Nations Unies

CCPR/C/112/D/2031/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2031/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 112esession(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Ram Kumar Bhandari(représenté par un conseil, Track Impunity Always-TRIAL)

Au nom de:

L’auteur et Tej Bahadur Bhandari (son père)

État partie:

Népal

Date de la communication:

14 décembre 2010(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 février 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

29 octobre 2014

Objet:

Disparition forcée

Question(s) de fond:

Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; droit à un recours utile

Question ( s ) de procédure:

Épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

6, 7, 9, 10 et 16 pris isolement et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (112esession)

concernant la

Communication no 2031/2011 *

Présentée par:

Ram Kumar Bhandari (représenté par un conseil, Track Impunity Always-TRIAL)

Au nom de:

L’auteur et Tej Bahadur Bhandari (son père)

État partie:

Népal

Date de la communication:

14 décembre 2010(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no2031/2011 présentée par Ram Kumar Bhandari en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est  Ram Kumar Bhandari, né le 13 décembre 1977. Il affirme que l’État partie a violé les droits que son père disparu, Tej Bahadur Bhandari, de nationalité népalaise, né le 23 février 1946, tient des articles 6, 7, 9 10 et 16 du Pacte, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que les droits qu’il tient lui-même de l’article 7 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En raison du conflit armé sévissant dans le pays, les autorités ont proclamé l’état d’urgence en novembre 2001. L’ordonnance relative aux activités terroristes et destructrices (2001) a autorisé les agents de l’État, notamment les membres des forces de l’ordre, à procéder à des arrestations sur la base de simples soupçons de participation à des activités terroristes et différents droits de l’homme et libertés fondamentales garantis par la Constitution ont été suspendus. Dans ce contexte, toutes les parties au conflit, et notamment la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités et les disparitions forcées sont devenues monnaie courante.

2.2Le 27 décembre 2001 à midi, un groupe d’une soixantaine de membres de l’armée et de la police s’est rendu au domicile des parents de l’auteur situé à Simpani, dans le district de Lamjung, près de la route. La mère de l’auteur a été interrogée au sujet de l’endroit où se trouvaient ses enfants et menacée d’être tuée si son mari, enseignant à la retraite fortement engagé dans des activités sociales, ne se présentait pas au chef du district de Lamjung le lendemain.

2.3Le 28 décembre 2001, le père de l’auteur s’est rendu au bureau du chef du district qui l’a accusé d’être maoïste. M. Bhandari a rejeté cette accusation et indiqué qu’il n’était membre d’aucun comité du Parti communiste du Népal. Il a été autorisé à repartir sous réserve qu’il se présente à nouveau le lundi suivant. Il a saisi cette occasion pour se plaindre de l’incident survenu la veille et des menaces proférées contre son épouse. Le chef du district et le commissaire de police adjoint ont répondu qu’il s’agissait de personnel subalterne ayant agi sans ordre sur la base d’informations reçues, mais qu’il serait ordonné que cela ne se reproduise pas.

2.4Le 31 décembre 2001, M. Bhandari a pris un bus pour se rendre au bureau du chef du district. Lorsqu’il est arrivé à la station des bus de Manange Chautara, plusieurs policiers en uniforme, ainsi que des soldats en civil, l’attendaient. Ils l’ont appréhendé sous les yeux de nombreuses personnes, car la station est située au centre de la localité Bal Krishna Baral. D’après des témoins, il a été passé à tabac, attaché, on lui a bandé les yeux et on l’a fait monter dans un fourgon de police.

2.5Le même jour, 15 membres de l’armée et de la police ont fait irruption dans la maison des Bhandari, menacé la mère de l’auteur, détruit de nombreux effets ménagers, jeté de la nourriture et volé 15 000 roupies népalaises. Ces actes se sont répétés régulièrement au cours des deux semaines suivantes. Plus tard dans la soirée du 31 décembre 2001, M. C. B. B., une connaissance du district de Lamjung et ancien membre des forces armées, a dit à la mère de l’auteur que son mari avait été arrêté et ne rentrerait pas à la maison ce jour-là.

2.6Le 1er janvier 2002, la mère de l’auteur, le frère de celle-ci et des voisins ont cherché à s’informer auprès du chef du district de Lamjung de l’endroit où se trouvait M. Bhandari, mais le chef du district a nié l’arrestation. Le même jour, la mère de l’auteur s’est rendue à la police de Besishahar qui l’a informée que son mari avait été arrêté dans le cadre d’une enquête, mais qu’il serait relâché deux ou trois jours plus tard.

2.7Après avoir appris l’arrestation de son père, l’auteur est revenu de Katmandou pour le rechercher. Au cours des jours suivants, il a tenté avec sa mère de savoir ce qu’il était advenu de lui et sont allés voir le chef du district de Lamjung, M. S. P. N. Celui-ci a d’abord nié avoir eu connaissance de l’arrestation du père de l’auteur, avant de leur révéler qu’il faisait l’objet d’une enquête. Deux semaines plus tard, les intéressés se sont à nouveau rendus au bureau du chef du district et Mme Bhandari a demandé à voir son mari. Le chef du district a répondu par des menaces. L’auteur et sa mère ont également rencontré le commissaire adjoint de la police de Lamjung, M. P .A., qui les a menacés d’arrestation et leur a dit que l’enquête suivait son cours.

