Communication présentée par:

Andrei Burdyko (représenté par un conseil, Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 décembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

15 juillet 2015

Objet:

Condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable, fondée sur des aveux obtenus par la contrainte

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes; défaut de coopération de l’État partie; non-respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité

Question(s) de fond:

Peine de mort; torture et mauvais traitements; habeas corpus; droit d’être entendu équitablement par un tribunal indépendant et impartial; droit d’être présumé innocent; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable

Article(s) du Pacte:

6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 et 3) et 14 [par. 1, 2 et 3 b), d) et g)]

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2 et 5 [par. 2 b)]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (114e session)

concernant la

Communication no 2017/2010 *

Présentée par:

Andrei Burdyko (représenté par un conseil,Roman Kislyak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

17 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15juillet 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2017/2010 présentée par Andrei Burdyko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Andrei Burdyko, de nationalité bélarussienne, né en 1981, qui, au moment de la soumission de la communication, se trouvait dans le quartier des condamnés à mort à Minsk après avoir été condamné à la peine capitale, le 14 mai 2010, par le tribunal régional de Grodno. L’auteur se déclare victime de violations, par le Bélarus, des droits garantis aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 et 3) et 14 [par. 1, 2 et 3 b), d) et g)] du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Lorsque la communication a été enregistrée, le 17 décembre 2010, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Burdyko tant que la communication le concernant serait à l’examen. Le Comité a renouvelé cette demande le 14 avril 2011.

1.3Le 20 juillet 2011, le Comité a été informé que l’auteur avait été exécuté malgré la demande de mesures provisoires. Le 21 juillet 2011, il a demandé à l’État partie d’apporter des éclaircissements à ce sujet, attirant son attention sur le fait que le non-respect par les États parties d’une demande de mesures provisoires constituait une violation de l’obligation qui leur est faite de coopérer de bonne foi au titre du Protocole facultatif. Aucune réponse n’a été reçue. Le 27 juillet 2011, le Comité a publié un communiqué de presse dans lequel il déplorait la situation et condamnait cette exécution.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 14 octobre 2009, l’auteur a été arrêté et conduit au poste de police du district Oktyabrsky de la ville de Grodno. Il a subi un examen médical, qui a montré qu’il était ivre. Il a ensuite été inculpé du meurtre de trois personnes, d’enlèvement, de vol et d’incendie volontaire. Le 21 octobre 2009, sur ordre d’un procureur du Bureau régional du Procureur de Grodno, l’auteur a été placé en détention à la prison no 1 de la ville de Grodno. Le conseil de l’auteur fait valoir que l’arrestation de l’auteur constituait une arrestation et une détention arbitraires, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

2.2Le conseil de l’auteur ajoute que l’auteur n’a jamais été « traduit dans le plus court délai devant un juge » pour que soit examinée la validité de sa détention, ce qui contrevient au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. L’auteur n’a été présenté à un juge qu’au début de son procès, le 30 mars 2010, soit plus de cinq mois après son arrestation effective. De plus, son arrestation a été ordonnée par un procureur, comme le prévoit le Code de procédure pénale du Bélarus. Selon le conseil de l’auteur, cette procédure viole les droits qui sont garantis à l’auteur par le Pacte. À cet égard, le conseil renvoie à la jurisprudence établie de longue date du Comité, notamment à l’affaire Kulomin c. Hongrie. En outre, les autorités n’ont pas informé l’auteur de son droit de contester son arrestation comme elles sont tenues de le faire en vertu du paragraphe 3 de l’article 119 du Code de procédure pénale.

2.3Le conseil de l’auteur indique également que lorsque l’auteur a été conduit au poste de police le 14 octobre 2009, les policiers lui ont dit « d’avouer qu’il était coupable des meurtres ». L’auteur a insisté pour qu’un avocat soit présent avant de répondre aux questions. Les policiers ont commencé à le rouer de coups alors qu’il était allongé par terre, sur le ventre, et menotté. Il a été obligé de mettre un masque à gaz et les policiers bloquaient régulièrement l’entrée d’air pour qu’il étouffe. L’auteur a fini par perdre conscience. Quand il est revenu à lui, il a accepté de s’avouer coupable et a rédigé des aveux. Les policiers lui ont donné de l’alcool pour l’encourager à « avouer ».

