Nations Unies

CCPR/C/111/D/1926/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 septembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1926/2010

Décision adoptée par le Comité à sa 111esession(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:

S.I.D. et consorts (représentés par des conseils, Daniela Mihailova et Bret G. Thiele, des organisations Equal Opportunities Association et Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, respectivement)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bulgarie

Date de la communication:

21 septembre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 janvier 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

21 juillet 2014

Objet:

Expulsion et démolition imminentes de logements d’une communauté rom installée de longue date

Question(s) de fond:

Recours utile; immixtion arbitraire et illégale dans le domicile; droit à l’égalité devant la loi/ égale protection de la loi; discrimination fondée sur l’origine ethnique

Question ( s ) de procédure:

Affaire portée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; griefs non étayés

Article(s) du Pacte:

2, 17 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 a))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 1926/2010 *

Présentée par:

S.I.D. et consorts (représentés pardes conseils, Daniela Mihailova et Bret G. Thiele,des organisations Equal Opportunities Associationet Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, respectivement)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bulgarie

Date de la communication:

21 septembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 2014,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication, datée du 21 septembre 2009, sont S. I. D., M. A. T., A. A. S., R. S. G., O. A. T., M. G. H., G. S. G., I. S. R., F. A. T., N. A. S., Y. B. K., G. Y. T., L. I. R., L. Y. M., D. M. M., S. A. K., Y. K. P., I. S. R., T. S. M., I. M. K., A. S. S., M. G. H., S. M. N., M. D. P., N. I. S., R. A. S., M. H. G., S. I. V., R. I. K., L. S. K., S. M. K., M. J. C. et K. S. P., appartenant à la communauté de Gorno Ezerovo, et E. A. B., K. H. S., M. I. D. et Z. S. A., appartenant à la communauté de Meden Rudnik, tous ressortissants bulgares d’origine rom. Les communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik sont situées dans la ville de Bourgas (Bulgarie). Les auteurs affirment qu’ils seront victimes de violation, par la Bulgarie, des droits qu’ils tirent des articles 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après «le Pacte»), lus séparément et conjointement avec l’article 2, s’ils sont expulsés de leur logement et que celui-ci est détruit. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Bulgarie le 26 juin 1992. Les auteurs sont représentés par des conseils.

1.2Le 28 janvier 2010, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas demander des mesures provisoires au titre de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, compte tenu de l’insuffisance des informations fournies par les auteurs à l’époque.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs appartiennent aux communautés roms de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik, qui existent depuis plus de cinquante ans. Pendant toutes ces années, les pouvoirs publics ont reconnu de facto l’établissement de ces communautés, qui bénéficiaient de services de distribution du courrier, d’assainissement et d’approvisionnement en eau et en électricité.

2.2En 2007, 52 habitants de la communauté de Gorno Ezerovo et 32 ménages de la communauté de Meden Rudnik ont reçu des arrêtés d’expulsion délivrés par le bureau régional de Bourgas de la Direction nationale du contrôle des bâtiments, en application de l’article 225 (par. 1) de la loi sur l’aménagement du territoire, qui autorise la démolition des logements construits sans permis. Il était dit dans ces arrêtés d’expulsion que les auteurs devaient démolir eux-mêmes leur logement ou le faire démolir par les autorités. Dans ce dernier cas, ils étaient tenus de rembourser les frais de démolition. Les auteurs ont déclaré dans leur communication initiale que ces arrêtés d’expulsion faisaient suite à des demandes de restitution de biens présentées par des particuliers, qui visaient les terres sur lesquelles les communautés étaient installées de longue date.

2.3Le 28 mai 2008, les auteurs ont saisi le Conseil des droits de l’homme dans le cadre de sa procédure de requête, au motif qu’ils étaient sur le point d’être expulsés. Les mesures d’expulsion ont été suspendues pendant l’examen de la communication par le Groupe de travail des communications du Conseil. En avril 2009, le Groupe de travail a mis fin à son examen de la communication.

2.4Le 8 septembre 2009, la municipalité de Bourgas a expulsé 27 membres de la communauté de Gorno Ezerovo et démoli leurs logements. L’arrêté a été exécuté avec l’assistance de la police locale qui a fait un usage disproportionné de la force contre ces habitants. Les personnes visées ont été contraintes par la force de quitter leur logement; certaines ont reçu des coups. Elles ont dû abandonner la plupart de leurs effets personnels, y compris leurs meubles, qui se trouvaient encore à l’intérieur de leurs habitations quand celles-ci ont été détruites. Ces familles, qui comptaient parmi leurs membres des enfants et des personnes âgées, se sont ainsi retrouvées sans abri.

2.5Lorsque la communication initiale a été soumise au Comité, les autres ménages de la communauté de Gorno Ezerovo qui avaient également reçu des arrêtés d’expulsion ainsi que les 32 ménages de la communauté de Meden Rudnik étaient sous la menace d’une expulsion imminente et de la démolition de leurs logements. S’agissant de la communauté de Meden Rudnik, les auteurs affirment que la moitié des 32 habitations existaient depuis une vingtaine d’années, les autres étant plus récentes. Par la suite, aux alentours du 25 septembre, 19 familles de la communauté Meden Rudnik ont été expulsées de force et leurs maisons ont été démolies. Aucune des personnes expulsées ne s’est vu proposer un logement de remplacement et la communauté n’a pas été véritablement consultée. Bien que le maire de Bourgas ait déclaré que la municipalité fournirait un logement de remplacement aux familles qui étaient légalement enregistrées à Bourgas et alors que toutes les personnes expulsées remplissaient ce critère, aucune n’a été relogée et elles se sont toutes retrouvées sans abri.

