Nations Unies

CCPR/C/112/D/2018/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 2018/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Kedar Chaulagain (représenté par des conseils, Mandira Sharma, Advocacy Forum-Nepal, et Carla Ferstman, Redress Fund)

Au nom de:

L’auteur et sa fille décédée, Subhadra Chaulagain

État partie:

Népal

Date de la communication:

7 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 décembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Décision du Comité concernant la recevabilité en date du 8 mars 2012 (CCPR/C/104/D/2018/2010)

Date des constatations:

28 octobre 2014

Objet:

Arrestation et détention arbitraires, torture, traitement inhumain et dégradant, suivis de l’exécution extrajudiciaire d’une fille soupçonnée d’appartenir au Parti communiste (maoïste)

Question(s) de fond:

Droit à la vie; interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à un recours utile; égale protection de la loi

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 10 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2018/2010 *

Présentée par:

Kedar Chaulagain (représenté par des conseils, Mandira Sharma, Advocacy Forum-Nepal,et Carla Ferstman, Redress Fund)

Au nom de:

L’auteur et sa fille décédée, Subhadra Chaulagain

État partie:

Népal

Date de la communication:

7 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité:

8 mars 2012

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2018/2010 présentée au nom de Kedar Chaulagain en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Kedar Chaulagain, de nationalité népalaise, né en 1958. La communication est présentée en son nom et au nom de sa fille décédée, Subhadra Chaulagain, également de nationalité népalaise, née en 1986. L’auteur affirme que le Népal a commis, à l’égard de sa fille, une violation des droits garantis aux articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte, tous lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des droits garantis à l’article 26, et à l’égard de lui-même, une violation des droits garantis à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Népal le 14 août 1991. L’auteur est représenté par des conseils.

1.2Le 7 avril 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Dans la soirée du 12 février 2004, 50 à 60 hommes en uniforme appartenant à ce qui était alors l’Armée royale népalaise, armés de fusils M16, ont mené une opération de «ratissage» dans le bloc no 3 du village de Pokhari Chauri, dans le district de Kavre. Ils étaient accompagnés d’un informateur, M. A. C., habitant du village. Aux alentours de 23 heures, ces hommes ont encerclé la maison de Mme D. C., sœur de l’auteur, puis l’ont fouillée à la recherche de preuves d’activités maoïstes. Trois militaires ont commencé à fouiller l’étage de la maison, en présence de l’auteur, de son fils de 14 ans et de Subhadra, âgée de 17 ans, tandis qu’un autre militaire restait en bas avec la femme de l’auteur, qu’il menaçait d’une arme pointée sur sa poitrine. N’ayant rien trouvé, les trois militaires sont redescendus. L’un d’eux a déclaré: «il n’y a pas de maoïstes ici».

2.2C’est alors que M. A. C. est entré dans la maison et a regardé autour de lui. Lorsqu’il a vu Subhadra, il l’a montrée du doigt et a dit «voilà la maoïste, attrapez-la». L’un des militaires a saisi Subhadra par les cheveux et lui a frappé la tête sur le sol si violemment que le plancher s’est fendu, de même qu’une poutre du plafond au-dessous. Subhadra et l’auteur ont ensuite été amenés à l’extérieur de la maison.

2.3De la porte d’entrée de la maison, l’auteur a vu sa fille à côté de l’étable avec quatre militaires. L’un d’entre eux lui ayant dit d’aller vers une maison voisine, la jeune fille s’est mise à marcher tandis qu’un militaire appuyait son arme contre son dos et que les autres la tenaient en joue.

2.4L’auteur a été conduit vers l’étable au moment où Subhadra tournait le coin de la maison voisine. Sept militaires accompagnaient l’auteur et, lorsqu’ils sont arrivés à la hauteur de l’étable, l’un d’entre eux lui a enfoncé le canon de son arme dans la poitrine tandis que les six autres l’entouraient, leur arme braquée sur lui.

2.5Les militaires ont insulté Subhadra en la traitant de «salope». Ils l’ont ensuite emmenée vers le porche de la maison voisine et l’ont entourée en pointant leur arme sur elle, alors qu’elle était en pleurs. Ils ont menacé de la tuer et ont commencé à la questionner sur les activités maoïstes dans la région. Elle a répondu que personne, à sa connaissance, n’était affilié aux maoïstes et qu’elle était une étudiante, et non une maoïste. Au bout d’une heure environ, les militaires l’ont emmenée près d’un bananier. L’auteur a vu sa fille debout en face des militaires. L’un d’entre eux a fait feu, mais l’arme s’est enrayée. Un autre soldat lui a tendu un fusil, qu’il a enfoncé dans l’estomac de Subhadra. Il a fait feu et sous la violence du coup, le corps est tombé dans le champ situé en contrebas. Les trois autres militaires ont alors braqué leur arme sur la jeune fille et ont tiré. Quatre autres militaires se sont précipités sur elle et ont commencé à lui donner des coups de pied et à la piétiner, au point que ses intestins ont jailli par la blessure et se sont répandus sur le sol.

2.6Les militaires se sont alors mis à donner des coups de pied à l’auteur et à le frapper au visage avec la crosse de leur fusil et ont continué jusqu’à ce qu’ils le croient mort. Ils l’ont abandonné sur le sol, inconscient et en sang.

2.7Plus tard la même nuit, des hommes armés en uniforme se sont également rendus chez Mme R. R., une amie proche de Subhadra qui vivait quelques maisons plus loin. Ils l’ont emmenée, l’ont interrogée puis l’auraient violée avant de l’abattre. Dans le même village, un jeune garçon dénommé T. L. a également été abattu.

2.8Ultérieurement, la radio nationale a annoncé dans un bulletin d’information que «trois terroristes, à savoir Mme R. R., Subhadra Chaulagain et T. L. du village de Pokhari Chauri, district de Kavre, avaient été abattus lors d’un engagement avec les forces de sécurité».

2.9Le lendemain de l’exécution extrajudiciaire de Subhadra, l’auteur a déposé plainte oralement au bureau de la police du district de Kavre. Mais, au lieu de l’écouter, les policiers l’ont renvoyé avec des menaces. L’auteur a alors déposé plainte auprès du chef de district, et a laissé le corps de Subhadra à l’endroit exact où il avait été trouvé, dans l’espoir que la police ferait une enquête.

2.10Le même jour, l’auteur a également contacté des avocats de l’organisation Advocacy Forum-Nepal et les a informés du meurtre de sa fille. Quatre à cinq jours après les faits, les avocats se sont rendus sur place, ont pris des photographies du corps et ont recueilli des témoignages. Comme aucun policier n’est venu examiner le corps ou commencer une forme quelconque d’enquête, les rites funéraires ont été accomplis sur le corps de Subhadra. Le corps n’a jamais fait l’objet d’une autopsie et n’a jamais été exhumé pour être examiné.

2.11Le 29 février 2004, l’auteur a présenté une requête à la Commission nationale des droits de l’homme, demandant l’ouverture d’une enquête. La Commission a enquêté sur le décès de Subhadra, ainsi que sur celui de Mme R. R. En juin 2005, elle a conclu que Subhadra avait fait l’objet d’une exécution illégale et a recommandé aux pouvoirs publics d’identifier les agents de sécurité impliqués dans l’homicide, de les déférer à la justice, et de verser 150 000 roupies à chacune des familles à titre d’indemnisation.