2.4Le conseil de l’auteur indique en outre qu’après son arrestation, l’auteur a été empêché de contacter sa mère et que les policiers n’ont pas informé sa famille du lieu où il se trouvait. Le conseil ajoute que, pendant son premier interrogatoire, les policiers n’ont pas fourni d’avocat à l’auteur. Plus tard, lorsqu’il a finalement eu accès à un avocat, il n’a pas insisté pour que celui-ci soit présent, parce qu’il ne pouvait pas s’entretenir avec lui en privé; il était en état d’ébriété avancé et avait déjà été soumis à la torture.

2.5Le conseil de l’auteur affirme également que, pendant l’enquête préliminaire, presque tous les actes des enquêteurs se sont déroulés sans que l’avocat de l’auteur soit présent. Le conseil fait valoir qu’en application de l’article 45 du Code de procédure pénale, l’auteur était soupçonné de crimes très graves emportant la peine de mort et que, par conséquent, il aurait dû se voir assigner un avocat qui aurait dû être présent lorsqu’il a signé différents documents relatifs à l’enquête préliminaire. En outre, lors de l’évaluation psychologique et psychiatrique à laquelle il a été soumis, de nombreux aspects de sa vie n’ont pas été pris en considération. L’auteur a indiqué que sa vie était « hors de contrôle et extrêmement troublée » au moment de la commission du crime, mais ses déclarations n’ont pas été prises en compte. Les enquêteurs ont rejeté sa demande de nouvelle expertise.

2.6Le conseil de l’auteur indique que, durant le procès, le tribunal a manifestement fait preuve de partialité à l’égard de l’auteur, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En ce qui concerne la présomption d’innocence, consacrée au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le tribunal n’a tenu aucun compte de plusieurs divergences dans les déclarations faites par l’auteur à la police et pendant les audiences. Conformément à l’observation générale no 32 du Comité, normalement, les défendeurs ne devraient pas être menottés ou enfermés dans des cages. Malgré ces dispositions, l’auteur a été enfermé dans une cage métallique pendant les audiences et une photo de lui enfermé dans la cage a été publiée dans les médias. Après le prononcé du jugement, l’auteur a été forcé de revêtir une tenue spéciale portant un acronyme indiquant qu’il était condamné à mort, alors même que le jugement n’était pas encore passé en force de chose jugée.

2.7Le conseil de l’auteur affirme que l’auteur a été condamné à mort sur la base d’aveux forcés obtenus par la torture et les mauvais traitements; ces preuves n’auraient pas dû être retenues par le tribunal. Le conseil de l’auteur indique que le coaccusé de l’auteur, qui a témoigné contre lui, a aussi été torturé par la police. En outre, le tribunal n’a pas tenu compte des nombreux éléments de preuve montrant que l’on avait torturé l’auteur pour le contraindre à s’avouer coupable. Après l’énoncé du jugement, l’auteur n’en a pas reçu copie, ce qui constitue une violation du paragraphe 7 de l’article 308 du Code de procédure pénale.

2.8Le 14 mai 2010, le tribunal régional de Grodno a reconnu l’auteur coupable de trois meurtres, d’enlèvement, de vol et d’incendie volontaire. En mai et juin 2010, l’auteur, par l’intermédiaire de son avocat, a formé un recours en annulation auprès de la Cour suprême du Bélarus, arguant notamment que les droits qui lui étaient reconnus par plusieurs articles du Pacte avaient été violés. Le 17 septembre 2010, la Cour suprême du Bélarus a rejeté son recours, estimant que la condamnation de l’auteur était pleinement fondée sur les éléments de preuve figurant au dossier. La Cour suprême n’a pas non plus tenu compte des plaintes formulées par l’auteur, qui disait avoir été forcé de s’avouer coupable. Le conseil de l’auteur affirme par conséquent que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.Le conseil de l’auteur affirme que les droits garantis à l’auteur par les articles 6, 7, 9 (par. 1 et 3) et 14 [par. 1, 2 et 3 b), d) et g)] du Pacte ont été violés par l’État partie parce que l’auteur a fait l’objet d’une arrestation arbitraire et de tortures et de mauvais traitements après son arrestation, qu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable et qu’il a été reconnu coupable de crimes graves sur la base d’aveux obtenus par la force.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur les mesures provisoires