2.6Aucun recours utile pour contester une expulsion n’est ouvert sur le plan national aux personnes à qui l’on a refusé toute sécurité d’occupation même minimale. Plusieurs familles ont néanmoins tenté de saisir le tribunal administratif de Bourgas et le Tribunal administratif suprême, mais les arrêtés d’expulsion ont été confirmés au motif, notamment, que les intéressés ne bénéficiaient d’aucune sécurité d’occupation. L’organisation Equal Opportunities Association a aidé les communautés concernées à contester les arrêtés d’expulsion devant le Tribunal administratif, en se fondant sur le droit international, compte tenu du fait que la législation de l’État partie ne prévoit aucun recours. De même, d’autres communautés roms ont saisi les tribunaux en question. Toutefois, elles ont toutes été déboutées, notamment du fait qu’elles ne pouvaient pas établir le fondement juridique de leur occupation des parcelles. Ceci témoigne du manque de volonté ou de capacité des tribunaux internes de protéger efficacement les droits de l’homme, garantis par le droit international, qui font l’objet de la présente communication.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment être victimes d’un climat persistant de discrimination raciale à l’égard de la population rom, qui a contraint les communautés roms, telles que celles de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik, à s’installer dans des campements sauvages («constructions non autorisées»). Cette discrimination prive les Roms de l’éducation et des débouchés qui leur permettraient d’accéder à un logement aux prix du marché. Les auteurs citent le Comité des droits économiques, sociaux et culturels qui, dans ses observations finales concernant la Bulgarie, note qu’en dépit des efforts déployés par le Gouvernement pour combattre le chômage, «la situation dans ce domaine ne s’est pas améliorée», et déplore «que ceux qui ont un emploi reçoivent des salaires qui ne leur permettent pas d’avoir, pour eux-mêmes et pour leur famille, un niveau de vie suffisant». L’existence de campements sauvages en milieu urbain s’explique aussi par le fait que la plupart des Roms des zones rurales ont été contraints de chercher du travail en ville après avoir été déplacés de terres rurales. Les auteurs citent aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui, dans ses observations finales concernant la Bulgarie, note que «[les Roms] sont dissuadés de revendiquer les terres auxquelles ils ont droit en vertu de la loi de décollectivisation agricole».

3.2L’État partie a refusé la sécurité d’occupation aux communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik, y compris un degré minimum «de sécurité garantissant la protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces», comme il y est tenu par ses obligations en matière de droits de l’homme au plan international et interne. Les tentatives menées par les auteurs pour saisir le tribunal administratif de Bourgas ont été vaines. Les arrêtés d’expulsion et de démolition ont été confirmés par le tribunal administratif de Bourgas et le Tribunal administratif suprême.

3.3Les expulsions forcées et les menaces d’expulsion forcée constituent une violation de l’article 17, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte. Le Comité a déjà déclaré dans des observations finales que «ces expulsions arbitraires portent atteinte aux droits garantis par le Pacte, en particulier les droits visés à l’article 17» et que l’État partie intéressé devrait «veiller à ce qu’il ne soit pas procédé aux expulsions sans que les intéressés aient été consultés et que des arrangements appropriés aient été prévus en vue de leur réinstallation».

3.4Les auteurs affirment que la menace d’expulsion forcée qui pèse sur les communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik est aussi illégale en ce qu’elle porte notamment atteinte au droit à un logement suffisant, qui englobe l’interdiction des expulsions forcées, consacré à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que l’a confirmé le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans ses Observations générales no 4 (1991) relative au droit à un logement suffisant et no 7 (1997) relative aux expulsions forcées, lesquelles ont une autorité persuasive aux fins de la définition de l’interdiction des expulsions forcées en droit international en général et notamment en vertu du Pacte. C’est pourquoi, comme les expulsions forcées sont, en tant que telles, contraires au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elles représentent une immixtion illégaledans le domicile et, partant, constituent également une violation de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.5Les auteurs font valoir que les expulsions forcées sont aussi arbitraireset qu’elles sont pratiquées de manière discriminatoire, selon des considérations raciales fondées sur l’appartenance des communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik à l’ethnie rom. Les expulsions ont à la fois une intention et un effet discriminatoires illégaux.

3.6Les auteurs renvoient à la Recommandation Rec(2005)4 relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des gens du voyage en Europe, adoptée par le Conseil de l’Europe le 23 février 2005, et suggèrent d’en exploiter l’autorité persuasive aux fins de l’interprétation de l’article 17 du Pacte. Toute infraction à cette recommandation représenterait une immixtion illégale dans le domicile. Se fondant sur ces considérations, les auteurs affirment que la menace d’expulsion forcée dénoncée dans la présente communication devrait être jugée illégale aussi bien qu’arbitraire et, partant, contraire à l’article 17 du Pacte.

3.7Les auteurs affirment que les expulsions forcées et les menaces d’expulsion forcée constituent une violation de l’article 26, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte. En vertu du paragraphe 4 de l’article 5 de la Constitution bulgare, les droits consacrés par le Pacte et d’autres traités ratifiés par la Bulgarie sont directement applicables dans l’ordre juridique interne. L’article 26 exige que les droits consacrés par l’article 17 du Pacte soient garantis sans aucune discrimination ethnique et garantit l’égale protection de l’article 17 du Pacte. Le fait que les communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik soient installées dans des campements sauvages ou des «constructions non autorisées», selon les termes employés par l’Agence régionale de contrôle des constructions non autorisées, s’explique en grande partie par le climat persistant de discrimination raciale à l’égard des Roms et par le manque de volonté de l’État partie d’assurer le respect du droit à un logement suffisant.