2.12Le 8 juin 2006 (peu après la fin du conflit armé), l’auteur a déposé une plainte («premier rapport d’information») pour meurtre auprès de la police du district. Il a donné des précisions sur la brigade de l’Armée royale népalaise chargée des perquisitions qui se trouvait dans le village les 12 et 13 février 2004, en mentionnant spécifiquement la brigade no9 de Bhakundebesi (Kavre) placée sous les ordres d’un lieutenant.

2.13La police n’ayant procédé à aucune enquête, le 8 octobre 2007, l’auteur a présenté à la Cour suprême une requête, lui demandant de rendre une ordonnance d’injonction de faire (mandamus) et d’ordonner également tout autre acte nécessaire. Vu que depuis le dépôt du premier rapport d’information, plus d’un an auparavant, aucune enquête effective n’avait été menée, il était nécessaire de solliciter une ordonnance judiciaire pour tenter d’obliger la police à enquêter.

2.14Le Bureau du procureur de district a envoyé une réponse écrite le 23 novembre 2007, demandant à la Cour suprême de rejeter la requête au motif que toutes les enquêtes nécessaires avaient été menées sur cette affaire. Plus précisément, la police avait écrit à la brigade no 9, à Bhakundebesi, pour demander qu’on lui transmette un document indiquant le nom du responsable de l’unité qui avait mené les perquisitions au village de Pokhari Chauri et tué Subhadra. Le 14 août 2006, une réponse écrite avait été reçue de la brigade no 9 de Bhakundebesi, qui indiquait que l’unité de perquisition était commandée par le lieutenant S. B., et que les hommes qui avaient encerclé la maison de Subhadra et arrêté cette dernière avaient été dirigés par le sous-officier D. T. M. Cependant, les militaires affirmaient que Subhadra avait tenté de s’enfuir, raison pour laquelle elle avait été abattue. Le bureau de la police du district avait alors envoyé une lettre au bureau de la police de zone, en demandant que tous les militaires ayant fait partie de l’unité de perquisition placée sous la direction du lieutenant S. B. soient convoqués au bureau de la police du district, et qu’on lui communique leurs nom, prénom et affectation actuelle. Aucune réponse n’avait été reçue. La conclusion formulée dans la demande de rejet de la requête était que, par cet échange de correspondance, le bureau de la police du district «s’était acquitté de toute responsabilité pouvant lui incomber dans le cadre de sa compétence pour arrêter les coupables suite à la requête du plaignant».

2.15Dans sa réponse à la Cour suprême, le Bureau du procureur du district affirmait que s’il avait reçu le rapport accompagné des documents voulus de la part du bureau de la police du district de Kavre, il se serait certainement acquitté de ses obligations légales, en établissant un acte d’accusation et en le soumettant à la Cour. Toutefois, puisqu’il n’avait reçu aucun document, il n’avait pas violé les droits reconnus au requérant par la Constitution et la loi.

2.16Le 14 décembre 2009, la Cour suprême a rendu une ordonnance d’injonction de faire dans laquelle elle déclare, entre autres, qu’au regard de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, le plaignant a rempli ses obligations en portant plainte oralement pour signaler le crime et en déposant un premier rapport d’information. Le bureau de la police du district, en revanche, avait manqué à ses obligations au titre de cette même loi. Quant au rôle du Bureau du procureur du district, la Cour indique dans son ordonnance que si c’est au bureau de la police qu’il incombe au premier chef d’enquêter sur une affaire, la loi sur les affaires dans lesquelles l’État est partie confère clairement au procureur de district le droit de donner des directives. La Cour a statué ce qui suit:

«une injonction a été rendue … tendant à ce qu’une enquête soit menée sans délai pour donner suite au premier rapport d’information. De même, des réprimandes ont été adressées à la Direction de la police, au bureau semi-régional de la police et au bureau de la police de zone, à Bagmati, afin qu’ils accomplissent leur devoir avec sérieux, dynamisme et diligence et prennent les mesures nécessaires et appropriées car ils ont constamment fait preuve d’indifférence face à leur devoir d’enquêter. De même, des réprimandes ont également été adressées au Bureau du Procureur général du Népal auquel il a été demandé d’ordonner au procureur de district de prendre au sérieux son devoir d’enquête et d’adopter sans délai les mesures concrètes voulues à cet effet. Le procureur de district devrait également être prié de jouer un rôle de direction et de coordination auprès du personnel de la police. Il a été constaté que le procureur de district avait fait preuve de passivité dans l’accomplissement de ses obligations légales en ne donnant pas les directives nécessaires aux policiers concernés.».

2.17L’auteur n’a jamais obtenu réparation à la suite des conclusions et recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme, mais, en février 2010, le Gouvernement lui a accordé une «indemnisation provisoire» d’un montant de 100 000 roupies financé par le Fonds d’indemnisation provisoire en faveur des «victimes du conflit», notamment les familles de victimes d’exécutions extrajudiciaires. L’argent a été remis à l’auteur par le chef de district de Kavre, à Dhulikhel.

2.18L’auteur invoque le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et fait valoir que les procédures de recours internes excèdent des délais raisonnables. Il rappelle que les faits se sont produits le 12 février 2004 et qu’à ce jour, aucune enquête officielle n’a été ouverte malgré la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme datée du 14 juin 2005 et l’ordonnance d’injonction de faire rendue par la Cour suprême le 14 décembre 2009. Alors que la Cour suprême a constaté que la police avait délibérément retardé la procédure, non seulement dans l’affaire concernant l’auteur mais également à plusieurs reprises dans des affaires semblables, presque rien n’a été fait.

2.19L’auteur note que les faits objet de sa plainte se sont produits les 12 et 13 février 2004, alors que le décret sur la prévention et la répression des activités terroristes et subversives de 2001 était en vigueur. L’article 5 du décret en question confère aux forces de sécurité des pouvoirs spéciaux afin de prévenir les activités terroristes et subversives, notamment le pouvoir d’arrêter sans mandat toute personne qui est «suspectée» d’être impliquée dans une activité terroriste ou subversiveainsi que le pouvoir d’utiliser les armes contre tout suspect qui résiste à son arrestation.

2.20Selon l’auteur, l’impunité des personnes soupçonnées de crimes imputables à des agents de l’État existe à la fois de jure et de facto. La loi sur la police (1955) prévoit l’immunité pour les chefs de districts ou tout membre de la police, «pour les actes accomplis … de bonne foi dans l’exercice … de leurs fonctions». Cette loi contient une longue liste d’infractions pour lesquelles les agents peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires. Selon cette liste, il n’y a pas de responsabilité pénale individuelle pour les violations des droits de l’homme et les exécutions extrajudiciaires, entre autres. En outre, même dans les cas où la Cour suprême a ordonné à la police de déposer un premier rapport d’information contre des policiers ainsi mis en cause, celle-ci n’a rien fait ou presque.

