Nations Unies

CCPR/C/112/D/2325/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 2325/2013

Décision adoptée par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:Jean Emmanuel Kandem Foumbi

Au nom de:L’auteur

État partie:Cameroun

Date de la communication:18 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:28 octobre 2014

Objet:Légalité de la détention; conditions de détention

Questions de fond:Interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine

Questions de procédure:Griefs non étayés; épuisement des recours internes; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Articles du Pacte:Articles 1, 2, 4 (par. 2), 5 (par. 2), 6, 7, 9 (par. 1 et 4), 10, 11, 12, 14 (par. 1, 2 et 3 c)) et 15 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif:Articles 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2325/2013 *

Présentée par:Jean Emmanuel Kandem Foumbi

Au nom de:L’auteur

État partie:Cameroun

Date de la communication:18 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2325/2013 présentée au nom de Jean Emmanuel Kandem Foumbi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication datée du 18 novembre 2013, avec complément d’information reçu le 11 décembre 2013, est Jean Emmanuel Kandem Foumbi, un ressortissant français né le 17 janvier 1970 à Mbo-Bandjoun (Cameroun), résidant en France et actuellement détenu au Cameroun. Il invoque la violation par le Cameroun des droits qu’il tire des articles 1, 2, 4, paragraphe 2, 5, paragraphe 2, 6, 7, 9, paragraphes 1 et 4, 10, 11, 12, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Cameroun le 27 septembre 1984.

1.2Le 30 décembre 2013, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, afin que l’État partie prenne en compte les conditions de santé de l’auteur et veille à ce que tout préjudice irréparable à sa santé soit empêché.

1.3Le 12 mai 2014, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a admis la demande de l’État partie visant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits

2.1Jean Emmanuel Kandem Foumbi a développé, entre mars 2006 et décembre 2007, un nouveau concept de transfert d’argent appelé «Transfert Services», une alternative au transfert d’argent, créée autour d’une plateforme informatique intégrée qui met en réseau des entreprises locales. Transfert Services permet aux résidents occidentaux originaires de pays en développement de pourvoir directement aux besoins de leurs proches en leur donnant accès à des biens ou services par l’intermédiaire de la plateforme informatique. Entre 2008 et 2009, l’auteur a créé une start-up Hope Finance afin de développer cette plateforme, dont les activités ont été dédiées aux diasporas jusqu’en 2010.

2.2L’auteur a décidé ensuite de développer la plateforme afin qu’elle puisse s’adresser aussi aux États et aux collectivités publiques en Afrique. En 2010, il a créé une plateforme informatique dédiée à la gouvernance locale et à la mobilisation de financements à travers une page Internet (www.devhop.com). En 2010, l’auteur a aussi créé une nouvelle entreprise, Hope Services, pour soutenir cette nouvelle activité. Le groupe Hope comprenait dès lors les sociétés Hope Finance et Hope Services, qui étaient des sociétés autonomes dans les pays dans lesquels l’auteur avait développé une activité (France, Belgique, États-Unis d’Amérique, Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal, Burkina Faso, République démocratique du Congo et Cameroun).

2.3Le 21 juillet 2011, après avoir présenté son projet au Cameroun dans le cadre d’une conférence organisée par le Ministère de l’économie, l’auteur a conclu, par l’intermédiaire de la société Hope Finance, un accord de gré à gré portant sur la fourniture d’une «plateforme informatique intégrée de mobilisation de ressources non génératrices d’endettement pour le financement des plans communaux de développement et la stratégie pour la croissance et l’emploi». Le 31 mai 2011, l’auteur a créé la société Hope Services SA au Cameroun, laquelle devait se charger de la gestion du partenariat avec le Gouvernement. La page Internet www.devhop.com a été lancée officiellement le 22 novembre 2012. En avril 2013, l’auteur a été invité au Cameroun afin de finaliser les termes du contrat d’exploitation, avec le Ministère de l’économie, devant régir la délégation exclusive de service public au groupe Hope, telle que prévue dans le contrat du 21 juillet 2011.

2.4Au Cameroun, l’auteur faisait l’objet de différentes plaintes pénales pour escroquerie, escroquerie aggravée et faux en écriture privée de commerce. Durant son séjour dans l’État partie, le 6 mai 2013, l’auteur s’est vu retirer son passeport par le Procureur. Le 10 mai 2013, un mandat d’arrêt lui a été notifié et il a été placé en garde à vue. Le 14 mai 2013, sa garde à vue a été prolongée jusqu’au 16 mai 2013 du fait du dépôt d’autres plaintes à son encontre. Entre le 10 et le 22 mai 2013, la police judiciaire a tenu différentes auditions et confrontations relatives aux cinq plaintes déposées contre l’auteur. Ce dernier est resté en garde à vue jusqu’au 22 mai 2013, date à laquelle il a été placé en détention provisoire sous mandats décernés respectivement les 22 mai, 27 juin, 9 octobre et 4 novembre 2013. L’auteur se plaint d’avoir dû dormir pendant sa garde à vue sur le sol d’une cellule sans aération d’environ 8 m2 avec 20 personnes. Il indique aussi avoir été agressé à la prison de New Bell, le 28 juin 2013, par d’autres détenus et précise que ses plaintes aux services pénitenciers n’ont abouti à rien.

2.5Une première plainte pour escroquerie avait été déposée le 9 décembre 2012 par Dieudonné Kengoum Bouketcha. Ce dernier alléguait avoir remis de l’argent à l’auteur à titre de participation au capital de la société Hope Finance France. M. Kengoum a ensuite découvert que l’auteur était l’unique actionnaire de la société en question et il n’a jamais récupéré ses actions. Dans sa plainte pénale, M. Kengoum indique avoir été informé par des tiers que l’auteur était un escroc notoire en France et avoir informé d’autres plaignants de la présence de ce dernier au Cameroun. M. Kengoum avait par ailleurs mené des procédures en France contre la société Hope Finance. Le 2 avril 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny (France) s’était déclaré matériellement incompétent pour statuer sur la requête déposée par M. Kengoum demandant le remboursement de ses parts sociales. L’affaire avait été renvoyée au tribunal de commerce de Paris et est actuellement en cours.