3.8L’État partie a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et par conséquent les droits garantis par cet instrument, dont le droit à un logement suffisant, qui englobe l’interdiction des expulsions forcées, consacré en son article 11, sont directement applicables dans l’ordre juridique interne. L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, lu conjointement avec l’article 2, fait obligation à l’État partie de respecter, protéger et appliquer le droit à un logement suffisant sans discrimination. En vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les expulsions ne sont justifiées que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles et une fois que toutes les autres solutions possibles ont été examinées au cours de véritables consultations avec les personnes concernées. Même alors, l’État partie doit appliquer diverses mesures de protection garantissant le respect de la légalité, comme le souligne le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son Observation générale no 7. Enfin, et quand bien même les critères de légalité auraient été dûment respectés, les expulsions ne sauraient être pratiquées de manière discriminatoire ni avoir pour conséquence que des personnes se retrouvent sans toit ou exposées à la violation d’autres droits de l’homme. Dans le cas des auteurs, les autorités n’ont mené aucune consultation pour rechercher des solutions autres que l’expulsion. L’État partie pourrait indemniser les propriétaires allégués des terres en question et s’acquitter ensuite de l’obligation qui lui incombe de respecter, protéger et réaliser le droit à un logement suffisant en régularisant la situation des communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik.

3.9Les auteurs concluent que l’État partie viole l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en n’interdisant pas la discrimination fondée sur l’origine rom, en n’assurant pas l’égale protection de l’article 17 du Pacte ou l’égale protection des droits consacrés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit à un logement suffisant et l’interdiction de l’expulsion forcée.

3.10Les auteurs ajoutent que les mesures de réparation devraient comprendre la restitution des logements et des terres ainsi que l’indemnisation des personnes expulsées de force. Elles devraient aussi comprendre la régularisation de la situation des communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik, y compris par la garantie d’un degré minimum de sécurité d’occupation qui les protège légalement contre l’expulsion, le harcèlement et d’autres menaces. Toutes les mesures de réparation devraient être appliquées avec la participation véritable et significative des communautés concernées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 26 mars 2010, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication et a prié le Comité de déclarer celle-ci irrecevable conformément à l’article 96 (al. c, e et f) du Règlement intérieur du Comité.

4.2L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que, en octobre 2009, les auteurs de la communication ont également soumis des requêtes similaires à plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à savoir la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités et le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. L’État partie avait soumis ses observations aux titulaires de mandat concernés. Au moment où il soumet ses observations au Comité, les titulaires de mandat n’ont pas encore communiqué leur réponse. La communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 96 e) du Règlement intérieur du Comité.

4.3De plus, le 28 mai 2008, les auteurs de la présente communication ont soumis au Conseil des droits de l’homme, au titre de sa procédure de plainte, une requête qui a fait l’objet d’une radiation par le Groupe de travail des communications le 16 avril 2009. Toutes ces requêtes étaient très similaires et présentaient les mêmes exposés des faits et allégations que la communication dont le Comité est saisi. On peut donc en conclure que, quasiment à la même période, les auteurs ont exposé exactement les mêmes arguments et faits à différents organes. De telles pratiques posent problème et ne sont pas conformes à l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité et ne devraient donc pas être encouragées puisqu’elles constituent un abus du droit de présenter une communication.

4.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie constate que seuls quatre des auteurs, à savoir M. S. I. D. et Mmes G. Y. T., L.Y. M. et L. I. R., ont contesté la décision du tribunal administratif de Bourgas devant le Tribunal administratif suprême. Les autres auteurs de la communication n’ont ni épuisé les recours internes ni même cherché à les exercer. L’État partie demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.5En ce qui concerne M. S.I.D., il apparaît qu’il a contesté auprès du tribunal administratif de la ville de Bourgas l’arrêté no 39 rendu par la Direction nationale du contrôle des bâtiments ordonnant l’enlèvement d’une construction non autorisée située sur la parcelle I de la section 1 d’après le plan du quartier de Gorno Ezerovo (38 rue Minzouhar). Il affirmait que l’exécution de cet arrêté le mettrait dans une situation de dénuement social étant donné qu’il n’avait pas les moyens de trouver un autre logement et était chef de famille nombreuse. Plus tard, au cours de la procédure, il a avancé que la construction pouvait être tolérée au regard de l’article 16 3) des dispositions complémentaires de la loi sur l’aménagement du territoire. Le 11 juin 2008, le tribunal administratif a rejeté sa plainte au motif que les travaux de construction concernés avaient été effectués en 1999 sur une parcelle appartenant à la municipalité, sans droit d’occupation, sans dépôt de dossier et sans permis de construire. De la même manière, le tribunal a jugé que l’argument de M. S.I.D. selon lequel la construction pouvait être tolérée était également dépourvu de fondement. Compte tenu de ces éléments, la construction a été déclarée illégale en vertu de l’article 225 (par. 2, al. 1 et 2) de la loi. Le tribunal administratif a également jugé que les arguments invoqués à propos de la situation de dénuement social de l’auteur, liée à son insuffisance de moyens financiers pour acquérir un autre logement et à sa famille nombreuse, n’enlevaient rien à la conclusion à laquelle il était arrivé, à savoir que la construction existante était illégale. En octobre 2008, le Tribunal administratif suprême a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur et confirmé le jugement rendu par le tribunal administratif de Bourgas, au motif que l’auteur n’avait pas produit d’éléments de preuve concernant la légalité de la construction.

4.6L’État partie soutient que le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi est énoncé à l’article 6 (par. 2) de la Constitution bulgare et que la Loi fondamentale ne permet aucune limitation des droits ni aucun privilège fondés sur la race, la nationalité, l’identité ethnique, le sexe, l’origine, la religion, l’éducation, les convictions, l’affiliation politique ou la condition personnelle ou sociale. Dans son arrêt interprétatif no14 de 1992, la Cour constitutionnelle déclarait que «l’égalité de tous les citoyens devant la loi» au sens de l’article 6 (par. 2) de la Constitution s’entendait de l’égalité devant tous les actes juridiques. La loi relative à la protection contre la discrimination adoptée en 2003 définissait les formes de discrimination interdites et indiquait les procédures et les organes de protection contre la discrimination.