2.21L’auteur ajoute que la loi sur l’armée (1959) accorde également l’immunité de poursuites à tous les membres des forces armées lorsqu’ils ont agi dans l’exercice de leurs fonctions. L’article 24 A dispose que «dans le cas où une personne meurt ou subit une perte à la suite d’un acte quel qu’il soit commis par une autre personne dans l’exercice de ses fonctions, aucune action ne peut être intentée contre cette autre personne devant aucune juridiction». La loi sur l’armée contient bien une disposition selon laquelle les infractions doivent faire l’objet d’enquêtes et leurs auteurs, être jugés par un tribunal militaire, mais, dans le nombre limité de cas où il y a eu procès devant un tribunal militaire, les victimes n’ont pas pu y assister ni en connaître l’issue. De surcroît, la loi sur la sécurité publique (1989) confère l’immunité pour tout acte commis par des agents de l’État agissant de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. Par conséquent, même si l’affaire faisait l’objet d’une enquête et était portée devant les tribunaux, les militaires en cause invoqueraient très probablement les dispositions susmentionnées pour échapper aux poursuites. De plus, il se développe au Népal une culture de l’impunité des membres des forces de sécurité, dont il résulte qu’il n’y a pas de recours internes qui puissent être exercés utilement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’usage de la force létale contre sa fille était disproportionné et non nécessaire, et contraire à l’article 6 du Pacte. En outre, comme aucune véritable enquête n’a été ouverte à ce jour sur l’homicide de sa fille, il estime que l’État partie a également manqué à son obligation découlant de l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. De plus, l’auteur fait valoir que le système de justice pénale du Népal n’offre aucune garantie de procédure donnant effet au droit de chacun de voir sa cause entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, ce qui constitue une violation supplémentaire de l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Dans l’État partie, dans les affaires où la partie défenderesse est un agent de l’État, la procédure n’est guère indépendante ni impartiale.

3.2L’auteur craint qu’en l’espèce, les responsables ne soient jugés par une juridiction militaire et non civile. Les décisions rendues par les tribunaux militaires ne sont pas susceptibles d’appel et les audiences se déroulent à huis clos. Le jugement de l’affaire par un tribunal militaire constituerait une violation des droits que l’auteur tient de l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. De surcroît, les peines prononcées par les tribunaux militaires ne sont pas à la mesure des violations subies car elles sont purement disciplinaires. Cela constitue une autre violation de l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.3.Selon l’auteur, les circonstances de l’arrestation et de l’exécution de sa fille Subhadra constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Le fait que la première arme utilisée contre elle se soit enrayée a constitué un simulacre d’exécution, bien que non intentionnel, et, de ce fait, une violation de l’article 7 du Pacte. De surcroît, la jeune fille a été agressée, a reçu des coups de feu puis a été violemment battue, ce qui constitue également une violation de l’article 7.

3.4L’auteur affirme que les insultes et les menaces de mort adressées à sa fille avant son exécution constituent un traitement dégradant et une violation de l’article 7. Il souligne que Subhadra a été traitée à plusieurs reprises de «salope», terme à forte connotation sexuelle, destiné à avilir à la fois Subhadra et l’auteur lui-même.

3.5L’auteur ajoute que le traitement qu’il a subi − les coups violents, le fait d’avoir été contraint d’assister à l’exécution de sa fille et l’impunité des auteurs qui s’est ensuivie − constitue un acte de torture, commis en violation de l’article 7.

3.6L’auteur déclare que sa fille n’était pas maoïste et que même si l’appartenance à une organisation proscrite constitue une infraction au titre de la loi népalaise, l’arrestation d’une jeune fille de 17 ans, non armée, par un groupe de militaires armés, sans mandat d’arrêt, au milieu de la nuit, constitue un acte injustifiable et une violation de l’article 9 du Pacte. L’auteur soutient que lorsqu’elle était détenue, Subhadra n’a pas été traitée «avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine», ce qui constitue une violation de l’article 10 du Pacte.

3.7Enfin, l’auteur fait valoir que l’absence d’«égale protection de la loi» en l’espèce constitue une violation de l’article 26 du Pacte. En vertu du Code pénal (Muluki Ain) (chap. 10 «De l’homicide», art. 13), une personne qui commet intentionnellement un meurtre est passible de réclusion à perpétuité et de la saisie de tous ses biens et possessions. Toutefois, comme ceux qui ont tué Subhadra sont des agents de l’État, ils peuvent échapper aux poursuites. De plus, en raison du système de commandement unifié alors en place, il était extrêmement difficile pour la police de mener des enquêtes sur les affaires dans lesquelles étaient impliqués des membres de l’armée, car il arrivait souvent que les militaires en cause soient les supérieurs des policiers. Comme il a été expliqué précédemment, il existe plusieurs dispositions dans le droit interne qui permettent aux agents de l’État d’échapper aux poursuites pour des infractions qui vaudraient à un citoyen ordinaire d’être poursuivi.

3.8L’auteur invite le Comité à demander à l’État partie de conduire, au sujet des allégations formulées, une enquête judiciaire complète et sérieuse, qui permette d’engager des poursuites contre tous les responsables, aussi bien ceux qui ont accompli les actes en cause que ceux qui les ont ordonnés, ou les ont autorisés ou y ont consenti tacitement. Il demande en outre au Comité de prier l’État partie d’accorder une réparation totale et effective pour la violation des droits, notamment une indemnisation financière pour toutes les pertes pécuniaires et autres, la restitution des droits, une aide à la réadaptation, des mesures de satisfaction, ainsi que des garanties de non-répétition. Pour ce qui est des mesures générales, l’auteur demande que l’État partie réforme ses lois et ses institutions afin d’offrir des garanties suffisantes que de telles violations ne se renouvelleront pas.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale datée du 15 mars 2011, l’État partie a présenté ses observations, contestant la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. Le 5 juin 2006, l’auteur a déposé un premier rapport d’information auprès du bureau de la police du district (Kavre), alléguant que l’unité de perquisition commandée par le lieutenant de la brigade no 9 avait tué sa fille. Le 14 décembre 2009, la Cour suprême a délivré une ordonnance d’injonction de faire (mandamus), ordonnant l’ouverture sans délai d’une enquête sur ce premier rapport d’information. À la suite de l’ordonnance d’injonction, la section juridique de la Direction de la police a émis des directives à l’intention de tous les policiers subordonnés afin qu’ils procèdent rapidement à des investigations efficaces et le bureau de la police du district (Kavre) a accéléré la procédure d’enquête. Le 23 avril 2010, ce bureau a pris les dépositions de deux témoins. La femme de l’auteur a également été auditionnée le 30 août 2010. Le 21 janvier 2011, des membres du bureau de la police locale (Kattike) se sont rendus sur les lieux du crime et ont «procédé à un acte sur place». L’État partie ajoute que «la police procède actuellement au complément d’enquête requis, avec diligence, conformément aux lois en vigueur».

4.2L’État partie indique également que des enquêtes sont en cours au sujet des autres faits qui se sont produits le 11 février 2004. Par exemple, le caporal-chef qui serait responsable de la mort de Mme R. R., et qui s’est enfui après les événements, a été arrêté par la police et va être traduit en justice pour homicide devant le tribunal de district de Kavre. L’État partie fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que les faits exposés dans la présente communication font toujours l’objet d’une enquête. Il est déterminé à procéder à des enquêtes appropriées et complètes sur tous les cas de violations des droits de l’homme qui seraient survenus pendant les dix ans de conflit armé et a déjà «pris des mesures pour trouver des mécanismes appropriés de justice transitionnelle».