4.1Dans des notes verbales datées du 6 janvier 2011 et du 22 avril 2011, l’État partie fait part, en ce qui concerne la présente communication ainsi que d’autres dont le Comité est saisi, de sa préoccupation au sujet de l’enregistrement non justifié de communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui, estime-t-il, n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et, en particulier, n’ont pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée, en violation de l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie affirme que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (avocat, conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui allèguent la violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité ainsi que du droit de présenter des communications et qu’un tel enregistrement est contraire à l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait valoir qu’en tant que partie au Protocole facultatif, il reconnaît la compétence du Comité en vertu de l’article premier, mais qu’il n’a pas consenti à l’élargissement du mandat du Comité, en particulier en ce qui concerne l’interprétation que fait celui-ci des dispositions de la Convention et du Protocole facultatif (préambule et art. 1er), et que cette interprétation devrait être strictement conforme aux articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il considère que la présente communication et plusieurs autres ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif et qu’aucun motif de droit ne l’oblige à les prendre en considération, et indique que les décisions prises par le Comité au sujet de ces communications seront considérées comme non valides. L’État partie ajoute que les références de ce point de vue à la pratique établie du Comité n’ont pour lui aucun caractère contraignant.

4.2Dans une note verbale datée du 25 janvier 2012, l’État partie ajoute qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait accepté, en vertu de l’article premier de cet instrument, de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes de violations par l’État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Il note cependant que cette compétence était reconnue sous réserve de l’application d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles établissant les critères de recevabilité et les conditions à remplir par les auteurs, en particulier les articles 2 et 5. L’État partie soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif, laquelle ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il affirme qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. L’État partie ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec le Protocole facultatif et qu’il la rejettera sans faire la moindre observation sur la recevabilité ni sur le fond, et que toutes les décisions du Comité concernant les communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme « non valides ». L’État partie considère que la présente communication, ainsi que d’autres dont le Comité est saisi, ont été enregistrées en violation du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 1er novembre 2012 et du 19 avril 2013, le conseil de l’auteur affirme, au nom de l’auteur, qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties reconnaissent la compétence du Comité pour « recevoir et examiner [...] des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation » de leurs droits. Le règlement intérieur du Comité et le Protocole facultatif ne prévoient pas de procédure permettant à l’État partie de contester l’enregistrement d’une communication. Tout État partie qui souhaite contester la recevabilité d’une communication devrait le faire dans le cadre des procédures existantes. Le conseil fait valoir qu’en déniant au Comité le droit d’enregistrer de nouvelles communications, l’État partie contrevient aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

5.2En ce qui concerne la soumission de nouvelles communications par des « tiers », le conseil de l’auteur affirme, au nom de l’auteur, qu’au moment de l’enregistrement de la communication, M. Burdyko était détenu dans le quartier des condamnés à mort à Minsk. Par conséquent, il a engagé un avocat chargé de le représenter, conformément à la procuration accompagnant la lettre initiale adressée au Comité. La préoccupation de l’État partie relative à des « tiers » est donc sans fondement. Le conseil estime que la présente communication est recevable et devrait être examinée au fond par le Comité.