4.7La politique officielle à l’égard de la communauté rom est fondée sur le Programme‑cadre pour l’intégration des Roms dans la société bulgare dans des conditions d’égalité, adopté par le Conseil des ministres en 1999. La section IV «Structure territoriale des quartiers roms» du Programme‑cadre dispose que les quartiers exclusivement roms, dont la plupart se trouvent en dehors de la ville et sont dépourvus d’infrastructures appropriées, représentent l’un des problèmes socioéconomiques les plus graves de la communauté. L’État partie renvoie aussi dans ce contexte au Programme national d’amélioration des conditions de logement des Roms en Bulgarie (2005-2015).

4.8Soucieux de répondre aux critères d’appartenance à l’Union européenne, l’État partie a mis en œuvre ou exécute actuellement un certain nombre de projets visant à améliorer la situation des membres des groupes ethniques, qui ciblent tout spécialement les Roms. Ces projets sont financés par le Programme d’aide communautaire aux pays d’Europe centrale et orientale (PHARE) de l’Union européenne, la Banque de développement du Conseil de l’Europe, le budget national (par l’intermédiaire du budget du Ministère du développement régional et des travaux publics) et les budgets d’un certain nombre de municipalités. Les projets d’intégration des Roms, y compris ceux mis en œuvre par des organisations non gouvernementales et financés par des sources nationales ou extérieures, font l’objet d’un suivi continu.

4.9Une commission pour l’intégration des Roms a été créée au sein du Conseil national de coopération sur les questions ethniques et démographiques, organe de consultation et de coordination relevant du Conseil des ministres. Les institutions gouvernementales doivent consulter le Conseil de coopération pour tout projet relatif aux questions ethniques et démographiques, dont la politique d’intégration des Roms dans la société bulgare dans des conditions d’égalité constitue un élément essentiel.

4.10Depuis 1990, il est possible de donner un statut légal à tous les édifices illégaux qui sont conformes aux dispositions de la loi et disposent de toutes les spécifications techniques nécessaires. Tout édifice pour lequel aucune demande de légalisation n’a été déposée avant le 26 janvier 2004 ou dont la demande de légalisation a été rejetée peut être détruit. Cela ne se fait cependant ni automatiquement ni sans avis préalable. Concrètement, le maire de la municipalité doit présenter une demande au conseil municipal compétent au sujet des logements non autorisés qui présentent un risque ou au sujet des logements dont la propriété doit être restituée en application de décisions judiciaires.

4.11Pour ce qui est de la construction non autorisée de logements dans les districts de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik, dans la municipalité de Bourgas, l’État partie note que les mesures prises par l’administration municipale de Bourgas et par le bureau régional de la Direction nationale du contrôle des bâtiments pour rétablir la légalité bénéficiaient du soutien de la population des quartiers concernés ainsi que des autres habitants de la ville de Bourgas. En 2004, la municipalité a mené une inspection en application d’une résolution de son Conseil en date du 30 mars 2004, portant sur ses obligations en matière de contrôle des activités de construction. Cette inspection a permis de recenser 44 constructions non autorisées et 10 structures d’éclairage non conformes à la réglementation du district de Gorno Ezerovo, ainsi que 21 constructions illégales et 21 structures d’éclairage sur le territoire du district de Meden Rudnik, sur des parcelles appartenant à la municipalité allouées au tracé d’une rue et sur des parcelles privées. Les bâtiments, faits de structures entièrement délabrées et précaires, étaient le plus souvent construits à partir de matériaux de fortune et dégradés. Ils n’étaient pas raccordés aux réseaux d’approvisionnement en eau et d’assainissement et leurs occupants détournaient l’électricité illégalement par le biais de lignes aériennes. Ils étaient également insalubres et les alentours étaient très pollués, autant de conditions propices aux épidémies et à la propagation des infections. Les zones bordaient des quartiers habités par des Roms, qui existaient depuis plus de cinquante ans.

4.12S’agissant des éclairages, une procédure administrative a été instituée par la municipalité de Bourgas, conformément à la procédure établie à l’article 179 de la loi sur l’aménagement du territoire en vigueur. Cette procédure a abouti à l’enlèvement forcé de ces structures.

4.13En ce qui concerne les constructions non autorisées, en 2004, la municipalité de Bourgas a informé le bureau régional de Bourgas de la Direction nationale du contrôle des bâtiments de leur existence, afin qu’il prenne des mesures au titre de la loi sur l’aménagement du territoire et de l’arrêté no 13 (2001) rendu par le Ministère du développement régional et des travaux publics exigeant l’enlèvement, par des moyens coercitifs, des constructions non autorisées. Le bureau régional de Bourgas a engagé des poursuites en vertu de l’article 225 (par. 1, al. 1) de la loi d’aménagement du territoire et a pris des arrêtés demandant l’enlèvement aux motifs de l’absence de titre de propriété et de permis de construire. L’État partie fait valoir que les procédures administratives ont duré près de trois ans, période pendant laquelle la municipalité et la Direction nationale ont examiné attentivement chaque cas particulier et tenu les parties concernées informées à l’avance de chaque étape conformément à la procédure établie, par le biais de déclarations écrites, d’arrêtés, de notes, d’invitations à accepter l’exécution de la décision, d’avis et d’autres documents. De plus, reportée à maintes reprises par les autorités en 2007 et 2008, l’exécution des arrêtés a finalement eu lieu deux à cinq ans après leur publication, entre le 8 et le 24 septembre 2009. Au total, 21 constructions non autorisées ont été recensées dans le district de Meden Rudnik et 42 dans celui de Gorno Ezerovo. Tous les propriétaires ont eu une dernière chance d’exécuter volontairement l’arrêté les concernant sous trente jours. Vingt-trois occupants ont évacué volontairement. Nul n’a été expulsé de son foyer par la force et aucun effet personnel n’a été abandonné dans les structures détruites ni transféré de force vers les entrepôts municipaux.