4.3L’État partie indique que, le 11 février 2004, la brigade no 9 de Shree, à Bhakundebesi, a mené une opération dans la zone de Pokhari Chauri du district de Kavre. Au cours de cette opération, les forces de sécurité ont perquisitionné plusieurs maisons, parce qu’elles avaient été informées que des terroristes se cachaient dans le secteur. Elles sont arrivées à la maison de Subhadra Chaulagain, qui était soupçonnée de terrorisme. L’intéressée a mis quinze minutes à ouvrir la porte, malgré les demandes insistantes. Lorsque la porte a été ouverte et que les forces de sécurité sont entrées dans la maison, une autre personne soupçonnée de terrorisme a sauté par la fenêtre. Alors qu’ils montaient l’échelle, certains membres de l’unité ont remarqué que Subhadra essayait de s’enfuir. Elle a alors été arrêtée. Elle était en possession d’un pistolet et de cinq balles. Interrogée, elle a immédiatement reconnu être une terroriste. Elle a déclaré que de nombreux terroristes se cachaient dans le village et a proposé d’indiquer où ils habitaient. Elle se trouvait avec les forces de sécurité lorsque les maisons ont été perquisitionnées. Pendant la perquisition, elle a tenté de s’enfuir. C’est l’intervention par laquelle les agents «ont cherché à la maîtriser qui a malheureusement entraîné sa mort». L’État partie ajoute que les agents n’ont ni torturé ni violé Mme R. R.

4.4En ce qui concerne l’enquête, l’État partie déclare que le commandant de bataillon chargé de l’opération menée dans la zone de Pokhari Chauri le 11 février 2004 a soumis un rapport sur l’incident, qui s’est plus tard révélé être mensonger. Une commission d’enquête a été constituée sous la présidence du commandant en second du bataillon. Aucun renseignement satisfaisant ne pouvant être obtenu de cette commission, l’armée en a formé une autre qui, après avoir dûment enquêté, a recommandé l’établissement d’un tribunal militaire. Le tribunal militaire créé en vertu de la loi sur l’armée (1959) en vigueur à l’époque a rendu son jugement, par lequel: a) le commandant du bataillon a été reconnu coupable d’avoir présenté un faux rapport sur l’incident et a été déclaré passible d’une réprimande; b) la commission d’enquête constituée sous la présidence du commandant en second a été reconnue coupable d’avoir rédigé un rapport «sans évaluer les faits pour établir la vérité» et, par conséquent, le commandant en second a été puni d’un gel de promotion pendant un an; c) le lieutenant S. B. à qui avait été délégué le commandement de l’opération a été reconnu coupable d’avoir donné l’ordre d’utiliser une force excessive qui a entraîné la mort de Mme R. R. et a été puni d’une peine de quatre mois d’emprisonnement et d’un gel de promotion pendant trois ans; d) un adjudant de grade 2 détaché pour participer à l’opération a été reconnu coupable de provocation sous forme de suggestions inappropriées à son commandant et a été emprisonné pendant quatre mois. L’État partie ajoute qu’une plainte pour homicide a été déposée au tribunal de district de Kavre contre les auteurs présumés, notamment le lieutenant S. B., et que l’affaire est actuellement entre les mains de la justice.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

5.1Le 6 juin 2011, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il déclare que les affirmations de l’État partie ne sont fondées sur aucun élément de preuve. Selon lui, l’État partie semble s’appuyer sur deux principales assertions pour étayer son argument selon lequel la communication est irrecevable: a) il y a eu et il y a un recours disponible du fait que les circonstances ont été examinées par un tribunal militaire, et que les auteurs ont été punis pour la violation commise ou sont actuellement jugés par des tribunaux civils; et b) des enquêtes sont en cours conformément au droit interne et les recours internes n’ont par conséquent pas été épuisés.

5.2En ce qui concerne la première affirmation, l’auteur note que, dans ses observations, l’État partie donne l’impression trompeuse que les militaires ont été punis par le tribunal militaire et sont actuellement poursuivis devant les tribunaux civils au sujet de la présente affaire. Il soutient que cela est inexact. Il apparaît certes que les circonstances de l’homicide de Subhadra ont été examinées par un tribunal militaire en 2005, mais les sanctions prononcées par ce tribunal et les poursuites engagées ultérieurement se rapportent non pas au meurtre de la fille de l’auteur et au traitement cruel, inhumain et dégradant qu’elle a subi, mais aux violations des droits de l’homme commises contre d’autres personnes du même village, le même jour, à savoir Mme R. R. et M. T. L. L’État partie cite deux «commissions d’enquête» qui, selon ses propres dires, se sont fondées sur des faits inventés de toutes pièces, et le jugement d’un tribunal militaire concernant «l’incident», c’est-à-dire l’ensemble des événements qui se sont produits dans le village cette nuit-là, pour montrer qu’il est déterminé à enquêter sur cette affaire et à en poursuivre les auteurs. Non seulement ces tribunaux militaires étaient extrêmement irréguliers et se sont révélés totalement insatisfaisants en tant que recours, mais de plus ils n’ont pas permis, en tout état de cause, de punir les auteurs du meurtre de Subhadra et des mauvais traitements qu’elle a subis. Les soi-disant «enquêtes» en question et le tribunal militaire ne peuvent être considérés comme un recours dans le cadre de l’examen de la présente communication, puisque l’auteur ne connaissait même pas leur existence lorsqu’il a saisi le Comité.

5.3Les représentants légaux de l’auteur n’ont eu connaissance de ces procédures qu’à la fin du mois de mars ou au début d’avril 2011, lorsqu’une traduction en anglais de la décision du tribunal militaire datée du 28 août 2005 leur a été communiquée de manière informelle. D’après le texte de ladite décision, le tribunal militaire a conclu, entre autres, que Subhadra avait été tuée pendant une opération alors qu’elle tentait d’échapper à un cordon de sécurité. Le tribunal n’a déclaré aucune personne responsable de l’un quelconque des trois homicides commis. En revanche, il a conclu que les circonstances de l’arrestation et de l’homicide de la fille de l’auteur pouvaient être considérées comme «normales». Il a estimé que les homicides de Mme R. R. et de M. T. L. étaient dus à l’usage excessif de la force et que «l’acte irresponsable» consistant à abandonner sur les lieux les corps de ces victimes «avait eu un effet négatif sur l’image de l’armée». Le tribunal a reconnu 12 militaires coupables de ces actes, réprimés par les articles 54 et 60 de la loi de 1960 no 2016BS sur l’armée (violation des ordres et de la discipline et infractions au titre d’autres lois), mais n’a sanctionné que trois d’entre eux − ceux qui étaient officiellement jugés. Il a également conclu que le commandant du bataillon avait sciemment préparé et présenté un faux rapport sur les faits, dans une tentative de «dissimulation», et que le commandant en second n’avait pas conduit correctement l’enquête de la première commission, puisqu’il avait accepté les faits qui lui avaient été présentés sans les mettre en doute.

5.4Le tribunal militaire n’a prononcé aucune peine en relation avec l’homicide de Subhadra. Quand bien même il l’aurait fait, les sanctions prononcées auraient été totalement insuffisantes car elles auraient puni des fautes disciplinaires et «autres infractions» non spécifiées, et non une arrestation illégale, des mauvais traitements et un homicide.En outre, les sanctions prononcées sont très légères.

