Nations Unies

CCPR/C/116/D/2039/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 août 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2039/2011 * , **

Communication présentée par :

A. N. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

31 décembre 2009

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

30 mars 2016

Objet :

Discours de haine à l’égard de la communauté musulmane

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs ; statut de victime ; non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Interdiction de l’incitation à la haine religieuse ; droits des minorités religieuses ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 20 (par. 2) et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est A. N., musulman résidant au Danemark. Il affirme être victime d’une violation par le Danemark des articles 2, 20 (par. 2) et 27 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

Exposé des faits

2.1En septembre 2005, Louise Frevert, parlementaire appartenant au Parti populaire danois, a publié sur son site Web un ensemble d’articles sous la rubrique « Articles que personne n’ose publier ». Les articles en question contenaient des déclarations accusant les musulmans de croire qu’ils avaient le droit « de violer des jeunes filles danoises et d’abattre des citoyens danois » et proposant « d’envoyer les jeunes immigrés dans les prisons russes », ajoutant que « cette solution n’[était] toutefois qu’une solution à court terme parce que, lorsqu’ils reviendr[aient], ils [seraient] encore plus déterminés à tuer des Danois ». Les articles comparaient également l’islam à un cancer. Cette publication a été abondamment commentée dans les médias et, en conséquence, le webmestre du site de Mme Frevert, E. T., a été interviewé lors d’un bulletin d’information le 1er octobre 2005. Au cours de la discussion, il a indiqué que c’était lui qui avait téléchargé ces articles sur le site.

2.2Le 30 septembre 2005, le Documentation and Advisory Centre on Racial Discrimination, organisation non gouvernementale (ONG) agissant au nom de l’auteur, a porté plainte contre Mme Frevert auprès de la police de Copenhague pour violation de l’article 266 b du Code pénal danois, qui interdit les discours de haine. Les 4 et 10 octobre 2005, la police de Copenhague a interrogé E. T. et lui a signifié qu’il avait commis une violation de l’article 266 b. Pendant son interrogatoire, il a déclaré qu’il avait accidentellement téléchargé les articles incriminés sur le site Web de Mme Frevert tandis qu’il téléchargeait d’autres documents. Le 11 octobre 2005, la police de Copenhague a interrogé Mme Frevert sous caution. Celle-ci a expliqué qu’elle n’avait ni édité ni approuvé les articles incriminés, qui avaient été téléchargés sur son site Web sans son autorisation, et qu’elle n’en avait eu connaissance que lorsqu’elle avait commencé à recevoir des appels téléphoniques de plusieurs journalistes alors qu’elle se trouvait au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

2.3Dans une lettre datée du 13 octobre 2005, le Directeur de la police de Copenhague a informé le Documentation and Advisory Centre on Racial Discrimination qu’il avait été mis fin à l’enquête sur Mme Frevert car il n’avait pu être établi avec le degré de certitude requis pour une inculpation que Mme Frevert avait eu l’intention de diffuser les déclarations en question, vu qu’elle-même et son webmestre avaient déclaré ne pas connaître la teneur des articles. Le procureur régional a confirmé la décision en appel le 13 décembre 2005, sa propre décision étant elle-même définitive.

2.4La police de Copenhague a transmis le dossier concernant l’affaire d’E. T., en le joignant à une lettre datée du 30 décembre 2005, à la police d’Helsingor pour complément d’enquête. Le 19 janvier 2006, la police d’Helsingor a recommandé au procureur régional de retirer les accusations contre E. T. au motif qu’il ne pouvait être prouvé, compte tenu des déclarations de l’intéressé, que les articles avaient été publiés intentionnellement. Le 8 février 2006, le procureur régional a demandé au chef de la police d’Helsingor de procéder à des investigations supplémentaires, y compris à des expertises informatiques.

2.5Le 10 février 2006, le Documentation and Advisory Centre on Racial Discrimination a soumis une communication au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, au nom de l’auteur. Dans sa décision, rendue le 8 août 2007, le Comité a déclaré la communication irrecevable au motif qu’elle ne relevait pas du champ d’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

2.6Le 4 janvier 2007, le Documentation and Advisory Centre on Racial Discrimination a déposé une plainte contre E. T. auprès de la police de Copenhague.