2.6Le 8 mai 2013, une deuxième plainte pour escroquerie a été déposée par une entreprise française, Logis SA, pour défaut de paiement alors que cette dernière avait été mandatée pour acheminer du matériel médical pour l’entreprise Hope Santé SA Cameroun, dont l’auteur indique ne pas connaître l’existence. Entre le 10 et le 14 mai 2013, trois plaintes supplémentaires pour escroquerie ont été déposées contre l’auteur.

2.7Durant sa détention, l’auteur a requis, par courrier du 26 juillet 2013, que le Gouvernement lui fasse une proposition de rétrocession à défaut de la délégation de service public, suite à la remise en question de la clause d’exclusivité de délégation de service public envisagée dans le contrat du 21 juillet 2011. Le 2 août 2013, l’auteur a été informé par le Ministère de l’économie que le Gouvernement souhaitait abandonner l’exclusivité contractuelle accordée au groupe Hope, acquérir l’outil DevHope en vue de l’exploiter de manière autonome et indépendante, et engager avec l’auteur des négociations en vue de la rétrocession totale de la plateforme informatique. L’auteur indique avoir formulé une proposition le 8 août 2013 sous la pression et la contrainte. Selon l’auteur, les enjeux financiers importants attendus de DevHope pour financer les projets de développement au Cameroun justifient la cabale judiciaire et médiatique dont il a été victime, afin que le Gouvernement puisse s’approprier les ressources techniques et économiques associées au projet, et en déposséder l’auteur.

2.8Le 18 juillet 2013, l’auteur a déposé une requête en h abeas c orpus auprès du Président du tribunal de grande instance du Wouri Douala, dans laquelle il contestait son arrestation, sa garde à vue et sa détention, les considérant comme illégales, sans toutefois faire référence à ses conditions de détention ni aux incidents avec les autres détenus. Par ordonnance du 18 septembre 2013, le tribunal a rejeté la requête et a constaté que l’arrestation et la garde à vue de l’auteur avaient été faites dans le respect des règles qui les régissent, que sa garde à vue avait duré 72 heures compte tenu de la prorogation signée par le Procureur, et que sa détention provisoire se justifiait du fait qu’il était poursuivi pour des délits et ne disposait d’aucun domicile au Cameroun. Le 18 septembre 2013, l’auteur a interjeté appel auprès du Président de la cour d’appel contre ladite ordonnance, alléguant l’incompétence des juridictions camerounaises, l’illégalité de sa détention, la prescription de certaines infractions et la qualification inexacte des faits qui ne relèvent pas de la matière pénale, mais de litiges civils et commerciaux. Le 8 novembre 2013, l’appel a été rejeté. La cour d’appel a confirmé l’ordonnance du tribunal de grande instance qui avait rejeté la demande de mise en liberté immédiate de l’auteur. La cour a déterminé que la libération immédiate aurait pu être ordonnée si la détention de l’auteur se fondait uniquement sur le mandat de détention provisoire décerné par le juge d’instruction du tribunal de grande instance du Wouri Douala, daté du 27 juin 2013, dans la mesure où celui-ci ne précisait pas la durée de sa validité et n’était pas suivi d’une ordonnance motivant la décision de placement en détention provisoire. La cour a toutefois rappelé que l’auteur faisait aussi l’objet d’un mandat de détention provisoire régulièrement décerné par le Procureur du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Elle a aussi considéré que seul le juge du fond pouvait statuer sur les moyens d’incompétence soulevés par l’auteur. Le 13 novembre 2013, l’auteur a déposé un pourvoi en cassation contre l’ordonnance de la cour d’appel. À plusieurs reprises, entre le 14 et le 21 novembre 2013, il a tenté en vain d’obtenir une copie de l’ordonnance de la cour d’appel en se présentant au greffe. Il a aussi requis l’expédition de ladite ordonnance par courriers adressés au greffe les 22 et 29 novembre 2013, dont le greffe a accusé réception. Les 7 octobre et 3 décembre 2013, l’auteur a déposé des demandes de remise en liberté auprès du tribunal de grande instance du Wouri Douala et du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Il a joint à cette demande des lettres de personnes susceptibles de garantir sa représentation en justice.

2.9L’auteur a décrit d’autres démarches qu’il a effectuées en vue d’obtenir sa remise en liberté. À titre de partenaire technique du Gouvernement, il a ainsi informé la Présidence de la République de sa situation par courriers des 15 juin, 19 août et 4 septembre 2013. En outre, les 1er et 11 octobre 2013, l’auteur a tenté d’obtenir l’abandon de toutes les poursuites pénales en sollicitant le Procureur général et le Ministre de la justice par une demande d’intervention. Le 17 octobre 2013, il a soumis une autre demande d’intervention auprès du tribunal de première instance saisi de son affaire. Le 21 octobre 2013, le juge d’instruction saisi des plaintes déposées par M. Mboma et M. Kameni a clos l’instruction et considéré les charges retenues contre l’auteur comme suffisantes. Il a par conséquent renvoyé l’affaire devant le tribunal de grande instance du Wouri Douala.

2.10L’auteur indique par ailleurs qu’il souffre d’un ptosis, pathologie neurodégénérative rare qui se manifeste notamment par de fréquentes attaques au niveau oculaire, occipital et lombaire, laquelle a affaibli l’usage de son œil gauche. Suite à un examen médical réalisé dans un centre spécialisé en France, une intervention chirurgicale ambulatoire était prévue à Paris le 25 juillet 2013.

2.11Le 19 octobre 2013, alors qu’il était en détention, l’auteur a subi une crise violente qui s’est manifestée par une inflammation totale de son œil gauche, une obstruction de la vue et a occasionné une hémiplégie de tout son côté droit. L’auteur a été pris en charge par le centre médical de la prison de New Bell, qui l’a ensuite référé à des spécialistes et une série de consultations médicales ont été effectuées. Des rapports d’expertise médicale rendus par ces établissements ont conclu à l’impossibilité d’une prise en charge adéquate de la maladie au Cameroun. En outre, selon les informations données oralement à l’auteur par le médecin-chef de la prison, le médecin aurait, en date du 3 décembre 2013, rédigé un rapport confidentiel sur l’état de santé de l’auteur destiné au Procureur général. L’auteur indique que les handicaps faisant suite aux crises risquent d’être irréversibles faute de soins appropriés et qu’une nouvelle crise pourrait s’attaquer aux organes vitaux. Le 21 octobre 2013, l’auteur a soumis des demandes d’intervention pour raisons de santé auprès du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, auprès du tribunal de grande instance du Wouri Douala et auprès de la cour d’appel du littoral de Douala, afin d’être évacué et d’obtenir les soins nécessaires en France. Il a aussi alerté le Procureur général par courrier du 3 décembre 2013 et le Président de la République en date du 7 janvier 2014.