4.14Pendant l’exécution des arrêtés, la vie et la santé des personnes concernées n’ont pas été menacées. Le 8 septembre 2008, avant que ne commence la démolition des constructions non autorisées dans le district de Gorno Ezerovo, la police a été contrainte de faire usage de la force pour faire cesser les voies de fait de la part d’un groupe de résidents. Au cours de cet affrontement, un agent de police a été blessé par jet de pierres. Dans ce contexte, l’État partie fait valoir que la police n’a pas fait un usage disproportionné de la force contre les habitants roms lors de l’exécution des arrêtés d’expulsion et de démolition.

4.15L’État partie fait également valoir que, selon la municipalité de Bourgas, les personnes expulsées des bâtiments démolis sont retournées dans les logements qu’elles occupaient précédemment dans les quartiers limitrophes de la zone de développement évacuée où habite une population rom compacte, tandis que deux personnes ou trois se sont déplacées vers une autre région du pays, à l’extérieur de Bourgas.

4.16L’État partie affirme que l’exécution de l’arrêté d’expulsion rendu par le bureau régional de Bourgas de la Direction nationale du contrôle des bâtiments était la solution de dernier recours pour régler le problème des constructions non autorisées, après l’échec de nombreuses initiatives prises par les autorités municipales et nationales dans le cadre de procédures administratives qui ont duré près de trois ans. En conséquence, le grief des auteurs qui affirment être victimes d’une expulsion forcée en violation du Pacte n’est pas étayé.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 juin 2010, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils font valoir que la communication devrait être déclarée recevable puisque les procédures internationales invoquées par l’État partie, à savoir la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, et l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, ne relèvent pas d’une «autre instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ou de l’article 96 e) du Règlement intérieur du Comité. De même, la procédure de plainte du Conseil des droits de l’homme ne relève pas de ces dispositions et même si tel était le cas, le Groupe de travail des communications du Conseil a cessé d’examiner la question en avril 2009. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’est pas empêché d’examiner la présente communication.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs font observer que l’État partie reconnaît dans ses observations que quatre d’entre eux ont fait appel de la décision du tribunal administratif de Bourgas auprès du Tribunal administratif suprême. Les décisions du Tribunal administratif suprême dans ces affaires montrent que les recours internes ne sont ni adaptés ni utiles. Conformément à la jurisprudence du Comité, il n’existe aucune obligation de faire valoir un recours qui n’offre aucune possibilité de remédier à la situation, dans les cas par exemple où il est clair dès le départ que le droit que la juridiction locale devrait appliquer ne pourrait qu’aboutir à son rejet.

5.3Quant au fond, les auteurs réaffirment que les mesures prises pour faire respecter les droits de propriété ne peuvent pas être mises en œuvre légalement par la commission d’une violation des droits de l’homme, en particulier lorsque la situation de résidence irrégulière est due au manque de volonté ou de capacité de l’État partie de réaliser le droit à un logement suffisant sans discrimination. À cet égard, les auteurs demandent au Comité de s’inspirer de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux.

5.4Les décisions d’expulsion forcée ne peuvent être justifiées que dans des situations exceptionnelles et une fois que toutes les autres solutions possibles ont été explorées au cours de véritables consultations avec les personnes concernées. En l’espèce, ce principe n’a pas été suivi et les autorités n’ont pas examiné les autres solutions envisageables qui n’auraient pas constitué de violations des droits des auteurs. À titre d’exemple, l’État partie pourrait accorder une indemnisation aux propriétaires allégués des terrains en question et s’acquitter ensuite de l’obligation qui lui incombe de respecter, protéger et réaliser le droit à un logement suffisant en régularisant la situation des communautés de Meden Rudnik et de Gorno Ezerovo, notamment en accordant à ces communautés le degré de sécurité d’occupation garantissant la protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces.

5.5Même si on considère qu’une situation exceptionnelle justifiait ces expulsions et que toutes les autres solutions ont été explorées, les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas dûment appliqué les mesures de protection prévues par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son Observation générale no 7, en ne prévoyant pas de véritables consultations avec les intéressés, en ne donnant pas accès aux recours prévus par la loi et en n’octroyant pas, le cas échéant, une aide judiciaire aux personnes qui en ont besoin pour introduire un recours devant les tribunaux. Compte tenu de ce qui précède, les auteurs ont réaffirmé que ces expulsions avaient eu un effet discriminatoire sur la population de la minorité rom et que des familles s’étaient réellement retrouvées sans abri.

5.6Le 13 février 2013, les auteurs ont fourni un complément d’information au Comité. Ils accueillaient avec satisfaction les constatations du Comité concernant la communication no 2073/2011, Naidenova et consorts c. Bulgarie, et faisaient observer que le raisonnement suivi par le Comité s’appliquait également à leur situation. La présente communication se distinguait dans la mesure où certains des auteurs avaient déjà été expulsés et que les communautés concernées se trouvaient apparemment sur des terres privées. Cependant les autorités devaient encore déterminer si les terres en question avaient effectivement des propriétaires. L’absence de processus visant à déterminer qui sont les véritables propriétaires des terres en question illustrait le manque d’empressement à établir les droits de propriété en question et apportait une preuve supplémentaire que les expulsions qui avaient été exécutées n’étaient pas nécessaires et que celles qui étaient en attente d’exécution ne devraient pas avoir lieu. Tout litige relatif à des questions de propriété privée devait être réglé de manière, pour le moins, à ne pas violer les droits de l’homme. Si nécessaire, des solutions respectueuses des droits de l’homme devaient être recherchées, comme l’indemnisation de toute personne qui était manifestement propriétaire et qui présentait un document attestant son droit de propriété, tout en autorisant les communautés roms à demeurer sur place avec une sécurité d’occupation et des projets pour l’amélioration des conditions de logement.