2.7Le 3 février 2009, la police de Zélande du Nord a présenté le résultat des investigations supplémentaires qu’elle avait menées sur E. T., qui étaient fondées sur de nouveaux interrogatoires et sur des expertises informatiques concernant les accès au serveur en tant qu’administrateur, et a maintenu la recommandation relative au retrait des accusations. Le 18 mars 2009, le procureur régional a transmis l’affaire au Directeur des poursuites publiques, recommandant lui aussi le retrait des accusations. Le 5 mai 2009, le Directeur des poursuites publiques a décidé retirer les accusations pesant sur contre E. T. faute de preuves suffisantes attestant que celui-ci avait eu l’intention de publier les articles. Le 4 juin 2009, le Documentation and Advisory Centre on Racial Discrimination a fait appel de cette décision auprès du Ministère de la justice. Le 2 juillet 2009, le Ministère a rejeté l’appel, considérant que l’auteur n’était pas habilité à porter plainte car les déclarations concernant les musulmans qui figuraient dans les articles étaient d’ordre général et visaient un nombre important et indéfini de personnes, et que l’auteur n’avait démontré aucun intérêt particulier dans l’issue de l’affaire autre que personnel, moral et affectif. Cette décision était définitive. L’auteur indique que les recours internes ont été épuisés puisque la saisine des tribunaux au titre de l’article 266 b du Code pénal est une compétence exclusive du parquet.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation par l’État partie des articles 2, 20 (par. 2) et 27 du Pacte. Il dit que l’État partie n’a pas pris de mesures efficaces en réaction à ce nouveau cas de discours de haine proféré contre les musulmans vivant au Danemark par des parlementaires appartenant au Parti populaire danois, malgré l’existence d’une disposition du Code pénal (art. 266 b) interdisant spécifiquement ce type d’acte. Les déclarations figurant dans les articles incriminés, qui s’inscrivent dans une campagne du Parti populaire danois visant à nourrir la haine à l’égard des musulmans danois, sont pour lui une insulte personnelle et constituent une discrimination à son égard. Ces déclarations créent un climat islamophobe délétère et l’exposent au risque d’être agressé, par exemple lorsqu’il travaille dans la rue, par des personnes influencées par de tels propos. D’après une étude publiée en 1999 par le Conseil danois pour l’égalité ethnique, des personnes d’origine libanaise, somalienne et turque (pour la plupart musulmanes) vivant au Danemark avaient été la cible d’agressions racistes dans la rue. Le Conseil avait été dissous en 2002 et aucune autre étude n’avait été réalisée depuis lors. L’État danois est responsable du manque de statistiques actualisées sur les agressions racistes.

3.2L’auteur affirme qu’en le privant du droit de faire appel de la décision du Directeur des poursuites publiques de mettre fin à l’enquête, on l’a également privé du droit à un recours utile contre les agressions subies. Il a un intérêt dans cette affaire du fait que les déclarations diffamatoires ont une incidence négative sur sa vie quotidienne au Danemark. Étant musulman, il est blessé et offensé de se voir régulièrement accusé d’être un délinquant par des membres du Parti populaire danois ; cela l’empêche de s’intégrer dans la société danoise, l’expose au risque d’agressions racistes et réduit ses chances d’entrer sur le marché du travail danois ou de trouver un logement. Il est victime de ces déclarations en tant que membre d’un groupe ou d’une catégorie de personnes lésées par une décision, en l’occurrence les musulmans vivant au Danemark. En outre, bien que certains membres du Parti populaire danois moins haut placés aient été reconnus coupables de violations de l’article 266 b du Code pénal, aucun des dirigeants n’a été poursuivi. Ce type d’affaires n’est jamais porté devant les tribunaux car cela relève de la compétence exclusive du parquet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 12 octobre 2011, l’État partie fait observer que l’article 20 du Pacte établit une obligation d’adopter une législation interdisant tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse et qu’en conséquence, cette disposition ne peut être invoquée au titre du Protocole facultatif car elle ne peut être interprétée comme offrant une protection directe aux particuliers. L’État partie ajoute que le Comité ne s’est pas encore prononcé sur l’applicabilité de l’article 20 aux cas individuels.