2.12Le 17 février 2014, l’auteur a indiqué qu’il s’était adressé le 16 janvier 2014 à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (ci-après «CNDHL») pour lui exposer sa situation, en particulier en raison de ses problèmes de santé. Le 21 janvier 2014, le Président de la CNDHL a adressé un courrier à l’auteur, l’informant qu’il avait saisi le Procureur général de la cour d’appel, avec copie au Ministre de la justice afin de solliciter des mesures diligentes en relation avec son cas. En outre, la CNDHL a effectué une visite de la prison du 22 au 24 janvier 2014, à l’issue de laquelle elle a signalé le cas de l’auteur comme inquiétant lors d’une conférence de presse.

2.13Le 31 décembre 2013, le conseil de l’auteur avait rencontré personnellement le Procureur général, qui lui avait recommandé de s’adresser au Secrétaire d’État chargé de l’administration pénitentiaire. Ainsi, le 2 janvier 2014, l’auteur a informé ce dernier de sa situation et de l’octroi des mesures provisoires par le Comité. L’auteur explique que c’est suite à l’intervention du Consul général de France auprès du Procureur général, le 29 janvier 2014, qu’il a été transféré à l’hôpital Laquintinie de Douala, le 30 janvier 2014, qui l’a ensuite référé à l’hôpital général de Douala, où il a été admis du 31 janvier au 14 février 2014. Dans son rapport d’expertise du 14 février 2014, l’hôpital général de Douala indique ne pas disposer d’un service spécialisé pour prendre en charge l’auteur et recommande qu’il soit transféré dans un centre spécialisé, sans toutefois indiquer que l’auteur doit être rapatrié en France. Le 14 février 2014, l’auteur a été ramené au centre médical de la prison, suite à un accord entre la prison et l’hôpital qui serait intervenu à son insu. Bien que l’hôpital soit un établissement public, l’auteur allègue avoir été réincarcéré du fait qu’il n’était plus en mesure de s’acquitter des frais relatifs à son séjour hospitalier et que les difficultés budgétaires de la prison ne permettaient pas le paiement de sa prise en charge médicale. Le 17 février 2014, il a adressé un courrier à la Présidence pour l’informer des derniers développements.

2.14Dans une note du 21 février 2014, l’auteur a soumis des informations supplémentaires. L’auteur réitère toutes ses allégations relatives aux plaintes déposées à son encontre, à son arrestation, à sa détention, ainsi que celles concernant l’incompétence des juridictions pénales camerounaises et la qualification erronée des faits reprochés. Il réitère aussi être victime d’une cabale judiciaire justifiée par la volonté du Gouvernement d’acquérir ses droits de propriété. Il considère que la procédure en habeas corpus en vue de restaurer sa liberté n’a pas abouti et a été entachée de vices procéduraux en raison de la complicité des organes judiciaires. L’auteur rappelle encore la nécessité d’être évacué du fait de son état de santé, ainsi que les démarches qu’il a effectuées auprès des autorités à cet égard.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que son arrestation, sa garde à vue et sa détention provisoire sont illégales, en violation de l’article 9 du Pacte, dans la mesure où les juridictions camerounaises pénales sont incompétentes territorialement et matériellement. Il rappelle à cet égard qu’il est un citoyen français, que les infractions qui lui sont reprochées se rapportent à des faits commis hors du territoire camerounais, et que les faits qui sont l’objet des plaintes, de nature strictement commerciale, ne relèvent pas du droit pénal et sont prescrits. L’auteur considère que sa garde à vue a dépassé le délai légal maximum autorisé par la loi camerounaise dans la mesure où, alors qu’elle avait débuté le 10 mai 2013 et ne pouvait être prolongée que jusqu’au 16 mai 2013, il a été gardé à vue du 10 au 22 mai 2013, date à laquelle sa garde à vue a pris fin pour devenir une détention provisoire. L’auteur soutient que, pour les mêmes raisons, les quatre mandats de détention sont illégaux. S’agissant du premier mandat de détention du 22 mai 2013, l’auteur rappelle que les faits reprochés avaient déjà fait l’objet d’une ordonnance du juge du tribunal de grande instance de Bobigny, dans laquelle la cause avait été renvoyée au tribunal de commerce de Paris, qui avait convoqué l’auteur pour une audience le 5 septembre 2013. L’auteur considère également le mandat de détention du 27 juin 2013 comme illégal dans la mesure où il ne précise pas la durée de la détention provisoire, tel que requis par l’article 219 du Code de procédure pénale camerounais.

3.2L’auteur considère que son arrestation, sa garde à vue et sa détention provisoire sont également arbitraires puisqu’il est détenu dans le cadre d’une cabale judiciaire organisée à son encontre dans le but d’extorquer sa propriété intellectuelle sur son invention et de priver le groupe Hope de l’exclusivité d’exploitation qui lui a été octroyée pour exploiter la licence d’utilisation achetée par l’État partie.

3.3Au titre des articles 7 et 10 du Pacte, l’auteur rappelle que, durant sa garde à vue, il a dû dormir sur le sol d’une cellule sans aération d’environ 8 m2 avec 20 personnes. Il indique qu’une fois transféré à la prison de New Bell, il a été agressé, le 28 juin 2013, par d’autres détenus et que ses plaintes aux services pénitentiaires n’ont abouti à rien. Il décrit aussi les conditions de transport éprouvantes pour aller de la prison de New Bell aux audiences. Il soutient que son état de santé s’est dégradé du fait de sa détention. Il rappelle à cet égard qu’il a saisi différents présidents de juridiction, ainsi que les autorités pénitentiaires pour signaler la crise qu’il avait subie le 19 octobre 2013 en raison de la dégradation de son état de santé en détention et la nécessité de l’évacuer en France pour se faire dûment soigner. L’auteur fait valoir que l’inaction des autorités, malgré ses multiples démarches, et leur refus de lui octroyer la mise en liberté provisoire pour qu’il puisse subir l’intervention chirurgicale prévue le 27 juillet 2013, est constitutive de traitement inhumain ou dégradant, puisqu’il encourait un risque de cécité et d’infirmité. Il considère que les mandats de détention des 27 juin, 9 octobre et 4 novembre 2013 étaient des moyens d’accroître l’intensité des traitements dégradants dont il faisait déjà l’objet. Il fait valoir que le traitement qu’il subit en prison résulte du fait que les autorités pénitentiaires ont divulgué des informations à son sujet, laissant entendre notamment qu’il était un escroc international ayant trompé l’État. En conséquence, l’auteur soutient que l’État partie a violé les articles 7 et 10, paragraphe 1, du Pacte.