2.8Le 14 janvier 2002, lors d’une réunion politique publique rassemblant plusieurs partis, tenue à Besishahar en présence du chef du district, du commissaire de police adjoint et d’autres membres de la police, des dirigeants politiques ont demandé la libération immédiate de M. Bhandari. La police a confirmé son arrestation et indiqué qu’il allait être remis en liberté. Une semaine après cette réunion, l’auteur et sa mère ont reçu des informations contradictoires de la part de membres subalternes du personnel militaire, leur indiquant que M. Bhandari se trouvait dans une caserne ou une autre ou encore à l’hôpital militaire. L’auteur s’est renseigné auprès de l’hôpital mais on lui a répondu que son père ne s’y était jamais trouvé.

2.9Le 31 janvier 2002, l’auteur a signalé la disparition de son père à la Commission nationale des droits de l’homme. Le 1er février 2002, la Commission a écrit au chef du district, au commissaire adjoint de la police de Lamjung et aux autorités militaires pour savoir où se trouvait M. Bhandari. Le 15 février 2002, le chef du district lui a répondu que M. Bhandari avait dit aux autorités qu’il pouvait les conduire à des caches d’armes dans la jungle aux abords de Simpani. Cependant, au cours des recherches menées dans cette zone, il avait tenté de s’enfuir et avait été tué dans un échange de tirs.

2.10Le 4 mars 2002, l’auteur a introduit une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême. À la suite de cela, il a reçu des menaces de la part d’officiers de l’armée lui enjoignant de cesser de rechercher son père.

2.11Le 6 mars 2002, un officier de l’armée a répondu à la Commission nationale des droits de l’homme que M. Bhandari avait été placé en détention du chef de sa participation active à une organisation maoïste responsable d’actions violentes. Il l’a en outre informée des circonstances de la mort de M. Bhandari dans la zone forestière située aux abords du village de Simpani, dans le district de Lamjung, et indiqué que «les forces de sécurité, qui [avaient] été amenées à intervenir militairement, [avaient] dû laisser le corps sur les lieux pour des raisons de sécurité, d’éloignement géographique et de difficulté à le transporter».

2.12Le 11 mars 2002, l’auteur a été arrêté à Katmandou, devant la Cour suprême, par des membres de l’armée en civil et placé en détention dans une caserne. Il a été interrogé, passé à tabac et menacé d’être tué s’il ne retirait pas sa requête en habeas corpus. Le 5 avril 2002, la Cour suprême a estimé qu’étant donné que le père de l’auteur n’était plus en vie, l’ordonnance d’habeas corpus demandée ne pouvait être prononcée. Elle a donc rejeté la requête de l’auteur. Elle a souligné dans sa décision que, d’après le chef du district, le commissaire de police adjoint et les autorités militaires, M. Bhandari avait été tué le 1er janvier 2002 lors d’un échange de tirs, alors qu’il essayait de s’échapper du périmètre de sécurité au cours d’une opération visant à localiser des munitions dissimulées dans la jungle par des maoïstes.

2.13L’auteur précise qu’il a dû se réfugier en Inde pour une courte période pour des raisons de sécurité; il est retourné dans le district de Lamjung en 2006. Il a alors pu rassembler des témoignages d’anciens détenus ayant vu ou entendu son père durant sa détention. Le premier, M. R. P. S., également détenu au commissariat de police du district le 31 décembre 2001, a déclaré que cette nuit‑là il avait vu et entendu le père de l’auteur être battu pendant une heure et demie, qu’il l’avait ensuite entendu gémir; qu’après un certain temps, un policier avait dit «Je crois qu’il est mort» et que la lumière dans la pièce d’à côté s’était éteinte. Il n’avait ensuite plus jamais entendu parler de cela. Ce témoignage était corroboré par celui d’un autre détenu, M. D. S. G., qui avait entendu M. Bhandari crier et avait présumé qu’il avait été battu à mort.

2.14Le 27 avril 2007, l’auteur a écrit au chef du district et au commissaire de police adjoint, en demandant des informations sur la disparition forcée de son père. N’ayant reçu aucune réponse de leur part, il a tenté de déposer un «premier rapport d’information» le 14 juin 2007, mais la police a refusé oralement de l’enregistrer, sans délivrer de refus officiel écrit. Les policiers ont dit à l’auteur qu’ils ne pouvaient pas arrêter un collègue, qu’ils n’avaient aucune trace des ces événements et qu’il s’agissait d’une question politique dans laquelle ils ne pouvaient pas intervenir. Le 15 juin 2007, l’auteur a envoyé son premier rapport d’information à la police par la voie postale. Une semaine plus tard, un officier de rang supérieur lui a répondu que la police refusait de se saisir de ce type d’affaires qui étaient examinées par la Commission nationale des droits de l’homme. Le 22 juin 2007, l’auteur a écrit au chef du district pour lui demander de procéder à l’enregistrement de son premier rapport d’information, mais le chef a refusé.