5.5La procédure pour homicide engagée devant le tribunal de district de Kavre contre les auteurs présumés, notamment le lieutenant S. B., ainsi que la procédure qui a conduit à l’arrestation et à la mise à disposition de la justice d’un caporal-chef pour l’homicide de Mme R. R., sont sans rapport avec les mauvais traitements et l’homicide subis par la fille de l’auteur, et concernent seulement le meurtre de Mme R. R., commis la nuit du 12 au 13 février 2004 par le lieutenant S. B. et le caporal-chef K. K. Les représentants légaux de l’auteur se sont renseignés auprès du bureau de la police du district de Kavre et ont été informés qu’aucune procédure judiciaire n’avait été engagée concernant les mauvais traitements et l’homicide dont Subhadra a été victime.

5.6La seule arrestation qui ait eu lieu depuis que des mandats d’arrêt ont été émis contre les auteurs présumés du meurtre de Mme R. R. est celle du caporal-chef K. K., le 27 septembre 2010. Le caporal-chef K. K. n’a pas encore fait l’objet de poursuites et il a présenté une requête en habeas corpus devant la Cour suprême, qui est toujours en instance. Sa requête a reçu l’appui de l’armée népalaise, qui a fait valoir qu’il devait être jugé par un tribunal militaire et que la police devrait le remettre à l’armée. Le mandat d’arrêt contre le lieutenant S. B. pour le meurtre de Mme R. R. n’a pas encore été exécuté, bien que l’intéressé soit encore en service dans l’armée népalaise. En fait, l’armée a retourné le mandat d’arrêt au tribunal de district de Kavre en février 2011, accompagné d’une lettre déclarant que, le lieutenant S. B. ayant déjà été jugé et reconnu coupable par un tribunal militaire, il ne pouvait être jugé de nouveau par des tribunaux civils en raison du principe interdisant une double incrimination pour le même fait. L’auteur fait valoir que les difficultés dues à l’obstruction opposée par l’armée népalaise, qui freinent les poursuites même lorsque des mandats d’arrêt ont été émis, correspondent à un scénario déjà rencontré dans d’autres affaires. En outre, tout indique qu’il y a un manque de volonté politique de mener les poursuites à leur terme.

5.7Les enquêtes militaires et la procédure devant le tribunal militaire ne démontrent pas que l’État partie s’est acquitté de ses obligations d’enquêter sur les violations commises, d’en poursuivre les auteurs et d’assurer un recours interne aux victimes. Par principe, un tribunal militaire est une instance totalement inappropriée pour mettre en examen et juger un militaire soupçonné d’avoir participé à des mauvais traitements et à un homicide sur la personne d’un civil. La compétence des tribunaux militaires devrait être limitée aux infractions à caractère purement interne et militaire commises par des militaires, c’est-à-dire qui entraînent essentiellement des mesures disciplinaires à caractère interne. Leur compétence devrait être écartée en faveur de celle des tribunaux civils lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des violations graves des droits de l’homme, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture, et de poursuivre et juger les personnes accusées de ces crimes. L’auteur fait valoir que le fait de charger un tribunal militaire d’enquêter sur des violations graves des droits de l’homme et d’en poursuivre les auteurs est en soi une violation du droit de la victime à un recours utile reconnu par le Pacte. Non seulement il y a absence d’indépendance des personnes qui enquêtent et qui rendent la décision, et une incitation à minimiser ou dissimuler la violation, mais en plus la victime et les membres de sa famille ne participent pas à la procédure.

5.8L’auteur fait valoir avec abondance de détails que le tribunal militaire chargé d’examiner «l’incident» qui s’est produit à Pokhari Chauri les 12 et 13 février 2004 ne répondait pas aux critères que doit respecter tout organe d’enquête pour satisfaire à l’obligation de garantir un recours utile qui est énoncée dans le Pacte. Les lacunes à cet égard sont les suivantes: a) le tribunal militaire n’était manifestement pas impartial ni indépendant, car il était constitué de membres de l’armée appartenant à la même structure hiérarchique et disciplinaire que les accusés; b) le tribunal militaire n’était pas compétent ni qualifié pour enquêter sur les allégations de violations graves des droits de l’homme ni pour juger leurs auteurs présumés; c) les familles des victimes, y compris l’auteur, n’ont pas participé à la procédure et en ont même ignoré l’existence pendant près de six ans; et d) la procédure n’était pas transparente. Non seulement la décision rendue par le tribunal militaire n’a pas été diffusée mais, à la connaissance des représentants légaux de l’auteur, les nombreux documents énumérés dans cette décision n’ont pas été fournis au bureau de la police du district de Kavre. Le fait de confier à un tribunal militaire l’enquête sur ces violations portait également atteinte aux droits reconnus à l’auteur par les articles 6 et 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Cette enquête ne représente certainement pas un recours au sens du Pacte et le fait qu’un tribunal militaire ait examiné l’affaire ne rend pas la communication de l’auteur irrecevable.

5.9En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteur réaffirme sa position initiale, à savoir que les recours exercés ont excédé des délais raisonnables, et qu’ils ne sont pas utiles dans la pratique. Au cours des quelque dix-huit mois écoulés depuis que la Cour suprême a rendu l’ordonnance d’injonction de faire, très peu a été fait. À la connaissance de l’auteur, la police n’a interrogé aucun des membres de la patrouille militaire cités dans le premier rapport d’information. Le fait qu’elle ait pris quelques premières mesures concrètes (notamment l’enregistrement des dépositions de deux témoins le 23 avril 2010 et la visite sur les lieux du crime le 21 janvier 2011) à la suite d’une plainte qu’elle avait reçue plus de sept ans auparavant est, de l’avis de l’auteur, une preuve évidente qu’en l’espèce la procédure de recours a été excessivement longue.

5.10L’auteur déclare que les recours qui paraissent disponibles en droit ne sont ni utiles ni disponibles dans la pratique. En particulier, la torture et les mauvais traitements ne sont pas incriminés en droit interne, et ne sont donc pas susceptibles d’être sanctionnés par les juridictions nationales. Dans les circonstances décrites plus haut, et compte tenu du fait que personne n’a encore été traduit en justice pour les crimes commis pendant le conflit armé, il est clair que tout recours potentiel ouvert en droit interne est illusoire et ne saurait être considéré comme étant disponible ou utile.

5.11L’auteur prend note de l’engagement de l’État partie à ouvrir une information et une enquête sur les violations des droits de l’homme qui auraient été commises pendant le conflit et du fait qu’il a déjà pris des mesures pour trouver des mécanismes appropriés de justice transitionnelle. Au sujet de cet argument, l’auteur déclare que l’éventualité, au moment où il a soumis ses commentaires, que des mécanismes de justice transitionnelle soient établis à l’avenir ne change rien au fait que les procédures de recours en l’espèce ont excédé des délais raisonnables. De plus, de tels mécanismes n’étaient pas encore disponibles et, s’ils le sont à l’avenir, ils n’offriront pas un recours approprié au regard des violations alléguées.