3.4L’auteur affirme également qu’il est victime d’une violation de l’article 11 du Pacte du fait qu’il a été emprisonné pour des litiges contractuels qui résultent de contrats de société (en ce qui concerne M. Mboma et M. Kengoum) et de contrats de prêt (en ce qui concerne M. Kameni et M. Nono) et d’aucune relation juridique dans le cas de la société Logis SA. Il déclare aussi n’être impliqué dans ces litiges qu’à titre de représentant de deux personnes morales.

3.5En ce qui concerne la violation de l’article 12, l’auteur estime qu’il a été empêché de rentrer librement en France, non seulement du fait de son arrestation et de sa détention, mais aussi du retrait de son passeport par le Procureur. Il ajoute que les dérogations prévues au paragraphe 3 de l’article 12 ne s’appliquent pas à son cas, étant donné qu’il ne peut être considéré comme une menace à l’ordre public, à la santé ou à la sécurité nationale.

3.6L’auteur invoque également des violations des articles 14, paragraphe 3 c), et 9, paragraphe 4, eu égard aux retards excessifs des autorités pour statuer sur sa demande de libération immédiate et d’intervention pour cause d’urgence sanitaire. L’auteur rappelle que sa requête en habeas corpus introduite le 18 juillet 2013 n’a été jugée que le 18 septembre 2013, alors que le tribunal de grande instance de Douala statue sur les dossiers en libération immédiate chaque mercredi. Il rappelle aussi que la cour d’appel n’a rendu sa décision que le 8 novembre 2013 et que la procédure d’habeas corpus a ainsi duré quatre mois, alors qu’habituellement une dizaine de jours suffisent. Il indique avoir mentionné ce retard excessif dans les débats pendant la procédure. En outre, il estime qu’il se trouve dans une incertitude quant au pourvoi en cassation qu’il a déposé devant la Cour suprême, étant donné que cette dernière n’a aucune contrainte de délai pour statuer et qu’elle peut prendre plusieurs années à cette fin. Il ajoute que les autorités n’ont pas donné de réponses à ses multiples requêtes concernant son état de santé.

3.7Dans sa note du 21 février 2014, l’auteur ajoute qu’il est aussi victime de violations des droits qu’il tient des articles 6, paragraphe 1, 14, paragraphes 1 et 2, et 15, paragraphe 1, du Pacte.

3.8L’auteur affirme que son droit à la santé et à la vie, tel que protégé par l’article 6, paragraphe 1, du Pacte a été violé du fait de l’inaction des autorités qu’il a pourtant alertées à maintes reprises au sujet de la dégradation de son état de santé. En outre, il souligne que les nombreuses anomalies survenues dans son affaire s’expliquent par la partialité des autorités judiciaires qui n’ont pas agi avec l’indépendance requise, en violation de l’article 14, paragraphe 1. L’auteur soutient à cet égard que l’action du ministère public n’a été que le reflet de la volonté gouvernementale et que les magistrats ont fait preuve de dépendance à l’égard du Gouvernement. Il affirme encore que les juridictions ont agi avec la complicité des plaignants et qu’il est victime d’une persécution par les autorités politiques et judiciaires de l’État partie. Concernant l’article 14, paragraphe 2, il affirme ne pas avoir bénéficié de la présomption d’innocence, en vertu de laquelle l’État partie aurait dû donner la priorité à sa santé, plutôt qu’à sa détention. Tout en admettant qu’aucune condamnation n’avait encore été prononcée par les juridictions camerounaises, l’auteur soutient que les faits reprochés ne sont pas punissables en France, alors que sa nationalité française imposait à l’État partie de vérifier si les faits reprochés constituaient bien des délits. L’auteur considère donc que les faits ont été retenus contre lui en violation de l’article 15, paragraphe 1, du Pacte.

3.9L’auteur allègue enfin une violation de ses droits de propriété, considérant qu’une lecture conjointe du préambule et des articles 1 et 2 du Pacte et de la jurisprudence du Comité peuvent couvrir la protection de sa propriété intellectuelle.

3.10S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur prétend que les recours internes dans l’État partie sont à la fois indisponibles et inefficaces, et qu’il ne devrait, par conséquent, pas être tenu de poursuivre plus longtemps ses démarches par le biais des procédures internes pour que sa communication soit recevable devant le Comité. Il rappelle que, s’agissant pourtant d’une procédure d’urgence en libération immédiate, le tribunal de grande instance de Douala et la cour d’appel n’ont pas fait preuve de leur diligence habituelle, puisque la procédure a duré près de quatre mois. L’auteur estime, par conséquent, qu’il s’agit d’un retard excessif et d’une prolongation indue qui rendent le recours inefficace. L’auteur indique que ce contexte rend inefficace tout nouveau recours pour contester les deux derniers mandats de détention des 9 octobre et 4 novembre 2013 et qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger de lui d’utiliser des procédures d’ores et déjà infructueuses.