2.15Le 30 octobre 2007, des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de la Commission internationale de juristes se sont rendus au bureau de la police du district et ont demandé ce qu’il était advenu du premier rapport d’information. Ils ont été informés que, sur ordre d’un supérieur, il n’avait pas été enregistré. Cela a été confirmé par le commissaire adjoint. Le 23 novembre 2007, la Commission internationale de juristes a écrit à l’inspecteur général de la police afin d’obtenir des informations au sujet du refus d’enregistrement du premier rapport d’information. Elle n’a jamais reçu de réponse.

2.16Le 12 mai 2008, l’auteur a introduit une requête en mandamus auprès de la Cour suprême, aux fins de faire enregistrer son premier rapport d’information. Le 24 juin 2008, le chef du district et le commissaire adjoint ont informé la Cour suprême que le père de l’auteur avait essayé de forcer le cordon formé par les forces de sécurité en patrouille dans le comité de développement villageois (commune) de Simpani, que des terroristes avaient ouvert le feu et que les forces de sécurité leur avaient répondu, et que M. Bhandari était mort dans cet échange de coups de feu. Ils affirmaient également que l’échange avait eu lieu pendant la nuit et qu’il était difficile de dire si la balle qui l’avait tué avait été tirée par le groupe de terroristes ou par les forces de sécurité. Le commissaire adjoint faisait en outre valoir que cette incertitude balistique faisait obstacle à l’introduction, par l’auteur, d’une requête en mandamus auprès de la Cour suprême. Au moment où la communication a été présentée, la procédure orale concernant cette requête en mandamus avait été ajournée cinq fois et l’affaire était pendante depuis trois ans.

2.17En juin 2009, l’auteur a reçu 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire accordée aux familles des victimes de disparition forcée. À un moment donné, l’auteur a demandé au chef du district et au commissaire adjoint que les effets personnels de son père lui soient restitués. Mais de nouveaux policiers, nommés après l’Accord de paix, lui ont dit qu’ils n’étaient pas au courant de l’affaire concernant son père et qu’ils ne pouvaient rien faire pour la restitution desdits effets. L’auteur affirme que la disparition de son père a été source de grandes souffrances pour lui et qu’il a été victime de harcèlement de la part des autorités. Sa mère est victime de stigmatisation sociale, car pour une femme il est difficile de vivre sans mari au sein de la société népalaise. La disparition est également à l’origine d’une perte économique importante pour la famille, car le père de l’auteur représentait la source principale des revenus familiaux.

2.18L’auteur affirme que la Commission nationale des droits de l’homme ne saurait être considérée comme offrant un recours utile. Quant au dépôt de premier rapport d’information, il s’agit d’une procédure exclusivement applicable aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, parmi lesquelles ne figurent pas la disparition forcée, ni la torture. En 2007, la Cour suprême a ordonné que la disparition forcée soit érigée en infraction, mais aucune mesure n’a été prise à cet effet. Dans les affaires de disparition, le dépôt d’un premier rapport d’information ne constitue pas un recours approprié car, en général, les autorités font valoir que le décès de la personne ne peut être établi en l’absence du corps. L’auteur affirme que les recours internes introduits ont excédé des délais raisonnables et qu’il n’en existe pas d’autre qui devrait être épuisé.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son père a été victime de disparition forcée et, par conséquent, d’une violation de droits qui lui sont reconnus aux articles 6, 7, 9, 10 et 16, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2Le père de l’auteur a été arbitrairement privé de sa liberté par des policiers et des membres de l’armée en civil, en présence de nombreux témoins oculaires. Bien qu’il ait été vu vivant pour la dernière fois en situation de danger de mort alors qu’il se trouvait aux mains d’agents de l’État partie et que sa privation de liberté ait été immédiatement dénoncée par sa femme, les autorités ont d’abord nié qu’il avait été privé de liberté, pour affirmer ensuite qu’il avait été tué dans un échange de tirs à Simpani. L’arrestation arbitraire du père de l’auteur, les mauvais traitements qui lui ont été infligés et la disparation forcée qui a suivi sont intervenus dans un contexte où de tels actes constituent une pratique généralisée et systématique. À cet égard, l’auteur affirme que le fait que des personnes privées de liberté soient placées sous le contrôle d’agents de l’État ou de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, qui se livrent à des actes de torture ou des exécutions arbitraires, constitue en lui-même une violation de l’obligation de prévention des violations du droit à la vie et à l’intégrité de la personne, même s’il est impossible de démontrer que des actes de torture ou une privation de liberté se sont effectivement produits dans une affaire particulière.