Informations complémentaires fournies par les parties

6.1Le 23 octobre 2013 et le 7 février 2014, l’État partie a présenté, à la demande du Comité, des informations complémentaires. Il explique que la procédure concernant les constructions dans le quartier résidentiel de Gorno Ezerovo a été engagée dans le cadre d’une demande déposée auprès du Ministère du développement régional des travaux publics le 8 avril 2003 par Mme M. V. R. Selon l’inspection menée par la municipalité de Bourgas, les travaux de construction ont été réalisés en 1999-2000. La procédure relative au district de Meden Rudnik a été engagée en 2004 par la municipalité comme suite à de multiples plaintes de citoyens vivant à proximité des constructions illégales et des propriétaires d’une propriété privée sur laquelle un édifice avait été construit sans leur consentement. Après consultation du cadastre et des plans d’occupation des sols, il a été constaté que ces constructions dataient d’après 1997.

6.2Dans les deux cas, les constructions étaient situées à la périphérie des zones habitées principalement par des Roms. Les constructions situées dans le quartier résidentiel de Gorno Ezerovo se trouvaient en bordure du quartier et à l’extérieur de celui-ci. Seize bâtiments étaient situés sur des terrains appartenant à la municipalité et 23 bâtiments sur des terrains destinés à l’agriculture appartenant à des particuliers et situés en dehors de la zone réservée à l’habitat du quartier. En ce qui concerne Meden Rudnik, les constructions étaient situées sur 11 propriétés appartenant à la municipalité, dont une était destinée à la construction d’une rue, ainsi que sur huit propriétés restituées aux propriétaires privés par décision de la Commission foncière en 1993.

6.3Les bâtiments démolis étaient inesthétiques, dépourvus de système d’assainissement et reliés aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité de manière illégale. Dans la plupart des cas, les bâtiments concernés menaçaient de s’effondrer et ne répondaient pas aux exigences sanitaires et hygiéniques des bâtiments résidentiels établies par la loi sur l’aménagement du territoire.

6.4L’administration municipale de Bourgas a adopté une ordonnance en vertu de l’article 45 a) de la loi de 2004 relative à la propriété municipale, qui permet aux personnes touchées par l’exécution d’ordres de démolition de bénéficier d’allocations-logement et d’avoir accès à un logement municipal moyennant versement d’un loyer. Néanmoins, seules trois personnes du district de Meden Rudnik ont demandé à bénéficier de telles prestations. Le 26 septembre 2009, la municipalité de Bourgas a accordé à l’une d’elles et à sa famille un logement municipal moyennant versement d’un loyer. Les deux autres personnes ne répondaient pas aux critères d’hébergement définis par la municipalité; leurs demandes ont donc été rejetées.

7.1Le 21 janvier 2014, comme suite à la demande du Comité, les auteurs ont présenté des informations complémentaires. Ils ont réaffirmé que les communautés de Gorno Ezerovo et de Meden Rudnik existaient depuis plus de cinquante ans. Ils y étaient tous nés. Certaines des maisons construites étaient l’extension d’une maison existante. En outre, selon les informations données par la municipalité de Bourgas à l’Union régionale des Roms, la terre sur laquelle les maisons avaient été construites appartenaient à la municipalité.

7.2La plupart de leurs maisons étaient approvisionnées en eau et en électricité et les auteurs recevaient chaque mois par la poste les factures d’eau et d’électricité envoyées par les prestataires locaux. Les auteurs étaient enregistrés à l’adresse où ils vivaient et y recevaient leur courrier.

7.3Les auteurs ont avancé que la véritable raison à l’origine des arrêtés d’expulsion était que leurs maisons étaient construites sur la côte, sur des terres de grande valeur commerciale. La municipalité avait décidé de les expulser afin de vendre ces terres à des promoteurs qui souhaitaient y construire de grands complexes modernes. Les familles roms étaient considérées comme un obstacle à ce projet.

7.4Les communautés de Meden Rudnik et de Gorno Ezerovo étaient respectivement composées d’environ 1 500 et 2 000 Roms, qui vivaient dans des maisons surpeuplées. La plupart d’entre eux étaient au chômage et gagnaient leur vie en récupérant des biens dans la déchetterie locale. Ils vivaient en dessous du niveau minimum de subsistance et manquaient d’informations sur les démarches à accomplir pour demander un logement municipal. Lorsque l’arrêté d’expulsion était devenu exécutoire, 19 maisons avaient été démolies à Meden Rudnik et 52 à Gorno Ezerovo. Les personnes touchées ne s’étaient pas vu proposer un autre logement. La plupart des personnes expulsées avaient été hébergées par des proches ou des voisins; certains avaient construit une nouvelle maison à l’endroit même où se trouvait la maison qui avait été démolie. La municipalité refusait de les enregistrer en tant que personnes résidant à des adresses qu’elle considérait comme illégales, mais sans les documents correspondants elles ne pouvaient pas demander un logement municipal. Pour la même raison, bon nombre de ces personnes, notamment la plupart des auteurs, ne pouvaient pas obtenir de nouvelles pièces d’identité puisqu’elles n’étaient pas en mesure de présenter à la Direction locale du Ministère de l’intérieur un certificat municipal attestant d’une adresse permanente. Par conséquent, de ce fait, un grand nombre des auteurs ne répondaient pas aux critères municipaux d’enregistrement et seulement six familles avaient bien été enregistrées. Pourtant, une seule des familles avait bénéficié d’un logement municipal.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2En ce qui concerne l’exigence posée au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs de la communication ont soumis des plaintes similaires à plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à savoir la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités et le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.