3.11Concernant son pourvoi en cassation déposé devant la Cour suprême le 13 novembre 2013, l’auteur se plaint de ne pas avoir reçu l’expédition de l’arrêt de la cour d’appel du 8 novembre 2013, une pièce pourtant indispensable pour la procédure de pourvoi. Il indique que l’ordonnance ne lui a été envoyée que le 26 février 2014 et considère que les juridictions de l’État partie ont volontairement obstrué les procédures, ce qui rend son pourvoi inaccessible. Ensuite, l’auteur précise que la loi camerounaise ne prévoit aucune procédure spécifique prescrivant à la Cour suprême de statuer en urgence dans les cas de détention arbitraire et que, par conséquent, la procédure de cassation ordinaire peut durer plus d’un an, voire des années. Il soutient donc que ce recours ne peut pas non plus être considéré comme efficace au regard du Pacte. L’auteur ajoute que la cour d’appel est la plus haute juridiction interne en matière de libération immédiate, puisque la loi camerounaise ne prévoit pas non plus la saisine de la Cour suprême pour statuer en cassation des arrêts rendus par la cour d’appel sur requête en habeas corpus. Subsidiairement, l’auteur soutient que, même si la Cour suprême était considérée comme un recours efficace, le refus par les autorités judiciaires de lui délivrer une expédition du jugement de la cour d’appel du 8 novembre 2013 l’a rendu inaccessible.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 12 mars 2014, l’État partie conteste la recevabilité de la communication en soulignant que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie n’a fourni ses observations qu’en relation avec les allégations de violations des articles 7, 9, 10, 11, 12 et 14.

4.2L’État partie a clarifié les faits présentés par l’auteur relatifs aux trois affaires dans lesquelles il fait l’objet de poursuites initiées par des particuliers devant les juridictions camerounaises. La première affaire, pendante devant le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, a été déposée par M. Kengoum, lequel a porté plainte contre l’auteur le 9 décembre 2012 pour escroquerie. L’État partie indique qu’à teneur de la plainte, l’auteur aurait usé de manœuvres, sous le couvert de l’entreprise Hope Finances (devenue Hope Services), par lesquelles il aurait convaincu M. Kengoum de lui remettre la somme de 65 millions de francs CFA, soit environ 100 000 euros. L’État partie explique qu’après une enquête préliminaire, l’auteur a été placé en détention provisoire le 22 mai 2013 et a été traduit devant le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo le 24 mai 2013 pour une première audience. Le 14 août 2013, le tribunal de première instance a ordonné la mise en liberté de l’auteur par un jugement avant-dire-droit, à condition que soit versée une caution de 68 250 000 francs CFA, soit environ 104 000 euros. L’État partie ajoute que lors de l’audience du 11 décembre 2013 dans le cadre de la même affaire, alors que la décision de mise en liberté du 14 août 2013 n’avait pas été exécutée, le conseil de l’auteur a introduit une nouvelle demande de mise en liberté, laquelle a été rejetée comme non fondée.

4.3Quant à la deuxième affaire contre l’auteur, l’État partie indique qu’elle fait suite à une plainte pour escroquerie déposée par la société Logis SA, représentée par Martin Nyamsi, selon lequel l’auteur, agissant comme représentant de la société Hope Santé, avait mandaté ladite société pour faire acheminer des marchandises au Cameroun et avait refusé de s’acquitter des frais afférents à hauteur de 17 639 835 francs CFA, soit 27 000 euros. L’auteur a été inculpé après une enquête préliminaire et placé en détention provisoire le 19 octobre 2013 dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à son encontre et toujours pendante. L’État partie explique que la troisième affaire résulte de plaintes déposées contre l’auteur, respectivement le 10 mai 2013 par Patrick Mboma pour escroquerie aggravée, faux et usage de faux, et le 14 mai 2013 par Idriss Carlos Kameni et Roger Nono, pour escroquerie.

4.4En ce qui concerne les griefs de violation des articles 7 et 10 du Pacte concernant l’interruption de son suivi médical et les mauvais traitements dont l’auteur considère avoir été victime pendant son incarcération, l’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité dans laquelle le grief tiré de l’article 7 du Pacte concernant l’état de santé de l’auteur avait été déclaré irrecevable par le Comité du fait que cet argument n’avait pas été avancé devant les juridictions internes. L’État partie souligne que, dans le cas présent, aucune juridiction nationale n’a été saisie des faits liés aux allégations de violations des articles 7 et 10 et qu’elles n’ont fait l’objet d’aucun recours judiciaire. L’État partie affirme également qu’aucune autorité judiciaire n’a été saisie du grief tiré du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte et ajoute que le juge administratif peut être saisi pour examiner les allégations de dysfonctionnement des services judiciaires dans le cadre d’une action en responsabilité.

4.5En ce qui concerne les griefs de violation des droits à la liberté et à la sécurité relatifs à l’arrestation de l’auteur, à sa détention et à la rétention de son passeport, l’État partie rappelle que le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo a ordonné la mise en liberté de l’auteur par jugement avant-dire-droit, le 14 août 2013, sous réserve du paiement d’un cautionnement, conformément aux articles 224, alinéa 1, et 232, alinéa 1, du Code de procédure pénale. L’État partie précise que selon l’article 232, alinéa 1, du Code, le cautionnement garantit, le cas échéant, le remboursement des frais engagés par la partie civile, la réparation des dommages causés par l’infraction et le paiement des amendes et des frais de justice. Il ajoute que les dispositions sur lesquelles se base la décision du tribunal de première instance sont compatibles avec l’article 9, paragraphe 3, du Pacte, qui prévoit que la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience et à d’autres actes de procédure. L’État partie considère que l’auteur a choisi d’ignorer la décision du tribunal de première instance du 14 août 2014 pour introduire devant cette même juridiction une autre demande de mise en liberté. Le tribunal de première instance a refusé cette nouvelle demande, en date du 20 janvier 2014, au motif que la première décision n’avait pas été exécutée, l’auteur n’ayant pas versé le montant de la caution.

4.6À propos du grief que l’auteur tire de l’article 11 du Pacte, l’État partie rejette l’argument visant à considérer que les faits qui ont été reprochés à l’auteur ne constituent pas des infractions pénales mais relèvent de litiges commerciaux. Il fait valoir qu’il s’agit d’un problème d’appréciation et de qualification des faits qui est actuellement devant ses juridictions, lesquelles n’ont pas encore pris position, et qu’il n’appartient donc pas au Comité de se prononcer sur cette question.