3.3De nombreux témoins oculaires ont vu le père de l’auteur se faire rouer de coups par des policiers et des membres des forces armées, le 31 décembre 2001, à son arrivée à la station des bus de Manange Chautara à Besishahar. De même, des personnes détenues au bureau de la police du district à la fin décembre 2001 ont témoigné qu’il avait été victime de torture et de graves mauvais traitements de la part des gardiens du centre de détention. Ces agissements constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Cette disparition forcée et le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur sont constitutifs d’une violation de l’article 7. À cet égard, l’auteur affirme que les violations dont son père a été victime doivent être examinées dans le contexte général de violations des droits de l’homme prévalant dans l’État partie et en prenant en considération le fait que les atteintes les plus graves à l’intégrité physique et morale commises dans le pays visaient systématiquement des personnes soupçonnées d’être maoïstes.

3.4À la suite de son arrestation arbitraire, le père de l’auteur a été conduit au bureau de la police du district et placé en détention sans que les motifs juridiques de cette mesure ne lui soient communiqués, en violation de ses droits au titre de l’article 9 du Pacte. Sa détention n’a été consignée dans aucun registre ou document officiel et ses proches ne l’ont pas revu depuis. Il n’a jamais été présenté ni à un juge ni à aucune autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ni été en mesure d’introduire une action devant un tribunal aux fins de contester la légalité de sa détention. La détention au secret non reconnue d’une personne, quelle qu’elle soit, constitue une violation de l’article 9 du Pacte.

3.5Le père de l’auteur n’avait pas la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et, d’après les témoins oculaires dignes de foi qui ont été mentionnés plus haut, il a été soumis à la torture. En outre, il est avéré que les conditions de vie des personnes placées en détention provisoire au cours du conflit armé étaient inhumaines et dégradantes. En conséquence, la disparition forcée du père de l’auteur et les conditions de détention auxquelles il a été soumis constituent en elles-mêmes des violations de l’article 10 du Pacte.

3.6La disparition forcée du père de l’auteur et le fait qu’aucune enquête efficace n’ait été diligentée en vue de déterminer le lieu où il se trouvait et le sort qui lui était réservé ont eu pour effet de soustraire l’intéressé à la protection de la loi à compter du 31 décembre 2001, l’empêchant ainsi d’exercer ses droits et ses libertés fondamentales. Il en résulte que l’État partie est responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.7Bien que l’auteur ait signalé sans délai la privation arbitraire de liberté, les mauvais traitements et la disparition forcée dont son père a été victime et qu’il ait déposé plusieurs plaintes, il n’a été procédé d’office à aucune enquête rapide, impartiale, approfondie et indépendante, et le sort réservé à son père, ainsi que le lieu où il se trouve demeurent inconnus. Sa dépouille n’a pas été localisée, exhumée, identifiée, ni restituée à la famille. En outre, à ce jour, personne n’a été cité à comparaître ou condamné pour la privation arbitraire de liberté dont l’intéressé a été victime, ni les mauvais traitements et la disparition forcée qui l’ont suivie. Il en résulte que l’État partie a violé, et continue à violer, les droits que le père de l’auteur tient des articles 6, 7, 9 et 10, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. L’auteur affirme en outre que ses efforts et ceux de sa mère ont été systématiquement entravés en raison des failles du cadre juridique existant. Par exemple, dans le cadre des procédures judiciaires, les agents publics ne sont pas considérés comme des «témoins» et aucune disposition légale ne les oblige à dire toute la vérité. De plus, du fait que la disparition forcée et la torture ne constituent pas des infractions autonomes en vertu du droit pénal, il est difficile de poursuivre et de condamner les personnes accusées de ces crimes.