5.12En outre, la Commission pour la vérité et la réconciliation qui doit être créée ne sera pas un organe juridictionnel. Elle ne constituera pas un recours adéquat pour ces violations graves, et sa création éventuelle ne présente pas d’intérêt au regard de la question de savoir si les recours ont été épuisés ou non.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1À sa 104e session, le 8 mars 2012, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Concernant le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 26, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas apporté la preuve, aux fins de la recevabilité, qu’il avait été victime de discrimination, et a déclaré cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3En ce qui concerne la condition de l’épuisement des recours internes, le Comité a estimé que les futurs mécanismes de justice transitionnelle, comme la Commission pour la vérité et la réconciliation, ne permettraient pas d’assurer un recours approprié au regard des violations alléguées dans la présente communication et, se référant à sa jurisprudence, a rappelé que dans les cas de violations graves, un recours juridictionnel est requis. En ce qui concerne l’existence d’éventuelles procédures en cours au sujet des questions soulevées dans la communication, le Comité a pris note des efforts accomplis par l’auteur depuis 2004 pour exercer un recours interne par l’intermédiaire du bureau de la police du district de Kavre, de la Commission nationale des droits de l’homme et de la Cour suprême, et a estimé que l’État partie n’avait pas démontré que l’enquête qui continuait d’être conduite par ses autorités plus de huit ans après l’homicide de la fille de l’auteur était efficace au regard du caractère particulièrement grave des violations présumées, considérant par conséquent que les délais étaient excessivement longs. Le Comité a conclu que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne faisaient pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité a déclaré la communication recevable en ce qui concerne les griefs de violation des droits garantis par les articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte, tous lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de la fille de l’auteur, et les griefs de violation des droits garantis par l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de l’auteur.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Par une note verbale datée du 19 avril 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et a répété que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes.

7.2En février 2010, comme suite à la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme, l’État partie a accordé 100 000 roupies à l’auteur à titre d’«indemnisation provisoire»; en outre, le bureau de l’administration du district de Karve lui a par la suite versé 200 000 roupies.

7.3L’article 33 q) et s) de la Constitution provisoire du Népal (2007) et l’article 5.2.5 de l’Accord de paix global prévoyaient l’établissement d’un mécanisme de justice transitionnelle chargé de connaître des violations graves des droits de l’homme et de rendre justice aux victimes du conflit armé. Le processus d’établissement de ce mécanisme n’a pu être achevé car le mandat de l’Assemblée constituante a expiré. Le 13 mars 2013, le Président a néanmoins promulgué le décret portant création de la Commission pour la recherche des personnes disparues et la vérité et la réconciliation (ci-après «le décret»). Dans ces conditions, l’État partie maintient qu’il serait inopportun pour le Comité de continuer d’examiner la présente communication et d’adopter des constatations à ce sujet, et demande donc au Comité de suspendre cet examen.

7.4Les objectifs de cette commission d’enquête de haut niveau sont les suivants: a) enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme, y compris les disparitions forcées survenues pendant le conflit armé, et établir la vérité au sujet des personnes impliquées dans ces incidents pendant le conflit; b) mettre fin à l’impunité en obligeant les auteurs de violations graves à répondre en justice de leurs actes; et c) créer un climat propice à la réconciliation au sein de la société et présenter un rapport contenant des recommandations sur les réparations à accorder aux victimes.L’indépendance, l’impartialité et la compétence de la Commission seront garanties par sa composition (membres provenant des différentes régions du pays et issus de secteurs sociaux divers).

7.5Selon le décret, sont notamment considérés comme des «violations graves des droits de l’homme» les actes suivants, perpétrés de manière systématique ou ciblée contre des personnes non armées ou des civils: meurtre, enlèvement et prise d’otages, disparition, torture physique ou mentale, viol et violence sexuelle, et tout acte inhumain commis en violation du droit international des droits de l’homme ou du droit international humanitaire ou tout autre crime contre l’humanité. La Commission sera compétente pour connaître des violations graves des droits de l’homme commises pendant le conflit armé, du 13 février 1996 au 21 novembre 2007, par des agents de l’État et le Parti communiste népalais (maoïste). Aussi, les allégations de l’auteur relèvent-elles de la compétence de la Commission.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

8.1Le 7 juillet 2013, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il soutient que celles-ci n’apportent aucun renseignement susceptible de modifier la décision du Comité concernant la recevabilité de la communication.

8.2L’auteur répète ses arguments concernant la procédure devant le tribunal militaire et avance que les violations flagrantes des droits de l’homme doivent être instruites et jugées par la justice civile. Il ajoute qu’en tout état de cause, la procédure devant le tribunal militaire n’a nullement satisfait aux normes en matière d’instruction et de poursuite qui doivent être observées pour rendre effectif le droit à un recours utile tel que consacré par le Pacte.

8.3Au moment où l’auteur a soumis ses commentaires, l’application du décret était suspendue en vertu d’une décision de la Cour suprême en date du 1er avril 2013. Dans tous les cas, même s’il était en vigueur, ce décret ne changerait rien aux conclusions du Comité concernant la recevabilité de la communication.

8.4La Commission prévue par le décret, composée de cinq membres, n’est pas un organe judiciaire. Elle ne peut déclarer les auteurs de violations pénalement responsables ni leur infliger des peines, ni ordonner des mesures de réparation obligatoires en faveur des victimes. Par conséquent, même si elle est établie, cette commission ne peut offrir un recours utile.

8.5En pratique, le décret bloque l’accès aux recours juridictionnels pour les violations graves des droits de l’homme, étant donné que la procédure d’ouverture des enquêtes et d’engagement des poursuites n’est pas clairement établie et que le décret ouvre la porte aux retards excessifs et à l’impunité. En outre, il est difficile de dire s’il autorise ou non l’amnistie en cas de violations graves des droits de l’homme.

8.6Le décret ne précise pas que la victime a droit à réparation et ne fixe pas non plus de critères permettant d’accorder une réparation conformément au droit international des droits de l’homme. Dans l’application du décret, la question de la réparation serait donc laissée à l’entière discrétion d’un organe non judiciaire et les victimes n’auraient pas accès aux recours juridictionnels traditionnels, en violation de leur droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8.7L’auteur dément les observations faites par l’État partie au sujet de sa fille et des événements du 12 février 2004, en particulier le fait que sa fille était «une terroriste» et détenait un pistolet et cinq balles, et qu’une fois interrogée elle avait immédiatement avoué être une terroriste, qu’elle avait dit que de nombreux terroristes se cachaient dans le village, et qu’elle avait tenté de s’enfuir. Compte tenu des éléments de preuve précis et crédibles qu’il a produits dans sa communication et du fait que l’État partie n’a fourni aucun document, élément de preuve ou explication satisfaisante, l’auteur estime que ses allégations sont étayées.

8.8L’auteur estime que le Comité ne devrait pas accorder de poids aux conclusions du tribunal militaire étant donné les défaillances flagrantes de ce dernier en tant que mécanisme d’enquête. S’il devait néanmoins les retenir, le Comité devrait tenir compte de la description suivante des événements, faite après la procédure devant le tribunal militaire:

«[…] les forces de sécurité ont emmené [Subhadra] dans la maison qu’elle leur avait indiquée, et pendant qu’elles interrogeaient les personnes qui s’y trouvaient elles l’ont vue se livrer à des activités suspectes. Elles lui ont alors attaché les mains avec un châle et un bout de vêtement et l’ont gardée dans la cour devant la maison, mais elle s’est détachée, a bousculé la sentinelle qui se trouvait à côté et s’est enfuie; la sentinelle, le caporal-chef K. K., l’a alors frappée avec un fusil INSAS et elle est tombée dans le jardin, puis le sergent I. K. S. a tiré deux fois sur elle et peu après, le sergent S. B. R. lui a tiré une balle dans la tempe; ensuite, comme elle n’était toujours pas morte, l’adjudant de grade 2 D. T. M a ordonné à la sentinelle de la frapper avec la crosse de son fusil. Elle a succombé à un coup à la tempe. L’équipe sous le commandement de l’adjudant de grade 2 est retournée auprès du lieutenant S., répondant aux ordres de ce dernier.».