4.7En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie rappelle que la cour d’appel du littoral, par ordonnance rendue le 8 novembre 2013, a statué comme juridiction de recours concernant la requête de l’auteur en habeas corpus et qu’elle s’est déclarée incompétente. Pour ce qui concerne l’inaccessibilité du pourvoi en cassation dont se plaint l’auteur, l’État partie fait valoir que l’auteur fixe à tort, et sans éléments objectifs, l’examen de son pourvoi à plusieurs années, alors que dans des situations similaires où une procédure spéciale n’a pas été édictée, le pourvoi a été examiné dans des délais largement inférieurs à ceux évoqués par l’auteur. À cet effet, l’État partie donne comme exemple un arrêt rendu par la Cour suprême en avril 2013 suite à un pourvoi formé le 5 novembre 2012 à l’encontre d’un arrêt de la chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel, dans lequel la Cour suprême a non seulement cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel mais a également rejeté la demande de mise en liberté sous caution présentée par l’appelante. L’État partie souligne qu’il a joint à ses observations l’ordonnance de la cour d’appel du littoral du 8 novembre 2013 et que, par conséquent, l’argument de l’auteur concernant l’indisponibilité de la décision manque de pertinence. L’État partie soutient enfin que l’auteur a manqué de diligence puisque, tel que requis par l’article 44, alinéa 3 et suivants, de la loi no 2006/016 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, il ne s’est pas acquitté du montant de la consignation fixée par le Président de la cour d’appel par ordonnance du 10 décembre 2013, pour couvrir les frais de reproduction du dossier. L’auteur n’a pas non plus donné suite à l’acte d’huissier notifié à son conseil en date du 3 février 2014 à cet égard. L’État partie souligne que c’est ce manque de diligence qui retarde la mise en état et la considération de son dossier par la Cour suprême.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse du 7 avril 2014, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité.

5.2L’auteur considère que la présentation des faits par l’État partie est largement incomplète et omet des éléments essentiels concernant l’incompétence territoriale et matérielle de ses juridictions. L’auteur fournit des explications supplémentaires concernant les faits reprochés dans les cinq affaires pénales à son encontre. Concernant l’affaire déposée par M. Mboma, l’auteur conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle M. Mboma lui aurait remis de l’argent. La société Hope Finance SAS est une société qui, conformément à ses obligations légales en France, tenait des réunions de son conseil d’administration et disposait de comptes annuels certifiés par un cabinet d’expertise comptable, dont M. Mboma était directeur adjoint statutaire.

5.3Concernant la non-remise de l’ordonnance du Président de la cour d’appel, l’auteur rappelle qu’il en a requis l’expédition à maintes reprises par l’entremise de ses avocats. Il soutient que l’ordonnance n’était pas encore rédigée le 13 novembre 2013, jour où ses conseils se sont présentés au greffe pour former la déclaration de pourvoi à l’encontre de ladite ordonnance. L’auteur considère donc que l’argument de l’État partie selon lequel l’ordonnance était disponible le jour du prononcé de la décision, soit le 8 novembre 2013, n’est qu’un artifice pour faire croire que ses juridictions sont irréprochables. Il rappelle encore que l’ordonnance ne lui a été notifiée par le greffier que le 26 février 2014, mais que la signature du greffier apposée sur l’ordonnance est datée du 8 décembre 2013, ce qui correspond à un dimanche, soit un jour non ouvrable. En outre, l’ordonnance ne porte pas la signature du juge, mais uniquement celle du greffier en chef, contrairement aux dispositions de l’article 9 de la loi no 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire. La décision n’est pas légalement valable pour entreprendre le pourvoi en cassation et l’auteur reproche à l’État partie d’avoir voulu s’assurer que la Cour suprême rejette le pourvoi. Enfin, l’auteur relève que la cour d’appel avait rejeté l’appel de l’auteur en séance publique en se déclarant incompétente, ce qui est contraire aux articles 586 et 587 du Code de procédure pénale et constitue un déni de justice, alors que l’ordonnance écrite ne mentionne pas la question de sa compétence. L’auteur soutient que ces inconsistances sont manifestement le résultat de manœuvres orchestrées par l’État partie, dans le cadre de la persécution judiciaire dont l’auteur est victime, afin de gommer les fautes de l’administration judiciaire et de tromper le Comité.

5.4Au sujet de l’épuisement des recours internes, l’auteur s’étonne que l’État partie reste silencieux sur la saisine de toutes les instances administratives et judiciaires, saisines auxquelles aucune suite n’a été donnée. Il réitère qu’il a bien utilisé tous les recours internes utiles et disponibles en décrivant à nouveau les différents courriers envoyés par son conseil relatifs à sa détention illégale et à son état de santé.

5.5L’auteur rappelle que l’habeas corpus est la procédure unique prévue par le législateur camerounais, conformément à l’article 584 du Code de procédure pénale, pour connaître des requêtes fondées sur l’illégalité d’une arrestation ou d’une détention, ou sur l’inobservation des prescriptions légales. Il estime que, contrairement à la liberté provisoire qui est une faculté, la liberté immédiate est un droit en cas de violation des droits fondamentaux par les autorités judiciaires. L’auteur conteste l’interprétation restrictive que l’État partie semble donner à la notion de détention arbitraire, qui intègre d’autres critères que la violation de la loi, soit une détention non prévisible, inappropriée ou injuste.

5.6En outre, l’auteur relève que la cour d’appel mentionne dans son ordonnance qu’elle statue en dernier ressort et n’indique aucune voie de recours aux parties. Il réitère que le Code de procédure pénale ne prévoit pas de pourvoi en cassation des arrêts de la cour d’appel rendus suite à des requêtes d’habeas corpus et que, par conséquent, cette dernière est la plus haute instance en la matière. L’auteur précise par ailleurs qu’aucun pourvoi en cassation n’a encore jamais été formulé sur les décisions d’une cour d’appel concernant l’habeas corpus. Il considère que la loi ne prévoit pas non plus la saisine de la Cour suprême comme instance de cassation, puisqu’elle ne fixe pas de durée légale maximale à cette dernière pour se prononcer dans une procédure de libération immédiate, ce qui n’est pas compatible avec le caractère urgent d’une telle procédure et doit être qualifié de lacune de la loi. Faute de fixation claire de ce délai, tel qu’il existe par exemple pour les tribunaux de grande instance, l’auteur considère que la cassation n’est pas un recours efficace en la matière. Il considère que la réponse de l’État partie est imprécise dans la mesure où elle évoque des cas censés être similaires dans lesquels la Cour suprême aurait été diligente, alors qu’ils ne concernaient pas une détention arbitraire. Selon l’auteur, l’État partie admet, dans ses observations, qu’une procédure spéciale n’a pas été prévue devant la Cour suprême en matière d’habeas corpus. L’auteur rappelle qu’il fait valoir, à titre subsidiaire, que si la Cour suprême était une instance de recours, les manœuvres d’obstruction de l’État partie relatives au défaut de rédaction de l’ordonnance et aux délais exceptionnellement longs ont rendu ce recours inaccessible.