8.3À cet égard, le Comité rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par le Conseil des droits de l’homme et chargés d’examiner la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou des phénomènes majeurs de violations des droits de l’homme dans le monde, puis de faire publiquement rapport à ce sujet, ne sont pas à assimiler à une instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’étude de problèmes touchant les droits de l’homme de caractère plus général peut porter ou s’appuyer sur des éléments d’information concernant des individus mais ne saurait être considérée comme équivalant à l’examen de communications émanant de particuliers au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication aux fins de la recevabilité.

8.4Le Comité observe que les auteurs, dans leur communication initiale, faisaient valoir en termes généraux que les communautés de Meden Rudnik et de Gorno Ezerovo existaient depuis des décennies et que les auteurs et les maisons qu’ils occupaient faisaient partie de ces communautés. Néanmoins, il ressort des informations soumises par l’État partie que certaines de ces maisons ont été construites assez récemment, alors que la municipalité s’opposait à leur construction sans autorisation, et que certaines ont été construites sur des terres qui n’étaient précédemment pas occupées par les deux communautés. Il apparaît également que certaines des terres sur lesquelles les maisons ont été construites étaient des propriétés privées, et que les propriétaires voulaient reprendre possession de leur terre. Ces éléments étant, parmi d’autres, pertinents au regard de la question de savoir si l’ingérence de l’État partie dans l’occupation de la terre par les auteurs était arbitraire, le Comité a demandé à l’État partie et aux conseils des auteurs de vérifier précisément combien de temps chacun des intéressés avait vécu dans la maison ou le site dont il avait été expulsé ou était menacé d’être expulsé, et si les terres qu’il occupait étaient une propriété publique ou privée. Le Comité a également demandé des informations sur la prestation, au bénéfice de ces maisons, de services comme la distribution du courrier, l’eau, l’assainissement et l’électricité, prestations décrites dans la communication comme constituant de facto une reconnaissance publique de l’occupation des sites par les auteurs. Le Comité a demandé aux auteurs de produire, autant que possible, des pièces à l’appui de leurs explications.

8.5Malgré la demande du Comité, les auteurs n’ont apporté que des réponses d’ordre général à ses questions. Ils ne précisent pas dans leur réponse lesquels d’entre eux ont occupé un terrain appartenant à la municipalité et lesquels ont occupé des terres privées; ils ne disent pas combien de temps chacun a occupé les sites litigieux. Ils n’indiquent pas non plus lesquels d’entre eux bénéficiaient des services évoqués et ne fournissent aucune preuve, ne serait-ce que concernant l’un d’entre eux, à l’appui de cette allégation. L’absence d’informations précises n’a pas simplement une incidence sur le lien à faire entre le nom et la situation particulière de chaque auteur, mais elle empêche surtout le Comité de disposer d’une description adéquate de l’une quelconque de leurs situations propres. En conséquence, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’ils tirent de l’article 17 du Pacte, lu séparément et conjointement avec l’article 2, et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6En ce qui concerne les allégations invoquées au titre de l’article 26 du Pacte, lu séparément et conjointement avec l’article 2, selon lesquelles l’État partie, en menaçant d’expulsion forcée ou en procédant à des expulsions forcées et des démolitions de logement visant les auteurs sur la base de leur origine ethnique rom, n’a pas respecté le principe de l’égale protection et le principe de non-discrimination, le Comité considère qu’elles n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En outre, on ne sait pas clairement si ces griefs ont été invoqués à un moment ou un autre devant les autorités et les juridictions de l’État partie. Le Comité estime dès lors que ces allégations de violation sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

Appendices

Appendice I

Opinion conjointe (dissidente) de M. Yuval Shanyet Mme Christine Chanet

1.Nous convenons avec le Comité que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur grief selon lequel l’État partie, en procédant à des expulsions forcées et des démolitions de logements occupés par les auteurs, n’a pas respecté leur sécurité d’occupation. Nous convenons également du fait que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur grief selon lequel, au cours de ces opérations, il aurait été fait un usage disproportionné de la force et des effets personnels auraient été perdus. Toutefois, nous ne partageons pas la conclusion du Comité selon laquelle l’État partie n’a pas violé l’article 17 du Pacte.

2.Avant de qualifier une expulsion forcée d’immixtion arbitraire dans le domicile en vertu de l’article 17 du Pacte, il faut déterminer non seulement si les personnes qui ont été expulsées disposaient d’un droit de propriété valide sur le logement en question, mais également si l’État partie a dûment pris en considération les conséquences que l’expulsion pourrait avoir sur les intéressés. Si dans certains cas, dans lesquels les logements en cause étaient occupés depuis longtemps, l’État partie peut être tenu d’offrir aux personnes expulsées des solutions de relogement durables, dans d’autres cas, lorsque la période d’occupation du logement a été plus courte, il peut suffire que l’État partie démontre qu’il a adopté des mesures modestes, par exemple qu’il a offert aux intéressés des solutions de relogement de court terme ou pris en considération leurs besoins dans le cadre des programmes généraux de logement social disponibles dans le pays.