Ces faits, tels qu’ils sont décrits, témoignent d’un usage non nécessaire et disproportionné de la force, qui constitue une violation de l’article 6 du Pacte.

8.9L’auteur a reçu 100 000 roupies à titre d’indemnisation provisoire en 2008 et 200 000 autres en 2010. Malgré ses demandes à l’administration locale, il n’a pas reçu les 200 000 roupies que le Gouvernement devrait lui accorder conformément à la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme. À ce sujet, il fait valoir que l’indemnisation provisoire constitue une aide humanitaire plutôt qu’une réparation et qu’elle ne dispense pas l’État partie de son obligation de lui assurer un recours utile.

8.10Compte tenu de l’évolution de la situation depuis qu’il a soumis sa communication, l’auteur formule deux autres demandes de réparation et prie le Comité de recommander à l’État partie ce qui suit: a) remettre rapidement à l’auteur ainsi qu’à la Commission nationale des droits de l’homme l’intégralité du dossier d’instruction militaire sur les faits qui se sont produits les 12 et 13 février 2004 au village de Pokhari Chauri, y compris les rapports complets des deux commissions d’enquête et du tribunal militaire chargés d’examiner les faits, et les éléments de preuve, dont les déclarations des témoins qui leur ont été soumises; et b) abroger le décret portant création de la Commission pour la recherche des personnes disparues et la vérité et la réconciliation, et garantir que toute législation de remplacement soit conforme à l’obligation d’assurer un recours utile qui incombe à l’État partie en vertu du Pacte.

Réponses complémentaires des parties

9.1Le 4 juillet 2014, l’auteur a informé le Comité que, le 25 avril 2014, le Parlement de l’État partie avait adopté la loi no 2071 (2014) portant création de la Commission pour la vérité et la réconciliation et de la Commission d’enquête sur les personnes disparues.

9.2L’auteur indique que cette loi vise tous les cas de «violations graves des droits de l’homme» commises pendant le conflit armé, et fait observer que plusieurs de ses dispositions sont incompatibles avec les normes internationales des droits de l’homme. Notamment, la loi autorise les deux commissions à recommander des mesures d’amnistie pour des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire, comme celles qui sont dénoncées dans la présente communication; en outre, les commissaires n’offrent pas de garanties d’indépendance et d’impartialité, et la loi ne reconnaît pas le droit des victimes à une réparation intégrale. Si le Comité constatait qu’il y a eu violation du Pacte en l’espèce, il pourrait recommander à l’État partie de modifier la loi, après consultation appropriée avec les victimes et leurs proches, la société civile et la Commission nationale des droits de l’homme. En particulier, l’État partie devrait: a) supprimer la possibilité d’accorder une amnistie pour des violations flagrantes du Pacte; b) veiller à ce que les violations flagrantes du Pacte fassent l’objet d’une enquête judiciaire et que les responsables de tels actes soient traduits en justice, notamment en prévoyant que toute décision de ne pas engager des poursuites soit susceptible de contrôle judiciaire; c) supprimer la possibilité de «réconcilier» l’auteur d’une violation et sa victime sans le consentement de celle-ci; d) garantir l’impartialité et l’indépendance des commissaires; et e) reconnaître le droit des victimes à une réparation, notamment sous la forme d’une restitution, d’une indemnisation, d’une aide à la réadaptation, de mesures de satisfaction et de garanties de non-répétition.

10.Le 11 août 2014, l’État partie a informé le Comité de l’adoption de la loi par le Parlement. Il a renouvelé ses observations sur le fond (voir par. 7.3 et 7.4 ci-dessus) et réaffirmé qu’il serait inapproprié pour le Comité de poursuivre l’examen de la présente communication. Il a en outre déclaré que des programmes avaient été mis en place pour assurer une aide à la réadaptation et un soutien, financier et autre, aux victimes du conflit armé et à leurs proches.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qu’il a reçues.

11.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles, le 12 février 2004, sa fille a été exécutée arbitrairement par des membres de l’Armée royale népalaise, après avoir été illégalement arrêtée au milieu de la nuit, sans mandat, torturée, soumise à de graves mauvais traitements et humiliée par un groupe de militaires; l’auteur affirme que le lendemain il a déposé une plainte auprès du chef de district, que le 29 février 2004 il a également présenté une requête à la Commission nationale des droits de l’homme et que le 8 juin 2006 il a déposé un premier rapport d’information pour meurtre au bureau de la police du district. Comme aucune enquête n’a été ouverte par la police, il a saisi la Cour suprême. L’auteur affirme en outre que malgré la recommandation formulée par la Commission nationale des droits de l’homme le 14 juin 2005 et l’ordonnance d’injonction de faire rendue par la Cour suprême le 14 décembre 2009, à ce jour, aucune enquête n’a été menée sur le meurtre de sa fille. Le Comité note également que l’auteur affirme n’avoir pas été informé des procédures engagées devant le tribunal militaire au sujet des faits survenus à Pokhari Chauri les 12 et 13 février 2004, et que, selon lui, la décision rendue par le tribunal militaire le 28 août 2005 n’a pas été publiée, les documents et les éléments de preuve cités dans ladite décision n’ont pas été transmis au bureau de la police du district de Kavre, ni à lui-même, et le tribunal n’a pas puni les responsables des crimes commis contre sa fille. Le Comité prend également note de la déclaration de l’État partie, qui affirme que d’autres enquêtes concernant les circonstances du décès de la fille de l’auteur sont en cours et que l’affaire serait du ressort des Commissions pour la recherche des personnes disparues et la vérité et la réconciliation, établies par la loi.

11.3Le Comité rappelle que les États parties devraient prendre des mesures non seulement pour prévenir et sanctionner les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais aussi pour prévenir les exécutions arbitraires par leurs propres forces de sécurité. Il rappelle également qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent garantir que toutes les personnes puissent bénéficier de recours accessibles, utiles et exécutoires afin de faire valoir les droits dont elles jouissent en vertu du Pacte. Le Comité rappelle en outre son Observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, en particulier le fait que dans les cas où les enquêtes révèlent des violations de certains droits énoncés dans le Pacte, les États parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Tout comme le fait de ne pas mener d’enquête lorsque de telles violations se produisent, le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de ces actes peut en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Ces obligations se rapportent notamment aux infractions qualifiées de pénales en vertu du droit interne ou du droit international, comme les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, et les exécutions sommaires et arbitraires (par.18).