5.7L’auteur considère que ses demandes de liberté provisoire n’ont pas pu être un recours utile au sens du Pacte et que l’arbitraire des autorités judiciaires les a rendues inefficaces. À l’exception de la première demande formulée en juin 2013 et accordée de façon vicieuse au point d’équivaloir à un refus, toutes ont été volontairement omises par l’État partie. L’auteur souligne que c’est délibérément que sa mise en liberté a été accordée le 14 août 2013, alors qu’un deuxième mandat de détention venait d’être délivré par un autre juge dans une autre affaire et que, par conséquent, le paiement de la caution n’aurait rien changé à la situation, contrairement à ce qu’affirme l’État partie. Concernant la caution, il aurait suffit de considérer comme garantie le contrat de partenariat entre l’État partie et le groupe Hope dont l’auteur est le représentant légal. L’auteur soutient que le nombre de mandats de détention délivrés à son encontre et le nombre d’affaires confiées à des juges opportunément choisis permettent à l’État partie de s’assurer que l’auteur reste en détention afin de le déposséder de ses droits sur DevHope.com.

5.8L’auteur réitère ses arguments relatifs à la violation de son droit à la santé et rappelle les démarches qu’il a effectuées auprès des autorités pour requérir son évacuation. En outre, il indique avoir déposé le 7 mars 2014 une nouvelle requête en habeas corpus, fondée cette fois sur le seul motif de la violation du droit à la santé, constituant une forme de torture et de traitement inhumain et dégradant, en vue de sa libération immédiate. Toutefois, s’agissant d’une procédure d’urgence, il déplore que le tribunal de grande instance de Douala n’ait pas encore statué sur sa requête, un mois après son dépôt. L’auteur réitère ses observations quant à la violation de l’article 11, dans la mesure où la qualification pénale des faits retenus par les autorités camerounaises à son encontre, notamment d’escroquerie, était délibérément arbitraire dans le but de permettre la cabale judiciaire dont il est victime. Il réitère aussi qu’il est victime d’un déni de justice, en violation des articles 14, paragraphe 1, et 15, paragraphe 1, et considère donc que tous les actes juridictionnels accomplis par les autorités sont nuls au regard du droit interne et du droit international et constituent une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

5.9Enfin, l’auteur décrit la suite de la procédure dans l’affaire déposée par M. Kengoum, en expliquant que, malgré son état de santé et sa demande du 21 mars 2014 pour différer le délibéré du tribunal et rouvrir les débats, il a été condamné, le 26 mars 2014, à dix-huit mois de prison et à une peine de 75 millions de francs CFA et ce, en son absence, sans que ses témoins aient été entendus, ni que ses avocats aient pu plaider. Avec cette condamnation, il ne peut plus recourir à une demande de liberté provisoire.

Informations complémentaires fournies par l’auteur

6.1Le 23 mai 2014, l’auteur a soumis des informations complémentaires concernant la recevabilité et la suite des affaires pénales pendantes. En outre, il accuse l’État partie de manquer de bonne foi dans le cadre de la présente communication et réitère ses allégations concernant les violations des articles 6, paragraphe 1, et 7 du Pacte. L’auteur allègue encore une violation des droits qu’il tire du préambule, et des articles 1 et 2 du Pacte, ainsi que des articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 2.

6.2Concernant l’épuisement des recours internes, il considère qu’il n’est pas possible qu’un recours interne soit utile étant donné que l’État partie instrumentalise ses juridictions à des fins extrajudiciaires. Il réitère que s’agissant de l’habeas corpus, la Cour suprême n’est un recours ni disponible, ni effectif ou efficace.

6.3L’auteur indique que le 2 mai 2014, il a été condamné à deux ans de prison dans l’affaire déposée par la société française Logis SA, malgré sa demande de renvoi de l’audience en date du 23 avril 2014 et sa demande de récusation du juge saisi, formulée le 29 avril 2014. Il a fait appel contre cette condamnation, le 12 mai 2014. L’auteur se plaint de n’avoir pas encore reçu l’expédition du jugement écrit dans les deux affaires dans lesquelles il a été condamné.

6.4Le Ministre de la santé publique a ordonné une expertise médicale en vue d’examiner le patient et de déterminer la suite à donner à son suivi médical. Celle-ci a été rendue le 12 mai 2014 et confirme les rapports précédents concernant les troubles visuels et l’hémiplégie de l’auteur. L’expertise recommande, par principe de précaution, que l’auteur soit pris en charge dans une structure hospitalière adaptée.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1L’État partie a soumis des observations supplémentaires le 19 août 2014, en réponse aux commentaires fournis par l’auteur. Il réitère ses arguments concernant l’irrecevabilité de la communication.

7.2L’État partie fournit par ailleurs des explications sur les irrégularités alléguées par l’auteur à propos de l’ordonnance de la cour d’appel du 8 novembre 2013. Il attire l’attention du Comité sur le fait que l’auteur a finalement admis que l’ordonnance lui avait bien été transmise. Il rappelle que le pourvoi formé par l’auteur a été enregistré le 13 novembre 2013 et ajoute que la délivrance d’une expédition après la réception du pourvoi est logique dans la mesure où elle participe à la mise en état du dossier, comme d’autres formalités, telles que le paiement des frais de reproduction du dossier. L’État partie réfute l’allégation de l’auteur selon laquelle la copie du jugement expédiée n’était pas signée. Il explique que les expéditions des décisions sont des copies qui ne sont pas signées, que seuls les originaux, conservés au greffe et appelés «Minutes» le sont, et que le greffe délivre des copies certifiées conformes aux originaux en apposant un cachet sur la dernière page de la décision, ce qui garantit l’authenticité du document. En outre, l’État partie déclare que l’ordonnance rendue n’a aucunement été modifiée après son prononcé et qu’elle contient bien des paragraphes motivés qui portent sur l’incompétence de la cour d’appel.