3.8L’auteur affirme qu’il souffre depuis 2001 d’angoisse et de détresse causées par la privation arbitraire de liberté, les mauvais traitements et la disparition forcée dont son père a été victime, ainsi que par les actes et omissions des autorités dans le traitement de cette affaire au cours des neuf années qui ont suivi. L’absence d’enquête efficace sur la disparition forcée de son père le maintient dans une situation douloureuse d’incertitude permanente qui pèse sur son existence. Dans leur quête de justice, l’auteur et sa famille ont été victimes d’actes d’intimidation et de harcèlement répétés. L’État partie n’a pas prévenu ces incidents de manière adéquate, ni diligenté d’enquête lorsqu’ils se sont produits. Bien que les autorités aient affirmé avoir connaissance du lieu où se trouve la dépouille de M. Bhandari, elles n’ont consenti aucun effort réel pour la rendre à la famille, favorisant ainsi une angoisse et une frustration permanentes chez l’auteur, liées au fait qu’il n’est pas en mesure d’inhumer son père dignement. En outre, l’auteur n’a pas reçu d’indemnisation adéquate pour le préjudice matériel et moral que son père et lui ont subi, ni bénéficié de mesures de réadaptation ou de satisfaction. En conséquence, il affirme que les faits susmentionnés constituent une violation continue de ses droits au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.9L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie: a) d’ordonner de toute urgence une enquête indépendante afin d’établir le sort réservé à son père et l’endroit où il se trouve et, au cas où son décès serait confirmé, de localiser, exhumer, identifier et traiter sa dépouille avec le respect qui lui est dû, ainsi que de la rendre à sa famille; b) de traduire les auteurs des actes en cause devant les autorités civiles compétentes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et sanctionnés et de diffuser publiquement les résultats de ces mesures; c) de veiller à ce que l’auteur obtienne une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et adéquate; et d) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et que des mesures soient prises aux fins de restitution, de réadaptation, de satisfaction et de garanties de non-répétition. L’auteur demande en particulier à l’État partie de reconnaître sa responsabilité internationale à l’occasion d’une cérémonie publique en présence des autorités et de l’auteur, qui devrait recevoir des excuses officielles; et de nommer une rue, d’ériger un monument ou de poser une plaque dans le district de Lamjung en mémoire de toutes les personnes qui ont été victimes de disparition forcée au cours du conflit armé interne. L’État partie devrait également fournir à l’auteur une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite, par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et lui accorder une aide juridictionnelle, en tant que de besoin, afin de lui garantir l’accès à des recours disponibles, utiles et suffisants. À titre de garanties de non-répétition, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que les disparitions forcées et la torture, ainsi que les différentes formes de participation à de tels crimes, constituent en vertu de sa législation pénale des infractions autonomes passibles de peines appropriées qui tiennent compte de leur extrême gravité. L’État partie devrait enfin mettre en place dès que possible des programmes d’éducation au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire à l’intention de l’ensemble des membres des forces armées, des forces de sécurité et du personnel judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 4 mai 2011, l’État partie a présenté ses observations et contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.2Concernant les faits de l’espèce, l’État partie soutient que le père de l’auteur a participé à des activités violentes. Le 31 décembre 2001, il a été conduit par les forces de sécurité dans la zone forestière située aux abords du village de Simpani, où se trouvaient, selon lui, des caches d’armes. Alors qu’il tentait de forcer le cordon de sécurité et de s’enfuir en courant, les forces de sécurité ont dû intervenir, ce qui a provoqué accidentellement son décès.

4.3Conformément à la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, la police a procédé à une enquête et son rapport a été présenté au bureau du procureur du district de Lamjung. À la suite du dépôt d’un premier rapport d’information sur le décès accidentel de l’intéressé, une enquête accompagnée, notamment, d’un examen de sa dépouille, a été diligentée. À la lumière de ces éléments, l’État partie affirme que les faits de l’espèce ne sont pas constitutifs de disparition forcée.

4.4En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle la Cour suprême a ajourné à plusieurs reprises les audiences concernant sa requête en mandamus, l’État partie fait valoir que la procédure orale devant la Cour suprême est régie par le règlement no 2049 BS de cette instance. La requête de l’auteur visant à obtenir l’enregistrement de son premier rapport d’information a été introduite le 12 mai 2008. Le lendemain, la Cour suprême a tenu une audience sur cette requête et rendu une ordonnance faisant obligation aux défendeurs − le chef du district et le commissaire adjoint − de se justifier. Comme la Cour suprême le leur avait ordonné, les défendeurs ont produit leur réponse écrite dans le délai prescrit. Au moment où l’État partie a présenté ses observations au Comité, la procédure se trouvait dans sa phase finale. L’affaire de l’auteur était en attente de la dernière audience et la Cour devait rendre son verdict au cours de la période d’audiences suivante. Ces éléments montrent que des recours utiles et adéquats sont encore pendants. On ne saurait donc conclure que l’auteur a épuisé les recours internes conformément aux prescriptions de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

5.1Dans une note verbale en date du 13 septembre 2011, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et réaffirmé que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes.

5.2En ce qui concerne les griefs au fond, l’État partie souligne qu’il a, à différentes reprises, réfuté les rapports du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires faisant état du recours systématique à la torture par la police, la force de police armée et l’armée.

5.3Dans sa décision du 5 avril 2002, la Cour suprême a déclaré que le père de l’auteur était décédé. Étant donné qu’il n’y a aucun doute sur son sort, l’État partie réaffirme que l’on ne saurait considérer cette affaire comme un cas de disparition forcée.

5.4L’État partie est conscient de l’obligation qui lui incombe de procéder à une enquête approfondie, d’exhumer le corps et de restituer la dépouille. Il est aussi profondément préoccupé par les cas de recours excessif à la force, de torture ou de traitements inhumains et dégradants à l’égard de victimes du conflit armé. Pour répondre à cette préoccupation, il a décidé d’établir une commission chargée d’enquêter sur les cas de disparition, ainsi qu’une commission pour la vérité et la réconciliation, conformément à l’article 33 s) de la Constitution provisoire du Népal de 2007 et à l’article 5.2.5 de l’Accord de paix global du 21 novembre 2006. À cette fin, des projets de loi relatifs à la Commission pour la vérité et la réconciliation et aux disparitions forcées (infractions et sanctions) ont été présentés au Parlement. À la date de soumission des présentes observations par l’État partie, ces projets de loi se trouvaient en attente d’approbation. Les deux commissions qui seront créées une fois ces projets adoptés enquêteront sur des cas survenus pendant le conflit, afin d’établir la vérité à leur sujet.

