également victime d’une violation de son droit à être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine pendant sa détention, en violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte. L’auteure rappelle à cet effet la jurisprudence du Comité selon laquelle une disparition forcée constitue une violation de l’article 10 du Pacte.

3.7L’auteure considère que son fils n’a pas pu jouir de ses droits essentiels en raison de sa détention au secret, en violation de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique garanti par l’article 16 du Pacte. L’auteure se réfère à la jurisprudence du Comité, selon laquelle la soustraction intentionnelled’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de sa reconnaissance devant la loi, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et, en même temps, si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice, sont systématiquement empêchés. Dans de telles situations, les personnes disparues sont, dans les faits, privées de leur capacité d’exercer leurs droits et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État, ce qui doit être interprété comme le refus de la reconnaissance de la personnalité juridique de telles victimes.

3.8L’auteure allègue que la disparition forcée de Hacen Louddi l’a gravement déstabilisée ainsi que le reste de sa famille. Leur vie de famille a été anéantie: elle a été privée de son fils et la femme et les enfants de Hacen Louddi ont respectivement perdu leur mari et père en violation de l’article 23, paragraphe 1, du Pacte, l’État partie ayant failli à son devoir de protéger leur droit à la vie familiale.

3.9Finalement, l’auteure souligne que son fils a été empêché d’exercer son droit d’exercer un recours contre sa détention et les violations alléguées des articles 7, 9, 10 (par. 1), 16 et 23 du Pacte en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte. L’auteure allègue également que tant que la vérité sur le sort de la personne disparue n’a pas été établie, l’État partie a l’obligation en vertu de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 6 (par. 1) du Pacte, de mener une enquête approfondie sur la disparition forcée, d’informer ses proches des avancées et des résultats de l’enquête et de poursuivre les responsables de la disparition forcée. L’auteure note que l’État partie n’a pas entrepris de simples mesures qui auraient été utiles dans le cadre de l’enquête surla disparition forcée de Hacen Louddi, comme l’identification des personnes de garde au PCO de Châteauneuf le jour de l’arrestation de Hacen Louddi et leur confrontation aux différents témoins afin de clarifier le sort du disparu. L’auteure considère que l’enquête menée n’était pas effective et que l’adoption et le maintien de l’ordonnance no 06-01 consacre l’impunité des responsables des disparitions forcées, porte atteinte au recours effectif, et est incompatible avec les dispositions du Pacte relatives au droit à un recours utile.

3.10L’auteure soutient que les voies de recours internes ont été épuisées puisque la disparition de Hacen Louddi a fait l’objet d’une décision de la Cour suprême datée du 29 septembre 2009, par laquelle elle a rejeté le recours de l’épouse du disparu qui contestait l’effectivité de l’enquête menée par le Procureur de la République, et que le juge d’instruction a prononcé un non-lieu de l’affaire le 27 mars 2007, lequel a été confirmé par la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger le 29 avril 2007.

3.11L’auteure demande au Comité d’ordonner à l’État partie de a) remettre Hacen Louddi en liberté si ce-dernier est encore en vie, b) de mener une enquête prompte, approfondie et efficace sur sa disparition, c) de rendre compte à l’auteure et à sa famille des résultats de cette enquête, d) d’engager des poursuites à l’encontre des personnes responsables de la disparition de Hacen Louddi, de les traduire en justice et de les punir conformément aux engagements internationaux de l’État partie, et e) d’offrir une réparation appropriée aux ayants droit de Hacen Louddi, des graves préjudices moraux et matériels qu’ils ont subis depuis sa disparition.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 11 avril 2013, l’État partie a soumis une note verbale dans laquelle il se contente de faire un renvoi à son «Mémorandum de référence du Gouvernement algérien relatif à l’irrecevabilité des communications individuelles introduites devant le Comité des droits de l’homme en rapport avec la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale», ainsi qu’à son mémoire additif concernant l’irrecevabilité de la communication Ces documents avaient été transmis au Comité dans le cadre de plusieurs communications antérieures, et l’État partie n’a pas soumis d’exemplaires desdits mémorandum et mémoire, ni d’observations spécifiques sur la présente communication.

4.2La teneur de ces documents a été transcrite dans plusieurs constatations adoptées par le Comité. L’État partie demandait au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrits par les auteurs et de tenir compte du contexte sociopolitique et sécuritaire dans lequel ils s’inscrivent, de conclure que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes, de reconnaître que les autorités de l’État partie ont mis en œuvre un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications en cause selon un dispositif de paix et de réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquents, de déclarer la communication irrecevable et de renvoyer les auteurs à mieux se pourvoir.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 août 2013, l’auteure a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Il relève que l’État partie a accepté la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers. Cette compétence est de nature générale et son exercice par le Comité n’est pas soumis à l’appréciation de l’État partie. Il appartient au Comité de faire une telle appréciation lorsqu’il procède à l’examen de la communication. L’auteure considère que l’adoption par l’État partie d’un mécanisme interne global de règlement ne saurait constituer une cause d’irrecevabilité d’une communication. En l’espèce, les mesures législatives adoptées pour la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale constituent en elles-mêmes une violation des droits contenus dans le Pacte, comme le Comité l’a déjà relevé.

5.2L’auteure rappelle que la promulgation de l’état d’urgence le 9 février 1992 par l’État partie n’affecte nullement le droit des individus de soumettre des communications au Comité. L’article 4 du Pacte prévoit en effet que la proclamation de l’état d’urgence permet de déroger à certaines dispositions du Pacte uniquement et n’affecte donc pas l’exercice de droits découlant de son Protocole facultatif.