7.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie se réfère à l’article 37, alinéa a), de la loi no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, selon laquelle la «Chambre judiciaire est compétente pour connaître des décisions rendues en dernier ressort par les cours et tribunaux en matière civile, commerciale, pénale, sociale et de droit traditionnel». Il indique que l’auteur a une interprétation erronée du terme «dernier ressort» dans la mesure où les décisions rendues en dernier ressort ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi, contrairement aux décisions rendues en premier ressort qui font l’objet d’un appel. Il indique que la cassation était donc bien la voie ouverte contre l’ordonnance de la cour d’appel.

7.4L’État partie rappelle enfin que l’auteur avait bénéficié d’une décision de mise en liberté sous caution, ce que l’auteur confirme dans ses commentaires, alors qu’il l’avait éludé dans ses soumissions précédentes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note des griefs de l’auteur tirés de l’article 9, paragraphes 1 et 4, du Pacte concernant son arrestation, sa garde à vue et sa détention prétendument illégales et arbitraires, ainsi que ceux tirés de l’article 14, paragraphe 3 c), relatifs à la durée excessive des procédures engagées devant les juridictions internes en matière d’habeas corpus. Le Comité note l’argument avancé par l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, dans la mesure où il a déposé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême suite à la décision de la cour d’appel du 8 novembre qui a confirmé l’ordonnance du juge de l’habeas corpus en première instance. Le Comité note que l’auteur allègue toutefois un déni de justice, la mauvaise foi de l’État partie et la partialité des juges saisis. Il note également que, selon l’auteur, les recours existants pour contester sa détention ne sont ni effectifs, ni disponibles et que, par conséquent, il est justifié de déroger à la condition de l’épuisement des recours internes. Le Comité rappelle que s’il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, le simple fait de douter de leur efficacité ne dispense pas l’auteur d’une communication de l’obligation de les épuiser. Le Comité note que l’auteur a introduit une demande d’habeas corpuset un appel contre l’ordonnance du tribunal de grande instance du Wouri Douala, dans lesquels il a notamment invoqué ses droits au titre des articles 9 et 14 du Pacte qu’il soulève dans la présente communication. À cet égard, le Comité observe que la Cour suprême doit encore statuer sur le pourvoi en cassation formé par l’auteur le 13 novembre 2013. Le Comité considère par ailleurs que l’auteur n’a pas soumis au Comité des renseignements suffisants qui permettent de conclure à l’inefficacité du pourvoi en cassation actuellement pendant. Le Comité estime également que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que le comportement des juridictions nationales avait été arbitraire ou avait constitué un déni de justice. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur a failli à son obligation d’épuiser les recours internes et que les griefs de violations tirés des articles 9, paragraphes 1 et 4, et 14, paragraphe 3 c), sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

8.5Au titre des articles 7 et 10 du Pacte, le Comité prend note, en premier lieu, des allégations de l’auteur concernant les conditions inhumaines de sa détention pendant la période de sa garde à vue. Le Comité observe que, selon les éléments versés au dossier, l’auteur n’a pas non plus fait état de ces allégations devant les juridictions internes. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’auteur doit se prévaloir de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée dans le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles et de facto ouverts à l’auteur. Par conséquent, le Comité considère que ces allégations ne sont pas recevables en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

8.6En second lieu, le Comité note que, selon l’auteur, les conditions et le déroulement de sa détention à la prison de New Bell ont contribué à la détérioration de son état de santé, en raison du refus des autorités de lui permettre d’accéder à une prise en charge médicale adaptée, ce qui constituerait un traitement inhumain en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Le Comité note que l’auteur soutient avoir effectué de nombreuses démarches afin d’épuiser les recours internes disponibles, alors que, selon l’État partie, l’auteur n’a pas présenté ces allégations devant les juridictions nationales et qu’elles ne font l’objet d’aucun recours judiciaire. Le Comité fait observer que, dès la survenance des symptômes de sa maladie le 19 octobre 2013, l’auteur a sollicité, par ses courriers du 21 octobre 2013, une intervention pour raisons de santé en vue d’être évacué en France; cette demande a été adressée à toutes les juridictions saisies des affaires déposées à son encontre. Le Comité observe que l’État partie s’est contenté de déclarer que les recours n’étaient pas épuisés sans toutefois indiquer quelles voies de recours étaient effectivement disponibles pour l’auteur. Le Comité estime donc que les informations dont il dispose ne démontrent pas que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne le grief tiré des articles 7 et 10 relatif à la dégradation de l’état de santé de l’auteur en prison. Cependant, à la lumière des informations mises à sa disposition, le Comité observe que l’auteur a été pris en charge par le centre médical de la prison de New Bell dès la manifestation des symptômes de sa maladie, qu’il a été examiné par différents médecins hors de la prison, et qu’il a pu bénéficier de multiples expertises médicales, y compris une expertise mandatée par le Ministère de la santé publique en mai 2014. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief en vertu des articles 7 et 10 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication, et le déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la violation des droits qu’il tire de l’article 11 dans la mesure où il considère avoir été emprisonné pour manquement à une obligation contractuelle. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’interdiction de la détention pour dette, consacrée à l’article 11 du Pacte, ne s’applique pas aux infractions pénales liées à des dettes civiles et qu’en cas de fraude, de banqueroute simple ou frauduleuse, l’intéressé est passible d’une peine d’emprisonnement même s’il n’est plus à même de rembourser ses dettes. Le Comité relève qu’en l’espèce l’auteur fait l’objet de poursuites pénales pour escroquerie et que les faits reprochés ne portent pas sur le défaut de s’acquitter d’une obligation contractuelle mais entrent bien dans le champ d’application du droit pénal. Par conséquent, le Comité estime que ce grief est incompatible ratione materiae avec l’article 11 du Pacte et, par conséquent, n’est pas recevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. L’allégation de violation de l’article 12 étant liée à celle de violation de l’article 11, le Comité estime qu’elle est irrecevable pour les mêmes raisons.

8.8En ce qui concerne les allégations relatives aux violations des articles 1, 2, 4, paragraphe 2, 5, paragraphe 2, 6, 14, paragraphes 1 et 2, et 15, paragraphe 1, le Comité considère qu’en l’espèce, les informations données par l’auteur n’étayent pas suffisamment ses griefs aux fins de recevabilité. Par conséquent, cette partie de la communication est déclarée irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité considère que le grief de l’auteur relatif à la protection de son droit à la propriété intellectuelle est incompatible ratione materiae avec les droits consacrés par le Pacte et par conséquent n’est pas recevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2; 3 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.