5.5L’État partie fait observer également que 100 000 roupies népalaises ont été accordées à l’auteur à titre d’indemnisation provisoire. Il demeure déterminé à ouvrir des enquêtes contre les auteurs présumés des violations des droits de l’homme perpétrées au cours du conflit armé, entre le 13 février 1996 et le 21 novembre 2006, à les poursuivre et à les punir, ainsi qu’à accorder une indemnisation aux victimes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans ses commentaires en date du 14 novembre 2011, l’auteur rejette les observations de l’État partie. Il réitère ses allégations et conteste l’affirmation selon laquelle son père n’aurait pas été victime de disparition forcée. Il souligne que de nombreuses personnes ont été témoins de son arrestation le 31 décembre 2001 à Manangay Chautara et que l’Armée elle-même a admis dans sa réponse à la Cour suprême, en 2002, qu’il avait été placé en détention en vertu de l’article 5 de l’ordonnance relative aux activités terroristes et destructrices (2001). En outre, l’auteur a reçu 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire, ce qui correspond au montant auquel ont droit les familles de victimes de disparition forcée. Bien qu’en février et mars 2002 les autorités aient dit à la Commission nationale des droits de l’homme et à la Cour suprême que le père de l’auteur avait été tué le 1er janvier 2002 par des agents de l’État alors qu’il tentait de fuir, les circonstances de son décès n’ont jamais été entièrement éclaircies et sa dépouille n’a pas été localisée ni restituée à la famille. En conséquence, dans la mesure où l’État partie ne s’est pas conformé à son obligation de communiquer des informations sur le sort réservé au père de l’auteur et sur le lieu où il se trouve, d’identifier et de restituer sa dépouille − dans le cas où son décès serait confirmé −, de juger et punir les responsables et d’accorder à l’auteur une réparation intégrale, la situation de la victime continue à relever de la disparition forcée.

6.2En ce qui concerne les faits de l’espèce, l’auteur souligne que ses tentatives de dépôt d’un premier rapport d’information n’ont jamais abouti car les autorités ont refusé d’enregistrer le document. L’État partie ne saurait affirmer qu’un rapport sur le décès du père de l’auteur a été établi sur la base d’un premier rapport d’information vu que les autorités n’ont jamais accepté de procéder à cet enregistrement. L’auteur n’a reçu aucune information ni aucun rapport sur l’enquête et les conclusions concernant l’affaire de son père et le décès de celui-ci. À ce jour, aucun détail sur la nature de l’enquête qui aurait été diligentée ni aucun rapport n’ont été communiqués par l’État partie. À cet égard, l’auteur affirme que le refus de fournir toute information, voire de communiquer avec les proches, constitue une violation du droit à la vérité. La communication d’informations générales concernant des questions procédurales est insuffisante et devrait également être considérée comme une violation du droit à la vérité. En l’absence de toute explication de l’État partie quant à la nature de l’enquête qui aurait été menée, et à la lumière des actes de harcèlement dont lui-même a été victime à la suite de ses demandes d’information sur le sort réservé à son père et l’endroit où il se trouvait, l’auteur conteste qu’une telle enquête ait effectivement eu lieu et qu’elle puisse satisfaire aux conditions requises par le droit international.

6.3À la date où l’auteur a présenté ses commentaires, les audiences concernant l’enregistrement du premier rapport d’information, dans le cadre de la requête en mandamus introduite auprès de la Cour suprême le 12 mai 2008, avaient fait l’objet de six ajournements. La dernière audience prévue devait se tenir le 23 août 2011. Cependant, les autorités se sont contentées de publier un avis annonçant son ajournement, sans en donner le motif.

6.4L’affirmation de l’État partie selon laquelle il a été procédé à un examen de la dépouille du père de l’auteur se trouve en contradiction avec la teneur de la lettre présentée à la Cour suprême le 6 mars 2002 par un chef de section de l’Armée. Si cet examen a eu lieu ultérieurement, aucune preuve ni aucun document le concernant n’a été communiqué à l’auteur.

6.5En ce qui concerne la durée de la procédure en mandamus devant la Cour suprême, l’auteur affirme qu’il a dû introduire sa requête en mai 2008, parce que les autorités refusaient d’enregistrer son premier rapport d’information. Des organisations locales de victimes ont également tenté de signaler des centaines de cas de disparitions forcées, mais la police et le chef du district ont systématiquement refusé d’enregistrer leurs premiers rapports d’information. L’auteur réaffirme qu’il n’existe pas d’autre recours utile à épuiser et que les recours internes ont excédé des délais raisonnables.