4.2L’État partie affirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief qu’il tire de l’article 20 aux fins de la recevabilité. Une législation a été adoptée qui incrimine spécifiquement les discours de haine et qui considère comme une circonstance aggravante le fait qu’ils puissent être qualifiés de propagande. De plus, un mécanisme de transmission a été établi par le Service des poursuites danois en vue d’uniformiser les pratiques en matière d’inculpation, à l’échelle nationale, et de superviser le traitement des allégations de violation de l’article 266 b du Code pénal. À cette fin, des directives spéciales actualisées ont été adoptées par le Directeur des poursuites publiques dans son instruction no 2/2011. En l’espèce, la police et les procureurs publics ont pris des mesures concrètes en réaction aux allégations de discours de haine formulées par l’auteur et ont enquêté sur l’affaire en bonne et due forme, notamment en conduisant plusieurs interrogatoires et en faisant procéder à des expertises informatiques des données ayant transité par le serveur. Pour accuser une personne d’avoir tenu des propos haineux, il est nécessaire de prouver qu’il y a eu intention d’exprimer de la haine, ce qui n’a pas été possible en l’espèce. Il y a eu plusieurs cas de poursuites pour violation de l’article 266 b du Code pénal intentées contre des personnalités politiques qui avaient fait des déclarations concernant les musulmans et/ou l’islam, y compris dans le cadre d’activités de propagande.

4.3Pour ce qui est du grief que l’auteur tire de l’article 27 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas expliqué en quoi cet article était pertinent en l’espèce. La décision de ne pas engager de poursuites au sujet du site Web de Mme Frevert n’a pas privé les musulmans de leur droit d’avoir leur propre culture ou de professer ou pratiquer leur propre religion.

4.4Pour ce qui est du grief que l’auteur tire de l’article 2 du Pacte, l’État partie fait valoir que cette disposition n’offre pas une protection indépendante mais doit être invoquée conjointement avec d’autres dispositions de fond du Pacte. Vu que l’auteur n’a pas étayé ses griefs au titre des articles 20 et 27, son grief au titre de l’article 2 devrait également être déclaré irrecevable pour défaut de fondement. En outre, l’article 2 ne confère pas à l’auteur ou son représentant le droit de faire appel d’une décision administrative car, d’une manière générale, seules les «victimes» sont habilitées à contester une décision relative à des poursuites pénales devant une juridiction administrative supérieure. Selon l’article 721 de la loi relative à l’administration de la justice, des accusations pénales peuvent être retirées lorsqu’il est considéré qu’il n’y aura probablement pas condamnation ou lorsque l’affaire entraînerait des difficultés, des coûts ou des délais disproportionnés par rapport à la sanction. Si le Directeur des poursuites publiques décide de ne pas formuler d’accusations, les victimes présumées ou les personnes qui sont censées avoir un intérêt particulier dans l’affaire sont informées de cette décision afin qu’elles aient la possibilité de la contester. En l’espèce, le procureur public et le Ministère de la justice ont estimé que l’auteur n’était pas une victime au sens de l’article 266 b du Code pénal et qu’il n’avait pas, quant à l’issue de l’affaire, un intérêt essentiel, direct, personnel et juridique pouvant lui conférer un droit d’appel.

4.5L’État partie affirme que la communication est également irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, étant donné que l’auteur aurait pu déposer une plainte pénale contre Mme Frevert et E. T. pour les déclarations qu’il jugeait diffamatoires, au titre de l’article 267 du Code pénal qui interdit les propos diffamatoires, notamment racistes. Les infractions relevant de l’article 267 peuvent donner lieu à des poursuites privées en vertu de l’article 275 du Code pénal. L’État partie invoque la décision d’irrecevabilité rendue par le Comité en l’affaire Ahmad et Abdol-Hamid c. Danemarkà l’appui de son argument selon lequel, dans des cas tels que la présente affaire, les auteurs sont tenus d’engager une action au titre des articles 267 et 275 (par. 1) du Code pénal afin d’épuiser les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 28 novembre 2011, l’auteur a soumis ses commentaires à propos des observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte n’offre pas de protection individuelle. Dans l’affaire invoquée par l’État partie (Vassilari et consorts c. Grèce), le Comité ne s’est pas prononcé sur cette question. Si les victimes ne pouvaient invoquer les articles 20 et 27 du Pacte devant le Comité des droits de l’homme pour dénoncer des violations de leurs droits, la protection des groupes minoritaires s’en trouverait affaiblie.

5.2Les déclarations figurant dans les articles incriminés visaient à susciter dans la population danoise un sentiment de crainte à l’égard de la minorité musulmane. Elles préconisaient également l’adoption d’une politique consistant à envoyer les délinquants musulmans purger leur peine dans des prisons russes. Que les articles fassent mention de l’origine ethnique ou seulement de la religion n’importait guère, puisque la police et les organes de poursuite pouvaient enquêter et formuler des accusations en vertu du Code pénal dans les deux cas. Les membres de minorités religieuses devaient être protégés non seulement par la loi mais aussi par l’application effective de la loi, se traduisant par une protection contre les infractions motivées par la haine. L’auteur fait observer que le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte constitue une restriction à la liberté d’expression, comme l’a établi le Comité dans son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression.