3.Nous notons que les auteurs ont fait valoir que la grande majorité des personnes expulsées ne s’étaient pas vu proposer de logement de remplacement et que, leurs logements n’étant pas reconnus officiellement, de nombreux résidents, qui vivaient là depuis de nombreuses années, ne pouvaient pas obtenir les documents nécessaires pour demander à bénéficier d’un logement municipal. En conséquence, les auteurs ont maintenu que six familles seulement avaient pu être enregistrées auprès des autorités municipales et qu’une seule avait obtenu un tel logement. Les informations que l’État partie a communiquées au Comité ne contredisent aucune de ces allégations des auteurs. Au contraire, l’État a fait savoir au Comité qu’un petit nombre seulement de résidents avaient présenté des demandes de logement municipal et qu’une seule famille avait été relogée dans la municipalité de Bourgas.

4.Étant donné que l’État partie n’a pas fourni au Comité d’informations sur les solutions de relogement qui avaient été envisagées pour chacun des auteurs et qu’il n’a pas non plus réfuté l’argument selon lequel un grand nombre des auteurs n’ont pas pu demander de logement municipal parce que leurs logements n’étaient pas reconnus officiellement, nous considérons que l’État partie n’a pas démontré qu’il avait dûment tenu compte des conséquences qu’auraient les expulsions forcées et, en particulier, des besoins de relogement des personnes expulsées et des difficultés particulières tenant à l’absence de statut officiel de leurs logements. Par conséquent, en l’espèce l’État partie semble avoir fait preuve d’indifférence à l’égard des conséquences des expulsions et des besoins de relogement des auteurs. Le fait de ne pas avoir accordé l’attention voulue aux conséquences que pourraient avoir les expulsions forcées donne à l’expulsion des auteurs le caractère d’une immixtion arbitraire dans leurs domiciles, constituant une violation de l’article 17 du Pacte.

Appendice II

Opinion individuelle (dissidente) de Mme Zonke Zanele Majodina

1.Je ne peux pas approuver la conclusion du Comité qui déclare que «les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’ils tirent de l’article 17 du Pacte, lu séparément et conjointement avec l’article 2, et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif».

2.Tout d’abord, le Comité a manqué là une occasion de réaffirmer l’avis qu’il a exprimé dans l’affaire Naidenova et consortsc.Bulgari e (no2073/2011),dans laquelle ila conclu «que l’État partie violerait les droits des auteurs au titre de l’article 17 du Pacte s’il mettait à exécution l’arrêté d’expulsion du 24 juillet 2006 sans que des logements de remplacement adéquats soient immédiatement disponibles». Bien que les faits diffèrent légèrement, dans les deux affaires les auteurs se disaient victimes, entre autres, d’une violation du domicile au sens de l’article 17. Dans son Observation générale relative à l’article 17, le Comité indique que même lorsqu’elle est prévue par la loi, comme en l’espèce, une expulsion forcée ne doit pas être arbitraire et doit être raisonnable eu égard aux circonstances particulières, conformément aux dispositions, buts et objectifs du Pacte. En outre, le Comité indique clairement dans ses observations finales que les États parties doivent veiller à ce qu’il ne puisse être procédé à une expulsion forcée que lorsque les personnes concernées ont été consultées et que des arrangements appropriés ont été pris.

3.Il n’apparaît pas, au vu des faits présentés dans cette affaire, que de véritables consultations aient eu lieu avant que 52 membres de la communauté de Gorno Ezevoro et 32 ménages de la communauté de Meden Rudnik reçoivent les arrêtés d’expulsion les concernant. Une fois ces arrêtés devenus exécutoires, 52 habitations ont été démolies à Gorno Ezevoro et 19 à Meden Rudnik. Les auteurs ont été informés par le biais de déclarations écrites, d’arrêtés, de notes et d’invitations à accepter l’exécution de la décision, sur une période allant de deux à cinq ans, après quoi une dernière chance leur a été donnée d’exécuter volontairement l’arrêté sous trente jours. Aucune de ces mesures ne s’apparente à de véritables consultations, et les autorités n’ont rien fait pour proposer des solutions de remplacement ou offrir une indemnisation aux familles roms touchées.

4.En conséquence, aucun logement de remplacement n’étant mis à leur disposition, les familles se sont retrouvées sans domicile, ce qui revient à une immixtion arbitraire dans le domicile et constitue une violation de l’article 17. Cette immixtion touche non seulement le domicile des familles roms concernées mais aussi leur vie privée et leur famille.

5.En outre, en s’enquérant par exemple de savoir si les terres occupées par ces familles étaient publiques ou privées ou si l’occupation était reconnue publiquement et en demandant des preuves de la reconnaissance des droits de propriété des propriétaires, le Comité identifie les communautés roms de Gorno Ezevoro et Meden Rudnik à des communautés établies de manière ordinaire. Ce faisant, il n’est pas tenu compte du fait que les campements illégaux des roms existent depuis de nombreuses années et bénéficient d’un accès aux services publics avec l’assentiment des autorités. Cependant, les conditions particulières dans lesquelles les familles concernées occupaient leurs logements ne leur permettaient pas d’acquérir la sécurité d’occupation en vertu des lois municipales pertinentes, ce qui rendait leur situation quasiment insoluble.

6.La Cour européenne des droits de l’homme a clairement reconnu le problème de l’absence de sécurité d’occupation en décidant unanimement, dans un arrêt rendu dans une affaire similaire, l’affaire Yordanova et autres c. Bulgari e (25446/06, 24 avril 2012), que menacer d’expulsion forcée une communauté rom établie de longue date, même si celle-ci occupait les lieux illégalement, constituerait une violation des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’équivalent de l’article 17 du Pacte.

7.En concluant qu’en l’espèce, les auteurs n’avaient pas suffisamment étayé les faits aux fins de la recevabilité, le Comité a empêché que soit analysé et évalué quant au fond le grief de violation présenté par des communautés minoritaires défavorisées privées d’un droit fondamental garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.