11.4En l’espèce, il n’est pas contesté que la fille de l’auteur a été arrêtée sans mandat par des militaires de l’Armée royale népalaise et qu’elle est décédée du fait de l’utilisation d’armes à feu par ces militaires, même si les parties ne sont pas d’accord quant aux circonstances du décès. En tout état de cause, le Comité estime que le fait que la fille de l’auteur ait été tuée par l’armée requérait une enquête rapide et indépendante. Les cas de privation de la vie par les autorités publiques sont extrêmement graves; ils exigent une enquête rapide et appropriée par un organe judiciaire qui présente toutes les garanties énoncées dans le Pacte, et des sanctions appropriées contre les responsables.Le Comité constate que peu de temps après le décès de Subhadra, l’auteur a déposé une plainte auprès du chef de district, ainsi qu’un premier rapport d’information pour meurtre le 8 juin 2006 auprès du bureau de la police du district, en vain. En juin 2005, la Commission nationale des droits de l’homme a conclu que la fille de l’auteur avait été illégalement exécutée et a recommandé au Gouvernement d’identifier les responsables et d’engager des poursuites contre eux. De même, le 14 décembre 2009, la Cour suprême a rendu une ordonnance d’injonction de faire (mandamus) dans laquelle elle ordonnait qu’une enquête soit menée dans les plus brefs délais, mais aucun progrès dans ce sens n’a été réalisé. Malgré les efforts consentis par l’auteur, plus de dix ans après le meurtre de sa fille, aucune enquête visant à élucider les circonstances du décès n’a été menée à terme par l’État partie et aucun responsable n’a été jugé ni puni. L’État partie mentionne des enquêtes en cours, mais on ne sait rien sur leur état d’avancement ni sur les raisons de leur retard.

11.5Le Comité estime que l’État partie n’a pas fait procéder à une enquête rapide, approfondie et effective sur les circonstances dans lesquelles la fille de l’auteur a été arrêtée, maltraitée et tuée. Aussi le Comité conclut-il que l’absence d’enquête effective visant à établir qui est responsable de l’arrestation de la fille de l’auteur, du traitement qui lui a été infligé et de sa mort constitue un déni de justice et une violation des droits de l’intéressée en vertu des articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 du Pacte, tous lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

11.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que le traitement que lui ont infligé les forces de l’Armée royale népalaise, y compris le fait qu’il a été contraint d’assister à l’exécution de sa fille, l’absence d’enquête appropriée et l’impunité des responsables, constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Comité constate que tous les efforts déployés par l’auteur auprès des autorités pour obtenir justice n’ont abouti à aucun résultat et que sa famille et lui-même n’ont perçu que 100 000 roupies en 2008 et 200 000 roupies en 2010 à titre d’indemnisation provisoire. Le Comité estime que l’indemnisation provisoire accordée ne constitue pas une réparation adéquate et proportionnée à la gravité des violations commises. Dès lors, il estime que les épreuves que l’auteur a été forcé d’endurer, y compris l’absence d’enquête rapide, approfondie et effective de la part de l’État partie, constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits garantis aux articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 du Pacte, tous lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de la fille de l’auteur, ainsi que le droit garanti à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de l’auteur.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment en conduisant une enquête complète et effective sur les faits, en poursuivant et en punissant les responsables et en accordant à l’auteur une réparation intégrale et des mesures de satisfaction appropriées. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle et à les diffuser largement.

Appendice

[Original: espagnol]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Víctor Manuel Rodríguez-Rescia et Fabián Omar Salvioli

1.Au sujet de la communication no 2018/2010, nous approuvons la décision du Comité qui a constaté une violation des droits garantis aux articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 du Pacte, tous lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de la fille de l’auteur (Subhadra Chaulagain), ainsi que du droit garanti à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de l’auteur (Kedar Chaulagain).

2.Cependant, nous estimons que le Comité aurait dû constater également une violation de ces mêmes droits considérés seuls, et pas uniquement en relation avec l’absence d’enquête effective (ce qu’il a malencontreusement conclu en lisant les articles 6, 7, 9 et 10 conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte). Nous sommes d’avis que la décision concernant la recevabilité de cette communication adoptée par le Comité à sa 104e session, le 8 mars 2012, était inutilement restrictive et juridiquement mal fondée. Nous ne comprenons pas davantage pourquoi le Comité a décidé d’examiner le fond séparément de la recevabilité.

3.Dans sa décision sur le fond, le Comité aurait pu appliquer correctement le Pacte et conclure qu’il y avait eu violation directe des droits en question. La difficulté à laquelle se heurte fréquemment le Comité est de nature plutôt structurelle et a trait à la pratique incompréhensible − et, nous en sommes convaincus, malavisée − qui consiste à s’abstenir d’appliquer le principe iura novit curia dans l’examen des communications.

4.Le Comité devrait analyser les affaires dont il est saisi en s’appuyant sur les faits établis et, sur cette base, déterminer quels droits garantis par le Pacte ont été violés, que cela coïncide ou non avec ce qu’avancent les auteurs de la communication.

5.On parvient à des résultats déraisonnables si, comme en l’espèce, le Comité consacre davantage d’attention aux numéros des articles invoqués qu’à l’examen des faits allégués et prouvés et de la manière dont les griefs de violations ont été étayés. Les événements terribles décrits par l’auteur parlent d’eux-mêmes, et la plainte formulée ne laisse aucune place au doute non plusa.

6.Dans la présente affaire, en outre, la fille de l’auteur avait 17 ans au moment des faits, ce qui signifie que le Comité aurait pu chercher à déterminer s’il y avait eu violation de l’article 24 du Pacte, lequel exige des États parties qu’ils prennent des mesures spéciales de protection pour tous les enfants et adolescents. Les actes perpétrés contre la victime par les membres de l’Armée royale népalaise engagent la responsabilité internationale de l’État eu égard aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 24. Outre sa responsabilité pour les actes répréhensibles de ceux qui ont arrêté, torturé et exécuté extrajudiciairement Subhadra Chaulagain, l’État avait l’obligation de faire procéder à une enquête détaillée et approfondie sur les faits. C’est pourquoi nous considérons qu’il y a eu une violation distincte de l’article 24 du Pacte et une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 24.

7.Les faits établis sont effroyables: Subhadra a été tirée par les cheveux, frappée à la tête, emmenée hors de sa maison, insultée, menacée de mort, interrogée sous la torture et brutalement exécutée, et son corps a reçu des coups de pieds et a été piétiné au point que ses intestins se sont répandus sur le sol. Comment est-il possible que le Comité n’ait pas constaté dans cette affaire une violation directe des droits de la victime au titre des articles 6, 7, 9, 10 et 24 du Pacte?

8.En conséquence, nous estimons que le paragraphe 12 de la communication aurait dû être libellé comme suit: «Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits garantis aux articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 et 24 du Pacte, tous considérés seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de la fille de l’auteur; l’État partie a également violé les droits garantis à l’article 7 et à l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteur.». En outre, les réparations demandées auraient dû être proportionnées à la gravité des violations des droits de l’homme dont Subhadra Chaulagain et Kedar Chaulagain ont été victimes.

9.Le Comité devrait revoir sa méthode d’examen des affaires et suivre la pratique logique des organes internationaux juridictionnels et quasi juridictionnels, qui appliquent le droit sur la base des faits établis, indépendamment des arguments juridiques avancés par les parties.

10. Ce faisant, le Comité éviterait les situations qui nous obligent à formuler des opinions individuelles partiellement dissidentes comme dans la présente affaire et serait en mesure de s’acquitter correctement de son rôle d’organe chargé de la protection des droits de l’homme, dans le cadre établi par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le premier Protocole facultatif s’y rapportant.