5.3Le conseil estime que le non-respect par l’État partie de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité constitue une violation flagrante des obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Protocole facultatif. Il invite le Comité à recommander l’introduction de modifications dans la législation bélarussienne, de sorte que l’État partie respecte les demandes de mesures provisoires du Comité.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demande de mesures provisoires

6.1Le Comité prend note de l’observation de l’État partie, qui objecte qu’il n’existe pas de fondement juridique à l’examen de la présente communication puisque l’État partie n’est nullement tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité ou l’interprétation des dispositions du Protocole facultatif donnée par le Comité, et qu’il n’est nullement tenu de respecter la demande de mesures provisoires formulée par le Comité.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait observer en outre que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er du Protocole). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé article 5 [par. 1 et 4)]. Un État partie contrevient aux obligations qui lui incombent au titre de ces obligations s’il adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.

6.3En l’espèce, le Comité fait observer que l’auteur, lorsqu’il lui a soumis la communication le 17 décembre 2010, l’a informé qu’il était condamné à mort et que la peine pouvait être exécutée à tout moment. À la même date, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de l’auteur tant que son cas serait à l’examen. Le 14 avril 2011, le Comité a réitéré sa demande. Le 20 juillet 2011, il a été informé que l’auteur avait été exécuté, malgré la demande de mesures provisoires de protection. Le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’exécution en question a eu lieu bien qu’une demande de mesures provisoires de protection en bonne et due forme ait été adressée à l’État partie puis renouvelée.

6.4Le Comité réaffirme qu’indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur a affirmé que les droits qu’il tenait de plusieurs articles du Pacte avaient été violés d’une manière qui influe directement sur la légalité de sa condamnation à mort. Ayant été notifié de la communication et de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, l’État partie a gravement contrevenu aux obligations qui lui incombaient en vertu du Protocole facultatif en exécutant la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen de la communication à bonne fin.

6.5Le Comité rappelle en outre que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime de la violation présumée. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréversible comme, en l’espèce, l’exécution de M. Burdyko, compromet la protection des droits consacrés par le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, arguant que l’auteur n’avait pas formé de recours auprès du Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que les procédures de contrôle juridictionnel de décisions devenues exécutoires ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 [par. 2 b)] du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner cette partie de la communication.

7.4Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise par un tiers et non par la victime présumée elle-même. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur prévoit qu’une communication doit normalement être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant. Dans le cas présent, le Comité fait observer que la victime présumée était détenue dans le quartier des condamnés à mort au moment où la communication a été soumise en son nom par son conseil, et que celui-ci a présenté une procuration dûment signée lui permettant de représenter l’intéressé devant le Comité. Le Comité n’est donc pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner cette communication.

7.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que ses droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés. Toutefois, faute d’informations détaillées ou d’explications supplémentaires ou d’autres éléments versés au dossier à l’appui de ces griefs, il considère que ceux-ci ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité considère que les autres griefs, qui soulèvent des questions au titre des articles 6, 7, 9 (par. 1 et 3) et 14 [par. 2 et 3 b), d) et g)] du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité prend note des griefs tirés des articles 7 et 14 [par. 3 g)] du Pacte par l’auteur, qui affirme qu’il a été soumis à des pressions physiques et psychologiques visant à lui faire avouer plusieurs infractions et que ces aveux obtenus par la force ont ensuite servi de fondement à l’établissement de sa culpabilité et à sa condamnation par les tribunaux. Le Comité constate que ces griefs n’ont pas été réfutés par l’État partie. À ce sujet, il rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Il rappelle en outre que la garantie énoncée à l’article 14 [par. 3 g)] du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé visant à obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le Comité note que, malgré des signes évidents indiquant que l’auteur avait été torturé et malgré les plaintes déposées à ce sujet par la mère de l’auteur et par l’auteur lui-même, l’État partie n’a fourni aucun renseignement prouvant que les autorités avaient enquêté sur ces allégations précises. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut en conséquence que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’auteur par l’article 7 et par le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle que, conformément à l’article 9 (par. 3), tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale « sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Il rappelle également que « si le sens exact à donner à l’expression “dans le plus court délai” peut varier selon les circonstances objectives, le laps de temps ne devrait pas dépasser quelques jours à partir du moment de l’arrestation. De l’avis du Comité, quarante-huit heures suffisent généralement à transférer l’individu et à préparer l’audition judiciaire; tout délai supérieur à quarante-huit heures doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances ». Le Comité note que, d’après les allégations de l’auteur, qui n’ont pas été contestées, l’auteur a été arrêté le 14 octobre 2009, a été officiellement placé en détention provisoire sur ordre d’un procureur le 21 octobre 2009 et n’a été présenté à un juge que lorsque le procès a débuté, le 30 mars 2010. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 35, il a indiqué qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions traitées et qu’un procureur ne peut pas être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Par conséquent, le Comité conclut que les faits susmentionnés font apparaître une violation des droits reconnus à l’auteur par l’article 9 (par. 3) du Pacte. Partant de cette constatation, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief de violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