5.3L’auteur affirme que le discours de propagande tenu par E. T., selon lequel les délinquants musulmans devraient être expulsés et séparés du reste de la communauté musulmane au Danemark, constitue une violation des articles 20 et 27 du Pacte.

5.4L’auteur affirme que l’État partie l’a privé de son droit à réparation pour des raisons politiques plutôt que juridiques, parce que seul le soutien du Parti populaire danois permet au Gouvernement de se maintenir au pouvoir. La police n’a pas traité les plaintes visant Mme Frevert et E. T. de la même manière. Dans l’affaire concernant E. T., qui n’est pas membre du Parti populaire danois, le procureur régional a sollicité l’avis du Directeur des poursuites publiques, tandis que dans celle concernant Mme Frevert il a pris la décision définitive. En outre, l’instruction no 2/2011, qui selon l’auteur a probablement été publiée en réponse à la présente affaire, autorise la police à prendre une décision initiale sur l’opportunité de formuler des accusations ; si la décision est positive, l’affaire est alors transmise au Bureau du procureur régional et, si la décision est confirmée, l’affaire doit être examinée par le Directeur des poursuites publiques avant d’être portée devant les tribunaux. En revanche, la police et les organes de poursuite locaux peuvent adopter une décision définitive de ne pas formuler d’accusations au titre de l’article 266 b sans que cette décision ne soit confirmée par la plus haute autorité du ministère public.

5.5Concernant l’affirmation de l’État partie relative au non-épuisement des recours internes, l’auteur fait observer qu’on ne saurait exiger de lui qu’il dépose une plainte pénale au titre de l’article 267 du Code pénal vu qu’une telle plainte aurait également été déclarée irrecevable au motif qu’il était considéré comme n’ayant pas un intérêt direct dans l’affaire.

Observations supplémentaires des parties

6.1Dans une lettre datée du 25 janvier 2012, l’État partie conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’instruction no 2/2011 a été adoptée en réponse à la présente affaire. Les Directives pour le traitement des affaires de violation de l’article 266 b du Code pénal ont été publiées en 1995 par le Directeur des poursuites publiques, dans l’instruction no 4/1995, puis révisées en 2006 et 2011.

6.2Concernant l’affirmation de l’auteur selon laquelle les mêmes procédures n’ont pas été suivies dans le cas de Mme Frevert et dans celui d’E. T., l’État partie indique que cette différence est due au fait qu’aucune accusation n’a été formulée contre Mme Frevert et que, par conséquent, le Directeur des poursuites publiques n’avait pas pris de décision à cet égard. En revanche, E. T. a quant à lui fait l’objet d’accusations et le Directeur des poursuites publiques a donc eu à se prononcer. Ainsi, les procédures se sont déroulées conformément aux directives applicables susmentionnées.

6.3Enfin, l’État partie réaffirme qu’il y a eu plusieurs cas de responsables politiques, y compris de membres du Parti populaire danois, reconnus coupables de violation de l’article 266 b du Code pénal, le plus récent étant celui cité dans ses précédentes observations (voir note 5).

6.4Dans une lettre datée du 7 septembre 2012, l’auteur insiste sur l’absence de pratique uniforme en matière de poursuites en lien avec l’article 266 b du Code pénal. D’après l’auteur, si le Gouvernement danois souhaitait assurer une pratique uniforme, il veillerait à ce que tous les cas de violation présumée de l’article 266 b soient portés à la connaissance du Directeur des poursuites publiques, qui déciderait de poursuivre ou non. Au lieu de cela, la police et les organes de poursuite locaux sont habilités à décider qu’il soit mis fin à l’enquête. S’ils décident de formuler des accusations, ils doivent d’abord transmettre l’affaire au procureur régional, puis au Directeur des poursuites publiques, ce qui rend plus difficile l’engagement de poursuites pénales. Tel avait été le cas en l’espèce, lorsque la police et/ou les organes de poursuite locaux avaient été habilités à décider de ne pas poursuivre Mme Frevert et qu’ils avaient eu le pouvoir de rendre une décision définitive. En revanche, pour mettre E. T. en accusation, les autorités locales avaient dû « demander la permission » du Bureau régional des poursuites, lequel avait dû à son tour demander au bureau du Directeur des poursuites publiques de rendre une décision qui permettrait de porter l’affaire devant les tribunaux.