6.6En mai 2009, la Cour suprême a rendu un arrêt dans lequel elle ordonnait au Gouvernement d’ériger la torture en infraction, mais il n’a pas encore été donné effet à cet arrêt, pas plus qu’à son arrêt de juin 2007 dans lequel elle avait demandé l’incrimination de la disparition forcée. En outre, ces décisions n’ont pas été suivies d’une réforme des juridictions inférieures, lesquelles ne traitent toujours pas de manière satisfaisante les requêtes en mandamus et d’autres aspects des affaires dans lesquelles des violations graves des droits de l’homme, comme la torture et les disparitions forcées, sont dénoncées.

6.7À la date où l’auteur a fait part de ses commentaires, on ne savait pas quand seraient établies les futures commissions chargées, respectivement, de la vérité et de la réconciliation et des disparitions forcées, ni quel serait leur pouvoir de diligenter des enquêtes et des poursuites immédiates, indépendantes et efficaces. De surcroît, les procédures d’établissement des faits par des organes non judiciaires, bien qu’elles soient essentielles pour établir la vérité, ne sauraient en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête pénale et le prononcé de sanctions.

6.8La somme de 100 000 roupies népalaises accordée par l’État partie à titre d’indemnisation provisoire représente un montant dérisoire et elle est à l’évidence insuffisante pour couvrir le préjudice matériel et moral subi par l’auteur et son père. En outre, une simple réparation d’ordre pécuniaire n’est pas suffisante pour des violations des droits de l’homme de cette nature. Dans le cas de violations flagrantes des droits de l’homme, les réparations doivent comprendre des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction ainsi que des garanties de non-répétition.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3S’agissant de l’exigence d’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la Cour suprême a examiné la requête en mandamus présentée par l’auteur le 12 mai 2008 de la manière prévue par son règlement et que cette procédure est toujours en cours. Il prend note des affirmations de l’auteur selon lesquelles celui-ci a signalé immédiatement le placement en détention et la disparition de son père, déposé une plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme et introduit une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, respectivement le 31 janvier et le 4 mars 2002. En 2007, l’auteur a tenté de déposer un premier rapport d’information, mais la police a refusé de l’enregistrer. Le Comité observe que douze ans après la disparition alléguée du père de l’auteur, les circonstances de cette disparition demeurent obscures et que l’État partie n’a pas fourni d’arguments convaincants propres à justifier le retard pris dans la conclusion de l’enquête. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont excédé des délais raisonnables et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Étant donné que toutes les exigences concernant la recevabilité sont satisfaites, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que son père, Tej Bahadur Bhandari, a été appréhendé le 31 décembre 2001 par des policiers et des soldats en civil et conduit au bureau du chef du district. Selon des témoins, M. Bhandari a subi des mauvais traitements graves lors de son arrestation et au cours du séjour au centre de détention qui l’a suivi. Bien que l’auteur ait immédiatement signalé l’arrestation de son père, ainsi que les mauvais traitements dont celui-ci avait été victime et sa disparition, et qu’il ait déposé plusieurs plaintes et requêtes, les autorités n’ont procédé d’office à aucune enquête rapide, impartiale, approfondie et indépendante, et le sort réservé au père de l’auteur, ainsi que le lieu où il se trouve, demeurent inconnus à ce jour. Personne n’a été cité à comparaître ou condamné pour les actes en cause. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le sort du père de l’auteur est connu, que selon un rapport établi par la police à l’issue d’une enquête, il a été conduit par les forces de sécurité dans une zone forestière aux abords du village de Simpani afin de localiser des armes dissimulées par des groupes maoïstes, qu’il a tenté de rompre le cordon de sécurité et de s’enfuir et que les mesures prises par les forces de sécurité pour empêcher sa fuite ont provoqué son décès accidentel.

8.3Le Comité note que les deux parties conviennent que le père de l’auteur a été arrêté par des membres des forces de sécurité et conduit au bureau du chef du district où il a été placé en détention. Il observe néanmoins qu’en 2002, à la date des événements, l’auteur et sa mère ont reçu des informations contradictoires au sujet de la détention de l’intéressé et qu’en dépit de leurs demandes ils n’ont jamais été officiellement avisés du lieu de sa détention, ni n’ont été en mesure de lui rendre visite ou d’entrer en contact avec lui. Le Comité observe en outre que le chef du district, le commissaire de police adjoint et l’Armée ont indiqué à la Commission nationale des droits de l’homme et à la Cour suprême que le père de l’auteur avait été tué lors d’un échange de coups de feu, le 1er janvier 2002, et non dans les circonstances décrites par l’État partie (voir par. 8.2 ci-dessus) et qu’il était difficile de dire si la balle qui l’avait tué avait été tirée par les forces de sécurité. Le Comité relève aussi que d’après les témoignages recueillis par l’auteur auprès d’anciens détenus qui avaient vu ou entendu son père alors qu’il était en détention, M. Bhandari a été battu à mort dans le bureau du chef du district. Quoi qu’il en soit, le Comité prend note du fait que la dépouille n’a pas été restituée à la famille et que les autorités n’ont fourni aucune information sur l’endroit où elle se trouvait ni sur les efforts éventuellement déployés pour sa restitution, maintenant ainsi l’auteur dans une incertitude permanente.