8.4Le Comité prend note également des allégations de l’auteur qui soutient que le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté dans son cas, parce qu’il a été entravé et enfermé dans une cage métallique pendant les audiences. De plus, des photos de lui derrière les barreaux métalliques dans la salle d’audience ont été publiées dans les médias. À ce propos, le Comité renvoie à sa jurisprudence, notamment telle que reprise dans son observation générale no 32, aux termes de laquelle « du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe ». Dans la même observation générale, il est dit en outre que les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux, et que les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. Compte tenu des informations dont il est saisi, et en l’absence de toute autre explication ou argumentation pertinente de la part de l’État partie quant à la nécessité de maintenir l’auteur dans une cage métallique pendant son procès, le Comité considère que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation du droit à la présomption d’innocence, garanti par l’article 14 (par. 2) du Pacte.

8.5Le Comité prend également note des allégations de l’auteur qui affirme que, pendant l’enquête préliminaire, il n’a pas pu bénéficier de manière effective et continue des services d’un avocat, en violation du droit qu’il tient de l’article 14 [par. 3 d)]. Le Comité note par exemple que, pendant ses cinq mois de détention provisoire, l’auteur n’a pas bénéficié d’un accès effectif à l’assistance d’un conseil alors que, pendant cette période, il a reconnu sa culpabilité sous la contrainte, et qu’il n’a pas été autorisé à s’entretenir en privé avec son avocat. Le Comité relève également que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. Se référant à son observation générale no 32 (2007), il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, « dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale, il va de soi qu’il doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure ». Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits tels que présentés par l’auteur font apparaître une violation des droits garantis par l’article 14 [par. 3 d)] du Pacte. Partant de cette constatation, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief de violation de l’article 14 [par. 3 b)] du Pacte.

8.6L’auteur invoque également une violation du droit à la vie, garanti par l’article 6 du Pacte, puisqu’il a été condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable. Le Comité observe que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. À ce sujet, le Comité rappelle son observation générale no 6 (1982) sur le droit à la vie, dans laquelle il a souligné que la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte, ce qui implique que « les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure ». Dans le même contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence, réaffirmant que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Étant donné qu’il a établi une violation des paragraphes 3 d) et g) de l’article 14 du Pacte et compte tenu, en particulier, des allégations non réfutées de l’auteur, qui affirme que des tortures et des mauvais traitements lui ont été infligés pour qu’il fasse des aveux, lesquels ont servi de fondement à sa condamnation, le Comité conclut que M. Burdyko a été condamné de manière définitive à la peine de mort puis exécuté sans que les prescriptions de l’article 14 aient été respectées et qu’il en est résulté une violation de son droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus à M. Burdyko aux articles 6, 7, 9 (par. 3) et 14 [par. 2 et 3 d)] du Pacte. L’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’accorder un recours utile, y compris sous la forme d’une enquête impartiale, diligente et approfondie sur les allégations de torture, de l’engagement de poursuites contre les responsables et d’une réparation effective à la famille de l’auteur, notamment d’une indemnisation financière adéquate pour le décès de l’auteur et le remboursement des frais de justice qu’elle a engagés. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas et, compte tenu des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, de coopérer de bonne foi avec le Comité, en particulier en se conformant à ses demandes de mesures provisoires.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité demande à l’État partie de lui faire tenir, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire en biélorusse et en russe.