6.5Dans une lettre datée du 19 octobre 2012, l’État partie conteste les déclarations de l’auteur concernant la procédure relative aux cas de violation de l’article 266 b du Code pénal. Il indique que, conformément à la procédure établie par l’instruction no 2/2011, tous les cas de violation de l’article 266 b doivent être communiqués au Directeur des poursuites publiques par l’intermédiaire du procureur régional, que le Directeur de la police et/ou le procureur régional décident ou non que des poursuites doivent être engagées. Cela signifie que les cas pour lesquels il est recommandé de retirer les accusations doivent également être portés à l’attention du Directeur des poursuites publiques. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le Directeur de la police ne peut pas décider de ne pas ouvrir d’enquête. Une telle décision ne peut être prise que par le procureur régional et peut être contestée seulement auprès du Directeur des poursuites publiques. Dans tous les cas, une copie des décisions rendues par le procureur régional doit être envoyée au Directeur des poursuites publiques pour lui permettre de superviser la pratique régionale dans ce domaine, conformément à l’article 2.4.2 de l’instruction susmentionnée.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note qu’une communication soumise au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale au nom de l’auteur a été déclarée irrecevable au motif qu’elle ne relevait pas du champ d’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés puisque l’auteur n’a pas déposé de plainte au titre de l’article 267 du Code pénal, qui interdit les propos diffamatoires, y compris les déclarations racistes. Le Comité prend note également de l’affirmation de l’auteur selon laquelle une plainte pénale au titre de l’article 267 du Code pénal aurait également été déclarée irrecevable. Le Comité relève que, d’après l’auteur, son appel de la décision de retrait des accusations formulées contre E. T. au titre de l’article 266 b a été rejeté aux motifs que les déclarations visant les musulmans étaient d’ordre général et concernaient un nombre indéfini de personnes et que l’auteur n’avait pas démontré qu’il avait un intérêt particulier dans l’issue de cette affaire. Le Comité conclut qu’en pareilles circonstances, il serait déraisonnable d’attendre de l’auteur qu’il engage une procédure distincte au titre de l’article 267 du Code pénal après avoir invoqué sans succès l’article 266 b. En conséquence, le Comité conclut que les recours internes ont été épuisés conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 27 du Pacte en faisant valoir que l’État partie a négligé de prendre des mesures efficaces contre les discours de haine visant la communauté musulmane établie au Danemark. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’aucun individu ne peut, dans l’abstrait et par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique qu’il estime contraire au Pacte et que toute personne affirmant être victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer que l’exercice de ses droits a déjà été entravé par un acte ou une omission de l’État ou qu’une telle entrave est imminente, en se fondant par exemple sur un texte législatif en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les propos diffamatoires figurant dans les articles incriminés ont une incidence négative sur sa vie quotidienne, l’empêchant de s’intégrer dans la société danoise et d’avoir accès aux droits sociaux et l’exposant au risque d’être agressé par des personnes qui pourraient être influencées par de telles déclarations. Le Comité considère toutefois que, sans préjudice des obligations qui incombent à l’État partie au titre du paragraphe 2 de l’article 20, l’auteur n’a pas démontré que ses droits en vertu du Pacte avaient été effectivement restreints par l’État, ou qu’une telle restriction était imminente, du fait de la décision de retirer les accusations formulées au titre de l’article 266 b du Code pénal au motif qu’il n’y avait pas eu intention de publier les passages incriminés. L’auteur n’a donc pas établi qu’il avait été personnellement lésé par la décision de l’État partie de ne pas poursuivre Mme Frevert ou E. T. pour la publication des articles. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’auteur n’a pas démontré qu’il a été victime d’une violation par l’État partie d’un droit protégé par le Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

7.5Le Comité fait observer que l’article 2 ne peut être invoqué par les particuliers que conjointement avec d’autres dispositions du Pacte. Il ne peut être raisonnablement demandé à un État partie, en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que des procédures de ce type soient disponibles pour des plaintes qui ne sont pas suffisamment fondées et dont les auteurs n’ont pas été en mesure de démontrer qu’ils étaient directement victimes des violations dénoncées. Vu que l’auteur n’a pas établi sa qualité de victime d’une violation au regard du paragraphe 2 de l’article 20 et de l’article 27 du Pacte aux fins de la recevabilité, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayée.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 1 et 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.