8.4En l’espèce, l’État partie indique qu’il a mené une enquête efficace sur l’incident qui aurait abouti au décès de M. Bhandari, après la détention de celui-ci par les forces de sécurité. Cependant, le Comité estime que l’État partie n’a pas donné d’explications suffisantes sur les circonstances particulières de la détention et du décès présumé du père de l’auteur et que les éléments de preuve qu’il a produits sont insuffisants pour établir qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger sa vie. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie de M. Bhandari, en violation de l’article 6 du Pacte.

8.5Le Comité prend note des griefs que l’auteur tient de l’article 7, à savoir que son père a été gravement maltraité par les autorités au moment de son arrestation et durant sa détention, qu’il a été détenu sans contact avec le monde extérieur, que sa disparition forcée constitue en elle-même un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, et que l’État partie n’a pas diligenté d’enquête rapide et efficace. Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no 20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. En l’espèce, en l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que les actes de torture subis par le père de l’auteur et sa détention au secret sont constitutifs d’une violation de l’article 7 du Pacte.

8.6Le Comité prend également note de l’angoisse et de la tension causées à l’auteur par la disparition de son père. En particulier, l’auteur et sa famille n’ont reçu à aucun moment d’explication adéquate sur les circonstances entourant le décès présumé de leur proche, dont le corps ne leur a pas été restitué. En l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité considère que les faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur.

8.7Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 9 au motif que son père a été placé en détention et qu’il n’a jamais été présenté à un juge ni à une quelconque autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ni eu la possibilité d’introduire une action devant un tribunal aux fins de contester la légalité de sa détention. En l’absence de réponse de l’État partie sur ce point, le Comité estime que la détention du père de l’auteur constitue une violation des droits reconnus à l’article 9 du Pacte.

8.8En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, le Comité réaffirme sa jurisprudence constante, selon laquelle la soustraction intentionnelle d’une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État quand elle a été vue pour la dernière fois et s’il a été fait systématiquement obstacle aux efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris de nature juridictionnelle (voir art. 2, par. 3, du Pacte). En l’espèce, le Comité note que peu après l’arrestation du père de l’auteur, les autorités ont communiqué des informations contradictoires à l’auteur et à sa mère. Ultérieurement, malgré leurs demandes répétées, elles ne leur ont pas donné d’informations suffisantes sur le sort réservé à l’intéressé et le lieu où il se trouvait. En conséquence, le Comité estime que la disparition forcée du père de l’auteur depuis le 31 décembre 2001 a eu pour effet de soustraire l’intéressé à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.9L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties d’assurer un recours utile à toute personne dont les droits garantis par le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il renvoie à son Observation générale no 31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, ou il est notamment indiqué que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité observe que peu après le placement en détention de son père, l’auteur a cherché avec sa mère à obtenir des informations auprès du chef du district et du commissaire adjoint et qu’ils ont ensuite déposé des plaintes auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, de la Cour suprême et de la police (voir par. 7.3 ci‑dessus). En dépit des efforts déployés par l’auteur, près de douze ans après la disparition de son père l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et efficace en vue d’élucider les circonstances entourant sa détention et son décès présumé et aucune instruction criminelle n’a même été ouverte aux fins de traduire en justice les auteurs des actes en cause. L’État partie fait référence de manière très générale à l’enquête en cours dans le cadre de la procédure en mandamus,mais il ne dit pas quelles sont l’utilité et la pertinence de cette enquête, ni quelles mesures concrètes ont été prises en vue d’élucider les circonstances du placement en détention du père de l’auteur et la cause de son décès présumé, et en vue de localiser sa dépouille pour la restituer à la famille. Le Comité estime donc que l’État partie n’a pas procédé à une enquête approfondie et efficace sur la disparition du père de l’auteur. De surcroît, les 100 000 roupies népalaises reçues par l’auteur à titre d’indemnisation provisoire ne constituent pas une réparation adéquate, proportionnée à la gravité des violations infligées. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7, 9 et 16, à l’égard de Tej Bahadur Bhandari, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

8.10Ayant conclu à la violation des dispositions susmentionnées, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief que l’auteur tire de l’article 10 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 6, paragraphe 1, des articles 7, 9 et 16, ainsi que de l’article 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 1, et les articles 7, 9 et 16 du Pacte, à l’égard de Tej Bahadur Bhandari; et de l’article 7, ainsi que de l’article 2, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à l’auteur un recours utile et notamment : a) de mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Tej Bahadur Bhandari et de fournir à l’auteur des informations détaillées quant aux résultats de l’enquête; b) de localiser la dépouille de Tej Bahadur Bhandari et de la remettre à sa famille; c) de poursuivre, juger et punir les personnes responsables des violations commises; d) d’indemniser de manière appropriée l’auteur pour les violations subies; et e) de veiller à ce que  l’auteur bénéficie d’une réadaptation psychologique et d’un traitement médical appropriés. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, l’État partie devrait faire en sorte que sa législation permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs de faits constitutifs de violations du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.