5.3L’auteure réitère que suite à l’arrestation de son fils, les autorités de l’État partie ont été dûment informées de sa disparition, mais que l’enquête qui a été diligentée n’était pas effective puisque les responsables n’ont pas pu être identifiés et que la procédure s’est conclue par une ordonnance de non-lieu.

5.4L’auteure rappelle également l’interdiction d’engager des poursuites, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité en vertu de l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. L’auteure conclut que l’ordonnance no 06-01 a mis un terme à toute possibilité d’action civile ou pénale pour les crimes commis par les forces de sécurité durant la guerre civile, et que les juridictions algériennes sont obligées de déclarer irrecevable toute action en ce sens.

5.5Finalement, l’auteure note que l’État partie se contente de renvoyer à son mémorandum de référence et à son mémoire additif et qu’il ne réfute pas les violations alléguées. Il considère donc que le Comité devra se prononcer sur la base des informations existantes et que les allégations de l’auteure doivent être considérées comme avérées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Le Comité rappelle qu’avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer tout d’abord si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas de Hacen Louddi a été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Hacen Louddi par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la présente communication irrecevable en vertu de cette disposition.

6.3Le Comité note que, afin de contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de faire un renvoi à son mémorandum de référence et à son mémoire additif, sans en fournir d’exemplaires. Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparition forcée et d’atteinte au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. La famille de Hacen Louddi a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de l’intéressé, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse afin d’identifier et poursuivre les responsables de sa disparition forcée, puisqu’une ordonnance de non-lieu a finalement été rendue le 27 mars 2007 par le juge d’instruction et confirmée par la Cour suprême le 29 septembre 2009. En outre, l’État partie n’a pas apporté d’élément permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible était ouvert, l’ordonnance no 06-01 continuant d’être appliquée bien que le Comité ait recommandé qu’elle soit mise en conformité avec le Pacte. Le Comité conclut par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations dans la mesure où celles-ci soulèvent des questions au regard des articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16 et 23, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Le Comité constate cependant que l’auteure n’a pas présenté de demande de compensation auprès des autorités de l’État partie pour la détention arbitraire ou illégale de son fils et que la violation alléguée de l’article 9 (par. 5) n’est donc pas recevable. En conséquence, le Comité procède à l’examen de la communication sur le fond concernant les violations alléguées des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16 et 23.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties.

7.2L’État partie n’a pas soumis d’observations, se contentant de faire un renvoi à son mémorandum de référence et à son mémoire additif soumis à titre d’observations sur la recevabilité de diverses communications individuelles présentées contre l’État partie pour des cas de disparitions forcées lors de la «tragédie nationale». Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence des modifications recommandées par le Comité, il considère que l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteure sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la règle relative à la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteure d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteure dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité note l’affirmation de l’auteure selon laquelle son fils, Hacen Louddi, a été arrêté devant témoins sur son lieu de travail par des agents de police rattachés au PCO de Châteauneuf le matin du 9 avril 1995, et qu’il a disparu depuis cette date. Le Comité note que des témoins ont déclaré que Hacen Louddi avait été détenu au secret au PCO de Châteauneuf pendant quelques mois avant de disparaître définitivement le 18 novembre 1995. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de clarifier ce qu’il lui était advenu alors qu’il était placé sous sa responsabilité. Il rappelle que dans le cas de disparition forcée, le fait de priver une personne de liberté puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de montrer qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Hacen Louddi. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Hacen Louddi, en violation de l’article 6, paragraphe 1, du Pacte.

7.5Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que Hacen Louddi a été arrêté le 9 avril 1995 par des policiers du PCO de Châteauneuf, où il a été vu pour la dernière fois par un codétenu dans la nuit du 18 novembre 1995 et que l’on ignore depuis ce jour ce qu’il est devenu. En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Hacen Louddi.

7.6Le Comité prend également acte de l’angoisse et de la détresse que la disparition de son fils cause à l’auteure et à sa famille, y compris l’incertitude sur ce qu’il lui est advenu et le fait qu’aucune enquête effective n’ait permis de clarifier le sort du disparu. Le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure et de sa famille.

7.7En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que Hacen Louddi a été arrêté sans mandat le 9 avril 1995 par des policiers, qu’il n’a pas été inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention, et qu’aucune information officielle sur son sort n’a été donnée à ses proches. En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

7.8S’agissant du grief tiré de l’article 10, paragraphe 1, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Compte tenu de la détention au secret de Hacen Louddi, et en l’absence d’informations de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut à une violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte.

7.9S’agissant du grief de violation de l’article 16, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (art. 2 (par. 3) du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication sur ce qu’est devenu Hacen Louddi, malgré les multiples demandes que l’auteure et sa famille ont faites en ce sens. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Hacen Louddi depuis près de vingt ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.10Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 23, paragraphe 1, du Pacte.

7.11L’auteure invoque l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, la famille de Hacen Louddi a alerté les autorités compétentes de la disparition de ce dernier, mais l’enquête diligentée par le Procureur de la République n’a rien donné et ne peut pas être considérée comme une enquête effective. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale prive désormais l’auteure et sa famille de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme la disparition forcée. Le Comité en conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 à l’égard de Hacen Louddi, ainsi que de l’article 2 (par. 3) du Pacte lu conjointement avec l’article 7 à l’égard de l’auteure et sa famille.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de Hacen Louddi. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) à l’égard de l’auteure et sa famille.

9.Conformément à l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure et à sa famille un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Hacen Louddi et fournir à l’auteure et à sa famille des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; b) libérer immédiatement Hacen Louddi s’il est toujours détenu au secret; c) dans l’éventualité où Hacen Louddi serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; d) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et e) indemniser de manière appropriée l’auteure et sa famille pour les violations subies, ainsi que Hacen Louddi s’il est en vie. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.